LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 27 mai 2020
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), par vidéoconférence, pour étudier la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19.
La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, avant de commencer, j’aimerais vous rappeler quelques points.
Premièrement, on vous demande de mettre votre micro en sourdine en tout temps, à moins que la présidente ne vous désigne par votre nom, et c’est vous qui êtes responsables d’allumer et d’éteindre votre micro pendant la réunion. Avant de prendre la parole, veuillez attendre qu’on vous nomme. Une fois que vous aurez obtenu la parole, veuillez faire une pause de quelques secondes pour laisser le signal sonore s’installer. Lorsque vous parlez, parlez lentement et gardez le microphone près de votre bouche. Si vous avez choisi un canal d’interprétation, je vous demande aussi de vous exprimer uniquement dans la langue du canal.
Si des difficultés techniques surviennent, particulièrement en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler à la présidente, et l’équipe technique s’efforcera de résoudre le problème. Si vous éprouvez d’autres difficultés techniques, veuillez communiquer avec le greffier du comité au moyen du numéro d’assistance technique qui vous a été fourni.
Enfin, veuillez noter que si le comité décide de siéger à huis clos, l’utilisation de plateformes en ligne ne garantit pas la confidentialité des échanges et ne protège pas contre l’écoute clandestine. Par conséquent, tous les participants devraient être conscients de ces limites et limiter la divulgation possible de renseignements confidentiels, privés et privilégiés du Sénat.
Les participants doivent savoir qu’ils doivent participer à la réunion dans un endroit privé et être conscients de leur environnement, afin de ne pas divulguer par inadvertance des renseignements personnels ou des renseignements qui pourraient être utilisés pour déterminer l’endroit où ils se trouvent.
Bonjour. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Français]
Je m’appelle Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec. J’ai le plaisir et le privilège de présider cette réunion virtuelle.
[Traduction]
Avant de céder la parole à nos témoins, j’aimerais vous présenter les sénateurs qui participent à cette réunion. Nous sommes heureux d’accueillir la sénatrice Lankin, le sénateur Munson, la sénatrice Miville-Dechêne, la sénatrice Pate, la sénatrice LaBoucane-Benson, le sénateur Cormier, le sénateur Black, la sénatrice Griffin, le sénateur Plett, la sénatrice Dasko, le sénateur Manning, la sénatrice Forest-Niesing, la sénatrice Seidman, la sénatrice Mégie, la sénatrice Omidvar, la sénatrice Poirier, la sénatrice Moodie et le sénateur Kutcher.
[Français]
Bienvenue à ce comité.
[Traduction]
Aujourd’hui, nous poursuivons l’étude sur la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19. Vous vous souviendrez que le 11 avril 2020, le Sénat a adopté une motion autorisant le comité à examiner, afin d’en faire rapport, la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19.
Le comité a tenu deux réunions, au cours desquelles il a entendu des représentants de divers ministères et professions de la santé. Aujourd’hui, le comité entendra des témoins représentant d’autres travailleurs essentiels.
[Français]
Sans plus tarder, je vous présente nos premiers témoins pour aujourd’hui : d’Unifor, nous accueillons Jerry Dias, président national; du Syndicat des agents correctionnels du Canada, Jeff Wilkins, président national; de Migrant Workers Alliance for Change, Syed Hussan, directeur général.
[Traduction]
Nous commencerons par la déclaration préliminaire de M. Dias, suivie de celle de M. Wilkins, puis de celle de M. Hussan. Monsieur Dias, vous pouvez commencer.
Jerry Dias, président national, Unifor : Merci. Bonjour à vous, madame la présidente, et bonjour aux membres du comité permanent. Comme je ne dispose que de cinq minutes, je vais lire l’intervention que j’ai préparée.
Je m’appelle Jerry Dias et je suis le président national d’Unifor, le plus important syndicat canadien dans le secteur privé. Je vous remercie de m’avoir invité à vous présenter le point de vue d’Unifor à l’égard de la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19, en espérant que cela sera utile au comité dans ses travaux.
Les sénateurs se souviendront peut-être que, il y a quelques semaines à peine, Unifor a perdu l’un de ses membres. Leonard Rodriques était préposé aux services de soutien à la personne dans un logement supervisé de Toronto. Il a contracté le coronavirus au travail. Il était aux premières lignes, mais n’avait accès à aucun équipement de protection individuelle, si bien qu’il a été forcé de s’en procurer lui-même au magasin à un dollar du coin, figurez-vous.
Dire que c’est honteux serait un euphémisme. Il est effrayant de savoir que cela représente la réalité de tant de Canadiens, de tant de travailleurs au Canada en ce moment. Une chose est claire : cette crise fait ressortir bien des faiblesses structurelles au Canada.
Au début de la réponse à la pandémie, lorsqu’il est devenu évident que notre régime d’assurance-emploi ne pouvait composer avec la quantité de demandes qui affluaient à son endroit, le gouvernement fédéral est intervenu rapidement pour construire un nouveau régime d’aide au revenu. Malheureusement, même si le régime d’assurance-emploi n’était pas tombé en panne, des millions de travailleurs n’étaient de toute façon pas admissibles à ces prestations, malgré le fait qu’ils aient cotisé au régime toute leur vie.
En dépit du bon travail qu’a fait le gouvernement pour acheminer de l’argent aux travailleurs dans le besoin par la voie de la Prestation canadienne d’urgence, il reste des lacunes à combler. La semaine dernière, j’ai parlé au Comité des finances de la Chambre des communes et j’ai exprimé ma frustration devant le fait que des milliers de travailleurs se voient refuser des prestations supplémentaires de chômage, de l’argent que le gouvernement empêche les employeurs de payer.
Il importe également de souligner que lorsque la Prestation canadienne d’urgence expirera pour des millions de prestataires en juillet, une deuxième vague de demandes inondera le régime d’assurance-emploi. Unifor a recommandé des modifications d’urgence à la ministre Qualtrough afin d’éviter la situation de crise qu’entraînerait cette deuxième vague, et, si cela intéresse le comité, je serais ravi de lui communiquer ces propositions.
Notre défi immédiat consiste à résoudre ces problèmes. Toutefois, à long terme, le plus grand défi consiste à élaborer un régime de sécurité du revenu inclusif, équitable et adapté.
La présente crise met en évidence le faible salaire et les conditions de travail difficiles de nombreux travailleurs, y compris des travailleurs considérés comme étant essentiels, comme les préposés aux services de soutien à la personne et les commis de supermarché. Elle fait également nettement ressortir l’écart salarial entre les hommes et les femmes dans le domaine des soins et des services de même qu’à quel point ce travail est sous-estimé.
Bien que nous félicitions le gouvernement fédéral d’appuyer les avantages de salaire et de promouvoir les congés de maladie payés, nous l’encourageons à demeurer sur la voie d’une réforme des normes du travail qui, parmi d’autres changements nécessaires, porterait le salaire minimum fédéral à au moins 15 $ l’heure. Les provinces doivent emboîter le pas.
Nous reconnaissons également que la sécurité du revenu découle autant de la situation d’emploi que des autres facteurs déterminant les moyens, tels que le logement et le loyer, le transport en commun et la mobilité, l’assurance-médicaments et les frais de garde d’enfants. Ces éléments sont tout aussi essentiels à l’élaboration d’un plan de relance économique fluide aujourd’hui qu’ils le seront pour l’élaboration d’une vision pour un Canada meilleur et plus juste demain.
La pandémie nous montre par ailleurs à quel point nos chaînes d’approvisionnement mondiales sont fragiles et précaires, elles qui sont le fruit de dizaines d’années de mondialisation et de négociation d’accords de libre-échange. Nous ne produisons pas suffisamment des choses dont nous avons besoin; ce n’est que trop évident en cette période de nécessité. Qu’il s’agisse de l’équipement de protection individuelle, dont nous avons grandement besoin, ou d’autres biens, nous devons mieux développer, stratégiquement, nos chaînes d’approvisionnement intérieures, afin de soutenir notre économie et de stabiliser l’emploi.
Pour ce faire, le gouvernement doit se montrer plus actif et plus engagé, travailler dans l’intérêt de la population et s’impliquer directement dans l’accroissement de la fabrication des biens et de la prestation des services dont dépend le pays, en particulier des services de soins de longue durée. Le rapport accablant des Forces armées canadiennes en Ontario décrit à quel point la situation est grave.
Voilà qui me ramène à Leonard Rodriques, un travailleur, un frère, un père qui a littéralement donné sa vie pour ce combat, une personne rémunérée une fraction de sa valeur pour ce pays, dans une industrie où il a été abandonné à son sort. Nous ne lui avons même pas donné un foutu masque. Nous avions le devoir envers M. Rodriques de voir plus grand et d’exiger mieux. C’est exactement ce que j’exhorte le comité à faire dans son rapport final.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Dias.
Jeff Wilkins, président national, Syndicat des agents correctionnels du Canada : Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Je m’appelle Jeff Wilkins et je suis le président national du Syndicat des agents correctionnels du Canada. Je vous suis très reconnaissant de m’avoir invité et de me donner l’occasion de m’entretenir avec vous tous aujourd’hui. J’espère pouvoir vous aider à résoudre les importantes questions que vous vous posez sur la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19.
J’aimerais d’abord dire à quel point je suis fier de représenter un groupe de professionnels aussi incroyables qui demeurent en poste pendant la pandémie et qui poursuivent leur travail malgré la menace invisible nommée COVID-19. Avant cette pandémie mondiale, nos membres travaillaient déjà quotidiennement dans l’un des environnements les plus dangereux que l’on puisse imaginer. Aujourd’hui, en plein cœur d’une crise mondiale, ils poursuivent courageusement leur travail en s’exposant à un risque personnel supplémentaire. Pour cette raison, ils méritent d’être félicités.
Les membres du Syndicat des agents correctionnels du Canada, ou UCCO-SACC-CSN, n’ont toujours demandé qu’une chose du gouvernement en dehors de nos négociations, soit de mettre en place des mesures de protection afin de réduire autant que possible, dans la mesure du raisonnable, les risques pour notre santé et notre sécurité. Dans le contexte de la COVID-19, cette exigence demeure.
En tant que premiers répondants, les agents correctionnels n’ont pas la possibilité de simplement rester chez eux. Tout comme les autres travailleurs de première ligne, nous avons besoin d’une protection adéquate pour nous acquitter de nos fonctions en toute sécurité. Cependant, le travail en toute sécurité prend une forme bien différente dans un établissement correctionnel que dans les autres secteurs de la société canadienne. Nos membres doivent constamment trouver un juste équilibre entre la menace que pose le virus comme tel et celle que pose l’agitation au sein de l’établissement.
Un gros problème pour nos membres dans cette crise est le fait que certaines des directives émanant des diverses autorités provinciales de santé publique et de l’Agence de la santé publique du Canada se contredisent, notamment en ce qui concerne les tests de dépistage viraux, les règlements sur la distanciation sociale ainsi que les protocoles de recherche des contacts. Ce sont là d’importants outils dans la lutte contre le virus. Toutefois, chacun de ces outils est géré différemment pour nos membres selon la province où ils habitent ou travaillent. Certaines provinces font passer un test de dépistage aux membres qui soupçonnent avoir été en contact avec un cas déclaré, alors que d’autres ne leur font passer un test que s’ils présentent des symptômes. Au début de la propagation du virus au Canada, certaines provinces ont rapidement limité les rassemblements alors que d’autres ne l’ont pas fait. En outre, certaines provinces avaient des règles différentes pour définir ce qui constitue un contact étroit dans le cadre de la recherche des contacts. Ce manque d’uniformité pose divers problèmes pour nos membres.
Un autre gros problème est le port d’équipement de protection individuelle et de masques dans nos établissements. Le Service correctionnel du Canada a beaucoup tardé avant de consulter nos divers ordres de comités de santé et de sécurité en ce qui a trait à la politique régissant l’utilisation d’équipement de protection individuelle. Le comité national de santé et de sécurité a été convoqué pour la première fois à la fin mars, et la consultation s’est poursuivie pendant une bonne partie d’avril avant que des lignes directrices sur l’équipement de protection individuelle ne soient envoyées aux sections locales à des fins de consultation. Je peux seulement attribuer cette réponse tardive au manque de préparation, tant de la part de la santé publique que du Service correctionnel du Canada.
Nos membres ont également vécu un important changement culturel en ce qui a trait au port de masques. Avant l’annonce de la Dre Tam en avril, nos membres étaient passibles de mesures disciplinaires s’ils choisissaient de porter un masque non prescrit par l’employeur. Aujourd’hui, ils sont passibles de mesures disciplinaires s’ils n’en portent pas. À mon avis, cette directive est arrivée trop tard, puisque nous connaissions déjà d’importantes éclosions. Je ne comprends pas pourquoi cette directive ne figurait pas déjà dans un guide mondial d’intervention en cas de pandémie. Car, si le port du masque avait déjà fait partie de la culture au début de la crise, je suis convaincu que certaines des éclosions que nous avons connues dans nos établissements auraient pu être évitées ou que, du moins, leurs proportions auraient été moindres.
Depuis la déclaration, dans la région de Québec, du premier cas de COVID-19 en établissement carcéral à la fin mars, 5 de nos 49 établissements ont connu une éclosion considérable. De plus, près d’une centaine de nos membres ont été infectés par le virus.
Depuis deux mois et demi, nos membres poursuivent fièrement leur travail. Toutefois, ils sont fatigués et ont hâte que la pandémie se résorbe. Il y aura un prix à payer pour ces deux mois et demi. Que le comité comprenne bien : le gouvernement doit prendre des mesures concrètes et délibérées dès maintenant et devra certainement en prendre à la suite de cette crise afin de tenir compte de la santé mentale des agents correctionnels et de la protéger. Tout le monde sait qu’il existe une forte corrélation entre le risque accru de dommage psychologique et la profession d’agent correctionnel. Nos membres travaillent dans des circonstances extraordinaires et dans un état accru d’anxiété, ce qui, sans aucun doute, aura des répercussions importantes sur leur bien-être et leur santé mentale. Il est nécessaire de faire de leur bien-être et de leur santé mentale une priorité immédiate.
En conclusion, il ressort nettement de cette crise que non seulement le Service correctionnel du Canada, mais aussi le Canada dans son ensemble étaient mal préparés à faire face à une pandémie. Même si le service a réagi chaque fois qu’une crise locale est survenue, la lutte contre le virus est plutôt de nature réactionnaire. Avec la sagesse du recul, qui est toujours parfaite, j’estime que, si des mesures appropriées avaient été prises dès que la gravité de la crise a commencé à être largement connue et qu’une véritable consultation avait eu lieu avec les agents de première ligne et le syndicat, bon nombre de nos établissements auraient été beaucoup mieux préparés. Nous devons demeurer vigilants et nous préparer à d’autres vagues éventuelles de ce virus. Cela dit, nous devons également commencer à penser à des moyens sûrs pour nous de revenir à la normale dans cette nouvelle réalité. L’UCCO-SACC-CSN exige que le gouvernement consulte adéquatement toutes les parties intéressées en ce qui a trait au retour à nos activités normales et qu’il tienne compte de la santé et de la sécurité de nos membres dans toutes ses décisions.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup.
Syed Hussan, directeur général, Migrant Workers Alliance for Change : Je vous remercie beaucoup de m’avoir invité à vous parler aujourd’hui au nom de la Migrant Workers Alliance for Change, une coalition de 27 organismes dirigés par des migrants et organismes alliés. Je fais également partie du comité de coordination du Migrant Rights Network, l’alliance nationale des migrants du Canada. Ensemble, nous englobons pratiquement tous les groupes de migrants, des travailleurs agricoles aux aides familiaux, en passant par les étudiants internationaux ou migrants, les travailleurs du sexe migrants ainsi que les sans-papiers.
Selon l’estimation la plus conservatrice, le Canada compte 1,6 million de résidents temporaires. Autrement dit, une personne sur 23 au pays est un résident non permanent. Les migrants sont des travailleurs essentiels. Nos membres cultivent des aliments et prennent soin des enfants, des malades et des personnes âgées. Ce sont des nettoyeurs, de travailleurs de la construction, des préposés aux services de soutien à la personne et des livreurs. Ils travaillent dans les magasins de détail, les épiceries et les entrepôts. Nous soutenons le Canada. Pourtant, les migrants sont presque entièrement laissés pour compte dans la réponse du Canada à la pandémie de COVID-19. L’étendue de cette exclusion est immense. Toutefois, aujourd’hui, je vais me concentrer sur trois grands domaines. Mes observations se fondent sur les propositions de politiques détaillées qui se trouvent dans mon mémoire.
Premièrement, parlons des soins de santé. À l’exception de l’Ontario, les provinces et les territoires refusent tous, en tout ou en partie, la prestation de soins de santé à de nombreux migrants. À bien des endroits, même les tests de dépistage et les traitements liés à la COVID-19 ne leur sont pas offerts. Lorsque les politiques prévoient l’offre de services, en réalité, ceux-ci sont inaccessibles. Par exemple, de nombreux travailleurs agricoles migrants de l’Ontario ont été placés en quarantaine immédiatement à leur arrivée et n’ont donc pas pu activer leur téléphone cellulaire. Résultat, ils ne peuvent pas appeler les agences de santé publique ni accéder aux cliniques médicales, dont la plupart des services sont maintenant uniquement offerts par téléphone.
Deuxièmement, parlons des droits au travail et des soutiens du revenu. Des migrants qui continuent de travailler pendant la pandémie sont victimes d’une énorme exploitation, mais sont incapables de refuser un travail dangereux en raison de leur statut d’immigrant temporaire. Par exemple, les aides familiaux migrants dont le permis est rattaché à un employeur donné ont vu leurs heures de travail augmenter de façon massive depuis que les familles sont confinées à la maison. Pourtant, dans la plupart des cas, leurs employeurs les enferment dans la maison, refusant de les laisser sortir ne serait-ce que pour faire l’épicerie ou envoyer des fonds à leur famille à l’étranger.
De même, malgré la reconnaissance publique du caractère essentiel des travailleurs agricoles migrants pour assurer l’intégrité du système alimentaire, aucun soutien réel ne leur est offert. Les conditions de logement rendent la distanciation sociale impossible pour les travailleurs agricoles, même en quarantaine. Des retenues illégales sont effectuées sur leur paie. On les force à travailler plus fort et plus vite pour compenser les pertes de revenu de leurs employeurs. L’inaction du gouvernement fédéral entraîne tant d’éclosions de COVID-19 dans les exploitations agricoles que l’agence de santé publique de Windsor, ville comptant la plus forte concentration de travailleurs agricoles migrants au pays, a déclaré les exploitations agricoles comme étant des lieux où le risque de propagation de la COVID-19 est élevé.
En dépit du caractère essentiel des travailleurs migrants pour la santé et la sécurité des collectivités, aucun supplément de salaire ne leur est fourni. Beaucoup de migrants ayant perdu leur emploi ou leur revenu ne sont pas admissibles à la Prestation canadienne d’urgence. Lilliana Trejo, une mère sans papiers qui travaille comme auxiliaire dans un établissement de soins de longue durée, décrit la situation que vivent de nombreuses personnes : « Si nous ne mourons pas de la COVID-19, nous mourrons d’anxiété, de dépression, d’isolement et de faim. » Certains de nos membres ont même obtenu un résultat positif au test de dépistage de la COVID-19, mais ne peuvent accéder à la Prestation canadienne d’urgence.
Selon le plus récent recensement, 42,9 % des résidents non permanents ont un faible revenu, comparativement à 12,5 % des non-immigrants et à 17,9 % des immigrants. Quarante-deux virgule neuf pour cent. L’absence de soutien du revenu entraîne donc des conséquences irréversibles. Des parents donnent naissance à domicile sans la moindre assistance. Des interventions chirurgicales importantes sont annulées. Des familles vendent leur véhicule, leur principal moyen de transport pour le travail. Des étudiants se font retirer des collèges. Il n’y a pas de retour à la normale après cela.
Troisièmement, parlons d’immigration. Lorsque le Canada a fermé ses frontières à la mi-mars, des familles ont été séparées, des travailleurs ont perdu un revenu et des étudiants n’ont pas pu reprendre leurs études. Bien que, en théorie, les frontières aient été partiellement rouvertes, en pratique, de nombreux migrants et réfugiés racialisés et à faible revenu sont incapables de revenir au Canada, alors même que beaucoup continuent d’y payer un loyer. Toutefois, ce n’est que la pointe de l’iceberg. Les étudiants migrants doivent acquérir de l’expérience d’emploi au Canada, mais n’arrivent pas à trouver du travail pendant la pandémie. Des détenus migrants ont dû faire la grève de la faim pour être libérés des centres de détention surpeuplés, mais sont forcés de porter des bracelets à la cheville. Des aides familiaux mis à pied ne seront pas en mesure de satisfaire aux critères en matière de travail pour obtenir la résidence permanente. Le traitement des demandes de permis d’immigration a ralenti, ce qui crée d’immenses difficultés.
Aujourd’hui comme toujours, les migrants effectuent un travail essentiel. Or, il leur est impossible d’accéder à du travail décent, de jouir de droits égaux ou de réunir leur famille puisqu’ils n’ont pas le plein statut d’immigrant. Voilà pourquoi nous réclamons un programme de régularisation afin d’étendre immédiatement le plein statut d’immigrant à tous les résidents non permanents du pays, sans exception.
La seule réponse efficace à la crise de la COVID-19 et le seul moyen juste de s’en remettre consistent à faire en sorte que les migrants obtiennent les droits qu’ils méritent. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Merci à vous tous pour vos déclarations préliminaires. Nous sommes maintenant prêts à procéder aux questions des sénateurs.
Conformément à la pratique habituelle, je rappelle aux sénateurs que chacun de vous dispose de cinq minutes pour ses questions et que cela inclut les réponses. Si vous souhaitez poser une question, veuillez utiliser la fonction de la main levée dans Zoom. Je vous ajouterai alors à la liste, puis votre main sera baissée. Lorsque vous posez une question, il serait utile que vous nommiez la personne de qui vous souhaitez obtenir une réponse et que vous le mentionniez lorsque votre question s’adresse à l’ensemble des témoins.
La première question sera celle de notre vice-présidente, la sénatrice Poirier.
La sénatrice Poirier : Bonjour, mesdames et messieurs. Merci d’être ici, et merci de vos présentations.
Ma première question s’adresse à M. Jeff Wilkins. L’Établissement Joliette pour femmes est probablement l’établissement correctionnel fédéral le plus durement touché par la COVID-19. J’ai une question en trois parties à poser. Pouvez-vous nous dire combien d’agents ou d’autres membres du personnel de l’Établissement Joliette ont été infectés? Savez-vous pourquoi autant d’agents ont été infectés? Est-ce à cause de la configuration des lieux? Quelles leçons devrions-nous tirer de ce qui s’est passé à Joliette?
M. Wilkins : Oui, je peux vous informer de la situation.
Actuellement, à l’Établissement Joliette, aucun agent de correction n’a obtenu un test de dépistage positif à la COVID-19, mais, au plus fort de la crise, je crois qu’il y en avait environ 70.
Je peux vous dire que l’Établissement Joliette, à l’instar de la plupart des établissements pour femmes, est un milieu ouvert. Depuis que la COVID-19 a frappé, nous avons notamment appris que nous devons être capables de maintenir nos distances les uns par rapport aux autres. C’est très difficile à faire dans un établissement fondé sur un cadre de milieu de vie en logement, où les détenues se rassemblent dans des aires communes générales. À mon avis, c’est l’une des principales raisons pour lesquelles les établissements comme celui de Joliette et certains des établissements à sécurité minimale du pays ont été durement frappés lorsque le virus s’y est introduit.
En ce qui concerne les leçons apprises, bien sûr, la configuration de certaines infrastructures est plus commode pour empêcher la propagation de la COVID-19. Toutefois, je ne crois pas que le Service correctionnel du Canada s’apprête à changer complètement les infrastructures. Il s’agit d’une situation sans précédent, et la plupart de ces établissements reposent sur la réadaptation dans un cadre communautaire, alors ils se prêtent mieux à la réadaptation.
La sénatrice Poirier : Merci.
Ma deuxième question s’adresse aussi à vous, monsieur Wilkins. Vous avez envoyé une lettre au ministre Blair pour demander une quantité suffisante de trousses de dépistage afin de dépister le personnel essentiel. À ce jour, près de deux mois plus tard, le ministre a-t-il répondu à votre lettre et avez-vous reçu une quantité suffisante de trousses de dépistage?
M. Wilkins : Le ministre ne nous a pas répondu par écrit, mais nous nous sommes parlé. Ce n’est que maintenant que l’on commence à offrir des dépistages aléatoires au personnel des établissements, en commençant par la région du Québec ainsi que la région du Pacifique. Bien sûr, c’est une mesure que nous avions demandée, mais elle est mise en œuvre presque deux mois plus tard. La réalité commence à nous rattraper parce que, selon moi, la société en général a appris qu’il est important de dépister les personnes asymptomatiques, ce qu’on a désormais commencé à faire dans ces établissements.
La sénatrice Poirier : Merci.
Sommes-nous prêts pour la deuxième vague dont on entend parler? Selon vous, le gouvernement a-t-il apporté les ajustements nécessaires pour veiller à ce que les établissements correctionnels du Canada soient prêts pour la deuxième vague?
M. Wilkins : Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, nous ne pouvons pas rentrer chez nous et nous devons veiller à ce que la frontière soit protégée. Notre état de préparation à la deuxième vague dépend entièrement des mesures que nous prenons maintenant.
Bien sûr, dans les faits, si on empêche tout le monde d’entrer dans l’établissement, on empêche aussi la COVID-19 d’en sortir. Toutefois, certains de nos membres doivent faire l’aller-retour entre la maison et le travail. Si nous envisageons de rouvrir nos portes et de nous préparer à une deuxième vague, nous devons être disposés à nous confiner, comme le reste du Canada le fait actuellement.
À mon avis, nous disposons d’équipement de protection individuelle. Nous sommes prêts à ce chapitre. Bien sûr, nous devons nous préparer à faire en sorte que l’éloignement physique continue d’être respecté dans l’établissement afin de prévenir la propagation du virus s’il venait à y entrer.
La sénatrice Poirier : Merci beaucoup.
La présidente : Monsieur Wilkins, très rapidement, vous avez mentionné des dépistages aléatoires. Selon vous, est-ce adéquat ou devrait-on procéder autrement?
M. Wilkins : Si nous avons demandé d’effectuer des dépistages dans les établissements et si j’ai écrit une lettre au ministre de la Sécurité publique, c’est notamment en raison de l’Établissement de Port-Cartier. Lorsque l’épidémie a éclaté à cet endroit, une grande majorité de nos membres ont dû retourner chez eux pour s’isoler pendant 14 jours. En fait, ils sont passés de 200 membres à environ 70 ou 75 membres. Bien entendu, une telle situation exerce une pression énorme sur les gens qui continuent à travailler. Notre réaction a été de dire qu’il fallait dépister ces gens pour qu’ils puissent retourner au travail si leur résultat était négatif parce qu’il n’était pas envisageable de les laisser attendre chez eux.
On offre actuellement un dépistage volontaire. On peut se faire dépister même si on n’a aucun symptôme. Cette mesure contribuera assurément à tracer la voie à suivre et, idéalement, à combattre le virus.
La sénatrice Griffin : Ma première question s’adresse à Jerry Dias et elle porte sur une situation très locale. Il y a un service de traversier entre la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard. Le service est saisonnier, et le radoub a lieu chaque hiver, habituellement en Nouvelle-Écosse, dans la région de Pictou. Les travailleurs de l’Île-du-Prince-Édouard doivent traverser le pont de la Confédération, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse pour s’y rendre. Cette année, le problème est qu’ils devront s’isoler pendant deux semaines lorsqu’ils rentreront chez eux, à l’Île-du-Prince-Édouard. La situation est donc pénible. À la lumière des exigences en matière de quarantaine mises en place par le gouvernement provincial dans ce cas-ci, je me demande si votre syndicat réclamera que l’un des traversiers reste à l’Île-du-Prince-Édouard l’année prochaine pour que le radoub ait lieu à cet endroit, ce qui faciliterait grandement la vie des travailleurs de cette province.
M. Dias : Merci de votre question. Vous parlez des traversiers de Northumberland Ferries Limited. Absolument, nous réclamerons qu’on laisse l’un des traversiers à Wood Islands pour que nous nous occupions des travaux de radoub. Je crois que la dernière fois que nous avons effectué des travaux de radoub était en 2016, et ce fut une réussite totale. La question est opportune parce que nous en discutons à l’interne. Nous avons soulevé la question avec l’employeur. Nous devrons discuter de la question parce qu’il faudra apporter des modifications à l’entente afin de déterminer les équipages qui accompliront les travaux et la portée de ces derniers. Oui, c’est une mesure que nous appuierons certainement et que nous réclamerons.
La sénatrice Griffin : Formidable. Je sais que nous en serons très reconnaissants ici.
Ma prochaine question s’adresse à M. Hussan et elle porte sur les travailleurs étrangers temporaires dans le secteur agricole. Voyez-vous des travailleurs soulever des préoccupations de santé et de sécurité au travail? Voyez-vous aussi des différences entre les règlements provinciaux, surtout en ce qui a trait au contexte de logement collectif, comme les pavillons-dortoirs?
M. Hussan : Absolument. Pour vous donner une petite idée, entre le 15 mars et le 15 mai, l’une de nos lignes d’assistance aux travailleurs agricoles migrants a reçu 1 078 plaintes en 60 jours parce que des travailleurs agricoles migrants avaient des préoccupations de santé et de sécurité, subissaient de mauvais traitements au travail, étaient incapables d’obtenir de la nourriture au cours de leur quarantaine, se voyaient imposer des retenues sur leur salaire et étaient obligés de travailler plus vite et plus fort parce qu’il y avait moins de travailleurs dans les fermes.
Il existe des différences. Par exemple, à l’Île-du-Prince-Édouard, le gouvernement provincial est intervenu pour fournir du logement au cours des quarantaines, à l’instar de la Colombie-Britannique. Toutefois, dans beaucoup d’autres provinces, ce n’est pas arrivé. Par conséquent, il y a eu une mosaïque de mesures, où certaines agences de santé publique ou provinces sont intervenues.
Essentiellement, étant donné que les travailleurs agricoles migrants détiennent un permis de travail lié à un employeur, de mauvais employeurs utilisent la COVID-19 pour exploiter davantage les travailleurs. Par conséquent, le fait de ne pas avoir le statut d’immigrant temporaire empêche la plupart des travailleurs d’exercer leurs droits, non seulement ceux qui sont au Canada, mais aussi ceux dont l’arrivée au pays a été retardée ou qui ne sont pas encore arrivés, et ces personnes ne se sont pas vu accorder l’aide au revenu, alors elles meurent de faim. Leur famille meurt de faim. Certains de nos membres disent qu’ils sont incapables de refaire la toiture de leur maison parce qu’ils n’en ont pas les moyens et que, étant donné que la saison des pluies arrive, ils perdront tous leurs biens, qui ont été acquis sur plusieurs générations.
Il s’agit d’une crise terrible, dont on a complètement fait fi, selon moi, car ces travailleurs nourrissent le Canada, mais on ne les aide pas.
La sénatrice Griffin : Merci. C’est tout pour moi.
[Français]
La sénatrice Forest-Niesing : Ma question s’adresse à Jeff Wilkins, du Syndicat des agents correctionnels du Canada. Dans votre discours de présentation, vous avez parlé de l’enjeu de la santé mentale de vos membres en ces temps plus difficiles et incertains à cause de la pandémie. Je suis tout à fait d’accord pour dire que c’est un élément très important et que les besoins sont primordiaux en ce moment.
Cela m’amène à parler de la santé mentale des détenus. La pandémie a eu pour conséquence que les détenus sont assujettis à un confinement cellulaire, qui ressemble beaucoup trop à un isolement pour des motifs disciplinaires. Comme nous le savons, cela comporte des conséquences négatives considérables sur leur santé mentale et cela augmente la probabilité que des situations d’urgence surviennent en prison.
J’aimerais que vous me décriviez les conditions et les conséquences réelles pour les détenus. Quelle est la routine qui leur est imposée pendant cette période de confinement, et quelles mesures additionnelles ont été prises pour soutenir la santé mentale des détenus?
[Traduction]
M. Wilkins : Merci de la question.
En réalité, je crois qu’il y a deux façons différentes d’intervenir. De toute évidence, des éclosions importantes sont survenues dans certains établissements, mais il n’y en a pas eu dans 95 % d’entre eux. Il est certainement nécessaire d’imposer un isolement médical, ou ce que certains qualifient, comme vous venez de le mentionner, de confinement qui ressemble à un isolement pour des motifs disciplinaires, lorsqu’une éclosion survient dans l’établissement où on confine davantage les gens, tout comme on le fait dans la société. Le virus se transmet d’une personne à une autre par le contact, ce que nous devons manifestement surveiller.
Bien entendu, depuis le début, nous discutons de nombreux dossiers avec le Service correctionnel du Canada pour faire de notre mieux afin que les détenus aient des contacts humains, que ce soit grâce aux visites par vidéoconférence et aux services d’aumônerie, si c’est possible. De toute évidence, les équipes de santé mentale de chaque établissement continuent leur travail, plus particulièrement celles des établissements où le milieu est un peu plus ouvert.
Certes, il s’agit d’une préoccupation. Les problèmes de santé mentale découlant de la COVID-19 préoccupent tout le monde, tous les Canadiens du pays. Bien entendu, les restrictions imposées dans certains de nos établissements en raison de la maladie entraînent des problèmes plus graves. C’est assurément une question que le Service correctionnel du Canada devra examiner.
[Difficultés techniques]
La présidente : Je rappelle à tous de ne pas hésiter à signaler tout problème de traduction. Bien entendu, vous pouvez vous exprimer dans la langue de votre choix. Si vous avez besoin de signaler un problème de quelque nature que ce soit, n’hésitez pas à le faire. Nous devons nous adapter à cette nouvelle technologie et nous le ferons.
La sénatrice Forest-Niesing : Je me demande si nous ne pourrions pas revenir en arrière afin d’avoir une réponse plus précise à un des points de ma question précédente, à savoir : quelle est la journée typique d’un détenu à l’heure actuelle, compte tenu des mesures prises pour établir une distanciation sociale? Combien d’heures passe-t-il dans sa cellule? Combien d’heures est-il autorisé à en sortir? Comment cela se traduit-il concrètement?
M. Wilkins : Je vous remercie de vos questions. C’est un peu différent selon qu’il s’agit d’un détenu incarcéré, par exemple, à l’établissement de Springhill en Nouvelle-Écosse ou à Joliette, ou encore au Centre fédéral de formation, au Québec. Il y a une certaine liberté de mouvement par rapport aux loisirs qui sont offerts dans un établissement non touché par l’épidémie. Dans les établissements touchés, le défi consiste à s’assurer que les détenus reçoivent leur nourriture, leurs médicaments et des promenades au grand air avec un petit groupe de personnes. La plus grande partie de leur journée se déroulerait à l’intérieur de l’institution ou de leur cellule. Je ne peux pas vraiment vous donner un chiffre, car il fluctue. Nos agents font de leur mieux pour s’assurer que les détenus sont dehors le plus longtemps possible.
La sénatrice Forest-Niesing : Merci beaucoup.
J’ai une autre question à vous poser. Elle concerne la recommandation des experts en santé publique de retirer une partie des détenus de l’environnement carcéral afin que l’objectif de distanciation physique soit plus facilement atteint. Dans quelle mesure et selon quels critères les détenus sont-ils libérés? Quelles sont les mesures prises pour protéger le public, pour protéger les détenus, et comment assurer la réinsertion de ces derniers dans la communauté?
M. Wilkins : En tant que président des agents correctionnels, je dois dire que ceux-ci n’ont pas grand-chose à voir avec la libération des détenus. Bien sûr, nous sommes là pour les protéger et pour protéger le public. Autant que je sache, les agents de libération conditionnelle en établissement, les agents de libération conditionnelle dans la communauté et la Commission nationale des libérations conditionnelles ont fait beaucoup pour s’occuper des détenus qui approchent de la fin de leur peine ou qui sont admissibles à la semi-liberté et ne présentent pas de risque. Ils ont libéré certains détenus, mais je dois revenir à la partie plus générale de votre question.
La libération de quelques détenus dans l’établissement ne va pas résoudre le problème de la distanciation sociale. Comme je l’ai déjà dit, une partie de notre problème est liée aux infrastructures des institutions. Dans une institution où la cellule est équipée de toilettes et d’un lavabo et où vous avez la possibilité de contrôler les mouvements, l’isolement devient facile. Dans une institution qui est largement ouverte et qui dispose de plus d’espaces de vie communs, cela devient très difficile. La solution n’est pas vraiment la libération des détenus, à mon avis. Bien sûr, quand ils sont éligibles et qu’il est sécuritaire de le faire, on peut certainement les libérer. Ils retournent dans la communauté. Le problème pour nous, c’est que nous devons avoir la capacité de les protéger lorsqu’ils sont sous notre responsabilité.
La présidente : Merci, monsieur Wilkins.
Le sénateur Plett : Avant de poser mes questions, monsieur Wilkins, permettez-moi de vous dire à quel point tous les Canadiens apprécient le travail des agents des services correctionnels, surtout en cette période très difficile. Votre travail n’est pas passé inaperçu aux yeux de tous les Canadiens.
Monsieur Wilkins, le ministre Blair a déclaré qu’il travaille avec le commissaire du Service correctionnel et le président de la Commission des libérations conditionnelles — qui sont tous deux des organismes indépendants — pour libérer les délinquants non dangereux. Le terme « non dangereux » n’a jamais été défini par le ministre. Cela n’est peut-être pas de votre ressort, monsieur Wilkins, mais avez-vous, vous ou vos membres, subi des pressions pour libérer des détenus qui ne sont peut-être pas prêts à l’être? Quelle est votre expérience de la politique du Service correctionnel du Canada sur cette question, et avez-vous connaissance d’une définition du terme « non dangereux » à laquelle le ministre pourrait faire référence?
M. Wilkins : Je vous remercie de cette question.
Non, je ne sais pas ce que signifie le terme « non dangereux » lorsqu’il s’agit d’une personne incarcérée. Je pense que les personnes incarcérées le sont pour une raison : elles représentent une menace pour la sécurité publique. Cette menace doit être évaluée, et évaluée constamment, dans le cadre d’un plan correctionnel.
Nos membres ont-ils subi des pressions pour les libérer? Bien sûr que non. Nous ne sommes pas vraiment associés au processus de décision. Il y a des agents correctionnels de niveau II qui s’occupent de certains cas, et des travailleurs primaires qui s’occupent d’autres cas, mais on ne m’a donné aucune indication que des pressions aient été exercées sur l’un de nos membres pour qu’il libère des détenus.
Du point de vue de la loi naturelle, lorsqu’une personne arrive à la fin de sa peine, elle peut bénéficier d’une forme de libération d’office ou de semi-liberté et d’une possibilité de libération conditionnelle. Pour l’essentiel, je pense que c’est le travail qui a été fait.
Le sénateur Plett : Merci beaucoup.
J’ai une deuxième question à vous poser, monsieur Wilkins, par rapport au communiqué publié le 30 mars dernier et dans lequel vous dites ce qui suit :
[...] la libération immédiate des détenus sous la garde et le contrôle du Service correctionnel du Canada témoigne d’un mépris total pour la sécurité publique.
La libération de quelques détenus ne résoudrait pas le problème de la propagation potentielle de la COVID-19 dans nos établissements; elle ne ferait qu’augmenter le risque pour les Canadiens [...]
Avez-vous, vous-même ou votre syndicat, été consulté par des groupes ou des particuliers qui ont réclamé à grands cris la libération d’un plus grand nombre de délinquants pendant la COVID-19, et qu’est-ce qui, selon vous, a motivé ces appels? La motivation est-elle vraiment la sécurité des délinquants, ou la considérez-vous plutôt comme un objectif idéologique, simplement pour libérer plus de détenus?
M. Wilkins : Eh bien, tout d’abord, non, il n’y a pas eu de consultation. Bien sûr, nous avons appris par différents médias que des groupes d’intérêt avaient appelé à la libération de détenus et, bien sûr, nous constatons encore des appels de divers membres de familles de détenus qui demandent à différents médias de libérer leur fils ou leur fille.
Je m’en tiens à ce que j’ai dit, à savoir que ce n’est pas la solution ici, qu’il s’agit de protéger les personnes sur place. Je pense que la libération immédiate de détenus, sans tenir compte des lois et de l’organe directeur de la Commission des libérations conditionnelles, mettrait certainement en danger le public canadien. Bien sûr, certaines politiques, procédures et lois sont là pour une raison, à savoir protéger le public canadien. Si ces politiques, procédures et lois ne sont pas suivies ou respectées, je pense qu’il y a un risque accru.
Le sénateur Plett : Avez-vous eu connaissance, au cours des deux derniers mois, de difficultés liées à des délinquants qui ont été libérés pour des raisons de distanciation sociale?
M. Wilkins : Non, je ne sais pas.
Le sénateur Plett : Quelles sont les restrictions imposées au Service correctionnel du Canada et aux agents de libération conditionnelle en ce qui concerne la surveillance des délinquants qui ont été libérés dans la collectivité dans le cadre de la pandémie actuelle, et craignez-vous qu’une surveillance efficace soit de plus en plus difficile à assurer?
M. Wilkins : Je pense qu’un contrôle efficace est certainement de plus en plus difficile, non pas que je sache exactement ce qui se passe avec les agents de libération conditionnelle dans la communauté, mais je sais qu’ils n’entrent plus dans les foyers. Ils mènent en quelque sorte leurs entretiens sur le pas de la porte avec les détenus, et je ne pense pas qu’ils aient d’emblée une très bonne idée de ce qui se passe derrière les murs ou dans les maisons. Mais, non, franchement, je n’ai rien entendu d’autre à ce sujet.
Le sénateur Plett : Merci, monsieur Wilkins.
Le sénateur Munson : Monsieur Dias, nous nous sommes déjà rencontrés à plusieurs reprises, et je sais que vous êtes un homme à la voix si douce que je ne veux pas vous mettre en colère ce matin. Pour autant, je pense à ce qu’on appelle la « déréglementation ». Je pense aussi au « thatchérisme », au « reaganisme » et à des choses comme les maisons de retraite à but lucratif. Je suis sûr que vous avez un point de vue à ce sujet, et je sais que ce n’est pas le moment de désigner des coupables. Il y a eu beaucoup d’histoires — les militaires ont publié aujourd’hui la leur sur ce qui s’est passé, ce qui est une tragédie — et sur la question de savoir si nous, en tant que société, avons détourné le regard et laissé tout cela se produire dans ces maisons de retraite. Pensez-vous que la déréglementation a joué un rôle dans la mise en place des établissements de soins de longue durée et des maisons de retraite?
M. Dias : Il ne fait aucun doute que la déréglementation est en partie la cause des nombreux problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui.
Le plus gros de la déréglementation en Ontario a eu lieu en 1995, lorsque le gouvernement de l’époque a réellement réduit le nombre d’heures de soins aux résidents, ce qui a conduit à ne pas remplacer les préposés aux services de soutien à la personne. À l’heure actuelle, dans un établissement de soins de longue durée, si tout le monde est au travail, cela représente en moyenne un préposé pour 10 ou 12 résidents, mais en réalité, ils sont toujours en sous-effectif. Si vous avez un effectif complet de travailleurs dans un établissement de soins de longue durée, c’est l’exception, et non la norme; de sorte que, dans l’ensemble, on a généralement un préposé pour 16 à 18 résidents. Dans l’équipe de l’après-midi et dans l’équipe de nuit, le chiffre passe à un préposé pour 30 ou 40 résidents. Toute cette déréglementation a donc certainement joué un rôle majeur.
En 1995, lorsque tout a commencé, comme je l’ai dit, il y a eu une véritable poussée pour passer au modèle à but lucratif. Aujourd’hui, si l’on regarde les faits et les chiffres, le nombre de décès dans les établissements de soins de longue durée à but lucratif dépasse celui des établissements publics. Si vous prenez les cinq foyers qui ont été identifiés pour accueillir l’armée, quatre d’entre eux étaient des établissements de soins de longue durée à but lucratif et gérés par le secteur privé.
Il y a beaucoup à faire. D’abord, il faut traiter les travailleurs des établissements de soins de longue durée avec respect, et c’est la seule façon de nous assurer que nos aînés — ma mère a passé les dernières années de sa vie au Hillsdale Manor, en raison de ses troubles de démence — obtiennent le respect qui leur est dû en résidence; ils doivent obtenir des soins adéquats. Alors, premièrement, il faut mettre fin au travail à temps partiel, au recours à des employés temporaires et au modèle inhabituel qui fait que les gens doivent travailler dans deux ou trois établissements de soins de longue durée pour arriver à joindre les deux bouts. Un des problèmes constatés est qu’un grand nombre de préposés aux services de soutien à la personne ont quitté le domaine. Pourquoi? Parce que c’était une carrière inintéressante en raison du salaire médiocre et, comme je l’ai dit, de la nécessité de travailler à deux ou trois endroits différents pour pouvoir gagner suffisamment d’argent.
Les gouvernements n’avaient pas conscience de l’ampleur de la tragédie, mais, honnêtement, ils auraient dû. Nous décrions les problèmes liés à la pénurie de main-d’œuvre depuis des années. Nous décrions l’insuffisance des salaires, qui ont forcé de nombreuses personnes à quitter le domaine, depuis des années. En 2017, nous avons organisé le « défi des six minutes ». Nous mettions les gens au défi d’accomplir ceci : vous avez six minutes le matin — soit le temps dont dispose un préposé d’établissement de soins de longue durée — pour sortir le résident du lit, l’amener à la salle de bains, le laver, lui brosser les dents, l’amener à la toilette, l’amener déjeuner; tout cela en six minutes. Lorsqu’il manque d’employés, ce qui arrive tous les jours, les préposés ont encore moins de temps. C’est la situation que nous vivons et que nous décrions depuis des années, mais personne ne nous écoutait. La réalité nous a finalement rattrapés.
Je crois que les Canadiens le réalisent maintenant. Dans un sondage, les deux tiers des répondants ont affirmé que ces établissements ne devraient plus avoir pour objectif de faire du profit. Je le crois également. Les aînés et nos proches méritent mieux que ce qu’on leur a donné depuis des années et, certainement, que ce qu’ils vivent pendant l’actuelle pandémie.
Le sénateur Munson : Je crois que mes cinq minutes sont presque écoulées, mais je veux faire un commentaire. La société a aussi fermé les yeux sur ce qui se passait dans les résidences privées. La société savait ce qui se passait : le travail à temps partiel, le départ des travailleurs, qui changent de carrière. Malgré cela, toute la société a sa part de culpabilité, je crois, parce que tout le monde a choisi de fermer les yeux, parce que nous étions satisfaits de voir les néo-Canadiens, si je puis dire, occuper ces emplois que personne ne voulait. Il s’agit d’un réveil collectif, vous avez raison, et j’apprécie vos commentaires. Merci.
M. Dias : Merci.
La sénatrice Seidman : Merci à tous, merci aux témoins d’être avec nous ce matin.
Les spécialistes de l’épidémiologie s’entendent pour dire que le dépistage méthodique, ciblé et rapide et le traçage des contacts sont encore plus importants à ce moment-ci de la pandémie alors que les pays se préparent à la prochaine étape de contrôle du virus. Ces outils sont essentiels pour cerner et gérer les éclosions et pour ralentir la propagation de la COVID-19. Depuis des semaines, des entreprises technologiques partout sur la planète s’affairent à développer des applications de traçage qui se servent des signaux GPS ou Bluetooth pour identifier, informer et suivre ceux qui ont potentiellement été en contact avec une personne ayant contracté la COVID-19. Par exemple, au Canada, l’Alberta utilise déjà sa propre application de traçage et je sais que le Québec en étudie aussi une présentement. Il n’est pas encore certain si une application de traçage mobile sera recommandée à l’échelle nationale.
Comme vos membres — je m’adresse à nos trois témoins — font probablement partie des groupes à risque, j’aimerais vous poser la question suivante : quelle serait la perception de vos membres face à une politique uniformisée dans leur lieu de travail qui exigerait qu’ils subissent régulièrement des tests de dépistage, une fois par semaine par exemple, avant d’entrer au travail et qu’ils téléchargent une application de traçage qui surveillerait leur environnement et leur exposition aux cas avérés de COVID-19? Je commencerais par vous, monsieur Dias.
M. Dias : D’abord, permettez-moi de parler de l’industrie automobile. Avant même d’entrer au travail, nos membres passent devant un appareil d’imagerie thermique pour qu’on vérifie leur température. Quelqu’un dont la température est élevée doit immédiatement se rendre à l’infirmerie. Si vous allez à notre installation à Windsor, l’usine d’assemblage Fiat-Chrysler, vous verrez une scène qui semble sortie d’un film de guerre : il y a des tentes, des roulottes et du personnel médical. Pour ce qui est du dépistage, ces mesures sont déjà utilisées pour nos membres. Beaucoup d’efforts sont déployés à cette usine en ce qui concerne le téléchargement des applications et la réponse aux questions. Plusieurs de ces mesures sont donc déjà en place.
Il y aura toujours des récalcitrants, mais je crois que la majorité de nos membres sont prêts à tout pour assurer leur sécurité au travail et, surtout, pour pouvoir rentrer chez eux en santé après le travail. Il y a beaucoup d’inquiétudes présentement dans différents milieux de travail. Nos membres qui se rendent au travail sont-ils anxieux? La réponse est oui. Ils s’inquiètent de leur santé, mais ils s’inquiètent aussi de celle des membres de leur famille qui commencent à retourner au travail. Tout le monde craint d’attraper la COVID au travail ou de voir un proche l’attraper. Je ne crois pas qu’il y ait de levée de boucliers, honnêtement, compte tenu de la situation actuelle et de l’extrême prudence dont tout le monde fait preuve.
La sénatrice Seidman : Je veux être certaine d’avoir bien compris : vous avez dit que vos membres subissent déjà des tests de dépistage en plus de la vérification de leur température?
M. Dias : Nous discutons présentement avec les employeurs, en vérité, pour que du dépistage soit fait directement sur les lieux de travail. Nous collaborons avec le gouvernement de l’Ontario à la mise en place de ce genre d’initiatives. J’ai déjà eu des discussions avec Ford et avec Fiat-Chrysler. Je discuterai avec Bombardier aujourd’hui même. Je participerai à un appel avec General Motors après la présente réunion. C’est exactement ce que nous voulons mettre en place.
La sénatrice Seidman : Évidemment, ce qui nous manque présentement, c’est un test de dépistage rapide qui donnerait un résultat en une demi-heure.
M. Dias : C’est exact. Ce que le gouvernement nous dit, c’est qu’il devrait être possible d’avoir les résultats dans les 24 heures.
La sénatrice Seidman : Parfait. J’apprécie votre réponse.
Je vous poserais la même question, monsieur Wilkins.
M. Wilkins : Comme je l’ai mentionné dans une de mes réponses précédentes, je crois que les tests de dépistage seront mis en place dans les établissements. Ils ont commencé à le faire au Québec et cela se fera bientôt en Colombie-Britannique. Il y a eu de graves problèmes dans ces régions. On m’a informé que des tests de dépistage seront déployés dans tous les établissements.
Présentement, bien sûr, il y a du personnel infirmier dans les établissements. Le dépistage se ferait sur une base volontaire. Je crois que votre question concernait la possibilité de rendre ces tests obligatoires. Présentement, cela se fait sur une base volontaire. Évidemment, s’il y a un test simple dont les résultats peuvent être obtenus en 15 minutes... je le répète, nos membres sont très anxieux au sujet de la COVID-19 et je ne crois pas qu’il y aurait une très grande opposition à ce sujet.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, concernant le traçage des contacts, c’est un peu plus problématique dans le contexte des établissements carcéraux. Les employés n’ont pas le droit d’avoir leur téléphone avec eux, alors cela représenterait une situation dangereuse. Pour le dépistage, assurément, j’ai toujours dit que je croyais que c’était la clé pour se sortir de ce problème.
La sénatrice Seidman : On parle maintenant de faire des tests de dépistage régulièrement. Nous savons qu’un seul test ne nous en dit que très peu. Si nous mettions en place des tests de dépistage hebdomadaires, surtout si les résultats peuvent être obtenus sur-le-champ, vous ne croyez pas que vos membres auraient d’objections?
M. Wilkins : Je crois qu’ils auraient des objections si c’était obligatoire. Si c’était sur une base volontaire, je crois que beaucoup de nos membres seraient prêts à subir les tests, parce que ce serait une mesure importante pour leur santé et leur sécurité. Un test obligatoire constituerait une situation différente. Nous n’avons pas encore réfléchi à cette possibilité.
La sénatrice Seidman : Je voudrais savoir ce que la Migrant Workers Alliance en pense. Monsieur Hussan, que répondriez-vous à cette question?
M. Hussan : D’abord, à l’heure actuelle, les personnes qui n’ont pas de carte d’assurance-maladie n’ont pas accès au dépistage et aux traitements liés à la COVID, ce qui comprend les migrants sans papier qui sont dans le délai d’admissibilité de trois mois. Alors la situation que nous vivons et les mesures dont vous parlez sont à des années-lumière.
Ensuite, une bonne partie de nos travailleurs sont des travailleurs à la demande à temps partiel et des travailleurs précaires. Il n’y a pas d’usine où les tests pourraient être effectués. Ailleurs, dans les fermes par exemple, les travailleurs migrants habitent chez leur employeur, alors y aura-t-il des tests devant chaque résidence? Il faut être conscient de la structure réelle de l’économie et du fait que ce type d’environnement de travail traditionnel est loin d’être la norme.
Au sujet des applications, il existe un risque énorme relatif à la surveillance, à l’exécution des lois sur l’immigration et à la communication des renseignements entre les ministères, ce qui explique d’ailleurs pourquoi bon nombre de nos membres ont trop peur pour aller à l’hôpital ou pour demander de l’aide financière, même si, honnêtement, ils meurent de faim. Je ne vois donc pas comment, sans des garanties fermes, de la sensibilisation multilingue et une transparence générale concernant la communication des renseignements, il serait possible de mettre en place un programme relatif au déploiement d’une application. On le constate déjà en Alberta, où bien des gens refusent d’utiliser l’application. Merci.
La sénatrice Moodie : Je remercie tous les témoins de leur présence aujourd’hui.
Ma question s’adresse à M. Dias. J’aimerais que vous nous donniez plus de précisions au sujet des membres de votre syndicat. D’après vos données démographiques, le secteur des soins de santé représente la plus grande catégorie de membres du syndicat. Quels emplois liés à la santé vos membres occupent-ils? Pourriez-vous nous dire dans quelles catégories d’emplois les membres s’inquiètent le plus pour leur santé en raison de leur exposition à la COVID-19? Y a-t-il des régions spécifiques où ces inquiétudes sont particulièrement profondes? En terminant, quelles mesures avez-vous prises, le cas échéant, et quelle a été la réponse des provinces et du gouvernement fédéral à vos demandes d’aide?
M. Dias : Tout d’abord, je représente environ 30 000 travailleurs de la santé, dont près de la moitié sont des préposés aux services de soutien à la personne. Le plus grand nombre de membres dans ce secteur se trouve en Ontario. Sachez que nous représentons des gens de toutes les sphères du système de santé, c’est-à-dire des infirmières et infirmiers auxiliaires autorisés, des préposés aux services de soutien à la personne, des préposés à l’entretien ménager ou du personnel chargé de l’alimentation, que ce soit dans les hôpitaux, les établissements de soins de longue durée, les maisons de soins ou les maisons de retraite.
Évidemment, la principale préoccupation est le manque d’équipement de protection individuelle et, à vrai dire, la prise en compte de la hiérarchie pour savoir qui peut bénéficier d’un équipement de protection individuelle. Par exemple, les médecins et le personnel infirmier auraient la priorité, alors que les préposés aux services de soutien à la personne, le personnel chargé de l’alimentation et les préposés qui nettoient les chambres se trouveraient au bas de la liste. Les personnes les plus vulnérables sont celles qui travaillent sur le terrain, celles qui vont de porte en porte pour fournir des services à nos personnes âgées. Je représente tous les différents segments du secteur de la santé.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Nos membres qui travaillent au manoir Carlingview, à Ottawa, devaient porter des sacs de poubelle lorsqu’ils nourrissaient des résidents atteints de la COVID-19. Ça peut vous donner une idée.
La sénatrice Moodie : Monsieur Dias, étant donné le peu de temps dont nous disposons, j’aimerais que vous nous en disiez davantage sur les travailleurs qui sont les plus préoccupés, ceux dont vous entendez le plus souvent parler. S’agit-il des travailleurs de l’Ontario? Quelles mesures avez-vous prises et quelle réponse avez-vous reçue de la part du gouvernement provincial?
M. Dias : Toutes mes excuses. Il s’agit surtout des préposés aux services de soutien à la personne de l’Ontario.
Nous avons tenu de nombreuses discussions avec le gouvernement de l’Ontario sur l’équipement de protection individuelle et sur la réglementation des établissements de soins de longue durée. Ils travaillent de concert avec nous, tout comme nous travaillons avec les employeurs pour obtenir le plus d’équipements de protection individuelle possible. Cependant, pour ce qui est des établissements de soins de longue durée, cela reste à voir, car depuis le début de la pandémie, il n’y a eu que très peu ou pas de réaction de la part du gouvernement provincial de l’Ontario.
En décembre dernier, j’ai mis le premier ministre au défi de passer un quart de travail avec moi dans un établissement de soins de longue durée, et je lui ai à nouveau demandé en février, en vain. Je crois que la réponse est différente aujourd’hui. J’en ai parlé personnellement avec M. Ford.
La sénatrice Moodie : Merci beaucoup.
Monsieur Hussan, je me soucie des travailleurs migrants sans papiers et, à vrai dire, des travailleurs temporaires dont le permis de travail a expiré. De ce fait, leurs numéros d’assurance-maladie et d’assurance sociale sont également échus. Comme vous l’avez souligné, ces travailleurs constituent une part importante de la main-d’œuvre canadienne et ils sont pourtant laissés pour compte lorsqu’il s’agit des subventions et du soutien d’urgence, des prestations d’urgence et de l’assurance-emploi. Pouvez-vous nous dire ce qu’il advient des travailleurs migrants sans papiers qui ne peuvent pas toucher les subventions actuellement offertes aux travailleurs étrangers temporaires?
M. Hussan : De façon générale, les résidents sans papiers et beaucoup de migrants temporaires n’ont accès à rien. Comme je l’ai dit, en dehors de l’Ontario, ils n’ont pas accès aux soins de santé. En Colombie-Britannique, par exemple, les migrants sans papiers ne peuvent pas toucher la subvention au loyer qui est offerte dans cette province. Ils ne sont pas non plus admissibles à la Prestation canadienne d’urgence ni à la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants. Dans certaines provinces, ils ne peuvent pas recevoir d’aide sociale.
En fait, nous faisons face à une véritable crise des droits de la personne. Chaque jour, nous nous réveillons et nous avons affaire à d’énormes souffrances. Nous apportons de la nourriture aux gens. Nous essayons de recueillir des fonds lorsque c’est possible. Cependant, nos membres n’ont que de l’eau citronnée à boire pour passer à travers la journée. Les gens ont vendu tout ce qu’ils avaient. Ils travaillent dans des situations extrêmement dangereuses afin de pouvoir nourrir leur famille, et ce n’est pas suffisant.
Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons appris que 13 travailleurs agricoles migrants n’avaient reçu qu’un sac de pommes de terre à manger pour sept jours de la part de leur employeur alors qu’ils n’étaient pas autorisés à quitter la ferme. Comme je l’ai dit, nous avons des femmes qui n’ont eu d’autre choix que d’accoucher à la maison sans assistance ni planification, car elles n’avaient pas accès aux soins de santé et n’avaient pas d’argent.
Je fais ce travail depuis une dizaine d’années, et nos membres le font depuis un demi-siècle, en fait, et nous n’avons jamais vu autant de souffrances. Les gens choisissent d’emménager avec des hommes violents, de travailler pour des employeurs qui les maltraitent, sans parler des travailleurs du sexe, simplement pour pouvoir se nourrir ou pour éviter de se retrouver dans la rue.
Même si vous avez des enfants qui sont citoyens canadiens et que vous êtes sans papiers, vous vous retrouvez dans la même situation. Nous avons une femme avec un fils de 13 ans qui souffre de graves problèmes de santé mentale. Cette femme ne peut pas quitter la maison parce que son fils est immunosupprimé. Elle ne s’est donc pas procuré de nourriture pendant deux mois et demi, jusqu’à ce que nous les trouvions et leur apportions de la nourriture.
Des centaines de milliers de vies sont totalement dévastées, et cette situation est irréversible. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, car les gens ont déjà vendu tout ce qui leur appartenait et leur santé a déjà souffert. Nous sommes dans une situation que je qualifierais d’abjecte, et pourtant, tous les ordres de gouvernement sont indifférents. C’est pourquoi nous réclamons le statut d’immigrant pour tous. Nous sommes des travailleurs essentiels au beau milieu d’une pandémie mondiale. Nous sommes à la fois essentiels, exclus et exploités.
La présidente : Merci, monsieur Hussan, de nous avoir fait prendre connaissance de la situation.
La sénatrice Omidvar : Je vais reprendre une phrase éloquente prononcée par M. Hussan : « Nous sommes à la fois essentiels, exclus et exploités. »
J’aimerais m’attarder sur les travailleurs agricoles saisonniers. Même s’ils sont victimes de discrimination et d’exclusion, comme vous l’avez indiqué, je ne pense pas me tromper en affirmant que nous sommes davantage conscients de leur travail et de leur contribution à la chaîne d’approvisionnement alimentaire canadienne et à notre vie ici, par exemple. N’empêche que je comprends aussi parfaitement ce que vous dites au sujet des discriminations individuelles qu’ils peuvent subir et des grandes discriminations systémiques.
Mes questions porteront notamment sur leur protection et sur l’application des normes de travail, qui, bien sûr, relèvent de la compétence provinciale. À votre avis, quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral, à la lumière de cette crise, lorsqu’il s’agit de mettre en place des solutions à court terme et à long terme au manque de protection des travailleurs dans divers milieux de travail? En tant que Canadienne, j’ose espérer qu’il y a des employeurs agricoles qui traitent leurs employés décemment, comme des êtres humains. Je suis convaincue qu’il y en a. Cependant, nous nous inquiétons pour les personnes dont vous avez parlé. Selon vous, quel rôle le gouvernement fédéral devrait-il jouer dans la protection des droits des travailleurs?
M. Hussan : Si les gens ne peuvent pas faire valoir leur droit à un environnement de travail sécuritaire ou leurs droits fondamentaux en matière de travail, c’est parce qu’ils sont titulaires d’un permis de travail qui les lie à leur employeur. Si un travailleur ne peut pas quitter un mauvais emploi ou s’il est expulsé du pays pour avoir dénoncé une situation, comment peut-il faire valoir ses droits fondamentaux? Ce n’est pas un dossier provincial; c’est un dossier fédéral. Le gouvernement fédéral doit donc éliminer tout permis de travail lié à un seul employeur, et pas seulement dans certains secteurs, tous les permis de travail liés à des employeurs précis. C’est une solution immédiate.
Comme solution à long terme, il faudrait leur accorder le statut de résident permanent à leur arrivée. Les travailleurs agricoles migrants viennent dans ce pays depuis 53 ans. Nous avons des membres qui viennent ici 8 mois par an depuis 27 ans. C’est donc le problème principal, et je pense que c’est au fédéral de le régler.
Oui, il y a de bons employeurs qui font de mauvaises choses, et vice versa. Il ne s’agit pas des employeurs en tant que tels. C’est plutôt la structure qui empêche les travailleurs de faire valoir leurs droits en raison des lois adoptées par le gouvernement fédéral.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Hussan, que pensez-vous de la proposition du ministre de l’Immigration de lancer un projet pilote qui permettra à 5 000 travailleurs agricoles saisonniers d’obtenir exactement ce que vous proposez, soit le statut de résident permanent ?
M. Hussan : Seulement 2 750 demandes sont acceptées par année dans le cadre du Programme pilote sur l’immigration agroalimentaire. Le programme exclut tous les travailleurs saisonniers, qui représentent plus de 65 % de ces travailleurs. Il exclut tout le monde au Québec, de même que le secteur de la pêche. Donc, essentiellement, il n’inclut presque personne. De plus, on exige un test d’anglais et un test de connaissances que la plupart des gens ne peuvent pas réussir, et c’est sans parler des empreintes digitales qui sont exigées au moment de présenter une demande, par exemple, alors qu’aucun bureau de prélèvement n’est ouvert en ce moment.
On veut créer une diversion. Ce n’est pas un problème d’immigration. C’est simplement une façon de gagner du capital politique. Ce n’est pas ce dont nous avons besoin. C’est une gifle au visage des travailleurs essentiels, qui ne font pas que nourrir le Canada. Le Canada est le sixième exportateur mondial de denrées alimentaires. Nous subvenons aux besoins du monde. C’est ce que disent nos membres : « Nous nourrissons la planète. »
La sénatrice Omidvar : Monsieur Wilkins, je m’intéresse à votre approche visant à réduire la population carcérale dans nos systèmes correctionnels. Votre syndicat, comme vous l’avez expliqué, s’oppose à cette proposition, même si les professionnels de la santé qui travaillent dans les établissements correctionnels, non seulement au Canada, mais partout dans le monde, ont réclamé la mise en place de programmes de libération.
Certains délinquants présentent peu de risques et ne sont pas violents. D’après la Commission des libérations conditionnelles, certains détenus se sont vu accorder une libération, mais n’ont pas encore été libérés. J’aimerais donc savoir pourquoi votre syndicat n’adopte pas une approche plus nuancée à l’égard de cette proposition, plutôt qu’une position rigide qui ne tient pas compte du contexte des données.
M. Wilkins : Encore une fois, lorsqu’on parle de libération des détenus, l’UCCO-SACC-CSN n’a pas vraiment son mot à dire sur la question. Tout ce que je peux vous dire, c’est que nos membres sont sur le terrain. Ils sont en contact avec les détenus au quotidien et ils nous disent que nous devons respecter la primauté du droit. Lorsqu’il est question de libération, cela signifie qu’il y a des façons de procéder prévues par la loi et, bien sûr, des critères à respecter pour être admissibles à la libération conditionnelle. C’est ce qui est fait, la plupart du temps.
En ce qui concerne la libération massive de détenus jugés à faible risque, sachez que le dossier de chaque détenu doit être évalué en fonction de son plan correctionnel. Évidemment, si le plan correctionnel n’a pas été mené à terme, cela suscite des inquiétudes chez les agents correctionnels. La plupart des détenus réintégreront la collectivité, et il y a des procédures à respecter pour que la libération se fasse en toute sécurité. Lorsque nous y dérogeons et que nous nous servons de la COVID-19 comme prétexte pour justifier la libération, c’est là où le bât blesse. Je ne vois pas comment nous pourrions être plus nuancés.
La sénatrice Omidvar : Je trouve intéressant que vous disiez que la COVID-19 est un prétexte pour justifier la libération, alors que la COVID-19 est une condamnation à mort pour bien des gens. Mais je vous remercie de votre réponse.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci aux témoins. Ma première question s’adresse à M. Wilkins. J’ai cru comprendre dans votre discours que le Syndicat des agents correctionnels a reçu des consignes un peu trop tard pour éviter les éclosions dans les prisons. Corrigez-moi si j’ai tort. Il y a eu une publication de l’OMS le 15 mars 2020 qui décrivait justement la marche à suivre pour prévenir les éclosions dans les prisons. Espériez-vous avoir les informations avant le 15 mars ou est-ce que, à partir du 15 mars, c’était suffisant, à votre avis, et les institutions avaient reçu ce qu’il fallait?
[Traduction]
M. Wilkins : Je vous remercie de votre question.
Dans ma déclaration liminaire, j’ai parlé des lignes directrices sur l’équipement de protection individuelle. Bien sûr, chaque fois qu’une telle politique est mise en place, elle doit être examinée par les différents niveaux des comités de santé et de sécurité au travail. Le comité national de santé et de sécurité au travail n’a reçu les lignes directrices qu’à la fin du mois de mars. Bien sûr, il y a eu des foyers d’éclosion, et le pénitencier de Port-Cartier a eu son premier cas confirmé le 26 mars, le premier cas confirmé au sein d’un établissement.
La situation est devenue désastreuse mais, chose certaine, nous aurions dû disposer de lignes directrices en matière d’équipement de protection individuelle bien avant. Cela aurait déjà dû faire partie d’un plan d’urgence. Nous avions demandé à l’employeur de les diffuser bien avant la fin du mois de mars, mais nous n’avons rien reçu.
[Français]
La sénatrice Mégie : Est-ce que vous en parlez maintenant et est-ce que votre équipe tient compte de ces lignes directrices de l’OMS?
[Traduction]
M. Wilkins : Absolument. On a mené des consultations à l’échelle nationale puis à l’échelle locale concernant les lignes directrices sur l’équipement de protection individuelle. N’empêche que nous avons toujours des inquiétudes quant au port du masque d’intervention ou du masque chirurgical. Selon nous, ce n’est pas une forme d’équipement de protection individuelle, mais nous négocions actuellement avec l’employeur.
[Français]
La sénatrice Mégie : Madame la présidente, ai-je le temps de poser une question à M. Dias?
La présidente : Oui, il vous reste une minute.
La sénatrice Mégie : Monsieur Dias, je sais que la majorité des gens qui sont sous votre juridiction, au sein de votre syndicat, sont des professionnels de la santé, mais il y a aussi d’autres personnes qui en font partie, comme des travailleurs essentiels dans le commerce de détail. Quels secteurs du commerce de détail sont plus à risque pour ce qui est de la COVID-19?
[Traduction]
[Difficultés techniques]
La présidente : Je vais tenter de fournir une traduction. La sénatrice Mégie se demande quels sont les secteurs du commerce de détail qui sont les plus à risque pour ce qui est de la COVID.
M. Dias : Il ne fait aucun doute que nos membres dans le domaine des soins de santé sont les plus touchés, de façon générale. Je représente aussi les travailleurs des épiceries, du transport en commun et des compagnies aériennes, mais ce sont nos membres du secteur de la santé qui sont de loin les plus à risque.
La présidente : Merci, monsieur Dias.
[Français]
La présidente : Sénatrice Mégie, nous allons faire un suivi par écrit pour nous assurer d’avoir la réponse exacte à votre question, malgré mon interprétation spontanée. Merci de votre compréhension à cet effet.
[Traduction]
Le sénateur Manning : Je tiens à remercier nos témoins d’avoir accepté de comparaître ici cet après-midi.
Je tiens à offrir mes condoléances aux membres d’Unifor et à la famille de Leonard, le travailleur de première ligne qui est décédé. Nos pensées les accompagnent en cette période difficile.
Ma question s’adresse à M. Dias. Le 17 avril 2020, Unifor a publié une note de service à l’intention du personnel des maisons d’hébergement pour femmes et des services de ligne d’écoute téléphonique concernant une ordonnance temporaire prise par le ministère des Services sociaux et communautaires de l’Ontario. Monsieur Dias, pourriez-vous décrire le contenu de l’ordonnance temporaire prise par l’Ontario et expliquer les préoccupations soulevées par Unifor en réponse à celle-ci? Est-ce une préoccupation ailleurs, par exemple dans ma province de Terre-Neuve-et-Labrador? Voilà pour ma première question. Merci.
M. Dias : J’ai oublié ce sur quoi portait cette note de service.
Le sénateur Manning : Je parle ici des membres de votre syndicat qui travaillent dans les maisons d’hébergement pour femmes. Je sais qu’on mène actuellement une étude ici à Terre-Neuve-et-Labrador sur l’augmentation de la violence familiale et sur les problèmes que cela entraîne. Je m’inquiète au sujet des employés qui fournissent des services dans les refuges pour femmes. Qu’en est-il exactement?
M. Dias : Je vous présente mes excuses. Oui, nous représentons les femmes qui travaillent dans des refuges de l’Ontario, de la Nouvelle-Écosse et de quelques autres endroits de la côte Est également. Je siège au conseil d’administration du refuge Halton Women’s Place et de deux autres refuges dans la région d’Halton. Dire que les problèmes liés à la violence familiale ont augmenté au cours de cette pandémie est un énorme euphémisme.
Les refuges pour femmes dont je suis membre du conseil d’administration fonctionnent au maximum de leur capacité. À l’heure actuelle, nous sommes obligés de déplacer des mères et leurs enfants dans des hôtels, car les refuges débordent. On a recensé un nombre record d’agressions. Nous avons dit au gouvernement que la situation a pris des proportions incontrôlables. Il n’y a pas suffisamment d’espace. Nous allons devoir trouver des mécanismes permettant d’assurer la sécurité des femmes et des enfants. Nous devrons trouver d’autres emplacements. Une foule de questions ont été soulevées auprès du gouvernement, et nous nous occupons de nombreux dossiers. J’ai une conférence téléphonique aujourd’hui avec le conseil d’administration, de 17 heures à 18 heures, au cours de laquelle nous traiterons de ces questions. Je sais qu’on a discuté des possibilités d’emplacement, mais à ma connaissance, nous déplaçons des femmes et des enfants dans des hôtels pour les mettre en sécurité pendant cette période.
Le sénateur Manning : Monsieur Dias, comment le gouvernement a-t-il réagi aux préoccupations qui ont été soulevées?
M. Dias : Nous n’avons obtenu aucune réponse du gouvernement. Rien du tout. Comme je l’ai dit, je sais que des refuges pour femmes sont aux prises avec des problèmes. Il se peut qu’ils communiquent directement avec le gouvernement, mais je ne le sais pas de première main. J’en saurai probablement plus après 17 heures aujourd’hui.
Le sénateur Manning : Merci.
Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé des inquiétudes soulevées par les membres de votre syndicat quant à la possibilité d’une deuxième vague en juillet et à son impact sur leurs revenus. Je ne vous ai peut-être pas bien entendu, mais je crois que vous avez dit que vous aviez formulé des suggestions, des critères ou des idées à ce sujet, ou que vous étiez sur le point de le faire. Les avez-vous fait connaître?
M. Dias : Oui.
Le sénateur Manning : Notre comité pourrait-il obtenir une copie de vos suggestions?
M. Dias : Certainement. Je vais immédiatement fournir une copie au comité.
Nous avons parlé de deux ou trois choses. Premièrement, il est nécessaire de réformer en profondeur le régime d’assurance-emploi. Lorsque l’épidémie a éclaté, il est apparu évident que nous n’étions pas du tout préparés à y faire face et que le système comportait de nombreuses lacunes. Pour réformer le système — ce qui doit être fait —, il faut d’abord s’assurer que les gens y sont admissibles.
Une des choses qui clochent avec le régime d’assurance-emploi actuel, c’est que les gouvernements ont toujours utilisé l’excédent de la caisse pour contribuer à l’équilibre budgétaire. Je suis d’avis qu’il s’agit de l’argent des travailleurs et que le gouvernement devrait s’abstenir d’y toucher. Aujourd’hui, seulement 42 % des demandeurs touchent des prestations d’assurance-emploi. Dans le cas des travailleurs à faible revenu, cette proportion n’est que de 28 %.
Par ailleurs, lorsque les gens perdent leur emploi, qu’ils sont licenciés ou mis à pied, on ne devrait pas réduire leurs prestations d’assurance-emploi. Franchement, il est temps de bonifier l’assurance-emploi afin qu’elle atteigne 75 % du salaire que gagnait le prestataire. Je pourrais parler de bien d’autres questions, mais je sais que le temps presse.
La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins qui comparaissent devant notre comité aujourd’hui.
Mes questions s’adressent à M. Dias. Nous savons qu’Unifor est le plus grand syndicat du secteur privé. Comme vous représentez des travailleurs qui œuvrent dans de nombreux secteurs, vous êtes à même de constater les conséquences de la situation un peu partout. Les travailleurs de la santé que vous représentez sont touchés par la crise sanitaire. Dans d’autres secteurs, comme l’industrie de la vente au détail, qui englobe les supermarchés, certains employés semblent travailler jour et nuit, tandis que d’autres sont au chômage, ont perdu leur emploi, ont été licenciés, mis à pied provisoirement, et cetera.
Comme le mandat du comité est d’étudier la réponse du gouvernement à la crise, j’aimerais que vous précisiez dans quels domaines cette réponse a été la moins adéquate. Vous avez aussi parlé des changements à apporter à l’assurance-emploi, entre autres choses, mais je souhaite m’attarder davantage à la réponse à la crise. Dans quels secteurs la réponse du gouvernement a-t-elle posé le plus problème? De quelle manière et dans quels domaines? Je vous saurais gré d’être le plus précis possible. Merci.
M. Dias : C’est une bonne question. Si on se tourne vers l’avenir, je pense qu’il faudra réfléchir aux emplois que réintégreront les travailleurs. Il faudra discuter beaucoup plus de cet enjeu. La Prestation canadienne d’urgence et le programme de subvention salariale sont très importants, mais ils ne seront pas éternels.
Il faut se poser la question suivante : qu’adviendra-t-il des grands employeurs à la suite des mises à pied massives attribuables à la crise en cours? Jetons un coup d’œil sur l’industrie du transport aérien. Le passé nous a appris qu’il ne faut absolument pas laisser les compagnies aériennes faire faillite. Elles finissent inévitablement par se renflouer, puis, après un certain temps, les dirigeants s’en tirent fort bien, mais ce sont les travailleurs qui écopent.
Il faut examiner la situation des grandes industries au pays. Jetons un coup d’œil sur l’industrie automobile. Même si les employés commencent lentement à retourner au travail, l’industrie automobile verra probablement la valeur de ses ventes en Amérique du Nord passer d’environ 21,5 millions de dollars en 2019 à quelque 16,5 millions de dollars en 2020. Il faudra mettre en place des programmes de subventions pour inciter les gens à acheter des voitures. L’industrie connaîtra-t-elle une transformation sur le plan des véhicules électriques?
Il faut s’interroger sur l’avenir de l’économie et se demander si le gouvernement prévoit jouer un rôle à cet égard. Jusqu’ici, il me semble qu’on ne s’intéresse pas assez à l’avenir à court et à long terme de l’économie. Pour être juste envers le gouvernement, je dois dire que les choses changent tous les jours en cette période de pandémie. À l’heure actuelle, le gouvernement tente de mettre de l’argent dans les poches des gens, tout en essayant d’avoir une vision pour l’avenir. Je pense que c’est fort probablement ce qui manque jusqu’ici.
La sénatrice Dasko : Il faudrait donc déterminer ce qui devrait être fait à l’avenir.
Qu’en est-il des travailleurs de la santé dans le contexte de la réponse du gouvernement à la crise sanitaire? À votre avis, le gouvernement a-t-il manqué à son devoir à leur égard?
M. Dias : Cette question fait suite à la première question. La pandémie nous a appris notamment que le pays a confié sa sécurité à des sous-traitants. Le pays a été pris totalement au dépourvu par la situation. Examinons les pays dont nous dépendons pour l’obtention d’équipement de protection individuelle. Tout d’abord, bon nombre d’entre eux ont cessé d’exporter des articles en raison de leur demande intérieure, ce qui a aggravé la situation. À l’heure actuelle, le Canada est un pays qui possède de vastes ressources naturelles et matières premières, mais qui n’a pas vraiment de plan concret quant à la façon de les utiliser.
S’il y a des gens que nous avons laissé tomber, ce sont les travailleurs essentiels. Le débat porte également sur la manière dont nous avons toujours traité les travailleurs essentiels, car ils comptent parmi les moins bien payés de la société. Outre les travailleurs de la santé, examinons la situation des employés d’épicerie, dont un grand nombre gagnent à peine plus que le salaire minimum. Examinons la situation des chauffeurs d’autobus. On a parlé des personnes qui travaillent dans les refuges pour femmes et pour les compagnies aériennes. Je pense que le vrai problème, c’est que le gouvernement ne leur accorde pas assez de soutien pour assurer leur sécurité.
Comme je l’ai dit, même aujourd’hui, il y a une grave pénurie de masques N95. C’est pourquoi nous discutons avec de nombreux employeurs, dont General Motors. Cette entreprise fabrique des masques qui sont considérés comme des masques chirurgicaux. Que peuvent aussi faire d’autres employeurs? La principale leçon à tirer de cette crise, c’est qu’il ne faudra plus jamais être pris au dépourvu comme on l’a été. Il ne faudra plus jamais trahir les Canadiens comme on l’a fait.
La sénatrice Dasko : Monsieur Dias, ma question suivante porte sur le fait que, dans le cadre de l’accord qu’il a conclu avec les néo-démocrates, le gouvernement fédéral a promis de prôner l’implantation de congés de maladie payés. Vous vous êtes battu pour que des congés de maladie soient prévus dans probablement toutes les conventions collectives que vous avez négociées. Que pensez-vous de cette proposition? Qu’est-ce que cela signifie? Qui paierait pour les congés de maladie? Qui les obtiendrait? Qui n’y aurait pas droit? Qu’en pensez-vous?
M. Dias : Tout d’abord, je tiens à remercier Jagmeet Singh, le caucus néo-démocrate et le gouvernement libéral d’avoir fait cette proposition.
Il s’agit simplement d’un élément essentiel de la vie, et la pandémie vient d’en faire la preuve. On ne peut pas forcer des gens malades à aller travailler. Les congés de maladie sont nécessaires, peu importe le secteur d’activité, qu’il s’agisse notamment du secteur manufacturier ou de l’industrie de l’accueil. Plus il y a de gens qui vont travailler malades parce qu’ils ne peuvent pas se permettre de prendre un jour de congé, plus la situation est grave pour l’industrie et les gens.
Je pense que c’est le simple bon sens. Je crois qu’il s’agit d’une question de respect élémentaire et que cette mesure, qui est bien accueillie, aurait dû être mise en place depuis longtemps. Il suffit de penser aux établissements de soins de longue durée où des personnes testées positives à la COVID-19 ont été renvoyées au travail par leur employeur à cause d’une pénurie chronique de personnel. Nous devons régler ce problème, et je suis ravi de constater que c’est ce qui est en train d’être fait. Cette solution devra toutefois être adoptée de façon permanente, plutôt que d’être mise en place uniquement pendant la pandémie.
Le sénateur Kutcher : Je remercie tous nos invités de leurs témoignages, qui ont été très éclairants.
J’aimerais poser deux questions à M. Hussan. J’ai trouvé votre témoignage bouleversant et difficile à écouter. Les sénateurs s’intéressent beaucoup au sort des membres les plus vulnérables de la société. Ma première question sera assez précise, tandis que la deuxième sera de nature un peu plus générale. Je vais poser les deux en même temps.
De nombreux Canadiens emploient chez eux des travailleurs étrangers temporaires pour s’occuper de leurs enfants ou de leurs parents âgés. J’aimerais savoir ce que le gouvernement fédéral a fait pour entrer en contact avec ces personnes, que ce soit directement ou par l’entremise de leur employeur, pour s’assurer qu’ils sont en sécurité dans leur milieu de travail et que l’on répond à leurs besoins.
Deuxièmement — je m’excuse si tout le monde est au courant; ce n’est pas mon cas —, existe-t-il une base de données nationale qui nous permettrait d’être proactifs et d’entrer en contact avec les personnes les plus vulnérables dans les situations de crise comme celle que nous vivons en ce moment?
M. Hussan : En réponse à la première question, je dirais qu’il ne s’est rien passé. Les membres de notre organisation travaillent dans tous les milieux, notamment dans des établissements de soins pour bénéficiaires internes, des foyers privés et des établissements de soins de longue durée. Il s’agit entre autres de préposés aux services de soutien à la personne, de travailleurs de la santé et de préposés à l’entretien ménager. En janvier dernier, lorsque la pandémie de COVID-19 a éclaté, les employeurs ont forcé de nombreux travailleurs à rester confinés chez eux ou sur place, car les immigrants étaient considérés comme étant porteurs du virus, en particulier les personnes originaires des Philippines et de l’Asie de l’Est, ainsi que les femmes. On parle du mois de janvier ici. Certains membres de notre organisation ne sont pas sortis de chez eux depuis. Leurs employeurs refusent de les laisser sortir. Ils ne peuvent pas sortir pour envoyer de l’argent dans leur pays d’origine ou pour aller à l’épicerie. Ils sont très souvent coincés chez eux, et rien n’a été fait pour changer leur situation. Nous avons demandé au gouvernement fédéral de permettre aux travailleurs de quitter leur employeur si le milieu n’est pas sécuritaire. Ils travaillent lorsque les parents et les enfants sont à la maison. Leurs heures de travail sont donc illimitées, mais ils ne sont pas payés pour les heures supplémentaires qu’ils font.
Les questions de santé et de sécurité sont énormes, car, à leur arrivée au pays depuis la réouverture des frontières, les travailleurs migrants doivent produire un protocole de quarantaine. Toutefois, comme les employeurs refusent de les laisser entrer chez eux pendant les 14 premiers jours, ils sont refoulés à l’aéroport. Les employeurs disent que les travailleurs migrants doivent se mettre en quarantaine ailleurs. Il s’agit cependant de soignants à domicile et d’aides familiaux résidants. Le gouvernement a donc totalement abandonné la vaste majorité d’entre eux.
Pour ce qui est de votre deuxième question, il s’agit de toutes les personnes au pays qui ne sont pas des résidents permanents. Ce sont des gens qui ont un certain statut sur le plan de l’immigration, comme des demandeurs d’asile, des travailleurs de la santé, des travailleurs agricoles, des étudiants et des sans-papiers. On ne sait pas combien ils sont au pays. Jusqu’à il y a un an, le Canada ne contrôlait pas les sorties. On savait combien de personnes entraient au pays, mais on ignorait combien d’entre elles en sortaient, prolongeaient indûment leur séjour, et cetera.
Nous sommes la seule organisation en son genre, car nous avons bâti un réseau national de groupes de migrants auto-organisés. Il faut se rappeler que la loi fédérale ne permet pas à une grande partie des secteurs de l’établissement et de l’immigration de servir ces gens. Notre réseau est donc la seule organisation à le faire. Au cours des derniers mois, nous avons demandé en vain à une douzaine de reprises à rencontrer un ministre fédéral. Dans mon mémoire, j’ai joint sept ou huit lettres que nous avons envoyées, mais qui sont restées sans réponse. C’est nous qui pouvons communiquer avec nos membres. Nous avons une stratégie sur la façon d’utiliser les médias grand public et les médias marginaux pour communiquer avec les membres de notre organisation, mais personne ne nous parle. En conséquence, l’exploitation de ces personnes et les abus commis à leur égard, qui étaient déjà énormes, ont tout simplement empiré.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie de ces renseignements factuels. J’aimerais maintenant obtenir votre opinion sur une question. Aux fins du compte rendu, je tiens simplement à souligner que la situation que vous avez décrite ne correspond pas à un emploi, mais plutôt à un maintien en servitude. Je tiens à le signaler. C’est ce que je pense de la situation qui nous a été présentée.
Avez-vous une idée des raisons pour lesquelles toutes vos tentatives de communiquer avec les responsables de ces dossiers ont été infructueuses jusqu’ici?
M. Hussan : Je crois que ce qu’il faut retenir, c’est que, depuis très longtemps, nos gens sont traités comme des biens. Il n’est pas question d’êtres humains, mais de pénurie de main-d’œuvre. Il n’est pas question de dignité, mais d’assurer l’approvisionnement en nourriture. Il n’est pas question de décence, mais de remplaçants et de veiller à prendre soin des aînés. Les migrants, les êtres humains qui assurent ces soins, qui vont à l’école ici... on ne parle pas des étudiants étrangers, mais de l’argent qu’ils injectent dans l’économie canadienne. On ne parle pas des travailleurs du commerce au détail ou des livreurs. On les voit simplement comme des rouages essentiels qui assurent le bien-être du reste de la population. L’accent est ailleurs.
Par ailleurs, je crois que le gouvernement fédéral a peut-être peur parce que les employeurs ont fait beaucoup de lobbying. Il y a eu tellement de résistance de la part de plusieurs partis politiques au sujet de la PCU que le gouvernement ne veut pas l’étendre aux migrants et aux sans-papiers de crainte que cela ne se retourne contre lui. Je pense que le gouvernement fédéral est réticent à faire ce qui est juste de crainte d’être critiqué par les racistes, les nationalistes et les xénophobes.
Il est impératif que nous comprenions tous que nous laissons une catastrophe en matière de droits de la personne se dérouler sous nos yeux et que, sans un système d’immigration permanente, cette catastrophe se poursuivra. M. Dias a dit qu’il faut songer à la relance une fois cette crise passée. Cela signifie que nous ne pouvons plus avoir un système d’immigration à plusieurs niveaux selon lequel on prive des gens de certains droits ou qu’on les leur accorde en fonction d’une loi ou d’une politique qui ne cesse de changer. Tout le monde doit être traité de façon identique. Tout le monde devrait recevoir le statut de résident permanent à son arrivée, puis bénéficier des mêmes accès en matière de soins de santé, d’éducation, d’aide sociale, de droits et de responsabilités. Je crois que nous devons nous distancer de l’orientation prise par le système d’immigration et songer davantage à l’humain qu’à l’économie.
Le sénateur Kutcher : Merci.
La présidente : Merci, sénateur Kutcher, de votre question.
J’ai encore passablement de questions de la part de nos collègues qui nous visitent. Nous disposons de 10 minutes. Nous ne pouvons pas vraiment dépasser ce délai pour des motifs d’ordre technique, et je suis consciente que nous avons dû suspendre la réunion et que nous avons éprouvé certaines difficultés. Si chacun des sénateurs qui ne sont pas membres du comité peut être bref, je crois que tout le monde aura le temps de poser une question.
Le sénateur R. Black : Merci aux témoins qui sont présents.
Ma question s’adresse à M. Hussan. Le Programme des travailleurs étrangers temporaires et le Programme des travailleurs agricoles saisonniers m’intéressent particulièrement. Vous avez souligné plus tôt certains problèmes de taille. Comme le sénateur Kutcher l’a dit, c’est inquiétant. Ces problèmes touchent-ils surtout le secteur agricole, d’autres secteurs, ou les deux?
J’aimerais aussi savoir si vous avez soulevé ces préoccupations, en particulier en ce qui a trait au secteur agricole, auprès des agriculteurs qui aident à faire venir des travailleurs étrangers temporaires au Canada?
M. Hussan : Pour ce qui est du Programme des travailleurs étrangers temporaires, il y a environ 100 000 travailleurs en tout, dont 60 000 dans le secteur agricole, les autres étant répartis dans les secteurs des soins, de la transformation de la viande, etc. Je parle de JBS, où une centaine de travailleurs migrants ont peut-être été infectés par la COVID-19. Il ne s’agit pas seulement du secteur agricole, c’est certain. On constate la même chose parmi les aidants à domicile. On pourrait aussi parler de la vente au détail, des nettoyeurs, du tourisme.
Pour ce qui est de parler aux agriculteurs, non, nous ne l’avons pas fait. Nous tentons pour le moment de convaincre le gouvernement fédéral de procéder à de tout petits changements en matière de quarantaine et d’hébergement. Ces 10 dernières années, nous avons réclamé de nombreux changements, notamment au sujet de l’autorisation d’emploi ouverte, de la nécessité des logements fournis par l’employeur — raison pour laquelle on voit tant de travailleurs parqués dans des pavillons-dortoirs — et, bien entendu, de l’obtention du statut de résident permanent dès l’arrivée.
Le sénateur R. Black : Merci. J’ai d’autres questions, mais je vais laisser la chance à mes collègues.
La sénatrice Pate : Merci à chacun d’entre vous pour votre travail et celui de vos membres.
Ma question s’adresse à M. Wilkins. Compte tenu du fait qu’entre la mi-mars et la fin mars l’Organisation mondiale de la Santé et le haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme ont demandé à tous les pays de s’efforcer de réduire la population carcérale; compte tenu du fait que les professionnels de la santé qui travaillent dans les prisons ont écrit aux gouvernements fédéral et provinciaux, ainsi qu’aux députés et aux sénateurs pour nous demander d’appuyer un plan visant à réduire le nombre de détenus dans les prisons afin de permettre une bonne hygiène et la distanciation sociale plutôt que des confinements et l’imposition de l’isolement cellulaire; et compte tenu du fait que le 25 mars, le ministre de la Sécurité publique a annoncé qu’il avait également demandé au Service correctionnel et à la Commission des libérations conditionnelles un plan visant à libérer des prisonniers, le travail à cet effet a débuté dans nombre de provinces et territoires, ainsi qu’à l’étranger.
Malgré les risques évidents que pose pour vos membres le fait de ne pas réduire le nombre de détenus, il n’empêche que, bon an mal an, on libère de 4 000 à 5 000 détenus, que la plupart des détenus qui se trouvent dans les prisons ouvertes dont vous avez parlé sont considérés à faible risque et que la majorité d’entre eux ne sont qu’à quelques jours, semaines ou mois d’être libérés, et que le nombre de détenus libérés depuis mars a été plus faible qu’il l’aurait normalement été compte tenu du contexte — comme la sénatrice Omidvar l’a indiqué, on sait qu’au moins 110 détenus ont obtenu leur libération, mais n’ont pas été libérés — et que plusieurs de vos membres ont indiqué être en désaccord avec la politique adoptée et sont d’avis que le fait de réduire la population carcérale réduira par le fait même les risques de propagation de la COVID-19 dans les prisons, pourquoi, le 30 mars dernier et encore aujourd’hui, votre syndicat s’est-il opposé aux efforts de réduction de la population carcérale recommandée par l’Organisation mondiale de la Santé et des professionnels de la santé qui travaillent dans les mêmes prisons que vos membres? Même le ministre est en faveur de cette dépopulation.
M. Wilkins : Nos membres ne sont pas contre la libération de détenus qui sont admissibles à une libération. Lorsqu’il s’agit de détenus qui sont inadmissibles à un quelconque programme de libération ou dont le plan correctionnel n’a pas été respecté, nous considérons bien entendu que leur libération dans la population générale pose un risque. Dans bien des cas, il faut aussi comprendre que ces détenus n’ont nulle part où aller. Il arrive parfois que la prison soit pour eux le meilleur endroit où recevoir rapidement des soins de santé.
Cela dit, on compare la menace que pose le virus à la menace pour la population canadienne. Je trouve quelque peu étranges la recommandation de l’Organisation mondiale de la Santé et les recommandations d’autres institutions. C’est comme si je faisais au gouvernement canadien une recommandation dans un domaine pour lequel je n’ai aucune expérience professionnelle. Nos membres sont des agents correctionnels professionnels. Ils comprennent les dangers liés aux individus avec lesquels ils travaillent quotidiennement. Bien entendu, en période de pandémie, lorsqu’il est question de libérations, je crois que le Service correctionnel constitue l’organisation professionnelle. C’est ce service qui détermine les risques et les dangers potentiels pour la population canadienne si les détenus ne bénéficient pas de leurs programmes. Plusieurs organismes et agences peuvent bien regarder l’aquarium du Service correctionnel du Canada de l’extérieur, mais les gens qui y travaillent sont des professionnels.
Je le répète, je sais qu’on libère des détenus. Ces libérations sont fondées sur une analyse des risques et devraient se poursuivre. Par contre, la libération de la majorité ou d’une grande partie de la population carcérale va totalement à l’encontre de la sécurité publique.
La sénatrice Lankin : J’ai une courte déclaration et une question.
Permettez-moi de vous dire, monsieur Wilkins, que j’ai déjà été agente correctionnelle et agente de probation et de libération conditionnelle. J’ai déjà nagé dans cet aquarium dont vous parlez, et j’appuie la dépopulation stratégique dans les circonstances actuelles. Il existe donc des gens qui proviennent du système ou qui s’y trouvent et qui sont en désaccord avec vous.
Ma question s’adresse à M. Dias. Vous avez eu l’occasion de commencer à dire en quoi, selon vous, devraient consister les changements aux mesures de soutien du revenu d’urgence. J’aimerais vous accorder un peu plus de temps pour nous exposer vos idées et ce que vous espérez accomplir. Comme on l’a entendu aujourd’hui et à maintes reprises ces derniers mois, nous savons que la PCU laisse encore pour compte beaucoup de personnes, et ce malgré les correctifs déjà apportés. Nous sommes conscients des efforts en ce sens. Selon vous, quels changements faudrait-il apporter maintenant alors qu’on se prépare à entrer dans une nouvelle phase de retour partiel au travail, mais que bien des gens ne peuvent toujours pas retourner travailler? Merci beaucoup.
M. Dias : Merci de votre question, sénatrice.
À mon avis, la principale lacune de la PCU telle qu’elle est structurée est qu’elle a été créée pour remplacer l’assurance-emploi parce que l’assurance-emploi ne pouvait répondre à la demande. Je représente environ 50 000 travailleurs qui, lorsqu’ils sont mis à pied, reçoivent une prestation supplémentaire d’assurance-chômage en sus de leurs prestations d’assurance-emploi. La majorité de ces 50 000 membres ont été mis à pied pendant la pandémie. Toutefois, au lieu de recevoir 573 $ par semaine d’assurance-emploi, ils ont reçu 500 $. Puis, le ministère des Finances et la ministre Qualtrough ont décidé qu’il n’y aurait pas de salaire d’appoint en lien avec la PCU, ce qui n’a vraiment aucun sens. J’ai maintenant des milliers de travailleurs de l’automobile qui retournent au travail et qui, si on tient compte de la différence de 73 $ par semaine et des prestations supplémentaires d’assurance-chômage annulées, perdent entre 500 $ et 600 $ par semaine. J’ai des travailleurs de l’automobile qui ont perdu plus de 4 000 $ pendant les deux mois où ils n’ont pas travaillé et des employés de la production qui ont perdu environ 3 000 $ pendant la même période. Je ne comprends donc pas le raisonnement qui se cache derrière la décision du gouvernement.
Le gouvernement a dit qu’il ne voulait pas que les travailleurs reçoivent ce supplément de revenu parce qu’il serait considéré comme un incitatif pour mettre des travailleurs à pied. Cet argument n’avait alors aucun sens et c’est toujours le cas. Pourquoi? Parce que, dans l’industrie automobile par exemple, les travailleurs ont été renvoyés à la maison à cause de la distanciation sociale. Il a fallu reconfigurer les usines. Il a fallu instaurer des mesures de sécurité. Ce refus d’accorder aux travailleurs des avantages sociaux négociés n’a aucun sens. Les employeurs eux-mêmes disent au gouvernement : « Écoutez, c’est ce que nous devons à nos employés. Nous voulons les payer. » Le gouvernement fait la sourde oreille. Nous ne comprenons pas. C’est absurde. Des dizaines de milliers de travailleurs sont en colère contre le gouvernement.
Pour ce qui est de l’assurance-emploi, la première chose à faire, c’est de modifier ce régime. C’est impensable que seulement 42 % des gens qui soumettent une demande puissent être admissibles. Il faut assouplir les critères. Les gens doivent pouvoir être admissibles en ayant travaillé beaucoup moins d’heures. Les travailleurs qui sont pris avec des emplois précaires, atypiques ou occasionnels deviendraient admissibles. Comme il n’y a aucune question, trop souvent, ce sont les travailleurs à faible salaire qui ont le plus besoin de l’assurance-emploi qu’on refuse. Beaucoup de changements sont nécessaires. Il faut moderniser ce régime. Il faut le réparer.
Merci de la question.
La présidente : Merci de la réponse.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question pour M. Hussan. Monsieur Hussan, je suis, comme mes collègues, plutôt horrifiée par ce que vous nous dites sur les travailleurs migrants. Cela ressemble évidemment à de l’esclavage moderne.
Ma question porte plus spécifiquement sur les travailleurs agricoles. J’aimerais avoir une idée de l’étendue du problème; combien de plaintes avez-vous reçues?
Je me demande aussi plus précisément ceci : pourquoi, dans un cas comme celui de ces migrants qui avaient un sac de pommes de terre à manger pour une semaine, vous n’avez pas, de votre côté, dénoncé la ferme et la situation à la police? On parle ici d’affamer des gens; c’est grave. Pourquoi ne pas dénoncer cela, car dénoncer a tout de même du poids? Aussi, quelle est, selon vous, la proportion des fermes qui posent problème?
[Traduction]
M. Hussan : Pour ce qui est du nombre de plaintes, une ligne téléphonique de la région de Niagara a reçu 1 078 plaintes de travailleurs agricoles migrants en 60 jours. Il y a une douzaine de membres d’un bout à l’autre du pays que nous n’avons pu regrouper. La grande majorité des organismes qui servent ces gens n’ont pas de personnel, de bureau ou de ligne téléphonique. Ce sont les migrants qui s’entraident entre eux.
Sur cette ferme, par exemple, on faisait venir les ouvriers migrants au pays et on les mettait en quarantaine. On les conduisait au domicile du propriétaire et on leur interdisait de quitter les lieux, ce qui signifie qu’ils n’avaient pas accès à un téléphone. Ils n’avaient pas de WiFi. Même s’ils avaient pu téléphoner, ils n’auraient pas su qui appeler. Ils n’appelleront pas la police, car la police va les harceler et les maltraiter. Il est probable que le propriétaire de la ferme est le cousin du policier, ce qui est le cas dans bien des collectivités rurales.
Le gouvernement fédéral dit qu’il y a une ligne téléphonique pour ces travailleurs, mais on n’y répond qu’en anglais ou en français, et ces travailleurs parlent l’espagnol.
Nous avons proposé un système très précis de surveillance et d’application de la loi pendant la pandémie de COVID-19, mais rien n’a été fait. On ne peut avoir un système qui repose sur la simple notion de la façon dont il devrait fonctionner. Les gens n’ont pas accès aux lignes téléphoniques. Ils ne parlent ni français ni anglais. Si les travailleurs se plaignent, leurs employeurs l’apprendront et ils veilleront à ce qu’ils ne reviennent pas l’année suivante ou les renverront dans leur pays sur-le-champ. On ne peut avoir un système fondé sur les plaintes.
La sénatrice Miville-Dechêne : Mais, à titre d’organisme, vous pouvez porter plainte.
M. Hussan : Mais les travailleurs le sauront. Nous avons déposé des plaintes à cette ligne téléphonique sans que le gouvernement fédéral fasse quoi que ce soit dans bien des cas. Dans un cas, le gouvernement a effectivement téléphoné à un employeur et lui a dit : « Pourquoi ne nourrissez-vous pas vos ouvriers? » L’employeur est allé voir les ouvriers, leur a dit d’arrêter de se plaindre, et a cessé de les nourrir.
Il n’y a pas d’application de la loi. Il est difficile de l’appliquer, et les ouvriers doivent faire preuve de détermination. Ils craignent maintenant de ne pas être invités à revenir l’an prochain parce qu’ils font partie d’un programme saisonnier contrôlé par les employeurs.
Le système est conçu de manière à permettre l’exploitation. Voilà pourquoi le statut de résident permanent est nécessaire. Aucune autre voie détournée ne permettrait de régler le problème.
[Français]
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Hussan.
Sénateur Cormier, c’est maintenant à vous de poser la dernière question.
Le sénateur Cormier : Merci aux témoins de leurs témoignages éclairants.
Ma question s’adresse à M. Hussan. Vous êtes peut-être au courant du fait que le gouvernement de ma province, le Nouveau-Brunswick, avait interdit l’entrée des travailleurs étrangers temporaires au début de la pandémie. Le gouvernement pensait que les citoyens qui sont sans travail, ainsi que les étudiants, pourraient facilement remplacer ces travailleurs.
Or, les petites et moyennes entreprises des secteurs de la pêche, de l’agriculture et de la santé, notamment, ont été claires, et ont confirmé que l’expertise de ces travailleurs étrangers était essentielle à leurs secteurs. Heureusement, le gouvernement est revenu sur sa décision.
Compte tenu des champs de compétence de nos différents ordres de gouvernement, que devrait faire le gouvernement fédéral pour s’assurer que nos provinces et nos territoires sont pleinement conscients de la qualité et de l’expertise de ces travailleurs étrangers temporaires et du besoin actuel et futur de nos petites et moyennes entreprises d’avoir accès à ces travailleurs essentiels, particulièrement nos entreprises en milieu rural?
[Traduction]
M. Hussan : Votre question soulève deux problèmes de taille. Nous avons des membres qui étaient sur le point de prendre l’avion pour venir ici et qui ont été renvoyés chez eux. Ils sont sans emploi et sans revenu. Ils ne peuvent subvenir aux besoins de leur famille. Ils comptaient sur ce revenu et ils n’ont pas droit à la PCU. Ce ne sont pas les propriétaires agricoles et les entreprises rurales qui nous inquiètent le plus, mais bien le fait que ces gens n’ont aucun revenu. Le gouvernement fédéral pourrait au moins permettre à ces ouvriers de recevoir la PCU à laquelle ils n’ont pas droit sans que ce soit leur faute. Voilà pour le premier problème.
Deuxièmement, le gouvernement du Nouveau-Brunswick permet aux résidents permanents et aux citoyens d’entrer dans la province et d’en sortir. S’il ferme la porte à ces gens, c’est uniquement parce que le gouvernement fédéral leur accorde un statut temporaire malgré le fait que leur présence est essentielle et nécessaire. La solution est très simple : il faut leur accorder le statut de résident permanent. C’est pourquoi nous ne cessons de répéter notre demande, car il est impossible de renvoyer des résidents permanents et des citoyens. C’est la politique d’immigration du gouvernement fédéral qui rend possibles cette exploitation, ces mauvais traitements, et qui permet cette exclusion de membres essentiels de notre communauté et de notre société.
La présidente : Merci, monsieur Dias, monsieur Hussan et monsieur Wilkins, de vos témoignages, de votre précieuse expertise et de nous avoir aidés dans notre étude. Nous devons suspendre la réunion. Je sais que de nombreux sénateurs avaient d’autres questions à vous poser. Honorables collègues, n’hésitez pas à leur soumettre vos questions par écrit. Nous veillerons à ce que les témoins vous répondent s’ils le désirent.
[Français]
Mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices, nous poursuivons sans plus tarder notre étude sur la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19.
Nos témoins cet après-midi sont les suivants : Daniel Boyer, président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec; Miranda Ferrier, présidente de deux organisations, la Canadian Support Workers Association et l’Ontario Personal Support Workers Association; Deena Ladd, directrice générale du Workers’ Action Centre.
[Traduction]
Monsieur Boyer, nous allons commencer par vos observations préliminaires.
[Français]
Monsieur Boyer, vous pouvez faire vos remarques.
Daniel Boyer, président, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec : Merci, madame la sénatrice, et merci à l’ensemble des sénateurs et des sénatrices de nous permettre de nous exprimer sur l’actuelle crise liée à la COVID-19. Je vais tenter de répondre aux quelques questions qui m’ont été posées.
Tout d’abord, je n’aborderai pas la question des travailleurs et travailleuses du secteur de la santé, puisque vous l’avez fait la semaine dernière, mais je parlerai des autres secteurs. En ce qui concerne les préoccupations des travailleurs et des travailleuses, je les diviserais d’abord en deux groupes. Premièrement, il y a les travailleurs et les travailleuses qui sont, au moment où l’on se parle, en reprise de travail, puisqu’il y en a plusieurs qui ont repris le travail. En fait, il y a encore des craintes et des peurs de la part des travailleurs et des travailleuses qui reprennent leurs activités. Nous savions qu’il fallait de toute façon reprendre des activités, puisque nous devrons malheureusement, semble-t-il, vivre longtemps avec ce virus. À ce jour, je dirais que, pour les travailleurs et les travailleuses qui ont repris le travail, cela se passe relativement bien.
Au Québec, le retour s’est fait de façon progressive, comme cela se fait également dans les autres provinces. On constate toutefois après un certain temps, soit deux à trois semaines, au sein des premiers secteurs qui ont repris le travail, comme le secteur de la construction résidentielle et le secteur minier, un certain relâchement du respect des mesures sanitaires. On doit donc revenir à la charge constamment sur le respect des mesures sanitaires. Voilà pour le premier groupe de préoccupations des gens qui ont repris le travail. En ce qui concerne les préoccupations des travailleurs et des travailleuses qui n’ont pas repris le travail, il y a des inquiétudes. Même pour ceux qui ont repris le travail, vont-ils le reprendre seulement pour un certain temps, avant que certaines entreprises soient forcées de fermer? Tout cela est très inquiétant.
Il y a des problèmes dans certains secteurs d’activité où on n’a pas encore de nouvelles sur la reprise du travail. Dans le secteur culturel, dans les milieux de la musique, du cinéma, de la scène, des salles de spectacle, on n’a aucune nouvelle, il n’y a pas de plan de match ni de programme de déconfinement. C’est donc assez inquiétant pour tout le secteur culturel et pour celui du tourisme, donc la restauration, l’hôtellerie et le milieu des congrès. On peut comprendre que ces secteurs ne sont pas encore déconfinés et on ne souhaite pas de reprise des activités à la hâte, bien évidemment. En même temps, il y a des inquiétudes pour les travailleurs et les travailleuses de ces secteurs. Il y a beaucoup de restaurants qui ne rouvriront pas de toute façon, et c’est la même chose dans les milieux culturels. Dans le secteur aérien, je vous avoue qu’il y a de grandes inquiétudes aussi. On discutait de la possibilité d’une fusion entre Air Transat et Air Canada, et cela soulève des inquiétudes grandissantes. Il y a donc des préoccupations importantes chez les travailleurs et les travailleuses, mais on fait les choses en concertation dans le cadre d’un dialogue social avec les employeurs, et je pense que cela fonctionne relativement bien.
Quant au soutien gouvernemental, de la part du fédéral, je dois souligner l’importance des programmes d’aide aux travailleurs et aux travailleuses et les programmes d’aide aux entreprises. Je pense que ce sont des programmes qui se devaient d’être mis en place, et je vais aborder ce sujet dans quelques minutes. Pour ce qui est du soutien gouvernemental du Québec, on a reçu un appui important de la part des organismes publics, comme la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. Si vous allez jeter un petit coup d’œil sur le site Web de la CNESST, vous y verrez une foule d’outils visant la reprise des activités par secteurs, et c’est vraiment intéressant. On a également mis en place un comité de vigie formé de représentants des employeurs et des travailleurs pour surveiller la reprise des activités dans chaque secteur. Ce comité fait un travail important.
Je sais que vous aviez aussi des questions sur les équipements de protection individuelle. Au Québec, je dirais que c’était assez chaotique au début de la crise. Cela se passe un peu mieux maintenant, mais tout cela est à géométrie variable. Je m’explique : si on parle d’un inventaire national, au Québec, il y a en effet suffisamment d’équipement de protection individuelle. Dans chacun des établissements, et je parle des établissements de soins de santé, notamment, c’est un peu plus variable. Certains établissements n’ont pas suffisamment d’équipements de protection individuelle, et c’est vrai aussi dans le secteur privé.
En ce qui concerne le soutien financier, et je vais conclure là-dessus, je dois saluer les programmes qui ont été mis en place par le gouvernement fédéral, soit la PCU et la Subvention salariale d’urgence, qui ont été d’un grand soutien. Oui, il y a eu plusieurs amendements, et parfois on en perdait tous notre latin, mais ces programmes sont également victimes de leur succès, parce que nous avons interpellé le gouvernement à plusieurs reprises, nous et le CTC, bien sûr. Nous les avons interpellés parce que nous ne voulions pas que des travailleurs tombent entre les mailles du filet et parce qu’il fallait que ces programmes s’appliquent à tout le monde. Il y a donc des secteurs, comme je l’ai mentionné, où les gens sont inquiets : la culture, le tourisme, le secteur aérien, tous les organismes à but non lucratif, les municipalités qui n’ont pas encore reçu d’aide. Je parle surtout des grandes villes où il y a du transport en commun. Nous souhaitons donc que des mesures d’aide soient annoncées, mais, au moment où l’on se parle, nous sommes relativement satisfaits des programmes qui ont été mis en place, bien qu’il y ait des aspects négatifs à ces programmes à certains égards.
Cependant, on devait permettre aux travailleurs et aux travailleuses d’avoir un revenu pour être en mesure de payer leur loyer, de nourrir leur famille et d’avoir des sous le plus rapidement possible. Je pense que les mesures d’aide ont été au rendez-vous, mais tout le monde est inquiet. Il faudrait que ces programmes se prolongent dans les secteurs où les activités ne reprendront pas de sitôt. Ce sont les commentaires que j’avais à faire. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
La présidente : Merci, monsieur Boyer.
[Traduction]
Miranda Ferrier, présidente, Canadian Support Workers Association, Ontario Personal Support Workers Association : Bonjour. Je m’appelle Miranda Ferrier, et je suis présidente de la Canadian Support Workers Association, ou CANSWA, et de sa section de l’Ontario, l’Ontario Personal Support Workers Association, ou OPSWA. La CANSWA est la plus importante association professionnelle de travailleurs de soutien de première ligne au pays. Elle compte plus de 58 000 membres, dont 41 000 en Ontario.
J’aimerais vous remercier de m’avoir invitée à participer à cette étude et cet examen de la réponse du gouvernement à la COVID-19.
Depuis que l’état d’urgence a été déclaré en Ontario, le 17 mars dernier, la CANSWA et ses sections provinciales ont été très bien placées pour interagir et observer les réactions de la communauté dans l’ensemble du pays. Cette perspective unique a permis à notre association d’évaluer directement les politiques fédérales et provinciales ainsi que leurs incidences sur les travailleurs de soutien de première ligne.
La COVID-19 a pris notre société complètement au dépourvu. En janvier, avant la déclaration d’état d’urgence, l’OPSWA, section ontarienne de la CANSWA, avait été invitée au comité provincial des opérations d’urgence. Depuis, l’OPSWA a régulièrement participé à des consultations et a constaté comment la pandémie a commencé avec des cas isolés à Wuhan pour se répandre jusqu’en Iran, en Italie, puis dans le reste du monde.
Notre capacité à observer les réactions à cette pandémie aux trois échelons de notre société nous a permis de formuler les constatations clés suivantes :
Premièrement, on constate un décalage entre les mesures d’urgence fédérales et provinciales, une application inégale des ordonnances d’urgence à l’échelle nationale, et la réaction du fédéral semble avoir été lente dans certains domaines tout en ayant été proactive dans d’autres. L’absence de mesures d’urgence à l’échelon fédéral a été contrebalancée par l’autorisation d’une certaine souplesse à l’échelon provincial, ce qui a atténué les conséquences de la crise à l’échelon communautaire. Certains prestataires de soins ont jugé que l’absence de déclaration d’urgence fédérale a justifié une interprétation laxiste de certaines ordonnances d’urgence provinciales. Cela a entraîné des retards dans l’obtention d’équipement de protection individuelle, ou EPI, approprié et dans la dotation de personnel et a contribué à la propagation du virus. L’absence de toute stratégie nationale en matière de pandémie est devenue apparente dès le début de la crise lorsque les prestataires de soins ont constaté qu’il était extrêmement difficile de se procurer de l’EPI. Les taux d’exposition à la COVID-19 ont été en grande partie dus à l’absence de tout plan coordonné visant à assurer la distribution égale d’EPI.
Deuxièmement, la vision des provinces. La majorité des provinces ont fait une fixation sur les établissements hospitaliers et de soins de longue durée qui abritent les plus importantes concentrations de personnes vulnérables. Elles ont toutefois en grande partie oublié les soins à domicile, ce qui a entraîné une importante perturbation de ces soins à cause de l’annulation massive des visites à domicile. Les travailleurs de soutien ont alors vécu des moments difficiles sur le plan financier, n’ayant plus aucune certitude quant à l’avenir des soins à domicile à court terme. Même si les mesures prises sont compréhensibles, elles n’en demeurent pas moins réactives et dues à l’absence de toute stratégie en matière de pandémie de la part de tous les ordres de gouvernement.
Troisièmement, la prime salariale de pandémie instaurée par le gouvernement a été conçue pour atténuer l’impact des mesures de distanciation sociale sur les économies provinciales et nationale. Même si elle a été instaurée dans un esprit d’inclusion, les commentaires provenant de nos membres et de nos partenaires nous portent à croire que bon nombre de mesures et de prestations ont une portée limitée, que les versements sont en retard et que la mise en œuvre est inégale.
Quatrièmement, la pandémie de COVID a révélé un manque de préparation au chapitre de l’EPI et de la priorité aux utilisateurs. Par conséquent, l’accès à l’EPI par les travailleurs de soutien a été sporadique et, dans certains cas extrêmes, inexistant. Cela a eu pour effet que les travailleurs de soutien ont eu à porter un fardeau de responsabilité irréaliste relativement à la COVID 19 et qu’ils ont été les plus nombreux à en mourir, tant en chiffres absolus qu’en pourcentage du personnel de soins de santé.
Cinquièmement, l’absence de surveillance réglementaire des travailleurs de soutien des soins de santé est devenue évidente à mesure que les provinces s’efforçaient d’adapter leurs stratégies de prestation de soins de santé aux lignes directrices d’urgence. Citons par exemple l’absence de plan en cas de pandémie pour les soins à domicile dans plusieurs provinces, l’incapacité à coordonner la distribution d’EPI aux prestataires de soins de première ligne dans leurs différents lieux de travail, une stratégie en matière de ressources humaines en santé où rien n’est prévu pour les travailleurs de la santé de première ligne et l’absence de plan pour régler les pénuries futures.
Malgré l’absence de stratégie en cas de pandémie, la CANSWA et nos sections provinciales sont persuadées que nos dirigeants politiques ont réagi remarquablement bien en mettant de côté les divergences politiques afin de parvenir à une réponse nationale unie. Ce facteur, plus que tout autre, a grandement réconforté nos membres et leur a permis d’affronter ce virus à brûle-pourpoint avec professionnalisme.
Je dois aussi souligner au comité qu’avant cette pandémie, les travailleurs de soutien du Canada n’étaient pas considérés comme un service essentiel parmi les soins de santé de première ligne. Malgré cela, ces travailleurs ont agi avec autant de professionnalisme et de détermination que n’importe quel autre corps professionnel de la santé.
Merci de m’avoir accordé ce temps de parole.
La présidente : Merci.
Deena Ladd, directrice générale du Workers’ Action Centre : Bonjour à tous. Merci beaucoup de me donner cette occasion de dire un mot sur l’important problème que doivent affronter beaucoup de travailleurs du pays actuellement.
Le Workers’ Action Centre est un organisme qui s’est donné comme mission d’aider les travailleurs non syndiqués, en particulier ceux qui ont un emploi temporaire, à temps plein, à forfait ou précaire. La plupart des hommes et des femmes qui bénéficient de notre aide reçoivent un maigre salaire, sont issus de l’immigration récente, font partie des travailleurs migrants ou sont des personnes de couleur.
Depuis 15 ans, notre organisme doit réagir à l’augmentation inquiétante du nombre d’emplois précaires faiblement rémunérés et à l’évolution du marché du travail canadien. Ces emplois précaires, qui sont temporaires, à court terme, à forfait ou à temps partiel ou encore qui font que l’employé est considéré à tort comme un entrepreneur indépendant, sont devenus la norme pour beaucoup de travailleurs, en particulier ceux qui ont été mis à pied lors de la récession de 2008.
Le travail précaire, que l’on appelle aussi le travail atypique, constitue environ un tiers des emplois au Canada. De nombreux travailleurs immigrants sont obligés d’avoir recours aux agences de placement temporaire pour pouvoir surmonter les gros obstacles les empêchant d’acquérir de l’expérience de travail au Canada. Il existe d’abondantes données montrant que les nouveaux arrivants sont plus susceptibles que les autres travailleurs d’occuper des emplois précaires.
Le nombre d’emplois à temps partiel et d’emplois temporaires augmente plus rapidement que le nombre d’emplois à temps plein. La croissance a été de 25 % dans les emplois à temps partiel et de 40 % dans les emplois temporaires. On observe aussi, depuis 2000, une hausse de 43 % du nombre de personnes qui travaillent à temps partiel, mais qui préféreraient travailler à temps plein.
Les emplois sont de plus en plus pourvus par des agences de personnel intérimaire, des sous-traitants et d’autres intermédiaires, qui embauchent les travailleurs en les traitant comme des entrepreneurs, c’est-à-dire qui leur demandent de payer des frais pour obtenir du travail comme femme de ménage, de payer les primes d’assurance et l’équipement pour travailler comme livreur de commandes transmises au moyen d’une application, et ainsi de suite.
Si je vous dis tout cela, c’est que c’est une description du marché du travail tel qu’il était avant la pandémie de COVID-19. Je pense qu’il est important d’être au courant de ces conditions, et elles sont expliquées plus en détail dans le mémoire que je vous ai remis.
Comme nous avons pu le voir, la pandémie de COVID-19 a mis à nu les lignes de faille dans le marché du travail et les lacunes dans le droit du travail. Elle a exacerbé les problèmes que subissaient déjà les travailleurs et les a soumis au risque d’infection et d’effet néfaste sur leur santé.
J’ai en main une liste de travailleurs essentiels et je n’ai pas besoin de vous dire qu’au cours des 10 dernières semaines, ils nous ont été très précieux. Des emplois essentiels sont occupés par des nouveaux arrivants, des migrants, des sans-papiers, des personnes issues des minorités raciales, des immigrés et des femmes. Notre expérience nous enseigne que ce sont des emplois précaires, faiblement rémunérés, sans avantages sociaux, sans congés de maladie et à très faible taux de syndicalisation. Des travailleurs essentiels doivent subir de telles conditions de travail depuis le début de la pandémie. Le stress découlant du risque d’être infecté quand on n’a ni assurance-maladie ni congés de maladie est un problème énorme.
De nombreux travailleurs doivent occuper plusieurs emplois à temps partiel, ce qui a eu comme conséquence tragique le taux élevé d’infection et de décès parmi les personnes âgées dans les établissements de soins de longue durée. Ces travailleurs sont fréquemment soumis à des horaires de travail imprévisibles dans les secteurs où ils se trouvent, sans nombre minimal d’heures garanti. Ils n’ont pratiquement aucune prise sur leur nombre d’heures de travail et leurs conditions de travail.
Comme je l’ai déjà dit, un nombre croissant d’employeurs dans les secteurs en question ont recours à des intermédiaires pour trouver du personnel. Les employés embauchés de cette manière peuvent moins facilement s’exprimer si leurs conditions de travail les exposent à des risques pour leur santé et leur sécurité, si leur employeur ne s’assure pas que les règles de distanciation sociale sont suivies et si les recommandations des autorités de la santé publique ne sont pas appliquées.
Si un travailleur ose se plaindre, il perd son revenu, ce qui n’est tout simplement pas envisageable lorsqu’on gagne déjà un maigre salaire. Beaucoup de travailleurs nous ont téléphoné pour nous dire que leur employeur les avait menacés de les congédier parce qu’ils avaient besoin de prendre congé pour s’occuper de leurs enfants ou parce qu’ils ne se sentaient pas bien. Certains travailleurs n’ayant pas accès à la Prestation canadienne d’urgence, ils n’ont pas le choix d’accepter cet abus et d’aller travailler quand même, sinon ils n’auraient pas d’argent pour payer leur loyer. Nombre de ces travailleurs ne sont ni citoyens ni résidents permanents, et il leur est extrêmement difficile de se défendre et de supporter la pression qu’exerce sur eux leur employeur.
Je peux vous dire au passage que, pour beaucoup de travailleurs que nous nous efforçons d’aider, l’obligation d’avoir un numéro d’assurance sociale pour pouvoir bénéficier de la Prestation canadienne d’urgence constitue un gros problème. Maintenant, j’aurais des recommandations à vous faire et j’aimerais vous parler des améliorations qui me semblent importantes.
Nous avons désespérément besoin que le gouvernement fédéral joue son rôle de chef de file pour améliorer le sort des travailleurs. La Prestation canadienne d’urgence cessera d’être versée le 4 juillet à la majorité des travailleurs qui ont perdu leur emploi depuis le 15 mars. Cette prestation doit être prolongée pour aider les travailleurs des nombreux secteurs qui ne redémarreront pas avant un certain temps, comme le tourisme. La prestation est un important filet de sécurité pour des millions de Canadiens, et pour beaucoup de gens, en particulier les travailleurs dont je m’occupe, c’est la seule aide qui leur permet de ne pas se retrouver à la rue.
Nous avons accueilli avec beaucoup de joie les 10 jours de congé de maladie annoncés par le gouvernement fédéral. C’est un grand pas dans la bonne direction, et je pense qu’il est vraiment essentiel que le gouvernement fédéral ait pris cette mesure pour que les travailleurs sous réglementation fédérale puissent d’ores et déjà bénéficier de ces 10 jours tandis que des négociations à ce sujet ont lieu avec les provinces. Actuellement, les travailleurs sous réglementation fédérale n’ont que trois jours de congé de maladie payé.
Nous croyons que les employeurs devraient payer le coût de ces congés parce que ce sont eux qui sont proches des travailleurs. Si un travailleur est malade ou s’il pense avoir la COVID-19, il doit immédiatement rentrer chez lui et se faire tester. Les employeurs sont ceux qui sont les plus proches, alors ils doivent s’assurer que les travailleurs ont 10 jours de congé payé. Nous croyons que c’est un droit fondamental des travailleurs, mais dans le cas où l’employeur n’a pas les moyens de payer ces congés, par exemple lorsqu’il s’agit d’une microentreprise, qui a moins de 20 employés, l’employeur devrait pouvoir demander une subvention, en particulier ces jours-ci, un peu comme la prime salariale de pandémie est financée par le gouvernement fédéral de concert avec les provinces.
En outre, le gouvernement fédéral a indiqué clairement dans une lettre de mandat qu’il envisageait la possibilité de fixer un salaire minimum de 15 $ l’heure pour les travailleurs sous réglementation fédérale. C’est une mesure qui devrait être prise. La prime de pandémie a fait passer le salaire horaire à beaucoup plus que 15 $ l’heure dans l’ensemble du pays, mais il y a encore des provinces où le salaire minimum est de moins de 12 $ l’heure, alors des travailleurs sont payés moins de 15 $ l’heure pour s’acquitter de tâches considérées comme essentielles.
La présidente : Madame Ladd, je veux entendre ce que vous avez à dire, mais je vous demanderais de terminer votre allocution liminaire parce que je dois m’assurer que les sénateurs ont le temps de poser leurs nombreuses questions. Si vous pouviez conclure brièvement, nous passerions aux questions.
Mme Ladd : Bien sûr. J’ai presque terminé.
Le gouvernement a publié le rapport du Comité d’experts sur les normes du travail fédérales modernes en décembre 2019. Ce comité a fait des consultations dans l’ensemble du pays, et son rapport porte sur le traitement des travailleurs occupant des emplois précaires ainsi que sur les changements qui sont nécessaires pour aider les travailleurs faiblement rémunérés. Je crois que les recommandations contenues dans ce rapport, qui s’appuient sur une vaste consultation nationale, devraient être mises en œuvre.
Je poursuivrai ce que j’avais à dire en répondant aux questions. Merci.
La présidente : Merci. C’est gentil de votre part.
Nous avons effectivement beaucoup de questions à poser. Je rappelle aux sénateurs que chacun a cinq minutes, ce qui correspond à deux questions suivies des réponses. Nous avons bien respecté cette règle ce matin, et les témoins ont pu répondre à toutes les questions. Veuillez utiliser l’option « lever la main » de Zoom pour indiquer que vous souhaitez poser une question. Nommez la personne à laquelle votre question s’adresse. C’est très utile.
Je rappelle aux sénateurs que nous avons jusqu’à 17 h 15 pour poser des questions aux témoins, puis nous passerons à huis clos brièvement pour discuter de nos travaux à venir.
Sur ce, je cède la parole à la sénatrice Poirier, qui est vice-présidente du Comité.
La sénatrice Poirier : Merci à vous trois pour vos exposés. Nous vous en sommes reconnaissants.
Ma question s’adresse à la représentante de la Canadian Support Workers Association. Nous savons que les tests sont importants pour pouvoir relancer l’économie et reprendre nos interactions sociales sans danger. Dans quelle mesure les tests étaient-ils accessibles pour le personnel et les résidents des établissements de soins de longue durée? Devaient-ils présenter des symptômes pour pouvoir être testés?
Mme Ferrier : Ils n’avaient pas besoin de présenter des symptômes pour être testés. Je sais que la semaine dernière ou il y a quelques jours — on perd un peu la notion du temps dans la pandémie de COVID-19 —, le gouvernement de l’Ontario a annoncé que tous les résidents des établissements de soins de longue durée de la province avaient été testés pour la COVID-19, ce qui est une grande réalisation. Cependant, je sais que tous les préposés aux soins de ces établissements n’ont pas encore été testés. C’est difficile parce qu’ils ne se trouvent pas tous au même moment dans l’établissement. J’ai oublié le début de votre question, alors auriez-vous l’obligeance de répéter ce que vous avez dit?
La sénatrice Poirier : Dans quelle mesure les tests étaient-ils accessibles? Les gens devaient-ils présenter des symptômes pour pouvoir être testés? Une fois testés, que devaient faire les gens en attendant de recevoir les résultats? Les renvoyait-on chez eux pour qu’ils prennent un congé payé ou devaient-ils continuer de travailler jusqu’à ce qu’on reçoive les résultats? Dans la plupart des cas, il fallait des jours, sinon des semaines avant que les résultats leur soient communiqués. J’aimerais savoir comment on procédait.
Mme Ferrier : Je vois. Essentiellement, le personnel testé n’était pas mis en congé payé après avoir été testé. Un employé asymptomatique pouvait continuer de travailler. Qu’ils aient la COVID ou non, beaucoup ont continué de travailler jusqu’à ce qu’ils obtiennent les résultats. Beaucoup ont aussi décidé de rester chez eux, mais en pareil cas, ils n’étaient pas payés. Avant que les autorités ontariennes décident d’accorder la priorité aux établissements de soins de longue durée, il était très difficile pour le personnel d’être testé à moins de présenter des symptômes. J’espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice Poirier : Ma prochaine question s’adresse au Workers’ Action Centre. Nous voyons l’économie redémarrer lentement mais sûrement à divers endroits au pays. Je serais curieuse de savoir si vous avez entendu les travailleurs manifester de la réticence à l’idée de retourner au travail. Dans l’affirmative, quelles raisons invoquent-ils?
Mme Ladd : Nous avons une ligne d’écoute téléphonique en diverses langues. Nous organisons des webinaires dans de nombreuses communautés pour parler aux travailleurs de leurs droits et des problèmes qu’ils rencontrent. Les gens ont effectivement peur de retourner au travail pour diverses raisons. Premièrement, ils craignent de devoir se retrouver dans des autobus bondés pour se rendre au travail, sans pouvoir maintenir la distanciation sociale. Ils craignent aussi que leur employeur n’applique pas les recommandations des autorités de la santé publique et du ministère du Travail de l’Ontario pour assurer la santé et la sécurité. Ils craignent de retourner au travail également parce que beaucoup ont des enfants ou des personnes âgées chez eux ou encore une personne qui est immunodéficiente. Ils ont très peur de contracter le virus et de le transmettre aux personnes qui habitent avec eux.
Beaucoup de gens retournent travailler à temps partiel. Si je voulais décrire les conditions de travail, c’est notamment parce que, dans de nombreux secteurs, les gens sont en train de reprendre le travail. Beaucoup ont des emplois à temps partiel qui sont mal rémunérés et sans avantages sociaux. Ils n’ont certainement pas de congés de maladie payés, alors ils ont peur de retourner travailler pour un maigre salaire et d’attraper la maladie, mais de ne pouvoir prendre des journées de congé de maladie payé. D’une certaine façon, c’est avantageux de recevoir la Prestation canadienne d’urgence parce qu’au moins, on a un revenu garanti. La personne peut payer ses factures sans être obligée d’occuper deux ou trois emplois pour joindre les deux bouts.
La sénatrice Griffin : Ma première question s’adresse à Mme Ferrier. Seriez-vous favorable à l’idée de réglementer le travail des préposés aux soins? Cela devrait-il faire partie des observations à inclure dans notre rapport à la suite de notre étude?
Mme Ferrier : C’est en plein ce que je dis tout le temps. Depuis cinq ans, nous défendons activement l’idée de l’autoréglementation des préposés aux soins en Ontario. Notre proposition d’autoréglementation ne coûterait rien aux gouvernements. Pour sauvegarder le système de santé au Canada, nous devons valoriser et respecter le travail inestimable que font les travailleurs de première ligne qui s’occupent des personnes les plus vulnérables de la société. Je suis tout à fait d’accord pour que vous inscriviez dans votre rapport qu’il est absolument nécessaire de réglementer le travail des préposés aux soins.
La sénatrice Griffin : Merci pour votre réponse.
Ma deuxième question s’adresse également à vous. À votre avis, le gouvernement fédéral devrait-il déclarer une urgence de santé publique pour coordonner l’achat de l’équipement de protection individuelle à l’échelle fédérale? Où obtenez-vous votre équipement de protection individuelle? Est-il conforme aux lignes directrices gouvernementales?
Mme Ferrier : Concernant la première partie de votre question, je vous répondrais que le gouvernement fédéral doit continuer de prendre part à l’achat de l’équipement de protection individuelle. Mes partenaires et les membres de mon association en Ontario obtiennent cet équipement du gouvernement provincial. Je sais qu’en Ontario, les responsables font un travail absolument fantastique pour distribuer l’équipement de protection individuelle dans les établissements, en particulier dans ceux où il y a eu une éclosion de COVID-19. Cependant, il manque encore de ces équipements dans les maisons de retraite et dans le secteur des soins à domicile. Nous ne devons pas oublier ces milieux de travail parce qu’il ne faudrait surtout pas qu’une éclosion de COVID-19 s’y produise, parmi le personnel fournissant les soins à domicile. Dispose-t-on de tout l’équipement nécessaire? À certains endroits oui et à d’autres non. Aux endroits où la province s’occupe de fournir l’équipement, il y en a assez.
La sénatrice Griffin : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à Mme Ferrier. J’ai remarqué qu’on parlait beaucoup du personnel attaché aux résidences pour personnes âgées, des professionnels qui donnent des soins en CHSLD. Avez-vous prévu des mesures ou reçu des rapports sur les soins à domicile? Ces gens sont confinés chez eux. Ils ne peuvent pas sortir pour recevoir des soins. Ils reçoivent du soutien personnel, et vous gérez les travailleurs qui s’occupent d’assurer ce soutien personnel. Y a-t-il un plan prévu pour ces travailleurs afin de les protéger et de protéger les bénéficiaires?
[Traduction]
Mme Ferrier : La réponse est tout simplement non. Les visites à domicile ont été énormément réduites dans l’ensemble du pays. Beaucoup ont été annulées. Il nous faudrait une stratégie nationale des soins à domicile pour pouvoir répondre aux besoins des personnes fragiles et vulnérables qui habitent chez elles. La question des soins à domicile est négligée depuis beaucoup trop longtemps.
Lorsque je parle de l’équipement de protection individuelle, je pense aussi aux soins à domicile. Les gens qui fournissent ces soins ne disposent pas de l’équipement de protection nécessaire pour se rendre dans les domiciles où il peut y avoir un risque. La solution pour résoudre ces problèmes serait bel et bien d’adopter simplement une stratégie canadienne des soins à domicile.
[Français]
La sénatrice Mégie : Mais vous n’avez reçu aucun commentaire depuis mars sur ce qui arrive avec ces personnes, vous ne savez pas si on les envoie à l’hôpital? Ils ne peuvent pas rester sans soins.
[Traduction]
Mme Ferrier : Tout dépend. Beaucoup de familles ont pris les choses en main et fournissent elles-mêmes les soins à domicile à leurs proches. Dans d’autres cas, les travailleurs poursuivent les visites à domicile, mais peut-être pas aussi souvent qu’avant. Les transferts à l’hôpital ou dans un établissement de séjour temporaire du genre de ceux qui existent en Ontario sont plutôt rares. Les personnes qui ont besoin de soins continuent de les recevoir.
Les soins ne sont peut-être pas d’aussi bonne qualité que nous le voudrions, mais nous avons reçu des données sur les soins à domicile : la clientèle a diminué de 30 % et le nombre d’employés, de 21 %. Nous traversons une période peu encourageante dans le domaine des soins à domicile, mais les familles ont heureusement pris la relève.
[Français]
La sénatrice Mégie : Monsieur Boyer, je sais que la FTQ prend actuellement part à des négociations sur les conditions de travail des préposés aux bénéficiaires avec le gouvernement du Québec. Mis à part les ajustements aux salaires, y a-t-il d’autres éléments que vous réclamez qui feraient partie intégrante d’un plan de soins pour éviter une autre crise? Cela peut arriver à n’importe quel moment, pas seulement lorsqu’on est aux prises avec un coronavirus. Avez-vous pensé à d’autres éléments, en plus du salaire?
M. Boyer : Je vous remercie de la question. Oui, effectivement, le secteur public est actuellement en négociations. Nous travaillons à deux niveaux. Nous entendons notre gouvernement, surtout notre premier ministre, dire qu’il faut augmenter le salaire des préposés aux bénéficiaires. Nous sommes bien d’accord, mais il faut également améliorer leurs conditions de travail. Il faut rendre ces postes permanents. Il y a beaucoup trop de postes à temps partiel dans notre réseau public de soins de santé. Il faut donner la meilleure chance possible aux gens d’obtenir un poste à temps complet ou à temps partiel, avec un minimum d’heures garanties. Il faut aussi examiner les horaires de travail. On a vu naître, au fil des ans, des horaires en fonction des besoins de service qui ne répondent pas aux besoins des travailleurs et des travailleuses. Au bout du compte, ces postes ne trouvent pas preneurs. Par exemple, au lieu d’avoir des horaires comme on en avait à l’époque — de 8 heures à 16 heures, de 16 heures à minuit et de minuit à 8 heures —, on a des horaires de 11 heures à 19 heures. Cela répond aux besoins, mais peu de gens sont intéressés par ce genre d’horaires, donc les postes ne sont pas pourvus.
Nous faisons également des représentations auprès des résidences privées pour personnes âgées et des services à domicile. Là aussi, il y a des négociations. Nous avons fait une demande de décret de convention collective pour tenter d’uniformiser les conditions de travail de l’ensemble du personnel dans les résidences pour personnes âgées qui travaillent également dans le milieu des services à domicile, parce que c’est très important. Au bout du compte, ce qui serait souhaitable, c’est d’intégrer les soins et services aux personnes âgées dans la Loi canadienne sur la santé, car celle-ci est muette sur les soins et les services que l’on doit donner aux personnes âgées. Cela forcerait chacune des provinces à prendre en charge non seulement les conditions de travail, mais aussi les conditions des services aux personnes âgées qui sont offerts à l’heure actuelle.
La présidente : Je vous remercie de vos réponses. Je vous entends parler de soins et de services à domicile pour les personnes âgées, mais on parle également beaucoup de la vulnérabilité des personnes en situation de handicap. J’imagine que ce dont vous parlez s’applique également à ces personnes à certains égards.
M. Boyer : Tout à fait.
[Traduction]
Le sénateur Munson : Merci beaucoup aux témoins d’être présents cet après-midi. Nous traversons une crise, et la confusion continue de régner. J’ai quelques questions qui ne sont pas liées les unes aux autres, mais qui ont toutes un lien avec la crise que nous vivons.
Compte tenu de la rémunération que les travailleurs de première ligne reçoivent dans les établissements de soins de longue durée du pays, l’un d’entre vous sait-il si, actuellement, des travailleurs de la santé vont encore d’un établissement à l’autre même après deux mois de crise? Je vois que Mme Ferrier aimerait répondre.
Mme Ferrier : Merci pour la question.
Si je me fie à ce que nous dit notre section là-bas, je crois qu’une personne peut encore travailler dans plusieurs établissements en Saskatchewan. Je ne pense pas qu’il reste des cas de COVID-19 dans les établissements de soins de longue durée de cette province. En Ontario, on ne permet plus au personnel de travailler dans plusieurs établissements, ce qui, pour reprendre le propos de mes collègues, a fait disparaître des emplois à temps plein dans les établissements de soins de longue durée et dans les soins à domicile. Des travailleurs ont ainsi été privés d’une partie de leur revenu. À l’heure actuelle, je ne connais personne qui, en Ontario, travaille pour plusieurs employeurs dans ce domaine. Les gens s’en tiennent à un seul.
Le sénateur Munson : Je ne sais pas si d’autres personnes voulaient dire un mot sur cette question, mais je trouve que ce n’est pas rassurant de voir ce qui se passe après tout ce qui a été dit. Je vois que M. Boyer veut répondre.
[Français]
M. Boyer : Oui, j’aimerais répondre à la question.
Au Québec, dans le secteur public, au tout début de la pandémie, il y avait beaucoup de déplacements d’un établissement à l’autre. Il y en a encore, mais beaucoup moins.
Cependant, là où c’est plus inquiétant — je vais aller dans le même sens que la témoin qui m’a précédé —, c’est dans les résidences privées pour personnes âgées. Il y a une simple et bonne raison à cela, et elle a trait aux conditions salariales et aux conditions de travail. Beaucoup de gens travaillent à temps partiel et gagnent 13 $ ou 14 $ l’heure. Si ces gens veulent joindre les deux bouts, ils n’ont pas le choix de travailler dans plus d’un établissement. Cela fait en sorte qu’ils se promènent d’un établissement à l’autre dans des résidences privées et que cela peut évidemment faire naître des foyers d’éclosion. Tant qu’on n’améliorera pas les conditions salariales et les conditions de travail de ces gens, on devra faire face à cette situation. Les gens veulent avant tout gagner leur vie, faire vivre leur famille et, avec les salaires qu’ils gagnent, ils ne peuvent pas joindre les deux bouts au moment où l’on se parle. Il faut donc absolument améliorer le sort de ces travailleurs et, ainsi, on pourra améliorer les services à la population, aux personnes âgées et aux personnes qui sont dans le besoin.
[Traduction]
Le sénateur Munson : Merci beaucoup de votre réponse, car c’est inquiétant de voir que cette pratique n’a pas été abandonnée. Notre société l’a tolérée dans l’ensemble des établissements de soins de longue durée, qu’ils soient privés ou non. Nous avons accepté que les gens soient rémunérés 15 $ l’heure, voire 12 $. Nous avons cautionné les bas salaires pour les immigrants. Nous avons permis cela. Les gens s’accusent les uns les autres, mais c’est la société toute entière qui est responsable de ce que nous avons fait.
Ce qui sème la confusion aujourd’hui, c’est que, par exemple, en ce qui a trait à la distanciation sociale, l’Ontario fixe la taille maximale des groupes de personnes réunies à cinq. Au Québec, les groupes peuvent contenir jusqu’à 10 personnes. À certains endroits, on peut aller prendre un verre dans un bar, par exemple, au Manitoba ou en Colombie-Britannique. En Ontario. M. Ford dit qu’il n’en sera pas question avant le 9 juin. Comment gérez-vous cette confusion, vous trois? Nous sommes au Canada, mais il y a des frontières à ne pas traverser à l’intérieur du pays. On peut sortir prendre un verre à certains endroits. Tel ou tel comportement est permis là-bas, mais pas ici. Les discours varient beaucoup, et il est très difficile pour le public de tous les intégrer. Je ne sais pas qui voudrait répondre en premier.
La présidente : Mme Ladd voulait ajouter un mot en réponse à la question précédente, alors elle pourrait le faire maintenant, puis répondre à la question qui vient d’être posée.
Mme Ladd : Je crois que vous soulevez un point d’une très grande importance. Ce ne sont pas seulement les établissements de soins de longue durée qui sont en cause, mais aussi les foyers de groupe, les refuges pour femmes et les résidences avec assistance. Ces établissements existent pour fournir d’importants services et ils sont remplis de travailleurs formidables qui sont très bien formés, mais qui vivotent avec un emploi de seulement 15 à 20 heures par semaine. Par exemple, certains membres de mon organisme travaillent de 6 heures à 10 heures le matin, et c’est tout. Heureusement, la Prestation canadienne d’urgence leur donne un peu plus d’argent pour pouvoir joindre les deux bouts. Mais lorsqu’elle cessera de leur être versée, ils devront revenir à l’ancien système, où ils n’ont pas le choix d’occuper deux ou trois autres emplois pour avoir un revenu suffisant. Nous devons nous attaquer aux causes systémiques profondes qui font que les taux d’infection ont affecté dramatiquement nos concitoyens les plus vulnérables. C’est parce qu’un problème structurel oblige les travailleurs à cumuler plusieurs emplois.
Pour ce qui est de votre seconde question, je vous dirais que l’information qui est diffusée est très déroutante. Beaucoup de travailleurs vivent actuellement dans l’incertitude quant à ce qui les attend au travail. C’est presque comme s’il y avait deux discours contradictoires. D’un côté, on nous dit de pratiquer la distanciation sociale et de l’autre, c’est l’économie qui redémarre et l’autobus bondé qu’il faut prendre pour aller au travail.
Je pense que de nombreux travailleurs sont mal pris parce que la Prestation canadienne d’urgence prendra fin le 4 juillet, en particulier ceux qui ont perdu leur emploi à la mi-mars. Comment faire pour joindre les deux bouts lorsque de grands pans de l’économie sont encore à l’arrêt, en particulier si une personne immunodéficiente habite chez vous? Comment peut-on retourner au travail? La plupart des programmes pour enfants ont été annulés pour l’été. Il n’y a pas de programmes communautaires ou de programmes de loisir. Les bibliothèques ne sont pas ouvertes. Qu’est-ce que les gens sont censés faire pour pouvoir retourner au travail comme on veut qu’ils le fassent?
Je pense qu’il est essentiel qu’il y ait de la coordination de manière à ce que, si l’on prévoit une réouverture des écoles en septembre, la Prestation canadienne d’urgence continue d’être versée jusqu’en octobre. Les conseils donnés doivent être uniformes, car beaucoup de gens sont stressés actuellement. Le stress est énorme en particulier pour les gens qui n’ont pas d’économies ou qui les ont perdues pendant la pandémie. J’ai parlé à beaucoup de gens à qui je distribue de l’aide alimentaire. Une femme m’a dit : « Ma stratégie est de boire de l’eau chaude avec du citron. Je me sens rassasiée de sorte que je peux me contenter d’un seul repas par jour. » Les gens sont aux prises constamment avec des situations de ce genre. Les répercussions de la précarité de l’emploi et de la COVID-19 sont choquantes. C’est une combinaison mortelle pour beaucoup de gens autour de nous.
Le sénateur Munson : Merci.
La présidente : Sénateur Munson, je sais que vous souhaitez entendre le point de vue des autres témoins sur la question.
Le sénateur Munson : Je veux me montrer juste envers les autres sénateurs et m’assurer que tous aient le temps d’intervenir. Peut-être pourrions-nous continuer à réfléchir au fait que le pays fonctionne désormais comme 12 pays distincts. Les choses sont très inégales, notamment en matière de services. Je vais laisser les autres sénateurs poser des questions.
La présidente : Je reviendrai à vous si nous avons du temps pour une deuxième ronde.
Le sénateur Kutcher : Je remercie chacun des témoins. Je vous suis très reconnaissant. Mes questions s’adressent à chacun d’entre vous. J’aimerais connaître votre point de vue sur trois sujets.
Premièrement, croyez-vous qu’un cadre d’autoréglementation pour les préposés aux services de soutien à la personne, comme l’a mentionné Mme Ferrier tout à l’heure, soit souhaitable ou nécessaire?
Deuxièmement, croyez-vous que des normes nationales pour les établissements de soins de longue durée soient souhaitables ou nécessaires?
Troisièmement, croyez-vous qu’une accréditation nationale des établissements de soins de longue durée, effectuée par un organisme d’agrément indépendant — comme Agrément Canada, qui procède à l’agrément de tous les hôpitaux du pays — soit souhaitable ou nécessaire?
Mme Ferrier : Mes réponses sont très brèves et vont droit au but. Je les ai couchées par écrit. Je vous remercie, sénateur.
Premièrement, l’autoréglementation est nécessaire pour les préposés aux services de soutien personnel partout au pays si nous voulons maintenir la profession et lui redonner la rigueur qu’elle a déjà eue par le passé.
Deuxièmement, en ce qui concerne les normes nationales, j’affirme qu’en effet, il serait formidable d’avoir des normes nationales en matière de soins de longue durée. Assurément, cela contribuerait à mettre fin aux excuses et à accroître la responsabilisation, ce qui est exactement ce dont on a besoin dans le domaine des soins de longue durée.
Troisièmement, en ce qui concerne l’agrément national, je suis absolument convaincue qu’il nous faut les mêmes normes d’agrément que celles des hôpitaux.
Voilà mes réponses.
[Français]
M. Boyer : Merci. Je répondrais oui aux trois questions, mais vous savez que le sujet de la compétence du Québec en matière de santé est assez délicat. On disait plus tôt qu’on devrait intégrer dans la Loi canadienne sur la santé les soins et les services offerts à toute personne qui en a besoin. Vous avez tout à fait raison, sénatrice, de spécifier que cela ne devrait pas s’appliquer seulement aux personnes âgées, mais bien à toutes les personnes qui ont besoin de services. Je crois qu’il faudrait qu’il y ait une réglementation nationale pancanadienne pour venir chapeauter tout cela et qu’il faudrait en laisser la responsabilité aux provinces. Il faudrait donc une réglementation, des normes, des règles d’accréditation, qu’elles soient canadiennes ou québécoises. Cela existe déjà.
Il faut redoubler d’efforts afin d’y arriver, parce qu’on a constaté que, même si des normes ou certaines règles d’accréditation existent déjà, il y a de grandes lacunes. Il faut donc examiner la question avec sérieux et prendre soin des personnes âgées qui ont besoin de services.
La présidente : Merci.
[Traduction]
Mme Ladd : Oui, je suis d’accord avec l’observation de M. Boyer au sujet de la Loi canadienne sur la santé. Nous devons faire en sorte qu’il y ait non seulement un règlement, mais aussi de l’argent afin de l’appliquer et lui donner du mordant. Il peut y avoir de nombreuses lois en vigueur, mais si on n’a pas la capacité et l’argent pour la faire appliquer sur le terrain, ce ne sera pas possible.
Assurément, il devrait y avoir des normes nationales. En ce qui concerne l’autoréglementation, je crois qu’il y a lieu de se demander ce qu’il en est de la voix des travailleurs. Pour certains secteurs avec lesquels j’ai travaillé, en particulier les agences de placement temporaire, lesquelles réclament l’autoréglementation, les normes du travail sont en fait essentielles dans chacune des provinces. Selon moi, il faut hausser le plancher établi dans le droit du travail un peu partout au pays, pour que nous soyons en mesure de — il ne s’agit pas seulement de réglementer l’industrie, mais d’assurer aux travailleurs une protection solide.
Nous devons veiller à ce que la voix des travailleurs soit entendue à la table. Comme nous l’avons constaté durant la pandémie, il s’agit principalement de femmes, en Ontario et définitivement dans de nombreux secteurs de la région du Grand Toronto — je parle de femmes de minorités raciales, de mères seules et de gens qui ont de la difficulté à se faire entendre et qui hésitent à dénoncer les problèmes par peur de représailles. Des normes du travail devront faire partie intégrante d’éventuelles normes nationales et il faudra les faire appliquer avec rigueur.
La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins de nous avoir fait part de leurs expériences aujourd’hui. Je vais faire une brève observation et je poserai une question à Mme Ferrier.
Mon observation est la suivante : il existe actuellement un processus d’agrément pour les établissements de soins de longue durée de partout au Canada, lequel est effectué par Agrément Canada. Tout comme pour les hôpitaux, il s’agit d’un exercice volontaire.
Voici ma question. On nous dit qu’il n’y a pas de plan en place. Il n’y avait pas de stocks d’équipement de protection individuelle ni de stratégie pour sa distribution lorsqu’elle a été mise en ligne. Il n’y avait pas de stratégie en matière de ressources, pas de plan clair pour l’utilisation de l’équipement de protection individuelle et aucune surveillance réglementaire. Il nous faut une stratégie nationale de soins à domicile. J’imagine que pour les aides aux soins à domicile et les travailleurs de première ligne dans le domaine des soins de longue durée, la situation a été terrible. Êtes-vous en mesure de faire entendre vos préoccupations auprès du gouvernement? À qui avez-vous parlé? Quel ordre de gouvernement jouera un rôle indispensable pour corriger la situation? Avez-vous communiqué vos recommandations? A-t-on réagi à vos propos?
Mme Ferrier : Je vous remercie de votre question. Vous soulevez un très bon point. Je sais que l’agrément existe. J’aurai dû préciser que je souhaite qu’il soit obligatoire, je vous prie de m’excuser.
Pour répondre à votre première question, je dirai que nous sommes entendus. Du moins ici, en Ontario, nous travaillons directement avec le bureau du premier ministre. Nous sommes en communication au moins une fois par semaine. Nous constatons qu’en Ontario, on hésite beaucoup à apporter toute forme de changement visant à réglementer les préposés aux soins personnels, à établir des normes et à prévoir des protections pour les travailleurs, pour reprendre les propos de Mme Ladd.
Nous en sommes à un point où l’intervention du gouvernement fédéral nous semble nécessaire afin d’établir une stratégie nationale de soins à domicile qui pourrait inclure la réglementation de ces travailleurs. Dans tous les territoires et les provinces de notre magnifique pays, on a recours aux soins à domicile, c’est pourquoi je crois qu’ils devraient faire l’objet d’un effort collectif, si je puis m’exprimer ainsi.
La sénatrice Moodie : Vous pensez que le fédéral devrait certainement prendre l’initiative d’établir des normes et de travailler avec les provinces? Vous ai-je bien comprise?
Mme Ferrier : Oui, absolument.
La sénatrice Moodie : Le gouvernement s’est-il montré sensible à votre point de vue? La réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19 est l’une des choses dont il est question. Selon vous, a-t-on réagi suffisamment pour faire avancer le dialogue et progresser dans l’atteinte d’une solution?
Mme Ferrier : Depuis l’éclosion de la COVID-19, mes efforts ont été axés principalement sur l’Ontario en raison du nombre de nos membres dans la province. Nous avons reçu une réponse formidable de la part du gouvernement provincial, notamment les ministères de la Santé et des Soins de longue durée, ainsi que le bureau du premier ministre. Nous assistons à toutes les réunions des comités d’urgence en Ontario, qui sont très nombreux. Nous collaborons également avec l’Agence de la santé publique du Canada. De plus, nous prenons part à des conversations en tant qu’intervenants fédéraux et nous estimons être entendus. Nous allons continuer à assister à ces réunions et à faire connaître nos opinions. Selon moi, les choses se passent assez bien.
La sénatrice Moodie : Merci.
La sénatrice Seidman : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui.
J’aimerais approfondir un peu plus la question de la réglementation et ce qu’elle signifie véritablement. De toute évidence, la réglementation de travailleurs de la santé est une question très importante. En fait, le 21 mai, le magazine Maclean’s a publié un article — je suis certaine que vous êtes au courant — rédigé par Laura Bulmer, défenseure des préposés aux services de soutien à la personne, infirmière autorisée et professeure au collège George Brown de Toronto. L’auteure explore comment la pandémie aurait été différente si le travail des préposés aux services de soutien à la personne avait été réglementé.
Qu’est-ce qu’un préposé aux services de soutien à la personne? À l’heure actuelle, il ne semble pas exister de désignation universellement reconnue. Le titre est souvent considéré comme interchangeable avec d’autres, comme aide-soignant, auxiliaire de soins personnels, aide aux soins à domicile, pour ne nommer que ceux-là. Les préposés aux services de soutien à la personne représentent une vaste proportion des travailleurs de la santé, mais, contrairement à d’autres professionnels de la santé ou de professionnels associés à la santé, ils ne sont pas réglementés, autorisés ou surveillés par un ordre professionnel.
J’ai fait des recherches sur la profession des préposés aux services de soutien à la personne et j’ai constaté que les renseignements sur les programmes au Canada ne sont pas uniformes. Existe-t-il des programmes? Sont-ils normalisés? À l’heure actuelle, dans quelle proportion les préposés ont-ils suivi un programme d’études et de formation? Devrait-on prévoir des examens de qualification et un organisme national pour l’agrément de cette profession de la santé? C’est essentiellement ce à quoi nous faisons référence lorsque nous parlons d’autoréglementation.
Je pose la question à tous les témoins, à commencer par Mme Miranda Ferrier.
Mme Ferrier : Je vous remercie de votre question. Je suis ravie d’entendre parler à ce point des préposés aux services de soutien à la personne à cette tribune. Je suis moi-même une préposée aux services de soutien à la personne. Je connais très bien ce travail pour l’avoir pratiqué pendant des années et je suis en mesure d’en parler.
Pour l’association, l’autoréglementation implique la création de normes, ce qui ajoute un élément de responsabilisation et, partant, de protection du public. Nous comparons souvent le concept à celui de l’Ordre des infirmières et des infirmiers. J’espère que cela vous donne une meilleure idée de ce que nous voulons accomplir en matière d’autoréglementation.
Nous sommes aussi d’avis que, pour parler au nom de la profession, il faut en faire partie, d’où mon poste et mon titre de préposée aux services de soutien à la personne.
Pour ce qui est de l’éducation, les choses sont vraiment plus compliquées, et ce, partout au Canada. Que ce soit pour le titre de préposé aux services de soutien à la personne, préposé aux soins prolongés, aide-soignant, auxiliaire aux soins personnels — et j’en passe —, les programmes d’études varient d’une province à une autre. Ici, en Ontario, il faut avoir suivi un programme de 640 heures en classe et en milieu clinique pour travailler dans un établissement de soins de longue durée. Il existe trois niveaux de programmes d’enseignement : les collèges communautaires, les collèges de carrières et les conseils scolaires. Le prix à chacun de ces niveaux varie et, franchement, les normes d’excellence en matière d’enseignement varient aussi. Au Nouveau-Brunswick, les collèges communautaires n’enseignent pratiquement que les soins de longue durée aux préposés aux services de soutien à la personne. Il y a aussi la formation pour les aides de maintien à domicile, ce qui est différent. À Terre-Neuve, la formation pour les auxiliaires de soins personnels est conçue uniquement pour les établissements de soins de longue durée. Vous voyez ce que je veux dire. Il n’est pas facile de répondre à votre question, parce qu’il n’existe pas de normes véritables.
À la Canadian Support Workers Association, nous rêvons de voir notre profession désignée Sceau rouge partout au pays, afin qu’on puisse travailler dans les établissements de soins de longue durée et offrir des soins à domicile dans n’importe quelle province. Vous ne pouvez pas vous imaginer la frustration que nous éprouvons en Ontario lorsque se présente une personne d’une de mes sections à Terre-Neuve. Cette personne ne peut pas travailler dans un établissement de longue durée dans la province de l’Ontario parce que, selon la loi, il faut détenir un diplôme d’un programme ontarien.
La sénatrice Seidman : Je vais devoir vous interrompre parce que je n’ai que cinq minutes.
Mme Ferrier : Je suis désolée. Allez-y.
La sénatrice Seidman : Vous répondez à la question. À ce point-ci, je devrais probablement passer à M. Boyer.
Nous arrivons au vif du sujet. Il y a une énorme pénurie d’aides-soignants. Mme Ferrier soulève le fait que les travailleurs devraient pouvoir se déplacer d’une province à une autre. Le premier ministre du Québec invite souvent des bénévoles à offrir leur aide dans les établissements de soins de longue durée.
Monsieur Boyer, j’aimerais entendre vos observations sur l’agrément, les programmes d’études et la pénurie de travailleurs. La pénurie est-elle causée par le genre de facteurs dont nous discutons en ce moment, c’est-à-dire l’absence de normes et d’agrément et le fait que nous ne reconnaissons pas la légitimité de la profession d’un groupe de travailleurs pourtant essentiels dans le secteur de la santé?
[Français]
M. Boyer : Je vous remercie de la question. Effectivement, je pense qu’il y a une non-reconnaissance et que c’est un phénomène à géométrie variable. Je pense que c’est la même chose dans les autres provinces, mais ce qu’on a vu au Québec, c’est un désengagement de l’État de plus en plus important pour ce qui est des soins et des services à plus long terme. Donc, dans le secteur public, et je dirais même dans les CHSLD publics, on exige maintenant, pour être préposé aux bénéficiaires, une formation d’environ 800 heures ou une expérience équivalente.
Lorsqu’on se rend dans les résidences privées pour personnes âgées, on ne voit pas nécessairement cette exigence. À l’heure actuelle, dans les résidences privées pour personnes âgées, on en est maintenant à 3,5 heures de soins par jour. Tout ce qui est inférieur à cela, ce n’est pas l’État qui le prend en charge, mais le secteur privé. Le secteur privé a des règles complètement différentes du secteur public en matière de salaires, de conditions d’emploi et d’exigences professionnelles. Nous sommes un peu pris avec ça.
D’ailleurs, vous parliez de M. Legault, notre premier ministre; il a annoncé aujourd’hui, lors de sa conférence de presse, qu’il voulait former 10 000 préposés aux bénéficiaires cet été, pour qu’ils occupent des postes dans le secteur public. Où pensez-vous qu’il prendra ces 10 000 préposés aux bénéficiaires? Il va les prendre dans les résidences privées pour personnes âgées et il recrutera des travailleurs qui offrent des services à domicile, car ces gens gagnent 13 $ à 14 $ l’heure. Le premier ministre leur offre donc une formation de trois mois, payée au salaire que reçoit une personne exerçant les fonctions d’aide de service dans le secteur public, soit 21 $, donc beaucoup plus que ce qu’ils gagnent actuellement. On va donc retirer du personnel des résidences privées pour personnes âgées et des services à domicile, ce qui va créer un autre genre de problème, parce que l’État ne s’occupe pas de ceux qui ont besoin de 3,5 heures de soins par jour et moins.
[Traduction]
La présidente : Madame Ladd, je vous saurais gré de répondre brièvement.
Mme Ladd : Selon moi, le problème est en partie causé par la réglementation insuffisante des collèges privés et l’extorsion dont sont victimes beaucoup de femmes qui s’inscrivent à des cours pour devenir préposées aux services de soutien à la personne. Je parle des frais de scolarité et de la qualité de l’enseignement.
Nous n’avons pas mentionné les établissements à but lucratif. Des taux d’infection élevés ont été enregistrés dans les établissements de soins de longue durée à but lucratif. Il faut aussi parler de cela.
Je dirais que la stratégie en Ontario est d’encourager les jeunes qui cherchent un emploi cet été à envisager un travail dans le domaine des soins de longue durée. C’est peut-être parmi eux qu’on espère recruter les 10 000 nouveaux préposés.
La sénatrice Seidman : Merci. Il s’agit d’un problème auquel il faut s’attaquer.
[Français]
La sénatrice Forest-Niesing : Ma première question s’adresse au Workers’ Action Centre de Toronto. En écoutant vos remarques d’introduction, madame Ladd, j’ai remarqué que votre centre offrait des services de première ligne dans plusieurs autres langues que l’anglais pour les populations immigrantes, ce qui est tout à fait louable et souhaitable, et je vous en félicite. Cependant, les services ne semblent pas être offerts en français, et je vous demanderais de nous en expliquer la raison.
[Traduction]
Mme Ladd : Nous n’avons pas beaucoup de travailleurs francophones dans la collectivité auprès de laquelle nous œuvrons. Il y a une clinique juridique de langue française qui travaille fort pour la communauté francophone, mais, étant donné la population à laquelle nous avons affaire, nous offrons principalement les langues que j’ai mentionnées dans mon exposé.
[Français]
La sénatrice Forest-Niesing : Étant donné l’importance de la francophonie partout à travers le monde, est-ce que c’est une langue dans laquelle vous entendez communiquer, par l’entremise de votre ligne directe? Est-ce que vous prenez des mesures pour répondre à une demande potentielle pour des services en français?
[Traduction]
Mme Ladd : Ce sont les langues dans lesquelles nous offrons nos services aux collectivités avec lesquelles nous travaillons. Les francophones ne s’adressent pas souvent à nous parce que des cliniques juridiques et des groupes communautaires francophones sont financés pour répondre à leurs besoins. Dans la région du Grand Toronto, on parle environ 50 langues différentes. Je représente un organisme à but non lucratif qui reçoit très, très peu d’argent public. Comme nous n’avons pas de financement de base, nous devons répondre aux besoins les plus urgents. Il s’agit de communautés dont les droits fondamentaux sont violés.
Évidemment, si nous étions situés ailleurs — à Sudbury, par exemple, où se trouve le Centre d’éducation et d’appui des travailleurs de Sudbury, il y a une énorme communauté francophone. Dans la région du Grand Toronto, il n’y a pas de demande. En tant que petit organisme à but non lucratif, nous devons parer au plus urgent.
[Français]
La sénatrice Forest-Niesing : Justement, je vous parle de la ville de Sudbury, où j’habite. Ma deuxième question porte sur la prime liée à la pandémie, qui a été annoncée en avril en Ontario, et sur le régime semblable qui a été annoncé récemment en Colombie-Britannique. Ma question peut s’adresser à Mme Ferrier ou à Mme Ladd, qui représente des travailleurs qui sont probablement en première ligne, mais qui ne sont pas admissibles à la rémunération liée à la pandémie de l’Ontario. Peut-être, monsieur Boyer, que vous voudrez également vous prononcer là-dessus. Ma question est la suivante. Est-ce qu’il y aurait lieu d’élargir l’éventail des catégories de travailleurs dans le milieu de la santé à d’autres types de résidences, y compris les résidences personnelles et les institutions privées, comme un couvent, par exemple, pour lequel j’ai reçu une demande précise? Si oui, quelles ont été vos démarches à cet égard?
[Traduction]
Mme Ferrier : Je vais répondre en premier.
Oui, je suis au courant que la prime liée à la pandémie annoncée par l’Ontario et la Colombie-Britannique était — n’a pas été versée à tout le monde. Elle a été offerte seulement aux préposés aux services de soutien à la personne, aux infirmières et aux médecins, et cetera, qui travaillent aux premières lignes dans des établissements financés publiquement, des maisons de retraite agréées et des entreprises de soins à domicile subventionnées.
En Ontario, nous nous sommes opposés énergiquement à cette mesure. Encore une fois, nous sommes contre le fait de diviser les travailleurs. Nous faisons tous le même travail. Il est insensé d’affirmer qu’un préposé aux services de soutien à la personne qui offre des soins à domicile financés publiquement est plus important qu’un préposé qui travaille dans le secteur privé. À dire vrai, c’est atroce.
Pour ce qui est de trouver des travailleurs pour les foyers ou les établissements de soins de longue durée, je sais qu’il y a eu de nombreuses discussions sur la possibilité d’un bref programme de formation de six semaines — [Difficultés techniques]
La présidente : Madame Ferrier, nous ne vous entendons pas en ce moment. Sénatrice Forest-Niesing, peut-être pourrions-nous continuer avec M. Boyer. Nous verrons ensuite si la communication peut être rétablie avec Mme Ferrier.
[Français]
M. Boyer : Au Québec, il y a eu une série de primes; il y en a de nouvelles qui ont été annoncées il y a deux semaines, d’ailleurs. Elles couvrent pas mal de gens dans le secteur public, et certaines primes couvrent l’ensemble du personnel qui travaille en zone chaude, dans des milieux d’éclosion, et en CHSLD également. Lorsqu’il y a au moins un cas dans un CHSLD, les travailleurs reçoivent les fameuses primes dans les zones chaudes. Pour illustrer la situation problématique des conditions de travail dans les résidences privées pour personnes âgées, le gouvernement du Québec a même mis en place une prime de 4 $ l’heure pour les préposés aux bénéficiaires qui y travaillent. Imaginez l’importance de la prime pour ces gens qui gagnent 13 $ ou 14 $ l’heure; on donne 4 $ l’heure de plus aux préposés aux bénéficiaires. On donne aux infirmières et infirmières auxiliaires qui travaillent dans les résidences privées pour personnes âgées la même prime que l’on donne dans le secteur public aux infirmières et infirmières auxiliaires qui travaillent dans les zones chaudes où des personnes sont infectées. Il y a de nouvelles primes pour les gens qui arrivent des régions, qui décident de venir travailler dans la région de Montréal, car la région de Montréal est très affectée. Il y a des primes et on paye le logement, il y a aussi des primes mensuelles et des primes pour les personnes qui travaillent à temps complet dans des zones chaudes. Il y a donc des primes pour presque tous ceux et celles qui travaillent auprès de patients potentiellement atteints de la COVID-19. C’est assez bien fait au Québec, mais ces primes restent temporaires. On reviendra à des situations problématiques après la pandémie, puisque ces primes disparaîtront et que les conditions de travail ne s’amélioreront pas pour autant.
La présidente : Sénatrice Forest-Niesing, vous n’avez plus de temps. Vous vouliez entendre Mme Ladd, il me semble.
La sénatrice Forest-Niesing : Aucun problème.
[Traduction]
La présidente : Je vais veiller à ce que nous revenions à vous, madame Ladd. Je vous présente mes excuses. Je veux que chaque sénateur puisse poser au moins une question avant de passer au deuxième tour.
La sénatrice Omidvar : J’avais levé ma main. J’espère que les problèmes technologiques ont été réglés, parce que j’aimerais poser une question à Mme Ferrier, si elle est en mesure de répondre. La situation a-t-elle été corrigée?
La présidente : Je crois que oui. D’après ce que je comprends, tout va bien.
Sénatrice Omidvar, votre écran est gelé. Nous avons une journée assez difficile sur le plan technologique. Merci à tous de votre patience.
Passons à la sénatrice Dasko. Nous reviendrons à la sénatrice Omidvar ensuite. Madame Ferrier, veuillez demeurer à l’écoute.
La sénatrice Dasko : J’avais quelques questions. Je crois qu’on a répondu à certaines d’entre elles.
Je veux faire une observation au sujet des soins à domicile, que les aînés considèrent comme beaucoup plus souhaitables comparativement aux établissements de soins de longue durée. Notre objectif devrait donc être d’offrir des soins à domicile de qualité. Mais en même temps, il est tellement évident que les soins à domicile font partie intégrante des structures provinciales qu’il m’est difficile de même imaginer comment le gouvernement fédéral pourrait intervenir autrement qu’en donnant de l’argent, car c’est ce qu’il fait. Franchement, que pourrait-il faire d’autre? Il ne créera pas de programmes. Mais je ne veux pas m’éterniser là-dessus.
Madame Ferrier, j’aimerais savoir si certains de vos membres sont syndiqués. Qui sont leurs employeurs? Font-ils partie du secteur public, privé ou à but non lucratif? Pourriez-vous m’aider à mieux comprendre qui ils sont?
J’aimerais aussi obtenir des précisions sur le montant de 4 $ l’heure versé par la province, au sujet duquel la sénatrice Forest-Niesing vous a posé une question. S’agit-il d’un supplément de rémunération? Est-ce 4 $ pour chaque heure travaillée ou reçoit-on le supplément après un certain nombre d’heures? Je m’intéresse à l’Ontario parce que je vis à Toronto. Je suis une sénatrice de l’Ontario. Pourriez-vous préciser s’il s’agit d’un supplément temporaire? Voilà une foule de questions sur vos membres et ce supplément. Merci.
Mme Ferrier : Merci, sénatrice. J’espère répondre à votre satisfaction.
Tout d’abord, nos membres sont partout au Canada. Certains sont syndiqués, d’autres non. Tous les membres travaillent pour des organisations à but lucratif ou à but non lucratif, dans des établissements de soins de longue durée ou des maisons de retraite. Tout préposé de services de soutien à la personne ou tout préposé portant l’un des nombreux titres qui existent un peu partout au pays peuvent se joindre à notre association s’il est dûment certifié. Nous avons des exigences.
Pour ce qui est de la prime liée à la pandémie, dont nous adorons tous parler et au sujet de laquelle je reçois environ 300 courriels par jour, je souligne qu’ici, les préposés aux services de soutien à la personne reçoivent une prime de 4 $ l’heure. Je crois que si un préposé travaille plus de 100 heures durant le mois, il reçoit un montant forfaitaire additionnel de 250 $. En Ontario, il en sera ainsi jusqu’au 13 août.
La sénatrice Dasko : Je crois que cela répond à ma question.
Existe-t-il un chevauchement entre votre organisme et celui de Mme Ladd par rapport aux travailleurs que vous représentez?
Mme Ferrier : Peut-être. Nous représentons...
La sénatrice Dasko : Je crois qu’elle hoche la tête pour dire non.
Mme Ferrier : Peut-être ou probablement pas, non.
La sénatrice Dasko : Madame Ladd, je m’intéresse à votre militantisme et aux secteurs sur lesquels vous axez vos efforts. Est-ce le salaire et les conditions de travail ou est-ce le secteur de la santé? À qui vous adressez-vous le plus souvent? Sur qui essayez-vous d’exercer une influence?
Mme Ladd : Notre principal objectif consiste à hausser le plancher salarial et à améliorer les conditions de travail pour toute la main-d’œuvre non syndiquée, ce qui représente environ six millions de travailleurs en Ontario. Il s’agit de gens dont l’emploi est soumis aux normes minimales du travail. Les gens auprès de qui nous travaillons sont des préposés à l’entretien ménager, des conducteurs de camion, des messagers — en fait, tout l’éventail des travailleurs essentiels, mais aussi des travailleurs de secteurs non essentiels, comme l’industrie hôtelière, les restaurants, le tourisme, les aéroports, ce genre de choses. Essentiellement, les personnes que nous servons sont pour la plupart des gens qui gagnent moins de 20 $ l’heure ou qui occupent un emploi précaire.
La sénatrice Dasko : Vous militez donc à l’échelle provinciale?
Mme Ladd : Oui. Toutefois, un grand nombre de ces questions prennent une ampleur nationale. Par exemple, nous faisons évidemment partie des efforts visant l’augmentation du salaire minimum au-dessus du seuil de la pauvreté pour atteindre 15 $ l’heure, un enjeu qui est maintenant débattu à l’échelle nationale. Nous avons lancé cette campagne en 2015, et quatre ou cinq provinces défendent aujourd’hui la même chose. Évidemment, le gouvernement fédéral se penche aussi sur ce dossier.
La sénatrice Dasko : Votre réponse m’amène directement à ma prochaine question à propos d’un revenu de base garanti. J’aimerais savoir si vous réclamez une telle mesure — oui ou non — et ce que vous en pensez. Merci.
Mme Ladd : J’ai beaucoup de réserves au sujet d’un revenu de base garanti. Bon nombre d’employeurs que je côtoie le voient comme un moyen de régler la question de l’emploi précaire sans améliorer les normes du travail, malgré le besoin criant qui a été révélé par la COVID-19. Par exemple, la Chambre de commerce de l’Ontario a été très claire : « Nous n’avons pas à nous attaquer aux problèmes liés aux emplois à temps partiel. L’établissement d’un revenu de base garanti réglerait les questions de rémunération. »
À mon avis, il faut pousser la réflexion sur les différents enjeux plus loin. Par exemple, si tout le revenu garanti d’une personne sert à payer le loyer, à quoi bon? Il faut discuter des liens entre le revenu de base garanti et les normes du travail, les problèmes de logement, les avantages sociaux en matière de santé et sécurité et bien d’autres aspects. À l’heure actuelle, je suis très préoccupée par l’orientation que semble prendre la conversation sur le sujet.
La sénatrice Dasko : L’initiative vous laisse-t-elle fort sceptique?
Mme Ladd : Je crains qu’elle soit utilisée pour régler tous les problèmes que nous avons relevés dans le marché du travail. À mon avis, ce n’est pas la solution. Ce pourrait l’être pour certains segments de la population, mais ce n’est pas une panacée.
La sénatrice Dasko : Merci beaucoup.
La présidente : Pendant que nous tentons de rétablir la communication avec la sénatrice Omidvar, je vais poser une courte question.
Dans le cadre de l’étude actuelle, nous visons à déterminer si la réponse du gouvernement à la COVID-19 permet d’aider les Canadiens. C’est le grand objectif de nos travaux. Même si certains aspects relèvent des provinces, le gouvernement fédéral s’est bel et bien engagé dans sa réponse officielle à combler certaines lacunes et à offrir des mesures de soutien. Est-ce bien ce qui se passe? Est-ce ce que constatent vos organismes?
Mme Ladd : Oui. La pandémie nous a tous en quelque sorte pris au dépourvu. Je suis convaincue que la Prestation canadienne d’urgence a grandement aidé les gens. Comme nous le savons, 8 millions de personnes reçoivent en ce moment cette prestation. Le gouvernement a découvert des obstacles, comme pour les employés à temps partiel, et il a comblé ces lacunes. C’était fantastique.
Cela dit, le fait de ne pas avoir un numéro d’assurance sociale valide ne devrait pas être un frein, particulièrement en temps de crise sanitaire. Il faut absolument que les nettoyeurs, les travailleurs de la construction et les gens qui font toutes sortes de métiers en grande partie invisibles — des tâches qui sont effectuées par beaucoup de travailleurs sans papiers dans nos collectivités — puissent, eux aussi, rester à la maison et recevoir des prestations. Je pense aux personnes que nous représentons, plus précisément aux nettoyeurs, aux travailleurs de la construction et aux plongeurs sans papiers, à tous ces types d’emplois qu’on préfère ne pas aborder. Ce sont ces travailleurs qui ne reçoivent pas de prestations depuis mars. Ils ont souffert énormément des conséquences de la pandémie. La fin de semaine dernière, j’ai livré un panier de provisions à un couple avec un bébé naissant. Ils vivent sans aucun revenu depuis deux mois. Ils sont au bord du gouffre. Il faut bien y réfléchir. En temps de pandémie, le fait d’avoir un NAS valide ne peut pas être une obligation pour être admissible à un programme d’aide.
Par ailleurs, je pense que la Prestation canadienne d’urgence doit être maintenue. Elle ne peut pas prendre fin le 4 juillet parce que bon nombre d’industries ne reprennent pas leurs activités, particulièrement dans les secteurs où les travailleurs à faible revenu sont touchés. C’est la seule chose qui leur permet de ne pas perdre leur logement en ce moment. Cette situation mène à une autre discussion qui doit avoir lieu sur les prestations après la crise, notamment en ce qui concerne l’assurance-emploi.
Mme Ferrier : Beaucoup de nos préposés aux services de soutien à la personne travaillent à temps partiel, surtout dans le secteur des soins à domicile. C’est là que ces préposés écopent. Ils occupaient déjà des postes à temps partiel. Depuis l’annulation de visites, il n’y a pas assez de travail. Certains ont vu fondre leur semaine de travail, qui est passée de 45 à 5 heures. Beaucoup d’entre eux ont choisi de demander la Prestation canadienne d’urgence. À ce que nous savons, ils n’ont pas eu de problème à l’obtenir. Nous avons pu les aider et les orienter grâce aux relations que nous entretenons avec le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral. On nous a donné l’information et nous avons pu la transmettre.
En ce qui concerne le reste de nos travailleurs dans les établissements de soins de longue durée, les maisons de retraite agréées et le secteur public des soins à domicile, ils vantent les mérites du gouvernement dernièrement parce qu’ils reçoivent la prime liée à la pandémie. De notre côté, tout va bien jusqu’ici.
[Français]
La présidente : Monsieur Boyer, brièvement, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Boyer : Je l’ai dit d’entrée de jeu. Il faut se rappeler que, au tout début de la pandémie, le gouvernement fédéral avait décidé de bonifier le programme de l’assurance-emploi. On avait de grandes inquiétudes par rapport à la gestion de ce programme, qui est loin d’être facile. La mise en place de la Prestation canadienne d’urgence et de la Subvention salariale d’urgence a été une bonne idée. La PCU a été mise en place rapidement. Les gens ont eu très vite accès à de l’argent. Ce programme devait être mis en place, mais comme je l’ai mentionné [Difficultés techniques] il y a d’autres secteurs qui sont plus en péril que d’autres et il faudra songer à prolonger ces programmes au-delà de la période prévue à l’origine.
Il reste beaucoup de travail à faire à moyen et à plus long terme, en ce qui concerne notamment les services de soins de santé. Je pense qu’il faudrait s’atteler à la tâche dès maintenant, tant dans les résidences privées pour personnes âgées que dans les services à domicile. Il faut dès maintenant se mettre à l’ouvrage. Il y avait des problèmes avant la pandémie, et on a constaté l’amplification de ces problèmes pendant la pandémie. Il faut donc faire du ménage et donner aux personnes âgées et aux personnes qui en ont besoin les services auxquels ils s’attendent.
La présidente : Je vous remercie.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : Je remercie le personnel de soutien technique qui nous permet de régler les pépins informatiques.
J’ai une question pour chacun des merveilleux témoins. Merci d’être là aujourd’hui.
Je m’adresse d’abord à Mme Ferrier. Dans votre exposé, vous avez mentionné que votre organisme compte 58 000 membres de partout au pays, dont la majeure partie se trouve en Ontario. Je viens de consulter votre site Web. Pour devenir membre de votre association, il faut évidemment payer des frais d’adhésion, qui sont déductibles d’impôt. Est-il juste de supposer qu’il y a beaucoup plus que 58 000 préposés aux services de soutien à la personne au Canada?
Mme Ferrier : Vous avez tout à fait raison. Nous ne représentons qu’une toute petite fraction des préposés aux services de soutien. Nous estimons qu’il y a environ 130 000 préposés en Ontario seulement.
La sénatrice Omidvar : D’accord. J’ai une autre hypothèse à vous soumettre. Je suppose qu’un fort pourcentage de ces préposés sont dans les faits des femmes immigrantes ou issues de minorités. Est-ce exact?
Mme Ferrier : Non.
La sénatrice Omidvar : Veuillez préciser votre réponse.
Mme Ferrier : Par exemple, on semble accorder beaucoup d’importance à la région du Grand Toronto quand on parle de l’Ontario. Dans cette région, il est vrai que la majorité des préposés aux services de soutien à la personne appartiennent à divers groupes ethniques. Beaucoup d’entre eux sont des immigrants et des femmes seules. Toutefois, en s’éloignant de cette région pour examiner le reste de l’Ontario — j’utilise cette province comme exemple —, on voit davantage de personnes de race blanche, âgées de 30 à 35 ans, des mères seules et des divorcées. C’est le profil typique.
La sénatrice Omidvar : D’accord. Madame Ferrier, vous avez mentionné plus tôt que l’emploi de préposé aux services de soutien à la personne a déjà été une profession forte. Pouvez-vous nous en dire davantage? Qu’est-ce qui a changé entre hier et aujourd’hui?
Mme Ferrier : Je suis préposée aux services de soutien à la personne depuis près de 15 ans. Il y a 15 ou 20 ans, les travailleurs utilisaient leur voiture pour se rendre aux établissements de soins de longue durée. Les préposés pouvaient alors passer du temps avec les résidants : le ratio n’était pas de 15 résidants par préposé dans les établissements de soins de longue durée. On parlait plutôt d’un ratio de 5-1. Ils avaient le temps de bien faire leur travail. Aujourd’hui — et la situation a commencé il y a environ quatre ans —, le taux trimestriel de départs des préposés aux services de soutien à la personne est de 33 %. Ils veulent travailler ailleurs et ils sont exténués. Le taux d’épuisement professionnel est extrêmement élevé. Au fil des 20 dernières années, la qualité et la continuité des soins se sont dégradées, même si les Canadiens sont en fait reconnus pour ces aspects de l’extérieur. C’est ce que je voulais dire en affirmant que cette profession a déjà été forte. Ce n’est plus le cas.
La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup.
Ma dernière question sera brève, et j’aimerais que vous y répondiez tous. Selon un sondage récent d’Angus Reid, les deux tiers des Canadiens soutiennent la prise de contrôle par le gouvernement fédéral ou provincial des établissements de soins de longue durée. Chacun d’entre vous peut-il me parler des avantages et des inconvénients d’une telle nationalisation? Je pense que nous avons déjà entendu certains avantages, mais j’aimerais aussi connaître les désavantages, et je ne doute pas que M. Boyer a quelque chose à dire sur le sujet. Commençons par vous, madame Ferrier, si vous le voulez bien.
Mme Ferrier : Bien sûr. Je dois avouer que j’ai été heureuse d’apprendre qu’un hôpital avait pris le contrôle de deux établissements de soins de longue durée ici, en Ontario. À mon avis, ces établissements n’étaient pas vraiment préparés à gérer une pandémie de cette ampleur. C’est d’autant plus vrai que les établissements de soins de longue durée ont été durement touchés ici. En ce moment, alors que nous cherchons à réformer et à corriger le secteur des soins de longue durée, le gouvernement devrait jouer un rôle. Je ne souhaite pas une participation plus grande pour la suite. Une fois le secteur rétabli, le gouvernement devrait redonner le contrôle. C’est ce que je pense.
La sénatrice Omidvar : D’accord. Peut-être Mme Ladd a-t-elle quelque chose à dire là-dessus, la nationalisation des établissements de soins de longue durée, les normes en matière de soins de longue durée et tout ça.
Mme Ladd : Tout à fait, je suis d’accord. On a vu le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique intervenir et mettre en œuvre, dans ces établissements, les normes les plus strictes qui soient, avec, pour conséquence, des taux d’infection inférieurs. Absolument, je pense que transformer ces établissements en machines à profit a été un désastre absolu en Ontario et les résultats parlent d’eux-mêmes. Merci.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Boyer?
[Français]
M. Boyer : Je suis tout à fait d’accord. Je l’ai mentionné plus tôt, de toute façon. Il y a un désengagement de plus en plus fréquent de la part de l’État relativement aux soins et aux services offerts aux personnes dans le besoin. Ce désengagement a eu des répercussions que l’on constate en ce moment. Donc, oui, je favorise une plus grande nationalisation de l’ensemble des services et des soins afin que les personnes qui sont dans le besoin puissent recevoir les services auxquels ils sont en droit de s’attendre.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur Boyer. Je n’entendais pas l’interprète, mais je lirai le compte rendu. Merci beaucoup.
[Français]
M. Boyer : Merci.
Le sénateur Cormier : Merci aux témoins de leurs présentations. Ma question s’adresse à M. Daniel Boyer. Je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir souligné les nombreux défis auxquels font face les travailleurs du milieu artistique et culturel. Comme vous le savez, malgré le fait que le secteur culturel représente 53 milliards de dollars de notre PIB, de nombreux artistes et travailleurs vivent pratiquement sous le seuil de la pauvreté. Le secteur culturel perd 4 milliards de dollars chaque mois. Malgré les programmes du gouvernement fédéral, malgré l’annonce du ministre du Patrimoine canadien sur la création d’un fonds d’urgence de 500 millions de dollars, de nombreuses questions se posent pour ce qui est de la survie et de l’avenir du secteur culturel. Comment allons-nous ramener les gens dans les salles de spectacle? Comment le secteur privé va-t-il continuer à contribuer au secteur culturel? Quel est l’avenir du milieu cinématographique et télévisuel? Les gens réclament un plan à long terme. Je sais que vous n’êtes pas issu de ce secteur, mais, compte tenu du fait que les provinces et les territoires ne contribuent pas tous au secteur culturel de la même manière et que les champs de compétence sont ce qu’ils sont, je voulais vous demander ceci : selon vous, en tant que président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, quelles devraient être les priorités du gouvernement fédéral pour assurer la survie des travailleurs du secteur culturel? Certains, par exemple, suggèrent de créer un fonds de stabilisation national pour les artistes, les travailleurs culturels et les organismes. À votre avis, est-ce une solution qui pourrait aider le gouvernement fédéral à assurer l’avenir de ce secteur?
M. Boyer : La FTQ représente beaucoup de gens du secteur culturel, comme des travailleurs du milieu de la télévision, mais également des techniciens de scène et des membres de la Guilde des musiciens et des musiciennes du Québec. Oui, on a de grandes inquiétudes et on pense que c’est une bonne idée d’avoir un fonds de stabilisation. Cependant, ce qu’on peut déplorer, tant au Québec qu’au Canada, c’est qu’il y a peu de consultations auprès des gens du milieu culturel.
Je vous avoue qu’on est inquiet; on doit absolument consulter les gens du milieu de la culture et des arts dans le but d’établir un plan. Vous avez tout à fait raison, un fonds de stabilisation pourrait être une solution intéressante, mais il pourrait y avoir d’autres moyens qui pourraient être pris en charge dans le milieu. On constate, autant de la part du gouvernement fédéral que du gouvernement du Québec, un silence un peu inquiétant. Donc, non, il n’y a pas de plan de match. Il n’y a pas de vision à court et à moyen terme de réouverture et de déconfinement dans ce secteur, même s’il y a des initiatives un peu timides par rapport au tournage de certaines séries. Par contre, on sait que ce genre d’activité a certaines limites.
Vous avez tout à fait raison, pour les salles de spectacle et les salles de cinéma, on a un peu de difficulté à voir comment tout cela pourrait redémarrer et être rentable. On peut bien avoir le tiers des spectateurs dans une salle, mais je ne suis pas sûr que ce sera suffisant. Donc, on est inquiet, et on en appelle aux deux ordres de gouvernement, à Québec et à Ottawa, pour rassembler les gens du milieu culturel afin qu’on puisse trouver des solutions ensemble. À ce jour, il y a eu des initiatives beaucoup trop timides, à mon avis.
Le sénateur Cormier : Rapidement, pour que je comprenne l’enjeu de la consultation, est-ce un manque de consultation entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec, dans votre cas, qui fait en sorte qu’il n’y a pas de plan de match à long terme?
M. Boyer : Non, c’est un manque de consultation auprès des travailleurs et des travailleuses du milieu culturel, mais aussi des employeurs. Il faut impliquer les gens qui travaillent dans le milieu culturel et que l’un ou l’autre des deux ordres de gouvernement entreprenne une consultation auprès des gens du milieu, pas seulement entre les deux ordres de gouvernement.
Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.
La présidente : Merci à vous, sénateur Cormier. Vous ne m’en voudrez pas d’ajouter, monsieur Boyer, que toutes vos références au domaine du spectacle me rappellent les défis que doit affronter le milieu sportif. C’est une autre discussion, mais c’est le même genre de défi à moyen terme.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci à tous d’être d’ici, et à Daniel Boyer en particulier, parce que je vais lui adresser cette question, qui permettra peut-être de répondre à d’autres questions également. Vous avez dit que vous seriez favorable à des normes nationales pour les CHSLD et les résidences pour personnes âgées en général. Dois-je comprendre que vous jugez que la sécurité des malades, des Québécois, serait améliorée dans ces résidences s’il y avait des normes nationales, donc une loi du gouvernement fédéral? En ce sens, vous avez sans doute entendu le premier ministre Legault dire : « Je prendrais bien l’argent si vous en avez plus, mais on est capable de bien gérer ça. »
J’aimerais vous entendre sur cette apparente différence de point de vue entre vous et M. Legault, pas tant pour ce qui est de la dimension politique, mais pour savoir si vous pensez vraiment qu’une intervention du gouvernement fédéral est nécessaire pour mieux protéger les personnes âgées au Québec.
M. Boyer : Le secteur de la santé est de compétence provinciale. Nous sommes d’accord avec le premier ministre du Québec, M. Legault, mais en même temps, il y a un minimum qui doit être fait du point de vue du fédéral. Quand on mentionne que l’on devrait modifier la Loi canadienne sur la santé pour y inclure l’ensemble des services et des soins offerts à l’ensemble de la population du Québec qui est dans le besoin, c’est dans ce sens qu’on l’entend. Les normes doivent évidemment être établies par chacune des provinces, mais les transferts fédéraux en santé vers les provinces ont diminué. Les provinces ont reçu beaucoup moins en matière de transferts fédéraux pour les soins de santé au fil du temps.
Les transferts fédéraux en santé au Québec étaient de 50 % il y a un petit moment et ils sont maintenant de 23 %. Il faut augmenter ces transferts. Il faut aussi qu’il y ait des lignes directrices établies par le gouvernement fédéral en vertu de la Loi canadienne sur la santé.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ai-je le temps de poser une sous-question?
La présidente : Brièvement.
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question concerne les CHSLD publics et privés. Vous voulez que toutes les personnes âgées se retrouvent dans le système public; je me demandais sur quelle base. Évidemment, je suis tout à fait en faveur de l’intervention de l’État et je souhaite qu’il soit en charge, mais en même temps, quand on regarde la situation au Québec, il y a eu, et vous me corrigerez si je me trompe, beaucoup de décès et de contamination, tant dans les CHSLD publics que dans les établissements privés.
On ne peut pas dire que le fait d’avoir vécu dans une institution publique a protégé davantage les malades. J’aimerais donc que vous me disiez pourquoi vous affirmez que le système doit être à 100 % public.
M. Boyer : Je vous dirais d’abord qu’il y a aussi des problèmes dans le secteur public. Je l’ai dit dès le début, il y a un sous-financement et des problèmes liés aux conditions d’emploi dans le secteur public, mais en même temps, on pense que l’État devrait être en mesure d’assurer le contrôle — je ne dis pas non plus qu’il faut contrôler les appartements pour personnes âgées, on n’en est pas là — dans les établissements qui offrent des services et des soins. Nous croyons donc que le réseau devrait être nationalisé. Nous ne croyons pas que le réseau devrait être réglementé comme les CHSLD publics le sont, mais mieux que ces derniers le sont.
Il faut donc entreprendre une réforme du réseau public, mais il faut aussi intégrer des résidences pour personnes âgées au réseau public. D’ailleurs, M. Legault a dit il y a quelques semaines qu’il étudiait cette alternative et nous, à la FTQ, croyons que c’est une alternative intéressante.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Pate : J’aimerais remercier les témoins pour le remarquable travail qu’ils font. Ma mère se trouve dans un établissement de soins de longue durée et je parle aux intervenants qui sont à ses côtés tous les jours. Je leur suis et je vous suis extrêmement reconnaissante. Par ailleurs, en tant que personne dont certains proches bénéficient de vos plaidoyers, je vous remercie, madame Ladd.
Madame Ladd, je voudrais revenir sur le point que vous avez soulevé. Madame Ferrier, vous voudrez peut-être ajouter quelque chose, et monsieur Boyer aussi. La prestation d’urgence est, en fait, une forme de revenu vital garanti. De nombreux défenseurs, y compris des militants syndicaux, considèrent qu’elle fait partie d’une reconstruction potentielle d’un filet de sécurité économique, sanitaire et sociale dont la pandémie a démontré qu’il avait un besoin massif de reconstruction, voire de construction, en fonction de ce que vous pensez. Nombre d’entre nous qui parlons de cet enjeu en parlent en conjonction avec la protection de la main-d’œuvre, les règlements régissant les relations entre propriétaires et locataires et la réglementation fiscale, et en parlent comme d’un revenu universellement accessible, et non d’un revenu de base universel. Cela changerait-il votre point de vue sur une initiative de type revenu vital garanti? Faudrait-il la poursuivre ou l’étendre?
Mme Ladd : Absolument. Nous venons juste d’avoir une grande réunion avec beaucoup de nos membres. Nous avons eu un débat passionné à propos du revenu garanti. On en revient, in fine, vous avez absolument raison, à toutes les questions que vous avez soulevées.
Supposons que vous receviez 2 000 $ par mois. Si de 1 500 à 1 800 $ partent immédiatement en frais liés au logement, on ne peut pas dire que cela change vraiment grand-chose en ce qui concerne un certain nombre d’obstacles structuraux en matière de loyer abordable, de contrôle des loyers, d’accès à Internet. Cela ne contribue pas vraiment non plus à la solidité du régime d’assurance-emploi et ne nous garantit pas vraiment non plus les prestations dentaires et pharmaceutiques et toutes ces autres prestations dont les gens qui vivent de l’aide sociale pour survivre dépendent. On ne sait pas trop comment tout cela va fonctionner, et qui va mettre cela en œuvre.
Étant donné le gouvernement provincial que nous avons actuellement — qui a, en fait, récupéré des prestations d’aide sociale au lieu d’accorder le versement dans son intégrité de la Prestation canadienne d’urgence aux personnes les plus vulnérables, qui reçoivent les prestations offertes dans le cadre du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées et du Programme ontarien du travail —, nous nous inquiétons beaucoup de la manière dont tout cela va être mis en œuvre et du genre de mesures qui vont être prises et qui empêcheront les gens de recevoir de l’aide sur le plan du logement, des soins dentaires et des médicaments, des régimes spéciaux et toutes ces autres choses.
Qu’est-ce que la prestation exactement? Va-t-elle pouvoir remplir sa véritable fonction ou, quand on pense à tous ces autres problèmes, va-t-elle être simplement un rapiéçage de plus? Alors oui, je comprends tout à fait votre point de vue.
La sénatrice Martin : Je n’ai pas de question, mais j’aimerais ajouter quelque chose. Comme la sénatrice Pate, ma mère est dans un établissement de soins, et ce, depuis huit ans. Ce que j’apprécie vraiment, c’est que les employés là-bas sont devenus des membres de notre famille maintenant. Je parle à certains d’entre eux, ainsi qu’aux infirmiers, et je sais qu’eux aussi ont des membres de leurs familles vivant dans de tels établissements. Et, en ce moment, ils ne peuvent pas les voir, mais ils s’occupent des nôtres. C’est ce que je veux rajouter et dire aussi que je pense que ce sont des anges. Ma famille leur est très reconnaissante pour tout ce qu’ils ont fait. Je voudrais remercier mes collègues qui ont posé toutes ces excellentes questions ainsi que tous les témoins pour tout ce que vous faites. Je voulais juste que vous sachiez à quel point vous êtes appréciés.
La présidente : Merci, sénatrice Martin. Nous sommes tous d’accord avec vous. Ce sont les mots parfaits pour clore la réunion aujourd’hui.
Je tiens à remercier très chaleureusement nos témoins. Votre contribution à notre étude sur la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19 a été très intéressante et utile. Nous apprécions vraiment votre aide dans notre travail.
Je vais maintenant demander à mes collègues s’ils sont d’accord pour que nous nous réunissions à huis clos pour discuter de futurs travaux. Tous ceux qui sont pour, veuillez lever la main et gardez-la levée pendant 10 secondes. Baissez la main. Tous ceux qui sont contre? Ceux qui s’abstiennent?
Nous sommes d’accord. Nous attendons que le greffier nous dise que nous sommes à huis clos. Encore une fois, un grand merci à nos témoins.
(La séance se poursuit à huis clos.)