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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 52 - Témoignages du 30 avril 2019 (séance du matin)


EDMONTON, le mardi 30 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été renvoyé le projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte Nord de la Colombie-Britannique, se réunit aujourd’hui , à 9 heures, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, nous poursuivons aujourd’hui notre réunion portant sur le projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte Nord de la Colombie-Britannique, la « Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers » proposée.

Nous sommes heureux d’être ici ce matin à Edmonton pour entendre les témoins sur ce projet de loi. Avant d’amorcer les travaux, je demanderais à tous les sénateurs de se présenter en commençant par la sénatrice à ma gauche.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.

La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta et du territoire du Traité no 6.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur D. Black : Doug Black, de l’Alberta.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

Le président : Je suis David Tkachuk, de la province de la Saskatchewan.

Pour notre premier groupe ce matin, nous avons le plaisir d’accueillir le chef Craig Makinaw, de la nation crie Ermineskin, et le maire Don Scott, de la Municipalité régionale de Wood Buffalo.

Merci d’être des nôtres aujourd’hui. Nous allons commencer par M. Scott.

Don Scott, maire, Municipalité régionale de Wood Buffalo : Merci beaucoup, et mes excuses pour ma voix de ce matin. Elle semble fluctuer de temps en temps.

Le président : Ma voix fait la même chose, alors...

M. Scott : Merci, monsieur le président, et bonjour mesdames et messieurs. Je m’appelle Don Scott et je suis maire de la Municipalité régionale de Wood Buffalo, qui, comme certains d’entre vous le savent, comprend les sables bitumineux et Fort McMurray, en Alberta.

Au nom de ma région, je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de faire part de nos préoccupations quant à ces mesures législatives profondément troublantes et, à notre avis, désastreuses. Le projet de loi C-48 est connu sous le nom de Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers, mais il s’agit en réalité d’une attaque systématique contre les sables bitumineux et de la capacité du Canada d’exporter son pétrole sur le marché international.

Ce projet de loi n’empêchera pas seulement le pétrole de l’Alberta d’atteindre les voies maritimes. Il dit essentiellement aux investisseurs de placer leur argent ailleurs et porte un coup dévastateur à des collectivités comme la nôtre qui dépendent d’investissements économiques, d’emplois bien rémunérés, de possibilités de passation de marchés de services et de retombées économiques créés par les sables bitumineux et leur exploitation.

Avant d’aborder nos préoccupations, j’aimerais donner un contexte à mes observations. La région de Wood Buffalo a été durement touchée ces dernières années. L’effet de la baisse des prix du pétrole, tout comme le ralentissement économique, les feux de forêt de 2016, le déclin de la population, a amené de nouveaux défis, et j’aimerais en souligner quelques-uns.

Le prix des maisons ont fortement chuté dans ma région. Entre février 2015 et février de cette année, les ventes moyennes d’une maison individuelle dans la région de Fort McMurray ont chuté de plus de 28 p. 100. Pour beaucoup de propriétaires, cela représente une perte de plus de 200 000 $.

Le trafic à l’aéroport international de Fort McMurray a également connu une forte baisse. En 2014, plus de 1,3 million de passagers ont transité par l’aéroport. En 2018, ce nombre est tombé à un peu moins de 640 000.

Plus de gens ont de la difficulté à joindre les deux bouts dans notre collectivité. En 2014, la banque alimentaire de Wood Buffalo a fourni près de 1 300 paniers de nourriture pour nourrir 2 300 personnes. En 2018, environ 7 800 paniers ont été préparés pour près de 16 500 personnes. La banque alimentaire a également signalé que, en moyenne, 50 nouveaux clients utilisaient ses services chaque mois. Nous estimons que c’est dans ce contexte que le projet de loi devrait être étudié.

Mesdames et messieurs, je vais droit au but. Ce projet de loi devrait mourir au Feuilleton. Il ne devrait jamais devenir loi. Le Canada dont nous jouissons aujourd’hui est le résultat de notre recherche de produits majeurs qui ont permis d’unir le pays et de servir l’intérêt national. Or, le projet de loi C-48 est fondamentalement une source de division et menace l’unité nationale. Il oppose l’Ouest à l’Est et l’industrie aux autres secteurs et veille à ce que les Canadiens ne tirent pas pleinement parti de leurs réserves de pétrole.

Il interdit l’activité économique dans une partie du pays tout en permettant aux autres de continuer sans entraves. Cela valorise davantage l’environnement d’une partie du littoral canadien, sans égard au reste du pays.

Selon Transports Canada, 85 p. 100 des mouvements de pétroliers au large des côtes du Canada ont lieu sur la côte Est. Cependant, le projet de loi C-48 ne s’applique pas aux navires-citernes qui naviguent dans ces eaux et ne protège pas ces collectivités des risques potentiels associés à la circulation de pétroliers.

Le projet de loi C-48 n’aura pas d’incidence sur les économies de l’Est du Canada, mais il étranglera les collectivités de l’Ouest, compromettant notre capacité d’attirer des investissements et empêchant nos ressources d’atteindre les marchés émergents lucratifs.

Soyons clairs, mesdames et messieurs. Ce projet de loi n’empêchera pas les pétroliers de naviguer au large des côtes du Nord de la Colombie-Britannique. Cela n’aura aucun effet sur les centaines de pétroliers qui transitent chaque année entre l’Alaska et l’État de Washington.

Les autres types de bateaux, notamment les traversiers, les barges, les bateaux de plaisance et les navires de charge, sont exemptés de ce projet de loi. Pourtant, les données du centre Clear Seas montrent que 78 p. 100 des déversements dans les eaux canadiennes entre 2003 et 2012 provenaient d’autres navires commerciaux.

Comme d’autres l’ont fait remarquer, le seul déversement important sur la côte Ouest au cours des 20 dernières années a eu lieu en 2006, lorsqu’un traversier a déversé du mazout. Le projet de loi C-48 ne prévoit aucune mesure pour lutter contre de tels déversements et ne ferait rien pour empêcher que cela ne se reproduise. Il n’introduit même pas de mesure visant à améliorer la capacité d’intervention en cas de déversement dans la zone, ni aucune ressource pour faciliter le nettoyage et la récupération en cas d’incident.

Le projet de loi à l’étude n’est pas le produit d’une approche décisionnelle fondée sur des données probantes. Il ne reflète pas les données montrant que le volume et la fréquence des marées noires dans le monde ont diminué depuis les années 1970. Il fait fi de la longue histoire et du bilan exceptionnel en matière de sécurité de l’industrie du transport maritime du Canada.

Le projet de loi omet également de reconnaître les ports en eau profonde du Nord de la Colombie-Britannique ou d’inclure les mesures d’atténuation des risques qui ont été efficaces dans le Canada atlantique, comme les technologies de réduction du bruit et les routes de navigation désignées.

Le projet de loi C-48 empêchera le pétrole canadien d’une industrie réglementée qui respecte les normes environnementales et normes de travail les plus strictes d’atteindre les voies maritimes et d’accéder aux marchés mondiaux. Il fera en sorte que l’écart de prix pour notre pétrole se maintiendra et qu’il ne puisse être mis sur le marché qu’avec un rabais important.

Il étouffera les investissements et empêchera plusieurs collectivités autochtones de parvenir à la prospérité économique et à la durabilité au profit de leurs populations. Enfin, et sans aucun doute, il aura une incidence négative sur le potentiel économique de l’Alberta et de la Saskatchewan.

En tant que maire de Wood Buffalo, je suis profondément préoccupé par ce que cela signifiera pour les travailleurs acharnés de ma collectivité, qui souffrent déjà d’une économie en crise et gèrent le stress du rétablissement après les feux de forêt, trois ans après l’évacuation.

À l’évidence, la réalité du projet de loi C-48 ne se concrétisera pas dans les eaux du Nord de la Colombie-Britannique, s’il devient une loi. Cela se répercutera dans la vie des travailleurs, des entreprises et des jeunes familles dans les quartiers de ma collectivité et dans beaucoup d’autres dans l’Ouest. Mesdames et messieurs, cela nuirait à tous les Canadiens.

Encore une fois, je vous remercie sincèrement de m’avoir donné la possibilité d’être ici aujourd’hui, et je serai ravi de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

Nous allons maintenant donner la parole au chef Makinaw. Il est accompagné de M. Swampy, qui a déjà témoigné devant nous, mais qui n’est là que pour aider à répondre aux questions que nous pourrions poser. Chef Makinaw, allez-y.

Craig Makinaw, chef, nation crie Ermineskin : Bonjour, mesdames et messieurs. Je présenterai un exposé ce matin.

J’aimerais vous remercier de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui et de vous faire part de mes préoccupations concernant le projet de loi C-48. Je tiens également à vous souhaiter la bienvenue sur le territoire visé par le Traité no 6 et je vous suis reconnaissant d’avoir pris le temps de venir en Alberta pour constater de visu l’incidence des politiques du gouvernement fédéral sur le droit de ma nation au développement économique.

Je m’appelle chef Craig Makinaw. Je suis le chef de la nation crie Ermineskin située à environ une heure au sud d’ici. Nous sommes l’une des Quatre nations de Maskwacis. La nation crie Ermineskin a une longue et riche histoire, mais ce sont nos riches gisements de pétrole et de gaz qui m’amènent ici aujourd’hui.

Nous sommes des producteurs de pétrole et de gaz depuis les années 1940. Nous avons résisté à de nombreuses vagues de prospérité et de déclin, mais nous avons vu les technologies évoluer. Nous avons vu notre participation et celle des autres Premières Nations dans l’industrie pétrolière et gazière évoluer : nous sommes passés de bénéficiaires passifs de redevances à partenaires de nos propres projets. Toutefois, jamais auparavant notre industrie n’avait été délibérément et négativement touchée par la politique gouvernementale, et c’est pourquoi je m’exprime aujourd’hui.

Je sais qu’il existe une perception selon laquelle les membres des Premières Nations sont tous opposés à l’exploitation des ressources pétrolières et gazières. Il y a beaucoup de désinformation et de propos alarmistes au sujet des pipelines qui traversent vos terres. Cependant, je tiens à vous raconter comment ma nation a utilisé ses recettes pétrolières et gazières pour faire de nous l’une des bandes les plus stables du pays sur le plan financier.

Un simple petit ajout qui ne fait pas partie de notre mémoire : nous avons une fiducie ans laquelle sont versées nos redevances pétrolières et gazières perçues au fil des ans. Il s’agit de la Neyaskweyahk Trust, et elle a été établie en même temps que la fiducie de la nation crie Samson.

Notre fiducie dispose maintenant de 358 millions de dollars, provenant de nos recettes pétrolières et gazières au fil des ans. Je pense que celle de mon voisin renferme un peu plus de 400 millions de dollars. C’est l’une des bonnes choses qui découlent de cette activité et qu’il faut garder à l’esprit.

Ainsi, dans la région de Maskwacis, nous avons pu créer notre propre service de police et notre autorité sanitaire. Nous comptons plusieurs centres de loisirs communautaires et écoles, y compris notre propre collège culturel Maskwacis.

Nous soutenons notre langue et notre culture. Nous sommes en mesure d’exercer notre souveraineté, et bien que nous soyons réputés pour le pétrole et le gaz, nous avons utilisé les revenus tirés de ce secteur pour diversifier notre économie.

Nous comptons plusieurs entreprises prospères. Nous nous sommes lancés dans l’énergie solaire. Nous possédons des propriétés commerciales. Notre argent nous a permis de créer l’Ermineskin Loan Fund pour que nos membres puissent avoir accès à des prêts qu’ils ne peuvent pas obtenir par l’intermédiaire de banques ordinaires afin de mettre sur pied leur propre entreprise et de poursuivre leurs propres rêves.

Nous contrôlons pleinement nos terres. Selon notre philosophie, lorsque les entreprises extraient des ressources de nos terres, elles doivent prendre en considération nos opinions et nos demandes. Nous avons ainsi pu nouer des partenariats fructueux et mutuellement bénéfiques, notamment avec ATCO, Imperial Oil et Canadian Natural Resources; cela profite à la fois à l’industrie et aux membres des Premières Nations.

Ces partenariats nous aident à offrir une source de revenus, une formation, des emplois et des possibilités de sous-traitance. Nous avons même élaboré notre propre protocole de consultation, une politique qui protège les intérêts de notre nation dans les zones d’utilisation des terres traditionnelles lorsque le gouvernement ou l’industrie proposent leur mise en valeur.

Puis nous devons gérer les répercussions environnementales découlant de l’exploitation pétrolière et gazière en procédant à la remise en état et à l’assainissement des terres. C’est ce que nous faisons actuellement avec l’Imperiale au lac Pigeon, où nous tenons compte d’aspects de la culture crie pour la remise en état. Nous rétablissons l’état naturel de la terre. C’est ce qui est souvent jugé nécessaire selon la science occidentale, mais nous y ajoutons un point de vue traditionnel en nous assurant de tenir compte de la récolte et de la croissance des herbes traditionnelles ou d’inclure des plantes, des arbres et des éléments particuliers qui attirent la faune afin de rétablir les zones de chasse et de piégeage.

Grâce aux entreprises, aux investissements de même qu’aux revenus, nous souhaitons devenir autosuffisants et viables et devenir maîtres de notre destin. Nous avons beaucoup progressé, mais nous faisons tout de même face à de nombreux défis.

La moitié des membres de la bande Ermineskin sont âgés de moins de 19 ans. Nous pensons à leur avenir et aux sept prochaines générations. Nous réfléchissons également à leurs besoins actuels. Ils ont besoin de possibilités, d’emplois et d’espoir.

Vous n’avez pas le droit de miner leurs possibilités économiques, et c’est ce que fait le projet de loi C-48. Diverses nations sont dotées de différentes ressources, et nous avons la chance d’avoir du pétrole et du gaz et nous faisons tout notre possible pour l’utiliser et l’exploiter d’une manière responsable qui correspond à nos valeurs.

Nous devons réussir à commercialiser ces ressources et à les transporter à l’extérieur de l’Alberta. Comme la capacité des pipelines est insuffisante à l’heure actuelle, nous n’arrivons pas du tout à obtenir les mêmes investissements et redevances ni à atteindre les niveaux d’emploi auxquels nous sommes habitués. Je sais que les écologistes et d’autres personnes parlent des risques liés aux pipelines et aux réservoirs lorsqu’ils défendent le projet de loi, et je pense qu’ils exagèrent le risque par peur et par ignorance.

Nous avons des dizaines d’années d’expérience en matière d’extraction pétrolière et gazière et, de manière générale, cela a été positif pour notre nation. Il s’agit d’une partie très importante de notre économie et de notre souveraineté, mais avec le projet de loi C-48, qui coupe l’accès au marché pour notre pétrole, il me semble qu’on choisit de tenir compte d’un très faible risque, d’un risque minime de déversement de pétrole sur la côte nord-ouest de la Colombie-Britannique.

Je crois savoir que de nombreux experts vous ont expliqué de quelle manière ces risques étaient atténués et comment on empêchait les déversements lors du chargement et du déchargement ailleurs au Canada et dans le monde. Toutefois, il me semble que, avec le projet de loi C-48 qui coupe l’accès au marché pour notre pétrole, on choisit de tenir compte du très faible risque — ou risque minime — qu’un déversement de pétrole se produise, plutôt que de la certitude absolue que la Première Nation Ermineskin et d’autres nations comme la nôtre seront touchées négativement et subiront des pertes de revenus et d’emplois. On nous a déjà porté préjudice. Nous souffrons déjà des conséquences des décisions du gouvernement et de ses calculs politiques.

Vous choisissez les gagnants et les perdants en insistant pour adopter l’approche du tout ou rien, et nous sommes perdants. Le taux de chômage est de 28 p. 100 au sein de ma nation, et je veux que vous réfléchissiez très attentivement aux problèmes sociaux qui découlent des possibilités économiques limitées, de la pauvreté, de l’incapacité de subvenir aux besoins de sa famille, de la dépendance.

Imaginez à quel point la situation serait catastrophique si votre province affichait un taux de chômage de 28 p. 100, dans quelle mesure vos dirigeants politiques se battraient et feraient tout pour trouver des possibilités d’affaires et d’emplois, et combien vous seriez fâchés de voir un autre ordre de gouvernement intervenir pour bloquer vos meilleures solutions de réduction du chômage et de la pauvreté.

C’est ce que nous vivons aujourd’hui. Les préjudices économiques de ces politiques sont tangibles, et nous pouvons les quantifier. Nous pouvons calculer les recettes en redevances, les investissements et les emplois que nous avons perdus. Cela n’a rien d’hypothétique.

Le gouvernement fédéral est censé avoir une obligation fiduciaire envers nous. Pourtant, il souhaite faire adopter ce projet de loi, ce qui n’est pas dans notre intérêt. Si l’interdiction visant les pétroliers est adoptée, elle portera atteinte à notre droit au développement économique et à l’autodétermination, et nous nous en souviendrons.

Tout au long de notre histoire, il nous est arrivé d’avoir des relations tendues avec le gouvernement du Canada. Nous avons souffert de vos choix et de vos décisions. Aujourd’hui, je vous demande seulement d’être raisonnables, de trouver un compromis et de chercher des solutions.

Des moratoires et des interdictions qui empêchent nos ressources d’accéder aux marchés ne sont pas des solutions raisonnables. Ne choisissez pas les gagnants et les perdants. Trouvons une solution qui sera avantageuse pour tous, afin d’éviter tout préjudice.

Mesdames et messieurs, je vous demande de ne pas recommander l’adoption du projet de loi. Je serai ravi de répondre à vos questions. Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de votre exposé. J’ai réellement de la sympathie pour vos deux collectivités. Les banques alimentaires à Fort McMurray sont quelque chose que nous ne connaissons pas beaucoup dans mon coin de pays. Je viens du Québec.

Cela dit, monsieur Makinaw, vous avez tous les deux parlé d’un compromis au sujet du projet de loi C-48. À quoi pensez-vous? Nous arrivons tout juste de la Colombie-Britannique, et vous dites que le projet de loi oppose l’Est à l’Ouest, mais il oppose également la Colombie-Britannique à l’Alberta.

Dans le Nord de la Colombie-Britannique, le maire de Kitimat et le maire de Prince Rupert étaient tous les deux favorables au projet de loi, tout comme 9 des 11 nations côtières en Colombie-Britannique, qui disent que leur pêche est en jeu, car, comme vous l’avez tous les deux dit, il y a un risque. Le risque de déversement est mineur, mais il existe quand même.

Vous avez fait allusion à un compromis. À quoi pensez-vous? Je vous pose la question à tous les deux. Monsieur Scott, vous n’avez pas parlé de compromis, mais quelle pourrait être la solution?

Le président : À qui vous adressez-vous? Au chef Makinaw?

La sénatrice Miville-Dechêne : Oui, car c’est lui qui a parlé de compromis.

Dale Swampy, président, Coalition nationale des chefs : Merci, sénatrice. Par le passé, nous avons présenté aux sénateurs des solutions de compromis qui pourraient nous permettre d’avoir accès au Nord de Haida Gwaii en passant par la région de Prince Rupert afin que les collectivités qui soutiennent l’industrie pétrolière et gazière puissent travailler en vue de construire leur propre pipeline et leur propre terminal dans cette région tout en protégeant le détroit d’Hécate et d’autres zones sensibles.

M. Scott : Je ne suis pas un grand partisan des amendements, mais si je devais en recommander un, ce serait pour créer un corridor de circulation afin que nous puissions acheminer nos produits sur le marché.

Donc le Sénat pourrait examiner toute la côte et entendre les témoignages les plus pertinents au sujet de la meilleure option possible en matière de corridor de circulation. Il devrait également y avoir un examen périodique de la loi à l’avenir, si elle est adoptée. Je ne suis pas un partisan de ces choses non plus. Je préférerais que le projet de loi meure, mais il doit y avoir un accès aux marchés.

Si, comme vous le dites, il y a un risque, je dirais que le même risque existe dans l’Est et je poserais la question suivante pour la forme : pourquoi le projet de loi n’aborde-t-il pas cet aspect?

Vous savez, nous n’avons parlé que de l’Ouest, et il y a manifestement un corridor de circulation dans l’Est. C’est plus qu’un corridor, mais si nous avons un corridor dans l’Ouest, cela nous permettra à tout le moins d’acheminer nos produits vers le marché. Cela aide à relever le niveau de vie de tous les Canadiens.

La sénatrice Simons : Je veux remercier M. Scott et le chef Makinaw de leur exposé très passionné. Tansi.

Chef Makinaw, lorsque nous étions en Colombie-Britannique, de nombreux dirigeants autochtones passionnés nous ont parlé de la protection de leur souveraineté et de leur territoire. Je crois comprendre que les nations Maskwacis et Ermineskin n’abondent pas du tout dans ce sens.

J’aimerais savoir ce que vous diriez aux chefs et aux gens de la côte Ouest pour les rassurer. Seriez-vous en mesure d’exposer une vision qui pourrait les rassurer? Pourriez-vous offrir du soutien financier aux gens qui s’inquiètent des répercussions que pourrait avoir un déversement potentiel pour leurs ressources?

M. Makinaw : Je peux faire une déclaration générale. L’une des options proposées était le pipeline Northern Gateway avec tous les partenaires autochtones de l’Alberta et de la Colombie-Britannique qui étaient concernés. Cela respecterait leurs préoccupations environnementales et les autres enjeux qu’ils souhaitent aborder.

Je sais que ces partenaires voulaient aborder ces problèmes, donc je pense que tout le monde y gagne, car, durant les travaux, vous collaborez avec les Premières Nations locales en Colombie-Britannique pour aborder leurs préoccupations.

Même ici en Alberta, ces questions sont soulevées pour chaque projet, qu’il s’agisse d’une consultation, d’un examen environnemental ou de nos médecines traditionnelles. Je suis certain que les préoccupations sont semblables.

Nous cherchons toujours des moyens d’aborder ces enjeux. Ici en Alberta, nous sommes probablement les plus réglementés, et nous employons les technologies les plus récentes. Les choses s’améliorent; c’est donc quelque chose que nous pourrions aborder.

Le sénateur Tannas : J’aimerais poser une question au sujet de la consultation. Nous en entendons parler dans certaines circonstances, et le gouvernement appuie une demande concernant le pipeline Trans Mountain. Le gouvernement tient actuellement des consultations et en mène depuis des années en tant que promoteur, et il est maintenant le propriétaire du pipeline. Il y a beaucoup de consultations à ce sujet et c’est formidable.

Monsieur Swampy, monsieur Makinaw, je me demande si vous êtes au courant, parce que je sais que vous connaissez tous les deux le projet Northern Gateway. On a décidé d’annuler le Northern Gateway après des années de consultations.

Je m’interroge quant à l’ampleur des consultations qui ont précédé la décision d’annuler le projet Northern Gateway. Je sais que vous avez été touchés, mais connaissez-vous des groupes autochtones qui ont été consultés au sujet de l’annulation de ce projet déjà approuvé?

M. Swampy : Merci, monsieur le sénateur. J’ai travaillé sur le projet Northern Gateway pendant plus de huit ans, et je sais que l’annulation s’est faite en novembre, seulement quelques mois après que les tribunaux ont tranché qu’il fallait refaire les consultations. Le juge a proposé trois options. L’une d’elles était de s’adresser aux collectivités et de les consulter au sujet des problèmes qui n’avaient pas été résolus. Selon lui, cela n’aurait pris que quatre mois.

Toutefois, M. Trudeau n’a choisi aucune de ces options. Il ne nous a pas consultés et essentiellement. Il nous a surpris lorsqu’il a annoncé l’annulation du projet Northern Gateway, et ce, pour aucune raison particulière outre le fait qu’il voulait protéger la forêt pluviale Great Bear, ce qui, à mon avis, est l’invention d’écologistes financés par des intérêts américains.

Je pense qu’il est important de comprendre... J’ai présenté une lettre faisant état de l’histoire des consultations que nous avons eues avec le ministre des Transports, M. Garneau, et de son refus de s’adresser à nos 31 collectivités qui appuyaient le projet.

En tout, 70 p. 100 des gens des collectivités ont signé pour soutenir le projet le long du tracé du pipeline Northern Gateway. Soixante-dix pour cent. Il a induit le public canadien en erreur en lui disant que la majorité des Autochtones en Colombie-Britannique et en Alberta n’appuyaient pas le projet, ce qui est faux.

Il ne pouvait justifier cela qu’en disant qu’il ne le savait pas, qu’il n’a pas tenu de rencontre. Il a refusé de nous rencontrer. Il a adopté la même position que les écologistes adoptent toujours et a dit aux chefs qui sont contre les pipelines de ne pas écouter le promoteur. C’est que, une fois que les chefs voient combien d’effort, de temps et de ressources ont été consacrés à la protection de l’environnement, à l’intégrité, aux interventions en cas de déversement, à la sécurité et aux consultations avec les Autochtones, ils ont tendance à soutenir le projet. Ils voient que ces gens ne sont pas des monstres, que ce sont des Canadiens qui veulent le meilleur pour le pays, c’est-à-dire une protection adéquate.

Vous avez raison, sénateur, nous n’avons pas été consultés. Le promoteur n’a pas été consulté, ni les 31 dirigeants autochtones et métis qui ont soutenu le projet.

Le sénateur D. Black : Bienvenue. Merci infiniment de votre présence et de vos exposés. J’ai deux ou trois questions de suivi à poser.

Concernant la question posée par mon collègue, le sénateur Tannas, sur les consultations, vous a-t-on le moindrement consulté en ce qui a trait à l’interdiction des navires-citernes proposée?

M. Makinaw : Non, monsieur le sénateur.

Le sénateur D. Black : Merci beaucoup. Connaissez-vous un autre groupe des Premières Nations qui a été consulté à ce sujet?

M. Makinaw : Non.

Le sénateur D. Black : Merci beaucoup.

Chef, j’ai une autre question qui s’adresse à vous, pour donner suite à l’excellente question posée par ma collègue la sénatrice Simons.

En résumé, qui diriez-vous aux collectivités autochtones de la côte Ouest qui sont très favorables au projet de loi? Quel serait votre message à leur intention?

M. Makinaw : Comme je l’ai mentionné plus tôt, si nous pouvons régler les problèmes et dissiper les préoccupations des nations de la Colombie-Britannique, c’est ainsi que nous devrions procéder. Nous devons travailler ensemble avec les nations qui sont favorables au projet de loi afin de trouver la meilleure solution. C’est le meilleur moyen.

Le sénateur D. Black : Je vous remercie, chef.

La sénatrice Busson : Certains de mes collègues ont abordé les questions que je voulais poser, mais j’en ai une rapide à l’intention du maire Scott.

Vous avez parlé d’une importante crise économique et sociale dans votre collectivité en particulier ainsi qu’à Fort McMurray, et cetera. Une autre économie est-elle accessible à Fort McMurray, si l’industrie pétrolière continue d’aller dans la direction où elle semble se diriger?

M. Scott : Non, nous ne sommes pas diversifiés, alors, ce que font les projets de loi comme celui-ci, c’est créé une incroyable anxiété économique, et certaines des personnes à qui j’ai parlé croient presque qu’il s’agit de mesures de vengeance. Elles croient que c’est une punition non seulement pour l’Alberta, mais aussi pour notre région.

Nous avons de la difficulté avec cela. Si des projets de loi comme celui-ci sont adoptés, non seulement ils causeront du tort à tous les Canadiens, mais je crois que, fondamentalement, ils mineront la collectivité de Fort McMurray et l’industrie des sables bitumineux.

La sénatrice Busson : Chef Makinaw, je me demandais si vous pourriez formuler un commentaire. Nous entendons tous de merveilleuses histoires au sujet des Premières Nations et de leur souci de l’environnement, et cetera.

Comment conciliez-vous cette vision des Premières Nations avec la prospérité économique que vous envisagez? Considérez-vous que ce doit être l’un ou l’autre? Ou bien voyez-vous les deux éléments ensemble?

M. Makinaw : Je pense que vous voyez cela actuellement, ici, dans la province, dans le cadre des consultations, et j’affirmerais qu’elles sont plus solides ici, en Alberta, qu’à l’échelon fédéral. Il faudra faire encore beaucoup de travail. À mesure que nous progressons, la situation s’améliore, mais il faudra plus de temps pour s’occuper de tout.

Auparavant, lorsqu’un projet démarrait, on ne nous consultait pas d’emblée. Maintenant, je pense que la situation s’améliore. Beaucoup plus de travaux, de réunions et de discussions devront avoir lieu, afin que les problèmes puissent être réglés, à mesure que nous suivrons le processus de consultation, au lieu d’aller devant les tribunaux. Je ne nous vois pas nous adresser aux tribunaux si nous pouvons commencer à nous rencontrer et à discuter de la situation.

La sénatrice Busson : Si je le puis, j’ai une question supplémentaire à ce sujet. Vous avez parlé de la façon dont les choses se déroulent; vous voyez des gagnants et des perdants dans tout ce processus.

Pouvez-vous imaginer un genre de régime où tout le monde y gagnerait au lieu qu’il y ait des gagnants et des perdants? Pouvez-vous imaginer de quoi il s’agirait et peut-être nous fournir cette description?

M. Makinaw : Eh bien, il faudra que toutes les parties travaillent un peu, surtout le gouvernement fédéral, qui devra s’occuper des enjeux environnementaux et des consultations, et ce, à l’échelon des bandes. Cela prendra un certain temps.

La tenue de rencontres comme la séance d’aujourd’hui et le fait d’en parler sont un pas dans la bonne direction. Toutefois, il faudra faire encore beaucoup plus de travail; de nombreuses choses restent à faire.

Le sénateur MacDonald : Je suis heureux de vous revoir, monsieur Scott. Monsieur Swampy, nous nous sommes déjà rencontrés, et, chef, je suis heureux de vous revoir.

J’ai grandi dans une famille de marins sur un port de mer, et le littoral du Canada est l’un des plus longs au monde; nous sommes un pays maritime. De fait, si vous regardez le pays, par le passé, le vieux pavillon rouge de la marine marchande, qui a flotté pendant 97 ans, était une adaptation du drapeau de la marine marchande britannique, auquel nous avions ajouté les armoiries canadiennes, parce que c’est le type de pays que nous étions. Nous naviguions partout dans le monde. Notre drapeau était connu partout dans le monde.

Je pense qu’il s’agit de l’un des projets de loi les plus étranges que j’aie jamais vus au Parlement. Il est difficile de croire qu’il est vraiment soumis à l’étude du Parlement, mais nous devons l’examiner.

J’aimerais vous demander — même si mes instincts me disent qu’il faut rejeter le projet de loi parce que je pense qu’il est atroce —, si vous aviez le choix entre le fait d’avoir à composer avec ou le fait de l’amender de manière à permettre l’établissement d’un certain genre de voie ou d’une porte par laquelle nous pourrions accéder à l’océan sur la côte Ouest, quelle serait votre préférence? Que souhaitez-vous que nous fassions?

M. Makinaw : Si vous rejetez le projet de loi, vous allez devoir attendre après les élections fédérales et le début de la prochaine session parlementaire, c’est-à-dire encore quatre ans ou plus. Je ne suis pas certain que ce soit la solution.

Je ne sais pas si les bandes voudront attendre encore quatre ou cinq ans, recommencer tout le processus, soit les trois lectures, l’étude et les audiences du Sénat. Par souci d’efficacité, amendez le projet de loi, améliorez-le en tenant compte de toutes les préoccupations que vous avez entendues dans l’ensemble du pays de la bouche de premiers ministres provinciaux, de chefs, de maires et d’autres membres concernés.

Ce serait probablement la façon la plus rapide de procéder, mais, dans ce cas, je suppose que, si vous devez y apporter des amendements, vous devez vous pencher sur les aspects qui suscitent le plus de préoccupations. Ce pourrait être la solution, selon le moment où vous prendrez votre décision, si vous la prenez bientôt.

Le sénateur MacDonald : Si j’étais convaincu du fait que tout le monde au Sénat et au sein du comité pensait comme moi, je ne me préoccuperais pas de torpiller le projet de loi; il serait mort et enterré. Toutefois, il pourrait être plus facile d’obtenir un amendement, de le faire modifier, que de le faire torpiller. Je veux simplement m’assurer que nous sommes ouverts à cette possibilité. Monsieur Swampy, qu’en dites-vous?

M. Swampy : Oui, j’ai un commentaire à formuler à ce sujet. Je dois revenir à l’époque où j’ai commencé à travailler sur le projet Northern Gateway, après avoir œuvré sur ce qui était à ce moment-là le plus gros pipeline au monde, Alberta Clipper et Southern Lights.

Comme notre plan de consultation était vraiment énorme, j’ai demandé au président de Northern Gateway si les collectivités avaient un droit de veto sur le projet, puisqu’elles comptent pour la majeure partie de la population de la côte nord. Je me souviens de l’avoir entendu commenter que, d’un point de vue juridique, non, elles n’en ont pas.

Au fil des ans — et de 10 à 12 années se sont écoulées —, nous avons constaté que des décisions comme Tsilhqot’in et d’autres décisions des Gitxsan ainsi que le traité conclu avec les Nisga’as ont tous institué des droits pour les Autochtones et les Premières Nations de cette région.

Comme nous en avons discuté plus tôt, beaucoup de Premières Nations profitent de l’influence qu’elles ont maintenant auprès des promoteurs pour obtenir de meilleures ententes et mesures de protection, faire reconnaître leurs droits traditionnels et ainsi de suite.

Alors, je pense que nous empruntons la voie la plus prudente, c’est-à-dire reconnaître les gens qui sont là, comme dans les années 1970, quand le gouvernement américain a reconnu les Premières Nations de l’Alaska. Essentiellement, 13 projets de loi du Congrès ont forgé un accord selon lequel tout projet de mise en valeur des ressources se trouvant sur ce territoire devait appartenir aux Premières Nations et être exploité et construit par elles à hauteur de 50 p. 100.

Quand les Autochtones ont créé ces sociétés, certaines d’entre elles ont fait faillite sept fois. Toutefois, aujourd’hui, ils dirigent des organisations très rentables. Ils exploitent la plus grande flotte de protection côtière au monde et ont l’une des plus grandes îles de protection côtière spécialement adaptées à cette fin.

Lors du déversement du Valdez, les Premières Nations de la région n’ont pas beaucoup protesté parce qu’elles étaient parties le nettoyer, n’est-ce pas?

Je pense que nous reconnaissons ce droit et que nous tenons compte de l’idée que nous puissions nous débarrasser de l’interdiction des navires-citernes, mais, si nous voulons que les promoteurs et les sociétés pétrolières et gazières construisent des projets dans la région, ce doit être avec la pleine participation de ses Premières Nations, de sorte que ces projets ne soient pas mis en œuvre sans leur approbation.

Je pense que c’est ce que les chefs et les dirigeants des Premières Nations souhaitent obtenir. Ils veulent une place à la table de négociation afin d’avoir une emprise sur ce qui se passe dans leur cour, au lieu que les entreprises s’imposent et que les gouvernements élaborent des lois et des règlements visant à leur faire obstacle ou à saccager leurs terres.

Le sénateur MacDonald : Je veux seulement ajouter que je suis allé en Alaska et là où le déversement du Valdez a eu lieu et que j’ai visité les installations qui s’y trouvaient. Quelle formidable histoire de réussite. Il s’agit d’un demi-siècle de construction d’un pipeline sur l’un des terrains les plus difficiles au monde, de haut en bas. Je ne sais pas combien de navires quittent ce port chaque année, mais ce doit être près de un millier qui en sont retirés en toute sécurité.

C’est un excellent exemple à suivre, selon moi. Est-ce que certaines des Premières Nations de cette région du pays ont discuté avec les Premières Nations de l’Alaska de la façon dont elles avaient établi leurs plans, là-bas, et de la façon dont cela fonctionne pour elles?

M. Swampy : Bien sûr. Aboriginal Equity Partners a formé la coalition nationale des chefs au début de 2017, et des conférenciers des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et de l’Alaska sont venus nous conseiller au sujet des occasions d’affaires qu’ils ont réussi à saisir et des entreprises qu’ils ont réussi à mettre sur pied.

C’est surprenant, parce que des chefs m’appellent pour me dire qu’ils n’arrivent pas à croire qu’une assemblée nationale n’a pas de société pétrolière et gazière, minière ou d’hydroélectricité pour la commanditer.

Quand vous allez aux États-Unis et que vous assistez... En mars 2019, plus de 500 entreprises étaient présentes parce qu’elles voulaient établir des partenariats avec les Premières Nations. Nous accusons beaucoup de retard, c’est incroyable.

Quand une des bandes a acheté des canalisations de transport, l’événement a paru dans les journaux où l'on disait : « Oh, comme c’est formidable. » Aux États-Unis, c’est leur prérogative. Si une canalisation de transport traverse leur région, ces Premières Nations la construisent, la possèdent et l’exploitent.

Sept cents milles de tuyaux traversent le territoire des Navajos dans les Four Corners, aux États-Unis. Ils possèdent et exploitent ce pipeline. Kinder Morgan vient tout juste d’acheter la plupart des droits liés aux contrats de cette organisation, et la société comprend l’importance de ce type de propriété et de participation.

Alors, je pense que c’est la solution pour les régions du Nord-Est, afin que les Autochtones puissent participer pleinement à ces projets et qu’on en fasse un projet de loi, comme l’ont fait les États-Unis.

La sénatrice Miville-Dechêne : L’une des différences entre la côte Est et la côte Ouest, c’est que, pour l’instant, aucun navire-citerne ne se trouve dans la zone dont nous parlons. Ils contournent la zone d’exclusion volontaire, ce qui est assez loin, semble-t-il, pour qu’en cas de déversement, le pétrole ne se rende pas jusqu’au rivage.

Les nations côtières affirment qu’elles sont les seules à porter le risque d’un déversement éventuel s’il y en a un. N’est-il pas vrai qu’en amont, les investisseurs dans un pipeline éventuel, qu’il s’agisse de tribus autochtones ou d’investisseurs non autochtones, profiteraient de la construction du pipeline et que les nations côtières seraient les seules à porter le risque parce qu’elles dépendent de la pêche?

Pour donner suite à la question posée par la sénatrice Simons, concernant le genre d’approche à adopter... Parce que ce sont deux modes de vie. Les Autochtones veulent vivre de la pêche et n’avoir aucun risque de déversement de pétrole, et vous voulez vivre des fruits de l’industrie pétrolière. Je ne vois pas comment les deux peuvent être conciliés. Concernant le risque d’un déversement de pétrole, que pouvez-vous leur dire? Est-ce une question de dédommagement? Je ne suis pas certaine que ce soit une question d’argent, à ce stade.

M. Makinaw : Comme je l’ai dit plus tôt, on a besoin d’une importante discussion. Cela a déjà été fait avec nos partenaires de Northern Gateway, et je pense que vous devez adopter cette même approche.

Une fois que cette question aura été réglée et si le projet de loi est rejeté, nous devrons reprendre les négociations, quoi qu’il en soit, et nous attaquer au problème. À mesure que nous progressons, nous devons tout de même tenir ce dialogue, dissiper leurs préoccupations et les nôtres, revenir à la table de négociation et, espérons-le, trouver une solution qui profitera à tout le monde, qui réglera tous les problèmes — les consultations environnementales et autres — auxquels on fait face, en Colombie-Britannique.

Il faudra un certain temps, mais nous devons tout de même nous rencontrer et discuter de ces problèmes. Je sais que certaines solutions pourraient en ressortir parce que, auparavant, on a tenu de bonnes discussions avec les responsables de Northern Gateway. Je suis pas mal certain qu’on pourrait encore faire de même dans l’avenir.

Le sénateur Tannas : Pour un instant, j’ai été captivé par la question de la sénatrice Miville-Dechêne, parce qu’elle est intéressante. Je suppose que nous pourrions la retourner et affirmer que le risque que présentent les déversements de pétrole côtiers est microscopique et que des lois sont en vigueur, lesquelles prévoient une responsabilité pouvant aller jusqu’à 1 milliard de dollars pour les transporteurs pétroliers, sans égard à la faute, puis le gouvernement intervient après cela.

Alors, tout le monde est dédommagé financièrement si ce risque microscopique se concrétise, ce qui signifie que, d’un point de vue financier, nous savons que les Premières Nations côtières seront dédommagées.

Vous n’obtenez pas un cent de qui que ce soit, et personne ne propose de vous payer si vous laissez votre pétrole dans le sol. Alors, qui est le perdant et qui est dédommagé?

S’agit-il d’un amendement possible, lequel prévoirait que, si une nation autochtone de la côte n’arrive pas à s’en sortir, pour une raison ou pour une autre, quelqu’un doit la payer pour laisser son pétrole dans le sol? S’agit-il d’un compromis qui a du sens?

Le président : De la pêche au saumon, peut-être. Je ne sais pas.

Le sénateur Tannas : De la pêche au saumon.

Le président : C’est ainsi que cela fonctionnerait.

M. Swampy : Il est ironique ou hypocrite pour la Colombie-Britannique de laisser entendre qu’elle assume entièrement le risque, alors que le reste du pays reçoit la totalité des bénéfices.

Vous devez vous rappeler que la Colombie-Britannique est le premier exportateur de charbon au monde et que les mines de charbon qui sont exploitées dans cette province sont situées à la frontière de l’Alberta. Il y a également des mines de charbon en Alberta, mais la production est incroyable.

Aucun Albertain n’affirme que les gens de sa province assument le risque de ces mines de charbon, alors que la Colombie-Britannique reçoit tous les bénéfices.

La campagne de peur vient juste de déraper. Il est incroyable de se dire que les Premières Nations de la côte pensent qu’il y aura un énorme déversement de pétrole dans leur région et que ce n’est pas une question de « si », mais de « quand ».

Il n’y a jamais eu de déversement de pétrole majeur au Canada dans toute l’histoire du pays. N’oubliez pas que le naufrage du Valdez est un déversement qui a eu lieu aux États-Unis, pas sur la côte de la Colombie-Britannique. Les probabilités d’un déversement de pétrole terrestre, d’une fuite de pipeline, ont été calculées par les meilleurs ingénieurs au monde, qui travaillent en Alberta. Selon leurs calculs, une telle fuite survient une fois tous les 360 ans.

Un pipeline pourrait supporter un tremblement de terre d’une magnitude de 8,5. Quand il y en a eu un de 7,2 au large de la côte de Haida Gwaii, les chefs étaient au téléphone à me demander ce qui aurait pu arriver. Tout le monde disait : « Heureusement qu’il n’y avait pas de terminal là-bas, parce que nous serions tous morts. »

C’est une campagne de peur ridicule. Un tremblement de terre d’une magnitude de 7,2... Même s’il avait créé un tsunami, le terminal aurait été protégé par les îles de Haida Gwaii.

Maintenant, vous proposez que nous allions sur la côte nord, qui n’est pas aussi bien protégée contre les tsunamis, sauf si on va plus loin dans les terres, et le tracé d’un pipeline coûtera plus cher en raison du terrain.

Il est simplement absurde de laisser entendre que les Autochtones assument tout ce risque. Aujourd’hui, la canalisation principale qui traverse le Canada comporte 16 tuyaux, lesquels pompent du pétrole et du gaz dans sept provinces. Personne ne dit cela à l’Alberta, et ces pipelines sont exploités depuis les années 1940.

Il est simplement absurde de laisser entendre qu’un pipeline va créer tout ce risque pour une région du Canada.

Le sénateur Neufeld : Actuellement, je pense que le monde consomme de 85 à 90 millions de barils de pétrole par jour. Environ 90 p. 100 de ces barils sont transportés sur l’eau quelque part dans le monde, et il y a très peu de déversements de pétrole. En fait, il n’y en a presque aucun.

Je suis convaincu que la sécurité est réalisable, mais ce qui m’intéresse dans le projet de loi, c’est que le gouvernement de l’heure a décidé de fermer la côte ouest de la Colombie-Britannique. Je crois que ce n’est pas tant pour des raisons environnementales. Il est plutôt question de mettre fin à l’industrie pétrolière et gazière. Voilà ce que j’en pense personnellement.

Nous étudions également le projet de loi C-69, dont une partie porte sur la question du « droit de comparution », c’est-à-dire qui a le droit de comparaître devant les commissions. Eh bien, l’Office national de l’énergie affirme maintenant que les personnes qui vivent le plus près du projet sont celles qui auront le plus leur mot à dire. Le gouvernement dit que non, il veut que ce soit ouvert à tout le monde. Nous voulons que tout le monde intervienne et nous dise ce qu’il en pense.

Il est intéressant, à mes yeux, que nous entendions des gens affirmer que, eh bien, certaines bandes de la côte ne veulent pas que cela se produise. Pourtant, il y en a qui le veulent.

Si vous devez appliquer le droit de comparaître prévu dans le projet de loi C-69 à tout le monde, ce devrait être le même que celui que vous accordez aux Premières Nations de la côte, quel que soit l’endroit où on se trouve, car on exploite les ressources pétrolières et on les expédie.

J’aimerais que vous formuliez peut-être un commentaire à ce sujet parce qu’à mes yeux, c’est une zone grise. Nous entendons des gens soutenir fermement que nous devrions seulement prêter attention aux personnes qui ne veulent pas de pétrole sur la côte, mais nous n’incluons pas tout le monde.

Alors, qu’en pensez-vous? Parce que le projet de loi C-69 est un autre projet de loi qui représente un autre clou dans le cercueil de l’industrie pétrolière et gazière, malheureusement.

M. Makinaw : Vous avez raison d’affirmer dans vos commentaires qu’il devrait y avoir une plus grande représentation de tous les secteurs parce que, si on entend l’avis d’un seul camp, c’est trop unilatéral, trop partial.

En ce qui concerne la nation Ermineskin, nous avons tenté de comparaître devant le comité sénatorial permanent afin de présenter un exposé au sujet de la loi sur les langues, mais on a refusé notre demande. Cela nous est arrivé deux fois au fil des ans parce que je suppose que certains groupes ont plus leur mot à dire que d’autres. Nous devons être plus équitables pour tout le monde.

Monsieur le sénateur, je souscris à vos propos selon lesquels plus de personnes doivent se faire entendre, car, une fois qu’on aura entendu tout le monde des deux camps, on comprendra mieux les arguments, puis on pourra prendre une décision plus éclairée, au bout du compte. Alors, je souscris à vos commentaires, monsieur le sénateur.

Le sénateur Neufeld : J’ai oublié de dire qu’il y a des bandes sur la côte qui veulent que cela se produise.

M. Makinaw : Oui.

Le sénateur Neufeld : Ce que le gouvernement est en train de dire, c’est : « Eh bien, nous nous fichons de vous; nous nous soucions uniquement des gens de ce camp-ci. » Parce que les gouvernements doivent prendre des décisions qui sont dans l’intérêt de tout le pays, pas seulement d’un endroit particulier.

La sénatrice Simons : Je vais terminer par une question qui s’adresse au maire Scott.

Une de mes frustrations concernant le débat relatif au projet de loi C-48 tient au fait qu’il a lieu alors que la question du projet TMX n’est pas réglée.

Quand nous sommes allés à Prince Rupert, il y a deux semaines, nous avons rencontré le ministre de l’Environnement de la Colombie-Britannique, qui nous a expliqué qu’il s’opposait fermement à ce projet et qu’il était favorable au projet de loi C-48, ce qui signifierait que l’Alberta n’aurait aucun moyen d’apporter d’autres produits sur le marché.

Qu’est-ce que cela signifierait pour l’économie et pour les entreprises de Wood Buffalo, si le projet TMX n’était pas approuvé et que le projet de loi C-48 était adopté?

M. Scott : L’effet combiné de tous ces éléments nuira vraiment à l’intérêt national.

À une certaine époque, les gouvernements du Canada se concentraient sur la construction et l’unification du pays. Ils ont construit l’autoroute transcanadienne, le chemin de fer qui traverse le Canada. Ils tentaient d’améliorer le sort de tout le monde grâce à des avantages économiques.

Les gens de ma région veulent des emplois. Je pense que c’est le cas de tous les Canadiens. Ces projets de loi et le retard dans la mise en œuvre du projet TMX ont réduit les perspectives de ces gens, et ce que je pense que tous les Canadiens et toutes les personnes dans ma région veulent certainement, ce sont des perspectives.

Le mythe et la crainte d’un déversement de pétrole ne devraient pas l’emporter sur la réalité du bilan de sécurité. Nous avons réellement la possibilité, selon moi, d’apporter nos produits sur le marché, d’obtenir le meilleur prix, ce qui procurera des avantages à tout le monde. Tous les Canadiens en profitent quand nous faisons cela.

J’encouragerais le Sénat à rejeter le projet de loi. Je pense qu’il entraînera vraiment des difficultés, non seulement pour ma région, mais aussi pour l’ensemble de l’Alberta et, au bout du compte, pour tous les Canadiens.

Le président : Je tiens à remercier nos témoins d’avoir comparu devant le comité ce matin.

Nous accueillons maintenant Mike Priaro, ingénieur et analyste indépendant; Mac Van Wielingen, fondateur et associé, ARC Financial Corp.; et Bartek Kienc, président, Corporation de l’infrastructure énergétique canadienne.

Nous allons commencer par M. Priaro et aller de gauche à droite.

Michael Priaro, ingénieur, analyste indépendant, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président. J’aimerais commencer par remercier le comité de m’accorder le privilège de comparaître devant lui.

Sous sa forme actuelle, le projet de loi C-48 fait reculer la réconciliation en refusant des perspectives économiques aux Autochtones et mine l’unité nationale et les progrès économiques en bloquant à l’échelon régional l’exploitation durable des immenses ressources naturelles du Canada.

Port Simpson, qui est situé juste au nord de Prince Rupert, est l’endroit le plus sûr de toute la côte Pacifique du Canada pour l’établissement d’un port pétrolier marin. Je présente en guise de données probantes le propre rapport du gouvernement fédéral intitulé Ports pétroliers potentiels sur la côte du Pacifique : Analyse comparative des risques environnementaux. Dans ce rapport, on a évalué de façon exhaustive 27 ports pétroliers et routes de navigation de la côte du Pacifique en fonction du risque lié à la navigation et aux aspects biologiques, sociaux et économiques et d’autres facteurs. Les auteurs ont conclu que Port Simpson était le plus sûr des 27 ports et routes évalués.

Ils ont également conclu que Port Moody, qui se trouve juste à côté du Westridge Marine Terminal, à Burnaby, pour le pipeline Trans Mountain, était le moins sûr de tous.

Même si le rapport date maintenant d’il y a 40 ans, son analyse comparative des risques est plus valable que jamais en raison des augmentations de la circulation maritime, de la population et des tensions exercées sur l’écologie de la mer des Salish, au bord ou à proximité de laquelle vivent aujourd’hui plus de sept millions de personnes.

Le projet de loi C-48 bloque effectivement le corridor d’Eagle Spirit Energy dirigé par les Premières Nations. Cette proposition de corridor durable comportant plusieurs pipelines pour le transport de plusieurs sources d’énergie, qui part des sables bitumineux près de Fort McMurray et de la région du cœur industriel de l’Alberta, près d’Edmonton, et qui passe par la région de Peace, où le développement hydroélectrique bat son plein, par le nord-ouest de l’Alberta et le Nord-Est de la Colombie-Britannique, où on exploite de très importantes ressources d’hydrocarbures de schiste, et par les terres traditionnelles des Premières Nations, est dirigée et approuvée par les nations autochtones directement touchées et économiquement défavorisées. Calvin Helin, président d’Eagle Spirit Energy, affirme que son entreprise a obtenu le soutien de la totalité des chefs locaux.

Le projet de loi C-48 confine également aux eaux intérieures les immenses ressources d’hydrocarbure du nord-ouest du Canada. Les Albertains, qui ont cruellement besoin d’ouvrages de sortie de haute capacité vers les eaux des côtes Est et Ouest afin d’accéder à divers nouveaux marchés mondiaux pour leurs ressources naturelles, croient qu’il existe un déséquilibre régional et un parti pris dans l’interdiction effective prévue dans le projet de loi C-49, à l’égard des grands navires-citernes, laquelle vise uniquement la côte nord du Pacifique du Canada.

Le projet de loi C-48 ne s’applique pas aux eaux achalandées à lourde responsabilité de la mer des Salish, sur la côte sud du Pacifique du Canada, ni aux Grands Bancs de Terre-Neuve, ni à l’écosensible baie de Fundy, ni au fleuve Saint-Laurent et à son golfe, qui sont tout aussi écosensibles, ni au reste de la côte Atlantique du Canada.

L’hydroélectricité à faibles émissions de carbone rend le corridor d’Eagle Spirit durable sur le plan de l’environnement, bien plus que d’autres pipelines déjà existants ou proposés. Le développement et le transport de l’hydroélectricité à faibles émissions de carbone, en Alberta et dans la région de la Paix en Colombie-Britannique, rendent durables sur le plan de l’environnement les activités suivantes : l’extraction, la transformation du combustible et le transport des hydrocarbures de schiste, l’exploitation du corridor énergétique et la production de gaz naturel liquéfié dans les installations côtières. Ils pourraient même rendre les sables bitumineux beaucoup plus durables en réduisant ou en éliminant les 3 milliards de pieds cubes de gaz naturel qui brûlent tous les jours en émettant des gaz à effet de serre sur les sites d’exploitation des sables bitumineux.

On a reproché au projet de loi C-48 et à la réglementation excessive d’avoir sabordé le projet d’Énergie Est, maintenant prévu dans le projet de loi C-69. Ils sont tous les deux contraires à l’esprit de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Cet accord international dont le Canada est signataire accorde à tous les États enclavés le droit d’accès à la mer, la liberté de circulation et le droit de passage par les États de transit.

Justin Trudeau a dit aux journalistes en avril 2016 que « [...] la forêt pluviale Great Bear n’est pas un endroit approprié pour la construction d’un oléoduc, un pipeline de pétrole brut », en faisant référence au projet Northern Gateway, qui devait se terminer à Kitimat. Les médias ont toutefois rapporté que de hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral avaient déclaré à l’époque que les commentaires de Trudeau ne visaient pas à exclure Prince Rupert comme éventuel port pétrolier.

La forêt pluviale Great Bear est devenue un slogan à des fins publicitaires et de financement. Il est venu à l’esprit de l’activiste écologique professionnelle Tzeporah Berman et de sa clique d’éco-guerriers de Greenpeace, comme elle le dit elle-même : « autour d’un repas, un soir, dans un restaurant italien bon marché avec une bouteille d’un excellent vin », à San Francisco.

Chaque membre de votre comité a eu la possibilité d’ouvrir la porte en adoptant courageusement une vision d’avenir et en faisant confiance aux gens de notre pays pour la création du tronçon nord-ouest d’un corridor énergétique durable qui traverserait le pays. Pour cela, vous devez recommander au Sénat que le projet de loi C-48 soit renvoyé à la Chambre des communes avec une modification autorisant l’exportation de pétrole brut et d’autres hydrocarbures liquides au moyen de grands pétroliers, à partir de Port Simpson. Merci.

Le président : Merci, monsieur Priaro. Pour ceux qui n’ont pas reçu les courriels de M. Priaro, ou ceux qui les reçoivent, je vous conseille de les lire, car je les reçois de temps en temps et je l’ai remercié, encore une fois aujourd’hui de me les envoyer.

Mac Van Wielingen, fondateur et associé, ARC Financial Corp. : Merci beaucoup. C’est un réel plaisir d’être des vôtres.

Je suis ici en tant que chef d’entreprise, expert du secteur de l’énergie, investisseur et Canadien profondément engagé.

Il y a trois aspects en particulier dont j’aimerais parler dans ma déclaration préliminaire. J’ai choisi chacun d’eux très soigneusement, car ils font partie de domaines particuliers dans lesquels j’ai constaté qu’il y a avait une compréhension incomplète ou des malentendus. Ces points fournissent en quelque sorte le contexte, et ensuite, je fournirai un résumé du projet de loi C-48.

Le premier point que les gens peuvent voir dans le milieu des affaires en ce moment, c’est que le secteur canadien de l’énergie est en pleine crise et, selon une perspective contextuelle critique, s’il est en crise, nous sommes en crise alors que les États-Unis sont en pleine expansion. Tout cela se passe en même temps.

De nombreuses grandes entreprises internationales quittent le Canada — Statoil, Total, Conoco, Marathon, Royal Dutch, Devon —, et il est difficile de les imaginer revenir sur leur décision dans un avenir prévisible.

Nous constatons également qu’un grand nombre d’entreprises locales de pointe comme EnCana, TransCanada et Enbridge s’orientent vers les États-Unis.

Les capitaux d’investissement quittent le pays. Je sais personnellement que certains de nos meilleurs équipements le font aussi. Je sais également que certains de nos plus talentueux travailleurs quittent le Canada pour aller aux États-Unis. Selon nos évaluations, 62 000 emplois ont été perdus. L’industrie canadienne de l’énergie, notre industrie, est en difficulté, et en même temps, les États-Unis sont en plein essor.

Mon deuxième commentaire, et selon moi l’un des plus importants que je ferai aujourd’hui, c’est que, dans un certain sens, nous ne devons pas nous inquiéter de l’érosion de la confiance des investisseurs. Nous ne devons pas nous inquiéter des dommages qui menacent. Il est trop tard. Les dommages ont déjà été faits.

En ce moment, les investisseurs n’ont pratiquement aucun intérêt pour le secteur canadien de l’énergie. Les capitaux propres recueillis par les marchés publics en 2018 s’élevaient environ à 650 millions de dollars, le niveau le plus bas en 27 ans; c’est une baisse de 95 p. 100 par rapport aux cinq années précédentes. Il ne s’agit plus d’atténuer les risques de dommages.

Mon troisième commentaire concerne le rendement du Canada en matière d’environnement, de société et de gouvernance et aussi au chapitre des émissions de carbone. Une grande partie des conflits internes au Canada sont liés aux préoccupations relatives aux normes et au rendement en matière d’ESG, et c’est assez extraordinaire.

Ce que nous avons perdu de vue, curieusement, c’est que nos normes et notre rendement en matière d’ESG sont les meilleurs au monde. Si nous le savons, à ARC Financial, et si je le sais, c’est parce que nous défendons le bilan ESG du secteur canadien de l’énergie auprès des investisseurs étrangers.

Nous n’avons pas été étonnés quand la société d’ingénierie mondiale WorleyParsons a conclu que les processus d’évaluation environnementale du Canada sont parmi les meilleurs au monde, et il y a une masse d’information qui soutient cette perspective.

J’aimerais formuler un commentaire spécifique en ce qui concerne le rendement en matière d’ESG dans l’industrie des sables bitumineux. Il est évident que les émissions de gaz à effet de serre, relativement élevées dans l’industrie des sables bitumineux ont suscité la controverse, mais il y a quelques éléments clés.

Le premier, c’est que nos sables bitumineux représentent seulement 0,15 p. 100 des émissions mondiales. C’est réellement extraordinaire, un septième de 1 p. 100.

De plus, si nous éliminons progressivement les sables bitumineux, comme l’a malheureusement dit le premier ministre, les barils que nous perdons seraient remplacés par d’autres fournisseurs de pétrole lourd, notamment l’Arabie saoudite, l’Irak, et historiquement, le Venezuela et le Mexique. Ces autres fournisseurs produisent également un certain niveau d’émission de gaz à effet de serre, et nous, à ARC Financial, nous avons calculé que la réduction nette des émissions mondiales de GES associées à l’élimination progressive des sables bitumineux serait de 0,03 de 1 p. 100, ou 3 centièmes de 1 p. 100. Ce serait négligeable.

De plus, les normes en matière d’ESG de ces autres fournisseurs sont nettement inférieures. C’est une réalité, mais j’ai constaté que c’est une réalité que certaines personnes ne veulent pas voir ou admettre; à savoir que les émissions de GES des sables bitumineux du Canada sont négligeables pour ce qui est des émissions mondiales et des changements climatiques.

Cela ne veut pas dire que nous ne devrons pas chercher à réduire nos émissions de GES, comme nous l’avons fait et le faisons encore. L’intensité des émissions de nos sables bitumineux a baissé de 29 p. 100 depuis 2000, et on s’attend à une autre baisse de 20 p. 100 : et c’est une information accessible au public. Toutefois, en parlant aux gens, je constate que ce n’est pas largement reconnu. Les niveaux d’émissions des nouveaux projets de sables bitumineux sont proches, semblables ou inférieurs aux niveaux moyens d’émission du pétrole brut raffiné aux États-Unis.

Cela figure dans les documents rendus publics. Suncor, Cenovus, Canadian Natural et Imperial font des efforts extraordinaires depuis quelques années pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, et je ne pense pas que cela a vraiment été largement perçu.

Les niveaux des émissions de gaz à effet de serre des nouveaux projets sont égaux ou inférieurs à la moyenne du raffinage aux États-Unis, et cela a des répercussions très, très importantes sur les politiques énergétiques. Pourquoi devrions-nous rester à l’écart à regarder l’essor des États-Unis au nom de la réduction des émissions, quand nos émissions sont égales ou inférieures à celles du pétrole brut qu’ils brûlent dans les marchés? Ce commentaire s’applique en fait à tous les marchés de l’énergie du monde.

Le projet de loi C-48 est un autre coup dur que nous portons nous-mêmes à notre compétitivité stratégique. Il nie nos besoins stratégiques, les besoins stratégiques du Canada au chapitre de l’ouverture de nouveaux marchés. Il ferme définitivement la porte d’accès à de nouveaux marchés.

Je pense que le projet de loi est trompeur dans l’intention qu’il exprime. Il ne s’agit pas d’un moratoire relatif aux pétroliers, mais d’un moratoire sur les nouveaux ports pétroliers. Il semble discriminatoire envers l’Alberta et la Saskatchewan. De fait, tout cela ressemble à un blocus, comme le disent certaines personnes en Alberta.

C’est un message qui exprime la méfiance à l’égard de nos propres systèmes de sécurité maritime, qui sont pourtant de calibre mondial. Ce n’est pas compatible avec la réalité des pétroliers, qui circulent déjà sur la côte Est et la côte Ouest, de l’Alaska jusqu’au complexe de raffineries à l’État de Washington.

Cela confirme ce que les investisseurs pensent du Canada, la vision négative qu’ils en ont, selon laquelle nous ne sommes pas ouverts aux affaires, que nous ne sommes pas raisonnables parce que nous n’avons pas la volonté d’attirer des capitaux et de saisir des occasions de développement de grande qualité. Cela alimentera une contre-réaction politique dysfonctionnelle au sein du Canada.

Le président : Je suis désolé. C’est un exposé très intéressant, mais en même temps...

M. Van Wielingen : J’arrive littéralement à la fin de mon exposé, et je m’excuse si je suis allé trop loin.

Le président : Vous n’avez pas besoin de vous excuser.

M. Van Wielingen : J’arrive littéralement à mon dernier point. Ce point est très ironique. J’ai eu l’occasion d’en parler avec M. Gerry Butts, un mois environ avant qu’il ne démissionne, et c’était l’un de mes points clés, à savoir qu’on n’a pas besoin de ce projet de loi. Vous contrôlez déjà les nouveaux projets au moyen des processus politiques, juridiques et réglementaires déjà existants. Ce projet de loi-ci n’est pas nécessaire.

Cela dit, l’idée d’avoir un corridor maritime est très constructive, selon moi. Merci beaucoup.

Bartek Kienc, président, Corporation de l’infrastructure énergétique canadienne : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je suis honoré d’être des vôtres aujourd’hui. En fait, ma mère a pleuré quand je lui ai dit où j’allais aujourd’hui. Je ne sais pas si elle a pleuré de peur ou de fierté.

En tant que président de la Corporation de l’infrastructure énergétique canadienne, je travaille étroitement avec les Premières Nations, avec l’industrie et avec les gouvernements sur des questions touchant l’élaboration de projets d’infrastructure énergétique, y compris les terminaux méthaniers, les pipelines d’hydrocarbures et les installations d’exportation et d’importation de pétrole, surtout sur la côte Ouest.

Avant de lancer cette entreprise, en 2016, j’étais conseiller spécial du premier ministre de l’Alberta pour les questions d’accès au marché; avant cela, je m’occupais de l’infrastructure énergétique à Marchés mondiaux CIBC et au ministère de l’Énergie, ici, en Alberta.

Je mentionne cela parce que, pendant plus d’une décennie, dans les secteurs privé et public, j’ai travaillé sans relâche pour aider à trouver le juste équilibre pour le marché de l’exportation énergétique. Les questions qui sous-tendent le développement responsable des infrastructures sont complexes et nécessitent des solutions stratégiques réfléchies.

Malheureusement, le projet de loi C-48 n’entre pas dans la catégorie des solutions stratégiques bien pensées. Ce sera plutôt le contraire. Il semble être un choix stratégique arbitraire, rédigé à la hâte pour régler un problème qui n’existe pas sans s’attaquer à aucun risque existant.

Il est difficile de trouver, en se basant sur les déclarations du gouvernement fédéral ou dans les mémoires présentés au comité parlementaire et à votre comité sénatorial, des éléments de preuve scientifique qui portent à croire que cette solution stratégique est la bonne ou encore qu’elle est nécessaire. De plus, dans la réponse officielle du ministère des Transports du Canada au document d’intention stratégique de la Colombie-Britannique sur la gestion des déversements, la preuve avancée par le ministère semble nier la nécessité d’appliquer une solution législative générale aux problèmes qu’il prétend régler.

Permettez-moi simplement de donner deux ou trois grandes lignes du mémoire de Transports Canada. Dans sa réponse, le gouvernement fédéral se dit préoccupé par l’omission de la Colombie-Britannique de faire référence, et je cite :

[...] aux solides régimes de sécurité fédéraux, à l’expertise scientifique de longue date du gouvernement du Canada et aux importants investissements récents réalisés par celui-ci en gestion des déversements.

En ce qui concerne le régime maritime en particulier, Transports Canada poursuit en disant :

Ce régime s’est montré particulièrement efficace pour intervenir suite aux incidents de pollution marine survenus dans toutes les régions du Canada.

En résumé, la réponse de 80 pages que le gouvernement du Canada a donné à la Colombie-Britannique explique comment notre régime de calibre mondial touchant la sécurité et les interventions maritimes permet de gérer efficacement les risques du trafic maritime, y compris la circulation des pétroliers, le long de nos côtes. Une question se pose alors : comment un même régime de calibre mondial peut-il justifier, d’une part, l’augmentation du trafic des pétroliers dans le port de Vancouver, l’un des ports les plus achalandés du Canada, malgré les difficultés de la navigation près de l’île de Vancouver, et, d’autre part, l’imposition d’un moratoire sur les pétroliers à Prince Rupert, par exemple, où la navigation est loin d’être aussi difficile qu’à Vancouver?

C’est peut-être pour cela qu’un autre pays du monde n’a choisi d’interdire totalement la circulation de pétroliers ou d’imposer un moratoire, jugeant que ce n’est peut-être pas une solution efficace pour atténuer les risques environnementaux. Ni la Norvège, qui a ses propres pêches au saumon ainsi que des fjords, ni l’Australie, où se trouve la Grande barrière de corail, n’ont pris ce genre de mesures. Il y a d’autres côtes au Canada qui sont intactes et délicates, et pourtant, le Canada n’y a pas imposé ce genre de choses.

Dans le cadre de votre étude, vous avez entendu le témoignage de scientifiques, de chercheurs du gouvernement fédéral, d’experts techniques et de membres de la Garde côtière. Même si tous sont d’accord pour dire qu’il est toujours possible d’améliorer les approches et les systèmes existants, aucun n’a présenté de données probantes concrètes qui pourraient justifier l’adoption de cette approche pour cette partie de la côte canadienne.

J’arrive donc à mon deuxième point : le Canada dispose donc d’un régime réglementaire solide et axé sur des données probantes qui tient rigoureusement compte de l’expertise scientifique et des répercussions sociales et environnementales des activités industrielles.

Si on estime qu’un projet présente des risques inacceptables, nous pouvons recourir au processus d’évaluation environnementale pour rejeter l’initiative. C’est la méthode appropriée, et cela veut dire que le présent projet de loi est redondant, comme on l’a déjà dit. Nous devons donc soit nous fier aux données scientifiques et aux experts pour éclairer la prise de décisions, lorsqu’il s’agit de dossiers réglementaires complexes, soit ne pas nous y fier.

Pour terminer, j’aimerais prendre un moment pour parler des solutions. Après avoir écouté le témoignage des chefs et des groupes des Premières Nations, je peux comprendre qu’il soit difficile de répondre convenablement aux besoins des gens qui vivent le long de la côte.

Certaines Premières Nations ont donné leur appui au projet de loi, et d’autres s’y opposent, chacune pour ses propres raisons également importantes. La seule chose sur laquelle elles s’entendent, c’est que les consultations sur ce projet de loi sont loin d’être satisfaisantes.

D’après ce que j’ai compris de leurs positions, il serait possible d’établir, dans le projet de loi, une limite nord qui satisferait tout le monde. Plus précisément, on pourrait imposer un moratoire sur les pétroliers dans la région où cette approche est très bien accueillie, c’est-à-dire au sud de Prince Rupert, où il y a un chenal maritime, bien au nord de Haida Gwaii, mais pas dans les régions qui s’y opposent ou les régions où les répercussions des traités n’ont pas encore été examinées. Nous pourrions faire cela en attendant qu’un processus de consultation exhaustif ou un autre processus d’évaluation environnementale indiquant que des changements s’imposent.

En conclusion, le libellé actuel du projet de loi ne permettra pas d’atténuer les risques existants touchant la navigation maritime le long de la côte de la Colombie-Britannique. J’ajouterais même que, par rapport à tout ce qu’on expédie le long de la côte, des batteries au lithium jusqu’au chlore gazeux en passant par l’uranium, le soufre et l’ammoniac, le pétrole n’est pas vraiment le polluant le plus dangereux dont on devrait se soucier. Pourtant, c’est le seul qu’on mentionne dans le projet de loi.

Au minimum, il faudrait envisager d’établir une limite nord afin de répondre à certaines des préoccupations touchant ce projet de loi. Celles-ci sont valables et pressantes. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions. Encore une fois, merci.

Le président : Merci. J’ai deux ou trois questions.

Monsieur Val Wielingen, vous avez parlé d’une diminution de 29 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre depuis... L’an 2000, si je ne me trompe.

M. Van Wielingen : Oui.

Le président : En vérité, cela dépasserait la réduction des émissions de gaz à effet de serre du Canada. En d’autres mots, nous n’avons pas réduit nos émissions de gaz à effet de serre de 29 p. 100 depuis 2000.

M. Van Wielingen : Excusez-moi. Pour clarifier, le taux de 29 p. 100 est au prorata des barils. Il représente l’intensité des émissions des gaz à effet de serre par baril. Il n’est pas représentatif des émissions absolues de gaz à effet de serre.

Si le nombre de barils augmente — si la production augmente —, alors la diminution du total équivalent ne sera pas la même.

Le président : D’accord. Merci beaucoup.

Je tiens à préciser que nous avons beaucoup discuté ici du corridor, et vous avez soulevé le sujet, monsieur Kienc, lorsque vous avez parlé de la région.

Ne devrait-on pas mener une étude sur ce corridor? Autrement dit, avant de construire un pipeline, il faut d’abord que l’Office national de l’énergie mène des audiences, et après il y a le reste du processus.

Je crois qu’il faudrait deux années de travail de plus, au minimum, si vous voulons modifier ce projet de loi afin d’établir un corridor. Les gens auront besoin de temps pour déterminer exactement où le corridor devrait se trouver.

M. Van Wielingen : Je ne suis pas vraiment sûr de savoir comment réagir à cette position. D’une certaine façon, j’ai toujours envisagé cela comme une occasion à saisir.

Essentiellement, vous dites qu’il y a une occasion à saisir à Prince Rupert. Si l’industrie ou un promoteur manifestaient de l’intérêt, ils pourraient aller de l’avant et nous mènerions toutes les études environnementales et réglementaires nécessaires. Voilà comment j’ai toujours envisagé la situation.

L’idée d’un corridor ou d’une limite nord m’a toujours plu, puisqu’elle signalerait à l’industrie que nous sommes ouverts. C’est comme si nous disions que nous allions prendre en considération les propositions et les évaluations pour prendre des décisions, au lieu de paraître totalement inflexibles, comme le projet de loi C-48 nous peint.

M. Kienc : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose, selon moi, nous avons une connaissance très approfondie des emplacements potentiels pour un port; qu’il s’agisse de Port Simpson, de Prince Rupert ou de la région autour de Prince Rupert.

Je crois que ce sera difficile à Kitimat, compte tenu de notre expérience passée avec le projet Northern Gateway et le chenal Douglas. Si vous décidez de fixer une limite et que vous la fixez quelque part au sud de Prince Rupert, alors 95 p. 100 des possibilités touchant des projets d’installation portuaire pourront être examinés dans l’avenir.

Le président : Merci beaucoup. Cela nous sera utile.

La sénatrice Simons : Monsieur Kienc, plusieurs d’entre nous siégeons également au comité chargé d’examiner le projet de loi C-69, et certains d’entre nous estiment que, si le projet de loi C-69 est adopté — ou qu’une version modifiée est adoptée —, cela rendrait le projet de loi C-48 encore plus redondant qu’il ne l’est déjà. Êtes-vous d’accord?

M. Kienc : Je ne sais pas s’il est possible de rendre ce projet de loi encore plus redondant qu’il ne l’est déjà, mais oui.

La sénatrice Simons : Quand nous étions en déplacement à Prince Rupert et à Terrace, la Première Nation Nisga’a nous a dit qu’elle avait le sentiment profond de ne pas avoir été consultée. Elle n’acceptera pas nécessairement qu’un pipeline traverse son territoire, mais elle veut au moins avoir l’occasion d’étudier la question elle-même.

À propos du corridor au sud de Prince Rupert dont vous avez parlé, il y a eu une résistance assez marquée dans la collectivité. Croyez-vous qu’il serait possible d’établir un corridor plus au nord, plus près de la frontière de l’Alaska, pour prendre des mesures d’atténuation ensuite?

Le maire de Prince Rupert s’oppose à cette idée, et bon nombre de Premières Nations, y compris la Première Nation Lax-kw’alaams, sont profondément divisées sur la question.

Malgré tout, je comprends l’argument du président selon lequel notre travail n’est pas de faire de la microgestion et de décider de l’emplacement du corridor; nous devons laisser ouverte la possibilité d’un accès plus au nord.

M. Kienc : Je crois que ce serait le bon choix, stratégiquement parlant, car vous ne pouvez fixer que les limites de l’emplacement. Il y a énormément de questions dans ce dossier. Je crois que le gouvernement élu des Lax-kw’alaams, reconnu par le Canada, a officiellement pris position contre le projet de loi.

Même si personne au teint aussi pâle que moi n’a pas le droit de parler au nom des Premières Nations, je sais qu’un certain nombre d’entre elles entretiennent des opinions divergentes sur les processus d’évaluation environnementale rigoureux qui sont censés éclairer ces questions.

Il y a dans la région une nation qui a conclu un traité moderne, énonçant tous les engagements juridiques que le gouvernement fédéral a pris par rapport au processus d’évaluation environnementale préalable à de telles décisions.

La sénatrice Simons : Vous parlez des Nisga’a?

M. Kienc : C’est exact. Pour répondre à la deuxième partie de votre question, il existe plus au nord de Prince Rupert d’un emplacement où on pourrait envisager d’installer un port en eau profonde de calibre mondial, si jamais ce genre de projet devenait intéressant, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Le sénateur Tannas : J’ai une petite question à poser. J’en aurai une autre un peu plus longue ensuite.

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a publié une étude inspirée des travaux de l’École de politique publique de Calgary sur un corridor nordique qui relierait la côte Est et la côte Ouest. Nous aurions priorité de passage et pourrions utiliser ce corridor à toutes les fins auxquelles vous pourriez penser, par exemple pour un réseau optique, un réseau électrique, un chemin de fer ou même des routes pour des véhicules autonomes. Le corridor longerait la limite sud de la forêt boréale du Nord. Étiez-vous au courant de cette idée? Je vous pose la question à tous les deux.

M. Kienc : Quand je travaillais pour le gouvernement de l’Alberta, cette idée revenait sans cesse, avec des variantes. Je crois que c’est une excellente idée. Je crois que cela montrerait réellement que nous sommes non pas un rassemblement de provinces indépendantes, mais un pays uni.

Cependant, je ne crois pas que nous avons 50 ans à y consacrer, en particulier vu les préoccupations des populations autochtones que le gouvernement qui, depuis des décennies, ne prend pas en considération au moment d’établir les aspects juridiques et politiques qui encadrent ce qui peut être fait sur les terres des Premières Nations.

Le sénateur Tannas : Merci.

Monsieur Van Wielingen, avant toute chose, votre organisation — et je souhaite en passant vous féliciter, puisque vous êtes l’un des fondateurs — a été d’une valeur inestimable pour l’Alberta et pour l’Ouest du Canada. Le travail que vous avez accompli pour attirer les investissements de l’étranger, les analyses de grande qualité que vous fournissez aux investisseurs mondiaux ainsi que les efforts que vous avez déployés par rapport au présent dossier ont une grande valeur. Vous nous avez aidés à comprendre le sujet.

Pourriez-vous nous expliquer — parce que c’est l’une des choses qui me surprend toujours et que les gens ne remarquent pas, pas mêmes les employés sur le terrain — à quel point l’exode des capitaux est silencieux. Les capitaux disparaissent sans proférer de menaces et sans faire de bruit.

D’après mon expérience, lorsque vous essayez de mobiliser des capitaux et que vous êtes en position de force, tout le monde s’intéresse à vous. Cependant, quand vous êtes en position de faiblesse, personne ne vous le dit. Simplement, personne ne retourne vos appels.

Pouvez-vous nous donner un cours d’économie sur le phénomène de la disparition silencieuse des capitaux et nous expliquer pourquoi cela prend tant de temps avant que nous en ressentions les résultats sur les emplois et sur la planification des entreprises?

M. Van Wielingen : C’est une excellente question ainsi qu’une question très intéressante, en particulier puisque vous avez souligné le fait que les capitaux fuient silencieusement.

Comme vous l’avez dit, ce qui arrive, c’est que soudainement, les investisseurs avec qui vous faites affaire depuis des années ne retournent plus vos appels. S’ils vous rappellent, ce sera beaucoup plus tard. Parfois, ils vous envoient simplement un courriel pour vous dire qu’ils ont d’autres priorités et d’autres engagements.

Une réponse que nous ont donnée d’un grand nombre d’investisseurs est que nous n’avons pas les ressources à l’interne — en fait, il s’agit d’investisseurs internationaux — au Canada pour régler toutes les questions complexes et épineuses, les nœuds stratégiques et environnementaux. Pour les investisseurs, le jeu n’en vaut pas la chandelle, en particulier lorsqu’ils pourraient obtenir un meilleur rendement ailleurs.

Voilà en partie pourquoi les capitaux semblent disparaître silencieusement. Ils s’en vont sans fanfare ni trompette, en partie parce que les investisseurs se lancent avec enthousiasme dans d’autres projets.

Donc, voilà comment ça se passe, et dans les marchés publics, d’une certaine façon, le processus est encore plus discret. On ne se rend compte de rien. Tout ce qu’on remarque, c’est qu’il y a moins d’investissements dans les marchés publics. La valeur des actifs cotés en bourse diminue. Mes commentaires précédents touchaient davantage aux marchés privés, puisque c’est notre secteur d’activité. Effectivement, les capitaux ne sont pas stables; ils peuvent se déplacer très rapidement et silencieusement.

La sénatrice Busson : Merci à tous d’être des nôtres. J’aimerais d’abord remercier M. Priaro de la carte qu’il nous a fournie. Vous nous avez donné un aperçu intéressant et très succinct de la situation.

Prenez la zone entre Bella Coola et Prince Rupert. Il s’agit de plus de 1 000 kilomètres de côtes qui ne seraient jamais touchées s’il y avait un déversement. Port Simpson est d’ailleurs situé très au nord de Prince Rupert, où, encore une fois, les possibilités que les pêches, la Skeena, et cetera soient touchées sont faibles.

Il y a aussi une question que je veux poser aux autres invités. Entre autres problèmes, vous avez parlé de ralentissement économique. Ce qui se passe dans l’industrie pétrolière en Alberta et en Saskatchewan fait beaucoup de bruit. J’aimerais demander à nos invités de s’exprimer à propos de l’effet de ce ralentissement sur l’économie du Canada, en général. D’après ce qu’on nous dit, les dernières prévisions économiques sont inférieures aux estimations du trimestre précédent.

Pouvez-vous nous donner des certitudes par rapport aux données sur l’économie canadienne en général et en lien avec l’industrie pétrolière?

J’aimerais aussi connaître votre opinion sur l’écart, d’une part, entre les données scientifiques montrant que le risque de déversement est faible et, d’autre part, les croyances des Canadiens à propos de l’économie et de l’écologie. Je crois que nous voulons tous trouver un équilibre qui serait avantageux pour tout le monde.

M. Van Wielingen : J’ouvre le bal volontiers.

Parlons économie. Le secteur pétrolier et gazier, en y ajoutant les pipelines et la production d’électricité, c’est-à-dire le secteur énergétique en entier, compte pour environ 10 à 11 p. 100 de l’économie canadienne. Comme les autres secteurs de l’économie, le secteur énergétique est intégré, ce qui veut dire qu’il est lié à bon nombre de sous-secteurs. C’est une des raisons pour lesquelles il est si difficile de cerner exactement les répercussions, parce qu’il n’est jamais facile d’analyser tous les liens qui existent entre les secteurs.

Les activités d’extraction et les pipelines représentent de 5 à 6 p. 100 de l’économie canadienne. Ce qui est fascinant, c’est que cela est légèrement supérieur à ce que représentent ensemble le secteur bancaire, le secteur de l’assurance et le secteur de la gestion d’investissements au Canada.

Je connais bien ces statistiques. Quand je suis à Toronto, j’aime bien demander à mes amis torontois du secteur de la gestion d’investissements ou du secteur bancaire leur opinion sur la question. En vérité, ce sous-secteur est le plus important sous-secteur de l’économie canadienne. C’est une des principales industries du Canada.

J’aime énormément votre deuxième question sur l’écart entre les points de vue. J’aimerais que nous ayons le temps d’aller au fond des choses, parce que c’est aussi une question que je me pose tout le temps.

Pour parler très honnêtement, je crois que les perceptions des gens, ou devrais-je dire l’opinion publique, sont fortement influencées par nombre d’activistes professionnels qui, chaque jour, sont rémunérés pour être présents sur les médias sociaux, communiquer avec le gouvernement, écrire des articles et produire des vidéos présentant de manière négative le secteur énergétique du Canada. C’est leur travail. C’est leur emploi quotidien, et ils sont excellents dans ce qu’ils font. Je crois qu’ils ont eu une énorme influence sur l’opinion publique et sur les opinions que nous avons tous par rapport à notre industrie.

Cependant, ce qu’ils véhiculent n’est pas forcément fondé sur des données probantes. Je trouve un peu difficile de dire cela devant vous, parce que je ne peux pas vraiment le prouver. Je le pourrais, mais pas à l’heure actuelle. Ce que je peux vous offrir, c’est l’opinion que je me suis faite en examinant ce qu’ils font.

Je devrais aussi dire que j’ai eu énormément d’échanges avec eux au fil des ans, dans des contextes très précis, et le point de vue que je peux vous offrir est fondé sur ces expériences.

M. Priaro : J’aimerais ajouter que, à titre d’investisseur, j’ai observé pendant de nombreuses années une forte corrélation entre le prix du pétrole, la valeur du dollar canadien et la valeur des actions à la Bourse de Toronto.

Le sénateur MacDonald : Merci à vous tous. Vous êtes tous les trois d’excellents témoins.

Je crois que je vais m’adresser à M. Priaro en premier. Pendant nos séances, nous n’avons pas beaucoup entendu parler de l’accès à l’hydroélectricité le long du corridor d’Eagle Spirit Energy, aux fins de la production et du développement du projet. Pouvez-vous nous en parler?

M. Priaro : À mon avis, la durabilité potentielle d’un corridor énergétique dans le Nord est probablement l’un des aspects les plus intéressants du projet.

À l’heure actuelle, la Colombie-Britannique travaille sur le projet du site C. Je crois que l’un des objectifs du projet est d’alimenter les usines de gaz naturel liquéfié.

Les compresseurs frigorifiques demandent énormément d’énergie, et à l'heure actuelle, la pratique habituelle est de brûler du gaz naturel. Je sais que le promoteur d’un projet de gaz naturel liquéfié sur la côte de la Colombie-Britannique a récemment demandé à BC Hydro d’étudier la possibilité de lui fournir de l’électricité pour ses compresseurs frigorifiques. Cela en ferait le projet de GNL le plus propre au monde.

Je suis sûr que vous savez tous que l’exportation de GNL pour remplacer le charbon permet de réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre et d’éliminer pratiquement toute la pollution atmosphérique. Même si un projet de GNL avait pour effet d’augmenter légèrement les émissions de gaz à effet de serre en Colombie-Britannique — et je ne suis pas convaincu que ce serait le cas, mais en supposant que oui —, nos exportations de GNL constitueraient tout de même un résultat positif pour la planète.

On ne peut pas circonscrire les émissions de gaz à effet de serre au moyen de frontières administratives ou géographiques. Un projet qui permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale aurait énormément d’importance et serait très utile.

Mis à part le projet du site C, il y a énormément de possibilités en Alberta pour des projets d’hydroélectricité. Il y a également beaucoup de possibilités en Colombie-Britannique pour des projets qui ont des répercussions modérées sur l’environnement, par exemple des projets de centrale hydroélectrique au fil de l’eau qui ont très peu de répercussions sur les cours d’eau.

Il y a également beaucoup de possibilités dans la vallée du Mackenzie pour des projets hybrides, entre les projets au fil de l’eau et les projets de barrage.

Un corridor énergétique reliant les sables bitumineux et la région de Prince Rupert pourrait être relié très efficacement à un éventuel corridor dans la vallée du Mackenzie; les pipelines et l’électricité pourraient aider à l’exploitation des ressources dans le Nord.

Le sénateur MacDonald : Permettez-moi d’ajouter que nous avons reçu un ingénieur en environnement du Québec qui nous a parlé exactement de cela. Il a avancé le même argument : si le Canada était en mesure de produire suffisamment de GNL pour remplacer toute la production énergétique au charbon des pays comme la Chine ou l’Inde et que ses émissions augmentaient légèrement, les leur dégringoleraient. Les résultats à l’échelle mondiale seraient considérables.

Vous avez distribué une étude gouvernementale sur les meilleurs ports où gérer le pétrole lourd. Selon les propres études du gouvernement du Canada, il est on ne peut plus évident qu’il s’agit de Prince Rupert, dans la région de Port Simpson.

Je ne crois pas qu’une étude comparable ait été menée sur la côte Est du Canada. Cependant, les administrations portuaires et les administrations de pilotage s’entendent pour dire que le port de Point Tupper, dans le détroit de Canso, est de loin le meilleur port pour la gestion et le transport du pétrole lourd.

La levée de Canso nous offre un port artificiel en eau extrêmement profonde. Il n’y a pas de glace, le mouillage y est facile, les marées sont faibles et il y a un accès immédiat à l’orthodromie pour tous les bateaux.

Pouvez-vous nous fournir un peu plus de détails sur le sujet, parce que nous n’en avons pas vraiment discuté ici sur la côte Ouest.

M. Priaro : J’ai étudié la question quand je me suis penché sur le dossier du projet Énergie Est. Par rapport à ce projet, bien des gens ignorent qu’il serait possible d’ajouter un gazoduc le long de l’oléoduc vers la Nouvelle-Écosse.

Après avoir examiné la région, je suis d’accord pour dire que le détroit de Canso est probablement le meilleur endroit où aménager un port pétrolier sur la côte Est du Canada. La baie de Fundy est une zone écosensible. Je ne vois pas vraiment de problèmes à exporter du raffiné depuis le terminal Canaport de Saint John, en faisant passer, bien sûr, les pétroliers par le golfe du Saint-Laurent. Je ne vois pas l’intérêt de les faire passer par le fleuve Saint-Laurent alors qu’on pourrait aménager un port donnant directement sur l’océan Atlantique.

À partir de là, nos exportations pourraient atteindre l’Europe et même l’Inde occidentale en passant par le canal de Suez. L’une des plus grandes installations de raffinage du pétrole lourd au monde se trouve sur la côte Ouest de l’Inde.

Prince Rupert et Port Simpson ont aussi un accès direct à la haute mer. Il n’y a pas d’île à contourner ni de chenal à négocier. Nous devrions nous intéresser à ce genre d’endroits, puisque ce sont les emplacements les plus sécuritaires, sur nos deux côtes, d’où exporter nos ressources.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Van Wielingen. C’est à propos des changements climatiques.

Votre opinion — vous avez bien dit que c’était une opinion — à propos de la perception des Canadiens sur les changements climatiques m’a laissée un peu perplexe. À mon avis, il y a des preuves que notre planète se réchauffe.

D’après ce que j’ai lu, le phénomène progresse deux fois plus rapidement au Canada qu’ailleurs dans le monde. L’exploitation des sables bitumineux représente jusqu’à 8,5 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre du Canada.

Si les Canadiens se préoccupent des changements climatiques — et les sondages montrent que c’est le cas —, c’est parce qu’il y a de bonnes raisons. Ce n’est pas à cause de la propagande des groupes environnementaux, comme vous l’affirmez. Il y a des preuves. Je tenais à le dire, aux fins du compte rendu.

Il y a autre chose que j’aimerais vous demander. Vous avez dit que le Canada brille par les efforts qu’il déploie. Il est vrai que les émissions des sables bitumineux ont diminué.

Néanmoins, le nouveau premier ministre de l’Alberta, M. Jason Kenney, a promis d’éliminer le plafond de 100 millions de mégatonnes par année que Mme Rachel Notley avait établi entre autres en lien avec le projet de construction de pipeline, le projet d’agrandissement du réseau Trans Mountain, pour répondre à la volonté grandissante des Canadiens de prendre des mesures en réaction aux changements climatiques. Qu’en est-il?

Le sénateur D. Black : Si vous me permettez d’intervenir, le nouveau premier ministre n’a rien dit de tel.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’était l’une de ses promesses électorales. Il a dit qu’il allait se débarrasser du plafond de 100 mégatonnes par année. Il l’a bel et bien dit.

Le sénateur D. Black : Nous pourrons clarifier la question cet après-midi, madame la sénatrice, mais ce n’est pas ce qu’il a dit.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord. Peut-être que j’ai été mal renseignée.

Le président : D’accord. Veuillez poursuivre, monsieur Van Wielingen, avant que les choses ne tournent mal.

M. Van Wielingen : Je veux m’assurer que ma position par rapport aux changements climatiques soit claire. Je ne remets pas en question le fait que les activités humaines et l’augmentation des gaz à effet de serre sont probablement l’une des causes des changements climatiques. Ce n’est pas ce que je dis.

Cependant, je veux que les Canadiens prennent conscience de l’importance relative, par rapport aux changements climatiques, des émissions du Canada en comparaison des émissions mondiales. Les émissions du Canada représentent entre 1,5 et 2 p. 100 des émissions mondiales et, comme vous l’avez dit, l’exploitation des sables bitumineux représente moins de 10 p. 100 de cela.

Faites le calcul : l’exploitation des sables bitumineux représente 0,15 p. 100. L’élimination progressive des sables bitumineux n’aura aucune incidence.

Il faudrait vraiment que nous prenions conscience de notre importance relative. Ce qui me trouble le plus, c’est que nous sommes prêts à nous lancer dans d’incroyables combats politiques, au Canada, alors que, dans notre position de chef de file, nous n’avons rien à en tirer.

Si nous voulons vraiment prendre des mesures par rapport aux gaz à effet de serre et aux changements climatiques, nous devons accepter que leur incidence est quasiment nulle. C’est difficile d’accepter ce sentiment d’impuissance.

Malgré tout, nous pouvons continuer de promouvoir la réduction des impacts environnementaux au Canada, y compris les émissions de gaz à effet de serre. Je ne dis pas qu’il faut y renoncer. Je dis simplement que notre incidence sur les changements climatiques n’est pas aussi importante qu’on pourrait le croire.

M. Priaro : Excusez-moi, mais j’aimerais ajouter quelque chose. Dans l’ensemble, les émissions de gaz à effet de serre du Canada sont inférieures à la variation annuelle des émissions de gaz à effet de serre totales de la Chine.

La sénatrice Miville-Dechêne : D’accord. Manifestement, nous connaîtrons la réponse cet après-midi. D’ici là, croyez-vous que nous devrions conserver le plafond des émissions qui avait été imposé par le gouvernement de Mme Rachel Notley?

M. Van Wielingen : C’est vrai. Je vous remercie sincèrement de la question.

À mon avis, le plafond n’a pas vraiment d’intérêt; c’était une proposition jetable.

Nous sommes à environ 70 p. 100, le plafond étant de 100 p. 100, et, compte tenu de la diminution de l’intensité des GES par baril, on peut dire que l’industrie des sables bitumineux a une grande marge de manœuvre.

C’est un peu une diversion, et soyez certaine que M. Jason Kenney le sait. Pour être parfaitement honnête, le plafond a peut-être plus une valeur symbolique, de mon point de vue.

Pour contribuer au débat, je dirais que, d’après ce que j’en sais, cela ne fait pas partie de sa stratégie politique officielle. Il en a parlé, mais si vous examinez sa politique, dans les faits, cela n’en fait pas partie, et c’est sans doute pourquoi vous avez tous des interprétations différentes.

Le président : Qu’est-ce qui contribue le plus aux émissions du Canada?

M. Van Wielingen : Aux émissions du Canada? Avez-vous des chiffres à donner? Sinon, je vais hasarder une réponse : les principaux émetteurs sont les transports et le chauffage.

Le président : Vous voulez dire, le chauffage de nos maisons et les voitures que nous conduisons?

M. Van Wielingen : Oui. Essentiellement, il s’agit du secteur des transports et du chauffage des bâtiments.

Le président : Je vois certaines personnes dans l’assistance qui secouent la tête.

M. Van Wielingen : Eh bien, peut-être que quelqu’un dispose de meilleurs renseignements.

M. Priaro : À ma connaissance, ce sont les bâtiments qui consomment le plus d’énergie.

M. Van Wielingen : Le secteur pétrolier et gazier émet directement des gaz à effet de serre. Il ne faut pas l’oublier.

M. Kienc : Monsieur le président, pourrais-je ajouter quelque chose très rapidement?

Je passe trois ou quatre jours par semaine en Colombie-Britannique, et personne ne m’a jamais dit : « C’est une bonne chose que vous ayez imposé un plafond. Maintenant, nous pourrons construire un pipeline. »

J’appuie fermement l’idée selon laquelle le plafond n’a pas vraiment d’intérêt. En ce qui concerne les politiques, je crois que nous devrions adopter une approche réactive dans l’ensemble. Nous allons vivre à une époque où il y aura de la compétition à l’échelle mondiale relativement aux émissions de carbone. Nous n’avons pas besoin d’atteindre un taux d’émission nul. Nous devons seulement être compétitifs pour ce qui est de nos émissions de carbone.

Selon moi, tous les gouvernements devraient en tout temps essayer d’adapter leurs réactions à ce que font nos partenaires commerciaux. Par exemple, une taxe sur le carbone serait une excellente idée si les États-Unis étaient à 27 et que nous étions à 30, mais est-ce une aussi bonne idée si nous sommes à 30 et qu’ils sont à zéro? Je crois que nous devons adapter nos choix stratégiques.

Le sénateur D. Black : Merci beaucoup aux témoins de leurs excellents exposés. Je vais vous présenter un scénario, et je vous demanderais de prédire ce qui arrivera au cours des trois à cinq années suivantes.

Si le gouvernement, dans sa grande sagesse, décidait d’adopter le projet de loi C-48... Vous devez savoir que le ministre Garneau a dit à notre comité qu’il refusait d’examiner une quelconque modification. Nous devons donc tenir pour acquis que le gouvernement a l’intention d’adopter le projet de loi C-48 dans sa forme actuelle. Disons donc, pour ma question, que c’est ce qui va arriver.

Disons également que le projet de loi C-69 sera adopté, avec peu de modifications. Selon vous, à quoi ressemblera l’économie du pays dans trois à cinq ans?

M. Van Wielingen : Vous avez bien dit que le projet de loi C-69 serait adopté sans modification majeure?

Le sénateur D. Black : C’est exact.

M. Van Wielingen : Eh bien, dans ce scénario, je crois qu’on peut s’attendre à ce qu’il n’y ait aucun nouveau projet important au Canada, aucun nouveau projet d’exploitation des ressources au Canada.

Par « projet important », je veux dire qu’aucun promoteur important ne va vouloir assumer les coûts du processus, qui s’élèveraient à des centaines de millions de dollars, et avoir à justifier ces coûts devant son conseil d’administration, surtout si, au bout du compte, le projet est rejeté pour des raisons qui sont, d’une certaine façon, politiques.

Dans ce contexte, je crois que les nouveaux projets... Je ne peux pas dire que l’économie sera paralysée, puisqu’elle l’est déjà. Simplement, le projet de loi C-48 découragera au plus haut point les promoteurs.

Le niveau de confiance actuel, qui est déjà au plus bas, demeurerait le même. Le problème, avec ces initiatives, c’est que nous avons vraiment besoin d’effectuer un virage. Nous avons besoin d’une vision pour le Canada et pour notre secteur énergétique, et nous avons besoin que les choses changent pour ce qui est des initiatives.

Aux yeux du monde financier, le secteur énergétique du Canada est très contraignant. Excusez-moi, mais je veux dire les choses directement et franchement. Je n’aurai plus d’autre occasion de m’adresser à vous.

C’est un fait. Le secteur énergétique est contraignant, et il est en péril.

Donc, nous ferions du surplace. Nous continuerions de racler le fond du baril. Il y aurait quelques hauts et quelques bas, à cause des cycles économiques et de tout le reste. Ce n’est pas ce qu’on souhaite.

Pendant ce temps, la demande énergétique à l’échelle mondiale continuera d’augmenter.

Le sénateur D. Black : Les deux autres témoins pourraient-ils répondre rapidement à la question?

M. Kienc : Si vous me le permettez, je dirais que nous ne pouvons pas attendre de trois à cinq ans avant d’essayer de nous tailler une part des marchés de l’Asie du sud, compte tenu de la situation actuelle de nos ressources énergétiques. À dire vrai, nous avons déjà du retard.

Selon moi, le gaz naturel liquéfié et les autres projets d’exportation énergétique sur la côte Ouest sont la clé de la prospérité économique du Canada aux XXIe siècle. En Europe, la demande diminue, tout comme la croissance économique. On ne peut pas dire que la côte Est soit la solution.

Nous devons élaborer une stratégie d’exportation pour la côte Ouest sans plus attendre — cela aurait déjà dû être fait —, sinon, d’autres vont prendre notre place. Tout cela va arriver, mais le Canada n’en tirera aucun avantage.

Le sénateur Smith : Pour poursuivre sur la lancée du sénateur Black, vous allez tous les trois former un groupe consultatif pour notre groupe. Nous ne partageons pas tous les mêmes opinions.

Nous avons entendu des gens qui appuient le projet de loi C-48 et d’autres qui s’y opposent. Nous avons entendu parler de l’avenir de l’industrie. J’aimerais donc savoir ce que vous trois proposez.

Je vous demanderais de répondre en 60 secondes : quelle serait l’approche à adopter pour gérer les points de vue divergents qui nous ont été présentés par rapport à ce dossier clé pour le Canada?

M. Kienc : La solution pourrait être différente si on faisait abstraction de la composition actuelle de la législature. Je crois que le projet de loi devrait être radicalement modifié, si vous n’êtes pas certain de pouvoir le faire couler afin d’éviter qu’il soit adopté.

Selon moi, le projet de loi pourrait être modifié de nombreuses façons. Pour parler franchement, si l’objectif était de protéger l’environnement, nous serions en train de parler des normes que toutes nos côtes doivent respecter en vertu du Plan de protection des océans, mais aussi des mesures supplémentaires à prendre par rapport aux taux de récupération du pétrole à la suite d’un déversement, aux autres facteurs de pollution, au traitement de l’eau de cale et à l’ensemble des marchandises et des matières dangereuses qui sont transportées le long de nos côtes.

Il faut aussi prendre en considération les traversiers, les Premières Nations qui vont pêcher sur des bateaux fonctionnant au combustible de soute et au diesel, les Premières Nations qui emmènent des touristes chasser l’épaulard en bateau. Nous devons prendre en considération toutes ces choses, y compris les yachts, que les gens aiment tant, sur la côte Ouest. Nous devons prendre des mesures en fonction de cela et nous doter d’une capacité de remorquage des grands bâtiments dans l’océan, ce que nous n’avons pas actuellement et qui est la raison principale pour laquelle il y a une zone d’exclusion.

Voilà toutes les choses qui devraient faire partie d’un projet de loi dont le but est de protéger nos côtes. Voilà les considérations que j’étudierais et que j’ajouterais au projet de loi et à d’autres textes législatifs.

M. Priaro : Je crois que ce serait d’une stupidité criminelle que d’éliminer progressivement les sables bitumineux. Il s’agit de la plus importante ressource pétrolière au monde, pas de la deuxième ni de la troisième. Il y en a plus qu’au Venezuela ou en Arabie saoudite et, si nous appliquons les facteurs de récupération habituelle dans le cadre des études de gisements, les réserves qui seraient techniquement récupérables sont supérieures à celles du Venezuela et de l’Arabie saoudite réunis.

M. Van Wielingen : J’ajouterais simplement que ce projet de loi est très offensant, selon moi, et devrait être rejeté.

Malgré tout, pour être pragmatique, je dirais que l’idée d’une limite nord serait un compromis pragmatique. De cette façon, on préserve les possibilités d’exportation à Prince Rupert et au nord.

Le président : Je tiens à remercier les témoins. C’était une discussion vraiment intéressante.

C’est avec plaisir que nous accueillons maintenant M. Andrew Leach, professeur agrégé de l’Université de l’Alberta, et Mme Joule Bergerson, professeure agrégée et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en évaluation des technologies énergétiques de l’Université de Calgary. Merci d’être des nôtres aujourd’hui.

Vous pouvez commencer, monsieur Leach.

Andrew Leach, professeur agrégé, Université de l’Alberta, à titre personnel : Merci de m’avoir invité à témoigner.

Je suis heureux de pouvoir témoigner à propos de ce projet de loi, comme je l’ai déjà fait devant le comité de la Chambre des communes. Je vais essayer de restreindre mes commentaires à mon domaine de spécialité, c’est-à-dire, principalement, les marchés du pétrole brut et les mesures prises par le Canada et à l’échelle mondiale pour lutter contre les changements climatiques.

Je vais résumer mon interprétation du projet de loi. Essentiellement, l’interdiction prévue empêcherait les pétroliers transportant toute combinaison de pétrole brut et de produits lourds raffinés, y compris les bruts synthétiques et tout produit plus lourd que le diesel ou le carburéacteur, en quantité supérieure à 12 500 tonnes métriques, de circuler le long de la côte de la Colombie-Britannique, dans un sens ou dans un autre, du nord de la pointe nord de l’île de Vancouver jusqu’en Alaska. Qui plus est, nous ne pourrons plus compter sur les ports en eau profonde de Kitimat, de Kitsault et de Prince Rupert pour ces activités.

Quelles seront les répercussions sur l’industrie du pétrole brut à l’échelle mondiale? La limite de 12 500 tonnes suffirait à torpiller tous les échanges économiques pour ces produits. Les bâtiments qui sont habituellement utilisés pour le transport du pétrole brut à l’étranger sont de 60 000 tonnes ou plus, et il existe des pétroliers encore plus grands, beaucoup plus grands, qui servent majoritairement au transport du pétrole brut. Il s’agit de pétroliers de 500 000 tonnes et plus.

Le point important est donc que ce projet de loi éliminerait ce genre d’activités commerciales. Cependant, il permet aux produits existants d’être livrés aux collectivités et aux industries situées dans la région visée par l’interdiction.

J’ai dit plus tôt que l’interdiction des pétroliers ne touche pas les importations ou les exportations d’essence, de diesel ou de carburéacteur, pas plus que le gaz naturel liquéfié. Je crois qu’il faut mettre en relief le fait que cela ne fait pas partie du projet de loi, même si vous avez discuté, avec le dernier groupe de témoins, du gaz naturel liquéfié.

Cela est particulièrement important pour la collectivité de Kitimat, parce qu’on y trouve au moins une ou deux — dépendamment de votre méthode de classification — usines de gaz naturel liquéfié actuellement en construction.

En ce qui concerne l’Alberta, nos produits comme le bitume dilué, les produits synthétiques issus des sables bitumineux, y compris les produits valorisés ou partiellement valorisés, seraient touchés par l’interdiction, tout comme — et c’est un point important — les condensats ou le gaz naturel liquéfié et les liquides hydrocarbonés que nous utilisons pour diluer les produits des sables bitumineux avant le transport.

Pour revenir au projet de loi, d’un côté, son objet est énoncé plutôt simplement, il est un peu difficile, concrètement, d’en voir la logique.

Le ministre Garneau, quand il l’a présenté, a dit que le projet de loi avait été conçu pour protéger la forêt pluviale Great Bear, une forêt pluviale tempérée qui s’étend sur 400 kilomètres le long de la côte Nord de la Colombie-Britannique et pour officialiser l’engagement du gouvernement à imposer un moratoire sur les pétroliers sur la côte nord de la Colombie-Britannique.

Bien sûr, le projet de loi n’officialise pas complètement ce moratoire, puisqu’il n’empêche pas le passage des pétroliers dans ces zones. Il n’empêche que leur mouillage. Cependant, comme le ministre l’a dit, nous ne voulons pas permettre à un trafic massif de pétroliers de passer par ces zones pour se rendre dans les ports canadiens. C’est ce que va faire le projet de loi.

Le premier ministre et le ministre responsable ont tous les deux dit que la région de la forêt Great Bear n’est pas un endroit où un oléoduc devrait passer, et je pense que c’est ce que le projet de loi va mettre en place. Il n’y a aucune chance qu’un oléoduc soit construit pour ce marché avec ce projet de loi en place.

Nous avons ce projet de loi, et nous savons ce qu’il va faire. Nous devons garder à l’esprit ce qu’il coûte et ce qu’il nous permet de laisser de côté.

Prince Rupert et Kitimat ont tous les deux reçu beaucoup d’attention dernièrement concernant le commerce pétrolier — particulièrement Kitimat —, en raison du projet d’oléoduc double Northern Gateway qui avait été proposé entre Edmonton et Kitimat. Les deux aspects de cet oléoduc, l’importation de diluants et l’exportation de bitume dilué, seraient impossibles en vertu de cette interdiction.

Trans Mountain a été exclu de la discussion, mais les plans initialement prévus pour l’agrandissement du réseau Trans Mountain ont également motivé Prince Rupert à permettre l’exportation à partir de ce port. Ce plan a été rejeté pendant le processus d’audiences de l’Office national de l’énergie, l’ONE.

Enfin, le CN possède un grand potentiel de service à Prince Rupert. Ses représentants ont dit qu’il serait possible d’y acheminer une quantité de bitume équivalente à ce qui est transporté par l’oléoduc Northern Gateway afin de l’exporter, et il est important de garder ce point à l’esprit.

Tous ces points, même s’il n’y a pas d’oléoduc proposé à l’heure actuelle, offrent une importante valeur d’option.

À ce sujet, je crois que le discours a changé par rapport aux sables bitumineux. Dans certains cas, nous parlons toujours des sables bitumineux comme si nous étions encore en 2012, en 2013 ou en 2014, quand nous avions besoin d’oléoducs qui allaient dans toutes les directions.

À l’heure actuelle, on arrive à répondre à la demande pour les sables bitumineux et la production de pétrole brut de l’Ouest canadien, et cela va continuer dans la mesure où nous obtenons les oléoducs proposés, l’expansion du réseau Trans Mountain, la canalisation 3 d’Enbridge et d’autres améliorations sur le réseau et l’oléoduc Keystone XL.

Le revers de la médaille — les économistes doivent toujours voir le revers de la médaille —, c’est que ces oléoducs sont encore incertains et qu’il y a une valeur d’option importante que nous devons garder à l’esprit pour une route vers l’Asie à faible coût qui passerait par la côte du nord-ouest de la Colombie-Britannique. Si nous devions avoir besoin de cette option, le fait de faire passer cet oléoduc par Vancouver est potentiellement sous-optimal dans ce contexte.

J’aimerais dire un autre petit mot par rapport à cela. Le monde n’est plus ce qu’il était en ce qui concerne les sables bitumineux, et c’est très vrai. Le monde nage dans le pétrole léger et, bien que nous ayons une demande importante pour le pétrole brut lourd, selon les prévisions de croissance des sables bitumineux, il y aurait en 2035 environ un million de barils ou plus par jour de moins que ce qu’il y avait en 2014.

Nous avons essentiellement vu ces prévisions baisser de façon considérable avec la chute des cours du pétrole dans le monde et la hausse de l’incertitude.

Vous entendrez beaucoup de choses à ce comité — vous l’avez entendu lors de la dernière séance — sur les prévisions qui affirment que la demande mondiale de pétrole va continuer à croître. C’est vrai, mais ces prévisions, lorsqu’elles parlent de croissance, sont conditionnelles à un monde qui ne prend pas de mesures face aux changements climatiques.

Lorsque nous tenons compte des mesures prises pour faire face aux changements climatiques, ces prévisions changent. Si vous demandez aux grandes sociétés pétrolières et aux organismes d’évaluation du secteur énergétique internationaux ou américains, ils sont unanimes sur le fait que, tant et aussi longtemps que le monde entier prend des mesures — même modérées — pour freiner les changements climatiques, la demande mondiale de pétrole atteindra un point culminant d’ici une ou deux décennies, et même plus tôt selon les prévisions les plus ambitieuses. Voilà ce qui change la valeur de cette option.

Je vais maintenant vous signaler quelques points.

On parle beaucoup de pétrole ici, mais il ne faut pas oublier que les nouvelles raffineries pourraient également être touchées. L’un des produits faisant l’objet d’une interdiction est le gazole sous vide qui provient d’une raffinerie, or la nouvelle raffinerie North West en Alberta produit environ 18 barils de gazole sous vide pour 100 barils de bitume utilisés, ce qui serait interdit par cette mesure.

Deux raffineries ont été proposées sur la côte Ouest : Pacific Future et Kitimat Clean. Elles possèdent toutes deux des installations qui leur permettraient de traiter ce gazole sous vide de façon à ne pas être directement touchées par cette interdiction, telle qu’elle a été élaborée et proposée. Si les promoteurs décident de construire une raffinerie moins complexe ou si quelqu’un d’autre souhaite mettre en place un traitement moins complexe, le projet serait alors visé par l’interdiction et il faudrait acheminer les produits par train à travers les montagnes jusqu’en Alberta et jusqu’au centre du pays, ce qui n’est pas très logique.

Un problème que j’ai souligné concernant le projet de loi, c’est son manque d’uniformité et le fait qu’il crée une nouvelle catégorie de zone de protection marine. J’ai eu la chance de visiter la forêt pluviale Great Bear. C’était une expérience fascinante que j’ai beaucoup appréciée. C’est un paysage magnifique, et je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas du tout du seul paysage de la sorte au Canada.

Un témoin dans le groupe précédent a parlé du fait que des pétroliers sur la côte Est, dans le fleuve Saint-Laurent, sur le littoral de Fundy, par exemple, et plusieurs autres se trouvaient dans des endroits intacts, des parcs nationaux, et cetera.

Pour faire en sorte que cela ne soit pas perçu comme étant un moratoire qui ne vise que les sables bitumineux, il aurait été plus avantageux de voir cette catégorie de zone protégée être officialisée et uniformisée en précisant — à l’exception des discours du premier ministre — ce qui fait en sorte que cette zone mérite d’être protégée par rapport aux autres qui ne le sont pas.

Je vous remercie de m’avoir invité. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Joule Bergerson, professeure agrégée et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en évaluation des technologies énergétiques, Université de Calgary, à titre personnel : Merci de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui.

Je m’appelle Joule Bergerson, et je suis professeure agrégée en génie chimique et pétrolier et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en évaluation des technologies énergétiques de niveau 2 à l’Université de Calgary.

Ma recherche porte principalement sur l’élaboration et le déploiement d’outils d’analyse de systèmes pour étudier le cycle de vie ou les émissions de gaz à effet de serre de la chaîne d’approvisionnement associées à différentes technologies énergétiques. Par conséquent, j’aimerais expliquer le contexte lié aux émissions de gaz à effet de serre du pétrole brut, ce qui inclut le transport par oléoduc et par pétrolier, en ce qui a trait au projet de loi C-48.

Je vous ai remis de la documentation à l’appui afin d’illustrer les quatre points que je vais aborder aujourd’hui.

Le graphique 1 montre un schéma du cycle de vie ou, si vous voulez, du rendement global de la chaîne d’approvisionnement du pétrole brut. Pour comprendre les répercussions de différentes décisions, comme le projet de loi C-48 sur les émissions de gaz à effet de serre, j’estime que le cycle de vie complet doit être examiné.

Cela vous donne un aperçu général en vous montrant la chaîne d’approvisionnement au complet : de l’extraction des ressources, leur transformation, leur transport et l’utilisation du produit final à sa sortie de la raffinerie.

Le graphique 2 vous montre le cycle de vie des émissions de gaz à effet de serre de 30 types de pétrole brut dans le monde. Chaque barre représente le cycle de vie des émissions de gaz à effet de serre d’un de ces types de pétrole brut, mesurées en équivalent en kilogrammes de CO2 par baril de pétrole brut. Chaque couleur ou teinte que vous voyez représente une étape distincte du cycle de vie.

Il y a six types de pétrole brut qui sont canadiens et 24 autres types qui sont produits et utilisés mondialement. Cela nous amène aux conclusions suivantes : tout d’abord, le pétrole brut n’est pas un produit homogène. La différence en termes d’émissions de gaz à effet de serre est due aux différents types de ressource, aux différentes techniques d’extraction et aux différents types de raffineries qui transforment ce pétrole brut en différents produits, lesquels incluent les carburants de transport, les mazouts et les sous-produits comme le soufre et le coke.

Il est important de souligner ici qu’il existe toute une gamme de types de pétrole brut qui sont produits dans le monde, et le pétrole brut canadien produit des émissions de gaz à effet de serre qui se situent dans cette gamme.

Mon deuxième point, c’est que même si les produits dérivés des sables bitumineux se situent en général dans la partie la plus élevée de cette gamme, vous pouvez constater que les émissions dépendent du type d’exploitation. De plus, chacun de ces types d’exploitation varie de façon importante d’un projet à l’autre, et même au sein de la durée de vie d’un même projet.

De nouvelles technologies sont mises au point et sont déployées afin de réduire les émissions relatives à l’extraction de ressources de sorte que les projets d’extraction de sables bitumineux ayant le plus haut rendement sont meilleurs, du point de vue des émissions de gaz à effet de serre, que le pétrole classique. Les projets ayant le rendement le moins élevé peuvent se situer 30 p. 100 sous la moyenne américaine en matière d’intensité carbone du cycle de vie de l’essence.

Par conséquent, le fait d’associer le même taux d’émissions de gaz à effet de serre à l’ensemble de l’industrie du pétrole peut mener à des conséquences imprévues.

Mon troisième point porte sur le fait que les émissions liées au transport ne sont qu’une petite partie du cycle de vie des émissions de gaz à effet de serre. Les variations quant à la destination du pétrole brut, l’endroit et la manière dont il est transporté ne jouent pas un grand rôle dans le cycle de vie des émissions de gaz à effet de serre.

Vous pouvez le voir dans le graphique 2 dans les petites barres orange — il s’agit de la barre la plus claire — et c’est la plus petite barre que vous pouvez voir dans ce graphique à barres empilées. C’est certainement différent pour les autres impacts environnementaux, mais du point de vue des émissions de gaz à effet de serre, les émissions liées au transport sont relativement faibles.

À cet égard, dans le graphique 2, nous voyons ces 30 différents types de pétrole brut. Chaque barre représente un type de pétrole brut, et les émissions sont subdivisées selon l’étape du cycle de vie.

Le transport n’est souvent qu’un petit pourcentage des émissions totales du cycle de vie lorsque le pétrole brut est transporté par train, par pipeline ou par pétrolier. Par conséquent, le fait de changer l’emplacement d’un port d’expédition, d’augmenter la distance que doit parcourir le produit lorsqu’il est acheminé par oléoduc, et cetera, n’aura pas de répercussions importantes sur le climat. Il y aura certains changements dans les émissions de gaz à effet de serre en général, mais ces changements seront relativement moindres du point de vue du cycle de vie.

La plus grosse incidence potentielle de ce projet de loi sera les impacts généraux sur le climat en raison de l’influence qu’il pourrait avoir sur l’accès ou non des produits canadiens aux marchés mondiaux. L’impact de cette influence est incertain, mais pourrait avoir comme effet la hausse ou la baisse des émissions mondiales en fonction du comportement du marché international.

Mon quatrième point porte encore sur le fait que le pétrole brut n’est pas un produit homogène. Par conséquent, vous ne pouvez pas remplacer le pétrole brut léger par le pétrole brut lourd.

Le graphique 3 montre un exemple d’un ensemble de types de raffineries et de leurs unités de traitement connexes qui exercent des activités partout dans le monde. Les unités de traitement en bleu sont celles qui se trouvent dans le haut du graphique et elles incluent les unités de traitement qui utilisent le procédé de distillation-reformage ou les raffineries de traitement léger qui traiteraient généralement du pétrole brut léger, donc un pétrole léger d’Arabie saoudite ou du pétrole de réservoir étanche de Bakken ou de la région de Montney.

Si les unités de traitement en vert — celles qui se trouvent au centre du graphique — sont incluses dans la raffinerie, elles peuvent alors traiter des matières de base plus lourdes, et, si les unités de traitement en noir, lesquelles se situent dans le bas du graphique, sont incluses, alors le pétrole brut peut y être traité. Non seulement le pétrole brut peut être traité dans ces unités de traitement, mais il doit être traité afin d’atteindre le niveau d’exploitation prévu auquel les marges bénéficiaires sont étroitement liées.

Un exemple, à titre de contexte, c’est la Chine, qui est le deuxième raffineur de pétrole brut en importance au monde. Au total, 75 p. 100 des raffineries chinoises sont des raffineries de conversion profonde, ce qui veut dire qu’elles peuvent convertir du pétrole brut lourd en des carburants de transport; il y a une tendance à construire des raffineries de conversion profonde en Asie, en Amérique latine et dans d’autres régions qui connaissent une croissance et où il y a une grande demande pour des projets de pétrole léger.

Une fois bâties, ces raffineries obtiendront au moins une fraction de leurs intrants de brut de pétrole brut moyen et lourd.

Compte tenu du marché mondial dynamique pour le pétrole brut, la façon de satisfaire à la demande dictera la manière dont la mise en œuvre du projet de loi C-48 aura un effet sur les émissions de gaz à effet de serre mondiales. Il n’est pas certain que le projet de loi entraînera une réduction nette des émissions mondiales de gaz à effet de serre en réduisant la possibilité pour le pétrole brut canadien d’accéder aux marchés mondiaux.

Je vous propose de tenir compte de cela dans vos délibérations. Si l’objectif est de réduire les incidences sur le climat, alors une approche plus explicite et plus exhaustive pourrait donner des résultats plus certains et plus bénéfiques. Merci beaucoup.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais poser une question dans ma langue parce que, pour la première fois, nous avons un témoin qui parle français.

[Français]

Monsieur Leach, merci beaucoup de votre présentation. Je veux vous entendre sur deux points en particulier. Depuis le début de nos audiences, on a entendu à plusieurs reprises et de différentes façons que la baisse du prix du pétrole et la baisse des investissements dans le pétrole en Alberta sont complètement liées au fait que les débouchés vers le Pacifique diminuent. J’aimerais vous entendre sur cette relation de cause à effet parce qu’il me semble que, d’après mes lectures, l’augmentation de la production américaine de pétrole de schiste a aussi quelque chose à voir dans ce qui se passe et cela n’a rien à voir avec les débouchés. Cela dit, sur la question des débouchés, je veux vous entendre encore une fois sur cette question de « capacité ». Je crois comprendre de votre réponse que le pipeline Trans Mountain — si le projet d’agrandissement se réalise, comme on l’espère — serait suffisant pour satisfaire à la demande et que, dans le fond, on n’a pas besoin de pipeline dans le Nord. Je veux vous entendre sur ces deux points, s’il vous plaît.

M. Leach : Merci. Je vais essayer de vous répondre en français également. Je manque un peu de pratique. Je suis en Alberta depuis trop longtemps. Du point de vue des impacts sur le prix du pétrole, on voit, en effet, deux situations. En Alberta, en premier lieu, on fait face aujourd’hui à une contrainte de capacité, ce qui affecte le prix que les producteurs albertains peuvent obtenir pour leur pétrole. Le manque de capacité des pipelines a des effets économiques importants en Alberta. Tout ceci a lieu en même temps que l’on assiste dans l’ensemble à une grosse diminution des prix du pétrole et — ce qui est important pour l’industrie albertaine — à une baisse, dans les prévisions à long terme, des prix du pétrole brut d’ici les années 2030, 2040 et 2050. Il y a également une diminution globale des investissements dans le pétrole en tant que tel, et en particulier dans les types d’investissement pétrolier à long terme en Alberta. Les investissements aux États-Unis, qui sont depuis... En effet, on récupère la majorité du pétrole durant les deux premières années de production. On a vu l’investissement produire des résultats plus rapidement que dans les investissements à long terme. Alors oui, en Alberta, on espère aujourd’hui que la crise de la capacité pipelinière peut être résolue par —

[Traduction]

Je poursuis.

On espère que le problème peut être réglé à court terme par Trans Mountain, KXL, la canalisation 3 ou une combinaison de deux ou trois de ces pipelines.

Selon toutes les prévisions établies dans l’industrie jusqu’à maintenant, celles de l’Office national de l’énergie, et cetera, nous serions dans une bonne posture jusqu’en 2030 avec deux de ces pipelines. Avec les trois, nous serions dans une très bonne position.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je veux être absolument claire. Cela signifie que ce que nous produisons à l’heure actuelle, avec un pipeline prolongé, Trans Mountain, serait suffisant?

M. Leach : C’est exact.

La sénatrice Miville-Dechêne : Pourquoi entendons-nous si souvent que l’avenir dépend de ce qui va se produire dans le Nord de la Colombie-Britannique?

M. Leach : C’est en partie parce que l’économie albertaine des 15 dernières années ne reposait pas seulement sur la production de pétrole, mais également sur la construction de sites d’exploitation des sables bitumineux.

L’Alberta était un moteur économique principalement grâce à la construction de nouvelles installations d’exploitation des sables bitumineux. C’est ce qui a favorisé la réalisation d’investissements étrangers directs et créé tous les emplois près d’Edmonton et de Leduc et dans les camps du Nord.

Il s’agissait en partie d’investissements de maintien opérationnel, mais le reste était des capitaux pour de nouveaux projets, et c’est ce qui sera absent si on ne garantit pas l’accès au marché. La deuxième chose que j’ai dite, c’était qu’il est logique de miser pendant 35 ou 50 ans sur le pétrole ou sur une usine d’exploitation des sables bitumineux.

À l’échelle mondiale, nous avons constaté une forte baisse au chapitre des projets à très long terme. Le projet de loi ne change pas beaucoup notre accès au marché tant et aussi longtemps que les autres pipelines sont en place. Ces derniers permettraient encore une augmentation de l’exploitation des sables bitumineux.

Si on décidait de ne plus construire les autres pipelines, on se retrouverait alors dans une situation où un autre projet de pipeline deviendrait de nouveau une option intéressante.

Le sénateur Tannas : À cet égard, ce que vous ne mentionnez pas, c’est l’écart entre le prix des divers types de pétrole, n’est-ce pas? Tous les pipelines que vous avez mentionnés, KXL et la canalisation 3, se rendent aux États-Unis, et c’est là où se pose notre problème, non?

M. Leach : Oui et non. Il y aura toujours un écart entre les prix pour des raisons de qualité. Nous vendons du pétrole corrosif lourd.

Le WCS ne se vend pas aujourd’hui au rabais sur la côte américaine du golfe du Mexique. Alors, si on avait accès à un pipeline, quel serait le prix à long terme? Il s’agirait essentiellement d’un droit de transport sur le prix net du pétrole lourd transporté vers le golfe du Mexique.

Avec KXL en place, le prix net serait probablement de 8 ou de 9 $, et c’était environ l’écart de 2010 à 2014.

Si l’on envisage d’aller sur la côte Ouest, cela renforcerait-il l’économie actuelle? Absolument. Cela n’augmenterait pas le prix de tous les barils. La situation s’améliorerait uniquement pour les pétroles transportés vers l’Ouest, et les barils de pétrole marginal changeraient un peu.

Le plus important, c’est de ne pas se retrouver dans une situation où on doit transporter le pétrole par train ou par camion, particulièrement en raison de ce qui s’est produit plus tôt cette année en Alberta. De petits producteurs se sont retrouvés coincés avec du pétrole qu’ils ne pouvaient pas entreposer; ils n’étaient pas en mesure de le transporter. De grands producteurs canadiens ou américains leur ont offert de l’acheter à un prix dérisoire, ce qu’ils n’ont pas pu refuser.

Voilà la situation qu’il faut éviter avec une capacité accrue de pipelines, peu importe l’endroit. Si on veut augmenter la capacité des pipelines maintenant, il faut que ce soit sur la côte Ouest parce que c’est là où se trouve la valeur la plus élevée. Il s’agit de différences de 1 ou de 2 $ sur le prix du baril, non pas de 20 $ comme nous l’avons vu avec les contraintes.

Le sénateur Tannas : J’ai une question qui s’adresse à vous deux. Je crois que vous possédez peut-être l’expertise à cet égard, ou du moins vous connaissez probablement assez le sujet pour y avoir réfléchi.

Quels seraient les coûts ou dans quelle mesure serait-il possible de remplacer la production à Fort McMurray, qui émet des gaz à effet de serre, par l’énergie nucléaire? Avez-vous déjà envisagé un tel remplacement, ce qui permettrait à la production de n’émettre aucune émission?

Ensuite, il y a l’exportation de produits raffinés. J’ai posé cette question à un certain nombre de personnes. Pourquoi ne pouvons-nous pas exporter des produits raffinés? Pourquoi faut-il que ce soit toujours du pétrole brut?

Avez-vous déjà entendu des arguments qui remettent cela en question ou y avez-vous réfléchi, comme l’a fait notre ami journaliste sur l’île de Vancouver avec Clean Kitimat?

Mme Bergerson : On a discuté et envisagé d’utiliser l’énergie nucléaire dans l’exploitation des sables bitumineux depuis le début. Il a été question d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins différentes, mais, il y a environ 10 ans, on a proposé la mise en place de petits réacteurs nucléaires modulaires pour produire de la vapeur et de l’électricité sous forme modulaire, lesquels pourraient être transportés vers les sites qui en ont besoin.

À ce moment-là, il s’agissait encore de technologies relativement nouvelles, et leurs coûts étaient incertains. Le processus réglementaire auquel elles devaient être assujetties était également remis en question à l’époque et, compte tenu de la grande prudence dont les responsables de ces importants investissements de capitaux ont fait preuve, cela n’est pas allé de l’avant.

Je sais qu’on a poursuivi les discussions depuis, car on continue de concevoir de petits réacteurs nucléaires modulaires, mais, à ma connaissance, on n’a pas fait de progrès important à ce chapitre.

L’énergie nucléaire peut réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme nombre d’autres technologies qui sont étudiées à l’heure actuelle. Pour ce qui est de l’extraction, on ne pourrait pas réussir à n’émettre aucune émission parce qu’un éventail de services énergétiques sont nécessaires.

On pourrait avoir la majeure partie de l’énergie nucléaire, mais il y aurait encore des émissions; toutefois, il pourrait s’agir d’une baisse importante. Le coût et les risques liés à la mise en place du système réglementaire seraient les deux grands obstacles, à mon avis.

M. Leach : J’ajouterais d’abord à la réponse de Mme Bergerson que, à l’heure actuelle, il n’est pas très rentable pour l’industrie des sables bitumineux de n’émettre aucune émission. L’aspect financier est un obstacle important.

Seriez-vous prêt à réaliser d’importants investissements et à prendre tous les risques pour acquérir une valeur incertaine? À moins que le prix sur le carbone soit très élevé, on n’accorde pas beaucoup de valeur à des sables bitumineux qui n’émettent aucune émission. Ce serait donc une partie de la réponse.

Je reviens à la question des produits raffinés. Pensez à la situation il y a trois ou quatre ans en Alberta. Nous parlions de contraintes liées à la main-d’œuvre, du gonflement des coûts et de l’incapacité à embaucher des gens.

Si on envisageait de produire plus de produits raffinés, on se livrerait une concurrence pour les mêmes travailleurs et on construirait ce qui serait sans doute la raffinerie la plus coûteuse au monde — nous venons de faire cela à une petite échelle — afin d’essayer d’être concurrentiel sur le marché mondial des produits raffinés.

L’Amérique du Nord est maintenant un exportateur net de produits raffinés. Si on essaie de construire ici quelque chose qui pourrait essentiellement être bâti n’importe où ailleurs dans le monde et si on veut être concurrentiel sur le marché mondial par rapport à...

Comme je crois que vous l’avez souligné à la dernière séance, compte tenu de l’importance des réserves de sable bitumineux, si on veut réaliser des investissements au pays, il est toujours préférable de procéder seulement à l’extraction ici, car on peut faire le raffinage n’importe où. Alors on mobilise ses capitaux et sa main-d’œuvre pour l’extraction, et non pas pour le raffinage.

La sénatrice Simons : Lorsque nous étions à Prince Rupert et à Terrace, nous avons entendu beaucoup de gens qui se posaient les questions suivantes : « Pourquoi l’Alberta doit-elle exporter du pétrole? Pourquoi n’exporte-t-elle pas des produits raffinés? » Je me demandais si vous pouviez tous deux parler plus en détail des préoccupations liées à l’économie et à la sécurité environnementale pour ce qui est de raffiner le pétrole ici, de le transporter par pipeline et de le livrer à l’acheteur.

Mme Bergerson : Le système actuel fait en sorte que nous construisons les raffineries près de la demande afin que nous puissions procéder à l’étape finale de la préparation à cet endroit. Compte tenu de la population de l’Alberta et de la quantité d’énergie produite, nous avons la bonne capacité de raffinage pour répondre à la demande locale de la région.

Nous avons construit notre infrastructure pour que nos pipelines puissent transporter du pétrole brut plutôt que du pétrole raffiné. Les coûts liés au changement de produit découleraient de l’infrastructure qu’il faudrait alors construire ou convertir en vue de transporter ces autres produits.

L’autre difficulté, c’est que nous avons nombre de produits qui viennent de la raffinerie et, par conséquent, il faudrait s’occuper de chacun d’eux de manière individuelle.

Quant au dernier point, si on transporte les produits par camion ou tout autre moyen autre que par pipeline, on rate les économies d’échelle générées par les pipelines, qui sont une façon très efficace de transporter l’énergie.

La sénatrice Simons : Monsieur Leach, vous avez parlé de l’usine de valorisation Nord-Est, ce dont vous et moi avons beaucoup parlé par le passé. Quels sont les obstacles économiques qui nous empêchent de faire du raffinage et ceux liés à la sécurité technique?

M. Leach : Ce qu’on a appelé ironiquement l’usine de valorisation du Nord-Ouest, qui se trouve au nord-est d’Edmonton? Oui, voici deux ou trois points.

D’abord, nous avons un précédent pour ce qui est de servir d’autres marchés au moyen de raffineries et de pipelines. La côte du golfe du Mexique alimente donc le nord-est des États-Unis avec deux pipelines qu’on a malheureusement nommés « Colonial » et « Plantation », qui transportent du pétrole raffiné jusqu’à la côte Est.

Nous faisons déjà cela, mais nombre d’infrastructures sont nécessaires à la construction de ce réseau. Pour ce qui est précisément des produits raffinés, il s’agit de formulations très précises pour des marchés donnés, c’est donc un produit beaucoup plus spécialisé que le pétrole brut.

Quant à savoir pourquoi l’Alberta ne participe pas à ce marché, je pense que c’est principalement pour des raisons financières.

Par le passé, nous construisions des usines de traitement non pas parce qu’elles avaient une « valeur ajoutée », mais parce que nous en avions besoin pour respecter les spécifications des pipelines. Nous ne disposions d’aucun moyen de retirer assez d’eau et de sable du bitume pour le transporter par pipeline et en faire un produit commercialisable pour une raffinerie.

Pour résumer, la plus grande valeur ajoutée ne résidera pas dans le produit fini. Ce sera dans l’extraction du produit et le traitement préliminaire.

Essentiellement, l’usine de traitement du nord-ouest est un exemple d’un gouvernement qui a favorisé un projet pour des raisons politiques et engagé des dépenses. Une personne du dernier groupe de témoins a parlé de Jamnagar, une grande raffinerie située en Inde, dont les coûts avoisinaient, je crois, 25 000 $ par baril par jour de capacité.

Il ne faut pas s’inquiéter de cette raffinerie. Sachez que, dans le cas de l’usine de traitement du nord-ouest construite en Alberta, c’est environ 125 000 $ par baril par jour de capacité.

Cela signifie qu’il faut récupérer beaucoup plus d’argent ou obtenir un bien meilleur rendement du capital pour chaque baril qu’on produit afin que ce soit rentable.

C’est un exemple extrême. Cette raffinerie a éprouvé beaucoup de problèmes, mais même les autres grandes installations qui ont été proposées auraient eu les mêmes coûts en capitaux, peut-être même le double de ceux de la raffinerie en Inde. Alors, lorsqu’on construit une installation, on doit probablement obtenir 3 ou 4 $ supplémentaires le baril pour les produits raffinés.

Quel est le marché? À l’heure actuelle, c’est l’Asie, l’Inde, ou peu importe. Il faut trouver une façon de vendre une plus grande quantité de produits raffinés que ce que les pays asiatiques peuvent produire eux-mêmes; c’est un marché difficile, particulièrement parce qu’il faut expédier le produit là-bas.

Le président : On ne trouve du pétrole brut qu’à certains endroits, mais on peut construire une raffinerie n’importe où, alors c’est l’argument économique pour nous. Pourquoi construirions-nous des raffineries alors que les autres pays ont les leurs et peuvent eux-mêmes fournir la demande, n’est-ce pas?

M. Leach : Il faut entrer directement en concurrence avec l’industrie de l’extraction.

Le président : Exactement.

Le sénateur MacDonald : J’aimerais mentionner deux ou trois choses. M. le sénateur Tannas a mentionné les pipelines qui existent à l’heure actuelle et la possibilité de gérer toute la capacité. Il a également parlé du fait qu’ils ne vont pas dans les marchés d’exportation pour le prix du brent. Vous avez affirmé que, parfois, l’écart est relativement faible, mais ce n’est pas toujours le cas. À l’occasion, il est important et peut aller jusqu’à 30, 40 ou 50 $ le baril.

L’autre aspect, c’est la possibilité d’empêcher que 283 millions de tonnes de pétrole brut se retrouvent dans les eaux de l’Est du Canada en transportant du pétrole vers l’est.

La baie de Fundy est une zone écologique très délicate; elle compte d’importantes industries de mollusques et de crustacés et de homard, et les baleines noires, qui sont en voie de disparition, y mettent bas. Les rorquals à bosse se nourrissent à cet endroit pendant quatre mois. On a pris toutes sortes de dispositions pour protéger ces espèces.

Vous avez mentionné plus tôt Point Tupper. Le plus grand parc de stockage de la côte Est du Canada, en fait le plus grand au pays, se trouve à Point Tupper, et c’est là où se trouvait la raffinerie Gulf.

Il y avait deux raffineries en Nouvelle-Écosse, une à Dartmouth et l’autre à Point Tupper. La raison pour laquelle la Nouvelle-Écosse les a perdues, c’est qu’elles ont été construites lorsque le pétrole se vendait 99 ¢ le baril et que leur capacité était faible. Lorsque le prix a atteint 40 ou 49 $ le baril, elles ont dû fermer leurs portes.

La raison pour laquelle la Nouvelle-Écosse n’a pas de capacité, c’est qu’elle n’a pas accès au pétrole. Le seul pétrole auquel elle avait accès, c’était le pétrole mondial. Elle n’avait pas accès au pétrole du pays.

Ce que nous devrions également examiner quant à la gestion de cette question générale, c’est l’absence d’une stratégie nationale sur l’énergie.

Pour acheminer du pétrole vers l’Est à un endroit comme Point Tupper, il faut une friche industrielle qui a été approuvée sur le plan environnemental pour qu’on y construise une raffinerie. Une chose pique ma curiosité... Vous avez parlé d’acheminer le pétrole vers le marché et le raffiner par la suite ainsi que des coûts de transport du pétrole lourd par rapport au pétrole raffiné.

Un endroit comme Point Tupper, qui serait assuré d’avoir du pétrole lourd pendant 100 ans, ne serait-il pas un lieu propice pour construire une raffinerie de pointe qui pourrait exporter des produits raffinés?

M. Leach : Votre question comporte deux ou trois éléments. Il serait moins coûteux de construire une toute nouvelle raffinerie propre de pétrole lourd en Nouvelle-Écosse que dans le Nord de l’Alberta parce qu’on pourrait y aménager tous les modules de stockage.

Bien sûr, ce serait un projet beaucoup moins populaire auprès des travailleurs de la Nouvelle-Écosse parce qu’ils devraient y transporter tous les modules.

Le sénateur MacDonald : Non, je crois que ce projet serait plus populaire que vous le pensez.

M. Leach : Cela se fait actuellement dans l’industrie énergétique mondiale, et il s’agit d’un accord convenable entre la main-d’œuvre et le fabricant.

Pourtant, comme vous l’avez souligné, on se trouve dans un marché de pétrole brut de premier choix. Si on décide de construire une raffinerie, où la bâtit-on? On préférera un endroit où il est facile d’avoir accès à du pétrole brut à bon marché et où on peut vendre des produits raffinés de premier choix; comme vous l’avez dit, on ne parle donc pas du marché du Brent du nord-est en ce moment.

Pour l’heure, le continent nord-américain est un exportateur net de produits raffinés, alors nous essayons de vendre nos produits raffinés de façon à ce qu’ils soient vendus au rabais comparativement à d’autres marchés.

Nombre de facteurs économiques qui ont contribué à la fermeture de la raffinerie de Dartmouth seraient les mêmes pour une raffinerie propre, et on ferait un pari à long terme avec de nouveaux actifs. Je crois donc qu’il s’agit d’un problème.

Si on construit un pipeline à cette fin, je crois qu’il est important de penser à ce que cela veut dire. Si on parle de pipeline, quelqu’un doit payer le coût du transport. Par conséquent, soit la raffinerie sur la côte du golfe doit être disposée à payer une prime importante sur le brent pour un pipeline qui va vers l’Ouest — 6 ou 7 $ de plus que le prix du Brent — pour compenser les producteurs de l’Alberta, soit les producteurs de l’Alberta doivent être prêts à accepter peut-être 6 ou 7 $ de moins par baril seulement pour avoir le privilège d’envoyer leur produit vers l’Est. Nous savons quelle a été la popularité de ces types de politiques par le passé en Alberta.

Le sénateur MacDonald : Je suis certain que ce serait aussi populaire que si on le vendait dans le marché du Western Canada Select ou du WTI ou au rabais lorsque son prix est de 20, 30 ou 40 $ inférieur à celui du Brent.

M. Leach : Les seuls moments où le prix du WTI était considérablement plus bas que celui du brent, c’était lorsqu’on a dû régler le problème d’inversion du pipeline au milieu du continent.

Le Western Canada Select vend au rabais lorsque la capacité des pipelines qui vont vers les États-Unis est limitée. Si on règle ce problème, il n’y a plus de rabais.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Leach, j’aimerais vous entendre sur les changements climatiques.

Vous avez fait allusion au fait que la production et l’extraction sont un facteur qui réduirait l’extraction des sables bitumineux si nous tenons les promesses que nous avons faites concernant les changements climatiques. Corrigez-moi si je n’ai pas correctement repris vos propos.

J’aimerais savoir ce que vous constatez en tant qu’analyste. Le gouvernement nouvellement élu en Alberta a parlé du plafond d’émission et affirmé, essentiellement, qu’il éliminerait la taxe sur le carbone.

Que se passerait-il en Alberta pour ce qui est des changements climatiques et la production de pétrole? À quoi vous attendez-vous en ce qui concerne la réputation de l’Alberta de « producteur de sables bitumineux »? Comment l’industrie pétrolière et gazière peut-elle dire, du même souffle, qu’elle est responsable et qu’elle contribue aux efforts pour lutter contre les changements climatiques?

Je suis désolée, ma question n’est pas très claire, mais je crois que vous la comprenez.

M. Leach : Il y a beaucoup de matière à réflexion ici. Un des témoins du groupe précédent a dit que, pour lui, le plafond d’émission des sables bitumineux est un faux problème et, dans une large mesure, je suis d’accord avec lui.

Selon toutes les analyses que j’ai effectuées, on n’atteindra pas ce plafond même si on prend les prévisions de production pour les barils de sables bitumineux et les taux historiques d’amélioration qui ne sont pas très ambitieux sur le plan technologique.

Si on s’approche de ce plafond, nous pourrions faire nombre de choses qui réduiraient les émissions à un coût plus faible que celui de seulement renoncer à la production. Vous me suivez?

Alors même si les alarmistes disent que nous devons abandonner la production, dans un monde où nous atteignons ce plafond, il faudrait que l’industrie pétrolière mondiale connaisse des niveaux de production sans précédent... Les sables bitumineux ont une valeur beaucoup plus grande que ce que nous voyons aujourd’hui, et il y aurait beaucoup de choses qu’on pourrait faire pour éviter d’atteindre ce plafond. Alors je ne crois pas que le plafond soit un gros problème.

Ce qui est important pour le gouvernement de Jason Kenney... Ce qu’il a dit, c’est qu’il allait maintenir la tarification sur le carbone pour les sables bitumineux. Malheureusement, il a également affirmé qu’il allait passer d’un système où toutes les installations d’exploitation des sables bitumineux sont traitées de la même façon dans un régime de tarification fondé sur le rendement à un système qui, en réalité, donne plus de crédits d’émission gratuits à des installations d’exploitation des sables bitumineux qui produisent plus d’émissions.

Si vous y pensez, cela va à l’encontre de l’innovation. Si on met en œuvre certaines des technologies que Mme Bergerson et son groupe étudient à l’heure actuelle, on reçoit moins de crédits d’émission gratuits durant le cycle de vie d’un projet comme récompense pour avoir pris de bonnes mesures, ce qui semble être le monde à l’envers.

Si on améliore cet aspect politique — pendant l’étude du projet de loi, espérons-le —, le signal demeurera qu’il faut réduire les émissions des projets d’exploitation de sables bitumineux.

La sénatrice Busson : Merci à vous deux. Vos témoignages ont été très instructifs; j’ai 100 questions que j’aimerais vous poser, mais je vais essayer de m’en tenir à une ou deux.

Vous ne vous êtes pas beaucoup étendu sur la question, mais j’aimerais savoir s’il y a des données sur la réaction de l’Alberta relativement à l’incertitude qui plane sur les pipelines, notamment l’achat de wagons supplémentaires.

Avez-vous des observations, des données ou des études au sujet des incidences que cela aurait certainement sur l’écologie et l’économie? Comment ces aspects interagissent-ils avec ce dont nous discutons?

Mme Bergerson : Je vais commencer par parler des émissions de gaz à effet de serre.

Il y a essentiellement des chevauchements entre les émissions de gaz à effet de serre liées au transport par pipeline et celles liées au transport ferroviaire. On peut exploiter des pipelines et des réseaux ferroviaires de diverses façons pour obtenir de bons ou de mauvais résultats.

En général, les pipelines tendent à être le moyen de transport le plus efficace pour le pétrole brut et, par conséquent, ils émettent moins d’émissions. Comme je l’ai montré à la figure 2, le transport en soi contribue relativement peu aux effets généraux sur le cycle de vie de ces types de pétrole.

Il existe des différences. Je crois que les plus importantes concernent l’économie ainsi que la sécurité et d’autres facteurs. Dans la perspective des émissions de gaz à effet de serre, ce n’est pas bien différent.

Le président : J’allais vous poser une question, monsieur Leach. Vous avez parlé de la demande mondiale de pétrole.

Je me souviens d’avoir discuté avec un certain nombre de personnes lorsque le prix du baril de pétrole était bien supérieur à 100 $. J’ai toujours cru qu’il allait baisser. Je n’en étais pas convaincu au point de vendre à découvert, mais je pensais que c’est ce qui arriverait parce que je crois à la libre entreprise et au régime de marché.

Vous dites que la demande mondiale de pétrole dans 30 ans sera beaucoup plus faible. Cette prévision, à mon avis, se fonde sur la pensée magique. Elle ne repose certainement pas sur les données relatives aux prix mondiaux passés, lesquels fluctuent depuis les années 1970.

Qui sait ce que sera le prix du pétrole dans 35 ans, ou la demande de pétrole, bien honnêtement? Nous n’en avons aucune idée, n’est-ce pas?

M. Leach : De façon générale, nous ne le savons pas, mais nous pouvons faire des prévisions. Fait important, ce que j’ai dit, c’est que, si vous regardez le consensus parmi ceux qui misent à long terme sur le pétrole — l’industrie pétrolière et gazière, l’Energy Information Administration et l’Agence internationale de l’énergie —, vous faites fléchir la courbe à la fois à l’égard de la demande et des prix en prenant des mesures contre les changements climatiques.

Toutes choses étant égales par ailleurs, si vous voulez croire que l’effondrement de l’économie américaine s’achèvera demain, ou toute autre raison quelconque, et que le prix du pétrole va augmenter, d’accord. Toutefois, cela aurait moins de répercussions sur le prix dans un monde où nous agissons sur les changements climatiques.

L’autre chose que nous savons, c’est que nous avons beaucoup de réserves de pétrole brut aujourd’hui dont nous n’étions pas conscients il y a 10 ans, n’est-ce pas? Si, dans ma classe, en 2007 ou en 2008, j’avais parlé de 100 millions de barils par jour à 50 $ brut, les gens m’auraient dit que j’étais fou. J’aurais probablement dit à mes étudiants qu’ils étaient fous s’ils avaient fait cette estimation.

Nous n’avons pas beaucoup de certitude, mais ce que nous savons, c’est que, avec les prévisions actuelles, nous avons plus de pétrole brut, de meilleurs substituts, plus de gaz et de meilleures énergies renouvelables que ce que laissaient présager les prévisions il y a 10 ans.

Je pense que tout cela va à l’encontre de la thèse de l’investissement à long terme à l’égard des sables bitumineux, disons, d’une façon qui n’existait pas il y a 5 ou 10 ans.

Le président : Vous parlez à quelqu’un qui a survécu à Jimmy Carter, alors je vois tout cela avec beaucoup de méfiance. N’est-ce pas?

Le sénateur Tannas : Monsieur Leach, je voulais juste m’assurer d’avoir bien entendu, et ensuite vous poser une question.

Vous avez donc dit que, si nous obtenions le pipeline TMX, la canalisation 3 et le pipeline Keystone XL, cela couvrirait la production existante dans tout ce qui est construction. Est-il vrai que nous n’aurions pas besoin du projet Northern Gateway ou de quelque chose d’autre pour compléter l’approvisionnement que nous aurions, évidemment, à partir des sables bitumineux et de toute la production conventionnelle qui est prévue?

M. Leach : Cela va un peu plus loin que ce qui est en train de se bâtir, si on tient compte des prévisions de croissance de l’ACPP pour 2018 jusqu’en 2035, ou des prévisions de l’Office national de l’énergie jusqu’en 2040 à l’égard de l’exploitation du pétrole des sables bitumineux, on atteint en quelque sorte le sommet d’ici le milieu des années 2030.

Le sénateur Tannas : Très bien. Serait-il logique de lier cela au moratoire, si nous disions que ce moratoire entrerait en vigueur lorsque TMX, la canalisation 3 et KXL seront terminés?

M. Leach : Je pense que je reviens à ce que j’ai dit au début, c’est-à-dire que je préférerais que nous décidions pourquoi nous avons besoin d’un moratoire et dans quelles conditions nous en avons besoin en ce qui concerne le transport du pétrole brut dans certaines régions et que nous le fassions respecter. Autrement, cela devient tout simplement très étrange dans le contexte du projet de loi. Je dirais qu’il s’agit d’un paysage qu’il ne vaut la peine de protéger que sous certaines conditions liées à d’autres infrastructures.

Le sénateur Tannas : Cela suppose qu’il s’agit d’un projet de loi logique. Nous savons que ce n’est pas le cas. Nous le savons. Sinon, comme vous l’avez dit, nous nous concentrerions sur toutes sortes d’étendues sauvages sur l’ensemble de notre littoral, ce que nous ne faisons pas. Nous nous concentrons sur la seule région sauvage qui achemine le pétrole de l’Alberta vers un port.

M. Leach : Ce n’est pas nécessairement le cas, n’est-ce pas? Nous disposons d’encore beaucoup d’autres voies possibles pour y accéder. N’est-ce pas?

Même si vous examinez tous les projets de pipeline qui ont déjà été proposés, c’est un peu le genre de projet qui est touché par ce projet de loi.

Je ne dirais pas que cela écrase tout le marché de l’Alberta. Cela fait en sorte que l’on achemine probablement davantage le pétrole brut vers Vancouver ou vers le Sud, ou peut-être vers le bout du monde pour le sénateur MacDonald, mais telles seraient les répercussions.

Le sénateur Tannas : Vous préféreriez que nous retournions à la case départ et examinions absolument tout ce qui se passe dans toutes les régions du pays en ce qui concerne le transport du pétrole brut, pour entrer au pays ou en sortir, si nous voulons bien faire les choses. Est-ce bien ce que je comprends?

M. Leach : À mon avis, si vous voulez présenter un projet de loi sur les aires environnementales protégées, faites-en un qui soit uniforme pour tout le pays.

Il y a peut-être des particularités dans cette zone qui n’existent pas ailleurs, mais elles ne sont pas bien définies par ce processus. J’aimerais bien qu’on me dise quelles sont ces choses précises qui n’existent pas, par exemple, sur le littoral de la baie de Fundy. Nous avons vu Énergie Est perdre son potentiel « Port de Kikuma » en raison des aires de reproduction des bélugas. Il s’agit d’une zone dans laquelle nous utilisons des pétroliers pour l’importation, alors je pense que nous devons nous interroger sur ce que nous définissons ici.

La sénatrice Simons : Lorsque nous étions à Québec la semaine dernière pour notre étude sur le projet de loi C-69, comme le sénateur MacDonald s’en souviendra, nous avons eu des échanges avec des témoins, dont l’un a dit qu’elle préférerait que l’on importe du pétrole de l’Afrique du Nord, des pays comme l’Algérie ou le Nigeria, ou encore du Kazakhstan, plutôt que d’accepter du pétrole albertain au Québec, je me suis sentie irritée et fâchée, et très albertaine, à ce propos.

En regardant le tableau de Mme Bergerson, je pense que mon indignation a peut-être été exagérée, et je me demandais si nous pourrions terminer en disant ce qui suit : lorsque les environnementalistes nous disent qu’il est préférable de stocker du pétrole provenant d’autres endroits que d’utiliser des pipelines pour transporter notre pétrole vers l’Est, que pensez-vous de cet argument? Comment peut-on trouver un équilibre?

Mme Bergerson : Si vous regardez le graphique, vous verrez qu’il y a du pétrole brut nigérien en haut de la partie inférieure du spectre des gaz à effet de serre, donc il n’est pas clair que vous obtenez un pétrole brut à faible intensité de gaz à effet de serre en faisant cela.

Dans l’analyse que nous avons faite à ce sujet, nous avons obtenu de bien meilleures données pour le Canada, et nous sommes donc beaucoup plus confiants à cet égard. Il y a des incertitudes et des omissions potentielles associées aux données que nous avons utilisées de ces pays, ce qui reflète, je crois, une partie de l’incertitude associée à ces produits en général.

Enfin, je dirais simplement qu’il faut aussi tenir compte de considérations autres que les émissions de gaz à effet de serre, comme les considérations économiques de notre pays, mais également les autres répercussions environnementales, les répercussions sociales, ce genre de choses.

La sénatrice Simons : Il y a moins de décapitations ici.

Le président : N’est-il pas un peu dangereux de dépendre du Nigeria pour nous garder au chaud en hiver? Je ne sais pas d’où cela vient. De l’Algérie? Ce serait la même chose. Ce serait tout aussi mauvais.

Mme Bergerson : Nous ne pouvons pas le dire en ce moment. J’ai l’information dans mon analyse, et je dirais que nous avons certains des règlements les plus stricts au Canada en matière d’évacuation et de torchage, qui ne sont pas appliqués ailleurs. Lorsqu’on achemine à la raffinerie le pétrole brut léger produit par l’Algérie et d’autres pays africains, ses émissions sont faibles. En produisant cela, si vous évacuez le gaz naturel qui est produit avec le pétrole, vous pouvez vous retrouver tout en haut du spectre.

Le président : Sur ce, merci beaucoup aux témoins.

(La séance est levée.)

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