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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 3 juin 2020

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 [HE], par vidéoconférence, pour étudier la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19.

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, avant de commencer, j’aimerais vous rappeler quelques points.

D’abord, on vous demande de mettre votre micro en sourdine en tout temps, à moins que la présidente ne vous désigne par votre nom. Vous devez allumer et éteindre votre micro vous‑mêmes pendant la réunion.

Avant de prendre la parole, veuillez attendre qu’on vous nomme. Une fois que vous aurez obtenu la parole, veuillez faire une pause de quelques secondes pour laisser le signal sonore s’installer. Lorsque vous parlez, faites-le lentement en gardant le micro près de votre bouche. Si vous avez choisi un canal d’interprétation, je vous demande de vous exprimer uniquement dans la langue du canal en question. En cas de difficultés techniques, particulièrement en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler à la présidente et l’équipe technique s’efforcera de régler le problème. Si vous éprouvez d’autres difficultés techniques, veuillez communiquer avec le greffier du comité au moyen du numéro d’assistance technique qui vous a été fourni.

Enfin, veuillez noter que si le comité décide de siéger à huis clos, l’utilisation de plateformes en ligne ne garantit pas la confidentialité des échanges et ne protège pas contre l’écoute clandestine. Par conséquent, les participants doivent être conscients de ces limites et limiter la divulgation possible de renseignements confidentiels, privés et privilégiés du Sénat. Les participants doivent savoir qu’ils doivent participer à la réunion dans un endroit privé et être conscients de leur environnement afin de ne pas partager par inadvertance des renseignements personnels qui pourraient être utilisés pour déterminer l’endroit où ils se trouvent.

Bonjour. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Français]

Je m’appelle Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec, et c’est un plaisir et un privilège pour moi de présider cette réunion virtuelle.

[Traduction]

Avant de céder la parole à nos témoins, j’aimerais vous présenter les sénateurs qui participent à cette réunion. Nous sommes heureux d’accueillir le sénateur Jim Munson, la sénatrice Julie Miville-Dechêne, la sénatrice Kim Pate, la sénatrice Patricia Bovey, la sénatrice Patti LaBoucane-Benson, le sénateur René Cormier, la sénatrice Diane Griffin, la sénatrice Donna Dasko, le sénateur Fabian Manning, le sénateur Jean-Guy Dagenais, la sénatrice Josée Forest-Niesing, la sénatrice Judith Seidman, la sénatrice Marie-Françoise Mégie, la sénatrice Ratna Omidvar, la sénatrice Rose-May Poirier, la sénatrice Rosemary Moodie et le sénateur Stan Kutcher. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion que nous sommes heureux de tenir aujourd’hui.

Le 11 avril 2020, le Sénat a adopté une motion autorisant le comité à se pencher sur la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19. Il y a un mois, dans le cadre de cette réponse, le gouvernement fédéral a annoncé un investissement de 240,5 millions de dollars dans l’élaboration, l’élargissement et le lancement d’outils d’aide en santé mentale.

Le premier groupe de témoins que nous entendrons aujourd’hui représente les intérêts des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Notre deuxième groupe nous parlera plus particulièrement des enfants et des jeunes.

[Français]

Je vous présente donc sans plus tarder nos premiers témoins pour la séance d’aujourd’hui. Nous accueillons la Dre Vicky Stergiopoulos, médecin-chef du Centre de toxicomanie et de santé mentale, M. Patrick McGrath, président du conseil d’administration de L’Institut des familles solides, ainsi que la Dre Georgina Zahirney, présidente de l’Association des psychiatres du Canada.

[Traduction]

Nous allons commencer par la déclaration liminaire de la Dre Stergiopoulos, qui sera suivie de M. McGrath puis de la Dre Zahirney.

Dre Vicky Stergiopoulos, médecin-chef, Centre de toxicomanie et de santé mentale : Je vous remercie de me donner cette occasion de témoigner devant le comité relativement à la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19.

Je suis la médecin-chef du Centre de toxicomanie et de santé mentale, ou CAMH, à Toronto. En tant que le plus important hôpital d’enseignement en santé mentale et en toxicomanie du Canada, CAMH est heureux que tous les ordres de gouvernement reconnaissent les répercussions que peut avoir la pandémie de COVID-19 sur la santé mentale et qu’ils agissent en conséquence en offrant des ressources et des mesures de soutien aux personnes qui éprouvent des difficultés.

Un grand nombre de ces personnes ont une réaction de stress normale face à la crise sanitaire, sociale et économique qui sévit et il est important qu’elles aient accès à des ressources et à des mesures de soutien en santé mentale qui peuvent les aider à affronter la situation.

Les personnes directement touchées par la COVID-19 — les travailleurs de la santé et les personnes qui avaient déjà des problèmes de santé mentale — risquent davantage de connaître de plus graves difficultés et elles méritent qu’on s’occupe d’elles et qu’on leur permette d’avoir rapidement accès à des soins en santé mentale. Nous devons trouver des moyens de protéger et de favoriser la bonne santé mentale de la population et des personnes les plus vulnérables en cette période de crise, tout en veillant bien à ce que toutes les personnes qui ont des problèmes de santé mentale puissent obtenir les bons soins et soutiens quand elles en ont besoin et là où elles en ont besoin.

En plus de montrer combien il est important de promouvoir la santé mentale et un accès rapide à des services en santé mentale, la pandémie ajoute à la crise qui sévit dans ce domaine au Canada, surtout chez les personnes qui ont de graves problèmes de santé mentale, dont des problèmes de toxicomanie.

Malheureusement, les personnes ayant de graves troubles mentaux ne reçoivent toujours pas les services dont elles ont besoin des systèmes de soins de santé mentale et de services sociaux. Un grand nombre d’entre elles se retrouvent donc dans une situation encore plus précaire pendant cette pandémie.

Ces personnes, comme celles qui sont atteintes de schizophrénie, sont susceptibles de voir leur santé mentale se détériorer à cause de la pandémie et du fait que cette dernière limite leur accès aux services. Elles pourraient en outre être plus à risque d’être infectées et d’avoir des complications. Les caractéristiques cliniques des psychoses, comme les idées délirantes, les hallucinations, le comportement anormal, la déficience cognitive et la compréhension limitée, peuvent faire en sorte que ces personnes risquent davantage d’être infectées par la COVID-19.

Certaines caractéristiques sociales, comme la pauvreté, des soutiens sociaux limités, la stigmatisation et la discrimination ainsi qu’un mauvais état de santé physique — qui sont courantes chez les personnes ayant de graves troubles mentaux — entraînent aussi de plus grands risques de complications chez les personnes qui seraient infectées. Nous avons pu voir les conséquences tragiques qu’a eues la pandémie de COVID-19 dans des unités de soins psychiatriques ailleurs dans le monde.

Plus particulièrement encore, un des grands problèmes qui augmentent la vulnérabilité de bien des personnes ayant de graves troubles mentaux dans cette pandémie est le fait qu’elles ne sont pas capables de respecter les règles de distanciation physique soit parce qu’elles sont en situation d’itinérance, soit parce qu’elles vivent dans une habitation collective, comme un refuge ou un foyer de groupe.

La précarité du logement chez les personnes ayant des troubles mentaux graves n’est pas une nouveauté. En fait, elle persiste au Canada depuis des années, et ce, malgré les données présentées dans le rapport final du projet national At Home/Chez Soi, qui montrent que fournir à ces personnes un appartement et des soutiens est une solution qui fonctionne pour lutter contre l’itinérance et est efficace par rapport aux coûts. Bien que le gouvernement fédéral ait engagé 2,2 milliards de dollars sur 10 ans pour réduire l’itinérance de 50 %, les solutions concrètes sur le terrain tardaient jusqu’ici à se matérialiser.

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, on a fait preuve de beaucoup de créativité et mis en place rapidement des solutions pour loger les sans-abri. On a offert à des personnes qui habitaient dans des refuges ou dans la rue leur propre unité dans des hôtels vides et des immeubles à logements. Le conseil municipal de Toronto vient d’approuver un projet de maisons modulaires de 250 unités qui seront prêtes à l’automne 2020. Il aurait été préférable qu’il ne faille pas attendre la pandémie de COVID-19 pour loger les sans-abri, mais ces changements demeurent très encourageants et il faudra poursuivre sur cette lancée. L’itinérance est un choix — le nôtre.

Je recommande donc au gouvernement fédéral de continuer à encourager et à soutenir la mise en place rapide de solutions fondées sur des données probantes pour lutter contre l’itinérance chez les personnes ayant des problèmes de santé chroniques, ainsi qu’à prévoir des fonds pour veiller à ce que les personnes qui ont des troubles mentaux graves aient un logement à prix abordable et les soutiens dont elles ont besoin, un logement qui leur permettra non seulement d’être en sécurité pendant la pandémie et de survivre, mais aussi de se concentrer sur leur rétablissement et leur épanouissement. En insistant, dans le cadre de la réponse du gouvernement face à la COVID-19, sur le fait qu’il est important que les personnes ayant des troubles de santé mentale graves aient un logement sûr et abordable, vous montrerez que la santé de tous les Canadiens est votre priorité.

Patrick McGrath, président du conseil d’administration, L’Institut des familles solides : Merci de me donner cette occasion de m’adresser à vous. En fait, mes points de vue rejoignent un grand nombre des points que vient de soulever la Dre Stergiopoulos. D’abord, la COVID-19 nous a tous touchés. Il y a deux vérités que je tiens à souligner : la COVID-19 touche tout le monde et nous faisons tous face aux difficultés qu’elle entraîne. Notre qualité de vie a diminué quelque peu et les choses sont un peu plus difficiles pour chacun de nous, mais nous allons nous en sortir.

La COVID-19 a en outre un grand effet multiplicateur. Les personnes qui avaient déjà des problèmes, des problèmes de santé mentale graves plus particulièrement, se trouvent beaucoup plus désavantagées. Il ne s’agit pas d’un simple effet d’ajout; les désavantages se sont multipliés. Le système de soins de santé mentale, déjà bien mal en point, n’a pas pu et ne peut pas faire face à la situation actuelle.

Comme l’a mentionné la Dre Stergiopoulos, il convient de souligner l’excellent travail qui a été fait pour aider les sans-abri ainsi que les travaux de recherche sur la différence que peut faire le logement. Je pense que ce sont de très bonnes initiatives.

Il faut aussi tenir compte du fait qu’il n’y a tout simplement pas assez de psychiatres et de psychologues pour effectuer le travail nécessaire. Souvent, les psychiatres et les psychologues ne travaillent pas auprès des personnes ayant les difficultés les plus graves, ni même auprès des personnes modérément touchées. Une étude menée à Toronto a montré, par exemple, que de nombreux psychiatres travaillent intensivement auprès de personnes pendant de longues périodes, mais que ces personnes sont relativement riches, appartiennent à la classe sociale la plus élevée et n’ont pas vraiment besoin d’autant de soins — non pas qu’elles ne souffrent pas — que les réfugiés, les personnes qui vivent dans la pauvreté, les personnes ayant des problèmes de santé mentale préexistants et les personnes qui sont découragées et ont des pensées suicidaires.

Je m’en voudrais de ne pas souligner que les enfants et les adolescents sont particulièrement à risque. L’Institut des familles solides que j’ai fondé et dont je préside le conseil d’administration vise à offrir des solutions de rechange à des enfants aux prises avec de graves problèmes et à leur famille afin qu’ils puissent obtenir de l’aide. Tous les programmes sont offerts en ligne et donnent de bons résultats. Depuis nos débuts, nous avons aidé plus de 36 000 familles. Entre 8 000 et 9 000 familles nous consultent chaque année. Nous avons remporté plusieurs prix pour l’innovation.

Il faut retenir que tout le travail s’effectue à distance et qu’il est entièrement effectué par des paraprofessionnels, c’est-à-dire par des personnes hautement qualifiées et étroitement encadrées, qui peuvent intervenir efficacement à distance. Les Instituts de recherche en santé du Canada financent une grande partie de ce travail, et nous continuons à mettre au point de nouveaux types d’interventions, y compris des interventions en cas de trouble de stress post-traumatique pour les premiers intervenants auprès de personnes qui passent à l’âge adulte et d’enfants aux prises avec les problèmes de santé mentale les plus graves, dont les troubles du développement neurologique.

Nous avons un problème grave. La plupart des interventions sont axées sur les soins autogérés, ce qui fonctionne très bien pour des gens comme vous et moi, qui peuvent apprendre énormément au moyen de ces approches. Toutefois, les personnes ayant des problèmes très graves ont besoin de beaucoup plus d’aide.

J’aimerais faire quelques recommandations. Tout d’abord, il faut continuer d’offrir des options de soins autogérés aux personnes en situation de détresse causée par la COVID-19. Ces options sont utiles. Il faudrait aussi continuer d’élaborer des interventions destinées spécifiquement aux personnes anxieuses ou qui font une consommation abusive d’alcool. Les services de santé mentale en ligne sont une option courante, non seulement pendant la pandémie de COVID-19, mais aussi en tout temps. Ils doivent faire partie intégrante de notre système de santé mentale.

Il faudrait trouver des solutions pour cesser de dépendre des psychologues, des psychiatres et des paraprofessionnels qui sont intégrés au système, mais dont le nombre est très limité. En fait, il serait utile de se conformer au protocole et d’obtenir le soutien et le suivi nécessaires.

Pour ce qui est des systèmes adaptables, on ne peut pas se contenter de tout faire sur Zoom. Il faut mettre en place des systèmes de soins adaptables, plutôt que simplement individuels. Une bonne partie de notre système de santé mentale repose sur le choix individuel d’un thérapeute.

Enfin, en reconnaissant que la santé mentale et les services en la matière sont de compétence provinciale, je pense que le système fédéral peut jouer un rôle, notamment en établissant des normes adéquates pour la création d’une déclaration des droits des personnes ayant une maladie mentale au Canada. Les Canadiens auraient ainsi le droit de bénéficier de mesures permettant d’atténuer les déterminants d’une mauvaise santé mentale, le droit d’obtenir des soins de santé mentale adéquats en temps opportun et le droit de participer à la mise en œuvre de tous les programmes et services. Il faut que les personnes aux prises avec les problèmes participent à la conception des systèmes.

Dre Georgina Zahirney, présidente, Association des psychiatres du Canada : Bonjour. Je tiens à remercier la sénatrice Petitclerc et les membres du comité d’avoir invité l’Association des psychiatres du Canada à intervenir aujourd’hui. Il semble que nous ayons des intérêts très semblables.

Je m’appelle Georgina Zahirney et je suis présidente de l’Association des psychiatres du Canada. Cette association est la porte-parole nationale de 4 800 psychiatres — nous sommes  — et de 900 résidents en psychiatrie. Elle est également la principale autorité en matière de santé mentale au Canada.

La psychiatrie étant une profession qui s’appuie sur des données probantes, l’Association des psychiatres du Canada fournit des conseils sur les programmes, les services et les politiques qui sont le plus à même de garantir aux Canadiens les meilleurs soins de santé mentale possible. Je suis également professeure adjointe à l’Université McGill et j’exerce ma profession au Centre universitaire de santé McGill et au sein d’une équipe de santé mentale qui œuvre auprès de nombreux réfugiés et immigrants dans la collectivité.

Nous savons tous que la COVID-19 a obligé les gouvernements à adopter une série de mesures plutôt exceptionnelles en matière de santé publique afin de maîtriser la propagation de la maladie. Toutefois, il faut aussi reconnaître que ces mesures ont contribué à la détresse mentale au sein de la population générale. Cette détresse est causée par la maladie, l’anxiété, l’isolement social et les pertes d’emplois.

La pandémie touche aussi les travailleurs essentiels, qui doivent faire face à un risque accru d’exposition à la maladie et assumer une charge de travail plus lourde. Par ailleurs, les mesures nécessaires pour lutter contre la COVID-19 ont aussi mis en relief et aggravé les iniquités structurelles qui existent depuis longtemps dans notre système de santé, surtout dans le cas des personnes ayant une maladie mentale. Malgré de récents engagements, les soins de santé mentale au Canada sont systématiquement sous-financés depuis des décennies.

Au nombre des problèmes qui persistent, mentionnons les pénuries de lits, l’insuffisance ou l’absence de mesures de soutien dans la collectivité et des conditions de vie instables ou inacceptables. Tous ces problèmes nuisent de façon disproportionnée à la santé mentale de certains des Canadiens les plus vulnérables, dont les personnes ayant une grave déficience physique, mentale, intellectuelle, cognitive ou sensorielle, et, évidemment, les enfants et les adolescents. La situation nuit également à d’autres groupes vulnérables, dont les Autochtones, les détenus, les personnes qui reçoivent des services de psychiatrie médicolégale, ainsi que les personnes qui se trouvent dans une situation de violence.

À l’heure actuelle, ces personnes sont encore plus à risque parce qu’elles ont du mal à avoir accès aux ressources physiques, psychologiques, sociales ou financières nécessaires pour répondre aux facteurs de stress post-COVID — bien que la pandémie ne soit pas terminée —, ainsi qu’aux mesures et aux services de soutien appropriés. Qui plus est, les diagnostics concomitants — et il faut parler des troubles liés à la consommation de substances et des problèmes de santé physique persistants — peuvent aggraver la vulnérabilité de certains Canadiens.

Cela dit, l’Association des psychiatres du Canada recommande l’adoption de quatre mesures prioritaires pour que le pays puisse répondre aux besoins en matière de santé mentale en période de pandémie.

La première recommandation consiste à intensifier les approches fondées sur des données probantes en matière de logement, comme le programme Logement d’abord, pour que les bénéficiaires passent des services en cas de crise et en établissement à des options appropriées offertes dans la collectivité, qui sont à la fois souples, disponibles, abordables et adaptées aux besoins de chacun. Plus de 500 000 Canadiens atteints d’une maladie mentale sont mal logés. De ce nombre, pas moins de 119 000 risquent de se retrouver à la rue.

La pandémie met en évidence le fait que les Canadiens vulnérables, en particulier les aînés, les personnes ayant une maladie mentale et les personnes qui vivent dans un établissement communautaire ou en institution, n’ont pas de logement adéquat. On ne peut certainement pas s’isoler si on n’a pas un toit au-dessus de la tête. Il convient également d’étudier la possibilité d’instaurer un revenu de base universel pour remplacer un ensemble disparate de programmes de logement gouvernementaux.

Notre deuxième recommandation consiste à doter le Canada d’un plus grand nombre de lits de soins psychiatriques aigus, qui sont assortis de ressources plus appropriées. À l’extérieur du Québec et du Nunavut, il y a 7 242 lits désignés pour la santé mentale. Pourtant, on estime à plus de 8 300 le nombre de lits occupés quotidiennement dans ce domaine. Les séjours prolongés des personnes qui n’ont plus besoin de soins hospitaliers intensifs, mais qui ne peuvent pas être renvoyées en toute sécurité chez elles, entravent également l’accès aux ressources hospitalières intensives. Il est évident que les mesures de prévention et de traitement liées à la COVID-19 ont restreint encore davantage l’accès à certains de ces précieux lits, mais les besoins de la population n’ont pas changé.

Troisièmement, il faut améliorer les programmes et les services de soutien communautaires, comme les traitements énergiques et une gestion intensive des cas, afin d’aider les personnes atteintes de maladie mentale qui se trouvent en milieu hospitalier, dans un établissement ou à la rue à intégrer progressivement la société. Par ailleurs, les services de proximité destinés aux personnes atteintes de troubles psychosociaux étaient déjà surchargés avant la pandémie. Bon nombre de ces services ont cessé d’être offerts ou ont été considérablement restreints en raison de la COVID-19, et ce, malgré les besoins importants, qui ne cessent de croître.

Quatrièmement, il faut renforcer la recherche sur l’efficacité des soins virtuels en tant que mode d’intervention pour les personnes souffrant de troubles psychosociaux. Pour optimiser les résultats, il convient de prêter attention aux aspects pratiques liés à la prestation de soins virtuels, tant du point de vue du soignant que de celui de l’utilisateur. Le recours accru aux soins virtuels est devenu nécessaire pendant la pandémie. Évidemment, c’est aussi le cas pour le gouvernement. Toutefois, seules les personnes qui ont les moyens d’avoir un téléphone, une connexion Internet ou un accès à ces services peuvent obtenir des soins virtuels.

De nombreuses régions du Canada ne disposent pas d’un accès fiable à Internet haute vitesse. Les sans-abri et les personnes à faible revenu n’ont pas forcément de téléphone ou doivent utiliser des lieux publics pour avoir accès à Internet, lieux qui sont aujourd’hui soit fermés, soit restreints. De plus, les données probantes n’ont pas encore permis d’établir l’efficacité des soins virtuels dans le cas des personnes ayant des troubles psychosociaux. Nous encourageons donc la poursuite des recherches dans ce domaine.

En conclusion, la pandémie de COVID-19 a entraîné la mise en place de nouvelles initiatives de soutien en matière de santé mentale et a permis de sensibiliser davantage la population à l’impact du stress psychosocial sur la santé mentale. Elle a aussi mis en relief les lacunes du système de santé mentale, ainsi que la situation précaire dans laquelle se trouvent de nombreux Canadiens défavorisés. L’Association des psychiatres du Canada exhorte donc le gouvernement à agir immédiatement pour corriger ces problèmes. Je vous remercie de m’avoir permis de comparaître devant votre comité. Je suis maintenant prête à répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Je remercie les témoins. Nous sommes prêts à passer aux questions. Je vous rappelle que chaque intervenant dispose de cinq minutes pour les questions et les réponses. Je vous prie donc d’être précis dans vos questions et dans vos réponses aux témoins.

Si vous avez une question, je vous invite à utiliser la fonction « lever la main » dans Zoom. La même consigne s’applique aux témoins qui souhaitent ajouter une réponse. C’est très utile. Quand vous posez une question, veuillez préciser à qui elle s’adresse ou s’il s’agit d’une question à l’intention de tous les témoins.

La sénatrice Poirier : Ma question s’adresse à la représentante de l’Association des psychiatres du Canada. Nous avons souvent entendu l’expression « pandémie subséquente » pour décrire l’augmentation éventuelle du nombre de personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. À votre avis, est-ce une possibilité réelle? Si oui, le gouvernement fédéral a‑t‑il mis en place les services et les fonds nécessaires pour répondre à une éventuelle pandémie subséquente?

Dre Zahirney : Merci de la question. Nous disposons de quelques données préliminaires obtenues à la suite de catastrophes précédentes, mais la base de données probantes sur de véritables épidémies telles que celle-ci est un peu moins importante.

Je n’utiliserais pas l’expression « pandémie subséquente ». Ce qui nous préoccupe, ce sont les besoins accrus en matière de santé mentale après la pandémie, ou lorsque la vie normale reprendra et que les gens recommenceront en quelque sorte à se réintégrer à la société.

Il y a une distinction à faire entre les niveaux accrus de détresse et les symptômes dépressifs ou anxieux, puisque nous savons que la majorité de la population ne souffrira pas plus de dépression ou de troubles anxieux.

Nous devons surveiller les intervenants en santé mentale ou ceux qui sont exposés à certains des pires événements traumatisants de la pandémie au Canada, car ils pourraient souffrir par la suite d’un trouble de stress post-traumatique. En ce moment, ce qui est le plus préoccupant est certainement qu’il peut y avoir une augmentation des troubles liés à la consommation d’une substance. Le problème est bien documenté. Les taux croissants de violence entre conjoints et possiblement de maltraitance d’enfants sont également bien documentés et ont été observés dans d’autres pays.

Nous nous efforçons de tenir compte des besoins des personnes en détresse aiguë — une réaction normale à des situations totalement anormales — et de cerner les populations les plus vulnérables qui risquent le plus de voir leurs problèmes de santé mentale réapparaître ou s’aggraver considérablement.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie. Ma deuxième question s’adresse à la représentante du Centre de toxicomanie et de santé mentale. Dans le cadre de votre récent sondage, vous avez indiqué que près du quart des répondants ont déclaré avoir consommé de l’alcool de manière excessive au moins une fois au cours de la dernière semaine, et que ceux qui s’inquiètent beaucoup des conséquences de la COVID-19 sur leurs finances personnelles étaient particulièrement susceptibles de boire de manière excessive.

Quelles mesures le gouvernement a-t-il prises pour réduire l’abus de substances et la consommation excessive d’alcool pendant la pandémie et surtout après la pandémie?

Dre Stergiopoulos : Je n’ai pas entendu parler de mesures particulières ayant été prises pour remédier à l’augmentation de la consommation de substances durant la pandémie. Toutefois, le gouvernement de l’Ontario a mis en place des centres de soutien en santé mentale pour la population en général ainsi que pour les personnes à risque élevé, notamment les travailleurs de première ligne, les personnes touchées par la COVID et les fournisseurs de soins non seulement dans les hôpitaux, mais aussi dans les établissements de soins de longue durée qui peuvent être les plus à risque.

Je ne sais pas si des gouvernements provinciaux ont pris des mesures précises pour lutter contre les problèmes de dépendance.

La sénatrice Poirier : Au sujet de ma première question qui s’adressait à la représentante de l’Association des psychiatres du Canada, je sais que vous avez expliqué ce qui devait être fait. Pendant la pandémie, le gouvernement fédéral a-t-il mis en place les services et les fonds nécessaires pour répondre à la pandémie subséquente?

Dre Zahirney : Nous nous réjouissons évidemment de certaines des annonces faites au début et des autres plus récentes concernant le soutien du revenu, car la perte de revenu peut être un facteur de risque pour l’apparition de symptômes de dépression ou d’anxiété. Plus récemment, l’augmentation des investissements pour aider les Autochtones et lutter contre la violence entre conjoints au sein de cette population sont les [Difficultés techniques] dont je suis au courant.

J’ai également constaté une grande mobilisation de la part de nombreuses ONG, comme la Commission de la santé mentale du Canada, qui fournissent ce genre de ressources pour réduire la détresse mentale et donner aux gens davantage de mécanismes d’adaptation pour faire face à la situation, car tout le monde est confronté au stress lié à la pandémie. Ces investissements sont utiles, mais ils ne permettent pas de répondre aux besoins chroniques en services du système de santé canadien. Ces besoins sont encore à combler.

La sénatrice Poirier : Merci.

La sénatrice Griffin : Merci aux témoins. C’est extrêmement intéressant. J’ai une question pour la Dre Zahirney.

J’habite de l’autre côté de la rivière, face à l’hôpital de Hillsborough, ici, à l’Île-du-Prince-Édouard. En décembre, il y avait trois postes vacants au sein de l’équipe psychiatrique de l’hôpital. Je sais que ce n’est pas inhabituel dans les régions rurales ou les petites villes, mais je me demandais si la crise de la COVID-19 avait aggravé le problème du manque de personnel dans les régions rurales?

Dre Zahirney : Oui. Il est intéressant de noter que le plus grand nombre de cas de COVID-19 sont survenus dans les régions urbaines. Je travaille à Montréal. Il y a eu beaucoup de cas à Vancouver et à Toronto. D’après ce que je comprends, les régions rurales ont généralement été moins touchées, mais il a fallu une grande mobilisation.

Je suis d’accord avec vous. Il existe depuis longtemps des problèmes de répartition des ressources entre les régions rurales — qui manquent constamment de personnel — et urbaines, que ce soit pour des psychiatres ou des membres d’équipe de soins. Si la moitié de l’équipe est en confinement ou est atteinte de la COVID, cela a une incidence sur la capacité à fournir les services.

Pendant longtemps, j’ai travaillé en Abitibi, dans le Nord du Québec, en tant que chef du personnel. Je sais qu’il y a d’énormes disparités qui ont pu être accentuées, mais il semble que jusqu’à présent, elles ont été bien gérées. Cependant, s’il y a une autre vague d’infection, il est toujours possible que les services soient perturbés.

La sénatrice Griffin : Je vous remercie.

La sénatrice Dasko : Merci beaucoup aux témoins d’aujourd’hui de leurs exposés. Ils étaient très intéressants, et j’en apprends beaucoup.

Je m’intéresse aux soins virtuels, dont ont parlé deux témoins aujourd’hui. J’aimerais approfondir un peu le sujet.

Le recours à ces services a évidemment beaucoup augmenté pendant la pandémie. Je me demande si les témoins, en particulier M. McGrath et la Dre Zahirney, pensent que cette tendance va se poursuivre.

Je m’intéresse également à l’expérience des clients et des thérapeutes en ce qui concerne les services virtuels. Pourriez-vous nous éclairer un peu sur la question? Je suis sûre que beaucoup de gens se demandent si cette expérience est aussi bénéfique que l’interaction normale entre le thérapeute et le client, et dans quelles circonstances l’interaction a particulièrement bien fonctionné. C’est ma première question pour M. McGrath et la Dre Zahirney. Pourriez-vous nous donner des précisions à cet égard? Je vous remercie.

M. McGrath : Oui. Il y a une dizaine d’années, Mme Trish Pottie et moi-même avons réalisé plusieurs études sur l’alliance thérapeutique à l’Institut des familles solides, dont tous les services sont virtuels. Nous avons observé que les niveaux d’alliance thérapeutique sont équivalents, et peut-être même un peu mieux que les services offerts en personne.

Vous devez comprendre qu’il faut penser à la situation dans son ensemble. Avec les soins dispensés en personne, il faut généralement que le patient se rende au centre où se trouve le thérapeute. En outre, les services sont généralement offerts de 9 à 17 heures — pas exclusivement, mais trop souvent de 9 à 17 heures seulement, à la convenance du thérapeute. Nous avons constaté qu’il y avait des niveaux équivalents d’alliance thérapeutique dans ces centres.

Tout le monde est différent. Certaines personnes n’aiment pas les services virtuels. Je pense que la préférence des patients devrait être prise en compte. Cependant, la plupart d’entre eux aiment les services virtuels. Cette approche leur permet d’obtenir l’aide dont ils ont besoin dans le confort de leur maison. Le niveau d’itinérance pose toutefois un grand problème, car les itinérants n’ont évidemment pas de domicile convenable où recevoir des services.

La sénatrice Dasko : Docteure Zahirney, à titre de professionnelle dans le domaine, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez des services virtuels et des limites professionnelles, entre autres?

Dre Zahirney : Oui, je pense que c’est une bonne occasion pour le Canada d’apprendre à améliorer l’offre de services de télésanté. Il y a eu de grands programmes. Des efforts importants ont été déployés. Je faisais partie du comité de santé mentale de McGill pour essayer de faire accepter l’idée. L’engouement a été plus lent que nous l’aurions souhaité. Il y a beaucoup de problèmes systémiques connexes.

Je suis d’accord avec le témoin précédent. Il existe des données probantes que le niveau d’alliance thérapeutique peut être équivalent pour certains patients qui, autrement, n’auraient pas accès aux services. Par exemple, à l’Université McGill, nous avons une unité des troubles alimentaires qui utilise les services de télésanté depuis de nombreuses années pour communiquer avec des patients de toute la province.

Il existe encore des obstacles. Pour certains patients, les services virtuels ne sont pas une approche idéale ou appropriée. Je travaille dans un service de crise, donc je fais des évaluations en personne et à distance. Si nous craignons que le patient soit psychotique, désorganisé ou en grande détresse et seul, un entretien d’évaluation peut être déclencheur. Dans ce cas, il pourrait être souhaitable d’offrir les services en personne afin d’assurer la sécurité du patient.

Il y a certains facteurs que nous devons prendre en considération, mais pour la majorité des patients, il s’agit certainement d’un bon moyen d’accroître l’accès aux soins. Le choix appartient aux patients. Nous avons offert les deux options d’évaluation : en personne — en prenant évidemment les mesures de protection appropriées — ou sur des plateformes.

Cette nécessité grandissante de passer à la télésanté à grande échelle nous a fait comprendre que nos structures ne sont pas adaptées ni du point de vue du fournisseur ni de celui de l’utilisateur. Le fournisseur a le besoin d’espaces de bureau appropriés qui assurent la confidentialité, sont insonorisés et permettent un accès Wi-Fi ou au moins à l’Internet à haute vitesse ou à des cybercaméras, et l’infrastructure du Canada a longtemps été critiquée pour ne pas être à jour sur le plan de ces plateformes électroniques. Ensuite, il y a la question des dossiers médicaux électroniques. Si je fournis un service de mon domicile ou de mon bureau, je dois aussi pouvoir mettre à jour les ordonnances et transmettre les rapports par des moyens électroniques sécurisés. Nous avons beaucoup d’investissements et de travail à faire pour améliorer la capacité de notre système.

Dre Stergiopoulos : Je voulais souligner le fait que certains des obstacles géographiques qui existent en matière d’accès ont disparu grâce aux soins virtuels, mais ces soins virtuels en ont fait apparaître d’autres de nature socioéconomique.

Grâce à nos propres recherches, nous avons constaté que notre propre capacité de soins virtuels a été multipliée par 850 en mars et avril. En mai, nous avons effectué plus de 5 000 évaluations dans toute la province, notamment dans les zones autochtones et rurales. C’est donc très bien. Mais là encore, cela se limite à ceux qui ont accès à Internet, qui sont en mesure de se connecter et qui sont suffisamment bien pour s’organiser pour participer à ces évaluations.

Je ne saurais trop insister sur le fait que nous devons nous pencher sur le nouveau degré d’inégalité que les soins virtuels peuvent introduire dans la recherche, et évaluer non seulement si les soins virtuels fonctionnent, mais aussi pour qui ils fonctionnent et pour qui ils ne fonctionnent pas.

Je pense qu’une fois la première phase de cette crise terminée, la nouvelle normalité s’installera sous la forme d’un nouvel équilibre, avec certainement plus de soins virtuels, sans exclure, cependant, les soins en personne pour ceux qui en ont besoin. Je pense qu’il est essentiel de prendre en compte la préférence des patients. Je vous remercie.

La présidente : Merci.

Le sénateur Kutcher : Merci à tous les témoins. Nous vous sommes reconnaissants d’être là. J’aimerais poser ma première question aux docteures Stergiopoulos et Zahirney. Je vous suis reconnaissant de nous rappeler les besoins qu’ont les personnes souffrant de maladies mentales graves et de toxicomanie et combien il est important que les moyens électroniques de soins fassent entièrement partie des moyens de soins courants pour obtenir de bons résultats.

Le portail d’Espace mieux-être Canada a été créé par le gouvernement fédéral pour répondre aux besoins en soins en santé mentale des Canadiens. Ma question est en trois parties : premièrement, à votre avis, son contenu répond-il aux besoins des personnes souffrant de maladies mentales graves et de toxicomanie? Deuxièmement, ce style de service améliore-t-il la prestation des soins de santé mentale dans la population? Troisièmement, connaissez-vous des organismes offrant des services en santé mentale qui l’ont intégré? J’ai également une question pour M. McGrath ensuite.

Dre Stergiopoulos : Je vous remercie. Je n’ai pas eu l’occasion d’examiner le portail. Nous avons travaillé très dur pour créer un portail au Centre de toxicomanie et de santé mentale, accessible à tout le Canada et fondé sur le modèle des soins échelonnés. Nous avons mis sur pied un ensemble de ressources, dont des ressources en autogestion et psychoéducation, afin de fournir des informations sur la façon d’accéder virtuellement à des groupes de soutien de divers types et, enfin, de créer, grâce au portail Accès CAMH, un point d’accès unique pour l’orientation et l’autosaisine pour les personnes qui ont besoin d’aide, et nous sommes en mesure de fournir de l’aide virtuellement.

En Ontario, nous nous sommes beaucoup concentrés sur les cinq centres régionaux qui fournissent de l’aide à cette population. Nous nous sommes évertués à ancrer le travail de ces centres et le modèle de soins échelonnés dans la province. Nous nous réunissons régulièrement pour nous assurer que nos réponses sont coordonnées et que les régions de la province ont accès à une partie de cette même aide. Malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion de consulter le portail Espace mieux-être. Je ne sais pas dans quelle mesure il fait partie des services. Je vous remercie.

Dre Zahirney : Je me souviens du rappel. Je vous remercie. En fait, non, je ne connais pas le portail Espace mieux-être. C’est peut-être un raté parce que j’exerce au Québec, qui a son propre ensemble de portails et d’accès. Je suis d’accord qu’il est important d’utiliser cette approche de soins par étapes. C’est plutôt ce que je comprends en ce qui concerne la détresse de la population : des symptômes d’anxiété, le sommeil perturbé et ce genre d’outils d’autogestion. Toutes les associations psychiatriques du Canada nous ont dit, lorsque nous les avons rencontrées, que la population est en mesure d’accéder à des soins d’autogestion. Le problème concerne plutôt les problèmes chroniques d’accès aux services pour ceux qui ont une maladie mentale diagnostiquée ou une maladie mentale chronique.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup. J’ai une question pour M. McGrath. Le groupe de psychiatrie numérique de Harvard avec, en son sein, le Dr John Torous, qui est à moitié canadien, a fait beaucoup de travail sur la prestation électronique des soins de santé : ses membres ont concentré leurs efforts sur les applications et les interventions psychothérapeutiques en ligne. Récemment, ils ont constaté qu’il n’y avait pas suffisamment d’évaluations normalisées de ces manières de faire, qui nous rassureraient sur leur efficacité, leur sécurité et leur utilité clinique. Quels conseils donneriez-vous au gouvernement du Canada relativement à un cadre de travail qui évaluerait ces différentes manières de fournir le service afin que les Canadiens soient rassurés quant à leur efficacité, leur sécurité et leur utilité?

M. McGrath : Nous n’évaluons pas la plupart des services de santé mentale et nous le devrions. Il serait bon d’évaluer les services qui sont numériques, car il est beaucoup plus facile de faire certaines évaluations si on a un système complet. Encore une fois, cela renvoie à l’idée d’un système où l’évaluation est automatique, au lieu d’avoir quelqu’un, un praticien débordé par exemple, obligé de rajouter des tâches à son quotidien. Il est vraiment nécessaire d’avoir des examens des évaluations systématiques.

De fait, à L’Institut des familles solides, tous les clients sont évalués d’office. Chaque rencontre est évaluée, comme le traitement par la suite. C’est une norme minimale pour améliorer les soins.

Dans la plupart des hôpitaux, seul un petit nombre de patients peuvent, en fait, évaluer leur traitement. Oui, nous avons besoin de cette évaluation. Les IRSC peuvent faire plus d’essais concrets et investir plus d’argent dans des essais concrets. La Stratégie de recherche axée sur le patient a donné quelques bons résultats, en faisant des essais concrets. Mais, ils sont difficiles à faire parce qu’ils ne sont pas très prisés. Merci.

Le sénateur Munson : Il y a tant de problèmes et tant de questions, des réfugiés au logement en passant par le handicap. Je vais parler très brièvement du handicap.

Comment faites-vous en ce moment, avec la communauté des personnes handicapées, en particulier celles qui souffrent de déficiences intellectuelles? En fait, les personnes autistes aiment la routine, et la routine a disparu, aujourd’hui. Il y a toujours eu un problème de comorbidité, d’anxiété et de dépression, ce genre de choses. Pouvez-vous m’expliquer le point de vue de l’Association des psychiatres du Canada sur ce qui se passe sur le terrain aujourd’hui? Comment gérez-vous ce problème très grave? J’ai l’impression que ce sont les oubliés de la communauté des handicapés.

Dre Zahirney : Je pense, à ce stade, que nous ne nous occupons pas de la situation de manière adéquate. Mais je partage certainement votre inquiétude sur le fait que, comme vous l’avez souligné, cette population peut avoir de nombreux obstacles à surmonter pour accéder aux soins en ligne ou à la télésanté. Qui plus est, avec les restrictions liées aux visites et à la distanciation, elles bénéficient essentiellement d’une aide très minimale par téléphone ou par Internet en ce qui concerne les membres de la famille. Comme vous l’avez dit, pour ces personnes, cela va être très difficile.

Cela fait partie de l’effort que nous faisons pour augmenter le nombre d’équipes communautaires afin de pouvoir joindre les personnes vulnérables comme celles-là et les ramener dans un cadre de réhabilitation, car, comme vous l’avez dit, il sera très, très difficile de rompre une nouvelle routine et de les réintégrer. Cela augmente aussi le fardeau des familles qui s’occupent maintenant des soins, et qui travaillent à domicile tout en ayant un enfant, un adolescent, voire un adulte souffrant de troubles du développement et ayant des besoins particuliers. C’est un domaine qui souffre d’un manque de financement chronique qui reste ignoré au Canada.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup. Je suis très inquiet et très préoccupé à ce sujet, car, à lui seul, le Canada compte 500 000 autistes, sans compter les personnes ayant d’autres types de déficience intellectuelle.

Monsieur McGrath, parlons brièvement des réfugiés. On dit qu’il n’y a pas suffisamment de psychiatres et de psychologues. Il y a quelques années, le Comité sénatorial des droits de la personne a examiné la question des réfugiés et le fait que les services de psychologue et de psychiatre ne sont pas assez accessibles pour les néo-Canadiens qui ne parlent ni français ni anglais. Cela leur prend du temps avant d’y avoir accès. Nous nous sommes félicités d’avoir tant fait pour faire venir des réfugiés de la Syrie au Canada, mais d’après ce que j’entends, je crains aujourd’hui que la situation soit grave au chapitre de la santé mentale. Que fait-on pour aider les réfugiés ou les néo-Canadiens?

M. McGrath : Il existe des projets efficaces ci et là au pays. Effectivement, trop peu de psychologues, de psychiatres et de travailleurs sociaux possèdent les compétences linguistiques requises pour répondre à la demande. Vous devez toutefois comprendre que, dans bien des cas, lorsque ces interventions sont structurées, bien gérées et régies par des protocoles adéquats, elles peuvent être effectuées par des paraprofessionnels formés qui partagent la même langue maternelle que les réfugiés.

Prenons l’exemple du trouble de stress post-traumatique. Je possède un postdoctorat de l’Allemagne et je collabore actuellement avec un groupe de l’Allemagne pour créer un cyberservice de santé pour le trouble de stress post-traumatique utilisant des paraprofessionnels. Nous avons du financement pour les pompiers de même que pour les parents d’enfants ayant un trouble neurologique du développement, le groupe dont nous parlions plus tôt. Si elles sont supervisées et surveillées adéquatement, beaucoup de ces interventions peuvent être effectuées par une personne autre qu’un psychiatre ou un psychologue. Il n’y a tout simplement pas suffisamment de psychologues et de psychiatres et on ne prévoit pas que leur nombre augmente énormément.

Les besoins de la population doivent avoir priorité sur la gouvernance des professions, qui a tendance à faire preuve de peu d’ouverture pour trouver des solutions. Il y a d’importantes exceptions, mais il faut étendre nos horizons pour trouver des solutions.

Le sénateur Munson : Je crois que mon temps de parole est écoulé. Les réfugiés ont déjà vécu des traumatismes et vivent maintenant une deuxième, voire une troisième situation traumatisante. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Je remercie les témoins de partager leur expertise avec nous. Ma première question — et j’en ai plusieurs — s’adresse à la Dre Stergiopoulos. Il est édifiant d’entendre parler du succès obtenu par les mesures d’urgence mises en place pour lutter contre l’itinérance. Je crois comprendre que vous avez recommandé au gouvernement fédéral de maintenir ces efforts. Cependant, l’accès aux chambres d’hôtel vacantes ou aux édifices vides n’est pas susceptible d’être le même lors de la reprise économique. En supposant qu’il y ait une volonté politique de conserver les réponses positives à l’itinérance au-delà de la période de la pandémie de COVID-19, comment en envisagez-vous la mise en œuvre s’il est impossible d’avoir accès au même nombre de logements, soit dans des hôtels, des immeubles résidentiels ou des établissements vides? Nous faudra-t-il des infrastructures supplémentaires?

[Traduction]

Dre Stergiopoulos : Je vous remercie de la question. D’abord, il faut préciser que nous avons besoin d’un éventail de solutions de logement pour respecter les préférences de nos patients. Cela dit, nous avons démontré qu’il n’est pas nécessaire d’aménager de nouvelles infrastructures. Enfin, cela est moins nécessaire que nous le pensons. L’étude Chez Soi que nous avons réalisée dans cinq villes au Canada montre que, si nous donnons un supplément de revenu aux personnes itinérantes atteintes d’une maladie mentale grave afin qu’elles puissent payer un loyer économique dans un immeuble de logement privé à loyer économique ainsi que des services de soutien — car la solution ne tient pas uniquement au logement ou au revenu, mais à un logement combiné à un niveau adéquat de soutien —, ces personnes peuvent réussir et prospérer dans la vie. Est-ce que cela nécessite un investissement? Absolument, car, malheureusement, le coût des logements au Canada dépasse les moyens des personnes ayant un handicap psychosocial. Cela va coûter de l’argent au gouvernement. Nous avons trouvé cette ressource pendant la pandémie et comptons lutter pour qu’elle reste disponible après la pandémie.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Étant donné votre réponse, je vais changer l’ordre de mes questions. Je vais poser ma prochaine question à la Dre Zahirney.

Docteure Zahirney, quand vous avez fait votre présentation, vous avez fait allusion à des problèmes de logement inappropriés et inadéquats pour les Canadiens vulnérables, en particulier pour les personnes âgées, les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale et les personnes qui vivent en milieu communautaire ou en milieu institutionnel, comme les détenus et les usagers des services de soins de santé. Étant donné l’importance du logement pour le bien-être d’une personne, ce qui est tout à fait clair dans chacune de vos présentations, vous nous avez indiqué que vous seriez en faveur d’un revenu de base garanti pour remplacer la mosaïque de programmes gouvernementaux existants afin d’assurer l’accès au logement. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

[Traduction]

Dre Zahirney : Nous n’avons pas de politique précise à cet égard, mais si l’on examine l’itinérance du point de vue des politiques publiques, on constate que le problème est pire dans les milieux urbains où le coût des logements est supérieur. Pourtant, le montant des prestations d’aide sociale est le même à la grandeur de la province. Il peut également être plus difficile d’accéder à des services en milieu urbain qu’en milieu rural. Je crois qu’il faut se pencher sur cette question pour toutes les populations vulnérables. Cela dit, je n’ai pas d’autres données là‑dessus.

Au chapitre du logement, notre préoccupation demeure la même. En l’absence d’un supplément de revenu, tous les programmes, quels qu’ils soient, sont inaccessibles aux populations urbaines touchées par le problème de l’itinérance.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Monsieur McGrath, pour ceux qui vivent en marge de la société, la COVID-19 a creusé l’écart entre eux et le mode de vie dominant. Nous savons très bien que les Autochtones sont disproportionnellement pauvres, qu’ils vivent dans des logements surpeuplés et insalubres et qu’ils sont aux prises avec des problèmes d’eau contaminée. La pandémie a amplifié ces nombreux problèmes.

À votre avis, quelles sont les principales différences dans les défis auxquels sont confrontées les familles autochtones qui vivent en milieu urbain par rapport à celles qui vivent dans des réserves?

[Traduction]

M. McGrath : Malheureusement, comme je ne suis pas un expert dans ce domaine, mes observations sont limitées. La réponse varie d’un cas à l’autre. Certaines réserves sont très bien développées. Elles prennent leur propre vie en main, possèdent un bon réseau d’infrastructures et de services de soutien aux particuliers. Ces réserves se portent bien. Elles ont créé une base économique et dirigent leurs écoles et leur système de santé. Les Autochtones qui vivent dans ces réserves se portent bien.

Par contre, dans d’autres réserves, les conditions sont lamentables, pires que dans le tiers monde. Nous savons notamment que, en ce qui a trait aux citoyens autochtones, il faut passer de l’approche condescendante employée dans la Loi sur les Indiens à une approche fondée sur le partenariat.

Beaucoup d’Autochtones travaillent et vivent en milieu urbain, mais beaucoup d’autres vivent dans la rue et connaissent tous les problèmes associés à la pauvreté et à l’absence réelle de possibilités. Il faut que les systèmes tiennent compte des droits des nations autochtones à l’autodétermination. Il faut des solutions de logement adéquates et un supplément de revenu adéquat pour faire en sorte que nul Canadien ne soit traité comme une personne de valeur moindre. Voilà le principal problème selon moi.

Il suffit de regarder l’explosion des 10 derniers jours aux États-Unis. Comme le dit le premier ministre, cela touche chacun de nous au Canada, car le racisme est un grave problème ici aussi et nous devons y remédier. Les problèmes sont multiples et varient d’une communauté à l’autre.

La sénatrice Forest-Niesing : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je remercie les témoins. Ma question s’adresse à la Dre Zahirney et se veut un suivi à la question sur l’accès au logement pour les itinérants que la sénatrice Forest-Niesing a posée.

Nous avons parlé d’un programme de revenu garanti, mais il y a une complexité dans cet enjeu pour ce qui est de faciliter l’accès au logement. Le gouvernement fédéral avait déjà proposé d’injecter environ 40 milliards de dollars sur 10 ans en 2017. Trois ans plus tard, on peut dire que c’est encore tôt. Pensez-vous que cet argent pourrait aider en attendant qu’un programme de revenu garanti fasse l’objet d’une étude?

[Traduction]

Dre Zahirney : Comme pour tout investissement, nous voulons nous assurer que cet argent va directement aux programmes fondés sur des données probantes et est rattaché aux services à l’intention de ces populations vulnérables. Par exemple, nous avons la preuve que le projet Logement d’abord, dont ont parlé les autres témoins, aide à stabiliser les gens. Ce projet, échelonné sur deux ans, a eu de bons résultats au chapitre de la stabilisation de la santé mentale chez 2 000 participants répartis dans cinq villes, en plus de les avoir menés à une situation de logement plus stable. Or, tout projet a une fin. Ainsi, il peut être bénéfique de financer un programme bien précis fondé sur des données probantes. Cela dit, une partie de ce programme consistait à supplémenter le revenu pour faciliter la stabilisation de la situation de logement et accroître l’accès aux soutiens communautaires, comme des équipes de traitement communautaires ou des équipes de gestion de cas intensive.

Il faut à la fois un logement abordable et ce soutien d’équipe.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je me demandais seulement si vous saviez jusqu’où pourrait aller cette initiative. Cette mesure a été adoptée avant la COVID-19. Peut-être que, en raison de la pandémie de COVID-19, on puisera davantage dans cet argent. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler autour de vous. Est‑ce que ce serait suffisant ou non?

[Traduction]

Dre Zahirney : Je n’ai pas les chiffres en ce moment.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci.

Je voudrais revenir sur les outils d’autogestion. Je pense que quelqu’un a déjà posé une question à ce sujet. Avez-vous une idée de la proportion des gens qui se servent de ces outils? Jusqu’ici, aucune étude n’a validé qu’un outil d’autogestion fonctionne mieux qu’un autre. Ceux qui peuvent s’en servir le font et, si cela fonctionne, ils sont bien contents. Avez-vous une idée, compte tenu de la difficulté d’y avoir accès pour ceux qui sont pauvres et de toutes les autres inégalités sociales qui peuvent empêcher leur utilisation, du nombre de personnes qui ont utilisé ces outils jusqu’à présent?

[Traduction]

Dre Zahirney : J’ignore si l’accès à ces programmes a fait l’objet d’une étude. Il existe effectivement des outils d’autogestion antérieurs à la pandémie et qui ont été analysés. Je pense notamment au programme BounceBack de la Colombie-Britannique, à l’égard duquel d’autres provinces tentent de susciter l’intérêt. Toutefois, je ne connais pas les données pour les outils disponibles à l’heure actuelle.

Je conviens qu’il faut des programmes dont l’efficacité a été prouvée par des études. Cela fait partie intégrante du modèle des soins par paliers. Nous accusons un retard à ce chapitre par rapport à d’autres pays. Certes, en Australie, le service national de santé a instauré des programmes dans le cadre d’une approche de gestion des soins par paliers. D’ailleurs, j’ai eu recours à un service australien avant la pandémie. À mon avis, il faut étudier et mettre en œuvre ce modèle. Toutefois, je ne suis au courant d’aucune étude réalisée à ce sujet à ce jour.

La sénatrice Omidvar : Je remercie les témoins. Monsieur McGrath, le comité a pour mandat d’examiner la réponse du gouvernement à la crise de la COVID-19. Pourriez-vous nous aider à examiner cette réponse sous l’angle de la santé mentale et des familles que vous servez? Comment évalueriez-vous la réponse du gouvernement? Va-t-elle trop loin? Pas assez loin? Est-elle parfaite? Ou est-ce qu’aucune de ces réponses ne s’applique?

M. McGrath : La réponse du gouvernement n’est pas formidable, mais elle est satisfaisante. Elle met beaucoup l’accent sur l’autogestion. L’autogestion a sa place. Nous n’avons encore aucune donnée à propos du portail qui a été créé. J’ignore combien de personnes y ont recours.

L’un de nos programmes se trouve sur ce portail. Nous constatons certainement une hausse de la demande. Il reste qu’il s’agit d’un programme d’autogestion. Cela dit, nous n’avons pas suffisamment de données sur le portail pour déterminer s’il fonctionne.

Le problème, c’est que la COVID-19 amplifie tout. Pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale non pas graves, mais considérables, qui perturbent leur vie, l’autogestion ne suffit pas. Voilà le problème.

La sénatrice Omidvar : Docteure Stergiopoulos, vous avez déjà mentionné les facteurs sociaux et économiques qui contribuent à une mauvaise santé mentale ou qui aggravent les problèmes de santé mentale. J’aimerais citer un passage d’une publication de Rochelle Burgess, de l’University College de Londres :

Une femme qui a perdu son emploi et qui ne peut pas nourrir sa famille obtiendra peu de soulagement d’une application de méditation. Les conseils tels que « restez à l’écart des médias sociaux » feront peu pour dissiper l’anxiété d’un jeune homme noir qui craint constamment que les gardes de sécurité l’expulsent des magasins parce qu’il a le visage couvert ou qui craint de subir de mauvais traitements [...]

J’ajouterais aux propos de M. McGrath que, même si l’on vous conseille de consulter un psychiatre ou un psychologue, il est fort probable que vous n’en ayez pas les moyens.

Selon vous, quel est le meilleur moyen d’aider les communautés marginalisées au chapitre de la santé mentale et quelle est la meilleure façon, pour le gouvernement, d’appuyer ces initiatives?

Dre Stergiopoulos : Ma réponse aura deux volets. Premièrement, que faisons-nous durant la crise actuelle et que devons-nous mettre en place afin que les personnes qui doivent composer avec des désavantages considérables et de diverses sources puissent avoir un meilleur accès aux soins et aux mesures de soutien? En ce qui concerne la crise actuelle, des communautés de différents milieux se sont mobilisées pour mettre en place des moyens afin de soutenir les personnes vulnérables, que ce soit pour créer des mesures d’appui ou des possibilités axées sur le renforcement des capacités pour les spécialistes qui œuvrent sur le terrain. Que ce soit pour les spécialistes dans le cadre de leur travail ou pour les déficiences intellectuelles ou développementales, il existe des programmes conçus pour acquérir les compétences nécessaires pour gérer la COVID et pour contribuer à soutenir la population durant la pandémie. Voilà un exemple. En outre, je sais qu’un autre programme a été conçu pour renforcer les capacités qui touchent la gestion des autres populations défavorisées au sein des communautés autochtones.

C’est le premier volet de ma réponse à la question. Maintenant, que devons-nous faire? Renforcer les capacités; aider nos soignants à donner le meilleur d’eux-mêmes dans les circonstances actuelles; et améliorer l’accès à des mesures de soutien coordonnées et exhaustives par l’entremise des points d’accès centralisés, ce que l’on appelle un accès à guichet unique. C’est ce que nous avons essayé de faire, très certainement dans la région de Toronto, et c’est aussi ce que l’Ontario essaie d’accomplir. Malheureusement, je ne suis pas au courant de ce qui se fait dans les autres régions du pays ni de la manière dont les différentes étapes du modèle de soins par paliers sont mises en œuvre pour venir en aide aux personnes vulnérables.

Outre ces efforts que nous déployons à l’heure actuelle, j’aimerais vous parler de mon expérience. Je continue de travailler dans un refuge. Nous avons instauré des foyers de groupe et des refuges dans chacune des régions géographiques. Les hôpitaux et les fournisseurs qui ont plus de ressources apportent leur contribution dans ces lieux pour appuyer les populations vulnérables.

Voilà le volet de ma réponse à propos de la crise. Cependant, pour ce qui est du long terme — comme chacun d’entre nous l’a exprimé —, les investissements dans les projets de revenu adéquat — peu importe la forme —, le logement adéquat et l’accès adéquat aux mesures de soutien communautaires fondées sur des données probantes seront très utiles. D’ici à ce que les personnes atteintes de maladie mentale aient accès à des logements adéquats et d’ici à ce que nos unités de psychiatries bénéficient des ressources dont elles ont besoin, nous n’arriverons pas à régler ces problèmes.

La sénatrice Omidvar : Docteure, j’aimerais poursuivre sur le même sujet. Vous avez mentionné quelques programmes. Je sais que les programmes diffèrent les uns des autres, qu’ils n’offrent pas tous le même degré d’accessibilité et que leur valeur varie d’une région à l’autre. Souhaiteriez-vous que le gouvernement fédéral adopte une approche plus universelle en élaborant des normes nationales ainsi qu’un cadre pour la prestation des services en matière de santé mentale auprès des communautés marginalisées au Canada, pas seulement dans les milieux qui ont la chance d’avoir une lueur d’espoir?

Dre Stergiopoulos : Absolument. C’est une lacune. Certaines des provinces ont créé des entités ou des organisations provinciales qui visent à établir et à appuyer la mise en œuvre de telles normes, mais ce travail ne se fait pas de façon homogène. Mettre en place un organisme national dont le mandat serait d’encadrer les normes et la qualité des services en matière de santé mentale est une priorité.

La sénatrice Omidvar : Pourriez-vous nous fournir des données sur ce qu’il faudrait ajouter sur notre liste d’épicerie pour lancer une telle initiative à l’échelle nationale?

Dre Stergiopoulos : Absolument. C’est quelque chose que certains de mes collègues du Québec et de la Colombie-Britannique et moi avons déjà suggéré au gouvernement fédéral, année après année.

La sénatrice Omidvar : Si je dispose de plus de temps de parole, je poserai ma troisième question. Sinon, j’attendrai patiemment à la seconde ronde de questions.

La présidente : Oui, vous avez épuisé votre temps de parole, mais je crois bien que nous aurons la possibilité de passer à une seconde ronde de questions. J’ajoute votre nom à la liste.

Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins pour leur présence.

Je crois que nous sommes tous d’accord sur le fait que la demande pour les services de santé mentale a augmenté. Je sais qu’ici, à Terre-Neuve-et-Labrador, nous avons connu une augmentation des problèmes de violence conjugale. Nous nous dirigeons vers des pertes massives d’emplois dans notre industrie pétrolière et gazière, selon ce qui a été annoncé ces derniers jours.

Est-ce que l’un de vos groupes a eu recours à l’enveloppe de 240 millions de dollars qui a été annoncée par le gouvernement dans le but de mettre en œuvre des programmes pour sensibiliser le public et promouvoir les services disponibles? À la lumière des requêtes acheminées à mon bureau, je sais que des gens, surtout dans les petites régions rurales, ne sont pas bien informés de l’existence des services offerts, que ce soit en ligne ou en personne. Est-ce que des mesures ont été mises en place pour promouvoir les services et informer le public sur ce qui est offert? Merci.

Dre Stergiopoulos : Je peux commencer. J’ai certainement fait cette démarche au Centre de toxicomanie et de santé mentale. Nous avons consacré beaucoup de temps et une grande partie de nos propres ressources afin de créer un site Web complet pour le grand public sur lequel on retrouve les outils et l’information sur la manière d’accéder aux mesures de soutien, et aussi pour les professionnels de la santé, et, finalement, un portail d’accès pour les personnes qui nécessitent plus que des ressources d’auto-assistance, mais qui ont concrètement besoin de soins.

Nous avons entrepris d’élargir la coordination de l’accès aux soins à l’échelle de la région, et au-delà, en collaborant avec nos partenaires provinciaux afin de faire en sorte que, peu importe où dans la province, les personnes puissent bénéficier d’un accès à un guichet unique homogène et sans recommandation, et qu’elles puissent être aiguillées vers les mesures de soutien dont elles ont réellement besoin, le plus près possible de leur domicile, en personne ou virtuellement. C’est ce que nous avons accompli au Centre de toxicomanie et de santé mentale. C’est avec plaisir que nous pourrions transmettre quelque information que ce soit au reste du Canada, au besoin.

M. McGrath : Du point de vue de L’Institut des familles solides, Terre-Neuve-et-Labrador et notre organisation entretiennent une relation très fructueuse depuis longtemps. De nombreuses familles de tous les horizons ont eu recours aux services de notre institut au fil des années dans cette province. Le gouvernement a été très efficace pour promouvoir notre institut.

En tant qu’organisation, nous ne faisons pas nous-mêmes la promotion de nos efforts, mais nous nous en remettons à notre contrat avec la province, et nous collaborons de très près avec les responsables provinciaux.

Le sénateur Manning : Monsieur McGrath, en ce qui concerne l’annonce du gouvernement fédéral en mars dernier — et je sais qu’à l’heure actuelle, des gens travaillent à partir de la maison, ce qui augmente l’anxiété des parents et des enfants —, votre organisation a-t-elle développé un programme pour inciter les enfants et les jeunes à recourir à vos services? Y a-t-il un programme qui en fait la promotion?

M. McGrath : En fait, nous offrons les programmes de L’Institut des familles solides à Terre-Neuve et ailleurs. Par exemple, le programme visant l’anxiété permet de travailler directement avec les enfants et les jeunes ainsi qu’avec leurs parents, s’il y a lieu, selon l’âge du client. Nous avons constaté une hausse marquée de la demande. Plus de fonds ont été débloqués selon les modalités des différentes ententes provinciales.

Je peux donc dire que nous avons de tels programmes. Toutefois, je suis certain que nous ne répondons pas pleinement aux besoins. Beaucoup de gens ne connaissent tout simplement pas ces outils. Les gouvernements provinciaux ont la responsabilité, comme la santé relève principalement d’eux, de faire connaître ces services et d’en assurer l’accessibilité. Cela dit, nous nous trouvons à Terre-Neuve et nous travaillons très étroitement avec le gouvernement provincial sur ce dossier.

Le sénateur Manning : Ma dernière question s’adresse à la Dre Zahirney. Je m’interroge sur la hausse des signalements de cas de violence contre un partenaire intime. Pouvez-vous nous donner une idée du pourcentage de la hausse et des inquiétudes qui ont été soulevées? Je sais qu’ici, à Terre-Neuve-et-Labrador, des médias locaux font des reportages sur le sujet. On observe des hausses marquées. Pouvez-vous nous donner une idée de la situation à l’échelle du pays?

Dre Zahirney : Je n’ai pas de données précises sur la situation au pays, mais il ne fait aucun doute que les reportages des médias indiquent une augmentation des appels aux lignes d’assistance. Parmi les conditions qui exacerbent le problème, il y a la hausse concomitante de la toxicomanie, qui est un autre facteur de risque d’accroissement de la violence. Vous avez aussi parlé d’autres pertes de nature psychosociale, comme les pertes d’emplois.

Les Nations unies offrent de meilleures données. Dans une déclaration publiée en mars, l’organisation s’est dite grandement préoccupée par une hausse généralisée des cas de violence contre un partenaire intime à la suite de la crise de la COVID-19. Plusieurs pays mènent des études sur cette hausse, mais je n’ai aucune donnée précise pour le Canada. Ces remarques relèvent plutôt de l’observation.

Le sénateur Manning : Merci aux témoins.

La sénatrice Seidman : Merci infiniment aux témoins. Ils détiennent de précieuses connaissances sur ce domaine très important de la santé mentale. J’aimerais poser une question à vous tous et obtenir une réponse de chacun d’entre vous, si le temps le permet.

En ces temps de pandémie historiques, nous vivons toutes sortes d’expériences dans les conditions naturelles aux quatre coins du pays. Nous avons certainement l’occasion de tirer de nombreuses leçons sur notre capacité d’intervention et sur les types de besoins exprimés. Votre organisme participe-t-il à des projets de recherche concertée sur les répercussions de la COVID-19? Le gouvernement fournit-il des ressources pour ce type de recherche?

Merci. Nous pourrions commencer par la Dre Stergiopoulos, si elle le veut bien.

Dre Stergiopoulos : Je vous remercie de cette question. Pendant la pandémie de COVID-19 et la suspension de tous les travaux de recherche, nous avons pris la décision, conformément aux directives provenant de la province — c’est-à-dire de Santé publique Ontario — de continuer les études. En plus de permettre la recherche essentielle sur la COVID-19, nous avons aussi autorisé les travaux pouvant être réalisés virtuellement, sans mettre en danger le personnel, les clients ou les participants.

Pendant la pandémie, nous ne ménageons aucun effort pour continuer les travaux. Nous préparons et soumettons des demandes de subvention afin d’étudier les besoins de la population, soit ceux des fournisseurs de soins, des patients et des collectivités, et d’évaluer les ressources offertes actuellement. Nos efforts ont porté fruit : nous avons reçu un certain nombre de subventions octroyées selon l’évaluation par les pairs, par l’entremise du ministère de la Santé et des Instituts de recherche en santé du Canada. Nous pensons recevoir d’autres réponses à nos demandes de subvention d’ici une semaine environ.

Le Centre de toxicomanie et de santé mentale réalise en ce moment plusieurs études. Comme vous l’avez souligné, nous menons notamment un sondage pour évaluer en temps réel, périodiquement, les besoins en santé mentale de la population.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup.

M. McGrath : À l’instar d’autres organismes, tous les travaux de recherche de mon équipe se consacrent aux interventions à distance. Même si nous avons eu quelques difficultés, nous sommes parvenus à continuer tous nos travaux de recherche. Nous menons des essais sur des échantillons aléatoires de différents segments de la population, dont un sur les enfants ayant des troubles neurodéveloppementaux et des problèmes de santé mentale. Cet essai, financé par les Instituts de recherche en santé du Canada, ou les IRSC, recueille des données en ce moment même.

Une autre étude porte sur les aidants naturels des personnes ayant une lésion cérébrale acquise. Elle est financée par la province de la Nouvelle-Écosse. Elle vient tout juste d’obtenir l’approbation éthique finale et devrait être lancée au cours des deux prochaines semaines.

Nous nous penchons aussi sur des interventions en cas de trouble de stress post-traumatique dans deux segments de la population. Ces essais ont reçu l’approbation éthique, et la formation est en cours.

Nous avons présenté des demandes aux IRSC et nous avons obtenu des fonds rapidement. L’octroi de la deuxième ronde de subventions a été retardé d’une semaine ou deux. Elles devraient être disponibles dans les prochains jours.

Pour ce qui est des centres de recherche, des équipes ont été très durement touchées ou ne pouvaient pas se passer d’interactions en face à face. Un grand nombre de ces centres ont été fermés. Ils commencent maintenant à reprendre leurs activités.

À mon avis, le besoin d’évaluations rigoureuses et d’essais sur les interventions sera toujours important. Il faut continuer à financer les IRSC et les groupes associés pour avoir les bons outils afin de distinguer l’information qui est fondée sur des données probantes et poursuivre les évaluations. On ne devrait jamais cesser d’évaluer les interventions simplement parce que l’essai est terminé. L’ensemble de nos services devrait être soumis à une évaluation continue.

Dre Zahirney : En tant qu’association médicale, nous ne menons pas d’essais. Toutefois, plusieurs de nos membres se consacrent davantage en ce moment à l’étude documentaire. Nous avons rédigé un document avant la pandémie, qui est en cours d’impression et qui devrait être publié bientôt, sur la violence contre un partenaire intime. Il s’agit de lignes directrices sur la pratique qui ne tiennent pas compte de la période de pandémie. Nous nous sommes concentrés sur les meilleures pratiques tirées des données d’autres pays. Comme je l’ai dit, nous ne faisons pas d’étude primaire.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup.

La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins de nous faire profiter de leur savoir aujourd’hui. Ma question s’adresse aux trois témoins.

J’aimerais revenir sur l’investissement fédéral de 240 millions de dollars dans l’élaboration, l’élargissement et le lancement d’outils en matière de santé mentale pour créer des plateformes et des applications qui améliorent de façon générale l’accès. Pouvez-vous nous donner une idée des intervenants qui ont été consultés dans le cadre de cette décision d’investissement? Docteure Zahirney, votre organisation, l’Association des psychiatres du Canada, a-t-elle été consultée?

À votre connaissance, quelles lignes directrices ont été appliquées au versement de ces fonds? Je pense à la compréhension des données pertinentes sur l’efficacité et les résultats des outils qui peuvent être élaborés ou utilisés.

Selon vous, effectuons-nous un suivi suffisant de l’accès aux outils et des résultats? Quelles connaissances pourrons-nous tirer de cette expérience?

Dre Zahirney : En ce qui concerne les 240 millions de dollars, parle-t-on de l’Inforoute Santé du Canada?

La sénatrice Moodie : Je crois qu’il s’agit plutôt de l’investissement annoncé le 2 mai. Le gouvernement a débloqué des fonds pour notamment créer et élargir des plateformes et des applications numériques.

Dre Zahirney : Nous n’avons pas été consultés sur cette question en particulier. Cela dit, nous sommes d’accord. Nous avons déjà présenté des recommandations au gouvernement sur l’importance d’avoir des normes nationales, d’effectuer un suivi des résultats et de savoir où va l’argent, soit dans des programmes fondés sur des données probantes et qui respectent ces normes.

Par ailleurs, nous craignons de ne pas avoir de résultats cliniques. Par exemple, saurons-nous si les personnes qui font appel à ces programmes en tirent des avantages au lieu de se concentrer sur les données administratives, comme l’ont souvent fait les indicateurs généraux au provincial ou au fédéral? Il s’agit de s’attarder aux effets sur le terrain. C’est l’une de nos principales recommandations au sujet des normes nationales.

M. McGrath : Nous n’avons pas été consultés. J’ignore ce qui a mené à cette décision. Une partie du problème réside dans le fait que ces mesures ont été mises au point rapidement. Parfois, la rapidité ne permet pas de prévoir les meilleurs mécanismes.

Un mécanisme pour la recherche en santé existe au Canada par l’entremise des IRSC. Même si je ne suis pas toujours heureux de leurs conclusions et même si j’ai souvent essuyé des refus de leur part, ce qui ne les a pas empêchés de m’accorder des fonds importants, j’aimerais que ce mécanisme s’applique à la recherche, particulièrement à celle qui mène à la pratique.

Une reddition des comptes est nécessaire. J’espère que votre comité parviendra à demander des comptes pour déterminer ce qui se passe sur le terrain et faire en sorte, comme le disait la Dre Zahirney, que ces services sont accessibles aux personnes qui en ont besoin et que les résultats ont un intérêt clinique. Merci.

Dre Stergiopoulos : À ce que je sache, nous n’avons pas été consultés au sujet de cet investissement. Je ne connais pas les détails de l’investissement ni son objectif.

Cela dit, au cours des 10 dernières années, grâce à un soutien philanthropique, nous avons élaboré des normes sur les soins virtuels et la formation sur ces soins. C’est pourquoi nous avons pu étendre et multiplier nos services et augmenter l’accès aux soins virtuels en deux mois. Ces services sont maintenant 850 fois plus accessibles.

Je suis tout à fait d’accord qu’il faut assurer un suivi de l’accès aux services et des résultats concrets pour les personnes qui les utilisent. Je tiens à mentionner que cette situation souligne également les lacunes concernant la qualité des services de santé mentale, le peu de soins fondés sur des mesures et le manque d’études sur les résultats — je pense aux résultats cliniques, mais aussi aux résultats fonctionnels dans la vraie vie — pour les personnes atteintes de maladies mentales. Si nous devions aller dans cette direction et recueillir systématiquement des données après chaque rencontre clinique, ce serait une bonne nouvelle.

La sénatrice Moodie : Par ailleurs, il y a les difficultés que l’on connaît concernant l’accès aux soins virtuels et leur utilisation.

Il existe un autre moyen qui a été mis à la disposition des cliniciens pour améliorer l’accès : il s’agit du téléphone. À quel point utilise-t-on ce mode pour la prestation des soins à l’heure actuelle? Pouvez-vous nous dire si ce mode de fonctionnement est efficace pour vos patients? Est-ce qu’on s’en sert? Avez-vous constaté une hausse du taux d’adoption des soins par téléphone?

M. McGrath : Je peux peut-être répondre à la question. La plupart des services de L’Institut des familles solides sont offerts par téléphone. En fait, c’est le cas pour tous les services à l’heure actuelle. Pour certains services en cours d’élaboration, nous utiliserons le mode vidéo. L’important, c’est de ne pas laisser la technologie guider ce que nous faisons : il faut offrir les soins qui sont nécessaires. Les téléphones existent depuis des centaines d’années. Ils sont très fiables la plupart du temps, bien que mon cellulaire me lâche parfois. La plus grande partie de notre travail est effectué par téléphone.

Selon moi, il faut envisager ce qui est approprié pour la situation et non la technologie la plus clinquante. Les téléphones devraient donc toujours avoir une place importante.

Dre Stergiopoulos : Je peux ajouter un commentaire, car j’utilise moi-même le téléphone pour intervenir auprès de personnes qui n’ont pas accès à d’autres moyens de communication virtuels ou à Internet. En vérité, certains préfèrent le téléphone à d’autres modes virtuels de prestation de soins.

J’ai l’impression que, pour les patients avec lesquels j’ai une bonne relation et que je connais depuis un certain temps, depuis au moins quelques mois, le téléphone ne pose pas problème. Je crois que les soins peuvent être prodigués de manière positive et s’avérer une expérience positive. C’est du moins ce que me disent les patients.

Pour être franche, il peut être assez difficile de mener par téléphone une séance d’évaluation initiale avec un patient souffrant d’une maladie mentale grave. Le téléphone présente des limites lorsque l’on ne connaît pas le patient et que celui-ci est très malade.

Dre Zahirney : Au Québec, on a fait la transition lorsque la plupart des praticiens sont passés aux suivis par téléphone pour les patients connus, en partie pour éviter d’encombrer la bande passante et de réserver les séances sur Zoom pour les évaluations de nouveaux patients. D’après ce que j’ai entendu dire, c’est ainsi que l’on procède un peu partout au Canada.

La présidente : Merci. J’aimerais vous poser une question précise, docteure Zahirney.

Je suis moi aussi du Québec. Les enfants et les jeunes du Québec ne vont plus à l’école depuis trois mois. Je pense aux enfants qui ont des limitations ou des troubles neurologiques du développement et aux répercussions que cela aura sur leur vie. Je sais que beaucoup de pédiatres ont parlé des conséquences qu’entraîne pour les enfants le fait de ne pas fréquenter l’école et de ne pas recevoir les soins spécialisés dont ils ont besoin pour se développer de manière optimale.

Est-ce que votre organisme a un point de vue là-dessus? Êtes‑vous inquiet, comme des pédiatres disent commencer à l’être, des répercussions que subiront les enfants s’ils ne reçoivent pas de nouveau les services dont ils ont besoin?

Dre Zahirney : Assurément, l’Association des psychiatres du Canada s’inquiète aussi de la longue période d’isolation qui se prolonge à certains endroits. Comme je l’ai dit, je pratique à Montréal. Nous en sommes au deuxième mois et les gens sont fatigués. Les parents sont fatigués et, comme vous le dites, les enfants sont privés des liens et de la structure qui leur sont nécessaires. Le problème est encore plus aigu pour la population d’enfants atteints d’un trouble du développement ou d’un autre type de trouble.

Les données dont nous disposons proviennent du National Health Service, qui a exprimé une vive inquiétude concernant les méfaits de l’isolation, exactement comme vous l’évoquez, et les placements scolaires protégés pour des enfants qui pourraient y recevoir un repas ou de la stimulation sociale. Certains parents pourraient ne pas être en mesure d’offrir cela et certains foyers pourraient ne pas être sécuritaires, comme pour les cas de violence infligée par un partenaire intime que j’ai mentionnés. On a constaté ce genre de choses au cours de périodes prolongées d’isolation ou lors d’événements traumatisants.

Nous sommes profondément inquiets. Il s’agit de problèmes qui sont abordés surtout au niveau des associations provinciales de psychiatres. Je sais que l’Association des médecins-psychiatres du Québec s’est activement occupée de la question. L’équilibre entre les risques d’une période d’isolation prolongée et ses effets sur les parents et les enfants nous préoccupent profondément.

La présidente : Merci. Nous allons poursuivre cette conversation cet après-midi. Nous recevons un groupe de spécialistes de la jeunesse et de l’enfance.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai deux questions qui s’adressent à M. McGrath. Voici ma première question : après votre présentation, vous avez mentionné que les psychiatres choisissent leurs patients de manière discriminatoire et qu’ils privilégient ceux qui ont des problèmes moins graves et qui sont mieux nantis; pourquoi est-ce ainsi et quelles sont les solutions? Est-ce au gouvernement de régler ce problème, qui relèverait selon moi d’un ordre professionnel?

[Traduction]

M. McGrath : Les données portent sur la pratique privée de la psychiatrie. Je sais que mes collègues des hôpitaux psychiatriques et des établissements de soins de santé mentale traitent tout le monde et tout l’éventail des troubles.

Lorsque les soins psychiatriques sont payés par le gouvernement parce qu’ils sont couverts par le régime public de soins de santé, je crois qu’il faut faire preuve de responsabilité envers le Trésor public et traiter ceux qui en ont le plus besoin. Malheureusement, il semble que les choses ne se passent pas comme elles devraient se passer. J’admets qu’il est très difficile de corriger la situation. Généralement, les professionnels font valoir qu’ils exercent leur jugement clinique et que, selon eux, ces gens ont besoin d’aide, alors que si on considère la situation d’un point de vue épidémiologique, les gens qui ont le plus besoin d’aide en sont souvent privés.

Cela ne se produit pas seulement en psychiatrie, mais aussi dans d’autres professions, comme la mienne, en psychologie. Il est assez aisé d’obtenir des services psychologiques en pratique privée, parce qu’il faut payer pour les obtenir. Si on occupe un emploi offrant un régime solide de santé mentale — ce qui est une bonne idée —, on peut obtenir des services. Mais si on dépend de l’aide sociale ou si on travaille à faible salaire, sans avantages sociaux de la sorte, il est très difficile d’accéder à ces services.

Je crois qu’il y a lieu de se demander si les gens qui sont payés par l’État ont l’obligation de traiter ceux qui en ont le plus besoin. Il s’agit là d’une décision politique, qui serait vivement contestée par les professions qui attachent un grand prix à leur pouvoir de décision. Selon moi, il faut établir un juste équilibre entre les besoins des professions de prendre leurs propres décisions et les besoins du grand public.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai une dernière question, très rapidement. Vous savez, monsieur McGrath, il y a eu des milliers de morts dans des résidences pour personnes âgées, particulièrement au Québec. On dit qu’elles ont manqué de soins et d’attention, et le gouvernement était bien conscient qu’elles manquaient tout autant de soins avant la COVID-19. À votre avis, quels sont les éléments, par rapport à ce qui s’est passé chez les personnes âgées, qui vous incitent à parler de racisme dans les communautés dont vous nous avez parlé auparavant?

[Traduction]

M. McGrath : Je possède une expertise concernant les aînés simplement parce que je suis moi-même une personne âgée. Je suis pédopsychologue de formation. Les gens que nous dévalorisons ne se voient pas accorder le même accès. La COVID est venue accentuer ces disparités. Les écarts de richesses se creusent au Canada, pas aussi rapidement qu’ailleurs, certes, mais les disparités sur le plan de la richesse et de l’accès aux soins s’accroissent. Si nous croyons à une société où tous ont accès en fonction de leurs besoins, il incombe au gouvernement de mettre en place des mécanismes à cet effet.

Ce n’est pas une chose facile à réaliser, par contre, car il y a toujours des conséquences imprévues. Lorsque l’assurance-maladie est entrée en vigueur, des efforts ont été déployés pour que l’accès soit égal dans l’ensemble du système. Nous avons accompli des avancées considérables, mais le système connaît des problèmes persistants et il nous faut continuellement apporter des ajustements afin de l’améliorer.

La présidente : Dre Stergiopoulos a levé la main. Voulez-vous ajouter quelque chose?

Dre Stergiopoulos : J’ai levé la main pour répondre à une question précédente.

Au sujet des soins de longue durée, je peux affirmer d’expérience — parce que je tente de trouver la meilleure solution pour appuyer le secteur en Ontario — que ce secteur n’a pas toute l’infrastructure nécessaire pour gérer adéquatement une infection, qu’il n’a pas les connaissances de base en matière de prévention et de contrôle des infections et que son personnel est mal formé et mal supervisé. Selon moi, tous les gouvernements provinciaux devront faire des investissements considérables et substantiels afin de modifier la manière dont les soins sont offerts dans les établissements de soins de longue durée.

La sénatrice Bovey : Je tiens à remercier tous les témoins. Cette discussion est très importante. Docteure Zahirney, j’aimerais vous poser une question sur l’accès aux soins de santé mentale dans la région arctique et dans les collectivités du Nord. Nous voyons des situations critiques s’aggraver en raison de l’isolement lié à la COVID dans des maisons surpeuplées qui vient s’ajouter à l’isolement géographique continu des collectivités. Les organismes de santé étaient surchargés avant la COVID. Nous sommes maintenant témoins d’une augmentation des cas de violence partout dans la région arctique depuis le début de la pandémie. Naturellement, les soins virtuels ne sont pas possibles ou fiables dans bien des régions du Nord ou des régions rurales du pays.

Dre Zahirney : Nous nous préoccupons aussi au sujet des communautés les plus au Nord. L’Université McGill a aussi des équipes qui se rendent dans le Grand Nord. On a eu recours à la télésanté dans une certaine mesure, mais, comme vous le soulignez, cela exige l'Internet haute vitesse, un domicile sécuritaire et un endroit privé où il est possible de parler.

Il y a plus de psychiatres qui se rendent individuellement, mais il y a aussi la question de la prestation de soins en équipe. Souvent, les personnes qui vivent dans les collectivités du Nord s’épuisent rapidement en raison de la demande et des besoins, qui sont très intenses. On peut envoyer des psychiatres et des médecins par avion et les loger, mais on n’envoie pas toujours l’équipe tout entière. Il y a divers modèles que nous devrions envisager. Comment pouvons-nous adapter notre approche afin d’offrir des soins meilleurs et plus équitables aux collectivités du Nord?

La sénatrice Bovey : Je sais qu’il s’agit d’un problème très sérieux qui a été soulevé à maintes reprises dans le cadre de mon travail des derniers mois. Il me tarde que nous trouvions tous des solutions.

Monsieur McGrath, dans vos travaux de recherches, avez-vous étudié les collectivités du Nord et de la région arctique?

M. McGrath : Oui. Nous venons de conclure un contrat avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, qui est financé en partie par Bell Cause pour la cause et la compagnie de téléphone du territoire pour fournir ces services dans le Nord et dans cette région. Nous ne faisons que commencer. Bien sûr, comme la Dre Zahirney l’a mentionné, certaines conditions sont nécessaires, mais elles ne sont pas toujours réunies.

L’Institut des familles solides est désormais présent dans les Territoires du Nord-Ouest et il continue à renforcer sa présence.

Il faut aussi être sensible aux réalités culturelles du Nord et comprendre ses systèmes — les systèmes familiaux et culturels. Ainsi, nous tentons effectivement de répondre à ces besoins.

La sénatrice Bovey : Dans certains des cas de violence familiale dont j’ai entendu parler, je crois comprendre que la GRC a mis du temps à intervenir ou elle n’est pas intervenue du tout. Dans le cadre de votre travail, l’un de vous est-il entré en contact avec la GRC dans l’un de ces cas?

La présidente : Quelqu’un peut-il répondre à la question?

Dre Zahirney : Non, pas directement. Notre association n’est pas un fournisseur de services, mais nous sommes certainement préoccupés par l’augmentation de la violence contre un partenaire intime.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je veux revenir sur cette question d’accès inéquitable à la psychiatrie en tant que service public. Ma question s’adresse à la Dre Zahirney, et j’aimerais qu’elle me parle en particulier de la situation au Québec.

Comme vous l’avez entendu plus tôt, M. McGrath a dit que les plus vulnérables et les moins fortunés n’ont pas un accès prioritaire à ces services qui, pourtant, sont payés par les deniers publics, ce qui les met dans une situation très difficile. Que faites-vous, à titre d’association représentant des psychiatres, pour vous assurer d’offrir un accès plus équitable à vos services? Je comprends bien qu’il manque de psychiatres et que l’idéal serait d’en embaucher davantage. Toutefois, à défaut d’en avoir plus, est-ce que vous ne devriez pas, comme professionnels, privilégier ceux qui n’ont pas les moyens d’avoir recours à des services privés?

[Traduction]

Dre Zahirney : Je le répète, notre association joue un rôle à l’échelon fédéral, de toute évidence, mais ce sont les associations provinciales qui négocient avec le gouvernement. Nous partageons les préoccupations entourant l’accès aux psychiatres. Nous avons la responsabilité d’améliorer l’accès aux soins pour la population et pour les plus vulnérables, et le principe d’accès équitable à ces soins est l’un des plus importants. Les médecins doivent examiner attentivement cette question.

Avant la pandémie, notre conseil d’administration a discuté à maintes reprises de cette question. Nous disposons d’un comité chargé de définir et d’élaborer des lignes directrices sur les pratiques exemplaires pour les psychiatres au Canada concernant nos recommandations sur le rôle des psychiatres dans le système. Nous y travaillons.

Je conviens que, si on examine nos recommandations, on constate que nous recommandons fortement les soins dispensés en équipe pour que les provinces aient accès aux services. Il s’agit de soins qui ne sont pas intégrés au sein d’un système de santé. Ainsi, nous mettons l’accent sur le système pour que les psychiatres travaillent avec une équipe multidisciplinaire. Nous ne pouvons pas accroître notre effectif automatiquement ou comme par magie, mais nous pouvons améliorer notre efficacité en créant des équipes qui partagent leurs connaissances des patients et les soins qu’ils leur prodiguent, et améliorer l’accès aux soins pour que les psychiatres assument une partie des responsabilités, mais que ces dernières soient partagées avec l’équipe.

Je crois fermement qu’il faut améliorer l’accès aux soins. Dans le cadre de la préparation des négociations avec le gouvernement, nous avons discuté avec les associations provinciales de psychiatres pour déterminer les pratiques que nous prônerions. Dans les différentes provinces, il est nécessaire de négocier avec le gouvernement en ce qui concerne les grilles tarifaires. Nous conseillons d’utiliser les grilles tarifaires qui font la promotion des pratiques exemplaires et de la prestation de soins à ceux qui en ont le plus besoin. Nous sommes une association, alors ce n’est pas nous qui sommes engagés dans ces négociations.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je crois que la Dre Stergiopoulos voulait ajouter quelque chose. Je vous en prie, allez-y, car cette question d’accès me tient beaucoup à cœur.

[Traduction]

Dre Stergiopoulos : Il est important de tirer des leçons de ce qui s’est passé dans les domaines de la médecine et de la chirurgie et de la réussite des programmes comme ceux des caméras Web pour les chirurgies de la cataracte et les chirurgies de la hanche et du genou. Il a fallu deux éléments essentiels pour améliorer l’accès aux services et diminuer le temps d’attente. Primo, il a fallu mesurer les temps d’attente et suivre leur évolution. Secundo, il a fallu mettre en place des points d’accès centralisés afin qu’ils puissent traiter toutes les demandes de suivi en vue d’avoir des données exactes pour prioriser les demandes de suivi et les répartir dans une région géographique. Cette mesure n’a jamais été mise en œuvre en santé mentale, et je crois qu’il est grand temps que l’on mesure les temps d’attente pour les différents types de services de santé mentale et que l’on mette en place des points d’accès centralisés.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur McGrath, docteure Zahirney, croyez-vous que centraliser les demandes afin d’être dirigé vers les personnes qui en ont le plus besoin constitue une solution?

M. McGrath : Selon moi, il n’existe pas de solution unique. Il faut comprendre que l’état des services de santé mentale et de l’accès à ces services reflète la valeur que l’on accorde à différents groupes dans la société. Ces changements seront utiles si on les apporte correctement, mais ils ne constitueront pas une solution universelle.

Nous devons nous demander quel est notre objectif et comment nous pouvons l’atteindre. Si notre objectif est d’améliorer l’accès, il faut donc augmenter le nombre de services offerts parce qu’il n’y a tout simplement pas assez de psychiatres et de psychologues pour ce faire. Nous devons réfléchir à la grille tarifaire et au fait que cette dernière favorisera un accès approprié. L’Association des psychiatres du Canada et la Société canadienne de psychologie sont très favorables à l’amélioration de l’accès aux soins.

Il n’existe pas de solution unique. Le suivi centralisé des temps d’attente est une bonne idée, mais qu’en est-il des personnes qui ne sont jamais inscrites sur les listes d’attente parce qu’elles n’ont pas de médecin de famille? Qu’en est-il des gens qui ne s’inscrivent pas sur les listes d’attente parce qu’ils estiment que les services ne leur conviendront pas ou qu’ils ne se sentent pas à l’aise d’aller à l’hôpital ou dans une clinique? Il faut adopter une vue d’ensemble à ce chapitre, surveiller ces problèmes et prendre toutes sortes de mesures pour tenter d’améliorer l’accès.

Dre Stergiopoulos : Diverses provinces ont mis en place des points d’accès centralisés. Des données fiables indiquent assurément que cette mesure pourrait faciliter l’accès, particulièrement pour ceux qui ont un médecin de famille et là où la circulation des patients et de l’information est coordonnée et intégrée dans le système. Bien sûr, le Québec a mis en place cette mesure. Je travaille dans l’un des points d’accès centralisés.

Je le répète, ce n’est pas une solution parfaite. Selon moi, il faut notamment promouvoir la centralisation de l’accès et l’intégration des services. Il faut aussi assurer une coordination, qui doit être axée sur les réalités, les services et les ressources locales.

La présidente : Merci de cette observation. Elle est très utile.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci aux témoins. Ma question s’adresse à tous. L’impact de la COVID-19 sur la santé mentale de nombreux individus est bien évident, mais c’est aussi le cas de celle des collectivités. Certains affirment qu’il existe maintenant un traumatisme collectif associé à la pandémie.

Je m’intéresse particulièrement à l’impact de cette pandémie sur la santé des communautés en milieu rural. On assiste actuellement à des changements de comportement importants entre les individus des petites collectivités dans les lieux publics. Les gens se parlent moins, se regardent moins, sont plus nerveux et sont moins confiants. Dans les milieux de travail, cela devient de plus en plus évident, notamment dans les hôpitaux et dans les résidences pour personnes âgées. Comment pourra-t-on rétablir la confiance nécessaire pour assurer la santé de nos villages et de nos villes? Les organismes culturels et artistiques qui œuvrent dans ces milieux se demandent quelle stratégie ils devront adopter pour que la population revienne s’asseoir dans les salles.

Bien que les villes et la santé soient surtout des champs de compétence des provinces et des territoires, comment le gouvernement fédéral peut-il aider à mesurer l’impact à court, moyen et long terme de la COVID-19 sur la santé des collectivités rurales? Comment le gouvernement fédéral peut-il aider les provinces, les municipalités et les associations à mettre en place des mesures collectives, des programmes et des activités qui permettront de rétablir le tissu social des communautés marquées par la pandémie?

La présidente : Qui veut s’attaquer à cette grande question? Sénateur Cormier, vous avez piégé nos témoins.

Le sénateur Cormier : En fait, je serai un peu plus précis. Effectivement, je crois qu’il y a des mesures et des programmes qui s’adressent à des individus. Vous en avez nommé plusieurs depuis le début de la séance et on sent aussi le besoin — comme cela arrive souvent après des traumatismes collectifs — de prendre des mesures collectives pour permettre aux gens de se retrouver, se rassembler, se reparler et retrouver une confiance collective. C’est un peu le sens de ma question. Peut-être que cette réunion n’est pas le meilleur forum pour poser cette question, en fait.

La présidente : Si les témoins n’ont rien à dire là-dessus, on va essayer de trouver une réponse à votre question quelque part. De façon générale, sommes-nous conscients qu’il y aura un impact collectif, pas seulement sur les individus et les populations qui font face à des défis de santé mentale? Vos organisations sont-elles conscientes qu’il y aura probablement un choc collectif dont nous devrons tous nous remettre?

[Traduction]

Dre Zahirney : Je peux répondre brièvement à cette question, mais en utilisant plutôt une métaphore. Comme nous le savons, les travailleurs de la santé de première ligne et les médecins ont été parmi les premiers à être touchés par les difficultés et les bouleversements des habitudes de vie découlant de la COVID-19. Ce qu’on a constaté au sein du milieu médical, c’est que la création de groupes de soutien par les pairs — je fais partie d’un groupe avec plusieurs collègues de mon hôpital —, qui permet ce type d’intégration et où on sait que quelqu’un anime les rencontres, a été très utile aux médecins. Dans ce genre d’approche échelonnée, il existe d’autres ressources pour les gens qui souffrent de troubles graves et qui ressentent de la détresse. Il s’agit d’un modèle que l’on pourrait potentiellement examiner pour d’autres secteurs de la population canadienne qui éprouvent des difficultés. Il existe certainement des techniques afin d’améliorer la résilience de certains groupes et de leur fournir les outils nécessaires pour traverser ce genre de crise. Selon moi, on peut espérer que les groupes de soutien par les pairs peuvent aider les gens.

[Français]

La présidente : Merci beaucoup de vous être lancée dans cette réponse.

Le sénateur Cormier : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Il s’agit d’une discussion extrêmement enrichissante. Ma dernière question s’adresse à la Dre Zahirney et elle porte sur le rôle des employeurs. Selon vous, quel est le rôle qui convient aux employeurs pour appuyer leurs employés, qui sont chez eux ou qui ont été mis à pied à cause de la crise actuelle? Par exemple, la Chambre de commerce de Calgary a encouragé ses membres à fournir de l’aide.

À votre avis, que peuvent faire les employeurs? De plus, que croyez-vous que le gouvernement peut faire pour aider les employeurs à fournir ces mesures de soutien, qui sont essentielles en cette période?

Dre Zahirney : Même avant la pandémie, on faisait la promotion d’une série de normes en matière de santé psychologique et de bien-être au travail. De toute évidence, avec la tension qui règne et l’augmentation de la charge de travail des gens — il n’y a peut-être que quelques personnes au bureau ou des gens sont absents —, il faut tenir compte de ces normes, à savoir qu’il faut créer un milieu de travail sécuritaire et, à titre d’employeur, être conscient des répercussions de l’isolement ainsi que des répercussions économiques qui découlent des changements de responsabilités, voire de l’accroissement des responsabilités.

On m’a dit que de nombreuses personnes ont été mises à pied provisoirement. Beaucoup de mes patients me disent que deux de leurs collègues sont en congé de maladie, qu’ils sont seuls au travail, qu’ils reviennent eux-mêmes d’un congé de maladie et que leur charge de travail a augmenté. Il faut qu’il y ait des normes quelconques pour définir ce que sont une charge et des conditions de travail raisonnables pour les gens.

Le nombre de gens qui ont accès à un programme officiel d’aide aux employés est variable. Même en ce qui concerne le gouvernement, comment peut-on garantir qu’un travailleur qui ressent de la détresse ait accès à un quelconque programme d’aide, qu’il soit public ou privé? Il peut y avoir d’énormes différences quant à la qualité, à la durée du traitement et à l’accès.

La sénatrice Omidvar : Docteure Zahirney, pouvez-vous me dire si le gouvernement fédéral oblige l’ensemble des employeurs sous réglementation fédérale à offrir des programmes d’aide aux employés?

Dre Zahirney : S’ils y sont obligés?

La sénatrice Omidvar : C’est ce que je vous demande.

Dre Zahirney : Non, je ne crois pas qu’ils le soient. Absolument pas. Les petites entreprises...

La sénatrice Omidvar : Je parle des employeurs sous réglementation fédérale, qui ne sont pas petits habituellement.

Dre Zahirney : Les employeurs sous réglementation fédérale y seraient obligés, mais beaucoup des petites entreprises ne peuvent pas offrir d’avantages sociaux à leurs employés. Le gouvernement est intervenu à court terme, mais qu’arrivera-t-il à long terme? Les gens sans avantages sociaux sont essentiellement laissés à la merci de la qualité des services qui leur sont offerts localement dans le système public.

La présidente : Là-dessus, je tiens à remercier les témoins de leur participation d’aujourd’hui. Nous vous remercions sincèrement de votre participation et de votre aide d’aujourd’hui. Elles nous ont été très utiles pour mener cette étude.

[Français]

Là-dessus, chers collègues, merci de votre collaboration.

Nous continuons sans plus tarder notre étude sur la réponse du gouvernement à la pandémie de COVID-19. Nous accueillons cet après-midi les témoins suivants : Mme Sara L. Austin, fondatrice et directrice générale, Mme Kiah Heneke-Flindall, conseillère des jeunes, ainsi que M. Kamil Kanji, conseiller des jeunes, de l’organisme Les enfants d’abord Canada. Nous accueillons également Mme Emily Gruenwoldt, présidente et directrice générale de Santé des enfants Canada. Enfin, nous avons le plaisir d’avoir parmi nous Mme Katherine Hay, présidente et directrice générale de Jeunesse, J’écoute.

[Traduction]

Aujourd’hui, pour lancer la discussion du prochain groupe, nous avons le plaisir de recevoir trois personnes qui partageront leur expérience au sujet des jeunes. Elles seront les premières à faire leurs commentaires d’ouverture et elles partageront leur temps de parole. Il s’agit de Mme Austin, de Mme Heneke-Flindall et de M. Kanji. Viendront ensuite Mme Gruenwoldt puis Mme Hay.

Vous pouvez y aller.

Sara L. Austin, fondatrice et directrice générale, Les enfants d’abord : Bon après-midi. Merci beaucoup, madame la présidente. Merci à vous, honorables sénateurs. Comme le disait Nelson Mandela dans une de ses déclarations bien connues :

Il ne peut y avoir plus vive révélation de l’âme d’une société que la façon dont elle traite ses enfants.

Même avant la crise de la COVID-19, la situation de l’enfance au Canada était très préoccupante. Depuis une décennie, [Difficultés techniques] de la 12e place à la 25e place parmi les pays de l’OCDE en ce qui concerne le bien-être des enfants selon l’UNICEF. La crise actuelle a mis en relief les problèmes existants et les a exacerbés.

L’enfance de 8 millions d’enfants au Canada a été mise en suspens. La fermeture des écoles engendre des répercussions à court et long terme sur la santé physique et mentale des jeunes. À la veille de la saison estivale, je m’inquiète de la possibilité que la situation s’aggrave pour les enfants en raison de la fermeture des écoles et de l’absence d’autres canaux de soutien pour les enfants à l’extérieur de la maison. Les enfants d’abord a imploré les parlementaires d’étudier les impacts uniques qui frappent les enfants.

Nous vous avons transmis un exemplaire de nos mémoires, mais, en résumé, nous avons abordé en détail trois éléments principaux. Premièrement, notre Conseil des champions a publié un communiqué conjoint demandant un investissement de 250 millions de dollars du gouvernement fédéral pour la santé physique et mentale des enfants, la protection des enfants contre la violence et le soutien à leur résilience. Deuxièmement, nous avons demandé la création d’un poste de commissaire à l’enfance et à la jeunesse pour veiller à la défense des droits des enfants. Troisièmement, nous avons demandé au gouvernement d’échanger directement avec les enfants et les jeunes dans sa gestion de la crise. Nous avons d’ailleurs annoncé la formation du Parlement des jeunes Canadiens, qui pourra servir de plateforme permettant aux jeunes d’échanger avec leurs pairs et avec les parlementaires au sujet de la défense de leurs droits.

L’investissement initial injecté dans les organismes de première ligne et les efforts du premier ministre pour communiquer directement avec les jeunes sont encourageants. Ces efforts en début de crise ont été grandement appréciés, mais il reste beaucoup à faire.

Alors que le gouvernement passe de la réponse à la crise à un plan de relance économique, il est essentiel qu’il fasse un investissement massif et soutenu ciblant les enfants et les jeunes.

Selon la Banque mondiale, investir dans la petite enfance est l’une des meilleures stratégies que peut adopter un pays pour briser le cycle de la pauvreté, redresser les inégalités et accroître la productivité des jeunes lorsqu’ils seront rendus à l’âge adulte. Intervenir rapidement dans la vie des jeunes peut rapporter gros dans le futur autant pour les jeunes que pour la société en général.

Maintenant plus que jamais, le Canada a besoin d’un leadership fort du fédéral afin qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte. Le gouvernement fédéral a avant tout la responsabilité de coordonner une réponse nationale et de s’assurer que tous les enfants ont un accès égal aux soins et aux soutiens. Les enfants ne sont pas l’objet de notre charité, ce sont des citoyens qui ont des droits. Chaque jour compte dans la vie des enfants et ils ne peuvent se permettre d’attendre. J’implore le gouvernement fédéral d’agir sans attendre.

Je remercie les honorables sénateurs de leur engagement à répondre aux impacts qu’a la crise sur les enfants. J’espère que des mesures plus concrètes seront prises très bientôt. Les enfants d’abord défend les enfants et nous donnons aux enfants les outils pour qu’ils puissent se défendre eux-mêmes.

À ce sujet, je suis heureuse d’être accompagnée par deux de nos conseillers des jeunes, Kamil et Kiah, qui pourront donner leur point de vue quant aux impacts qu’eux et leurs pairs ont vécus et faire des recommandations. Merci.

La présidente : Merci. Je crois que nous sommes prêts à entendre vos représentants jeunesse. Nous sommes très heureux que vous soyez avec nous. Nous allons commencer par Mme Heneke-Flindall.

Kiah Heneke-Flindall, conseillère des jeunes, Les enfants d’abord Canada : Je remercie la présidente et les membres du comité de nous recevoir. Je me sens très privilégiée de pouvoir être avec vous aujourd’hui.

Je crois également que j’ai été privilégiée toute ma vie d’avoir des occasions comme celle qui m’est offerte aujourd’hui. J’ai grandi dans un foyer sûr où on me soutenait et où on me donnait les outils pour donner mon opinion et on m’encourageait à le faire. C’est ce qui m’a conduit jusqu’ici.

Ce que je constate cependant, c’est qu’il existe un cycle incessant au sein duquel les jeunes privilégiés deviennent des adultes privilégiés et les personnes vulnérables sont laissées pour compte.

Beaucoup de jeunes sont ignorés et même ceux avec qui j’ai parlé ne savaient pas comment ils pouvaient faire entendre leur voix. N’est-il pas injuste que les jeunes ne sachent pas ce qu’ils peuvent faire pour changer les choses?

Si nous voulons vraiment bâtir un avenir meilleur, il faut d’abord inclure les leaders de demain au pays et leur donner les outils pour se faire entendre afin qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte.

En cette période difficile, les enjeux critiques qui touchent les jeunes sont amplifiés. Les conditions difficiles actuelles augmentent les problèmes en santé mentale, surtout chez les jeunes déjà vulnérables qui n’ont pas d’endroit sûr où apprendre et entrer en contact avec leurs réseaux de soutien. En outre, les parents et les aides familiaux vivent des situations similaires, ce qui rend les jeunes dont ils s’occupent plus vulnérables au stress, à l’instabilité et aux mauvais traitements.

Les jeunes doivent pouvoir prendre part à la prise de décisions sur les enjeux qui les concernent, parce que nos proches, nos amis, nos pairs et nous sommes ceux qui vivent ces problèmes et qui sont les mieux placés pour donner leur avis sur la façon de les régler.

Profitons de l’occasion créée par cette période difficile pour faire avancer la cause du bien-être des jeunes Canadiens, pour agir et changer les choses. Il ne faut pas que la crise nous fasse revenir des années en arrière.

Mon expérience en tant que jeune qui a travaillé auprès d’autres jeunes m’a appris que nous pouvons être des leaders capables et inspirés.

Lorsqu’on leur en donne l’occasion, les jeunes apportent créativité, diversité, durabilité et justice au cadre des systèmes politiques au moyen d’une perspective d’avenir.

La présidente : Merci.

C’est à vous, monsieur Kanji.

Kamil Kanji, conseiller des jeunes, Les enfants d’abord Canada : Bonjour madame la présidente et membres du comité. Je vous remercie énormément de me recevoir aujourd’hui.

En tant que jeune qui vit dans un quartier défavorisé, j’ai pu constater les impacts de la pandémie sur les jeunes. Les enfants vivent une situation plus difficile que jamais.

Comme les établissements récréatifs et les écoles sont fermés, les gens avec qui j’allais à l’école, avec qui j’ai grandi, avec qui j’ai joué au parc et fait du vélo n’ont plus accès aux programmes de petits-déjeuners qu’ils utilisaient le matin et leur santé mentale prend un dur coup en raison de la violence verbale constante que leur font subir des parents dont la situation économique est difficile.

Au fil des jours, mes pairs deviennent de plus en plus isolés de leurs réseaux, ils perdent leurs bonnes habitudes de vie active et saine et, pire encore, ils n’ont plus confiance en l’avenir. Dans un pays aussi merveilleux que le Canada, nous ne devrions pas accepter cet état de fait, mais agir pour redresser ensemble cette situation.

Après de nombreuses années de contribution et des milliers de rencontres avec de jeunes Canadiens passionnés, j’ai vu le leadership dont peuvent faire preuve mes pairs. Ce qui est évident, c’est que les jeunes ont l’impression que les personnes dans les sphères du pouvoir ignorent notre avis, parce qu’ils croient que nous sommes trop jeunes.

Au nom de mes 8 millions de camarades de partout au pays, j’implore toutes les personnes en position de pouvoir de cesser de sous-estimer les capacités des jeunes et de penser que notre âge nous empêche de changer les choses. En fait, ce serait plutôt le contraire. Je demande à tous les parlementaires de mettre à profit nos compétences et de travailler à nous permettre de collaborer à la création de solutions concrètes.

La jeunesse n’est pas un point faible du pays, mais une de ses plus grandes forces. Je recommande avec insistance à tous les leaders de mettre à contribution cette force afin que nous, les jeunes, puissions nous sortir de notre souffrance et recommencer à être heureux. Merci.

La présidente : Merci. Nous passons maintenant à Mme Gruenwoldt.

Emily Gruenwoldt, présidente et directrice générale, Santé des enfants Canada : Bon après-midi, honorables sénateurs. C’est un plaisir pour moi d’avoir été invitée à prendre la parole aujourd’hui.

Je m’appelle Emily Gruenwoldt et je suis présidente et directrice générale de Santé des enfants Canada. Je suis également directrice générale des Directeurs de pédiatrie du Canada. Nous croyons que, même si les enfants sont ceux qui risquent le moins de tomber gravement malades de la COVID-19, les enfants et les jeunes au Canada sont ceux qui ont le plus souffert de la réponse à la pandémie.

Comme plusieurs d’entre vous le savent déjà, le mois passé, Santé des enfants Canada, les Directeurs de pédiatrie du Canada et les instituts de recherche des hôpitaux pour enfants du Canada ont présenté une proposition au gouvernement fédéral demandant un financement d’urgence visant à accélérer le déploiement des services de télémédecine dans les hôpitaux et dans la collectivité, ainsi qu’un financement pour le soutien de la recherche sur la santé des enfants, qui a été durement touchée par le ralentissement économique.

La Société canadienne de pédiatrie et ses 3 400 membres partout au pays ont appuyé ces recommandations. Dans l’ensemble, nous sommes satisfaits de la réponse initiale du gouvernement à ces demandes. Nous continuons de collaborer avec les fonctionnaires fédéraux, ainsi qu’avec le Comité de coordination de la recherche au Canada et Inforoute Santé du Canada afin que les fournisseurs de soins aux enfants et les chercheurs du domaine reçoivent leur part de ce financement.

Aujourd’hui, je voudrais surtout parler des impacts que la COVID-19 continue d’avoir sur la santé et le bien-être des enfants et des jeunes partout au Canada et du rôle du gouvernement fédéral pour une reconstruction en mieux, soit de contribuer à l’avènement d’une jeunesse canadienne dynamique et en santé.

La semaine dernière, Santé des enfants Canada a effectué un sondage auprès de 60 directeurs et administrateurs d’hôpitaux pour enfants, hôpitaux communautaires, centres de traitement pour enfants, et fournisseurs de soins à domicile et de soins de relève au Canada. Nous avons également sondé notre réseau familial, qui est composé de plus de 100 partenaires familiaux. Outre le soutien continu à l’égard de la mise en œuvre des soins virtuels et du financement à l’appui des organismes de recherche sur la santé des enfants au Canada, deux priorités claires sont ressorties : permettre l’accès aux services de soins de santé essentiels, notamment en réduisant l’arriéré ainsi que les délais d’attente pour les interventions non urgentes; et faciliter le retour à l’école des enfants et des jeunes. J’aborderai maintenant ces questions une après l’autre.

Cela fait maintenant 11 semaines que les hôpitaux du Canada ont soudainement cessé d’effectuer les interventions les moins urgentes. Qui plus est, de nombreux services essentiels offerts dans la communauté ou à domicile ont également cessé.

Bien que la prestation virtuelle de certains de ces services constituait une mesure temporaire importante, le temps est venu de faire en sorte que ces services recommencent à être offerts aux enfants, aux jeunes et à leur famille.

La capacité de nos systèmes de santé à recommencer à offrir ces services judicieusement et en toute sécurité dans les jours et les semaines suivants jouera un rôle essentiel dans la réduction de la morbidité, ce qui contribuera à l’amélioration des résultats de santé pour les enfants et les jeunes du Canada.

Le Dr Andrew Lynk, président et chef du département de pédiatrie de l’Université Dalhousie, a constaté les efforts déployés pour réduire l’arriéré dans le secteur de soins pour adultes, mais il craint qu’on ne se soit pas autant attardé sur l’impact de la fermeture sur les enfants.

Si nous souhaitons atténuer les résultats négatifs associés aux services reportés ou retardés, ou bien les délais d’attente connexes avec lesquels doivent composer les patients et leur famille, il nous faudra plus de ressources fédérales pour faire le pont; ainsi, les hôpitaux pour enfants pourront effectuer plus de travail qu’ils ne peuvent le faire à même leurs budgets de fonctionnement actuels.

On estime que les hôpitaux pour enfants nécessiteront une augmentation de 20 % de leurs ressources afin de répondre à l’arriéré croissant d’interventions non urgentes.

Outre les chirurgies et interventions non urgentes qui sont effectuées par nos hôpitaux pour enfants, de nombreux enfants et jeunes et leur famille continuent de composer avec de nombreuses lacunes dans les services. La majorité des visites en personne ont été reportées pour les enfants aux conditions complexes, tout comme leur accès aux services communautaires, dont les services d’orthophonie, la physiothérapie, l’ergothérapie et le travail social.

Si ces perturbations constituaient un inconvénient à court terme, de nombreuses familles craignent maintenant que leurs enfants soient confrontés à une perte de fonctions permanente, observant de nouvelles difficultés de comportement, surtout chez les enfants atteints de troubles neurodéveloppementaux.

Les familles d’enfants avec des déficiences complexes, des troubles et des incapacités de développement ont également des décisions difficiles à prendre au sujet de la continuité des soins à domicile et des services de relève. Beaucoup d’entre elles ont annulé leurs services de soins infirmiers par crainte d’accroître le risque d’infection en invitant des personnes chez elles, alors que d’autres n’ont tout simplement pas la place pour recevoir des aides à domicile ou des prestateurs de services de relève à un moment où les parents et les soignants travaillent à domicile. Dans certains cas, les parents et soignants ont dû renoncer à leur emploi pour s’occuper d’enfants à la santé fragile, contribuant ainsi aux pressions sur la famille.

Jennifer Churchill, directrice générale d’Enfants avenir Ontario, a dit :

La situation est d’autant plus compliquée par le fait que les employés des centres de développement et de réadaptation des enfants qui s’apprêtent à recommencer à offrir des services en personne se trouveront confrontés à une crise des soins pour enfants créée par la pandémie de coronavirus qui risque de saper notre capacité d’offrir des services, dont des services virtuels élargis, à la réouverture des économies locales.

Les écoles publiques sont fermées dans pratiquement toutes les provinces, et de nombreux camps n’ouvriront pas cet été. Les fournisseurs de services de garde restent fermés ou seulement ouverts pour les enfants désignés de travailleurs essentiels. Le réseau informel de parents et d’amis sur lequel nous comptons pour nous occuper de nos enfants s’est effondré à cause de l’éloignement physique.

Le rôle du gouvernement fédéral, en étroite collaboration avec les provinces et les municipalités responsables de la santé publique, consiste entre autres à obtenir suffisamment d’équipement de protection individuelle pour les professionnels de la santé, les jeunes patients et leur famille; à renforcer la capacité de dépistage et de recherche des contacts à l’appui de la réouverture de nos services de soins de santé essentiels; à veiller à l’existence de l’infrastructure nécessaire pour permettre la prestation de soins virtuels, le cas échéant; à favoriser la réouverture des places en garderie pour permettre le retour au travail des fournisseurs de soins de santé; et surtout, à financer l’accroissement de la capacité des hôpitaux à rattraper l’arriéré des interventions non urgentes.

J’aimerais rapidement aborder une deuxième question, celle du retour à l’école des enfants et des jeunes. À mesure que la recherche continue d’avancer dans le monde, nous en venons à mieux comprendre les liens entre les enfants et le coronavirus. Alors que le milieu de la pédiatrie surveille attentivement les progrès sur la maladie inflammatoire multisystémique dans le contexte de la COVID-19, la recherche indique encore que les enfants sont moins susceptibles de contracter le coronavirus.

Les chercheurs au Great Ormond Street Hospital à Londres, en Angleterre, ont constaté que les enfants seraient 56 % moins susceptibles de contracter le virus que les personnes de plus de 20 ans; cette constatation vient appuyer la théorie selon laquelle les enfants sont peu susceptibles de jouer un rôle important dans la transmission de la maladie. D’ailleurs, la prépondérance de la preuve indique que les enfants constituent le groupe le moins à risque. Ils affichent la plus faible prévalence d’infection, et le risque de mort ou d’infection grave découlant de la COVID-19 demeure exceptionnellement faible. Beaucoup de dirigeants d’hôpitaux pour enfants au Canada sont favorables à la réouverture des écoles compte tenu de l’impact bien connu de l’isolement social découlant des mesures d’éloignement physique.

Le Dr Ronald Cohn, directeur général de SickKids, a dit :

Nous devons accepter le fait que le virus restera parmi nous pendant longtemps; nous devons apprendre à vivre avec cette situation, réduire et atténuer les risques le plus possible, tout en reconnaissant la forte probabilité que nous ne pourrons entièrement éliminer le risque pour un certain temps.

La Dre Kathy Bigsby, pédiatre à Charlottetown, Île-du-Prince-Édouard, et membre du conseil d’administration de Santé des enfants Canada, affirme ce qui suit :

En reconnaissance des risques pour le développement physique et mental des enfants découlant de la fermeture prolongée des écoles et des camps, ainsi que du confinement à domicile, nous nous devons de remédier à la situation. Les enfants sont privés des interactions sociales avec leurs amis, camarades de classe et enseignants qui sont essentiels à leur croissance et à leur développement sains.

Kathy MacNeil, directrice générale de l’autorité sanitaire de l’île de Vancouver, partage cet avis; elle a dit :

Les risques pour le bien-être mental des enfants et des jeunes sont aggravés par le stress de la pandémie et les changements de routine et de structure. À mesure que les écoles commencent à rouvrir au Canada, tâchons de garder à l’esprit la nécessité de mettre à leur disposition des ressources de bien-être mental, physiques ou virtuelles, particulièrement pour les enfants vulnérables.

Pour que les écoles puissent rouvrir au Canada, les secteurs de la santé et de l’éducation doivent travailler ensemble, en collaboration avec les enfants, les jeunes et leurs parents, à l’élaboration d’une politique et de solutions pédagogiques novatrices permettant un retour complet et en toute sécurité en septembre. Ces solutions doivent s’inspirer d’éléments de preuve locaux et, le cas échéant, des expériences dans l’ensemble du Canada et à l’étranger. Des considérations et une stratégie particulières s’imposent pour les enfants avec des handicaps et des états de santé complexes, et les enfants vulnérables en général; cette stratégie doit être mise au point en collaboration avec nos partenaires familiaux.

Le gouvernement fédéral a un rôle de premier plan à jouer, notamment, je le répète, à l’égard du dépistage et de la recherche des contacts. Quand les enfants retourneront à l’école, nous devons avoir la capacité de suivre de très près la transmission du virus. Nous avons également besoin d’aide financière pour le secteur de l’éducation pour dresser et mettre en œuvre une stratégie visant à assurer un environnement d’apprentissage efficace et sécuritaire pour tous les enfants et les jeunes au Canada.

En conclusion, selon Santé des enfants Canada et les chefs de départements de pédiatrie, les enfants sont les victimes silencieuses de la pandémie de COVID-19. Au début du printemps, l’UNICEF a publié un rapport reconnaissant l’impact sans précédent de la COVID-19 sur la vie des enfants et des jeunes. Certains semblent croire que, puisque les enfants ont moins de chance d’avoir des symptômes graves, ils sont moins affectés. Nous savons que ce n’est pas vrai.

Les prochaines semaines et les prochains moins seront déterminants pour tous les Canadiens, y compris nos enfants et nos jeunes. Les enfants et leur famille ne peuvent se permettre d’attendre des mois ou bien des années pour obtenir des soins de santé essentiels, dont des chirurgies, des thérapies ambulatoires ou des soins à domicile, et non plus peuvent-ils se permettre d’attendre des mois ou bien des années pour que les écoles rouvrent, leur permettant de socialiser avec leurs amis et d’apprendre dans un milieu sans danger. Les enfants sont naturellement très résistants, mais le moment est venu d’adopter des solutions pour assurer leur santé et leur bien-être.

En étroite collaboration avec ses homologues provinciaux et municipaux, le gouvernement fédéral du Canada a un rôle essentiel de premier plan à jouer dans le rétablissement après la pandémie de COVID-19, et de façon plus générale, dans la prestation de soins de santé sûrs et efficaces pour l’ensemble des Canadiens. Tâchons de ne pas perdre de vue le fardeau que la pandémie a imposé à nos enfants et nos jeunes, et la responsabilité que nous avons de reconstruire un système meilleur.

Katherine Hay, présidente et directrice générale, Jeunesse, J’écoute : Bonjour à tous. Merci, madame la présidente, et honorables membres du comité.

Depuis plus de 31 ans, Jeunesse, J’écoute est le seul service de soutien psychologique virtuel accessible aux jeunes dans l’ensemble du Canada, en anglais et en français, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, 365 jours par année, dans toutes les provinces et tous les territoires. En 2019, plus de 1,9 million de jeunes se sont prévalus de nos programmes et services directs.

Tous les jours, les jeunes nous contactent pour nous parler de toutes les difficultés auxquelles ils sont confrontés, de l’anxiété à l’intimidation, des relations à problème au suicide. Il n’est donc pas étonnant d’apprendre que les jeunes nous contactent plus que jamais depuis que le Canada et le monde entier ont été secoués par une crise, une pandémie, qui a un impact fondamental sur notre vie au quotidien.

Depuis le 12 mars, lorsque l’ensemble du Canada a été confronté à la dure réalité de la COVID-19, Jeunesse, J’écoute a constaté une augmentation constante des conversations; la demande pour notre service de textos a augmenté de 61 % et la demande pour des conseils professionnels a augmenté de 55 %. Les sujets sur lesquels les jeunes s’adressent à nous ont également changé. Avant la COVID-19, la dépression et le suicide figuraient parmi les principaux sujets sur lesquels les jeunes s’adressaient à nous; maintenant, ils s’adressent à nous pour nous parler de troubles alimentaires et de l’image corporelle, d’isolement, des abus émotionnels, physiques et sexuels, du deuil et de la toxicomanie.

Si nous demeurons la principale ressource pour les jeunes aux prises avec des tendances suicidaires, je suis heureuse de pouvoir signaler au comité permanent que nous n’avons constaté aucune augmentation du nombre de conversations sur le suicide dans les dernières semaines. Nous continuons néanmoins à effectuer, en moyenne, neuf sauvetages actifs par jour. Bien que ce chiffre n’ait fort heureusement pas augmenté depuis le début de la pandémie de COVID-19, il demeure que nous avons effectué plus de 650 sauvetages actifs depuis la mi-mars.

Il convient de préciser que les jeunes personnes sont toutes différentes, et que les difficultés auxquelles elles font face varient en fonction de leur culture, de leur race, de leur âge et de leur emplacement. C’est d’autant plus évident aujourd’hui, alors que nous témoignons des problèmes que vivent les jeunes noirs au Canada.

Les jeunes qui nous envoient des textos parlant de racisme sont parmi les utilisateurs de Jeunesse, J’écoute qui éprouvent la plus grande détresse, suivis par ceux qui craignent des mauvais traitements d’une personne avec laquelle ils vivent. Les personnes qui nous envoient des textos au sujet du racisme sont plus susceptibles de parler de suicide que toutes les autres, et ce, au moment même où elles sont touchées par la COVID-19.

Parmi les autres différences que nous constatons, les jeunes âgés de 5 à 17 ans entrent de plus en plus souvent en contact avec nous par texto pour parler de leur image corporelle et de leurs troubles alimentaires. Les jeunes hommes entrent de plus en plus souvent en contact avec nous pour parler de leurs relations. Il n’est pas surprenant que les jeunes de Nouvelle-Écosse parlent plus souvent de leur chagrin que n’importe qui d’autre au pays. Au Québec, les conversations sur l’anxiété et le stress sont plus nombreuses que la moyenne nationale. En Colombie-Britannique, les conversations sur les mauvais traitements sont plus nombreuses que dans toutes les autres provinces et tous les territoires à l’heure actuelle. Il s’agit là de données importantes en temps réel qui permettront d’éclairer la politique de service et la défense des droits.

L’augmentation quotidienne de la demande de services est survenue alors que nous étions également aux prises avec les conséquences financières de la pandémie, comme tant d’autres organisations caritatives au Canada. Jeunesse, J’écoute est reconnaissante à ses partenaires du gouvernement fédéral d’avoir reconnu ce besoin.

À la mi-mars, la demande que nous avons adressée au gouvernement fédéral par l’intermédiaire du Cabinet du premier ministre et de l’Agence de santé publique du Canada a été accueillie avec bienveillance et sans délai. Le soutien et l’investissement financier ont permis d’éviter toute interruption de service. En fait, ils nous ont permis d’élargir le service pour répondre à la demande croissante, avec des temps d’attente inférieurs à cinq minutes. Mais il faut faire plus; il faut investir davantage dans d’autres organisations caritatives pour la jeunesse. C’est essentiel.

De plus, Jeunesse, J’écoute soutient la demande croissante en vue de la nomination d’un commissaire national à l’enfance et à la jeunesse. Les enfants, les jeunes et les jeunes adultes représentent un quart de la population canadienne, mais ils n’ont pas de voix indépendante pour représenter leurs droits et leurs intérêts au niveau national. Cette représentation était nécessaire avant la pandémie, et maintenant le besoin urgent ne peut être ignoré, en particulier pour nos jeunes les plus vulnérables.

Nous devons accroître le soutien apporté aux jeunes qui sont pris en charge. Jeunesse, J’écoute est extrêmement inquiète de l’augmentation des cas de maltraitance que nous recevons de la part des jeunes. Depuis le 12 mars, il y a eu une augmentation de 35 % des conversations sur les abus émotionnels et physiques, et de 36 % sur les abus sexuels. Le Canada doit s’assurer que les jeunes pris en charge et les jeunes victimes d’abus continuent de recevoir le soutien des systèmes destinés à les protéger. Lorsque de nombreux lieux sûrs pour les jeunes restent fermés, comme les écoles, il faut créer de nouveaux points d’entrée dans les systèmes de protection de l’enfance.

Enfin, comme je l’ai déjà dit et compte tenu de ce que nous voyons et entendons en plus de la COVID-19, nous devons nous assurer de trouver des solutions pour lutter contre le racisme systémique auquel se heurtent les jeunes Noirs canadiens. Il s’agit notamment de garantir des possibilités économiques et éducatives et d’accroître les services et le soutien en matière de santé mentale. Jeunesse, J’écoute serait heureuse de pouvoir travailler avec le gouvernement et d’autres organismes pour exploiter nos données et trouver des solutions significatives pour soutenir les jeunes racialisés dans tout le pays, avec les jeunes à nos côtés.

Nous devons tenir compte de ces recommandations, ainsi que de celles de mes estimés collègues ici présents et travaillant dans ce secteur, et les aligner sur les recommandations importantes formulées, même avant la pandémie, en vue d’améliorer la santé mentale et le bien-être des jeunes dans notre pays. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons être conscients des lacunes et des iniquités identifiées afin de nous assurer que les règles du jeu sont les mêmes pour tous les jeunes au Canada.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous faire part de ce que les jeunes nous disent chaque jour.

La présidente : Merci à nos témoins de leurs précieuses remarques liminaires. Nous avons quelques questions à leur poser.

Très brièvement, je voudrais rappeler à mes collègues de bien vouloir utiliser la fonction « Lever la main » pour signifier que vous voulez poser une question, et de bien veiller à identifier la personne à qui vous la posez.

La sénatrice Poirier : Ma première question s’adresse à Jeunesse, J’écoute. Le gouvernement du Canada a annoncé une aide de 7,5 millions de dollars pour soutenir Jeunesse, J’écoute, et dans votre présentation, vous avez dit que cette aide s’étendait sur 21 mois, pendant la période d’augmentation des demandes. Avez-vous commencé à recevoir le financement promis par le gouvernement? Et pourquoi s’échelonne-t-il sur 21 mois?

Mme Hay : Merci de la question, sénatrice. Jeunesse, J’écoute est très reconnaissante du soutien du gouvernement. Nous avons commencé à recevoir le financement. Nous travaillons avec l’Agence de santé publique du Canada à ce sujet.

Selon nous, les effets de la COVID-19 ne seront pas terminés à la rentrée scolaire de septembre ni même à la même époque l’an prochain. Lors de notre discussion avec l’Agence de santé publique, nous avons demandé de quelle façon nous pouvions utiliser ce financement de manière à assurer notre viabilité pendant la période où nous faisons face à l’augmentation des volumes. En fait, nous ne prévoyons pas que nos volumes vont diminuer. Nous avons réparti le financement sur une certaine période pour assurer notre pérennité.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie. Comment les crédits que vous avez commencé à recevoir vous ont-ils aidé pendant la pandémie?

Mme Hay : Je vous remercie de cette question, sénatrice. Comme toutes les organisations caritatives au Canada, notre modèle de financement est une combinaison de soutiens essentiellement philanthropiques, de soutiens d’entreprises canadiennes, de collectes de fonds dans diverses communautés à travers le pays et de soutiens gouvernementaux. À Jeunesse, J’écoute, un maximum d’environ 40 % de notre budget total est constitué de soutiens gouvernementaux, et surtout de soutiens provinciaux, en fait.

Le fait est que lorsque la pandémie a frappé et a fait sentir ses effets sur l’économie canadienne, nos recettes allaient diminuer. C’est ce qui ressort des discussions que nous avons eues avec le Cabinet du premier ministre et l’Agence de santé publique du Canada. Des événements tels que l’événement national Faites un pas pour les jeunes représentent un apport budgétaire annuel de 4 millions de dollars. Nous avons donc constaté une baisse des recettes, mais aussi une augmentation anticipée de la demande de services.

Nous soutenons notre service régulier et nos conseillers professionnels, qui sont environ 120 au Canada. Nous les avons fait travailler à distance pour pouvoir en engager d’autres. En outre, nous devons élargir notre programme d’envoi de textos. Ce qui est extraordinaire, c’est que nos intervenants en cas de crise sont des bénévoles formés qui utilisent déjà une technologie dynamique, donc évolutive. Nous avons pu, grâce à ce financement, élargir la portée du service, engager des conseillers compétents, ainsi qu’un nombre suffisant d’entraîneurs et de formateurs qui forment davantage de Canadiens à intervenir en cas de crise et nous concentrer, grâce à cette capacité accrue, sur les populations mal desservies.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie. Madame Hay, lors d’une récente interview à une émission de la CBC, il a été rapporté que Jeunesse, J’écoute avait élargi son soutien aux adultes, ce qui en dit long sur la pénurie de services en santé mentale, surtout pendant cette période.

Vous avez étendu votre service par texto pour les adultes et les travailleurs de première ligne. À votre avis, le gouvernement fédéral a-t-il investi dans l’aide directe aux services de santé mentale pour les adultes et les travailleurs de première ligne, ce qui vous permet de vous concentrer pleinement sur les jeunes et les enfants pendant la COVID-19?

Mme Hay : Je vous remercie de cette question, sénatrice. C’est une question très importante.

Tout d’abord, je tiens à signaler au comité qu’avant la COVID, 10 % à 15 % environ des appels à la Ligne de messagerie texte pour les situations de crise, alimentée par Jeunesse, J’écoute, venaient d’adultes âgés de 30, 40 et 50 ans, car à 2 heures du matin au Canada, il n’existe pas de service national d’intervention en cas de crise autre que Jeunesse, J’écoute. Notre service d’orientation professionnelle reçoit souvent des adultes qui nous disent : « Je sais que c’est un service pour les enfants » — et sans vouloir être alarmiste —, ils nous font des déclarations du genre : « J’ai l’impression que ma vie ne vaut rien et que je ne vois pas d’autre solution que le suicide ». En fin de compte, nous les aidons.

Voilà un aperçu de la situation avant la COVID-19. Nous disposons de la technologie offerte par la Ligne de messagerie texte pour les situations de crise, notre plateforme de textos, que nous pouvons utiliser à des échelles diverses. Notre formation ne vise pas spécifiquement les jeunes, bien que nous ayons des modules réservés aux jeunes Autochtones. Nous avons la technologie, nous avons l’infrastructure et nous savions que nous pouvions étendre cette formation. C’était le bon moment pour le faire.

S’agissant du financement du gouvernement, nous avons en fait élargi la Ligne de messagerie texte pour les situations de crise tous âges dans le cadre d’Espace mieux-être Canada, qui est un nouveau portail pour la santé mentale et la toxicomanie financé par le gouvernement fédéral à la suite de la COVID-19. Nous sommes l’un des partenaires et l’une des solutions de santé mentale en ligne de ce portail. Le financement a été accordé à Jeunesse, J’écoute par l’intermédiaire de ce portail pour lancer la Ligne de messagerie texte pour les situations de crise tous âges, sans avoir à puiser dans le budget de Jeunesse, J’écoute.

Je voudrais faire une remarque pour soutenir ma collègue, la Dre Emily Gruenwoldt. Les soins virtuels sont un complément important des services de santé mentale. Lorsque Jeunesse, J’écoute a lancé la Ligne de messagerie texte pour les situations de crise, en 2019, nous avons traité plus de 200 000 conversations par texto dans chaque province et territoire, avec des temps d’attente de moins de cinq minutes. La ligne dispose d’un réseau neuronal, ainsi que de l’apprentissage par machine à intelligence artificielle, de sorte que si une personne est en situation de crise, elle est servie dans les 40 secondes. Ce n’est pas le principe du premier arrivé, premier servi qui est utilisé. On fait appel à la sensibilité du système. Nous avons géré l’ensemble de ce service au Canada pour environ 3,5 millions de dollars. C’est un retour sur investissement incroyable pour le Canada.

La sénatrice Poirier : Merci beaucoup.

La présidente : Merci, madame Hay.

La sénatrice Griffin : Je reviens à la question que la sénatrice Poirier a posée au sujet des adultes qui utilisent le service Jeunesse, J’écoute. Pensez-vous que le service se poursuivra après la fin de la pandémie?

Mme Hay : Oui, en effet. En fait, j’encourage le comité permanent, ainsi que le gouvernement, à soutenir cette initiative et à étendre le service bien au-delà de la pandémie immédiate, qui laissera des séquelles. Nous savons ce que le traumatisme fait à long terme, et c’est pourquoi la Ligne de messagerie texte pour les situations de crise tous âges doit absolument continuer. Le portail Espace mieux-être Canada doit être maintenu et je crois qu’il le sera, bien que je n’en aie aucune promesse formelle.

La sénatrice Griffin : Je vous remercie. Ma dernière question s’adresse à Mme Austin. Dans votre mémoire, vous évoquez le poste de commissaire à l’enfance et à la jeunesse qui a été proposé. Pourriez-vous me donner plus de détails sur cette idée et sur le lien qu’elle peut avoir avec la crise actuelle de la COVID-19? Le comité devrait-il, dans le cadre de l’étude, recommander la création d’un poste de commissaire à l’enfance et à la jeunesse?

Mme Austin : Merci, sénatrice.

Les discussions sur la nécessité d’un commissaire à l’enfance durent depuis plus de 30 ans. Il est grand temps qu’elles aboutissent.

Chez Les enfants d’abord Canada, nous voulons faire du pays le meilleur endroit du monde pour un enfant. Nous avons examiné les pratiques des pays les mieux cotés en la matière. Nous avons vérifié ce qu’ils ont adopté en fait de lois et de politiques, et ce qu’ils ont fait pour assurer la protection des droits des enfants afin que non seulement tous les enfants survivent, mais qu’ils s’épanouissent.

L’un des dénominateurs communs est la présence d’un bureau indépendant pour les enfants, dont le titulaire est soit un commissaire soit un ombudsman des enfants. Un tel poste existe dans plus de 60 pays du monde, dans différents contextes, et s’est avéré efficace pour améliorer la situation des enfants. Par exemple, il y a quelques années, le Royaume-Uni accusait un peu de retard par rapport aux autres pays de l’OCDE sur le plan du bien-être des enfants. On y a créé des postes de commissaire à l’enfance pour l’Angleterre, l’Écosse et le pays de Galles, et établi un bureau indépendant ayant pour mandat de promouvoir les droits des enfants, d’écouter ce que les enfants eux-mêmes ont à dire, de mener des études, de veiller à ce que le gouvernement rende des comptes et de piloter la réalisation d’un plan d’action national. Le Royaume-Uni s’est ainsi amélioré rapidement, voyant grimper de plus de 10 points la cote qui lui était attribuée par l’OCDE sur la question du bien-être des enfants.

Pendant ce temps, au Canada, malgré qu’on discute de cette possibilité depuis des années, nous n’avons malheureusement jamais réussi à créer ce poste de commissaire. Durant ce temps, nous sommes passés du 12e au 25e rang parmi les pays de l’OCDE sur la question du bien-être des enfants.

Nous pouvons considérer le Royaume-Uni comme un exemple utile, en plus d’examiner ce qui se fait dans bien d’autres pays du monde pour améliorer la situation. Dans un pays comme le nôtre, où nous devons trouver une solution propre au Canada, les fonctions d’un commissaire à l’enfance doivent être adaptées au contexte d’une relation de nation à nation, alors bien sûr il faut que le gouvernement fédéral veille à assurer un dialogue et une véritable consultation des Premières Nations, des Métis et des Inuits ainsi que de leurs organisations nationales, et qu’il le fasse en consultant directement les enfants eux-mêmes. Je sais que le Comité sénatorial des droits de la personne a déjà étudié la question. D’innombrables recommandations ont été présentées, mais ce projet n’a jamais vu le jour.

La crise actuelle a fait voir les failles qui existaient déjà en matière de protection des droits des enfants et de leur bien-être. Il importe maintenant plus que jamais de créer le poste de commissaire à l’enfance. Le Canada comparaîtra bientôt devant le Comité des droits de l’enfant de l’ONU pour rendre compte du peu de progrès réalisés au cours des cinq dernières années. La création de ce poste serait une amélioration notable. Ce serait une preuve de progrès et un moyen de nous préparer à ces audiences. En ce moment, au milieu de cette crise, nous constatons que les enfants n’ont aucun moyen efficace de communiquer avec le gouvernement. Nous avons créé le Parlement des jeunes Canadiens. C’est une tribune possible pour les enfants, mais il faut en plus un bureau indépendant au sein du gouvernement, qui soit libre de toute influence politique et qui n’ait aucun autre programme que de promouvoir les droits des enfants, de prendre leur défense et de se consacrer à leurs besoins.

La sénatrice Griffin : Merci.

La présidente : Je vois que Mme Hay et Mme Gruenwoldt veulent toutes deux ajouter quelque chose. Je peux vous donner quelques secondes. Je sais que nous y reviendrons, mais si vous voulez intervenir très rapidement sur cette question précise, je vais vous permettre de le faire.

Mme Hay : Merci, madame la sénatrice. Il existe un conseil national des jeunes au sein de l’organisme Jeunesse, J’écoute. Deux postes sont réservés aux jeunes au sein de notre conseil d’administration. Nous avons aussi un conseil consultatif autochtone composé à 50 % de jeunes Autochtones. À Jeunesse, J’écoute, nous trouverions insensé de prendre des décisions sur ce dont les enfants du Canada ont besoin sans leur permettre de participer à nos discussions, alors nous appuyons pleinement cette proposition.

Mme Gruenwoldt : Je vais juste ajouter un mot à l’observation de Mme Austin : beaucoup d’autres organismes voués à la santé des enfants au Canada appuient cette idée. Nous avons passé des mois, sinon des années, à militer pour l’établissement d’un poste de commissaire et à faire de la recherche sur ce que pourrait être son rôle. Ce n’est pas une idée préconisée par un organisme en particulier. L’idée d’avoir un commissaire à l’enfance jouit d’un vaste appui partout au Canada.

La présidente : Je vous remercie beaucoup. Ça tombe bien. La sénatrice Moodie est la prochaine intervenante sur ma liste, et elle aussi appuie fermement ce projet.

La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui.

Je vous remercie de m’avoir permis de ne pas vous poser cette question, parce que vous avez donné toutes les réponses sur un sujet qui me tient à cœur — sur une idée que je défends ardemment et dont j’espère pouvoir discuter davantage.

Je vais me concentrer sur le financement. La COVID-19 a non seulement mis au jour des éléments de notre système de soins pour les enfants dont le financement était insuffisant, elle a aussi engendré des besoins de financement supplémentaires. Malheureusement, je vais demander à chacun de vous de commenter cette affirmation. Je crois comprendre que, dans le cas des enfants, les sommes débloquées sont assez limitées.

Madame Katherine Hay, voici la première partie de ma question : quelle est la procédure que vous avez suivie pour demander du financement au Cabinet du premier ministre et à l’Agence de la santé publique du Canada et ainsi recevoir les 7,5 millions de dollars qui vous ont été octroyés? Parlez-nous des obstacles que vous avez réussi à surmonter et de ce qui pourrait être source de problèmes pour d’autres groupes.

Et voici une question plus vaste, que j’adresse à Mmes Austin et Gruenwoldt : pouvez-vous nous dire à quelle sorte de financement on a eu droit pour les enfants et les organismes voués aux enfants dans le contexte de la pandémie de COVID-19?

Mme Hay : Ce que je peux dire à propos de la procédure de communication entre Jeunesse, J’écoute et l’Agence de la santé publique, c’est que notre relation est établie depuis longtemps. Nous n’avons jamais obtenu un montant de financement important du gouvernement fédéral, mais nous avons une relation extraordinaire avec Inforoute Santé du Canada, étant donné que nous sommes un organisme caritatif fondé sur les nouvelles technologies. D’un autre côté, nous participons à toutes sortes de tables rondes, nous fournissons des données en temps réel et nous travaillons en collaboration en tant que défenseurs des enfants, des adolescents et des jeunes adultes.

Lorsque la pandémie a frappé, je suis fière de dire que notre gouvernement, et les gens avec qui j’ai le plaisir de discuter à l’Agence de la santé publique et au Cabinet du premier ministre, m’ont écoutée. Je n’avais certes jamais rien vécu de tel que cette pandémie, avec toutes les circonstances particulières qu’elle a engendrées, et je suis pourtant plus près de la fin de ma carrière que bien d’autres ici.

En tant que Canadienne, j’ai été fière de constater qu’ils ont compris nos besoins. Ils ont compris que si nous devions fermer nos portes, si nous disparaissions, cela allait créer un problème.

La procédure existait déjà. Nous avons présenté une proposition solide au gouvernement, à l’Agence de la santé publique et au Cabinet du premier ministre. En fait, l’Agence et Jeunesse, J’écoute ont examiné ensemble les postes budgétaires qui allaient être le plus durement frappés par une baisse de revenus. Quand nous avons mis en œuvre notre plan de poursuites des activités face à la COVID-19, nous avons dû, comme partout ailleurs au Canada, demander à nos 130 conseillers de faire du télétravail, mais nous n’avions pas la technologie nécessaire. Nous avons dû la mettre en place à ce moment-là. Le gouvernement a compris et la procédure a été simple : transparence, clarté, intervention rapide et preuve. Il avait confiance en Jeunesse, J’écoute et croyait en ce que nous faisons. Il nous a suffi de documenter la façon dont les fonds allaient être dépensés.

La sénatrice Moodie : Merci beaucoup. Pour ce qui est de savoir quels étaient les besoins, et que sont encore les besoins aujourd’hui, voudriez-vous répondre la première, madame Austin?

Mme Austin : Merci, sénatrice. Au début de la crise, nous avons consulté notre Conseil des champions et obtenu l’avis de mes collègues qui témoignent également ici aujourd’hui ainsi que de bien d’autres représentants des grands organismes caritatifs et hôpitaux voués aux enfants. Nous avons cherché à cerner les besoins les plus criants pour pouvoir offrir un soutien immédiat aux enfants, mais toujours en pensant que ces besoins s’étaleraient sur des mois, et sur plusieurs années dans certains cas.

La réaction générale a été de signaler des besoins urgents sur les plans de la santé physique et mentale des enfants. Nous avons déterminé où étaient les besoins importants pour assurer le financement de la téléconsultation, de l’aide en santé mentale et de la recherche visant à déterminer les besoins des enfants au cours de la crise et après, ainsi que le financement devant permettre aux enfants et aux jeunes de se faire entendre concernant les décisions qui allaient se répercuter sur leur vie. Nous avons jugé qu’il fallait du financement pour protéger les enfants contre la violence, par exemple pour les centres de défense des droits des enfants, où se trouvent des équipes pluridisciplinaires au service des enfants victimes de mauvais traitements ou ayant besoin d’aide pour se rétablir d’un traumatisme. Nous avons aussi travaillé avec les Clubs Garçons et Filles pour déterminer les besoins de financement, surtout pour soutenir virtuellement les enfants et les jeunes afin de s’assurer qu’ils continuent de faire preuve de résilience durant la crise et après.

Nous avons établi qu’il fallait un financement d’environ 250 millions de dollars. Nous avons présenté des propositions et avons tenu des discussions approfondies avec de nombreux ministres, leur personnel et leur ministère pour tenter de créer un réseau de voies de financement assurant la distribution des sommes en temps opportun.

Tous les acteurs ministériels continuent de reconnaître que nous avons fait valoir des besoins réels. Le gouvernement reconnaît que ces besoins existent et que les organismes voués à combler ces besoins sont crédibles, compétents et dignes de confiance.

Pourtant, nous sommes quand même aux prises avec ce que je qualifierais de paperasserie. Par exemple, le gouvernement fédéral ne finance pas, normalement, les hôpitaux pour enfants. Comment sommes-nous censés intervenir en temps de crise pour soutenir les 13 hôpitaux pour enfants ainsi que d’autres hôpitaux offrant des services pour enfants, afin de leur permettre de réaliser un programme national en santé mentale qui prendra une forme distincte dans chaque province?

Cette gestion des différentes voies de financement en vue de répondre aux besoins les plus urgents présente de réelles difficultés. On reconnaît que les besoins existent, que les propositions présentées sont valables et que les organismes qui pourraient combler les besoins sont crédibles, dignes de confiance et jouissent de la collaboration de certains des plus grands experts du pays et sont donc capables de s’acquitter de leur mission. Par contre, nous continuons à surmonter des défis quand vient le temps de débloquer les fonds et d’obtenir qu’ils soient distribués en temps opportun.

Mme Gruenwoldt : Conformément à une grande partie des commentaires de Mmes Austin et Hay, nous passons un temps fou à rappeler aux élus que les enfants ne sont pas de petits adultes. Sur le plan des soins de santé, ils ont des besoins particuliers et un financement particulier est nécessaire pour soutenir leurs services de soins de santé.

Il est encourageant de voir des investissements dans les soins virtuels et, de façon plus générale, dans la recherche en santé. Nous continuons à travailler avec le gouvernement fédéral afin qu’il comprenne les besoins particuliers des enfants dans ces deux domaines. Il s’agit d’un dialogue continu. Pour en revenir au commentaire de Mme Austin, il y a eu un manque général de reconnaissance des investissements effectués dans la santé et le bien-être des enfants dans le contexte de la COVID.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à Mme Hay. Vous avez parlé des problèmes qui frappent les enfants dans les différentes régions du pays; je peux vous dire que j’habite la région du pays où la COVID-19 a frappé le plus durement, soit la Communauté métropolitaine de Montréal, où les écoles sont encore fermées. Il n’y a aucune activité sportive pour les enfants. Le confinement continue et je peux vous dire que, dans mon quartier, les enfants ne savent plus quoi faire, et les parents non plus.

Ce que vous entendez est extrêmement important pour intervenir de façon efficace. Est-ce que les renseignements que vous recueillez sont partagés avec d’autres services d’aide ou avec des services de santé, afin que tous se préparent adéquatement au changement que provoquera cette crise?

[Traduction]

Mme Hay : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Selon nos données, le Québec fait l’objet d’une pression énorme, tant du point de vue des jeunes que des adultes. Les données que je reçois maintenant sur le Québec sont déconcertantes.

Nous ne croyons pas que nos données nous appartiennent exclusivement; nous les partageons librement. D’ailleurs, nous lancerons un site de données public sans frais d’ici environ six semaines. Nous travaillons avec les agences de santé publique de tout le pays, ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux, en vue de communiquer ces données. Nous organisons des tables rondes afin de travailler directement avec eux. Ainsi, lorsqu’ils cherchent à déterminer les mesures qu’ils pourraient devoir prendre, ils disposent de données en temps réel qui proviennent directement des personnes concernées.

La réponse à votre question est : oui, nous pourrions en faire plus. Nous avons un centre d’appel et une présence assez importante au Québec. Nous sommes également un partenaire de Tel-jeunes.

La présidente : Avant de céder la parole à la sénatrice Mégie, nous entendrons nos deux conseillers des jeunes, Mme Heneke-Flindall et M. Kanji. Jusqu’à présent, vous avez écouté notre discussion. Nous parlons des investissements du gouvernement et de différents programmes à de nombreux niveaux. Nous avons parlé du niveau d’anxiété, de détresse et de trouble mental et vous avez lu quelque chose à ce sujet. Madame Heneke-Flindall, vous devriez peut-être commencer. Avez-vous accès à tous les programmes existants? En ce qui vous concerne et les jeunes que vous connaissez et à qui vous parlez, est-il facile d’établir des liens et de savoir où se tourner lorsque quelqu’un éprouve ce type d’anxiété et de détresse ou a besoin d’aide? En gros, les programmes fonctionnent-ils et atteignent-ils ceux qu’ils sont censés atteindre?

Mme Heneke-Flindall : Oui, je pense vraiment que c’est un début. Le travail que vous faites est incroyable et il y a beaucoup de très bons programmes qui jettent les bases de ce genre de choses. Il faut déployer des efforts plus généralisés pour sensibiliser la population aux façons d’accéder à de tels programmes et réduire les préjugés et les obstacles à l’accès aux programmes d’aide ou à l’option de parler de sa situation avec d’autres gens et d’avoir des personnes de confiance à qui parler. Je pense vraiment qu’un moyen cohérent d’atteindre cet objectif serait de mettre en œuvre plus de programmes dans les écoles.

Je sais que la demande est énorme pendant la pandémie de COVID-19 et que ce n’est pas aussi facile. Cependant, si nous avions une meilleure fondation avant d’en arriver à ce point, c’est-à-dire des programmes en classe uniformes dans le cadre desquels des personnes viennent apprendre aux gens comment utiliser ces choses et accéder aux ressources et leur donnent des présentations pour qu’eux et leurs pairs se sentent à l’aise de le faire, cela ferait une différence.

La présidente : Merci. Monsieur Kanji, voulez-vous faire un commentaire à ce sujet?

M. Kanji : Oui, merci, madame la sénatrice. Je suis d’accord avec Mme Heneke-Flindall. Divers organismes font un excellent travail. Je vais toutefois considérer la question davantage en fonction d’une approche que je connais bien, soit celle des disparités raciales qui existent.

Au sein de certains groupes ethniques et minorités raciales, la santé mentale fait l’objet de préjugés très répandus qui donnent aux gens l’impression qu’il n’est pas approprié de parler de leurs sentiments. Ils sont censés en revenir et passer à autre chose; ils sont censés se débrouiller. Souvent, les jeunes de différents groupes ethniques apprennent en grandissant qu’il est inacceptable de parler de leurs émotions et que la communication avec ces organismes représente un signe de « faiblesse », ce qui est totalement faux. Il faut accroître la sensibilisation dans ce domaine et cibler plus précisément les différents groupes qui font peut-être l’objet d’un plus grand nombre de préjugés que d’autres. C’est là que la campagne de sensibilisation doit commencer.

Beaucoup d’excellent travail se fait. Cependant, au bout du compte, s’il existait des systèmes comme le Parlement des jeunes Canadiens sur lequel travaille Les enfants d’abord Canada pour jouer le rôle d’intermédiaire et fournir une ligne de communication directe aux dirigeants, il y aurait un plus grand dialogue sur les différents besoins des jeunes, notamment en termes de santé mentale, et les communications seraient plus faciles.

La présidente : Merci à vous deux de vos commentaires. Si je me fie au nombre de hochements de tête que je vois sur mon écran, je pense que votre message a été entendu.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci aux témoins. Ma question s’adresse à Mme Austin.

On vous a posé une question tout à l’heure sur la commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. Vous avez aussi fait la suggestion d’un parlement jeunesse. Vous connaissez le Conseil jeunesse du premier ministre du Canada. D’après vous, est-ce que les objectifs du parlement jeunesse que vous proposez seraient différents de ceux du conseil jeunesse qui existe déjà?

[Traduction]

Mme Austin : Merci de votre question, madame la sénatrice. Nous vous avons envoyé quelques documents sur le Parlement des jeunes Canadiens proposé et vous devriez les recevoir sous peu.

Nous nous sommes tournés vers les autres pays du monde pour voir les mesures qu’ils ont prises pour permettre aux enfants de s’exprimer, de participer et de promouvoir leurs droits. Le Parlement des jeunes Canadiens que nous sommes en train de créer au milieu de cette crise est une réponse directe aux commentaires et aux idées des enfants eux-mêmes.

À ma connaissance, tous les mécanismes qui existent actuellement au sein du gouvernement fédéral pour faire participer les enfants et les jeunes commencent généralement à l’âge de 15 ans et vont souvent jusqu’au début de la vingtaine. Les conseils des jeunes ont tendance à permettre aux jeunes plus âgés de se faire entendre et à leur offrir une tribune sérieuse, mais ils répondent vraiment aux besoins et aux intérêts des adolescents plus âgés et, dans de nombreux cas, des jeunes adultes.

Nous avons consulté des enfants et des jeunes dans le cadre de nos programmes et de la création de la Charte canadienne des enfants il y a plusieurs années, et des enfants d’à peine 8, 9 et 10 ans nous ont dit qu’ils voulaient une tribune où se faire entendre. L’idée d’un Parlement des jeunes Canadiens a été lancée et conçue par des jeunes, sera dirigée par des jeunes et permettra à tous les jeunes Canadiens de moins de 18 ans de participer à un forum ouvert. À l’heure actuelle, le mécanisme prévoit des réunions mensuelles. Il s’agira d’un forum ouvert à tous les jeunes de moins de 18 ans qui souhaitent y participer. Des séances mensuelles seront organisées sur différents sujets. La première séance aura lieu le 18 juin et portera sur la santé mentale et les besoins immédiats des enfants et des jeunes à l’approche de l’été. Chaque mois, les jeunes parleront des questions qui les concernent. Ils seront eux-mêmes les experts et ils inviteront des parlementaires à les écouter, à prendre connaissance de leurs préoccupations et à répondre à leurs questions et leurs préoccupations.

Nous créons cette tribune en plein milieu de la crise pour permettre aux enfants de contribuer à la réponse à la pandémie. Cependant, idéalement, le Parlement des jeunes Canadiens continuera d’exister bien au-delà de la crise et favorisera la participation soutenue des jeunes à l’élaboration des politiques qui ont une incidence sur leur vie afin qu’ils puissent non seulement proposer des politiques qu’ils souhaitent voir adopter, mais aussi donner leur avis au gouvernement lorsque celui-ci va de l’avant avec des initiatives visant à consulter directement les enfants et les jeunes de tous âges.

Je m’en remets à mes jeunes collègues, M. Kanji et Mme Heneke-Flindall, qui ont participé aux consultations sur la conception du projet, s’ils souhaitent faire des commentaires supplémentaires.

M. Kanji : J’aimerais dire quelques mots sur le cabinet fantôme et le Conseil jeunesse du premier ministre.

Je trouve que les conseils des jeunes et les organismes jeunesse qui sont déjà en place à l’échelle fédérale pour défendre les droits des jeunes ne permettent souvent qu’aux jeunes les plus qualifiés, les plus astucieux ou les plus actifs au sein de leur communauté d’avoir une place à la table et d’être entendus. La voix de la grande majorité des jeunes, qui ne sont peut-être pas aussi engagés et impliqués dans les différentes activités de leadership, n’est souvent pas entendue à l’échelle fédérale. Le Parlement des jeunes Canadiens est une tribune qui donnera à ces jeunes l’occasion de se faire entendre. Il permettra à un jeune de 12 ans qui vient de terminer ses études d’avoir une voix à la table et de suggérer des améliorations qui pourraient être apportées au Canada. Normalement, un jeune de 12, 13 ou 14 ans n’a pas la possibilité de s’exprimer aussi ouvertement au cours d’une réunion d’un cabinet fantôme ou du Conseil jeunesse du premier ministre.

Mme Heneke-Flindall : Je soutiens M. Kanji et ce qu’il a dit. Je suis d’accord. Il est toujours préférable de commencer plus jeune, car plus d’enfants et de jeunes pourront alors s’impliquer dans l’avenir et devenir le type de jeunes très actifs et engagés qui sont présents dans ce genre de conseils. Nous avons besoin des deux parties du système pour que l’ensemble fonctionne sans difficulté et que le plus grand nombre possible de personnes aient le sentiment qu’ils peuvent participer et se faire entendre et ainsi vraiment représenter la population canadienne, au lieu de se limiter aux petites perspectives de différentes personnes.

La présidente : Merci de vos observations.

[Français]

La sénatrice Mégie : Madame Austin, vous avez parlé tout à l’heure des soins virtuels et ce matin, nous avons discuté des inégalités pour ce qui est de l’accès au monde virtuel.

Le gouvernement fédéral pourrait-il entreprendre une nationalisation des infrastructures virtuelles afin d’appuyer une certaine équité dans l’accès au réseau, et ce, quel que soit l’endroit où l’on se trouve?

[Traduction]

Mme Austin : La question de la nationalisation des programmes est une véritable boîte de Pandore. Je n’ai pas d’opinion là-dessus à ce moment-ci. Une partie du travail revient certainement au gouvernement fédéral, qui doit collaborer avec les provinces et les territoires pour garantir des soins et des services équitables; par exemple, la question des services de soutien en santé mentale pour les enfants et les jeunes, à savoir où il serait judicieux de les régionaliser pour mieux appuyer des programmes provinciaux ou locaux, conçus par des hôpitaux pour enfants, par d’autres hôpitaux ou par des organismes de santé, pour servir et appuyer les enfants et pour répondre à leurs besoins en santé mentale. Une excellente façon de soutenir la santé mentale des jeunes serait de débloquer des fonds fédéraux pour financer des programmes nationaux qui permettent aux hôpitaux pour enfants d’offrir ces services.

En ce qui a trait aux soins virtuels, je pense que mes collègues Emily et Kathy pourraient également formuler des commentaires sur la question. Nous constatons à l’heure actuelle qu’il existe des lacunes en ce qui concerne le leadership fédéral. Il y a un manque d’uniformité d’une province à une autre, non seulement en ce qui a trait aux soins virtuels, mais aussi à beaucoup d’autres dossiers relatifs à l’enfance. Il nous faudrait un leadership fédéral pour assurer la continuité et l’uniformité des soins pour enfants partout au pays. Le Canada a l’obligation de respecter la Convention relative aux droits de l’enfance des Nations unies pour veiller à ce que tous les enfants reçoivent des soins et du soutien de qualité.

La présidente : Madame Hay et madame Gruenwoldt, vous avez indiqué que vous aimeriez répondre à cette question précise. Vous pouvez le faire très brièvement, et nous entendrons ensuite le sénateur Munson, qui a aussi des questions à poser.

Mme Hay : Je serai brève. Jeunesse, J’écoute est en fait un pionnier des soins virtuels, car nous offrons des soins virtuels depuis 31 ans. Nous sommes un organisme national. Les infrastructures virtuelles pourraient bénéficier de la nationalisation, mais le secteur caritatif sans but lucratif et les organisations non gouvernementales du Canada doivent s’assurer de collaborer plutôt que de travailler en vase clos et de se réserver l’utilisation unique de leur technologie. Je ne sais pas si je m’exprime clairement.

Pendant la pandémie de COVID-19, par exemple, Jeunesse, J’écoute a rendu accessible sa technologie pour des campagnes de mots-clés dans le cadre de partenariats avec les Repaires jeunesse du Canada et les Grands frères Grandes sœurs du Canada parce que les enfants auprès desquels ils travaillent n’ont pas accès aux services de soutien dont ils ont normalement besoin; on les leur offre grâce aux soins virtuels. La collaboration nous donne un grand pouvoir; ce n’est pas uniquement une question de soutien de la part des fonctionnaires fédéraux.

Mme Gruenwoldt : C’est en fait une question très complexe à laquelle il est difficile de répondre succinctement.

On ne peut pas considérer les soins virtuels comme étant une panacée à tous les problèmes du système canadien de soins de santé en ce qui a trait à l’équité. Cependant, les soins virtuels ont certainement offert des solutions pour les collectivités et les familles qui, autrement, auraient des difficultés à accéder aux soins en personne. C’est intéressant, car, d’une part, les soins virtuels ont permis d’ouvrir beaucoup de portes pour soutenir les familles, mais d’autre part, bien sûr, des problèmes d’accès à la connexion Internet à large bande, à la technologie même et au matériel sont certainement des facteurs limitatifs.

En ce qui a trait à l’équité, l’autre domaine où nous avons constaté des lacunes concerne la capacité de certaines organisations canadiennes d’offrir rapidement des soins virtuels en réponse à la pandémie de la COVID-19, tandis que d’autres organisations, plus petites, n’ont ni l’infrastructure ni les ressources très avancées nécessaires pour le faire. Ainsi, il y a beaucoup de lacunes sur le plan de l’orientation des patients par nos hôpitaux vers des services qui ne sont pas offerts dans leur collectivité, ce qui fait que les familles ne reçoivent pas les soins nécessaires.

Je reviens à ce que j’ai dit précédemment : il existe de véritables préoccupations concernant la perte de fonctionnement qui résulte de l’interruption de ces services essentiels. Nous pourrions passer des heures à parler de ce seul aspect. Je m’arrêterai là, mais je voulais simplement mentionner quelques points de vue.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Munson : J’écoute la conversation et je suis toujours troublé par ce qui arrive à certains enfants au pays. J’ai écouté les témoignages, surtout concernant Jeunesse, J’écoute. Voici le titre d’un article publié en 2015 dans le Globe and Mail : « Les libéraux acceptent de révoquer la loi sur la fessée en réponse à un appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. » Bien sûr, on soutient que l’utilisation d’une force raisonnable pour infliger de la douleur à un enfant semblerait toujours être acceptée au Canada. Cinquante-quatre pays ont interdit la fessée et 56 autres pays ont dit qu’ils sont prêts à l’interdire. Le projet de loi stagne au Sénat du Canada.

En ce qui a trait à la santé et au bien-être d’un enfant, pourriez-vous nous faire part — brièvement, car je veux passer à un autre sujet — de vos points de vue sur le projet de loi? À mon avis, cela donne une image trompeuse du Canada lorsqu’il est question du soin des enfants. Voulez-vous commencer, madame Hay?

Mme Hay : Merci, sénateur, de faire valoir ce point. Je ne connais pas précisément ce projet de loi, mais je peux dire catégoriquement au nom de Jeunesse, J’écoute que nous ne croyons pas que le châtiment corporel est un outil parental approprié. Il nuit aux enfants.

Quand je vois les statistiques qui sont devant moi en ce moment, alors que les enfants sont en confinement durant la pandémie de COVID-19, je pense que les jeunes ne sont pas nécessairement en sécurité chez eux, où ils devraient se sentir en sécurité. Il n’est pas acceptable de donner ce genre de permission aux parents. Qu’il en ait été question ou non, je vous remercie d’en avoir parlé.

Le sénateur Munson : Mesdames Gruenwoldt et Austin, puis-je savoir ce que vous en pensez?

Mme Gruenwoldt : Je ne pense pas avoir grand-chose à ajouter. Si vous parlez aux urgentologues du pays, ils vous diront certainement qu’ils voient des signes d’une augmentation des cas de violence physique contre les enfants, ce qui est bien entendu inapproprié. Je ne connais pas le projet de loi, sénateur Munson, mais je serais heureuse d’en prendre connaissance prochainement.

Le sénateur Munson : Merci.

Mme Austin : Les enfants d’abord Canada est depuis longtemps favorable à l’abrogation de l’article 43 du Code criminel. Nous croyons qu’aucune violence contre les enfants n’est justifiable et que toute violence contre les enfants est évitable. Les enfants sont les seuls membres de la société canadienne contre lesquels il est légal de commettre des actes de violence physique, alors nous sommes pour l’abrogation de l’article 43 du Code criminel. Les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation le réclamaient. Il y a longtemps que cet article aurait dû être abrogé.

Il est certain qu’au-delà des recours légaux et des modifications législatives qui sont nécessaires, beaucoup d’autres mesures doivent être prises pour sensibiliser le public et outiller les parents de manière à ce qu’ils puissent élever leurs enfants sans employer la violence. Nous sommes assurément pour les changements par la voie juridique, mais il faut aussi sensibiliser le public et donner aux parents les ressources qui leur permettront d’élever leurs enfants de façon non violente.

Le sénateur Munson : Merci d’avoir parlé de la Commission de vérité et réconciliation, qui a fait 94 recommandations.

Puisqu’il est question de cette commission et que Mme Hay a abordé tout à l’heure la question du racisme systémique qui existe aux États-Unis et contre lequel le Canada croit être à l’abri, ce qui n’est pas le cas, je me demande ce qu’il faudra pour résoudre ce problème. Une commission devrait-elle être mise sur pied? Où le débat doit-il vraiment commencer?

Des autistes qui défendent leur propre cause semblent nous dire que nous pensons connaître l’autisme mieux qu’eux-mêmes. Alors que faudra-t-il faire? Une commission de vérité et réconciliation devra-t-elle être mise sur pied pour résoudre le problème du racisme systémique et du sort des minorités au Canada? Nous connaissons le problème de l’intimidation dans la cour d’école. Des groupes du pays font beaucoup de travail. Tout le monde veut faire quelque chose pour l’enfant ou pour que la société soit meilleure. Je suis plutôt frustré parce que je n’arrive pas à voir ce qu’il faudrait faire. Est-il nécessaire de mettre sur pied une nouvelle commission? Notre débat devrait-il faire rage, pour ainsi dire, dans tout le pays? Ce qui se passe est vraiment dangereux.

Madame Hay, qu’en pensez-vous?

La présidente : Madame Hay, j’ai hâte d’entendre votre réponse. Toutefois, je voudrais rappeler à mes collègues que, même si les discussions sont très intéressantes et que les témoignages sont très utiles, nous devrions nous concentrer sur l’objectif de la présente étude, qui est d’étudier les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre la pandémie de COVID-19. Je sais que beaucoup de liens peuvent être faits, et ils ont été faits. Merci, sénateur Munson.

Le sénateur Munson : Je suis d’accord avec vous, madame la présidente, mais les endroits et les populations du pays dont nous parlons actuellement ont été affreusement touchés par la COVID-19. Voilà pourquoi je pense que tout cela fait partie d’une seule et même discussion.

La présidente : Tout à fait. Madame Hay, vous avez une réponse à nous donner?

Mme Hay : Merci, sénateurs. Je n’ai pas la réponse à cette question, mais je sais que les données recueillies en temps réel par Jeunesse, J’écoute ont une valeur inestimable pour nous permettre de comprendre quels doivent être les investissements de notre pays dans la jeunesse si nous voulons résoudre le problème des jeunes issus des minorités raciales.

Je sais que nous devons donner la parole aux jeunes. C’est ce que les jeunes nous font valoir. Je vous enverrai des extraits de ce que pensent de jeunes Canadiens de race noire à ce sujet. Pas plus tard qu’hier, ils disaient encore à Jeunesse, J’écoute qu’on devrait leur donner la parole.

Je suis absolument favorable à la tenue d’une commission, mais je pense aussi qu’il faut agir. Nous devons nous élever contre le racisme chaque fois que nous en sommes témoins au Canada. Je suis en train de pontifier et je pourrais continuer ainsi pendant longtemps. Jeunesse, J’écoute est un partenaire sur lequel vous pourrez toujours compter.

M. Kanji : Merci, monsieur le sénateur. C’est une question qui me passionne. La plupart des manifestants que l’on voit actuellement dans notre pays et aux États-Unis appartiennent à ma génération et celle de Mme Heneke-Flindall. C’est que les jeunes Canadiens de race noire n’ont pratiquement pas voix au chapitre et que les causes défendues par les jeunes ne sont pas entendues.

Mes collègues et moi revendiquons depuis des années un plan d’action pour éradiquer le racisme. Cependant, comme nous n’avons aucun moyen de faire entendre notre voix, rien n’a été fait. Le Parlement des jeunes Canadiens et un éventuel commissaire fédéral à l’enfance pourraient être utiles pour remédier à cette inaction. Ils constitueraient un lien de communication directe avec le gouvernement fédéral pour que l’on s’efforce de résoudre les problèmes avant que la situation ne dégénère jusqu’au point où nous en sommes maintenant. Cette idée aurait été extrêmement bénéfique dans le passé, et il est toujours possible de la développer. En mettant en œuvre ces programmes aujourd’hui, nous pourrions nouer le dialogue avec les jeunes et résoudre les problèmes auxquels ils se heurtent.

La présidente : Merci. Madame Heneke-Flindall, vous avez la parole.

Mme Heneke-Flindall : Pour faire fond sur ce qu’a dit M. Kanji, le fait d’avoir plus de plateformes pour faire participer les gens nous permettra de faire des progrès à partir de la base. Les nouvelles générations seront donc en mesure de s’attaquer à ces questions pour éviter que les problèmes continuent pendant aussi longtemps. Encore une fois, pour revenir au mandat, nous avons besoin du Parlement des jeunes Canadiens et du commissaire à l’enfance. J’ai écouté ce que beaucoup de jeunes gens ont à dire. J’ai participé à différents événements où nous avons fait des remue-méninges sur ces questions. Nombre de jeunes leaders ont beaucoup d’idées novatrices. Ils peuvent très bien entrevoir l’évolution de ces questions, les véritables changements et l’espoir en l’avenir. Ils trouvent des moyens différents et uniques d’éliminer le racisme et de donner du pouvoir aux groupes qui sont souvent opprimés ou tenus à l’écart des discussions.

En accordant un soutien aux jeunes, nous pourrons jeter un regard neuf sur beaucoup d’autres questions. Nous serons en mesure de mieux faire avancer les choses en renforçant l’autonomie des jeunes.

Le sénateur Munson : Merci. Madame la présidente, je suis désolé d’avoir redirigé la conversation. Ces questions me tiennent beaucoup à cœur. Cela nous ramène toujours aux mêmes enjeux, j’ai l’impression.

La présidente : Tout à fait. Merci à vous tous.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Quelle belle jeunesse! Sénateur Munson, il n’y a rien de mal à montrer un peu de passion. Cela nous garde toujours bien ancrés dans la réalité et cela nous permet de miser sur nos objectifs.

Ma question s’adresse à Mme Austin. Vous aviez fait dans un document des recommandations par rapport à la crise, et l’une d’entre elles était d’adopter une approche basée sur le principe de Jordan, qui vise à placer les intérêts des enfants en priorité. Selon cette approche, les organismes gouvernementaux devraient être responsables de régler la question des coûts dans le but de réduire les formalités administratives afin d’assurer une prestation rapide et efficace des services.

En février 2015, l’Assemblée des Premières Nations a publié un rapport du Groupe de travail sur le principe de Jordan, qui a souligné plusieurs lacunes en ce qui a trait à la mise en œuvre de ce principe.

Selon vous, compte tenu de ces lacunes, y a-t-il eu des améliorations notables pour ce qui est de la mise en œuvre du principe de Jordan depuis la crise de la COVID-19? Dans l’affirmative, croyez-vous que cette approche s’inscrit dans le contexte de l’après-crise, possiblement dans une forme étendue à tous les enfants?

[Traduction]

Mme Austin : Merci, madame la sénatrice. Je ne peux pas me prononcer avec certitude sur l’application ou non du principe de Jordan dans sa pleine mesure dans le contexte de la COVID-19. Je laisserais le soin à d’autres collègues, notamment ceux de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, de répondre à cette question, car ils ont une plus grande expertise dans ce domaine. Par contre, je dirais tout de même qu’en général, il y a encore des lacunes dans la mise en œuvre du principe et dans les efforts pour veiller à ce que les enfants soient servis d’abord et qu’ils ne soient pas victimes de la bureaucratie gouvernementale quant à savoir qui paiera la note. Le principe de Jordan pose des défis constants, même dans les meilleures circonstances — je suppose que cela demeure vrai actuellement, dans le contexte de cette crise.

Notre organisation a été fondée sur le principe de l’enfant d’abord. Nous devons penser aux enfants d’abord dans toutes les décisions que nous prenons. Nous voulons surtout que le gouvernement fédéral collabore avec les provinces et les territoires et qu’il accorde la priorité aux enfants dans toutes les décisions qui touchent la vie de ces derniers. Dans les politiques qui servent et qui soutiennent directement les enfants, ceux-ci doivent être consultés. Il en va de même lors de l’adoption de politiques plus larges, comme le budget fédéral et les initiatives plus vastes en matière de santé, qui ont souvent des conséquences imprévues pour les enfants, comme la décision de fermer les écoles.

Même si la décision de fermer les écoles a été prise dans l’intérêt supérieur de tous les Canadiens, les enfants ont certainement payé un lourd tribut. Lorsqu’on adopte une approche qui accorde la priorité aux enfants ou qui respecte le principe de Jordan, cela modifie la manière dont on prend des décisions. Lorsqu’on fait participer les enfants à la conversation, on tire des conclusions différentes.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : J’ai une autre question qui s’adresse à Mme Hay. Depuis le 12 mars, vous avez constaté une augmentation de 35 % des conversations portant sur la violence psychologique et physique, et une augmentation de 36 % des conversations portant sur la violence sexuelle.

Pourtant, cela se produit à un moment où de nombreux organismes de protection de l’enfance ont signalé une diminution des rapports.

Comment expliquez-vous cet écart, qui est très préoccupant? De quelle façon pourrions-nous outiller les jeunes pour qu’il soit plus facile pour eux de signaler des abus lorsqu’ils se trouvent dans des situations vulnérables? Madame Hay?

[Traduction]

Mme Hay : Merci pour cette question, madame la sénatrice. Il est très important d’en discuter. La réalité est que les écoles et les endroits semblables sont souvent un havre de sécurité pour les enfants et les jeunes qui vivent dans un milieu violent ou qui sont aux prises avec ce genre de difficultés. Or, la plupart des établissements d’enseignement sont fermés. Les enfants se retrouvent donc dans un milieu qui n’est pas nécessairement sécuritaire pour eux.

Voilà pourquoi les statistiques et les données en temps réel montrent une augmentation. Souvent, un jeune ne peut pas parler à la maison parce que ce n’est pas sécuritaire de le faire, mais il peut envoyer un texto pour nous joindre. Quand nous établissons ce lien avec l’enfant — et dans une situation de crise, il n’est pas question de premier arrivé, premier servi —, le cas est immédiatement pris en charge. Cela ne prend que 40 secondes ou, dans le pire des cas, cinq minutes.

Nous employons tout un cadre de planification de la sécurité. Nous collaborons avec les organismes d’aide à l’enfance et avec la GRC, car nous sommes une organisation nationale et, grâce à la GRC et aux organismes d’aide à l’enfance, nous pouvons effectuer un contrôle de la sécurité physique de la jeune personne. Nous faisons des signalements obligatoires tous les jours.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Au-delà des services que vous fournissez, selon vous, le gouvernement devrait-il instaurer d’autres mesures pour outiller ces enfants qui sont dans des situations vulnérables?

[Traduction]

Mme Hay : Merci, madame la sénatrice. C’est une excellente question. Oui, il existe beaucoup d’autres outils. En plus de ce qu’ont dit mes collègues, Mme Austin et Mme Gruenwoldt, ainsi que nos deux conseillers des jeunes, le fait d’entendre directement la voix des jeunes lors de la prise de décisions pourrait vraiment être utile — pas pour la défense, mais pour l’élaboration de politiques utiles. Qui sait mieux qu’un jeune ce dont les jeunes ont besoin?

L’accès est primordial, c’est-à-dire l’accès de diverses façons. En ce qui a trait à la technologie, l’accès à Internet et l’accès à un téléphone cellulaire sont autant de moyens pour un jeune d’appeler à l’aide.

Cela me ramène à la question que vous avez posée au sujet du principe de Jordan et des jeunes Autochtones au Canada. Afin de répondre aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, Jeunesse, J’écoute a lancé la Stratégie d’action pour soutenir les jeunes Autochtones. Dans de nombreuses collectivités du Nord du Canada, l’accès est un défi énorme. Beaucoup de collectivités n’ont pas de service de téléphonie cellulaire, et il n’y a pas nécessairement de services d’aide à l’enfance sur place. À mon avis, c’est là qu’il faudrait investir à fond.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Merci beaucoup. Je présume que mon temps de parole est écoulé. J’aurais une troisième question, mais j’attendrai la deuxième ronde, madame la présidente.

La présidente : Absolument. Merci beaucoup de votre collaboration.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Bonjour, et merci à tous de vos précieux témoignages.

À mon avis, un grand nombre des questions soulevées doivent vraiment être approfondies. La question du financement destiné aux organismes caritatifs plus particulièrement nécessite qu’on s’y attarde, car nous avons désespérément besoin de ces organismes. Les choses sont difficiles pour eux parce qu’ils dépendent de dons et que le travail habituellement fait par des bénévoles ne se fait pas à l’heure actuelle. C’est très préoccupant.

Ce que vous nous dites aussi est qu’en plus d’avoir des effets à court terme, la COVID-19 aura aussi des effets à moyen et à long terme que vous craignez qu’on oublie, qu’on laisse de côté. Nous nous occupons tous des répercussions à court terme pour le moment.

Ces sujets nous intéressent tous, mais je vais aller droit au but ici et poser la question que je veux vraiment poser et à laquelle, je pense, tous les membres du comité veulent avoir une réponse. Les organismes que vous représentez ont écrit au gouvernement et ont présenté certaines demandes relativement à la pandémie. Si vous aviez deux recommandations à soumettre au comité pour son rapport final, quelles seraient-elles? Je vais demander à la Dre Gruenwoldt de plonger la première.

Mme Gruenwoldt : Bien sûr. Petite précision cependant : je ne suis pas médecin. C’est donc Mme Gruenwoldt tout simplement.

Quelles seraient nos deux priorités? Le financement et la durabilité du secteur de la recherche sur la santé de l’enfant demeurent un sujet de préoccupation. Malgré sa petite taille, la communauté de la recherche sur la santé des enfants contribue de façon importante à la santé et au bien-être des enfants partout dans le monde. Nous avons demandé au gouvernement fédéral un financement de 28 millions de dollars spécialement pour la recherche sur la santé des enfants. Nos collègues de SoinsSantéCAN ont présenté une demande de quelque 650 millions de dollars. Un montant de 450 millions de dollars a été accordé, et nous en sommes heureux, mais ce n’est pas suffisant pour répondre aux besoins immédiats de la communauté de recherche sur la santé, essentielle pour les changements dans la pratique et les soins aux patients. Je pense que cela demeure une importante priorité pour notre communauté.

Du côté des nouveaux besoins qui se font sentir, nous sommes très préoccupés à l’échelle du pays par tous les soins de santé que l’on continue de reporter et la capacité du système de rattraper l’arriéré. Selon nos calculs, cela pourrait prendre de 12 à 18 mois, sans compter les interventions qui attendent depuis le début et qui peuvent avoir un effet très important dans le développement d’un enfant. Un financement extraordinaire de 20 % pour ces besoins qui viendrait s’ajouter à ce que les provinces sont actuellement en mesure d’accorder aux hôpitaux pour enfants serait une priorité.

Mme Austin : Premièrement, je recommanderais de répondre aux besoins en financement qui ont été établis par le Conseil des champions, ce qui comprendrait les besoins mentionnés par Mme Gruenwoldt, mais, de façon plus générale, le soutien des organismes de première ligne qui fournissent des soins à huit millions d’enfants au pays.

Ensuite, je recommanderais que le gouvernement finance des mécanismes durables pour assurer la protection des droits des enfants. Je vais même oser dire que le commissaire à l’enfance et le Parlement des jeunes Canadiens seraient deux choses très utiles à appuyer de façon durable pour assurer la protection des droits des enfants pendant cette crise et par la suite.

La sénatrice Seidman : Quelle concision. Quelle détermination. Excellent.

Mme Hay : J’ai deux recommandations. En passant, on dit que je suis un moulin à paroles. J’appuie l’audace de Mme Austin et je pense qu’il faut donner une voix là où cela compte, où se prennent les décisions pour les jeunes du Canada. Je pense qu’il s’agit d’une recommandation cruciale.

Je tiens à souligner que des enfants, dont certains n’ont pas plus de 5 ans, communiquent avec Jeunesse, J’écoute tous les jours. Il est important qu’ils puissent s’exprimer.

Les autres recommandations portent sur les mesures concrètes et le soutien. Jeunesse, J’écoute a obtenu un excellent soutien dans le cadre de la crise de la COVID-19. C’est loin d’être terminé. J’encourage le comité à insister sur la nécessité de financer les autres organismes de services aux jeunes, dont Jeunesse, J’écoute — pas dans l’immédiat —, car la question de l’accès constitue un obstacle pour les jeunes en matière de santé mentale et pour les enfants pris en charge et les jeunes Autochtones. Nous savons que, lorsqu’ils ont accès aux services, ils se sentent mieux. À Jeunesse, J’écoute, plus de 70 % des jeunes nous disent des choses qu’ils n’auraient dites à personne d’autre. On réduit les obstacles. Il faut donner une voix aux jeunes et agir, ce qui demande du financement. Voilà nos recommandations.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup. Ma question s’adresse à Mme Gruenwoldt. Le 23 mars, vous avez adressé une lettre au gouvernement fédéral dans laquelle vous dites qu’il doit fournir de toute urgence une aide financière supplémentaire afin « de répondre aux besoins urgents du système de soins de santé et d’appuyer les efforts d’atténuation, y compris l’accès à des tests, à du matériel et à de meilleures méthodes de surveillance et de suivi ».

Pourriez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire au juste? Merci.

Mme Gruenwoldt : Au départ, nous étions particulièrement inquiets relativement à la capacité de faire les tests nécessaires pour diagnostiquer les infections à la COVID-19 chez les enfants. Cette inquiétude s’est atténuée au fil du temps et avec les travaux de recherche qui montrent que les enfants sont moins susceptibles d’être infectés ou de transmettre la maladie.

Dans le contexte des deux priorités que nous avons abordées aujourd’hui en ce qui concerne la réouverture des écoles et la capacité d’intensifier la prestation des services de santé, il s’agit absolument d’une priorité en général, que ce soit pour les professionnels de la santé, les familles qui accompagnent nos patients ou les patients eux-mêmes.

Il serait incroyablement important de pouvoir détecter rapidement les cas positifs et de retracer leurs contacts afin de limiter la propagation, surtout quand on tient compte de ce qu’on a vu avec la récente éclosion dans certaines écoles du Québec depuis leur réouverture. Le contexte a un peu changé depuis le 23 mars, mais cela reste une priorité.

La sénatrice Seidman : Si on veut passer à la prochaine étape, si on pense à rouvrir les écoles à l’automne au Québec, où j’habite, cet élément serait important.

Mme Gruenwoldt : Absolument.

La sénatrice Seidman : Merci.

Le sénateur Manning : Merci à nos témoins. Je m’excuse si certaines de mes questions ont déjà été posées en français. J’essaie de suivre du mieux que je peux.

Ma première question s’adresse à Mme Austin. Est-ce que Les enfants d’abord Canada a participé aux consultations menées par le gouvernement fédéral au sujet de l’élaboration de soins à distance et d’outils de santé mentale, conformément à l’annonce faite le 3 mai 2020? Si oui, veuillez décrire votre participation. Dans le cas contraire, avez-vous offert votre expertise?

Ma deuxième question s’adresse à Mme Hay, de Jeunesse, J’écoute. J’ai été étonné par certains des chiffres que vous nous avez présentés aujourd’hui. J’aimerais savoir quelles différences vous voyez entre les appels que vous receviez avant la COVID-19 et ceux que vous recevez depuis le début de la pandémie, non pas sur le plan du nombre, mais plutôt sur le plan du contenu. Merci.

Mme Austin : Merci, sénateur. Pour répondre à votre question au sujet des consultations portant sur l’élaboration d’outils à distance, non, notre organisme n’a pas été consulté directement. Nous avons été en communication avec des représentants de l’Agence de la santé publique du Canada et avec l’équipe de la ministre Hajdu sur les besoins cernés par le Conseil des champions et les recommandations qui ont été formulées, mais l’organisme n’a pas été consulté directement sur les outils de soins à distance.

Mme Hay : Merci, sénateur, pour votre question sur la différence entre les appels que nous recevions avant la pandémie de COVID-19 et ceux que nous recevons maintenant. Avant la pandémie, les enfants et les jeunes — de 5 ans à environ 26 ans — communiquaient avec Jeunesse, J’écoute pour toutes sortes de problèmes : dépression, anxiété, idées suicidaires, intimidation, cyberintimidation. La COVID-19 est venue s’ajouter à tout cela. La pandémie n’a pas effacé ces problèmes de santé mentale chez les jeunes Canadiens; elle les a aggravés. Nous constatons une augmentation des problèmes de dépression et d’anxiété, une énorme augmentation des sentiments d’isolement et de peur et, comme nous en avons parlé, une augmentation des abus sexuels, physiques et émotionnels.

La situation a toutefois un point positif. Il y a quelqu’un à l’autre bout de la ligne ou du message texte lorsque les jeunes communiquent avec nous. Le point positif dont je parlais est le fait que, au début de la pandémie de COVID-19, 20 % de nos interventions habituelles à Jeunesse, J’écoute concernaient le suicide et les idées suicidaires. Lorsque le volume d’appels a augmenté, nous étions donc prêts à faire face à une augmentation significative du nombre de suicides au pays. Nous avions même travaillé avec nos partenaires de la GRC pour nous y préparer. En fait, nous n’avons pas observé de hausse des idées suicidaires. Nous avons constaté une légère diminution, et la même chose pour la cyberintimidation et l’intimidation. Ce sont là des points positifs. Nous allons étudier les données avec nos partenaires de recherche de divers établissements afin de véritablement comprendre cette situation.

Je ne sais pas si cela répond bien à votre question, mais nous constatons une nette différence en raison de la COVID.

M. Kanji : Je suis tout à fait d’accord avec Mme Hay. D’après les conversations personnelles que j’ai eues avec un certain nombre de mes pairs dans l’ensemble du pays, il est manifeste que les problèmes de santé mentale ont décuplé, en particulier chez les élèves de cycle supérieur. Perdre la moitié de l’année scolaire est préjudiciable à la santé mentale des élèves, et cela a des conséquences néfastes sur eux.

La meilleure façon de faire face aux problèmes amplifiés par la COVID-19 est de mettre en œuvre une solution axée sur les jeunes et les questions qui les touchent, comme le Parlement des jeunes Canadiens, dont on a parlé à plusieurs reprises au cours de cette séance, en donnant aux jeunes les moyens de s’exprimer sur leurs problèmes et en leur apportant le soutien de sénateurs comme vous qui ont de l’expérience dans l’élaboration des politiques. Il est tout à fait possible pour le Canada de passer du 25e au 1er rang en termes de bien-être des enfants.

Le sénateur Manning : Je vous remercie. J’ai une autre question pour Mme Austin. Il y a quelques années, votre organisation a été le fer de lance de l’élaboration de la Charte canadienne des enfants. Je le sais par expérience parce que ma fille était l’une des participantes. Cette initiative vous a-t-elle permis d’établir des relations et de créer des occasions pour les jeunes de participer à l’élaboration de politiques fédérales?

Mme Austin : Je vous remercie de la question. La création de la Charte canadienne des enfants a été un processus de consultation incroyable auprès de milliers d’enfants et de jeunes de partout au pays. Les consultations portaient sur la protection de leurs droits et leur participation. Nous estimons que le Parlement des jeunes Canadiens est la prochaine étape pour donner aux enfants et aux jeunes la plateforme qu’ils ont demandée pour être entendus. Il s’agit d’un programme conçu et dirigé par des jeunes, la prochaine mouture pour faire suite aux préoccupations qu’ils ont soulevées dans la Charte canadienne des enfants et contribuer à faire de cette charte un document évolutif. Les jeunes veulent essentiellement que des mesures soient prises dans le cadre de politiques et d’investissements fédéraux pour protéger leurs droits.

Le sénateur Kutcher : Merci à tous les témoins, en particulier à Mme Heneke-Flindall et à M. Kanji. C’est la première fois que nous nous voyons, mais j’ai l’impression que ce ne sera pas la dernière. Ma première question s’adresse à la représentante de Santé des enfants Canada, et ma deuxième est adressée à tous les autres.

Nous savons que les troubles mentaux se manifestent chez les jeunes principalement avant l’âge de 25 ans, dans environ 70 % des cas. Il s’agit des maladies chroniques les plus courantes chez les jeunes; les taux de morbidité sont substantiels et les taux de mortalité toutes causes confondues sont élevés. Pourtant, au Canada, il est difficile d’avoir un accès rapide aux meilleurs soins fondés sur des données probantes. Connaissez-vous des mesures que le gouvernement fédéral a prises pour aider les jeunes et leur famille à obtenir les soins de santé mentale dont ils ont désespérément besoin pendant la pandémie de COVID? Si aucune mesure n’a été prise, lesquelles sont à envisager?

Mme Gruenwoldt : C’est une question à un million de dollars. À ma connaissance, le gouvernement fédéral n’a lancé aucune initiative de première ligne ni consenti d’investissements destinés aux organismes de prestation de soins de santé pour la santé mentale. Je sais qu’il y a eu des investissements dans la recherche en santé et sur les effets de la COVID-19 sur l’isolement social et les conséquences à court, moyen et long terme sur les enfants, les jeunes et leur famille, mais je dirais que c’est insuffisant.

Où faudrait-il investir? Nous avons constaté un certain développement de la capacité à fournir des services de soins de santé mentale de manière virtuelle. Il ne semble toutefois s’agir que de quelques investissements qui ne sont certainement pas assez durables ni substantiels pour répondre à la demande actuelle.

Pour en venir à votre question, je sais que vous vous empresserez de souligner que nous ignorons l’efficacité de ces services puisqu’ils sont fournis à distance. Ce serait donc certainement une priorité du point de vue de la recherche de garantir que des données concrètes prouvent que les investissements dans la prestation de services de santé virtuels sont une voie à suivre.

Je serais curieuse d’entendre les suggestions des autres témoins, mais je vais m’arrêter là pour l’instant.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie. Le récent sondage de l’Institut Vanier auprès d’enfants et de jeunes a révélé qu’environ 60 % des jeunes Canadiens ont déclaré se sentir parfois ou souvent tristes depuis le début de la crise de la COVID-19. Par ailleurs, 86 % ont déclaré se sentir heureux. Ce sont des réponses auxquelles on s’attendrait d’un sondage auprès du grand public. Cependant — et c’est plus qu’un bémol —, les résultats du sondage ne révèlent pas grand-chose sur les jeunes qui sont vulnérables et plus à risque, et qui ont par conséquent besoin d’une aide accrue.

Quelles mesures le gouvernement fédéral pourrait-il prendre ou aurait-il dû prendre depuis le début de la pandémie pour repérer les enfants et les jeunes les plus vulnérables et leur tendre la main de façon proactive? Ces jeunes, nous le savons, sont les plus à risque. Ce sont notamment ceux qui sont victimes de violence familiale, ceux qui vivent dans la pauvreté et qui souffrent d’insécurité alimentaire, les jeunes racialisés, marginalisés, et les jeunes des Premières Nations.

Mme Hay : Je vous remercie de la question, sénateur. Elle est certainement complexe, et le bémol est gros. Les mesures proactives que le gouvernement pourrait prendre, notamment en ce qui concerne les enfants et les jeunes vulnérables, sont intéressantes. Je ne peux parler que du rôle que joue Jeunesse, J’écoute dans ce contexte. Pour moi, il s’agit d’offrir une aide 24 heures sur 24, sept jours sur sept, de fournir plusieurs outils — pas seulement des textos — pour veiller à ce qu’un jeune ait accès à des refuges, à des banques alimentaires et à des organismes de santé mentale. Le marché est plutôt fragmenté pour les jeunes souffrant de problèmes de santé mentale, en particulier pour les enfants vulnérables.

Selon moi, l’essentiel, c’est l’accès, et le financement et la technologie permettant d’offrir des services à distance sont importants.

Mme Heneke-Flindall : Si nous réfléchissons de manière proactive et dans le but de répondre à une autre situation qui pourrait survenir, le fait d’avoir des plateformes de participation des jeunes est toujours une meilleure façon de dresser un tableau représentatif de ce que les jeunes ont besoin, par exemple si nous avions une plateforme où un groupe de jeunes représentaient leur communauté respective et diverses communautés également. Nous devons nous assurer que l’on dispose immédiatement de conseils personnalisés et que l’on comprend où veulent en venir ces jeunes. Ces personnes pourront voir comment se portent leurs amis et comment ils se sentent dans ce genre de situations. Nous n’avons pas besoin d’autres conseils consultatifs composés de personnes qui voient les choses d’un point de vue extérieur. C’est le moment de nous rendre compte que cette approche n’est pas efficace et qu’il nous faut le point de vue des personnes qui vivent ces difficultés. Pourquoi ne pas simplement leur demander et leur fournir une plateforme financée leur permettant de s’exprimer et de donner des conseils directs aux personnes qui peuvent véritablement améliorer la situation? Ce serait par l’intermédiaire du Parlement des jeunes Canadiens ou de quelque chose de ce genre. C’est ce que je recommande.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie.

M. Kanji : Je suis d’accord avec ce que vient de dire Mme Heneke-Flindall. Lorsque les jeunes ont la possibilité de s’exprimer sur les questions qui les touchent le plus, comme la santé mentale — car, comme vous l’avez mentionné, sénateur Kutcher, les statistiques montrent à quel point les élèves sont ébranlés par les crises de santé mentale en cours —, au moyen de plateformes comme le Parlement des jeunes Canadiens, ils peuvent mettre sur pied un comité permanent comme celui-ci qui est axé spécifiquement sur la santé mentale et qui invite les jeunes à discuter sérieusement de différentes recommandations stratégiques.

Je trouve que les jeunes sont très bien informés des différentes politiques mises en place par le gouvernement et qu’ils formulent très souvent des recommandations qui ne sont jamais mises en application de manière à apporter des changements. À l’aide d’une plateforme comme le Parlement des jeunes Canadiens, on permet aux jeunes d’apprendre à élaborer des politiques concrètes et de travailler avec les personnes en position de pouvoir pour mettre en œuvre des mesures réelles et efficaces.

La présidente : Merci beaucoup de vos commentaires.

La sénatrice Omidvar : Je me disais justement que l’avantage de passer en dernier, c’est que toutes les questions judicieuses ont déjà été posées. Néanmoins, j’ai quelques questions, et ma première s’adresse à Mme Gruenwoldt. Je voudrais d’abord dire que la belle affiche derrière vous est extrêmement joyeuse et qu’elle nous remonte certainement le moral. Je vous en remercie.

Ma question porte sur les écoles, les camps et les autres activités qui sont cruciales pour la santé mentale des enfants. Les praticiens de la santé mentale ont souligné à maintes reprises que l’isolement social des enfants, même lorsqu’ils sont avec leurs parents, a une incidence réelle sur leur santé mentale.

Le gouvernement du Québec a rouvert les écoles à l’extérieur de Montréal il y a quelques semaines, en partie à cause d’inquiétudes quant à la santé mentale des enfants. Tout de suite après, un certain nombre d’enfants et de membres du personnel ont toutefois été infectés par le virus. Je pense que les écoles vont rouvrir très bientôt en Colombie-Britannique. Le gouvernement de l’Ontario n’a pas encore pris de décision définitive, mais je ne m’attends pas à ce que les écoles rouvrent avant septembre prochain dans cette province.

Madame Gruenwoldt, pourriez-vous nous aider à formuler des observations ou des recommandations dans notre rapport à cet égard, tout en tenant compte du fait qu’il faut éviter de critiquer certaines administrations?

Mme Gruenwoldt : Tout à fait. À mon avis, il faut tenir compte de nombreux facteurs au moment de déterminer la façon d’assurer la sécurité des élèves, de leur famille et des enseignants, ainsi que la manière d’appuyer le retour en classe de certains des enfants ayant l’état de santé le plus fragile. La solution n’est pas simple. Elle nécessite un esprit de collaboration entre les secteurs de la santé et de l’éducation, ainsi qu’un partenariat solide avec les familles, les enfants et les adolescents.

M. Kanji et Mme Heneke-Flindall ont exprimé des idées formidables aujourd’hui, et leurs points de vue uniques peuvent nous aider à comprendre en quoi consiste un milieu scolaire sécuritaire. Il faut permettre aux élèves d’entretenir des liens avec leurs pairs, tout en assurant leur sécurité et celle de leurs enseignants.

Il faut suivre attentivement la situation en Colombie-Britannique et en tirer des leçons. On peut dire que cette province fait preuve de leadership depuis le début de la pandémie. Il faut aussi tirer des leçons de l’expérience du Québec, qui se trouve dans une situation très différente. On peut également s’inspirer de ce qui se passe dans d’autres pays. Évidemment, le contexte et le milieu présentent de nombreuses nuances à l’échelle internationale, mais nous pouvons toujours en tirer des leçons. En outre, notre capacité de partager nos expériences et de faire preuve de transparence à cet égard nous aidera à tracer la voie à suivre.

Je n’ai pas de réponse simple à votre question, mais nous pouvons collaborer avec vous pour vous aider à formuler des recommandations.

La sénatrice Omidvar : Le gouvernement fédéral devrait-il avoir un rôle à jouer dans l’élaboration de lignes directrices à l’intention des provinces? Je sais que c’est ce que fait le gouvernement de l’Ontario, mais j’ai toujours des réserves à cet égard. Comme on le sait, les gens se déplacent. Ils vont recommencer à aller d’une province à une autre. La diversité des mesures au pays pose-t-elle un risque accru pour les enfants et leurs parents?

Mme Gruenwoldt : Il va falloir adopter des mesures exceptionnelles et trouver des solutions créatives et innovatrices, ce qui comprendra des classes virtuelles. Toutes ces mesures coûteront très cher. Le gouvernement fédéral peut assumer un rôle de chef de file sur le plan financier en aidant les provinces à mettre en application les diverses solutions. Il peut être avant‑gardiste en nous aidant à assurer une réouverture des écoles en toute sécurité en septembre prochain.

La sénatrice Omidvar : Ma prochaine question s’adresse à vous trois. Je crois que les trois organismes que vous représentez jouent un rôle essentiel dans la prestation de services aux enfants. Avez-vous remarqué une diminution des dons de bienfaisance depuis le début de la crise? Vous représentez tous des organismes de bienfaisance, à but non lucratif. Si c’est le cas, dans quelle mesure l’appui du gouvernement vous permet-il de poursuivre votre travail? Je sais que Jeunesse, J’écoute a reçu beaucoup d’aide pour la mise en place de mesures spéciales. J’ignore toutefois si cette aide et la Subvention salariale d’urgence du Canada vous ont aidés à payer le loyer, à maintenir en poste votre effectif ou à fournir des services dans un contexte totalement différent.

Mme Gruenwoldt : Nous ne sommes admissibles à aucun des programmes de subventions annoncés jusqu’ici par le gouvernement fédéral. La situation a une incidence très concrète sur nos finances. Nos revenus proviennent d’un certain nombre d’organismes de bienfaisance, y compris les fondations des hôpitaux pour enfants et d’autres organismes sans but lucratif. Une partie de nos revenus provient aussi des frais d’adhésion de nos membres, mais la capacité de certains d’entre eux de payer leur cotisation a diminué considérablement. Il ne fait donc aucun doute que la situation nuit considérablement à notre modèle de financement.

Mme Austin : Je vous remercie de votre question. L’entité Les enfants d’abord Canada est enregistrée actuellement comme un organisme sans but lucratif. Nous avons présenté une demande pour obtenir le statut d’organisme de bienfaisance l’été dernier, mais nous attendons toujours une décision à cet égard. Cette situation nuit à notre capacité d’obtenir des dons de bienfaisance, qui pourraient nous aider non seulement à réaliser nos activités courantes, mais aussi à réagir à la crise de la COVID-19. Nous avons constaté une baisse du nombre total de parrainages et de dons destinés à soutenir notre travail. Nous sommes reconnaissants de la subvention salariale que nous avons reçue, car elle nous aide à réaliser nos activités en cours, ainsi que de la subvention que nous avons obtenue récemment de Patrimoine Canada, car elle financera en partie le lancement du Parlement des jeunes Canadiens.

À l’instar de la plupart de nos homologues partout au pays, nous croyons qu’il est nécessaire d’établir un fonds de stabilisation pour le secteur caritatif. Ce fonds permettra aux organismes de poursuivre leur travail au cours des semaines et des mois à venir, car la diminution des dons de bienfaisance ne se fera pas sentir uniquement ce mois-ci, mais également au cours des prochains mois.

Mme Hay : Je vous remercie de votre question. Je ferai écho aux commentaires de mes collègues. Il est essentiel de répondre aux besoins de ce secteur en matière de financement pour assurer le bien-être et l’avenir du Canada.

Jeunesse, J’écoute existe depuis longtemps. Des sympathisants de longue date nous appuient toujours à l’heure actuelle. Nous avons certainement constaté une baisse au chapitre des dons philanthropiques et des activités communautaires. Beaucoup de bénévoles participent à nos activités, ce qui, selon moi, est une très bonne chose.

Jeunesse, J’écoute n’est pas inquiet au sujet de sa situation financière à court terme. C’est pourquoi nous avons décidé de répartir sur une année financière et demie le financement durable que nous a versé le gouvernement. Il était important pour nous d’agir ainsi afin d’assurer notre pérennité.

Au nom de mes collègues et de mes pairs, je dirais qu’il est impossible de savoir ce que sera la situation économique à l’avenir. Dans le secteur caritatif — nous sommes un organisme de bienfaisance depuis longtemps; je suis une ancienne banquière qui œuvre dans le secteur caritatif —, nous savons que, en période difficile, les dons de bienfaisance font partie des derniers postes de dépenses auxquels les gens consacrent leur revenu disponible. Nous ne savons pas encore quelle sera l’incidence de cette situation sur le plan économique et à long terme.

Ce que nous savons également — et c’est encourageant —, c’est que les dons de bienfaisance font partie des premières dépenses que les particuliers et les entreprises recommencent à faire au moyen de leur revenu disponible. Il faut que le gouvernement fédéral aide immédiatement les organismes de bienfaisance partout au pays à traverser la crise afin qu’ils puissent continuer d’offrir les services essentiels que ce secteur fournit aux Canadiens.

La sénatrice Bovey : Je tiens à remercier tous les témoins, plus particulièrement les jeunes qui sont parmi nous aujourd’hui. Je remercie Mme Hay pour son analyse des différents enjeux qui touchent les régions du pays. Au lieu de poser une question, j’aimerais, si possible, offrir un peu d’espoir. Je serais ravie que certains d’entre vous réagissent à mes propos.

Aujourd’hui, j’ai mis l’accent sur l’Arctique et le Nord. Nous savons à quel point les jeunes de ces régions sont vulnérables, même quand tout va bien. Si je me fie au travail que je fais auprès d’eux, je peux vous assurer qu’ils sont encore plus vulnérables en ce moment même. Voici ma question à l’intention des jeunes : dans l’Arctique, est-ce que des jeunes participent au travail que vous faites? Il faut absolument que les jeunes se fassent entendre. J’ai peut-être tort. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Kanji : Merci, madame la sénatrice. Je ne pourrais être plus d’accord avec vous. Plus nous réussirons à faire entendre la voix des jeunes, plus leur situation s’améliorera. Avec le lancement du Parlement des jeunes Canadiens, il sera extrêmement important d’inclure les jeunes du Nord et de l’Arctique pour tisser des liens avec les communautés les plus vulnérables au pays à l’heure actuelle. Je me réjouis du travail que nous pourrons accomplir grâce à cette plateforme. Nous devons offrir du soutien à tous les jeunes par tous les moyens possibles, surtout dans l’Arctique, comme vous l’avez mentionné. Même en temps normal, la vie de ces jeunes n’est pas facile. Comment s’en sortent-ils aujourd’hui? Inclure leur voix constitue le premier pas d’une série de mesures à mettre en place pour régler les problèmes qui les accablent.

Mme Heneke-Flindall : Je suis totalement d’accord. Les jeunes des collectivités de l’Arctique sont affectés de façon disproportionnée. Certains des travaux auxquels j’ai participé pour la Charte canadienne des enfants incluaient bel et bien des participants du Nunavut et de divers lieux du Nord. Toutefois, leur participation était restreinte en fonction de leur capacité à se rendre jusqu’ici, à Ottawa, où les réunions se déroulaient. Il est primordial de veiller à inclure des représentants de tous les groupes vulnérables. Je suis moi aussi d’avis que nous devons en faire plus. Idéalement, nous arriverons à avoir une représentation aussi diversifiée que possible lorsque nous mettrons sur pied ce type de plateforme axée sur la mobilisation.

La sénatrice Bovey : Merci.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci aux témoins, et particulièrement aux jeunes. Ma question s’adresse à Mme Hay, de Jeunesse, J’écoute, et elle concerne les abus sexuels perpétrés contre les jeunes dans le contexte familial et l’isolement des jeunes issus de la communauté LGBTQ2+ en ces temps de pandémie. Madame Hay, je suis particulièrement préoccupé par ces enjeux dans les milieux ruraux. Je cherche simplement à comprendre comment les organisations nationales, comme la vôtre, travaillent en réseau avec des organisations provinciales et territoriales pour contrer les problèmes liés à ces questions. Quelle aide le gouvernement fédéral pourrait-il vous offrir ou devrait-il pouvoir vous offrir pour assurer ce travail en réseau, puisqu’on sait que ces enjeux sont bien ancrés dans les régions et les communautés, notamment dans les communautés rurales?

[Traduction]

Mme Hay : Merci beaucoup, sénateur, de souligner cette réalité de nos jeunes et de nos populations dans les régions rurales du Canada. Il y a environ trois mois, nous travaillions avec un partenaire dans le but de répondre aux besoins dans les régions rurales du Canada. Ce qui nous a frappés, car on parle beaucoup de toutes les données en temps réel que nous avons à notre disposition, c’est que nous n’avons que peu de données en Amérique du Nord sur la santé mentale des habitants des régions rurales du Canada. En fait, si les préjugés existent dans les zones urbaines, ils sont extrêmement présents dans les régions rurales partout au pays.

Prenons l’exemple du travail que nous faisons avec le mouvement 4-H. Nous collaborons avec d’excellents partenaires du monde des affaires du Nord de la Saskatchewan, de l’Alberta et du Nunavut. Toutefois, le point que vous soulevez est très important. Il est essentiel de mettre l’accent sur le bien-être et la santé mentale des populations rurales au Canada parce qu’elles n’ont pas accès aux services dont elles ont besoin. Quand je pense aux populations négligées, je m’imagine une carte géographique sur laquelle les régions rurales du Canada seraient les premières identifiées.

Le sénateur Cormier : Merci.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les participants et particulièrement les jeunes. J’aimerais savoir si vous avez identifié des groupes d’enfants ou des familles qui n’ont pas accès aux mesures de soutien du revenu — par ailleurs fort louables et exhaustives — qui ont été créées par le gouvernement. Par exemple, après cette vidéoconférence, j’ai des rencontres virtuelles avec des jeunes gens qui ont été pris en charge, dont certains ont participé à des projets sur le revenu de base. Ils veulent qu’on les aide à promouvoir ce type d’initiative.

Avez-vous également obtenu de la rétroaction de ces groupes; des points de vue sur des approches en matière de revenu minimum garanti par exemple? Si votre temps de parole n’est pas suffisant et que vous avez des points de vue dont vous voulez nous faire part, nous aimerions les recevoir par écrit. Merci.

Mme Gruenwoldt : Je crois que de profondes inquiétudes demeurent à propos des parents qui ont un enfant ayant un état de santé complexe à la maison et du manque de mesures de soutien, que ce soit du soutien aux soins à domicile ou des services de répit, et du manque de ressources pour ces familles qui doivent assumer des dépenses hors du commun pour subvenir aux besoins de ces enfants. Nous entendons de nombreux commentaires de familles de notre réseau au sujet du fardeau financier qu’elles doivent porter, sans parler des effets sur leur bien-être mental et de leur capacité à prendre soin non seulement des enfants à l’état de santé complexe, mais aussi, parfois, des frères et sœurs de ceux-ci.

Il semble y avoir des lacunes pour ce qui est des subventions auxquelles ces familles ont droit. Je pourrais vous revenir avec plus de détails sur les restrictions qui font en sorte qu’elles n’ont pas accès au soutien financier. Cependant, ces familles semblent faire partie d’une tranche de la population qui n’a pas suffisamment de ressources à sa disposition.

Mme Austin : J’ajouterais à ce que Mme Gruenwoldt a dit que nous avons également entendu des préoccupations au sujet des enfants et des jeunes qui atteignent l’âge où ils ne sont plus pris en charge et des lacunes quant à leur capacité à avoir accès à de l’aide, parce qu’il y a un certain problème de cohérence. Certaines provinces ont décrété un moratoire sur les jeunes qui n’ont plus l’âge d’être pris en charge, d’autres non. La capacité de ces jeunes d’avoir accès à des mesures d’aide essentielles, comme pour se nourrir et se loger, sans parler de tous leurs autres besoins potentiels, suscite de grandes inquiétudes, de même que l’aide pour les familles qui sont à risque de perdre leurs enfants en raison des pressions économiques qu’elles subissent à l’heure actuelle. Des organismes tels que la fondation de l’aide à l’enfance du Canada, l’Association ontarienne des sociétés de l’aide à l’enfance et d’autres organismes du genre ont réellement essayé d’unir leurs forces pour répondre aux besoins urgents des familles à risque et pour aider les familles et les enfants à demeurer en sécurité à la maison.

Mme Hay : Je suis d’accord avec mes deux collègues. Pour ce qui est du travail que nous accomplissons à l’heure actuelle grâce à la fondation de l’aide à l’enfance du Canada, nous offrons des campagnes fondées sur les mots-clés sans frais pour nos partenaires, et absolument sans frais pour les jeunes qui n’ont plus l’âge d’être pris en charge. C’est vrai qu’il y a des lacunes pour les enfants, les jeunes et les familles qui sont pris en charge et qui ne sont plus dans le réseau. En fait, je crois que les partenariats, le décloisonnement et la collaboration pourraient certainement être utiles à court terme.

[Français]

La présidente : Merci infiniment à chacun et chacune d’entre vous.

[Traduction]

Je remercie tous les témoins pour leurs précieux commentaires et leur contribution à cette étude. Je remercie chaleureusement M. Kanji et Mme Heneke-Flindall de nous avoir éclairés un peu plus sur la situation des jeunes Canadiens. Je sais que vous poursuivrez vos efforts dans ce sens dans les années à venir. Je vous remercie aussi pour cet aspect de votre travail. En terminant, je vous remercie pour votre participation, qui nous a été fort utile.

(La séance est levée.)

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