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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 26 novembre 2020

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 10 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Mobina Jaffer, je suis sénatrice de la Colombie-Britannique et j’ai le plaisir de présider ce comité. Nous allons donc tenir une autre réunion hybride, et je vous remercie de nouveau, honorables sénateurs, de votre patience tandis que nous nous adaptons à cette nouvelle façon de nous réunir.

[Français]

Avant de commencer, j’aimerais vous faire part de plusieurs suggestions utiles. Je vous rappelle que, lorsque vous parlez, vous devez être sur la même chaîne que la langue dans laquelle vous parlez. Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler à la présidente ou au greffier, et nous nous efforcerons de résoudre le problème.

[Traduction]

Veuillez noter que nous devons suspendre la séance chaque fois qu’il faudra s’assurer que tous les sénateurs peuvent entendre.

Honorables sénateurs, je sais que vous voudrez poser des questions aux témoins. Je vous demande de ne faire signe au greffier que si vous n’avez pas de question. Je me permets de le répéter, honorables sénateurs, car la journée va être longue. Si vous n’avez pas de question, veuillez le signaler au greffier. Sinon, j’inviterai tous les membres du comité à poser des questions. Si vous n’êtes pas...

Le sénateur Plett : Est-ce que tout le monde a de la difficulté à l’entendre, ou est-ce seulement moi?

La présidente : Est-ce que tout le monde m’entend maintenant? D’accord, je vais essayer de parler très fort. Si vous ne m’entendez pas, sénateur Plett, levez la main, s’il vous plaît.

Je ne vais pas répéter ce que j’ai déjà dit si tout le monde est d’accord.

Nous allons commencer par la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, mais nous allons d’abord suspendre la séance quelques instants pour attendre la ministre.

M. Palmer : La ministre est ici et elle est prête.

La présidente : Honorables sénateurs, nous sommes maintenant prêts à accueillir la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, l’honorable Carla Qualtrough. Elle est accompagnée d’un des fonctionnaires...

M. Palmer : Sénatrice Jaffer, on me fait signe que nous ne vous entendons pas. Essayons de régler ce problème de son.

La présidente : D’accord.

Le sénateur Larry W. Campbell (vice-président) occupe le fauteuil.

Le vice-président : Nous allons maintenant passer à la ministre Qualtrough. Bienvenue, madame la ministre, qui êtes une collègue de la Colombie-Britannique. Je vous souhaite la bienvenue au nom du comité.

L’honorable Carla Qualtrough, c.p., députée, ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées : Présente! Pouvez-vous m’entendre maintenant?

Le vice-président : Oui, très bien.

Mme Qualtrough : Merci beaucoup, sénateur, pour cette présentation et merci à la sénatrice Petitclerc d’avoir parrainé ce projet de loi au Sénat. Permettez-moi de vous présenter Mme Krista Wilcox, directrice générale, Bureau de la condition des personnes handicapées, Emploi et Développement social Canada. Elle est là pour m’aider à répondre à vos questions.

Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le comité d’avoir accepté ma demande de participation par téléphone, mais je veux aussi vous dire officiellement à quel point je suis préoccupée par les difficultés que j’ai eues à y parvenir. En tant que personne handicapée et ministre responsable de l’inclusion des personnes en situation de handicap, j’ai trouvé inquiétant de me faire dire à mots couverts que ma demande était déraisonnable et de voir qu’on a essayé très fort, du moins au début, que je ne vienne pas témoigner.

Je vous invite officiellement à revoir vos mesures d’adaptation et à promouvoir une culture où les témoins se sentent inclus et appuyés. Croyez-moi, je ne cherchais pas à bénéficier d’un avantage injuste. Je voulais me mettre dans la meilleure situation possible pour pouvoir participer utilement à vos délibérations. Ayant témoigné devant les comités de la Chambre des communes et du Sénat à maintes reprises de cette façon, j’ai été surprise par la résistance qu’on m’a opposée.

Il n’est pas facile de demander un tel accommodement. On a parfois l’impression que cela exige beaucoup de courage. Si j’ai cette impression, moi qui suis ministre fédérale, qui occupe ces fonctions — avec les ressources dont je dispose et toute la confiance que j’ai de remettre en question l’orientation d’un groupe de sénateurs respectés — alors, quel signal envoyons-nous aux Canadiens en situation de handicap partout au pays? Tandis que nous discutons de questions touchant aux droits à l’égalité, comme ce que nous allons faire aujourd’hui, il est important de pouvoir entendre tous les courants d’opinion. Je ne m’éterniserai pas là-dessus, mais je vous encourage à considérer les demandes d’accommodement comme autant d’occasions d’inclure pleinement tout le monde.

Passons au sujet qui nous intéresse, soit le projet de loi C-7. À titre de ministre responsable de l’inclusion des personnes handicapées, j’œuvre pour m’assurer que les personnes en situation de handicap sont entendues sur cette question importante.

L’aide médicale à mourir est une question liée aux droits de la personne. Le projet de loi reconnaît les droits à l’égalité et à l’autonomie personnelle ainsi que la valeur inhérente et égale de la vie de chacun.

Les défenseurs des droits des personnes en situation de handicap luttent depuis longtemps pour ces droits. Il est fondamental de pouvoir prendre des décisions au sujet de sa propre vie. Notre histoire est parsemée d’exemples où l’autonomie individuelle et l’égalité de nos citoyens en situation de handicap ont été menacées, rejetées ou ignorées. Je peux vous assurer que ces préoccupations sont une priorité dans le contexte des travaux législatifs de grande importance que nous menons.

Le projet de loi proposé reconnaît explicitement les droits à l’égalité. Le préambule mentionne la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que les obligations du Canada à titre de signataire de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies.

Le préambule du projet de loi établit également une distinction claire entre les droits fondamentaux à l’égalité et les divers intérêts et valeurs sociétales qu’il faut mettre en balance avec la loi, par exemple l’enjeu important de santé publique que constitue le suicide. Autrement dit, nous voulions qu’il soit clair que la protection des droits à l’égalité sous-tend la loi.

Je veux mentionner un autre aspect important du préambule du projet de loi, soit l’importance d’adopter, à l’égard de l’inclusion des personnes en situation de handicap, une approche fondée sur les droits de la personne.

Ainsi, nous nous engageons à ce que les principes liés aux droits de la personne servent de guide à l’élaboration et à la mise en œuvre de nos systèmes, de nos programmes et de nos processus. Ceci est important parce que le plein exercice des droits que nous enchâssons dans la loi est fondé sur l’existence de systèmes et de structures qui ne créent pas en soi d’obstacles, qui ne sont pas discriminatoires et qui ne portent pas atteinte à ces droits.

J’aimerais ouvrir une parenthèse et parler de la Loi canadienne sur l’accessibilité, qui constitue, selon moi, la plus grande avancée en matière de droits des personnes en situation de handicap depuis l’adoption de la Charte.

L’article 6 de la Loi canadienne sur l’accessibilité énonce les principes directeurs, qui comprennent le droit de toute personne d’être traitée avec dignité, le droit de toute personne d’avoir concrètement la possibilité de prendre des décisions pour elle-même et le droit de toute personne à l’égalité des chances d’épanouissement, quels que soient ses handicaps.

Un autre principe directeur est le fait que les lois, les politiques, les programmes, les services et les structures doivent tenir compte des handicaps des personnes, des différentes façons dont elles interagissent dans leur milieu ainsi que des formes multiples et intersectorielles de discrimination et de marginalisation vécues par celles-ci.

Ces principes doivent nous servir de guide dans le contexte des travaux importants que nous avons entrepris par suite de la décision rendue par la Cour supérieure du Québec en 2019.

Comme nous le savons, le projet de loi C-7 propose une approche à deux volets pour l’aide médicale à mourir, ou AMM, les mesures de sauvegarde étant plus ou moins rigoureuses selon que la mort soit raisonnablement prévisible ou non. Vous avez entendu parler de l’assouplissement des mesures de sauvegarde dans les cas où la mort est raisonnablement prévisible. Nous espérons que ces changements permettront d’assurer une meilleure dignité dans la prise de décisions concernant la fin de vie.

Dans une situation où l’aide médicale à mourir est autorisée même si le décès de l’individu n’est pas raisonnablement prévisible, les mesures de sauvegarde sont plus rigoureuses. Deux médecins ou infirmières praticiennes doivent évaluer et confirmer l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, et l’un d’entre eux doit avoir une expertise à l’égard de l’affection en question.

La personne qui fait la demande doit aussi être informée des moyens disponibles et appropriés pour soulager ses souffrances — services de conseils, services de soutien en matière de santé mentale et d’invalidité, services communautaires et soins palliatifs — et elle doit se voir offrir la possibilité de rencontrer des professionnels qui offrent ces services. La personne et son médecin doivent avoir discuté de ces mesures, et ils doivent convenir que la personne les a sérieusement envisagées.

Enfin, l’évaluation de l’admissibilité doit s’échelonner sur une période d’au moins 90 jours, à moins que la perte de capacité soit imminente.

En cherchant à élargir l’accès à l’AMM, comme l’a demandé la Cour, nous étions très conscients de la nécessité que les Canadiens et les Canadiennes connaissent les options qui s’offrent à eux, de manière à s’assurer que leur consentement soit éclairé et qu’ils disposent d’un véritable choix.

J’ai parlé tout à l’heure des droits à l’égalité et du droit à l’autonomie. J’ai parlé d’une approche à l’égard de l’inclusion des personnes en situation de handicap fondée sur les droits de la personne. J’ai parlé de la possibilité concrète de prendre des décisions pour soi-même et de l’égalité des chances d’épanouissement. Si nos systèmes, nos processus, nos programmes et nos services n’offrent pas ces options, et si nos citoyens ne savent pas qu’ils disposent de ces options, alors leurs droits à l’égalité ne sont pas exercés pleinement.

Ce projet de loi reconnaît le rôle important que jouent les services de soutien social et communautaire et les services de soutien en matière de santé mentale et d’invalidité pour assurer le plein exercice des droits à l’égalité.

Il ne devrait pas être plus facile pour les personnes en situation de handicap d’avoir accès à l’AMM qu’à des services de soutien. Le projet de loi confère au médecin la responsabilité de s’assurer que la personne est informée des services de soutien qui s’offrent à elle.

Honorables sénateurs, la dure réalité, c’est que bon nombre de Canadiens et de Canadiennes qui ont un handicap ne vivent pas dans la dignité, en ce sens qu’ils ne disposent pas du soutien approprié, sont confrontés à des obstacles à l’inclusion et sont régulièrement victimes de discrimination.

Je sais que ce comité a entendu des groupes de défense des droits des personnes en situation de handicap parler de ces réalités, et qu’il s’inquiète du fait que ce projet de loi n’offre pas le choix qu’il prétend en l’absence de systèmes sous-jacents qui aident réellement les Canadiens et Canadiennes en situation de handicap à vivre dans la dignité. Plusieurs membres de votre comité ont communiqué avec moi à ce sujet.

J’ai également entendu ces préoccupations. Je les partage. Nous avons constaté, en cette période de pandémie, que bon nombre de nos systèmes sont loin d’appuyer et d’inclure véritablement toute la population canadienne. Les Canadiens et les Canadiennes qui ont un handicap demandent à bon droit aux gouvernements de corriger ces inégalités. Et nous sommes tenus de le faire.

Dans le récent discours du Trône, notre gouvernement s’est engagé à élaborer un plan pour l’inclusion des personnes en situation de handicap. Celui-ci comprend une prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap qui est inspirée du SRG, une stratégie d’emploi et une approche modernisée pour déterminer l’admissibilité aux programmes et aux services du gouvernement du Canada qui visent les personnes en situation de handicap. Le plan pour l’inclusion des personnes en situation de handicap est la prochaine étape importante pour faire avancer leurs droits et favoriser leur intégration. J’ai hâte de donner à l’ensemble de la population canadienne plus de renseignements à ce sujet au cours des prochains mois.

Avec ces initiatives, je crois que nous nous attaquons à certains des défis systémiques liés à cette question. Grâce à l’amélioration du soutien direct au revenu, nous sortirons de la pauvreté de nombreux Canadiens et Canadiennes en situation de handicap en âge de travailler. En supprimant les obstacles à l’emploi, nous leur offrons la dignité, l’indépendance et l’autosuffisance. En modernisant l’approche du gouvernement fédéral en matière de soutien et de programmes pour les personnes en situation de handicap, nous élargissons et améliorons notre capacité à fournir directement des services utiles à nos citoyens en situation de handicap.

Toutefois, il reste encore tellement plus à faire. Bon nombre des mesures de soutien figurant dans le projet de loi C-7 relèvent principalement de la compétence des provinces, c’est pourquoi je travaille avec mes collègues des provinces et territoires. Il est grand temps d’engager un débat national sur la modernisation — je dirais même la refonte et la reconception — des mesures de soutien et des services à l’intention des personnes en situation de handicap.

Avant de conclure, j’aimerais mentionner qu’il est essentiel de pouvoir compter sur un régime fédéral robuste pour la surveillance et la collecte de données sur l’AMM. Il nous faut des données nationales fiables qui favorisent la responsabilité et améliorent la transparence de la mise en œuvre. Honnêtement, nous devons aussi mieux comprendre qui bénéficie de l’AMM et pourquoi. C’est primordial pour les personnes en situation de handicap. Il est de notre devoir à tous de veiller à ce que les règlements qui découleront du projet de loi permettront qu’une analyse des données complète soit effectuée.

Honorables sénateurs, nous sommes saisis d’un projet de loi qui vise à établir un équilibre entre l’accès à l’aide médicale à mourir, pour que les personnes qui choisissent cette option puissent le faire sans obstacle indu, et les mesures de sauvegarde, pour faire en sorte que cette décision soit prise de façon véritablement éclairée et volontaire.

J’imagine que vous pouvez entendre le poids de cette question dans ma voix et que vous ressentez cette pression vous aussi. Il s’agit d’une question profondément personnelle. Pour beaucoup de nos citoyens en situation de handicap, elle est existentielle. Tant pour ceux qui préconisent un accès accru à l’AMM que pour ceux qui plaident pour un retour à un régime de fin de vie, il s’agit fondamentalement de droits à l’égalité. Il s’agit de respecter l’autonomie personnelle et de garantir la valeur inhérente et égale de chaque vie.

Je terminerai par un commentaire personnel. Comme vous le savez, je vis avec un handicap. Comme beaucoup de mes amis. Tout comme beaucoup de nos parents et de nos enfants. Chaque jour, nous, les Canadiens et Canadiennes en situation de handicap, entendons des commentaires du genre « Je ne pourrais jamais vivre comme ça ». « Je préférerais être mort plutôt que de vivre comme ça », « Comment pouvez-vous vivre de cette façon? ». Nous sommes confrontés à la stigmatisation, aux stéréotypes et à l’ignorance. C’est la toile de fond de ces conversations.

Alors que nous parlons de l’AMM et des modifications au Code criminel imposées par les tribunaux — dans un environnement fédéral où la question de compétence rend difficile, mais non impossible, l’amélioration des systèmes — les outils à notre disposition semblent émoussés. Mais nous avons vraiment des moyens de remédier aux inégalités systémiques sous-jacentes. Nous allons vraiment de l’avant en améliorant nos systèmes afin que nos citoyens disposent d’options et de choix significatifs, afin que chacun puisse se construire la vie qu’il souhaite.

Je répondrai aux questions avec plaisir. Merci!

Le vice-président : Merci beaucoup, madame la ministre. Nous allons commencer par la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc. Je crois que vous avez cinq minutes. Allez-y, madame la sénatrice.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup, madame la ministre, d’être parmi nous aujourd’hui, d’avoir consacré du temps à ce projet de loi et aussi de vous être rendue disponible à ceux qui avaient besoin de communiquer avec vous, dont moi-même.

Aujourd’hui, je souhaiterais — vous en avez fait mention dans votre allocution préliminaire — que vous approfondissiez un peu et nous donniez plus de détails sur le deuxième volet de mesures de sauvegarde, c’est-à-dire la période d’évaluation de 90 jours et l’obligation de donner de l’information sur les différents moyens et services de soutien qui existent.

J’aimerais que mes collègues aient un aperçu du processus que vous avez suivi en vue de déterminer ces mesures de sauvegarde, c’est-à-dire la consultation, la participation des personnes handicapées, la prise en considération de l’expérience de pays étrangers. Lorsqu’il s’agit des droits à l’autonomie et de la nécessité de mesures de sauvegarde, estimez-vous que ce projet de loi protège les droits?

Mme Qualtrough : Wow, d’accord. Je vous remercie, madame la sénatrice, de toutes ces questions.

La sénatrice Petitclerc : C’est moi qui vous remercie.

Mme Qualtrough : J’espère pouvoir vous donner une réponse complète. Je sais qu’il y aura des questions de suivi si j’omets un élément de votre question.

Historiquement, comme vous le savez tous, la nécessité de légiférer résulte principalement de décisions judiciaires. Ce n’est pas le gouvernement qui a pris l’initiative d’ouvrir ce débat sur l’aide médicale à mourir ou qui avait pris quelque engagement dans ce sens. Après avoir décidé de ne pas en appeler de l’arrêt Truchon — et je suis heureuse que vous ayez eu des discussions à ce sujet avec le ministre de la Justice plus tôt cette semaine —, nous avons mené une consultation, je dirais exhaustive, bien que de courte durée, auprès des Canadiens sur ce qui se préparait, sur le chemin parcouru depuis 2016 afin de connaître les préoccupations des gens et de voir de quelle façon modifier la loi de manière à continuer de tenir compte, d’une part, de l’autonomie des personnes et du besoin d’un meilleur accès et, d’autre part, des préoccupations très légitimes au sujet d’éventuelles perceptions négatives entourant la valeur relative accordée à une vie par rapport à une autre.

Nous avons consulté largement. Nous avons mené un sondage auprès de 300 000 personnes. Nous avons tenu des consultations auprès de personnes en situation de handicap. Nous avons consulté des experts dans — je ne me souviens plus trop bien — sept villes, peut-être neuf, pour tenter d’établir un équilibre entre tous les différents intérêts en jeu.

En décidant que la prévisibilité raisonnable de la mort naturelle ne serait plus un critère pour contrôler l’accès à l’AMM, mais plutôt un critère pour décider quelle voie les gens — quelles mesures de sauvegarde particulières seraient en place, est probablement une meilleure façon de l’exprimer —, nous cesserons d’avoir un régime de fin de vie au Canada. Des mesures de sauvegarde précises sont prévues, selon que la mort d’une personne est raisonnablement prévisible ou qu’elle ne l’est pas.

Nous avons été informés très clairement des circonstances socioéconomiques plus générales qui pourraient amener une personne, particulièrement une personne souffrante, à envisager l’aide médicale à mourir et nous voulions approfondir la question. Nous avons donc parlé à des experts, comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, au sujet du lien entre, d’une part, les services, soutiens, options et choix et, d’autre part, la prestation de l’AMM. Ce que nous avons fait dans ce projet de loi, je crois, c’est de faire ressortir le lien très important entre l’accès — le fait de savoir que ces soutiens existent et d’y avoir accès — et le choix de l’aide médicale à mourir.

Je pense que plus nous en viendrons à voir, non pas un choix entre une vie de pauvreté, de solitude et de malheur dans l’AMM, mais plutôt un choix d’accomplissement, d’emploi, de bonheur et de soutien dans l’AMM, plus nous nous rapprocherons de la pleine réalisation de nos droits à l’égalité en tant que citoyens en situation de handicap.

La question est compliquée. Comme je l’ai dit, le Code criminel est un outil très approximatif. Je pense qu’en faisant mention, dans le préambule, de la Convention des Nations unies, de la Charte et d’une approche fondée sur les droits de la personne pour l’inclusion des personnes handicapées, nous y arriverons. Mais d’une certaine façon, nous n’en sommes pas encore là.

Le vice-président : Merci, madame la ministre.

Mme Qualtrough : Désolée, monsieur le sénateur. J’ai tendance à m’étendre longuement sur les sujets qui me paraissent importants.

Le vice-président : Ce n’est pas du tout un problème.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte sur l’exclusion des personnes atteintes d’une maladie mentale. Je regarde ce que dit le site du gouvernement du Canada actuellement sur l’aide médicale à mourir et on dit en parlant de la maladie mentale et de l’incapacité physique et en fonction de la loi actuelle, et je cite :

Si vous êtes atteint d’une maladie mentale ou d’une incapacité physique et désirez obtenir l’aide médicale à mourir, vous pourriez être admissible. L’admissibilité est évaluée au cas par cas en examinant toutes les circonstances pertinentes.

C’est la situation actuelle. Le projet de loi C-7 propose d’exclure une catégorie, soit la catégorie des personnes atteintes uniquement de maladie mentale. Pourquoi priver de droits cette catégorie de personnes sans étudier la possibilité d’évaluer la situation au cas par cas, comme cela se fait actuellement?

[Traduction]

Mme Qualtrough : Je vous remercie, monsieur le sénateur, de votre question. C’est un sujet très important. Le projet de loi C-7 propose précisément de rendre inadmissibles à l’aide médicale à mourir les personnes dont le seul problème médical est une maladie mentale, et c’est un réel changement. Ayant participé à un grand nombre de consultations, je peux vous dire qu’il n’y a pas de consensus à ce sujet, et nous avons estimé qu’il était plus prudent, pour le moment, d’attendre l’examen parlementaire plus général pour nous attaquer à cette question particulière.

La prestation de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes seulement d’une maladie mentale comporte des complexités et des risques importants, notamment du fait que l’évolution d’une maladie mentale est généralement plus difficile à prédire que celle des maladies physiologiques. Nous voulions nous assurer de bien faire les choses.

Monsieur le sénateur, je vous suis reconnaissante d’avoir exprimé votre point de vue sur cette question. Nous savons que le Conseil des académies canadiennes reconnaît également ces difficultés, et nous sommes convaincus que l’examen parlementaire du projet de loi C-14 permettra de régler cette question une fois pour toutes.

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous ne trouvez pas cela un peu spécial ou dangereux de faire de la discrimination sur la base de consultations, parce que les consultations ne sont pas claires? Ce que j’entends de la part du gouvernement, c’est : « Il n’y a pas consensus », « C’est un peu compliqué » et « On n’est pas sûrs ». Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut pas discriminer les gens sur cette base.

Mme Qualtrough : Je comprends absolument, sénateur...

Le sénateur Carignan : On ne gouverne pas par sondage et on ne discrimine pas par sondage non plus.

[Traduction]

Mme Qualtrough : Je sais que cette question a été abordée par le ministre de la Justice, et je m’en remets à son analyse juridique de la constitutionnalité de cette disposition. Je vais vous parler davantage de considérations d’intérêt public liées à la complexité et à l’absence de consensus, étant entendu que nous sommes en train d’étudier ce projet de loi et qu’il y aura une discussion sur cette question plus approfondie qu’au cours de l’examen parlementaire, qui nous est apparu insuffisant.

Le sénateur Carignan : Merci.

Le sénateur Dalphond : Merci, madame la ministre, de votre exposé très intéressant. En mon nom et au nom du groupe, je vous présente mes excuses pour les difficultés que vous avez mentionnées au sujet de votre comparution devant le comité aujourd’hui.

Dans votre exposé, vous avez fait état à trois faits qui ont été soulevés par de nombreux témoins qui ont comparu devant le comité jusqu’à maintenant. Premièrement, le manque persistant d’accès égal au soutien et aux soins de santé pour les personnes en situation de handicap partout au Canada; deuxièmement, le fait que ces personnes sont encore malheureusement confrontées à des préjugés et à des stéréotypes systémiques; troisièmement, le manque de données complètes sur les personnes qui ont eu recours à l’aide médicale à mourir et les raisons pour lesquelles elles l’ont fait. Dans ces circonstances, madame la ministre, que répondez-vous à ceux qui disent qu’il est téméraire ou imprudent d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir, surtout pour les personnes en situation de handicap?

Mme Qualtrough : Merci, monsieur le sénateur, de votre question. Je suis aussi préoccupée par le fait que nos systèmes et nos mesures de soutien sont défaillants. En fait, comme d’autres populations marginalisées au Canada, il y a une discrimination systémique à l’endroit des citoyens en situation de handicap au pays. Je ne chercherai pas à éviter les discussions que nous devons avoir aux niveaux fédéral et provincial pour faire face à ces réalités.

Ce que j’entends aussi de la part des personnes en situation de handicap, c’est l’ironie, presque, ou le double péril éventuel, de refuser quelque chose à quelqu’un parce qu’on lui a déjà refusé quelque chose. Je ne sais pas si c’est logique — ce l’est dans mon esprit —, mais selon ce raisonnement, nous disons que nous n’offrirons pas l’accès à l’aide médicale à mourir parce que nous n’avons pas fourni suffisamment de soutien. C’est l’argument ou la préoccupation de causer un double tort qui m’interpelle.

Cela dit, en exigeant dans le projet de loi que les gens soient informés de leurs options et qu’ils les aient examinées, nous incitons à améliorer ces mesures de soutien et ces systèmes. Entretemps, cependant, je ne peux pas justifier qu’on refuse quelque chose parce qu’on n’offre pas autre chose.

Le sénateur Dalphond : Dois-je comprendre que vous vous attendez à ce que ces mesures améliorent l’accès aux soutiens et aux soins pour les personnes en situation de handicap?

Mme Qualtrough : Ce que je comprends, c’est que je sonne l’alarme et que je rappelle l’obligation de tous les ordres de gouvernement de fournir ce soutien. C’est certainement la raison pour laquelle nous essayons de régler certains de ces problèmes en apportant un soutien direct du revenu aux personnes en situation de handicap, qui prendra la forme d’une prestation canadienne d’invalidité. Je pense que cela, en soi, donnera plus d’options aux gens du fait que cet investissement permettra à tellement d’entre eux de sortir de la pauvreté. Oui, il y a beaucoup à faire, et nous avons beaucoup de terrain à rattraper.

Le sénateur Dalphond : Merci.

La sénatrice Batters : Madame la ministre, outre que vous êtes la ministre responsable de l’inclusion des personnes handicapées, vous êtes avocate et, comme vous l’avez dit, vous vivez avec un handicap. Au cours de notre étude du projet de loi C-7, de nombreux membres de la communauté des personnes en situation de handicap ont exprimé des préoccupations alarmantes devant le fait que la suppression des critères de fin de vie prévue dans le projet de loi C-7 le rendra inconstitutionnel parce qu’il enfreint l’article 15 et porte atteinte aux droits à l’égalité des personnes en situation de handicap. Il y aurait discrimination à leur endroit. Mme Krista Carr, d’Inclusion Canada, nous a dit que, parce que le projet de loi C-7 supprime les critères de fin de vie, c’est le seul critère d’AMM actuellement dans le projet de loi C-14 qui ne s’appliquerait pas couramment à beaucoup de personnes en situation de handicap au Canada. La professeure de droit à l’Université d’Ottawa, Mme Elizabeth Sheehy, fait écho à cette préoccupation.

Madame la ministre, en tant qu’avocate et ministre responsable de l’inclusion des personnes handicapées, pourquoi persistez-vous à essayer de faire adopter ce projet de loi qui, selon de nombreux membres de la communauté des personnes en situation de handicap, est discriminatoire à leur égard et sera probablement rejeté comme inconstitutionnel?

Mme Qualtrough : Merci, madame la sénatrice, de ces questions importantes et difficiles. Je m’en remets encore une fois à mon collègue, le procureur général, pour ce qui est de la constitutionnalité. Je ne pense pas qu’il soit approprié que je me prononce en tant qu’avocate, mais je peux vous dire que je suis au courant de ces préoccupations. Je sais qu’il y a d’importantes discussions en cours dont il ressort que, d’une certaine façon, le projet de loi C-7 crée une catégorie discriminatoire de personnes qui auraient accès à l’aide médicale à mourir en raison d’une caractéristique personnelle, simplement parce qu’elles ont un handicap.

Je me suis penchée sur la question. Personnellement, je crois que le critère d’admissibilité, précisément, est un problème de santé grave et irrémédiable qui comporte trois éléments précis, soit un état grave et incurable, un déclin avancé et irréversible et des souffrances physiques et psychologiques persistantes. Cela signifie qu’il n’englobe pas toutes les personnes en situation de handicap. Ces trois exigences précises pour déclarer un problème de santé grave et irrémédiable concernent un sous-ensemble de personnes en situation de handicap, c’est certain, mais seulement celles atteintes d’une maladie incurable importante. Une définition large de l’invalidité engloberait tout le monde, mais ne m’inclurait pas du simple fait que je ne vois pas. Je n’aurais pas accès à l’aide médicale à mourir à moins de répondre aux autres critères, à savoir que mon état est grave et incurable, que mon état de déclin est avancé et irréversible et que j’éprouve des souffrances physiologiques ou physiques persistantes et intolérables. C’est un sous-ensemble du groupe.

La sénatrice Batters : Désolée de vous interrompre. Je voudrais poursuivre.

Mme Qualtrough : Allez-y, s’il vous plaît. Je m’excuse.

La sénatrice Batters : La période d’attente de 10 jours, lorsque la mort est raisonnablement prévisible, est une mesure de sauvegarde que les défenseurs des personnes en situation de handicap tiennent mordicus à préserver. Nous avons entendu le gouvernement parler des scénarios habituels et de cas qui se présentent souvent. On fait valoir, par exemple, qu’il arrive souvent qu’une personne prenne la décision après des années de réflexion et de consultation et que le délai de 10 jours est inutilement cruel. Cependant, ne convenez-vous pas que les mesures de sauvegarde ne sont pas destinées à des cas clairs, mais plutôt à prévenir le pire des scénarios, un décès injustifié, et à protéger les plus vulnérables?

Mme Qualtrough : Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que l’objectif des mesures de sauvegarde est de protéger les personnes les plus vulnérables, non celles qui correspondent à un modèle idéal de situation factuelle vérifiable. Mais nous avons entendu dire que la période de réflexion de 10 jours n’avait pas l’effet de sauvegarde qui était envisagé dans le projet de loi C-14. On nous a rapporté honnêtement des cas de gens qui avaient subi le processus d’évaluation, dont la demande avait été évaluée et approuvée, qui avaient pris leur décision après en avoir parlé à leur famille et dont les souffrances avaient été prolongées.

Bien honnêtement, je ne me souviens pas — je ne dis pas que cela ne s’est jamais produit —, mais je ne me souviens pas que quelqu’un m’ait dit que c’était une mesure de sauvegarde qui avait l’utilité prévue. Cette décision a été prise pour permettre une démarche décisionnelle plus digne en fin de vie et éviter que les gens cessent de prendre leurs médicaments pour préserver leur aptitude à consentement. La décision n’a pas été prise à la légère, mais nous avons entendu très souvent que la période de réflexion de 10 jours n’avait pas l’effet de sauvegarde escompté.

La sénatrice Batters : Soixante-douze organismes au service des Canadiens en situation de handicap de partout au pays ont signé une lettre publique exhortant le gouvernement à en appeler de l’arrêt Truchon rendu par le tribunal de première instance au Québec. Ils ont donné plusieurs raisons pour lesquelles le fait de ne pas interjeter appel serait désastreux pour les personnes handicapées, notamment :

La décision consacrera les stéréotypes et exacerbera la stigmatisation des Canadiens handicapés, contribuant ainsi à l’adversité et à l’oppression vécues par ce groupe vulnérable.

En tant que ministre responsable de l’inclusion des personnes handicapées, vous êtes évidemment au courant des principales préoccupations que cette communauté, y compris toutes les grandes organisations nationales qui la représentent, a fait connaître au gouvernement.

Pourriez-vous, s’il vous plaît, nous dire quelles préoccupations précises exprimées dans cette lettre ont été jugées non valables par le gouvernement quand il a décidé de ne pas interjeter appel de l’arrêt Truchon, du moins devant la Cour d’appel du Québec?

Mme Qualtrough : Merci de la question. Je sais que le ministre de la Justice a expliqué de façon plus détaillée la décision de ne pas interjeter appel.

Je peux vous dire que je me préoccupais d’assurer un examen inclusif pour la suite des choses. Je crois fermement que le processus parlementaire est un processus plus inclusif que le processus judiciaire dans les situations de ce genre, où nous voulons que les décideurs de la politique publique… Je ne serais pas ici aujourd’hui, par exemple, pour cette discussion si nous avions interjeté appel. Nous ne savons pas où nous en serions. Nous n’aurions pas entendu toutes les voix qui se sont fait entendre.

Il était tout à fait justifié, compte tenu surtout des préoccupations préexistantes entourant la constitutionnalité de ce régime, d’aller de l’avant au Parlement afin d’améliorer ce texte législatif, plutôt que de tout paralyser devant les tribunaux, sans certitude du résultat, pendant nombre d’années, puis finalement de se retrouver exactement là où nous en sommes aujourd’hui.

Depuis cette décision, j’ai travaillé très fort pour inclure tout le monde et m’assurer que toutes les voix, tous les experts et penseurs qui avaient besoin et qui voulaient se faire entendre sur cette question, aient l’espace nécessaire pour le faire.

Le sénateur Cotter : Merci beaucoup, madame la ministre, d’être venue nous faire part de vos points de vue sur le projet de loi et sur l’ensemble des circonstances qui posent très certainement des difficultés pour de nombreux secteurs de notre société et de nos collectivités.

J’ai essentiellement deux questions ou préoccupations. La première prend la forme d’une déclaration, mais je vous invite à y répondre.

En ce qui concerne l’exclusion de la maladie mentale découlant du projet de loi, votre position porte entièrement sur les politiques. Cependant, l’un des points que divers sénateurs ont fait valoir, dont le sénateur Carignan, c’est qu’il ne s’agit pas tant d’une question de politique que d’une question constitutionnelle et que le choix que vous faites de la cantonner dans la sphère des politiques ne laisse à certaines personnes qui se sentiront exclues sur le plan constitutionnel d’autre option que de s’adresser aux tribunaux. Nous aurons alors une autre série de litiges constitutionnels sur cette question. J’ai l’impression que vous ne prenez pas suffisamment au sérieux la dimension constitutionnelle de cette question.

Voici ma deuxième question. Elle concerne moins le projet de loi, auquel je suis généralement favorable, et davantage les services offerts aux personnes en situation de handicap. Permettez-moi de faire une petite analogie. Au cours des 10 derniers mois environ, nous avons été confrontés à un énorme défi en raison de la pandémie de la COVID. Du fait des politiques gouvernementales, fédérales et provinciales, des gens ont, nécessairement, cessé de travailler et des entreprises ont été fermées ou rendues très vulnérables. Nous avons donc mis en place, grâce au très bon travail de vos collègues et de vous-même, des filets de sécurité pour atténuer les répercussions de l’action gouvernementale. C’est tout à votre crédit. C’était la chose à faire.

Dans ce projet de loi, nous donnons aux personnes en situation de handicap la possibilité d’avoir accès à un programme particulier, mais en créant, du moins c’est ce que les organismes les représentant disent haut et fort, une plus grande vulnérabilité. Ce qui m’inquiète, c’est que vous n’apportez pas les ressources fédérales ciblées que vous insistez être nécessaires, non seulement pour améliorer un peu la situation financière des gens, ce qui est une bonne initiative, mais aussi pour réduire cette vulnérabilité qui caractérise toutes les autres dimensions de leur vie.

Il me semble que si vous prenez une mesure comme celle-ci, vous devez réagir de façon à ce que les deux côtés de l’équation de l’autonomie soient soulevés. Je ne vois pas vraiment un engagement dans cette conversation. C’était ma question. Merci.

Mme Qualtrough : Merci, monsieur le sénateur. Je commencerai par préciser que je me concentre sur les considérations d’intérêt public, particulièrement dans mon explication de l’exclusion de la maladie mentale. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas sérieusement examiné l’aspect constitutionnel. Par respect pour mon collègue, le ministre de la Justice, je m’en remettais à la constitutionnalité. Mais je peux vous assurer que nous avons dûment tenu compte de ces considérations et que nous avons déposé une déclaration sur la constitutionnalité à la Chambre des communes. Si je ne m’abuse, le ministre de la Justice a offert de fournir une analyse plus approfondie au comité, si vous le souhaitez. Si vous voulez accepter son offre, je suis sûre qu’il se fera un plaisir de vous remettre cette information.

Je suis d’accord avec vous dans le cas des services. Permettez-moi de souligner une fois de plus l’engagement récemment exprimé dans le discours du Trône au sujet de la stratégie d’emploi avec prestations pour les personnes en situation de handicap et de la modernisation de l’approche fédérale à l’égard des personnes en situation de handicap. Je peux vous assurer que nous investissons dans le logement. Nous investissons dans les préposés aux services de soutien à la personne. Nous investissons dans le soutien en santé mentale. Nous investissons dans les soins palliatifs. Nous investissons dans les organismes de services communautaires qui offrent du soutien aux Canadiens en situation de handicap.

J’ai l’impression de travailler la plupart du temps avec Mme Freeland et son équipe pour veiller à ce que les initiatives et les mesures que le gouvernement propose soient considérées du point de vue des personnes en situation de handicap afin d’axer nos investissements sur elles. Nous répartissons les investissements là où il le faut. Nous veillons à ce que nos critères soient aussi inclusifs que possible afin de bien comprendre, dans tout ce que nous faisons, les répercussions que ces mesures auront sur les personnes en situation de handicap.

Nous nous efforçons désespérément d’en faire le plus possible.

Le sénateur Cotter : J’aimerais poser brièvement une autre question, monsieur le président. Faites-vous de nouveaux investissements en réponse à l’initiative du projet de loi C-7?

Mme Qualtrough : Je dirais, monsieur le sénateur, que notre discours du Trône a déclenché l’approche que nous adoptons dans notre plan d’inclusion des personnes en situation de handicap. C’est précisément ce que nous vous disons aujourd’hui. Nous savons que nous devons renforcer nos soutiens et réparer nos systèmes. Nous avons ici une occasion directe de le faire sans sous-entendre que c’est assez et qu’il n’est pas nécessaire d’en faire plus.

Le vice-président : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, madame la ministre, d’être parmi nous aujourd’hui. Je déplore vraiment les problèmes que vous avez eus et même le fait que vous ayez dû demander un accommodement pour comparaître devant un comité du Sénat. Je trouve cela inacceptable que cela n’aille pas de soi. Je tenais à vous le dire. Je trouve cela regrettable. Je déplore la situation.

J’aimerais vous ramener à la situation de Mme Gladu et M. Truchon, qui sont allés devant les tribunaux parce que le Parlement fédéral avait répondu à la décision Carter, qui établissait que les souffrances d’une personne étaient le seul critère à prendre en compte pour lui permettre d’avoir accès à l’aide médicale à mourir. La loi québécoise, qui a précédé la loi fédérale, comporte aussi une exigence de fin de vie. Le Parlement fédéral maintenait le critère de « mort naturellement prévisible ». Selon les ordres professionnels qui réglementent les collèges des médecins provinciaux, c’est un concept ambigu et vague et il ne peut pas être régulé. Nous avons donc l’expérience d’un concept qui n’est pas facilement applicable.

On a reconnu que les personnes qui ont un handicap peuvent, de la même manière que n’importe quel citoyen, avoir accès à l’aide médicale à mourir, ce qui est reconnu comme un droit constitutionnel. Pourquoi revient-on en arrière avec le projet de loi C-7 en réintroduisant un concept qui ne fait pas consensus et qui ne peut être ni défini ni régulé par les médecins?

[Traduction]

Mme Qualtrough : Je vous remercie pour votre question, madame la sénatrice. Comme vous le savez tous, la prévisibilité raisonnable de la mort naturelle n’est plus un critère d’admissibilité aux termes du projet de loi C-7. Il sert plutôt à déterminer quelles mesures de protection s’appliquent à chaque demande d’AMM. Après avoir consulté des médecins, des intervenants, des particuliers et des familles, nous avons compris qu’il nous faudrait trouver un moyen de permettre aux personnes qui sont en phase de fin de vie de mourir dans la dignité tout en imposant des mesures de protection plus rigoureuses à celles qui ne le sont pas.

On nous a dit que malgré l’ambiguïté, les médecins et les praticiens de l’aide médicale à mourir en sont venus à mieux comprendre et à définir en quoi consiste une mort naturelle raisonnablement prévisible. Ils nous ont demandé d’accorder un lien temporel plus souple et non un échéancier précis, car le médecin soignant est mieux placé que tout autre pour entrevoir l’évolution de la maladie dans la vie de la personne.

Je dirais que le déclin de la vie des gens suit une trajectoire qui n’est souvent pas clairement prévisible. Certains praticiens nous ont dit que la meilleure façon de procéder, si nous voulions imposer des mesures de protection en fonction des circonstances, serait de conserver notre critère de mort naturelle raisonnablement prévisible, ou MRP, parce qu’il évoque une notion déjà familière et accorde une certaine souplesse. Ils nous suggèrent ensuite d’adapter les mesures de protection en fonction de la MRP que le médecin soignant détermine en fonction des circonstances de la personne qui fait la demande.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Madame la ministre, dans le cadre de vos consultations, avez-vous eu l’occasion de consulter les gens qui font fonctionner le régime québécois d’aide médicale à mourir depuis un certain nombre d’années maintenant?

Des témoins nous ont fait part de leurs grandes craintes en ce qui a trait aux possibles dérapages, et ces craintes sont légitimes. Cependant, ce n’est pas du tout le discours des témoins — médecins, avocats ou autres — qui ont comparu devant le comité, qui ont eu ou qui ont l’expérience du régime québécois d’aide médicale à mourir. Avez-vous eu l’occasion de les consulter?

[Traduction]

Mme Qualtrough : Oui, madame la sénatrice. En fait, j’ai participé à la consultation de Montréal. Nous avons entendu deux praticiens du Québec qui s’inquiétaient du fait que l’élargissement des critères inciterait des médecins à ne plus pratiquer l’AMM, parce qu’en passant au-delà d’un régime de fin de vie, la loi les mettrait mal à l’aise. Cependant, nous avons aussi entendu des médecins qui craignaient que la loi définisse la MRP en fonction d’un échéancier, d’un certain nombre de mois. Si la personne n’est pas décédée dans les 9, 12 ou 18 mois qui suivent, le lendemain elle perd son accès aux mesures de protection ou la loi lui impose des critères plus rigoureux.

Les nombreuses consultations et conversations auxquelles j’ai participé m’ont convaincue que les praticiens désirent conserver la souplesse du cas par cas afin de tenir compte de l’ensemble des circonstances de la personne qui demande l’AMM en déterminant si sa mort naturelle est raisonnablement prévisible.

Le vice-président : Merci, madame la ministre.

Le sénateur Plett : Madame la ministre, je vous remercie d’être venue. Vous avez senti le besoin, dans votre déclaration préliminaire — soit dit en passant, je suis d’accord avec vous —, de parler du respect que nous devons aux ministres qui se présentent ici et, en fait, aux témoins qui comparaissent devant nous.

J’espère que tous mes collègues prendront cet avertissement au sérieux. J’ai été déçu, hier, lorsque des sénateurs ont remis en question les titres de compétence de certains témoins parce que leurs points de vue différaient de ceux de ces honorables sénateurs. J’espère donc qu’ils prendront tous cet avertissement au sérieux et je vous remercie, madame la ministre, d’avoir soulevé cette préoccupation.

Madame la ministre, comme vous le savez sans doute, M. Roger Foley, un Canadien en situation de handicap, a témoigné devant le Comité de la justice de la Chambre des communes. Un médecin lui avait offert le suicide assisté alors qu’il s’informait simplement des conditions de logement qui lui conviendraient. Il a enregistré cet incident, qui s’est rapidement répandu dans les médias. Cet incident a même profondément préoccupé la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées.

Madame la ministre, reconnaissez-vous la différence de pouvoir entre médecin et patient? Comment réagissez-vous en entendant dire qu’un médecin offre le suicide assisté à un patient vulnérable qui n’a pas demandé de mettre fin à ses jours? Croyez-vous qu’il devrait y avoir une limite au nombre de fois qu’un médecin peut offrir le suicide assisté à un patient handicapé qui n’y a manifesté aucun intérêt?

J’ai une autre question à poser, madame la ministre, mais je vais vous demander de répondre à celle-ci avant.

Mme Qualtrough : Merci, monsieur le sénateur. Je suis tout à fait consciente de l’écart du pouvoir entre les médecins et les patients, surtout pour ceux contre qui les systèmes pratiquent de la discrimination et qui se sentent ignorés tout au long de leur vie. La situation de la personne dont vous parlez me préoccupe profondément. Je vous dirai franchement que cet homme est loin d’être le seul. J’entends régulièrement des familles scandalisées que le médecin qu’elles ont consulté pour leur enfant handicapé d’âge adulte ait suggéré l’aide médicale à mourir alors que ni la famille ni l’enfant n’ont manifesté l’intérêt de mettre un terme à la vie de cet enfant. Cela doit cesser. Il faut abolir cette pratique professionnelle en ajoutant des clauses aux règlements et en collaborant avec les ordres professionnels.

Cet incident témoigne d’une discrimination systémique sous-jacente que nous ne pouvons plus ignorer dans ce pays. Si ces conversations difficiles produisent des résultats bénéfiques, j’espère que ce sera cela. J’espère que nous trouverons moyen de mieux traiter ces citoyens.

Comme je l’ai dit, monsieur le sénateur, le Code criminel est un instrument très massif pour s’attaquer à la discrimination dans les systèmes de santé provinciaux. Je le reconnais, et nous collaborons avec nos homologues pour remédier à cette situation.

Le sénateur Plett : Madame la ministre, d’autres gouvernements ont reconnu cet écart de pouvoir et l’ont enchâssé dans leurs lois en exigeant que les discussions sur le suicide assisté soient dirigées par les patients. Je me demande pourquoi le projet de loi ne contient pas de disposition qui donne plus de certitude. Pour protéger les personnes vulnérables contre la coercition subtile, comme dans le cas de M. Foley, votre gouvernement a-t-il envisagé d’ajouter à ce projet de loi que les discussions sur le suicide assisté doivent être dirigées par les patients? Si oui, pourquoi votre gouvernement a-t-il fini par rejeter cela?

Mme Qualtrough : Merci. Tout d’abord, monsieur le sénateur, ne pensez pas que cela a été rejeté parce qu’on ne le trouve pas dans le projet de loi C-7. Je vous prie de ne pas déduire cela, et n’en parlons plus. Je le répète, nous avons ici l’occasion de discuter de l’arrêt Truchon, ce qui exclut toute autre conversation importante, et celle-ci en serait une.

Le sénateur Plett : Madame la ministre, seriez-vous en faveur d’un amendement à cet effet dans le projet de loi, pour y ajouter une certaine certitude? Je ne suis pas avocat, bien entendu, mais je suis sûr qu’il y aurait moyen d’amender le projet de loi pour régler ce problème. Madame la ministre, à titre de ministre responsable, appuieriez-vous cet amendement?

Mme Qualtrough : Personnellement, du point de vue philosophique, j’appuie tout ce qui peut améliorer nos lois et je suis ouverte à l’idée de considérer cela, oui, monsieur le sénateur. Évidemment, je n’ai pas l’analyse juridique devant moi. Je ne sais pas si nos consultations à ce sujet ont été assez approfondies. Toutefois, je vous promets d’examiner cette question après ma comparution devant ce comité.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup, madame la ministre.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup d’être venue, madame la ministre. Je remercie aussi la sénatrice Petitclerc et Mme Wilcox pour leur travail sur ce projet de loi.

Je tiens également à me joindre à mes collègues pour vous présenter mes excuses pour l’incident que vous avez subi en vous joignant à nous. J’ai été vraiment désolée d’apprendre ce qui s’est produit. Je me joins à mes collègues pour vous assurer que nous ferons tout pour que cela ne se reproduise plus jamais.

Vous le savez bien — et vous avez activement participé à l’intervention, madame la ministre —, tant avant que pendant la pandémie, de nombreuses personnes au pays ont fait face à des défis incroyables. Nous avons découvert d’énormes lacunes dans notre structure économique ainsi que dans nos systèmes de santé et de services sociaux. Je vous remercie d’avoir dirigé les efforts visant à respecter les besoins et les droits des personnes en situation de handicap et de toutes les personnes marginalisées afin de leur ouvrir l’accès à des soins adéquats.

Je vais vous poser la question que j’ai posée à vos collègues. Je trouve profondément troublant que le projet de loi C-7 enchâsse dans la Loi canadienne sur la santé le droit d’accès à l’aide médicale à mourir parmi les services de base. Pourtant, comme nous l’avons entendu et comme vous l’avez reconnu, il a été prouvé qu’un grand nombre de personnes n’ont pas eu accès à ces services.

Bien que j’apprécie vos promesses et celles d’autres personnes, indiquant que l’on prendra des mesures pour corriger cela, vous pouvez imaginer que c’est un bien piètre réconfort, puisque nous ne voyons pas cette aide à l’heure actuelle. Je crains vraiment que nous n’adoptions une mesure législative sans vraiment savoir ce qu’elle instaurera.

Je vous demande donc si vous appuieriez un amendement au projet de loi C-7 auquel on aurait ajouté des mesures de soutien comme les soins palliatifs, les services aux personnes en situation de handicap, les soins à domicile, le logement et le soutien du revenu pour les personnes admissibles à l’AMM. Je me demande en particulier si vous appuieriez une modification à la Loi canadienne sur la santé qui exigerait que les soins palliatifs et les services connexes aux personnes en situation de handicap soient considérés comme des services de base.

Nous savons que le gouvernement canadien peut le faire. Pendant la pandémie, il a établi des lignes directrices claires. Nous savons que, par les paiements de transfert, il pourrait soutenir le revenu des particuliers et les services. Je vous demande si vous appuieriez ces amendements. Merci.

Mme Qualtrough : Merci, madame la sénatrice. Je vous remercie pour la conversation que nous avons eue plus tôt sur ce projet de loi.

Je désire instamment, tout en respectant les limites de mon champ de compétence, diriger des initiatives du gouvernement fédéral visant à remédier aux iniquités de tous les systèmes qui existent. J’hésite à promettre d’apporter un amendement de cette ampleur sans avoir une analyse devant moi, mais je trouve cette solution très créative.

Vous et moi avons parlé de lignes directrices plus tôt cette semaine. J’ai déjà examiné le type de lignes directrices que nous pouvons créer par des règlements, comme l’aide à la vie autonome ou le soutien aux personnes en situation de handicap. J’ai également envisagé de tenir une conversation nationale avec mes collègues P-T sur l’harmonisation et l’amélioration des mesures de soutien à ces personnes. Je ne sais pas si nous pourrions les insérer dans le projet de loi C-7.

Je comprends que vous jugiez cela une maigre consolation. Je m’entends parler, et j’essaie d’être aussi assurée que possible, mais une bonne part de ces propositions sont loin d’être définitives, et mes promesses seront difficiles à tenir.

La sénatrice Pate : Madame la ministre, compte tenu de cela, envisageriez-vous de demander une autre prolongation au tribunal pour traiter ces problèmes plus en profondeur?

Mme Qualtrough : Je le répète, madame la sénatrice, il est possible d’en discuter avec le ministère de la Justice. Je ne veux pas trop m’avancer par respect pour mon collègue, le procureur général, et pour sa prérogative dans ces initiatives. Je sais que nous sommes en pleine pandémie, mais nous avons déjà demandé deux ou trois prolongations. Nous avons jugé prudent de ne pas nous assurer qu’on nous en accorderait une. Nous pensions qu’à la suite de nos consultations, nous pourrions présenter quelque chose de valable. Il serait possible d’en discuter, mais cette décision ne relève pas de moi.

La sénatrice Pate : Excellent. Merci. Bien des gens supposent que si la décision sur l’arrêt Truchon avait été prise maintenant, pendant la pandémie, la réponse aurait peut-être été différente. Merci beaucoup, madame la ministre, pour votre réponse et pour tout le travail que vous avez effectué. C’est très apprécié.

Mme Qualtrough : Merci.

Le sénateur Kutcher : Merci, madame la ministre, d’être venue aujourd’hui. Permettez-moi d’ajouter ma voix à celles de mes collègues.

Le projet de loi C-7 crée ce que beaucoup ont dit être des critères d’exclusion vagues et injustifiables pour les personnes atteintes uniquement d’une maladie mentale. Il autorise cependant une comorbidité avec la maladie mentale, même si le décès n’est pas prévisible. Comme vous le savez, de 20 à 50 % ou plus de gens pourraient avoir ce genre de comorbidité.

Comme il est impossible de déterminer si la demande d’AMM est principalement attribuable à un trouble de santé mentale, il ne semble pas logique d’établir cette distinction de prime abord. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de ce dilemme, s’il vous plaît?

Mme Qualtrough : Merci, monsieur le sénateur. Au départ, nous craignions l’absence d’un consensus sur la maladie mentale seulement, mais il y avait l’incidence de la maladie mentale sur d’autres troubles qui en soi pourraient répondre aux critères d’admissibilité parce qu’ils sont graves et irrémédiables.

Voilà ce que j’en ai déduit, monsieur le sénateur, et je dois avouer que l’on pourrait toujours me persuader d’autre chose. Quand je reçois de l’information, j’ai tendance à adapter mes pensées en conséquence. Si une personne souffre d’un trouble de santé grave et irrémédiable, je le répète, nous examinons la personne et l’ensemble de sa situation. L’ensemble de sa situation peut rendre sa maladie, sa blessure ou son handicap grave et irrémédiable et l’amener à un stade avancé de déclin irréversible qui cause des souffrances persistantes intolérables ou psychologiques. Nous examinons toute la personne et sa situation médicale et nous la considérons dans l’état où elle se trouve en nous écartant de toute préconception des répercussions qu’un trouble particulier pourrait causer. Cette comorbidité ne serait pas sans importance, parce que cette maladie en soi devrait répondre aux critères de « grave et irrémédiable », d’après ce que je comprends.

Le sénateur Kutcher : C’est vrai. Vous voyez donc mon dilemme. Je comprends que l’on veuille protéger les personnes qui ne souffrent que d’une maladie mentale sous-jacente. Je suis tout à fait d’accord avec cela, mais je me demande s’il ne serait pas plus prudent de supprimer cette disposition qui, comme l’a fait remarquer le sénateur Cotter, pourrait entraîner des contestations constitutionnelles et de renforcer les mesures de sauvegarde. Même une disposition de réexamen permettrait la mise en place de mesures de protection supplémentaires.

Seriez-vous prêts à prendre cela en délibéré ou à envisager de proposer cet amendement au projet de loi?

Mme Qualtrough : Je crois que oui, monsieur le sénateur. Je le répète, ce que je vous présente ici n’est que mon mode opératoire. Mais il est évident que nous voulons que cette législation soit aussi efficace que possible. Nous examinerons très sérieusement tout ce que le Sénat nous suggérera.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, madame la ministre. Je vous ai toujours trouvée ouverte et réfléchie. Je vous remercie d’être revenue comparaître devant nous aujourd’hui.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, madame la ministre. J’ai de la difficulté à comprendre votre acharnement à défendre bec et ongles l’égalité des droits entre les personnes handicapées et les personnes « normales » et à ne pas avoir défendu ce principe pour les personnes souffrant d’une maladie mentale. Depuis 2016, votre gouvernement est au courant du fait que ce projet de loi est discriminatoire par rapport aux personnes handicapées et aux personnes souffrant de troubles de santé mentale graves. Il ne semble donc pas qu’il y ait eu des progrès en ce qui concerne la maladie mentale, alors que les mentalités dans les provinces et chez les gens sur le terrain ont évolué à cet effet. Cela fait en sorte que ce projet de loi est en retard sur la société, et cela signifie qu’il faudra reprendre notre travail dans quelques années.

Votre décision est d’autant plus difficile à comprendre qu’au Canada, les gens qui souffrent de problèmes de santé mentale sont les parents pauvres de notre système de santé, et que le soutien fédéral en matière de fin de vie comble à peine 10 % des besoins de ces personnes.

Êtes-vous consciente du fait que, d’ici les trois ou quatre prochaines années, avant que l’on s’ouvre à de nouvelles perspectives sur la maladie mentale, la seule solution pour beaucoup de ces gens qui souffrent et qui veulent abréger leurs souffrances sera le suicide? Entre 2016 et 2020, plusieurs personnes se sont vu refuser l’aide médicale à mourir. On entendait tous les mois, toutes les semaines, des histoires troublantes de mères de famille, de grand-mères, de pères qui se donnaient la mort, surtout en faisant la grève de la faim.

Nous étudions un projet de loi qui doit être humanitaire. Je pense que votre position par rapport à la maladie mentale, c’est de politiser ce projet de loi, et je pense que cela se fait au détriment des gens qui souffrent.

Madame la ministre, consentiriez-vous ce que l’on amende le projet de loi afin d’inclure les personnes souffrant de troubles de santé mentale graves, en ajoutant une disposition de temporisation qui ferait en sorte que, dans un ou deux ans, on n’aurait pas à revenir devant le Parlement afin de rendre ces personnes admissibles à l’aide médicale à mourir? Il serait possible, par une décision strictement ministérielle, de mettre en vigueur une telle disposition de temporisation.

On va revivre en 2022-2023 ce qu’on a vécu entre 2016 et 2020, c’est-à-dire que des gens seront laissés à eux-mêmes avec leurs souffrances, et ce n’est pas notre mandat.

[Traduction]

Mme Qualtrough : Merci d’avoir posé cette question, monsieur le sénateur. Je comprends votre préoccupation. On nous a fortement souligné qu’il n’existe pas de définition claire de la maladie mentale dans le contexte médical et que la communauté médicale ne réussit pas à s’entendre sur les préoccupations que les troubles mentaux soulèvent dans le cas de l’admissibilité à l’AMM. Nous n’étions pas prêts, sans mener une analyse plus poussée et sans en discuter avec des experts — ce n’est pas une décision politique, je peux vous l’assurer —, sachant que l’examen parlementaire n’était pas loin...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends, madame la ministre, mais saviez-vous que le Québec déposerait ce mois-ci un document qui encadrera effectivement les personnes qui seraient admissibles à l’aide médicale à mourir à cause d’une souffrance psychologique grave? Le Québec est déjà là, il avance plus vite que le gouvernement fédéral et vous ne semblez pas en tenir compte.

[Traduction]

Mme Qualtrough : Je le sais, monsieur le sénateur. Je répète que nous préférerions aborder cette question dans le contexte plus vaste de l’examen parlementaire, qui est imminent et qui, à mon avis, aurait déjà commencé si nous n’avions pas été aux prises avec une pandémie.

Le ministre de la Justice et moi-même, en particulier, sommes déterminés à régler cela le plus rapidement possible, compte tenu de tout ce qui se passe actuellement au Canada. Oui, je suis au courant de ce qui se passe au Québec et de la progression de cette réflexion et de la loi, et je demeure d’avis que c’est la ligne de conduite la plus prudente pour l’instant. C’est tout ce que je peux vous dire.

La sénatrice McCallum : Le manque de compétence culturelle des médecins qui aideront des gens malades et souffrants à mourir est inquiétant. La recherche sur les services de santé a attiré l’attention sur le manque de formation culturelle des médecins qui traitent des personnes racialisées et ethniques. Ce manque de formation a créé des disparités et des inégalités dont les résultats observés dans tous les groupes des peuples autochtones, et particulièrement dans l’ensemble des personnes en situation de handicap, sont bien documentés.

Maintenant, en plus de ces disparités, et ce qui rend la situation encore plus complexe, ce projet de loi impose un autre niveau de services de santé — l’aide médicale à mourir — aux groupes les plus marginalisés au Canada : les Métis, les Premières Nations, les Inuits et les Indiens non inscrits, qui se heurtent déjà à de très nombreux défis.

Ces disparités indiquent que nous n’écoutons pas ces gens. Les peuples autochtones sont déjà incapables de prendre des décisions dans plusieurs domaines de leur vie, notamment sur leur qualité de vie. Ces disparités indiquent que nous continuons à bafouer leur dignité.

Le système de santé a été complice de ces disparités dans les communautés autochtones, alors comment pouvons-nous espérer qu’il corrigera les disparités existantes tout en donnant suite aux nouvelles préoccupations soulevées par le projet de loi C-7?

On comprend tout à fait la méfiance que les communautés autochtones, et surtout les personnes en situation de handicap, ressentent à l’égard du système de santé, notamment face aux professionnels de la santé qui commettent des actes de racisme flagrants. La confiance est essentielle pour offrir l’AMM.

Ces disparités qui apparaissent dans les résultats de santé de l’ensemble des groupes de personnes en situation de handicap devraient déjà déclencher un examen moral. Du point de vue de la lutte contre la discrimination, les disparités entre les effets néfastes sur la santé que subissent les groupes de patients racialisés, ethniques et autrement défavorisés qui sont en situation de handicap devraient déclencher l’application de nouvelles mesures de sécurité morale.

Quelles mesures votre bureau a-t-il prises pour veiller à ce que l’ensemble des personnes en situation de handicap, en particulier les Autochtones et les personnes de couleur, soient sérieusement protégées contre l’oppression et la colonisation dans ce projet de loi? Ce projet de loi a-t-il fait l’objet d’une analyse comparative entre les sexes? A-t-on tenu compte des formes multiples et interreliées d’obstacles auxquels ces divers groupes font face? Merci.

Mme Qualtrough : Merci, madame la sénatrice. En effet, votre préoccupation est tout à fait justifiée. Mon bureau a mené une analyse des handicaps. Je sais que le ministre de la Justice et son ministère ont mené l’ACS+ et l’analyse raciale. Je vais encore une fois souligner l’importance d’informer les gens des options qui s’offrent à eux. Il faut toutefois reconnaître que nos médecins eux-mêmes devraient être au courant des options offertes.

Les services équivalant au rôle de navigateur que joue, par exemple, la société BCANDS — le réseau autochtone des personnes en situation de handicap en Colombie-Britannique —, constituent un modèle utile. Nous examinons la question sous l’angle d’un soutien culturel efficace et nous nous efforçons d’améliorer la sensibilité culturelle des médecins et des praticiens.

Certains Autochtones ont participé aux consultations menées auprès de l’autorité sanitaire des Premières Nations de la Colombie-Britannique et de la société BCANDS, mais nous devons absolument en faire plus.

Les communautés autochtones ont deux fois plus de personnes en situation de handicap que la moyenne nationale. Ces taux m’affolent. Cela indique que nos systèmes n’incluent toujours pas les personnes les plus vulnérables, qui continuent à ne pas avoir voix au chapitre lorsque nous préparons l’avenir de ces systèmes.

Le vice-président : Merci, madame la ministre.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Madame la ministre, seriez-vous d’accord pour inclure, dans le projet de loi C-7, une disposition selon laquelle on aurait un an pour définir quelles seraient les mesures de sauvegarde pour les personnes qui ont des maladies mentales seulement? Ces mesures de sauvegarde seraient nécessaires pour avoir un accès sécuritaire à l’aide médicale à mourir. Donc, cet article prévoirait que personne ne serait éliminé au départ, et on demanderait à des experts de se prononcer sur la nature des mécanismes de sauvegarde nécessaires pour assurer que les personnes visées fassent ce choix en toute sécurité.

[Traduction]

Mme Qualtrough : Merci, madame la sénatrice. Je suis certainement disposée à examiner tous les amendements, quels qu’ils soient. Je pense que cette analyse fera partie de l’examen parlementaire. Votre comité pourrait peut-être nous aider à définir les détails des aspects que le gouvernement pourrait présenter en vue de l’examen parlementaire.

Je comprends ce que vous dites, et je suis tout à fait disposée à examiner ce que vous suggérez. Je crains cependant de dédoubler un aspect de l’examen parlementaire, mais je vous prie de le suggérer si votre comité estime que c’est une bonne façon de procéder.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci.

Le sénateur Boisvenu : Madame la ministre, j’aimerais d’abord reconnaître votre ouverture, parce que la sénatrice Dupuis pose à peu près la même question que j’aurais posée.

J’aimerais vous rappeler qu’en 2016, le Sénat a fait un travail formidable pour améliorer le projet de loi C-14, et les ministres de la Justice et de la Santé de l’époque, lorsqu’ils ont témoigné devant nous, ont montré une grande ouverture face à nos préoccupations. Pourtant, rien n’a été fait. C’est pour cela qu’on se retrouve ici aujourd’hui à discuter avec le gouvernement pour améliorer ce projet de loi.

Il est donc sûr, madame la ministre, que lorsqu’on va étudier ce projet de loi au cours des prochaines semaines, les gens qui vont témoigner devant nous, surtout ceux qui défendent les droits des personnes souffrant de maladie mentale ou qui traitent ces personnes, vont demander un amendement à cet égard. J’en suis convaincu. Il faudra donc trouver un compromis pour dire à ces gens qu’on les a entendus et qu’on ne les laissera pas dans le néant pendant trois ou quatre années encore. L’engagement que vous prenez en donnant une réponse positive à ma collègue la sénatrice Dupuis, allez-vous le défendre devant vos collègues? Sinon, c’est un engagement qui risque de rester lettre morte.

[Traduction]

Mme Qualtrough : Je peux vous promettre sincèrement, monsieur le sénateur, que je désire améliorer cette législation. Nous avons fait preuve d’ouverture en acceptant des amendements du comité de la justice de la Chambre des communes. Je pense qu’ils ont été adoptés hier. J’ai perdu la notion du temps, pardonnez-moi. Le message que je vous transmets est le suivant : s’il vous plaît, travaillons ensemble; trouvons une solution. Je suis tout à fait disposée à envisager tout ce que vous suggérerez et à collaborer pour que cette loi soit aussi efficace que possible.

Le sénateur Plett : Madame la ministre, j’ai l’impression très nette que vous êtes presque aussi mal à l’aise face à ce projet de loi que la plupart des sénateurs. Je tiens d’abord et avant tout à vous remercier, madame la ministre, d’avoir exprimé très ouvertement vos sentiments et vos préoccupations au sujet de... [Difficultés techniques]

Mme Qualtrough : Désolée, monsieur le président. Je n’ai pas entendu le sénateur.

Le vice-président : Sénateur Plett, je ne sais pas si vous m’entendez, mais votre son a été coupé. Ah, vous voilà.

Le sénateur Plett : Je ne sais pas ce que la ministre en a entendu, alors je vais poser ma question. Pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, le projet de loi prévoit une période d’évaluation de 90 jours combinée à une évaluation de l’admissibilité par un praticien qui a l’expertise de la maladie du patient. Ces mesures visent à renseigner les personnes en situation de handicap et celles qui ont une maladie chronique sur les autres traitements ou les choix de soutien autres que le suicide assisté. Mais comme le spécialiste du droit international de la santé, M. Trudo Lemmens, écrit dans un article récemment publié :

[...] contrairement à tout autre pays au monde, le nouveau projet de loi n’exige pas explicitement que l’on offre et que l’on essaie tous les choix raisonnables avant de permettre aux médecins de mettre fin à la vie d’un patient.

Il poursuit ainsi :

Autrement dit, ce projet de loi les aide plus à mourir qu’à vivre. Au lieu de donner l’espoir et de renforcer la résilience en se concentrant sur les choix de vie, les fournisseurs de soins de santé devront désormais offrir une mort prématurée.

Madame la ministre, craignez-vous que les dispositions de ce projet de loi fassent du régime canadien de suicide assisté le plus permissif au monde? Et pourquoi, madame la ministre, votre gouvernement n’aurait-il pas veillé à ce que le suicide assisté ne soit qu’un choix de dernier recours, comme l’ont fait tous les autres gouvernements? Pourquoi n’est-ce pas une option de dernier recours et non un choix parmi tant d’autres, comme emménager dans un nouvel appartement ou se suicider? Je trouve cela un peu ironique.

Mme Qualtrough : Merci, monsieur le sénateur. Nous avons fixé la période d’évaluation de 90 jours — soulignons qu’il s’agit d’une période d’évaluation et non d’une période de réflexion — pour les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, vu que les évaluations sont souvent difficiles dans ces circonstances, afin de découvrir la vraie cause de leur souffrance. Nous ne sommes pas allés aussi loin que d’autres gouvernements, qui exigent que les demandeurs essaient tous les choix possibles. À notre avis, une telle imposition n’est pas convenable. On nous a dit que les gens pensaient qu’en leur offrant un choix à essayer, nous leur permettions de ne pas accepter ce choix. La chimiothérapie est souvent disponible et elle peut prolonger ma vie de quelques mois, mais je décide de la refuser par choix personnel et pour préserver ma dignité. Nous n’avons pas jugé convenable d’imposer l’essai de ces choix afin de respecter l’autonomie personnelle des gens.

Pour le moment, la loi stipule que les personnes doivent être informées des autres moyens d’alléger leur souffrance. Je vous remercie d’avoir mentionné qu’elles devraient être mises au courant de ces options. Je dirais que la prochaine étape serait l’obligation de fournir ces renseignements. Je n’irais pas jusqu’à dire que les demandeurs doivent avoir épuisé toutes leurs options. Personnellement, je trouve cela oppressif, mais je comprends l’ironie dont vous avez parlé. Je crois que cette loi reflète la pensée canadienne actuelle. Je ne pense pas que les Canadiens veuillent que nous imposions aux demandeurs d’essayer quelque chose contre leur gré pour avoir accès à cette procédure.

Le sénateur Plett : Madame la ministre et monsieur le président, j’aimerais faire un très bref commentaire en guise de conclusion, si la ministre accepte que le chef de l’opposition au Sénat émette un commentaire quelque peu partisan à une ministre libérale.

Je vous remercie d’être parmi les ministres les plus ouverts qui aient comparu devant notre comité et d’avoir exprimé vos convictions très personnelles au sujet de ce projet de loi. Merci beaucoup.

Mme Qualtrough : Merci beaucoup, monsieur le sénateur.

Le vice-président : Ce n’est pas peu de chose, madame la ministre, croyez-moi.

Mme Qualtrough : Merci.

Le sénateur Kutcher : Madame la ministre, en envisageant les améliorations à apporter aux mesures de protection prévues dans le projet de loi, un certain nombre de mes collègues du Sénat et moi-même avons examiné à fond la possibilité de charger quelques organismes de soins de santé — nationaux et québécois — de collaborer à l’élaboration d’un programme de perfectionnement professionnel continu sur l’évaluation et la prestation de l’AMM afin de créer une certification nationale pour les fournisseurs d’AMM. Ce serait un grand pas en avant, et nous réglerions ainsi les problèmes soulevés par la sénatrice McCallum au sujet des compétences culturelles.

Voudriez-vous en savoir plus sur cette innovation, et envisageriez-vous de l’appuyer?

Mme Qualtrough : Certainement. C’est une excellente idée qui vise justement les personnes chargées de prendre ces décisions difficiles. Absolument. Je vous encouragerais également à y inclure une formation sur les personnes en situation de handicap. Je me ferai un plaisir de l’examiner.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, madame la ministre.

La sénatrice McCallum : Merci, madame la ministre, pour tout le travail que vous accomplissez. Je vous demande moi aussi pardon pour les problèmes auxquels vous vous êtes heurtée pour participer à cette réunion.

Les entraves intergouvernementales auxquelles les Premières Nations font face sont préoccupantes, puisque les provinces continuent à créer des écarts en considérant les services de santé comme une responsabilité fédérale pour les peuples autochtones, mais pas pour les autres Canadiens. Malgré cela, le Parlement continue à pousser l’adoption de projets de loi qui créent plus d’écarts ou qui les élargissent à cause de ces obstacles intergouvernementaux. Un seul groupe se perd dans ces écarts : les peuples autochtones. Considérez-vous cela comme un problème de discrimination, et ce projet de loi règle-t-il ce problème d’une manière ou d’une autre?

Je continue aussi à entendre les communautés autochtones affirmer qu’elles n’ont pas été consultées, bien que le premier ministre ait annoncé que nous entamons une relation nouvelle entre les citoyens autochtones et non autochtones et que nous nous dirigeons vers la réconciliation. Nous faisons de nouveau face à un délai serré qui nous empêche de mener une discussion approfondie, ce qui intensifie les préoccupations. Votre bureau acceptera-t-il les modifications proposées par les communautés autochtones pour que justice soit faite sous une forme ou une autre?

Avec ce délai, il semble que ce soit la seule solution qui reste aux parlementaires pour assurer la sécurité de tous les Canadiens, et en particulier celle des Autochtones les plus marginalisés de l’ensemble des personnes en situation de handicap. Merci.

Mme Qualtrough : Merci, madame la sénatrice. Je vous réponds tout de suite oui. En guise d’explication, je vous dirai que je suis fortement convaincue qu’il ne nous appartient pas, ni à moi ni à aucun d’entre nous, de déterminer si les consultations ont été suffisantes. Nous le saurons quand les gens auront l’impression d’avoir été entendus et de reconnaître leurs opinions dans les lois que nous adopterons. Si un groupe particulier ne s’y reflète pas, nous ferons face à un problème. Je suis prête à faire tout mon possible pour y remédier et à collaborer avec vous et avec la communauté autochtone.

Comme je l’ai dit, bien des intervenants y ont participé. J’ai entendu les mêmes préoccupations que vous et je ferai tout mon possible pour y remédier.

Le vice-président : Merci.

La sénatrice Pate : Merci encore, madame la ministre. Des experts en droit constitutionnel m’ont posé une question à laquelle je n’ai pas su répondre. Vous ne pourrez peut-être pas y répondre non plus, mais il me semble important de l’insérer au compte rendu. La question est la suivante : a-t-on tenu compte du récent arrêt Fraser en élaborant l’analyse de la Charte? En effet, l’arrêt Fraser traite de toute la question du choix. On y énonce clairement que dans le cas d’un choix massivement influencé par un manque de soutien de l’État et par la dévaluation générale de la vie des personnes — comme, dans ce cas-ci, les personnes en situation de handicap —, on se heurte à un problème constitutionnel ayant trait à la capacité des personnes de choisir de façon autonome l’aide médicale à mourir, si c’est effectivement la seule option qui leur est offerte. Je ne voudrais surtout pas vous placer dans une position indûment difficile, madame la ministre, mais si l’on n’en a pas tenu compte, est-il possible d’en tenir compte maintenant et de nous fournir une analyse à jour de la Charte?

Mme Qualtrough : Merci, madame la sénatrice. Je pense que ma meilleure réponse sera de m’en remettre à mon collègue afin d’obtenir cette information pour vous en étant sûre qu’elle est exacte. Je pourrais vous donner une réponse, mais elle serait hypothétique. Il sera plus sage de vous promettre de revenir avec une analyse complète si ce point n’a pas été examiné. Je préférerais agir ainsi, si vous voulez bien.

La sénatrice Pate : Absolument. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Madame la ministre, vous avez, à juste titre je crois, invoqué le fait qu’il y a des discussions importantes à tenir sur la question de l’aide médicale à mourir. Le contexte d’une révision de la loi serait plus favorable que le contexte actuel d’un projet de loi comme celui-ci, d’abord bousculé par la COVID-19, mais aussi par le délai du 18 décembre pour répondre à l’exigence de la cour.

J’ai posé une question au ministre de la Justice et sa réponse m’a frappée. Je lui ai demandé s’il s’engageait à amorcer cette révision et il m’a répondu que ce n’était pas à lui, mais bien au Parlement de le faire. Cela m’a un peu interpellée et inquiétée, parce qu’il a quand même la responsabilité d’appliquer cette loi et, en ce sens, on s’attendrait à un engagement plus clair de sa part.

Je ne veux pas vous demander de vous prononcer sur son engagement à lui. Cependant, il y a une chose qui m’a frappée dans une réflexion collective menée au Québec en 2010. Cette réflexion profonde avait pris la forme d’une commission parlementaire bipartisane, et elle était essentiellement axée sur la réflexion sociale et collective au sujet de l’aide médicale à mourir.

Est-ce que vous pensez que toutes ces questions introduites dans le projet de loi C-7 devraient plutôt être réservées pour la révision de la loi, et qu’on ne devrait pas amorcer cette révision le plus rapidement possible?

Mme Qualtrough : C’est une bonne question.

[Traduction]

Nous avons décidé de ne pas interjeter appel. C’est la voie dans laquelle nous nous sommes engagés. Je pense qu’en l’absence de Truchon, l’examen parlementaire — il a été retardé par la COVID, mais il aurait certainement couvert tous les enjeux dont nous parlons et que l’on tente d’aborder dans le projet de loi C-7. Il y a des enjeux plus vastes, plus de détails, et je pense que nous nous devons de vous promettre que lorsque l’examen parlementaire pourra commencer, nous vous demanderons conseil sur les enjeux que vous voudriez que l’on examine. La composition du comité d’examen devra être assez souple pour se pencher sur ces enjeux extrêmement complexes qui concernent tout le pays.

La sénatrice McCallum : Merci. J’aimerais mentionner les mineurs matures. Cette question concerne aussi les adultes qui ne comprennent pas leur situation, notamment l’anxiété qu’ils ressentent. La raison pour laquelle je soulève cette question, c’est qu’à 30 ans, j’ai traversé une période d’extrême anxiété. J’ai alors compris pourquoi les gens se suicident. J’ai eu la chance d’avoir un médecin qui m’a expliqué que c’était de l’anxiété, et je savais qu’on pourrait la traiter.

Je suis... [Difficultés techniques]... un pensionnat. Je regarde les gens dans les communautés et le traumatisme intergénérationnel découlant de multiples... [Difficultés techniques]... et les problèmes mentaux que cela cause. Je voulais vous demander qui détermine que ces professionnels de la santé comprennent bien ce qui se passe dans cette situation? D’autant plus que la majorité des gens ne reçoivent pas de services de santé mentale adéquats. Merci.

Mme Qualtrough : Merci, madame la sénatrice. Je comprends parfaitement ce que vous ressentez à ce sujet.

Vous avez abordé certains des défis auxquels nous avons fait face en décidant de ne pas inclure la maladie mentale à ce stade, dans les cas où la maladie mentale est le seul trouble médical sous-jacent. En général, on pense que lorsqu’on parle de maladie mentale, on fait référence à des troubles traités en permanence par des psychiatres ou par des psychologues. De nouveau, je ne pense pas que nous ayons suffisamment examiné ce sujet pour présenter une opinion.

Pour aborder certaines de vos préoccupations, je vais revenir à la raison pour laquelle nous voulions nous assurer, particulièrement dans le volet deux où la mort n’est pas raisonnablement prévisible, que l’une des personnes possède une expertise sur l’état du patient. Je sais que la Chambre a proposé un amendement à cette exigence. Néanmoins, il faut obtenir une opinion médicale sur l’état particulier de la personne afin d’établir une base de connaissances sur la situation particulière de la personne qui aide les praticiens à prendre la décision.

Le vice-président : Merci. Avez-vous d’autres questions pour madame la ministre? Madame, au nom du comité, je tiens à vous remercier d’être venue aujourd’hui. Nos dirigeants communiqueront avec votre bureau au sujet de la question qui a été soulevée lors de l’organisation de cette réunion afin d’établir une meilleure communication et pour que tout le monde comprenne ce qui s’est passé.

Votre témoignage, comme toujours, est profondément sincère et — je ne peux pas utiliser les deux mots que nous utilisons en Colombie-Britannique. Votre témoignage est direct, si vous voyez ce que je veux dire.

Mme Qualtrough : Merci.

Le vice-président : Vous avez toujours été honnête avec nous. Comme vous pouvez le constater, pour que le sénateur Plett le mentionne pendant son temps de parole, c’est une qualité vraiment spéciale. Je tiens à vous remercier d’être venue aujourd’hui. Je souhaite que vous et votre personnel soyez en sécurité. J’espère que nous n’aurons pas à vous rappeler avant l’arrivée du père Noël. Merci beaucoup.

Mme Qualtrough : Merci, monsieur le sénateur. Je reviendrai volontiers si vous avez besoin de moi. Je vous remercie d’approfondir ce sujet. Vous rendez un grand service à notre pays. Merci.

Le vice-président : Merci à vous. Nous entendrons maintenant Mme Carrie Bourassa, de l’Université de la Saskatchewan, et Mme Grace Pastine, de la Colombie-Britannique. Très bien, les deux provinces sont représentées.

La présidente : Je tiens à remercier les témoins de prendre le temps de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Dans le cadre de notre étude du projet de loi C-7, nous croyons sincèrement que votre contribution et votre témoignage sont essentiels à nos délibérations. Nous tenons à entendre votre point de vue. Je tiens aussi à remercier chacun d’entre vous, parce que nous savons que vous avez eu très peu de temps pour préparer votre témoignage et que vous avez fait de grands d’efforts pour être ici. Je vous en remercie sincèrement.

Nous allons commencer par notre premier témoin, Mme Carrie Bourassa, professeure au département d’épidémiologie et de santé communautaire du Collège de médecine de l’Université de la Saskatchewan.

Carrie Bourassa, professeure, Département d’épidémiologie et de santé communautaire, Collège de médecine, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Bonjour à tous. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

Le gouvernement du Canada a dit avoir lancé un appel, entre janvier et le début de février de 2020, à la population canadienne, aux provinces et aux territoires, à des groupes autochtones, à des fournisseurs de soins de santé, à des experts et à des intervenants clés pour connaître leurs points de vue sur l’élargissement de la loi canadienne sur l’aide médicale à mourir en réponse à l’arrêt Truchon. Plus de 300 000 Canadiens ont participé aux consultations publiques en ligne entre le 13 et le 27 janvier 2020.

Le ministre de la Justice et procureur général du Canada, David Lametti, la ministre de la Santé, Patty Hajdu, la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, Carla Qualtrough, ont rencontré des experts, des fournisseurs de soins de santé, des associations de professionnels de la santé, des organismes de réglementation, des représentants de personnes en situation de handicap, des organisations autochtones et d’autres intervenants clés, soit plus de 125 participants au total, pour connaître leur opinion sur la révision de la loi fédérale sur l’aide médicale à mourir. Je vous pose donc une question : combien d’intervenants métis, inuits et des Premières Nations ont été consultés?

Par ailleurs, je faisais partie du groupe d’experts du Conseil des académies canadiennes qui s’est penché sur l’aide médicale à mourir en 2018. J’ai participé à l’organisation du cercle des aînés autochtones. Je pense que cette lacune n’a pas été corrigée. Le cercle des aînés autochtones a été réuni sous la gouverne des membres autochtones du groupe d’experts en février 2018 afin de présenter les perspectives autochtones sur l’aide médicale à mourir, en particulier sur les trois sujets à l’étude. Six aînés de nations métisses et de Premières Nations de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, du Manitoba et de l’Ontario ont partagé leurs connaissances sur les attitudes, les pratiques, les problèmes et les inquiétudes ayant trait à la fin de vie. Ils ont notamment dit que les Autochtones n’avaient pas été consultés sur la question de l’aide médicale à mourir et le groupe d’experts a reconnu que le cercle des aînés avait une portée et une représentativité limitées et qu’il ne remplaçait pas une consultation auprès des peuples autochtones sur la question de l’aide médicale à mourir. Il y a donc encore une grave lacune en matière de connaissances.

De plus, même si les communautés et les intervenants autochtones peuvent donner leurs points de vue dans le cadre des mécanismes législatifs liés à l’aide médicale à mourir, il est très important d’adopter une approche qui tient compte des différences entre les peuples autochtones, de préférence à une approche panautochtone. Voilà pourquoi j’ai demandé combien d’intervenants des Premières Nations et des collectivités métisses et inuites avaient été consultés. Nos visions du monde sont différentes, surtout en ce qui concerne la question sensible de la mort et de la fin de vie. Tout comme il existe une diversité de points de vue parmi les parlementaires au sujet de l’aide médicale à mourir, il existe également des points de vue divergents parmi les peuples autochtones du Canada sur l’acceptabilité de l’AMM et les répercussions qu’elle risque d’avoir au sein de leurs communautés.

Puisqu’il n’y a pas d’approche unique pour intégrer les voix autochtones, les établissements de soins de santé doivent communiquer et travailler avec les communautés autochtones qu’ils servent afin de savoir quels services elles souhaitent intégrer à leur éventail de soins de santé. Les intervenants autochtones doivent être invités à participer à l’élaboration des politiques et des programmes, dès le tout début du processus.

Enfin, les professionnels de la santé susceptibles de prodiguer l’AMM devraient être tenus de suivre une formation culturellement sécuritaire. Meegwetch.

La présidente : Merci beaucoup, madame Bourassa.

Nous accueillons maintenant notre deuxième témoin, le Dr Yves Robert, secrétaire de l’ordre, Collège des médecins du Québec.

[Français]

Dr Yves Robert, secrétaire de l’ordre, Collège des médecins du Québec : Le Collège des médecins du Québec vous remercie de lui permettre de présenter ses commentaires concernant le projet de loi C-7. Je suis accompagné de la Dre Isabelle Tardif, directrice générale adjointe désignée et secrétaire désignée, qui me remplacera au début de 2021.

Le Collège des médecins du Québec a été impliqué dans l’aide médicale à mourir et les soins de fin de vie. Depuis 2006, il a développé — et il est le premier à l’avoir fait — des guides d’exercice sur l’aide médicale à mourir qui servent maintenant de normes, tant au Québec qu’au Canada et dans certains autres pays.

Nous comprenons que la décision du Parlement canadien de déposer le projet de loi C-7 fait suite au jugement rendu par la Cour supérieure du Québec le 11 septembre 2019 dans l’affaire Truchon c. Procureur général du Canada, jugement déclarant inconstitutionnels un critère contenu dans la loi québécoise, soit la notion de « fin de vie », et un critère contenu dans le Code criminel, soit la notion de « mort naturelle raisonnablement prévisible ».

Tout d’abord, le Collège des médecins soutient le Parlement canadien dans sa démarche légale visant à apporter des modifications au Code criminel, mais il souhaiterait, pour le bien des patients et pour faciliter la vie des médecins, qu’il y ait une meilleure harmonisation entre la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec et le Code criminel. Nous espérons que les modifications iront en ce sens.

Le Parlement a l’intention de procéder à des assouplissements concernant les critères légaux d’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Nous appuyons en particulier l’inscription dans la loi d’une exigence selon laquelle le respect des critères doit être confirmé par deux médecins, dont un possédant une expertise dans la condition dont souffre la personne, ainsi que l’ajout dans la loi d’exigences particulières favorisant le caractère éclairé de la demande de la personne. Notons qu’il s’agit de mesures nécessaires et que la loi, les guides d’exercice et les lignes directrices du Québec demandent aux médecins de s’y conformer, et les exigent déjà, peu importe que la mort de la personne qui demande l’aide médicale à mourir soit prévisible ou non.

Nous appuyons également l’amendement au Code criminel qui n’exigerait plus que la signature d’un seul témoin sur la demande d’aide médicale à mourir. Cela facilitera grandement le processus de demande.

Cependant, le législateur a l’intention de conserver le concept de « mort naturelle raisonnablement prévisible » — un concept mal défini et qui a été dénoncé dans le jugement Baudouin de septembre 2019 — et d’instaurer des mesures de sauvegarde différentes selon la prévisibilité de la mort de la personne qui demande l’aide médicale à mourir.

Soucieux de s’assurer que le cadre légal ne nuit pas à la bonne pratique médicale, le collège émet de sérieuses réserves sur ce concept. Dans la logique de soins que nous défendons depuis le début de notre implication en 2009, une demande d’aide médicale à mourir ne doit pas rester sans réponse ni conduire systématiquement à autoriser cette aide médicale à mourir, sous prétexte que la loi l’autorise à certaines conditions.

M. Palmer : Docteur Robert, je suis désolé. Le son coupe souvent. Est-ce que la Dre Tardif peut prendre la relève? On n’entend vraiment pas très bien.

Dr Robert : Certainement, je peux lui demander de poursuivre.

Dre Isabelle Tardif, directrice générale adjointe désignée et secrétaire désignée, Collège des médecins du Québec : Je vais reprendre là où le Dr Robert a terminé.

Le collège recommande donc le retrait de la mention de « mort naturelle raisonnablement prévisible » et l’instauration des mêmes mesures de sauvegarde, peu importe la prévisibilité de la mort de la personne qui demande l’aide médicale à mourir.

Nous recommandons en particulier que le délai d’évaluation de 90 jours soit remplacé par un délai raisonnable, compte tenu de l’évolution de l’état de la personne, et que, à moins qu’elle ne manifeste son refus, toute personne dont la demande d’aide médicale à mourir a été acceptée, et qui risque de perdre son aptitude à consentir juste avant le moment convenu pour son administration, puisse renoncer à son consentement final.

Enfin, le projet de loi prévoit de ne pas autoriser l’administration de l’aide médicale à mourir à une personne atteinte d’une maladie mentale lorsque cette maladie est la seule condition invoquée pour la recevoir.

Le Collège des médecins en prend acte, et nous sommes disponibles pour contribuer à la démarche visant à approfondir cette question.

Nous nous intéressons à la question de la santé mentale depuis plusieurs mois. Nous nous sommes donné des moyens d’aborder la question de façon éclairée afin de pouvoir éventuellement contribuer à la discussion concernant l’aide médicale à mourir pour une personne atteinte d’une maladie mentale.

Sur ce, nous vous remercions de nous avoir écoutés.

La présidente : Merci beaucoup, docteure Tardif.

[Traduction]

Nous entendrons maintenant le dernier témoin de ce groupe. De l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, nous accueillons Grace Pastine, directrice des litiges. Mme Pastine a aimablement accepté de lire, au terme de son allocution, la déclaration de Julia Lamb.

Chers collègues, nous avons invité Mme Lamb à témoigner, mais elle a préféré faire une déclaration par écrit. Madame Pastine, merci de bien vouloir la lire.

Grace Pastine, directrice des litiges, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique : Je vous remercie de m’avoir invitée à m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis directrice des litiges à l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. Je me joins à vous virtuellement de Vancouver et j’aimerais souligner que je vous parle depuis les territoires traditionnels, ancestraux et non cédés des Salish de la Côte, soit les nations Squamish, Tsleil-Waututh et Musqueam.

Je tiens à le souligner, sachant que le colonialisme et l’oppression incessante ont conduit à des disparités flagrantes entre les Autochtones et les non-Autochtones pour ce qui est des soins de santé et de l’état de santé. Tout débat sur la santé publique, y compris sur l’aide médicale à mourir, doit en tenir compte et réparer cette injustice fondamentale qui existe toujours.

L’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, de concert avec Joseph Arvay, représente Julia Lamb dans sa contestation de la constitutionnalité de la loi actuelle sur l’aide médicale à mourir. Comme l’a dit la sénatrice, Mme Lamb ne se sentait pas assez bien pour vous parler aujourd’hui, mais elle m’a demandé de lire une déclaration en son nom, ce que je vais faire dès maintenant.

Voici ce qu’elle écrit :

Je vous remercie de me donner le temps et l’occasion de m’exprimer aujourd’hui dans le cadre de votre étude préalable. Il y a quatre ans, après l’adoption du projet de loi C-14, j’ai adhéré à l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. Motivée par la certitude qu’en vertu de ce projet de loi, si jamais je voulais un jour faire une demande d’aide médicale à mourir, ma demande serait rejetée injustement parce qu’elle ne répond pas au critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible.

Cette exclusion m’a immédiatement frappée et son existence même m’a fait comprendre que les personnes qui ne sont pas engagées sur une trajectoire inéluctable vers la mort, malgré leurs souffrances incessantes et intolérables, seraient laissées sans aucun choix, ou devant un choix déchirant. À cet instant, j’ai compris que c’était peut-être ce que l’avenir me réservait.

Grâce au combat mené par Nicole Gladu et Jean Truchon, le projet de loi C-7 reconnaît la vérité, soit l’inconstitutionnalité du critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible. La décision rendue dans cette affaire a eu un effet immédiat, sauf que dans ce cas-ci, de nombreux Canadiens, au lieu de se sentir exclus, se sont sentis entendus et respectés, car l’aide médicale à mourir est un choix personnel qui ne doit pas être assujetti à la durée de leurs intolérables souffrances. C’est ce que j’ai entendu à travers les expériences personnelles qui m’ont été racontées.

À mon avis, le projet de loi C-7 actuellement à l’étude comporte trois éléments préoccupants.

Premièrement, l’ajournement de mon procès reposait sur la preuve que je serais maintenant admissible à l’AMM en vertu du critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible. Ce qui me préoccupe, c’est que ce libellé a été maintenu dans le présent projet de loi, sans que la définition n’ait été étoffée ni précisée, et il est utilisé pour établir une distinction entre les deux volets de l’approche proposée dans le projet de loi C-7. Cela crée une ambiguïté et, personnellement, je ne sais pas où je me situe dans cela. Je trouve que le libellé manque de clarté. Si le mot « mourir » était supprimé du préambule du projet de loi C-7, cela aiderait grandement mes médecins et moi-même à comprendre que le critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible s’applique à mes problèmes de santé.

Deuxièmement, une personne admissible, qui répond à tous les critères, mais dont la mort n’est pas « raisonnablement prévisible » malgré le déclin de sa condition, doit endurer une attente de 90 jours. J’emploie le mot « endurer », parce qu’un délai de 90 jours, c’est long et terrible à vivre quand les souffrances sont intolérables. J’appréhende grandement ce que ces critères pourraient signifier pour ma fin de vie si je choisis l’AMM — je ne choisis pas de prolonger les derniers jours de ma vie ni la douleur et la souffrance qui seront probablement miennes —, parce que cette aide ne me sera pas prodiguée dans un délai équivalent à celui des autres personnes qui l’obtiennent plus rapidement. Ce projet de loi, qui est censé m’offrir un choix et mettre fin à ma sensation d’être prisonnière de mes souffrances intolérables, risque plutôt de me piéger dans une attente insoutenable de 90 jours.

Troisièmement, une personne dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible ne pourra renoncer à son consentement final. Je trouve cela très préoccupant. Comme vous le savez, je suis atteinte d’amyotrophie spinale de type II, une maladie héréditaire, dégénérative et progressive caractérisée par la faiblesse et la destruction des muscles volontaires. J’éprouve des douleurs récurrentes causées par des contractures musculaires, je fais des chutes et j’ai des fractures osseuses à répétition à cause d’une ostéoporose avancée. J’ai également de graves problèmes respiratoires qui m’ont causé des pneumonies récurrentes. Comme mon état de santé est grandement détérioré, je risque de perdre mon aptitude à consentir pour diverses raisons et d’être ainsi privée de mon droit à l’aide à mourir si je suis incapable de donner mon consentement final. Après avoir lutté pendant des années pour mes droits, cette possibilité me crève le cœur.

Le projet de loi C-7 est une source d’espoir pour beaucoup et il doit maintenir les notions de compassion et de choix. Les piliers de la décision Carter, les droits fondamentaux des Canadiens atteints d’une maladie incurable et grave leur causant des souffrances intolérables, sont importants et doivent être pris en compte dans cette mesure législative qui a été exigée pour améliorer le projet de loi précédent qui allait dans la mauvaise direction. Le présent projet de loi doit corriger la situation pour tous ceux d’entre nous qui ont été laissés pour compte.

Il est également important pour moi de vous dire que j’écris ces mots en tant que membre de la communauté des personnes en situation de handicap. Je reconnais qu’en prenant la parole, j’ai le privilège de parler en mon nom personnel et mon témoignage vise à exprimer mes convictions personnelles et ma façon de voir les choses. Je ne partage pas le point de vue de certains membres de cette communauté concernant le projet de loi C-7 et je respecte les divergences et les points communs exprimés par chacun des membres.

D’autres membres de notre communauté sont toutefois du même avis que moi. Certains militent pour que les voix soient entendues, pour que les lois soient modifiées et pour que justice soit rendue. Ils veulent que l’oppression ne soit pas seulement reconnue, mais que ce soit un enjeu tout aussi prioritaire. Je crois en l’AMM et le travail amorcé pour et par notre communauté ne doit pas nous dresser les uns contre les autres, mais reconnaître les droits de chacun des membres ainsi que la diversité de nos besoins et de nos expériences personnelles. Je vous remercie.

Voilà ce que Julia Lamb m’a demandé de vous lire. Je vais maintenant vous livrer de brefs commentaires au nom de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique.

Quand Mme Lamb a demandé à notre association de la représenter dans sa contestation judiciaire de la loi sur l’AMM actuellement en vigueur, nous nous sommes appuyés sur les principes de l’arrêt Carter. Je faisais partie de l’équipe de défense dans cette affaire. Il est important de lire attentivement le premier paragraphe de l’arrêt Carter parce qu’il énonce les enjeux pour les personnes malades et souffrantes ainsi que pour les médecins qui prodiguent des soins de compassion. Le premier paragraphe se lit ainsi :

Au Canada, le fait d’aider une personne à mettre fin à ses jours constitue un crime. Par conséquent, les personnes gravement et irrémédiablement malades ne peuvent demander l’aide d’un médecin pour mourir et peuvent être condamnées à une vie de souffrances aiguës et intolérables. Devant une telle perspective, deux solutions s’offrent à elles : soit mettre fin prématurément à leurs jours, souvent par des moyens violents ou dangereux, soit souffrir jusqu’à ce qu’elles meurent de causes naturelles. Le choix est cruel.

Cette interdiction absolue de recourir à l’aide à mourir a conduit Sue Rodriguez, Gloria Taylor et Mme Lamb à demander : « Mais il s’agit de la vie de qui, après tout? » Elles parlent de la nature foncièrement personnelle de leur décision de hâter leur mort et du fait que lorsqu’une personne choisit de mourir, son choix est inhérent à son autonomie et à sa dignité ainsi qu’à la valeur de la compassion.

Le projet de loi C-7 comporte de nombreux éléments positifs, il respecte les droits et sert les intérêts des Canadiens. Il y a quelques jours, la Dre Downie vous a donné un aperçu des points positifs du projet de loi et notre association appuie ses propos.

Nous sommes également tout à fait d’accord avec les trois points très préoccupants soulevés par Mme Lamb. Il nous fera plaisir de transmettre notre mémoire au Sénat sur ces points.

Je vais maintenant consacrer le reste de mon temps à l’exclusion des personnes atteintes d’une maladie mentale.

Comme vous le savez, le projet de loi C-7 contient une interdiction absolue de recourir à l’aide médicale à mourir visant les personnes dont la maladie mentale est leur seul problème de santé. Cette interdiction s’applique à toutes les personnes dont la maladie mentale est le seul problème de santé, même lorsqu’elles sont aptes à prendre des décisions.

Cette interdiction absolue est contraire à l’arrêt Carter de la Cour suprême du Canada et, par conséquent, elle est inconstitutionnelle. De plus, cette disposition porte atteinte, de manière injustifiée, aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, garantis à l’article 7 de la Charte, ainsi qu’au droit à l’égalité, garanti à l’article 15.

Il est important de rappeler que l’arrêt Carter établit le minimum et non le maximum de ce qui est constitutionnellement requis pour respecter les droits des Canadiens. Cela veut dire que, même si le Parlement peut étendre les droits liés à l’aide médicale à mourir au-delà de ce que le tribunal a exigé — par exemple en autorisant les infirmiers praticiens à administrer l’AMM et en autorisant la renonciation au consentement final —, il ne peut restreindre ces droits.

Le Canada devrait défendre les droits fondamentaux des personnes atteintes d’une maladie mentale, mais le projet de loi C-7 fait le contraire. Il les stigmatise et les abandonne.

Dans l’affaire Carter, les demandeurs contestaient l’interdiction absolue de l’aide médicale à mourir et le tribunal l’a déclarée inconstitutionnelle. Cette interdiction était absolue parce qu’elle ne permettait pas à des patients de faire évaluer leur admissibilité à l’aide médicale à mourir. Elle était absolue parce qu’elle ne faisait aucune distinction entre les personnes vulnérables et celles qui étaient en mesure de choisir par elles-mêmes.

La question de savoir si les personnes souffrant de troubles psychiatriques devaient être exclues de la déclaration d’invalidité a été clairement soulevée dans l’arrêt Carter. La Cour suprême a rejeté l’argument du gouvernement selon lequel il n’existait aucun moyen fiable d’identifier les personnes vulnérables et celles qui ne l’étaient pas. La cour en est arrivée à la conclusion suivante au paragraphe 116 :

... il est possible pour les médecins de bien évaluer la capacité décisionnelle avec la diligence requise et en portant attention à la gravité de la décision à prendre.

Le gouvernement affirme maintenant que l’arrêt Carter ne s’applique pas aux personnes ayant une maladie mentale, et cette affirmation repose sur une interprétation particulière de l’arrêt Carter, une interprétation rejetée à maintes reprises par de nombreux tribunaux.

Par exemple, en 2016, dans l’affaire E.F., le procureur général a soutenu que la portée de l’arrêt Carter et, par conséquent, de l’assouplissement de l’exemption, se limitait aux personnes en phase terminale et excluait expressément celles atteintes de troubles psychiatriques. Le gouvernement a été débouté devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta et la Cour d’appel de l’Alberta dans une décision unanime. L’action en justice avait été intentée par E.F., une femme qui a reçu l’AMM même si un trouble mental était son seul problème de santé sous-jacent. La Cour d’appel de l’Alberta a rejeté à l’unanimité l’argument voulant que les troubles psychiatriques soient exclus.

Dans l’affaire I.J. entendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario, le procureur général a présenté le même argument, soit que la portée de la déclaration dans l’arrêt Carter ne concernait qu’un sous-groupe de personnes. Il a été débouté encore une fois et n’a pas interjeté appel de cette décision non plus. Il a aussi été débouté dans l’affaire Truchon et n’a pas interjeté appel.

Il importe de souligner que le Canada, puisqu’il s’agit de quelque chose qu’il est en mesure de faire, n’a pas cherché à obtenir l’opinion de la Cour suprême du Canada au sujet de la portée réelle de l’arrêt Carter. Il continue plutôt de faire valoir son argument devant le tribunal de l’opinion publique et devant les sénateurs et les députés.

Dans le passé, les personnes ayant des troubles mentaux ont toujours été considérées comme étant inaptes, ce qui les a placées dans une situation de grave injustice. Étendre la restriction relative à l’AMM à toutes les personnes atteintes de troubles mentaux, c’est nier l’ampleur des souffrances que vivent certaines de ces personnes.

Nous sommes en faveur de la mise en place de solides sauvegardes procédurales, ce qui permettrait aux patients ayant des troubles mentaux de se prévaloir de la loi dans certaines circonstances bien circonscrites. Ces mesures de sauvegarde, notamment des lignes directrices et des normes de pratique en matière de formation, devraient être établies par des cliniciens, des professionnels et des organismes de réglementation. À notre avis, les interdictions et les sanctions pénales du Code criminel du Canada n’encadrent pas suffisamment les mesures de sauvegarde.

En terminant, vous vous rappelez sans doute qu’en 2016, le Sénat a reconnu que l’insistance du gouvernement à limiter l’AMM aux seuls Canadiens dont la mort était raisonnablement prévisible allait à l’encontre de l’arrêt Carter et était inconstitutionnelle. Nous faisons appel à vous encore une fois en vous demandant de reconnaître courageusement et de respecter les droits et les libertés de tous les Canadiens. Je vous remercie.

La présidente : Merci beaucoup, madame Pastine. Je vous remercie également d’avoir fait lecture de la déclaration de Mme Lamb. Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux médecins, particulièrement ceux du Québec, et elle porte sur la notion de l’exclusion de la maladie mentale et sur la clarté de la définition.

Hier, nous avons reçu la Dre Mona Gupta, à qui j’ai posé la même question. Elle disait clairement que, pour elle, la notion était imprécise et qu’elle pouvait englober différents groupes, que cette notion n’existait pas nécessairement uniquement dans l’objectif d’exclure les personnes qui reçoivent des traitements psychiatriques. Je paraphrase, mais c’était l’essentiel de son message. Je voulais vous entendre à ce sujet.

Il semble également que vous ayez déjà approfondi la question. En effet, dans votre conclusion, vous dites ce qui suit :

Le Collège en prend acte et nous offrons notre disponibilité afin de contribuer à la démarche d’approfondissement de cette question.

Je comprends de ces propos que vous avez peut-être déjà fait des travaux sur la question, alors j’aimerais vous entendre.

Dr Robert : Effectivement. Nous sommes préoccupés par cette question. Nous avions mandaté l’Association des médecins psychiatres du Québec pour produire un avis. Le groupe de travail était présidé par la Dre Gupta. Ce rapport est disponible depuis la fin d’octobre. Nous allons en discuter avec les six autres ordres professionnels avec qui nous travaillons, y compris le Barreau du Québec, la Chambre des notaires du Québec, l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec et l’Ordre des psychologues du Québec.

Nous allons en discuter le 9 décembre prochain, et le gouvernement du Québec a convoqué un forum sur l’aide médicale à mourir et la santé mentale pour le 14 décembre, dans deux semaines et demie. Cette question est à l’ordre de jour. Pour nous, la question n’est pas de savoir si on doit administrer l’aide médicale à mourir à des patients, mais quand et comment cela va se faire.

Je pense que la ministre de la Santé du Québec avait annoncé en février la tenue de ce forum, qui a été retardé en raison de la pandémie. Cependant, le débat aura lieu. Nous avons commencé à tenter de cerner les critères et les balises auxquels faisait allusion Me Pastine pour encadrer cette pratique, pour permettre aux personnes souffrant de maladie mentale d’en bénéficier, mais aussi pour protéger celles qui pourraient bénéficier de traitements curatifs. Ainsi, l’équilibre est atteint et la démarche se poursuit.

Nous comprenons, à la lecture du projet de loi C-7, qu’il s’agit d’une mesure intermédiaire, puisqu’en 2016 il était prévu que le Code criminel devrait être révisé cinq ans plus tard, c’est-à-dire en 2021, pour inclure les trois sujets qui n’avaient pas été inclus en 2016, soit la santé mentale, les personnes inaptes et les mineurs qui pourraient éventuellement consentir aux soins.

Nous comprenons que nous nous trouvons actuellement dans une démarche et que le Code criminel pourrait être modifié éventuellement pour permettre d’offrir l’aide médicale à mourir aux personnes qui souffrent de troubles mentaux. Par contre, je partage l’opinion de la Dre Gupta et je crois que, lorsque l’on parle de troubles mentaux, on parle d’une notion qui n’est pas toujours cliniquement précise.

Le sénateur Carignan : Je pose ma question rapidement à notre témoin avocate de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique.

J’imagine que vous avez entendu les ministres dire : « On n’a pas le temps », « On a manqué de temps pour approfondir la question », « On a consulté et il n’y a pas de consensus ». Du point de vue de la constitutionnalité ou des raisons invoquées pour discriminer, qu’en pensez-vous?

[Traduction]

Mme Pastine : Nous sommes d’avis que l’arrêt Carter énonçait des exigences strictes d’admissibilité à l’AMM. Pour être admissible, une personne doit être adulte, être affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables lui causant des souffrances intolérables, être bien informée, faire un choix de son plein gré et être apte à prendre cette décision.

Nous sommes d’avis que l’exclusion des personnes atteintes d’une maladie mentale est inconstitutionnelle et qu’elle doit être retirée du texte de loi. Sans cette disposition, il y aurait de solides mesures de sauvegarde dans la loi durant la période intérimaire; nous sommes confiants qu’à brève échéance, les ordres professionnels et les organismes de réglementation proposeront de nouvelles mesures de sauvegarde relatives à l’admissibilité. Nous sommes toutefois d’avis que l’interdiction générale est inconstitutionnelle et contraire à l’arrêt Carter.

La sénatrice Batters : Ma question s’adresse à Mme Carrie Bourassa, professeure à l’Université de la Saskatchewan, mon alma mater. Merci d’être là.

Vous avez parlé du projet de loi C-16 sur l’aide au suicide :

Pour certaines communautés, ce n’est peut-être même pas possible. Pour régler le problème du suicide et des pertes multiples dans les communautés, est-ce même une conversation que les communautés voudront avoir?

Madame Bourassa, vous avez déjà exprimé des préoccupations au sujet des incidences disproportionnées que l’aide médicale à mourir pourrait éventuellement avoir sur les communautés qui sont déjà aux prises avec des problèmes de santé physique et mentale. Vous avez dit que le projet de loi C-14 a été, selon vous, adopté à la hâte. Quatre ans plus tard, avons-nous une meilleure information sur l’incidence que pourrait avoir sur les communautés vulnérables l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir dans le sens du projet de loi C-7?

Mme Bourassa : Je vous remercie de la question. Franchement, je ne pense pas que nous ayons plus d’information. J’ignore quelle a été la consultation. C’est pourquoi j’ai posé la question. Je ne sais pas combien de membres des Premières Nations, d’Inuits et de Métis ont participé ou à quoi ressemblait la consultation. Je ne pense pas que nous soyons plus près d’avoir la réponse à cette question.

Franchement, je pense qu’il faut intensifier considérablement la consultation, multiplier les conversations. Je continue de soulever la question de la formation. Nous savons aujourd’hui à quel point il est urgent que le ministre Miller nous parle du racisme systémique qui sévit dans le régime de soins de santé et de la question extrêmement délicate de l’aide médicale à mourir.

Je suis donc très préoccupée par l’idée d’offrir de la formation en plein contexte de racisme systémique que la COVID-19 a mis au jour. Ajoutez à cela ce qui se passe aujourd’hui, dont une bonne part est inconnue, selon moi. Je suis donc très inquiète et je ne pense pas que nous soyons sur le point d’avoir des réponses. Je crois fermement que nous devons travailler très sérieusement à consulter les communautés. Je ne cherche pas à minimiser le genre de consultation qui a eu lieu du 13 au 27 janvier, mais je pense qu’il faut une consultation à grande échelle avec les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits et une réflexion sur la géographie et les régions qu’il faudrait consulter de la bonne façon.

La sénatrice Batters : Absolument. Je vous remercie de nous avoir fait part de cette importante perspective. De même, madame Bourassa, dans le mémoire que vous avez remis au comité sur le projet de loi C-7, vous dites :

On présente maintenant un nouveau projet de loi controversé sans d’abord vérifier que les normes sont respectées. Comment les personnes et les communautés peuvent-elles avoir l’assurance raisonnable que des protocoles culturellement sécurisants sont appliqués pour garantir le consentement éclairé du patient et que la famille et la communauté comprennent le processus d’aide médicale à mourir.

C’est un point tellement important concernant le consentement éclairé. Madame Bourassa, pourriez-vous nous en dire davantage sur cet aspect?

Mme Bourassa : Il importe au plus haut point que tout le monde comprenne que, lorsqu’il est question de soins palliatifs à l’approche de la mort, cela ne concerne habituellement pas une personne. C’est habituellement l’affaire des familles et des communautés. Accompagner un mourant, vous savez que c’est habituellement une question de demander à la communauté de participer à la décision. Souvent, les médecins sont très frustrés, parce qu’ils veulent une seule personne pour prendre la décision, la personne qui détient le consentement. Ce n’est pas souvent le cas pour les communautés. C’est souvent une décision de famille, et la famille n’est pas toujours la famille biologique ou la parenté biologique. Cela devient très difficile dans la perspective des cliniciens, mais ce ne l’est pas dans celle de la communauté. Le contexte est très différent.

En fin de compte, lorsqu’on parle d’aide médicale à mourir, encore une fois, c’est très différent. Il y a eu un cas — celui d’une jeune femme, je pense, une jeune femme autochtone qui avait le cancer et qui voulait l’aide médicale à mourir. C’est devenu très litigieux, au point où la famille l’a emmenée aux États-Unis. Encore une fois, parce qu’il ne s’agissait pas d’une discussion individuelle, mais d’une discussion familiale.

Il faut beaucoup plus de compréhension et de sensibilisation. C’est pourquoi j’estime que la formation en sécurité culturelle est si importante, tout comme la connaissance des différents contextes. Les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits ont des vues très divergentes non seulement sur l’AMM, mais encore sur leurs propres soins de santé et sur leurs attentes en matière de soins de fin de vie et de soins palliatifs et de mort et sur les perspectives spirituelles.

La sénatrice Batters : Merci de votre présence.

[Français]

Le sénateur Dalphond : J’ai deux questions qui s’adressent au Dr Robert. Je vais tenter d’être bref et je vous demanderais d’en faire autant.

Ma première question concerne le fait qu’il existe deux options en matière de maladie mentale. À l’heure actuelle, l’option que retient le législateur est d’exclure la maladie mentale, parce que les principes de l’état de la science médicale ne sont pas assez avancés.

L’autre option serait de ne pas exclure la maladie mentale, mais de faire en sorte que la disposition à l’égard des personnes qui en souffrent, la deuxième voie, ne soit effective que dans un an. Pensez-vous que, dans un an, le Collège des médecins du Québec sera en mesure d’en arriver à un consensus quant à l’établissement de grands principes en matière de maladie mentale et d’accessibilité à l’aide médicale à mourir?

Dr Robert : Au Québec, c’est effectivement l’échéancier que nous nous sommes fixé. Au cours de la prochaine année, l’intention est de réviser la loi québécoise et d’y inclure la maladie mentale et d’autres éléments, comme les patients inaptes. C’est certainement quelque chose qui se développera rapidement au cours des prochains mois.

Le sénateur Dalphond : C’est donc dire qu’à l’avenir, si on continue d’exclure les maladies mentales, on risque de stériliser une partie de la loi québécoise.

Ma deuxième question porte sur l’accès aux soins psychiatriques. Ceux qui s’opposent à l’inclusion de la maladie mentale nous disent que le délai de 90 jours n’est pas suffisamment long, car le délai pour être recommandé à un expert est beaucoup plus long que 90 jours. Donc, la seule option pour une personne qui se trouve dans un mauvais état, mais qui pourrait peut-être bénéficier de certains soins, c’est d’opter pour l’aide médicale à mourir, faute de services disponibles.

Pourriez-vous nous parler de l’accès aux soins psychiatriques au Québec et des délais qui s’y rattachent?

Dr Robert : Je ne suis pas complètement au fait de l’organisation des services en matière de santé mentale. Il y a certainement des besoins qui dépassent l’offre de services. Le collège essaie de sensibiliser les autorités qui organisent l’accessibilité aux soins.

À mon avis, il est évident qu’il ne faudrait pas que l’aide médicale à mourir serve de pis-aller en l’absence de services appropriés en matière de santé mentale. C’est un point de vue qui va dans le sens de la protection du public, et nous allons défendre, d’abord et avant tout, l’accessibilité aux soins psychiatriques avant d’offrir une option pour les patients qui passeraient par l’aide médicale à mourir afin de recevoir des soins. Ce n’est sûrement pas une voie que privilégierait le Collège des médecins du Québec.

Le sénateur Dalphond : Dois-je comprendre de vos commentaires que les psychiatres spécialisés dans le domaine ne considèrent pas que les personnes qui souffrent de maladie mentale sont automatiquement incapables de juger de leur situation et d’évaluer si l’aide médicale à mourir est une solution qui répond à leurs besoins, pour autant qu’ils éprouvent des souffrances irrémédiables et qu’ils satisfont aux autres critères prévus par la loi?

Dr Robert : Je pense que les psychiatres du Québec ont fait un excellent travail de réflexion autour des questions de l’aide médicale à mourir et de la santé mentale. Les besoins en formation des psychiatres constituent un élément important, et c’est dans cette optique que nous discutons avec eux, tout en tenant compte de leur opinion à ce sujet.

Le sénateur Dalphond : Dois-je comprendre que vous travaillez également en collaboration avec la fédération canadienne qui réglemente les professions médicales, afin que cette information soit partagée dans l’ensemble du Canada?

Dr Robert : Tout à fait. Hier, devant le comité, Mme Fleur-Ange Lefebvre a relayé le point de vue de la Fédération des ordres des médecins du Canada, et nous travaillons dans le même sens.

Le sénateur Dalphond : Merci, docteur Robert.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Il est malheureux que nous ayons autant de témoins dans un même groupe. Cela ne nous laisse pas suffisamment de temps pour poser des questions à tout le monde, et j’en ai quelques-unes. Ma question s’adresse à Mme Bourassa également.

Madame Bourassa, je vous remercie beaucoup de votre exposé. Il est important d’entendre cette perspective, surtout de la part d’une personne comme vous, qui avez siégé au groupe d’experts du Conseil des académies canadiennes, puisque vous participez à cette discussion depuis le début. Je suis attristé d’apprendre qu’il y a eu un tel manque de consultation significative auprès de la communauté autochtone, d’autant plus que nous avons entendu le gouvernement se vanter à maintes reprises de la consultation significative qui a débouché sur le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Madame, j’ai consacré une bonne partie de ma vie adulte au service de communautés autochtones, où j’ai été témoin d’un nombre disproportionné de suicides, surtout chez les enfants. Le ministre de la Justice nous a dit qu’il veut effectivement faire avancer ce projet selon le seul critère de la santé mentale et peut-être aussi en faire la promotion chez les mineurs matures, ce qui aggravera encore davantage les problèmes dans les communautés autochtones.

Plus tôt aujourd’hui, la sénatrice McCallum nous a parlé de ses angoisses, des angoisses traitables, lui avait-on dit.

Si la santé mentale finit par être le seul critère, les personnes qui souffrent d’angoisse demanderont l’aide au suicide. Cela me trouble profondément, surtout si cela touche davantage les mineurs.

Selon vous, pourquoi le gouvernement a-t-il exclu du processus une perspective aussi importante et cruciale? Quels changements souhaiteriez-vous à ce projet de loi pour mieux refléter les perspectives des communautés autochtones et, surtout, des aînés?

Mme Bourassa : Honnêtement, je ne sais pas trop. Je suppose que j’ai été heureuse de constater une certaine consultation. Encore une fois, je ne sais pas combien. Je n’ai pas la réponse. Je l’aurai peut-être. Les deux dernières fois que j’ai fait un exposé au Sénat, j’avais dit qu’il est très difficile pour les communautés autochtones, et surtout pour les aînés, de vraiment comprendre le suicide — l’aide médicale à mourir, je suppose — parce qu’il y a tellement de suicides dans nos communautés. Lorsque je parle aux aînés, la réponse est très difficile, car la perspective d’un grand nombre d’entre eux est que tellement de gens meurent dans nos communautés qu’il n’est même pas pensable d’avoir cette conversation. Comment pouvons-nous même en parler?

Au cercle que nous avons tenu il y a deux ans, il y avait certainement du mouvement, « Oui, nous devons avoir cette discussion », mais nous n’avons pas été correctement consultés. Et si nous devons avoir cette discussion, il faut y aller très délicatement. On ne peut pas simplement réunir trois ou quatre aînés et s’attendre à ce que cela donne une consultation.

Je l’ai déjà dit, il y a tellement d’autres problèmes à régler. Leur perspective — et je ne peux pas parler en leur nom, mais c’est l’essentiel de ce qu’ils me disent — est qu’il y a tellement d’autres problèmes. On veut que la jeunesse soit bien vivante. On cherche des solutions à la crise du suicide plutôt que de penser à l’AMM.

Je ne dis pas que nous ne devrions pas avoir la conversation. Il nous la faut cette conversation, surtout à la lumière de ce que vous venez de dire au sujet de la santé mentale. Selon moi, nous n’avons pas eu de conversation poussée, et nous semblons reprendre la même conversation encore et encore, mais sans action concrète, sans mise en œuvre.

Je m’inquiète beaucoup du manque de sécurité culturelle, du manque de leadership de la part des communautés et de la compréhension de la spiritualité et de la mort. Ces choses-là ne semblent pas se traduire en actions. On parle beaucoup, sans vraiment aller de l’avant. Cela doit venir des communautés, des dirigeants, et pas des milieux intellectuels, à mon avis. Même si je suis autochtone et issue d’une communauté, nous sommes considérés comme des intellectuels. Cela ne peut pas venir de nous.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup, madame. Je vous sais gré de vos commentaires.

La sénatrice Boniface : Bonjour, tout le monde. Merci à vous tous d’être là. Ma question s’adresse à l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. J’aimerais avoir une idée de la situation.

Nous semblons être dans une impasse avec l’information que nous avons reçue de nombreux témoins, qui croient que ce sont probablement les tribunaux qui devront trancher l’exclusion de la maladie mentale comme seule condition sous-jacente, car certains sont d’avis qu’elle pourrait être inconstitutionnelle. Mais d’autres sont d’avis que la voie du « non raisonnablement prévisible » ouverte par l’arrêt Truchon n’est pas non plus constitutionnelle, car elle touche les droits des personnes handicapées en tant que groupe isolé.

Il semble que nous soyons tiraillés dans deux directions opposées pour des considérations constitutionnelles. Soit nous allons trop loin, soit nous n’allons pas assez loin. Pourriez-vous me donner des précisions à ce sujet? Merci.

Mme Pastine : Merci de la question. Je ne suis pas sûre que nous soyons ainsi tiraillés. Notre argument est que le projet de loi doit être constitutionnel. Le projet de loi C-14 ne l’était pas. Il a été contesté devant les tribunaux et jugé inconstitutionnel. À notre avis, le projet de loi C-7 est une autre mesure qui ne respecte pas la Constitution.

Nous espérons certainement que cet honorable chambre apportera les changements nécessaires à la loi afin de protéger les droits et libertés de tous les Canadiens sans faire de discrimination contre un groupe particulier — c’est-à-dire les personnes qui sont réputées en vertu de la loi souffrir d’un trouble mental.

Nous signalons également que les pratiques actuelles donnent aux Canadiens en fin de vie le droit de refuser ou d’interrompre un traitement. On accorde un très grand prix au droit des patients d’avoir l’autonomie nécessaire pour décider en connaissance de cause de l’ampleur des souffrances à endurer et du moment où assez c’est assez. Par exemple, une personne pourrait décider de cesser sa dialyse rénale ou de refuser un traitement qui lui sauverait la vie. C’est son droit.

L’aide médicale à mourir, ce n’est pas différent, même si elle est parfois ciblée et stigmatisée, mais, en réalité, elle fait partie intégrante des soins compatissants. Dans sa décision unanime, la Cour suprême du Canada a fixé ce que devraient être ces mesures de sauvegarde et la catégorie de personnes qui ont droit à ces soins de santé compatissants. Nous demandons au gouvernement de reconnaître et de respecter cette décision très importante.

La sénatrice Keating : Ma question s’adresse à Mme Pastine. Je vous prie de m’excuser, car j’ai eu des difficultés techniques et je n’ai pas saisi toute la question de la sénatrice Boniface.

Ces derniers jours, plusieurs témoins nous ont dit que l’exclusion générale des personnes atteintes de maladie mentale est inconstitutionnelle. Même ceux qui sont d’accord sur l’exemption nous ont dit qu’elle était inconstitutionnelle, mais elle est protégée par l’article 1.

En réalité, seul le gouvernement fédéral persiste à dire qu’elle est constitutionnelle. D’après votre expérience, par quelles raisons, s’il en est, le gouvernement fédéral pourrait-il justifier cette exclusion générale? Seriez-vous d’accord si l’exclusion était maintenue, mais assortie d’une disposition de temporarisation d’un an, par exemple?

Mme Pastine : Commençons par la disposition de temporarisation. L’Association des libertés civiles est d’avis qu’il est de loin préférable d’adopter une loi qui est constitutionnelle dès le départ plutôt que d’adopter une loi inconstitutionnelle assortie d’une disposition de temporarisation.

Cela dit, nous comprenons que de nombreux professionnels et intervenants d’expérience qui ont comparu devant vous et d’autres groupes ont marqué leurs préoccupations au sujet de la difficulté d’évaluer les personnes dont la seule condition médicale sous-jacente est un trouble mental ou ce qu’on pourrait appeler une maladie mentale.

Il me semble qu’une disposition de temporarisation dans ce contexte pourrait être un compromis raisonnable pour permettre à des groupes comme celui du Dr Robert de promulguer des lignes directrices et des mesures de sauvegarde efficaces.

Pour revenir à votre première question sur la constitutionnalité d’une exclusion générale, je pense qu’il est vraiment important de se rappeler que divers tribunaux ont statué que l’exclusion générale des personnes atteintes d’une maladie psychiatrique ou d’une incapacité mentale n’est pas conforme à la Constitution. C’est parce qu’il y a des façons moins nuisibles d’atteindre les objectifs du gouvernement. La clé pour faire en sorte que les droits soient maintenus et qu’il y ait en place des mesures de sauvegarde appropriées est d’être sûr que les patients sont compétents pour décider. En s’appuyant sur un dossier très volumineux, un dossier où de nombreux experts du monde entier ont été contre-interrogés sur ce point précis, la Cour suprême du Canada a décidé qu’il n’y a tout d’abord aucune incidence disproportionnée sur les populations vulnérables dans les secteurs de compétence où c’est permis et qu’ensuite les mesures de sauvegarde sont efficaces et fonctionnent.

Il s’agit notamment de l’évaluation de la capacité, qui fait partie intégrante de notre système médical. Il est tout à fait courant, dans le contexte des soins de fin de vie, d’aiguiller un patient, par exemple, chez un psychiatre pour faire évaluer sa capacité, afin de vérifier qu’il est pleinement informé, ne subit aucune contrainte et est capable de faire un choix volontaire. Cela est déjà dans notre système médical, et l’expérience canadienne des cinq dernières années prouve que cela fonctionne très bien, en particulier dans le contexte d’autres pratiques de fin de vie qui ne sont pas couvertes par le Code criminel.

La sénatrice Keating : Merci beaucoup. C’est rafraîchissant, en fait.

Le sénateur Cotter : J’avais deux questions à poser à Mme Pastine, mais la sénatrice Keating en a déjà posé une, celle sur la suspension de l’inclusion de la maladie mentale dans le projet de loi.

Ma question est légèrement différente. Dans une certaine mesure, j’aimerais connaître votre perspective sur la façon dont les avocats et le gouvernement du Canada ont examiné la question de la maladie mentale et de sa constitutionnalité. Permettez-moi de situer le contexte.

L’arrêt Truchon est un arrêt du Québec rendu il y a 18 mois ou à peu près, et le gouvernement du Canada ne l’a pas porté en appel et a immédiatement réagi dans cet exercice relativement au projet de loi C-7 pour apporter certaines modifications aux dispositions existantes du Code criminel afin d’y répondre en partie ou en totalité. On peut en penser ce qu’on veut.

En même temps, et vous en avez parlé plus tôt, l’affaire E.F. en Cour d’appel de l’Alberta, la décision unanime de la Cour d’appel de l’Alberta dans des circonstances où E.F. avait droit à l’AMM parce qu’elle souffrait d’un trouble psychiatrique, comme l’ont conclu le juge de première instance et la Cour d’appel.

J’aimerais connaître votre perspective sur la raison pour laquelle le gouvernement du Canada ne répond pas simplement à la décision de la Cour d’appel de l’Alberta de la même façon qu’il répond à Truchon et, en un sens, fait de la maladie mentale la seule condition qui puisse sous-tendre un fondement constitutionnel légitime pour l’accès à l’aide médicale à mourir.

Mme Pastine À l’Association des libertés civiles, nous nous posons la même question. Il semble que les tribunaux ont donné des directives claires sur la façon de structurer les lois pour maintenir le droit constitutionnel à l’aide médicale à mourir pour les personnes dont la maladie est grave et irrémédiable.

Je pense aussi que les Canadiens devraient avoir une grande confiance dans le travail extraordinaire que les médecins et les infirmiers praticiens ont accompli au cours des cinq dernières années en faisant de ces droits une réalité pour leurs patients et en leur assurant des soins compatissants avec une très grande sensibilité. Les collèges et les territoires de tout le pays ont depuis promulgué des normes rigoureuses pour la prestation de ces soins et pour veiller à mettre en place des mesures de sauvegarde vraiment robustes.

Je pense que nous avons aujourd’hui l’occasion de faire ce qu’il faut avec ce projet de loi. Il faut faire en sorte que les Canadiens qui ont droit à une AMM bienveillante puissent la recevoir après avoir consulté leur famille, après avoir reçu les conseils de leur médecin et après avoir pris cette décision très personnelle et très difficile.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma première question s’adresse au Dr Robert et ma deuxième à Mme Pastine. Docteur Robert, je me souviens très bien des travaux effectués par le Barreau du Québec et le Collège des médecins du Québec, auxquels vous et moi avons participé dans le cadre d’un exercice pédagogique social pour les travaux de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité de l’Assemblée nationale du Québec. Avez-vous l’impression que cet exercice pédagogique, c’est-à-dire une consultation très large de la population, a pu aider à préciser l’acceptabilité sociale de cette question qui est extrêmement difficile autour de l’aide médicale à mourir?

Dr Robert : Je suis parfaitement d’accord avec vous. L’exercice de consultation fait au Québec avec la Commission sur la question de mourir dans la dignité entre 2009 et 2012 a certainement contribué au débat social et a permis de mieux définir la réalité qui est l’aide médicale à mourir et de préparer le public à l’adoption de cette loi en juin 2014. Il y a eu également un exercice pédagogique auprès des professionnels en général, et de la santé en particulier, entre juin 2014 — moment de l’adoption de la loi — et décembre 2015. On parle de 18 mois pendant lesquels nous nous sommes préparés à bien offrir les soins aux patients. Effectivement, cela a certainement été un exercice pédagogique qui n’a pas été fait dans le reste du Canada. J’observe ces différences entre le Québec et le reste du Canada, notamment avec mes collègues d’autres ordres professionnels, qui se sont un peu moins impliqués dans la réglementation et l’encadrement des pratiques.

L’autre élément important est que la responsabilité de gérer les demandes d’aide médicale à mourir a été attribuée non pas aux médecins, mais à l’ensemble du système de soins de santé, qui devient responsable d’offrir ces services. Donc, il y a des attentes et l’acceptabilité a été non seulement très forte au Québec, mais beaucoup plus forte que ce à quoi nous nous attendions à l’origine. C’est certainement un exercice qui a facilité la chose et qui explique pourquoi les demandes visant à supprimer les barrières à l’accessibilité à l’aide médicale à mourir, notamment en raison des affaires de Truchon et Gladu, ont été si rapides au Québec.

La sénatrice Dupuis : Quand vous parlez de la révision de la loi et de la santé mentale, la question, pour vous, n’est pas de savoir si l’aide médicale à mourir doit être autorisée, mais plutôt de savoir quand et comment.

Dr Robert : Oui.

La sénatrice Dupuis : On pourrait indiquer dans la loi que l’aide médicale à mourir est disponible, mais que, s’il est nécessaire de préciser des modalités particulières pour la maladie mentale uniquement, une disposition serait prévue, avec un délai précis qui obligerait à décider d’une définition.

J’ai lu le rapport de l’Association des médecins psychiatres du Québec. Le préambule dit clairement que, au cours des cinq à dix dernières années, une masse d’information a été produite au sujet de la maladie mentale seule. La documentation existe et des recherches ont été faites. Consentiriez-vous à ce que cette question fasse plutôt l’objet d’une révision de la loi, s’il y a lieu, qu’on ne précise rien de fondamental qui brime les droits des gens dans le projet de loi C-7 et que, si des mesures de sauvegarde particulières sont nécessaires, on accorde un délai précis pour les adopter?

Dr Robert : Tout à fait. Cela rejoint un peu la question du sénateur Carignan qui disait que, si on remplaçait cette interdiction par une autorisation effective dans quelques mois, ce serait certainement une option.

Le sénateur Dalphond : Le sénateur Dalphond.

Dr Robert : Je m’excuse. Cela nous permettrait de nous préparer et de préparer les médecins à gérer ce type de demande.

La sénatrice Dupuis : La nuance que je fais est la suivante. Je pense que le droit constitutionnel est reconnu aux personnes, y compris celles qui vivent avec un handicap. Si on veut limiter les modalités qui les concernent, pour des raisons de sécurité, et qu’on est capable de les définir, on pourra les préciser ensuite dans la loi.

Dr Robert : Tout à fait. Vous avez parfaitement raison.

Le sénateur Boisvenu : Je serai très bref. Tout d’abord, merci beaucoup à tous les témoins. Les points de vue que vous nous apportez sont très intéressants.

Docteur Robert, au sujet des soins palliatifs, hier ou avant-hier, le sénateur Carignan nous a donné des chiffres plutôt inquiétants sur les fonds distribués aux provinces par le gouvernement fédéral pour les soins palliatifs. Ces montants ne comblent que 10 % des besoins. Où se situent le Québec et le Canada par rapport à d’autres pays qui ont des lois comparables à la nôtre sur les soins de fin de vie? Je m’intéresse à la disponibilité des soins palliatifs pour les personnes qui ne veulent pas obtenir l’aide médicale à mourir, mais qui préfèrent choisir les soins palliatifs. Où se situe-t-on, comme province ou comme pays, par rapport à d’autres pays qui ont une loi similaire?

Dr Robert : C’est une bonne question. Je ne suis pas épidémiologiste et je n’ai pas de chiffres à vous donner à ce sujet. L’impression que nous avons, en tant que régulateurs, c’est qu’il y a eu une certaine amélioration et normalisation des pratiques. Auparavant, on voyait beaucoup de disparités d’une région à l’autre au Québec. La situation s’est améliorée au cours des cinq dernières années en raison de la Loi concernant les soins de fin de vie, qui n’est pas une loi sur l’aide médicale à mourir, mais une loi beaucoup plus large sur la capacité d’offrir des soins de fin de vie de qualité, y compris les soins palliatifs, la sédation palliative continue et l’aide médicale à mourir. La loi n’est pas limitative.

Après l’adoption de la loi, en juin 2014, on a vu des investissements importants et une normalisation des pratiques. Il y a toujours place à l’amélioration, mais, curieusement, le débat autour de l’aide médicale à mourir a sensibilisé les autorités gouvernementales et les a décidées à investir dans la qualité des soins palliatifs, et ce, dans l’esprit de ne pas faire en sorte qu’une demande d’aide médicale à mourir soit justifiée par la difficulté d’avoir accès à des soins palliatifs.

Le sénateur Boisvenu : Docteur Robert, on a vu au Québec récemment des événements dramatiques où des gens ont assassiné des citoyens, alors que les familles, selon les médias, avaient appelé à l’aide pour obtenir des services psychothérapeutiques ou en psychiatrie et qu’il était impossible d’obtenir ces services dans un délai d’un an, voire deux ans. Si demain le Québec donne accès à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de troubles mentaux, alors que l’offre de services en psychiatrie est insuffisante, comment allez-vous gérer cette situation?

Dr Robert : On s’écarte du sujet des soins palliatifs pour entrer plutôt dans celui des soins en santé mentale.

Le sénateur Boisvenu : On ne peut pas distinguer l’un de l’autre. Pour une personne qui souffre de problèmes psychiatriques, qui demande de l’aide et qui n’obtient pas de réponse de l’État, la solution est bien souvent de se suicider ou de commettre un geste irrécupérable ayant pour conséquence de se retrouver dans un pénitencier fédéral. Nous voyons actuellement des sommets pour ce qui est des problèmes de santé mentale dans les pénitenciers fédéraux. Nous en sommes à 50 % de femmes et 40 % d’hommes qui souffrent de problèmes de santé mentale. On n’a fait que déplacer le problème en envoyant les personnes dans ces pénitenciers.

[Traduction]

La présidente : Sénateur Boisvenu, vous n’avez plus que 15 secondes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vous laisse finir, docteur Robert.

Dr Robert : Votre question est bonne. Ce n’est probablement pas le Collège des médecins du Québec qui est le mieux placé pour y répondre, mais plutôt les autorités du système de soins de santé du Québec.

[Traduction]

La présidente : Merci à tous les témoins. Je tiens à vous remercier de tout le travail extraordinaire que vous avez fait pour nous parler aujourd’hui. Vous nous en avez beaucoup appris, alors merci beaucoup.

Chers collègues, nous allons maintenant passer au prochain groupe de témoins.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Madame la présidente, est-ce qu’on peut prendre quelques secondes pour remercier Mme Julia Lamb de nous avoir fait part de sa propre expérience?

La présidente : Oui, certainement.

La sénatrice Dupuis : Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente : Madame Pastine, auriez-vous l’amabilité de dire à Mme Lamb que nous avons beaucoup apprécié sa déclaration? Elle est dans nos pensées. Elle a fait preuve de courage en nous envoyant son texte, et je vous prie de la remercier pour nous.

Nous allons passer au prochain groupe de témoins. Le Dr Ewan Goligher, professeur adjoint de médecine à l’Université de Toronto, et le Dr François Primeau, professeur titulaire clinique, Psychiatrie et neurosciences, au Collectif des médecins contre l’euthanasie. Nous accueillons le Dr Thomas Bouchard, médecin de famille du Comité albertain pour la protection de la liberté de conscience. Docteur Goligher, vous avez cinq minutes. Merci.

Dr Ewan Goligher, professeur adjoint de médecine, Université de Toronto, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Je remercie les honorables sénateurs de me donner l’occasion de prendre la parole. Je me présente, pour vous donner un point de repère, pour vous indiquer d’où je viens. Je suis un médecin universitaire, médecin-chercheur à l’Université de Toronto. Je pratique la médecine en soins intensifs. J’ai publié plus de 100 chapitres de livres et articles revus par des pairs, notamment sur l’éthique médicale et l’éthique de l’euthanasie et l’objection de conscience. Je travaille actuellement en recherche sur la COVID-19, et j’ai recueilli des millions de dollars pour appuyer la recherche sur la COVID-19 cette année. Je dirige un essai clinique global. J’ai consacré ma vie à l’amélioration des résultats pour les patients souffrant d’insuffisance respiratoire.

Je vous raconte cela, non pas pour vous impressionner, mais plutôt pour vous faire comprendre que, en tant que médecin objecteur de conscience, je demeure un médecin sérieux, réfléchi et altruiste. Je suis profondément préoccupé par le bien-être de mes patients, tout comme ceux qui sont en faveur de l’euthanasie.

Permettez-moi d’exprimer d’abord la consternation dans laquelle me plonge le projet de loi C-7. L’idée que nous, comme société, soyons prêts à appuyer le suicide assisté pour un groupe particulier de patients souffrant d’une incapacité physique est répugnante. Lorsque je me suis adressé à la Chambre des communes à ce sujet, j’ai raconté l’histoire d’un patient gravement handicapé que j’ai vu en tant qu’étudiant en médecine et qui m’a laissé une profonde impression parce qu’une grande partie de sa souffrance tenait à la solitude et à l’isolement, au besoin d’affirmation et de valeur, et au profond désespoir qui l’accablait. Or, voici que, comme société, nous disons à des patients comme lui que leur vie ne vaut peut-être pas la peine d’être vécue, et que nous appuierions son acte de suicide.

Le message que cette loi enverrait à mon enfant physiquement handicapé est tout à fait l’opposé de ce que j’essaie de lui enseigner, c’est-à-dire qu’il est important, en raison non pas tant de ce qu’il peut faire que de qui il est.

Quoi qu’il en soit, d’après les discussions que j’entends, malheureusement, il semble y avoir une énorme volonté politique d’aller de l’avant avec ce projet de loi, et c’est pourquoi je tiens à soulever justement la question de liberté de conscience, à savoir s’il faut forcer les médecins objecteurs de conscience à aiguiller des patients vers l’euthanasie.

Permettez-moi de signaler que si l’euthanasie était encore illégale, l’aiguillage d’un patient constituerait un acte de complicité criminelle dans un suicide actif ou un homicide. Cette culpabilité juridique signifie la culpabilité morale rattachée à un aiguillage.

En second lieu, l’euthanasie n’est peut-être plus illégale, mais cela n’empêche pas de se demander si elle est en réalité conforme à l’éthique. Modifier la loi pour permettre une chose, ce n’est nécessairement rendre cette chose conforme à l’éthique, comme l’ont indiqué eux-mêmes les juges en disant que rien dans leur décision dans l’affaire Carter ne devrait en rien contraindre qui que ce soit à participer à l’euthanasie. Je présente un argument simple. Si l’euthanasie peut être raisonnablement considérée comme contraire à l’éthique, les médecins ne devraient pas être obligés d’aiguiller des patients vers l’euthanasie.

Commençons donc par examiner la question suivante : peut-on raisonnablement considérer que l’euthanasie est contraire à l’éthique. J’ai plusieurs raisons à vous donner. Ce n’est pas que je reconnais que ce n’est ni le moment ni la place pour juger de l’éthique de l’euthanasie. C’est plutôt pour que vous compreniez que ceux d’entre nous qui s’y opposent ont des raisons profondes et sincères.

En premier lieu, l’euthanasie traite le patient comme un moyen d’arriver à une fin. Pour mettre fin à ses souffrances, nous le détruisons; nous éliminons le patient; nous supprimons la personne. Nous traitons le patient comme un moyen de parvenir à une fin, et personne ne devrait jamais être traité comme cela. C’est incompatible avec l’affirmation de la valeur intrinsèque et incalculable de la personne.

En second lieu, la volonté d’éliminer la personne et de la traiter comme un moyen de parvenir à une fin ébranle le fondement du respect de son autonomie. L’obligation de respecter son autonomie découle de l’obligation de respecter la personne. Lorsque nous traitons la personne comme un moyen de parvenir à une fin, comme nous le faisons avec l’euthanasie, nous sapons toute raison de respecter ses préférences. Si la personne elle-même n’est pas sacrée, on voit mal comment son autonomie pourrait l’être. Bien sûr, les deux sont sacrées.

En troisième lieu, cela viole le principe fondamental de la médecine. C’est controversé, car il n’y a pas de consensus définitif sur ce que peut être l’objet de la médecine. Cependant, ceux d’entre nous qui s’y opposent — et nous avons hérité d’une tradition qui est contestée depuis des centaines d’années et des millénaires — estiment que cela viole l’objectif fondamental de la médecine, qui est de restaurer plutôt que de détruire. C’est la différence entre soins palliatifs et euthanasie — entre soins réparateurs et soins destructeurs.

En quatrième lieu, rien ne prouve le moindre avantage médical. Dire que l’euthanasie est bénéfique, c’est s’appuyer sur des hypothèses métaphysiques aveugles de ce que c’est que d’être mort. Or, je peux vous assurer que les médecins n’ont aucune idée de ce que c’est que d’être mort.

Je dirais que tous ces arguments sont fondés sur le respect du patient et le souci de son bien-être.

Ainsi donc, étant donné que l’euthanasie peut raisonnablement être considérée comme contraire à l’éthique, les médecins devraient-ils être forcés d’aiguiller des patients vers l’euthanasie? En disant « non », je signalerai seulement qu’un médecin célèbre, du nom d’Asperger, qui avait décrit le syndrome d’Asperger, a vu son nom disparaître dans la désignation de cette maladie. Pourquoi? Parce que l’investigation historique a révélé qu’il avait aiguillé des patients vers l’euthanasie. Il les aiguillait vers l’euthanasie involontaire, ce qui n’est pas la même chose que l’euthanasie volontaire.

Mais là n’est pas la question; la question est qu’un aiguillage rend le médecin moralement coupable. Tout comme je ne devrais pas recommander l’euthanasie, ni la thérapie de conversion, je ne devrais pas aiguiller un patient vers un médecin qui vend des opioïdes d’ordonnance — tous ces actes d’aiguillage seraient inacceptables et le médecin devrait en être tenu responsable.

Je conclus que les médecins ne devraient pas être forcés de demander l’euthanasie. Je vous demande de modifier le projet de loi C-7 pour permettre ce que le projet de loi C-14 n’a pas su faire, c’est-à-dire protéger vraiment la liberté de conscience des médecins et des infirmiers du Canada.

La présidente : Merci, docteur Goligher. Nous allons maintenant passer au Dr François Primeau.

[Français]

Dr François Primeau, professeur titulaire clinique, psychiatrie et neurosciences, Collectif des médecins contre l’euthanasie, à titre personnel : Merci de cette invitation. Je suis un psychiatre qui a plus de 30 ans d’expérience et je suis aussi professeur titulaire clinique en psychiatrie à l’Université Laval. J’ai également été le premier médecin spécialiste lauréat d’une bourse du FRSQ pour étudier l’éthique clinique à Louvain et à Chicago il y a plus 30 ans.

Je saute à la page 3 pour parler des troubles mentaux. Je trouve surprenant que la loi propose que la maladie mentale ne soit pas une maladie au sens de la loi. Cette absence de définition, avec la possibilité de demander l’euthanasie pour souffrance psychologique intolérable, ouvre clairement la porte à l’euthanasie pour troubles mentaux, même si l’on affirme le contraire. Même si on croyait à l’exclusion des troubles mentaux, il ne faut pas sous-estimer les comorbidités médicales. Par exemple, les patients psychiatriques souffrent deux fois plus de maladies chroniques comme l’hypothyroïdie, de maladies pulmonaires ainsi que de diabète, et sept fois plus de problèmes électrolytiques. Les idées suicidaires sont un symptôme dans plusieurs troubles mentaux. La finalité de l’action thérapeutique psychiatrique a toujours été de restaurer l’autonomie et la liberté des patients, pas de supprimer cette autonomie en liquidant leur personne.

On allègue qu’il ne faut pas exercer de discrimination envers les patients psychiatriques qui demandent l’euthanasie. Or, le manque criant de ressources appropriées auxquelles faisait allusion le sénateur Boisvenu est, en soi, une discrimination flagrante. Le comble serait de les tuer sous prétexte qu’ils le demandent dans un contexte où leurs idées suicidaires ne peuvent être traitées adéquatement et rapidement en raison des délais pour obtenir les soins.

Quant aux troubles cognitifs, les directives anticipées dans le domaine des troubles cognitifs — et je suis gérontopsychiatre — sont difficilement opérationnalisables. Dans un contexte de fluctuation de l’aptitude, ces directives prêtent à l’abus même dans des stades avancés de démence, comme dans le cas d’une femme de 74 ans aux Pays-Bas dont je pourrai parler plus tard si les sénateurs sont intéressés.

Le médecin qui proposerait ou serait d’accord avec l’euthanasie d’une personne souffrant de démence ne validerait-il pas le non-sens de l’existence de cette personne? Or, les recherches récentes sur la résilience confirment le rôle central du sens dans la vie de toute personne. Tuer le sens, c’est déjà tuer la personne. Déprécier leur existence en avalisant leur désir de mort par l’euthanasie me paraît le comble de la discrimination au nom de la bien-pensance du moment. La coercition vers l’euthanasie est subtile et omniprésente dans les médias, qui amplifient cet âgisme systématique en faisant croire aux personnes âgées qui ont des troubles cognitifs qu’elles sont un fardeau pour elles-mêmes et pour la société.

En fait, le projet de loi C-7 dénature la profession de psychiatre, qui est de sauver la vie des patients aux prises avec des idées suicidaires, et non de tout faire par fausse empathie pour mettre ces idées en pratique. La demande d’euthanasie est un impératif clinique pour établir un dialogue entre le patient en détresse existentielle et le médecin, afin de comprendre la signification de cette requête. De plus, il n’y a pas de consensus scientifique adéquat sur le caractère irrémédiable des troubles psychiatriques.

En 2012, un ancien médecin socialiste français a souligné que l’euthanasie était un geste d’une grande violence qui pouvait faire illusion dans les années 1970 à titre d’idée progressiste, lorsque les moyens de lutte contre la douleur étaient limités et que les médecins étaient souvent enfermés dans leur toute-puissance, mais elle est aujourd’hui devenue un concept archaïque. Ces paroles sont toujours d’actualité. Donner au médecin le pouvoir de l’euthanasie sur les personnes souffrant de troubles mentaux et cognitifs, c’est rendre leur toute-puissance absolue au détriment de l’autonomie de ces personnes.

Prétendre que l’euthanasie, pour les patients suicidaires, prévient les suicides ou dire qu’il n’y a aucun lien entre suicide et euthanasie, voilà de purs sophismes. Tuer le patient plus vite par euthanasie plutôt qu’attendre qu’il se suicide plus tard a le même résultat et la même intention : la mort.

De plus, la question des balises est un leurre. Les balises d’hier de la loi de 2016 deviennent des obstacles qu’il faut abattre en 2020. Elles sont progressivement toutes appelées à disparaître.

Finalement, il me semble qu’il y a une faille inconcevable dans le projet de loi C-7, c’est-à-dire que, contrairement aux autres lois qui ont légalisé l’euthanasie, cette loi ne contient pas de disposition sur l’obligation d’offrir, surtout dans le cas des maladies mentales, toutes les options thérapeutiques possibles avant d’en arriver à l’euthanasie. Je vais m’arrêter ici.

[Traduction]

La présidente : Merci, docteur Primeau. Passons maintenant au Dr Thomas Bouchard.

Dr Thomas Bouchard, médecin de famille, Comité albertain pour la protection de la liberté de conscience : Honorables sénateurs, je suis heureux d’être des vôtres aujourd’hui pour discuter de ces questions importantes.

Je fais partie d’un groupe de médecins de plus en plus nombreux issus de divers milieux et de diverses conditions sociales. Notre objectif est de respecter les valeurs des patients tout en affirmant l’importance des libertés mutuelles des patients et des médecins. Nous ne voulons pas voir les désaccords comme des concours au sujet des droits, voire des conflits. Chaque jour, des médecins consciencieux s’efforcent de trouver des solutions qui déboucheront sur le respect mutuel, même s’il y a des différences entre ce qu’un médecin pourrait recommander en se fondant sur son expérience professionnelle et personnelle et ce qu’un patient pourrait rechercher.

Je tiens à souligner que la relation de confiance existe de telle manière que la grande majorité des situations sur lesquelles les patients et les médecins pourraient être en désaccord n’atteignent jamais le niveau du conflit. C’est dans cette optique que je veux souligner que la protection de la liberté de conscience ne vise pas principalement à protéger le médecin lui-même, mais bien à protéger la relation thérapeutique de confiance entre le médecin et le patient.

Cette confiance existe lorsque ni le médecin ni [Difficultés techniques] ne craignent les conséquences de leurs désaccords, mais sont incités à trouver de nouvelles façons de prodiguer des soins. Le processus est créatif. C’est une approche d’équipe, qui nécessite la protection de la liberté de conscience de l’équipe médecin-patient.

Le patient a d’abord besoin d’être protégé contre la coercition. Le médecin ne peut contraindre son patient en raison du pouvoir qu’il détient, et surtout pas en soulevant des choses que le patient n’apporte pas à la table. Par exemple, proposer une AMM non sollicitée par le patient. En second lieu, le médecin doit être protégé contre la coercition. Il ne faut pas lui faire faire quelque chose qui, selon son jugement, est néfaste pour le patient. La protection de cette relation de confiance entre le médecin et son patient signifie que les considérations d’accès ne doivent pas faire partie de l’équation. De nombreux politiciens, éthiciens et autres observateurs font valoir qu’un élément essentiel de la relation médecin-patient est l’accès, alors qu’en réalité l’accès est garanti par le régime de santé provincial.

En 2018, la Dre Diane Kelsall, rédactrice au Journal de l’Association médicale canadienne, a écrit que « la responsabilité d’assurer l’accès à l’aide n’incombe pas à un médecin particulier, mais à la société ».

Elle souligne que le ministère de la Santé de l’Ontario a mis sur pied un service de coordination des soins où les patients et les soignants peuvent demander directement à être rattachés à un médecin ou à un infirmier praticien fournissant l’AMM, et du même coup elle mentionne que, ironiquement, le collège provincial oblige encore les médecins à effectuer un aiguillage direct. Comment un médecin d’une petite ville pourrait-il assurer l’accès à l’AMM s’il ne la fournit pas? Chaque intervenant à ce projet de loi a convenu que personne ne devrait être obligé de fournir l’AMM. À l’inverse, comment pourrait-on jamais dire qu’un médecin bloque l’accès à l’AMM si la province s’est acquittée de sa responsabilité d’assurer un système accessible qui n’exige pas d’aiguillage? Les politiques qui imposent l’aiguillage efficace permettent de résoudre un problème qui n’existe pas, comme le souligne la Dre Kelsall dans son éditorial.

Le lieu de rencontre patient-médecin doit être l’un des endroits les plus sûrs de la société. Il est ce que j’appellerais, comme bien d’autres, un foyer médical. Pour moi, médecin de famille, parfois ce lieu sûr suppose le choix d’un médecin qui partage les vues du patient. Pour cela, nous devons respecter la diversité des points de vue des Canadiens. Nous devons nous sentir chez nous avec nos médecins, ce qui signifie que nous avons différents types de foyers pour la société canadienne pluraliste dans laquelle nous vivons. Je ne suis pas naïf : bon nombre de mes patients sont peut-être tout à fait favorables à l’aide médicale à mourir et, dans certaines circonstances, nous pourrions être en désaccord. Cela pourrait signifier que je ne suis pas le bon médecin pour le patient. Dans de rares cas, cela peut entraîner un transfert à un collègue. Mais un transfert, ce n’est pas un aiguillage. D’après mon expérience auprès de la grande majorité de mes patients, nous pouvons convenir de ne pas être d’accord sur de nombreuses questions, tout en maintenant cette relation de confiance. Je dirais que ce foyer médical est un lieu de créativité, où nous travaillons ensemble pour améliorer leur vie. Pour moi, chaque personne qui souffre est une occasion de trouver de nouvelles façons de la soigner.

John Fletcher, un autre rédacteur, alors rédacteur en chef du JAMC, pendant la légalisation de l’aide médicale à mourir, a dit :

La société canadienne pourrait bientôt permettre à certains médecins de redéfinir leur rôle, mais cela ne devrait pas obliger la majorité des médecins que cela met mal à l’aise à renoncer à leurs convictions.

Même si la Cour suprême, le projet de loi C-14 et maintenant le projet de loi C-7 ont exempté les médecins et les infirmiers praticiens du crime d’homicide lorsqu’ils mettent fin à la vie de leurs patients, un grand nombre d’entre eux ne veulent pas invoquer l’exemption. Notre participation, y compris la forme de prise de dispositions ou d’aiguillage pour ce service juridique, serait une approbation ou une recommandation de passer par l’AMM, ce que nous ne saurions faire. La conscience, et j’insiste là-dessus, n’est pas seulement une question de goût ou de préférences, mais une conviction profondément enracinée qui nous empêche de partager le désir de quelqu’un de poursuivre certaines lignes de conduite. La liberté de conscience, ce n’est pas la liberté de faire ce que je veux, mais la liberté de faire ce que je dois.

Je vous exhorte vivement, chers sénateurs, à ne pas nous abandonner pendant que nous cherchons des solutions créatives pour traiter nos patients du mieux que nous pouvons. Ne nous abandonnez pas dans les efforts que nous faisons pour défendre nos patients vulnérables et sans voix qui sont parfois trop timides pour dénoncer la discrimination. Nous n’abandonnerons pas l’espoir pour nos patients en cette période difficile, et je vous demande de ne pas nous oublier et de protéger la relation que nous avons avec eux. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, docteur Bouchard.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte sur l’obligation de poser un acte. Dans le Code criminel, lorsque le projet de loi C-14 a été adopté, on a aussi adopté le paragraphe 241.2(9), qui stipule ce qui suit :

Il est entendu que le présent article n’a pas pour effet d’obliger quiconque à fournir ou à aider à fournir l’aide médicale à mourir.

Je crois déduire, après avoir entendu votre présentation aujourd’hui, que vous croyez que cet article n’est pas suffisant pour vous protéger ou pour protéger votre liberté de conscience, et que vous ne voulez pas être obligé de poser un acte avec lequel vous êtes en désaccord?

[Traduction]

Dr Goligher : Désolé, puis-je demander à qui la question s’adresse?

[Français]

Le sénateur Carignan : À tous les témoins.

[Traduction]

Dr Goligher : Merci, honorable sénateur. Permettez-moi de commencer. Je sais que le projet de loi C-14 traduisait un effort de bonne foi de la part de tous les professionnels de la santé pour protéger la liberté de conscience. Malheureusement, il y a deux provinces au Canada où les médecins et les infirmiers praticiens sont tenus de faire un aiguillage efficace vers l’euthanasie : l’Ontario et la Nouvelle-Écosse. En Ontario, j’ai des amis et des collègues qui ont été forcés de changer de pratique, et en particulier de cesser d’offrir des soins palliatifs parce qu’ils se trouvent dans une situation difficile où ils s’exposent à des mesures disciplinaires pour refus de faire un aiguillage efficace vers l’euthanasie.

Il y a aussi des collègues qui ont pris une retraite anticipée. Et je sais également que les candidats à la faculté de médecine sont évalués en fonction de leurs croyances au sujet de cette pratique lors de leur entrevue d’admission. Malgré l’effort de bonne foi que traduit le projet de loi C-14, la protection de la liberté de conscience pose un problème réel, et il est important de trouver un moyen de vivre ensemble dans une société pluraliste. Ceux d’entre nous qui ont participé aux efforts visant à protéger la liberté de conscience ont cherché de bonne foi à proposer des approches raisonnables susceptibles de répondre aux désirs des patients tout en respectant la liberté de conscience des médecins et des infirmiers du Canada.

Dr Bouchard : Je vais enchaîner là-dessus pour dire que, si le projet de loi C-14, si le paragraphe 9 de l’article 241.2 était adéquat, je ne pense pas qu’il y aurait une si grande confusion parmi les groupes de témoins que vous avez entendus au sujet de l’aiguillage. Puisque vous avez entendu tellement d’opinions différentes, je pense que ce n’est pas clair et qu’il y a des choses à préciser. Plus que ce qui a déjà été précisé.

[Français]

Le sénateur Carignan : Si j’ai encore du temps; ai-je encore du temps?

La présidente : Non, je suis désolée.

[Traduction]

La sénatrice Batters : En premier lieu, je m’adresse au Dr Goligher. Je suis désolée si je n’ai pas bien dit cela et corrigez-moi si je me suis trompée. Je voulais vous donner une petite chance de nous dire quelle était la modification que vous avez proposée, parce que vous avez manqué de temps dans votre déclaration préliminaire.

Dr Goligher : Je vous remercie. Nous proposons de modifier le libellé de la loi pour stipuler clairement que personne n’est obligé d’aider ou d’encourager le suicide assisté, l’euthanasie ou l’aide médicale à mourir. Nous pensons que les mots « aider et encourager » seraient appropriés et suffisants, selon les avis juridiques que nous avons reçus, pour faire en sorte que l’aiguillage efficace ne soit pas permis en vertu de loi.

La sénatrice Batters : Merci. J’ai une autre question pour vous : il semble y avoir un consensus parmi de nombreux sénateurs pour dire que les objecteurs de conscience ont le droit de ne pas administrer physiquement une substance mortelle à un patient. Cependant, il faudrait peut-être mieux comprendre l’importance de ne pas obliger un médecin à fournir un aiguillage efficace vers quelque chose d’aussi moralement controversé qu’un suicide assisté.

Je me rappelle que, lors du projet de loi C-14, le Dr Jeff Blackmer, membre de l’Association médicale canadienne, témoignant devant le comité où nous sommes en ce moment, a dit qu’un aiguillage est effectivement l’approbation d’une procédure, qui soulève un problème moral pour de nombreux praticiens.

Docteur Goligher, êtes-vous d’accord sur cette façon de voir. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il faudrait protéger les praticiens contre l’obligation de fournir un aiguillage efficace? Merci.

Dr Goligher : Merci, madame la sénatrice Batters. Je suis d’accord avec l’interprétation du Dr Blackmer sur ce qu’est un aiguillage. Je peux comprendre que bien des gens qui ne pratiquent pas la médecine ne sachent pas ce que c’est que d’aiguiller un patient.

Lorsque je renvoie un patient à un autre médecin, je suis responsable — je le fais dans l’intérêt du patient comme acte de soins. Je fais un aiguillage pour qu’il reçoive des soins ou de l’expertise que je ne peux pas lui procurer, mais j’agis de bonne foi, convaincu que le patient sera traité avec le respect approprié, conformément à l’éthique et avec l’expertise nécessaire.

Le patient me fait confiance pour que je le dirige vers quelqu’un qui lui prodiguera les soins médicaux nécessaires. Il y a donc toujours cet acte de foi indépendant de la part du patient, et je demeure légalement et moralement responsable des aiguillages que j’effectue. J’essaie d’insister là-dessus en signalant que nous sommes tous d’accord pour dire que, lorsque Asperger a aiguillé ses patients vers quelque chose de contraire à l’éthique, il a mal agi et que l’histoire devrait lui en tenir rigueur.

Je soupçonne qu’aucun des honorables sénateurs ne verrait d’un bon œil que je fasse un aiguillage vers une autre pratique contraire à l’éthique comme, je l’ai mentionné, la vente d’opioïdes d’ordonnance. Un aiguillage efficace est un acte extrêmement important, un acte qui nous fait nous sentir très responsables de veiller à ce que le patient reçoive les meilleurs soins.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Madame la présidente, s’il me reste du temps, j’aimerais poser une autre question au Dr Bouchard. Sinon, je vous demanderais de m’inscrire sur la liste pour la deuxième ronde.

La présidente : Je vous inscris sur la liste.

Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse aux membres du groupe de témoins. Le premier et le troisième, je pense. J’ai de la difficulté à comprendre ce que vous proposez. Le Code criminel prévoit déjà que cet article n’a pas pour effet d’obliger le médecin à fournir ou à aider à fournir l’aide médicale à mourir.

Vous dites que le problème se situe au niveau des décisions prises par le collège des médecins en Ontario et dans une autre province. Donc, c’est une question de discipline et d’éthique. Le rôle du Code criminel n’est pas de régir l’éthique des médecins. Je ne comprends pas. Vous voulez régler un problème de gouvernance et d’éthique au sein de l’organisme de gouvernance en modifiant le Code criminel?

Dr Goligher : Je vais laisser le Dr Bouchard en parler davantage, mais je dirai brièvement que, si le Sénat et la Chambre ont jugé bon d’affirmer que personne ne devrait être tenu de fournir ce service, cette loi était nécessaire, et il est opportun d’y préciser certaines contraintes quant aux attentes.

De plus, les juges eux-mêmes dans l’affaire Carter ont clairement indiqué que leur décision n’obligeait personne à fournir le service. Il me semble — je ne suis pas avocat, et vous le savez sans doute mieux que moi — qu’il y a lieu de voir à ce que la loi encadre de certaines contraintes ce qu’elle permet.

Dr Bouchard : Je dirais seulement, pour expliquer comment cela peut être inscrit dans le Code criminel, surtout parce que je suis d’accord avec le Dr Goligher, que le paragraphe 9 permet certainement d’apporter des précisions à cet égard. Je pense que cela doit être clarifié davantage parce que le paragraphe 9 ne semble pas pouvoir dissiper la confusion qui règne parmi tous vos témoins, y compris au sujet de l’aiguillage. On pourrait peut-être envisager de modifier le paragraphe 9 pour ajouter que nous ne sommes pas obligés d’aiguiller le patient pour les raisons que nous avons décrites, à savoir qu’il s’agit d’une participation à l’acte, mais il faut que ce soit plus clair.

Je dirais également que nous ne nous considérons pas exemptés des actes apparentés à l’homicide et au suicide. Même s’il y avait des exemptions pour l’ensemble des médecins, la participation à un homicide ou à un suicide nous pose un problème. Il y a cinq ou six ans, avant que cela ne soit légal, l’aide et l’encouragement étaient encore des crimes. Nous disons que si nous ne considérons pas que l’exemption s’applique à nous parce que nous ne voulons pas être exemptés de ces problèmes, cela vaut également pour les dispositions du Code criminel visant l’aide et l’encouragement.

Le sénateur Dalphond : Vous pensez donc qu’un témoin de Jéhovah qui est médecin, et qui estime qu’un patient a besoin d’un traitement incluant une transfusion sanguine, ne dirigera pas ce patient vers un spécialiste qui pourrait lui fournir la transfusion sanguine?

Dr Bouchard : Je pense que cela n’a rien à voir avec le projet de loi C-7 ou le projet de loi C-14 parce que cela concerne précisément l’AMM. Je ne crois pas qu’il y ait un projet de loi fédéral portant sur les Témoins de Jéhovah.

Dr Goligher : Si je peux me permettre un commentaire plus général, je pense que le sénateur soulève un bon argument, à savoir que la liberté de conscience d’un médecin n’est pas illimitée. Elle est limitée par ce qui est bon pour le patient. Nous nous opposons à l’AMM parce que nous pensons que c’est néfaste. C’est une façon inappropriée de traiter le patient. Notre objection est fondée sur le respect du patient.

Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire qu’il n’y a pas de liberté absolue de refuser de faire quoi que ce soit pour le patient parce que vous êtes contre. En tant que médecin, vous avez le devoir de démontrer que votre objection est fondée sur le souci du bien-être du patient. Nous avons essayé de vous expliquer cela brièvement aujourd’hui.

Le sénateur Plett : Merci aux témoins. Nous avons encore des problèmes de son. En tout cas, je reçois beaucoup d’échos. Je suis peut-être le seul.

Le sénateur Dalphond : Même chose pour moi.

Le sénateur Plett : Docteur Goligher et docteur Bouchard, on semble d’accord, en général, parmi les sénateurs, et je crois même au sein du gouvernement, pour dire que les objecteurs de conscience ont le droit de ne pas administrer de substance mortelle au patient.

Cependant, il semble y avoir un manque de compréhension quant à l’importance de ne pas obliger le médecin à aiguiller efficacement le patient vers une chose aussi moralement controversée que le suicide assisté. Je pense que même dans ses questions, mon collègue, le sénateur Dalphond, semblait s’interroger sur ce que vous demandiez. Je pense que je comprends assez bien, car je suis tout à fait du même avis.

Lors de l’étude en comité du projet de loi C-14, la Dre Dawn Davies, de la Société canadienne de pédiatrie, a déclaré avec ferveur qu’un changement avait été imposé aux médecins. Elle a dit ce qui suit :

Je conviens que dans presque toutes les autres hypothèses, il y a obligation de renvoyer le patient devant un autre praticien, ou d’opérer un transfert des soins. Je crois savoir que les autorités provinciales sont actuellement en train de dresser la liste des médecins qui acceptent de faire ce genre d’intervention médicale et que la décision sera laissée au patient.

Si l’on impose l’obligation de renvoyer le patient devant un autre praticien, ceux qui éprouvent déjà en cela de grandes réserves, risquent de se sentir un peu complices. Le mouvement est déjà tellement avancé cependant que les patients vont pouvoir décider d’eux-mêmes.

Beaucoup ont laissé entendre le contraire, que ce n’est pas le cas et que l’enchâssement de ces protections créera un obstacle à l’accès pour les patients.

Ma question s’adresse donc à vous deux. Croyez-vous que ce soit le cas? Et que peut-on faire pour veiller à ce que les intérêts des patients et des médecins soient protégés dans le contexte de l’objection de conscience?

Dr Bouchard : En Alberta, j’ai demandé aux gens qui ont mis sur pied les services de coordination des soins s’il y avait eu des preuves d’obstruction de la part de médecins qui pourraient s’opposer à l’aiguillage, et il n’y en a eu aucune. Je pense donc que nous ne pouvons pas nous fier uniquement à des preuves anecdotiques d’obstruction potentielle. Nous devons dire que si la province a autorisé l’accès direct, alors c’est la province qui a réglé le problème. Nous ne pouvons pas imposer cela aux médecins quand les provinces ont déjà mis en place un système d’accès direct pour les patients.

Dr Goligher : En Ontario, par exemple, il existe un service semblable de coordination des soins auquel les patients peuvent avoir accès. Il y a différentes voies. Dans mon propre hôpital, si je devais recevoir une telle demande, je serais heureux de transférer le patient au MPR, le médecin le plus responsable, qui superviserait le processus et aiguillerait le patient s’il le jugeait approprié.

Il y a de nombreuses façons de répondre à ces demandes, et des propositions de bonne foi ont été soumises. Mais je peux honnêtement dire que je connais de nombreuses personnes — surtout en médecine palliative — qui ont quitté la pratique parce qu’elles se retrouvent dans cette situation très difficile, et malheureusement, cela réduit l’accès des patients à de bons soins palliatifs.

Le sénateur Cotter : Je n’avais pas l’intention de me joindre à la conversation avec le Dr Goligher, mais j’ai une ou deux questions à poser à la lumière de ce qui a été dit.

À mon avis, docteurs, cette question n’est pas aussi déroutante que vous ou d’autres le laissez entendre. Elle a été examinée à fond par les tribunaux de l’Ontario, y compris un groupe distingué de juges de la Cour d’appel de l’Ontario qui ont décidé à l’unanimité que cette question devrait être réglée en faveur des médecins ayant la responsabilité de fournir un aiguillage efficace conformément aux directives de leur propre Ordre des médecins et chirurgiens.

Si vous pensiez, vous-mêmes et vos collègues, que c’était si problématique et si peu clair, vous aviez la possibilité d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada, mais vous ne l’avez pas fait. Il me semble qu’il s’agit d’un effort désespéré de la onzième heure pour amener le gouvernement du Canada à intervenir dans des circonstances où vos propres collègues estiment qu’il s’agit d’un choix légitime en matière de prestation de services.

Ma deuxième observation est plutôt une question. On vous a invité à décrire le projet de loi que vous proposeriez, et vous avez dit que les médecins ne devraient pas être tenus d’aider et d’encourager. Je suis choqué, en fait, qu’un avocat propose ce genre de libellé. L’expression « aider et encourager » déclare implicitement un crime. Vous laissez entendre que c’est pour protéger votre conscience, mais ce libellé contient une allégation selon laquelle les autres médecins commettent des crimes. Mis à part ma réticence à être sympathique à votre argument, je suis offusqué que vous présentiez les choses de cette façon. Maintenant, je pense...

Le sénateur Plett : Le sénateur Cotter devrait peut-être offrir de témoigner dans le prochain groupe.

Le sénateur Cotter : J’adopte seulement le même style que vous, sénateur Plett, et j’invite les témoins à répondre.

Dr Goligher : En tant que médecin vivant en Ontario, je vais répondre en premier. Je remercie le sénateur de ses observations. Malheureusement, comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas parce que quelque chose est légalement permis ou qu’on déclare quelque chose être la loi que c’est éthique. Nous sommes ici aujourd’hui au motif qu’il y a un problème d’éthique auquel nous sommes confrontés et que les juges de la Cour de l’Ontario ont admis librement que ce qui était requis pour assurer un aiguillage efficace était une violation grave du droit à la liberté de religion garanti par la Charte.

Deuxièmement, l’affaire n’a pas été portée devant les tribunaux pour des motifs de conscience. De plus, les juges semblaient d’avis qu’un aiguillage efficace était nécessaire pour assurer l’accès, et je pense que c’était une erreur.

Avec tout le respect que je vous dois, le fait que les juges aient rendu une décision ne règle pas la question pour autant. Comme vous le savez, l’interdiction initiale de l’euthanasie a été confirmée par la Cour suprême dans les années 1990, puis annulée par l’arrêt Carter. Nous pensons donc que la décision était erronée.

Je ne me suis pas occupé des questions juridiques. Je suis ici à titre personnel et je vous demande, à vous et au gouvernement fédéral, de veiller à ce que cette version de la loi donne les résultats que visait le projet de loi C-14. Il est certain que si vous avez un meilleur libellé pour y parvenir sans laisser entendre que les autres médecins ont commis un acte criminel, j’en serais très heureux. Nous avons un désaccord très raisonnable. J’en ai discuté avec de nombreux collègues qui voient les choses différemment. Nous travaillons ensemble de façon tolérante et respectueuse. S’il y avait un meilleur libellé pour atteindre cet objectif, nous l’accueillerions favorablement.

Dr Bouchard : J’ajouterai brièvement qu’à mon avis, l’obligation de faire un aiguillage efficace, comme je l’ai déjà dit, vise à résoudre un problème qui n’existe pas si l’accès est déjà garanti par un service de coordination des soins.

La sénatrice Keating : Je suis d’accord avec le sénateur Cotter. Vous présentez cela comme s’il s’agissait d’un sujet qui était encore à l’ordre du jour. Je sais que vous n’êtes pas des avocats, mais nous vivons dans une démocratie constitutionnelle, et la Cour suprême du Canada a accordé aux gens, aux citoyens canadiens, le droit absolu de mourir. De plus, il y a la décision de la Cour d’appel de l’Ontario, qui a maintenant force de loi dans cette province, et probablement dans tout le pays — à moins qu’il y ait eu appel, ce qui, à ma connaissance, n’a pas été le cas —, où la Cour d’appel a déclaré, et je vais la citer pour la gouverne de tous :

Les médecins qui s’opposent pour des raisons morales à la prestation de services de santé comme l’aide à mourir, l’avortement et le contrôle des naissances doivent offrir à leurs patients un « aiguillage efficace vers un autre médecin ». Et compte tenu du rôle important que jouent les médecins de famille pour permettre d’accéder au système de santé, la cour a devant elle des preuves convaincantes que les patients subiront un préjudice en l’absence d’aiguillage efficace.

Laissons de côté la comparaison du sénateur Dalphond avec les Témoins de Jéhovah, et je vous pose la question suivante : cette cause ne portait pas seulement sur un aiguillage efficace pour l’aide médicale à mourir, n’est-ce pas? Cela comprend également l’aiguillage vers le contrôle des naissances. Êtes-vous du même avis au sujet de l’aiguillage vers le contrôle des naissances?

Dr Goligher : Merci, sénatrice, de votre question.

Le sénateur Campbell : Je ne crois pas qu’il soit approprié de poser cette question. Je ne pense pas que cela nous regarde.

Le sénateur Plett : Je suis tout à fait d’accord.

La sénatrice Keating : Eh bien, vous faites valoir votre point de vue...

Le sénateur Plett : Et je demanderais aux témoins de ne pas répondre à cette question parce qu’elle ne se rapporte pas au sujet qui nous intéresse.

La présidente : Nous allons passer au prochain — aviez-vous d’autres questions, sénatrice Keating?

La sénatrice Keating : Je vais faire une déclaration. Les témoins n’ont pas à répondre à la question. Cependant, ils nous ont fait part de leur obligation morale — ils nous ont suggéré de modifier le Code criminel pour criminaliser le fait d’avoir à référer un patient. Je ne pense donc pas qu’il soit mauvais de leur demander s’ils pensent la même chose au sujet des Témoins de Jéhovah — une question qu’ils esquivent en quelque sorte — ou de la déclaration de la Cour d’appel au sujet de l’aiguillage pour le contrôle des naissances. Mais s’ils ne veulent pas répondre, nous avons notre réponse. Merci.

Dr Goligher : Si vous le permettez, je me ferai un plaisir de répondre à la question.

La question est de savoir si la chose pour laquelle vous aiguillez le patient est contraire à l’éthique. Si vous avez de bonnes raisons de considérer que c’est contraire à l’éthique, vous ne devriez pas faire cet aiguillage, et c’est le principe général en médecine.

L’argument que je vous ai présenté concerne l’euthanasie. Je ne crois pas que l’euthanasie soit éthique. Je pense qu’il est tout à fait raisonnable que je maintienne cette conviction, et c’est pourquoi je suis ici pour parler précisément de l’euthanasie.

La sénatrice Keating : Merci de votre réponse.

La présidente : Merci, docteur Goligher.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’ai une question pour le Dr Goligher, et ensuite pour le Dr Primeau. Docteur Goligher, vous avez parlé de la médecine palliative comme étant une médecine réparatrice, par opposition à l’aide médicale à mourir, qui serait destructrice, donc un homicide. Comment pouvez-vous présenter les soins palliatifs, qui sont en principe des soins offerts à un patient qui ne peut plus recevoir de traitement pour « restaurer » son état antérieur, comme une médecine réparatrice par opposition à l’aide médicale à mourir?

[Traduction]

Dr Goligher : Merci, sénatrice Dupuis. C’est une question très judicieuse. Je reconnais que la distinction n’est pas évidente pour tout le monde.

En ce qui concerne les soins palliatifs, le but des médicaments et des traitements administrés dans le cadre d’un régime de soins palliatifs est de maximiser la capacité du patient de vivre pendant qu’il meurt, de fonctionner et de s’épanouir. C’est vraiment le rêve original, la vision et la philosophie de la médecine palliative.

Même en fin de vie, l’objectif de l’administration d’opioïdes pour soulager la dyspnée ou la douleur, même si cela peut rendre le patient relativement plus somnolent, est de lui permettre d’être le plus humain possible sur le plan médical pendant qu’il est en train de mourir. C’est pour maximiser notre humanité. Il ne s’agit jamais de chercher délibérément à mettre fin à la vie de la personne. C’est la distinction que je fais entre quelque chose de réparateur et quelque chose de destructeur.

La loi elle-même parle d’un acte d’homicide. Elle dit que l’aide médicale à mourir ne compte pas comme un homicide illégal. Je reconnais que quelque chose qui tue n’est pas forcément répréhensible. Il y a une distinction très importante à faire entre l’euthanasie et les autres formes de médecine.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je vous remercie, docteur Goligher. Docteur Primeau, vous avez affirmé que tuer sous prétexte que quelqu’un le demande va à l’encontre de votre conscience. Dans le contexte actuel — en dehors de toute référence à l’aide médicale à mourir —, vous avez une patiente en fin de vie dont le médecin prend l’initiative de lui donner des soins qui la rendront comateuse, inconsciente de ce qui se passe autour d’elle. Il pose un geste sans qu’elle le lui demande. Elle ne lui demande rien. Comment croyez-vous que ce médecin va s’organiser avec sa conscience? En principe, vous dites que le médecin ne veut pas tuer quelqu’un. Je comprends très bien, mais comment jugez-vous la question dans le contexte actuel?

Dr Primeau : Je vous remercie de la question, sénatrice. Ce commentaire s’inscrivait dans le cas des patients en psychiatrie, où l’on dit souvent que les patients doivent avoir confiance pour prendre de bonnes décisions. Comme vous le savez, ces patients-là ont souvent des idées suicidaires ou des plans suicidaires. Le problème que je voyais était le suivant : avec les délais dans les soins actuels, comment les patients peuvent-ils être confiants? Je vais vous donner deux exemples cliniques. La semaine dernière, une jeune femme de 19 ans — dont j’ai fait l’entrevue — a dit que, à la suite de son hospitalisation en 2018, le CLSC lui avait dit qu’on allait la recontacter pour un suivi dans les 24 à 48 heures. Elle a reçu l’appel deux ans plus tard. Hier, j’ai interrogé un autre patient de 26 ans qui souffre d’un trouble du spectre de l’autisme. On l’a dirigé vers le CLSC. On lui a dit qu’on lui répondrait au plus tard dans un an.

J’ai tenu ces propos dans un contexte de soins psychiatriques. Comment peut-on prétendre que le délai de 90 jours dans le projet de loi C-7 est suffisant quand les délais pour obtenir des soins sont beaucoup plus longs? À ce moment-là, la proposition de l’euthanasie deviendrait le premier soin « disponible » parmi les autres, puisque les patients ne peuvent pas obtenir les soins...

La sénatrice Dupuis : Êtes-vous d’accord avec ce que les ordres professionnels de médecins nous ont dit… J’aimerais poser ma question au second tour, s’il vous plaît.

[Traduction]

La présidente : Sénatrice Dupuis, je suis vraiment désolée. Votre temps est écoulé. Mes excuses. Si vous le voulez, je vous accorderai la parole au deuxième tour.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais poursuivre dans la même veine que le Dr Primeau en ce qui concerne les délais pour obtenir des soins et des consultations. Le délai de 90 jours commence à la première évaluation. S’il faut un an ou un an et demi pour obtenir une évaluation, alors le délai de 90 jours est beaucoup plus long.

Outre votre expérience en soins psychiatriques, vous semblez avoir beaucoup d’expérience en soins palliatifs, et j’ai vu que vous êtes également diacre. Votre expérience en soins palliatifs vient-elle de votre travail à titre de diacre ou de psychiatre?

Dr Primeau : En fait, j’ai une plus grande expérience en psychiatrie. Je fais mon témoignage sur une base professionnelle. Oui, je suis diacre et c’est une qualification, une spécialisation, et je l’ai faite beaucoup plus tard dans ma carrière. J’ai 30 ans d’expérience en tant que psychiatre et je suis diacre depuis 8 ans seulement. Mes activités de diacre ne s’inscrivent pas dans un contexte clinique, mais dans un contexte pastoral.

Dans le contexte clinique où je travaille, la difficulté que je constate, c’est l’insuffisance des soins offerts. Vous avez fait allusion plus tôt au fait que le délai commence à la première évaluation. Justement, je voulais faire ressortir le fait que la première évaluation est faite par un psychiatre pour des soins recommandés par un médecin de famille — si, par exemple, je diagnostique un trouble du spectre de l’autisme ou toute autre condition — et qu’il faut beaucoup de temps pour obtenir des soins communautaires ou faire un suivi. L’attente est très longue et dépasse tout ce qui est raisonnable. C’est un grave problème. Il y a même eu un manifeste de la part des psychiatres au Québec sur l’accès aux soins en santé mentale. J’espère que l’inquiétude des sénateurs — particulièrement de ce comité — à l’égard des patients en psychiatrie et des patients qui ont des problèmes de santé mentale est bien réelle. Je trouve qu’il s’agit souvent d’une question d’exclusion qui est traitée en dernier.

Dans mon témoignage, j’ai montré à quel point les patients en psychiatrie ont souvent des comorbidités médicales très importantes. La maladie psychiatrique elle-même est un obstacle à aller chercher des soins médicaux et c’est plus difficile pour ces patients d’avoir accès à des soins médicaux de base. Dans ce contexte-là, à mon avis, le projet de loi est insuffisant pour répondre aux problèmes que vivent ces patients. On leur propose l’euthanasie alors qu’ils ont des idées suicidaires et qu’ils n’obtiennent pas les traitements dont ils ont besoin. Les suicides rationnels existent, mais, en 30 ans de carrière... J’ai trop de doigts à la main pour compter le nombre de suicides rationnels. En général, les idées suicidaires sont ancrées dans un tableau de troubles mentaux importants. Comment aborder ce problème quand on ne peut obtenir des soins ou que les délais sont trop importants? D’autres conférenciers, comme le Dr Bouchard, ont fait allusion au fait qu’il revient aux systèmes de santé provinciaux de garantir l’accès à la loi canadienne, mais dans les faits on continue à se battre pour obtenir des soins. Vous entendez tous les jours des reportages à propos de gens qui n’ont pas accès à des soins ou qui se sont suicidés parce qu’ils n’ont pas eu accès à temps à des soins appropriés. Un comité sénatorial étudie le projet de loi C-7, mais pourquoi n’y a-t-il pas un comité sénatorial qui examine un projet de loi pour faciliter l’accès aux soins en santé mentale? Mon grand malaise, en tant que psychiatre, c’est qu’on se penche beaucoup sur cette question de l’aide médicale à mourir — que j’appelle l’euthanasie —, mais que les gouvernements, depuis cinq ou dix ans, se sont beaucoup moins penchés sur les problèmes en matière d’accès aux soins en santé mentale.

La présidente : Merci.

Le sénateur Carignan : Je comprends et je vous remercie.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Docteur Primeau, je vous remercie d’avoir soulevé un point très important sur le temps que cela prend pour consulter un psychiatre au Canada. Des millions de Canadiens doivent malheureusement faire face à cette réalité tous les jours.

Docteur Bouchard, avez-vous des exemples de patients qui craignent notre système médical parce qu’ils ont été poussés à envisager l’aide médicale à mourir ou le suicide assisté?

Dr Bouchard : Je vous remercie de la question. Un exemple qui me vient immédiatement à l’esprit est celui d’une patiente qui m’a donné la permission d’en parler parce que c’est un sujet qui lui tient à cœur. Elle s’est fait faire un tatouage disant : « Ne m’euthanasiez pas ». Elle sait que je ne suis pas pour l’euthanasie et que je ne l’orienterai pas dans cette voie, mais elle voulait tout de même se faire tatouer. Cela signifie qu’elle se sent en danger dans notre système médical, qu’elle craint que si elle devait aller dans un hôpital où je ne travaille pas, comme elle a 83 ans et qu’elle est très fragile et vulnérable, elle pourrait être ciblée.

Il est triste de voir quelqu’un aller jusque-là pour s’opposer à cette pratique qui est légalement à la disposition des gens qui en font la demande, mais qu’elle ressente le besoin de faire tatouer son corps fragile de 83 ans. Je vous demanderais de ne pas nous voir seulement comme des médecins qui veulent que nos droits soient protégés, mais comme des médecins qui ont cette relation thérapeutique avec leurs patients, et nous vous demandons de les protéger aussi, par notre entremise.

La présidente : Merci, docteur Bouchard.

Le sénateur Plett : Je serai très bref et je ne ferai qu’une observation. On a répondu à ma question lorsque la sénatrice Batters l’a posée, mais je tiens à faire une observation respectueuse.

Beaucoup d’entre nous ont participé à l’étude du projet de loi C-14. Le projet de loi C-14 était aussi difficile à étudier que le projet de loi C-7. C’est probablement la mesure législative la plus personnelle dont nous serons jamais saisis.

Dans le projet de loi C-14, ceux d’entre vous qui étaient au Sénat à l’époque se rappelleront à quel point le débat était respectueux, tant au comité qu’au Sénat. Lorsque les gens avaient des opinions différentes de la mienne ou d’autres, nous les respections. Nous n’avons pas rabaissé les témoins en raison de leurs points de vue. De nombreux sénateurs partagent le point de vue de ces témoins. C’est mon cas.

Je serai heureux de répondre à vos questions sur ce que je pense de l’euthanasie, de la conception à la fin de la vie, mais là n’est pas la question. Nous demandons aux témoins de prendre le temps de venir ici pour répondre à nos questions en fonction de leurs compétences. Ce ne sont pas nécessairement des avocats, sénateur Cotter. Ce sont des médecins, et ils sont venus ici pour répondre à nos questions en tant que médecins. Nous devons les respecter. Je dois respecter ceux qui ne sont pas d’accord avec moi, et ceux qui ont la même opinion que moi doivent aussi être respectés.

La présidente : Sénateur Cotter, le sénateur Plett a mentionné votre nom, alors je me sens obligée de vous donner l’occasion de répondre à cela.

Le sénateur Cotter : C’est aimable de votre part. Le sénateur Plett et moi en parlerons lorsque le comité discutera de ces questions à l’avenir. Je veux simplement dire que je partage son point de vue sur la nécessité de respecter les témoins, mais pour ce qui est du débat sur le fond, lui et moi allons régler cette question au comité.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci de m’avoir donné la parole. Je n’ai pas d’autres questions. Merci.

[Traduction]

La présidente : Je tiens à dire aux trois témoins que vous nous avez certainement donné matière à réflexion. Vous pouvez voir à quel point les sénateurs réfléchissent à ces questions et vous écoutent. Je veux que vous compreniez que nous vous écoutons très attentivement et que nous apprécions que vous ayez pris le temps de vous joindre à nous aujourd’hui. Merci de l’avoir fait malgré un très court préavis et d’être bien préparés. Je vous remercie de votre présence aujourd’hui.

[Français]

Merci infiniment de votre présence ici, je vous en suis reconnaissante.

[Traduction]

Je tiens à remercier les témoins de se joindre à nous cet après-midi. Nous savons que nous avons organisé cette semaine très rapidement, et nous vous sommes très reconnaissants de vous être libérés — et en plus de nous présenter un exposé — avec un préavis aussi court. Les membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles vous en sont très reconnaissants, et nous avons hâte de vous entendre tous.

Nous accueillons cet après-midi Vince Calderhead, avocat, de Pink Larkin; le Dr Harvey Schipper, professeur de médecine et professeur adjoint de droit, Université de Toronto; Claire McNeil, avocate, Service d’aide juridique de Dalhousie, Disability Rights Coalition of Nova Scotia.

Mesdames et messieurs les témoins, je ne peux vous accorder que cinq minutes, alors je vous demanderais d’être brefs. Merci beaucoup. Nous allons commencer par M. Calderhead.

Vince Calderhead, avocat, Pink Larkin, à titre personnel : Je m’appelle Vince Calderhead. Je suis avocat depuis environ 35 ans. Mon expérience dans le domaine de l’aide juridique, et maintenant dans ma pratique actuelle, se situe exclusivement dans le domaine des droits sociaux et économiques, c’est-à-dire le soutien du revenu et le logement pour les plus pauvres parmi les pauvres. Mes clients sont habituellement, pas toujours, mais généralement, des personnes handicapées. Plus récemment — et c’est peut-être ce qui m’amène à faire un exposé devant ce comité... Au cours des dernières années, mais de façon intensive depuis trois ans, moi-même et d’autres personnes avons participé à l’étude d’une loi très ciblée sur les droits de la personne en Nouvelle-Écosse. Cette loi porte essentiellement sur le manque discriminatoire de soutien et de services pour les personnes handicapées, c’est-à-dire par rapport aux personnes qui seraient admissibles à l’aide sociale, généralement des personnes non handicapées. La situation en Nouvelle-Écosse est tellement grave que l’affaire est maintenant devant la Cour d’appel de la province.

Je voulais vraiment prendre un moment pour vous donner les faits saillants de la situation telle qu’elle existe en Nouvelle-Écosse. Il y a une grave pénurie de soutiens et de services pour les personnes handicapées. J’entends par là le soutien et l’aide nécessaires pour vivre dans la collectivité, c’est-à-dire un logement, du personnel de soutien pour ceux qui en ont besoin et l’aide nécessaire au cours de la journée, qu’il s’agisse de prendre un bain, de manger, d’aller faire des courses ou ailleurs. En Nouvelle-Écosse, plus de 1 000 personnes handicapées veulent quitter le milieu institutionnel, et veulent avoir le droit de vivre dans la collectivité. Malheureusement, depuis le milieu des années 1990, on a gelé ou plafonné l’ouverture de nouvelles places en milieu communautaire. Par conséquent, la liste d’attente actuelle compte plus de 1 600 personnes, et l’attente dure de nombreuses années. Par conséquent, les gens finissent souvent par renoncer.

Dans ce contexte — et la Cour d’appel rendra bientôt une décision sur la discrimination à cet égard —, lorsque j’examine les dispositions du projet de loi C-7, deux choses me viennent à l’esprit. Tout d’abord, le paragraphe 3.1 g) exige de fournir des services de consultation aux personnes handicapées. De toute évidence, l’idée de la consultation est de veiller à ce que les personnes handicapées soient au courant des services qui pourraient les aider, afin qu’elles puissent ensuite prendre une décision éclairée à l’égard de leur fin de vie.

Selon nous, les litiges très ciblés et intenses des dernières années ne laissent aucun doute qu’en Nouvelle-Écosse, les services ne sont tout simplement pas offerts en temps opportun aux personnes qui en ont besoin.

Quel en est l’impact? Il y a deux choses. Tout d’abord, la disposition sur la consultation envoie un message aux personnes handicapées, et aux Canadiens en général, à savoir qu’on leur offre un choix ou que des choix sont disponibles. La réalité, c’est que trop souvent, en Nouvelle-Écosse, ce genre de suggestion n’est qu’un leurre. Ces services ne sont pas disponibles, certainement pas en temps opportun.

Le deuxième point, de façon plus générale, c’est que les personnes handicapées, qui doivent affronter et supporter ce genre de contexte social, sont limitées dans leurs choix de vie réels par l’absence de ces soutiens et services. Par conséquent, vous entendrez très souvent dire que les gens ont choisi de mettre fin à leurs jours parce qu’ils ne supportent plus de vivre en établissement, parce qu’ils ne peuvent plus accepter le manque de services, ou parce qu’ils vivent dans des refuges pour sans-abri. Ce sont vraiment ces problèmes qu’il faut régler, plutôt que de leur donner la possibilité de mettre fin à leurs jours. C’est la misère contextuelle qu’il faut régler. Il y a des façons de le faire, bien sûr, et le Canada avait auparavant une entente fédérale-provinciale très solide de partage des coûts qui exigeait des services publics essentiels de qualité raisonnable, comme le prévoit l’article 36 de la Constitution. La situation a maintenant complètement déraillé, certainement pour les personnes handicapées.

Je pense que la solution ici, comme le disent les avocats, est vraiment de suspendre l’étude de ce projet de loi parce que les gouvernements des deux dernières décennies ont laissé les services sociaux se détériorer à un point tel que maintenant, il est tout simplement acceptable du point de vue moral, éthique et probablement constitutionnel sous l’angle des droits à l’égalité, de donner aux personnes handicapées la possibilité de mettre fin à leurs jours...

La présidente : Monsieur Calderhead, je vais devoir... Excusez-moi.

M. Calderhead : C’est bien.

La présidente : Nous allons maintenant passer à M. Schipper.

Dr Harvey Schipper, professeur de médecine et professeur adjoint de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis très heureux d’avoir l’occasion de vous rencontrer et de vous aider autant que je le peux dans ces délibérations très difficiles. Ce n’est pas un problème facile à résoudre. Je m’y intéresse depuis longtemps. À bien des égards, c’est insoluble. Même si vous finirez par prendre une décision, la possibilité que vous avez donnée à bon nombre d’entre nous de nous faire entendre est très appréciée.

Mon intérêt est à la fois personnel et professionnel. Je suis oncologue. Entre autres choses, j’ai ouvert la discipline maintenant fondamentale de la recherche sur la qualité de vie dans le monde, et cela a abouti à la création du Centre collaborateur de l’OMS pour la recherche sur la qualité de vie en cancérologie, à Winnipeg, il y a 30 ans. En plus de diriger un programme régional de lutte contre le cancer, j’ai été un chef de file mondial dans le développement des soins palliatifs.

Je me suis également retrouvé au centre de questions de politique publique très délicates et très médiatisées. Par exemple, j’ai été membre fondateur du conseil d’administration de la Société canadienne du sang pendant la période très difficile de la crise du sang contaminé. Plus récemment, j’ai fait partie du groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir du Conseil des académies canadiennes.

Certains militants, comme Dying With Dignity Canada, m’ont décrit comme un farouche opposant à l’aide médicale à mourir. Comme mon dossier l’indique clairement — et vous en avez des parties —, ce n’est pas le cas. Mes préoccupations peuvent être résumées en quatre points qui mènent à trois recommandations très précises.

La première, c’est que le gouvernement du Canada, en ouvrant cette fenêtre dans le droit pénal pour permettre l’aide médicale à mourir, a toujours l’obligation très importante de veiller à ce que l’ouverture de la fenêtre soit gérée de façon à correspondre à la fois à l’intention des décisions judiciaires, Carter et d’autres, et au projet de loi qui est présenté.

La deuxième chose, c’est que le projet de loi C-14 exigeait explicitement un examen très minutieux et détaillé de notre expérience avant d’aller de l’avant. Cela devait se faire au bout d’environ cinq ans, et le moment est venu. Cette exigence a été imposée parce qu’on reconnaissait la complexité du problème et la nécessité de comprendre ce qui se passait. L’examen devait être centré sur les mineurs matures, les directives anticipées et la maladie mentale, mais pas uniquement.

Troisièmement, dans Carter, Truchon, le projet de loi C-14 et maintenant le projet de loi C-7, nous adoptons une approche juridique pour ce qui est, en fait, un problème médical. Je peux citer de nombreux cas, y compris un cas très tragique aux États-Unis où des arguments juridiques concernant l’accès, comme ceux qui sont avancés maintenant, ont mené des centaines de femmes à un décès prématuré ou à subir une greffe de moelle osseuse inappropriée pour prévenir la réapparition de leur cancer du sein. Lorsque des essais ont finalement été effectués, en dépit de graves objections morales, trois des quatre essais ont révélé que ces patientes avaient subi un préjudice, et le quatrième essai s’est révélé manifestement frauduleux. C’est ce qui se produit lorsque nous utilisons la mauvaise mesure. Les dommages causés aux patients et à la médecine lorsqu’on laisse les croyances l’emporter sur les données probantes se font encore sentir aujourd’hui. L’autre chose, c’est le concept d’autonomie que la cour a utilisé. Je comprends, mais il s’agit en fait d’une perspective très étroite qui n’est pas partagée par beaucoup d’autres personnes dans notre pays.

Je ferais donc trois recommandations. Nous devons examiner la question beaucoup plus en profondeur que ne le fait le rapport initial qui a été publié en juillet. Nous devons savoir ce que cela signifie vraiment d’être dans cette situation; nous devons établir des normes claires pour la sélection, la formation et la surveillance active des fournisseurs et des évaluateurs de l’AMM; et nous devons poser les bonnes questions aux patients et aux fournisseurs pour obtenir cette information. Je serais heureux de vous aider à cet égard.

Permettez-moi de terminer sur cette note. Bien qu’aucune autre administration ne l’ait fait, nous avons créé une nouvelle loi à partir de quelques causes. Nous devons maintenant tirer des leçons de cette nouvelle loi à partir de l’expérience clinique vécue par 13 000 Canadiens, dont le nombre augmente de plus en plus. Nous n’avons pas établi les mécanismes, les processus ou les moyens pour le faire correctement. Nous devons comprendre cela avant d’aller de l’avant. Merci beaucoup de m’avoir donné l’occasion de me joindre à vous.

La présidente : Merci, docteur Schipper.

Claire McNeil, avocate, Disability Rights Coalition of Nova Scotia : Merci beaucoup de m’avoir invitée à prendre la parole ici. M. Calderhead a parlé avant moi et je viens moi aussi de la Nouvelle-Écosse. Je n’ai donc pas l’intention de répéter sa description très détaillée et éloquente de ce à quoi font face les personnes handicapées en Nouvelle-Écosse dans leurs efforts pour accéder aux nécessités de la vie. J’ai aussi eu l’honneur de prendre la parole après le Dr Schipper, qui a évidemment beaucoup d’expertise et d’expérience dans ce domaine et qui a souligné énergiquement la nécessité de surveiller, d’évaluer et d’examiner soigneusement les données en vertu de la loi actuelle avant même de songer à adopter un projet de loi comme celui-ci. Sa recommandation est tout à fait conforme à celle du groupe que je représente, soit la Disability Rights Coalition of Nova Scotia, une organisation non gouvernementale composée de 32 autres organisations provinciales, de nombreuses personnes qui se sont engagées à défendre les droits à l’égalité des personnes handicapées et les droits garantis par la convention des droits des personnes handicapées.

Comme M. Calderhead, je vais revenir sur un aspect particulier du projet de loi. J’ai remis mes notes d’allocution aux membres du comité et je n’ai pas l’intention de les répéter. Je suppose que les membres du comité peuvent les consulter et je serai heureuse de répondre à vos questions sur ces notes. Mais je veux seulement parler des mesures de sauvegarde. Je pense que M. Calderhead en a aussi parlé.

Si j’insiste là-dessus, c’est parce que c’est une question qui préoccupe depuis un certain temps les personnes handicapées de la province en ce sens qu’elles n’ont pas vraiment accès aux services de soutien aux personnes handicapées prévus dans le projet de loi. Tout de suite, cela a suscité beaucoup d’inquiétude chez les gens qui ont lu le projet de loi. En effet, lorsqu’on laisse entendre que des mesures de sauvegarde s’imposent, il ne s’agit sans doute pas seulement de conseiller quelqu’un au sujet de services inexistants. Il est important que ces services existent réellement.

À l’heure actuelle, l’accès aux services de soutien aux personnes handicapées prévu dans le projet de loi C-7 n’existe pas en Nouvelle-Écosse. Les personnes handicapées dans le besoin — et je devrais expliquer ce que j’entends par là. Je veux parler de ceux qui vivent dans la pauvreté et qui n’ont pas d’autres ressources ou capacités pour répondre à leurs besoins et qui, en Nouvelle-Écosse, se retrouvent inutilement placés dans des refuges pour sans-abri, des hôpitaux, des prisons et d’autres établissements financés par la province. C’est bien documenté. D’un autre côté, il y a beaucoup d’autres personnes qui ne sont pas aussi institutionnalisées et qui font face à des délais extrêmement longs, de plusieurs décennies dans certains cas, et à une liste d’attente indéfinie pour obtenir des services dans la collectivité et le genre de services de soutien aux personnes handicapées envisagés dans le projet de loi qui leur permettront de vivre dans la collectivité. C’est très bien documenté ici en Nouvelle-Écosse. La Nouvelle-Écosse est peut-être un exemple extrême de ce problème, mais je ne pense pas que ce soit un cas unique. On ne doit pas croire qu’il suffit de prévoir des services de counselling qui n’existent que sur papier.

La notion d’autonomie qui semble sous-tendre ce projet de loi est une fiction en l’absence d’une véritable égalité et d’un accès aux nécessités de la vie. Nous sommes d’avis qu’avant d’aller de l’avant avec ce genre de projet de loi visant à élargir la disponibilité de l’aide médicale à mourir, la condition préalable serait de s’assurer que les services appropriés sont en place pour les personnes handicapées.

Ce qui nous préoccupe à propos du counselling, c’est que l’approche que l’on a adoptée dans ce projet de loi à l’égard des mesures de sauvegarde sans avoir vraiment vérifié si les personnes handicapées avaient vraiment accès à ces mesures est enracinée dans une société conçue pour répondre aux besoins des personnes sans handicap, alors que les véritables besoins des personnes handicapées sont ignorés ou relégués au second rang. Notre recommandation, comme celle du Dr Schipper et un peu comme celle de M. Calderhead, c’est que ce projet de loi doit être mis en veilleuse jusqu’à ce qu’il y ait eu une véritable consultation avec les premiers intervenants et un examen approfondi de la surveillance et de l’évaluation de la loi actuelle avant d’aller de l’avant pour élargir ce domaine de la loi.

Voilà ce que j’avais à dire.

La présidente : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux témoins de la Nouvelle-Écosse. Pouvez-vous nous parler des soins palliatifs en Nouvelle-Écosse? Avez-vous une idée du nombre de lits disponibles? Y a-t-il des listes d’attente?

Lorsque j’ai consulté les données du directeur parlementaire du budget, je n’ai pas été en mesure d’identifier de façon spécifique l’aide que le gouvernement fédéral consacre aux soins palliatifs. Je ne suis pas sûr qu’il y en a et je ne sais pas de quel ordre est cette aide fédérale, alors j’aimerais vous entendre à ce sujet, vous qui êtes sur le terrain.

[Traduction]

Mme McNeil : Je ne sais pas à qui cette question s’adresse. S’adresse-t-elle au Dr Schipper?

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux témoins de la Nouvelle-Écosse, donc à vous et M. Calderhead.

[Traduction]

Mme McNeil : Je vais commencer et je suis sûr que M. Calderhead aura quelque chose à ajouter. Je ne peux parler de la disponibilité des soins palliatifs qu’en termes très généraux. En Nouvelle-Écosse, il y a très peu de services en dehors des hôpitaux. Je n’ai donc pas de données à vous fournir sur les éléments précis de votre question, sauf pour dire qu’il y a un très grand fossé entre ce qui est disponible dans les institutions comme les hôpitaux et ce à quoi les gens peuvent avoir accès dans la collectivité.

Il en résulte que des lits d’hôpitaux sont maintenant occupés par des gens qui n’ont pas besoin d’être là, qui pourraient vivre dans un environnement plus humain dans la collectivité, qu’il s’agisse de soins palliatifs ou autres, mais qui doivent plutôt rester à l’hôpital pendant qu’ils attendent le type de soutien et de services communautaires dont ils ont besoin.

Lors d’une récente audience sur les droits de la personne, nous avons entendu un témoin de l’autorité sanitaire de la Nouvelle-Écosse, une personne très haut placée, le Dr Scott Theriault, qui dit chaque année, lorsqu’il rencontre le gouvernement provincial, que le principal problème auquel fait face le système de santé, c’est l’absence, au niveau communautaire, de soutiens et de services pour les patients qui doivent quitter l’hôpital. Il n’y a aucune raison médicale ou juridique pour qu’ils soient là, mais ils ne peuvent pas partir à cause de ce manque de services communautaires.

Je suis désolée de ne pas pouvoir vous donner plus de détails sur les soins palliatifs, mais c’est ce que je voulais dire à ce sujet.

M. Calderhead : Je pourrais peut-être ajouter quelques mots à ce que Mme McNeil vous a dit. Mon domaine n’est pas celui des établissements médicaux ou de soins de santé, ou des soins palliatifs. De façon plus générale, je m’intéresse aux mesures de soutien et aux services continus sous forme d’aide sociale offerts à tous les Néo-Écossais, mais plus particulièrement à ceux qui en ont besoin, c’est-à-dire les personnes handicapées.

Ce qu’il faut retenir, c’est que ces services ne sont tout simplement pas disponibles. Par conséquent, l’AMM intéresse de façon disproportionnée les personnes handicapées du fait que, trop souvent, elles renoncent simplement à vivre parce qu’elles séjournent dans un établissement.

Les soins palliatifs ne sont donc pas vraiment la source du problème pour un trop grand nombre de mes clients. C’est que leur qualité de vie a été ramenée à un niveau tellement lamentable, comme vous-mêmes et les organismes de défense des droits de la personne l’avez constaté, qu’ils ne sont pas en mesure de faire un choix vraiment librement et sans contrainte.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci. Ai-je encore du temps, madame la présidente?

La présidente : Vous n’avez plus de temps, sénateur Carignan, mais je vous inscris pour le deuxième tour.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Ma question s’adresse au Dr Harvey Schipper. Des témoins nous ont dit que le projet de loi C-7 devrait être modifié par l’insertion d’une disposition de temporisation visant à exclure l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie mentale comme seule condition sous-jacente.

Le sénateur Plett : Je crois, sénatrice Batters, que vous devriez répéter ce que vous avez dit. Je ne pense pas que les témoins aient entendu quoi que ce soit jusqu’à maintenant.

La sénatrice Batters : D’accord. Je vais me rapprocher un peu du micro si cela peut vous aider. Ma question s’adresse au Dr Schipper.

Des témoins nous ont dit que le projet de loi C-7 devrait être modifié par l’insertion d’une disposition de temporisation visant l’exclusion de l’AMM des personnes atteintes d’une maladie mentale comme seule condition sous-jacente. Certains ont fait valoir que cette interdiction devrait être levée en aussi peu que six mois. Même la ministre de la Justice, dont le travail consiste à défendre ce projet de loi, a dit espérer que l’exclusion de la maladie mentale comme condition sous-jacente unique ne serait que temporaire.

Soyons clairs. Ce dont nous parlons ici, c’est d’une disposition qui aurait pour effet de mettre un terme à la vie de Canadiens vulnérables. Le Parlement a déjà voté, dans le projet de loi C-14, qu’il fallait étudier davantage la question de l’aide médicale à mourir dans le cas des personnes atteintes de maladie mentale, des mineurs et des demandes anticipées. Maintenant, les partisans de l’expansion de l’aide au suicide essaient de forcer la main du gouvernement, peu importe les instructions du Parlement, un manque total de consensus dans le milieu de la santé mentale et une réaction négative de la part des Canadiens vulnérables.

Docteur Schipper, croyez-vous que nous devrions envisager une disposition de temporisation pour exclure la seule condition de la maladie mentale? Sinon, pourquoi pas? Merci.

Dr Schipper : J’en ai entendu parler. Non, même à mon dernier jour sur terre, je ne pourrais pas ne fût-ce que commencer à appuyer cette idée.

Permettez-moi de vous parler des délibérations du Conseil des académies canadiennes. J’ai fait partie du groupe chargé d’étudier les directives anticipées, mais je suivais de très près, comme nous tous, ce qui se passait dans le groupe chargé de la question de la santé mentale. L’incompréhension, entre avocats et médecins, des moyens de recueillir des preuves et de la culture décisionnelle n’était nulle part plus flagrante que dans ce groupe. Les avocats disaient : nous avons une bonne cause, la question a été tranchée et la loi est claire. Et les médecins : c’est peut-être vrai en droit, mais pas du tout en médecine, au chevet du patient.

Voici un ou deux exemples. Premièrement, l’une des caractéristiques des maladies mentales, c’est qu’elles sont beaucoup moins prévisibles que bien d’autres maladies, comme les cancers que je traite.

Deuxièmement, les maladies mentales ont une très importante dimension culturelle et elles se prêtent à toutes sortes d’interventions comme le recours aux médicaments. Il nous arrive tous de tout voir en noir et d’être incapables de voir le soleil se lever le matin. Voici un exemple clinique. On m’a demandé de voir une patiente. Précisons que je n’évalue pas les cas d’aide médicale à mourir et je n’offre pas ce service. J’enseigne la médecine, je suis oncologue. Ce genre de chose. Il s’agissait d’une dame âgée très lucide qui avait fait une chute et souffrait de ce qu’on appelle un hématome sous-dural. C’est une hémorragie très lente à la surface de la tête. Elle n’est pas douloureuse, mais elle peut causer toutes sortes de dégradations imprévisibles de la fonction mentale. Cette dame a réclamé l’AMM. À l’époque, l’AMM n’était pas autorisée par la loi. « Je veux l’AMM. Je ne veux pas continuer. »

Cette dame a répété sa demande pendant plusieurs jours. Aux yeux de tout observateur indépendant, elle semblait rationnelle, raisonnable et déterminée. Il se trouve qu’un neurochirurgien est venu la voir et a dit qu’une opération très simple suffisait pour régler le problème. L’opération a eu lieu et, une semaine après, la patiente avait retrouvé son état normal. Le neurochirurgien a dit : « Vous avez présenté un argument très solide et convaincant en faveur de l’aide médicale à mourir et peut-être que, quelques mois plus tard, cela aurait été possible. Et vous avez maintenu votre position pendant un bon moment. » Elle a répondu : « Je n’avais pas toutes mes facultés. Cet hématome avait changé mon raisonnement. Ce n’est pas ma façon de penser. »

Ce n’est qu’un exemple. Je ne crois pas qu’il faille prévoir une disposition de temporisation pour rendre possible une plus grande permissivité. Nous ne devons pas rendre l’AMM plus accessible ou moins accessible tant que nous n’aurons pas vraiment compris ce qui se passe. Franchement, une disposition de temporisation me semble relever de la malhonnêteté politique.

La présidente : Merci, docteur Schipper.

Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse aux trois témoins, mais plus particulièrement au Dr Schipper. Que dites-vous à ceux qui affirment que la seule option qui reste, si nous n’élargissons pas l’accès à l’AMM, sera le suicide ou le recours à l’une des cliniques suisses qui offrent l’AMM?

Dr Schipper : Bien que je n’évalue pas les cas d’aide médicale à mourir et que je n’offre pas ce service, et même si, pour des raisons de conscience sans doute, je ne le ferai jamais, j’estime que cette aide a sa place. Le vrai problème, c’est le traitement de la souffrance. Il se peut fort bien qu’il y ait des circonstances où, malgré tous nos efforts, même avec de bonnes installations en place et si on règle les problèmes soulevés par M. Calderhead, il est impossible de soulager cette souffrance. Je connais de tels cas, et l’AMM est alors acceptable. Mais ce que j’entends souvent, c’est que nous n’examinons pas les causes de la souffrance. Nous la décrivons.

Prenez le rapport publié en juillet. À la section 6.0, il est dit qu’environ 78 % des gens ont du mal à s’adonner à des activités normales. Il y a toute une liste de choses. Mais le rapport ne dit nulle part : « Très bien, mais qu’a-t-on fait pour régler ce problème? » Et je peux citer de nombreux cas où cette question n’est pas posée. Autrement dit, d’une certaine façon, l’AMM est considérée comme une option thérapeutique au même titre que la morphine, les antibiotiques et la chirurgie.

En fait, l’AMM a été conçue, même dans l’arrêt Carter, comme un dernier recours, lorsque sont épuisés les autres moyens de soulager la souffrance. Ce que nous ne faisons pas, c’est affirmer énergiquement qu’il faut non seulement décrire la souffrance, mais aussi la comprendre. Si nous la comprenons, si nous avons fait de notre mieux et si nous ne pouvons pas la soulager, l’AMM est tout ce qu’il nous reste dans une infime proportion des cas. Mais vous savez quoi? Chacun de ces cas devrait nous rappeler que c’est là un échec des services de santé. Si tout ce que nous pouvons faire pour soulager la souffrance est de mettre fin à la vie d’une personne, il y a lieu de se demander pourquoi. Que pouvons-nous faire pour améliorer la situation?

Le sénateur Dalphond : Désolé de vous interrompre. Je comprends et nous sommes d’accord pour dire qu’il y a un nombre limité de cas où l’AMM est la seule option qui reste et qu’il est logique que la décision soit prise. Mais dans les autres cas, vous dites que nous ne comprenons pas la source de la souffrance et ne cherchons pas à la soulager. Pensez-vous que nous devrions imposer des mesures de sauvegarde plus rigoureuses dans l’évaluation des cas pour qu’il soit tenu compte de cette lacune?

Dr Schipper : Bien sûr. Ce n’est guère différent de toute autre formation spécialisée : il faut comprendre et il faut posséder un ensemble de compétences. Nous n’avons pas ce genre de formation. J’ai entendu parler de cas où certains ne comprennent pas, ne sont pas préparés à faire une évaluation approfondie ou sont incapables de la faire. La meilleure protection est l’éducation.

La présidente : Merci, docteur Schipper.

Le sénateur Plett : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Ma question s’adresse au Dr Schipper. Docteur, nous avons appris ces derniers jours que, dans l’étude du projet de loi, il n’y a aucun consensus sur la meilleure voie à suivre. Il n’y a pas de consensus dans ce comité-ci. Les témoins experts que nous avons accueillis ne s’entendent pas. Et je crois, après le témoignage de la ministre Qualtrough ce matin, qu’il n’y a pas de consensus au Cabinet non plus.

Le projet de loi porte littéralement sur une question de vie et de mort. Il faut respecter un délai fixé par un tribunal inférieur au Québec. Docteur, vous avez fait valoir qu’il fallait aborder avec une prudence extrême l’assouplissement de ce régime. Je suis tout à fait d’accord avec vous.

Selon vous, docteur Schipper, comment le gouvernement aurait-il dû réagir à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon? Que pouvons-nous faire à ce stade-ci pour agir avec la prudence nécessaire, au moment de nous prononcer sur le projet de loi ou, peut-être, de présenter des amendements?

S’il me reste du temps, j’aurai une question complémentaire à poser. Sinon, je reviendrai au deuxième tour.

Dr Schipper : Vous l’avez peut-être remarqué, je suis professeur auxiliaire de droit et j’enseigne le droit de la biotechnologie à la Faculté de droit, mais je suis en fait un faux avocat. Je suis ingénieur et médecin. Rédiger un avis juridique détaillé est donc bien au-dessus de mes compétences, même si je crois comprendre, d’après certains de mes collègues, qu’un seul avis d’un tribunal inférieur n’est pas nécessairement exécutoire, même pour les instances inférieures. Je n’irai donc pas plus loin.

Que le jugement soit exécutoire ou non, il incombe au Parlement de prendre du recul et de dire que nous devons aborder le problème correctement. Nous devons comprendre la question avant d’aller de l’avant. Se contenter de dire que la cour a fixé un délai, c’est passer à côté de la question. Certaines choses prennent du temps. L’enjeu qui nous occupe va prendre du temps. Nous allons devoir nous en accommoder. Nous allons devoir le comprendre. Peut-être que dans trois ou quatre ans, nous aurons une compréhension beaucoup plus claire, car nous aurons examiné les données. Nous serons parvenus à une meilleure compréhension. Nous aurons vu la lumière et le chemin s’éclairera.

Je comprends que vous ayez du mal à vous y retrouver. Nous sommes dans un épais brouillard sur les plans moral, juridique et, je dirais, médical. On ne peut pas simplement le dissiper avec un grand coup de vent. Nous devons vraiment ralentir le pas et étudier la question.

Le sénateur Plett : Permettez-moi d’enchaîner rapidement pour poser une question, docteur Schipper. Comme vous le savez, avant qu’un examen parlementaire n’ait lieu, le gouvernement a déjà proposé de supprimer plusieurs mesures de sauvegarde du régime actuel. Je ne crois pas que je vous demande un avis juridique, mais, selon vous, y a-t-il suffisamment de faits pour justifier l’assouplissement des mesures de sauvegarde à ce stade? Et selon vous, lesquelles de ces mesures est-il essentiel de préserver?

Dr Schipper : À mon avis, nous n’avons pas les preuves nécessaires pour supprimer la moindre mesure de sauvegarde. En toute justice, nous n’avons pas non plus les preuves nécessaires pour en ajouter de nouvelles. Nous ne savons tout simplement pas à quoi nous en tenir. Vous avez des données insignifiantes sur 13 000 cas. Il est tout à fait insensé de supprimer la période de réflexion. C’est contraire à ce que nous dit la biologie.

Nous avons discuté de l’ajout d’une disposition de temporisation. Je ne vois aucune raison de faire ce genre de chose.

Éliminer l’obligation de faire appel à une deuxième opinion... Après tout, il s’agit de mettre un terme à la vie d’un être humain. Nous devons avoir autant d’assurance que pour les opérations cardiaques et toutes les interventions qui mettent la vie en danger. Mettre fin activement à la vie d’une personne est une chose unique en droit canadien. Je suis tout à fait d’accord pour être très strict jusqu’à ce que nous ayons une bonne compréhension. Et ce n’est pas un moyen détourné de dire que je rejette l’AMM.

Le sénateur Plett : Merci.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins de leur travail et de leur présence parmi nous aujourd’hui. J’allais poser deux questions, mais il semble que je connaisse déjà la réponse à la première : pensez-vous que le gouvernement devrait demander une prolongation pour examiner plus en profondeur les dispositions de la loi? Ils pourraient demander à ce que soit repoussé le délai fixé dans l’arrêt Truchon.

Ma deuxième question est la suivante : le gouvernement devrait-il modifier la Loi sur la santé pour que non seulement l’aide médicale à mourir soit disponible, mais aussi, comme nous l’avons vu lors de la pandémie, pour qu’il y ait des normes nationales du genre de celles dont M. Calderhead a parlé par le passé? Et pour qu’il y ait des ressources, de sorte que puissent être mis en place les services qui, manifestement, manquent à tant de gens? Pas seulement ceux qui demandent des soins palliatifs, mais aussi ceux qui vivent dans la pauvreté, ont un handicap et ont besoin d’autres types de soutien.

Ma troisième question s’adresse probablement plutôt à M. Calderhead et à Mme McNeil. Des constitutionnalistes ont soulevé une question au sujet de l’arrêt Fraser et nous ont demandé d’essayer de voir si le caractère volontaire d’un choix peut être utilisé pour protéger un texte comme le projet de loi C-7, compte tenu de l’arrêt Fraser. Car les choix sont eux-mêmes façonnés par l’inégalité systémique, et cet arrêt souligne la nécessité d’une analyse contextuelle de la décision et de l’évaluation du choix. Donc, lorsque des gens veulent mourir parce qu’ils souffrent, ce n’est pas une issue inévitable, mais plutôt le résultat de l’échec systémique des politiques, qui ne réussissent pas à assurer un financement égal, à apporter un soutien et à assurer l’accès à des ressources comme les soins palliatifs, les soins à domicile, les soins en santé mentale, le logement, le soutien du revenu et ainsi de suite. Devrions-nous réexaminer la question sous cet angle également?

Excusez-moi d’avoir posé toutes mes questions d’un coup. Si vous n’avez pas le temps de donner toutes les réponses, je reviendrai à la charge au deuxième tour.

M. Calderhead : À propos des prolongations et des délais imminents découlant de la décision du tribunal inférieur, les Canadiens et, surtout, le Parlement du Canada devraient y voir une question d’ordre administratif ou de procédure qui peut se régler de plusieurs façons. La première consisterait simplement à demander une prolongation pour étudier le projet de loi et un allongement de la période prévue pour obtenir l’autorisation d’interjeter appel. Oui, cela sortirait de l’ordinaire, mais ce sont des circonstances extraordinaires. La troisième, et je sais que plusieurs groupes de défense des droits des personnes en situation de handicap en font la promotion, serait un renvoi direct à la Cour suprême du Canada, où la constitutionnalité de la suppression du critère de la prévisibilité raisonnable serait examinée d’une façon qui fasse autorité. Voilà mon premier point. Ce n’est pas un énorme problème. Les législateurs canadiens ne devraient pas avoir l’impression d’avoir les mains liées ou d’être bousculés.

Deuxième point, les normes concernant l’aide médicale à mourir. Absolument, il faudra mettre en place les soutiens sociaux nécessaires pour que les personnes en situation de handicap puissent non seulement se débrouiller dans une société conçue pour ceux qui n’ont pas de handicap, mais aussi avoir une qualité de vie convenable. Il est clair que cela suppose un retour à une sorte de fédéralisme fiscal où les gouvernements fédéral et provinciaux cherchent à s’entendre. Comme vous l’avez dit, dans le contexte de la pandémie, les ressources financières et la créativité en matière de lois et de politiques peuvent rapidement revenir à l’ordre du jour, de sorte que nous en arrivions à une situation où chacun peut faire de vrais choix et non des choix contraints.

Voilà qui m’amène au troisième point que vous avez soulevé. Je pensais à l’arrêt Fraser tout à l’heure. La Cour suprême du Canada a rendu cette décision en octobre. C’est un excellent arrêt, digne de figurer dans les manuels de droit, en ce qui concerne l’application des droits à l’égalité et les litiges à cet égard. Il est notamment question de la notion de volonté et de l’idée que les gens ont choisi librement de participer à des régimes prévus par la loi et jugés discriminatoires. Cela s’applique ici. Des choix restreints, et dans ce contexte, des choix creux faits par des personnes en situation de handicap, peuvent être décrits comme des décisions sans être vraiment des choix.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’ai deux questions pour le Dr Schipper. Ma première question, docteur Schipper, est la suivante : que connaissez-vous de l’expérience menée au Québec depuis plus de 10 ans en matière d’aide médicale à mourir?

[Traduction]

Dr Schipper : Je ne la connais pas à fond. Bien qu’un jour, Véronique Hivon et moi ayons eu une longue conversation à ce sujet à McGill. Au Québec, vous vous intéressez certainement plus à la question qu’on ne le fait dans les autres provinces, à bien des égards. Mais les choses ne sont toujours pas claires. Sur le plan administratif, nous comprenons peut-être mieux au Québec que partout ailleurs les catégories et les niveaux de souffrance, mais du point de vue de ce que nous avons réellement fait pour soulager les souffrances, je ne pense pas que nous soyons beaucoup plus avancés. C’est mon impression, mais je n’ai pas examiné en détail le bilan du Québec.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma deuxième question est la suivante : quand vous utilisez les mots « actively ending someone’s life » en faisant référence à l’aide médicale à mourir, comment jugez-vous la même expression, qui signifie que l’on participe activement à la fin de la vie d’une personne, dans la situation où un médecin, tout à fait à l’extérieur du contexte de l’aide médicale à mourir, administre une sédation terminale à son patient de sa propre initiative?

[Traduction]

Dr Schipper : Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question. Pourriez-vous la reformuler?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je vais tenter d’être plus claire. Je comprends que, dans le cadre de l’aide médicale à mourir, le patient peut demander au médecin de mettre un terme à ses souffrances, et vous jugez que cela signifie de participer activement à la fin de la vie d’une personne. Cependant, dans la situation actuelle, quand un médecin décide de mettre un terme à la vie de son patient d’une manière active, de sa propre initiative, ce qui représente exactement l’expression que vous avez utilisée, si le patient ne l’a pas demandé, comment jugez-vous cette action?

[Traduction]

Dr Schipper : Si je vous comprends bien, je dois dire qu’un médecin qui met fin à la vie d’une personne sans sa permission viole plus que la loi. La situation est différente dans le cas de la sédation palliative : le patient en est à ses derniers jours, et on lui administre pour soulager ses souffrances un cocktail de médicaments en laissant la nature suivre son cours. À moins que je n’aie mal compris votre question, l’idée qu’on puisse mettre fin activement à la vie d’une personne sans son consentement est carrément exclue.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je pense que vous avez très bien compris ma question, docteur Schipper. Ma question, en fait, vous le comprenez bien, porte sur le fait que, lorsqu’une sédation terminale est administrée, le geste posé est une participation active et directe de la part d’un médecin, de sa propre initiative, pour mettre un terme à la vie de quelqu’un. Il n’y a pas de différence de nature entre les deux types d’actions; l’une est posée à la demande d’un patient, soit l’aide médicale à mourir, et l’autre est posée à partir de la propre initiative du médecin.

[Traduction]

Dr Schipper : Je ne pense pas que le médecin prenne l’initiative sans le consentement du patient. Je ne comprends pas très bien où vous voulez en venir. Il est possible que quelque chose de très important m’échappe.

J’ai longtemps travaillé dans le domaine des soins palliatifs. Il y a des patients dont l’évolution naturelle est très claire. Ils en sont à leurs derniers jours. Il y a beaucoup de souffrance pendant ces quelques jours ou ces quelques semaines, et il faut faire son possible pour les soulager.

Il y a une notion qu’on désigne couramment chez les catholiques par l’expression « double intention » : le médecin est là pour soulager la souffrance et non pour mettre activement un terme à une vie. En pareil cas, si on met fin à une vie sans avoir l’intention de le faire, ce n’est pas intervenir délibérément en disant : « D’accord, je vais mettre fin à votre existence tout de suite. »

Lorsque mes collègues des soins palliatifs administrent une sédation palliative, tout le monde sait à quoi s’en tenir. Le patient sait très bien qu’il s’agit de lui apporter du réconfort pendant ses derniers jours. Son état va peu à peu se dégrader, et il va dépérir et mourir. Le plus souvent, la sédation palliative ne dépasse pas la dizaine de jours. Mais ce n’est pas du tout la même chose que de dire : « Comme vous souffrez beaucoup, je vais vous administrer une forte dose de morphine. »

La présidente : Docteur Schipper, je dois vous interrompre. Vous m’en excuserez. Nous allons maintenant passer au deuxième tour.

La sénatrice Batters : Ma deuxième question s’adresse encore au Dr Schipper.

Vous y avez fait allusion, je crois, dans votre réponse à la première question. Vous avez été professeur de médecine et professeur auxiliaire de droit à l’Université de Toronto. À dire vrai, vous pourriez être un faux avocat dans mon cabinet à n’importe quel moment; vous me semblez très compétent. Comme vous l’avez dit, vous avez participé à l’étude des demandes anticipées au Conseil des académies canadiennes.

Vous y avez fait allusion, mais je crois comprendre qu’une poignée d’universitaires qui travaillaient aux études du CAC a produit son propre rapport, qui demandait d’étendre le régime d’aide médicale à mourir à ceux qui invoquent la maladie mentale comme seule condition médicale. Ce « groupe d’Halifax » était dirigé par la Dre Jocelyn Downie et comprenait un certain nombre de témoins que nous avons déjà entendus cette semaine, dont la Dre Mona Gupta.

Docteur Schipper, vous avez fait partie du groupe consultatif d’experts qui a rédigé une critique du rapport du groupe d’Halifax. Sauf erreur, c’est ce à quoi vous faisiez allusion lorsque vous parliez des avocats qui voient les choses de façon très tranchée et des médecins qui n’ont pas une position aussi nette.

Pourriez-vous nous donner une analyse des conclusions de votre rapport, le rapport consultatif d’experts? Estimez-vous que les opinions de ce groupe sont représentatives d’un certain consensus?

Dr Schipper : Eh bien, vous posez des questions très simples à un faux avocat. La différence fondamentale — et je ne veux pas parler du rapport du groupe d’Halifax, mais il y a une école de pensée — et Jocelyn et moi-même avons jouté au fil du temps — qui affirme qu’il s’agit d’une question juridique, strictement liée aux droits de la personne, fondée sur la Charte, et ainsi de suite. Le rapport fait valoir cet argument. Je reviens à mon observation initiale.

Permettez-moi de vous raconter une histoire. Cette question a été soulevée lors d’une conférence juridique à l’Université d’Ottawa il y a quelques années. On m’a dit : « Compte tenu de la décision Carter, comment interprétez-vous Carter au chevet du patient? » J’ai eu ma journée Andy Warhol où j’ai dit : « Je ne le fais pas. J’interprète le serment d’Hippocrate, et mon travail est de soulager la souffrance. »

Il y a deux navires culturels qui se croisent dans la nuit. Le problème avec l’approche juridique, c’est que tout est noir ou blanc. Avez-vous ou non la compétence, la capacité? Soit dit en passant, il existe une étude qui examine la capacité de consentir face à des souffrances intolérables. Elle souligne que nous ne savons pas comment la mesurer et qu’il n’y a pas d’expertise. J’espère que cela répond à votre question, sénatrice.

La sénatrice Batters : Merci.

La sénatrice Pate : J’aimerais que le Dr Schipper et Mme McNeil aient l’occasion de répondre aux questions que j’ai posées précédemment, si cela vous convient. Dans ce cas, je ne perdrai pas de temps à les poser de nouveau.

La présidente : Voulez-vous leur rafraîchir la mémoire? On leur a posé de nombreuses questions.

La sénatrice Pate : Le gouvernement devrait-il demander une prolongation? Devrions-nous envisager une modification de la Loi sur la santé? Compte tenu de...

La présidente : Choisissez-en une, sénatrice Pate, parce que nous n’avons que deux minutes.

La sénatrice Pate : Je vais les laisser choisir la question à laquelle ils veulent répondre.

Mme McNeil : Très rapidement, je dirais oui à une prolongation.

En ce qui concerne l’arrêt Fraser, je pense que ce projet de loi est un bon exemple d’égalité formelle. À première vue, il semble traiter tout le monde de la même façon, mais il est fondé sur des normes applicables aux personnes physiquement aptes. Le fait que nous ayons un article qui suggère que les gens devraient être conseillés quant aux services visant à alléger leurs souffrances qui n’existent pas en fait devrait être très troublant pour le Sénat.

Pour ce qui est de modifier la Loi sur la santé, le gouvernement fédéral, en adoptant ces modifications au Code criminel, doit exercer son influence pour s’assurer que les provinces fournissent les choses nécessaires aux gens qui se trouvent dans ces situations, qu’il s’agisse d’un traitement médical pour soulager la souffrance ou d’une autre thérapie nécessaire. Plusieurs médecins diront : « Nous avons les mains liées. Nous sommes allés aussi loin que possible dans le cadre du système médical. » Il ne s’agit pas d’une question de santé; c’est l’incapacité du gouvernement de fournir le soutien social nécessaire aux personnes handicapées qui crée ce problème.

Dr Schipper : Je reporterais certainement l’étude du projet de loi jusqu’à ce que nous comprenions la situation.

Deuxièmement, je crois que nous avons besoin de normes nationales. À mon avis, le gouvernement fédéral a l’obligation d’ouvrir la porte au droit pénal fédéral. En toute justice, je ne suis pas qualifié pour commenter l’arrêt Fraser.

La sénatrice Pate : Merci.

La présidente : Je vous ai interrompu au milieu de votre réponse à la sénatrice Dupuis. Voulez-vous terminer? Vous souvenez-vous de sa question?

Dr Schipper : Sénatrice Dupuis, ai-je répondu à votre question?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Permettez-moi de vous dire, docteur Schipper, que je pense que vous comprenez très bien ma question. Je voulais seulement m’assurer que, au fond, il n’y a pas de différence de nature relativement au geste qu’un médecin pose.

La seule différence avec l’aide médicale à mourir par rapport à la situation précédente, c’est que, jusqu’ici, le pouvoir se trouvait entièrement entre les mains du médecin. La médecine a évolué de telle sorte qu’on dit maintenant, dans la relation entre le médecin et son patient, que le désir du patient doit être respecté. D’ailleurs, c’est ce qui a permis aux patients de refuser des traitements. Je veux simplement m’assurer que nous sommes sur la même longueur d’onde.

[Traduction]

Dr Schipper : Eh bien, il est clair qu’il faut tenir compte de l’opinion du patient. Je ne suis pas d’accord avec vous si vous proposez une approche paternaliste où, dans le passé, le médecin est entré et a dit en quelque sorte : « Je pense que votre heure a sonné, et je vais vous aider à quitter cette terre. » Ce serait une excellente histoire pour un film, mais je ne pense pas que cela reflète ce que font les médecins dans la grande majorité des cas.

L’un des problèmes, cependant, quant à l’AMM, c’est qu’il y a des gens qui en sont des défenseurs passionnés : 99,9 % d’entre eux auraient les meilleures intentions, tandis que ce serait le contraire pour un faible pourcentage d’entre eux. En plaidant leur cause, ils agissent exactement à la façon des médecins d’autrefois, comme vous l’avez souligné. Nous devons être aussi prudents que par le passé.

La présidente : Merci beaucoup, docteur Schipper.

Merci beaucoup, M. Calderhead et Mme McNeil. Comme vous pouvez le constater, nous pourrions passer beaucoup de temps avec vous aujourd’hui. Cela a été très intéressant. Nous posons tellement de nouvelles questions. Vous nous avez certainement fait réfléchir. Merci beaucoup de votre présence aujourd’hui; nous vous en sommes reconnaissants.

Dr Schipper : C’est effectivement un sujet immortel.

La présidente : Nous allons prendre quelques minutes pour accueillir le prochain groupe de témoins. En raison de la nature des questions dont nous discuterons avec le prochain groupe, la séance se déroulera de 17 heures à 18 h 30.

Bienvenue à nos témoins d’aujourd’hui. Vous avez tous consacré beaucoup temps pour être avec nous aujourd’hui. Je vous remercie de vos efforts et de votre disponibilité. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous avons vraiment hâte de vous entendre.

Le premier témoin est Neil Belanger, directeur exécutif de la British Columbia Aboriginal Network on Disability Society. Nous accueillerons ensuite la Dre Cornelia Wieman, présidente de l’Association des médecins autochtones du Canada. Notre troisième témoin est Marilee Nowgesic, directrice générale de la Canadian Indigenous Nurses Association. Le dernier témoin est le Dr Alika Lafontaine, médecin et chef médical, Programme de santé autochtone, zone Nord, Services de santé de l’Alberta.

Monsieur Belanger, nous allons commencer par vous. Je sais que vous le savez tous et qu’on vous l’a dit à plusieurs reprises, mais après cinq minutes, je suis obligée de vous interrompre. Vous avez la parole.

Neil Belanger, directeur exécutif, British Columbia Aboriginal Network on Disability Society : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole devant le comité aujourd’hui, et je tiens à saluer le territoire de chacun des participants.

Je m’appelle Neil Belanger et je suis directeur exécutif de la British Columbia Aboriginal Network on Disability Society, un organisme autochtone qui s’occupe de handicaps multiples en offrant divers programmes et services aux personnes handicapées partout au Canada depuis 29 ans.

Notre organisation se joint à toutes les organisations de personnes handicapées au Canada pour demander que l’AMM soit limitée à la fin de la vie.

Les peuples autochtones du Canada présentent un taux d’incapacité plus élevé que celui de la population non autochtone, des taux de suicide plus élevés, un état de santé et une espérance de vie plus faibles, des taux de chômage et de pauvreté plus élevés, un surpeuplement des logements et une surreprésentation dans le système de justice. Ils subissent également la perte de leur culture et de leur identité spirituelle et les effets intergénérationnels des pensionnats et des externats indiens et de la rafle des années 1960.

Malgré ces conditions, les personnes que notre organisation sert ne se décrivent pas comme « souffrant d’un handicap », terme que nous avons entendu utiliser au cours de ces témoignages. Les souffrances qu’ils décrivent sont dues aux systèmes dans lesquels ils sont forcés d’exister.

La majorité des Autochtones et des non-Autochtones vivant avec un handicap au Canada sont victimes d’iniquités flagrantes dans la plupart des aspects de leur vie.

Comme nous l’avons trop souvent observé, lorsque nous ajoutons le capacitisme, la discrimination et le racisme à l’égard des Autochtones qui existent dans les systèmes conçus pour les aider, leur état de santé et leur incapacité sont exacerbés. Les personnes handicapées peuvent devenir plus isolées, démoralisées, éprouver une perte d’espoir et le désir de s’évader, et leur état de vulnérabilité peut les rendre plus susceptibles à l’option de l’AMM.

Logiquement, la première réaction serait de modifier ces systèmes, d’accroître les ressources et les services en matière de santé et d’invalidité, d’assurer un soutien financier adéquat aux personnes autochtones et non autochtones vivant avec un handicap et de leur donner le temps nécessaire pour avoir accès à tous les soutiens.

Le projet de loi C-7 ne vise pas à offrir un soutien adéquat aux personnes handicapées. La suppression proposée du critère de fin de vie perpétue l’image négative des Autochtones et des non-Autochtones qui vivent avec un handicap comme ayant une vie qui n’a pas de valeur en raison de ce handicap. Cela est dangereux et perpétue l’idée que ces personnes ont moins de valeur et qu’elles méritent donc l’aide de l’État pour mourir.

Aucun autre groupe protégé par la Charte n’a ce choix. Nous devons nous demander pourquoi les Autochtones vivent avec un handicap.

Le racisme à l’égard des Autochtones est omniprésent dans notre système de santé, et il serait dangereusement naïf de laisser entendre que l’AMM serait exemptée de cette défaillance et de laisser entendre que les Autochtones vivant avec un handicap seraient adéquatement protégés sans critères relatifs à la fin de vie en fonction de l’aide médicale à mourir.

Nous n’avons pas besoin de chercher bien loin pour appuyer cette affirmation; la mort tragique et récente de Joyce Echaquan, une mère de 37 ans, qui est décédée alors qu’elle subissait les railleries de professionnels de la santé qui lui disaient qu’elle n’était bonne que pour le sexe et qu’elle serait mieux morte; ou le cas de Brian Sinclair, un Autochtone de 45 ans vivant avec un handicap qui est mort dans une salle d’attente d’urgence après avoir été ignoré pendant 34 heures par des professionnels de la santé; ou la coercition de professionnels de la santé à l’égard de femmes autochtones en santé pour qu’elles subissent une chirurgie inutile de ligature des trompes. Plusieurs de ces histoires sont rapportées; plusieurs ne le sont pas.

Ce type de traitement est devenu si courant que la ministre Hajdu et le ministre Miller ont récemment tenu une réunion avec 400 organisations et personnes autochtones au sujet du racisme systémique à l’égard des Autochtones dans les soins de santé. Une autre réunion semblable est prévue pour janvier. Cela devrait suffire à justifier le maintien de la garantie de fin de vie en vertu de l’AMM.

Mais notre organisation n’est qu’une voix. Où est la voix des peuples autochtones du Canada dans le projet de loi C-7, où est celle de leurs membres qui vivent avec un handicap? Elle ne s’est pas fait entendre devant le Comité de la justice. Notre organisme a demandé à comparaître, mais nous avons été refusés. À ma connaissance, le gouvernement a tenu une seule réunion avec des organisations autochtones, et bon nombre d’entre elles n’ont pas pu y assister.

De plus, cette semaine, j’ai entendu un témoin dire que 86 % des Canadiens appuient les changements apportés au projet de loi C-7. Cependant, lorsque j’ai examiné plus en détail l’enquête qui a produit ces résultats, le Nunavut, dont la population est à 89 % autochtone, n’avait pas été sondé, pas plus que les Territoires du Nord-Ouest, dont la population autochtone est de 50 %, ou le Yukon, dont la population autochtone est de 25 %. De plus, il semble que malgré l’existence de plus de 630 collectivités des Premières Nations au Canada, elles ont également été exclues. Avant de commencer à offrir aux Autochtones handicapés la possibilité de mourir dans la dignité, nous devrions leur offrir la possibilité de se faire entendre.

Les peuples autochtones du Canada, y compris leurs membres qui vivent avec un handicap, ont une voix, mais la possibilité de parler du projet de loi C-7 n’a pas été adéquatement transmise ou offerte. Par conséquent, les modifications proposées dans le projet de loi C-7 sans leur participation sont un contraste direct avec l’esprit et l’intention de la réconciliation, de l’autodétermination, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, que le gouvernement du Canada a dit appuyer par le biais de déclarations publiques.

Chaque sénateur, député, fournisseur de l’AMM, défenseur de l’AMM et organisation de personnes handicapées doit se demander si le gouvernement du Canada, ou même lui-même, a véritablement engagé les dirigeants autochtones, les collectivités et les peuples autochtones du Canada qui vivent avec un handicap dans le cadre de discussions et de recommandations sur l’AMM et le projet de loi C-7.

Si la réponse est oui, nous vous demandons de nous montrer la documentation et les commentaires fournis par vos électeurs, collectivités et clients autochtones. Si la réponse est non, nous devons éliminer le système à deux volets proposé et maintenir les mesures de sauvegarde quant à la mort naturelle raisonnablement prévisible. Agir autrement enverrait un message clair aux peuples autochtones du Canada et à leurs membres qui vivent avec un handicap : leur voix et leur contribution à une loi qui aura un impact important sur leur vie sont sans importance. Merci, honorables sénateurs.

La présidente : Merci.

Dre Cornelia Wieman, présidente, Association des médecins autochtones du Canada : Boozhoo, Aahni. Je tiens à remercier le président, les vice-présidents et les membres du comité sénatorial permanent de m’avoir invitée à comparaître devant vous.

Je suis originaire de la Première Nation de Little Grand Rapids, au Manitoba. Je suis psychiatre de formation et présidente de l’Association des médecins autochtones du Canada, l’AMAC. Je suis également médecin-hygiéniste en chef par intérim à la Régie de la santé des Premières Nations de la Colombie-Britannique.

Voici quelques-uns des messages clés que l’AMAC aimerait transmettre quant à l’aide médicale à mourir, l’AMM, organisée autour de divers thèmes.

La représentation. L’AMAC ne représente pas les divers points de vue des peuples autochtones du Canada quant à l’AMM. Les Autochtones ne forment pas un groupe unique et monolithique. Nous sommes composés de nombreuses nations et il existe autant de pensées et d’opinions sur l’aide médicale qu’il y a de personnes.

L’autodétermination. Nous respectons les droits à l’autodétermination de tous les peuples autochtones. Un Autochtone a le droit et la capacité de prendre ses propres décisions éclairées, en l’occurrence au sujet de ses soins médicaux, et de bien travailler avec les fournisseurs de soins de santé, y compris en matière de soins de fin de vie et d’accès à l’AMM.

La sécurité culturelle et l’humilité. En tant qu’Autochtones, notre vision de la vie et de la mort est holistique et circulaire. Nos enseignements et nos cérémonies entourant la mort sont variés, mais plus inclusifs que ceux de la société en général. En d’autres termes, nous percevons la mort comme faisant partie du chemin de notre vie. Il est important de continuer de s’efforcer à offrir des soins de santé culturellement sécuritaires à tous les Autochtones, y compris des soins de fin de vie. Lorsque l’AMM est demandée, les mesures de soutien nécessaires doivent être en place, sécuritaires sur le plan culturel et respectées lors des cérémonies simultanées.

L’accès à l’AMM. L’accès aux services de santé, y compris l’AMM, est également lié à la sécurité culturelle. Il y a un manque de services de santé, notamment de soins palliatifs, de dispositifs d’aide et de services de soins à domicile pour de nombreux Autochtones dans leurs collectivités. En tant que médecins autochtones et apprenants en médecine, nous désirons que les Autochtones aient un accès égal à l’AMM, aux soins palliatifs et à d’autres éléments relatifs aux soins de fin de vie, en particulier pour ceux qui vivent dans des régions rurales et éloignées du pays. Pour avoir un accès égal à l’AMM, il faut respecter les droits que garantie la Charte aux Autochtones, c’est-à-dire, l’accès aux mêmes services de santé disponibles aux membres de la population générale.

Nous sommes également préoccupés par les injustices et les iniquités existantes dans le système de soins de santé, comme le racisme envers les Autochtones qui retient maintenant l’attention sur les plans national, fédéral et provincial. Cela a récemment été mis en lumière lors du décès tragique de Joyce Echaquan, au Québec.

Nous défendons vigoureusement la dignité en fin de vie, ce qui comprend des soins dépourvus de racisme. Il est important que la Loi sur l’AMM ne prévoie pas d’obstacles supplémentaires pour les personnes qui envisageraient l’aide médicale à mourir, tout en prévoyant des mesures de protection solides pour celles qui pourraient ressentir des pressions.

Enfin, des messages clairs pour bâtir la confiance. Compte tenu des innombrables expériences négatives et préjudiciables vécues par les Autochtones dans le système de santé, historiquement et de nos jours, il est important d’expliquer clairement aux peuples, aux collectivités et aux nations autochtones ce qu’est l’AMM et ce qu’elle n’est pas. Cela comprend le renforcement des mesures de protection prévues dans la loi. Nous nous inquiétons de la façon dont les Autochtones seront renseignés au sujet de l’AMM s’ils veulent en savoir plus à cet égard ou sur la façon d’y accéder. Des craintes et des appréhensions existent au sein de certaines collectivités et nations quant à l’AMM en raison d’inexactitudes et de désinformation.

Enfin, les membres de l’Association des médecins autochtones du Canada sont des Autochtones dont les valeurs sont enracinées de façons variées dans notre ascendance et nos relations avec le monde naturel et nos terres ancestrales, et qui ont également eu le privilège d’une formation médicale. Nous avons l’intention de coopérer en utilisant nos compétences, nos capacités et notre expérience pour améliorer la santé et le mieux-être de nos nations, de nos collectivités, de nos familles et de nous-mêmes. Cela comprend la défense de nos patients qui pourraient souhaiter avoir accès à l’aide médicale à mourir, afin qu’ils puissent boucler leur cercle de vie de façon autonome, selon leurs désirs individuels. Merci, Chii-meegwetch.

La présidente : Merci beaucoup, docteure Wieman. Nous allons passer à Mme Nowgesic. Je m’excuse si j’ai mal prononcé votre nom.

Marilee Nowgesic, directrice générale, Canadian Indigenous Nurses Association : Vous n’avez pas besoin de vous excuser. C’est un nom ojibway; Nowgesic est la version anglicisée; la version ojibway signifie « au milieu de la journée » ou « au milieu du ciel ». Je tiens à remercier tous les membres du Sénat de nous avoir invités ici aujourd’hui pour parler de ce projet de loi.

Je suis directrice générale de la Canadian Indigenous Nurses Association. La CINA est la plus ancienne organisation de professionnels de la santé autochtone au Canada. Elle compte plus de 46 ans d’expérience et d’expertise en tant que porte-parole nationale des infirmières et infirmiers des Premières Nations, des Inuits et des Métis au pays. Notre expertise en soins infirmiers autochtones et notre savoir autochtones ne datent pas d’hier. Lorsque nous sommes arrivés pour la première fois à la table de discussion au sujet de l’AMM, nous étions très préoccupés par les répercussions, non seulement sur les gens au niveau communautaire, mais aussi sur les dirigeants, sur le champ d’exercice des professions infirmières à tous les niveaux et sur les personnes qui pratiquent la guérison traditionnelle à l’échelle communautaire — si nous permettons effectivement que la guérison traditionnelle fasse partie de cette pratique.

En même temps, nous savons que le projet de loi comporte d’autres considérations, et nous essayons d’être équitables à l’endroit de ces deux groupes. Dans cette optique, nous savons que le projet de loi permet aux patients de consentir à l’avance à l’aide médicale à mourir, mais on n’en fait pas la promotion à l’heure actuelle. On n’a pas fourni suffisamment d’information aux peuples autochtones sur le consentement et l’exigence d’un consentement préalable éclairé et sur l’exercice de toutes les options jusqu’à la dernière seconde.

Où vont-ils pratiquer? Nous sommes préoccupés, dans l’optique des soins infirmiers autochtones, par les limites. Comment pouvons-nous dépouiller cette infirmière autochtone de ce qu’elle a peut-être appris dans le cadre de son approche traditionnelle et intégré dans sa pratique professionnelle? Comme mon collègue l’a déjà dit, il faut tenir compte de la sécurité culturelle, de la compétence et de l’humilité si nous voulons pouvoir trancher au sujet de la fin de vie d’une personne.

Dans la plupart des cas, nous savons qu’il s’agit d’administrer des soins palliatifs. Mais dans le cas de patients admissibles, ils peuvent avoir fixé la date de leur décès dans un avenir prévisible. Qu’en est-il de la personne qui administre l’AMM? Que doit-elle faire si le patient refuse ou résiste à la dernière minute? Simplement attendre et réessayer plus tard? Que prescrit le projet de loi quand les groupes de patients intéressés ne sont pas écoutés? Que faire lorsque la pratique traditionnelle doit être invoquée? Que faire pour ceux qui sont admissibles à l’AMM, mais qui ne sont pas encore prêts à mourir? Qui doit remplir les formulaires dans le cas de patients dont on sait qu’ils les comprennent mal, faute d’instruction? Qu’est-on censé faire? Comment l’expliquer? Et à qui en incombe la responsabilité? Avons-nous le droit, nous Autochtones, d’intervenir dans le processus cérémonial qui met fin à la vie de cette personne, compte tenu des difficultés que cela suppose pour nous? Le créateur, a-t-il dit que nous pouvions le faire? Et comment nous assurer que la santé mentale et le bien-être des travailleurs de la santé qui doivent administrer l’aide n’en souffriront pas en fin de compte? Meegwetch.

La présidente : Merci beaucoup. Nous en venons maintenant au Dr Alika Lafontaine.

Dr Alika Lafontaine, médecin et chef médical, Programme de santé autochtone, zone Nord, Services de santé de l’Alberta : Merci. Bonsoir aux sénateurs et aux autres panélistes. Je ferai de mon mieux pour ne pas répéter ce qui a été dit et redit ces derniers jours au cours des témoignages. Je vous salue depuis le territoire traditionnel du Traité 8 dans le nord de l’Alberta. En préparant mes remarques, j’ai repensé au témoignage que j’ai donné en 2016 lors du premier examen de l’AMM en ma qualité d’ancien président de l’Indigenous Physicians Association of Canada que dirige actuellement la Dre Wieman. J’abonde dans son sens. Depuis lors, j’ai eu l’occasion d’examiner l’AMM sous plusieurs angles organisationnels, de mon point de vue, au sein de mon propre système de santé provincial, les services de santé de l’Alberta, et dans le cadre de mes fonctions au Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, à l’Association médicale canadienne, à HealthCareCan et en tant que membre du groupe de travail sur les directives anticipées du rapport du CAC commandé par le gouvernement fédéral.

À ce moment-là, j’avais dit que l’aide médicale à mourir existait dans notre communauté depuis le début de la colonisation, et que pour intégrer véritablement l’AMM dans la pratique de nos approches traditionnelles et occidentales en matière de santé et de mieux-être, ce qu’il nous fallait, entre autres, c’était une stratégie visant à garantir l’aide médicale à vivre dans nos collectivités. Je ferai quelques observations précises avant de passer aux questions. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, près de 4 patients sur 10 souffrent de méfaits découlant de soins de santé en général. Au Canada, la proportion est probablement plus proche de 1 sur 20 à 1 sur 10. Au sein des collectivités autochtones, la proportion des patients autochtones touchée par ces méfaits semble être en forte augmentation. Ces méfaits sont courants, et l’AMM est l’un des rares traitements où la solution proposée en matière de santé et de mieux-être cause en fait un préjudice au sens d’incapacité permanente ou mort du patient.

Dans le contexte actuel de l’AMM, j’exhorte les honorables sénateurs à ne pas perdre de vue que la perte d’autonomie prend diverses formes. Les patients ne sont pas tous privés d’autonomie de la même façon en cas de préjudices liés aux soins de santé. Cela a une incidence directe sur la mise en œuvre des changements suggérés dans cette révision de la loi. Je voudrais aborder deux aspects de la perte d’autonomie chez le patient autochtone : l’autonomie et le consentement.

L’autonomie n’est que rarement une norme culturelle dans les systèmes de santé autochtones. Elle est habituellement divisée en trois composantes : capacité d’agir, indépendance et rationalité. Mais la capacité d’agir suppose une possibilité effective de choix, ce qui suppose que le système de santé puisse offrir ce choix au patient. En ce qui concerne l’AMM, trop souvent dans nos collectivités, ou bien on ne la propose pas au patient ou bien on ne lui propose rien d’autre. Pour y remédier, les systèmes de santé doivent disposer de l’infrastructure nécessaire pour fournir d’autres types de prestation de santé et de bien-être. Ils doivent intégrer nos méthodes traditionnelles de guérison, les valoriser de la même façon que les méthodes occidentales et veiller à ce que les prestataires comprennent que l’autonomie n’est pas la norme culturelle dans bon nombre de nos systèmes de santé.

Le consentement décrit dans les propositions de modification de la loi n’est pas celui dont parlent habituellement les médecins avec les patients. Il m’a fallu longtemps pour comprendre pourquoi durant les mois passés au sein du Groupe de travail à discuter les directives anticipées, j’éprouvais un tel malaise. J’ai fini par comprendre que ça tenait à l’optique de ces discussions et qu’il y avait une différence entre la définition juridique du consentement et le type de consentement pratico-pratique que les médecins présentent habituellement aux patients. Ce dernier exige le renouvellement du consentement à chaque consultation médicale avant le moment où l’intervention est pratiquée. Il faut que le patient puisse revoir et repenser, soit pour lui-même, soit par l’entremise d’un représentant, les avantages et inconvénients d’un traitement donné.

Les directives anticipées dans le cadre de la nouvelle loi donnent une définition de type juridique, selon laquelle une fois qu’un patient a signé un formulaire de consentement et coché les cases de son choix dans la liste, ce consentement devient permanent et immuable à l’avenir. Ce n’est pas le type de consentement que présentent habituellement les médecins, les infirmières et autres fournisseurs de soins de santé.

Comme je l’ai dit au début, la perte d’autonomie prend diverses formes. Les patients qui insistent pour bénéficier d’une expansion de l’AMM, éprouvent les mêmes difficultés que celles ressenties par tous les Canadiens. Il sera impossible de comprendre la perspective de ceux qui n’ont pas l’autonomie nécessaire en matière de consentement, sans les interroger — soit les patients autochtones, ceux qui souffrent d’un handicap, ainsi que de nombreuses autres populations vulnérables comme vous l’avez probablement entendu au cours des derniers jours. Aussi, je vous conseillerais de ne pas juger des répercussions des changements proposés du seul point de vue des patients qui ont une relative autonomie.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de participer à la période de questions d’aujourd’hui et je vous encourage à étendre vos consultations à d’autres groupes privés d’autonomie que vous n’avez peut-être pas pris en compte.

La présidente : Merci de vos exposés. Nous les apprécions beaucoup. Je veux que vous sachiez que ce n’est qu’un début. Si vous avez d’autres renseignements à nous fournir, veuillez les transmettre au greffier.

La sénatrice Batters : Je tiens d’abord à remercier tous les témoins. C’est un point de vue très important dont nous n’avions pas encore beaucoup entendu parler. Je suis heureuse que vous soyez ici. Je sais que, malheureusement, le comité de la Chambre des communes n’a pas tenu beaucoup de réunions. Nous avons essayé d’y remédier en nous assurant d’avoir un nombre important de témoins. Certaines lacunes du comité de la Chambre des communes ont pu être comblées, alors je vous remercie d’être ici.

Monsieur Bélanger, ma première question porte sur la consultation. En tant que directeur exécutif du British Columbia Aboriginal Network on Disability Society, êtes-vous au courant des consultations qui ont eu lieu avec les communautés autochtones au sujet du projet de loi C-7, et estimez-vous que le processus de consultation avec vos communautés a été adéquat?

M. Belanger : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Je crois bien connaître la situation. Dans le cadre du processus, j’ai assisté à deux réunions. L’une à Vancouver, sur invitation seulement. L’autre — j’étais à Ottawa avec mes deux collègues ici — était axée sur les Autochtones. La liste des personnes et organisations invitées à cette réunion était longue, mais en réalité, une participation très limitée... [Difficultés techniques]... organisations n’ont pas pu y assister.

Je crois pouvoir affirmer que le gouvernement du Canada n’a pas vraiment répondu aux attentes des peuples... [Difficultés techniques]... des Métis ou des Premières Nations concernant l’AMM, le projet de loi C-14 ou le projet de loi C-7. En particulier, les Autochtones vivant avec un handicap... [Difficultés techniques]... et des milliers de clients ont été consultés au niveau communautaire ou gouvernemental. Je ne crois pas qu’ils aient été dûment consultés.

La sénatrice Batters : Merci. Monsieur Bélanger, vous avez corédigé un article dans le Hill Times sur le fait que le projet de loi C-7 cible les personnes handicapées. Vous faites remarquer que les personnes handicapées se tournent déjà vers l’aide à mourir, non pas en raison de leur handicap lui-même, mais en raison, je vous cite, « des privations sociales et économiques inadmissibles dont elles souffrent en raison de leur handicap ».

Je trouve cela très troublant, et je me demande si vous pourriez nous en dire davantage sur les conséquences sociales et économiques d’un handicap au Canada et si vous croyez que nous offrons aux Canadiens handicapés un choix honnête et équitable entre la vie et la mort.

M. Belanger : Merci, sénatrice. Il est certain que les personnes handicapées, surtout au Canada ou, par exemple, celles que nous servons, vivent dans la pauvreté. Elles sont victimes de racisme et de discrimination en raison de leur ascendance et de leur handicap, qui limitent leurs possibilités d’emploi. Beaucoup vivent dans des régions rurales où l’accès au transport est limité. Le logement est un problème. C’est une chose après l’autre, continuellement.

Le niveau de soutien que les provinces offrent aux personnes handicapées au Canada est déplorable. Elles sont censées vivre avec environ 1 000 $ par mois pour subvenir à tous leurs besoins. On entend dire qu’il faut qu’elles s’accrochent. Mais souvent, elles n’ont rien à quoi s’accrocher justement. Nous passons notre temps à chercher du soutien pour améliorer leurs conditions de vie, avec leur consentement et selon leurs suggestions, mais c’est difficile. Nous ne devrions pas leur offrir l’option de mourir parce qu’elles ont un handicap, si nous ne leur avons pas offert d’options durant leur vie. C’est inconcevable.

La sénatrice Batters : Absolument, sans parler de la maladie mentale, de la toxicomanie et de tous ces types de problèmes.

Dans votre article paru dans le Hill Times, vous avez également mentionné plusieurs autres groupes défavorisés de la société qui subissent de graves souffrances, et vous dites :

Mais dans le cas des personnes handicapées, le gouvernement nous suggère de les regarder dans les yeux et de leur dire : « Vous avez raison, les gens comme vous ont une bonne raison de mourir et nous allons vous aider à faire en sorte que cela se produise. »

D’après vous, quel message envoie-t-on par-là aux personnes handicapées?

M. Belanger : Le message, d’après moi, c’est que si vous vivez avec un handicap, c’est une bonne raison d’envisager de mettre fin à vos jours ou de demander l’aide médicale à mourir, parce que votre vie n’a pas la même valeur que celle d’une personne qui n’a pas... Soyons réalistes, quel genre de vie auriez-vous? Comment pourriez-vous réussir? Comment pourriez-vous profiter de la vie? Comment pourriez-vous faire partie de votre communauté? Voici une option que vous pouvez choisir. Nous n’offrons pas cela à d’autres groupes couverts par la Charte, alors pourquoi pour les personnes handicapées...

Ils apportent une contribution quotidienne partout au Canada. Mais c’est l’idée que la vie est finie si jamais on doit vivre avec un handicap. Qu’on préfère ne pas vivre si on a un handicap. C’est une mentalité que nous devons changer. C’est un problème.

La sénatrice Batters : Merci.

Le sénateur Dalphond : Je remercie nos témoins. J’ai trouvé cela très intéressant.

Ma question s’adresse à la Dre Wieman. J’ai lu votre court mémoire avec beaucoup d’intérêt. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la façon dont l’AMM s’inscrit dans le concept de dignité et la vision holistique de la vie des Premières Nations?

Dre Wieman : Merci, sénateur, de cette question. Je dois d’abord dire que j’ai une formation en médecine occidentale et que je ne me considère aucunement comme une guérisseuse traditionnelle ou quelqu’un qui dirige des cérémonies. Je participe à des cérémonies de temps à autre, mais je ne les dirige pas moi-même.

Il est difficile de ne pas généraliser, d’autant que je ne veux pas oublier les points de vue propres aux uns et aux autres compte tenu de la diversité des points de vue à l’échelle du pays parmi les peuples autochtones. Au cours de mes nombreuses années d’expérience — j’ai pratiqué pendant plus de 20 ans en milieu clinique avant de passer à la santé publique, y compris 8 ans dans une communauté dans une réserve — j’ai constaté qu’il y a un équilibre délicat entre le point de vue panautochtone et le respect de la diversité, point de vue que je vais chercher à illustrer dans ma réponse.

Je sais qu’il y a, par exemple, une vision très holistique de la vie et de la mort d’une personne. Par exemple, si on regarde la roue médicinale, c’est un cercle. Par exemple, nous entrons dans la vie par la porte de l’Est, et nous en sortons par la porte de l’Ouest. Il existe de nombreux types d’analogies semblables, dans d’autres cultures autochtones du monde, comme les longues maisons des Maoris en Nouvelle-Zélande.

Ce que j’essayais de dire, c’est qu’il nous faut toujours tenir compte de la diversité des Autochtones lorsqu’on examine ces questions. Les uns sont très orientés tradition, parlent activement leur langue et participent à leurs cérémonies, les autres ne sont pas nécessairement aussi engagées, pour diverses raisons.

J’essayais de dire que la mort fait davantage partie de notre réflexion. Ce n’est pas nécessairement aussi stérile qu’on peut le croire dans d’autres sociétés ou cultures occidentales. Par exemple, lorsque je travaillais dans la réserve, les gens gardaient leur parent décédé chez eux en attendant les funérailles. La tradition d’amener le défunt à un salon funéraire, avec des heures de visite fixes et le faux gazon et tout ce tralala n’a pas toujours existé. C’est beaucoup plus organique et inclusif.

Nous devons en tenir compte lorsque nous parlons d’essayer de donner aux gens accès à quelque chose comme l’aide médicale à mourir qui fait partie de ce cycle de vie, dans ce cas-ci axé sur la fin de vie et la mort.

Le sénateur Dalphond : Diriez-vous que, jusqu’à maintenant, l’accès à l’AMM est très limité pour ceux qui pourraient être intéressés à en bénéficier?

Dre Wieman : C’est la seule réponse que je puisse obtenir, et c’est important, je pense. J’ai dit au début de mon exposé que je travaille également à la Régie de la santé des Premières Nations en Colombie-Britannique et je porte parfois les deux chapeaux en même temps. Il est assez difficile de séparer ces rôles. J’ai entendu dire en Colombie-Britannique que l’accès à l’aide médicale à mourir pour tous les Britanno-Colombiens, surtout ceux qui vivent dans des régions rurales et éloignées, est limité, mais pas nécessairement impossible.

Je peux aussi vous dire que certains membres des Premières Nations ont eu accès à l’aide médicale à mourir. Je n’ai pas de chiffre précis à vous donner, mais je dirais que l’accès aux soins de santé en général et à des services spécialisés comme l’aide médicale à mourir est encore limité pour de nombreuses personnes qui vivent dans des régions rurales et éloignées.

La présidente : Merci, sénateur Dalphond et Dre Wieman.

La sénatrice Pate : Merci à vous tous. Merci tout particulièrement, monsieur Bélanger, pour les masques que vous nous avez fournis ce mois-ci en reconnaissance des Autochtones handicapés.

J’aimerais poser la question suivante à tous ceux d’entre vous qui sont à l’aise pour y répondre. Je remplace la sénatrice Boyer aujourd’hui. Elle voulait savoir si, en fait, certains d’entre vous ont eu de la difficulté à fournir des services dans les réserves par rapport aux services hors réserve. On a eu un début de réponse, je crois, mais j’aimerais que vous nous en disiez davantage.

De plus, certaines communautés autochtones ont dit craindre que l’expansion de l’AMM puisse contrevenir à certaines traditions culturelles autochtones. Compte tenu du droit à l’autodétermination des peuples autochtones, comment modifier le projet de loi C-7 de manière à nous assurer que les Autochtones qui sont admissibles à l’AMM — ainsi que ceux qui n’ont pas accès aux programmes et aux services dans la collectivité et qui n’ont accès qu’à l’AMM — reçoivent de l’aide sous une forme respectueuse de leur culture.

Et une question de ma part : vous savez tous que les Autochtones sont surreprésentés en prison. En raison du manque d’options de traitement offertes aux détenus, l’enquêteur correctionnel a demandé un moratoire sur l’accès des prisonniers à l’aide médicale à mourir parce que toutes les recommandations disent qu’ils devraient avoir accès à des soins palliatifs dans la collectivité avant que l’option de l’aide médicale à mourir ne leur soit offerte. Pourtant, de très nombreux prisonniers demandent l’AMM parce qu’ils n’ont pas accès à ce genre d’option de libération pour des raisons humanitaires. J’attends avec plaisir vos commentaires à ce sujet également. Merci.

Dr Lafontaine : Merci de vos questions, madame la sénatrice. Je vais essayer de répondre rapidement à chacune pour laisser la chance aux autres témoins d’intervenir.

En ce qui concerne l’accès aux soins de santé, si vous ne figurez pas dans les systèmes de santé autochtones, vous n’avez pas idée à quel point l’accès est limité. Dans les centres urbains et dans la zone Nord de l’Alberta, 15 à 20 % des patients à l’hôpital où je travaille viennent de localités autochtones du Nord de l’Alberta et du Nord de la Colombie-Britannique. Les patients qui se présentent se voient souvent offrir moins d’options quand vient le temps de choisir leurs soins. Ils ont souvent des interactions différentes où ils ont l’impression parfois — et je tiens cela de patients autochtones — que leurs soignants ne veulent pas qu’ils aient certaines options, alors ils n’insistent pas de peur d’offenser le soignant, même s’ils savent que d’autres options existent.

En périphérie, dans les petites localités, surtout celles accessibles uniquement par avion, il n’y a pas de service à moins qu’un médecin ne décide de se rendre sur place. Je dis bien « décide de se rendre sur place ». Cela ne dépend pas du patient, ni de la localité. Cela ne dépend même pas du système de santé. Cela dépend de la bonne volonté de quelqu’un qui accepte d’y aller.

L’idée, c’est qu’on a une sorte de structure sous-jacente sur laquelle on superpose n’importe quel type d’accès dans certaines localités. En fait, il n’y a pas d’accès du tout à certains moments durant le mois. Dans certaines localités du Nord de l’Alberta accessibles par avion, il y a des services de suppléance pendant peut-être une semaine. Cela signifie que pendant cinq jours, vous avez accès à un soignant qui peut vous envoyer subir des tests, faire des évaluations ou peut-être vous diriger vers un spécialiste auquel vous ne pouvez pas vous adresser vous-même. C’est ma réponse à la première question.

La deuxième question porte sur les considérations culturelles et sociales entourant l’aide médicale à mourir, en l’absence d’une base de référence bien établie pour les systèmes de santé, des considérations qui vont de l’absence de système de santé jusqu’à un meilleur accès dans les collectivités urbaines. Vous imaginez bien qu’on peut accueillir de différentes façons la présentation de quelque chose qui est censé être offert à tous les Canadiens. Si le seul service dont le gouvernement fédéral exige qu’il soit offert dans toutes les localités du Canada est l’aide médicale à mourir — et j’irai jusqu’à dire que c’est probablement le seul qui a été envisagé de la sorte —, l’accueil sera très différent dans une localité qui n’a pas de service et dans un milieu urbain qui en a d’autres à offrir.

Cela envoie un message bien précis à la collectivité en raison de la nature de l’aide médicale à mourir, qui est vue comme un traitement préjudiciable, comme je le disais au tout début. Cela a des répercussions sur la confiance envers le système de santé et la volonté d’y adhérer.

Le troisième commentaire sur les options de traitement pour les prisonniers arrive à point nommé. Nous savons que les patients autochtones en particulier souffrent d’un type de racisme qui entraîne une détérioration de leurs bilans de santé. C’est un effet secondaire des choix offerts aux patients, des normes culturelles qui dictent ce qui est toléré pour les patients, puis des choix des soignants qui ont la haute main sur les ressources du système quand vient le temps de choisir pour les patients.

Nous savons, grâce à l’enquête sur la stérilisation tubaire menée par la sénatrice Boyer et d’autres défenseurs au Sénat, que c’est une réalité. Ce n’est pas une réalité lointaine ou historique. C’est la réalité d’aujourd’hui.

Je me souviens, il y a 10 ou 12 ans, lorsque j’étais en résidence, des salles d’opération où je devais anesthésier des patientes qui se mettaient à pleurer dès que le chirurgien leur disait qu’on était en train de leur ligaturer les trompes.

J’ai toujours supposé, moi, un anesthésiste autochtone, que mon anesthésiant rachidien était peut-être insuffisant ou que la patiente faisait un peu le deuil de sa maternité. Je n’aurais jamais pensé que ces femmes-là n’avaient jamais pris part à une conversation où on leur laissait le loisir de décider de leurs soins de santé.

La présidente : Merci beaucoup, docteur Lafontaine.

La sénatrice Boniface : Merci à tous d’être ici. C’est une discussion tellement importante.

J’aimerais m’adresser à l’association des infirmières. Il est évident que l’accessibilité à l’aide médicale à mourir laisse à désirer dans de nombreuses collectivités rurales et autochtones. Je viens d’une région rurale et je le vois de mes propres yeux. Le manque d’accès aux spécialisations médicales est un des problèmes évidents. La Chambre des communes a adopté un amendement en comité cette semaine qui dit essentiellement que si ni un médecin ni un praticien de soins infirmiers n’est spécialisé dans la pathologie dont souffre une personne, on peut alors consulter quelqu’un qui l’est. Est-ce que cet amendement aiderait à régler la question de l’accès pour les collectivités rurales et autochtones, en gardant à l’esprit le partage des compétences entre les divers gouvernements?

Mme Nowgesic : Je vous remercie de la question. Je pense que la réponse est beaucoup trop compliquée pour que nous ayons le temps d’y répondre efficacement. Je pense que cela annonce une importante contestation judiciaire qui aura des ramifications inattendues. Le Dr Lafontaine l’a déjà souligné parce que la pauvreté d’accès à des services adéquats — pas même spécialisés, juste adéquats — nous préoccupe beaucoup. De notre point de vue d’infirmières autochtones, nous disons qu’il faut mener des consultations plus exhaustives afin d’évaluer les ressources ou les groupes auxquels on pourrait faire appel pour être simplement admissibles à l’aide médicale à mourir. La situation se complique encore avec l’admissibilité à des services concurrents non assurés ou l’admissibilité aux services actuels de soins palliatifs en fin de vie.

En même temps, nous sommes très préoccupées par la protection réelle de la liberté de conscience des travailleurs de la santé. Seront-ils punis dans leur milieu de travail s’ils refusent et qu’ils sont les seuls praticiens dans la collectivité en mesure de le faire? Nous sommes préoccupées par la surveillance des médicaments qui arrivent dans la collectivité. Il y a tellement de choses qui entrent en jeu, et sans consultation suffisante des travailleurs de la santé ou des domaines connexes, nous laissons encore une fois tomber le système, qui n’est pas prêt, il faut bien le dire. Nous laissons tomber les travailleurs de la santé. Merci.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup de votre réponse. Elle ne me surprend pas, mais je trouvais important qu’on l’entende.

Le sénateur Plett : Bienvenue à tous les témoins, en particulier à la Dre Wieman, qui vient de Grand Rapids, un endroit que je connais bien. Je pense avoir visité à maintes reprises chacun des villages et chacune des communautés autochtones du Manitoba, alors je vous salue en particulier.

Ma question s’adresse à vous tous ou à n’importe lequel d’entre vous. Nous avons entendu M. Belanger dire qu’il croit que le gouvernement aurait dû en appeler de cette décision lorsqu’il en a eu l’occasion, mais nous voici maintenant saisis de ce projet de loi. La sénatrice Pate a posé cette question et je ne pense pas qu’elle ait obtenu de réponse parce que le Dr Lafontaine en avait déjà plusieurs à fournir à ce moment-là.

Selon vous, quelle est la bonne chose à faire? Trouvez-vous que ce projet de loi est irréprochable ou y a-t-il des amendements que nous pourrions apporter pour le rendre plus acceptable à l’ensemble des personnes handicapées?

Monsieur Belanger, si vous voulez commencer et, s’il vous plaît, j’aimerais que d’autres interviennent. Ce sera ma seule question.

M. Belanger : Merci, monsieur le sénateur. Bien sûr, je pense que le gouvernement du Canada aurait dû en appeler de la décision du tribunal. À l’heure actuelle, comme certains de mes collègues l’ont dit, il faut plus de consultation. Nous devons consulter davantage les collectivités autochtones et les Autochtones en situation de handicap. Entretemps, nous devons nous débarrasser de la deuxième voie et nous en tenir aux critères de fin de vie. C’est ce qui servira le mieux les intérêts des personnes handicapées. Comme nous l’avons entendu précédemment, la date limite est le 18 décembre, et si la loi n’est pas modifiée d’ici là, l’aide médicale à mourir sera toujours en vigueur, elle... [Difficultés techniques]. C’était l’occasion pour le gouvernement de consulter comme il se devait les Autochtones en situation de handicap dans leurs collectivités et... [Difficultés techniques]. Parce que nous n’avons pas ces connaissances. Nous n’avons pas leur avis et c’est de cela que nous avons besoin. Absolument, c’est ce que je pense.

Le sénateur Plett : Merci. Docteure Wieman, j’aimerais vous entendre et, s’il vous plaît, les autres aussi, si nous avons le temps.

Dre Wieman : Merci, sénateur Plett. Je me fais l’écho des propos de M. Belanger et j’ajouterais qu’un des véritables problèmes que nous avons tient à la diversité des peuples autochtones dont nous parlons. C’est vraiment un problème. Je veux dire, c’est une richesse de nos cultures, mais d’un côté, il est vraiment difficile de dégager un consensus parmi différents groupes, et au sein de la population autochtone. Ce que j’entends, c’est que des gens ont l’impression qu’il n’y a pas eu suffisamment de consultations sur ce sujet en particulier et qu’on pourrait peut-être y remédier en s’adressant à un plus grand nombre de personnes et de groupes. Je pense que c’est une chose à faire.

Nous avons beaucoup de travail à faire dans nos organismes de santé autochtones, selon le résultat de la collaboration avec nos partenaires, pour nous assurer, comme je disais dans ma déclaration préliminaire, que la communication est claire et exacte, parce que je me rends compte qu’il y a beaucoup d’idées préconçues et de fausses perceptions. Merci.

Le sénateur Plett : Permettez-moi de poser une question à laquelle chacun de vous devra répondre par un seul mot, pour que cela ne prenne pas de temps. Je veux une réponse en un mot : oui, non ou peut-être.

Pensez-vous que nous devrions mettre ce projet de loi en veilleuse jusqu’à ce que d’autres consultations aient eu lieu? Devrions-nous faire une pause?

M. Belanger : Oui.

Le sénateur Plett : Docteure Wieman?

Dre Wieman : Peut-être.

Le sénateur Plett : Docteur Lafontaine?

Dr Lafontaine : Oui.

Le sénateur Plett : Je ne vais pas essayer de prononcer votre nom de famille.

Mme Nowgesic : Pas de problème, c’est Nowgesic, et je dis oui.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup. Je vous remercie de votre témoignage.

La sénatrice Keating : Merci beaucoup d’être ici pour nourrir cette discussion vraiment cruciale, qui aurait dû avoir lieu il y a longtemps.

Je suis quelque peu perturbée par le fait que l’aide médicale à mourir est en place depuis un certain temps et qu’il ne soit nulle part fait mention de normes culturelles ou sensibles aux réalités autochtones pour son application universelle dans leurs collectivités. Cela peut sembler une question insignifiante à ce stade-ci, étant donné toutes les autres lacunes en matière d’accès, et cetera, et les besoins des Autochtones en situation de handicap.

Je m’adresse au Dr Lafontaine. Au point où nous en sommes, si le projet de loi n’est pas mis en veilleuse, y a-t-il quoi que ce soit que nous pourrions y ajouter pour — je déteste utiliser le mot « réparer » parce qu’il ne fera pas l’affaire, je le sais — essayer de réparer le manque d’inclusion?

Dr Lafontaine : Merci de cette question. Certains des autres témoins y ont fait allusion. Dans les cultures et les philosophies autochtones, la mort est souvent vue comme faisant partie de la vie. Je pense que l’aide médicale à mourir a été structurée jusqu’ici comme un point final plutôt que comme une option. À cause de mon expérience au sein du groupe de travail, je compatis beaucoup plus aux décisions très difficiles que les patients doivent prendre dans le contexte de la souffrance, mais cette souffrance n’a pas forcément comme seule issue l’aide médicale à mourir. De la façon dont l’AMM est structurée et communiquée aux Autochtones, c’est souvent l’impression qui persiste chez bon nombre des personnes à qui j’ai parlé — sans que ce soit une consultation rigoureuse.

Pour améliorer la structure du projet de loi, il y a certaines choses précises que je recommanderais. Premièrement, dans le domaine des soins de santé, ce sont souvent des mandataires qui prennent les décisions. Je ne comprends toujours pas pourquoi il n’en a pas été question dans l’ébauche de l’aide médicale à mourir, mais le bon sens voudrait selon moi que les mandataires de patients autochtones soient des leaders culturels ou des chefs traditionnels dans la collectivité. Ainsi, on parlerait davantage de partenariat. L’initiative Choose Life qui a été présentée a eu d’importantes répercussions sur les taux de suicide chez les enfants et les jeunes dans tout le pays. Elle reposait sur la cocréation.

La deuxième chose que je recommande, c’est de réfléchir à l’ingrédient qu’il faudrait ajouter pour que l’aide médicale à mourir soit vraiment un outil ou une option au lieu du seul choix. Cela pourrait passer par une charte des droits des patients comme en Nouvelle-Zélande, ou par un autre instrument de référence.

C’est par là que je commencerais, et je vous remercie de votre question.

La sénatrice Keating : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma première question s’adresse à la Dre Wieman. Je remercie d’abord tous les témoins qui sont venus aujourd’hui et qui nous aident à comprendre cette partie de la réalité. Vous avez parlé de plusieurs nations autochtones, chacune ayant sa voix et la responsabilité de sa position. Dans le cas de l’aide médicale à mourir, il y a le projet de loi qui nous intéresse, visant à modifier le Code criminel, mais l’administration des services se fait par l’intermédiaire des provinces. À quel ordre devrait se faire... Il y a un espace à créer pour entendre la voix des Premières Nations dans toute la diversité des voix de chacune des nations. Avez-vous réfléchi au forum où devrait se situer cet espace — j’appellerais cela un espace de discussion — qui permettrait à chaque nation autochtone de prendre sa position, mais aussi de la communiquer, de discuter et de négocier avec le gouvernement, pour que les services soient mis en place? Par exemple, au Québec, il y a plusieurs nations autochtones qui vivent dans différentes régions. Au sein de la nation innue, il y a plusieurs communautés qui se trouvent dans différentes régions où les services ne sont pas nécessairement prévus de la même manière. Avez-vous l’occasion de réfléchir à cette question? C’est en effet une question très importante que vous soulevez.

[Traduction]

Dre Wieman : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. La réponse est très compliquée, bien sûr, et comporte plusieurs volets. Il est impossible, d’une certaine façon, de sonder les opinions d’un si grand nombre de nations à travers le pays. Pour répondre à votre question, je dirais deux choses rapidement. Premièrement, je pense que pour tenir une consultation ou ce genre de discussion sur l’aide médicale à mourir, en rapport avec ce que je disais dans ma déclaration préliminaire, les nations autochtones elles-mêmes doivent pouvoir comprendre très clairement ce qu’est l’aide médicale à mourir, ce qu’est la loi, ce que sont les mesures de protection. Et j’insiste sur les mesures de protection parce que lorsque les gens entendent l’expression pour la première fois, ils peuvent sauter à des conclusions, par exemple, et j’ai vu quelques articles dans les médias à cet effet. C’est la première chose : il doit y avoir des communications très claires à ce sujet avant d’aller plus loin.

Deuxièmement, je ne pense pas que ce soit une réponse rapide, mais par exemple, il y a différentes autorités sanitaires régionales. En Colombie-Britannique, la First Nations Heath Authority, où je travaille, est la première du genre au Canada. Nous déployons beaucoup d’efforts, qui en valent la peine, pour faire participer des gens des Premières Nations dans nos cinq régions et sous-régions, et nous tenons très souvent des caucus et des consultations avec eux. Puisque nous sommes une autorité provinciale de la santé, nous voulons profiter de cet avantage, celui de recueillir constamment des commentaires et des opinions que d’autres provinces ou territoires n’ont pas nécessairement. Encore une fois, ce n’est pas une solution miracle, mais il est essentiel d’entendre les préoccupations des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Je ne peux pas parler en leur nom à tous.

Enfin, je voudrais expliquer pourquoi j’ai répondu « peut-être » à la question. Ce n’était pas censé être drôle. C’était la réponse d’un médecin qui représente d’autres médecins autochtones. Même si l’avis de comparution à cette audience était relativement bref, nous en avons discuté en conseil hier soir. De nombreux médecins autochtones travaillent en première ligne. Nous voyons la souffrance des gens. Il est vrai que nous devons offrir plus de services et de soutien aux gens qui, par exemple, sont en phase terminale, des services auxquels l’accès n’est pas nécessairement équitable. Mais d’un autre côté, il y a des gens qui ont eu droit à l’aide médicale à mourir, qui ont pris leur décision en pleine connaissance de cause, avec les mesures de protection existantes; certains Autochtones l’ont fait. Il est difficile de ne pas écouter le point de vue d’une personne qui se trouve dans cette situation et qui souffre. J’ai une amie très proche qui est décédée d’un cancer, et je trouvais intolérable de passer, ne serait-ce qu’une minute avec elle en douleur chronique aiguë, mais ce n’était pas moi qui éprouvais cette douleur. Alors, nous pouvons discuter de ces questions de façon abstraite et professionnelle, mais nous devons aussi garder à l’esprit que, en ce moment même, il y a des gens qui souffrent concrètement, de façon intolérable. C’est pourquoi j’ai dit « peut-être ».

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je vous remercie. J’ai une question pour la représentante de l’association des infirmières...

La présidente : Sénatrice Dupuis, vous n’avez plus de temps. Je suis désolée.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Merci à chacun de vous pour l’excellence et la justesse de vos exposés. Nous vous en sommes très reconnaissants. J’ai une question qui, à mon avis, n’appelle pas une réponse en un mot comme celle du sénateur Plett à la fin de son intervention, mais qui va dans le même sens. Je commencerais par vous, docteur Lafontaine, si vous pouvez y répondre. C’est bon de vous voir après une longue absence.

Je reviens à votre commentaire sur les différentes conceptions de l’autonomie. C’est peut-être une question plus abstraite qu’autre chose, mais est-il possible avec des lois comme celle de l’aide médicale à mourir et le projet de loi C-7, en particulier, de résoudre la quadrature du cercle de l’autonomie entre, d’une part, le camp capacitiste qui en fait un droit de disposer de sa propre vie et d’y mettre fin dans la dignité et, d’autre part, les conceptions autochtones de l’autonomie dont vous avez parlé? Y a-t-il moyen de faire cela, ou s’agit-il d’un fossé culturel et philosophique impossible à combler? S’il y a moyen de combler ce fossé, avez-vous des suggestions à nous faire?

Dr Lafontaine : Merci beaucoup, sénateur Cotter. Pour répondre à vos questions, il y a moyen de faire en sorte que cela fonctionne.

Une des choses les plus difficiles lorsqu’on aborde l’aide médicale à mourir par le droit pénal, c’est qu’on lui donne une définition légaliste et on en fait un recours légaliste par opposition à un recours médical. Il y a donc peu de nuances et beaucoup d’angles à arrondir, pour ainsi dire, quand vient le temps de l’appliquer.

Pour ce qui est de l’application pratique de l’autonomie dans le cours du travail des soins de santé, il faut non seulement avoir des politiques et des lois pour encadrer l’exercice du consentement et de l’autonomie, mais il faut aussi avoir un système de surveillance quelconque, un mécanisme de dépôt de plaintes pour que les gens aient un recours s’ils estiment que leur autonomie a été entravée ou s’ils sont contre quelque intervention que ce soit.

En ce qui concerne l’application de l’aide médicale à mourir dans les systèmes de santé autochtones, je me sens comme la Dre Wieman. J’ai eu l’avantage de passer par le groupe de travail durant l’année pour examiner certaines des idées et certains des sentiments exprimés. Je pense que les lois qui sont rédigées de la sorte et qui empruntent la voie du droit pénal doivent être conçues pour protéger les plus vulnérables. Nous ne pouvons pas supposer qu’en éliminant l’aspect criminel, les autres facteurs culturels qui entrent en jeu avec l’adoption de nouveaux modes de traitement vont suivre automatiquement. Il n’y a rien dans le projet de loi, ni dans les prescriptions aux organismes de réglementation, aux provinces, et cetera, pour se conformer à la loi, pour permettre aux gens de le signaler lorsqu’ils ont l’impression qu’un tort leur a été causé. Je pense que c’est une énorme lacune.

Des patients qui demandent ou qui souhaitent une aide médicale à mourir ont eu recours aux médias et aux tribunaux pour faire avancer leur cause. Mais ce n’est qu’un côté de la médaille. Il n’y a pas seulement ceux qui veulent y avoir accès; il y a aussi ceux qui y ont accès, qui vivent une mauvaise expérience, que ce soit la personne même ou sa famille. Voilà pour la première partie.

La deuxième partie de la question porte sur l’autonomie plus générale dans le cadre législatif de l’aide médicale à mourir et sur la façon de l’améliorer. Je pense que c’est vraiment une question de cocréation.

J’ai repris le commentaire de la sénatrice Dupuis — et j’espère que cette interprétation était juste — au sujet de la négociation. Il y a trois types de négociations sur les soins de santé au Canada. Il y a les droits inhérents que nous avons tous parce que nous sommes Canadiens. Il y a les normes qui existent dans les provinces. Comme je vis en Alberta, j’ai accès à ce service. Puis il y a la santé autochtone, où vous pouvez avoir tout ou n’avoir rien du tout, selon votre habileté à faire valoir vos droits.

En réalité, même les Autochtones qui vivent au Canada et qui ne se sentent peut-être pas Canadiens ont toujours accès à ces droits constitutionnels et provinciaux. La question de la négociation ne se pose donc pas dans certains aspects de l’aide médicale à mourir.

Cela fait partie de la nuance que, je l’espère, nous saurons vous apporter par nos témoignages. C’est un point de vue que nous apportons souvent à ces programmes, au lieu de chercher à voir comment offrir le même degré d’autonomie qu’aux autres personnes, même dans un contexte de ressources limitées. Mais je suis convaincu que c’est possible.

Le sénateur Cotter : Merci.

La sénatrice McCallum : [Mots prononcés dans une langue autochtone] Je remercie tous les témoins d’être venus nous aider dans ce dossier. J’ai une question, mais vous pourrez y répondre par écrit.

Les problèmes de compétences entre administrations auxquels les Premières Nations continuent de faire face sont préoccupants, car il y a des provinces qui continuent de créer des vides, vu qu’elles considèrent les services de santé comme une responsabilité fédérale pour les Autochtones, mais pas pour les autres Canadiens. Pourtant, le Parlement continue d’adopter des projets de loi qui créent plus de vides ou qui les élargissent à cause de ces conflits de compétences, et il n’y a qu’un seul groupe qui tombe dedans : les peuples autochtones.

C’est un problème dont personne ne semble vouloir prendre la responsabilité. Voyez-vous cela comme une question de discrimination? Le projet de loi s’attaque-t-il à ce problème de quelque façon ou bien est-ce qu’il crée encore plus de vides? Quels commentaires, recommandations ou amendements feriez-vous pour régler ce problème? Vous pouvez le faire par écrit si vous préférez.

Ma deuxième question est la suivante. Une analyse comparative entre les sexes a été menée au sujet de ce projet de loi afin d’examiner les obstacles multiples, complexes et interreliés auxquels se heurtent les différents groupes et collectivités autochtones, et en particulier les personnes handicapées. Je ne sais pas si vous avez eu accès à cette analyse comparative entre les sexes. Qu’en pensez-vous? Si vous n’y avez pas eu accès, seriez-vous disposés à la demander et à soumettre par écrit vos recommandations, commentaires et amendements?

Je demanderais à M. Belanger de répondre en premier. Merci.

M. Belanger : Merci, madame la sénatrice. Je n’ai pas vu l’analyse comparative entre les sexes, mais je vais la demander et vous faire part de mes commentaires.

Pour ce qui est des problèmes de compétences entre administrations, ils sont absolument énormes. Une partie de l’aide médicale à mourir consiste, par exemple, à être informé des ressources disponibles. À moins de travailler en contexte autochtone et de connaître les services de santé non assurés ou la liste complète des programmes offerts dans les collectivités, les médecins ou les infirmières non autochtones ne les connaissent souvent pas. En ce qui concerne les personnes handicapées, il y a encore des médecins qui ne connaissent pas le régime enregistré d’épargne-invalidité, un programme fédéral qui existe depuis 2008. C’est un programme national. Il est important de saisir les nuances de la santé autochtone, des services de santé des Premières Nations, des contrats et des programmes en place, mais faute de travailler dans ce contexte, beaucoup de soignants non autochtones ne les connaissent pas.

La sénatrice McCallum : Quelqu’un d’autre veut-il intervenir?

Dr Lafontaine : Je ferai un bref commentaire au sujet des vides créés par les problèmes de compétences entre administrations, à savoir si l’aide médicale à mourir les élargit. Je pense que la plus grande difficulté réside dans le mécanisme de financement, la Loi canadienne sur la santé. Il n’y a pas de programmes ou de services qui sont définis comme un seuil, et c’est pourquoi les collectivités autochtones n’ont pas de services de base; elles n’ont que ce qu’elles négocient. Mais comment savoir quoi négocier lorsque vous n’avez jamais eu de système de santé? Il faut donc voir comment nous définissons la santé au niveau fédéral. Le gouvernement fédéral, je pense, a un rôle à jouer pour établir ce seuil, en consultation avec tous les partenaires.

Mme Nowgesic : En soins infirmiers autochtones, il faut déterminer si la loi fédérale est identique à la loi provinciale, lorsque nous examinons les demandes de services non assurés ou toute autre prestation au sein des services de santé autochtones. Cela pose une série de problèmes aux infirmières autochtones, qui sont le principal point de contact au niveau communautaire pour traiter la plupart de ces questions.

Lorsque l’analyse comparative entre les sexes s’applique — et il y a plusieurs facteurs à considérer ici —, nous devons consulter les études empiriques sur la pratique clinique et voir comment procéder à l’égard de la collectivité. Nous savons que, dans la plupart des cas, les problèmes n’ont pas été traités adéquatement. C’est là que surgissent des difficultés entre les conflits de compétences et la portée de l’analyse comparative. Merci beaucoup.

La présidente : Quelqu’un d’autre veut intervenir? Sénatrice McCallum, avez-vous d’autres questions?

La sénatrice McCallum : Je pensais que j’avais du temps seulement pour celle-là.

La présidente : Vous avez du temps. Je me demandais si vous aviez une autre question.

La sénatrice McCallum : Non. La plupart de celles que j’avais notées ont été posées par d’autres. Je remercie les témoins et je leur souhaite une bonne fin de semaine.

La présidente : La sénatrice Dupuis sera notre dernière intervenante. Vous avez deux minutes, sénatrice.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à la représentante des infirmières, Mme Nowgesic. Je ne sais pas quelle est la situation dans toutes les provinces, mais, au Québec, il y a beaucoup de communautés autochtones où les infirmières sont membres de la communauté. Je me demandais si, dans le cas de l’aide médicale à mourir, cela pouvait poser des problèmes particuliers. On a expérimenté, chez les policiers autochtones qui travaillent dans leur communauté, des problèmes particuliers de toutes sortes. Je me demandais si c’était la même chose pour les infirmières. Dans le contexte de l’aide médicale à mourir, est-ce que cela pourrait poser des problèmes particuliers pour vous, qui êtes infirmière dans la communauté dont vous êtes membre?

[Traduction]

Mme Nowgesic : Merci de la question, madame la sénatrice. En ce qui concerne les infirmières autochtones en milieu communautaire, nous savons qu’à l’heure actuelle, il y a 672 infirmières au Canada qui relèvent de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits. Nous savons que la majorité de ces infirmières sont de la collectivité. Nous savons que cela cause des problèmes additionnels parce que l’infirmière devient alors marquée, et c’est pourquoi je dis qu’il faut vraiment protéger la liberté de conscience des travailleurs de la santé. Vont-elles être punies parce qu’elles n’ont pas fait leur devoir d’infirmière? Ou vont-elles subir des sanctions de la part de la collectivité pour avoir enlevé une vie?

C’est pour cela que nous disons : mettez les choses en veilleuse jusqu’à ce qu’on puisse mener des consultations exhaustives. Le Québec est une province complexe, avec les enjeux multiples d’une population diversifiée. Vous avez des Innus. Vous avez des Inuits. Vous avez des Premières Nations. Vous en avez dans des réserves et en dehors des réserves.

Dans quelle mesure les lois fédérales sont-elles applicables, et est-ce qu’elles sont à l’image des lois provinciales pour réglementer la santé? Nous essayons de travailler avec l’Association des infirmières et infirmiers du Québec, tant les Autochtones que les non-Autochtones. Nous essayons toujours de trouver un juste milieu confortable. Merci, madame la sénatrice.

La sénatrice Dupuis : Merci.

La présidente : Nous avons beaucoup appris de vous quatre. Nous n’aurions pas eu cette chance sans l’un des membres du comité, la sénatrice Boyer, qui s’est assurée de votre présence à cette audience. Sachez que vos connaissances nous ont bien éclairés et que votre participation nous a enrichis de bien d’autres façons. Ce ne sera pas la dernière fois.

Si vous avez autre chose à ajouter au cours des prochaines semaines, veuillez en informer le greffier. Nous avons hâte de travailler avec vous. Merci beaucoup à vous quatre.

Honorables sénateurs, c’est terminé pour le groupe de témoins d’aujourd’hui. Nous nous réunirons demain matin à 10 heures. Merci.

(La séance est levée.)

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