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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 2 juin 2021

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), par vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-203, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je suis Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider ce comité. Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Avant de commencer, j’aimerais vous faire part de plusieurs suggestions utiles, qui, selon nous, vous aideront à avoir une réunion efficace et productive. Si vous rencontrez des difficultés techniques, notamment en matière d’interprétation, veuillez le signaler au président ou au greffier et nous nous efforcerons de résoudre le problème.

[Traduction]

Sénateurs et sénatrices, je ferai de mon mieux pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de poser leurs questions à nos témoins. Pour ce faire, je vous demanderais de rester brefs dans vos préambules et vos questions. Comme nous avons un seul témoin dans la première portion de notre séance, vous aurez droit à cinq minutes chacun.

Si vous n’avez pas de question, je vous demanderais de bien vouloir le signaler à notre greffier dans l’espace de clavardage sur Zoom. Si vous n’êtes pas membre du comité, veuillez faire signe au greffier si vous avez une question.

Comme vous le savez, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-203, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite.

Avant de laisser la parole au commissaire, j’aimerais présenter les membres du comité. Nous avons nos deux vice-présidents, le sénateur Campbell et la sénatrice Batters de même que le sénateur Boisvenu, la sénatrice Boniface, le sénateur Carignan, le sénateur Cotter, le sénateur Dalphond, la sénatrice Dupuis, la sénatrice Pate, la sénatrice Simons, le sénateur Tannas et la sénatrice Miville-Dechêne, la marraine du projet de loi.

Nous accueillons donc comme premier témoin le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, M. Daniel Therrien. Il est accompagné aujourd’hui de M. Martyn Turcotte, directeur, Direction de l’analyse des technologies.

Avant de vous céder la parole, monsieur Therrien, je tiens à vous dire que le comité est vraiment ravi d’avoir eu l’occasion de travailler avec vous. Nous espérons pouvoir répéter l’expérience pour des projets de loi à venir. Merci beaucoup d’avoir pu vous libérer pour être des nôtres aujourd’hui.

[Français]

Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Madame la présidente, honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui. Je suis accompagné de Martyn Turcotte, directeur de l’analyse de la technologie au commissariat.

La protection des enfants dans un environnement numérique est une question d’importance cruciale. Comme vous le savez, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a récemment fait valoir l’importance de respecter et de protéger les droits de tous les enfants dans l’environnement numérique, ce qui comprend le droit à la vie privée. Nous soutenons les efforts visant à accorder une attention particulière à ces droits dans l’environnement numérique, entre autres, par la mise en œuvre de mesures de protection de la vie privée qui répondent expressément aux intérêts des enfants.

Le projet de loi S-203 soulève certains enjeux sur le plan de la protection de la vie privée. Je pense, notamment, aux mécanismes de vérification de l’âge et à la protection des renseignements personnels qui doivent être recueillis pour faciliter le processus. C’est sur ces enjeux que je mettrai l’accent aujourd’hui.

D’après le libellé actuel du projet de loi, le gouverneur en conseil peut, par règlement, prévoir les mécanismes de vérification de l’âge visés au paragraphe 7(1). Comme le choix de ces mécanismes n’a pas encore été arrêté, je vous ferai part d’un certain nombre de considérations générales applicables, peu importe le ou les mécanismes choisis.

[Traduction]

Ce comité a proposé d’utiliser le chiffrement et de faire appel à des tiers spécialisés dans les services de vérification de l’âge pour diminuer les risques de violation de la vie privée. Vous avez aussi abordé certains des enjeux relatifs à l’utilisation des données biométriques et en particulier de la reconnaissance faciale.

Disons d’abord que la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) est la loi canadienne qui protège les renseignements personnels dans le secteur privé. Elle s’applique notamment aux entreprises qui mettent en œuvre des technologies de vérification de l’âge dans un contexte commercial. Diverses technologies et méthodes d’analyse sont utilisées actuellement dans les systèmes numériques de vérification de l’âge, qui intègrent également diverses mesures de protection. Tous les systèmes sont différents les uns des autres: la conception et la mise en œuvre, tout comme le potentiel de vulnérabilité, peuvent varier d’un système à l’autre. De plus, les risques évoluent constamment.

Selon nous, la clé, c’est de s’assurer qu’il existe plusieurs lignes de défense.

Peu importe le mécanisme choisi, l’utilisateur devra au bout du compte fournir une certaine quantité de renseignements personnels. Par contre, dans tout système numérique de vérification de l’âge, il faudrait appliquer le principe de minimisation des données personnelles, de façon à réduire le couplage des données et la surveillance des personnes. Il faudrait aussi instaurer un contrôle rigoureux de l’accès aux données des utilisateurs. Il est également possible d’utiliser un système de jetons pour remplacer des renseignements sensibles par une chaîne de caractères aléatoire sans valeur pour l’identification des personnes.

Le chiffrement est un procédé utilisé pour garantir la confidentialité et assurer la sécurité des données. Lorsque les données sont chiffrées, elles peuvent être envoyées sur Internet et stockées, généralement sans crainte de voir leur confidentialité compromise. Cependant, une technologie de chiffrement inappropriée ou désuète, ou encore des failles dans sa mise en œuvre, peuvent rendre l’exercice moins efficace, voire inutile. Dans ce contexte, le chiffrement n’est pas une méthode infaillible pour éliminer les risques de réidentification des utilisateurs.

Par ailleurs, l’usage de la biométrie ou de la reconnaissance faciale pour vérifier ou estimer l’âge d’un utilisateur soulève des préoccupations bien particulières sur le plan de la protection de la vie privée. Les techniques biométriques sont généralement très intrusives. De plus, leur efficacité pour ce qui est de vérifier l’âge avec exactitude reste à démontrer. Si vous le souhaitez, nous nous ferons un plaisir de vous en dire plus long sur le manque d’efficacité éprouvé pour la vérification de l’âge avec la reconnaissance faciale ou la biométrie.

D’autres méthodes de vérification de l’âge qui ne nécessitent pas le stockage numérique de renseignements personnels pourraient également être envisagées. Par exemple, une personne pourrait faire vérifier visuellement, sur les lieux d’un point de service, sa carte d’identité délivrée par le gouvernement pour faire confirmer son âge, puis recevoir une clé ou un code vérifié qui peut être utilisé en ligne d’une manière qui ne permet pas de remonter jusqu’à elle.

[Français]

La vérification de l’âge s’appliquera aussi aux adultes. En l’absence de mesures de protection de la vie privée, le risque de révéler les habitudes de navigation privées d’adultes pourrait augmenter. L’adoption de pratiques claires concernant la façon de vérifier l’âge des utilisateurs contribuera à réduire les risques de fuite, d’utilisation non autorisée ou d’atteinte à la réputation.

En raison de la nature des risques liés à la collecte et à l’utilisation des données nécessaires pour vérifier l’âge, il devra y avoir des exigences claires sur la protection de la vie privée qui préciseront, entre autres, les mesures techniques à prendre. Il sera important que les mécanismes de vérification choisis soient conçus et mis en œuvre avec des mesures de protection de la vie privée adéquates, afin que les Canadiens aient l’assurance de pouvoir fournir leurs renseignements personnels en toute sécurité.

Merci de votre attention. M. Turcotte et moi-même serons heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup, monsieur le commissaire.

Je vous prie de bien vouloir m’excuser; j’ai oublié de présenter la sénatrice Boyer.

Nous passons maintenant aux questions des membres du comité. Nous allons débuter par la marraine du projet de loi, la sénatrice Miville-Dechêne.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, monsieur Therrien, pour votre présentation.

Évidemment, vous avez raison, on a laissé toute la question liée à la décision concernant la façon d’effectuer la vérification de l’âge dans la partie réglementation, donc ce sera fait après l’adoption du projet de loi, s’il est adopté. Cependant, je voulais vous amener à considérer deux points.

D’abord, il peut y avoir un système de licence donné par le gouvernement à des entreprises privées, lesquelles s’engageraient à respecter un certain nombre de règles en matière de protection de la vie privée. Je me demande ce que vous pensez du système de licence envisagé par la Grande-Bretagne, notamment.

De façon plus ciblée, j’aimerais aussi vous entendre parler de la reconnaissance biométrique, parce que je comprends que la question de la reconnaissance faciale — plusieurs le diront — est une atteinte à la protection des données privées. Cependant, quand on parle de la méthode la plus simple pour vérifier l’âge — parce qu’on ne peut pas simplement prendre des cartes d’identité, il faut savoir si ces cartes appartiennent à la personne — plusieurs ont maintenant recours à un égoportrait 3D avec une identification de type liveness, dit-on en anglais, en s’assurant que c’est bien la photo de la personne à qui l’on parle, et pour s’assurer qu’il y ait une correspondance entre la carte et la personne qui demande la permission d’aller sur le site pornographique.

Est-ce que, selon vous, ce genre de méthode est possible, imaginable ou pas du tout?

M. Therrien : Je dirais que oui, c’est possible, et que la reconnaissance faciale est une méthode qui peut fournir des renseignements sur l’identité d’une personne.

Peut-être qu’à la marge, il y a des problèmes liés à la vérification de l’âge en fonction de l’état actuel de la technologie de la reconnaissance faciale, qui à ce qu’on me dit, n’est pas capable de déterminer l’âge de façon extrêmement précise. Il y a des marges d’erreur qui peuvent aller de deux à trois ans en moyenne, mais cela dépend des technologies — certaines sont plus précises que d’autres. Alors, quand je dis « à la marge », pour certains âges, évidemment, une marge d’erreur de deux ou trois ans n’est pas pertinente, mais pour d’autres, ce serait extrêmement pertinent.

Je vais poursuivre sur votre question au sujet des licences et ensuite, je demanderai à M. Turcotte de poursuivre sur l’efficacité de la biométrie et de la reconnaissance faciale.

Un système de licence pourrait fonctionner. Je dirais au départ que c’est une bonne chose que le projet de loi ne prescrive pas de méthodes de protection parce que la technologie évolue trop rapidement. Il faut donc que ces questions puissent être définies en fonction de l’évolution de la technologie, du contexte, etc., alors, c’est une bonne chose.

Ensuite, ce qui compte, c’est que des critères qualitatifs, aptes à évoluer en fonction de la technologie, soient élaborés et définis; enfin, un mécanisme de licence pourrait aider. Je pense que dans l’ordre : 1) il faut que cela soit évolutif; 2) il faut que les critères soient manifestement adéquats pour vérifier l’âge; 3) il faut des méthodes évolutives pour ce qui est de la technologie; 4) proposer un mécanisme de licence pourrait aider.

Peut-être que M. Turcotte pourrait poursuivre sur la question de la précision de la reconnaissance faciale.

Martyn Turcotte, directeur, Direction de l’analyse des technologies, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Pour poursuivre au sujet des systèmes de vérification de l’âge, plus particulièrement en ce qui concerne la biométrie, on considère que ce sont des systèmes émergents, donc encore nouveaux, et qu’ils n’ont pas nécessairement atteint un certain niveau d’exactitude ou de précision.

Ce qu’il faut aussi prendre considération, c’est la façon dont ces algorithmes ont été entraînés — avec quelles photos. Est-ce qu’ils prennent en compte, par exemple, le genre, la race, l’ethnicité, les différences qu’il y a entre les personnes? Est-ce qu’ils prennent en compte les aspects qui peuvent avoir une influence sur l’évaluation de la technologie, une estimation de l’âge de la personne? Donc il y a de nombreux biais qui doivent être pris en compte avant d’utiliser des systèmes qui sont appropriés pour bien estimer l’âge.

Comme le commissaire le mentionnait, on voit qu’il y a encore des marges d’erreur de deux à trois ans avec ce genre de système. Il faut être réaliste face aux marges d’erreur de 1,5, et il faut regarder la tranche d’âge qui nous intéresse. Actuellement, ce que la loi vise, c’est essentiellement les adolescents de 13 à 18 ans, alors c’est certain que si je prends une tranche d’âge qui va de 25 à 30 ans et que j’inclus les 13 ans, ma marge d’erreur sera plus petite ou il y aura une incidence sur cette marge d’erreur.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci beaucoup, monsieur Therrien.

D’après ce que nous avons pu entendre, les difficultés associées à la protection de la vie privée semblent surtout provenir de l’utilisation de logiciels pour la vérification de l’âge. Nous avons par exemple pu entendre le témoignage de Julie Dawson, directrice de la réglementation et des politiques chez Yoti, une entreprise du secteur technologique au Royaume-Uni. Elle nous a dit que le système d’analyse faciale et d’estimation de l’âge de son entreprise n’emmagasine aucune donnée au sujet de la personne. Est-ce qu’un système semblable répondrait à vos préoccupations concernant la protection de la vie privée? Auriez-vous encore des réserves?

M. Therrien : Merci.

Il est bien évident qu’il est avantageux du point de vue de la protection de la vie privée que le système ou la technologie dont se sert une organisation ou une entreprise puisse permettre de faire une estimation de l’âge en recueillant moins de renseignements personnels. Il y a toutefois différents aspects à considérer comme je l’indiquais dans ma déclaration préliminaire en parlant de la nécessité d’avoir plusieurs lignes de défense. L’un des facteurs est effectivement la quantité de renseignements recueillis par une tierce partie pour la vérification de l’âge, et il est toujours préférable d’en recueillir le moins possible. Il faut ensuite s’interroger sur les mesures de sécurité et de chiffrement mises en place. Est-ce que le système de chiffrement est adéquat et sûr? Est-ce que l’on a recours à la reconnaissance faciale, ce qui soulève différents enjeux dont nous venons de discuter? C’est comme si vous enleviez les pelures d’un oignon formant plusieurs couches qui se superposent. Il ne faut pas considérer chaque couche individuellement, mais plutôt la totalité d’entre elles. Il faut bien sûr idéalement que chacune de ces couches soit conçue de manière à optimiser la protection de la vie privée.

La sénatrice Batters : Merci.

Dans vos observations préliminaires, vous avez parlé d’autres méthodes de vérification de l’âge qui ne nécessitent pas le stockage numérique de renseignements personnels, et vous avez donné l’exemple d’une carte d’identité émise par le gouvernement que l’on pourrait faire vérifier visuellement. Auriez-vous l’obligeance de nous en dire plus long sur ce genre de système? Selon vous, serait-ce une méthode à privilégier pour la vérification de l’âge du point de vue de la protection de la vie privée?

M. Therrien : Voici comment fonctionnerait un tel système. Il s’agit encore une fois d’une tierce partie qui serait chargée de la vérification de l’âge pour autoriser l’accès à un site web. En l’espèce, la tierce partie verrait l’individu en question et sa carte d’identité, ce qui lui permettrait de confirmer à la fois son identité et son âge pour ensuite émettre un code anonyme correspondant à tous les renseignements obtenus. En soi, ce code représente un bon moyen de protection de la vie privée, à privilégier par rapport à la communication de renseignements personnels. Cependant, la mesure dans laquelle la vie privée de la personne serait effectivement protégée dans le cadre d’un tel système dépendrait de la quantité de renseignements recueillis par la tierce partie et de la durée de conservation de ces renseignements avant qu’un code anonyme soit émis. Pour le fournisseur du site Web, il y aurait moins de renseignements personnels recueillis, ce qui est une bonne chose, mais le procédé perdrait beaucoup de sa valeur si la tierce partie devait conserver une grande quantité de renseignements pendant une longue période. Encore là, il y a différents facteurs à prendre en compte.

La sénatrice Batters : Oui, et cela nous ramène à la métaphore de l’oignon. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, monsieur le commissaire, d’être parmi nous pour nous aider à comprendre un peu mieux les enjeux de ce projet de loi.

Dans votre document, vous énoncez un certain nombre de critères. D’après ce que vous avez expliqué en réponse à une question tout à l’heure, il y a plusieurs paliers de considérations à examiner. Finalement, c’est l’ensemble de ces considérations qui nous donne une meilleure idée de la voie à suivre.

Ma préoccupation concerne ce que vous venez de dire au sujet des données personnelles qui sont recueillies, de leur utilisation et de la durée de leur conservation.

Si on introduit un mécanisme de vérification de l’âge, toutes les personnes qui voudront accéder au site devront fournir ces renseignements, peu importe le moyen, que ce soit par reconnaissance faciale ou au moyen d’une carte d’identité, n’est-ce pas?

M. Therrien : Il faudra que les clients du site donnent au moins quelques renseignements personnels, soit au propriétaire du site ou à une tierce partie, pour être en mesure d’attester leur âge.

La sénatrice Dupuis : Le projet de loi vise à protéger les enfants et à leur bloquer l’accès à ces sites.

Si les systèmes sont émergents, les marges d’erreur ne sont pas négligeables, surtout autour de l’âge de la majorité. De plus, il y a un problème de collecte de données, dont on ne sait pas trop comment elles sont conservées. On vise beaucoup plus large puisqu’on collecte forcément les données de tout le monde.

D’après votre expérience ou selon les études que vous avez faites pour assurer la protection de la vie privée par des moyens technologiques, y a-t-il d’autres méthodes qui pourraient répondre aux préoccupations de la sénatrice Miville-Dechêne?

M. Therrien : Je vais confirmer qu’il faut qu’il y ait au moins certains renseignements personnels qui soient donnés au moins à une tierce partie.

La sénatrice Dupuis : Oui.

M. Therrien : Pour ce qui est de la durée de la conservation, par exemple, par une tierce partie, cela pourrait faire partie des critères réglementaires qui seraient adoptés et qui feraient potentiellement l’objet de permis ou de licences.

On ne peut pas passer à côté du fait qu’il faut collecter ou colliger au moins certains renseignements — évidemment, le moins de données possible qui sont conservées le moins longtemps possible. Vous devez vous poser la question, à savoir s’il est préférable que ce soit par une tierce partie ou par l’hébergeur du site. La question se pose.

Une série de critères réglementaires devraient être adoptés, ce qui pourrait atténuer de façon réelle le risque pour la vie privée, mais sans l’éliminer complètement.

La sénatrice Dupuis : Dans le cadre de votre mandat et de vos responsabilités, avez-vous établi des critères desquels on pourrait s’inspirer?

Dans un article sur la loi en France, j’ai lu qu’on a essayé de sanctionner les sites qui diffusent des images pornographiques susceptibles d’être vues par des mineurs. Comme les éditeurs de ces sites sont situés dans des paradis fiscaux à l’extérieur du territoire français, le gouvernement n’a pas de prise légale sur ces sites. Est-ce qu’on n’aurait pas le même problème ici?

M. Therrien : C’est toujours un problème, cette question du lieu où se trouve l’hébergeur du site. Le projet de loi, tel qu’il est rédigé, vise les organisations et les entreprises qui rendent disponible du matériel sexuellement explicite. Il est possible que ces personnes soient à l’extérieur du pays, ce qui pose un problème d’application de la loi. Il s’agit donc d’un problème réel.

Cependant, cela ne veut pas dire, à mon avis, qu’il faut abandonner la partie et ne pas adopter de règles. Les règles, si je peux me permettre, sont tout à fait justifiées. Ensuite, des problèmes bien réels d’application de la loi se posent, qui débordent de mon mandat et qui concernent l’extraterritorialité des sites en question.

Pour ce qui est des critères qu’on a définis au commissariat, j’en ai fait le tour dans ma présentation. Il y a un principe important qui est celui de la minimisation des données, soit de colliger le moins de renseignements possible. La conservation est importante; idéalement, les renseignements seraient conservés uniquement pour la durée nécessaire à la vérification de l’âge. Le chiffrement est un mécanisme qui n’est pas parfait, mais qui aide beaucoup lorsqu’il est bien utilisé. Je pense que ma présentation parle des critères les plus importants qui pourraient très bien faire l’objet d’un règlement, comme le projet de loi le prévoit.

La sénatrice Dupuis : Merci.

M. Therrien : En matière de vie privée, on n’élimine pas le risque, généralement. On essaie de le réduire le plus possible. Je pense que la structure du projet de loi est telle qu’on peut réduire les risques d’atteinte à la vie privée sans les éliminer complètement.

La sénatrice Dupuis : De notre perspective, ce qu’on essaie de faire aussi, c’est une législation qui pourra être appliquée. Si dans la majorité des cas ce sont des sites qui se trouvent à l’extérieur du pays, on se sera peut-être fait du bien en adoptant une loi, mais on n’aura rien réglé non plus. C’était ma préoccupation. Merci, monsieur le commissaire.

M. Therrien : Très bien.

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Monsieur Therrien, je vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui, et je veux aussi vous remercier pour vos observations préliminaires, car elles ont répondu à quelques-unes des questions que j’avais à l’esprit.

Pourriez-vous me dire, à la lumière de ce que vous avez pu constater des avancées technologiques un peu partout dans le monde, s’il existe un système de vérification de l’âge qui permet de mieux protéger les renseignements personnels que les autres options actuellement offertes? Je me demande si vous avez pu analyser ces autres options et s’il y a certains progrès technologiques permettant désormais de satisfaire aux critères que vous avez énoncés, notamment quant à la minimisation du temps de conservation de l’information.

M. Therrien : Je pourrais vous répondre très brièvement que nous ne l’avons pas fait. J’ajouterais que, même si nous l’avions fait, toute situation analysée aurait pu devenir complètement différente en l’espace de trois mois à peine étant donné l’évolution incessante de la technologie et le contexte qui ne cesse de changer. Je pense donc vraiment qu’il convient de s’en remettre à la subdélégation pour la définition des normes.

Le sénateur Cotter : Merci, monsieur Therrien, d’être des nôtres aujourd’hui pour nous faire bénéficier de votre vision des choses.

J’ai deux questions pour vous. La première fait en quelque sorte suite à celle posée par la sénatrice Boniface. Il semblerait que la technologie Internet crée à la fois de nombreuses possibilités, mais aussi des risques auxquels sont exposés ces jeunes mêmes que nous voulons protéger au moyen de ce projet de loi. Par ailleurs, la technologie et les risques qui y sont associés posent exactement le même genre de difficultés pouvant entraver l’application juridique d’une disposition comme celle-ci et la prise en compte des considérations que vous avez soulevées concernant la protection de la vie privée. Je me demande s’il y a des pistes de solution qu’il est possible de dégager dans ce contexte général. Vous avez par exemple mentionné la nécessité d’une forme quelconque de structure de réglementation évolutive. C’est donc ma première question.

Ma seconde question touche un domaine un peu différent qui ne relève peut-être pas directement de votre responsabilité. Dans le cadre du travail que j’effectue relativement à un autre projet de loi dont le Sénat est saisi, je suis tombé sur une stratégie utilisée aux États-Unis pour empêcher les paris sur les sites de poker en ligne. On a décidé là-bas d’imposer des sanctions aux institutions qui prêtent de l’argent aux parieurs. Je me demande si un mécanisme semblable visant à sanctionner ceux qui enfreignent la loi ne serait pas un moyen indirect, mais peut-être plus efficace, de lutter contre le problème et de faire cesser ces agissements que nous jugeons indésirables. Merci.

M. Therrien : Merci pour ces questions. Je vais essayer de répondre à la seconde d’abord, et peut-être voudrez-vous ajouter certains éléments pour que je puisse vous donner une réponse plus précise.

Selon moi, le projet de loi cible l’entreprise ou l’organisation qui permet l’accès, ce qui est bien sûr le point important, mais aussi le fournisseur de services Internet, lequel étant habituellement situé au Canada. Il est bon que le projet de loi définisse ainsi les responsabilités de chacun aux deux extrémités du spectre. Est-ce que d’autres intervenants pourraient être visés par le projet de loi? C’est possible. Je considère toutefois qu’il s’agit d’ores et déjà de mesures efficaces.

Pour ce qui est de votre première question concernant les avantages et les risques associés à la technologie, y compris le fait que bon nombre des fournisseurs de cette technologie n’ont pas leurs bureaux au Canada, il est bénéfique que ce projet de loi cible notamment les fournisseurs de services Internet qui sont généralement situés au Canada. Je vous dirais simplement que pour l’application générale de la LPRPDE dans le secteur commercial, il est important de noter que l’entreprise qui recueille des renseignements doit avoir une relation suffisamment étroite avec le Canada et y exercer ses activités. Une entreprise qui a son siège social à l’étranger, mais des activités au Canada est soumise à l’application de la LPRPDE. Nous avons ainsi pu assujettir à notre loi de nombreuses entreprises qui sont actives au Canada, même si leur siège social est à l’étranger. Est-ce que cela règle tous les problèmes liés à l’extraterritorialité? Non. Je rappellerais toutefois qu’il est bénéfique que la loi proposée cible les fournisseurs de services Internet, et qu’il pourrait être bon que cela soit également le cas d’autres intervenants.

Le sénateur Cotter : Merci.

La sénatrice Simons : Merci, monsieur Therrien, d’être des nôtres cet après-midi.

Comme l’indiquait la sénatrice Batters, nous avons entendu la semaine dernière le témoignage de Julie Dawson, la représentante de Yoti, une entreprise britannique. Toutes les fois que nous avons parlé d’un logiciel de reconnaissance faciale, elle a bien précisé qu’il s’agit en fait d’un logiciel d’analyse faciale. En répondant à nos questions, elle nous a appris que son entreprise vendait sa technologie non seulement aux diffuseurs de pornographie en ligne, mais aussi à des détaillants aux États-Unis qui s’en servent dans leurs points de vente, comme les supermarchés, pour vérifier l’âge de ceux qui veulent acheter des produits comme des cigarettes, de l’alcool ou des billets de loterie. Lorsque j’ai exprimé mes réserves à ce sujet, elle a expliqué que cela pouvait être très utile pour éviter les confrontations parfois disgracieuses entre un commis et un client obligé de présenter des pièces d’identité pour pouvoir acheter quelque chose. Je crains que l’adoption d’une technologie semblable puisse faire en sorte que le consommateur en vienne à considérer comme normal de présenter régulièrement son visage aux fins d’une analyse par le truchement de l’intelligence artificielle.

Je me demandais si votre bureau avait été à même de constater l’adoption d’une technologie de la sorte au Canada, si vous savez si elle est utilisée par des entreprises privées ou des entités gouvernementales, et si vous avez des préoccupations quant au risque que cela ouvre la porte à des invasions technologiques de plus en plus poussées dans la vie privée de différentes catégories de Canadiens.

M. Therrien : C’est une excellente question.

La biométrie et la reconnaissance ou l’analyse faciale — quelle que soit l’expression utilisée par la représentante de Yoti — permettent, à un certain degré, de recueillir aux fins de l’identification de l’information qui est essentiellement de nature permanente. C’est ce qui est au cœur de nos préoccupations relatives à cette technologie pour ce qui est de la protection de la vie privée. Dans l’exemple que vous donnez, l’information peut servir des objectifs louables, soit de s’assurer que ceux qui veulent avoir accès à certains services ont l’âge minimum requis, mais il faut pouvoir s’en remettre en toute confiance à l’entreprise en question en sachant qu’elle va prendre toutes les dispositions nécessaires pour réduire les risques d’atteinte à la vie privée. Les critères pouvant être adoptés à cette fin dans le cadre du processus réglementaire vont permettre de réduire ces risques, mais ils ne vont pas les éliminer complètement. Il s’agit de savoir dans quelle mesure les entreprises vont se conformer à ces règles. Il faut également se demander si les sanctions vont être efficaces. Si ce n’est pas le cas, cela devient une question de confiance envers les entreprises concernées.

Si une technologie est bien conçue, elle peut être utile tout en protégeant la vie privée des gens. Si elle est mal conçue, son utilisation peut se traduire dans le pire des cas par une cueillette d’information pouvant mener à ce qui serait assimilable à un régime de surveillance, de telle sorte que les préoccupations que vous soulevez deviennent tout à fait pertinentes. C’est la nature même de la technologie, comme le soulignait le sénateur Cotter. Elle peut être avantageuse en l’espèce pour des mesures comme la vérification de l’âge, mais il faut en fin de compte se demander si le Parlement peut être relativement certain que les critères réglementaires sont adéquats et pourront être mis en œuvre de manière à atténuer les risques dans une proportion suffisante.

La sénatrice Simons : Avez-vous des exemples de l’utilisation d’une technologie de la sorte dans des points de vente au Canada? Je suis consciente que je m’adresse au commissaire à la protection de la vie privée à l’échelon fédéral. C’est peut-être davantage une question pour vos homologues provinciaux.

M. Therrien : Nous ne procédons à aucune enquête à ce sujet.

La sénatrice Simons : Il m’apparaît très problématique que l’on conditionne ainsi les gens à soumettre leur visage à un processus d’analyse ou de reconnaissance faciale, peu importe le nom qu’on lui donne, ce qui risque de mener à une acceptation d’une culture de la surveillance par le biais d’un changement de paradigme quant aux attentes en matière de protection de la vie privée dans le domaine public.

M. Therrien : Je vais vous répondre de façon indirecte. Nous n’avons pas fait enquête sur le recours à cette technologie aux fins particulières auxquelles vous faites référence, mais nous avons enquêté, comme vous le savez peut-être, sur l’entreprise Clearview AI qui offre ses services de reconnaissance faciale non seulement aux forces de l’ordre, mais aussi à d’autres entreprises, et nous sommes sur le point de terminer notre travail du côté de la GRC. Nous allons bientôt rendre publics les résultats cette enquête et, pour répondre plus précisément à votre question, proposer des lignes directrices quant à l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale par les forces policières. Comme nous l’indiquons toutefois dans notre rapport — et cela s’inscrit dans le débat de société que vous semblez évoquer —, cette technologie peut être très utile, mais si l’on en vient à l’utiliser dans de nombreuses circonstances, que ce soit pour faire la preuve de son âge ou pour pouvoir quitter un magasin avec ses achats sans avoir à sortir son portefeuille, par exemple, cette technologie risque de devenir omniprésente à un point tel qu’il faudra s’interroger sur la possibilité pour chacun de profiter pleinement de sa vie privée sans risquer de faire l’objet d’une surveillance dans un but commercial ou à d’autres fins. C’est un véritable débat de société.

Les utilisations de la technologie prévues dans ce projet de loi font sans doute partie de celles qui sont les plus louables. Dans ce contexte, le recours à la technologie peut être considéré comme étant positif. Si l’on s’en sert à cette fin, ou pour appréhender des criminels, c’est une chose. Si elle doit permettre à un client de quitter plus facilement un magasin avec ses achats ou si on l’utilise à d’autres fins, il convient de s’interroger sur l’effet combiné de toutes ces formes d’utilisation.

La sénatrice Simons : Merci.

La sénatrice Pate : J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus long sur les moyens que vous envisagez de prendre pour garantir l’intraçabilité de ce code dont vous parlez. Il y a bien sûr tout lieu de se préoccuper des utilisations discriminatoires que l’on pourrait faire du traçage aux fins de l’embauche et du logement, tout particulièrement pour les Canadiens racisés et marginalisés. Comment selon vous pourrait-on faire en sorte que ce code ne soit pas retraçable?

M. Therrien : Les services dont il est question ici pourraient par exemple être offerts par une tierce partie. Selon moi, les risques pour la protection de la vie privée pourraient être réduits via l’application de la réglementation en limitant la période de conservation de l’information ainsi que la quantité de renseignements nécessaire à une tierce partie pour émettre un code anonyme. Si je reprends l’exemple que j’ai donné au départ, on pourrait penser à un jeune de 19 ans qui doit présenter à une entreprise pour vérification visuelle une carte numérique émise par le gouvernement. L’entreprise prend alors uniquement les dispositions requises pour s’assurer que l’individu qui présente la carte est bel et bien le titulaire de cette carte. Un code anonyme est émis et aucune autre information n’est recueillie. Ce serait l’idéal. Il a toutefois d’autres systèmes qui peuvent aussi être envisagés.

La présidente : Monsieur le commissaire, j’ai moi-même quelques questions à vous poser même si vous avez traité de certains de ces éléments dans vos observations préliminaires. Vous avez indiqué qu’il est nécessaire d’avoir des exigences claires du point de vue de la protection de la vie privée, y compris des mesures de protection de nature technique. Comment selon vous ces exigences devraient-elles être mises en place? Est-ce que ces exigences ou ces mesures de protection de la vie privée devaient être prévues dans ce projet de loi ou encore dans la réglementation connexe?

M. Therrien : Étant donné l’évolution constante de la technologie, je pense qu’il serait préférable que ces exigences soient prévues dans le Règlement, plutôt que dans la loi elle-même. Dans la loi dont nous assurons l’application, la LPRPDE, les normes techniques ne sont pas prescrites en détail. On parle seulement de normes suffisantes de protection en fonction de la confidentialité de l’information. C’est le critère général qui s’applique conformément à ce que prescrit la loi. Je crois vraiment qu’il est préférable de prévoir ainsi une norme flexible dans la loi elle-même en incluant tous les détails techniques requis dans le Règlement.

La présidente : Merci.

On nous a parlé des mesures de protection de la vie privée en place pour certains systèmes de vérification de l’âge en ligne. À titre personnel, est-ce que vous utiliseriez ces systèmes si la loi était adoptée demain, ou auriez-vous certaines réserves quant à la protection de la vie privée?

M. Therrien : Je voudrais savoir combien de couches de pelure renferme l’oignon qu’on me présente. J’exigerais de nombreux paliers de protection.

La présidente : Je vous remercie, et vous nous l’avez expliqué plus en détail tout à l’heure. Nous passons maintenant au second tour.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Therrien, je veux revenir sur une de vos prémisses. Il n’est pas question ici de protéger des intérêts commerciaux et des entreprises. Vous l’avez bien dit, c’est de la protection des enfants qu’il s’agit. C’est pour cela que nous recherchons un équilibre, bien sûr, entre une certaine perte de contrôle de ces données privées, qui est peut-être temporaire, et la protection des enfants contre des intérêts commerciaux. C’est ce qui me semble être l’argument principal.

Plus généralement, j’aimerais vous entendre parler des mesures prises par les sites de paris et de loterie, parce que la vérification de l’âge doit se faire sur tous ces sites, puisqu’on n’a pas le droit de parier si on est âgé de moins de 18 ans. Actuellement, au Canada et bien sûr, aux États-Unis, il y a des systèmes de vérification de l’âge. Nous n’avons pas besoin de parler de reconnaissance faciale, mais on parle souvent de l’option de voir la personne qui soumet ses cartes afin de s’assurer qu’il y a un lien entre les deux.

Est-ce que ce genre de vérification plus minimale vous choque ou est-ce le prix à payer pour protéger les enfants des méfaits causés par le visionnement de la pornographie?

M. Therrien : Je crois avoir dit plus tôt que parmi les usages en matière de mesures de vérification de l’âge, celle prévue par le projet de loi était parmi les plus justifiables. Donc non, elle ne me choque pas.

Ensuite vient la question : quelles mesures techniques? On a parlé dans un certain détail de la reconnaissance faciale, de ses risques et de l’inexactitude de cette technologie. Comme vous le dites, il y a un choix important en matière de technologie. Vouloir protéger des enfants est évidemment un objectif louable qui peut être réalisé au moyen des technologies.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est la raison pour laquelle j’aimerais vous amener aux technologies actuelles utilisées par les sites de paris sportifs et de loterie. Ces sites semblent-ils respecter la vie privée des joueurs?

M. Therrien : Malheureusement, nous n’avons pas enquêté sur ces sites ni sur la façon dont ils effectuent la vérification de l’âge. Pour cette raison, je ne pourrais pas parler en connaissance de cause.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci, commissaire, pour le temps que vous nous avez consacré encore une fois. Nous nous réjouissons à la perspective de pouvoir travailler de nouveau avec vous. Monsieur Turcotte, merci également d’avoir trouvé du temps pour nous.

Nous accueillons maintenant notre prochain groupe de témoins. Nous recevons Me Brian Hurley, directeur, Conseil canadien des avocats de la défense, et, à titre personnel, Mme Emily Laidlaw, titulaire de la chaire de recherche du Canada en droit de la cybersécurité et professeure agrégée à la faculté de droit de l’Université de Calgary.

Sénateurs, vous aurez droit à cinq minutes pour poser vos questions.

Me Brian Hurley, directeur, Conseil canadien des avocats de la défense : Je veux simplement vous indiquer que je suis avocat de la défense à Edmonton. C’est ce que je fais depuis maintenant 28 ans en Alberta, en Saskatchewan, en Colombie-Britannique, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. Je suis aussi père de quatre enfants qui sont maintenant au début de la vingtaine ou s’en rapprochent, si bien que c’est un problème avec lequel ma femme et moi-même avons dû composer au fil des ans — sans compter le fait que nos enfants, comme tous les autres enfants au Canada, affichent dans le cyberespace absolument tout ce qui concerne leur vie personnelle.

Je vais d’abord traiter de quelques préoccupations que d’autres témoins ont exprimées avant moi. Il va de soi que la vérification de l’âge est une mesure qui peut fonctionner, mais ce n’est pas toujours le cas. On en a fait l’essai dans de nombreux contextes, du plus simple jusqu’au plus complexe. Comme on l’indique dans le préambule, il devrait être possible de trouver un mécanisme efficace pour la vérification de l’âge sans compromettre la protection de la vie privée. Je ne suis pas certain qu’il soit réaliste de l’envisager pour l’instant compte tenu de l’évolution technologique. À mon avis, pour qu’un système de vérification de l’âge soit efficace, il faut divulguer une grande quantité d’information. C’est ainsi que l’on peut s’assurer, par exemple, que mon fils de 16 ans ne peut pas se faire passer pour moi lorsqu’il souhaite visionner un certain contenu.

En ma qualité de criminaliste ayant représenté de nombreux jeunes et de père qui a pu discuter avec ses propres enfants et avec bien d’autres parents, je suis préoccupé du fait que la loi semble viser les entreprises commerciales, les grands fournisseurs de services Internet et les activités comme la pornographie infantile. J’ai représenté des dizaines de jeunes de 16 et 17 ans qui faisaient face à des accusations de pornographie infantile et parlé à des dizaines de parents dont l’enfant avait mis en ligne une photo de lui-même posant, par exemple, un geste obscène devant son école.

La loi elle-même semble se concentrer sur les fins commerciales, comme on peut le lire à l’article 4 : « Quiconque rend accessible [...] à des fins commerciales [...] » Je fais ici le lien avec le paragraphe 11(a) qui ouvre la possibilité de prendre d’autres règlements qui pourraient s’appliquer au contenu rendu accessible gratuitement. C’est un autre élément qui ne manque pas de me faire réfléchir aussi bien encore une fois dans mon rôle de criminaliste que dans celui de père d’enfants dont toutes les activités sont partagées en ligne.

Selon moi, la loi devrait être beaucoup plus précise quant aux responsabilités qui incombent à chacun et quant à ceux qui devraient être ciblés. Est-ce que nous visons les Shaw, les Bell et les TELUS de ce monde? Ciblons-nous également Pornhub et tous les autres sites semblables? Ou encore, comme le paragraphe 11(a) semble le permettre, est-ce qu’absolument tout le monde est visé?

À titre d’avocat de la défense, je suis préoccupé par la vaste portée des articles 4 et 5.

J’ai des réserves aussi lorsque, comme avocat de la défense, je dois chercher des mots dans un texte de loi sur Google. J’ose croire que je connais maintenant presque tous les mots techniques utilisés dans les lois pénales. J’ai effectué une recherche intéressante en anglais sur le mot mandatary et j’ai vu qu’il y avait un lien avec le pape. Mes enfants sont bilingues, contrairement à moi. L’équivalent en français est « mandataire ». J’ai des réserves lorsque je vois des mots comme ceux-là. Il y a aussi un mot comme acquiesced en anglais qui ne fait pas partie du vocabulaire du droit pénal anglais au Canada. J’ai des réserves, surtout quand on parle d’une durée d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six mois.

Je m’inquiète aussi de la responsabilité d’entreprise pour les employés, les dirigeants, etc., car cela est très large.

On trouve également dans le projet de loi l’expression legitimate purpose en anglais, soit « but légitime » en français, qui est aussi utilisée dans d’autres lois ciblant souvent le même problème. Cette expression peut être embêtante. Elle est vague. Elle renvoie à d’anciens articles du Code criminel portant par exemple sur la représentation théâtrale immorale ou l’envoi par courrier de matériel obscène, des articles qui reposaient sur des critères de normes sociales très difficiles à appliquer et souvent vagues, et susceptibles d’être interprétés aussi de façon vague. À Edmonton, nous avons souligné l’anniversaire d’une descente policière dans un sauna il y a de nombreuses années. Bien sûr, les normes sociales permettaient ce genre de choses à l’époque. Je trouve donc qu’il est inquiétant d’avoir une expression comme legitimate purpose ou « but légitime » et d’ouvrir la porte à un critère de norme sociale qui peut être problématique, en particulier pour les membres marginalisés de la communauté.

Au sujet de l’article 8, on voit cela de plus en plus souvent dans les lois fédérales. Nous avons un texte de loi qui dit aux juges ce qui est aggravant. En toute déférence, mesdames et messieurs, nos juges savent ce qui est aggravant et ce qui est atténuant, tout comme nos avocats de la défense et nos procureurs de la Couronne. Cette mesure législative précise simplement que l’objet de la loi, le matériel obscène, est une circonstance aggravante. Cela semble un peu redondant, et je dirais que cela fait partie d’une tendance à instruire les juges sur ce qui est aggravant. Nous nommons des personnes très brillantes pour être juges. Ces hommes et ces femmes savent ce qui est aggravant et atténuant.

J’ai aussi des réserves au sujet des termes obscene material et explicit material en anglais, soit « matériel obscène » et « matériel sexuellement explicite » en français. J’en ai discuté avec ma fille, qui fait des études de droit et qui est bilingue, mais nous ne sommes pas allés en profondeur. Je m’interroge sur le fait qu’on utilise deux termes qui réfèrent vraisemblablement à la même notion — ou est-ce le cas? Je n’en sais rien.

En ce qui concerne l’article 9, encore une fois, en tant qu’avocat de la défense, je crains que sa portée ne soit trop large. Est-ce que cela amène les fournisseurs de services à examiner les informations personnelles des gens et à les remettre aux autorités — à remettre des informations qui peuvent ensuite être utilisées pour des poursuites en vertu de cette loi ou pour des poursuites criminelles potentielles?

La sénatrice Paula Simons connaît peut-être l’ancienne affaire Hunter et al. v. Southam Inc. concernant une descente dans un journal ici à Edmonton qui a eu lieu en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et remonte à plusieurs décennies. La Cour suprême a mentionné clairement que les saisies sans mandat sont présumées déraisonnables. Cela ressemble à une saisie sans mandat, fondée uniquement sur l’avis du ministre voulant qu’il y ait des motifs raisonnables de croire qu’il y a infraction, et c’est problématique. C’était problématique dans les années 1980 dans l’affaire Hunter et al. v. Southam Inc. et cela l’est encore aujourd’hui.

L’alinéa 11c) laisse les sanctions imposées aux fournisseurs de services qui ne se conforment pas à l’article 10 à la réglementation. Il y a des sanctions de prévues ailleurs. En tant qu’avocat de la défense, je suis préoccupé par les sanctions laissées à la réglementation. Cela peut, et c’est souvent le cas, donner lieu à des sanctions exorbitantes, en particulier lorsqu’il s’agit de grandes entreprises. Nous avons tous vu l’exemple de la sanction de 50 millions de dollars aux États-Unis. Je ne voudrais pas que le Canada s’engage dans cette voie. Précisons dans la loi le montant de la sanction; ne nous en remettons pas à un règlement qui peut être modifié en quelques semaines et qui peut viser un fournisseur de services en particulier. Nous ne voulons jamais avoir un Donald Trump au Canada, mais les lois doivent être rédigées de façon à tenir compte de ce risque, alors nous devons les rédiger avec soin afin que la réglementation ne puisse pas être utilisée pour imposer des sanctions exorbitantes à un moment donné.

Ce sont là mes brefs commentaires. Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, maître Hurley. Nous passons maintenant à Mme Laidlaw.

Emily Laidlaw, chaire de recherche du Canada en droit de la cybersécurité et professeure agrégée, Faculté de droit, Université de Calgary, à titre personnel : Je vous remercie beaucoup.

J’ai abordé la question sous un angle légèrement différent. Maître Hurley, j’ai écouté attentivement vos commentaires. Mes commentaires d’aujourd’hui porteront sur deux aspects du projet de loi, à savoir le blocage des sites Web et la vérification de l’âge.

Je voudrais commencer par dire que je pense que les objectifs du projet de loi sont louables. Le fait que des enfants regardent de la pornographie peut avoir des conséquences profondément néfastes. On peut soutenir que les enfants ont le droit de ne pas être exposés à la pornographie; des études portent sur la question. Nous devons toutefois garder à l’esprit que, pour les adultes, regarder de la pornographie est une forme d’expression légale et protégée.

J’en viens maintenant au blocage de sites Web. Le droit à la liberté d’expression — et j’adopte ici une optique axée sur les droits de la personne basée sur les travaux que j’ai effectués — est beaucoup plus large que ce que les gens comprennent souvent. Il s’agit du droit de rechercher, recevoir et diffuser des informations et des idées, sans considération de frontières. Il ne s’agit pas d’un droit absolu, mais toute limite à ce droit doit être nécessaire et proportionnelle à l’objectif de la politique publique. En outre, les contenus étrangers et nationaux doivent être traités de la même manière. La vie privée fait également partie de cette équation; c’est une condition préalable à la jouissance du droit à la liberté d’expression.

Qu’est-ce que cela signifie? Historiquement, le blocage des sites a été mal vu dans les sociétés démocratiques, car il est considéré comme une restriction préalable à la liberté d’expression. Il est difficile de le faire d’une manière qui soit conforme aux droits de la personne. C’est un outil qui peut être rudimentaire et facilement contournable, il bloque souvent plus qu’il ne le devrait et plus longtemps qu’il ne le devrait, il cause un vrai casse-tête en matière d’application régulière de la loi, il peut provoquer des dommages collatéraux et il a des répercussions mondiales. Quelle que soit la manière d’aborder la chose, l’Internet est un média mondial.

Les États ont certainement eu tendance à recourir au blocage dans certaines circonstances, mais il n’y a guère de consensus international sur les cas où cela est approprié de le faire, sauf pour les images d’agressions sexuelles d’enfants.

En examinant le projet de loi, je comprends que c’est le problème de l’application de la loi contre les sites Web basés à l’étranger qui incite à mettre l’accent sur le blocage des sites Web. J’ai beaucoup réfléchi à cette question depuis les conversations précédentes sur ce projet de loi, et je vais vous exposer mes préoccupations.

Premièrement, en principe, le blocage devrait être un dernier recours, le cas échéant, et cela n’est pas prévu de cette façon pour le moment dans le projet de loi. Les solutions de rechange sont la collaboration avec les forces de l’ordre et d’autres intervenants. L’éducation est l’un des principaux moyens de lutter contre l’accès à la pornographie juvénile par les enfants, tout comme le blocage du point de vue des utilisateurs finaux, ce qui est souvent étroitement lié à l’éducation.

Deuxièmement, pour respecter l’application régulière de la loi, toute mesure de ce genre ne devrait être administrée que par une entité juridique, et non par un ministre, comme il est proposé ici. Je sais que c’est une chose à laquelle les personnes concernées ont déjà réfléchi.

Troisièmement, la portée de la mesure doit être limitée. C’est une chose dont Me Hurley a parlé, je crois. Qui est la cible? Ici, il s’agit de tout site qui met à disposition des images sexuellement explicites, donc pas seulement des sites principalement consacrés à ce type de contenu. On peut imaginer des sites Web animés, des sites de partage de vidéos grand public, des blogues, des fournisseurs de services de courriel et différents artistes qui publient leurs œuvres. Ces sites pourraient être visés à l’heure actuelle — ou le sont — par la façon dont le projet de loi est rédigé. J’ajouterais que cela engloberait aussi sans doute les travailleurs de l’industrie du sexe.

Quatrièmement, l’administration et l’établissement des conditions ne devraient pas être confiés à des entreprises privées. L’externalisation aux fournisseurs de services Internet soulève généralement des problèmes de neutralité du Net. Mes inquiétudes portent principalement sur la difficulté de compter sur les fournisseurs de services pour jouer un rôle de police.

La dernière remarque que je souhaite faire au sujet du blocage des sites Web est qu’il faut se demander si cela peut être efficace ici pour lutter contre les méfaits qui vous préoccupent. J’ai quelques inquiétudes à ce sujet. L’une d’entre elles est que les gens peuvent contourner le problème. L’accès VPN, par exemple, est un moyen pour eux de le faire. L’autre est que cela ne réduira pas nécessairement les moyens les plus courants par lesquels les enfants sont exposés à la pornographie, comme le fait de tomber sur cela par hasard, les fenêtres flash qui apparaissent involontairement ou le contenu qui échappe d’une manière ou d’une autre aux outils de filtrage utilisés sur les sites grand public comme YouTube ou autre.

Cela m’amène à la vérification de l’âge. En principe, la vérification de l’âge est une bonne idée, mais je ne suis pas certaine que la technologie soit encore au point. Je n’ai pas pu entendre les commentaires précédents, mais il semble que ce point vous ait déjà été signalé. Ce que nous pouvons déployer facilement dans le monde physique est beaucoup plus compliqué à faire en ligne.

Il y a vraiment deux options ici : un tiers de confiance ou par l’entremise de chaque site Web. Si je comprends bien, l’idée est de passer par une sorte de tiers de confiance. C’est du moins ce qui a été envisagé.

La vérification de l’âge pose des problèmes, du moins dans l’état actuel des choses. L’un des problèmes est la stigmatisation sociale. On crée un registre pour tous les consommateurs canadiens de pornographie. Il s’agit d’un problème de liberté d’expression, car cela crée un cadre rigoureux pour les adultes qui veulent accéder à ce contenu légal. Il s’agit également d’un problème de protection de la vie privée. Cela les oblige à divulguer leurs habitudes de consommation, et à plus grande échelle même, le simple fait que cela fasse partie de leurs habitudes de consommation. Le problème est qu’il ne s’agit pas d’agiter un permis de conduire devant le videur pour entrer dans un club. Ce système fonctionnerait essentiellement comme un système d’identification. Cela soulève également des problèmes d’égalité, car même les adultes économiquement défavorisés pourraient ne pas avoir, par exemple, de carte de crédit, si c’est l’un des moyens d’établir l’identité.

L’autre point est que cela crée un risque important de vol de données. Il s’agit de données sensibles. Si l’on regarde MindGeek, le propriétaire de Pornhub, il a subi plusieurs vols de données depuis 2012. Si nous laissons à chaque site Web le soin d’utiliser son propre système de vérification, le risque est encore plus grand que les niveaux de sécurité varient. De même, si l’on place le système en un seul endroit, même auprès d’une partie de confiance, il devient alors également une cible pour le vol de données. Il n’y a pas de solution facile dans ce domaine.

On peut se demander si la vérification de l’âge, du moins par les moyens actuels, serait efficace pour bon nombre des raisons que j’ai mentionnées lorsque nous avons examiné la question du blocage des sites Web. Je pense toutefois qu’il y a de l’espoir pour l’avenir. Les chercheurs tentent de mettre au point un système d’identification qui préserve la vie privée. Je sais que des travaux sont actuellement en cours au Royaume-Uni. La mise au point d’un tel système est une première étape nécessaire pour pouvoir mettre en œuvre ce qui est recherché ici.

Je vous recommande de travailler avec le Commissariat à la protection de la vie privée sur la vérification de l’âge et les problèmes associés à ces systèmes d’identification plus vastes et d’examiner de plus près les mécanismes d’application ou les options réglementaires. L’objectif est de réduire l’exposition des enfants à la pornographie à laquelle ils ne devraient pas avoir accès. Des options réglementaires sont disponibles pour atteindre cet objectif. Il faudrait également examiner de plus près les répercussions potentielles du blocage des sites Web sur la liberté d’expression.

Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, madame Laidlaw.

Nous passons maintenant aux questions des sénateurs, en commençant par la marraine du projet de loi, la sénatrice Miville-Dechêne.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie beaucoup tous les deux. Vous m’avez donné beaucoup de matière à réflexion.

Je veux rassurer Me Hurley sur le fait que nous ciblons les sites de pornographie, pas les enfants, pas les sextos, rien de tout cela. C’est pourquoi nous avons les mots « à des fins commerciales ». Je comprends ce qui vous incite à penser que la portée pourrait être plus large, mais le projet de loi cible les sites pornographiques commerciaux, là où les enfants vont. Naturellement, le projet de loi peut être amélioré à bien des égards, et je vous remercie de vos conseils.

J’aimerais poser une question à Mme Laidlaw à propos de ce qu’elle a dit sur le blocage des sites. J’ai longuement réfléchi à la question, et étant donné que la plupart de ces sites se trouvent à l’étranger, j’ai l’impression que nous n’avons pas beaucoup de moyens d’intervenir. Si un site pornographique dit qu’il ne vérifiera pas l’âge, ou ne répond rien, que pouvons-nous faire d’autre que bloquer le site? Je dirais que cela s’est fait au Canada. Il y a eu un procès mettant en cause Gold TV. Gold TV était un site qui volait essentiellement le matériel qui se trouvait sur d’autres sites, et la Cour fédérale a donné la permission d’agir. C’est donc possible.

Bien entendu, comme vous l’avez dit, nous devons nous assurer que la loi est respectée, mais je ne vois pas ce que nous pouvons faire d’autre que de bloquer le site Web. Maître Hurley, pour vous rassurer encore une fois, je suis en train de reformuler cet article pour préciser les moyens, et le blocage sera mentionné. Madame Laidlaw ou maître Hurley, pouvez-vous me dire s’il existe d’autres moyens en cas de non-conformité que de bloquer le site?

Mme Laidlaw : Je connais très bien la jurisprudence liée au blocage des sites Web. J’habitais au Royaume-Uni lorsqu’on a commencé à faire usage plus activement de cette méthode pour remédier précisément à ce dont vous parlez, soit les sites basés à l’étranger qui ne respectent pas les lois locales.

Cela présente quelques problèmes. Je vais vous exposer les problèmes et ensuite vous parler des options. Il y a vraiment lieu de se demander si, en mettant en place un programme permettant de bloquer des sites web, et ce, malgré la décision dans l’affaire concernant Gold TV, vous respecteriez vos obligations internationales relativement aux droits de la personne prévus dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Pour que cela fonctionne, il faut habituellement que le blocage soit très chirurgical. Toutefois, je répète encore une fois qu’il faut que ce soit une solution de dernier recours. Il faut que d’autres moyens aient été prévus dans la loi pour remédier à ce problème, qu’il y ait eu une forme de gradation avant d’en arriver à cette solution de dernier recours. Le projet de loi n’est pas structuré de la sorte actuellement.

Le problème avec le blocage d’un site Web, et je le souligne encore une fois, c’est qu’il s’agit d’une restriction préalable. Vous dites que les gens au Canada ne peuvent pas avoir accès à du contenu qui est légal pour eux de regarder. C’est un très gros obstacle qu’il est difficile de surmonter.

L’autre façon de remédier au problème de ce contenu particulier est habituellement d’agir du côté de l’utilisateur final, et c’est là où — et c’est aussi une approche imparfaite — des mécanismes sont mis en place au sein de la famille pour bloquer l’accès à du contenu particulier en ligne, comme des dispositifs pour protéger les enfants, par exemple, afin qu’ils n’aient pas accès à certains sites. Quelles sont les failles de cette approche? Il revient à chaque famille de pouvoir les mettre en place.

La sénatrice Miville-Dechêne : Tout à fait.

Mme Laidlaw : La protection n’est pas totale, mais c’est là où l’éducation joue souvent un rôle particulier pour tenter de mettre en place ces dispositifs. Soyons réalistes : les enfants sont souvent plus futés que leurs parents quand il s’agit de contourner ces dispositifs.

Il n’y a pas de solution facile. En passant directement au blocage des sites Web, le problème est qu’on saute beaucoup d’étapes. Je dois réfléchir aux solutions intermédiaires plus créatives qui existent. Elles sont peu nombreuses. C’est le problème que nous avons. L’utilisation de dispositifs présente des failles du point de vue personnel et familial, mais le fait de passer au blocage des sites Web soulève toutes sortes de problèmes liés aux droits de la personne. Je ne vous donne pas une réponse entièrement satisfaisante, mais c’est là où nous en sommes actuellement.

Me Hurley : Je me fais l’écho de tout ce qu’Emily a dit. En tant que parent ayant des enfants qui sont beaucoup plus doués que moi en matière de technologie et qui sont maintenant de jeunes adultes, je pense que tous les parents se réjouiraient de recevoir une certaine aide offerte par Net Nanny ou d’autres applications de ce genre afin d’empêcher leurs enfants d’avoir accès à certains contenus. C’est un domaine dans lequel le gouvernement pourrait peut-être jouer un rôle.

Il existe des technologies qui permettent de bloquer les sites Web. Il y a des systèmes partout dans le monde entier qui bloquent toutes sortes de sites Web. Vous pouvez bloquer la pornographie si vous le souhaitez. Vous pouvez le faire. D’autres pays l’ont fait. La question est de savoir ce à quoi nous sommes prêts à renoncer en ce qui concerne la liberté des adultes de regarder des choses qui sont parfaitement légales dans le but de protéger nos enfants. Au niveau familial, c’est une décision que nous avons prise en ce qui concerne la configuration de nos propres ordinateurs à la maison. Il y a quelques années, l’accès de ces ordinateurs était très restreint, et je devais me rendre au bureau pour faire des recherches. Cela a évidemment changé avec l’âge de mes enfants, mais en tant que Canadiens, c’est aussi une question que nous devons examiner. Sommes-nous prêts à verrouiller certains sites Web et à empêcher les adultes d’avoir accès à certains contenus pour le bien des enfants? C’est une question d’équilibre, mais c’est faisable. Si nous le faisons en tenant compte des personnes qui enfreignent les restrictions en matière de vérification de l’âge, nous devons faire attention aux informations que nous diffusons et qui peuvent être piratées, comme nous l’avons constaté à maintes reprises.

La sénatrice Batters : Maître Hurley, je vous remercie d’avoir exposé certaines de vos préoccupations à l’égard du projet de loi. Je vous suis également reconnaissante de ce que vous avez dit à propos du fait d’être parent, car nous sommes nombreux à appuyer la noble intention du projet de loi. Toutefois, nous voulons nous assurer que le projet de loi est le meilleur qu’il puisse être en vue d’atteindre l’objectif de restreindre l’accès des jeunes à ce type de matériel. Le fait que les adultes y ont accès est une chose, mais le fait que de très jeunes enfants y ont accès en est une autre. Du point de vue juridique que vous apportez, lequel est très important à cet égard, quelles sont les deux principales façons dont vous pourriez envisager certaines de vos préoccupations à propos du projet de loi de manière à le rendre plus conforme en y apportant, peut-être, deux ou trois modifications qui, selon vous, pourraient être en mesure de rectifier le projet de loi?

Me Hurley : Je dirais qu’il faudrait qu’une autorisation judiciaire soit nécessaire pour obtenir du matériel ou des renseignements auprès de citoyens privés ou de sociétés, et il faudrait que le projet de loi mette vraiment l’accent sur le fait qu’il concerne les organisations commerciales et les entreprises, de sorte que, si le copain de mon fils de 17 ans partage une photo avec 20 personnes, il ne sera pas visé par cette mesure. Ce sont les véritables appels téléphoniques que je reçois au sujet de clients et d’enfants. Peut-être que certains des termes que j’ai mentionnés devraient être remplacés par des termes utilisés plus couramment pour rédiger des documents du même genre que le Code criminel.

La sénatrice Batters : Il faudrait enlever des termes comme le mot anglais acquiescence et ne pas utiliser deux mots différents, comme « explicite » et « obscène », pour exprimer la même idée. Quels sont les autres types de termes qui vous ont posé des problèmes et que vous avez dû chercher dans Google, et par quels mots proposeriez-vous de les remplacer afin d’atteindre la précision que devraient avoir les lois pénales?

Me Hurley : Je pense que ce que le projet de loi tente d’indiquer, c’est que si vous avez demandé à un employé de faire quelque chose, vous êtes responsable de ces actions, et la responsabilité se déplace du haut de la chaîne alimentaire de l’entreprise vers le bas de celle-ci. Le mot anglais que j’ai été forcé de rechercher dans Google, c’était mandatary, c’est-à-dire quelque chose qui est explicite de l’échelon le plus haut de l’entreprise à l’échelon le plus bas. La terminologie anglaise que nous utilisons souvent devant les cours criminelles, c’est with knowledge. Allons-nous poursuivre les gens qui ont eu connaissance de la situation? Si c’est le cas, indiquons-le. Poursuivrons-nous les personnes qui sont insouciantes? Si c’est le cas, indiquons-le. Le mot anglais acquiesce semble indiquer un certain degré de culpabilité, si vous voulez, ou de consentement, mais c’est une faute moins grave que la connaissance et beaucoup moins grave que l’insouciance, je pense. La terminologie du Code criminel est éprouvée pour ce qui est de déterminer si quelqu’un fait quelque chose en connaissance de cause, par insouciance ou volontairement. Cette terminologie existe, et je suppose qu’elle a été choisie avec soin. Comme je l’ai déclaré, à ma connaissance, les termes anglais acquiesce et mandatary ne figurent pas dans le langage pénal, et le terme anglais mandatary ne m’était pas du tout familier.

La sénatrice Batters : Merci. Je vous suis reconnaissante de vos observations.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse autant à Mme Laidlaw qu’à Me Hurley, et j’ai une question plus précise pour Me Hurley. Je comprends l’objectif de la loi, mais j’ai une préoccupation. Si on resserre le libellé de la loi pour le rendre plus conforme à ce qui est utilisé en droit criminel habituellement, est-ce qu’on règle la question de l’accès à des sites pornographiques par des enfants? Autrement dit, si d’une famille à l’autre on a des règles différentes d’accès à l’Internet, par exemple, je pourrais l’interdire à mes enfants, mais ils auront juste à aller chez le voisin, et on vient alors de passer à côté de l’objectif de la loi.

Ma question la plus précise pour les deux témoins, que je remercie d’être là aujourd’hui, est celle-ci : ne serait-il pas plus simple de prévoir quelque chose d’autre dans le Code criminel, comme une infraction, selon votre expérience, maître Hurley? Autrement dit, si je vous le demande plus brutalement : est-ce que votre carrière à défendre des gens qui auraient accédé à des sites pornographiques alors qu’ils n’étaient pas majeurs serait moins longue et moins fructueuse si on modifiait le Code criminel, plutôt que d’adopter un projet de loi qui soulève autant de problèmes sur le plan juridique, comme vous venez tous deux de nous le dire?

[Traduction]

Me Hurley : Il s’agit d’un projet de loi très ciblé, mais le Code criminel contient aussi des dispositions législatives très ciblées. L’article 171.1 est la disposition du Code criminel qui s’en rapproche le plus, et elle porte essentiellement sur l’envoi de pornographie à un enfant afin de l’inviter à avoir une liaison sexuelle. Cette disposition existe donc, et le projet de loi pourrait certainement être intégré dans une disposition du Code criminel de ce genre. Toutefois, la disposition viserait les entreprises.

Si vous voulez vraiment viser une société, alors un texte de loi autonome pourrait être le meilleur moyen de laisser entendre que nous mettons précisément l’accent sur les sociétés. À ma connaissance, il n’y a rien de tel dans le Code criminel à l’heure actuelle. Cependant, il est peut-être avantageux d’avoir un projet de loi autonome dans le but d’indiquer très clairement qu’il s’agit d’une mesure législative qui vise précisément les entreprises.

En tant qu’avocat spécialisé dans les affaires criminelles, je me suis demandé si le projet allait résister à un examen en vertu de la Charte. Est-ce que je serai en mesure de trouver des failles dans la mesure législative lorsque TELUS ou SaskTel me versera d’énormes honoraires afin de la contester? Je pense que cet aspect pose des problèmes. Un avocat de la défense expérimenté pourrait y trouver de nombreuses failles.

Pour répondre à votre question concernant la question de savoir si elle protégera efficacement les enfants, je dirais que je ne le sais pas. La quantité d’informations nécessaires à la vérification de l’âge ne risque-t-elle pas trop de faire plus de mal que de bien? C’est là le problème, sénatrice Dupuis.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci. Vous avez très bien compris ma question sur votre brillante carrière à trouver les trous dans ce projet de loi. C’est pour cela que je vous posais la question : n’aurait-on pas intérêt à se tourner vers un amendement du Code criminel qui prévoit déjà des choses? Merci de vos réponses. Madame Laidlaw, avez-vous une réponse?

[Traduction]

Mme Laidlaw : Je m’en remets évidemment aux commentaires de Me Hurley sur le Code criminel en particulier. Je vais plutôt parler d’efficacité.

Il n’y a aucun moyen d’utiliser cette mesure législative pour protéger totalement les enfants. Il s’agit simplement de réduire les risques d’exposition. Mais dans cette optique, cela veut dire qu’il faut soigneusement prendre en compte la manière dont d’autres droits seront touchés pour atteindre cet objectif. Ce ne sera pas un système parfait, et les enfants seront exposés à du matériel sexuellement explicite, quoi qu’il arrive.

Quels sont les risques que vous prenez lorsque vous obligez des personnes à enregistrer leurs intérêts particuliers? Je mentionne encore une fois que, selon moi, la technologie requise n’est pas encore disponible. Je ne sais pas quelles conversations le comité a eues plus tôt à ce sujet.

Cela signifie également que, si l’on choisit la voie du blocage de sites Web, il faut en limiter la portée dans la mesure où une surveillance est exercée et les principes d’une procédure régulière sont intégrés dans la mesure législative. Il ne s’agit que d’une mesure de dernier recours. D’autres options sont disponibles, notamment l’imposition d’une amende à l’entreprise. Je sais que c’est l’une des mesures qui sont prévues. Le blocage de sites Web devrait être rarement utilisé. C’est certainement une mesure que d’autres pays n’ont prise que récemment, mais cela est attribuable au fait que c’est un mécanisme facile à utiliser. Cependant, ce n’est pas nécessairement le bon mécanisme à utiliser. Voilà ce que je tenais à souligner.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, cela répond à ma question. Je crois qu’on a un problème. Les Anglais ont une expression très intéressante, soit la feel good legislation qui finalement, amène plus de problèmes que d’efficacité. Je ne trouve rien d’équivalent en français. Je ne sais pas si on fait plus que cela avec le projet de loi S-203. Je vous remercie de vos réponses.

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Je remercie les deux témoins de leur présence. Je pense que vous avez probablement répondu à toutes mes questions. J’ai l’impression d’avoir suivi une leçon de révision du droit pénal, alors je vous en suis reconnaissante.

Maître Hurley, pouvez-vous nous en dire davantage sur les aspects du projet de loi qui relèveraient de la réglementation plutôt que de la loi? C’est l’une des préoccupations que j’avais. Pourriez-vous préciser votre point de vue à ce sujet?

Me Hurley : Le problème, comme vous le savez tous, c’est que le Règlement peut être élaboré et mis en œuvre très rapidement et qu’il peut vraiment changer l’orientation du projet de loi ainsi que les peines prévues, et modifier sensiblement le projet de loi, contrairement à la mesure législative dont l’élaboration exige beaucoup plus de temps. Le principal élément qui me préoccupe, c’est la section sur les peines qui se trouve à l’alinéa 11(c). Cet article semble vraiment viser à punir les sociétés, mais ces peines seront énoncées dans le Règlement, alors que les peines pour d’autres infractions sont énoncées dans la loi. Énonçons ces peines au lieu de les mettre dans le Règlement. Je pense que c’était là mon principal objectif.

La sénatrice Boniface : Merci. J’envisage cette question en m’appuyant sur le concept du droit criminel et des armes à feu, par exemple. On trouve certaines choses dans la réglementation, mais je crois que les peines se trouvent dans la loi elle-même. J’essayais de penser à d’autres domaines du droit criminel où vous pourriez trouver ce type de structure.

Me Hurley : En général, en droit criminel, on s’en remet aux règlements lorsqu’on craint qu’il soit nécessaire d’apporter un changement rapide ou qu’un nouveau développement survienne rapidement. Les gens imaginent toujours de nouveaux types d’armes à feu ou d’armes en général dont il faut s’occuper rapidement. La police prend conscience de leur existence dans les rues, et nous devons intervenir immédiatement. Évidemment, ces types de peaufinage sont faits dans la réglementation. S’il s’agit vraiment d’un peaufinage, il faut laisser ces aspects dans la réglementation. Toutefois, il me semble qu’une mesure aussi importante que la peine maximale encourue dépasse le simple peaufinage.

La sénatrice Boyer : Je remercie les membres du groupe de témoins d’être ici aujourd’hui. Ces membres sont très intéressants.

J’adresse ma question à Mme Laidlaw, et elle porte sur la possibilité réaliste de devoir mettre en application de cette mesure législative. Je crains que, si le Canada adopte cette loi, les entreprises qu’elle tente de réglementer se contentent de déplacer simplement leurs activités à l’étranger et que ces entreprises puissent ainsi ignorer la réglementation. Madame Laidlaw, vous avez abordé ce sujet lorsque vous avez parlé du blocage du Web, mais je me demande ce qui empêcherait les mineurs d’utiliser des mécanismes comme les RPV afin de simplement contourner la réglementation. Y a-t-il, à votre avis, des mesures qui peuvent être prises faire pour rendre la loi plus efficace et plus facile à mettre en application?

Mme Laidlaw : C’est une excellente question, et vous avez raison. L’un des problèmes, c’est qu’ils peuvent simplement contourner le blocage en utilisant un RPV. L’autre problème, c’est ce que la loi entraîne si vous finissez par bloquer, par exemple, un site Web important. Les Canadiens d’âge adulte pourraient aller ailleurs pour avoir accès à la pornographie, par exemple, ou visiter le Web caché ou tout autre endroit de ce genre. Cela met en jeu de nombreux problèmes différents.

Si l’objectif est de réduire le degré d’exposition des enfants, il ne sera pas non plus possible d’appliquer parfaitement cette mesure pour lutter contre les mauvais acteurs. Que devons-nous faire? L’une des voies intermédiaires, que j’ai évoquée en passant tout à l’heure, c’est la collaboration, c’est-à-dire le fait de travailler avec d’autres pays et d’autres intervenants afin de pouvoir faire appliquer la loi à l’étranger. L’une des options consiste à bloquer le site Web, mais, bien sûr, cela a des conséquences sur les différents facteurs que j’ai déjà mentionnés. L’autre option consiste à travailler directement avec les forces de l’ordre.

Cela ne fonctionnera pas dans tous les pays. Tous les pays ne collaboreront pas. Certains de ces sites sont établis dans des pays qui ne sont pas très coopératifs, et vous ne serez pas en mesure de lutter efficacement contre ces sites particuliers. C’est un peu comme si vous joueriez au chat et à la souris avec eux.

La sénatrice Boyer : Pourriez-vous envisager de conclure des traités internationaux avec différents pays, en ce qui concerne la mise en application de ce genre de mesures?

Mme Laidlaw : C’est le cas, et en fait Me Hurley pourrait être en mesure d’en parler mieux que moi. Ce sujet commence à sortir du domaine dans lequel je suis une experte en la matière, à savoir les pays avec lesquels nous collaborons de façon particulière afin de pouvoir mettre ces mesures en application. Je pourrais renvoyer cette question à Me Hurley si c’est un domaine qu’il connaît mieux que moi.

Me Hurley : Comme Mme Laidlaw l’a déclaré, vous regardez les traités qui portent sur l’assistance mutuelle et l’application réciproque qui existent. Cependant, le problème, c’est qu’il suffit toujours qu’il y ait un seul mauvais acteur étatique pour que tout le monde s’installe là-bas. Cela permet de contourner tous nos traités les mieux intentionnés.

Je ne veux pas être trop cynique, mais comme l’a dit la sénatrice Dupuis, s’agit-il simplement de se donner un sentiment de bien-être ou de présenter une façade, ou pouvons-nous vraiment faire en sorte que cela fonctionne? Je ne suis pas sûr que nous puissions vraiment faire en sorte que cela fonctionne. Peut-être serions-nous mieux servis en finançant l’aide aux parents et en nous concentrant sur des applications comme Net Nannies et la technologie dont ils ont besoin pour protéger leurs enfants — une aide dans le cadre de laquelle nous leur donnons des appareils, nous leur imposons des règles et diverses conditions. Certains s’inquiètent du fait que, quoi que nous fassions, il suffit d’un mauvais acteur étatique pour que tout le monde déménage là-bas.

La sénatrice Boyer : Je vous remercie tous les deux.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je tiens à remercier nos deux témoins pour leur présentation très intéressante. Je vais poser une question générale aux deux témoins, parce qu’ils ont soulevé de nombreux points qui nous amènent à nous poser des questions sur l’efficacité du projet de loi.

En tant que parents, on veut tous que nos enfants soient épargnés par ce mal que représente la pornographie, surtout à un si bas âge.

En ce qui concerne ce projet de loi et le statu quo, y a-t-il une autre avenue qu’on pourrait emprunter pour mieux protéger nos enfants en les empêchant d’accéder à ces produits-là? Je fais surtout référence à la pornographie patente, qui a beaucoup plus de répercussions sur les enfants. Me Hurley pourrait peut-être répondre en premier, suivi de Mme Laidlaw.

[Traduction]

Me Hurley : Merci, monsieur. C’est une question à laquelle il est difficile de répondre.

Je ne sais pas s’il existe un moyen d’empêcher absolument les enfants d’avoir accès à ce matériel. Mes enfants n’étaient pas très âgés lorsqu’ils sont devenus beaucoup plus compétents en matière de technologie que moi ou même un adulte compétent dans ce domaine. C’est une réalité avec laquelle nous devons composer. Je ne pense pas qu’il y ait des mesures qui puissent les protéger totalement.

Comme je l’ai dit, nous avons également affaire à des enfants qui partagent absolument tout entre eux en ligne, y compris des photos inappropriées d’eux-mêmes. Donc, même si nous bloquons des sites, ils obtiendront des photos inappropriées de la petite amie de leur frère ou du petit ami de leur sœur. Ces photos existeront. Je ne crois donc pas que nous puissions jamais atteindre la perfection. Toutefois, cela ne veut certainement pas dire que nous ne devons pas essayer de faire quelque chose, et cela ne veut certainement pas dire que nous ne devons pas examiner une mesure comme celle-ci.

Mais la réponse courte à votre question, c’est qu’en tant que père ou avocat de la défense en droit criminel, je ne vois pas de solution qui fonctionne parfaitement et qui empêche les enfants d’avoir accès à de la pornographie. C’est tout simplement irréaliste. Un garçon de 14 ou 15 ans — je parle d’expérience en tant que père et en tant qu’ancien garçon de 14 ou 15 ans — va trouver du matériel pornographique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Hurley, pouvons-nous considérer ce projet de loi comme étant un premier pas?

[Traduction]

Me Hurley : Personnellement, je ne le pense pas. Je pense que cela est dû en partie à la nature de la vérification de l’âge. Je ne pense pas qu’il soit possible d’avoir une vérification de l’âge efficace à ce stade, compte tenu de la nature de notre technologie, sans sacrifier une énorme quantité de renseignements personnels. Je pense que cela crée un risque énorme dans la mesure où ces informations sont entre les mains de gens, qu’elles vont être piratées et causer un gros problème. Personnellement, je ne pense pas que la technologie nécessaire existe pour vérifier l’âge d’une façon sûre et efficace sans fournir tellement d’informations qu’elle crée un plus grand risque pour la vie privée des personnes qui regardent des choses parfaitement légales.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame Laidlaw?

[Traduction]

Mme Laidlaw : D’une certaine manière, je crois que le projet de loi est en avance sur son temps, car la technologie de vérification de l’âge, du moins à ma connaissance, n’est pas tout à fait au point, compte tenu de certains risques pour la vie privée. Où cela nous mène-t-il alors? La dure réalité, c’est que certains des meilleurs moyens de faire face à ce problème exigent des ressources, ce qui échappe presque complètement à notre volonté. Nous devons consacrer une quantité énorme de ressources à l’échelle locale, en collaborant, par exemple, avec les écoles qui travaillent concrètement avec les parents et qui leur apprennent les différents mécanismes permettant de contrôler l’accès des enfants. En fait, je suis extrêmement préoccupée par l’exposition des enfants. Je n’aime pas l’analogie qui consiste à dire que nous avons tous été exposés à ce problème en grandissant, car, de nos jours, nous avons affaire à quelque chose de profondément différent. Personne n’a fait cette remarque ici, mais je l’ai entendue ailleurs. Nous faisons face à des risques et à des préjudices bien réels. Ce dont nous avons besoin, ce sont des ressources jusqu’à ce que nous disposions d’outils qui tiennent davantage compte des droits de la personne et qui protègent la vie privée. À partir de là, nous pourrons ensuite ajouter une loi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Je tiens à remercier Mme Laidlaw et Me Hurley d’être avec nous en cette très belle journée à Edmonton — et je peux en témoigner personnellement —, car nous préférerions tous être dehors.

Mes questions s’adresseront à vous deux, en fonction de vos différents domaines d’expertise. Je me penche plus particulièrement sur l’article 4 du projet de loi. Je crois comprendre que la sénatrice Miville-Dechêne souhaite clairement que le projet de loi vise les grands distributeurs commerciaux d’images pornographiques en ligne. Or, le libellé de l’article 4 dit : « Quiconque rend accessible [...] du matériel sexuellement explicite [...] à des fins commerciales [...] s’il s’agit d’un individu [...] ». Je n’y avais pas pensé avant que Me Hurley en parle. Ainsi, il est possible que cette disposition s’applique à des cas comme celui du petit garçon qui vend en ligne à ses amis des photos qu’il a prises de sa sœur sous la douche, pour un dollar la photo. Est-il légitime de craindre que l’article 4 puisse viser des individus plutôt que des entreprises et, le cas échéant, y a-t-il moyen de réécrire cet article pour indiquer clairement que l’intention n’est pas de viser ce genre d’échange d’images de nature très restreinte, privée et intime, même s’il y a eu une certaine contrepartie financière?

Mme Laidlaw : J’ai récemment participé au processus de rédaction législative à l’occasion de la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, mais nous avons examiné le droit civil relatif aux images intimes. Une façon de procéder, à mon avis, c’est de se concentrer sur l’entité, plutôt que sur l’individu. Il faut donc mettre l’accent sur l’entité. Par ailleurs, selon moi, on ne doit pas viser toutes les entités parce que, là encore, c’est l’ensemble d’Internet que l’on englobe à bien des égards. Il faudrait plutôt se concentrer sur toute entité dont le site Web a pour objectif principal la diffusion de matériel sexuellement explicite à des fins commerciales.

À vrai dire, j’avais quelques réserves quant à l’étendue de la définition de matériel sexuellement explicite dans le Code criminel. J’ai choisi de ne pas en parler dans mes observations, mais cette définition englobe — et Me Hurley pourra peut-être y revenir — non seulement les vidéos et les images de personnes, mais aussi les dessins, je crois. N’est-ce pas ainsi que la disposition est formulée? Supposons, par exemple, que les dessins animés soient visés par cette disposition. Je sais que les dessins animés pornographiques sont relativement populaires et qu’ils circulent entre les enfants. C’est donc un élément que vous voudrez peut-être inclure dans le champ d’application. Comme autre solution, vous pourrez peut-être décider de restreindre la définition si vous estimez que cela va trop loin et qu’il faut plutôt mettre l’accent uniquement sur les grands sites Web, dont le contenu met en cause des gens bien réels et dont l’objectif principal est la diffusion de ces images.

Je le répète, vous pourriez ainsi viser les sites Web où les enfants cherchent activement ce contenu précis. Par contre, cette mesure législative ne tiendrait pas compte de toutes les façons dont les enfants tombent par hasard sur ce genre de contenu lorsqu’une image surgit à l’écran ou lorsqu’une vidéo apparaît sur YouTube, ce qui peut toujours arriver. Le filtre n’est pas parfait, et il ne le sera jamais.

La sénatrice Simons : Je vous remercie. C’est le genre de réponse que je voulais entendre.

Maître Hurley, puis-je vous poser la même question?

Me Hurley : J’aborde toujours le sujet en me demandant quelle application les forces de l’ordre vont en faire ou pourraient en faire, ce qui diffère souvent de l’intention des législateurs. Les forces de l’ordre repèrent bien souvent un problème et elles trouvent ensuite le texte de loi ou l’article du Code criminel qui pourrait s’y appliquer, peu importe si cela correspond ou non à l’intention du Parlement. Avec une telle disposition, surtout compte tenu de l’inclusion du mot « individu », on risque de s’en prendre à ce que j’appelle « le simple particulier », dont le rôle pourrait être très limité. Si ce n’est pas l’intention du Parlement, alors je suis d’accord pour qu’on reformule le libellé.

Évidemment, si une grande société est mise en accusation, en tant qu’avocat de la défense, je ferai tout en mon pouvoir pour permettre à quiconque lié à l’entreprise de quitter le bateau le plus rapidement possible afin d’éviter les poursuites. C’est le prix à payer.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le sénateur Cotter : Ma question s’adresse à Mme Laidlaw. Je devrais peut-être commencer par dire que j’ai suivi votre carrière depuis que vous avez quitté l’Université de la Saskatchewan et que vous avez atteint de hauts sommets en tant que titulaire d’une chaire de recherche du Canada. Je sais que vous avez beaucoup travaillé sur la violence en ligne. Il me semble que ce genre d’incidents isolés et individualisés ressemblent aux enjeux dont il est question ici. Je me demande si vous pourriez nous en dire plus à ce sujet, peut-être pour donner suite à la question de la sénatrice Simons, à savoir s’il est possible, à votre avis, d’appliquer les idées en vigueur pour tenter de traiter ces cas isolés de façon plus générale, plus systémique, comme nous nous efforçons de le faire en l’occurrence. Y a-t-il des leçons que nous pouvons tirer des types de circonstances individualisées que vous avez examinées et que nous pouvons appliquer à plus grande échelle?

Mme Laidlaw : Oui, je vous remercie. C’est merveilleux de vous retrouver, honorable sénateur.

J’ai réfléchi à cette question. Il y a deux pistes de solutions qui pourraient guider votre réflexion en ce qui concerne la violence en ligne et la réglementation des plateformes. Je n’en ai pas fait mention dans ma réponse à la question de la sénatrice Simons sur la manière de cibler les définitions et les objectifs à l’étude.

Récemment, certains des efforts visant les plateformes — par exemple, dans le cadre du Règlement sur les services numériques de l’Union européenne — ont établi une distinction entre les différents types de plateformes. La réglementation ne vise que les plateformes d’une certaine taille, si bien que seuls les gros joueurs sont essentiellement touchés. Il peut s’agir d’un certain nombre d’usagers ou d’un certain chiffre d’affaires annuel. Nous pouvons observer une telle approche dans le Règlement général sur la protection des données, en ce qui concerne la protection des renseignements personnels. C’est un moyen de cibler les plus gros joueurs. L’inconvénient, c’est que cela ne permet pas nécessairement de cibler les joueurs que l’on cherche à viser lorsqu’il s’agit du type de contenu que les enfants trouvent en ligne. N’empêche que c’est une façon de restreindre les choses. Certaines des solutions aux préoccupations concernant les droits de la personne découlent d’une série de petites décisions qui permettent de définir le tout avec un peu plus de précision.

Nous avons tiré beaucoup de leçons sur l’application régulière de la loi grâce aux mesures prises pour contrer les préjudices en ligne. Ainsi, la décision de bloquer l’accès à un site Web doit relever d’un ministre, mais supposons que cette responsabilité soit transférée à un autre organe. Quelle en est la structure? S’agit-il d’un processus transparent? Sait-on quelles sont les règles? Y a-t-il une possibilité d’appel? À quel point le libellé est-il précis? A-t-on même la possibilité d’être entendu? Comment le tout fonctionne-t-il pour que nous puissions reproduire les éléments propres à l’application régulière de la loi? Par exemple, si nous examinons la procédure de blocage de sites Web au Royaume-Uni, le tout se fait par voie judiciaire. Cela ne se fait pas par l’entremise d’un ministre, ni même d’une sorte d’organisme ou de tribunal. C’est prévu dans la Copyright, Designs and Patents Act, soit la loi britannique sur le droit d’auteur, les dessins et modèles et les brevets. Il faut s’adresser à la cour, et on dispose alors de toutes les structures habituelles d’un système judiciaire. Ce sont là quelques-uns des moyens susceptibles de régler, à tout le moins, certains des problèmes.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins.

L’avantage d’intervenir vers la fin, c’est que beaucoup de questions ont déjà été posées. Je vais donc vous donner l’occasion — en commençant par Mme Laidlaw, puis Me Hurley — d’approfondir certains des points que vous avez déjà soulevés.

Madame Laidlaw, vos travaux portent sur la responsabilité sociale des entreprises. Ayant moi-même œuvré dans le système de justice pénale et dans des domaines connexes pendant environ 40 ans, je constate qu’une des difficultés est la suivante : chaque fois que nous criminalisons quelque chose, ce sont souvent les gens les plus susceptibles d’être pris dans l’engrenage qui sont les plus faciles à attraper. Ainsi, les personnes les plus marginalisées, qui ont peut-être elles-mêmes été exposées à la traite des personnes ou à l’exploitation, pourraient finir par être visées. Je suis curieuse de savoir si, en plus de ce que vous avez déjà dit, vous avez d’autres suggestions de mesures que nous pourrions prendre pour assurer une protection contre ces réalités. Je vous remercie.

Mme Laidlaw : C’est une excellente question. Je dirais deux choses.

L’une des répercussions du projet de loi, dans sa version actuelle, c’est que seuls les gros joueurs se conforment à ces règlements précis. Il faut faire attention à cet aspect parce que cela pourrait avoir des conséquences pour les groupes marginalisés; je crois que c’est un risque bien réel en raison du libellé actuel. Toutefois, d’après ce que j’ai entendu de la part des membres du comité, il y aurait lieu de restreindre le libellé du projet de loi parce que, dans l’état actuel des choses, il s’applique à tout le monde. Imaginons, par exemple, un site Web créé par des gens qui n’ont pas nécessairement les moyens d’essayer de contourner ou d’éviter leurs obligations. Quoi qu’il en soit, certaines personnes seront plus vulnérables que d’autres dans une telle structure.

Selon moi, il faut choisir entre deux options : ou bien vous laissez tomber les objectifs de cette mesure législative et vous mettez davantage l’accent sur les efforts de sensibilisation — autrement dit, vous n’allez pas de l’avant avec le projet de loi —, ou bien vous adoptez certaines des modifications que j’ai recommandées tout à l’heure pour cibler plus précisément les intervenants que vous souhaitez réglementer au moyen du projet de loi.

Me Hurley : Oui, je suis tout à fait d’accord avec Mme Laidlaw. J’ignore si c’est simplement parce que le projet de loi est en avance sur son temps et que nous n’avons pas la technologie nécessaire pour l’appliquer, mais si nous voulons mieux cibler le tout, comme la sénatrice Pate l’a indiqué, nous nous contentons toujours de nous en prendre aux proies faciles ou aux petits poissons. Ils sont plus faciles à attraper. Or, ce n’est pas ce que nous voulons faire ici. Par conséquent, peut-être que le fait de mettre l’accent exclusivement sur la diffusion à des fins commerciales et les sociétés... Nous connaissons tous le danger que présente une telle approche : il suffit de fermer l’entreprise et de passer à autre chose. Nous voulons nous en prendre aux acteurs au sein de l’entreprise. Je ne suis pas sûr de la solution, bien franchement, sénatrice Pate. Je travaille dans ce domaine depuis trois décennies, et force est de constater que nous nous attaquons toujours aux proies faciles et aux petits poissons. Il est rare qu’on représente les gros poissons. Ils s’enfuient et, malheureusement, je ne sais pas comment régler le problème.

La présidente : Il nous reste quelques minutes avant qu’il soit l’heure de lever la séance. Il y a une question qui m’a donné du fil à retordre. Je me suis dit que vous seriez le mieux placé pour y répondre. L’actus reus et la mens rea de l’infraction sont prévus à l’article 4 : fournir du matériel sexuellement explicite à des mineurs. En d’autres termes, quelles activités sont précisément interdites par le projet de loi? Quel est l’élément mental nécessaire pour qu’un accusé soit déclaré coupable? Faut-il qu’il ait intentionnellement rendu accessible à un jeune du matériel sexuellement explicite à des fins commerciales, ou suffit-il qu’il ait été insouciant et négligent au moment de le faire?

Me Hurley : Dans la version française, à tout le moins, avec l’inclusion du mot « consenti », je crois que la mens rea est très faible et qu’elle est inférieure à la norme de mens rea en matière criminelle. L’actus reus désigne, en l’occurrence, l’omission de faire quelque chose : par exemple, le fait de ne pas configurer adéquatement le site pour empêcher les enfants d’y avoir accès lorsqu’il n’y a peut-être pas de vérification d’âge suffisante à cette fin. L’actus reus correspond donc à l’inaction, ce qui est prévu dans le Code criminel. Ces cas sont un peu compliqués. Selon moi, la mens rea est bien inférieure à la mens rea en matière criminelle, malgré une sanction criminelle. Ce serait donc ma première attaque contre le projet de loi si je devais représenter quelqu’un.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Hurley.

Madame Laidlaw, j’avais une question à vous poser, mais nous n’avons plus de temps. Je suis donc obligée de la mettre de côté.

Je tiens à vous remercier tous les deux. Nous avons trouvé la discussion très intéressante, comme vous avez pu le constater d’après les questions qui vous ont été posées. Vous avez travaillé fort pour nous éclairer. Merci à vous deux. Nous serons heureux de collaborer avec vous à l’avenir.

Chers collègues, la semaine prochaine, nous entreprendrons l’étude article par article. C’est le dernier jour d’étude du projet de loi. Merci beaucoup à vous tous de votre présence.

(La séance est levée.)

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