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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 10 mars 2020

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 15 h 30, pour étudier la teneur du projet de loi C-4, Loi portant mise en œuvre de l’Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis mexicains.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables collègues, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Je m’appelle Leo Housakos. Je suis un sénateur du Québec et je préside le comité.

[Français]

Bienvenue à tous.

[Traduction]

Le Sénat a demandé à notre comité de procéder à une étude préalable du projet de loi C-4, Loi portant mise en œuvre de l’Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis mexicains.

[Français]

C’est aujourd’hui le début de nos audiences sur le projet de loi de mise en œuvre de l’Accord Canada—États—Unis—Mexique. Avant de commencer, je demanderais aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma droite.

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, sénateur du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, Ontario.

Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, Ontario.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, vice-président du comité, de Montréal.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy. Je viens aussi de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Dean : Tony Dean, Ontario.

Le sénateur Boehm : Peter Boehm, Ontario.

Le sénateur Harder : Peter Harder, Ontario.

Le président : Pour notre première réunion, nous avons l’honneur d’accueillir M. Dan Ciuriak, directeur de Ciuriak Consulting; boursier en résidence à l’Institut C.D. Howe; et agrégé supérieur de recherche au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale.

Nous avons également parmi nous M. Colin Robertson, vice-président et chercheur de l’Institut canadien des affaires mondiales.

Et notre autre témoin comparaît par vidéoconférence, à Toronto. Il s’agit de M. Lawrence Herman, avocat au cabinet de Herman & Associates.

Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d’avoir accepté l’invitation. Notre premier groupe de témoins donnera le ton à cette formidable étude préalable que nous menons. Il n’y a pas de pression. Chaque témoin dispose de cinq minutes pour présenter son exposé. Par la suite, mes collègues vous poseront un certain nombre de questions. Est-ce que l’un d’entre vous aimerait commencer?

Dan Ciuriak, directeur, Ciuriak Consulting; boursier en résidence, Institut C.D. Howe; agrégé supérieur de recherche, Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, à titre personnel : Monsieur le président, honorables sénateurs, merci beaucoup. C’est un honneur et un plaisir pour moi de comparaître devant vous.

J’aimerais faire valoir brièvement trois points. Premièrement, je fournirai des données sur les répercussions quantitatives qu’aurait le nouvel accord. Deuxièmement, je parlerai de ce que l’accord apporte et de ce qu’il n’apporte pas sur le plan de la confiance et de la certitude des entreprises. Troisièmement, je compte parler du bien-fondé de l’accord pour l’économie du savoir et l’économie axée sur les données qui émergent.

Au sujet des répercussions économiques, par rapport à un scénario où l’ALENA resterait en vigueur, nous avons estimé que l’ACEUM aurait un effet négatif sur l’économie canadienne et se traduirait par une baisse d’environ 0,4 % du PIB réel. C’est permanent. Par rapport à une situation hypothétique dans laquelle l’ALENA cesserait d’être en vigueur et des droits de douane seraient imposés au titre de l’article 232, Affaires mondiales Canada a estimé que l’ACEUM apporterait un gain de 0,249 %. Si nous plaçons notre étude dans le même contexte, nous obtenons une donnée positive très similaire de 0,206 %. C’est négatif par rapport au statu quo, mais c’est mieux qu’une situation où il n’y a pas d’ALENA et où des droits de douane sont imposés au titre de l’article 232.

Lorsque nous comparons nos données pour les États-Unis, nous obtenons une baisse de 0,1 %. Cette donnée est très similaire à celle estimée par la Commission du commerce international des États-Unis, soit une baisse de 0,12 %. Cette validation nous indique que nos estimations se situent à peu près dans la même fourchette que les estimations officielles sur le PIB réel et le bien-être économique.

Si le nouvel accord a ces répercussions négatives, c’est principalement en raison du resserrement des règles d’origine qui orientent l’approvisionnement en Amérique du Nord. Cela rend la plateforme de production nord-américaine moins efficace à l’échelle mondiale, et les répercussions de cette situation sont proportionnellement plus grandes au Canada et au Mexique qu’aux États-Unis puisqu’une plus grande proportion de notre économie est destinée à la production pour l’exportation vers les États-Unis. C’est la raison qui explique l’incidence plus négative sur le Canada.

En ce qui concerne l’incertitude des entreprises, le Canada a toujours subi des perturbations commerciales venant des États-Unis. Cela remonte à l’abrogation du traité de réciprocité Elgin-Marcy en 1866. Il y a ensuite l’adoption de la loi tarifaire Smoot-Hawley en 1930, les mesures prises par Nixon en 1971, et le Canada est souvent pris pour cible par des mesures concernant les droits antidumping et les droits compensateurs lorsque cela a commencé à devenir un élément majeur de protection commerciale dans les années 1980. Il y a également le resserrement des contrôles à la frontière après le 11 septembre, les dispositions Buy American adoptées par l’administration Obama après la crise financière de 2008-2009 et les droits de douane imposés au titre de l’article 232 par l’administration Trump. Ces choses sont une constante de la vie canadienne.

L’incertitude agit comme une barrière non tarifaire. À cet égard, il est important de souligner que le groupe binational, un mécanisme pour les recours commerciaux, est maintenu dans le cadre de l’ACEUM. Il améliore de façon utile le mécanisme de règlement des différends entre États, surtout étant donné que le mécanisme de règlement des différends de l’OMC ne fonctionne plus pour les États-Unis. L’ACEUM introduit une disposition de caducité qui ébranle la certitude commerciale à long terme, ce qui n’aide pas beaucoup. Chose inquiétante, il ne traite pas du recours à l’article 232 et ne restreint pas le recours à cet article.

En ce qui concerne l’économie du savoir et l’économie axée sur les données, notre économie évolue très rapidement aujourd’hui en raison des changements technologiques liés aux mégadonnées, à l’intelligence artificielle, à l’apprentissage automatique et à l’Internet des objets qui approche. Tout cela amène un potentiel de perturbation généralisée. De plus, cette économie émergente est sensible à la défaillance du marché.

À l’échelle internationale, il y a une grande agitation sur le plan réglementaire afin d’établir des garde-fous pour cette nouvelle économie. Les données ne sont pas prêtes pour le traité, et je dirais que l’ACEUM n’est pas prêt pour les données. L’incidence majeure que cet accord a sur l’économie axée sur les données, c’est qu’il fige le régime largement ouvert qu’ont les grandes entreprises de technologie depuis le début. Par ailleurs, il limite la capacité du Canada de réglementer cette économie et, en fait, d’élaborer des politiques qui lui permettra de prospérer.

En conclusion, l’ACEUM constitue un pas en arrière dans l’intégration économique nord-américaine. L’absence des mots « nord-américain » et « libre-échange » dans son titre en témoigne. Son incidence marginale par rapport au statu quo est négative sur le plan de l’efficacité économique et du bien-être. Il fait en sorte que le Canada est exposé à des risques sur le plan de l’accès au marché — et le Canada devra remédier à ce problème en prenant des mesures de diversification du commerce — et il force le Canada à travailler dans un cadre lui donnant une marge de manœuvre restreinte pour préparer son avenir dans l’économie axée sur les données.

En fait, sénateurs, bien que l’ACEUM ait été présenté comme un accord du XXIe siècle, le XXIe siècle pour lequel il a été conçu est en fait déjà terminé. Une force majeure oblige le Canada à signer l’accord, mais il est important, dans le cadre de la mise en œuvre de cet accord, de conserver le plus possible la marge de manœuvre qu’il faut pour que le Canada puisse décider lui-même de son avenir dans le vrai XXIe siècle qui se précipite maintenant vers nous.

[Français]

Lawrence L. Herman, avocat, Herman & Associates, à titre personnel : Merci. Je suis content d’avoir l’occasion de témoigner cet après-midi dans le cadre de votre étude du projet de loi C-4.

[Traduction]

Je veux seulement faire quelques brèves observations au sujet du projet de loi C-4. Un certain nombre d’éléments sont importants ici. Le projet de loi est une loi de mise en œuvre d’un traité qui a été laborieusement négocié et signé par le Canada et les deux autres pays, puis ratifié par les États-Unis et le Mexique. Bien entendu, le projet de loi contient une disposition selon laquelle l’accord est approuvé, de sorte qu’en approuvant le projet de loi, le Sénat sera appelé à approuver l’accord ou il y sera forcé.

Je ne crois pas qu’on puisse évaluer l’accord entièrement à partir de modèles économiques. L’économie est un art incertain et, dans les relations commerciales, des facteurs viennent contredire toute tentative de déterminer qu’il y aura un gain ou une perte en fonction de ces modèles. Or, ce qui est absolument certain, à mon avis, c’est qu’on parle d’un accord qui a été signé et ratifié par les États-Unis après avoir été approuvé par le Congrès américain et que si le Canada devait ne pas suivre l’exemple et ne pas ratifier l’accord, les conséquences pour les relations canado-américaines seraient dévastatrices. À mon sens, il est tout à fait impossible de prétendre que le Canada ne devrait pas approuver et ratifier l’accord.

Pourquoi? Parce que, comme on l’a mentionné, la stabilité et la certitude sont essentielles pour le milieu des affaires canadien et les relations canado-américaines en particulier.

Voilà pour ce qui est de mes observations. Je serai ravi de répondre à toute autre question sur les dispositions du projet de loi C-4, mais à mon avis, le Canada commettrait une erreur monumentale s’il ne ratifiait pas un accord qui a déjà été ratifié par son plus important et constant partenaire commercial, les États-Unis. Merci.

Le président : Merci, monsieur Herman.

Colin Robertson, vice-président et chercheur, Institut canadien des affaires mondiales : Je vous encourage à mettre en œuvre l’accord entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Il ne s’agit pas de libre-échange, mais il s’agit d’échanges plus libres. Ce n’est pas parfait, mais c’est nettement mieux que de ne pas en arriver à un accord.

L’ACEUM nous donne un ensemble de règles révisées qui sont essentielles à la croissance et au maintien de notre commerce continental vital, qui représente environ 75 % de nos échanges commerciaux. Ses dispositions sur le règlement des différends offrent la stabilité nécessaire pour la prise de décisions d’affaires et d’investissement. Il s’inspire en grande partie de l’ALENA et inclut des mises à jour tirées du Partenariat transpacifique pour ce qui est du commerce numérique, de la propriété intellectuelle, du travail et de l’environnement.

L’ACEUM vient couronner une décennie d’efforts qui ont été déployés par les gouvernements fédéral et provinciaux représentant différents partis politiques pour ouvrir les portes des principaux marchés du Pacifique, de l’Atlantique et, bien entendu, pour soutenir l’Amérique du Nord.

Comme votre comité l’a fait remarquer dans son rapport de 2017, les accords de libre-échange constituent un outil pour la prospérité canadienne. Les échanges commerciaux génèrent les deux tiers du PIB canadien, ce qui fait de notre pays la 12e économie d’exportation au monde.

Les accords commerciaux — ACEUM, PTPGP, AECG — témoignent de notre leadership au sein des gouvernements, des entreprises et des syndicats. Ils prouvent que nous pouvons faire front commun sur des questions d’importance nationale. La diversification du commerce est nécessaire, mais pour le Canada, lorsqu’il s’agit de commerce et de sécurité, ce sera toujours les États-Unis d’abord, et le reste ensuite.

Nous devons maintenant faire en sorte que nos accords commerciaux nous conviennent.

Premièrement, le travail n’est pas terminé en ce qui concerne la réglementation, les infrastructures et le commerce intérieur.

Les initiatives qui ont été lancées par les gouvernements Harper et Obama et poursuivies par les gouvernements Trudeau et Trump concernant la coopération en matière de réglementation et les plans d’action par-delà la frontière sont enfouies dans nos bureaucraties. Pour que des progrès soient réalisés, il faut une surveillance politique. J’incite votre comité à tenir des audiences pour déterminer quels sont les obstacles et faire en sorte que les gouvernements continuent de travailler d’arrache-pied.

Les démocrates américains et l’administration Trump se sont entendus sur un plan d’infrastructure de 2 billions de dollars américains, bien qu’il n’y ait pas d’accord sur la façon de le financer. Puisque le nouvel accord commercial ne contient aucune disposition sur les marchés publics, le Canada doit s’associer à cette initiative. Pour obtenir le maximum pour les citoyens, les premiers ministres et les gouverneurs doivent élaborer le type d’accord de réciprocité auquel les États-Unis et le Canada sont parvenus en 2010. Encore une fois, il s’agissait des premiers ministres provinciaux.

Pour pouvoir acheminer nos produits vers les marchés, nous devons améliorer nos ports, nos pipelines, nos réseaux, nos chemins de fer et nos routes. Le Canada a un programme d’infrastructure, mais les choses avancent-elles assez rapidement? C’est un volet auquel tous les gouvernements devraient collaborer étroitement. Encore une fois, une surveillance parlementaire du processus et des progrès est essentielle.

Le libre-échange à l’intérieur du Canada demeure le dossier inachevé de la Confédération, et j’applaudis et je souligne les recommandations que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a formulées dans son rapport de 2016 intitulé Des murs à démolir.

Ensuite, les efforts canadiens visant à rappeler aux Américains que notre partenariat commercial est avantageux pour les deux pays doivent être menés de façon permanente. Le protectionnisme américain est plus ancien que la république. Il se poursuivra, peu importe qui est président.

Bien que nous ne puissions pas voter ou faire des dons aux campagnes, nous pouvons donner des exemples d’emplois qui sont créés par le commerce et l’investissement canadiens, par circonscription et par État. Je vous encourage à utiliser vos autorisations de voyage pour aller à Washington et rencontrer vos homologues. Je vous encourage également à modifier les règles de sorte que vous puissiez voyager dans l’ensemble des États-Unis.

Il faut que ce soit une campagne permanente qui englobe tous les secteurs, dont nos industries culturelles. J’applaudis le récent rapport de votre comité portant sur l’idée de mettre la diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada, et je dirais que cela commence par notre marché nord-américain.

Par ailleurs, nous devons en connaître plus sur l’Amérique du Nord, surtout les États-Unis.

Compte tenu de la proximité des deux pays et de notre compréhension innée des États-Unis, pourquoi ne pas en profiter? Combien de centres ou de chaires de recherche sérieux axés sur les États-Unis et le commerce continental le Canada compte-t-il? La réponse vous décevra beaucoup.

L’influence qu’a le Canada dans le monde se mesure, en grande partie, par notre compréhension des États-Unis. Si nous utilisons nos connaissances et nos liens avec les Américains, notre capacité à user de notre influence à Washington et dans les capitales des États fait du Canada un partenaire plus désirable aux yeux des autres pays. Ils doivent eux aussi faire des affaires avec notre voisin souvent complexe et parfois déroutant.

En terminant, je vous encourage à adopter l’ACEUM tout en prenant des initiatives qui multiplieront nos échanges commerciaux.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de votre présence. Il s’agit d’une étape importante pour le Canada et d’une décision importante que nous devons prendre.

Je vais commencer par M. Ciuriak. Vous avez entendu ce qu’ont dit les autres témoins. Ils ont clairement indiqué que malgré certaines négociations ou lacunes possibles, peu importe notre situation, nous devons approuver l’accord, ou le projet de loi proposé. J’ai l’impression que vous disiez la même chose, mais je n’en suis pas sûr, car vous avez passé les trois quarts de votre exposé à souligner certaines faiblesses ou certains éléments qui devraient être supprimés ou qui pourraient être améliorés.

Au bout du compte, convenez-vous que notre comité et le Sénat ont un choix à faire entre approuver ou rejeter le projet de loi? Si on le rejette, les choses se compliquent. Il faut retourner aux États-Unis et au Mexique et il est probable que, compte tenu de l’humeur changeante du président américain, nous n’arrivions peut-être jamais à signer un accord. Pourriez-vous préciser votre position? Que feriez-vous dans les dernières étapes?

M. Ciuriak : C’est une bonne question. Je suis d’accord avec mes collègues pour dire que le Canada devra adopter cet accord. Je vous invite à vous concentrer sur la manière dont vous allez l’adopter. Nos lois ne sont pas les mêmes qu’aux États-Unis, et il arrive parfois que des mesures comparables aux États-Unis et au Canada aient des conséquences différentes. Nous devons adapter la mise en œuvre de cet accord de manière à nous laisser le plus de marge de manœuvre possible en matière de politiques pour pouvoir composer avec la nouvelle économie axée sur les données dont j’ai parlé, ce qui nécessitera la prise de mesures réglementaires dans plusieurs domaines. Je pourrais vous donner des précisions à ce sujet si vous le souhaitez.

Le sénateur Massicotte : Ce que vous dites, c’est que, bien entendu, comme vous le savez, l’accord exige l’élaboration de beaucoup de règlements. Je trouve qu’il y a beaucoup de restrictions — on parle de centaines de pages. Vous nous recommandez de ne pas clore les négociations. Essayons plutôt de négocier un meilleur accord — il faut plus de liberté ou plus de marge de manœuvre dans les modalités pour que nous puissions obtenir les résultats voulus. C’est bien ce que vous dites?

M. Ciuriak : Non, je ne crois pas que nous devons renégocier. Cependant, j’estime que nous devons adopter une logique d’avocat et être très précis dans la manière dont nous rédigeons le projet de loi de mise en œuvre et les règlements connexes. Par exemple, la question des tracteurs et de leur réparation a été soumise au Parlement canadien. Aux États-Unis, des mesures au niveau des États permettent aux agriculteurs de réparer leurs tracteurs. Au Canada, les dispositions relatives aux données les en empêcheraient. Nous devons donc prévoir des mesures d’accompagnement au Canada afin que nos agriculteurs puissent réparer leurs propres tracteurs, au besoin, à tout le moins selon les mêmes modalités que celles dont jouissent les agriculteurs américains. C’est donc la façon de procéder qui compte, et non les mesures que nous prenons ici.

Le sénateur Massicotte : Monsieur Robertson, comme vous le savez, lors des négociations, on a essayé d’améliorer la Buy American Act et tous les investissements en infrastructure, mais en vain; c’est pourquoi on s’en remet un peu à l’OMC. Qu’en pensez-vous? Y a-t-il un moyen d’y parvenir? Après tout, c’est un élément important qui représente une grosse somme.

M. Robertson : Oui, je crois qu’il y a moyen d’y arriver. Inévitablement, les premiers ministres et les gouverneurs qui doivent administrer le budget en matière d’infrastructure veulent en obtenir le plus possible pour leur argent. Ils veulent également éviter la présence de cartels dans leurs États respectifs. Donc, en ouvrant le marché à d’autres fournisseurs, on n’en vient pas nécessairement à bout, mais cela incite peut-être les fournisseurs locaux à faire preuve de plus de discipline. J’ai fait allusion à l’accord de réciprocité de 2010 concernant les marchés publics.

Au niveau fédéral, nous ne faisions pas beaucoup de progrès. Nous en étions conscients. Le président Obama avait investi un demi-billion de dollars dans les infrastructures pour relancer l’économie après la récession de 2008, et nous en voulions une part. Voici comment nous nous y sommes pris : en février 2010, le premier ministre Wall est allé à Washington, en compagnie de sept autres premiers ministres provinciaux, pour assister à une conférence des gouverneurs américains. Ils ont dit : « Écoutez, nous allons ouvrir notre marché si vous ouvrez le vôtre, pour les raisons susmentionnées. »

Et cela a fonctionné. Nous avons obtenu cet accord de plusieurs pages. Il y a eu quelques exceptions et tout le reste, mais au moins, cela nous a permis d’avoir un accès au marché.

En raison des pressions exercées par les États-Unis à l’égard de l’Accord sur les marchés publics qui est négocié à l’OMC, je crains bien que nous devions miser sur les relations que nous avons tissées, et le Canada est mieux placé que n’importe quel autre pays du monde à cet égard.

J’ai parlé des relations que vous aussi pouvez nouer; beaucoup d’entre vous l’ont déjà fait. Ce sera un facteur important, car les Américains nous apprécient plus que tout autre pays du monde. Nous avons un avantage. Nous ne les aimons pas autant qu’ils nous aiment, mais nous devrions considérer cela comme notre avantage.

Je dirais donc que nous pouvons y parvenir, mais ce ne serait pas forcément la voie traditionnelle de la politique commerciale.

Le sénateur Dawson : On ne peut pas toujours plaire aux autres.

J’ai consulté les transcriptions de la Chambre des communes, et je vais citer la phrase : « Ce sont des paroles ambiguës. » Voilà ce qu’on a dit parce que vous avez affirmé que c’est le meilleur accord dans les circonstances.

Il y a des lacunes. J’espère que le ton donné ici aujourd’hui par nos trois témoins sera maintenu. Je partage votre avis : c’est le meilleur accord que nous puissions obtenir. Il comporte toutefois des faiblesses. Nous avons évoqué l’absence de politiques culturelles, et nous avons parlé des dispositions relatives à la protection des données au Canada et aux États-Unis, en particulier, plus qu’au Mexique.

Vous avez dit que nous devons adopter une logique d’avocat. Il s’agit d’essayer d’avoir une certitude au moment de faire rapport — je pense que nous allons accepter le projet de loi et en faire rapport, tout en y incluant des observations. J’aimerais toutefois que vous nous donniez quelques recommandations sur certaines de ces observations d’ordre juridique, surtout en ce qui concerne la protection des renseignements personnels, l’accès à l’information et la collecte de données.

Je dois admettre que j’ai passé en revue les différents titres de l’accord. Nous avons l’AEUMC, l’AEUCM, l’ACEUM, et les Mexicains l’appellent le TLCAN. C’était plus facile quand cela s’appelait l’ALENA. Nous devrons donc nous entendre sur le nom officiel dans notre rapport.

J’aimerais que vous nous donniez quelques recommandations sur les sujets que nous pourrions aborder dans notre rapport au Sénat et sur les mesures à prendre pour atteindre les objectifs que vous avez mentionnés dans votre exposé.

M. Ciuriak : Je commencerai par dire que, pour ma part, je l’appelle l’Accord nord-américain « Moi d’abord ».

Le sénateur Dawson : C’en est un nouveau.

M. Ciuriak : Ce n’est pas nécessairement ce que je recommande au comité.

En ce qui concerne les mesures qui pourraient être prises, je suppose que le gros du travail devra être effectué en dehors de cette loi de mise en œuvre. Comme je l’ai mentionné, il y a une grande agitation sur le plan des activités de réglementation, surtout en Europe, pour ce qui est des questions liées aux données, au Règlement général sur la protection des données, et j’en passe.

Nous aurons à nous occuper d’un dossier très important, soit l’élaboration de règlements pour la sécurité et l’Internet des objets. On compare cela au système nerveux central interactif de l’économie axée sur les données. Ce n’est pas à l’abri des dangers du piratage. Nous devrons régler d’importantes questions, comme celles de savoir qui fournira le matériel et les logiciels nécessaires à cet égard, et comment nous préserverons réellement l’intégrité de notre infrastructure de base pour les transports, l’énergie, les finances et les télécommunications.

L’élaboration de ces règlements pourrait nécessiter, par exemple, un certain degré de localisation des données. Si vous lisez la nouvelle stratégie européenne pour les données, vous verrez qu’elle porte précisément sur ce sujet. Pour déterminer si nous pouvons assurer une infrastructure de base sécurisée pour notre économie, dans le contexte de l’infonuagique — et je rappelle à tout le monde qu’entreposer des données dans le nuage, c’est comme utiliser l’ordinateur de quelqu’un d’autre —, la question qui se pose est la suivante : quels paramètres devrons-nous utiliser dans notre cadre réglementaire pour sécuriser cette nouvelle économie?

En outre, nous sommes aux prises avec un certain nombre de problèmes concernant l’utilisation des données par les entreprises de plateformes, telles que Google, Facebook, et cetera. La manipulation des élections, par exemple, est au sommet des préoccupations de beaucoup de gens en ce moment. D’innombrables questions se posent, comme celles de savoir quelles données devraient être recueillies, comment elles devraient être utilisées, et à qui elles devraient appartenir. Voilà autant d’enjeux qui font surface dans le contexte du projet Sidewalk Toronto.

Rien de tout cela n’est encore réglé. Je ne suis certainement pas la bonne personne, en ma qualité d’économiste du commerce, pour commenter la façon dont votre comité devrait aborder ces questions particulières. Je ne suis même pas sûr que cela relève de votre comité. Toutefois, j’estime que votre comité devrait suivre de très près la situation pour s’assurer que l’accord commercial n’est pas trop restrictif, sachant que le Canada s’apprête à réglementer l’économie axée sur les données dans un certain nombre de domaines.

Nous ne devons rien précipiter à cet égard. Les États-Unis ne vont pas se retirer de l’accord. Les élections sont encore loin. Il n’y a pas de délais serrés. Nous pouvons prendre le temps d’étudier la question comme il faut. J’invite d’ailleurs le comité à faire venir des témoins qui pourront expliquer comment rédiger les mesures d’application de ce projet de loi afin que nous ayons un libellé approprié qui nous accorde une telle marge de manœuvre en matière de politiques.

Le sénateur Dawson : Nous avons également dit que, compte tenu des engagements, les Américains s’attendaient à ce que nous adoptions l’accord rapidement. C’était il y a plusieurs mois. Nous le leur avons promis; nous avons dit : « Renvoyez-nous l’accord, et nous l’adopterons sans tarder. » J’ignore donc pendant combien de temps encore nous pouvons continuer à travailler sur le libellé, mais je pense que vous avez certainement raison de dire que nous devons obtenir des commentaires et donner une orientation au gouvernement. Par contre, je ne voudrais surtout pas trop retarder les choses.

Monsieur Robertson, on vous a accusé, à l’autre endroit, d’utiliser des « paroles ambiguës », alors vous pourriez peut-être vous défendre grâce au privilège parlementaire.

M. Robertson : Pour ma part, je croyais que mes propos étaient clairs, mais je me contenterai de dire qu’on est parfois tenté de considérer les accords commerciaux comme des arbres de Noël auxquels on ajoute toutes sortes de choses. J’estime tout simplement que la question des données est déjà traitée ailleurs.

S’il faut y consacrer autant de temps, comme le soutient M. Ciuriak, alors je ne suis pas sûr que nous devions le faire dans le cadre de cet accord. Pour cette même raison, il y a un chapitre sur l’environnement, ce qui est bien, mais nous avons des accords sur les changements climatiques, et nous nous occupons des questions liées à la main-d’œuvre par l’entremise de l’Organisation internationale du travail. Il y a donc d’autres tribunes où ces questions devraient être examinées.

N’oubliez pas qu’au tout début des négociations, M. Trump avait déclaré que c’était le pire accord jamais négocié, et son secrétaire au Commerce nous avait dit que le Mexique et le Canada devaient faire des concessions en faveur des États-Unis. Je pense que, tout compte fait, nous nous en sommes très bien sortis. C’est notre plus grand marché. Ce n’est pas parfait; il y a sans doute lieu de l’améliorer, mais nous pouvons faire énormément de choses aux termes de l’accord existant.

Je ne m’inquiète pas autant que d’autres de la présence d’une disposition de caducité, parce qu’il y en a effectivement une dans chaque accord. De toute façon, vous pouvez vous en débarrasser avec un préavis de six mois. Il est important d’assurer une mise à jour continue de l’accord, comme c’était le cas pour l’ALENA. Lors des négociations de l’ALENA, nous ne trimballions pas des appareils électroniques dans nos poches. Nous ne pensions pas aux mégadonnées, à Google et à Facebook. Cela n’existait pas à l’époque.

Cet accord est donc le meilleur que nous puissions obtenir dans les circonstances. Nous pouvons y apporter des améliorations, mais faisons-le après l’avoir mis en place.

Le sénateur Dawson : Merci.

Le président : Vous constaterez que le sénateur Dawson a eu la gentillesse de contourner la question du privilège parlementaire.

Le sénateur MacDonald : J’adresserai d’abord ma question à M. Ciuriak, mais j’aimerais que les autres se sentent libres d’intervenir par la suite.

J’ai ici deux études, l’une de l’Institut C.D. Howe et l’autre d’Affaires mondiales Canada. Il y a quelques divergences entre les deux.

Je voudrais parler de l’article 232 de la loi américaine, qui porte sur les droits de douane imposés pour des motifs de sécurité nationale. L’Institut C.D. Howe déclare :

... l’incapacité d’éliminer, dans le cadre du nouvel accord, l’application de l’article 232, qui permet aux États-Unis d’imposer des droits de douane pour des motifs de sécurité nationale sur les importations en provenance de leurs partenaires nord-américains, laisse présager un risque éventuel concernant l’accès garanti au marché américain.

L’ACEUM n’empêche pas l’application future des droits de douane prévus à l’article 232, qui ont été rétablis par l’administration Trump à des fins protectionnistes spéciales ... L’engagement des États-Unis à ne pas imposer au Canada et au Mexique des droits de douane au titre de l’article 232 sur les automobiles, advenant l’adoption de ces mesures, ne figure que dans une lettre d’accompagnement.

Or, le ministère des Affaires mondiales semble dire le contraire, à savoir que le Canada a obtenu une exemption pour de nombreux droits de douane éventuels imposés au titre de l’article 232 sur les automobiles et les pièces automobiles.

Avons-nous obtenu une exemption légale ou non? Dans l’affirmative, est-ce que cela dépend de la manière dont l’exemption de 60 jours est prévue dans une lettre d’accompagnement?

M. Ciuriak : Je ne suis pas avocat, et Larry Herman voudra peut-être intervenir à ce sujet, mais nous bénéficions d’une exemption contre l’application des droits de douane sur les automobiles, si les Américains décident d’imposer des droits de douane en vertu de l’article 232 aux autres pays. Il en va de même pour le Mexique. C’est jusqu’à concurrence d’une certaine quantité maximale de marchandises que nous pouvons exporter aux États-Unis, le cas échéant.

La lettre d’accompagnement prévoit également l’élimination des droits de douane imposés au titre de l’article 232 sur l’acier et l’aluminium. Pour ces trois groupes de produits, l’article 232 est visé par l’accord. Toutefois, il n’y a aucun mécanisme général qui dit que le Canada aura la possibilité de limiter l’application de l’article 232 à d’autres produits canadiens pouvant préoccuper les États-Unis.

Je citerai ici l’ambassadeur Lighthizer qui a témoigné devant le Congrès au sujet de l’aluminium canadien. Il a dit que le problème ne tient pas au fait que c’est canadien, mais plutôt au fait que c’est de l’aluminium. Voici la question qui se pose : quoi d’autre les États-Unis considéreront-ils comme un problème de sécurité nationale si la sécurité économique est définie comme une sécurité nationale? Ce qui m’inquiète, c’est que, contrairement à 1989, lorsque nous avions obtenu au moins le mécanisme des groupes spéciaux binationaux pour contester tout nouveau droit antidumping et compensateur si nous estimions que cela n’avait pas été correctement appliqué, nous ne disposons pas aujourd’hui d’un mécanisme aussi général pour nous occuper de l’article 232.

En 2020, l’article 232 équivaut à ce que les droits antidumping et compensateurs étaient pour le Canada en 1989 au chapitre de l’incertitude quant à l’accès futur. Est-ce que cela clarifie les choses?

Le sénateur MacDonald : Je voudrais également entendre ce que M. Robertson a à dire.

M. Robertson : Il s’agit, en gros, d’une question d’interprétation. Vous avez vu l’interprétation officielle du gouvernement canadien, à savoir que cet accord nous donne une exemption. C’est le message que nous allons transmettre à nos homologues américains, et c’est ce que nous devrons continuer à faire. Si les droits de douane sur l’acier et l’aluminium ont été levés, c’est, en partie, grâce aux pressions exercées à l’intérieur même des États-Unis. Ce n’était pas attribuable aux pressions exercées par le Canada, même si je pense que nous avons contribué à rendre cela possible en interpellant toutes les personnes qui utilisent l’aluminium canadien — et elles sont au nombre de plusieurs centaines de milliers. Le nombre réel de producteurs d’acier et d’aluminium est peut-être de l’ordre de 42 000, mais il y a des centaines de milliers de personnes qui utilisent nos produits. Ce sont eux qui ont fait pression sur les législateurs de leur État, leurs délégués au Congrès et l’administration pour qu’ils disent : « Éliminons ces droits de douane, parce qu’ils causent beaucoup de tort. »

L’interprétation que j’avancerais serait celle qu’Affaires mondiales a adoptée, mais il sera important pour nous de poursuivre cette campagne permanente pour rappeler aux Américains ce qu’ils ont fait. Bien que les Américains soient extrêmement litigieux, ils aiment aussi penser qu’ils suivent la lettre de la loi. Si nous publions notre interprétation de la lettre de la loi — celle qui figure dans l’étude d’Affaires mondiales —, je pense que cela aura un certain mérite. Permettez-moi cependant de souligner que lorsque vous traitez avec les États-Unis, rien n’est jamais permanent. Il faut constamment maintenir votre présence auprès d’eux pour leur rappeler vos intérêts. C’est politique.

Le sénateur MacDonald : Bien sûr. Notre troisième témoin veut-il dire quelque chose? Monsieur Herman?

M. Herman : L’article 232 est l’application américaine d’une exemption prévue dans l’accord de l’OMC. Il s’inscrit dans l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) qui existe aux termes de cet accord. Il donne aux pays le droit de prendre des mesures axées sur la sécurité nationale. Cette disposition n’avait pas été utilisée jusqu’à ce que les États-Unis décident de l’appliquer. Ils ont conservé ce droit dans le cadre de cet accord, et ils avaient ce droit dans le cadre de l’ALENA. La belle affaire. Ils ont le droit d’appliquer des mesures qui ont trait à la sécurité nationale. Il s’agit maintenant de savoir comment ils veulent aborder la chose. D’autres pays se sont abstenus d’utiliser cette exemption reconnue par l’OMC. M. Trump, lui, a jugé bon de l’invoquer, et c’est là où nous en sommes aujourd’hui.

Ce que nous avons, c’est un échange de lettres qui équivaut à un accord entre les deux gouvernements, lettres selon lesquelles l’article 232 ne serait pas appliqué aux automobiles canadiennes à moins qu’elles ne dépassent le seuil des 2 600 000 unités. Nous avons donc obtenu une restriction quant à l’application qu’ils feront de l’article 232 dans le secteur automobile, mais en ce qui concerne l’utilisation générale de l’exemption pour des raisons de sécurité nationale, cela fait partie de l’accord de l’OMC. Il n’y a aucun moyen de convaincre les États-Unis de renoncer à ce droit. C’est là où nous en sommes. Ce n’est pas différent, à mon avis, de ce que nous avions dans l’ALENA, à une importante exception près. Ils ont accepté de plafonner la limite ou de la limiter en dessous d’un certain volume d’exportations canadiennes de produits automobiles. À mon avis, le secteur de l’automobile n’a pas à se soucier de l’article 232. En revanche, d’autres secteurs devraient peut-être y voir, mais espérons que les États-Unis exerceront leurs propres restrictions et n’appliqueront pas l’article 232 à une vaste gamme de produits.

Le sénateur MacDonald : Ma prochaine question s’adresse à nouveau à vous trois. Elle concerne l’article 32.10 de l’ACEUM, qui exige que les trois parties donnent un préavis de trois mois aux deux autres avant de commencer à négocier un accord de libre-échange avec un pays qui n’a pas d’économie de marché. Cette disposition a été décrite comme étant sans précédent en ce sens qu’elle exige de toute partie qu’elle informe les autres parties de son intention de convaincre un pays sans économie de marché de négocier un accord de libre-échange, et ce, au moins trois mois avant d’entamer ces négociations.

J’ai ici quelques citations de spécialistes du droit commercial international, dont celle-ci d’un spécialiste canadien en la matière, Clifford Sosnow :

Cette mesure établit un niveau de proximité et de consultation qu’un pays souverain n’a généralement pas avec un autre pays souverain avant de conclure un accord commercial avec un autre pays.

Et il ajoute ceci :

C’est tout à fait remarquable.

Gary Hufbauer, chercheur principal au Peterson Institute for International Economics, à Washington, a également déclaré :

Je sais que Chrystia Freeland dit que ce n’est pas une contrainte pour le Canada, mais nous n’avons jamais vu une disposition comme celle-là, une disposition qui brandit la menace d’un divorce dans l’éventualité où les États-Unis n’aimeraient pas les termes d’un accord.

À propos de cette disposition, M. Hufbauer a également déclaré ceci :

Elle compromet la capacité du Mexique et du Canada à négocier avec la Chine et d’autres « pays sans économie de marché ».

J’ai deux questions pour vous. Avez-vous déjà vu une disposition de ce genre dans un accord commercial international? N’est-il pas inhabituel que les Américains soient informés, pour l’essentiel, du contenu des objectifs commerciaux du Canada et, dans le cadre d’une négociation avec un pays sans économie de marché, qu’ils en soient informés avant le Parlement canadien?

M. Herman : Puis-je répondre à cette question?

Le sénateur MacDonald : Bien sûr.

M. Herman : Vous avez mentionné l’analyse qu’en ont faite Hufbauer et Sosnow. Et bien, j’ai également fait une analyse de l’article 32.10 et elle a été publiée par l’Institut C.D. Howe. La réalité est que si nous devions entamer des négociations commerciales avec la Chine — car c’est effectivement la Chine qui est visée par cet article —, il serait tout naturel que nous informions les États-Unis de nos intentions. Je pense qu’il serait inconcevable que le gouvernement canadien ne donne pas de préavis au gouvernement américain, son principal partenaire dans cet accord commercial. À mon avis, 32.10 ne fait rien d’autre qu’enchâsser ce qui se passerait réellement dans la pratique.

Deuxièmement, il faut lire très attentivement l’article 32.10. Il y est question d’« amorcer des négociations en vue de conclure un accord de libre-échange ». La réalité est que les négociations de libre-échange avec la Chine sont un lointain mirage. Cela ne se fera pas demain. Elles n’auront pas lieu dans 10 ans. L’idée qu’on nous empêcherait d’entamer des négociations commerciales avec la Chine à cause de l’article 32.10 est un mirage. Comme je l’ai dit, le point principal, c’est que nous consulterions et conseillerions les États-Unis — notre principal partenaire commercial — si nous devions de quelque façon que ce soit entamer des négociations de libre-échange avec la Chine. Je ne vois donc pas du tout cet article comme un obstacle sérieux à la politique commerciale du Canada.

Le sénateur MacDonald : Vous n’avez cessé de faire référence à la Chine. J’aimerais entendre ce que nos deux autres témoins ont à dire à ce sujet.

M. Robertson : Je suis d’accord avec Larry. Ça ne me dérange pas. Je l’ai vue, et je sais que certaines personnes sont troublées par cette disposition. Je pense que cela a beaucoup moins à voir avec le Canada et le Mexique qu’avec la politique intérieure des États-Unis et la volonté de l’administration Trump de montrer à sa base qu’elle pouvait faire mettre cela dans l’accord. Ainsi, pour les raisons que Larry a exposées et compte tenu des échanges que j’ai eus avec Gary Hufbauer, je pense qu’en ce qui a trait à l’effet concret que cette disposition pourrait avoir sur le Canada, la question est — et vous pouvez être « clintonesque » ici en matière de sémantique —, à quel moment considère-t-on qu’un accord est réellement amorcé? Certains pourraient soutenir que M. Harper et M. Trudeau ont déjà commencé à améliorer les relations économiques avec la Chine. Sauf qu’en ce moment, comme nous le savons, ces relations sont on ne peut plus glaciales, alors je ne pense pas que cela aura un effet pratique. Il est beaucoup plus probable que ce sont les États-Unis qui devront nous consulter, ainsi que le Mexique, alors qu’ils se dirigent vers une sorte d’accord plus étroit avec la Chine, ce qui n’est certainement pas ce que M. Trump avait à l’esprit lorsqu’il a insisté pour que M. Lighthizer inscrive cette disposition dans l’accord.

M. Ciuriak : Je suis d’accord avec ceux qui ont dit que cette mesure était inhabituelle. Je n’ai jamais vu une telle chose. C’est un signal. Comme nous l’avons déjà mentionné, tout accord est soumis à un préavis de retrait de six mois, donc en pratique, cela ne change rien. Ce qui est important, c’est le signal. Cela fait partie d’une stratégie américaine à multiples facettes qui vise à contenir la montée en puissance de la Chine, et cela envoie essentiellement le message que les pays qui souhaitent avoir un accord commercial avec les États-Unis ne pourront pas avoir d’accord commercial avec la Chine.

Je pense que c’est beaucoup plus important d’un point de vue géopolitique que d’un point de vue pratique. Cela annonce néanmoins une éventuelle contrainte quant à la marge de manœuvre dont nous disposerons pour poursuivre la diversification de nos échanges commerciaux.

Le sénateur MacDonald : Merci.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup à vous trois de votre présence. Comme quelqu’un l’a dit plus tôt, c’est un excellent début pour notre étude sur l’accord de libre-échange.

Monsieur Ciuriak, dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que l’ACEUM n’était pas prêt pour la prise en charge des données alors que l’économie se fonde sur ces dernières. Vous en avez parlé un peu. Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez par là?

M. Ciuriak : Bien sûr. Nous sommes à l’aube même de cette nouvelle économie. Elle présente beaucoup de caractéristiques intéressantes, ce qui la différencie de ce à quoi nous sommes habitués. C’est une économie qui se caractérise par de très fortes économies d’échelle et de gamme. Lorsque vous pensez aux économies d’échelle, pensez aux banques de serveurs rutilants de Google, ces installations que la concurrence aurait de la difficulté à reproduire. Pour les économies de gamme, pensez à Facebook qui obtient des informations sur les clients à partir de diverses sources. Maintenant, ils voudraient ajouter des informations financières à tout cela parce que lorsque vous croisez différents types d’informations, vous augmentez la puissance de ces dernières. Plus vous avez de types d’informations, plus il est difficile pour quiconque de vous faire concurrence.

Il y a aussi des externalités de réseau qui font que plus vous avez d’utilisateurs, plus votre système est utile pour eux, ce qui conduit à ce que l’on appelle le « point critique », c’est-à-dire ce moment où une entreprise devient le fournisseur dominant. Or, ce qui est encore plus important dans ce phénomène, c’est que l’on se retrouve avec une asymétrie de l’information. Ce qu’il convient de retenir au sujet des mégadonnées, c’est que l’information qu’elles fournissent n’est pas quelque chose qui est accessible à l’esprit humain normal ou aux outils normaux d’extractibilité. Vous avez besoin de jeux de données vraiment énormes et d’ordinateurs très puissants pour extraire les profils qui vous donneront un avantage. C’est comme avoir un sixième sens à l’échelle industrielle. Cela vous donne un avantage concurrentiel dans l’économie de marché, un avantage qui vous permettra d’arriver en position de dominance.

Cette économie particulière qui est en train d’émerger est donc au cœur de la défaillance du marché. Elle nécessitera une réglementation apte à encadrer la mise en place d’une politique sur la concurrence. Il faudra réglementer l’utilisation des informations que les grandes entreprises ont accumulées, utilisation que nous ne pouvons pas vraiment anticiper. Pour l’instant, aucun traité que nous pourrions rédiger ne serait apte à prendre en charge cette question des données, car nous ne savons même pas ce que nous devrions prévoir à cet égard.

J’ai déjà fait des commentaires sur la question de la cybersécurité. L’Internet des objets sera très vulnérable à l’égard de ces menaces. Comment pouvons-nous concevoir un cadre réglementaire pour tenir compte de cela? Comment pouvons-nous concevoir les freins et contrepoids qui permettront d’assurer qu’Internet ne sera pas utilisé pour nous prendre en otage, comme le font à l’heure actuelle pas nécessairement les criminels, mais les États? Comment pouvons-nous réglementer cela? Comment mettre en place toutes ces mesures? Il y a beaucoup de travail à faire. Malheureusement, le modèle économique des États-Unis consiste à consolider l’avantage de premier ordre dont disposent leurs grandes sociétés Internet. Ils sont, avec la Chine, le seul pays à posséder ces géants du Web et, en matière de réglementation, ils s’apprêtent essentiellement à s’enfermer dans l’espèce de Far West qui existe à l’heure actuelle.

C’est donc ce que j’entends lorsque je dis que le traité n’est pas prêt pour les données, car il ne fait que figer la situation actuelle, ou tente de le faire. Nous allons par conséquent être forcés de composer avec ces contraintes pour traiter de tous ces problèmes de réglementation auxquels nous devrons faire face.

Le Canada, par exemple, participe activement au Grand comité international. Ce comité a tenu une réunion ici, à Ottawa, et il a invité des gens comme Mark Zuckerberg à comparaître, mais ce dernier a décliné l’invitation, préférant se présenter comme un pair des organismes de réglementation gouvernementaux et refusant dès lors de comparaître. C’est le pouvoir dont disposent ces entreprises. Comment ce pouvoir peut-il être jugulé?

J’espère que cela aidera à situer le contexte de mes observations.

La sénatrice Cordy : Vous avez donné le contexte, mais ce sont des choses qui font vraiment peur à entendre.

Il s’agit d’un accord commercial et nous sommes en 2020. Nous savons que les entreprises peuvent être en retard d’un mois, deux mois, six mois ou deux ans sur cette économie des données. Comment concevoir un cadre réglementaire en conséquence? Comment pouvons-nous mettre une réglementation en place, mais en la laissant suffisamment ouverte pour permettre des modifications? Les choses évoluent si rapidement. Je me souviens que lorsque mes enfants étaient petits, tout le monde disait aux parents qu’il fallait placer l’ordinateur dans la salle de jeu ou dans la cuisine afin de pouvoir surveiller tout ce qu’ils faisaient. Aujourd’hui, les enfants ont leur ordinateur dans leur poche. Les temps ont effectivement changé. C’est un exemple qui montre à quel point la réglementation sera dépassée dans un an ou deux. Comment allons-nous pouvoir suivre?

M. Ciuriak : Je peux dire que le Centre for International Governance Innovation, où je suis chercheur principal, a un programme très ambitieux qui porte précisément là-dessus et qui propose diverses recommandations en la matière. Je peux également vous dire que l’Union européenne est très active dans ce domaine. Or, les grandes entreprises vedettes de l’ère de l’internet ne sont pas en territoire européen. L’intérêt de l’Union européenne est donc essentiellement défensif et réglementaire, de sorte que nous pouvons apprendre beaucoup de ce qu’elle fait pour se protéger dans ce contexte particulier. Du reste, en matière d’antitrust, les Européens ont été les premiers à tenter de freiner les actions anticoncurrentielles de ces entreprises.

Il y a beaucoup d’activité en ce moment. Je télécharge constamment des documents volumineux que je n’ai pas la chance de lire. Je crois toutefois qu’en matière de données, le Canada a besoin d’une stratégie nationale assortie d’un cadre réglementaire qui s’attaque aux problèmes liés à la façon dont cette économie se comporte en ce qui a trait à la concentration et à l’exercice du pouvoir économique. Mais avant tout, il faut que cette stratégie soit en mesure de nous permettre d’édifier les actifs incorporels qui, à notre époque, mènent à la prospérité.

Dans le S&P 500, plus de 90 % des actifs sont incorporels. Une grande partie des actifs reposent sur la propriété intellectuelle; une grande partie est constituée de données. La part des actifs incorporels dans les titres canadiens est en baisse. C’est une statistique remarquable pour nous, mais c’est aussi une statistique accablante puisqu’elle parle aussi de notre capacité à forger une économie basée sur la connaissance et les données, une économie apte à se mesurer au reste du monde. Nous nous en sortons plutôt bien en ce qui concerne certains éléments d’innovation, mais nous n’avons certainement pas traduit cela par l’acquisition des actifs incorporels qui seront source de prospérité dans les temps qui viennent.

Le sénateur Dean : La gestion de l’offre était une question majeure au début de ces négociations, et c’était une attente majeure et très publicisée des négociateurs américains les plus haut placés. Nous savons ce qui en est ressorti : un accès limité à certains produits limités avec une période d’instauration progressive.

Avez-vous des réactions à formuler concernant l’endroit d’où nous sommes partis en matière de gestion de l’offre, les attentes de nos homologues américains à cet égard et la façon dont cela s’est terminé?

M. Ciuriak : En ce qui concerne les secteurs soumis à la gestion de l’offre, les données que j’avais au début de ces négociations indiquaient que le Canada et les États-Unis avaient depuis cinq ans des échanges commerciaux remarquablement équilibrés. Le total de nos recettes et paiements était quasi identique, donc j’estimais que nous ne serions pas la cible de l’administration Trump en matière de déséquilibre commercial bilatéral. Mais il a trouvé quelque chose, et il l’a trouvé dans le secteur laitier. Les États-Unis ont un excédent de produits laitiers. Leurs exportations au Canada étaient de 500 ou 600 millions de dollars environ, comparativement aux nôtres qui étaient de 100 millions de dollars. Néanmoins, il s’est concentré sur le taux des droits hors contingent de 270 % et en a fait toute une histoire. Il a même fourni des données commerciales fictives dans ses discours. Il s’est concentré sur quelque chose qu’il pouvait utiliser à son avantage.

Les Américains ont obtenu un bel élargissement de leur accès au marché canadien, qui servira essentiellement à réduire l’excédent national, puisque la promotion de la production laitière aux États-Unis va bien au-delà des besoins nationaux et le pays se retrouve, dans le fond, avec des stocks de fromage qui lui permettraient de construire un mur à la frontière mexicaine. Ce fromage va prendre la route du Canada.

Est-ce que c’est bénéfique ou non pour le Canada? Vu la façon dont les contingents sont gérés, il n’y aura pas nécessairement d’amélioration marquée du bien-être économique. Ce n’est pas du libre-échange, mais du commerce administré. Et les Américains ont aussi obtenu des concessions dans le secteur de la volaille. Il s’agit là de conséquences mineures. Nous en avons tenu compte dans nos estimations et, pour le Canada, elles se traduisent par des répercussions modestes plutôt qu’importantes sur l’ensemble du secteur agricole et, par le fait même, sur le bien-être économique du pays.

Le sénateur Dean : Je me demande si M. Robertson ou M. Herman ont quelque chose à ajouter là-dessus.

M. Robertson : Ma vision ne correspond probablement pas au point de vue général sur la gestion de l’offre. Selon moi, nous abordons la question du mauvais bout de la lorgnette. Le Canada est extraordinairement concurrentiel dans le secteur agroalimentaire, qu’il s’agisse de la viande et du porc ou des céréales, par exemple, et j’estime que ce pourrait être la même chose pour les produits laitiers. Mais, pour quelque raison, nous avons décidé d’adopter une approche très protectionniste tandis que ces produits pourraient être d’excellentes exportations pour le Canada. Le meilleur modèle pour nous serait celui de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie, qui avaient aussi un marché restrictif avec d’importantes barrières tarifaires. Aujourd’hui, la Nouvelle-Zélande fournit presque le tiers des produits laitiers exportés en Asie. Il y a actuellement une forte demande pour les protéines laitières en Asie. Et elle va augmenter. Je crois que nous pourrions en bénéficier, mais nous avons décidé de nous restreindre.

J’avais l’habitude de servir nos fromages artisanaux québécois quand j’étais en affectation; toute personne qui goûte à notre fromage vous dira : « Donnez-nous en plus. On ne peut simplement pas s’en procurer. » Je pense que nous devrions nous intéresser à cela de la même façon que nous avons ouvert le marché céréalier il y a 15 ou 20 ans, et les marchés du bœuf et du porc, qui faisaient aussi l’objet de restrictions à une certaine époque. Nous sommes d’une compétitivité extraordinaire.

Peu importe la raison, nous avons choisi de ne pas le faire avec les produits laitiers. Nous les avons protégés. Et nous l’avons encore fait dans cet accord. Nous avons ouvert le marché, mais les 5 000 ou 6 000 producteurs laitiers du Canada conservent encore 90 % de ce marché très protégé. Cela signifie que, en tant que consommateurs, nous payons plus cher, mais je crois que nous freinons aussi un secteur au grand potentiel, quoique les restrictions supplémentaires prévues dans cet accord par rapport aux Américains ne nous permettraient pas d’être concurrentiels.

Mon point de vue n’est pas celui de la majorité. Sur le plan des tactiques de négociation, je trouve que le gouvernement s’est extrêmement bien débrouillé. Il a été fidèle à ses engagements. Il a réussi à garder la gestion de l’offre en offrant une très petite ouverture aux États-Unis, soit quelques points de pourcentage, ce qui correspond essentiellement à ce que nous avons concédé dans le cadre de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne ainsi que le Partenariat transatlantique.

Le sénateur Dean : Monsieur Herman, avez-vous des commentaires à faire?

M. Herman : Est-ce à moi que vous parlez? L’audio est inaudible. Est-ce qu’on m’a posé une question?

Le vice-président : La question s’adressait à vous tous, et le sénateur Dean voulait savoir si vous aviez des commentaires à faire.

M. Herman : D’abord, un bref commentaire sur le commerce numérique. Comme cela a été abordé dans la dernière série de questions, il y a dans cet accord un chapitre complet consacré au commerce numérique. Il est d’ailleurs très bien, puisqu’il accorde au Canada beaucoup de marge de manœuvre dans l’application d’une politique nationale en matière de commerce numérique. Il y a des restrictions parce que nous parlons du libre-échange de produits numériques, mais on prévoit l’élaboration de nos propres politiques dans les limites du chapitre sur le commerce numérique de cet accord.

Pour ce qui est de la gestion de l’offre, je la critique depuis des années. J’estime que c’est un système démodé de type soviétique qui est extrêmement protectionniste et qui est tout à fait désavantageux pour nous puisqu’il nous empêche d’accéder aux marchés mondiaux, surtout dans le cas des produits laitiers. Nous pourrions être l’un des principaux pays exportateurs de produits laitiers, mais ce n’est pas le cas. Ce n’est pas possible en raison de nos politiques protectionnistes.

Comme l’a dit M. Robertson, le gouvernement canadien a réussi par miracle à maintenir le système de la gestion de l’offre dans cet accord en échange d’une augmentation assez modeste de l’accès de l’industrie laitière américaine à notre marché. Donc, nous avons réussi en vertu de l’accord à maintenir une forme de protectionnisme démodé qui s’inspire du régime soviétique en échange d’une augmentation de l’accès des Américains à notre marché, une augmentation qui, toute proportion gardée, s’avère très modeste.

Le sénateur MacDonald : J’ai une petite question à propos de ce que demandait le sénateur Dean. En principe, je suis d’accord avec beaucoup de gens à propos de la gestion de l’offre. Je ne l’aime guère.

En pratique, toutefois, j’ai toujours été d’accord avec ce système quand il est question des États-Unis, car ils subventionnent leur agriculture à raison de dizaines de milliards de dollars par année, ce que nous ne faisons pas. Savez-vous si le gouvernement canadien a tenté de quelque façon de soulever la question des subventions américaines à l’agriculture pendant les négociations? Ou avons-nous simplement demandé qu’on s’y attarde en contrepartie de ce qu’on nous demandait de faire?

Le vice-président : À qui s’adresse votre question?

Le sénateur MacDonald : À tous les trois.

Le vice-président : Choisissez quelqu’un. Nous n’avons pas le temps d’entendre les trois réponses.

Le sénateur MacDonald : Qu’avez-vous entendu là-dessus, monsieur Robertson?

M. Robertson : Je peux certes vous dire que, quand nous avons négocié l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, puis l’ALENA, nous avons dressé la liste des subventions américaines, et vous avez tout à fait raison. Notre mise est en effet bien mince quand on la compare aux subventions américaines versées au secteur agricole. Je n’en suis pas certain, mais je crois que nous aurions de nouveau fait cet exercice avant d’entamer les négociations de cet accord, car nous ne savions pas vraiment sous quel angle les Américains allaient les aborder.

Le sénateur MacDonald : Ils ont un problème de surproduction. À lui seul, l’État du Wisconsin a une production laitière qui équivaut presque à celle de l’ensemble du Canada.

M. Robertson : Ce dossier a pris beaucoup de place en partie parce qu’il a profité de l’appui de Chuck Schumer, sénateur de New York et leader de la minorité au Sénat, mais aussi parce que Paul Ryan, président de la Chambre des représentants à l’époque, est un artisan fromager du Wisconsin.

Le sénateur MacDonald : Oui. Merci.

Le vice-président : Merci beaucoup, MM. Herman, Ciuriak et Robertson. Vos interventions viendront nourrir notre débat, qui durera plusieurs semaines. Vous nous avez renseignés sur beaucoup de dossiers, et c’est un très bon début. Merci pour votre temps et pour votre présence parmi nous.

[Français]

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-4, Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique. Au cours de cette deuxième heure, nous nous intéresserons plus particulièrement aux considérations liées à l’économie nationale avec nos trois témoins. Nous accueillons maintenant Mark Agnew, directeur principal, Politiques internationales, de la Chambre de commerce du Canada, Chad Swance, membre du conseil d’administration de l’Association canadienne des importateurs et exportateurs, et Sujata Dey, responsable de la campagne sur le commerce international au Conseil des Canadiens. Bienvenue à tous les trois.

[Traduction]

Merci beaucoup d’être là. Nous avons hâte d’entendre vos commentaires, qui seront suivis d’une période de questions.

[Français]

Je demanderais à M. Agnew de faire sa présentation, afin de nous permettre de comprendre son point de vue.

[Traduction]

Mark Agnew, directeur principal, Politiques internationales, Chambre de commerce du Canada : Je remercie le comité de son invitation à comparaître aujourd’hui pour discuter de la loi sur la mise en œuvre de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique ou ACEUM. Puisqu’il s’agit d’un accord crucial pour nos membres, je suis ravi d’être ici.

Vous êtes probablement nombreux à connaître les chambres de commerce de votre région. Si ce n’est pas le cas, sachez que la Chambre de commerce du Canada représente plus de 200 000 entreprises canadiennes, des PME aux multinationales. Ses membres comptent également des associations sectorielles et des chambres de commerce provinciales et locales. La Chambre de commerce du Canada a participé activement à toutes les négociations de l’ACEUM, était présente à tous les cycles de négociation et a mobilisé son réseau de membres par l’intermédiaire de la Coalition pour le commerce libre.

En ce qui a trait au projet de loi à l’étude, cet accord commercial est crucial pour les membres de la Chambre de commerce du Canada. L’Amérique du Nord est le plus important partenaire commercial du pays et il va le demeurer. Depuis l’entrée en fonction du président Trump, l’incertitude a gravement perturbé les activités des entreprises de partout au pays. Même si l’ACEUM n’est pas une panacée contre les politiques commerciales capricieuses de la Maison-Blanche, il est primordial de confirmer ce nouvel accord et de se tourner vers l’avenir. C’est dans cet esprit que je vous conseille vivement d’adopter le projet de loi C-4 dès que possible.

Tout accord commercial nécessite des concessions, et aucun accord commercial n’est parfait. Cela dit, nos négociateurs ont fait un travail extrêmement louable compte tenu du cadre très difficile établi par la Maison-Blanche. Permettez-moi de souligner certains des avantages particuliers de l’ACEUM pour les entreprises canadiennes.

Compte tenu du volume des échanges commerciaux entre nos deux pays, le maintien des avantages déjà établis dans l’ALENA, soit la libre circulation des marchandises, est le principal avantage. Des reportages ont fait ressortir l’importance de cette certitude au cours du dernier mois, puisque les États-Unis envisagent d’augmenter les taux des droits de douane consolidés applicables aux membres de l’OMC. Les dispositions de l’ACEUM concernant l’accès aux marchés pour les marchandises s’accompagnent d’un chapitre sur l’administration des douanes et la facilitation du commerce, ce qui contribue à assurer une circulation plus facile des marchandises à la frontière.

Dans le secteur des services, le maintien des dispositions sur la mobilité de la main-d’œuvre de l’ALENA favorisera l’embauche par les entreprises des meilleurs talents en Amérique du Nord. Nous aurions certes aimé prolonger la liste des secteurs inclus dans le cadre de ces négociations, mais il aurait été irréaliste d’espérer une mobilité de la main-d’œuvre accrue sous cette administration.

Nous sommes aussi satisfaits de l’inclusion des dispositions sur le commerce numérique qui favoriseront l’établissement de normes mondiales sur des questions telles que la circulation transfrontalière des données. Ici, je fais plus particulièrement référence aux normes que l’ACEUM établit dans le cadre des négociations de l’OMC sur le commerce électronique qui ont actuellement cours à Genève.

Point crucial pour nombre de nos membres: le maintien des dispositions relatives aux mécanismes de règlement des différends concernant les droits antidumping et compensateurs, ainsi que la consolidation des dispositions relatives aux différends entre États.

Enfin, les lettres d’accompagnement sur l’article 232 de la loi américaine Trade Extension Act assurent une certaine protection aux exportateurs canadiens. Cela dit, comme l’ont souligné d’autres témoins avant moi, nous ne pouvons pas nous permettre la moindre complaisance avec cette administration, ni avec celles qui suivront.

Comme je l’ai affirmé au début de mon allocution, la Chambre de commerce du Canada appuie sans réserve l’adoption rapide du projet de loi C-4. Toutefois, nous espérons que ce projet de loi ne constitue pas la fin des efforts consacrés au maintien de la compétitivité des entreprises canadiennes.

En premier lieu, il faudra veiller au versement d’une compensation complète et équitable au secteur de la production laitière pour les contingents tarifaires et droits à l’exportation qui seront mis en œuvre dans le cadre de cet accord.

Ensuite, au-delà de la portée du projet de loi C-4, il y a le Buy America Act, qui est une éternelle source de préoccupations pour les entreprises canadiennes et nos membres. Comme beaucoup d’entre vous le savent, cette loi limite considérablement la capacité des entreprises canadiennes à participer à de nombreux projets d’infrastructures américains et, plus particulièrement, leur capacité à mettre à profit leurs activités établies au pays pour accéder à ces contrats d’approvisionnement.

Contrairement à l’ALENA, l’ACEUM n’inclut pas les marchés publics canadiens et américains, et nous sommes préoccupés par des reportages qui indiquent que l’administration américaine envisage également de se retirer de l’Accord sur les marchés publics dans le cadre de l’OMC.

Le bois d’œuvre est une autre source de préoccupation pour un grand nombre de nos membres. La situation de l’industrie canadienne du bois d’œuvre demeure difficile pour diverses raisons, quoique la plus flagrante soit les problèmes associés à l’accès du marché américain. Nous invitons le gouvernement à poursuivre le dialogue afin de trouver une solution à ce différend perpétuel.

Enfin, les irritants réglementaires et frontaliers continuent d’être une source de problèmes pour les entreprises canadiennes qui souhaitent exploiter le plein potentiel de l’ACEUM. Maintenant que les négociations sont terminées, nous invitons le gouvernement à rétablir des initiatives telles que le Conseil de coopération Canada-États-Unis en matière de réglementation et de s’associer à des initiatives qui émanent de l’industrie, comme la Beyond Preclearance Coalition. Beaucoup de ces initiatives de coopération dans le domaine de la réglementation ne sont peut-être pas de bonnes occasions de paraître devant les caméras, mais elles sont absolument cruciales pour les entreprises qui participent quotidiennement aux échanges commerciaux.

Même si on ne s’attendait pas nécessairement à ce que les négociations de l’ACEUM permettent de résoudre ces questions, il s’agit de priorités pour nos membres, et j’espère que, maintenant que les négociations de cet accord sont terminées, nous pourrons nous concentrer à nouveau sur ces éternelles questions commerciales.

Comme je l’ai dit au début, nous incitons fortement le comité à effectuer cette étude le plus promptement possible afin de conclure le processus national de ratification.

Je vous remercie une fois de plus de m’avoir invité à paraître devant vous aujourd’hui et je serai heureux de répondre à vos questions.

Chad Swance, membre du conseil d’administration, Association canadienne des importateurs et des exportateurs : J’aimerais remercier le président et les membres du comité d’avoir donné à l’Association canadienne des importateurs et des exportateurs l’occasion de comparaître aujourd’hui. Je m’appelle Chad Swance, et je suis membre du conseil d’administration d’I.E. Canada. C’est un privilège de pouvoir comparaître devant votre comité afin de témoigner au sujet de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique.

I.E. Canada est une association commerciale nationale qui parle au nom de la communauté des négociants canadiens depuis près de 90 ans. Nous représentons quelques-uns des plus grands importateurs et exportateurs du Canada, ainsi que des petites et moyennes entreprises. Nos membres importent et exportent tous les types de marchandises et toutes les gammes de produits.

La mise en œuvre du projet de loi C-4 représente un défi particulier pour les entreprises du Canada. Lorsqu’un nouvel accord de libre-échange (ALE) est mis en œuvre, les entreprises passent de tarifs douaniers élevés à des tarifs douaniers faibles ou presque nuls. En vertu de l’ACEUM, les entreprises passent de tarifs douaniers faibles à un nouveau statu quo doté de tarifs nuls qui s’accompagnent d’une possibilité d’échouer à remplir les conditions si les documents présentés par les entreprises sont jugés inacceptables. Cela représente un nouveau risque de mise en œuvre.

De plus, il n’y a pas de période de transition pour le passage de l’ALENA à l’ACEUM. Une fois que l’ACEUM sera mis en œuvre, l’ALENA ne s’appliquera plus aux entreprises.

Au Canada, les ALE sont négociés par Affaires mondiales Canada, mais ils sont mis en œuvre par l’ASFC. En 2018, l’ASFC a dédouané près de 100 millions d’expéditions commerciales, et nous savons que la grande majorité d’entre elles contiennent des marchandises d’origine américaine ou mexicaine.

Si un importateur ne présente pas les documents qui conviennent, l’entreprise doit payer le niveau de droit de douane plus élevé, puis présenter une demande à l’ASFC pour récupérer le montant versé. Bien que l’ASFC fasse présentement l’objet d’une modernisation très attendue, la réalité actuelle est que le processus de récupération des droits de douane payés par erreur repose entièrement sur des documents sur papier. Nous ne pouvons même pas envoyer de télécopies. Même si seulement un petit pourcentage de ces 100 millions d’expéditions reste coincé dans ce processus, l’ASFC aura du mal à respecter ses engagements en matière de services, et les entreprises connaîtront des problèmes de liquidités.

Dans l’immédiat, nous recommandons que le gouvernement du Canada prenne les mesures suivantes : demander que l’ASFC prévoie une période de tolérance quand l’accord sera mis en œuvre; lancer un programme d’éducation pour les agents de l’ASFC et pour les entreprises canadiennes; demander que l’ASFC publie des bulletins relatifs à l’interprétation des règles longtemps avant leur mise en œuvre et qu’elle n’applique jamais une politique ou une directive avant qu’elle ait été rendue publique auprès de la communauté des négociants; et, enfin, accroître temporairement les effectifs de l’équipe responsable des remboursements à l’ASFC afin qu’elle puisse mieux servir les entreprises.

Au cours des dernières années, le gouvernement du Canada a mis en œuvre le PTP et l’AECG et, maintenant, il est, avec raison, en voie de ratifier l’ACEUM. Le gouvernement du Canada a jeté des assises solides pour permettre aux Canadiens de participer à l’économie mondiale. Toutefois, en 2019, Politico a annoncé qu’en fait, seulement 37 % des envois de l’Union européenne au Canada, qui étaient admissibles en vertu de l’AECG, tiraient parti de l’accord. Selon ces données, nous savons que, même si l’accord est presque entièrement ratifié, il reste encore beaucoup de travail à faire sur le plan de la mise en œuvre pour tirer profit des avantages escomptés.

Une fois que les audiences sur le projet de loi C-4 seront terminées, I.E. Canada et nos membres demanderaient que les éminents membres du comité entreprennent une étude du cadre actuel du commerce international au Canada, en mettant l’accent sur l’efficacité et l’orientation stratégiques de nos frontières et des structures gouvernementales qui les appuient. Dans le cadre de l’étude, le comité devrait examiner les pratiques exemplaires, comme le American Border Interagency Executive Council qui a été établi par le président Obama et qui exerce toujours ses activités sous l’administration américaine actuelle.

I.E. Canada se réjouit à la perspective de poursuivre son dialogue avec le comité, et c’est avec plaisir que je répondrai aux questions que vous pourriez avoir.

[Français]

Le vice-président : Je vous remercie.

Sujata Dey, responsable de la campagne sur le commerce international, Conseil des Canadiens : Bonjour. Je suis Sujata Dey, responsable de la campagne sur le commerce international au Conseil des Canadiens. Je vous remercie de me laisser faire ma présentation de Montréal.

Avec plus de 150 000 membres, le Conseil des Canadiens a été fondé dans la foulée du débat sur le premier accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. C’était le grand thème des débats lors des élections de 1988.

[Traduction]

Des dizaines d’années plus tard, bon nombre de nos préoccupations sont très semblables à celles de 1988 : une pression à la baisse exercée sur nos protections sociales et la réglementation, la privatisation, la déréglementation du secteur public et la façon dont les accords de libre-échange contribuent à abaisser les conditions pour les travailleurs et l’environnement.

Souvent, lorsque les accords commerciaux sont conçus, ils sont encadrés d’une façon très rigoureuse. Il y a les gagnants et les perdants, les industries et les marchés. Et pourtant, ces accords ne refaçonnent pas seulement nos marchés mondiaux, mais aussi nos règles démocratiques et nos sociétés.

Étant donné que la renégociation de l’ALENA était dirigée par le président Trump, nous, les membres du Conseil des Canadiens, savions que nous n’allions pas changer le mode de fonctionnement de l’ALENA. En ne perdant pas cela de vue, nous avons proposé d’apporter des changements à l’ALENA qui permettraient d’éliminer ses pires aspects. Maude Barlow, qui est notre présidente honoraire, a rédigé un guide de renégociation de l’ALENA intitulé A people’s guide to renegotiating NAFTA qui est fondé sur les principes que nous rechercherions dans une nouvelle entente.

Plus de 35 000 de nos membres ont écrit à leurs députés afin de demander ces changements. Je suis heureuse de signaler que certains aspects ont été modifiés, mais que d’autres sont restés les mêmes.

Les dispositions investisseur-État concernant le règlement des différends ont été retirées de l’accord, du moins en ce qui concerne le Canada et les États-Unis, ce qui est une excellente nouvelle. Ce chapitre sur les investissements donnait aux sociétés le droit de poursuivre des gouvernements en raison de leurs politiques. À partir de maintenant, le Canada doit faire attention de ne pas accepter cette clause dans n’importe lequel des accords qu’il conclut, que ce soit dans l’AECG, où elle est grandement contestée, ou dans toute autre tribune.

De plus, les dispositions sur la proportionnalité des exportations du secteur de l’énergie, qui obligeaient le Canada à exporter un contingent d’énergie vers les États-Unis, ont été retirées du nouvel ALENA. Cela nous donnera une plus grande marge de manœuvre sur le plan de la mise en œuvre de politiques qui nous permettent de respecter les engagements que nous avons pris en tant que membres du G8, ainsi que les engagements que nous avons pris à Paris.

[Français]

L’exemption culturelle a été bonifiée et s’applique maintenant à l’ensemble de l’industrie culturelle et de l’industrie numérique. Le Réseau québécois sur l’intégration continentale et nous avons présenté une lettre ouverte pour défendre ce principe. Cette lettre a reçu l’appui de Margaret Atwood, Susan Swan, Jane Urquhart, Dominic Champagne, Philippe Falardeau, Pierre Curzi et Michel Tremblay, entre autres.

[Traduction]

En outre, les dispositions liées à la biologie qui auraient rendu les médicaments plus coûteux ne figurent plus dans l’entente.

Mais il y a d’autres parties de l’entente qui sont encore problématiques. Ce sont les parties auxquelles le Sénat peut et devrait remédier dans la mesure législative d’exécution de l’accord.

[Français]

Par exemple, le chapitre sur la coopération réglementaire pourrait paraître anodin, mais il ne l’est pas. En effet, ce chapitre permet aux intérêts privés de participer à un processus parallèle au Parlement. C’est un processus qui n’est pas démocratique et il impose de nouvelles exigences aux législateurs au moment de l’élaboration de nouvelles politiques. Si ce processus n’est pas conforme, les États peuvent contester les mesures réglementaires en se servant du processus de règlement des différends d’État à État.

[Traduction]

Nous avons constaté que, dans l’AECG, ce processus de coopération en matière de réglementation est dangereux. Dans l’AECG, il y a un chapitre semblable portant sur la coopération volontaire en matière de réglementation qui est beaucoup moins strict que les dispositions correspondantes de l’ACEUM. De concert avec Foodwatch, un groupe d’intérêt européen, nous avons obtenu les documents de votre comité, et nous avons révélé les dangers de ces comités et la façon dont ils peuvent nuire aux règlements d’intérêt public. Nous avons démontré que les organismes canadiens de réglementation se servaient du comité pour affaiblir les lois de l’Union européenne sur les animaux, les plantes, les pesticides et les herbicides, et pour obtenir que les pays européens renoncent à leur principe de précaution.

Nous avons besoin que votre comité mette en place des freins et des contrepoids, y compris une surveillance parlementaire du comité de coopération en matière de réglementation de l’ACEUM. Après la publication de notre rapport aux Pays-Bas, le Parlement néerlandais a adopté une résolution exigeant une surveillance parlementaire des comités de ce genre prévus par l’AECG. Je serais heureuse de vous fournir ce rapport sur le comité de coopération en matière de réglementation qui figure dans l’AECG.

En ce qui concerne les exploitations agricoles, beaucoup de choses ont été dites au sujet de la gestion de l’offre et de ses effets sur les agriculteurs, mais très peu de choses ont été dites au sujet des consommateurs. Dans les années 1990, le Conseil des Canadiens a mené une campagne fructueuse pour mettre un terme à l’octroi de permis d’utilisation de l’hormone de croissance bovine ici, au Canada. Cette hormone permet aux vaches de produire des quantités de lait 25 % plus importantes, mais elle nuit à la santé des vaches. L’HCB est utilisée aux États-Unis sans que ce soit mentionné sur les étiquettes.

Au Canada, nous pouvons soit exiger que ce lait soit étiqueté de manière appropriée, soit restreindre les quantités de lait produites à l’aide de l’HCB.

De plus, je tiens à attirer votre attention sur une question en faveur de laquelle votre comité et le conseil se sont prononcés, c’est-à-dire un processus commercial qui doit rendre davantage de comptes au Parlement et aux citoyens, qui nécessite des évaluations économiques et qui comporte un mandat de négociation transparent. Votre comité a préconisé un tel processus et a rédigé un rapport qui demandait des politiques plus transparentes, et nos membres ont envoyé environ 2 000 lettres dans les 48 heures qui ont suivi cette demande. Jusqu’à maintenant, la vice-première ministre du Canada, Mme Chrystia Freeland, a accepté d’apporter des changements à notre politique commerciale. Compte tenu de ces changements, le Sénat doit lui aussi réexaminer la façon dont il intègre les débats publics dans ses processus.

Déjà, depuis la mise en œuvre de certains de nos accords, comme celui avec la Corée du Sud et l’AECG, nos exportations ont en fait diminué. À l’avenir, un processus public approprié permettrait de garantir que les ententes commerciales tiennent compte des opinions de tous, et pas seulement de celles des intervenants de l’industrie, et que le commerce profite à tous. Merci beaucoup.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup, madame Dey. Nous passons à la période des questions.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : J’ai une question particulière à poser au sujet de l’enjeu lié à l’aluminium. Comme nous le savons, aux termes de l’accord 70 % de la totalité de l’acier, de l’aluminium et du verre utilisés dans la fabrication d’une automobile doivent provenir de l’Amérique du Nord. L’exigence de 70 % en matière d’acier doit être respectée en utilisant de l’acier fondu et coulé par des aciéries nord-américaines. Il n’y a pas de dispositions semblables pour l’aluminium. Cela signifie que l’aluminium recyclé chinois peut continuer d’être utilisé pour fabriquer des produits de l’aluminium moins chers au Mexique. Le Mexique dépend de l’importation de rebuts et de rondins d’aluminium, qui sont ensuite fondus et moulés de nouveau en des pièces pour le secteur de l’automobile.

Jean Simard, le président de l’Association de l’aluminium du Canada, a déclaré que les négociateurs canadiens avaient combattu pour cette exigence, mais qu’ils avaient perdu la bataille. Dans quelle mesure êtes-vous préoccupé par cette lacune de l’accord? J’imagine que la question que je poserais pour donner suite à celle que je viens de formuler serait la suivante : pourquoi les Américains traitent-ils l’acier et l’aluminium différemment à cet égard?

M. Agnew : Pour répondre d’abord à la deuxième partie de votre question, je précise que je ne peux pas parler de ce qui, dans l’état d’esprit des négociateurs américains, les a poussés à rechercher une solution divisée pour l’acier et l’aluminium.

Certains des commentaires initiaux qui nous ont été communiqués par les intervenants du secteur de l’aluminium indiquaient qu’effectivement, ils auraient peut-être aimé bénéficier d’une norme qui les aurait amenés au même niveau que les fabricants d’acier. Pour répondre à cela, j’avancerais deux arguments. Premièrement, nous avons la capacité de réexaminer cette disposition dans un certain nombre d’années pour déterminer si nous pouvons en discuter de nouveau. Mais je pense que ce qui est fait est fait. Ce à quoi nous réfléchissons maintenant et ce que nous encourageons le gouvernement à faire, c’est trouver la cause profonde du problème, c’est-à-dire, en fin de compte, la surproduction de la Chine. Que pouvons-nous faire à l’échelle mondiale pour régler cette cause profonde du problème?

Il y a un certain nombre de recommandations particulières que le secteur de l’aluminium et Jean Simard ont déposées, des recommandations qui sont liées à la surveillance et à l’harmonisation des codes SH. Par ailleurs, il y a d’autres mesures qui peuvent être prises hors de l’accord pour tenter de réduire au minimum les répercussions négatives potentielles.

M. Swance : Je pense que M. Agnew a très bien répondu à la question. Cela se résume à l’interprétation de la réglementation liée à certains des articles qui sont négociés aujourd’hui. L’adoption de la mesure législative sera suivie de l’élaboration du cadre de réglementation, tel qu’il sera défini par les nombreux ministères qui participeront à la mise en œuvre de l’accord. Il reste encore à voir comment ces ministères interpréteront certains de ces règlements et ce qui se passera au cours du processus d’harmonisation de la réglementation. Avec un peu de chance, nous pourrons régler ces problèmes à ce moment-là.

Le sénateur MacDonald : J’ai une question à poser à Mme Dey. Je présume que votre organisation est clairement ou fondamentalement contre l’accord. Toutefois, seriez-vous prêt à reconnaître que, si le Canada ne ratifiait pas l’accord ou le modifiait, cela aurait probablement de graves conséquences pour l’économie canadienne et pour les emplois au Canada? Ne conviendriez-vous pas que ce serait le cas et que vous préféreriez éviter un résultat comme celui-là?

Mme Dey : Eh bien, j’aime beaucoup les formulations comme « Convenez-vous? » « Ne conviendriez-vous pas ?» et « Quelle est ma position? ». Revenons là-dessus. Premièrement, le Conseil des Canadiens est d’avis que nous avons besoin d’un modèle d’accords commerciaux différent et d’une différente manière d’aborder la négociation d’ententes. Nous ne voulons pas être esclaves de l’idée que, par exemple, L’ALENA est primordial ou que notre économie se désintégrera. En fait, une étude menée par le CPPA indique que, s’il y avait suffisamment de personnes contre, il y aurait toujours l’OMC et que cela entraînerait une différence de 1,5 %. Cette différence est assez considérable, mais ce ne serait toujours pas la fin du monde.

Par conséquent, l’idée d’être esclave de l’ALENA est une notion que nous jugeons problématique. Ce que nous recherchons — et je l’ai formulé de nouveau dans mes observations —, c’est une façon de participer aux négociations, afin que nous puissions modifier certaines parties de l’ALENA. Idéalement, nous aimerions élaborer un type d’accord complètement différent dans lequel les normes du travail seraient plus faciles à mettre en application, les droits des travailleurs seraient plus nombreux et il y aurait un processus parallèle. Nous n’avons pas obtenu cela.

Toutefois, dans le cadre du processus, nous avons admis que l’accord qui a été conclu est grandement supérieur à l’ALENA. Par exemple, nous nous sommes débarrassés des dispositions investisseur-État concernant le règlement des différends et de la disposition sur la proportionnalité des exportations dans le secteur de l’énergie. Et nous avons conservé dans l’accord certains des aspects positifs de l’ALENA, comme l’exemption relative aux industries culturelles.

Toutefois, il s’agit toujours d’un accord qui, dans le contexte d’une crise environnementale à l’échelle mondiale, ne reconnaît pas l’accord de Paris. Il favorise des problèmes d’inégalité extrêmes et permet à des sociétés de se soustraire à la mesure législative et d’éviter de payer des impôts. Ce n’est pas le genre d’accord dont nous avons besoin, c’est-à-dire un accord équilibré.

Toutefois, je dois reconnaître que des améliorations ont été apportées à cet accord. Je participe à votre comité afin de mentionner comment nous pourrions améliorer cet accord. J’ai mentionné dans ma déclaration la façon dont nous pouvons surveiller les conseils de coopération en matière de réglementation. Selon nous, ces conseils sont assurément à sens unique. Ils le sont en ce sens qu’ils cherchent à éliminer la réglementation ou à rendre plus difficile la réglementation, et pas d’une manière démocratique.

En votre qualité de comité sénatorial, comment mettrez-vous en place des freins et des contrepoids afin que nos pires craintes au sujet de l’accord ne se concrétisent pas?

Idéalement, j’aurais aimé que l’accord soit différent. Je me retrouve dans la situation où nous avons l’accord que nous avons. Nous faisons face à une administration Trump. Donc, nous n’obtiendrons pas l’accord que nous voulions. Dans ce cas, comment pouvons-nous rendre cet accord plus équilibré?

Le sénateur MacDonald : Messieurs, quelle est votre opinion? Quelles seraient les conséquences pour l’économie canadienne?

M. Swance : Je pense que le gros problème, sénateur MacDonald, c’est que les entreprises canadiennes doivent avoir confiance dans le marché. La grande majorité de nos importations et de nos exportations proviennent des États-Unis ou du Mexique ou sont destinées à ces pays. Nos entreprises ne préféreraient pas être de nouveau assujetties à l’OMC ou à un autre niveau de l’accord. Une différence de 5 % signifie que vous serez en mesure de vendre ou non une commande à une entreprise américaine. Même une fluctuation de 1,5 % aurait le même effet. Si les entreprises avaient le choix entre le fait d’avoir conclu un accord ou non, je suis convaincu que toutes les entreprises canadiennes choisiraient de bénéficier d’un accord.

M. Agnew : L’impact varie selon les secteurs, évidemment. Je ne prétendrai pas qu’il y a une réponse unique. Si vous allez dans le secteur automobile, il serait catastrophique de démanteler les chaînes d’approvisionnement fondées sur l’accord actuel. Nous perdrions des choses comme les préférences en matière de mobilité de la main-d’œuvre. Dans des domaines comme le commerce numérique, il s’agit plus d’établir des normes que d’élaborer de nouvelles règles, du moins dans le contexte nord-américain. Cela varie selon les secteurs, en fonction de ce dont vous parlez. Il va sans dire qu’il y aurait des effets si cela devait disparaître demain.

Le sénateur MacDonald : Le Parti conservateur va appuyer l’accord.

Le vice-président : Permettez-moi de saisir cette occasion pour clarifier quelque chose. Dans vos déclarations préliminaires, vous avez tous les deux semblé indiquer que l’accord a besoin de correctifs. Vous avez tous deux évoqué d’importantes préoccupations — ce sont vos mots — quant aux façons de l’améliorer. Si je comprends bien, tout cela figure au compte-rendu, mais vous recommandez essentiellement que nous approuvions l’accord tel quel. Est-ce que je me trompe, messieurs?

M. Agnew : Oui, nous recommandons de l’approuver tel quel. Pour que ce soit clair, les préoccupations que j’ai soulevées portent sur des aspects hors du cadre de l’accord. Pour la version actuelle de l’accord, nous devons recentrer notre attention sur ce que j’appellerais les activités commerciales courantes.

Le vice-président : Monsieur Swance?

M. Swance : I.E. Canada appuie également sans réserve l’adoption du projet de loi C-4 dans sa forme actuelle. Veillons toutefois à le mettre en œuvre de manière responsable pour pouvoir l’appliquer pleinement et avec succès.

Le sénateur Dean : Cette question s’adresse principalement à M. Swance, mais M. Agnew pourrait aussi avoir des commentaires à ce sujet. Elle porte sur l’administration des douanes. Vous avez évoqué les services frontaliers et l’importance d’obtenir les renseignements à l’avance.

Nous avons lu dans certains documents gouvernementaux que le chapitre 2, je pense, normaliserait les procédures douanières dans toute l’Amérique du Nord. Je suppose que vos membres en seraient les principaux bénéficiaires.

Pouvez-vous donner des exemples illustrant en quoi ce serait utile et comparer les nouvelles dispositions sur les douanes avec celles d’autres accords commerciaux, comme l’Accord commercial Asie-Pacifique, l’AECG et l’OMC? J’aimerais surtout connaître l’incidence sur le quotidien des importateurs et des exportateurs.

M. Swance : C’est une très bonne question, sénateur Dean. Le fardeau administratif que représentent les déclarations de douane est l’un des principaux problèmes des entreprises canadiennes et internationales. Chaque expédition s’accompagne des formalités d’exportation et d’un ensemble de règlements connexes. Dans l’autre marché, il y a les formalités d’importation correspondantes et les règlements connexes. Peut-on imaginer l’harmonisation de l’ensemble des règlements canadiens sur l’exportation et des règlements américains en matière d’importation? Je pense que c’est loin d’être fait.

Ce même chapitre comporte une disposition selon laquelle chaque service de douane est tenu de travailler à la mise en place d’une plateforme unique, une plateforme numérique unique. Actuellement, à ma connaissance, l’ASFC ne travaille pas là-dessus. Il en va de même pour les autres administrations douanières de l’accord. Cela pourrait être un bon point de départ pour ce qu’on pourrait appeler une union douanière d’accords harmonisés.

Les principaux avantages sont l’accès au marché et la stabilité. Si vous savez que votre envoi pourra entrer dans cet autre secteur douanier sans droits — ou même s’il y a des droits de douane, mais que l’entreprise le sait au préalable avant d’emballer et d’expédier ses marchandises —, malgré la multitude de formalités administratives et l’incertitude qui en découle, vous pourrez mieux servir vos clients. C’est là l’objectif de toutes les entreprises, en fin de compte.

Je ne sais pas si cela répond entièrement à vos questions.

Le sénateur Dean : Cet accord contribue-t-il à donner un certain degré de certitude à vos membres?

M. Swance : Comparativement à l’absence d’un accord? Absolument.

M. Agnew : J’ajouterais seulement les modifications au seuil de minimis découlant de cet accord, qui touchent principalement les achats auprès de détaillants en ligne. Actuellement, il y a un seuil qui s’applique à la fois aux services de messagerie express et aux circuits postaux, et il s’agit du même seuil pour les droits de douane et la taxe sur les ventes intérieures. Comme vous l’avez peut-être vu dans vos séances d’information, le seuil a été relevé, mais il est maintenant divisé en ce qui concerne les droits de douane et la taxe de vente. En outre, il s’applique aux services de messagerie express, mais pas aux services postaux. Donc, c’est évidemment une nouveauté avec laquelle les entreprises devront composer, en particulier la distinction entre les services de courrier express et les services de courrier postal.

[Français]

Le vice-président : Avez-vous des commentaires sur cette question?

Mme Dey : Dans le commerce international, il y a beaucoup d’éléments d’incertitude. Par exemple, en ce moment, l’un de ces éléments est la crise du coronavirus, qui n’a rien à voir avec un traité de commerce international.

L’idée d’avoir des règlements sur le commerce international est une bonne chose à laquelle je souscris. Par ailleurs, il faut se demander si ces règlements serviront la démocratie, s’il y aura un équilibre entre l’environnement et les droits des travailleurs et si ces règlements feront en sorte que tout le monde aura la chance de profiter de la richesse liée à cet accord. C’est ce que nous remettons en question. Comme je l’ai dit plus tôt, il y a eu des améliorations dans le cadre de cette négociation pour ce qui est des travailleurs, par exemple.

Aussi, les gens qui font partie de la société civile ont davantage de pouvoir par comparaison à ce qui s’est produit avec l’ancien ALENA. Nous avons besoin de règlements pour contrôler le commerce international, mais ces règlements vont-ils toujours accorder davantage d’importance aux droits des compagnies, ou vont-ils alourdir le poids même des problèmes que nous avons déjà?

L’idée même de la réduction des tarifs n’est pas seulement une situation problématique, c’est également un projet de société. Dans un accord, il n’y a pas que le commerce dont il faut tenir compte.

Le vice-président : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup aux témoins. M. Robertson, qui était ici plus tôt, a parlé de la nécessité de poursuivre les discussions une fois l’accord signé. Je sais que le Groupe interparlementaire Canada–États-Unis se rend plusieurs fois par année aux États-Unis pour rencontrer — j’allais dire des parlementaires — des membres du Congrès et des sénateurs, afin que ce ne soit pas une affaire d’une fois. Cela permet de bien connaître les gens, de les appeler et de discuter. Je pense que c’est vraiment important.

Il a également évoqué la nécessité d’améliorer nos ports et nos frontières. Vous y avez tous deux fait allusion.

Monsieur Agnew, vous avez parlé des enjeux concernant la réglementation et les frontières pour vos importateurs et exportateurs.

Monsieur Swance, vous avez parlé des formalités en format papier pour les droits de douane, ce qui est totalement impensable de nos jours. Vous avez également parlé de la nécessité d’augmenter les effectifs de l’ASFC afin d’assurer une meilleure circulation des marchandises, mais en toute sécurité. D’après mes lectures et les témoignages que j’ai entendus, j’en conclus que 14 ministères s’occupent des frontières au Canada. C’est beaucoup. Donc, essentiellement, il vous reste à dire qui est responsable.

Une fois l’accord signé — et nous supposerons qu’il le sera —, que devrons-nous faire ensuite, en examinant la situation à la frontière, pour que la circulation soit à la fois sécuritaire et efficace, de façon à éviter que les gens soient pris dans des formalités administratives en format papier pour essayer d’obtenir un remboursement de droits de douane? Cela pourrait prendre beaucoup de temps, et si cela arrivait, en particulier au début, alors que les gens ne connaissent pas bien les règles, cela pourrait représenter un montant considérable pour nos entreprises canadiennes.

Qu’en est-il des enjeux que vous observez à la frontière, monsieur Agnew? Que faisons-nous à cet égard?

M. Agnew : Je conseille de toujours agir de façon très précise et très ciblée. Je pense que nous risquons d’être dépassés si nous tentons de régler tous les enjeux frontaliers en même temps. C’est pourquoi la Chambre de commerce du Canada appuie fortement l’approche des projets pilotes. Bon nombre des changements que nous souhaitons pourraient nécessiter d’importants changements aux processus en place aux points d’entrée et d’importantes mises à niveau des systèmes informatiques. Comme nous l’avons vu avec Phénix, notamment, essayer de tout faire en même temps peut mener à la catastrophe.

J’ai mentionné la Beyond Preclearance Coalition; je peux vous donner trois exemples de projets pilotes. Le premier serait le contrôle à distance des marchandises, loin de la frontière. Le deuxième serait l’élimination de la double vérification des passagers en correspondance entre un aéroport régional canadien et un aéroport canadien ayant un point de précontrôle américain, par exemple pour un vol à destination des États-Unis avec escale à Toronto. Le dernier exemple est un guichet unique pour l’AVE canadienne et l’ESTA des États-Unis. Dans ce dernier exemple, on parle d’une refonte informatique majeure visant la communication entre les systèmes du SDPF des États-Unis et d’IRCC et leur intégration. Les projets pilotes sont une manière plutôt prudente de traiter d’enjeux de ce genre.

M. Swance : J’aimerais revenir sur votre commentaire selon lequel personne n’est responsable de la frontière. L’ASFC est un organisme d’application de la loi qui s’acquitte du mandat qui lui a été confié dans la foulée du 11 septembre et qui fait un bon travail à cet égard. Toutefois, il s’agit d’un organisme d’application de la loi et non d’un organisme chargé d’établir les politiques. L’ASFC a une latitude limitée quant aux règlements à appliquer.

Le Canada devrait-il établir une entité semblable au Border Interagency Executive Council des États-Unis — le BIEC —, qui a été créé sous l’administration Obama et qui relève maintenant du président Trump? Cet organisme est chargé d’examiner la nouvelle réglementation frontalière et les perspectives stratégiques liées à la frontière. Pouvons-nous faire de la frontière canadienne un avantage stratégique plutôt qu’un fardeau réglementaire? Je pense que c’est possible et qu’il serait avantageux que le gouvernement se penche sur la question. Je pense que le gouvernement du Canada a fait un très bon travail ces dernières années en signant des accords comme le PTP, l’AECG et l’accord dont vous êtes saisis aujourd’hui. Il a ainsi jeté les bases permettant aux entreprises canadiennes d’étendre leurs activités à l’échelle mondiale.

Notre économie et notre situation géographique nous obligent à faire du commerce. Assurons-nous que les entreprises et l’économie canadienne connaissent du succès. Examinons la possibilité de créer le pendant canadien du BIEC afin de passer à la prochaine étape. Nous avons jeté les bases. Il convient maintenant de commencer à bâtir la structure nécessaire pour que le Canada connaisse plus de succès sur la scène internationale, pour qu’il puisse conclure et mettre en œuvre des accords de libre-échange et pour assurer une libre circulation des marchandises à la frontière, dans les deux sens.

La sénatrice Cordy : Monsieur Agnew, vous avez parlé d’un projet pilote vous permettant de faire des essais à plus petite échelle pour voir si cela fonctionne. Y a-t-il beaucoup de projets pilotes en cours actuellement aux postes frontaliers du Canada?

M. Agnew : Je n’ai pas les chiffres exacts. Certains projets de la Beyond Preclearance Coalition que j’ai mentionnés sont commencés. Je crois savoir qu’il y a 14 projets. Je ne connais pas tous les détails, mais je pense qu’ils en sont plutôt aux premières étapes qu’à la conclusion actuellement.

La sénatrice Cordy : D’après vos observations, les gouvernements ont-ils tendance à rendre permanents les projets pilotes qui donnent des résultats?

M. Agnew : C’est certainement à espérer. Lorsque le gouvernement met en œuvre des projets pilotes destinés à l’industrie — les utilisateurs —, il est important d’assurer la communication entre les deux parties d’entrée de jeu afin de régler les problèmes plutôt que d’attendre la fin du processus.

La sénatrice Cordy : Merci.

[Français]

Le vice-président : Puisqu’il n’y a plus de questions pour nos experts, je remercie Mme Dey, M. Agnew et M. Swance de leur participation et de leur expertise. Ils nous ont aidés à mieux comprendre le projet de loi. Je rappelle aux membres du comité que nous poursuivrons notre étude du projet de loi C-4 demain, à 16 h 15.

C’est un bon début, mais il reste beaucoup de travail à faire. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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