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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le vendredi 7 mai 2021

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 11 heures (HE), par vidéoconférence, pour examiner la teneur du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le sénateur Dan Christmas (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent peut-être cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur sencanada.ca.

Avant de commencer, j’aimerais souligner que nous nous réunissons aujourd’hui sur les terres non cédées du peuple algonquin Anishnaabeg.

Avant de procéder aux présentations, nous devons passer en revue quelques consignes en matière de procédure. J’aimerais rappeler aux sénateurs qu’ils doivent garder leurs microphones en sourdine en tout temps, à moins d’être appelés par le président. Si vous avez des difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler au président ou à la greffière et nous nous efforcerons de résoudre le problème. Si d’autres difficultés techniques surviennent, contactez le Centre des services de la DSI en utilisant le numéro d’assistance technique qui figure dans le document de confirmation de la réunion.

Également, afin de préserver la confidentialité de nos délibérations, je rappelle aux sénateurs, à leur personnel et au personnel de soutien du comité qui participent à la réunion qu’il leur incombe de s’assurer que l’environnement dans lequel ils se trouvent est privé et que les conversations tenues dans le cadre de la présente séance ne peuvent être entendues par des tiers. Les participants doivent, pour ce faire, veiller à ce que l’endroit où ils se trouvent soit privé et rester attentifs à leur environnement.

Je m’appelle Daniel Christmas. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse, et je suis honoré d’être le président de ce comité. J’aimerais maintenant vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion aujourd’hui : la sénatrice Margaret Dawn Anderson des Territoires du Nord-Ouest, la sénatrice Mary Coyle de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Josée Forest-Niesing de l’Ontario, le sénateur Brian Francis de l’Île-du-Prince-Édouard, la sénatrice Nancy J. Hartling du Nouveau-Brunswick, la sénatrice Patti LaBoucane-Benson de l’Alberta, le sénateur Michael L. MacDonald de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Kim Pate de l’Ontario, le sénateur Dennis Glen Patterson du Nunavut, la sénatrice Carolyn Stewart Olsen du Nouveau-Brunswick et le sénateur Scott Tannas de l’Alberta. D’autres sénateurs se sont également joints à nous ce matin ou cet après-midi, selon l’endroit où vous vous trouvez : le sénateur Brent Cotter de la Saskatchewan et la sénatrice Mary Jane McCallum du Manitoba. Nous attendons deux autres sénateurs, et lorsqu’ils se joindront à nous, nous ne manquerons pas de les présenter.

J’aimerais souhaiter la bienvenue à nos deux témoins de ce matin, l’honorable Carolyn Bennett, c.p., députée, ministre des Relations Couronne-Autochtones, et l’honorable David Lametti, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Mme Bennett et M. Lametti sont tous deux accompagnés de collègues de leur ministère respectif.

Chaque ministre fera une déclaration liminaire d’environ six minutes. Une fois les déclarations terminées, les sénateurs pourront leur poser des questions à raison de trois minutes par intervenant.

Comme c’est la coutume dans notre comité, la première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson, et la deuxième question sera posée par le porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson. Si d’autres sénateurs ont des questions, ils sont priés d’utiliser la fonction « lever la main » de Zoom afin de signaler leur intention à la greffière. Ceci sera pris en compte dans le clavardage de Zoom. Veuillez noter que les membres du comité auront la priorité sur la liste des poseurs de questions. Toute réponse écrite demandée aux intervenants doit être soumise à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité informera le président par texto lorsqu’il restera 10 secondes au temps imparti aux déclarations liminaires des témoins ainsi qu’au temps accordé aux questions des sénateurs. Je ferai un compte à rebours de 10 secondes avec mes mains. Lorsque j’arriverai à zéro, j’indiquerai simplement que le temps alloué est terminé.

Je vais maintenant céder la parole à l’honorable Carolyn Bennett.

[Français]

L’honorable Carolyn Bennett, c.p., députée, ministre des Relations Couronne-Autochtones : Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis le territoire traditionnel de la Première Nation des Mississaugas de Credit et je tiens à rendre hommage à ceux qui ont pagayé dans ces eaux et dont les mocassins ont foulé cette terre. C’est un plaisir pour moi de comparaître devant ce comité afin de discuter du projet de loi C-15. Je suis accompagnée aujourd’hui de Ross Pattee, sous-ministre adjoint, Secteur de la mise en œuvre et de Marla Israel, directrice générale, tous deux de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada .

[Traduction]

Je tiens à remercier la sénatrice LaBoucane-Benson pour tout le travail qu’elle a fait pour piloter ce projet de loi au Sénat.

Après six ans d’audiences, l’appel à l’action 57 de la Commission de vérité et de réconciliation est venu souligner l’importance de procurer une formation sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et a précisé que ladite déclaration allait tracer la voie pour l’épanouissement de la réconciliation dans le Canada du XXIe siècle.

Après avoir écouté pendant trois ans les familles et les survivants, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a demandé aux gouvernements de mettre la déclaration en œuvre immédiatement et de s’y conformer entièrement.

La déclaration est d’une importance capitale pour les peuples autochtones du Canada et elle est le résultat des décennies d’efforts inlassables, de négociations et de plaidoyers soutenus aux Nations unies par des leaders autochtones inspirants, dont Wilton Littlechild, titulaire d’un doctorat, qui, je crois, comparaîtra devant votre comité un peu plus tard au cours de la présente étude. Lorsque nous avons présenté le projet de loi C-15 en décembre dernier, M. Littlechild l’a décrit comme étant une feuille de route vers la réconciliation.

Je profite aussi de l’occasion pour souligner le leadership de l’ancien député Romeo Saganash et pour le remercier du travail qu’il a fait au Parlement et d’un océan à l’autre avec les peuples autochtones pour faire avancer le projet de loi C-262, qui a servi de base au présent projet de loi. En présentant le projet de loi C-15, notre gouvernement remplit l’engagement qu’il a pris de présenter une loi pour mettre en œuvre la déclaration. Dans cette optique, le projet de loi C-262 fait office de plancher plutôt que de plafond.

Avant le dépôt du projet de loi, 33 séances bilatérales se sont tenues avec l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis. En outre, plus de 450 personnes ont participé à 28 séances de mobilisation régionales l’automne dernier, fournissant des commentaires et des conseils quant aux améliorations qui pourraient être apportées à l’ébauche de projet de loi soumise aux fins de consultation. Les gouvernements provinciaux et territoriaux, des experts et des intervenants de l’industrie ont également contribué à l’élaboration du projet de loi.

Je crois sincèrement que la participation aux politiques publiques et aux lois doit être inclusive et substantielle. Je suis fière que le projet de loi ait été amélioré grâce aux conseils que nous avons reçus de nombreux partenaires et experts autochtones.

Le préambule et le projet de loi lui-même reconnaissent la diversité des populations autochtones du Canada ainsi que la nécessité de reconnaître les communautés de diverses identités de genre ou bispirituelles, lesquelles ne sont pas reconnues dans la Déclaration des Nations unies, qui est un document statique.

Depuis que le projet de loi a été présenté, des réunions approfondies ont eu lieu avec des partenaires et des intervenants autochtones, et ces discussions continues ont permis d’apporter un certain nombre d’amendements supplémentaires, qui ont été adoptés par le comité de la Chambre des communes. L’inclusion expresse du racisme dans le préambule et le corps du projet de loi, le rejet des doctrines de la découverte et de la terra nullius , et la limitation à deux ans du délai de codéveloppement du plan d’action sont autant d’améliorations qu’ont préconisées et soutenues de nombreux partenaires autochtones.

Je note également que cela fait plus de 13 ans que la déclaration a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies et que le projet de loi C-262 a fait l’objet d’un engagement public et d’une étude parlementaire approfondie.

Nous nous sommes engagés à élaborer conjointement le plan d’action du projet de loi avec des partenaires et des experts autochtones afin d’assurer que la mise en œuvre se fera de façon efficace, certes, mais aussi responsable. Nous avons déjà entamé des discussions préliminaires avec des partenaires autochtones sur la conception de ce processus, et le budget de 2021 prévoit 31,5 millions de dollars sur deux ans pour soutenir son élaboration conjointe.

Reconnaître et respecter les droits des Autochtones signifie que les peuples autochtones doivent être à la table des décisions qui ont une incidence sur leurs droits. La déclaration reconnaît également le droit des peuples autochtones à l’amélioration de leur situation économique et sociale, notamment dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, du logement, de l’assainissement, de la santé et de la sécurité sociale.

J’ai été très heureuse de la conversation qui s’est tenue avec Mary Ellen Turpel-Lafond au sujet des conclusions sur le racisme consignées dans le rapport In Plain Sight. Son interprétation de l’article 24 de la déclaration est sans équivoque. Les peuples autochtones ont le droit à leur pharmacopée traditionnelle et ils ont le droit de conserver leurs pratiques médicales. Les Autochtones ont le droit, en toute égalité, de jouir du meilleur état possible de santé physique et mentale. La Déclaration des Nations unies sera le fondement de la future loi sur la santé des Autochtones.

Ainsi, avec les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, la déclaration fournit une voie claire pour faire en sorte que tous les Canadiens puissent se considérer comme des partenaires sur le chemin de la réconciliation qui marquera l’avenir du Canada. Comme je l’ai déjà dit, la mise en œuvre de la déclaration ne devrait pas faire peur. Le projet de loi C-15 vise à nous débarrasser de notre passé colonial et à écrire le prochain chapitre de notre histoire de concert avec les peuples autochtones en tant que partenaires.

J’exhorte tous les sénateurs à soutenir ce changement fondamental et nécessaire en appuyant ce projet de loi. Merci. Meegwetch. Marsee. [Mots prononcés dans une langue autochtone.]

[Français]

L’honorable David Lametti, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Bonjour. Je suis heureux d’avoir l’occasion de prendre la parole aujourd’hui devant le comité sénatorial au sujet du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Je me joins à vous virtuellement depuis le territoire traditionnel du peuple algonquin, que je tiens à reconnaître et à honorer aujourd’hui.

[Traduction]

J’ai avec moi la sous-ministre adjointe, Laurie Sargent, qui est l’une de nos figures de proue en ce qui a trait aux dossiers autochtones. Je la remercie de l’aide qu’elle m’apporte aujourd’hui.

J’aimerais prendre un moment pour souligner le travail accompli par les leaders autochtones et les parlementaires pour faire avancer la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies. Je remercie la sénatrice LaBoucane-Benson d’avoir piloté ce projet de loi, mais je tiens surtout à souligner le travail de mon ancien collègue à la Chambre des communes, Romeo Saganash, qui a présenté le projet de loi d’initiative parlementaire C-262, lequel a servi de base à l’engagement qui a mené à l’élaboration du projet de loi C-15. Cet engagement, qui se poursuit, comprenait un certain nombre de séances laissant une grande place aux points de vue régionaux et de communautés distinctes. Nous avons reçu de précieux commentaires de la part des nations autonomes et signataires de traités modernes, des titulaires de droits, des partenaires de traités, des jeunes autochtones et des organisations autochtones nationales et régionales, y compris celles qui représentent les femmes autochtones et les personnes bispirituelles et de genre différent. Toutes ces contributions ont permis de façonner le projet de loi C-15, qui s’appuie sur le travail d’envergure accompli dans le cadre du projet de loi C-262 et sur les efforts considérables déployés à l’échelle internationale pour élaborer et faire progresser la déclaration.

Cela nous amène maintenant à parler des éléments clés du projet de loi, y compris les récents amendements apportés par le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord. Dans son préambule, le projet de loi fait un certain nombre de déclarations importantes. Il reconnaît notamment l’importance de la déclaration comme cadre de réconciliation, de guérison et de paix, il reconnaît les droits inhérents et l’importance de respecter les traités et les accords. En ce qui concerne la mise en œuvre proprement dite de la loi, le préambule souligne la nécessité de tenir compte de la diversité qui existe entre les peuples autochtones et au sein de ceux-ci.

Les nouveaux ajouts au préambule comprennent des références au « racisme » et au « racisme systémique » dans le cadre de la lutte contre les injustices, les préjugés et la discrimination. Cette modification a également été apportée à l’article 6 du projet de loi lui-même. Ces modifications reconnaissent la nécessité de prendre des mesures concrètes pour s’attaquer aux injustices et à la discrimination ainsi qu’au racisme et au racisme systémique auxquels sont confrontés les peuples autochtones.

En lien avec ces objectifs, il y a l’ajout d’une référence directe aux doctrines de la découverte et de la terra nullius comme étant des doctrines qui n’ont pas leur place dans l’édification de notre relation avec les peuples autochtones. C’est une amélioration essentielle du préambule. Comme j’ai enseigné le droit des biens pendant 20 ans dans une faculté de droit, je peux vous dire que mes étudiants ont été clairement informés de ce que je pensais des doctrines de la découverte et de la terra nullius, et les mots « colonialiste » et « raciste » sont deux qualificatifs que je n’ai pas manqué d’utiliser.

Enfin, un troisième amendement au préambule vient étayer le contexte dans lequel s’inscrit le projet de loi, reconnaissant que dans l’affirmation et le maintien des droits autochtones et des droits issus de traités protégés par la Constitution, ces droits ne sont pas figés, mais peuvent s’accroître et évoluer.

Chacun de ces amendements au préambule rend compte des priorités identifiées par les partenaires autochtones et améliore le projet de loi.

Le projet de loi C-15 reconnaît que les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne, comme la déclaration, peuvent être utilisés comme outils d’interprétation du droit canadien. Cela signifie que les normes en matière de droits de la personne énoncées dans le projet de loi peuvent fournir une orientation pertinente et convaincante aux fonctionnaires et aux tribunaux. Cela signifie également que nous pouvons nous appuyer sur la Déclaration des Nations unies pour éclairer le processus d’élaboration ou de modification des lois ainsi que leur interprétation et leur application. Ce principe est exposé de façon plus précise à l’article 4.

Le projet de loi exige également que le gouvernement du Canada prenne des mesures pour aligner les lois fédérales sur la déclaration, qu’il élabore un plan d’action en consultation et en coopération avec les peuples autochtones dans un délai de deux ans et qu’il ait l’obligation de rendre compte annuellement au Parlement des progrès réalisés. Grâce à ces mesures, le projet de loi C-15 ouvre manifestement la voie à une relation plus solide et plus résiliente entre le gouvernement et les peuples autochtones.

Pour avancer sur cette voie, il faudra miser sur le travail en collaboration afin d’établir comment les droits et les normes définis dans la déclaration seront mis en pratique. Cela inclut des éléments clés de la déclaration comme le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Découlant du droit à l’autodétermination, le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, tel qu’il apparaît dans les différents articles de la déclaration, souligne l’importance de la participation significative des peuples autochtones — par l’intermédiaire de leurs propres processus — aux décisions et aux processus qui les concernent, eux, leurs droits et leurs communautés.

Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause passe par l’élaboration d’un consensus par l’intermédiaire d’un travail concerté, du dialogue et d’autres mécanismes, et il vise à permettre aux peuples autochtones d’avoir une influence significative sur les processus décisionnels; il ne s’agit pas d’un droit de veto sur les décisions gouvernementales. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ne supprime ni ne remplace le pouvoir de décision du gouvernement, mais il met en place un processus qui garantit une participation significative des parties concernées.

[Français]

Après tout, les droits de la personne, les obligations et les devoirs qui en découlent, notamment ceux prévus dans la déclaration, ne sont pas absolus. La déclaration souligne d’ailleurs que les peuples autochtones jouissent de droits – individuels et collectifs – égaux à ceux des autres peuples.

Différentes initiatives auront différents impacts sur les droits des peuples autochtones et nécessiteront différents types d’approches.

[Traduction]

Par conséquent, le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause peut nécessiter des processus différents ou des façons nouvelles et créatives de travailler les uns avec les autres pour assurer une participation importante et effective aux prises de décisions. En faisant en sorte que les peuples autochtones aient un siège à la table des décisions susceptibles d’avoir une incidence sur leurs communautés, nous respectons leurs droits et nous mettons la table pour un développement économique plus fort et de meilleurs résultats pour tous.

Travaillons donc ensemble pour mettre en œuvre cette déclaration qui, selon moi, est un document fondamental en matière de droits de la personne. Je vous remercie.

Le président : Merci, monsieur le ministre Lametti. Nous sommes dans les temps.

La première question échoit à la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson. Elle sera suivie du porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci aux deux ministres d’être ici aujourd’hui.

Ma question s’adresse à la ministre Bennett. Je crois savoir que votre ministère est en train de terminer les consultations avec les parties prenantes autochtones en vue de la création d’un plan d’action pour le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Pouvez-vous décrire ce que vous avez appris dans ce processus et comment vous allez l’appliquer à l’élaboration conjointe du plan d’action pour la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones?

Mme Bennett : Merci, madame la sénatrice, de cette excellente question.

Je dois dire que la question de l’élaboration conjointe évolue, et je pense qu’avec le projet de loi sur les langues, certains de nos partenaires ont éprouvé un certain malaise. Hier, lors de la réunion fédérale-provinciale-territoriale, les partenaires autochtones nous ont dit de façon très appuyée que l’élaboration conjointe du projet de loi C-92 sur les services à l’enfance et à la famille était bien meilleure que ce qui s’était fait auparavant et qu’ils avaient vraiment l’impression d’avoir été écoutés. Même en ce qui concerne l’élaboration conjointe préconisée par le ministre Lametti pour le projet de loi C-15, il convient de se poser la question. Cela a-t-il eu plus de sens de procéder de la sorte? Ce que nous entendons se retrouve-t-il dans le document?

Je pense que c’est ce que nous apprenons avec l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Nous voilà avec plus de 100 femmes autochtones et personnes bispirituelles de genres diversifiés travaillant dans des sous-comités à l’élaboration du plan d’action. Je pense que l’expression « rien sur nous sans nous » est fort appropriée, comme d’ailleurs le principe selon lequel vous obtiendrez un meilleur document, une meilleure politique et une meilleure loi si vous écoutez vraiment les gens concernés. Je crois fermement qu’avec l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, l’apport des personnes les plus touchées — le cercle des familles et des survivants — a été absolument inestimable pour mettre tout le monde d’accord.

C’est un travail qui va se poursuivre. Ensuite, nous devrons établir le plan de mise en œuvre du plan d’action national, ce qui nécessitera également un sérieux travail conjoint de développement. Dans les deux cas, madame la sénatrice, la question est de savoir si c’est efficace, certes, mais aussi, si c’est une façon de faire dont il est possible de rendre compte.

Le fait de travailler avec nos partenaires sur le cadre de reddition de comptes pour s’assurer que nous faisons ce que nous avons dit que nous ferions aidera à établir si nous obtenons oui ou non des résultats. L’argent que nous avons pu obtenir l’année dernière pour l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées aux termes du Budget supplémentaire des dépenses et maintenant dans le budget permettra aux familles et aux survivants de travailler avec nous pour garder le document à jour. Ils sont en mesure de répondre à certaines questions. Est-ce une amélioration? Faisons-nous des progrès vers l’atteinte de résultats, mais aussi pour ce qui est d’identifier les causes et les causes des causes? Cela signifie qu’il faut travailler avec les partenaires sur le cadre de responsabilisation, et c’est ce que nous allons voir lorsque nous travaillerons sur le plan d’action du projet de loi C-15.

Le sénateur Patterson : Bienvenue aux ministres. Merci.

Monsieur le ministre Lametti, le libellé du paragraphe 2(3) a été une source de confusion et d’inquiétude pour certains témoins et intervenants. Comme vous le savez, il se lit comme suit :

La présente loi n’a pas pour effet de retarder l’application de la Déclaration en droit canadien.

Lors de séances d’information subséquentes qui m’ont été données par vos hauts fonctionnaires, on m’a expliqué que cela ne fait que confirmer la déclaration en tant qu’outil d’interprétation des lois fédérales.

Pouvez-vous confirmer que ce projet de loi ne fait pas une loi de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qu’il ne crée pas une nouvelle série de droits, et qu’en fait, il ne fait que lier le gouvernement à la création d’un plan d’action sans lier la Couronne à des actions supplémentaires ou présupposer le résultat du processus d’élaboration dudit plan d’action? Je vous remercie.

M. Lametti : Merci, monsieur le sénateur, de cette question.

Je confirme que la déclaration est déjà un document d’interprétation qui pourrait être utilisé par les tribunaux canadiens, et qu’elle l’est depuis qu’elle a été adoptée par le gouvernement Harper.

Ces mesures législatives le confirment encore davantage. En intégrant la déclaration dans une loi de mise en œuvre particulière, nous avons renforcé son rôle interprétatif et lui avons donné plus de poids en tant que document. La déclaration elle-même et les droits contenus dans le préambule ont une fonction d’interprétation dans le droit canadien.

Il y a aussi une force contraignante à cela. Dans cette optique, il s’agit de mesures législatives d’application. C’est une façon d’enchâsser les principes dont le projet de loi fait état, mais il est vrai que nous devrons élaborer un plan d’action pour assurer l’alignement des lois fédérales concernées sur les principes de la déclaration. Nous adoptons les principes. Les mécanismes proprement dits devront être mis en œuvre dans divers types de lois, et c’est ce qui se fera par le truchement du plan d’action.

Le sénateur Patterson : Permettez-moi de vous poser une brève question complémentaire.

À propos du plan d’action — et je vous remercie de votre réponse —, pendant la séance d’information que vos fonctionnaires ont organisée à l’intention de l’opposition officielle, on leur a justement posé des questions sur le plan d’action, qu’ils s’engagent maintenant à mettre en œuvre en deux ans.

Lors de la séance d’information à laquelle j’ai assisté à titre de porte-parole, Mme Leduc m’a dit que le gouvernement fédéral n’avait aucune intention de demander le consentement avant de mettre la dernière main au plan d’action. Pouvez-vous confirmer que ce que m’ont dit les fonctionnaires est exact? De plus, est-ce que tous les représentants autochtones souscrivent à cette interprétation? Je vous remercie.

M. Lametti : Qu’entendez-vous par consentement, sénateur?

Le sénateur Patterson : Un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

M. Lametti : C’est là une disposition de la déclaration qui porte sur le développement économique et la mise en valeur des ressources, mais c’est aussi une métaphore...

Le président : Je suis désolé, monsieur le ministre. Le temps est écoulé. J’aimerais maintenant donner la parole à la sénatrice Stewart Olsen.

La sénatrice Stewart Olsen : Ma question s’adresse à la ministre Bennett. Le gouvernement a mis l’accent sur une approche de nation à nation avec les peuples autochtones, et beaucoup ont fait valoir que cela permet de renforcer la souveraineté des nations autochtones. Selon Le Petit Robert, la souveraineté désigne notamment le « caractère d’un État [...] qui n’est soumis à aucun autre État » et la « puissance suprême ». Or, d’après ce que j’ai entendu de la part de votre collègue et des fonctionnaires, la jurisprudence continuera de prévaloir. Je crois que M. Lametti l’a également mentionné aujourd’hui. Puis-je donc confirmer que le gouvernement n’est pas d’accord pour dire que la souveraineté, dans le contexte des nations autochtones, signifie le fait de ne pas être soumis à la jurisprudence et à la Constitution du Canada?

Mme Bennett : Dès le début, lorsque nous sommes allés à l’ONU il y a exactement cinq ans, c’était très clair. Je pense avoir dit à l’époque : « Je suis ici pour confirmer que nous appuyons pleinement, et sans réserve, la déclaration. Nous ne visons rien de moins que l’adoption et la mise en œuvre de la déclaration conformément à la Constitution canadienne. »

Je crois que c’est aussi un début de réponse à la question du sénateur Patterson, à savoir que cela est conforme à la Constitution canadienne. Je suis sûre que le ministre Lametti peut donner une meilleure réponse que moi. Je le répète, cela va vraiment dans le sens de l’article 35 : les droits ne sont pas facultatifs, et nous devons trouver une approche claire que tous les Canadiens comprennent.

La sénatrice Stewart Olsen : Si je peux me permettre de vous poser une brève question complémentaire, madame la ministre, j’imagine qu’à voir ma confusion, vous vous doutez bien que beaucoup de gens ressentent la même chose. Le projet de loi au complet semble dire beaucoup de choses, et on y place de très grands espoirs. Je ne veux pas que ces espoirs soient à nouveau anéantis, comme tant d’autres fois. Je ne suis pas sûre que votre approche donne quelque chose de concret au bout du compte.

Mme Bennett : À mon avis, cela confirme l’idée de « rien sur nous sans nous ». Les peuples autochtones devraient participer à l’élaboration de toutes les politiques et lois qui les concernent. C’est la voie à suivre.

Je pense que le ministre Lametti, en sa qualité de professeur et d’expert chevronné en la matière, pourrait intervenir et rassurer la sénatrice. Monsieur le ministre, qu’en pensez-vous?

M. Lametti : Je vous remercie. Pour ma part, je dirais que cette déclaration et le travail que nous avons effectué à cet égard...

Le président : Votre temps est écoulé, une fois de plus, monsieur le ministre. J’en suis désolé.

M. Lametti : Tout est dans l’autodétermination.

Le président : Je cède la parole au sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Monsieur le ministre, l’une des pierres angulaires des politiques fédérales en matière de droits des peuples autochtones vise à créer de la certitude quant aux droits ancestraux. Toutefois, relativement au projet de loi, vous avez dit que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause dépendra du contexte et que la déclaration servira d’outil d’interprétation. Elle n’aura pas force de loi.

Cela laisse entendre que la question fera certainement l’objet de litiges devant les tribunaux, probablement de multiple fois, et ce, dans différents contextes. Prenons l’exemple du débat sur la pêche à des fins de subsistance convenable au Canada atlantique. Les décisions Marshall et Marshall II ont précisé qu’une telle pêche serait soumise à la réglementation du ministère des Pêches et des Océans. Le chef Michael Sack, quant à lui, a affirmé ceci :

Nous avons adopté une position bien ferme : nous n’accepterons pas de permis du MPO et nous ne pêcherons pas en fonction des saisons que le MPO essaie de définir ou de nous imposer.

On peut soutenir que toute tentative de réglementation d’une telle pêche par le MPO sera soupesée au regard du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause par la nation du chef Sack. Dans ce cas très précis, le gouvernement est-il d’avis que la décision de la Cour suprême devrait être maintenue dans la jurisprudence canadienne?

M. Lametti : Je vous remercie de la question, sénateur.

Comme je l’ai dit publiquement à plusieurs reprises, je crois qu’il y aura une relation symbiotique positive entre la jurisprudence relative à l’article 35 de la Loi constitutionnelle et les principes énoncés dans la déclaration et que les deux se renforceront mutuellement et favoriseront une meilleure interprétation.

Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause demeure un processus. Il est tout simplement impossible de le définir d’entrée de jeu. Comme la ministre Bennett et moi-même l’avons dit, cela permet de nous assurer que les peuples autochtones sont à la table des négociations dès le départ — en l’occurrence, pour prendre part aux décisions sur les ressources et les questions économiques qui les touchent. Grâce à ce processus, que nous continuerons d’améliorer au fil du temps, nous parviendrons à de meilleures décisions et à une meilleure utilisation des ressources, de manière à reconnaître et à valoriser les contributions des peuples autochtones et à leur procurer des avantages, ce qui n’a pas souvent été le cas dans le passé.

Nous parlons d’un processus contextuel. Il s’agit de collaborer et de s’engager à travailler ensemble afin d’améliorer la situation de tous, qu’ils soient autochtones ou non. Cela permet d’obtenir des résultats qui sont non seulement plus efficaces, mais aussi plus équitables et certainement plus conformes aux principes sur lesquels repose notre pays.

Le sénateur MacDonald : Dans cette optique, permettez-moi de vous poser une question supplémentaire. Êtes-vous d’avis que la déclaration en tant qu’outil d’interprétation, pour reprendre vos mots, ne vient pas annuler ces décisions?

M. Lametti : Je l’ai dit au début de mon exposé. Ces décisions resteront en vigueur, mais les décisions futures seront interprétées à la lumière de la jurisprudence concernant l’article 35, à la lumière des lois et à la lumière des principes énoncés dans la déclaration. Bon nombre des décisions pratiques seront prises dans le plan d’action à partir d’un certain nombre de mesures législatives déjà en vigueur. Nous nous engageons à travailler avec les peuples autochtones, c’est-à-dire avec les diverses formes de gouvernements autochtones qui existent au Canada, pour faire exactement cela...

Le président : Monsieur le ministre, je suis désolé. C’est au tour de la sénatrice Coyle.

La sénatrice Coyle : Je remercie infiniment les ministres Bennett et Lametti de leur travail assidu et de leur comparution devant nous aujourd’hui, et merci aussi de nous avoir rappelé qu’il s’agit d’un projet de loi tout à fait essentiel dans nos démarches en vue de faire avancer la réconciliation au Canada.

Ma question s’adresse au ministre Lametti. C’est au sujet du même thème que nous avons abordé jusqu’ici, et je crois que nous nous concentrerons là-dessus tout au long de notre étude. Les rapports découlant des consultations sur le projet de loi mettent en évidence ce que le gouvernement a entendu de la part de certains, à savoir que le plan d’action pourrait favoriser une compréhension commune de la notion de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre propre vision de ce concept et nous expliquer comment cela s’inscrit, d’après vous, dans le cadre du processus d’élaboration du plan d’action? Merci, monsieur le ministre.

M. Lametti : Je m’abstiendrai de présupposer ce qui pourrait se passer dans le cadre de l’élaboration du plan d’action, car ce travail se fera en consultation avec les partenaires autochtones de tout le Canada, qui ont, comme je l’ai dit, diverses formes de gouvernance et de leadership. En tout cas, c’est précisément ce que nous visons : nous asseoir à la même table dès le début et prendre des décisions à la suite d’un dialogue, en fonction de ce qui s’impose, pour toutes les questions qui ont une incidence sur la vie des Autochtones et de leurs communautés, surtout lorsqu’il s’agit de décisions qui touchent directement les communautés autochtones.

Il s’agit d’un engagement qui est garanti dans ce document. Selon moi, c’est ce qui s’impose. Je pense, honnêtement, que cela se fait attendre depuis plus de 150 ans. Nous devons nous assurer de toujours procéder ainsi, plus particulièrement pour la mise en valeur des ressources et le développement économique, mais aussi pour tout ce qui touche, au sens figuré, la vie des peuples autochtones. Il s’agit d’établir un dialogue.

C’est ce dont les peuples autochtones avaient convenu à l’origine lorsque les Européens sont arrivés sur ces terres et, franchement, nous n’avons pas été à la hauteur. Ce document nous ramène là où nous aurions dû commencer : dialoguer et collaborer avec les peuples autochtones dans le cadre de divers processus pour améliorer la vie de tout le monde, mais surtout pour veiller à ce que les décisions ayant une incidence très directe sur les peuples autochtones ne soient pas prises sans eux.

La sénatrice Coyle : Pour en revenir aux séances de mobilisation — et vous avez parlé de l’importance du préambule du projet de loi —, je suis curieuse de savoir si ces séances ont eu d’autres répercussions importantes dont vous aimeriez nous faire part maintenant. Merci, monsieur le ministre.

M. Lametti : La ministre Bennett en a souligné un certain nombre dans son exposé. Ces séances de mobilisation ont entraîné d’importantes modifications, notamment des ajouts au préambule afin de confirmer le contexte du projet de loi. De plus, nous avons dit, dès le début, que nos discussions ne prendraient pas fin après le dépôt du projet de loi, et les amendements qui ont été apportés tiennent également compte de la contribution des Autochtones.

La sénatrice Forest-Niesing : Je remercie les deux ministres d’être des nôtres pour parler de ce projet de loi extrêmement important.

Vous devez avoir l’impression d’avoir répondu maintes fois à toutes les questions, et je vais probablement vous donner l’occasion de répéter vos réponses concernant un autre thème : les consultations. Il y a deux possibilités de consultation. J’ai lu avec grand intérêt le compte rendu des consultations qui ont eu lieu jusqu’à présent dans le rapport Ce que nous avons entendu.

Ma question est la suivante : quelle définition donnez-vous au terme « consultation »? Bien des gens considèrent qu’une consultation est une occasion de se faire entendre. Pour d’autres personnes, une consultation signifie que leurs préoccupations seront prises en considération et, au bout du compte, intégrées dans le plan d’action final. J’aimerais savoir comment vous définiriez le processus de consultation que vous prévoyez. Par ailleurs, compte tenu de la diversité des peuples autochtones, comment envisagez-vous de faire en sorte que les consultations représentent bien cette diversité?

M. Lametti : Je suppose que la question s’adresse à moi, madame la sénatrice, mais évidemment, madame la ministre, n’hésitez pas à intervenir si vous pensez que j’ai manqué quelque chose.

La sénatrice Forest-Niesing : Il vaudrait peut-être mieux que vous répondiez en premier afin de ne pas vous faire interrompre. C’est toujours vous qui avez eu le compte à rebours, me semble-t-il.

M. Lametti : Selon moi, les consultations doivent reposer sur un dialogue constructif : se faire entendre, formuler des idées qui seront prises en compte et changer parfois le cours des choses — pas toujours, mais à l’occasion. C’est grâce à un tel dialogue qu’on peut évaluer ce qui importe le plus et déterminer comment intégrer le tout. Ce serait le leitmotiv de nos démarches dans le cadre du plan d’action, et c’est quelque chose que je m’efforcerais certes d’inscrire dans le plan d’action. Voilà ce que nous nous sommes employés à faire dans le processus concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Encore une fois, en raison des contraintes liées à la présence d’un gouvernement minoritaire, à la COVID et à d’autres facteurs, comme les délais — ce qui a nécessité un changement de stratégie en cours de route —, nous avons fait de notre mieux pour consulter les diverses formes de gouvernements autochtones, comme je l’ai expliqué dans mon exposé, ainsi que les nations signataires de traités historiques et modernes, les détenteurs de droits et les organisations autochtones d’envergure nationale et régionale. Nous avons fait de notre mieux pour entendre le plus grand nombre possible de gens avant de déposer le projet de loi. Ces consultations se sont avérées constructives. Elles ont eu une incidence sur les modifications qui ont été apportées au projet de loi. Nous avons continué d’aller de l’avant et nous poursuivons toujours nos efforts en ce sens.

Le sénateur Francis : Merci, madame et monsieur les ministres, de votre présence.

Cette question s’adresse à vous deux. Le projet de loi obligerait le gouvernement fédéral à préparer et à mettre en œuvre un plan d’action, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, pour atteindre les objectifs de la déclaration dans un délai de deux ans. En quoi consisterait au juste ce processus? Y aurait-il un mécanisme de recours, de réparation ou de surveillance?

M. Lametti : Merci, sénateur Christmas, de la question.

C’est un point qui a été soulevé par un certain nombre de dirigeants autochtones à divers échelons, mais en particulier, je dirais, par les dirigeants de l’Inuit Tapiriit Kanatami et leur président, Natan Obed. Je me suis certainement engagé auprès de lui personnellement, ainsi que durant le processus, à faire de mon mieux pour m’acquitter de cette tâche — et nous avons effectué des travaux préliminaires — dans le cadre de l’élaboration du plan d’action.

Je le répète, le plan d’action serait le fruit de vastes consultations. Il s’agirait d’une approche fondée sur les distinctions entre les Premières Nations, les Inuits et les Métis, ainsi que sur les diverses formes de sélection des dirigeants au sein de chacune de ces trois grandes communautés autochtones. Nous ferions de notre mieux pour établir un dialogue constructif.

La déclaration vise, en partie, à prévoir un recours constructif pour l’interprétation et, je suppose, la prise de décisions afin de déterminer si les droits ont été respectés. C’est une chose que nous prendrions au sérieux. Ces discussions feraient partie intégrante du plan d’action au fil du temps.

Le sénateur Francis : Je me demande si la ministre Bennett a quelque chose à ajouter.

Mme Bennett : À mon avis, le plus important, c’est le mot « constructif ». Il faut demander, au lieu d’imposer. Il s’agit d’écouter pour ensuite essayer de parvenir à un consensus, selon ce que nous avons entendu au moment d’élaborer le plan d’action, en plus d’établir quelles lois s’imposent au Canada pour être en conformité avec le projet de loi C-15 et la déclaration. Les priorités des différents groupes et chercheurs autochtones seront très claires quant aux mesures qu’ils nous proposeront de prendre en premier. Voilà ce qui déterminera le plan d’action, c’est-à-dire les objectifs à atteindre, les délais à respecter et la façon de s’y prendre.

Le président : Merci.

La sénatrice Anderson : Je m’adresse à vous depuis ma collectivité de Tuktoyaktuk, qui se situe sur le territoire traditionnel des Inuvialuit.

J’ai une question pour le ministre Lametti. Comment le projet de loi C-15 interagit-il avec les droits issus des traités modernes négociés et enchâssés dans la Constitution? Les droits clarifiés dans le traité moderne risquent-ils de porter préjudice aux titulaires de ces droits en ce qui concerne la reconnaissance de droits supplémentaires énoncés dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones? Quelles seront les répercussions sur les titulaires de droits qui n’ont toujours pas conclu d’entente?

M. Lametti : Je vous remercie de vos excellentes questions.

Nous croyons que cette déclaration n’aura que des répercussions positives sur les droits issus de traités actuels, que l’on parle d’anciens traités ou de traités modernes. Rien dans cette déclaration ne vise d’aucune façon à porter atteinte à ces divers droits.

Comme je l’ai dit à propos de l’article 35 lors d’une réponse à une question précédente, nous estimons que les principes inscrits dans la déclaration vont renforcer et permettre l’évolution de ces droits — dans ce cas-ci, nous parlons de modalités de traités modernes —, pour qu’ils se développent et fleurissent. Cela ne devrait pas du tout miner les négociations ou ententes futures pour d’autres traités modernes à l’avenir.

Il s’agit d’un document qui traite des droits de la personne et qui inscrit une liste de principes de base qui, je crois, renforceront et appuieront les droits existants dans les différentes ententes — traités, pas de traité, et cetera —, mais qui mèneront aussi à de bons dialogues qui offriront de meilleurs résultats pour d’autres négociations de traités à l’avenir.

La sénatrice Anderson : Merci.

Le sénateur Tannas : J’ai une question pour le ministre Lametti. Je me demandais si vous pouviez nous aider en nous faisant part de vos réflexions sur la signification et les différences potentielles, s’il y en a, entre les terres visées par un titre ancestral telles que nous les appelons au Canada et les territoires tels qu’inscrits dans la déclaration. Parle-t-on de la même chose? Existe-t-il une différence entre les deux définitions selon le gouvernement?

M. Lametti : Je ne donne pas d’avis juridiques publiquement. J’ai enseigné dans le domaine pendant de nombreuses années. Cela dit, ces termes ont une signification particulière, que l’on parle de terres visées par un titre ancestral, des droits territoriaux ou d’autres territoires. Tous ces termes feront l’objet d’une interprétation et d’un dialogue constructif dans le plan d’action à l’avenir.

Le sénateur Tannas : D'accord.

M. Lametti : Nous ne voulions aucune perte à ce stade du document.

Le sénateur Tannas : Je comprends. Cela me semble logique.

L’une des préoccupations — et j’espère que cela sera sur la liste des dossiers à régler —, c’est que certains territoires se chevauchent et font l’objet de litiges, surtout en Colombie-Britannique. Ceux qui cherchent à réaliser des projets connaissent l’enjeu du chevauchement des territoires. Qui donne le consentement? Qui le donne dans les organisations? Nous avons été témoins de ce problème avec les Wet’suwet’en. C’est un enjeu fort complexe. Sera-t-il réglé? Y aura-t-il une certaine clarté à cet égard dans les projets de loi qui devront être élaborés pour la mise en œuvre complète de la déclaration?

M. Lametti : Je vous remercie de votre question et de votre exemple, monsieur le sénateur Tannas.

Je crois fermement que les choses vont s’améliorer grâce aux processus dignes de ce nom que nous allons mettre en place et à la collaboration avec les peuples autochtones et divers leaders, tout comme avec les gouvernements provinciaux tels que le gouvernement britanno-colombien qui a mis en œuvre la déclaration. J’ai expliqué aux intervenants de l’industrie en Colombie-Britannique que cette déclaration nous aidera à comprendre qui sont nos partenaires de jeu, comment travailler de concert avec eux et comment définir les règles du jeu. Tout cela nous fera évoluer positivement. Si nous nous asseyons à la même table de discussion dès le départ, nous éviterons le type d’événements tragiques dont nous avons été témoins par le passé.

Le sénateur Tannas : Merci.

Mme Bennett : J’aimerais ajouter quelque chose. Le travail que nous faisons sur l’autodétermination et la reconstruction des nations est axé sur les peuples. Les peuples décident qui parlent en leur nom. Nous devons progresser et veiller à ce que le Canada ait un partenaire durable pour prendre ces décisions.

La sénatrice Hartling : Bonjour. J’aimerais remercier les ministres d’être parmi nous aujourd’hui et de nous faire part de leur savoir. Je constate votre enthousiasme et votre passion à propos du projet de loi et j’entends aussi votre message de réconciliation.

J’ai une question simple, mais complexe, alors répondez à ce que vous pouvez. Selon vous et d’après votre expérience, quels sont les défis ou les obstacles dont il faut tenir compte liés à l’adoption du projet de loi C-15? Nous nous sommes déjà engagés dans cette voie par le passé. Je me demandais quelles sont vos idées et vos réflexions à cet égard. Merci.

M. Lametti : Je veux bien commencer, madame Bennett, si vous voulez compléter par la suite.

Pour ce qui est des défis liés à l’adoption du projet de loi, nous devons veiller à ne pas permettre à la perfection de devenir l’ennemi du bien. L’enjeu fondamental pour tous, c’est de déterminer si ce projet de loi améliorera la vie des peuples autochtones et non autochtones et s’il mettra en place des processus ou des mécanismes pour améliorer les choses en respectant la promesse de réconciliation. Si nous visons la perfection, le projet mourra à nouveau. Je ne veux pas que cela se produise. Je préférerais viser la perfection à long terme plutôt que de tenter de l’atteindre du premier coup.

Mme Bennett : Certaines sociétés exploitantes de ressources naturelles, par exemple, ont compris très judicieusement qu’elles peuvent garantir l’approbation d’un projet ou comprendre rapidement qu’un projet ne fonctionnera pas en ayant des partenaires autochtones à la table de discussion dès le départ. Avec la façon dont les choses se font désormais dans le Nord, comme le sénateur Patterson et moi l’avons fait lors d’une session à l’ONU il y a quelques années, si vous n’avez pas de collaboration avec des partenaires autochtones, vous vous retrouvez devant les tribunaux et enclenchez un processus long et très coûteux, ou alors vous vous retrouvez avec des barrages et ce genre de choses. La collaboration est une pratique sage pour toutes les entreprises; elles pourront savoir si leur projet est un échec, s’il peut être amélioré ou alors si elles obtiennent le feu vert de leurs partenaires. Je crois que les entreprises plus progressistes commencent à comprendre que c’est l’approche la plus judicieuse et que tous pourront tirer des leçons de leur expérience.

La sénatrice Hartling : Merci.

La sénatrice McCallum : Tout d’abord, j’aimerais dire que j’ai remis en question bien des projets de loi qui ont été étudiés au Sénat, et je sais qu’on me perçoit comme étant quelqu’un de difficile, mais cela vient avec mon poste de sénatrice et mon point de vue de femme des Premières Nations qui a vécu l’oppression des politiques fédérales et provinciales, mais aussi des pertes, et les pensionnats autochtones, entre autres. Tout cela m’a rendue méfiante.

L’évolution prévue dans les projets de loi C-91 et C-92 ne s’est pas concrétisée dans notre province. Ce projet de loi me fait peur, donc. J’ai peur que la relation entre l’État et les peuples autochtones ne s’améliore pas. Cela dit, l’espoir demeure grand. Les articles sont au cœur de la déclaration onusienne et sont d’une importance capitale.

Madame la ministre Bennett, lorsqu’on vous a posé une question sur le concept de consentement libre, préalable et éclairé, vous avez répondu qu’il n’y avait rien à cet égard dans le projet de loi et qu’il n’est pas nécessaire d’y expliquer ce concept, car il est déjà expliqué dans la déclaration. J’ai trouvé vos propos inquiétants, et cela a aussi été le cas pour bien d’autres personnes issues des Premières Nations. Essentiellement, les membres de la communauté croient, avec cette réponse, que les articles de la déclaration n’auront pas force de loi. La déclaration n’est qu’une annexe dans le projet de loi C-15 et seuls les articles numérotés du projet de loi auront force de loi. Les articles de la déclaration n’auraient donc pas force de loi. Cela semble appuyer votre point de vue selon lequel il ne faut pas craindre que le consentement libre, préalable et éclairé puisse constituer un veto, car il ne se trouve pas dans les articles numérotés du projet de loi.

Pouvez-vous nous confirmer ou alors infirmer que les articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones n’auront pas force de loi puisqu’ils ne se retrouvent que dans l’annexe du projet de loi? Cette décision d’avoir la déclaration dans l’annexe diffère entre autres du projet de loi C-262. Merci.

M. Lametti : Si vous me le permettez, j’aimerais répondre à votre question à titre de ministre de la Justice et d’avocat ici présent. Je vous assure que ces articles ont déjà force de loi. Ils ont déjà une force d’interprétation dans le droit canadien puisque le gouvernement Harper a adopté le traité, ce que j’appuie ardemment. Une fois le projet de loi C-15 adopté, ces articles auront une force supplémentaire. L’objectif du projet de loi C-15, c’est d’adopter une loi de mise en œuvre de la déclaration pour que le texte de cette déclaration en annexe n’affecte pas ce statut juridique. Elle a toujours un statut.

Dans le projet de loi, on s’engage à adopter un plan d’action pour assurer une cohérence entre le droit canadien, passé et futur, et les principes de la déclaration. Je sais que nous devons établir un lien de confiance. Je sais qu’il règne une méfiance pour bien des raisons. Nous allons travailler là-dessus et poursuivre nos efforts dans ce dossier.

La sénatrice Pate : J’aimerais remercier les deux ministres d’être ici.

Je suis heureuse de m’adresser à vous depuis le territoire non cédé du peuple Algonquin Anishinaabeg.

Comme vous le savez, plusieurs militants et politiciens autochtones ont dit que, selon eux, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît le pluralisme juridique, que la primauté du droit ne signifierait pas nécessairement le droit canadien une fois que le projet de loi C-15 sera adopté et que les peuples autochtones pourront aussi, par exemple, déterminer la légalité des activités d’extraction de ressources naturelles en fonction du droit autochtone.

Comment définiriez-vous la primauté du droit en vertu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre du projet de loi C-15? Selon vous, le projet de loi C-15 permettra-t-il aux peuples autochtones de déterminer la légalité des activités en fonction du droit autochtone ou le droit canadien demeurera-t-il le seul système juridique? Merci.

M. Lametti : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice Pate.

Déjà, le droit canadien n’est pas le seul système juridique qui existe. À titre de ministre de la Justice, l’une des choses que j’ai tenté de faire, c’est de mettre en œuvre l’appel à l’action 50, qui vise à appuyer et à investir dans l’épanouissement et le ré-épanouissement des systèmes normatifs autochtones qui existent depuis toujours. La déclaration aide à appliquer le processus d’autodétermination à bien des niveaux, incluant le niveau juridique.

Cela dit, dans le projet de loi, on reconnaît que l’article 35 ainsi que les lois fédérales et provinciales canadiennes continuent d’exister, et que ces lois auront encore le dernier mot dans diverses circonstances. Cela dit, l’objectif, en adoptant ce projet de loi, c’est d’avoir un processus de dialogue réel pour toutes les prises de décisions préalables et de respecter davantage l’autodétermination et la volonté des peuples autochtones quant à leur cheminement avec les peuples non autochtones.

Mme Bennett : J’aimerais ajouter quelque chose. Alors que nous avançons vers l’autodétermination et la reconstruction des nations, les lois, coutumes et pratiques autochtones font partie intégrante de leur constitution et de leur capacité d’autodétermination. Je crois que c’est pour cela que le ministre Lametti et moi-même, ainsi que d’autres, avons investi dans le Legal Lodge à l’Université de Victoria avec John Borrows et Val Napoleon. Nous devons être en mesure de le faire. Je pense que nous avons peut-être tous en tête qu’un jour, en matière de droit civil, de common law et de droit cri, tout cela constituera la meilleure jurisprudence possible. Nous vivons un moment exaltant; nous en apprenons davantage sur le droit autochtone et sur les méthodes de prise de décisions qui existaient avant l’arrivée des colons.

Le président : Merci, madame la ministre Bennett.

Malheureusement, nous n’avons pas suffisamment de temps pour un deuxième tour de questions. Les fonctionnaires seront avec nous pour le deuxième groupe de témoins, alors nous pourrons leur poser des questions. J’aimerais remercier les ministres d’être venu comparaître au comité aujourd’hui.

Nous allons maintenant passer au prochain groupe de témoins composé des fonctionnaires du ministère des Relations Couronne-Autochtones et du ministère de la Justice Canada. Ils sont ici pour répondre à nos questions.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons, du ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, Ross Pattee, sous-ministre adjoint, Secteur de la mise en œuvre et Marla Isreal, directrice générale. Du ministère de la Justice Canada, nous accueillons Laurie Sargent, sous-ministre adjointe, Portefeuille des affaires autochtones, Me Sandra Leduc, directrice et avocate générale du Centre de droit autochtone et Me Koren Marriott, avocate-conseil du Centre de droit autochtone, Portefeuille des affaires autochtones.

Les fonctionnaires des ministères n’ont pas de remarques liminaires. Ce groupe de témoins est présent pour répondre aux questions des sénateurs. Chaque sénateur disposera d’environ trois minutes et demie. La première question reviendra à nouveau à la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson. La deuxième question reviendra au porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson. Si d’autres sénateurs ont des questions, nous leur demanderons d’utiliser la fonction main levée dans Zoom, qu'ils connaissent bien, pour en aviser la greffière. Ils seront reconnus dans l’outil de clavardage de Zoom. Veuillez noter que les membres du comité seront priorisés pour les questions.

Encore une fois, je vous avise que tout suivi de réponse écrit devra être envoyé à la greffière d’ici le 30 mai 2021. Le personnel du comité enverra un texto au président lorsqu’il restera 10 secondes pour la période de questions des sénateurs. Je ferai un décompte des 10 dernières secondes, et lorsqu’elles seront écoulées, je vous le dirai.

Je cède maintenant la parole à la sénatrice LaBoucane-Benson pour la première question. Puis, ce sera au tour du porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci aux fonctionnaires de se joindre à nous aujourd’hui.

Ma question s’adresse aux fonctionnaires du ministère de la Justice. Pouvez-vous expliquer pourquoi la clause de non-dérogation du projet de loi est différente de la clause de non-dérogation qui figure dans les articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones? Merci.

Laurie Sargent, sous-ministre adjointe, Portefeuille des affaires autochtones, ministère de la Justice Canada : Merci beaucoup.

La question liée à la clause de non-dérogation nous donne l’occasion de parler de l’article 2 du projet de loi, qui utilise un libellé que l’on retrouve dans d’autres lois fédérales, des lois récentes que vous avez pu voir comme les projets de loi C-91 et C-92. Il reflète les recommandations du Sénat en 2007 en ce qui concerne le libellé des clauses de non-dérogation et il est plus adapté, pour ainsi dire, au contexte canadien que le libellé de la déclaration des Nations unies qui traite de diminution et d’extinction des droits. Au lieu de cela, nous avons utilisé le libellé familier au droit canadien de ne pas abroger ou de déroger. Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.

Le sénateur Patterson : Je vois que Me Leduc est des nôtres encore une fois, et je la remercie de la séance d’information que j’ai reçue.

Comme je l’ai mentionné dans la question que j’ai adressée à votre ministre, vous m’avez dit que le gouvernement n’a jamais eu l’intention de demander le consentement des représentants autochtones sur le plan d’action et qu’en fait, tout ce que le projet de loi exige, c’est que le gouvernement travaille en collaboration avec des partenaires autochtones. Par conséquent, j’aimerais vous demander si vous pouvez préciser si ou quand les organisations autochtones ont été informées que le gouvernement fédéral estime que le consentement n’est pas nécessaire avant de mettre la dernière main au plan d’action. Quelle réponse avez-vous reçue à cette affirmation? Des représentants autochtones ont-ils convenu que leur consentement ne serait pas nécessaire avant d’achever le plan d’action? Merci.

Mme Sargent : En tant que sous-ministre adjointe responsable au ministère de la Justice, je vais commencer et, bien sûr, je demanderai à Me Leduc si elle souhaite apporter des précisions.

D’après ce que j’ai compris, les observations formulées lors de la séance d’information auraient plutôt consisté à dire que nous travaillerions en coopération et en consultation avec les peuples autochtones, comme l’exigent la déclaration et la loi. La question de savoir si le consentement de chaque nation individuelle serait demandé n’est pas une question sur laquelle nous avons tenu des conversations avec les dirigeants autochtones.

Bien entendu, nous reconnaissons tous qu’il existe un intérêt et un désir profonds de la part de tous les peuples autochtones de participer à ce processus. Il reste à en définir les modalités, mais il s’agit d’un processus qui nécessitera, comme l’a mentionné la ministre Bennett, je crois, une participation significative et la recherche d’un consensus à l’échelle nationale. Il s’agira d’une entreprise complexe, et nous serons guidés par le principe du consentement libre, préalable et éclairé, ainsi que par les concepts de consultation et de coopération. Merci.

Le sénateur Patterson : Dans le cadre d’une séance d’information à l’intention des parlementaires, les fonctionnaires ont déclaré qu’il n’y a pas de sanction légale si l’on dépasse les deux ans. On nous a dit que les fonctionnaires travailleront très fort pour respecter le délai prescrit, mais que le calendrier dépendrait du rythme auquel les partenaires s’engageront. Pouvez-vous confirmer que le délai de deux ans pourrait être dépassé si l’engagement prend plus de temps, ou avez-vous l’intention de limiter l’engagement avec les détenteurs de droits à ce que vous pensez être possible dans le délai imparti?

Mme Sargent : Je vais commencer, puis je me tournerai vers mon collègue Ross Pattee, qui voudra peut-être ajouter quelque chose.

Ce délai fixé par la loi est, bien entendu, ce qui guidera le gouvernement. Il est vrai que ces types de délais prescrits par la loi sont généralement abordés ou que les conséquences de leur non-respect sont abordées dans le processus parlementaire puisque le Parlement lui-même fera connaître son point de vue si le délai n’est pas respecté. Toutefois, les fonctionnaires et le gouvernement feront tout leur possible pour respecter le délai prévu par la loi.

La sénatrice Stewart Olsen : Cette question s’adresse aux fonctionnaires et porte sur les consultations. J’ai vu que certaines organisations gouvernementales ont été consultées. Il y a beaucoup de gens qui ne l’ont pas été. Il y avait beaucoup d’organisations et de personnes qui disaient qu’elles venaient de l’apprendre le jour même. Je peux vous donner quelques exemples, si vous le souhaitez. La Confédération des Six Nations a déclaré que le projet de loi C-15 a été présenté sans que les nations en soient averties. Le Conseil tribal Qu’Appelle a noté dans son mémoire qu’il a été présenté à la Chambre des communes à la suite de consultations brèves et très limitées. Avez-vous une liste des personnes que vous allez consulter et comment allez-vous respecter votre délai de deux ans si les consultations initiales n’ont pas permis de discuter avec tous ceux qui estimaient devoir être entendus?

Ross Pattee, sous-ministre adjoint, Secteur de la mise en œuvre, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Je peux peut-être intervenir ici. Il y a deux volets à cela.

Étant donné que le gouvernement s’était fermement engagé à présenter le projet de loi au cours de l’année civile de l’année dernière, il était important que nous comprimions et que nous menions à bien toutes les consultations dans ce délai. Nous passons maintenant à l’élaboration conjointe et concertée d’un plan d’action et, effectivement, nous devrons nous assurer que toutes les voix autochtones sont entendues.

Les travaux sont déjà en cours pour évaluer et déterminer comment nous allons travailler ensemble pour faire en sorte que ces voix soient entendues. Cela doit inclure les organisations nationales et régionales. Il faut inclure toutes les organisations, y compris celles que vous venez de mentionner, madame la sénatrice, qu’il s’agisse de groupes de femmes ou de LGBTQI2-S. Nous voulons également nous assurer que les voix des partenaires des traités modernes sont entendues et que tous les détenteurs de droits en vertu de l’article 35 sont entendus. Comme l’indique la déclaration, il s’agit des droits des peuples autochtones, donc les voix individuelles des peuples autochtones devront également être entendues. Nous sommes convaincus que nous aurons un processus qui permettra cet engagement, et nous savons maintenant qu’il aura probablement lieu au cours de la période de deux ans. Merci.

La sénatrice Stewart Olsen : J’aimerais donner suite à une observation : j’ai le plus grand respect pour le travail que vous faites compte tenu des difficultés incroyables auxquelles vous êtes confrontés, mais je me demande vraiment comment on peut attendre cela de vous dans un délai de deux ans. Je préférerais entendre des personnes de tout le pays et m’assurer que des groupes ne sont pas oubliés. Allez-vous remettre une liste des personnes que vous consultez à tous les partis — la Chambre des communes et le Sénat — afin que nous puissions peut-être apporter notre contribution?

M. Pattee : Oui. Nous avons déjà une liste des personnes qui ont...

Le président : Je suis désolé, monsieur Pattee. Le temps est écoulé.

M. Pattee : Je m’excuse.

Le sénateur Francis : Cette question s’adresse au ministère de la Justice du Canada. Pourriez-vous préciser si les alinéas du préambule et les dispositions applicables du projet de loi auront un effet juridique ou une signification en droit canadien? Si oui, de quelle manière?

Mme Sargent : Merci, sénateur Francis.

Essentiellement, le préambule a un effet. Il constitue le contexte dans lequel le projet de loi sera interprété, et il informe sur la façon dont le projet de loi sera interprété, c’est-à-dire les dispositions applicables. Elles comprennent, bien entendu, la disposition sur l’application de la déclaration en droit canadien, dont nous avons déjà parlé comme étant une source d’interprétation du droit canadien, la disposition sur le plan d’action et l’harmonisation des lois. Ce sont des obligations pour le gouvernement qui devront être respectées. Et puis, bien sûr, il y a aussi les obligations en matière de déclaration. Merci.

La sénatrice Coyle : Merci à nos témoins du travail qu’ils font avec nous aujourd’hui et du travail qu’ils ont fait et qu’ils feront, je l’espère, lorsque ce projet de loi sera adopté.

Je ne suis pas une experte en la matière, mais je suis curieuse de savoir en quoi l’interprétation actuelle de l'article 35(1), qui protège les droits ancestraux et issus de traités, diffère des normes énoncées dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je suis également curieuse de savoir si cela sera modifié par l’adoption du projet de loi C-15 et, le cas échéant, de quelle façon? Je veux juste connaître cette relation entre les deux. Merci.

Mme Sargent : Merci.

Je pense qu’il est important pour nous de nous rappeler que l’article 35 de la Loi constitutionnelle et d’autres dispositions de la Constitution sont des concepts qui évoluent au fil du temps et qui sont interprétés au fil du temps et qui n’ont pas une signification complète et claire lorsqu’on lit simplement le libellé. J’énonce des évidences, mais cela fait partie de ce que fait la déclaration des Nations unies et de la manière dont elle a été rédigée par les experts autochtones ainsi que par les ministres Bennett et Lametti, notamment. Autrement dit, elle donne vraiment vie à l’article 35. Elle peut être utilisée pour interpréter et informer et, franchement, nous donner une idée de l’ensemble des droits, de la manière dont l’article 35 et d’autres dispositions de notre Constitution et de notre législation peuvent être interprétés et améliorés à l’avenir.

La sénatrice Coyle : Diriez-vous que cela permettrait d’améliorer l’interprétation et de comprendre certaines des lacunes dans cette interprétation?

Mme Sargent : Je pense que c’est une très bonne façon de l’expliquer, oui.

La sénatrice Coyle : Merci.

La sénatrice Forest-Niesing : J’aimerais revenir sur le délai de deux ans prévu pour le plan d’action. Vous avez déjà parlé assez longuement du processus de consultation qui serait, évidemment, la première étape de l’élaboration de ce plan d’action. Cependant, j’aimerais savoir plus particulièrement quelles sont vos impressions et vos préoccupations, si vous en avez, concernant la réduction du délai de trois à deux ans, étant donné l’ampleur de la tâche. La consultation est la première étape, mais elle doit être suivie de l’élaboration complète du plan d’action. Estimez-vous que ce délai est suffisant?

Je vais poser ma question complémentaire maintenant. Quelles leçons, s’il y en a, sont tirées de l’expérience de la Colombie-Britannique, et dans quelle mesure cela vous donne-t-il une longueur d’avance dans l’élaboration du plan d’action, le cas échéant?

M. Pattee : Merci beaucoup, sénatrice. Ce sont deux excellentes questions.

Je veux juste rappeler aux gens que la proposition initiale était que le plan d’action devait être mis en œuvre dans un délai pouvant aller jusqu’à trois ans, si bien que nous avons toujours su que le délai pourrait être plus court.

En ce qui concerne la proposition de deux ans, nous avons très confiance et nous ne sommes pas trop inquiets de pouvoir respecter ce délai. En fait, ce travail est en cours en ce moment même. Nous avons déjà entamé des discussions sur la manière dont nous allons nous organiser avec divers intervenants clés, donc ce travail est en cours.

Pour ce qui est des leçons tirées de la Colombie-Britannique, elle a été une partenaire solide tout au long du processus. Nous parlons régulièrement avec des représentants de la province de la Colombie-Britannique. Nous avons travaillé avec eux pour trouver des moyens de tirer des leçons de leur processus. L’une des leçons que nous avons tirées, c’est que nous travaillons actuellement sur la voie à suivre pour le plan d’action qui est en train de faire son chemin à la Chambre des communes et au Sénat. Nous n’attendons pas la sanction royale. C’est donc l’une des principales leçons que nous avons tirées. Merci.

La sénatrice Forest-Niesing : C’est très encourageant. Merci.

Le sénateur MacDonald : N’importe lequel des fonctionnaires peut répondre à cette question. En décembre dernier, lors d’une séance d’information à l’intention des parlementaires, des représentants du ministère de la Justice ont déclaré que le projet de loi C-15 respectait la jurisprudence canadienne, tandis que des fonctionnaires de RNCan ont affirmé que le projet de loi ne créait pas d’exigences pour l’industrie, mais seulement pour le gouvernement. Mais dans le cas du litige concernant les Wet’suwet’en, les promoteurs du pipeline ont conclu des accords avec tous les chefs et conseils élus le long du tracé approuvé, mais les chefs héréditaires ont maintenu qu’ils n’avaient pas donné leur consentement libre, préalable et éclairé requis pour le pipeline. Il s’agissait d’un projet approuvé par la province dans une province qui a mis en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Si le consentement n’était pas clair dans ce cas, vous inquiétez-vous du niveau d’incertitude que cela aurait pu créer maintenant d’un bout à l’autre du pays dans une situation semblable? Cette question s’adresse à quiconque veut y répondre.

Mme Sargent : Je vais commencer et, bien sûr, mon collègue de RCAANC pourra poursuivre s’il reste du temps.

Je pense que nous voyons, et les ministres l’ont déjà dit, que les processus que le projet de loi C-15 mettrait en place — des processus de collaboration dans lesquels nous retroussons vraiment nos manches ensemble pour résoudre certains des problèmes les plus difficiles qui subsistent en matière de gouvernance, d’autodétermination des Autochtones et de reconstruction des nations — pourraient contribuer à offrir une plus grande prévisibilité à l’avenir. C’est un processus. Il sera élaboré au moyen de nombreux dialogues, comme l’ont dit nos ministres, mais nous ne pensons pas qu’il crée davantage d’incertitude. Au contraire, il devrait nous mener sur la voie d’une plus grande prévisibilité. Merci.

Le sénateur MacDonald : On a également soulevé la question du consentement qui peut ou non être requis en ce qui concerne le territoire traditionnel, où l’obligation de consulter s’applique actuellement à des degrés divers. Comment envisagez-vous l’application du consentement libre, préalable et éclairé en ce qui concerne le territoire traditionnel par rapport aux terres sur lesquelles il existe un titre de propriété?

Mme Sargent : En ce qui concerne ces questions juridiques, la jurisprudence sur l’obligation de consulter traite déjà des atteintes ou des répercussions réelles et potentielles en ce qui concerne les droits des Autochtones. Cela inclut les titres. Cela inclut les droits de récolte et autres. Il y a donc déjà un sens de la portée qui va au-delà des simples titres de propriété, mais qui les inclut.

Nous nous attendons à ce que cette mesure législative donne lieu à des conversations continues sur la manière de résoudre certaines questions relatives à l’incertitude concernant les différents aspects du territoire traditionnel, mais nous continuerons à être guidés par la jurisprudence de l’article 35, qui comporte des exigences précises concernant les terres visées par un titre autochtone, qui sont énoncées dans l’arrêt Tsilhqot’in, parmi d’autres arrêts. Merci.

Le sénateur Tannas : Lorsque nous avons examiné le projet de loi C-262, les juristes étaient d’accord pour dire que le projet de loi C-262 allait en fait, le lendemain, le jour de sa proclamation, annexer la déclaration des Nations unies à toutes les lois du Canada. En fait, le professeur Borrows a dit qu’elle était annexée à toutes les lois. Le professeur Newman l’a confirmé. Le juge Major a dit la même chose dans un mémoire écrit. Tout cela a amené un certain nombre de personnes à craindre un chaos juridique le lendemain et la possibilité que tout le monde se précipite au tribunal avec un nouvel ensemble d’outils. Pouvez-vous nous confirmer si, à votre avis, au lendemain de la sanction royale, ce projet de loi ne nous mettra pas dans cette situation où nous avons une cohue d’avocats et un chaos juridique, comme nous l’avons entendu précédemment?

Mme Sargent : Merci, sénateur Tannas.

Je voudrais simplement revenir à ce que les ministres ont dit concernant le projet de loi, à savoir qu’il confirme que la déclaration peut déjà être utilisée pour interpréter les lois canadiennes — fédérales, provinciales et constitutionnelles. Nous avons déjà une jurisprudence qui le stipule. Par conséquent, nous dirions que oui, comme le ministre l’a dit, nous insistons sur cette position, mais, autrement, cela ne reflète pas l’état de notre droit actuel et un engagement important de la part du gouvernement à prendre des mesures positives pour harmoniser la loi et la déclaration à l’avenir. Merci.

Le sénateur Tannas : Exactement. Les avocats ne devraient donc pas s’attendre à se précipiter le lendemain devant les tribunaux au nom de leurs clients, n’est-ce pas?

Mme Sargent : Je ne suis pas en mesure de me prononcer sur la profession juridique en général. Vous aurez vos opinions, mais je peux manifestement vous parler de ce que nous considérons comme l’intention de cette mesure législative, laquelle consiste à fournir un cadre à ce sujet dans l’avenir. Je vous remercie.

Le sénateur Tannas : Nous confirmons ce qui est déjà un document ayant une application dans le droit canadien.

Mme Sargent : C’est certainement ce que font les dispositions qui traitent de la question, soit les articles 2 et 4. Je vous remercie.

La sénatrice Anderson : Ma question s’adresse au ministère de la Justice. Comment l’obligation de consulter, comme l’ont défini les tribunaux canadiens, interagit-elle avec les dispositions afférentes dans la Déclaration des Nations unies? L’ébauche du projet de loi C-15 applique-t-elle l’expression « en consultation et en coopération » de la même manière que la déclaration?

Mme Sargent : Je tenterai de traiter de chacun de ces points à tour de rôle.

Pour ce qui est de l’obligation de consulter dans le cadre de la Déclaration des Nations unies, ici encore, comme les ministres l’ont souligné, nous considérons que cette obligation est déjà enchâssée dans le droit canadien et qu’il existe déjà beaucoup de similitudes avec ce qui est déjà exigé : une prise de décisions libres et sans contrainte et la communication préalable d’informations aux titulaires de droits autochtones et aux nations qui pourraient être touchés par les mesures pour qu’ils soient, bien entendu, informés par les renseignements qui leur sont fournis. L’obligation de consulter comprend déjà toutes ces exigences.

En ce qui concerne le consentement, le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause peut, dans certains cas, aller au-delà de l’obligation de consulter et de la manière dont ce principe a été interprété jusqu’à maintenant. Mais comme l’a fait remarquer le ministre Lametti, l’article 35 peut évoluer et évoluera. Nous savons également que le consentement peut déjà être exigé dans des affaires de titre et quand des traités l’exigent. C’est un domaine complexe. Nous observons des similitudes substantielles entre les deux mesures, tout en admettant que nous devrons élaborer de nouveaux processus, comme quelqu’un l’a souligné, pour tenir pleinement compte de la déclaration.

Je crains de manquer de temps, mais en ce qui concerne la consultation et la coopération comme ces termes sont utilisés dans le projet de loi C-15, le mieux que je puisse dire, c’est peut-être que la déclaration servira de base à l’interprétation de la loi, comme nous venons de l’indiquer. Je ne tente pas d’expliquer les choses de manière circulaire, mais il est absolument vrai que nous nous attendons à ce que ces termes soient interprétés comme dans la déclaration et comme ils le sont à l’échelle internationale par des experts du mécanisme, dans le forum permanent des Nations unies et d’autres plateformes.

La sénatrice Anderson : Je vous remercie.

La sénatrice McCallum : Les terres et les ressources sont et ont toujours été au cœur du conflit. L’expulsion forcée des peuples autochtones de leurs terres et de leurs territoires sans leur consentement libre, préalable et éclairé demeure encore une pratique courante de nos jours. Nous avons constaté que les Autochtones ne pouvaient pas opposer leur veto en pareil cas. Pourquoi le secteur de l’extraction se plaint-il de l’opposition alors que le droit de veto n’a jamais constitué un absolu dans nos vies? De quelle autre manière le gouvernement aurait-il pu nous envoyer dans les pensionnats? Comment se fait-il qu’il y ait des sites d’enfouissement de matières toxiques à l’intérieur et à proximité des communautés autochtones et que les communautés non autochtones puissent exercer un droit de veto pour éviter que cela se produise dans leur cour, mais pas nous? Ce que je me demande, c’est pourquoi les sociétés d’exploitation des ressources sont autorisées à opposer leur veto à propos des préoccupations des Premières Nations même après une « consultation » et peuvent aller de l’avant avec leurs projets. Comment ce conflit sera-t-il enfin résolu? Je vous remercie.

Mme Sargent : Je vous remercie, sénatrice McCallum.

J’admettrai que le déplacement et l’expulsion des peuples autochtones de leurs terres font évidemment partie de l’histoire du Canada. Je pense que le mieux que nous puissions faire et dire, c’est indiquer que le projet de loi et la déclaration elle-même indiquent que cela ne devrait pas se produire dans l’avenir et que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause des communautés est crucial en ce qui concerne les décisions qui touchent les peuples autochtones. Dans le cadre de nos échanges avec les secteurs des ressources naturelles, je pense que nous avons entendu qu’ils prennent des mesures pour s’assurer d’intégrer ces concepts dans leurs travaux dans l’avenir.

Je demanderai à mon collègue Ross Pattee s’il a quelque chose à ajouter. Je vous remercie.

M. Pattee : Je vous remercie.

Comme Mme Sargent l’a indiqué, nous travaillons en étroite collaboration avec l’industrie. Il y a de nombreuses leçons à tirer de la manière dont cette dernière accomplit des progrès afin de consulter les partenaires autochtones et de collaborer avec eux quand des projets sont entrepris. Il est réellement important que nous nous intéressions de près à ces réussites. Je vous remercie.

La sénatrice McCallum : Sachez que ce n’est pas ainsi que les choses se passent dans notre cas. Les entreprises continuent d’envahir les terres des Premières Nations et les gouvernements fédéral et provinciaux continuent de les laisser faire. Les intérêts de tierces parties entravent le progrès des revendications territoriales, dont certaines sont en cours depuis 20 ans. Je veux simplement souligner que ces pratiques continuent. La violence perdure et fait partie de nos vies aujourd’hui. Je vous remercie.

La sénatrice Pate : Je suis curieuse. Comme un grand nombre d’autres témoins l’ont déjà fait remarquer, le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause n’est pas défini dans le projet de loi C-15. Comme le ministère de la Justice l’a indiqué au cours des audiences de la Chambre sur ce projet de loi, ce principe doit être compris dans un contexte donné, ce qui empêche d’en donner une définition précise. Pourtant, la loi de la Colombie-Britannique sur la déclaration des Nations unies illustre la manière dont le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause s’applique dans la pratique. Que comptez-vous faire pour mettre en œuvre concrètement le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause dans le plan d’action national? Comment réagiriez-vous aux critiques voulant qu’il faille donner une définition du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause pour assurer la certitude?

Mme Sargent : Je répondrai d’abord à la dernière question, puis verrai si mon collègue souhaite ajouter quelque chose.

En ce qui concerne la définition, la ministre Bennett et d’autres intervenants ont déjà expliqué qu’il s’agit d’un concept contextuel qui doit être compris de manières qui varieront selon ce dont il est question, qu’il s’agisse d’une loi nationale ou d’un projet d’exploitation des ressources naturelles. Il serait donc inapproprié et très difficile d’inclure une définition dans le projet de loi.

Je pense aussi que la ministre voulait dire qu’il faut travailler en collaboration avec les peuples autochtones, chose que nous avons été incapables de faire jusqu’à présent. Je pense que l’on considère que c’est un aspect qui fera partie intégrante de l’élaboration du plan d’action.

Je céderai peut-être la parole à Ross Pattee pour voir s’il a quelque chose à ajouter.

M. Pattee : Je vous remercie beaucoup. Je vous remercie de cette question, sénatrice. Nous convenons que c’est un aspect qui intéressera beaucoup les partenaires autochtones, et qu’il sera important d’en discuter et, certainement, de l’intégrer dans le plan d’action. Je vous remercie.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Dans mon patelin de l’Alberta, on se préoccupe beaucoup des répercussions de ce projet de loi sur les accords et les traités en Alberta, comme les Traités nos 6, 7 et 8. Je pense qu’il vaut la peine de revenir en arrière pour discuter de l’effet que le projet de loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones aura sur un certain nombre de traités, le cas échéant. Cette question s’adresse aux fonctionnaires du ministère de la Justice.

Mme Sargent : Je vous remercie de cette question.

C’est certainement une préoccupation que nous avons également entendue pendant nos discussions avec les nations signataires de traités en Alberta et, de façon plus générale, avec les partenaires de traités modernes. Je ferai simplement remarquer que la disposition de non-dérogation que vous avez mise en lumière dans une question précédente indique nettement que rien dans ce projet de loi ne dérogera aux droits qui sont déjà protégés par des traités et par l’article 35 de la Constitution en les réduisant ou en les modifiant de quelque façon que ce soit.

Comme notre ministre l’a souligné, nous considérons que ce projet de loi peut réellement renforcer, en y ajoutant quelque chose, les mesures de protection et les droits déjà établis dans ces accords, et verrons le travail qu’il faut accomplir pour résoudre les questions plus vastes comme la discrimination et le racisme dans la société et la nécessité de prendre à cet égard des mesures qui renforcent réellement la protection et nous permettent de progresser dans le cadre de la mise en œuvre des traités. Je vous remercie.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je sais que les consultations n’ont pas cessé quand ce projet de loi a été déposé. Pouvez-vous traiter des consultations qui ont eu lieu depuis ce dépôt et ce qu’on entend faire pour que les nations et les chefs signataires de traités sentent qu’ils sont entendus et que l’on tient compte de leur avis dans le cadre de l’élaboration de ce projet de loi?

M. Pattee : J’interviendrai peut-être à ce sujet. Je vous remercie beaucoup d’avoir posé cette question.

Mon travail consiste à m’occuper de la mise en œuvre des traités. C’est une question très importante. Les traités modernes et, bien entendu, les traités numérotés feront partie des discussions et de la mise en œuvre du plan à mesure que les choses progressent.

Un certain nombre d’autres rencontres ont eu lieu pour commencer à déterminer comment nous travaillerons ensemble. Par exemple, nous avons déjà commencé à discuter avec les organisations nationales autochtones pour voir comment nous pouvons collaborer afin d’en arriver au meilleur plan d’action possible. Ce travail est en cours, et je suis persuadé que les traités modernes et les traités numérotés seront pris en compte.

Mme Sargent : J’ignore s'il reste suffisamment de temps pour que j’ajoute quelque chose à ce sujet.

Le président : Allez-y.

Mme Sargent : Juste pour compléter brièvement cette réponse, les ministres Bennett et Lametti ont également rencontré un certain nombre de nations et de chefs tout au long du processus parlementaire. Sachez que l’amendement apporté par le comité afin de reconnaître les droits protégés par l’article 35 n’est pas figé dans le temps et évoluera, à la demande expresse de ceux qui se préoccupent le plus des droits des traités, de leur protection continuelle et de leur mise en œuvre au Canada. Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur Patterson : On m’a indiqué aujourd’hui le contraire de ce qu’on m’a affirmé lors d’une séance d’information sur le besoin du consentement pour achever le plan d’action, quand vous dites que vous travaillez en vue de réunir le consensus à l’échelle nationale au sujet du plan d’action. Si c’est maintenant le cas, je voudrais demander comment se définit le consentement préalable, donné librement et connaissance de cause dans ce contexte. Pour être plus précis, de qui cherchez-vous à obtenir le consentement?

Mme Sargent : Sénateur Patterson, je ferais remarquer que je considère que nous avons toujours dit la même chose à ce sujet, en ceci que le processus que nous envisageons dans l’avenir exigera, bien entendu, l’avis et la collaboration des peuples autochtones du pays et la prise en compte des distinctions, de la diversité et des diverses considérations, comme l’ont d’ailleurs souligné les ministres aujourd’hui. La gestion du dossier est complexe, et nous collaborerons avec les peuples autochtones afin de déterminer comment nous pouvons établir un processus pour élaborer un plan d’action réunissant un consensus général et réel. Je vous remercie.

Le sénateur Patterson : Je le comprends. Je veux toutefois savoir si vous devez obtenir le consentement de chaque chef et conseil ou juste celui des organisations nationales autochtones, par exemple. Comment prouverez-vous que vous avez obtenu ce consentement?

Mme Sargent : Comme je pense que nous l’avons indiqué, nous ne voulons pas aller de l’avant en présumant savoir exactement comment les choses se dérouleront. Nous devons faire participer les peuples autochtones au processus lui-même. Comme mon collègue M. Pattee l’a souligné, nous en sommes aux étapes préliminaires, mais bien entendu, en attendant que le projet de loi soit adopté, nous examinerons le processus sans le déterminer pour l’instant. Je vous remercie.

Le sénateur Patterson : M. Pattee a parlé des principaux acteurs qui ont été approchés au sujet du plan d’action. De qui s’agit-il, monsieur Pattee?

M. Pattee : Comme Mme Sargent vient de l’indiquer, nous en sommes au début du processus. Nous avons approché un certain nombre d’acteurs, y compris des organisations nationales autochtones et des partenaires de traités modernes, mais le processus ne fait que commencer pour l’instant. Comme je l’ai souligné plus tôt, il sera exhaustif. Il devra être exhaustif. Nous devrons consulter d’autres organisations qui ont leur mot à dire, qu’elles défendent les intérêts des femmes, des étudiants, des personnes LGBTQI2S ou des titulaires de droits en vertu de l’article 35. Le processus sera exhaustif, mais nous n’en sommes qu’au début du voyage.

Le sénateur Patterson : Bonne chance.

Le sénateur MacDonald : Le ministre Lametti a déclaré que la jurisprudence fédérale et provinciale continue d’avoir le dernier mot dans un certain nombre de contextes et que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ne remplace pas le droit de prise de décisions du gouvernement fédéral. Pour que tout soit bien clair, pouvez-vous confirmer que les jugements antérieurs des tribunaux seront maintenus et que les lois fédérales et provinciales continueront de s’appliquer à tous les Canadiens?

Mme Sargent : Je pense que je ne peux faire rien de mieux que de reprendre les propos du ministre Lametti, qui a affirmé que la jurisprudence canadienne continue évidemment de s’appliquer au Canada. Cette jurisprudence peut toutefois évoluer — c’est un fait d’ailleurs reconnu — et la déclaration peut jouer un rôle à cet égard. Comme cela s’est produit au chapitre de l’interprétation juridique dans un éventail de domaines, la loi change à mesure que la société évolue. Il importe d’admettre que la loi a la capacité d’évoluer, comme les tribunaux canadiens nous l’indiquent depuis des lustres.

Le sénateur MacDonald : Pour continuer sur le même sujet, quand il est question de l’utilisation du mot « consentement », il s’agit d’un terme fondamental qui est employé à maintes reprises. Comment peut-on appliquer une loi comprenant ce terme fondamental quand la définition du mot « consentement » semble diverger d’une personne et d’un acteur à l’autre?

Mme Sargent : Je nous ramènerais au fait que la mesure législative elle-même n’utilise pas le mot « consentement ». Bien entendu, ce terme se trouve à bien des endroits dans la déclaration dans le contexte plus général du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause et doit donc être lu en fonction du contexte.

J’admets que d’aucuns préféreraient peut-être qu’il existe dans la loi canadienne une définition unique et claire. Ce n’est toutefois pas encore le cas et nous ne pouvons pas nous attendre à ce que cela le soit en raison des différents contextes et de la manière dont s’appliquent le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause et l’obligation de consulter, que cela concerne les territoires, les droits, les diverses activités traditionnelles ou culturelles ou les terres visées par un titre ancestral. Ces concepts peuvent s’appliquer de diverses manières, ce qui fait qu’il est très difficile de les définir d’une seule façon.

Le sénateur Francis : La question suivante s’adresse au ministère de la Justice du Canada. Certains ont fait valoir que le projet de loi C-15 modifie la nature ou le caractère de la déclaration des Nations unies en la subordonnant à l’article 35(1) de la Constitution, ce qui, on le comprendra, soulève de graves préoccupations. Cette interprétation juridique est-elle juste? Pourriez-vous aussi confirmer si le processus de modification des lois et des politiques existantes se poursuivra après le délai de deux ans?

Mme Sargent : Merci, sénateur Francis. Je vais commencer par la deuxième question, car la réponse est plus simple.

En ce qui concerne le processus d’harmonisation des lois, il est énoncé à l’article 5 du projet de loi. Il n’est pas assorti d’un délai de deux ans. Par conséquent, nous nous attendons à ce que ce processus se poursuive. En effet, il n’est pas assorti d’un délai; il s’agit d’un processus continu et permanent.

Quant à la question de la déclaration et de sa relation avec l’article 35 et avec la Constitution, je pense que, d’un point de vue juridique, le droit international et les instruments juridiques internationaux tels que la déclaration ont leur propre statut en droit international. Ils ne sont pas subordonnés de cette manière aux lois nationales. Nous ne verrions pas cela comme une bonne compréhension de ce que nous faisons ici. Cela dit, pour que la déclaration prenne effet en droit canadien, le projet de loi vise à encadrer la façon dont cela se produira, notamment par son utilisation dans l’interprétation du droit canadien, mais aussi par le processus d’harmonisation des lois dont nous venons de parler, qui consiste essentiellement à intégrer la déclaration dans le droit canadien.

Le sénateur Francis : Je vous remercie.

La sénatrice Coyle : J’aimerais revenir sur ce que notre collègue, la sénatrice McCallum, a dit à propos de la confiance. La confiance émane de plusieurs sources. Elle vient des résultats; elle peut aussi venir du processus. C’est le processus qui m’intéresse ici.

Je vis en Nouvelle-Écosse. Il y a actuellement une véritable rupture de confiance en Nouvelle-Écosse entre le ministère des Pêches et des Océans et les peuples et communautés des Premières Nations qui pêchent à des fins de subsistance convenable. Certains diront qu’une partie de cette rupture de confiance est liée au manque d’expérience, par exemple, au sein du MPO. Cette expérience est peut-être plus solide au sein de Relations Couronne-Autochtones.

Comment le ministère de la Justice et le ministère des Relations Couronne-Autochtones ont-ils travaillé ensemble à ce jour dans le cadre du processus de participation, afin de nous amener là où nous sommes maintenant? Comment travaillez-vous ensemble en ce moment? Ensuite, comment allez-vous travailler ensemble à l’avenir, le cas échéant, pour élaborer ce plan d’action? Je sais, et vous nous l’avez dit, que vous serez guidés par un certain nombre de dirigeants autochtones qui vous aideront à définir ce que devrait être ce processus, mais je suis simplement curieuse au sujet de la relation entre Justice et Relations Couronne-Autochtones. Pourriez-vous en parler, s’il vous plaît?

Mme Sargent : Je crois que...

M. Pattee : Voulez-vous commencer?

Mme Sargent : Voilà. Nous travaillons en très étroite collaboration.

M. Pattee : Tous les jours, toutes les heures, toutes les semaines, tous les soirs.

Mme Sargent : Je prends votre remarque très au sérieux, sénatrice, et l’observation générale sur la nécessité d’établir la confiance. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues de Relations Couronne-Autochtones, ainsi qu’avec Ressources naturelles Canada. Ils ne sont pas ici aujourd’hui, mais ils ont assurément joué un rôle très important dans le travail en cours.

Bien sûr, ce que nous devons vraiment faire, c’est travailler avec nos partenaires autochtones et rebâtir les relations; bâtir la confiance. C’est un défi pour nous tous. Je sais que la mobilisation est là, mais nous devons continuer à faire ce travail difficile ensemble. Franchement, c’est un honneur et un privilège d’avoir participé aux discussions jusqu’à présent.

Je répéterai simplement que ce projet de loi représente l’engagement solennel du gouvernement en entier à poursuivre ce travail en s’inspirant de la déclaration, de ses dispositions et des droits et principes qu’elle contient. C’est un travail qui va demander un effort soutenu, et nous continuerons à le faire avec nos collègues de l’ensemble du gouvernement.

M. Pattee : Je pense que c’est une question de confiance. En ce qui me concerne, nous voulons vraiment nous appuyer sur le travail qui a mené au dépôt du projet de loi. Nous avons eu des centaines d’heures de discussions avec des partenaires de tout le pays. Je pense que c’est une excellente base pour aller de l’avant et travailler ensemble sur ce à quoi devrait ressembler le plan d’action. Comme Mme Sargent l’a dit, je suis honoré de faire partie de ce processus, et je pense que c’est une avancée très enthousiasmante pour le Canada et la réconciliation.

La sénatrice Coyle : Pourriez-vous nous dire ce que vous avez pu apprendre au cours du processus de mobilisation initial et que vous allez utiliser dans la prochaine phase d’élaboration du plan d’action?

M. Pattee : Pour moi, c’est la complexité de ce que nous essayons de régler et l’histoire derrière cela.

Le président : Je suis désolé, monsieur Pattee, mais le temps est écoulé. Je sais que certaines des questions posées étaient d’un très grand intérêt. Vous avez la possibilité, monsieur Pattee, ainsi que les autres témoins que j’ai interrompus alors que vous répondiez à des questions, de soumettre des réponses par écrit à la greffière d’ici le 30 mai. Veuillez accepter mes excuses.

Je vais maintenant donner la parole à la sénatrice Stewart Olsen.

La sénatrice Stewart Olsen : Je suis un peu préoccupée par certaines de vos réponses concernant le consentement et la jurisprudence au Canada. Lorsque vous dites que cela évolue et que les choses peuvent évoluer et que vous envisagez à l’avenir de modifier les lois pour qu’elles soient conformes à la déclaration, s’agit-il de lois pour tout le monde ou envisagez-vous de mettre en place un système à deux vitesses où vous avez des lois pour un groupe et des lois différentes pour un autre groupe?

Mme Sargent : Je commencerai par souligner que ce projet de loi porte essentiellement sur le processus d’harmonisation des lois au fil du temps. C’est l’une des obligations énoncées à l’article 5 du projet de loi.

Ce que nous avons entendu lors de nos discussions avec la Colombie-Britannique, entre autres, c’est que ce projet de loi établit un processus ordonné et collaboratif pour ce travail, lequel est encore très nécessaire pour les relations entre le Canada et les peuples autochtones, comme nous devons le reconnaître à l’échelon fédéral. Également, nous avons encore un certain nombre de lois qui sont désuètes et qui, franchement, reflètent notre passé colonial, ce qui doit être corrigé.

La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends ce que vous dites. Je ne veux pas vous interrompre, mais je veux bien comprendre. Lorsque vous parlez d’harmoniser les lois, de quoi parlez-vous exactement?

Mme Sargent : Ce n’est pas exactement la même chose, mais si vous pensez à la Charte et à son entrée en vigueur en 1982, par exemple, il y a eu une période de trois ans pendant laquelle le gouvernement a dû revoir ses lois pour veiller à ce qu’elles respectent les droits à l’égalité des femmes, des personnes handicapées et autres. C’est ce genre de travail où l’on cherche essentiellement à vérifier les lois fédérales par rapport à la déclaration et aussi, bien sûr, à la Constitution et à l’article 35. Il s’agit d’un processus qui consiste à examiner les lois en vigueur, mais aussi les lois à venir, pour voir si elles sont, en fait, conformes aux droits fondamentaux à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale tels qu’ils sont énoncés dans la déclaration et, naturellement, dans d’autres dispositions également. J’espère que cela vous aide à comprendre.

La sénatrice Stewart Olsen : C’est le cas. Je vous remercie beaucoup.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins.

Au cours de la réunion du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes qui a eu lieu le 22 avril et qui portait sur le projet de loi C-15, les membres du comité ont discuté de l’importance d’inclure les besoins en ressources gouvernementales dans le plan d’action afin d’obliger le gouvernement à assurer la mise en œuvre efficace de la déclaration de l’ONU. Quels sont vos plans pour faire en sorte que le projet de loi C-15 rende le gouvernement responsable de l’affectation de ressources appropriées et suffisantes pour garantir la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies?

À la lumière des commentaires du ministre sur la relation symbiotique entre la déclaration de l’ONU et l’article 35, je suis curieuse de savoir comment vous verriez la jurisprudence future se conformer — et cela rejoint la dernière question — aux principes de la déclaration de l’ONU, et comment la justification d’une atteinte aux droits selon l’arrêt Sparrow affectera l’application de la déclaration de l’ONU compte tenu de la relation symbiotique.

M. Pattee : Je vais répondre à la première partie de cette question, ce qui donnera à Mme Sargent le temps de réfléchir à sa réponse à la deuxième partie.

Comme nous le savons, dans le récent budget, plus de 30 millions de dollars ont été alloués à la consultation et à la mobilisation autour du plan d’action. Pour moi, cela signale clairement l’engagement du gouvernement à aller de l’avant et à s’assurer qu’un processus adéquat est mis en place. Je suis convaincu que ces fonds permettront de faire avancer les choses de manière appropriée.

Mme Sargent : En ce qui concerne l’article 35 et la relation symbiotique, j’aimerais souligner les décisions prises par les tribunaux au fil du temps en ce qui a trait aux droits garantis par la Charte, entre autres dans les cas où les tribunaux s’appuient sur les déclarations et les traités internationaux en matière de droits de la personne pour interpréter la Charte. Nous nous attendrions à ce que la même chose se produise en ce qui concerne l’article 35. Cela ne s’est pas produit très souvent jusqu’à présent, mais nous pourrions certainement voir les tribunaux le faire de plus en plus à l’avenir.

Le procureur général du Canada est prêt à examiner la façon dont ces arguments pourraient éclairer la position du gouvernement et il l’a déjà fait, par exemple, dans le mémoire présenté à la Cour suprême dans l’affaire Desautel, une affaire concernant les déplacements transfrontaliers sur laquelle la Cour suprême a récemment statué. En fin de compte, la Cour n’a pas jugé nécessaire de se référer à la déclaration dans son interprétation, mais il est toujours possible qu’elle le fasse à l’avenir.

La sénatrice Forest-Niesing : J’avais une question sur l’affectation des ressources, à laquelle vous avez déjà répondu, alors permettez-moi de vous poser la question suivante. Comme nous le savons, la fédération canadienne, dans toute sa splendeur, présente des défis dans plus d’un domaine. Dans ce domaine en particulier, je sais, comme je devais m’y attendre, que vous avez engagé des discussions avec les provinces et les territoires au sujet de leur intention d’aller de l’avant, à l’instar de la Colombie-Britannique avec une loi semblable qui adopte la DNUDPA. Par conséquent, nous pouvons nous attendre à un certain degré de variation à travers le pays. Je me demande, tout d’abord, quelles sont vos attentes, compte tenu des discussions que vous avez eues au sujet de ces variations, et quelles mesures, le cas échéant, vous comptez prendre pour les limiter.

Mme Sargent : Je vous remercie de cette question.

Nous avons effectivement beaucoup discuté avec les provinces et les territoires au cours des derniers mois et nous pouvons dire qu’ils ont tous exprimé leur engagement envers la déclaration et ses principes.

Comme vous l’avez fait remarquer, la fédération canadienne permet et, en fait, favorise la diversité des approches à travers le pays. Ce fait est reconnu dans le préambule du projet de loi. On y mentionne le rôle que joueront les provinces et les territoires, chacun dans sa propre sphère de compétence, avec la capacité de prendre des mesures pour mettre en œuvre la déclaration.

Nous nous engageons dans cette démarche en sachant que le gouvernement fédéral doit mettre de l’ordre dans ses propres affaires, que c’est l’objectif de cette loi et que nous allons engager un dialogue permanent avec les provinces et les territoires sur les différentes façons dont ils peuvent aborder la mise en œuvre.

Le président : Malheureusement, cela nous amène à la fin du temps dont nous disposions aujourd’hui. Je tiens à remercier nos témoins de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, Ross Pattee et Marla Israel, et de Justice Canada, Laurie Sargent, Sandra Leduc et Koren Marriott. Comme je l’ai déjà mentionné, veuillez transmettre par écrit toute réponse que j’ai pu interrompre à la greffière du comité au plus tard le 30 mai.

Pour notre prochain groupe, nous avons le plaisir d’accueillir les témoins suivants : de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, chef national, et Mary Ellen Turpel-Lafond; d’Inuit Tapiriit Kanatami, Natan Obed, président, et Me Tania Monaghan, conseillère juridique; du Ralliement national des Métis, David Chartrand, vice-président et porte-parole national, Celeste McKay, consultante, et Brandon MacLeod, conseiller principal des politiques.

Le chef Bellegarde, M. Obed et M. Chartrand feront chacun une déclaration liminaire d’environ six minutes, et une séance de questions et réponses avec les sénateurs suivra, à raison d’environ trois minutes par sénateur. La première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson. La deuxième question sera posée par le porte-parole des conservateurs pour le projet de loi, le sénateur Patterson. Si d’autres sénateurs ont des questions, ils sont priés d’utiliser la fonction « Lever la main » de Zoom pour le signaler à la greffière. Ils seront reconnus dans le clavardage Zoom. Veuillez noter que les membres du comité APPA seront prioritaires sur la liste des intervenants.

Les témoins peuvent transmettre par écrit leurs réponses de suivi aux questions à la greffière du comité au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité informera le président par texto lorsqu’il restera 10 secondes de temps de parole, que ce soit pour les déclarations liminaires des témoins ou pour le temps de parole des sénateurs. Je ferai un compte à rebours visuel de 10 secondes, et à zéro, j’indiquerai que le temps est écoulé.

J’aimerais maintenant inviter notre premier témoin, le chef national Perry Bellegarde, à présenter sa déclaration.

Perry Bellegarde, chef national, Assemblée des Premières Nations : Merci, sénateur.

Distingués sénateurs, monsieur le président Christmas, honorables membres du comité, je suis heureux de vous parler aujourd’hui au nom de l’Assemblée des Premières Nations.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est le fruit de plus de deux décennies de délibérations approfondies aux Nations unies, avec les peuples autochtones et les États membres — chaque mot et chaque ligne en a été scruté. Le Canada a participé activement à ce processus normatif.

Près de 14 ans se sont écoulés depuis l’adoption de la déclaration par l’Assemblée générale des Nations unies. La déclaration énonce les normes minimales mondiales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde entier. Aujourd’hui, je suis très heureux que le Canada soit enfin sur le point d’adopter une loi de mise en œuvre nationale pour concrétiser cet engagement.

Le projet de loi C-15 s’inspire du projet de loi d’initiative parlementaire de l’ancien député Romeo Saganash, le projet de loi C-262. Ce projet de loi avait été étudié par ce comité, mais il avait été écarté à cause de manœuvres procédurales, malgré son adoption à la Chambre des communes et un appui solide au Sénat. J’exhorte tous les membres de ce comité et tous les membres du Sénat à faire en sorte que le projet de loi C-15 soit soumis à un vote final et obtienne la sanction royale avant la fin de la présente session parlementaire.

L’Assemblée des Premières Nations a proposé un certain nombre d’amendements pendant que le comité de la Chambre des communes étudiait le projet de loi C-15. Certains de ces amendements ont été adoptés par le comité de la Chambre, d’autres non. À l’heure actuelle, l’APN ne cherche pas à obtenir d’autres amendements au projet de loi de la part de ce comité. La raison en est simple : le temps joue contre nous.

Comment le projet de loi C-15 profitera-t-il aux Premières Nations et à leurs membres, les détenteurs des droits issus de traités, des droits inhérents et des titres? Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-15 exige du Canada qu’il procède à une réforme des lois et des politiques d’une importance cruciale et qu’il modifie les pratiques opérationnelles qui ont des répercussions sur les Premières Nations au quotidien. Cela doit inclure le remplacement des lois, des politiques et des pratiques opérationnelles de la Couronne qui privent de leurs droits les Premières Nations au lieu de les faire respecter.

Vous remarquerez que le projet de loi exige que les lois du Canada soient harmonisées avec les droits et les normes énoncés dans la déclaration. Cette exigence et l’engagement prévu par la loi à l’égard d’un plan d’action élaboré en collaboration avec les peuples autochtones contribueront à provoquer et à pérenniser le changement transformateur qui s’impose de toute urgence.

Je respecte que tous les sénateurs assument leurs responsabilités en examinant ce projet de loi très sérieusement. On ne peut toutefois pas perdre de vue le délai parlementaire qui achève. Nous ne devons pas rater une autre occasion d’adopter une mesure législative aussi cruciale. Les Premières Nations et le Parlement sont saisis de ce projet de loi depuis un certain temps. Des Premières Nations de partout au Canada ont examiné le projet de loi C-262 dans leurs assemblées et appuient fermement son adoption. Le Parlement a déjà été saisi du projet de loi au cours des trois dernières années, mais il meurt au Feuilleton sans faire l’objet d’un vote final au Sénat.

Après cet échec, les chefs en assemblée de l’Assemblée des Premières Nations ont adopté une résolution officielle afin de donner à l’Assemblée des Premières Nations la responsabilité de travailler à l’adoption dans les plus brefs délais d’une mesure législative du gouvernement pour mettre en œuvre la déclaration des Nations unies, une mesure conforme aux exigences de la déclaration. Elle doit être au moins aussi rigoureuse que le projet de loi C-262, qui est le plancher, pas le plafond. Je crois qu’il est temps d’aller de l’avant.

Le projet de loi C-15 prévoit la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies au moyen d’une réforme législative et de la création d’un plan de mise en œuvre. Le projet de loi C-15 ne porte aucunement atteinte aux droits des peuples autochtones et n’élimine aucun de ces droits. Il établit un processus proactif et coopératif pour faire progresser la mise en œuvre de droits fondamentaux de la personne. Par conséquent, à ce stade-ci, l’étape la plus importante consiste à adopter le projet de loi C-15 pour que le travail puisse enfin commencer.

Je sais que certains d’entre vous ont des réserves au sujet des dispositions de la déclaration des Nations unies sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, mais ce n’est pas un nouveau concept; ce n’est pas seulement dans la déclaration. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est un aspect fondamental de nos relations fondées sur les traités. C’est une chose que les Premières Nations utilisent chaque fois qu’elles concluent des ententes avec d’autres gouvernements, avec des institutions publiques et des sociétés privées. Mais malheureusement, certaines personnes ont tenté de recourir aux exigences relatives au consentement préalable comme prétexte pour retarder la mise en œuvre du projet de loi C-15 au Canada. On nous dit qu’il faut étudier encore davantage le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. On nous dit qu’il crée de l’incertitude pour l’industrie et des attentes irréalistes pour les Premières Nations quant aux droits et aux titres.

La participation des détenteurs de droits et de titres aux processus décisionnels avec le gouvernement et l’industrie se traduit par une certitude et une stabilité économiques. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est un aspect essentiel de notre droit à l’autodétermination, un droit qui est déjà reconnu dans le droit canadien.

Nos Premières Nations sont nombreuses et diversifiées, et nous ne nous entendons naturellement pas toujours sur tout, mais il y a une chose sur laquelle nous sommes toujours d’accord, à savoir que le respect de notre droit inhérent à l’autodétermination est la base nécessaire à tout dialogue avec d’autres gouvernements ou l’industrie.

J’encourage le Sénat à saisir cette occasion et à rappeler aux membres du comité que si le Sénat avait mis aux voix le projet de loi C-262 en 2019, le travail de réforme législative et le plan d’action national seraient déjà bien amorcés. Nous ne pouvons pas attendre plus longtemps. Le Sénat est donc libre de déterminer où nous en serons dans deux ans. Allons-nous encore faire du surplace, ou notre premier plan national de mise en œuvre sera-t-il à portée de main?

Je vous invite tous à saisir cette occasion historique et à jouer un rôle clé dans le respect et la promotion des droits fondamentaux des peuples autochtones. Kinanaskomitinawow. Merci à vous tous.

Le président : Merci, monsieur le chef national.

Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami : Je salue tous les sénateurs présents aujourd’hui ainsi que les autres chefs autochtones nationaux. Je suis heureux de vous revoir pour discuter de cette question très importante.

L’Inuit Tapiriit Kanatami représente 65 000 Inuits visés par des accords modernes sur les revendications territoriales et des traités modernes conclus avec les Inuits du Nunatsiavut et du Nunavik ainsi qu’avec les Inuvialuit.

L’ITK a récemment adopté une résolution qui appuie l’adoption du projet de loi C-15, mais qui dit également qu’il pourrait être amélioré encore davantage en ajoutant une commission des droits des Autochtones. Nous avons présenté cet amendement au comité permanent de la Chambre des communes, et je crois qu’il se trouve aussi dans votre documentation aujourd’hui. Il vise à améliorer le projet de loi, et aussi à répondre à la question fondamentale concernant la façon de faire respecter le projet de loi après son adoption. Dans le libellé proposé que nous avons dans le plan d’action pour les recours et les réparations, il y a déjà des considérations connexes sans l’amendement sur une entité comme la commission des droits des autochtones.

Essentiellement, ce projet de loi comble des lacunes législatives et stratégiques qui contribuent aux violations des droits des Inuits, il prévient la discrimination et il fournit des recours et des réparations pour les violations des droits de la personne subies non seulement par les Inuits, mais aussi par les Premières Nations et les Métis au Canada. Nous avons fait un travail positif et constructif avec le gouvernement fédéral pour élaborer le projet de loi C-15 dans un délai relativement court. Je veux remercier le ministère de la Justice et le ministre de la Justice d’avoir rendu possible l’élaboration conjointe de cette mesure législative et d’avoir été disposés au gouvernement à faire preuve de souplesse et à examiner des amendements tout au long du processus.

Nous nous sommes longtemps demandé quelle était la position des Autochtones au pays dans le dossier de la réconciliation. Les gens du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires ne mâchent parfois pas leurs mots. C’est un exemple concret de la façon dont nous pouvons passer des discours sur la réconciliation au travail inachevé pour faire respecter les droits des Autochtones et pour nous conformer au droit international. Ce n’est pas un processus facile, mais il est nécessaire pour nous permettre d’assurer le respect des droits de tous les Canadiens au pays.

Je vais revenir à ma déclaration initiale, à savoir que ce projet de loi et l’appui par le Canada de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans un contexte international comblent une lacune qui existe au pays pour la protection des droits des Premières Nations, des Inuits et des Métis, de tous les Autochtones au pays. Nous estimons que cette mesure législative fédérale apporte une contribution positive en vue d’appliquer également les droits de la personne à tous les citoyens canadiens. Nakurmiik.

Le président : Merci, monsieur Obed.

David Chartrand, vice-président et porte-parole national du RNM, Ralliement national des Métis : Je vais d’abord, bien entendu, remercier votre comité, et je tiens certainement à remercier mes collègues, les dirigeants des Premières Nations et des Inuits, y compris M. Perry Bellegarde, évidemment, à qui on rendra hommage pendant encore de nombreuses années. Il ne fait plus de politique, mais il a sans aucun doute changé le pays, et je crois que nous devons tous le remercier. Il y a aussi mon ami, M. Obed, qui continue de se battre pour les Inuits.

J’ai envoyé un mémoire que je voulais lire, mais j’ai changé d’idée, car j’allais en grande partie répéter ce que M. Bellegarde et M. Obed ont dit. Permettez-moi toutefois de demander à quelle situation nous faisons vraiment face aujourd’hui. De quoi devons-nous parler? Je ne sais pas combien de personnes ici connaissent la nation métisse. Je ne sais pas. Je ne vais pas essayer de deviner. Je sais que Mme LaBoucane-Benson nous connaît.

La nation métisse est établie dans l’Ouest canadien. Vous voyez devant moi des perles qui illustrent l’histoire de mon peuple. Si vous voulez connaître la nation métisse et son histoire, sachez qu’on nous a déjà appelé le peuple au perlage floral. Nous sommes environ 400 000 dans l’Ouest canadien, ce qui signifie que cette déclaration touche 400 000 citoyens métis dans les Prairies. Ces perles racontent notre histoire. Ce sont des œuvres d’art qu’on trouve seulement dans les Prairies. Dans les Prairies, je peux vous dire qui portait un perlage ojibwé, un perlage sioux. Je reconnais les Cris-des-Plaines et les Cris du Nord à leurs perles. C’est ainsi que nous nous reconnaissions en tant que peuple.

Les temps changent lentement au pays. C’est dans votre institution qu’on procède à un second examen. C’est ici qu’on procède à un dernier examen avant la prise de décisions par le Parlement, peu importe le parti politique au pouvoir. J’ai regardé un film l’autre jour, et je voulais en parler à tout le monde pour illustrer ce que nous pensons maintenant dans notre territoire de cette déclaration, que nous appuyons sans réserve. Notre peuple a ratifié nos consultations. Il appuie sans réserve la déclaration des Nations unies. J’ai regardé un film sur Ruth Ginsburg, sur l’époque où elle a commencé sa carrière juridique, alors que les femmes n’étaient pas acceptées à Harvard. Elle s’est attaquée au problème et s’en est extrêmement bien sortie. Elle est passée de Harvard à Columbia. Elle a fait quelque chose de formidable qui a eu des répercussions non seulement en Amérique du Nord, mais aussi partout ailleurs dans le monde. Elle a examiné la législation discriminatoire envers les femmes et a décidé de s’y attaquer. Elle s’est battue contre des lois une à la fois. Elle a commencé à changer la manière dont les choses se faisaient habituellement, la façon de faire du passé et la manière dont on tentait de la maintenir.

Les temps changent. Le droit change avec nous. Nous ouvrons de nouveaux horizons où les Autochtones ont leur place dans la société, où les Métis, les Premières Nations et les Inuits ont leur place dans la Confédération. Cela comprend l’économie, les ressources naturelles et l’environnement, tous ces aspects. Quand on regarde ce qu’une seule dame, qui est ensuite devenue juge à la Cour suprême, a accompli, on constate que c’est un changement de mentalité. Il était temps pour nous de changer. Cette déclaration des Nations unies dit au Canada qu’il est temps de faire la bonne chose. Il est temps pour vous d’apporter ce changement, car si nous ne sommes pas les chefs de file que nous disons être dans le monde, non seulement en Amérique du Nord, mais aussi ailleurs dans le monde, nous allons être relégués au deuxième ou au troisième rang parce que quelqu’un aura adopter une loi avant nous sur une question aussi importante que la reconnaissance des fondateurs, des habitants autochtones. Les Premières Nations sont au pays depuis au moins 10 000 ans. Nous sommes ici depuis peut-être 400 ans. Les Inuits sont ici depuis des milliers d’années. Ce sont nos terres. Nous avons été exclus, nous avons été mis de côté et nous nous sommes battus devant les tribunaux pour trouver notre place dans une situation paritaire. Nous y parvenons lentement, mais cette déclaration change le fondement même de notre manière de progresser. Comment pouvons-nous travailler avec l’industrie? Comment pouvons-nous travailler avec le gouvernement? Comment pouvons-nous véritablement avoir des relations de gouvernement à gouvernement, de nation à nation, et comment pouvons-nous adopter cette façon de procéder?

C’est ici que se fait un second examen, qu’on est censé jeter des bases solides pour l’orientation que nous devrions prendre en tant que pays, pour assurer la diversité dans notre façon de penser. Je vous demande au nom de la nation métisse de nous aider à atteindre cet objectif. Battez-vous pour la cause. Comme le chef Bellegarde l’a dit, c’est notre troisième chance. Nous ne pouvons pas rater l’occasion. Nous devons obtenir la sanction royale. Nous devons montrer au monde ce qu’est le Canada, c’est-à-dire un endroit auquel tout le monde doit rêver. Toutes les minorités du monde entier devraient vouloir venir à un endroit où règnent l’équité, l’impartialité et l’intérêt des gens dans une situation paritaire.

Une femme a changé cela aux États-Unis, et je suis certain que si tous nos politiciens aujourd’hui, tous nos représentants parlementaires élus, les gens nommés au Sénat et tous les autres disaient qu’il est temps que les Autochtones soient traités avec dignité, respect et impartialité, le projet de loi devrait être très facilement adopté.

On s’est servi de l’industrie comme menace. Ce n’en est pas une. Je travaille avec Enbridge et son président. Nous discutons tous les deux mois. Notre relation est solide, nous nous respectons et nous collaborons en tant que partenaires, et c’est ce que nous faisons avec les gens de presque toutes les industries que nous rencontrons. Donc, lorsqu’on sème la peur en disant que l’adoption de cette mesure détruira des économies et l’industrie, et qu’elle fera perdre des emplois, c’est totalement erroné. C’est tout à fait faux. En fait, c’est le contraire. Vous savez tous qu’on ne construit pas une mine du jour au lendemain ou en une année. Il faut probablement une décennie ou plus d’investissements et de planification, et on a donc beaucoup de temps pour unir nos efforts. Ce sera sur un pied d’égalité avec l’article 35 de la Constitution. Cette mesure aidera à parvenir à une obligation de consulter au pays. Nous y parviendrons plus rapidement, et tout le monde, les intervenants et les investisseurs, saura que cette relation est digne de confiance.

Il reste neuf ou dix secondes, monsieur le président. Merci de me donner l’occasion de prendre la parole. Demandons du changement. Vous pouvez l’instiguer. Tout ce qu’il nous faut, c’est votre soutien. Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Chartrand.

Je vais passer aux questions. La première intervenante sera la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson, qui sera suivie du porte-parole de l’opposition, le sénateur Dennis Patterson.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je veux remercier tous nos distingués dirigeants d’être ici aujourd’hui et de m’avoir rencontrée plus tôt pour discuter du projet de loi.

Je me demande si je peux poser une question à Mme Turpel-Lafond. Je regarde un document sur les traités nos 6, 7 et 8 de l’association des chefs de Premières Nations signataires d’un traité en Alberta. Il est daté du 16 mars. Il comporte deux résolutions sur lesquelles, je l’espère, vous pourrez nous donner des précisions. La 10e résolution dit que le projet de loi accorderait au Canada une intégrité territoriale par rapport à nos territoires malgré nos traités, et la 13e résolution dit que le projet de loi prouverait que les territoires et les ressources appartiennent au Canada. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet?

Mme Mary Ellen Turpel-Lafond, Assemblée des Premières Nations : Merci, madame la sénatrice. Je vous remercie de poser la question. Je connais ces résolutions et certaines autres résolutions adoptées par différentes organisations des Premières Nations.

Le projet de loi C-15 est notamment important parce que nous traversons une période cruciale où un travail se fait avec les Premières Nations, et ce travail doit être appuyé par la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je ne vois pas ce projet de loi comme une mesure législative qui prive les Autochtones de leurs droits; je le vois comme une mesure législative qui confirme les droits, mais les Premières Nations tiennent des débats, notamment à propos du rôle qui revient aux personnes qui les représentent, du rôle continu de la Loi sur les Indiens et de l’importance du renforcement de la position des Premières Nations signataires d’un traité. Je pense que le projet de loi C-15 nous aidera à mettre de l’ordre là-dedans.

Je ne vais certainement pas tirer une conclusion aussi audacieuse que ces conclusions. Je pense qu’il en a été question récemment dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Desautel. La Cour a dit que nous devons notamment concilier la souveraineté et les droits préexistants des Autochtones et des Premières Nations, ainsi que la nature sacrée de ces traités avec les lois coloniales que nous avons actuellement. La déclaration apporte une aide dans ce projet.

À propos des préoccupations soulevées dans différents domaines, les dirigeants de Premières Nations signataires d’un traité ont le droit d’exprimer leur opinion, et c’est ce qu’ils feront. Je crois que les conclusions d’ordre juridique dans ces résolutions n’ont aucune base législative, et je pense que le projet de loi C-15 fournira une tribune pour mettre correctement de l’ordre dans certaines de ces questions en ce qui a trait à la relation entre la Couronne et les Premières Nations.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup.

Le sénateur Patterson : Chers collègues et dirigeants nationaux, bonjour.

Monsieur Obed, dans le mémoire que vous avez présenté au comité de la Chambre des communes, vous expliquez pourquoi les droits autochtones doivent être exécutoires. Vous venez également tout juste de dire que cette mesure législative comble selon vous des lacunes législatives et stratégiques en ce qui a trait aux droits de la personne. Cependant, les ministres et les fonctionnaires ont dit à maintes reprises que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est contextuel et que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones continuera de servir d’outil d’interprétation, comme c’est déjà le cas. Le ministre a dit ce matin que cela ne remplace pas le pouvoir décisionnel du gouvernement. Il a dit que la jurisprudence a le dernier mot.

Estimez-vous que ce projet de loi va au-delà de l’établissement d’un plan d’action pour apporter d’éventuels changements législatifs et stratégiques, et êtes-vous à l’aise avec l’absence d’échéance pour apporter ces changements et les mettre en œuvre lorsque le plan d’action sera terminé? Merci.

M. Obed : Je vous remercie, monsieur le sénateur. Je ferai de mon mieux pour répondre à la première question, mais j’aurai peut-être besoin d’un peu d’aide pour comprendre la deuxième.

Le projet de loi rappelle la nécessité et l’intention d’harmoniser les lois canadiennes à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La création d’un plan d’action précis ne suffira pas au fil du temps. Il faudra aussi qu’un certain nombre d’institutions changent en vue d’assurer cette harmonisation, qui est souhaitable.

En définitive, la déclaration des Nations unies vient énoncer des droits actuels. Il ne s’agit pas de nouveaux droits, et l’application de ces dispositions doit être envisagée dans ce contexte.

Prenons le concept du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, et appliquons-le aux traités modernes ou aux ententes sur les revendications territoriales que les Inuits ont signés avec la Couronne. Nous voyons maintenant des structures de cogestion ou d’autres arrangements fondés sur ces ententes qui respectent le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Il y a donc des voies à suivre sur cet enjeu. Il y a déjà des peuples autochtones qui ont travaillé avec le gouvernement pour conclure ces ententes constructives dans le respect du consentement.

Pour ce qui est de votre deuxième question à propos du délai, pourriez-vous clarifier votre pensée?

Le sénateur Patterson : Il n’y a pas de date limite à la mise en œuvre du plan d’action. Avez-vous des inquiétudes à ce sujet?

M. Obed : Je pense que chaque mouture du plan d’action sera un processus évolutif. De plus, des comptes doivent être rendus au Parlement chaque année. Pour ce qui est du contenu de la loi et de la bonne volonté dont le gouvernement canadien devrait faire preuve, je suis convaincu que nous pourrons travailler de façon constructive grâce à ces mécanismes.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie. J’ignore s’il me reste du temps, monsieur le président.

Le président : Il vous en reste à peine.

Le sénateur Patterson : Pour ce qui est de la déclaration du ministre Lametti ayant trait à la jurisprudence fédérale et provinciale au Canada, elle a encore le dernier mot dans différents contextes...

Le président : Veuillez m’excuser, sénateur Patterson. Je me suis mal exprimé, car votre temps de parole est écoulé.

La sénatrice Forest-Niesing : Je vais adresser ma première question au chef national Bellegarde, mais si le temps le permet, j’invite les autres témoins à répondre. Je vous remercie tous de votre présence et de votre précieuse contribution à notre étude du projet de loi.

Chef national Bellegarde, vous avez dit dans votre exposé que la version précédente du projet de loi, à savoir le projet de loi C-262, était essentiellement un minimum, et non une limite. J’aimerais savoir précisément si vous êtes satisfait du projet de loi dans sa forme actuelle et avec ses amendements, et si vous en auriez d’autres à proposer. Comme vous l’avez dit, les modifications que vous réclamiez n’ont pas toutes été intégrées à la version définitive. Y a-t-il des points non réglés qui vous font hésiter à l’égard de la forme actuelle du projet de loi?

M. Bellegarde : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice.

Encore une fois, comme je l’ai dit plus tôt dans mon exposé, je ne réclame pas d’autre amendement. Le délai est trop serré. Le temps achève, et je ne veux pas qu’il y ait d’autres modifications. J’encourage le Sénat à faire de même.

Nous avons présenté 12 recommandations, dont 8 ont été acceptées par le comité sénatorial, ce qui nous convient. Le terme « racisme » a été ajouté au document, ainsi que des références aux doctrines de la découverte et de la terra nullius, qui sont illégales et très racistes de façon générale. Nous voulions renforcer quelques éléments : nous souhaitions ajouter la marque du pluriel à la version anglaise de l’article 4 en remplaçant « purpose » par « purposes »; nous avons demandé le mot « encadrer » au lieu de « mise en œuvre »; et nous voulions que le délai passe de trois à deux années. Nous avons donc réalisé quelques progrès quant aux éléments que nous voulions rectifier.

Je vous rappelle que le mois de juin approche à grands pas. Il reste peu de jours de séance. Il ne manque que la sanction royale. D’autres amendements pourront être apportés ultérieurement, après l’adoption du projet de loi. Je crains que si les dispositions législatives ne sont pas adoptées cette fois-ci, elles ne reviendront pas avant quatre ou cinq ans. Compte tenu des élections fédérales à venir, nous ne savons jamais à quel moment l’occasion se présentera à nouveau. C’est pourquoi nous refusons les amendements et exhortons le Sénat à adopter le projet de loi au plus vite.

La sénatrice Forest-Niesing : Je vous remercie. J’aimerais entendre la réponse des autres représentants nationaux.

M. Chartrand : Encore une fois, je suis d’accord avec les propos du chef Bellegarde. Nous ne voulons ni amendement, ni pause, ni hésitation. Nous souhaitons que le projet soit adopté. C’est la troisième tentative. Nous ignorons ce que l’avenir nous réserve. C’est pourquoi j’ai dit dans mon exposé que le changement peut être amorcé par une seule personne et avoir une incidence sur le reste de l’Amérique du Nord et du monde.

La sénatrice Coyle : Je remercie tous nos invités d’être avec nous et d’avoir travaillé d’arrache-pied pour nous aider à façonner le projet de loi C-15. Je suis heureuse de vous revoir devant le Comité sénatorial des peuples autochtones. Comme vous le savez, notre comité a adopté le projet de loi C-262 il y a deux ans.

Ma question s’adresse à M. Obed. Je crois savoir que vous appuyez le projet de loi C-15. Pourriez-vous s’il vous plaît nous expliquer comment une commission des droits des Autochtones comme celle qui est proposée pourrait contribuer à la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au Canada? Pourriez-vous également nous dire si vous obtenez le soutien d’autres dirigeants autochtones à cet égard et quelle a été la réaction du gouvernement? Je vous remercie.

M. Obed : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice.

Depuis 2017, Inuit Tapiriit Kanatami a clairement énoncé son appui à l’adoption d’une législation nationale relative à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous proposons également, et continuons à réclamer la création d’une commission des droits des Autochtones conforme aux Principes de Paris de l’ONU. Il s’agit du moyen le plus efficace de fournir un mécanisme de recours et de réparation aux Autochtones dont les droits ont été violés.

Nous avons dit que cette partie intégrante de la législation fédérale est plus que symbolique. Lorsque les droits de la personne ont été bafoués d’une manière ou d’une autre au pays, les Autochtones n’ont pas eu accès à des processus qui ont compris leurs droits ou pris en compte les considérations nécessaires à un traitement et à une prise de décision équitables entourant ces violations. Nous n’avons pas à chercher bien loin. L’époque des pensionnats indiens nous donne une bonne idée du rôle des commissions des droits de la personne au pays. Or, les droits des peuples autochtones ne sont pas nécessairement respectés dans ce contexte législatif et politique fédéral, provincial et territorial.

Nous avons discuté avec les dirigeants des Premières Nations et des Métis. Comme vous l’a dit le chef Bellegarde, il y a eu une certaine réflexion à ce sujet, mais les intervenants comprennent aussi que ce volet pourrait être sérieusement envisagé ultérieurement.

ITK soutient le projet de loi C-15, mais nous essayons d’aider le gouvernement fédéral à faire son travail et à concrétiser ses intentions au moyen de mesures de mise en œuvre précises, cohérentes et pratiques. Nous avons essayé de concevoir cet amendement pour qu’il cadre avec le fonctionnement des commissions des droits de la personne au Canada.

Le sénateur Francis : Par souci de clarté, monsieur Obed, je ne suis pas certain d’avoir entendu votre réponse plus tôt. Pourriez-vous confirmer qu’ITK appuie l’adoption du projet de loi sans amendement?

De plus, j’aimerais que les trois chefs parlent brièvement du degré d’appui à l’égard du projet de loi qu’ils observent chez les Premières Nations, les Inuits et les Métis qu’ils représentent. L’objectif n’a pas été atteint depuis près de 20 ans. Je peux comprendre que l’unanimité n’est pas toujours possible. Cependant, il existe un large consensus sur le fait que l’adoption du projet de loi aurait une incidence graduelle, mais positive sur la survie, la dignité et le bien-être des détenteurs de droits au Canada, ce qui est assurément essentiel à la réconciliation à l’échelle nationale.

M. Obed : Je vous remercie de la question.

Inuit Tapiriit Kanatami appuie l’adoption du projet de loi C-15 sans amendement. Nous espérons toutefois que tout le monde jugera préférable que la législation ait de bonnes chances de réussir. Nous pensons que c’est possible avec les amendements que nous proposons.

M. Bellegarde : Monsieur le sénateur, nous avons 634 Premières Nations. Nous avons plus de 60 nations ou tribus de langues différentes. L’unanimité n’est pas toujours possible, comme vous l’avez dit, mais la vaste majorité des Autochtones appuient le projet de loi. Il y a par exemple 203 Premières Nations en Colombie-Britannique, et il y a désormais une législation provinciale qui met en œuvre la déclaration des Nations unies dans cette région. Il y a un appui dans tout le Canada.

Comme je l’ai dit plus tôt, le chef a demandé de créer un projet de loi émanant du gouvernement qui serait aussi robuste que le projet de loi C-262 et qui s’en inspirerait. C’est le seul mandat qui nous a été confié. Voilà qui est à l’origine du projet de loi C-15. Dans ses recommandations, la Commission de vérité et réconciliation préconisait aussi la mise en œuvre de la déclaration, tout comme l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Le projet de loi bénéficie d’un soutien, mais je reconnais aussi que certaines personnes ne sont pas d’accord.

M. Chartrand : Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur Francis.

Je dirais sans hésitation que nous avons un des modèles de gouvernance métisse les plus démocratiques, et ce, depuis des centaines d’années. C’est le modèle que nous employons aujourd’hui. À la lumière de nos consultations et des commentaires de nos citoyens, il ne fait aucun doute que nous obtenons l’appui d’une nette majorité de dirigeants au pays. Nous savons bien que le document n’est pas parfait, mais nous comprenons pertinemment ce que le projet de loi permettra de changer non seulement pour nous, mais aussi pour le pays dans son ensemble. Nous allons accepter le projet de loi dans sa forme actuelle, et nous avons certainement l’appui d’une vaste majorité de personnes. Comme l’ont dit M. Bellegarde et M. Obed, il y aura toujours des dissidents, mais c’est la raison d’être des démocraties et des gouvernements. Pour notre part, nous appuyons le projet de loi C-15 sans l’ombre d’un doute.

La sénatrice Stewart Olsen : Je voudrais vous remercier, car vous avez présenté vos idées sur le projet de loi de façon plus claire que les ministres et les fonctionnaires qui ont témoigné aujourd’hui.

J’aimerais revenir sur une chose qui a été dite lorsque les fonctionnaires ont tenu une séance d’information pour l’opposition officielle sur le projet de loi. On leur a posé des questions précises sur le plan d’action prévu au projet de loi. Le fonctionnaire a répondu : « En dernière analyse, le gouvernement fédéral n’a pas l’intention de demander le consentement avant de finaliser le plan d’action. » Aujourd’hui, nous avons encore posé cette question aux fonctionnaires. Ils nous ont un peu moins renseignés et n’ont pas répondu par oui ou non. Lorsque le sénateur Patterson a posé une question et cité le même fonctionnaire, le ministre Lametti lui a demandé ce qu’il entendait par « consentement ». Nous n’avons donc pas la même compréhension et la même assurance que vous tous sur le fait que les choses vont réellement se passer ainsi. Vous a-t-on expliqué le point de vue du gouvernement fédéral? Êtes-vous d’accord avec cette interprétation et cette approche? La question s’adresse à vous trois, mais le chef Bellegarde peut commencer.

M. Bellegarde : Je vous remercie, madame la sénatrice.

Encore une fois, quelques projets de loi ont déjà été le fruit d’un codéveloppement : le projet de loi C-91 concernant les langues — la revitalisation — et le projet de loi C-92 sur la protection des enfants. Le plan d’action national doit être élaboré conjointement. L’essentiel, c’est que ce soit inscrit dans la loi. C’est alors légiféré, de sorte que les décideurs doivent travailler conjointement avec les détenteurs de droits et de titres. C’est tout ce que je peux dire. Nous devons les obliger. Pour l’instant, il ne sert à rien de s’en prendre au gouvernement. Une fois que le projet de loi sera adopté, nous aurons une autre flèche dans notre carquois pour tirer au besoin.

Je serai bref, car je veux que mes autres collègues puissent intervenir aussi.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie infiniment. Monsieur Chartrand?

M. Chartrand : Je remercie la sénatrice.

Voici notre point de vue. Peu importe si les fonctionnaires disent ou non que rien ne garantit l’obtention du consentement avant de prendre des initiatives au pays, car les gens oublient une chose. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause et la déclaration des Nations unies établissent en réalité le cadre permettant de véritablement discuter des projets de loi qui touchent l’une ou l’autre partie. Voilà qui permet d’écarter toutes les inconnues.

Ce qui pose vraiment problème aux Autochtones aujourd’hui, surtout lorsque les gens arrivent sur notre territoire et nos terres, c’est que les projets nous sont imposés du jour au lendemain. Quelqu’un décide de créer un barrage, d’ouvrir une mine ou de s’approprier la forêt, et décide que tous ces hectares lui appartiennent désormais. Il n’y a jamais de discussion d’au moins une dizaine d’années avant qu’un projet nous soit imposé, mais tout ce temps devrait être nécessaire pour concevoir des plans colossaux d’une telle portée. Il est question de futurs sites nucléaires dans les Prairies. Grâce à ce concept, je pense que la consultation ne sera pas facultative. Le consentement est une chose...

La sénatrice Stewart Olsen : Pouvons-nous simplement écouter le dernier… Monsieur Obed, je vous prie.

M. Chartrand : Bien sûr.

M. Obed : Je vous remercie de la question.

Le président : Veuillez m’excuser, madame la sénatrice Stewart Olsen, mais votre temps est écoulé.

La sénatrice Stewart Olsen : Je remercie tous les témoins de leurs interventions.

Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse à la représentante de l’Assemblée des Premières Nations.

Des préoccupations considérables à l’égard du processus de consultation ont été soulevées par des témoins à l’autre Chambre, comme le Congrès des peuples autochtones, la Confédération des Six Nations, le Conseil tribal de File Hills Qu’Appelle et d’autres.

Comme on nous l’a expliqué aujourd’hui, le processus de développement du plan d’action risque d’être beaucoup plus complexe et prenant puisqu’il n’y a actuellement aucune entente sur des termes fondamentaux, comme la définition du consentement, et qu’il faut envisager de nombreuses définitions, étant donné que le gouvernement prétend que celui-ci est contextuel. Il y a plus de 630 conseils de bande, plus de 60 nations traditionnelles, tous les Métis, 4 organisations de revendications territoriales des Inuits, ainsi que de nombreux organismes de femmes, de citoyens et de jeunes. Compte tenu de tous ces gens, n’êtes-vous pas en train de susciter des attentes impossibles en demandant un délai de deux ans pour réaliser le plan d’action?

M. Bellegarde : Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le sénateur, je vous répondrai par la négative. Lorsque le projet de loi C-15 sera adopté, ses dispositions seront prévues par voie législative.

Les deux éléments positifs dont je parle aux gens sont l’examen des lois et des politiques prévus au projet de loi C-15. C’est un mécanisme très puissant. La politique sur les revendications globales doit être mise à jour, de même que la politique sur les revendications particulières, les ajouts aux réserves, le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et la Loi sur les Indiens qui existe depuis 1876. Tous ces instruments devront être revus et harmonisés à la Déclaration des Nations unies.

Pour notre part, comme je l’ai déjà dit, il s’agit d’une autre flèche dans notre carquois que nous pouvons employer afin de régler ces enjeux comme il se doit. Il n’y aura plus de déni des droits, des titres et des compétences; ils seront plutôt réellement appliqués, mis en œuvre et respectés.

En ce qui concerne le devoir de consulter et d’accommoder, j’aimerais demander à notre conseillère juridique, Mary Ellen Turpel-Lafond, de préciser brièvement la question. Mais voilà mon avis. Je pense que nous pouvons y arriver.

Mme Turpel-Lafond : Oui, merci.

En ce qui concerne les moyens que le gouvernement prendra pour mobiliser les peuples autochtones dans un plan d’action, il y a indiscutablement complexité et diversité, mais le gouvernement est en train de bouger. L’importance du projet de loi C-15 est visible à ce signe.

Je suis en mesure d’affirmer, pour avoir travaillé sur cette question en Colombie-Britannique, où on a élaboré un plan d’action, que le délai de deux ans est raisonnable, mais il exige du gouvernement de changer de façon de faire dans ses rapports de travail avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits.

Comme l’a dit le chef national Bellegarde sur le caractère unilatéral des politiques imposées, que, souvent, la Cour suprême annule pour vice de forme, ça nous donne une chance de nous reprendre, d’agir ensemble, d’élaborer en commun des politiques et de collaborer dans le respect mutuel. Ce n’est pas transactionnel, mais relationnel.

La sénatrice Pate : Je remercie tous nos chefs d’être ici.

Des critiques se sont inquiétés de l’assujettissement de la déclaration de l’ONU à la Constitution, tout en reconnaissant les droits ancestraux issus de traités, ce qui risquerait de les limiter considérablement. Je m’adresse particulièrement au chef Bellegarde. Vous avez parlé en bien de l’article 35, qui comporterait le droit inhérent à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale. Comment le libellé du projet de loi C-15 et le plan national d’action à venir peuvent-ils clarifier la déclaration de l’ONU et l’article 35 en tant que processus juridiques séparés? Par exemple, comment le plan national d’action pourra-t-il répondre aux questions découlant de l’arrêt Sparrow, par exemple, sur la mise en œuvre des articles de la déclaration de l’ONU pour assurer une autodétermination sans entraves? Si d’autres veulent intervenir, qu’ils le fassent, parce que je serai heureuse de connaître leur avis.

M. Bellegarde : La réponse courte se trouve dans l’arrêt Desautel. L’article 35, nous l’avons toujours dit, est une boîte remplie de droits, parmi lesquels le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et à l’autodétermination. Nous ne voulons pas compter sur les tribunaux pendant encore 25 à 30 ans pour remplir cette boîte jusqu’au bord — parce que, de toute manière, nous gagnons toutes nos causes devant la Cour suprême.

Comme je suis un avocat de brousse, je demande à Mme Turpel-Lafond, la constitutionnaliste et la spécialiste de la question, de nous éclairer en répondant brièvement à vos excellentes questions.

Mme Turpel-Lafond : Oui, merci.

Assujettir la déclaration de l’ONU à une mauvaise décision prise il y a une trentaine d’années, voilà un exemple de fonctionnement aberrant de la loi.

L’article 35 est protégé par la Constitution, comme votre comité et les sénateurs, également, le savent. La jurisprudence la concernant, y compris, comme l’a dit le chef national, l’important arrêt Desautel, affirme, encore, que l’un de ses objets est de reconnaître la présence, ici, des peuples autochtones, et des Premières Nations, en particulier, depuis des temps immémoriaux, que leurs droits ont été protégés, que les Premières Nations actuelles ont hérité de ces droits et en sont les titulaires et que nous devons concilier toutes ces idées.

La déclaration de l’ONU permet de créer un espace effectivement reconnu pour discuter de l’identité des gouvernements autochtones. Ce n’est pas l’imposition de la Loi sur les Indiens par le gouvernement fédéral, mais le choix, par les peuples autochtones et les Premières Nations, de nos gouvernements et de nos dirigeants et le fait de nouer des rapports fructueux avec le gouvernement du Canada.

L’idée selon laquelle, d’une façon ou d’une autre, ce projet de loi assujettit un texte international à une décision quelconque est erronée. L’article 35 existe. Il évolue, il est souple. Nous l’avons constaté dans le récent arrêt Desautel.

La sénatrice Pate : Y a-t-il d’autres commentaires? Oh! Il ne reste plus de temps. Très bien.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup pour vos exposés. Ils sont intéressants et j’en retire un grand plaisir. Je vous remercie, également, monsieur Chartrand, d’avoir mentionné la personne que j’admire le plus, Ruth Bader Ginsburg. C’était un excellent exemple.

Voici ma question : comment, d’après vous, le projet de loi C-15 peut-il toucher concrètement les Canadiens? S’il est adopté, qu’arrive-t-il ensuite? Quelles conséquences prévoyez-vous pour l’avenir? Ceux qui le veulent peuvent, s’il vous plaît, répondre.

M. Obed : Merci pour la question.

Ce projet de loi est très général. Il comprend un certain nombre d’éléments essentiels à la réconciliation et à la reconnaissance, particulièrement dans le préambule, du contexte dans lequel nous ferons ce travail ainsi que de certaines des réalités des relations entre l’État canadien et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

C’est une tentative d’arrimer dans un contexte national la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et son intention, qui se situent dans le contexte de l’ONU. Il harmonise le droit canadien avec la déclaration et il autorise l’élaboration d’un plan d’action centré sur les plus de 40 articles de la déclaration et sur la façon d’amener le pays à reconnaître et à mettre en œuvre les droits existants de ses peuples autochtones.

Il faudra du temps, mais le travail de base est commencé, et, avec de la bonne volonté, des changements pourraient s’ensuivre, bien que leur nature ne soit pas nécessairement précisée dans les détails de chaque article. C’est la portée générale du travail qui l’exprime.

La sénatrice Hartling : Merci.

M. Bellegarde : Je serai également très bref. La Commission de vérité et de réconciliation l’a qualifié de « cadre pour la réconciliation ». Il contribuera également à faire disparaître le racisme et la discrimination systémiques, que ce soit dans les réseaux de santé, le système de justice et de maintien de l’ordre ou même le système d’éducation. Après la sanction royale, ce sera un outil puissant pour construire un Canada meilleur pour nous tous.

La sénatrice Hartling : Merci.

M. Chartrand : Merci pour la question. Je pense que nous avons la même passion pour les héros. Voilà un exemple qui montre quel changement est survenu. C’est la même pensée sous-jacente à tous les concepts intégrés dans cette déclaration, qui porte sur l’éducation, la culture et toutes les variables qui les accompagnent. Si j’ai évoqué Mme Ginsburg, ce matin, c’est pour montrer que le changement consécutif des mentalités. Ça change la mentalité du pays et de ses dirigeants. Encore une fois, en fin de compte, il est très évident que si nous changeons les mentalités, nous pouvons changer l’avenir et améliorer notre position à nous tous.

Le président : Merci.

La sénatrice Anderson : Monsieur Obed, les Inuits ont-ils discuté de ce projet de loi relativement aux accords de revendication territoriale ou aux traités modernes? Est-ce que ce projet de loi est perçu comme complémentaire, comme un soutien ou comme une difficulté, quelle qu’elle soit, pour les accords en vigueur et les traités modernes? Comment voyez-vous ce projet de loi s’articuler avec les accords de revendication territoriale et les traités modernes en vigueur, avec les traités modernes qui n’ont pas été signés ou ceux qui sont en cours de négociation?

M. Obed : Le conseil d’administration de l’Inuit Tapiriit Kanatami en a discuté au cours d’une séance, le mois dernier, et, à la fin de la discussion, il a adopté une résolution pour en appuyer l’adoption.

Les traités modernes ou les accords de revendication territoriale ne couvrent qu’un domaine particulier. La déclaration de l’ONU a une portée universelle relativement à la nature très précise des accords de revendication territoriale. Les dirigeants inuits y ont donc vu une occasion, particulièrement dans les domaines tels que la santé, l’éducation ou la culture et la langue, de permettre, par les articles de la déclaration de l’ONU, puis l’adoption de cette déclaration, au Canada, grâce à ce texte de loi, une meilleure mise en œuvre de nos droits existants dans ces domaines par rapport à ce qu’ont permis les traités modernes. Jamais aucun négociateur de revendication territoriale n’a soulevé la possibilité que cette loi fédérale contribue à minorer les accords de revendication territoriale ou la capacité de mettre en œuvre ces mesures protégées par la Constitution.

Le sénateur Tannas : J’ai deux petites questions : la première pour Mme Turpel-Laffont; la seconde pour le chef Bellegarde.

Le ministre Lametti a été très clair sur deux caractéristiques du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause : d’abord, ce n’est pas un veto. Il l’a expressément dit. Madame Turpel-Laffont, est-ce également votre avis? J’aimerais vous entendre le dire publiquement.

Ensuite, M. Bellegarde, M. Lametti a affirmé que l’un des projets à réaliser pendant la mise en œuvre de deux ans était d’élucider le consentement proprement dit et l’identité de la partie consentante pour que ne reviennent plus les problèmes éprouvés avec les Wet’suwet’en, pour, par la suite, être sûr que tout ira bien. Est-ce ainsi que vous le comprenez, également?

Mme Turpel-Lafond : Merci beaucoup pour la question.

L’article 19, sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, affirme en réalité seulement ce qui a été reconnu en droit, au Canada, dans l’arrêt Nation haïda, qui affirme que le consentement d’une Première Nation est nécessaire, particulièrement quand des travaux de mise en valeur se déroulent en plein cœur de son territoire. C’est donc le contexte qui décide. Mais les obligations énoncées dans le projet de loi C-15 visent le gouvernement. C’est une fausse idée que de voir dans ce consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause un veto. Visiblement, le gouvernement a le pouvoir d’agir, mais s’il limite les droits des peuples autochtones, c’est certainement une conséquence que nous refusons d’accepter. Il faut que ce soit réglé convenablement pour les entreprises et le gouvernement. Si des infractions sont commises, le gouvernement est le gouvernement. Ses pouvoirs, qui sont étendus, ne sont pas supprimés par le projet de loi C-15. Mais le principe est très important.

Sur votre deuxième question, c’est les gouvernements autochtones qui accordent leur consentement, mais ils doivent représenter les titulaires des droits et des titres. Il est très important de le noter, parce que, en réponse à votre allusion aux Wet’suwet’en, pour un problème les ayant concernés, j’estime important de faire remarquer que, en l’occurrence, les chefs héréditaires et les chefs élus ont collaboré ensemble et collaboré avec le Canada et la Colombie-Britannique sur la gouvernance et ce genre de questions. C’est pour dire à quel point l’aboutissement de 140 années de dénis coloniaux peut devenir explosif.

Il nous faut adopter ce projet de loi pour posséder des moyens et des façons de faire plus affirmatifs, qui accélèrent la réconciliation pour que la Couronne soit mieux guidée par le projet de loi C-15. Ainsi les relations avec les peuples autochtones seront-elles respectueuses et fondées sur la reconnaissance des droits des Premières Nations et de leurs représentants, qu’elles auront librement choisis et qui comprendront dans de nombreux cas les chefs héréditaires, dont l’autorité a, bien sûr, été supprimée pendant des années par les lois coloniales canadiennes.

M. Bellegarde : Elle a tout dit.

Le président : Merci. Notre temps est écoulé. Je remercie nos témoins, le chef national Perry Bellegarde et Mme Mary Ellen Turpel-Lafond, de l’Assemblée des Premières Nations; le président Natan Obed et Me Tania Monaghan, de l’Inuit Tapiriit Kanatami; le vice-président David Chartrand, Mme Celeste McKay et M. Brandon McLeod, du Ralliement national des Métis.

Je suis heureux d’accueillir le prochain groupe de témoins : le grand chef Joel Abram, de l’Association of Iroquois and Allied Indians; les représentants des Manitoba Keewatinowi Okimakanak : le grand chef Garrison Settee et M. Michael Anderson, conseiller sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones; et M. Adam Bond, de l’Association des femmes autochtones du Canada.

Les grands chefs Abram et Settee ainsi que M. Bond feront chacun une déclaration préliminaire d’environ six minutes chacune, après quoi les sénateurs les questionneront, chacun pendant environ trois minutes. La première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson. Le deuxième intervenant sera le porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson. Les autres sénateurs désireux de les interroger peuvent signaler leur intention de le faire à notre greffière par la fonction « lever la main » de Zoom. Certains s’en sont déjà prévalus. Ce sera reconnu dans l’espace de clavardage de Zoom. Les membres du comité ont préséance sur les autres questionneurs.

Toutes les réponses écrites aux questions posées par les sénateurs peuvent être communiquées à notre greffière au plus tard le 30 mai 2021.

Le personnel du comité avertira la présidence par texto quand il restera 10 secondes de temps de parole pour les remarques préliminaires et les interventions de chaque sénateur. La présidence fera un décompte visuel du temps qui reste d’après mes signes des mains. À zéro, j’annoncerai la fin du temps alloué.

J’invite maintenant le grand chef Abram à livrer ses remarques.

Joel Abram, grand chef, Association of Iroquois and Allied Indians : Je vous remercie de votre invitation.

Je suis le grand chef de l’Association of Iroquois and Allied Indians. Nous sommes un organisme de défense des droits, au service des sept Premières Nations de l'association, dans le Sud-Ouest de l’Ontario et en périphérie, c’est-à-dire celles des Batchewanas de Sault Ste. Marie; de Hiawatha, près de Peterborough; des Oneidas, près de London; des Delawares, près de Chatham; des Mohawks Wahtas, au nord d’Orillia; des Mohawks de la baie de Quinte, près de Belleville; et, vers le sud, celle de Caldwell, près de Leamington. Nous représentons environ 20 000 membres.

Je remercie le comité de m’accueillir. J’aborderai d’abord le point de vue des Autochtones sur les relations de nation à nation. Je verrai ensuite les dispositions de non-dérogation et les motifs d’alarme de l’existence de cette disposition dans le projet de loi C-15. J’ai aussi un document que je pourrai laisser à votre comité, dans lequel nous motivons, selon notre point que nous considérons comme important, notre rejet du projet de loi. Je serai ensuite heureux de répondre à vos questions.

Premièrement, le Canada doit faire beaucoup plus pour refléter une relation de nation à nation avec les peuples autochtones. En 1763, le roi d’Angleterre a fait une vaste déclaration de souveraineté et — à titre de précision — il ne s’agissait pas d’une déclaration de souveraineté sur les peuples autochtones. Il s’agissait plutôt d’une déclaration visant les colons et les gouverneurs coloniaux qui résidaient en Amérique du Nord. Il s’agissait d’un engagement qui serait présenté aux peuples autochtones autonomes à Niagara en 1764. Cet engagement prévoit une réconciliation historique qui doit être reconnue en common law sous sa forme véritable. Une immunité contre notre autodétermination interne, notre droit à l’autonomie gouvernementale. On peut facilement constater que l’engagement a été perdu lorsqu’on établit la comparaison entre la gouvernance territoriale et la souveraineté tribale aux États-Unis et celle des Premières Nations au Canada.

Cet engagement a été solennisé dans le droit autochtone lors d’un feu du conseil. La ceinture wampum à deux rangs, ou la Guswenta, est un rappel de la loi intersociale qui a été élaborée. Les règles en matière de diplomatie et de respect intersocial ou de nation à nation remontent aux débuts du droit international. Nous pensons également que nos traités comprennent une loi internationale ayant force exécutoire comme on l’a reconnu en 1975 avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Le droit à l’autodétermination est un engagement dont on ne tient pas compte depuis longtemps, car il remonte aussi loin que nos membres de la nation des Oneidas, la nation Lenape au XVIe siècle dans l’Est de l’Amérique du Nord, et l’engagement solennel pris par le roi britannique en 1764 à Niagara, qui visait à la fois les Anishinaabe et leurs proches, la nation des Mississauga, lors du feu du conseil du traité qui a eu lieu cet été-là.

Le projet de loi C-15 poursuit le parcours du combattant qui a été mis en place en 1995 avec la soi-disant Politique sur le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Il ne s’agit pas d’une approche fondée sur les droits inhérents, mais plutôt d’une approche contingente visant à réduire les pouvoirs d’un gouvernement fédéral ou provincial. Dès 1969, des gouvernements coloniaux ont tenté d’assujettir nos traités et nos relations découlant de traités. En 1969, un autre Trudeau a carrément tenté d’éradiquer des traités.

La voie à suivre serait de confirmer que nos lois et nos droits inhérents devraient être sacrés et de respecter les premières relations issues de traités dans ce qui est maintenant le Canada. Ces droits ne sont pas susceptibles d’être violés et n’ont pas besoin de se conformer au colonialisme de peuplement.

Nous comptons parmi nos membres des Premières Nations bénéficiaires des traités Williams et Robinson-Huron qui ont été contraintes d’engager des poursuites pour mettre fin à la négligence délibérée des relations découlant des traités. L’affaire Restoule c. Canada, concernant la Première Nation de Batchewana, explique bien la relation historique de nation à nation dans l’extrait suivant :

Le processus par lequel les dispositions de la Proclamation royale de 1763 […] seraient mises en œuvre reflétait la reconnaissance par la Couronne de la souveraineté des Anishinaabe qui a survécu à la déclaration unilatérale de la souveraineté de la Couronne. Il fallait donc négocier les conditions dans lesquelles les terres seraient ouvertes à la colonisation par les nouveaux arrivants.

Les articles 5 et 6 de ce projet de loi ne devraient être mis en œuvre que dans le cadre de cette relation de nation à nation. Nous rejetons la norme établie dans ce projet de loi qui ne tient pas compte de la relation de nation à nation en accordant toute latitude au gouvernement du Canada.

Le projet de loi C-15 stipule ce qui suit à l’article 5 :

Le gouvernement du Canada, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, prend toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la Déclaration.

Le paragraphe 6(1) énonce ce qui suit :

Le ministre élabore et met en œuvre, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones et d’autres ministres fédéraux, un plan d’action afin d’atteindre les objectifs de la Déclaration.

La Chaîne d’alliance et la ceinture wampum à deux rangs sont au cœur des principes de respect mutuel, de paix, d’amitié et de non-ingérence qui devraient guider notre coexistence sur ces terres. Nous rejetons une approche colonialiste de peuplement qui interfère avec notre relation de nation à nation.

En imposant unilatéralement l’ordre juridique canadien sur nos nations, nos collectivités et nos territoires, y compris par la fiction juridique du titre sous-jacent de la Couronne sur les terres autochtones, le Canada a violé son engagement et ses responsabilités en vertu de la Proclamation royale de 1763 et du Traité de Niagara de 1764. Afin de protéger la relation de nation à nation, nous vous demandons instamment de rejeter ce projet de loi.

En ce qui concerne les dispositions de non-dérogation du paragraphe 2(2) du projet de loi, le libellé de ce paragraphe représente la principale source de rejet de la Loi sur la DNUDPA, car il limite l’engagement à l’égard de la déclaration au cadre de la common law canadienne. C’est très similaire à l’accomplissement réalisé lors de l’effort de 2016, qui visait à ce que les 10 principes servent de procuration à la déclaration, les principes étant simplement une réaffirmation du droit canadien de limitation des droits conférés par l’article 35. Le maintien des critères liés à la common law de l’article 35, qui sont des processus coûteux qui durent des décennies dans le seul cadre d’un litige, est tout à fait contraire à l’objectif de donner une nouvelle vie à l’article 35. Bien que certains principes de droit coutumier de la déclaration soient déjà applicables en droit canadien, l’interprétation des droits de l’article 35 par les tribunaux canadiens soulève de nombreuses questions problématiques pour les peuples autochtones, y compris l’effet juridique entièrement fabriqué par les tribunaux de l’imposition de la souveraineté de la Couronne sur les peuples autochtones, ce qui est non seulement oppressif, mais aussi historiquement inexact.

Permettez-moi d’abord de lire le paragraphe 2(2) et de souligner la préoccupation importante qui nous amène à rejeter le projet de loi C-15. Le libellé du paragraphe 2(2) est le suivant :

La présente loi maintient les droits des peuples autochtones reconnus…

Le président : Je suis désolé, grand chef, mais votre temps de parole est écoulé.

Garrison Settee, grand chef, Manitoba Keewatinowi Okimakanak : C’est un honneur de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO, représente 26 Premières Nations du Nord du Manitoba et compte au moins 63 000 citoyens des Premières Nations. Je suis heureux de pouvoir vous faire part du point de vue de la MKO sur le projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ou la DNUDPA.

L’approche de la MKO à l’égard du projet de loi C-15 consiste à répondre à la question posée par un grand nombre de nos citoyens, à savoir la DNUDPA est-elle exécutoire au Canada? La réponse est non.

Nos citoyens ont également posé la question suivante : le projet de loi C-15 rendra-t-il la DNUDPA exécutoire au Canada? La réponse est non.

Par conséquent, de nombreux citoyens de la MKO ont posé la question suivante : le projet de loi C-15 peut-il être modifié pour rendre la déclaration exécutoire au Canada? La réponse est oui.

Les amendements proposés par la MKO au projet de loi C-15 visent à rendre les principes de la déclaration exécutoires au Canada. Récemment, le chef David Monias, de la nation crie Pimicikamak, a présenté un exposé intitulé Making UNDRIP Enforceable in Canada. Il a fait valoir que l’objectif principal de la disposition consistant à rendre les principes de la DNUDPA exécutoires au Canada est d’inverser complètement le paradigme juridique et constitutionnel en amenant les sociétés minières, forestières et énergétiques à poursuivre le Canada en justice pour des mesures prises par le gouvernement afin de reconnaître, d’affirmer et de protéger les droits des Autochtones, au lieu du paradigme actuel historique dans lequel les Premières Nations poursuivent sans cesse le Canada en justice parce qu’il ne prend pas de mesures pour reconnaître, affirmer et protéger les droits des Autochtones.

Les leçons tirées de l’application pratique des droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 sont que, depuis 1982, le Canada a pris de très mauvaises décisions administratives et judiciaires pour appliquer concrètement les protections des droits reconnus et affirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Dans le but de rendre la DNUDPA exécutoire au Canada, la MKO recommande notamment les modifications suivantes :

Premièrement, le projet de loi C-15 doit prévoir une modification corrélative à la Loi d’interprétation fédérale, afin d’établir une disposition d’affirmation exécutoire de la DNUDPA.

Toute loi ou tout règlement doit être interprété et appliqué conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et aucune loi ou aucun règlement ne doit être interprété ou appliqué de manière à abroger la Déclaration ou à y déroger.

Deuxièmement, il faut modifier l’alinéa 4a) du projet de loi C-15 en déclarant que l’objet de cette loi est :

a) d’affirmer la déclaration d’un instrument universel garantissant les droits internationaux de la personne et l’expression de principes contraignants et du droit international conventionnel et du droit international coutumier avec application dans la loi canadienne comme source d’interprétation et source de droit.

Troisièmement, il faut modifier l’article 2 du projet de loi C-15 en remplaçant la disposition de non-dérogation actuelle pour refléter le libellé de la modification corrélative proposée à la Loi d’interprétation.

Cette loi doit être interprétée et administrée comme protégeant les droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones du Canada qui sont reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et ne pas y porter atteinte.

Quatrièmement, il faut modifier le projet de loi C-15 en incluant la disposition suivante :

La présente loi doit être interprétée et administrée de manière à maintenir les droits des peuples autochtones tels que proclamés dans la Déclaration, et rien dans la présente loi ne doit être interprété ou administré de manière à porter atteinte à ces droits.

Cinquièmement, en tenant compte de l’article 17 de la Loi d’interprétation, il faut modifier le projet de loi C-15 pour s’assurer que la Couronne est liée par le projet de loi C-15 modifié et par les exigences relatives à l’application des principes de la DNUDPA au Canada.

La Couronne est liée par cette loi ou cette loi lie Sa Majesté du chef du Canada.

Sixièmement, il faut prévoir dans le projet de loi C-15 une modification corrélative de la Loi d’interprétation fédérale, afin d’inclure une disposition de non-dérogation universelle dont la structure est similaire à la disposition d’affirmation recommandée par la Déclaration.

Toute loi et tout règlement doit être interprété et administré de manière à protéger les droits issus de traités des peuples autochtones du Canada qui sont reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et ne pas y porter atteinte.

Septièmement, il faut inclure dans les dispositions de fond du projet de loi C-15 l’intention de la disposition du préambule du projet de loi C-15 concernant les doctrines de la découverte et de terra nullius en incluant dans le projet de loi C-15 une modification corrélative à la Loi d’interprétation fédérale, afin d’énoncer ce qui suit :

La doctrine de la découverte et la doctrine de la terra nullius ne font pas partie du droit législatif ou de la common law du Canada.

M. Anderson et moi-même serons heureux de répondre aux questions du comité. Je vous remercie, meegwetch, mashi’cho.

Le président : Je vous remercie beaucoup, grand chef Settee.

Adam Bond, gestionnaire, Services juridiques, Association des femmes autochtones du Canada : Bonjour. En raison de difficultés techniques, je vais faire une déclaration préliminaire au nom de Lynne Groulx, directrice générale de l’Association des femmes autochtones du Canada.

Je tiens à remercier les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones d’avoir invité l’Association des femmes autochtones du Canada à comparaître aujourd’hui pour présenter sa position sur le projet de loi C-15. Je m’appelle Adam Bond, et je suis gestionnaire des Services juridiques de l’Association des femmes autochtones du Canada, qui est la plus grande organisation autochtone nationale représentant les filles, les femmes et les personnes de diverses identités de genre des Premières Nations, des Métis et des Inuits.

L’Association des femmes autochtones du Canada représente une voix des femmes autochtones. Les organisations autochtones dirigées par des hommes n’abordent pas les enjeux sous le même angle. C’est la raison pour laquelle il est très important que notre organisation soit présente aux tables nationales lorsque des enjeux qui touchent nos membres font l’objet de discussions. Nous remercions donc sincèrement le comité de nous avoir invités à comparaître aujourd’hui. En ce qui concerne le projet de loi C-15, nous aimerions formuler les commentaires suivants.

Comme on le comprend généralement, la DNUDPA ne crée pas de nouveaux droits; elle codifie plutôt des droits existants en vertu du droit international tel qu’il s’applique aux peuples autochtones. Il est donc important de souligner que la déclaration renferme des dispositions expressément liées aux droits des femmes autochtones. Le projet de loi C-15 suscite différentes préoccupations chez une grande diversité des personnes et d’organismes. Toutefois, il est très important de ne pas perdre de vue ce que le projet de loi signifie pour les femmes autochtones et les raisons pour lesquelles la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont demandé la mise en œuvre immédiate de la déclaration au Canada.

Les femmes et les filles autochtones font face à une épidémie persistante de violence dans notre pays. Elles sont ciblées parce qu’elles sont marginalisées. Elles ont subi et continuent de subir les pires effets de la colonisation, de la discrimination et de la haine. On leur refuse l’égalité et l’égalité des chances, et elles sont économiquement marginalisées. Elles sont fortes, mais la discrimination flagrante et systémique à laquelle elles font face chaque jour accroît leur vulnérabilité.

Le projet de loi C-15 reconnaît que la DNUDPA est un instrument universel des droits de la personne au Canada et qu’elle crée un mandat statutaire selon lequel le gouvernement du Canada doit élaborer et mettre en œuvre un plan d’action pour la mise en œuvre de la déclaration. La déclaration elle-même reconnaît plusieurs droits importants des filles et des femmes autochtones, de l’égalité avec les hommes au droit de ne pas subir de violence en passant par le droit à l’amélioration de leur situation socioéconomique. Ces droits sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, à la Loi canadienne sur les droits de la personne et aux obligations du Canada en vertu du droit international. Il est important de souligner que le projet de loi C-15 exige que la déclaration soit mise en œuvre, notamment par l’élaboration d’un plan d’action qui doit comprendre des mesures visant à éliminer toutes les formes de violence et de discrimination à l’égard des femmes autochtones.

L’Association des femmes autochtones du Canada souhaite travailler en étroite collaboration avec le gouvernement du Canada et d’autres échelons du gouvernement à la mise en œuvre du projet de loi C-15. Nous devons veiller à ce que les peuples autochtones soient correctement consultés dans le cadre de la mise en œuvre de la déclaration, et nous devons communiquer efficacement pour apaiser les craintes des différents groupes, mais ces préoccupations ne doivent pas l’emporter sur les droits et les intérêts des peuples autochtones. La mise en œuvre du projet de loi C-15 pourrait permettre de faire d’énormes progrès vers la réconciliation. Toutefois, en l’absence d’une responsabilisation adéquate pour la mise en œuvre de la déclaration de façon concrète, le projet de loi pourrait facilement se transformer en une façade pour l’inaction. Non seulement le plan d’action doit-il être rendu public et déposé au Parlement dès qu’il sera prêt, mais des rapports d’étape annuels sur la préparation et la mise en œuvre du plan d’action doivent également être rendus publics.

C’est important. Les paroles ne suffisent pas; il faut passer à l’action. Nous savons aujourd’hui, plus qu’à tout autre moment de l’histoire récente, que les grands défis exigent beaucoup de volonté et une grande détermination. Nous savons qu’en période d’urgence, nous pouvons prendre les mesures qui s’imposent pour protéger les personnes les plus vulnérables de la société. Nous savons que c’est possible, alors pourquoi faut-il tant de temps pour mobiliser la grande volonté et la détermination nécessaires pour mettre fin à l’épidémie de violence contre les femmes et les filles autochtones?

Le projet de loi C-15, comme tout autre texte législatif, n’est pas parfait. Dans ce cas-ci, cependant, la perfection n’est pas simplement l’ennemie du bien. En effet, exiger un projet de loi C-15 parfait va directement à l’encontre des droits et des intérêts des femmes et des filles autochtones, qui ont autant le droit d’être à l’abri de la violence et de la discrimination que les non-Autochtones.

Nous sommes reconnaissants au comité du travail important qu’il entreprend en étudiant ce projet de loi, et nous espérons que ce travail contribuera à l’adoption rapide du projet de loi par le Parlement.

En terminant, il convient de répéter que le projet de loi C-15 demeure une première étape bien accueillie de l’enchâssement de la DNUDPA dans la loi canadienne. En outre, il contribuera à la réconciliation dans notre pays et il pourrait bien devenir un exemple de pratique exemplaire pour d’autres pays. Après tout, ce n’est pas par hasard que la Commission de vérité et de réconciliation a fait référence à la DNUDPA 21 fois dans ses appels à l’action, tandis que le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a également exhorté le Canada à mettre en œuvre et à respecter pleinement les instruments de droits pertinents, y compris la DNUDPA.

Je vous remercie de votre temps. J’ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Bond.

J’aimerais maintenant ouvrir la séance aux questions. La première question sera posée par la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson, qui sera suivie du porte-parole du projet de loi, le sénateur Patterson.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Monsieur Bond, êtes-vous en mesure de répondre aux questions au nom de l’Association des femmes autochtones du Canada ou devrais-je trouver une autre façon de poser mes questions à la directrice générale?

M. Bond : Oui, je peux répondre à toute question technique ou juridique sur le projet de loi au nom de l’AFAC.

La sénatrice LaBoucane-Benson : J’allais plutôt poser des questions sur la consultation. Je tenterai peut-être de lui poser mes questions à un autre moment, mais je pense que le chef Abram pourra répondre sans problème à la question suivante.

Dans des articles ou des entrevues à votre sujet — et même dans un article que vous avez écrit, si je ne me trompe pas —, vous avez parlé du fait que vous n’avez pas été consultés dans le cadre du processus lié au projet de loi C-15. J’aimerais savoir si vous participerez au processus de consultation sur le plan d’action et, le cas échéant, comment vous aimeriez être consultés. Si nous devions formuler des conseils à la Chambre des communes sur la façon de mener des consultations adéquates, quels seraient ces conseils?

M. Abram : Je ne peux pas dire avec certitude si nous participerons aux consultations futures, tout simplement parce que nos nations membres sont d’avis que le processus de consultation et d’engagement aurait dû se dérouler dans le cadre d’une approche de nation à nation dès le départ. Le gouvernement du Canada a signé un protocole d’entente avec l’Assemblée des Premières Nations sur le respect de la relation de nation à nation. L’Assemblée des Premières Nations n’est pas un gouvernement national et il faut donc parler aux gouvernements des Premières Nations. En Ontario, nous n’avons eu que quelques semaines pour participer à l’examen du projet de loi, et puisqu’on consultait un nombre limité de parties, nous avons refusé d’y participer. Je ne pense pas que quiconque en Ontario ait participé à ce projet de loi particulier, simplement parce que nous étions d’avis que le processus de consultation aurait dû être beaucoup plus robuste qu’il ne l’était. Puisque ce projet de loi a des répercussions sur les détenteurs de droits, c’est-à-dire les personnes elles-mêmes, nous avons besoin de suffisamment de temps pour consulter ces personnes et obtenir leur avis.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vous remercie.

Le sénateur Patterson : J’aimerais remercier les témoins.

Ce matin, le ministre Lametti a déclaré que la consultation a comme fondement un dialogue constructif et qu’il s’agit parfois d’avoir un impact, mais pas tout le temps. Il a également déclaré que la jurisprudence canadienne, fédérale et provinciale — les décisions rendues par les tribunaux — a toujours le dernier mot dans plusieurs contextes. J’aimerais demander aux témoins s’ils sont d’accord avec l’interprétation et l’approche décrites par le ministre de la Justice. J’aimerais que chaque témoin réponde à la question, si c’est possible. Je vous remercie.

M. Bond : Je vais tenter de répondre. C’est beaucoup plus compliqué que cela de savoir qui prend la décision finale. En réalité, la reconnaissance des droits des personnes à l’autodétermination inclut le droit de donner ou de refuser le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Lorsqu’on applique ce droit dans le contexte du fédéralisme coopératif dans le système juridique canadien, la situation devient assez complexe. Au bout du compte, le gouvernement a l’obligation d’obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause avant de prendre toute décision qui aura des répercussions négatives sur les peuples autochtones. Mais en réalité, dans le système juridique canadien et au sein du fédéralisme coopératif, si le gouvernement prend une décision qui va à l’encontre de ce droit, il sera obligé de la justifier dans le cadre d’une procédure judiciaire, si une telle procédure est intentée. Il s’agit donc de savoir quel impact le projet de loi C-15 aura sur le critère juridique de justification dans ces cas.

M. Abram : Notre point de vue va dans le sens de celui du Guswenta, c’est-à-dire la ceinture wampum à deux rangs. Je ne sais pas si vous l’avez déjà vue. C’est une ceinture wampum blanche traversée par deux lignes violettes; une ligne représente la Couronne dans son bateau et l’autre les Premières Nations dans leur canot et les deux entités descendent la rivière de la vie ensemble.

Le sénateur Patterson : Oui, je l’ai vue.

M. Abram : Présumer que la jurisprudence canadienne a priorité sur les relations de nation à nation des Premières Nations relève encore une fois des doctrines de supériorité, et nous rejetons donc cette notion.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie.

Le sénateur Francis : J’aimerais poser deux questions. La première s’adresse au représentant de la Manitoba Keewatinowi Okimakanak. Dans ses aspects essentiels, le projet de loi C-15 est identique au projet de loi C-262. Je crois savoir que vous avez appuyé le projet de loi C-262, mais pas le projet de loi C-15, et j’aimerais savoir si vous pouvez brièvement nous donner les raisons de cette décision et nous préciser ce qui a changé.

La deuxième question s’adresse à tous les témoins. Ce projet de loi pourrait devenir loi avant que le Parlement ajourne ses travaux pour l’été. Si cela se produit, est-ce que vous et vos membres avez réfléchi à la façon dont le processus d’élaboration et de mise en œuvre d’un plan d’action pourrait contribuer à faire progresser la survie, la dignité et le bien-être à long terme des titulaires de droits précis, et y a-t-il des lois et des politiques actuelles que vous aimeriez voir faire l’objet d’une réforme?

M. Settee : Je demanderais à Michael Anderson de répondre à la question, s’il vous plaît.

Michael Anderson, conseiller DNUDPA, Manitoba Keewatinowi Okimakanak : Je vous remercie beaucoup d’avoir posé cette question.

Nous avons manifestement eu l’occasion de réfléchir davantage à la façon dont le projet de loi serait formé après avoir examiné le projet de loi C-262. Nous avons également les travaux que nous avons menés précédemment sur la mise en œuvre des droits garantis par l’article 35 et sur la façon dont le gouvernement met en œuvre ces droits.

Nous considérons que le projet de loi C-15 est un instrument qui sert à donner des instructions ou des directives au gouvernement, et en ce qui concerne les commentaires du ministre Lametti sur le fait que les tribunaux ont le dernier mot et en ce qui concerne les éléments qui donnent des directives à la Couronne, les tribunaux interviennent là où il y a un vide et où la Couronne fournit un cadre législatif pour orienter ses actions. Les modifications que nous recommandons visent à intégrer les principes de la DNUDPA dans l’administration pratique des lois fédérales. Il ne s’agit donc pas de donner des directives aux Premières Nations, mais au gouvernement. Nous constatons que la volonté du Parlement est importante pour inciter la Couronne à prendre en considération, de façon concrète, les principes de la DNUDPA qui, évidemment, comme l’ont déjà mentionné de nombreux intervenants, sont déjà intégrés dans le droit coutumier international reconnu.

Le sénateur Francis : Est-ce que quelqu’un veut essayer de répondre à la deuxième question?

M. Abram : Je peux essayer. Je pense que l’une des premières choses qu’il faut aborder, c’est l’article 35. C’est une question qui n’a pas été correctement traitée depuis 1982. En effet, lorsque la Constitution été ratifiée en 1982, on devait mener des conférences constitutionnelles avec les Premières Nations sur ce que cela signifiait. Comme vous l’ont dit d’autres intervenants, les Premières Nations considèrent qu’il s’agit d’une boîte pleine de droits, mais le Canada considère qu’il s’agit plutôt d’une boîte vide de droits pour lesquels il faut négocier ou plaider.

Depuis lors, il y a eu deux réunions au terme desquelles on n’a pas pu parvenir à un accord. Le Canada a quitté la table de discussion, et cette question n’a jamais été résolue depuis. Cette décision a eu pour effet que certaines décisions — même positives — ont un fond de racisme, par exemple les décisions Van der Peet et Sparrow, qui ont fixé des critères très élevés pour la reconnaissance des droits autochtones en vertu de l’article 35. Nous devons donc revenir sur cet article 35 pour parler de ce que cela…

Le président : Je vous remercie, grand chef. Le temps est écoulé.

La sénatrice Coyle : J’aimerais remercier nos témoins de comparaître aujourd’hui.

Le sénateur Francis a déjà posé l’une des questions que je voulais poser. Toutefois, je suis curieuse. Grand chef Settee, supposons que les changements — c’est-à-dire les amendements — que vous aimeriez apporter au projet de loi ne sont pas apportés. Nous conseilleriez-vous d’appuyer quand même le projet de loi? J’aimerais bien que ce soit le cas.

J’ai une deuxième question pour le grand chef Abram et le grand chef Settee. L’Association des femmes autochtones du Canada nous dit qu’elle veut que ce projet de loi soit adopté. Comment cela se concilie-t-il avec les femmes de vos collectivités? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Settee : Nous sommes très attentifs aux voix des femmes dans nos Premières Nations et nous les laissons nous guider. Nous voulons nous assurer que nous les représentons à leur juste valeur, car ce sont des voix importantes dans notre culture.

Par ailleurs, nous voulons notamment veiller à ce que le Canada respecte la Constitution. Comme il a été mentionné précédemment, il ne faudrait pas envisager cela comme une boîte vide de droits. Nous voulons veiller à ce que ces droits soient respectés, car il y a longtemps qu’ils ont été mis de côté. Il est temps que nous renforcions la Constitution et la légitimité de nos droits.

La sénatrice Coyle : Selon vous, le projet de loi sans les amendements proposés mérite-t-il quand même d’être adopté? Est-ce mieux que de ne pas avoir de projet de loi?

M. Settee : Je suis d’accord pour dire que c’est mieux que de ne pas avoir de projet de loi du tout.

M. Abram : Souhaitez-vous que je réponde à la question?

La sénatrice Coyle : Oui, s’il vous plaît.

M. Abram : Je vous remercie. Nos nations membres respectent la relation de nation à nation. Je sais donc, surtout dans nos collectivités iroquoises, qu’elles ne peuvent pas parler au nom de toutes nos collectivités, et c’est la même chose pour leurs chefs. Un grand nombre de nos chefs sont des femmes qui font partie de l’association, et elles militent pour le respect de la relation de nation à nation. Donc, si le projet de loi est adopté, je m’attends à ce que nous demandions des modifications pour respecter cette relation de nation à nation et le processus de mise en œuvre fondé sur les détenteurs de droits.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie.

La sénatrice Forest-Niesing : Ma question a en quelque sorte déjà été posée, mais je vais la reformuler et vous la poser quand même.

Compte tenu des amendements apportés par le comité de la Chambre qui a étudié la question, plus précisément le préambule et l’article 6 qui ont été modifiés pour faire référence à la lutte contre les préjugés, la violence, le racisme et la discrimination systémique et qui déterminent que les doctrines de la découverte et de la terra nullius sont racistes, puis l’amendement supplémentaire au préambule pour indiquer que les droits ancestraux et issus de traités peuvent évoluer et progresser, la question suivante s’adresse aux deux grands chefs. Après avoir écouté très attentivement vos positions respectives, à votre avis, ces amendements nous rapprochent-ils d’une forme acceptable du projet de loi? Êtes-vous plutôt d’avis qu’il vaudrait mieux s’en passer?

M. Settee : Je pense que je répondrai d’abord que le Canada continue de perpétuer des notions et des lois qui minent ce que nous sommes et qui favorisent également la doctrine de la découverte. Je pense que c’est un premier pas de plus pour éliminer cette idéologie. Je crois qu’il a fallu beaucoup de temps pour en arriver là. Ce n’est pas parfait, mais je pense que c’est un pas en avant. Nous poursuivrons donc les discussions sur le sujet, et nous espérons que cela permettra de modifier et d’éliminer ces notions.

M. Abram : Ma réponse contient plusieurs volets. Tout d’abord, nous l’avons rejeté en raison du manque de consultation auprès des détenteurs de droits eux-mêmes. Bien franchement, nous préférerions qu’on réinitialise l’ensemble du processus. Il a fallu plus de 20 ans pour que les Nations unies élaborent la DNUDPA, et il est donc difficile d’espérer faire adopter, en moins de six mois, un projet de loi sur lequel tout le monde peut s’entendre et qui concerne les Premières Nations.

Il ne faut pas oublier que la DNUDPA visait à s’attaquer aux effets de la colonisation et de l’oppression sur les peuples autochtones et à protéger les droits qu’ils ont obtenus jusqu’à présent. Mais c’est autre chose lorsqu’on affirme que les droits que nous avons obtenus seront soumis à des décisions prises par un tribunal de nos oppresseurs. L’une des choses que j’ai apprises, c’est que lorsque nos droits sont contestés devant les tribunaux par quelqu’un qui nous a colonisés, c’est aussi une forme de discrimination.

Je pense que je préférerais une réinitialisation complète du processus pour nous concentrer ensuite sur les détenteurs de droits.

La sénatrice Stewart Olsen : On a également déjà répondu à un grand nombre des questions que j’allais poser.

Il y a toutefois un point que j’aimerais aborder. Dans une lettre d’opinion publiée dans The Hill Times, l’aînée de la région de l’Est, Alma Brooks, de l’Association des femmes autochtones du Canada, a déclaré que l’approche actuelle en matière de changements politiques et législatifs, qui se fonde sur la distinction, ne laisse aux femmes autochtones qu’une option conventionnelle qui ne leur convient pas. Elle a poursuivi en affirmant que les groupes ont été relégués au rang de groupes d’intérêts spéciaux qui ne sont pas reconnus de manière égale à titre de détenteurs de droits. En fait, elle affirme qu’on ne les a pas laissés s’asseoir à la table des grands.

Plus tôt aujourd’hui, des représentants ont déclaré qu’ils avaient commencé à discuter du processus d’élaboration du plan d’action avec les principaux intervenants, et ils ont dit que la portée de ces discussions pourrait être élargie plus tard pour inclure les groupes de femmes ou les groupes de jeunes.

Faut-il comprendre que l’Association des femmes autochtones du Canada a souvent l’impression d’être incluse après coup? Je présume que ma question s’adresse à M. Bond.

M. Bond : C’est une lutte constante. Le fait est que, souvent, les femmes autochtones ne subissent pas la colonisation et les problèmes de la même façon que les hommes autochtones en raison de l’intersection du genre et de la race. Du fait de cette grande vulnérabilité, le droit des femmes autochtones de participer de façon égale à la prise de décision et aux consultations est particulièrement important, car, souvent, lorsque nous n’avons pas de place à la table, les questions qui sont particulièrement importantes pour les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones ne sont pas soulevées et ne sont donc pas prises en compte. Donc, bien sûr, ce qui nous préoccupe le plus au sujet de projet de loi, c’est la sincérité avec laquelle le gouvernement nous consultera et inclura l’Association des femmes autochtones du Canada dans ces processus, mais c’est un processus et quelque chose que nous attendons avec impatience. C’est un défi perpétuel pour nous et une lutte, mais nous allons le relever au fur et à mesure, comme nous le faisons toujours, et nous réussissons toujours plutôt bien à faire pression sur le gouvernement et à nous imposer à la table.

L’élément important aujourd’hui, dont est saisi le comité, c’est le projet de loi et ce qu’il permettra de faire dans le cadre d’une approche à trois volets pour les femmes autochtones. Le projet de loi C-15 met en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de trois façons distinctes. Je suis sûr que tout le monde le sait. Premièrement, il fait de la déclaration un document qui peut être utilisé pour l’interprétation des lois canadiennes par les tribunaux en vertu du principe de conformité. Deuxièmement, il crée des mandats législatifs pour que le gouvernement du Canada procède à des consultations afin de résoudre les problèmes législatifs et de créer un plan d’action, qui sont tous des éléments très importants. Il s’agit d’une approche à trois volets. Concernant les consultations, nous agirons au fur et à mesure que nous avancerons, comme nous le faisons toujours.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins de leur présence.

Ma question s’adresse également au représentant de l’Association des femmes autochtones du Canada. L’honorable Carolyn Bennett a parlé de l’élaboration conjointe du projet de loi C-15. Vous venez de parler du manque de consultations. Je me demande de quelle façon, selon vous, le gouvernement canadien pourrait renforcer son approche concernant l’élaboration conjointe afin de mieux tenir compte des priorités des femmes, des filles, des personnes bispirituelles et des personnes non binaires autochtones dans l’élaboration du plan d’action du projet de loi C-15 et, en particulier, d’améliorer l’orientation et les analyses comparatives entre les sexes qui sont entreprises.

M. Bond : Je ferai de mon mieux. Cela dépasse un peu ma position quant aux recommandations sur certaines procédures pour les consultations à venir.

En général, nous avons besoin que le gouvernement du Canada reconnaisse qu’il doit nous consulter sur toutes les questions qui touchent nos membres. Il semble y avoir un décalage entre, d’une part, la politique officielle du gouvernement fédéral quant à l’importance de l’analyse comparative entre les sexes et à la reconnaissance de l’intersectionnalité et, d’autre part, les démarches qu’il mène concrètement auprès de l’Association des femmes autochtones du Canada. Nous avons besoin que la situation soit corrigée. Nous avons besoin que le gouvernement fédéral reconnaisse que la participation de l’Association des femmes autochtones du Canada aux processus contribue à l’élaboration de meilleurs plans d’action, de meilleurs programmes et de meilleures lois, et que le fait de ne pas nous inclure dans ces processus mène à la discrimination et à la violation des droits des femmes autochtones.

Le sénateur MacDonald : Je remercie les témoins de leur présence.

L’Assemblée des Premières Nations, l’APN, a présenté un exposé un peu plus tôt, mais je n’ai pas eu l’occasion de poser ma question supplémentaire. Je vais maintenant la poser à vous tous.

Dans une entrevue qu’elle a accordée au Réseau de télévision des peuples autochtones, soit APTN, Marlene Poitras, chef régionale de l’APN en Alberta, a dit que l’APN ne devrait pas négocier le projet de loi C-15. Voici ce qu’elle a dit :

L’APN est un groupe de pression. Nous sommes là pour appuyer l’orientation donnée par les chefs en assemblée, et c’est notre rôle. Il ne s’agit pas de négocier et de prendre des décisions au nom des Premières Nations. Ce sont les nations qui le font, et non l’Assemblée des Premières Nations en tant qu’assemblée.

Compte tenu de ce qu’affirme la chef régionale et de la frustration que vous exprimez ici aujourd’hui, pensez-vous que l’APN peut parler au nom des nations dans un processus aussi complexe et selon un échéancier aussi court?

M. Settee : En ma qualité de grand chef, je reçois mon mandat des chefs. Lorsque les chefs vous donnent un mandat, vous devez agir en conséquence. S’ils ne me donnent pas ce mandat, je ne peux ni agir ni m’exprimer sur ce qui est proposé. Je suis responsable devant les chefs et les Premières Nations. Je dois respecter l’autonomie et la souveraineté de chaque Première Nation. On m’indique la voie à suivre, puis j’agis.

M. Abram : Je voudrais exprimer une opinion similaire à celle du grand chef Settee. Comme l’APN, l’Association of Iroquois and Allied Indians n’est pas une organisation représentative ou un organisme de pression. Je reçois mes instructions des chefs et des conseils, qui sont les chefs élus respectifs de leurs Premières Nations.

De même, l’APN avait déjà adopté une résolution concernant les normes minimales de tout projet de loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones qu’elle pourrait appuyer. Ce projet de loi ne répond pas à ces exigences, et pourtant elle l’appuie tout de même, et je ne comprends donc pas cette partie.

Je conviens qu’elle ne constitue pas notre gouvernement et qu’elle n’est pas non plus une organisation représentative; elle défend nos intérêts seulement.

La sénatrice McCallum : Je veux tout d’abord m’adresser au grand chef. [La sénatrice McCallum s’exprime dans sa langue autochtone.]

M. Settee : [M. Settee s’exprime dans sa langue autochtone.]

La sénatrice McCallum : Je suis ravie de revoir M. Adam Bond. Nous avons fait du très bon travail ensemble concernant les questions relatives à l’égalité entre les sexes dans le cadre du projet de loi C-69, et votre contribution a été très utile.

J’ai deux questions. Si vous n’êtes pas en mesure d’y répondre dans le temps limité dont nous disposons, j’aimerais que vous le fassiez par écrit. J’ai d’abord une question qui s’adresse au grand chef. Est-ce que l’organisation MKO serait en mesure d’intégrer dans le cadre les amendements qu’elle a proposés s’ils n’étaient pas adoptés par le Sénat? Ensuite, seriez-vous en mesure de vous retirer de ce cadre et de former le vôtre, selon vos propres traditions juridiques? J’ai assisté à l’assemblée au cours de laquelle les chefs se sont réunis le mois dernier, et l’un d’entre eux a dit ceci: « Nous n’avons pas besoin de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones; nous pouvons agir de notre propre initiative. » Je ne sais pas si vous pouvez répondre ou si vous devez vous adresser aux chefs.

M. Settee : C’est une question que nous soumettrons à l’assemblée. Il ne fait aucun doute que si les amendements ne sont pas adoptés, nous devrons continuer à trouver des moyens de faire en sorte que les droits de nos peuples soient protégés en permanence. Nous préconisons et accueillons favorablement la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Cependant, si les mesures ne correspondent pas à ce que nous percevons comme devant être accompli sur le plan constitutionnel, alors nous devrons continuer à faire pression. Oui, il y a toujours la possibilité d’examiner les choses selon une perspective souveraine.

La sénatrice McCallum : Merci.

Monsieur Bond, aux articles 22 et 44, les droits et les besoins des femmes autochtones sont reconnus et il est exigé que l’État prenne les mesures nécessaires pour protéger les femmes et les filles contre la violence et la discrimination. Comme nous le savons, il existe diverses formes de discrimination, ce qui inclut le manque d’accès à l’éducation, à des soins de santé et aux terres ancestrales, ainsi que des taux disproportionnés de pauvreté et de violence, comme la violence familiale. La mise en œuvre de la déclaration améliorera-t-elle la situation des droits de la personne pour les femmes et les filles autochtones au Canada alors que ces diverses formes de discrimination ont toujours existé et qu’aucun progrès n’a été réalisé à ce jour, malgré toutes les enquêtes et les recommandations qui ont été faites? En fait, leur vulnérabilité continue de s’accroître.

M. Bond : Oui. Je pense que la mise en œuvre de ce projet de loi fera assurément avancer les choses à cet égard, car on y établit un cadre et un plan d’action visant à s’attaquer à ces problèmes, sans compter l’avantage d’en faire un instrument interprétatif pour les procédures judiciaires.

Le président : Merci beaucoup. Comme l’a mentionné la sénatrice McCallum, vous pouvez très bien soumettre par écrit des réponses aux questions qui ont été posées.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je serai ravie de passer mon tour afin de donner à d’autres sénateurs un peu plus de temps pour poser des questions.

Le président : Merci, sénatrice.

Le sénateur Patterson : Ma question s’adresse au grand chef Abram.

Dans un communiqué publié le 1er avril 2021, l’association a dit ce qui suit :

Pour de nombreuses nations, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne pose aucun problème, mais beaucoup critiquent la version canadienne de la déclaration, car le processus de mise en œuvre comporte des lacunes depuis le début.

Toutefois, le gouvernement affirme qu’il a mené des consultations et souligne qu’il continue de consulter les titulaires de droits tout au long du processus législatif. Parallèlement, par contre, nous continuons d’entendre que le projet de loi doit être adopté d’ici la fin de juin.

Je me demande si cela cadre avec les éléments « consentement préalable donné librement » du concept « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». Est-il insultant, c’est peut-être le mot qui convient ici, d’être invité à participer aux discussions au moment où le projet de loi est sur le point de franchir la ligne d’arrivée?

M. Abram : Nous avons demandé à plusieurs reprises que le processus soit relancé afin que les titulaires de droits puissent avoir leur mot à dire sur le sujet. Vous avez raison; il en est question.

Nous nous sommes demandé pourquoi le Canada a besoin d’adopter une loi pour faire ce qui s’impose. Il a déjà adopté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je pense que la mesure législative aurait une plus grande incidence si l’on rejetait les doctrines de la découverte et de la terra nullius et que l’on essayait de les supprimer des lois et des politiques actuelles. Nous pensons que beaucoup de choses pourraient être accomplies de cette manière et que la déclaration pourrait servir de mécanisme d’orientation.

Je ne connais aucun titulaire de droits en Ontario qui a participé aux travaux entourant ce projet de loi.

Le sénateur Patterson : Merci.

L’Association of Iroquois and Allied Indians a également déclaré que les séances de mobilisation étaient écourtées et manquaient de ressources. Pouvez-vous nous dire rapidement comment ces séances de mobilisation ont été structurées? S’agissait-il d’un exercice de bonne foi visant à obtenir vos commentaires?

M. Abram : Non. On nous a donné très peu de temps pour nous inscrire à ce qu’ils ont appelé une séance de mobilisation sur Zoom, si on peut dire, et ils faisaient participer beaucoup de nations. Ils mettaient à contribution l’organisation régionale, les Chefs de l’Ontario, ainsi que des organisations provinciales et territoriales comme notre association, et d’autres organismes, alors que ce ne sont pas eux les titulaires de droits. Les titulaires de droits sont les Premières Nations elles-mêmes. Ensuite, par leur intermédiaire, il y a les citoyens et les membres. Je peux vous assurer que cela n’a pas été fait.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice Forest-Niesing : À ce sujet, grand chef Abram, n’avez-vous pas dit que vous n’aviez pas participé par choix et qu’on vous en avait donné l’occasion, mais qu’une contrainte de temps vous empêchait de le faire, ou avez-vous choisi de ne pas participer?

M. Abram : Oui. Nous avons décidé de ne pas participer au processus qui nous était proposé. Nous avons demandé un processus de consultation et de mobilisation plus large qui permettrait aux Premières Nations de consulter leurs membres sur l’orientation qu’ils souhaiteraient que l’on donne à ce projet de loi en ce qui concerne leurs droits autochtones. Cela a été refusé.

La sénatrice McCallum : La prochaine question s’adresse aux grands chefs. Le processus accéléré de ce projet de loi est une forme de coercition et ne correspond pas à l’établissement d’une relation de nation à nation. C’est ce qui s’est produit dans le cas des projets de loi C-91 et C-92, dont l’un est passé de la Chambre des communes au Sénat, et vice versa, en un mois. Il n’était même pas au Feuilleton. Je crains que, parce qu’ils concernent des questions autochtones, ces projets de loi ne soient pas considérés comme étant aussi importants que d’autres. Je vous pose ma question. Allez-vous demander que ce processus soit suspendu pendant que vous retournez rencontrer les gens, les chefs, afin que les chefs apportent véritablement une contribution? Je vais vous poser ma deuxième question. Est-ce que l’adoption d’une approche fondée sur les distinctions permettrait de clarifier ce projet de loi, étant donné que les trois groupes — Métis, Premières Nations et Inuits — ont tous des histoires différentes? Merci.

M. Abram : Si je peux essayer de répondre à la question, nous avons déjà envoyé de la correspondance peu de temps après avoir refusé de participer aux processus limités qui nous étaient offerts, en parlant directement avec le ministre responsable. Je pense que nous l’avons déjà fait pour le premier ministre, le ministre des Affaires indiennes et aussi le procureur général. Nous avons déjà envoyé cette correspondance pour faire cette demande. Nous n’avons reçu aucune réponse à ce sujet. Je répondrais donc que, oui, nous l’avons déjà demandé.

Quelle était votre deuxième question, sénatrice? Excusez-moi.

La sénatrice McCallum : Est-ce qu’un projet de loi divisé selon trois groupes et fondé sur des distinctions — Métis, Premières Nations et Inuits — correspondrait à une meilleure approche pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones?

M. Abram : Je pense que oui. Ce serait utile. Le terme « autochtone » est un terme vaste. Il n’est pas toujours utile d’adopter une approche panautochtone. Mettre tout le monde dans le même moule ne fonctionne pas, en fait.

Si je peux me permettre, j’ai également entendu l’expression « élaboration conjointe ». Dans mon esprit, cela signifie qu’avant qu’on diffuse quelque chose au public, les deux parties s’entendent sur le produit final. Dans le cas de mesures législatives antérieures où il était question de collaboration conjointe, cela n’a pas été le cas.

M. Settee : Je veux répondre rapidement. La MKO a donné les grandes lignes de nos recommandations au ministère fédéral de la Justice lors des consultations de l’automne dernier. Notre position est donc connue.

En ce qui concerne les distinctions, je pense qu’il y a toujours des cloisons. J’aimerais voir une unité et une uniformité plutôt que des groupes isolés, mais ce n’est que mon opinion.

La sénatrice McCallum : C’est bon à savoir. Merci.

Le président : Merci, sénateurs, merci, grands chefs. Je pense que toutes les questions ont été posées. C’est ce qui met fin à notre réunion. Nous tenons à remercier le grand chef Joel Abram, de l’Association of Iroquois and Allied Indians; le grand chef Garrison Settee et M. Michael Anderson, de la MKO; et M. Adam Bond, de l’Association des femmes autochtones du Canada.

(La séance est levée.)

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