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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 2 février 2021

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 9 heures [HE], par vidéoconférence pour étudier la teneur du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer présidente occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs, je constate que nous avons le quorum et je déclare la séance ouverte. Je m’appelle Mobina Jaffer, je suis sénatrice de la Colombie-Britannique et j’ai le plaisir de présider ce comité.

Aujourd’hui, nous tenons une autre séance hybride. Comme nous avons pu le constater, les réunions hybrides peuvent présenter bien des difficultés, et je vous demande donc, chers collègues, de vous montrer patient avec le greffier et moi-même. Si des difficultés techniques surviennent, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez en aviser le greffier au moyen de la fonction de clavardage. Il tâchera alors de les régler, comme d’ailleurs tout autre problème technique qui lui sera signalé.

Chers collègues, je ferai de mon mieux pour que vous puissiez tous poser des questions aux témoins, mais, pour cela, je vous demande de nouveau de vous en tenir à des questions et à des préambules succincts afin de nous assurer de pouvoir entendre tous les témoins. Je vous rappelle que la plupart des membres du comité voudront interroger les témoins. Je demande donc à ceux d’entre vous qui prévoyez ne pas poser de question de fair e signe au greffier par le truchement de Zoom. Dans le cas contraire, j’inviterai tous les membres du comité à poser des questions. Ceux qui ne sont pas membre du comité et qui voudraient poser une question sont priés d’en aviser le greffier. Je ferai alors de mon mieux pour les accommoder, mais je vous préviens que le temps pourrait manquer, puisque pour cela, puisque nous devons entendre sept groupes ce matin.

Mesdames et messieurs les témoins, j’aimerais présenter les sénateurs qui sont membres du comité ainsi que d’autres sénateurs, soit la sénatrice Boniface et la sénatrice Boyer.

[Français]

Nous accueillons également le sénateur Carignan, qui est porte-parole du projet de loi.

[Traduction]

Sont également présents le sénateur Cotter, la sénatrice Dupuis, la sénatrice Griffin, le sénateur Harder, la sénatrice Keating, le sénateur Tannas, le sénateur Gold, membre d’office, le sénateur Plett, également membre d’office, et le sénateur Woo.

Nous avons aussi plusieurs non-membres qui participent à cette importante étude.

[Français]

Nous accueillons également la sénatrice Petitclerc, qui est la marraine du projet de loi.

[Traduction]

Nous souhaitons donc également la bienvenue au sénateur Kutcher, à la sénatrice Moodie, à la sénatrice Seidman, à la sénatrice Pate, à la sénatrice McCallum et à la sénatrice Miville-Dechêne.

Chers collègues, je tiens à attirer votre attention sur le fait que nous avons éprouvé hier des difficultés exceptionnelles avec les témoignages. Je tiens à adresser un remerciement tout spécial à Mark Palmer qui, avec compréhension et persuasion, a réussi à établir la communication avec des témoins que nous n’aurions pas eu la possibilité ou le privilège d’entendre autrement. Je tiens à remercier le personnel du service multimédia, qui a également travaillé fort pour nous permettre d’entendre ces riches témoignages. Grand merci aussi aux interprètes, qui ont tous travaillé avec patience et diligence pour suivre certains de nos témoins. Si nous avons pu entendre les riches témoignages d’hier, c’est parce que les interprètes ont travaillé de près avec les témoins. J’adresse également mes remerciements aux témoins.

Chers collègues, nous avons de très nombreux témoins aujourd’hui et je vais donc céder sans plus tarder la parole au premier d’entre eux, M. Scott Robertson, associé principal, Nahwegahbow Corbiere, Association du Barreau autochtone. Monsieur Robertson, vous avez la parole pour sept minutes. Merci.

Scott Robertson, associé principal, Nahwegahbow Corbiere, Association du Barreau autochtone : Je vous remercie beaucoup, madame la présidente, ainsi que les vice-présidents et membres du comité, de me donner l’occasion de participer à ces importantes discussions.

Je voudrais, dès le départ, reconnaître que nous sommes réunis sur le territoire non cédé de la nation algonquine et faire appel à ses lois et à ses enseignements pour nous guider dans nos discussions.

Je m’appelle Scott Robertson. Je suis un Mohawk des Six Nations de la rivière Grand. Je suis avocat au cabinet Nahwegahbow Corbiere et ancien président de l’Association du Barreau autochtone.

L’Association du Barreau autochtone, pour ceux qui ne le sauraient pas, regroupe des avocats, universitaires, parajuristes, juges et aînés autochtones de partout au Canada. Elle a pour mandat de promouvoir l’avancement de la justice sociale et juridique pour les peuples autochtones, ainsi que la réforme des politiques et des lois qui les touchent. C’est dans cette optique que je traiterai des propositions de modification du Code criminel en matière d’aide médicale à mourir.

Je pense qu’il importe de rappeler l’objectif primordial du projet de loi dont vous êtes saisis, c’est-à-dire assurer le respect des droits des personnes qui n’ont pas la capacité de mettre paisiblement fin à leur vie, au moment et de la façon qu’elles ont choisis.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais souligner les efforts de la British Columbia Civil Liberties Association et, plus précisément, de son conseiller juridique, Joseph J. Arvay. Malheureusement, M. Arvay est décédé en décembre, et nous prenons sur nous de poursuivre son travail de défense des plus vulnérables.

Mes observations porteront aujourd’hui sur deux grands points, soit la discrimination systémique à l’égard des Autochtones dans le système de soins de santé actuel, puis le manque de consultation et d’accommodement pour s’attaquer sérieusement à cette discrimination continue dans l’élaboration des propositions actuelles de modification de la loi.

Les points de vue que j’exprime aujourd’hui ne visent aucunement à représenter les peuples autochtones comme étant homogènes. Les premiers habitants de ce pays sont des peuples diversifiés, riches sur le plan culturel et dynamique, chacun avec ses lois, ses visions du monde et ses perspectives. Cela comprend le droit de mourir. Chez certains peuples autochtones, la mort doit être accompagnée de cérémonies, de remèdes et de prières qui guideront l’âme dans son retour vers le monde des esprits. Il est important de tenir compte de ces points de vue particuliers au moment de discuter des modifications proposées dont vous êtes saisis.

En février 2020, le ministre de la Justice, M. Lametti, et le secrétaire parlementaire, M. Virani, ont organisé une table ronde sur ce projet de loi en vue de recueillir les points de vue des Autochtones. Les participants représentant des organismes de santé autochtones ont exprimé les opinions suivantes : les peuples autochtones sont confrontés à beaucoup de difficultés particulières en matière de prestation des soins de santé, dont une grande partie découle directement de traumatismes historiques et intergénérationnels; les peuples autochtones continuent de subir des préjudices et de la violence au sein du système de santé, y compris de la violence verbale et physique de la part du personnel hospitalier et des professionnels de la santé, un accès à des soins culturels sûrs systématiquement limité, tant sur le plan géographique que financier, des interventions médicales forcées, contre leur gré et sans leur consentement, le refus d’administrer les services de santé essentiels, y compris les médecines et pratiques traditionnelles, ainsi qu’un manque général de diversité et de sensibilité culturelles au sein de la profession de la santé.

Bien qu’il soit généralement reconnu comme un important déterminant de la santé, l’accès aux services de santé n’est toutefois pas offert de façon égale ou universelle à tous les Canadiens. Plus particulièrement, les peuples autochtones demeurent aux prises avec des obstacles aux soins de santé, ce qui entraîne, sur le plan de la santé, des disparités importantes et continues entre eux et les autres Canadiens.

Les peuples autochtones éprouvent des difficultés particulières quant à l’accessibilité des services de santé dans toutes les régions géographiques; toutefois, les difficultés sont plus aiguës dans les collectivités rurales, éloignées et nordiques. Le caractère rural, l’éloignement et la faible population des collectivités dans ces régions font qu’il est difficile de recruter et de garder les professionnels de la santé, avec le résultat que de nombreuses collectivités souffrent d’une grave pénurie de personnel médical. Or, aucun de ces problèmes n’est visé par le projet de loi.

Des temps d’attente plus longs, des coûts de déplacement prohibitifs, des services insuffisants et un manque général de financement sont systémiques dans le système de santé autochtone. Toutes ces questions pourraient avoir une incidence sur l’AMM.

Mais le plus troublant, c’est le racisme systémique envers les Autochtones qui accèdent au système de soins de santé. Des cas récents, comme celui de Brian Sinclair, découvert mort d’une infection traitable de la vessie après 34 heures d’attente à la salle d’urgence du Centre des sciences de la santé de Winnipeg, ou celui de Joyce Echaquan, 37 ans, mère de sept enfants, de la Première Nation atikamekw, houspillée par le personnel hospitalier parce qu’elle réclamait de l’aide depuis son lit d’hôpital, sont des exemples de discrimination contre des Autochtones dans leur état le plus vulnérable.

C’est dans ce contexte qu’il faut examiner les modifications proposées au Code criminel relatives à l’aide médicale à mourir. Ce projet législatif ne dit rien sur la façon d’aborder ces questions critiques pour la prestation de soins de santé à plus de 1,6 million d’Autochtones. Cette situation est inacceptable et se révèle bien en deçà de l’engagement pris par le gouvernement d’en arriver à la réconciliation avec les peuples autochtones.

Une réconciliation authentique doit se fonder sur une relation de respect envers les communautés autochtones. La préparation et la rédaction de ces modifications ont été tout sauf respectueuses et se sont faites à peu près complètement sans apport ou réflexion de la part des peuples autochtones.

Tous les parlementaires, les sénateurs et ce comité en particulier, ont un rôle à jouer pour faire en sorte que les lois qui pourraient se répercuter sur les peuples autochtones soient pleinement examinées et formulées dans le but de faire progresser la réconciliation et de mieux protéger les personnes les plus vulnérables de la société.

Certaines communautés autochtones craignent que les modifications proposées ne causent d’autres préjudices aux peuples autochtones. Tyler White, chef de la direction des Siksika Health Services, que vous entendrez plus tard aujourd’hui, comparaissant devant le comité parlementaire chargé d’étudier le projet de loi C-7, a fait la déclaration suivante:

L’expansion de l’aide médicale à mourir envoie un message contradictoire à nos gens : on devrait faire de la prévention du suicide auprès de certaines personnes et apporter de l’aide au suicide à d’autres.

Pour redresser les torts historiques, favoriser la réconciliation et mettre fin au racisme systémique à l’endroit des Autochtones au sein du système de soins de santé, le comité devrait entreprendre des consultations exhaustives et valables auprès des peuples autochtones. Les fournisseurs de soins de santé qui travaillent dans les communautés autochtones doivent être consultés pour faire en sorte ce que l’AMM soit mise en œuvre et administrée d’une manière respectueuse et culturellement acceptable, à défaut de quoi les préjudices et le racisme que subissent les peuples autochtones risquent de s’en trouver accrus. Le comité a beaucoup à faire pour concilier cette loi avec les points de vue et les intérêts des peuples autochtones. Il reste à voir comment cela se fera dans les délais fixés par le Parlement.

En terminant, l’Association du Barreau autochtone tient à remercier le comité de l’occasion qui lui a été donnée de témoigner aujourd’hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions sur ces modifications d’une importance capitale.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Robertson.

J’aimerais vous présenter la sénatrice Batters, vice-présidente du comité, le sénateur Boisvenu et la sénatrice LaBoucane-Benson, qui se joignent à nous pour entendre les témoins. Je les remercie de leur présence.

[Français]

Nous poursuivons avec le groupe suivant. Du Barreau du Québec, nous sommes heureux d’accueillir Me Jean-Pierre Ménard et Me Marie-Nancy Paquet.

Vous avez la parole.

Me Jean-Pierre Ménard, avocat, Barreau du Québec : Mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, j’ai le plaisir de comparaître devant vous aujourd’hui pour vous présenter la position du Barreau du Québec sur...

[Difficultés techniques]

La présidente : Je suis désolée, maître Ménard, il y a un petit problème avec l’interprétation. Je suis désolée.

[Traduction]

Mark Palmer, greffier du comité : Madame la présidente, la séance pourrait-elle être suspendue un moment, s’il vous plaît, le temps de vérifier ce qui se passe?

La présidente : Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes pour tenter de régler le problème. Je vous remercie de votre patience, chers collègues.

[Difficultés techniques]

[Français]

Me Ménard : Madame la présidente, le Barreau du Québec vous remercie de l’avoir convoqué à cette réunion pour discuter des travaux entourant le projet de loi C-7. Je suis accompagné de Me Marie-Nancy Paquet. Notre présentation sera divisée en deux parties et résulte du dépôt d’un projet de loi très attendu de la part du gouvernement fédéral, faisant suite au jugement de la Cour supérieure rendu par l’honorable Christine Baudouin dans la cause de Jean Truchon et Nicole Gladu contre le procureur général du Canada et le procureur général du Québec. Ce jugement a conclu à l’inconstitutionnalité du critère de « mort naturelle raisonnablement prévisible » que l’on retrouvait dans la loi fédérale. Je tiens à dire d’emblée que j’ai plaidé la cause de M. Truchon devant la Cour supérieure. J’étais l’avocat de M. Truchon depuis 2017 et je l’ai été jusqu’à son décès l’an dernier. C’est une cause que je connais très bien, et je vais en faire ressortir quelques éléments.

Le projet de loi C-7 était très attendu de la part du barreau et de l’ensemble des intervenants dans ce domaine. Nous attendions de voir de quelle façon le gouvernement fédéral répondrait à cette décision. Nous avons pris connaissance du projet de loi, et je ne vous cacherai pas que nous avons été très déçus de son contenu. Le projet de loi contient quelques éléments positifs, comme la disparition de la mort prévisible comme critère d’accès à l’aide médicale à mourir. Ce critère a été abrogé dans le projet de loi, mais on y a instauré une autre forme d’accès aussi difficile.

Essentiellement, le projet de loi qui remplace l’ancienne loi prévoit donc maintenant de diviser en deux groupes les personnes qui requièrent l’aide médicale à mourir; celles dont la mort sera prévisible et ceux dont la mort ne sera pas prévisible. Pour celles dont la mort est prévisible, les conditions demeurent sensiblement les mêmes, avec quelques légères améliorations, en ce qui concerne le consentement final, et quelques aménagements simples pour favoriser la mise en œuvre de la loi. Cependant, le sort réservé aux personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible est vraiment préoccupant. Pour ces personnes, une catégorie spéciale a été instaurée et elle place les demandeurs sous un autre ordre. Ces gens devront attendre 90 jours pour que leur demande soit acceptée avant que l’on procède à l’aide médicale à mourir. Ce groupe est également assujetti à d’autres conditions dans le projet de loi.

Cela signifie qu’on se retrouve avec deux catégories de personnes, soit celles qui ont besoin de l’aide médicale à mourir et qui répondent aux critères sans problème, et celles dont la mort n’est pas prévisible. La situation sera beaucoup plus compliquée pour ces personnes.

Le Barreau du Québec trouve inacceptable qu’on se retrouve avec deux groupes, car certaines personnes sont dans la même situation. Nous proposons tout simplement d’abolir ou d’abroger cet article, parce que l’on crée deux catégories de citoyens et que l’on sous-entend aussi que les gens dont la mort n’est pas prévisible sont plus vulnérables ou ont besoin d’y penser un peu plus longtemps. Or, ce n’était pas l’esprit du jugement Truchon ni ce qu’on attendait du projet de loi. Par conséquent, nous aimerions que cette disposition soit retirée et qu’on laisse place à ce que dit le jugement Truchon.

Je vais maintenant laisser Me Paquet conclure.

Me Marie-Nancy Paquet, avocate, Barreau du Québec : On ne pourrait avoir une réflexion complète sur les enjeux constitutionnels propres aux critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir sans aborder un autre critère exigé par le Code criminel, soit celui du déclin avancé et irréversible des capacités de la personne souhaitant y recourir.

Au-delà de la déclaration d’inconstitutionnalité du critère de la mort raisonnablement prévisible, en vertu du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, la décision Truchon a également mis en lumière l’incompatibilité de ce critère avec les balises constitutionnelles énoncées par le plus haut tribunal du pays. Dans l’arrêt Carter, ni le critère de la mort raisonnablement prévisible ni celui du déclin avancé et irréversible des capacités n’ont été retenus par la Cour suprême à titre de critères justifiant de baliser l’accès à l’aide médicale à mourir de façon acceptable d’un point de vue constitutionnel. Tant l’arrêt Carter que la décision Truchon ont été l’occasion de statuer qu’un régime permissif comportant des garanties adéquatement conçues et appliquées pouvait protéger les personnes vulnérables contre les abus et les erreurs, et que la vulnérabilité peut être évaluée au cas par cas, au moyen des procédures suivies par les médecins lorsqu’ils évaluent le consentement éclairé et la capacité décisionnelle dans le contexte de la prise de décision d’ordre médical de façon plus générale. Rien, du point de vue légal, ne justifie d’ajouter aux critères établis.

Dès 2017, lors de la présentation du projet de loi C-14, qui visait à légaliser l’aide médicale à mourir au Canada à la suite de l’arrêt Carter, le Barreau du Québec soutenait que le critère de la mort raisonnablement prévisible, tout comme celui du déclin avancé et irréversible des capacités, étant donné qu’ils n’avaient pas été retenus par la Cour suprême, étaient susceptibles d’être contestés avec succès devant les tribunaux, et le Barreau du Québec recommandait donc leur suppression. Aujourd’hui, nous maintenons cette position. La décision Truchon nous aura donné raison en ce qui concerne l’inconstitutionnalité du critère de la mort raisonnablement prévisible et nous soutenons que, encore une fois, ce n’est qu’une question de temps avant que le critère du déclin avancé et irréversible des capacités ne soit, lui aussi, considéré comme inconstitutionnel par nos tribunaux. Ce faisant, l’alinéa 241.2(2)d) du Code criminel devrait être supprimé.

Nous vous remercions encore une fois d’avoir convié le Barreau du Québec à partager avec vous ses réflexions et recommandations concernant le projet de loi C-7, et nous sommes évidemment disponibles pour répondre à vos questions.

La présidente : Je vous remercie pour vos présentations.

[Traduction]

Nous allons maintenant passer à M. Adams, vice-doyen et professeur à la Faculté de droit de l’Université de l’Alberta. M. Adams a écrit sur la façon d’équilibrer les droits constitutionnels dans les cas d’aide médicale à mourir.

Eric Adams, vice-doyen et professeur de droit, Faculté de droit de l’Université de l’Alberta, à titre personnel : Bonjour. Pouvez-vous m’indiquer si ma connexion audio est bonne? J’ai eu un peu de difficulté tout à l’heure.

M. Palmer : Assurez-vous de parler tout près du microphone et de parler lentement et clairement. Merci.

M. Adams : Bonjour. Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui.

Mon point de vue est celui d’un constitutionnaliste et d’un avocat, mais aussi, comme beaucoup d’entre nous, celui d’un Canadien qui connaît personnellement les vulnérabilités des personnes handicapées ainsi que les souffrances prolongées exacerbées par le régime actuel d’aide médicale à mourir, fermé à un trop grand nombre de personnes qui veulent y recourir.

En décembre dernier, j’ai rédigé un rapport à l’intention du sénateur Brent Cotter dans lequel j’exposais certains des problèmes constitutionnels liés au projet de loi C-7. Ceux qui souhaiteraient en avoir une copie n’ont qu’à s’adresser au bureau du sénateur Cotter.

Mes propos aujourd’hui porteront principalement sur ce qui me paraît être les questions constitutionnelles les plus pressantes soulevées par ce projet de loi.

Je dirai d’entrée de jeu que la réglementation juridique de la mort est aussi ancienne que la vie elle-même, mais restons-en à l’histoire juridique moderne du Canada. Le Parlement a décriminalisé la tentative de suicide en 1972, mais sans modifier la disposition faisant de l’aide ou de l’incitation au suicide un crime. Cette disposition a été confirmée — comme vous le savez, j’en suis sûr — par la Cour suprême du Canada en 1993 dans l’affaire Rodriguez, mais elle a été invalidée en 2015 dans l’arrêt Carter. Le régime législatif modifié, entré en vigueur en 2016 à la suite de l’arrêt Carter, a récemment été déclaré inconstitutionnel à certains égards par la Cour supérieure du Québec dans l’arrêt Truchon, dont vous venez d’entendre parler. C’est cette affaire qui est à l’origine du processus de révision législative en cours.

S’il y a un fil conducteur qui relie cette jurisprudence s’étirant sur plusieurs décennies, les débats parlementaires, les travaux de recherche et les études juridiques sur l’aide médicale à mourir, c’est bien celui-ci : les questions qu’elle soulève sont fondamentales, elles vont au cœur même de nos intuitions morales sur ce que signifie vivre bien et mourir. Pour répondre à ces questions, les gens continueront de pondérer différemment les valeurs d’autonomie, de dignité, de liberté et d’égalité, qui sont les concepts clés de notre ordre constitutionnel.

Le suicide assisté constitue un domaine de politique particulièrement difficile parce qu’il soulève une gamme de positions constitutionnelles directement contradictoires. Certains soutiennent que l’accès à l’aide médicale à mourir prévu dans le projet de loi C-7 est inconstitutionnellement permissif, d’autres qu’il est inconstitutionnellement contraignant. D’autres encore supposeront que l’équilibre naît de l’opposition des contraires, signe que cet assemblage législatif représente le juste milieu.

Il peut sembler, dans des moments comme ceux-là, que la Constitution, ou la Charte des droits et libertés, est le chas d’une aiguille bien difficile à enfiler. Bien qu’il soit sans doute vrai que la Charte impose des limites définies à la portée du droit en matière de l’AMM, je ne pense pas que la Charte doit être vue comme les instructions d’assemblage d’une étagère de chez Ikea qui, si elles n’étaient pas suivies avec précision, finirait par s’effondrer dans votre salon. La Charte permet aux parlementaires d’adopter des textes de loi, bons ou mauvais, mais à l’intérieur des balises de la Charte. La tâche du Parlement consiste à adopter de bonnes lois. Néanmoins, quel que soit le régime qui sera promulgué, des contestations constitutionnelles relatives à l’AMM sont prévisibles.

Permettez-moi donc de me pencher sur l’argument qui veut que le projet de loi C-7 accorde un accès trop large à l’aide médicale à mourir du fait qu’il supprime le critère de prévisibilité raisonnable de la mort. Pour qu’un tel argument soit admis, les plaideurs auraient à démontrer que l’autonomie de choix exigée pour avoir accès à un régime juridique d’aide médicale à mourir porte atteinte à leurs droits à l’égalité en vertu de l’article 15 ou à leurs droits à la vie, à la liberté et à la sécurité la personne en vertu de l’article 7. De fait, l’argument revient à dire que, pour protéger les personnes vulnérables susceptibles de mettre fin à leurs jours prématurément, et pour affirmer pleinement la dignité de la vie des personnes handicapées, la possibilité de choisir doit être refusée à certaines catégories de personnes. Des arguments très semblables avancés par le gouvernement du Canada ont été rejetés par la Cour suprême dans l’arrêt Carter, et ils n’ont pas convaincu le juge dans l’affaire Truchon non plus.

Pour décider de cet argument, à savoir que l’élargissement de l’accès contrevient à la Constitution, le tribunal cherchera principalement à déterminer si l’aide médicale à mourir et ses mesures de protection et de sauvegarde protègent adéquatement les personnes vraiment vulnérables tout en permettant à celles qui ne le sont pas de jouir du privilège de choisir. Il me semble que la réponse à cette question ne reposera pas sur l’éloquence de l’argumentation, mais sur le témoignage d’experts médicaux. Tout ce que j’ai vu laisse supposer que les juges accorderont un poids considérable à la valeur constitutionnelle de la liberté pour les personnes de faire des choix fondamentaux au sujet de leur propre vie.

Une contestation constitutionnelle peut aussi reposer sur le point de vue opposé, à savoir que le régime est inconstitutionnellement contraignant du fait qu’il interdit totalement aux personnes qui répondraient par ailleurs aux critères d’accès à l’AMM, mais dont la seule condition médicale invoquée est la déficience mentale. Il ne fait aucun doute que cette distinction fait jouer la garantie des droits à l’égalité de la Charte du fait que la loi traiterait les gens différemment selon la nature de la cause médicale de leurs souffrances. Elle fait également intervenir l’article 7 de la Charte parce qu’elle pourrait inciter certaines personnes souffrantes à mettre fin à leurs jours plus tôt qu’elles ne l’auraient fait autrement ou par des moyens plus douloureux, puisque l’accès à l’aide médicale à mourir leur est refusée.

La loi peut-elle justifier de traiter différemment des personnes atteintes de troubles mentaux extrêmes et incurables par rapport à celles dont les conditions sont de nature physiologique? Il y aura certainement des gens dans cette catégorie. Nous avons déjà vu invoquer des cas de personnes qui ne veulent pas la protection de la loi, mais qui préfèrent avoir la possibilité d’exercer leur autonomie pour mettre fin à leurs souffrances en recourant à l’aide médicale, de la même façon que les autres personnes.

Le gouvernement peut-il maintenir ce traitement différentiel établi dans le projet de loi C-7 comme une limite raisonnable des droits en vertu de l’article 1 de la Charte? Le Canada n’a pas réussi à convaincre les tribunaux qu’il s’agissait d’une limite raisonnable d’interdire l’aide médicale à mourir à tous dans l’affaire Carter, ni à ceux dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible dans l’affaire Truchon. Dans ces affaires, les tribunaux se sont appuyés sur des éléments de preuve qui montraient que les mesures de sauvegarde permettaient de faire la distinction, quant à la liberté de choix, entre les personnes non vulnérables et celles ayant véritablement besoin de protection.

À mon avis, l’exclusion envisagée des personnes dont l’incapacité mentale est la seule condition invoquée ne résistera à un examen constitutionnel que si la preuve montre qu’aucune mesure de sauvegarde, aucun counselling, aucun délai ou régime de consentement ne peuvent faire la distinction entre les personnes vulnérables qui souffrent de troubles mentaux et celles qui consentent vraiment à mettre fin à leur vie et à leurs souffrances. À mon avis, c’est encore une fois une question qui dépendra de la preuve...

La présidente : Monsieur Adams, pourriez-vous conclure, je vous prie?

M. Adams : J’achève. Cette question dépendra de la preuve médicale.

Je terminerai par un passage tiré de l’arrêt Carter de la Cour suprême du Canada:

L’article 7 émane d’un profond respect pour la valeur de la vie humaine, mais il englobe aussi la vie, la liberté et la sécurité de la personne durant le passage à la mort.

Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions. Merci de votre attention.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Adams.

[Français]

Nous accueillons maintenant Jonas-Sébastien Beaudry, enseignant et chercheur en droit de la santé et en droit des personnes handicapées et leur situation, en doctrine et en droits de la personne, qui dirige un groupe d’études sur les handicaps.

[Traduction]

Jonas-Sébastien Beaudry, à titre personnel : Merci.

Le projet de loi C-7 propose de permettre aux personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible d’avoir accès à l’aide médicale à mourir dans des conditions précises qui servent de mesures de sauvegarde. Ces mesures devraient, en principe, protéger les personnes vulnérables et affirmer que le Canada est résolu à reconnaître que la vie de tous les Canadiens est également importante et qu’on ne peut pas y mettre fin à la légère.

L’importance éminente reconnue à la vie et à l’intégrité physique sont quelques-unes des valeurs clés qui sous-tendent les infractions au Code criminel contre la personne, dont le meurtre ou l’aide au suicide. L’aide médicale à mourir est en contraste avec ces infractions et définie comme une sphère normative exceptionnelle au sein de laquelle l’État peut permettre de mettre activement fin à des vies humaines pour des motifs de respect et de compassion. Cet empiétement soigneusement délimité sur l’engagement constitutionnel de l’État à l’égard de la valeur de la vie serait désormais élargi pour inclure les personnes qui ont le choix de vivre, mais qui choisissent de mourir.

Sur le plan juridique, il y a au moins deux façons de formuler les préoccupations soulevées par le projet de loi C-7 qu’on peut raisonnablement avoir et que partagent certaines personnes handicapées. L’une est fondée sur les droits à l’égalité et l’autre sur les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité. Elles reposent, respectivement, sur les articles 15 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

En ce qui concerne l’inégalité et la discrimination injustifiée, la suppression de l’exigence d’imminence de la mort dans la loi ne ciblerait non seulement les déficiences graves liées à la mort imminente, non seulement les personnes handicapées mourantes, mais légaliserait également l’euthanasie et le suicide assisté pour l’ensemble de la population de personnes ayant une incapacité grave et permanente.

Les personnes gravement handicapées ont toujours fait l’objet de diverses formes d’injustice, comme l’injustice distributive, lorsqu’elles ne reçoivent pas les biens collectifs ou les soutiens qui rendraient leur vie tolérable, et moins encore qui l’enrichiraient. Il y a aussi une justice épistémique, lorsque chercheurs et praticiens supposent que leur qualité de vie et leur bien-être sont inférieurs à ce qu’ils sont en réalité. Leur humanité même et leur identité juridique ont été remises en question et leur vie menacée ou terminée. Il serait irresponsable de lire le projet de loi C-7 en faisant abstraction de cette longue histoire de stigmatisation.

Le projet de loi C-7 fait en sorte que le cadre de l’AMM ne concernerait plus uniquement les mourants et la façon dont ils devraient mourir. Il s’agirait désormais de juger si la vie de non-mourants vaut vraiment la peine d’être vécue. Il ouvre l’AMM non seulement aux personnes handicapées en fin de vie, mais aussi aux citoyens canadiens qui sont gravement handicapés, tout comme ils pourraient être noirs, autochtones ou musulmans.

Telle est l’analogie faite par le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, le rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les droits de la personne et l’expert indépendant sur la jouissance de tous les droits de l’homme par les personnes âgées. Ils ont

… exprimé une vive inquiétude devant la tendance croissante à adopter des lois permettant l’accès à l’aide médicale à mourir fondé principalement sur l’incapacité ou des conditions incapacitantes, y compris à la vieillesse…

« La loi ne devrait en aucun cas disposer que ce serait raisonnable qu’une personne atteinte d’une incapacité qui ne meurt pas puisse décider de mettre fin à ses jours avec le soutien de l’État. »

Pourtant, c’est ce traitement différentiel que le projet de loi C-7 créerait, compromettant le droit à une protection égale en vertu de la loi.

Si nous voulons éviter de porter des jugements de valeur très controversés au sujet de la vie et laisser les gens décider eux-mêmes ce qu’est une vie qui vaut la peine d’être vécue, pourquoi alors ne pas permettre à tout citoyen canadien de recevoir de l’aide pour mettre fin à ses jours? La réponse, bien sûr, c’est que nous accordons une grande valeur à la vie. Pourquoi ne pas l’accorder à la vie des personnes handicapées également?

Répondre que les handicaps graves sont parfois corrélés à des vies intolérables, ce serait user d’une généralisation probabiliste qui a été réfutée dans les études sur le bien-être et l’incapacité. Il est certain que l’État doit peaufiner son cadre législatif pour éviter les généralisations inutiles et stigmatisantes.

À tout le moins, il est de notre devoir, en tant que société engagée à respecter la vie, la liberté et l’égalité, de veiller à ce que des ressources et des soutiens suffisants soient fournis aux personnes qui envisagent l’aide médicale à mourir afin que ces citoyens canadiens ne meurent dans le désespoir, ne meurent pas à cause de négligence et d’injustice sociale, ne meurent du fait des insuffisances des soins et des arrangements de soutien, qui les laissent pauvres, seuls, sans ressources et sans accès à des sources de réconfort qui rendraient leur vie tolérable.

Dans sa version actuelle, le projet de loi C-7 ne fait que simuler le respect de ces obligations positives de l’État en ce qui concerne les déterminants sociaux de l’autonomie, de la vie et de la sécurité aux alinéas 241.3(1)g) et 241.3(1)h), qui exigent que le médecin ou l’infirmier praticien informe le patient des services de counseling et des soutiens et services communautaires aux personnes handicapées qui pourraient aider à atténuer ses souffrances, mais qui ne garantissent pas leur disponibilité. Il pourrait s’agir d’une formalité vide de sens plutôt que d’un réel encouragement à voir quelque motif raisonnable de continuer de vivre, le genre d’encouragement que reçoivent tous les Canadiens non handicapés qui envisagent de se suicider.

Les objections évidentes au sujet de la compétence des provinces en matière de soins de santé et de soutien social, ainsi que des droits sociaux, sont prévisibles. J’ai des réponses à ces importantes objections, et je me ferai un plaisir de les communiquer au comité maintenant ou par écrit. N’hésitez pas à communiquer avec moi si vous souhaitez obtenir des renseignements supplémentaires, que je ne suis pas en mesure de vous donner sur-le-champ ou que je n’ai pas le temps de vous donner aujourd’hui. Merci de votre attention.

La présidente : Merci beaucoup.

Nos prochains témoins sont du Conseil canadien des avocats de la défense et sont tous deux membres de son conseil d’administration. Il s’agit de M. Richard Fowler, représentant de Vancouver, et de Lucie Joncas, représentante de Montréal.

Richard Fowler, membre du conseil d’administration, représentant de Vancouver, Colombie-Britannique, Conseil canadien des avocats de la défense : Merci beaucoup. Je débuterai en vous disant que l’heure est très matinale en Colombie-Britannique.

Madame la présidente, honorables sénateurs, comme vous l’avez entendu, je comparais avec Lucie Joncas au nom du Conseil canadien des avocats de la défense. En tant qu’organisme national représentant les avocats de la défense, nous cherchons à préserver le principe essentiel selon lequel le droit pénal doit énoncer clairement la responsabilité éventuelle en cas de violation délibérée, imprudente ou négligente des lois interdisant certains actes.

Cela est particulièrement important dans le contexte de l’aide médicale à mourir qui, comme vous l’avez sûrement entendu dire et comme vous l’entendrez encore, ne fait pas consensus parmi les Canadiens. Il y a d’importants désaccords moraux, éthiques et philosophiques au sujet de l’aide médicale à mourir. Dans ce contexte, en tant qu’avocats de la défense, nous croyons que le droit substantiel doit énoncer clairement le risque éventuel auquel s’exposent les professionnels s’ils ne respectent pas exactement les exigences de la loi, loi qui est nécessairement complexe.

Il faut rappeler que l’article 241 du Code criminel interdit explicitement d’aider ou d’inciter une personne à se suicider. La violation de cet article entraîne une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement.

L’aide médicale à mourir est une exception à cette interdiction générale, à condition que soient respectées les articles qui régissent l’aide médicale à mourir, en particulier toutes les mesures de sauvegarde, qui sont nombreuses dans la loi actuelle et plus encore dans le projet de loi C-7, mais comprennent l’obligation de s’assurer que le patient satisfait à tous les critères d’admissibilité et d’autres mesures de sauvegarde relatives au consentement et à la capacité, ce qui, soit dit en passant, a amené de grands esprits, dans d’autres contextes, à vider leur encrier ou à s’essouffler à en discourir.

Un médecin, un infirmier praticien ou un pharmacien qui omet sciemment de respecter les mesures de sauvegarde, à l’exception des critères d’admissibilité, est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans. C’est l’article 241.3 qui le prévoit. Cependant, la loi actuelle et le projet de loi C-7 ne disent rien du cas où le praticien omet sciemment, par insouciance ou peut-être même par négligence de déterminer que le patient satisfait aux critères d’admissibilité.

Sous le titre des mesures de sauvegarde, à l’alinéa 241.2(3)a), le médecin ou l’infirmier praticien doit être d’avis que la personne satisfait à tous les critères d’admissibilité prévus au paragraphe 241.2(1). Toutefois, sous le titre du non-respect des mesures de sauvegarde, l’article 241.3 exclut expressément comme motif de perpétration d’une infraction le défaut de se conformer à l’obligation de déterminer que le patient répond à tous les critères d’admissibilité. La loi actuelle et le projet de loi C-7 ne disent pas non plus ce qui se passe si un praticien omet par négligence ou par insouciance, plutôt que sciemment, de respecter les mesures de sauvegarde.

Il semble tout à fait clair que si un médecin omet sciemment, par insouciance ou éventuellement par négligence de respecter une mesure de sauvegarde, il pourrait alors être accusé d’aide au suicide du fait que l’exemption qui exige d’agir conformément aux dispositions sur l’aide médicale à mourir ne s’appliquerait pas. De plus, un médecin ou un infirmier praticien pourrait être accusé d’homicide involontaire coupable. Dans certains cas, surtout si le praticien ne s’est pas assuré du consentement ou de la capacité de consentir à l’aide médicale à mourir, il y a, en théorie, la possibilité d’accusation de meurtre.

Comme il s’agit d’un acte qui est au cœur d’un débat moral, éthique et philosophique et d’un acte qui entraîne la mort, cette situation est troublante. Le projet de loi C-7 élargit le droit à l’aide médicale à mourir, augmentant ainsi le risque qu’il y ait des cas où des parents se plaindraient, après coup, que les procédures ou les mesures de sauvegarde appropriées n’ont pas été suivies. Dans le pire des cas, ils pourraient se plaindre que le patient avait en fait retiré son consentement, n’avait jamais consenti ou n’avait pas la capacité de consentir.

Vu la charge émotionnelle de ce débat et le grand nombre de personnes touchées lorsqu’un patient a recours à l’aide médicale à mourir, il est impératif que les conséquences juridiques du non-respect des critères d’admissibilité et de ceux relatifs aux mesures de sauvegarde soient très claires. À l’heure actuelle, l’intersection entre les dispositions sur l’aide médicale à mourir et les infractions de meurtre, d’homicide involontaire coupable, de négligence criminelle causant la mort, d’administration d’une substance nocive et d’aide au suicide, entre autres, n’est tout simplement pas claire.

L’une des conditions préalables pour rendre valide l’aide médicale à mourir est que le médecin soit d’avis que la personne répond à tous les critères d’admissibilité. Cette opinion qu’il se fait repose sur une évaluation de l’état de santé de la personne et sur son consentement éclairé. Ce sont des critères sur lesquels des gens raisonnables peuvent être en désaccord. Mais quel est le degré de désaccord qui pourrait amener quelqu’un à conclure que l’opinion du médecin n’aurait pas dû être retenue parce qu’elle était manifestement déraisonnable? Quelle est la responsabilité du médecin dans ces circonstances? Malheureusement, je pense que, dans la loi actuelle et dans le projet de loi C-7, c’est tout à fait incertain, mais cela pourrait, en théorie, aller jusqu’à une accusation de meurtre ou d’homicide involontaire coupable.

Voilà les idées que je voulais exprimer. Je crois que Mme Joncas a peut-être quelque chose à ajouter. Merci beaucoup, madame la présidente.

La présidente : Merci.

[Français]

Me Lucie Joncas, membre du conseil d’administration, représentante de Montréal, Québec, Conseil canadien des avocats de la défense : Deux préoccupations coexistent également. L’exclusion des personnes atteintes de troubles de santé mentale nous préoccupe. J’ai eu l’occasion d’assister à une conférence avec des gens qui ont expérimenté ces problèmes. Ils espéraient ne pas être exclus si un jour ils sont atteints de maladies qui coexistent avec des problèmes de santé mentale. Ils ont aussi dit qu’ils ne voudraient pas que des gens atteints d’autres maladies ne puissent pas avoir accès à l’aide médicale à mourir.

L’autre préoccupation, c’est l’accès aux personnes qui sont des prévenus ou des détenus et qui vont faire ces demandes. La préoccupation, c’est que l’aide médicale à mourir se fasse à l’extérieur des murs de la prison, et que, pour des raisons humanitaires, ceux qui veulent y avoir accès devront être libérés afin de pouvoir mourir dans la dignité.

Voilà les deux préoccupations supplémentaires du Conseil canadien des avocats de la défense.

La présidente : Merci.

[Traduction]

Nous entendrons maintenant M. David Roberge, membre du Groupe de travail sur la fin de vie de l’Association du Barreau canadien.

David E. Roberge, membre du groupe de travail sur la fin de vie de l’Association du Barreau canadien : Bonjour, madame la présidente et honorables membres du comité. Merci d’avoir invité l’ABC à discuter du projet de loi C-7 aujourd’hui.

[Français]

L’Association du Barreau canadien regroupe plus de 36 000 juristes à travers le pays. Les principaux objectifs de l’ABC sont l’amélioration du droit et de l’administration de la justice.

Notre mémoire a été préparé par le Groupe de travail de l’ABC sur la fin de vie. Ce groupe de travail est composé de représentants qui travaillent dans un grand nombre de domaines d’expertise, notamment le droit constitutionnel, les droits de la personne, le droit de la santé, le droit criminel, le droit des successions, le droit des aînés, le droit des enfants, le droit de la vie privée et de l’accès à l’information.

[Traduction]

Tout en applaudissant aux efforts déployés par le gouvernement pour harmoniser et clarifier la loi sur l’aide médicale à mourir à la suite de la décision rendue par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon, nous avons certaines réserves au sujet du projet de loi C-7. J’aimerais en souligner quelques-unes au cours de mon exposé liminaire.

L’admissibilité à l’AMM devrait être harmonisée avec les critères établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter, en tenant compte de la protection des personnes vulnérables. L’ABC appuie le jugement de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon et signale son interprétation de l’arrêt Carter, à savoir que l’essence de la décision de la Cour suprême n’est pas l’imminence de la mort, mais plutôt la prévention de souffrances intolérables, ainsi que la dignité et l’autonomie de la personne pour ceux qui sont capables de consentir clairement à mettre fin à leur vie. Nous appuyons également une approche axée sur le patient pour ce qui est de la capacité et du consentement, qui est celle retenue par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon.

Pour revenir au projet de loi C-7, à notre avis, la maladie mentale ne devrait pas être exclue du champ d’application de la loi, surtout du fait que l’examen complet de l’aide médicale à mourir qui était initialement prévu pour juin 2020 est maintenant en suspens. Cette exclusion empêcherait un examen approfondi de la question et proposerait une conclusion qui n’aura pas été débattue ou recommandée.

Dans l’arrêt Truchon, la cour a statué que la vulnérabilité doit être évaluée du point de vue individuel par le truchement du consentement éclairé. À notre avis, l’exclusion générale de toutes les personnes souffrant de maladie mentale et l’absence dans le projet de loi C-7 d’un mécanisme permettant à ces personnes d’avoir accès à l’aide médicale à mourir seront vraisemblablement contestées sur le plan constitutionnel parce qu’elles portent atteinte aux droits à l’égalité.

[Français]

Le projet de loi C-7 propose deux séries de mesures de protection différentes à respecter avant d’accorder l’aide médicale à mourir, chacune s’appliquant selon que la mort naturelle de la personne est raisonnablement prévisible ou non. Or, le critère de la mort raisonnablement prévisible, qui a été déclaré inconstitutionnel dans le jugement Truchon, a été source de beaucoup d’incertitude dans la pratique, et le projet de loi C-7 ne donne aucune orientation sur la manière de l’appliquer.

Si ces deux séries de mesures de sauvegarde sont maintenues, nous recommandons que l’on donne des orientations pour éviter toute confusion quant aux mesures applicables et pour garantir un accès approprié à l’aide médicale à mourir.

[Traduction]

Dans un autre ordre d’idées, l’ABC a des réserves au sujet de l’obligation de consulter un praticien spécialiste de l’affection à l’origine des souffrances de la personne. Il faut souvent attendre plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous avec des spécialistes et, dans certaines collectivités, ce n’est pas possible. À l’heure actuelle, rien n’oblige les personnes qui présentent une demande d’AMM à consulter un spécialiste. Il revient aux praticiens de déterminer leur propre niveau d’expertise lorsqu’ils ont à évaluer le consentement éclairé et, au besoin, de faire un renvoi approprié. Bien que certaines situations puissent justifier de demander l’avis d’un praticien ayant une expertise particulière, nous craignons qu’une exigence générale ait un effet disproportionné sur certaines personnes et crée un obstacle de taille à l’AMM.

[Français]

Enfin, le projet de loi C-7 prévoit que la renonciation au consentement final à l’aide médicale à mourir ne s’applique que si la mort est raisonnablement prévisible. Nous sommes d’avis que la renonciation au consentement devait s’appliquer, que la mort soit raisonnablement prévisible ou non, puisque, dans les deux situations, il est possible de perdre la capacité à consentir.

[Traduction]

Au nom de l’ABC, je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de témoigner aujourd’hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions au cours de la séance d’aujourd’hui.

[Français]

La présidente : Merci, maître Roberge.

[Traduction]

Nous allons maintenant passer à notre dernier témoin, M. Daniel Weinstock, professeur et directeur du McGill Institute for Health and Social Policy. Il a étudié les questions relatives à l’accès à l’aide médicale à mourir et en mesure d’y apporter un éclairage constitutionnel et éthique.

Daniel Weinstock, à titre personnel : Merci beaucoup. Je vais faire comme mon collègue et vous remercier, tout en demandant à quelqu’un de me faire voir un pouce levé pour m’assurer qu’on m’entend bien. Merci.

Si vous me le permettez, je vais m’écarter un peu du texte de mon exposé liminaire parce que, étant le dernier intervenant, je veux éviter de répéter ce qui a déjà été dit par d’autres. J’espère que les interprètes me le pardonneront aussi.

Je veux commencer par une affirmation préliminaire, à savoir que je pense que nous tous — sénateurs, députés à la Chambre des communes, juristes — avons la responsabilité envers les Canadiens de bien faire les choses cette fois-ci. Il y a un risque que le débat sur la bonne façon d’institutionnaliser l’AMM dans un ensemble de lois devienne une sorte de joute de ping-pong politico-juridique pour des années à venir et crée de l’incertitude...

M. Palmer : Monsieur Weinstock, je suis désolé de vous interrompre. Je vais vous demander de parler un peu moins vite. Merci.

M. Weinstock : Le risque, c’est qu’il y ait une joute de ping-pong constitutionnel et juridique qui se poursuivra pendant des années, voire des décennies, ce qui créera de l’incertitude et de l’anxiété pour les Canadiens.

Je prends pour point de départ qu’il y a une idée très claire à la base de l’arrêt Carter, réitérée dans l’arrêt Truchon, selon laquelle l’aide médicale à mourir devrait être offerte lorsque la souffrance causée par une condition de santé est jugée intolérable par la personne qui souffre et ne peut être atténuée par aucun moyen. Il y a ici deux idées morales très profondes, celle de la souffrance et de son soulagement, et celle du jugement de la personne sur sa propre souffrance. Nous devons en arriver, de quelque manière, à formuler une loi qui fasse que les personnes qui répondent à ces deux conditions, dont les souffrances sont irrémédiables selon leur propre jugement et celui de médecins praticiens, aient accès à l’aide médicale à mourir et que celles qui ne répondent pas à ces critères n’y aient pas accès, bien qu’il y ait tout lieu de les traiter avec compassion dans le système de santé. Ce que nous voulons donc, c’est un système qui ne soit ni trop exclusif, ni trop inclusif.

Pour ce faire, je pense que nous devons adopter une loi qui tient sérieusement compte des critères établis dans les arrêts Carter et Truchon. Nous devons également adopter une loi que les Canadiens peuvent considérer comme reflétant leurs préoccupations morales à l’égard de la loi. Le problème, c’est que ces préoccupations morales sont, à première vue du moins, divergentes. Certains pensent que la loi ouvre trop grand la porte et d’autres qu’elle ne l’ouvre pas assez. Mais je pense que si on creuse un peu plus on verra que la plupart des Canadiens sont, sur le fond, d’accord avec l’arrêt Carter. Ils ne s’entendent tout simplement pas sur notre capacité d’atteindre cet objectif par des moyens institutionnels, par des mesures de sauvegarde. Je pense que nous le pouvons et je pense aussi que nous pouvons faire mieux.

Quand on se penche sur les objections exprimées ces derniers mois et ces dernières années au sujet du projet de loi, on constate qu’il y a deux groupes différents qui concluent à l’arbitraire. D’une part, les personnes dont la seule condition médicale est un trouble mental et leurs défenseurs se plaignent à juste titre que l’exclusion de leurs souffrances équivaut à ne pas prendre leurs souffrances suffisamment au sérieux et finit par perpétuer les préjugés à l’égard de la santé mentale, à savoir que les problèmes de santé mentale ne sont pas vraiment des problèmes de santé et qu’ils sont donc moins graves. Cela se reflète de plusieurs façons, notamment par l’insuffisance persistante du financement de la santé mentale partout au pays. D’autre part, il y a des membres de la communauté des personnes handicapées qui soulèvent la préoccupation, exprimée ce matin par mon collègue Jonas-Sébastien Beaudry, que le fait de désigner, dans le projet de loi, le handicap physique comme une source particulière de souffrance et ouvrant une voie spéciale à l’aide médicale à mourir, en ce sens que cette désignation y rendrait des gens admissibles, alors que d’autres sources de souffrance ne le feraient pas, perpétue la stigmatisation de ce groupe.

Il existe une réponse très simple à ces deux objections légitimes au sujet du caractère arbitraire et inégalitaire : nous cherchons à atténuer des souffrances que les personnes mêmes jugent intolérables, et le fait que l’origine de cette souffrance soit un problème d’ordre médical importe peu et ne devrait pas être considéré comme un critère d’admissibilité à l’AMM. Ce qui importe, c’est la souffrance et l’évaluation qu’en fait la personne en cause. C’est la seule chose dont il devrait être question dans le projet de loi. Autrement, nous risquons de confirmer ce que craignent les personnes handicapées, soit qu’on juge que leur souffrance a quelque chose de particulier qui les rendrait admissibles à l’aide médicale à mourir, et pas les autres. C’est dans ce sens qu’il faudrait amender le projet de loi à la lumière de préoccupations au sujet du caractère arbitraire et inégalitaire de la disposition.

Il y a un deuxième angle d’attaque. Je voudrais terminer mon intervention en parlant de ce deuxième aspect, sans doute plus sérieux. C’est un point de vue qui a été exprimé par des personnes handicapées, mais pas seulement. Certains ont témoigné du fait que leurs souffrances, bien qu’elles tiennent à un problème de santé au départ, sont aussi grandement accentuées par la façon dont ils sont traités par les systèmes de santé et de services sociaux des provinces où ils vivent.

Nous savons également que bon nombre des problèmes dont il pourrait être tenu compte si, comme je le crois, la santé mentale doit être prise en considération, ne sont pas répartis de façon uniforme dans l’ensemble de la population. Plus concrètement, la recherche en santé mentale nous a appris que la pauvreté, la discrimination et les mauvais traitements pendant l’enfance peuvent être des causes importantes de certains des problèmes de santé mentale qui surgissent plus tard dans la vie et causent des souffrances intolérables.

Notre société doit s’assurer que ceux qui demandent l’AMM le font parce que leurs souffrances sont intolérables en soi et non pas parce qu’elles ont été provoquées par des déterminants sociaux sur lesquels nous pouvons agir au moyen de politiques, dans notre société riche et prospère. Une partie de cette information se situe forcément en amont. Il s’agirait d’une politique sociale qui s’attaque à certaines de ces causes — la discrimination, la pauvreté, la marginalisation, la violence et tout le reste — qui dépassent la portée du projet de loi à l’étude, mais qui devraient néanmoins faire partie de la conception globale de ce que nous devons faire. Dans le projet de loi, il y a des choses que nous...

La présidente : Monsieur, pourriez-vous conclure, s’il vous plaît?

M. Weinstock : Je termine.

Il y a des choses que nous pouvons faire pour régler le problème également, c’est-à-dire élargir la gamme des spécialistes à consulter pour décider s’il y a des solutions sociales qui peuvent être proposées pour alléger les souffrances de la personne. Des travailleurs sociaux spécialisés et d’autres spécialistes semblables pourraient également être mis à contribution.

Je suis désolé d’avoir pris un peu plus de temps. J’ai improvisé à partir de mes notes. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup.

Je tiens à remercier tous les témoins de leur patience. La séance a été exceptionnellement difficile aujourd’hui. Merci de votre patience.

Monsieur Fowler, vous et moi avons dû nous lever très tôt ce matin. Voilà ce que c’est, vivre dans un grand pays.

Honorables sénateurs, nous allons passer aux questions. Nous entendrons d’abord la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc.

Honorables sénateurs, en raison des difficultés que nous avons éprouvées ce matin, nous devrons limiter les questions à quatre minutes. Nous allons poursuivre jusqu’à 11 h 30.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à Me Ménard, du Barreau du Québec. Merci, maître, d’être avec nous, et d’avoir pris le temps, dans votre présentation, de souligner l’importance de la dignité, du droit à l’autonomie et de la capacité des individus à prendre des décisions sur leur propre vie. C’est ce qui m’amène à ma question. Vous avez vous-même parlé de ces mesures de sauvegarde, et vous semblez dire qu’il y en a peut-être trop et qu’elles ne sont pas nécessaires. D’un autre côté, c’est la responsabilité du gouvernement d’établir ces mesures de sauvegarde. Vous l’avez d’ailleurs entendu ici même aujourd’hui, certains groupes, certains organismes et certains individus nous disent au contraire qu’il n’y a pas assez de mesures de sauvegarde; on pense, par exemple, aux 90 jours.

Je veux vous entendre là-dessus : comment établit-on cet équilibre? Qu’est-ce que vous pensez des mesures de sauvegarde qui sont prévues présentement, et quelle serait votre position là-dessus?

Me Ménard : D’abord, les mesures de sauvegarde que nous avons actuellement ont fait leurs preuves. Cela fait presque cinq ans que la loi québécoise existe; il n’y a pas eu de dérapages, et il n’est rien arrivé qui n’aurait pas dû arriver. La juge Baudouin a évalué tout cela aussi, et elle a conclu effectivement que le système faisait la preuve de sa capacité à bien détecter les cas; ceux qui doivent passer passent, ceux qui ne répondent pas aux conditions ne passent pas. Je pense qu’il n’y a pas lieu d’en rajouter.

Deuxièmement, la juge Baudouin a adopté à ce sujet une approche tout à fait correcte, une approche individuelle, basée non pas sur une catégorie de personnes, mais sur chaque individu, pour voir ce que chacun a connu comme conditions et comme expérience de vie, et les raisons pour lesquelles une personne demande l’aide médicale à mourir.

Je pense que cette évaluation individuelle doit rester. Elle a fait ses preuves. Personne n’a été exclu ou inclus de façon abusive dans le processus. Je pense qu’on doit privilégier le maintien de ces critères. L’introduction de deux groupes, en raison du critère de base sur la mort raisonnablement prévisible, est susceptible de générer toutes sortes de difficultés. On ne s’entend pas sur la définition d’une mort raisonnablement prévisible. En 2016, au moment de l’étude du projet de loi C-14, on ne savait pas ce que c’était. On ne sait pas davantage ce que c’est aujourd’hui. C’est un critère non opérationnel qui va conduire à davantage d’incongruités et d’impasses. Au nom de M. Truchon et de Mme Gladu, j’ai attaqué avec succès la loi pour ces motifs-là. Je serais prêt, dès demain matin, à m’attaquer au texte actuel du projet de loi C-7.

La sénatrice Petitclerc : Ai-je encore une petite minute, madame la présidente? Que répondez-vous à ceux qui disent qu’un groupe s’est exprimé au moment des consultations et qu’il a dit que le deuxième volet, avec ces sauvegardes spécifiques, était nécessaire et répondait aux inquiétudes et à un besoin d’équilibre?

Me Ménard : Il n’y a pas d’équilibre à rechercher là-dedans. L’équilibre signifie que chaque cas est traité individuellement. Je pense que l’équilibre est là. Il n’est pas question d’équilibre de groupe. Les personnes handicapées ne sont pas dans un meilleur ou un pire état que le reste de la population. Elles doivent être traitées comme les autres.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

La présidente : Merci, maître Ménard.

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse au Barreau du Québec et à l’Association du Barreau canadien, mais surtout au Barreau du Québec. Dans votre mémoire, vous dites que l’exclusion de la maladie mentale est discriminatoire et qu’on devrait éliminer cette exclusion. D’un autre côté, vous lancez le message qu’on a besoin de faire une plus grande réflexion sur la question de la maladie mentale. Nous sommes pris avec ce projet de loi. Je pense, moi aussi, qu’il est inconstitutionnel sur la question de la discrimination contre les personnes atteintes de maladies mentales, mais d’un autre côté on dit qu’on a besoin d’y réfléchir davantage.

Devrait-on adopter une disposition de temporarisation qui ferait en sorte que cette exclusion durerait au maximum un an, par exemple, pour permettre aux provinces et au gouvernement fédéral de fixer des critères pour ces situations-là? Est-ce qu’une durée d’un an serait suffisamment longue ou trop courte? Cela faisait déjà partie du projet de loi C-14. Nous devions effectuer une étude en juin. La juge prendra sûrement en considération les délais, tant ceux qui sont liés au projet de loi C-14 que les délais actuels, pour juger de la raisonnabilité de cette disposition de temporarisation. J’aimerais vous entendre là-dessus.

Me Ménard : D’abord, on avait prévu de consentir à l’examen des cas des personnes qui ont une maladie mentale. En lisant le préambule du projet de loi, on savait qu’on allait étudier davantage cette question-là, sauf que, dans la loi, il y a une contradiction avec le préambule. On exclut carrément la maladie mentale, et ce, pour une durée qui n’est pas fixée. Il y a une incongruité à ce niveau-là aussi.

On ne peut pas adopter la loi telle qu’elle est écrite à l’heure actuelle. C’est une contrainte supplémentaire pour ces personnes. Cette contrainte n’est pas justifiable et n’est pas justifiée par l’arrêt Carter ni par l’arrêt Truchon plus particulièrement. Quand on regarde le texte de la loi qu’on nous propose, nous ne sommes pas d’accord avec cela. Le texte de loi est beaucoup trop large et beaucoup trop imprécis et il ouvre la porte à une contestation constitutionnelle.

Le sénateur Carignan : Que pensez-vous de la disposition de temporarisation d’un an?

Me Ménard : À titre de compromis, on serait prêt à examiner la question, sauf qu’on devrait avoir une disposition, à l’intérieur de cette disposition de temporarisation, qui prévoit que, dans des cas individuels, le tribunal pourra autoriser l’aide médicale à mourir, le cas échéant. On éviterait que ces règles soient enchevêtrées avec les règles actuelles. Selon les règles actuelles, seules les personnes souffrant de maladies mentales peuvent avoir accès à l’aide médicale à mourir. Elles le peuvent et, dans un nombre limité de cas, cela va fonctionner. Il ne faudrait pas perdre ces acquis, mais le Barreau du Québec n’est pas opposé à ce qu’on étudie davantage la question.

Le sénateur Carignan : Et l’Association du Barreau canadien?

La présidente : Désolée, nous devons poursuivre.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Monsieur Beaudry, vous avez rédigé un document d’opinion très solide qui se termine par l’affirmation suivante : « Le projet de loi C-7, c’est trop peu et trop tôt. » Vous avez également écrit ceci :

Le rôle des médecins et des infirmières dans la confirmation de l’admissibilité à un suicide « raisonnable » apporte un vernis d’objectivité aux considérations éthiques complexes que sont la qualité de vie, le droit à la vie, l’égalité et la discrimination systémique. De plus, ces médecins n’ont pas besoin d’avoir une expertise particulière pour évaluer et traiter la suicidalité dans le contexte de problèmes de santé intolérables...

Dans cette optique, monsieur Beaudry, pensez-vous que les mesures de sauvegarde sont un moyen efficace d’atténuer les dangers que présente le projet de loi pour les personnes handicapées, ou devrait-on rejeter entièrement le projet de loi?

M. Beaudry : Permettez-moi d’y réfléchir un instant.

Je ne peux que vous faire part de quelques considérations, dont l’une est que, si le projet de loi élargit effectivement l’accès à l’aide médicale à mourir, il vaudrait mieux parler d’aide médicale au suicide ou d’euthanasie, car les personnes en cause ne mourraient pas, normalement. Elles ne sont pas mourantes. C’est là que je veux en venir. Elles peuvent choisir de vivre, mais elles optent pour la mort. Donc, les mesures de sauvegarde qui seraient nécessaires dans le projet de loi pour protéger les personnes en cause sont beaucoup plus importantes que celles qui existent actuellement. Bien sûr, une façon de faire, et c’est ce que préconisent, par exemple, certaines personnes handicapées, c’est de dire, qu’il faut tenir la porte mieux fermée. Comme M. Weinstock vient de le dire, beaucoup de gens se demandent si nous devrions ouvrir la porte, la fermer complètement ou l’ouvrir plus ou moins. Ma recherche porte sur le fait que nous parlons d’ouvrir ou de fermer la porte d’un bâtiment qui n’a pas de toit. Ce sont des droits sociaux, et personne n’en parle vraiment. Et c’est ce qui m’intéresse.

La sénatrice Batters : D’accord. Monsieur Beaudry, je vais passer rapidement à un autre aspect.

Trois experts des droits de la personne des Nations Unies ont récemment déclaré dans leur rapport au sujet de l’élargissement du champ d’application de l’AMM aux cas non terminaux que l’invalidité ne devrait jamais être un motif ou une justification pour mettre fin à la vie d’une personne directement ou indirectement.

La grande majorité des personnes handicapées au Canada s’entendent pour condamner le projet de loi C-7, affirmant qu’il favorise les stéréotypes et le capacitisme et qu’il inscrit dans la loi un message adressé aux personnes handicapées : leur vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Auriez-vous l’obligeance de nous renseigner un peu sur les répercussions du projet de loi sur les droits à l’égalité des personnes handicapées garantis par l’article 15 et sur les raisons pour lesquelles, selon vous, le projet de loi ne serait pas protégé par l’article 1 de la Charte? Au besoin, vous serait-il possible de nous communiquer un document après la séance?

M. Beaudry : Bien sûr. J’aime prendre mon temps pour réfléchir à ces choses-là, et j’ai l’impression que, en ce moment, nous sommes bousculés. Je me ferai un plaisir de vous faire parvenir de l’information. Pour esquisser un début de réponse, je dirai que l’idée derrière la position des experts de l’ONU, selon qui il y a discrimination, c’est que les personnes handicapées sont ciblées comme faisant partie des groupes admissibles. Ils sont ciblés par le projet de loi comme aucun autre Canadien non handicapé ne l’est. Bien sûr, on pourrait dire : « Eh bien, ils doivent être gravement handicapés, la situation doit être sérieuse, il doit y avoir une perte de capacité. » C’est tout de même une population très importante qui sera bientôt accueillie dans ce bâtiment sans toit dont je parlais tout à l’heure de façon métaphorique, et cette population a toujours été victime de discrimination. C’est l’argument fondé sur l’article 15 et axé sur le traitement différencié.

La présidente : Merci.

Le sénateur Plett : Monsieur Robertson, merci beaucoup de votre témoignage. Je suis vraiment attristé d’apprendre que, encore une fois, la consultation des Autochtones sur un projet de loi portant sur la vie et la mort a été bâclée à ce point. Il est étonnant que le gouvernement ne comprenne toujours pas tout à fait la question, puisqu’il fait bon marché d’un point de vue aussi important.

J’ai deux questions à vous poser. La première porte sur la protection du droit de conscience des collectivités autochtones. Dans quelle mesure est-il important, monsieur Robertson, que la liberté de conscience soit expressément protégée, du point de vue des Autochtones?

Me Robertson : Merci beaucoup de votre question, monsieur le sénateur Plett. C’est extrêmement important. Les considérations dont j’ai parlé au cours des présentations d’aujourd’hui placent les Autochtones, tout d’abord, dans une catégorie très particulière, et particulière ne veut pas dire avantageuse.

Il y a une discrimination réelle dans le système de soins de santé lui-même à l’égard des Autochtones. Il y a chez eux depuis fort longtemps une méfiance envers le système médical au Canada. Il existe donc un déséquilibre de pouvoir avant même la mise en œuvre du projet de loi sur l’AMM. Et je ne nie pas qu’il puisse y avoir certains principes de l’AMM qui sont très précis et qui s’appliqueraient aux collectivités autochtones. Encore une fois, je tiens à souligner que les points de vue ne sont pas homogènes.

Il faut réfléchir sérieusement à la question sous l’angle de la protection de la liberté de conscience. Nous discutons de lignes directrices et aussi de solutions différentes, de ce que nous pouvons faire pour atténuer certaines de ces souffrances. Le problème, c’est que le projet de loi est rédigé pour ceux qui habitent en face d’un hôpital ou ont accès à des services de santé, et ce n’est pas notre réalité. Ce genre de considération n’entre pas en ligne de compte et n’a aucun effet sur les solutions de rechange. Il est extrêmement important de tenir compte de cette perspective, qui a été négligée.

Le sénateur Plett : Merci. J’ai une autre question à poser. Merci beaucoup de cette réponse. Je sais que la présidente fait preuve de beaucoup de rigueur en nous accordant le temps auquel nous avons droit, mais pas plus.

Monsieur Robertson, vous avez donné une citation de Tyler White, de Siksika, selon laquelle l’élargissement de l’aide médicale à mourir envoie un message contradictoire, soit que certains doivent recevoir l’aide au suicide alors que d’autres devraient avoir droit à des efforts de prévention du suicide. Pourriez-vous expliciter? Pourriez-vous nous expliquer davantage l’impact que le projet de loi pourrait avoir sur les efforts de prévention du suicide dans les collectivités autochtones?

Me Robertson : Il est bien connu que, malheureusement, le taux de suicide dans les collectivités autochtones est bien supérieur à ce qu’on observe dans n’importe quelle nation occidentalisée. Il y a donc un effort considérable de prévention du suicide dans les collectivités des Premières Nations. Aide au suicide et prévention vont donc en sens opposé. S’il s’agit de s’occuper de ce que nous considérons comme des problèmes de santé mentale, il est évident que cela entre en jeu dans l’optique autochtone.

Il faut maintenant tenir compte de la dimension culturelle très forte des collectivités autochtones. C’est presque comme si on provoquait une prise de conscience tout en permettant d’envisager que, pour quelque raison, l’aide médicale à mourir est une possibilité. Vous pouvez concevoir que, dans les petites collectivités isolées, cela puisse causer des tensions extrêmes.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup, monsieur Robertson.

Le sénateur Harder : Merci aux témoins.

J’ai deux questions à poser à Me Roberge. La première concerne le vide juridique qui apparaîtrait si nous acceptions ce que certains témoins ont préconisé, soit laisser la suspension de l’invalidité par la Cour supérieure du Québec devenir caduque. Quelles seraient les difficultés d’ordre pratique que susciterait un tel vide juridique? Qu’est-ce que cela signifierait pour les Canadiens hors du Québec qui pourraient demander l’AMM même si leur mort n’est pas raisonnablement prévisible? Ils devraient sans doute demander une exemption constitutionnelle, et ce serait une procédure coûteuse qui prendrait beaucoup de temps.

Ma deuxième question s’adresse également à Me Roberge et porte sur la maladie mentale. Selon le ministre Lametti, l’exclusion des personnes dont le seul problème médical est une maladie mentale est fondée sur les préoccupations d’experts, qui ne s’entendent pas sur la question de savoir si la maladie mentale peut être jugée irrémédiable et, plus fondamentalement, sur celle de savoir si et comment l’aide médicale à mourir pourrait être dispensée en toute sécurité à ces personnes. Compte tenu de l’absence de consensus parmi les experts et de la gravité de ces préoccupations, l’approche la plus prudente ne serait-elle pas de maintenir l’exclusion jusqu’à ce que la question ait été suffisamment étudiée?

Me Roberge : Je vous remercie de vos questions.

Pour répondre à votre première question, je dirai que le comité de l’ABC sur la fin de vie n’a pas vraiment pour mandat de donner un avis juridique sur les conséquences du rejet éventuel du projet de loi C-7. Je dirais simplement que, de toute évidence, l’arrêt Truchon au Québec n’invalide qu’une partie de la loi fédérale, à savoir la notion de mort raisonnablement prévisible comme critère d’admissibilité. Cela dit, l’ABC reconnaît la nécessité d’harmoniser la législation sur l’aide médicale à mourir à l’échelle nationale, mais le but de nos observations aujourd’hui est vraiment de cerner les préoccupations au sujet du projet de loi C-7.

Comme nous avons peu de temps, j’essaie de répondre rapidement à vos deux questions. La deuxième portait sur la raison invoquée par le gouvernement pour justifier l’exclusion des troubles mentaux du projet de loi, ce qui, essentiellement, augmente les risques liés à ces cas. Eh bien, dans l’arrêt Carter, la Cour suprême du Canada a déclaré que les risques « font déjà partie intégrante de notre régime médical ».

Bien que nous reconnaissions qu’il y a des défis particuliers liés à l’AMM et aux troubles mentaux, il est établi que des professionnels compétents peuvent évaluer la vulnérabilité au cas par cas. Par conséquent, à notre avis, sauf votre respect, éliminer le risque en écartant les personnes atteintes de troubles mentaux ne peut être la solution. C’est au Parlement qu’il revient de choisir les moyens d’atteindre le juste équilibre, mais nous préconisons vraiment une approche au cas par cas qui tiendra compte de la diversité des circonstances propres aux personnes atteintes de troubles mentaux.

Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’ai une première question pour Me Ménard et une deuxième pour Me Robertson, de l’Association du Barreau autochtone.

Maître Ménard, quelqu’un vient de faire référence au manque de consensus. Le ministre nous répond souvent que, étant donné qu’il n’y a pas consensus, il a choisi d’inclure ceci plutôt que cela dans le projet de loi C-7. N’est-ce pas un problème de fonder la protection des droits constitutionnels des individus, comme le dit la décision Carter, sur le fait qu’il n’y a pas de consensus, plutôt que sur le fait qu’on veut protéger les droits constitutionnels reconnus à des individus?

Me Ménard : C’est une question de choix politique. Le ministre a effectivement fait ce qu’on appelle anglais du nitpicking. C’est une mauvaise approche, parce qu’elle ne repose pas sur des bases solides. Il y a quelques éléments qui s’appuient sur des bases solides, mais la plupart, comme les 90 jours et la santé mentale, n’ont pas de fondements scientifiques précis ou pratiques. À ce moment-là, c’est lancé en l’air comme un ballon et, malheureusement, c’est une mauvaise approche qui semble s’incruster. Cette approche aurait besoin d’être revue et consolidée, et il faudrait travailler sur les acquis des jugements Carter et Truchon, qui ont des bases solides. Ce que le ministre propose est absolument inconnu. Nous ne savons pas d’où viennent les 90 jours. La santé mentale... C’est toute la population qui a un problème de santé mentale qui est exclue. Cela soulève donc des questions importantes. Peut-être que ma collègue Marie-Nancy pourrait ajouter quelque chose.

Me Paquet : En effet, à cet égard, il est important de mentionner que ni dans la décision Carter ni dans l’arrêt Truchon, malgré l’analyse globale des points de vue, on ne fait mention de la nécessité d’exclure collectivement certaines populations afin de protéger des droits. Cela va même à l’encontre des principes qui ont été établis dans ce contexte. Dans l’arrêt Truchon, notamment, la juge est très claire quand elle affirme que c’est la base individuelle qui permettra d’assurer une réelle protection des droits, et non des exclusions collectives. Il est important de le constater.

Toutefois, dans le contexte actuel, où, comme le mentionnait Me Ménard, le préambule annonce que la question fera l’objet d’une discussion subséquente, ce sujet n’a pas été abordé par le barreau, et nous n’avons pas de position claire à vous transmettre. Toutefois, force est de constater que l’exclusion systématique d’une personne handicapée sur la base d’une maladie mentale contrevient aux arrêts établis, notamment l’arrêt Carter.

La sénatrice Dupuis : Maître Robertson, vous avez parlé des communautés autochtones comme étant diversifiées et non homogènes, et on le comprend très bien...

Si vous avez l’occasion de le préciser à un autre moment, maître Robertson — et c’est ce que nous avons entendu de la part d’autres témoins —, à votre avis, la question des soins de santé, dans le continuum des soins de santé liés à l’aide médicale à mourir, devrait-elle relever de l’autorité de chaque communauté, justement pour respecter cette diversité de points de vue sur cette question?

[Traduction]

Me Robertson : Merci beaucoup, madame la sénatrice Dupuis.

Des collectivités autochtones ont parfois été marquées, dans un certain contexte historique, par le rôle patriarcal que le gouvernement du Canada a joué auprès d’elles. Si on revient à la relation originale, chaque collectivité doit se gouverner comme nation autodéterminée, qui devrait donc pouvoir décider si l’AMM s’applique ou non chez elle et sur son territoire et si elle peut s’appliquer aux termes de ses propres lois. Ces collectivités devraient pouvoir donner leur propre interprétation.

Il devrait y avoir des indications sur le caractère général de cette disposition. De toute évidence, la Charte s’applique à tous les Canadiens, mais il y a certainement place, dans les lois et les perspectives autochtones, pour interpréter le sens et les modalités de la disposition dans les collectivités autochtones, au vu, notamment, de la discrimination et de la colonisation qui ont pesé par le passé sur les Autochtones, leurs pratiques et leurs façons de faire. On peut parler des pensionnats et de ce qui se passe actuellement en matière de soins de santé. Il y a une très longue histoire de préjudice causé aux Autochtones sous le couvert des soins de santé. Il faut ménager une exception, et il appartient aux diverses collectivités de décider comment cette disposition s’applique chez elles.

La sénatrice Boniface : Merci aux témoins.

Ma question s’adresse à M. Adams. Dans un mémoire présenté au comité, l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique a laissé entendre que l’exclusion relative à la maladie mentale devrait être complètement supprimée, mais elle recommande, si l’exclusion demeurait dans le projet de loi pour quelque raison, qu’elle soit placée parmi les mesures de sauvegarde des dispositions relatives à la « mort non raisonnablement prévisible ». Son raisonnement est le suivant : en insérant L’exclusion à cet endroit, le gouvernement éviterait que la loi ne soit discriminatoire ou ne stigmatise les personnes atteintes de maladie mentale en disant que la maladie mentale n’est pas une maladie ou un handicap. Elle propose donc que la mesure de sauvegarde à ajouter à l’article 3.1 du projet de loi C-7 se lise ainsi : Le médecin ou l’infirmier praticien doit être d’avis que la personne n’a pas de maladie mentale comme seule condition médicale invoquée. Que pensez-vous de cette recommandation? Êtes-vous d’accord?

M. Adams : Merci de votre question, madame la sénatrice.

Je ne suis pas certain d’avoir saisi tout à fait, à la simple écoute, la nature de cette recommandation. Et je n’ai pas le texte. Vous m’excuserez donc. L’idée, c’est que, si on retire tout à fait ou en partie l’exception prévue pour les personnes ayant une maladie mentale, il faut voir comment traiter de leur situation dans le projet de loi, n’est-ce pas? Si j’ai bien suivi, l’idée de traiter cette catégorie comme les autres catégories de personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible me semble sensée.

Dans la mesure où il y a des différences entre les personnes dont la mort est imminente et celles qui souffrent sans que leur mort soit proche, il me semble qu’on peut raisonnablement soutenir que ce sont des groupes différents pour lesquels des dispositions différentes s’imposent. Toutefois, je ne vois aucune raison pourquoi la maladie mentale placerait une personne dans un groupe plutôt que dans l’autre. Pour moi, la proximité de la mort est une ligne de démarcation raisonnable. Les origines de la souffrance ne le sont pas.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci à tous nos invités et aux témoins qui nous donnent des informations très pertinentes. Ma question s’adresse à Me Ménard. Au départ, je sais que vous avez été affecté par la maladie récemment et je tiens à vous souhaiter la meilleure des chances pour votre guérison. Maître Ménard, le projet de loi offre-t-il une possibilité aux gens qui souffrent d’une maladie dégénérative cérébrale, comme ceux qui souffrent d’alzheimer? Le projet de loi est-il clair? Ces gens peuvent-ils obtenir l’aide médicale à mourir?

Me Ménard : La réponse à votre question est non, parce qu’en principe, les gens souffrant d’alzheimer, au début de la maladie, sont encore en assez bon état pour décider de leur sort. Toutefois, quand la maladie progresse, cette capacité se perd. Elle peut se perdre un an, deux ans ou trois ans avant l’échéance ultime. Je pense donc que la personne n’est plus en mesure de consentir jusqu’à la fin.

Le sénateur Boisvenu : Hier, nous avons été informés que le Québec s’apprêtait à légiférer pour modifier sa loi afin d’y inclure ces maladies plus tard. Selon vous, y aurait-il lieu de modifier ce projet de loi en fonction de deux volets? Il s’agirait d’abord d’inclure la possibilité d’une autorisation par procuration, ou alors il pourrait y avoir un volet qui reconnaîtrait les spécificités provinciales. Par exemple, le Québec est en avance sur les plans de l’adhésion sociale et du consensus. Serait-il bon de laisser certains volets de la mise en œuvre du projet de loi C-7 aux provinces? Je pense notamment aux maladies dégénératives cérébrales. Si une province a fait un pas en avant sur le plan du cadre légal pour la mise en œuvre de la loi pour ces personnes, le projet de loi ne pourrait-il pas prévoir de déléguer cette responsabilité aux provinces?

Me Ménard : Cela pose une difficulté, car si l’on parle de déléguer des responsabilités aux provinces, il pourrait y avoir des lois différentes d’une province à l’autre, et la différence est difficile à justifier sur ces enjeux. Cela ne serait pas impensable, éventuellement, mais ce serait difficile. Quant à la reconnaissance pour ce qui est d’aller de l’avant à cet effet, il est difficile d’imaginer une province qui pourrait, comme le Québec, inclure la maladie d’Alzheimer.

Le sénateur Boisvenu : Et une autorisation par procuration?

Me Ménard : Le problème avec les cas de décision anticipée, c’est que nous ne savons pas si la personne a changé d’idée ou non avant de tomber malade, et nous ignorons si la déclaration anticipée date d’un certain temps, avant que la maladie ne fasse son effet. On ne sait pas si la personne serait toujours d’accord avec cette décision. Il est donc clair que cela compromet d’autres droits, comme le droit de changer d’idée et de refuser, parce qu’on sait qu’un certain nombre de personnes ont changé d’idée entre le moment où elles ont réclamé l’aide médicale à mourir et le moment de la recevoir. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, les gens ne pourraient plus changer d’idée. Cela soulève des problèmes importants. Je ne dis pas qu’il ne faut pas ouvrir la porte à cela, mais il faut y penser comme il faut, parce que cela ouvrirait la porte à toutes sortes de choses, comme qui pourrait décider de mettre fin à ses jours, dans quelles conditions, dans quel contexte. On sait que la maladie d’Alzheimer, au stade final, ne rend pas les gens malheureux. Ils ne se rendent pas compte qu’ils ne sont pas là, tout simplement. Cela soulève toutes sortes de difficultés.

Le sénateur Boisvenu : Merci.

La présidente : Merci, maître Ménard.

La sénatrice Keating : Ma question s’adresse à Me Roberge, de l’Association du Barreau canadien (ABC). Maître Roberge, tout d’abord, je vous remercie beaucoup pour votre présentation et pour la position adoptée par l’Association du Barreau canadien. Vous avez soulevé une question que personne d’autre n’a soulevée et qui me préoccupe beaucoup depuis le début. Ceux qui fournissent l’aide médicale à mourir, même dans ma province, le Nouveau-Brunswick, ont indiqué qu’ils considéraient comme impossible l’imposition d’une mesure restrictive exigeant d’obtenir une deuxième opinion de la part d’un expert. En effet, même dans ma province, pour certaines maladies, il est tout simplement impossible d’obtenir l’opinion de spécialistes. J’aimerais donc vous entendre, si possible, sur ce qui suit. Est-ce que l’adoption de la mesure exigeant d’obtenir une deuxième opinion d’un expert constitue, à votre avis, une violation du droit constitutionnel à l’aide médicale à mourir qui, en fait, repose sur l’individu, un droit constitutionnel qui, selon la Cour suprême et l’arrêt Truchon, sous-entend que c’est à la personne de déterminer à quel moment sa souffrance devient intolérable?

Me Roberge : Je vous remercie de votre question. L’ABC a relevé que la disposition relative à l’expertise spécifique a été modifiée à l’étape de la troisième lecture pour assouplir ce critère, de sorte que, maintenant, ce qui est requis par le projet de loi, c’est une consultation avec un spécialiste qui a cette expertise, plutôt que l’un des deux praticiens qui évaluent les critères d’admissibilité. Tout en reconnaissant l’assouplissement du projet de loi sur ce point, nous avons toujours des préoccupations pour ce qui est de l’accès, puisque, comme vous l’avez indiqué, dans certaines régions, certaines provinces et certains milieux, les ressources médicales sont encore plus limitées. Ce qui nous préoccupe ici, évidemment, c’est que, faute d’avoir rapidement accès à un spécialiste, certaines personnes pourraient demeurer dans un état de souffrance prolongée et être obligées de poursuivre leur existence avec cette souffrance. De l’avis du barreau, ce type d’impact serait incompatible avec l’arrêt Carter, comme le suggère d’ailleurs la Cour supérieure dans le jugement Truchon. Cet élément soulève des enjeux importants en ce qui a trait aux principes de justice fondamentale et pourrait faire l’objet de contestations constitutionnelles, car il aurait un effet démesuré sur certaines catégories de gens.

La sénatrice Keating : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Ma question s’adresse à M. Robertson, de l’Association du Barreau autochtone. Vous avez parlé de M. Sinclair et de Joyce Echaquan et de leur expérience du système. Hier, un témoin a dit craindre que le gouvernement n’ait passé des années en contestations et en appels devant les tribunaux de justice et des droits de la personne, y compris dans des cas où il a dépensé des montants pouvant atteindre les100 000 $ en frais juridiques pour éviter de payer 8 000 $ pour un enfant des Premières Nations qui avait besoin d’un appareil dentaire. À la lumière de ces faits, auriez-vous l’obligeance de préciser votre position et de nous expliquer les préoccupations que pourrait susciter chez vous la décision du gouvernement de faire du projet de loi C-7 une priorité, d’autant plus qu’il s’appliquera dans un système de soins de santé où le racisme systémique, la pauvreté et le capacitisme demeurent des problèmes importants?

Me Robertson : Merci beaucoup, madame la sénatrice Pate.

Comme vous pouvez l’imaginer, il y a une litanie de préoccupations au sujet non seulement du système de soins de santé actuel et des services de santé offerts aux Autochtones partout au Canada, mais aussi de l’incidence du projet de loi C-7 et de ce qu’il signifiera pour les collectivités des Premières Nations, ainsi que bon nombre des choses dont nous avons discuté aujourd’hui, comme les modalités d’application de la Charte, l’équilibre des intérêts entre les différents groupes et l’interprétation des dispositions. L’une des conditions dont nous avons parlé est l’application au cas par cas. Hélas, on retrouve des situations où les Autochtones ont des conditions de vie incroyablement difficiles. Des collectivités sont visées par des avis d’ébullition de l’eau depuis 35 ans ou plus, les taux de suicide, comme nous en avons déjà discuté, sont extrêmement élevés et les débouchés économiques sont très rares. Même quand tout va au mieux, la situation sanitaire est difficile. Le projet de loi C-7 suscite des préoccupations non seulement parce qu’il s’agit d’aide à mourir, mais aussi parce qu’on s’interroge sur les modalités de son application.

Nous avons également parlé de la compétence en la matière et de la façon dont ce sera appliqué, et il semble que les provinces et les territoires auront la haute main sur la façon dont cela se répercutera sur les conditions de santé et le système de soins de santé. Le financement aura également une incidence à cet égard. Il y aura un écart énorme dans le financement et la façon dont cela sera mis en œuvre. Nous venons de dire que la province du Nouveau-Brunswick a de la difficulté à fournir à ses citoyens les spécialistes qui faciliteraient les choses. Eh bien, si la province du Nouveau-Brunswick éprouve des difficultés, vous pouvez imaginer comment cela se répercutera dans de nombreuses collectivités du Nord, dans les communautés inuites, des Premières Nations et métisses.

C’est une chose d’adopter la loi, mais la logistique que nécessite son application dans les 633 communautés des Premières Nations du Canada en est une autre. Je le répète, en plus de cela, il n’y a pas eu de consultation sérieuse et véritable sur ce à quoi cela ressemblera. Je sais que les lignes directrices et les règlements sont conformes à la loi, mais c’est inquiétant. C’est ce qu’ont dit de nombreux groupes différents, notamment ceux des soins de santé et du droit constitutionnel, et les groupes autochtones qui examinent la question et qui ont déclaré ne pas avoir été consultés adéquatement. Nous avons de nombreuses préoccupations culturelles, des griefs historiques dont nous avons parlé, ainsi qu’une méfiance à l’égard du système de soins de santé lui-même. On ne sait pas comment cela s’appliquera aux Premières Nations et aux communautés autochtones du Canada, et l’inconnu, malheureusement, crée de la peur. C’est la meilleure façon d’essayer de résumer ce que pensent les communautés autochtones.

La sénatrice Pate : Merci.

La sénatrice Griffin : Monsieur Beaudry, le projet de loi C-7 a été décrit comme un élargissement des droits de certaines personnes qui crée des inégalités pour les personnes marginalisées par le capacitisme, le racisme, le classisme et le sexisme, qui n’ont pas un accès adéquat à la santé, au logement social et au soutien économique. Dans votre mémoire, vous dites que l’oppression est trop souvent présentée comme un avantage pour les opprimés. Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par là en ce qui concerne le projet de loi C-7? Merci.

M. Beaudry : Oui. Très brièvement, je n’arrive pas très bien à faire des interventions très rapides sur des questions aussi complexes, mais je vais faire de mon mieux.

L’idée derrière l’oppression systémique — nous commençons à en prendre conscience en raison de la pandémie et de ce que certaines personnes disent au sujet des communautés autochtones, et nous savons donc qu’elle existe... Nous savons aussi que l’oppression ne vient pas d’intentions malveillantes de la part des concepteurs du projet de loi C-7. L’oppression est souvent le résultat d’une négligence de longue date, d’un manque de vision et de la négligence dont certaines communautés sont victimes depuis longtemps.

J’ai entendu, par exemple, le témoin qui parlait au nom de certaines communautés autochtones, faire état d’un grand nombre de problèmes sociaux. À mon avis, il y a beaucoup de besoins sociaux auxquels il faut répondre et qui sont plus urgents. J’ai entendu beaucoup de compassion pour les besoins sociaux de nombreux groupes, notamment les détenus, les personnes ayant des différences cognitives, les Autochtones et les personnes ayant d’autres handicaps. J’entends beaucoup de préoccupations au sujet de ces personnes, mais la façon dont on y répond, c’est en leur donnant accès à un moyen rapide de mettre fin à leurs jours. Et c’est peut-être parfois la voie à suivre, mais la plupart du temps, notre société devrait faire face au fait que tous ces groupes ont été négligés par la société sur de nombreux plans dont on ne s’occupe pas.

Donc, ma contribution à ce débat — je reviens à ma métaphore du toit, qui est les droits sociaux — est que nous devons mettre en place un système qui veille vraiment à ce que les gens ne meurent pas d’un désespoir socialement évitable. Je ne parle pas de ceux qui ont un cancer avancé et qui n’ont pas d’autres options, mais à l’heure actuelle, le projet de loi C-7 ouvre la porte à l’aide médicale à mourir. C’est un nouveau mécanisme médical de vie et de mort, très radical, qui prend place dans notre société. Cela ouvre la porte aux gens qui ont le choix de vivre, et je veux m’assurer, avec mes concitoyens, que si des gens meurent, ce n’est pas à cause de la négligence sociale. En faisons-nous assez? Nous ne réfléchissons pas assez à cette question sous l’angle de l’établissement de seuils de base, de conditions de base, de protections sociales et d’un soutien social.

Les personnes handicapées ont beaucoup à dire à ce sujet. Elles ont été consultées plutôt pour la forme. Il faut faire plus. Le fédéralisme, le partage des pouvoirs ou les droits sociaux et leurs coûts sont tous des prétextes qui ne peuvent pas être invoqués ici sur le plan constitutionnel.

La sénatrice Griffin : Merci.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à Me Roberge, de l’Association du Barreau canadien.

Maître Roberge, je m’interroge sur la question de la consultation avec un expert qui est nécessaire dans le cadre des mesures de sauvegarde liées à l’aide médicale à mourir. Je vous ai entendu dire que cela pouvait poser problème d’un point de vue constitutionnel. Je vous avoue que je m’interroge aussi, mais inversement. Est-ce que le fait de ne pas consulter un expert pourrait retirer au patient le choix ou la possibilité d’entendre parler d’un traitement, s’il est atteint d’une maladie complexe et qu’il n’a pas pu consulter d’experts récemment? On parle ici de mesures de sauvegarde. Il est donc question d’informer le patient qui, si je comprends bien, a une autonomie de choix.

Dans la même veine, j’aimerais vous entendre sur ce que vous avez dit à la Chambre des communes, soit que vous vous opposiez à l’alinéa 241.2(3.1)h), selon lequel le médecin et le patient s’entendent pour dire que tous les traitements et les moyens de soulager la souffrance ont été sérieusement envisagés. Encore là, certains jugent que c’est une instrumentalisation du médecin de dire que la discussion et le fait d’en arriver à un consensus — et ce n’est peut-être pas possible — ne font pas partie des moyens envisagés.

Me Roberge : Je vous remercie de vos questions. Sur l’aspect de l’expertise spécifique ou précise de la maladie, l’Association du Barreau canadien reconnaît que certaines situations pourraient justifier d’avoir recours à l’opinion d’un médecin spécialiste. Pour nous, la difficulté et l’enjeu sont associés à l’obligation générale de consulter un tel spécialiste, comme le prévoit le projet de loi C-7. Il s’agit donc d’en faire une obligation générale qui pourrait être un obstacle, selon nous, à l’accès à l’aide médicale à mourir pour des personnes vivant dans des milieux où il y a de longs délais ou des difficultés d’accès à de tels spécialistes. Il faut constater que, pour le moment, il n’existe pas une telle obligation de consulter un spécialiste lorsqu’une personne fait une demande d’aide médicale à mourir. Toutefois, en pratique, la preuve existe selon laquelle c’est au médecin de déterminer son propre degré d’expertise lorsqu’il évalue la demande et reçoit le consentement éclairé et de décider de faire appel, au besoin, à un ou une collègue qui aura une expertise additionnelle.

Je crois que cela soulève peut-être également, en filigrane, la question de savoir si cet aspect du projet de loi est un enjeu qui relève véritablement du droit criminel ou plutôt des normes de soins et du droit provincial, quand je parle du fait qu’un médecin demande une référence à un autre expert. Telle est la position de l’Association du Barreau canadien.

Votre seconde question portait sur le fait que le projet de loi exige que le médecin reconnaisse que la personne qui demande l’aide médicale à mourir a envisagé sérieusement toutes les solutions. On a beaucoup parlé aujourd’hui de l’importance de l’autonomie de la personne dans ce choix très personnel qu’est l’aide médicale à mourir. Du point de vue de l’Association du Barreau canadien, le rôle du médecin est de s’assurer que le consentement est éclairé. Cela implique de discuter des différentes options de traitement. Toutefois, ultimement, c’est au patient qu’il appartient de décider, une fois qu’il ou elle a reçu tous les renseignements et les informations et qu’on l’a mis au courant des risques.

En ce qui a trait au projet de loi, l’accord entre le médecin et le patient n’est pas pertinent, à notre avis. L’important est que tous les moyens et les informations relatives aux différentes options thérapeutiques aient été discutés et que le patient ait toutes ces informations.

[Traduction]

La présidente : Merci.

J’ai une question pour Me Robertson. Hier, on a appris que le ministre et les fonctionnaires n’avaient fait aucune analyse fondée sur la race. Compte tenu de votre expérience de travail avec les communautés autochtones, croyez-vous que l’accès à des données désagrégées, plus particulièrement fondées sur la race et l’identité autochtone, pourrait améliorer les enjeux des soins et des traitements équitables et adaptés à la culture, et permettre aux gouvernements de mieux cerner, reconnaître et combattre le racisme systémique dans le secteur des soins de santé, entre autres services sociaux?

Me Robertson : Merci de poser la question, madame la présidente. Deux problèmes me viennent à l’esprit lorsque vous la posez.

Je parle souvent à des groupes scolaires et à des groupes d’avocats du fait que les peuples autochtones sont les plus étudiés au Canada. Il y a plus d’études menées sur les peuples autochtones que sur tout autre groupe, qu’il s’agisse de race, de religion ou de toute autre définition. Il y a une certaine valeur à cela, mais, évidemment, il y a une raison pour laquelle ils sont si étudiés. J’ai un problème en ce qui concerne la motivation et la façon dont ils sont étudiés.

J’aimerais faire le lien entre votre question et la réponse donnée précédemment par M. Beaudry lorsqu’il a parlé de certains aspects de nos systèmes sociaux qui ont été négligés. Je répondrais à cela en disant que les Autochtones n’ont pas été négligés. Ils ont été délibérément opprimés. Si vous examinez l’évolution historique de la législation concernant les interventions médicales sans consentement, les expériences médicales menées sur les Autochtones sans consentement, les pensionnats et tous les préjudices qui en ont découlé, la rafle des années 1960, vous constaterez qu’il s’agissait de mesures législatives très ciblées, adoptées pour opprimer les peuples des Premières Nations. Ce n’est pas parce ces peuples ont été négligés.

Lorsque vous présentez une autre série de mesures législatives portant sur un sujet précis comme l’aide médicale à mourir, cela fait évidemment sourciller. Les gens vont s’inquiéter de la façon dont cela a été élaboré, des personnes qui ont été consultées et de la façon dont ce sera mis en œuvre.

Si vous croyez utile d’étudier précisément la façon dont nous devrions mettre cela en œuvre pour les peuples autochtones, alors, absolument. Je privilégierais plutôt une consultation qu’une étude. Faites participer les peuples autochtones, comme ils devraient le faire dans tous les aspects de la législation les concernant, et demandez-leur : « Comment cela intègre-t-il vos propres valeurs, vos propres points de vue et vos propres lois? Comment pouvons-nous nous attaquer à ces problèmes criants de disparité sociale et comment pouvons-nous faire en sorte que cela fonctionne pour vous et vos communautés? » C’est cela une conversation éclairée et significative.

Évidemment, la consultation s’accompagne d’accommodements. Que pouvons-nous changer? Comment pouvons-nous faire en sorte que cela fonctionne pour les communautés autochtones? Ne les laissez pas sur la touche jusqu’à ce qu’il soit trop tard et que la loi soit mise en œuvre. Cela ne fonctionnera pas. Il y aura toutes sortes de problèmes, et on va causer des torts sans le vouloir.

La présidente : Merci beaucoup, maître Robertson.

Mesdames et messieurs les sénateurs, cela met fin aux questions et aux exposés des témoins. Je remercie encore une fois les interprètes. Je sais que la journée d’aujourd’hui a été très difficile pour eux. La qualité du son a été mauvaise, mais ils ont quand même travaillé fort pour que nous puissions entendre tous les témoins.

Je tiens à dire aux témoins que ce n’est pas toujours ainsi, alors je vous remercie de votre patience. Je vous remercie de vos présentations, qui vont vraiment nous aider dans notre travail, surtout pour le projet de loi C-7.

Je souhaite la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins, en commençant par les panélistes de la Direction des politiques de soins de santé de Santé Canada, Abby Hoffman, conseillère exécutive principale au sous-ministre, et Karen Kusch, conseillère principale en politiques. Puis-je vous demander de faire votre exposé? Merci.

Abby Hoffman, conseillère principale en politique au sous-ministre, Santé Canada : Merci beaucoup. Je vous remercie, sénateurs, de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui de la surveillance fédérale et de notre rapport annuel.

Comme vous le savez, Santé Canada a publié, en juillet 2020, son premier rapport annuel sur l’aide médicale à mourir au Canada, qui s’appuie sur les données recueillies en 2019 en vertu de la réglementation fédérale de surveillance exigée par le projet de loi C-14. Quatre rapports intérimaires avaient déjà été publiés en utilisant des renseignements fournis volontairement par les provinces et les territoires.

Laissez-moi commencer par vous donner un aperçu du système de surveillance et des principales considérations qui déterminent le type de données que nous collectons et publions.

La surveillance est une activité clé dans pratiquement toutes les administrations qui autorisent l’aide à mourir. L’importance de la surveillance et des rapports publics a été soulignée dans les processus juridiques consultatifs et parlementaires qui ont mené à l’adoption de la première loi canadienne sur l’aide médicale à mourir, ou AMM, en 2016. Le projet de loi C-14 exigeait ainsi que le ministre fédéral de la Santé élabore une réglementation et mette en place un système de surveillance pancanadien de la prestation de l’AMM au Canada.

L’objectif du système fédéral de surveillance et de production de rapports est d’assurer la responsabilisation et la transparence à l’égard des Canadiens en ce qui a trait à la mise en œuvre concrète du système canadien d’aide médicale à mourir. Il s’agit notamment de surveiller l’application des critères d’admissibilité et des mesures de sauvegarde, de déterminer les tendances et d’aider à déterminer si la législation atteint ses objectifs. Il est important de ne pas oublier que les provinces et les territoires, ainsi que leurs organismes de réglementation professionnelle respectifs, conservent la responsabilité de la surveillance pour veiller au respect de la loi dans les cas individuels.

En ce qui concerne la collecte obligatoire de données, les règles de surveillance doivent être clairement ancrées dans les dispositions de la loi. Cela signifie, avant tout, que les renseignements peuvent être recueillis uniquement auprès des médecins, des infirmières praticiennes et des pharmaciens, car ce sont les personnes qui sont exemptées de poursuites dans le code pénal, et, deuxièmement, les renseignements que ces personnes sont tenues de soumettre doivent être liés directement aux exigences de la loi — en particulier, les neuf critères et le processus de détermination de l’admissibilité à l’AMM, et l’application des mesures de sauvegarde.

En outre, étant donné que les médecins et les pharmaciens sont la seule source d’information, les renseignements recueillis doivent être limités à ce que ces professionnels sont raisonnablement capables de savoir sur les personnes auxquelles ils prodiguent des soins. Cela signifie qu’il y a des limites à la portée des données sociodémographiques et des renseignements sur les demandeurs de l’AMM qui peuvent être recueillis auprès des prestataires de soins. D’un point de vue purement pratique, nous devons éviter d’imposer un fardeau administratif déraisonnable aux prestataires de soins. Et, nous devons concilier la volonté de recueillir un large éventail de renseignements avec le respect de la vie privée des personnes qui souhaitent demander l’AMM et la confidentialité entre prestataires de soins et patients.

En gardant ces considérations à l’esprit, et après des consultations approfondies menées auprès des provinces et des territoires, des intervenants en matière de santé, des experts en données, des chercheurs et d’autres parties concernées, on a promulgué le Règlement fédéral sur la surveillance de l’aide médicale à mourir, en novembre 2018. Le règlement autorise Santé Canada à recueillir des renseignements sur les personnes qui demandent l’AMM, comme l’âge, le sexe, l’affection sous-jacente et la nature du problème de santé et des souffrances. On recueille également des renseignements sur l’accès et le recours à des soins palliatifs et à des services de soutien aux personnes handicapées, ainsi que sur des éléments clés de la législation sur l’AMM, notamment la façon dont le praticien de la santé a appliqué les critères d’admissibilité et les mesures de sauvegarde procédurales.

Les données sur les 7 336 demandes, les 5 631 décès effectivement liés à l’AMM impliquant 1 271 praticiens, sont fondées sur les constatations contenues dans le premier rapport annuel sur l’AMM que j’ai mentionné.

Je vais dire comment nous pensons que le régime de surveillance de l’AMM peut être amélioré. À peu près n’importe quelle personne qui connaît l’AMM ou qui y a été associée aimerait en savoir plus. Il existe plusieurs moyens d’acquérir ces connaissances supplémentaires.

Premièrement, il y a des améliorations qui peuvent être apportées au système de surveillance actuel. Par exemple, à l’heure actuelle, la collecte de renseignements se fonde uniquement sur les demandes écrites reçues par les médecins et les infirmières praticiennes. Cela a entraîné des lacunes importantes dans les données simplement parce que les évaluations préliminaires peuvent être effectuées par d’autres professionnels ou par un service de coordination des soins, ce qui veut dire que les demandes écrites formelles ne peuvent être déposées que vers la fin d’un processus d’évaluation lié à l’AMM. Par conséquent, il se peut que nous ne connaissions pas les demandes antérieures non signalées qui ont été refusées ou retirées, ou les motifs de ces décisions finales.

L’une des modifications au système de surveillance fédéral qui sont proposées dans le projet de loi C-7 permettrait de recueillir des données sur toutes les évaluations relatives à l’AMM, et non pas seulement sur celles qui sont officialisées dans une demande écrite. Ces modifications permettront de mieux comprendre qui a demandé l’AMM, les circonstances de ces demandes, pourquoi les personnes concernées ont été — ou n’ont pas été — jugées admissibles, et combien de demandes d’AMM finissent par être retirées, à quel stade du processus et pourquoi.

Deuxièmement, après l’adoption du projet de loi C-7, en supposant que cela se produise, nous réviserons le Règlement sur la surveillance de l’AMM afin de refléter le cadre législatif modifié. Nous avons l’intention de consulter à nouveau un large éventail d’intervenants afin d’éclairer ces modifications.

Compte tenu des préoccupations exprimées par les représentants de la communauté des personnes handicapées, je tiens à souligner que le système de surveillance mis à jour doit améliorer notre compréhension de l’AMM dans le contexte de l’invalidité, de la vulnérabilité et de l’autonomie.

En même temps, ces changements doivent tenir compte des considérations que j’ai mentionnées précédemment, notamment le besoin d’avoir un lien clair avec le cadre législatif et la protection du droit à la vie privée des patients et des prestataires de soins. Nous savons néanmoins que les mesures de sauvegarde considérablement élargies pour les demandeurs se refléteront, bien sûr, dans le nouveau régime de surveillance.

Nous aimerions avoir le pouvoir de poser des questions sur toutes sortes de services qui peuvent être offerts, la relation avec les services sociaux, la situation personnelle des demandeurs, et cetera, et nous devrons trouver la meilleure façon d’avoir accès à ces renseignements, tout en respectant, encore une fois, la vie privée.

En terminant, je voudrais souligner que si les données recueillies par le système de surveillance de l’AMM fournissent des renseignements importants sur la manière dont l’AMM est mise en œuvre au Canada, elles ne peuvent pas être la seule source d’information. Sur la base de nos connaissances et de notre expérience à ce jour de la mise en œuvre de l’AMM, des recherches supplémentaires sont nécessaires dans plusieurs domaines clés, notamment l’évaluation des modèles de prestation de l’AMM et les perspectives concernant l’AMM du point de vue des personnes qui en font la demande, de leur famille, des praticiens de la santé et de la société en général. Les examens de cas, par exemple, pourraient être la source de renseignements supplémentaires, dont une grande partie est recueillie par les provinces et les territoires. Une partie de cette recherche est déjà en cours dans les milieux universitaires et dans les communautés de pratique des fournisseurs, et nous envisagerons des façons de renforcer et d’appuyer davantage ce travail.

Merci, madame la présidente. Ma collègue de Santé Canada, Karen Kusch, et moi-même serons heureuses de répondre à vos questions sur le processus de surveillance et sur notre premier rapport annuel. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, madame Hoffman.

Nous allons maintenant entendre le Dr Gus Grant. Il est registraire du Collège des médecins et chirurgiens de la Nouvelle-Écosse. Il apporte le point de vue unique d’un organisme de réglementation et d’un médecin expert sur la question de la liberté de conscience.

Dr Gus Grant, registraire et PDG, Collège des médecins et chirurgiens de la Nouvelle-Écosse : Merci. Je suis heureux d’avoir l’occasion de présenter le point de vue d’un organisme de réglementation de la médecine.

Tous les collèges de médecins ont le mandat législatif de servir l’intérêt public, et c’est un terme général qui englobe à la fois la sécurité publique et le maintien de la confiance du public dans la profession médicale et sa réglementation. Les collèges ont pour mission d’établir les normes de la profession...

M. Palmer : Docteur Grant, nous avons perdu votre son. Nous vous avons entendu clairement et vous avez été coupé. Nous pourrions peut-être passer au témoin suivant pendant que nous essayons de remettre le Dr Grant en ligne.

La présidente : Nous allons passer au témoin suivant, M. Raphael Cohen-Almagor. Il est titulaire de la Chaire en politique de l’Université de Hull, au Royaume-Uni. Il a publié de nombreux ouvrages dans les domaines des sciences politiques, de la philosophie, du droit et de l’éthique, y compris l’éthique médicale, et il connaît les systèmes juridiques et les données de l’AMM en Belgique et aux Pays-Bas. Monsieur Cohen-Almagor, veuillez commencer.

Raphael Cohen-Almagor, professeur, Université de Hull : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. C’est un privilège. Je vous ai déjà envoyé quelques remarques, et je vais donc fonder mon témoignage sur ces articles. Veuillez les consulter pour obtenir une version plus détaillée de ce que je vais dire aujourd’hui. Je vous envoie aujourd’hui mes salutations de l’Angleterre.

Dans ces articles, j’ai résumé ce que j’ai découvert dans le cadre d’une enquête menée au cours des 30 dernières années, dans plusieurs pays, sur les pratiques de médecine en fin de vie. Cette enquête m’a conduit à visiter neuf pays. Personnellement, étant donné que nous parlons de questions de fin de vie, de questions de vie et de mort, je trouve très important d’aller dans les hôpitaux et les centres de recherche et de parler aux patients et à toutes les personnes qui se trouvent autour du lit du patient.

Je pense que nous devons essayer de trouver un moyen de tenir compte de différentes considérations aussi importantes les unes que les autres.

La première est l’autonomie du patient. En tant que démocratie libérale, nous aimerions qu’il soit permis aux gens de décider du moment de leur mort. C’est une considération cruciale dans la démocratie libérale et, en fait, l’un de mes livres porte sur le droit de mourir dans la dignité, du point de vue de l’éthique, de la médecine et du droit. J’insiste donc beaucoup là-dessus, et c’est une considération importante.

La deuxième est la dignité du patient. Jusqu’à la toute fin, nous aimerions que le patient se considère comme un être humain, et non comme un cas type, un numéro ou quelqu’un qui occupe le lit. À cette fin, cette personne devrait jouir du respect de tous les gens qui l’entourent. Ces deux considérations très importantes doivent être mises en balance avec deux considérations tout aussi importantes.

La troisième est le devoir de prévenir les abus.

La quatrième est le devoir de l’État de protéger les populations vulnérables.

Il faut donc établir un juste équilibre entre l’autonomie du patient et sa dignité, et le devoir de prévenir les abus.

Je dois vous dire que j’ai été pour l’euthanasie pendant un certain nombre d’années, puis je suis allé, pour la première fois, aux Pays-Bas. J’ai découvert, dès le moment où je suis sorti de l’avion, qu’il y avait des choses qui n’étaient pas signalées dans la littérature, et j’ai été témoin d’abus — à l’endroit des médecins qui raccourcissent la vie des patients et des patients qui sont mis à mort contre leur volonté ou sans qu’ils aient exprimé leur volonté. Bien entendu, c’est quelque chose que nous devrions empêcher. Nous devons être conscients du fait que lorsqu’un médecin et une équipe de soins infirmiers ont le pouvoir de décider de la vie ou de la mort d’une personne, nous devons nous assurer que tout ce qui concerne la surveillance, les dossiers et la documentation est protégé, promu et réservé afin de prévenir les abus.

La deuxième conclusion clé de mes recherches est l’importance de maintenir la confiance entre les médecins et les patients. Au Canada, comme en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Belgique, vous avez un omnipraticien qui a consolidé une relation de longue date avec le patient. Il le connaît parfois depuis 20, 30 ans ou plus. Lorsqu’un patient arrive en fin de vie, il est très important qu’il puisse faire confiance au médecin. Par conséquent, je pense qu’un médecin ne devrait pas proposer ou offrir la mort à un patient. Je ne pense pas que cela relève des médecins. Je pense que cela doit venir des patients. Dans un pays comme le Canada, où l’AMM existe depuis un certain temps déjà, je suis sûr que les gens savent qu’elle est disponible. S’il y a une raison pour que le patient ne soulève pas cette question, le médecin ne devrait pas le faire. Autrement, cela compromettra la relation entre le patient et le médecin, et le maintien de la confiance est un facteur extrêmement important.

La troisième conclusion clé est l’importance des soins palliatifs. Je sais qu’il y aura des occasions où des personnes déterminées voudront décider de leur destin et du moment de leur mort. Pour elles, les soins palliatifs ne seront pas la solution. Mais pour beaucoup d’autres patients, les soins palliatifs peuvent être un facteur crucial pour décider s’ils veulent continuer à vivre ou mourir, parce que beaucoup de gens ont peur de la souffrance et de la douleur. Nous savons comment soulager la douleur et la souffrance, alors si nous pouvons éliminer ce problème, il est possible d’éviter l’euthanasie. Les patients pourront continuer à vivre.

Ma conclusion clé suivante est l’interdiction de la sédation palliative continue. En Angleterre, où j’ai fait un sondage auprès des médecins, le terme « sédation palliative continue » n’est même pas utilisé. Les médecins ne l’utilisent pas. Nous devons veiller à ce que la sédation n’entraîne pas la mort, mais permette aux patients de faire leurs adieux aux gens aimants à leurs côtés. Je pense que c’est extrêmement important. Lorsque vous voyez des patients recevoir la sédation sans qu’ils sachent qu’ils vont mourir à la fin du processus et sans qu’ils aient la possibilité de dire au revoir, je dirais que c’est mal. Je dirais qu’il faut éviter la sédation palliative continue. Évitez de la mentionner et, bien sûr, évitez de la pratiquer.

Une autre conclusion importante concerne les directives préalables. Il faut les traiter avec soin et sérieux. J’ai vu au moins 60 versions différentes de directives préalables, allant des formulations vagues et générales, comme « J’aimerais mourir quand je ne reconnaîtrai plus mes enfants », à des instructions très détaillées. Le problème, bien sûr, vient du fait que nous avons des directives préalables, par exemple, de patients atteints de démence qui disent vouloir une chose lorsqu’ils en sont à un certain stade de la maladie et qui, une fois au stade suivant, ne veulent plus ce qu’ils ont demandé dans leurs directives préalables. Le médecin ou les médecins vont maintenant respecter ces directives, bien que ce ne soit plus du tout ce que veut le patient. Nous devons donc être conscients des changements qui surviennent dans l’esprit des patients à mesure que progresse la maladie.

Le paradoxe de la démence est une autre conclusion clé de mes recherches. Je m’oppose à toute forme d’euthanasie et d’aide médicale au suicide pour les patients inaptes à consentir, surtout les patients atteints de démence. J’explique pourquoi je m’y oppose dans le petit tableau que j’ai fourni. Je dis qu’à chaque étape de la démence, l’euthanasie du patient est problématique.

J’ai aussi constaté que les enfants ont besoin d’une protection supplémentaire. Ils sont très vulnérables parce que leur esprit ...

La présidente : Monsieur Cohen-Almagor, pourriez-vous conclure, s’il vous plaît?

M. Cohen-Almagor : Oui.

Les enfants ont besoin d’une protection supplémentaire. J’ai aussi parlé du rôle des proches du patient, non seulement sa famille, mais aussi ses amis proches. J’ai fait une mise en garde contre les dons d’organes en fin de vie, c’est-à-dire la planification des dons d’organes et les pressions exercées sur les patients pour qu’ils donnent leurs organes.

Enfin, je vous mets en garde contre l’enivrement, la tendance à imposer certaines règles et certaines lois en matière d’euthanasie, puis à repousser de plus en plus les limites de ce dont le législateur a parlé au début. Les limites de l’euthanasie se sont étendues aux patients qui ne sont pas en phase terminale, aux patients qui souffrent de problèmes psychologiques, aux patients fatigués de la vie et aux autres patients inaptes.

Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup. Pouvons-nous revenir au Dr Grant? Je pense que les difficultés du Dr Grant sont réglées. Veuillez continuer.

Dr Grant : Le rôle du collège des médecins est de servir l’intérêt public. C’est un terme qui signifie à la fois servir la sécurité publique et maintenir la confiance du public...

M. Palmer : Docteur Grant, cela s’est produit de nouveau. Nous avons encore perdu votre son. Sénatrice Jaffer, le prochain témoin, s’il vous plaît?

La présidente : Honorables sénateurs, nous allons passer au témoin suivant, le Dr Jaro Kotalik, bioéthicien et professeur à l’Université Lakehead, auteur de Medical Assistance in Dying: Challenges of Monitoring the Canadian Program. Docteur?

Dr Jaro Kotalik, professeur, École de médecine du Nord de l’Ontario, à titre personnel : Merci, madame la présidente.

J’exerce la médecine au Canada depuis plus de 45 ans, et je m’occupe souvent de patients très malades ou de personnes qui sont sur le point de mourir. J’ai été oncologue et, plus tard, directeur du centre régional de cancérologie de Thunder Bay. Après avoir fait d’autres études universitaires en éthique médicale et en droit, je me suis lancé dans ce domaine. Je suis actuellement professeur à l’École de médecine du Nord de l’Ontario et chercheur et consultant au Centre for Health Care Ethics, de l’Université Lakehead.

Comme vous l’avez mentionné, l’étude que j’ai publiée récemment porte sur la surveillance du programme national d’AMM et les rapports connexes. J’ai dû conclure que le programme n’est pas surveillé comme l’exige la loi, mais pour l’instant, je voudrais simplement répondre à quelques préoccupations au sujet du projet de loi C-7. Je vais soulever deux questions.

Le projet de loi C-7 crée une nouvelle voie d’admissibilité pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Le problème, c’est que la façon dont cette nouvelle voie est présentée dans la loi ferait en sorte que des milliers de Canadiens se retrouveraient dans une situation précaire où ils auraient le droit d’écourter leur vie, peut-être même de plusieurs décennies. Une jeune personne qui vient de recevoir un diagnostic de diabète ou une personne plus âgée qui souffre d’arthrite, d’une invalidité de longue date ou d’une blessure invalidante récente sera également admissible à l’aide médicale à mourir. Pourquoi? Parce que ce sont toutes des conditions graves et incurables, qui entraînent souvent un déclin irréversible de la capacité, et ce sont là les deux principaux critères d’admissibilité à cette intervention. Il suffit au patient d’ajouter qu’il souffre de souffrances physiques ou psychologiques intolérables qui ne peuvent être soulagées dans des conditions qu’il juge acceptables. Autrement dit, on peut être immédiatement admissible à une aide médicale à mourir même si l’on n’a pas reçu de traitement.

En outre, la simple règle selon laquelle toute condition médicale suffisamment grave et qui entraîne la souffrance est une raison suffisante pour accéder à l’AMM est elle-même une source de pression profonde qui affectera négativement la volonté de vivre. C’est pourquoi les personnes handicapées désapprouvent le projet de loi C-7. En fait, je crois que tout le monde, pas seulement les personnes handicapées, serait à risque. Le projet de loi C-7 actuel pourrait être considéré comme un document de promotion du suicide et compliquerait tout effort visant à mettre en place un programme de prévention du suicide au pays.

À mon avis, il devrait être possible d’amender le projet de loi de façon à ce qu’il tienne compte des situations peu fréquentes où des gens ont des souffrances vraiment insupportables et incurables leur donnant légitimement accès à l’AMM, même s’ils ne sont pas en fin de vie. En même temps, la nouvelle loi ne devrait pas être si complète et d’application si générale qu’elle inciterait, par exemple, les personnes gravement malades, les personnes âgées et celles qui dépendent des autres pour obtenir des soins — et nous en avons des millions — à penser et sentir qu’elles vivent dans une société où l’on s’attend à ce qu’elles choisissent la mort, ou une société où les médecins et les infirmières sont poussés à fournir la mort sur demande.

À mon avis, un tel amendement, qui pourrait remédier à la situation, exigerait que l’évaluation médicale soit suivie de l’obtention d’une autorisation émise par une commission du consentement et de la capacité, ou d’un tribunal semblable, qui aura examiné toutes les circonstances ayant pu avoir une incidence sur la demande d’AMM du patient.

Je vais maintenant aborder le deuxième sujet, soit la liberté de conscience de tous les professionnels de la santé et de la médecine qui ne peuvent pas participer à l’AMM en raison de leur engagement moral et professionnel, même en adressant directement le patient à un praticien de l’AMM.

En dépit de la déclaration, dans la loi de 2016, selon laquelle cette loi sur l’AMM n’a pas pour effet de porter atteinte à la liberté de conscience — à la garantie dont elle fait l’objet —, il n’en demeure pas moins que les praticiens subissent des pressions, surtout dans certaines provinces, de la part des administrateurs et des collèges de médecins pour mettre de côté leurs convictions profondes. Je crois que cette attitude découle d’une incompréhension fondamentale largement répandue de ce qu’est la liberté de conscience.

La liberté de conscience n’est pas seulement un luxe que les médecins réclament et qu’on peut leur demander de laisser de côté pour répondre aux demandes des patients. La liberté de conscience est un facteur de motivation très important et elle influe constamment sur le comportement du médecin, qui doit être altruiste plutôt qu’égoïste dans le soin d’un patient, dire la vérité plutôt que de repousser les limites lorsqu’il facture des services; signaler les mauvais traitements infligés aux enfants plutôt que de fermer les yeux, dans toutes les situations où le médecin est motivé par une conscience fonctionnelle.

À la faculté de médecine, nous enseignons le professionnalisme, ce qui signifie, en fait, que nous essayons d’éduquer et de peaufiner la conscience de l’étudiant. Nous devons lui enseigner des règles et un processus, mais la conscience est très importante.

La conscience est indivisible, alors il est dangereux de dire au médecin qu’il peut faire fi de sa conscience dans le cas de l’aide médicale à mourir, parce que la prochaine fois, il pourrait faire taire sa conscience s’il y trouvait un intérêt personnel ou un avantage professionnel. La médecine est trop complexe. Personne ne peut surveiller tous les actes des médecins afin de prévenir les préjudices aux patients ou à la société.

Je dirais que le projet de loi C-7 exige un amendement qui préciserait clairement que le fait de forcer un praticien à fournir, recommander ou faciliter une AMM, ou de faire pression sur lui pour qu’il le fasse, serait une infraction en droit criminel.

En terminant, je dirai seulement que la loi initiale sur l’AMM a apporté un changement radical dans notre système de soins de santé, mais qu’elle était prudente et mesurée. La version actuelle du projet de loi C-7 minerait sérieusement l’équilibre délicat qui a été établi dans la loi sur l’AMM. Par conséquent, j’estime qu’il faut rejeter le projet de loi C-7 ou y apporter plusieurs amendements importants.

Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup, docteur Kotalik.

Nous entendrons maintenant Mme Jocelyne Saint-Arnaud, professeure agrégée, Département de médecine sociale et préventive, École de santé publique, Université de Montréal. Elle étudie l’accès à la santé d’un point de vue interdisciplinaire, le droit éthique et la santé publique. Elle a une connaissance approfondie des cadres établis en Europe.

[Français]

Jocelyne Saint-Arnaud, professeure associée, Département de médecine sociale et préventive, École de santé publique, Université de Montréal, à titre personnel : Bonjour à tous. C’est un plaisir d’être parmi vous aujourd’hui et je vous remercie de l’invitation. Je vais d’abord discuter du critère de mort naturelle raisonnablement prévisible qui, selon moi, doit être retiré des conditions d’accès pour les raisons suivantes.

Premièrement, le retrait de ce critère sera conforme à la jurisprudence canadienne dans le jugement Carter et à la jurisprudence québécoise dans le jugement Truchon. Il s’agit aussi d’un critère qui peut susciter plusieurs interprétations, allant d’une semaine à un an, ce qui engendre une inégalité d’accès à l’aide médicale à mourir. Certaines personnes ont fait la grève de la faim pour arriver en fin de vie, ce qui est éthiquement inacceptable. D’un point de vue clinique, il est difficile d’établir un pronostic précis en matière de fin de vie et les statistiques de survie ne permettent pas de juger du pronostic d’un individu en particulier avec exactitude, et encore moins de sa qualité de vie. Je suis d’avis qu’il faut retirer complètement ce critère, plutôt que de faire deux catégories de décès, les uns à brève échéance et les autres non, comme c’est le cas en Belgique. Le projet de loi C-7 ne doit pas faire d’exception pour les personnes atteintes de maladies mentales qui, ainsi, n’auraient pas droit à l’aide médicale à mourir pour plusieurs raisons.

Deuxièmement, la loi modifiant le Code criminel de 2016 serait en contradiction avec elle-même puisque, dans les critères d’accès, il est question de souffrances physiques ou psychologiques intolérables; le texte ne dit pas « et », mais « ou », selon l’alinéa 241.2(2)c). La santé mentale ne peut pas être isolée de la santé physique. Selon l’Association des psychiatres du Canada, les recherches indiquent que les maladies mentales sont causées par l’interaction entre des facteurs biologiques, génétiques, psychologiques et sociaux qui mènent à des perturbations dans le cerveau, et la maladie mentale peut se déclarer chez n’importe qui si des facteurs de risque suffisants sont réunis. Il n’y a donc pas lieu de faire une classe à part dans la loi pour les personnes atteintes de problèmes de santé mentale, car ce serait discriminatoire. La maladie mentale peut causer beaucoup de souffrance, une souffrance chronique associée à des limitations importantes pour ce qui est de la qualité de vie. En cela, elle ne diffère pas d’autres types de maladies. De plus, il existe des troubles neuropsychiatriques graves, comme certains cas de schizophrénie, qui se chronicisent et sont résistants à tout traitement. En désespoir de cause, les personnes atteintes de problème de santé mentale ont recours au suicide. Certaines font des tentatives de suicide en milieu hospitalier et le personnel soignant intervient chaque fois pour leur éviter la mort. L’aide médicale à mourir apparaît comme une pratique plus humaine en ajoutant des mesures de sauvegarde aux critères déjà en place pour la protection des personnes déjà atteintes de troubles mentaux.

Selon les données de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie de Belgique, le pourcentage des euthanasies effectuées chez des personnes atteintes d’affections psychiatriques comme diagnostic principal a baissé de 4 % entre 2009 et 2019. Il n’y aurait donc pas lieu de craindre des dérives de ce côté.

Troisièmement, au lieu de refuser l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de problèmes de santé mentale, il est préférable de baser la loi sur l’évaluation de l’aptitude des personnes qui en font la demande en ajoutant des conditions supplémentaires de sauvegarde. Les lois canadiennes et québécoises sur l’aide médicale à mourir reposent sur le principe de l’autonomie de la personne. Pourquoi faire une exception pour les personnes atteintes de troubles mentaux, étant donné que des résultats d’études empiriques montrent que des pourcentages importants des personnes hospitalisées pour des problèmes de santé mentale graves sont aptes à prendre des décisions pour elles-mêmes? Les références se trouvent dans le document que je vous ai envoyé.

Je propose donc qu’on utilise le critère d’aptitude pour juger si une personne atteinte de troubles mentaux peut avoir accès ou non à l’aide médicale à mourir. Pour ce faire, il faudrait que les mêmes critères et grilles d’évaluation soient utilisés par les psychiatres consultants, ce qui serait plus équitable. Il est clair que les demandes d’aide médicale à mourir obligent les soignants et les patients à discuter des traitements de fin de vie et des niveaux de soin.

Dans une étude rétrospective des dossiers au Québec, on a appris que 21 % des patients ont reçu des soins palliatifs après avoir fait une demande d’aide médicale à mourir. En Belgique, selon De Hert et ses collègues, 50 % des personnes atteintes de troubles mentaux dont la demande d’euthanasie a été étudiée suspendent leur décision après avoir pu en parler. Selon ces auteurs, quand la demande est traitée adéquatement et que les patients peuvent s’exprimer librement, la discussion autour de la demande fait partie du processus thérapeutique et permet d’alléger la souffrance. Le critère indiquant que le patient doit être apte à décider des soins pour lui-même jusqu’au moment de l’aide médicale à mourir doit être éliminé, puisqu’il oblige souvent à devancer la date où l’on fournit l’aide médicale à mourir ou qu’il donne lieu à des comportements éthiquement inacceptables quand des personnes refusent qu’on soulage leur douleur, de peur de ne pas pouvoir conserver jusqu’à la fin leur capacité à consentir ou à refuser des soins.

Quatrièmement, parmi les mesures supplémentaires, l’examen de l’aptitude par des psychiatres permettrait de combler un besoin de réassurance concernant l’identification des symptômes de troubles mentaux, l’aptitude, le type de souffrance et son caractère inapaisable, de même que les types de traitements qui pourraient être offerts. Si le patient choisit d’accepter un ou plusieurs types de traitements, il faudra vérifier les effets de ces traitements sur la condition globale de sa santé, ce qui peut prendre plusieurs années, de même que la persistance de la demande d’aide médicale à mourir au cours des traitements. De plus, étant donné que, pour arriver à la conclusion d’incurabilité, le psychiatre doit évaluer les données biologiques, pharmacologiques, psychologiques et sociales, il serait approprié qu’une équipe multidisciplinaire soit associée aux traitements prescrits et à leur évaluation. Enfin, si le patient l’autorise, ses proches pourraient être associés à la démarche.

Enfin, cinquièmement, je demande que l’aide médicale à mourir fasse partie des directives médicales anticipées, moyennant la vérification de l’aptitude au moment de la demande anticipée. Les Pays-Bas et la Belgique acceptent que les demandes d’euthanasie soient faites dans le cadre de directives anticipées. Au Canada, ce n’est pas possible actuellement. Pourtant, les directives médicales anticipées peuvent être décidées et vérifiées à l’avance, ce qui permettrait de faire un meilleur suivi par la suite pour les personnes atteintes de problèmes de santé mentale.

[Traduction]

La présidente : Madame Saint-Arnaud, pouvez-vous conclure, s’il vous plaît?

[Français]

Mme Saint-Arnaud : Vous pourrez consulter mon document écrit sur l’importance d’inclure l’aide médicale à mourir dans les directives anticipées puisque, par exemple, même atteintes de la maladie d’Alzheimer, des personnes pourraient, dès les premières étapes de la maladie, prévoir l’aide médicale à mourir pour les dernières phases de la maladie. Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup, madame Saint-Arnaud.

Nous allons revenir au Dr Grant.

Docteur Grant, ne vous inquiétez pas. Nous faisons tous face aux mêmes difficultés. Vous n’avez pas à vous en excuser. Nous voulons vous entendre. Vous avez la parole.

Dr Grant : J’espère que vous m’entendez et j’apprécie votre générosité, sénatrice.

La mission du collège des médecins est de servir l’intérêt public, ce qui signifie protéger le public et aussi maintenir la confiance du public dans la profession médicale. Le travail quotidien de notre collège consiste à établir les normes de la profession et à tenir les médecins responsables de leurs actes, notamment en enquêtant sur les plaintes et en les réglant. C’est ce que nous faisons.

Pour remplir leur mandat, les organismes de réglementation doivent prendre des décisions claires, cohérentes et non arbitraires. Pour pouvoir le faire, les organismes de réglementation ont besoin d’une loi qui est claire en soi, qui n’est pas vague et qui est conforme aux normes de la profession médicale. C’est dans cette optique de clarté que je ferai mes commentaires sur le projet de loi C-7.

J’ai témoigné devant le comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur le projet de loi C-14, en 2015. À l’époque, j’étais président de notre fédération nationale, la FOMC, la Fédération des ordres des médecins du Canada. J’ai alors soutenu que les dispositions concernant la mort naturelle raisonnablement prévisible étaient trop vagues pour permettre une réglementation. D’autre part, au nom des organismes de réglementation, pour des raisons semblables, j’ai vivement recommandé l’ajout d’un libellé pour tenir compte du sort des patients admissibles dont les capacités cognitives sont diminuées.

Je suis heureux de voir les changements dans le projet de loi C-7 en ce qui concerne la mort naturelle raisonnablement prévisible et l’incorporation de ce que nous appelons l’amendement d’Audrey. À cet égard, le projet de loi C-7 constitue une nette amélioration par rapport au projet de loi C-14.

Les questions difficiles que le projet de loi C-14 a confiées aux organismes de réglementation, sur lesquelles le projet de loi C-7 reste silencieux, telles que l’objection de conscience des médecins, ont été examinées par les collèges de médecins, et les tribunaux canadiens se sont également prononcés sur ce sujet. Lorsque j’examine le projet de loi C-7, je m’inquiète surtout de la disposition établissant que la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap et qui exclut donc de l’AMM les patients qui souffrent uniquement de maladie mentale. Cette disposition est vague, elle va à l’encontre de la philosophie de la médecine et elle ne permettra pas une réglementation efficace, solide et cohérente. Je m’explique.

Dans le monde de la médecine, l’expression « maladie mentale » n’est pas un terme médical clair ou précis. Cela ne veut peut-être pas dire ce que vous pensez. Je ne suis pas certain de ce que ce terme signifie dans le projet de loi C-7. Pour les médecins, il y a une distinction importante entre une maladie, qui est une entité biologique, et une affection, c’est-à-dire l’expérience du patient avec la maladie.

Je crois comprendre où les rédacteurs du projet de loi C-7 voulaient en venir. J’ai l’impression qu’ils cherchaient à exclure de l’admissibilité les patients qui souffrent exclusivement d’une maladie psychiatrique dont le diagnostic n’est pas étayé par des preuves physiques ou pathologiques. Si telle était leur intention, le libellé que je viens de proposer serait meilleur et plus clair pour les médecins et les organismes de réglementation.

Il reste à voir si ce patient devrait être exclu et pourquoi. Ces questions pourraient être considérées par certains comme strictement politiques ou sociales. Pour une autorité réglementaire, comme moi, il y a une règle selon laquelle un bon exercice de la médecine consiste à considérer le patient dans son intégralité. Nous exigeons que la maladie et l’affection soient traitées de façon indissociable. Il ne s’agit pas de sémantique. C’est le visage humain de la médecine. Nous ne voulons pas qu’un chirurgien traite la vésicule biliaire dans la salle 4; nous voulons qu’il traite, dans la salle 4, le patient qui a une maladie de la vésicule biliaire.

L’exclusion prévue dans le projet de loi C-7 crée un dilemme. Les patients souffrant d’affections identiques causées par des maladies différentes n’auront pas les mêmes options de traitement simplement en raison d’analyses de laboratoire différentes ou de résultats d’IRM différents. Cela crée deux catégories de maladies, selon que leur diagnostic a, ou n’a pas, un fondement pathologique. Cela va à l’encontre des bonnes pratiques médicales. Cela va à l’encontre de la philosophie de la médecine et affaiblira la médecine en forçant les organismes de réglementation à prendre des décisions sans cohérence logique.

Pourquoi la souffrance psychiatrique est-elle perçue différemment? Je crains que l’exclusion prévue dans le projet de loi C-7 ne découle d’une préoccupation précise selon laquelle le consentement des patients psychiatriques n’est pas nécessairement fiable. On vous a certainement dit, ou on vous dira, que cette façon de penser renforce la stigmatisation imposée depuis longtemps aux patients psychiatriques qui sont inaptes à consentir et incapables de participer aux décisions les concernant.

Il est difficile d’exercer la médecine. Il est souvent difficile d’obtenir un consentement éclairé. C’est la pierre angulaire de la médecine. La profession peut déterminer l’aptitude du patient à consentir. Elle peut déterminer sa capacité décisionnelle, même dans des situations très difficiles. Les médecins évaluent régulièrement si un patient psychiatrique devrait être hospitalisé sans son consentement. Quelles que soient les raisons politiques ou sociales sous-jacentes, les décisions d’exclure ces patients ne devraient pas être influencées par la notion que la médecine ne peut pas évaluer leur aptitude à consentir. Cela affaiblira toute la base de notre système médical. Les défis liés à l’évaluation de l’aptitude ne devraient pas justifier le refus d’un traitement constitutionnellement valide aux patients qui souffrent.

Permettez-moi de parler brièvement au nom d’un petit groupe de patients potentiels. Prenons l’exemple d’une patiente qui souffre d’anorexie mentale au stade avancé et qui répond à tous les critères de l’aide médicale à mourir. Elle perdra son admissibilité au moment de la promulgation du projet de loi C-7. Je crains qu’elle se hâte d’obtenir l’aide médicale à mourir plus tôt qu’elle ne le souhaiterait autrement et qu’elle ne soit pas la seule à le faire. Ironiquement, elle sera confrontée au même choix que Kay Carter, il y a des années.

En ce qui concerne la logistique nécessaire pour tenir compte des dispositions de temporarisation, permettez-moi de dire que les organismes de réglementation peuvent agir aussi rapidement qu’il le faut et qu’ils le feront.

Pour conclure — et encore une fois, je vous remercie, sénatrice, de votre indulgence à l’égard de mes difficultés techniques —, je me réjouis du libellé du projet de loi C-7 en ce qui concerne la mort naturelle raisonnablement prévisible et l’amendement d’Audrey. Toutefois, j’estime que les dispositions excluant les patients atteints de maladie mentale de l’AMM posent problème. Le libellé actuel du projet de loi C-7 est trop vague et non médical pour assurer une bonne réglementation. De plus, l’intention du libellé affaiblira la réglementation, affaiblira la médecine et affaiblira la confiance du public dans la médecine en établissant une norme qui va à l’encontre des bonnes pratiques médicales. Je demande instamment que cette disposition soit réexaminée. Encore une fois, je vous remercie.

La présidente : Docteur Grant, nous vous remercions également de votre patience. Merci de votre exposé.

Nous allons maintenant passer à notre dernière intervenante, Mme Julie Campbell, qui est infirmière praticienne. Mme Campbell possède une vaste expérience de la gestion d’un programme d’AMM, ainsi qu’une expertise personnelle. Vous avez la parole.

Julie Campbell, infirmière praticienne : Merci, madame la présidente, et bonjour à tous. Je m’appelle Julie Campbell, et je prends la parole aujourd’hui en tant qu’infirmière praticienne, évaluatrice et dispensatrice de l’AMM, et en me fondant sur mon expérience en matière de coordination, de navigation et de leadership dans ce domaine.

Je tiens à féliciter tous les sénateurs pour l’enquête approfondie qui a été entreprise afin de comprendre ce travail et nos patients. En suivant ce processus d’examen législatif et les médias qui l’entourent, deux mots me viennent souvent à l’esprit : la confiance et la peur. Il serait impossible de légiférer sur tous les aspects des soins médicaux, et nous avons donc un système où la loi fournit un cadre, et les cliniciens agissent dans ce cadre pour établir et maintenir la confiance du public.

La peur est alimentée par des inexactitudes ou un manque d’information. La confiance est établie en assurant l’accès à des renseignements transparents, complets et exacts.

Je mets chacun d’entre vous au défi d’entendre chaque témoin et de se demander si l’information présentée décrit fidèlement la façon dont l’AMM a été mise en œuvre et comment les changements apportés au projet de loi C-7 influeraient sur cette pratique. Ou l’information présentée reflète-t-elle simplement une crainte de ce qui pourrait se produire?

Je vous mets au défi de demander, lorsque des histoires individuelles sont partagées, si cette personne a été effectivement déclarée admissible ou si elle suppose seulement qu’elle pourrait l’être. Il s’agit d’un point essentiel pour surmonter la peur et pour effectuer l’analyse minutieuse que nous appliquons à chaque situation individuelle au moment de déterminer l’admissibilité.

Il est important d’avoir de l’expérience en tant qu’évaluateur. Presque chaque semaine, je corrige des inexactitudes dans les croyances des personnes qui ne participent pas à l’AMM quant à la façon dont l’AMM est mise en œuvre ou qui peut y être admissible. Une petite inexactitude, ou pire, une petite inexactitude alimentée par une éthique personnelle conflictuelle, peut mener à la peur, et la peur est contagieuse.

En examinant le projet de loi C-7, j’ai réfléchi à des situations dans lesquelles ces changements auraient apporté à mes patients une plus grande paix, un plus grand respect de leur vie privée et un meilleur soulagement de leurs souffrances s’ils avaient été en place. J’ai eu des patients qui, comme Audrey Parker, ont choisi une date antérieure parce qu’ils craignaient de perdre leurs capacités. Cette crainte me semble plus réaliste que l’affirmation selon laquelle un patient admissible et approuvé qui persiste dans sa demande et qui a rempli une renonciation au consentement final ne souhaite pas aller de l’avant s’il perd ses capacités.

Le projet de loi C-7 élargit le nombre de personnes admissibles à l’aide médicale à mourir. Toutefois, il maintient la condition importante selon laquelle seul le patient peut donner son consentement, et que le consentement final soit admissible ou non à une renonciation, le consentement initial est toujours celui d’un patient disposant de ses capacités.

Des gens ont exprimé la crainte que le projet de loi C-7 les englobe involontairement. La vérité, c’est que le projet de loi C-7 n’inclut personne qui ne souhaite pas être inclus. Les patients doivent être admissibles et recevoir toute l’information sur leurs options et leurs ressources, et ils doivent être en mesure de comprendre pleinement ces options, de démontrer leur compréhension et de prendre des décisions de façon indépendante et volontaire.

Nous avons travaillé fort comme fournisseurs et évaluateurs pour gagner la confiance des patients et des familles. En Ontario, où je travaille, chaque cas est examiné par un groupe d’infirmières enquêteuses au Bureau du coroner en chef, et tous les documents sont soumis à leur examen.

Chaque mois, je parle à plus de 140 nouveaux patients et familles. Leurs préoccupations les plus courantes sont la perte des capacités avant le consentement final et une période de réflexion de 10 jours. J’apprécie que l’adoption du projet de loi C-7 règle ces problèmes.

J’apprécie également les changements concernant les témoins des demandes. Permettre aux fournisseurs de soins d’être témoins est une étape positive vers la protection de la vie privée des patients.

Chaque évaluation de l’AMM exige l’approche personnalisée et réfléchie d’un évaluateur compétent. Nous faisons ce travail intentionnellement. Nous partageons les pratiques exemplaires à l’échelle nationale dans notre quête d’excellence. Avant chaque évaluation, je fais un examen approfondi des problèmes médicaux de chaque patient, des traitements et des résultats antérieurs, des notes de consultation et de tout autre document pertinent. Je parle aux autres membres de l’équipe, puis je m’assois et je passe du temps avec mes patients. J’apprends à les connaître. Je leur demande ce qui est important pour eux, quelles sont les personnes importantes pour eux et comment ils aimeraient que se passe leur mort. Je leur explique soigneusement le processus d’évaluation, la prestation de l’AMM et ce à quoi eux-mêmes et leur famille doivent s’attendre. Je leur explique le rôle du coroner et toutes les options à leur disposition, y compris, mais sans s’y limiter, les soins palliatifs. S’ils semblent avoir le moindre doute, je prends un autre rendez-vous pour les revoir. Je leur donne mon numéro de téléphone direct pour répondre à leurs questions, je m’assure qu’ils comprennent l’information et je leur communique clairement ma décision. Je m’assure qu’ils savent qu’ils continueront de recevoir les soins les meilleurs, quel que soit le choix de fin de vie qui leur convient le mieux.

Les évaluateurs ayant de l’expertise en matière d’admissibilité à l’AMM forment un groupe bien informé ayant des antécédents divers. Cependant, j’étais préoccupée par le libellé original du projet de loi C-7 et je me suis réjouie de voir que l’amendement a été appuyé. Certains patients ont des problèmes de santé incroyablement complexes ou rares, et nous avons consulté des experts dans ces cas-là. Le projet de loi C-7 laissait entendre que le spécialiste de la condition médicale devrait également avoir une expertise en tant qu’évaluateur, et que les praticiens pourraient refuser de participer au nom de la liberté de conscience. Il est préférable pour le patient de consulter un spécialiste de sa condition et d’être évalué par une personne qui a de l’expertise en matière d’admissibilité à l’AMM. Le fait d’exiger qu’une personne possède une expertise dans ces deux domaines peut limiter considérablement l’accès pour nos patients dont les cas sont les plus complexes.

Enfin, je m’en voudrais de ne pas mentionner que la mise en œuvre de cette loi fédérale repose sur la collaboration avec les gouvernements provinciaux. Des inégalités d’accès existent en raison des différences régionales et provinciales. Parmi les exemples, mentionnons le remboursement du sécobarbital, les limites du champ d’exercice et la rémunération des infirmières praticiennes, dont bon nombre font ce travail gratuitement depuis 2016, malgré de nombreuses tentatives auprès des gouvernements provinciaux pour remédier à la situation.

La loi ne donnera le choix aux patients canadiens que si elle peut être mise en œuvre. Je vous remercie de votre temps et de votre travail acharné.

La présidente : Madame Campbell, nous vous sommes reconnaissants du travail que vous faites et du temps que vous prenez pour témoigner aujourd’hui. Merci.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par la marraine du projet de loi, la sénatrice Petitclerc.

La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à M. Cohen-Almagor. Je ne sais pas si vous connaissez le premier rapport sur l’AMM du Canada, mais l’une des choses que nous avons apprises à partir des données que nous avons recueillies, c’est qu’au Canada, la majorité des personnes qui ont reçu l’AMM ont aussi déclaré avoir reçu des soins palliatifs, 82,1 % de celles qui ont bénéficié de l’AMM ont reçu des soins palliatifs. J’aimerais vous entendre parce que vous avez une expérience internationale et que vous avez fait des recherches. Comment cela se compare-t-il à d’autres pays? Je sais que vous avez mentionné l’importance des soins palliatifs dans votre rapport. Comment voyez-vous cela?

M. Cohen-Almagor : Je vous remercie de votre question. Je suis heureux d’entendre cela, parce que 82 %, c’est très élevé. Je ne pense pas que ce soit comparable à ce que j’ai vu dans d’autres pays, à l’exception de la Grande-Bretagne. En Grande-Bretagne, il y a de très bons soins palliatifs.

Je trouve inquiétant — j’en ai été témoin à maintes reprises en Belgique, aux Pays-Bas et en Suisse, les trois pays que j’ai étudiés — d’entendre dire constamment que les médecins n’offrent pas de soins palliatifs à leurs patients. Beaucoup de médecins ne connaissent pas les soins palliatifs. Lorsque j’ai demandé au directeur de l’unité de soins intensifs du plus grand hôpital de Bruxelles s’il consultait des spécialistes en soins palliatifs, il m’a dit : « Pourquoi devrais-je le faire? Je sais tout ce qu’il y a à savoir. Aucun médecin en soins palliatifs ne peut me dire quoi que ce soit que je ne sache déjà. » Ce genre de dédain pour les soins palliatifs me préoccupe beaucoup. Pendant de nombreuses années, il n’y avait pas de spécialistes en soins palliatifs dans le pays. J’étais en Suisse en 2018, et on m’a dit que les soins palliatifs étaient limités.

Je sais très bien qu’il y a peut-être des patients qui veulent décider du moment de leur mort, et je respecte cela. Je sais aussi qu’il y a beaucoup de patients qui, si on leur offrait de bons soins palliatifs, pourraient changer d’avis.

Je suis très heureux de ce que vous m’avez dit, et j’implore le gouvernement canadien de fournir des ressources aux praticiens pour qu’ils fournissent des soins palliatifs, afin de s’assurer qu’il y aura suffisamment de médecins en soins palliatifs dans chaque hôpital de chaque région, parce que cela peut sauver des vies.

La sénatrice Petitclerc : Merci. Les sénateurs s’entendent pour dire que nous appuyons les soins palliatifs au Canada.

Une autre question rapide, parce que mon temps est limité : il y a un débat quant à savoir ce qui est trop permissif et ce qui est trop restrictif. Quels seraient vos critères pour une approche d’AMM trop permissive, par exemple? Quels sont les critères que nous devrions rechercher?

M. Cohen-Almagor : Je vous remercie de votre question. Veuillez consulter les documents que je vous ai fournis. L’un des documents contient 20 lignes directrices qui expliquent comment bien faire les choses. Cela se fonde sur une étude minutieuse de neuf pays, que j’ai moi-même visités, et de douzaines d’hôpitaux et de centres de recherche. Je dois aussi dire que j’ai été l’un des rédacteurs de la Dying Patient Law, une loi israélienne pour laquelle un groupe de 60 personnes a tout étudié au sujet de ces patients pendant deux ans. J’ai également travaillé comme consultant pour sept autres gouvernements dans le monde. Je vous prie d’examiner ces lignes directrices. Elles sont importantes.

J’ai ici une ligne directrice claire, et c’est celle concernant l’aptitude ou l’inaptitude à consentir du patient. Toutes les lois aux Pays-Bas et en Belgique ont commencé par viser les patients aptes. Puis, après un certain temps, on a commencé à argumenter sur la justice et la non-discrimination, et les patients inaptes sont également entrés, peu à peu, dans l’équation.

Je trouve cela très inquiétant si l’on veut s’assurer qu’il n’y a pas d’abus. Si vous permettez à des patients inaptes d’obtenir l’aide médicale à mourir, je pense que c’est à ce moment-là que vous ouvrez la porte aux abus. Qui est en mesure de prendre cette décision? Utilisez votre propre définition de l’autonomie. Un patient inapte est-il autonome? Je ne crois pas.

Penchez-vous sur la question de l’aptitude à consentir et de notre connaissance actuelle du cerveau. Le cerveau est encore un mystère pour nous. Nous en savons beaucoup sur de nombreux organes, le cœur, les poumons, les reins et ainsi de suite. Le cerveau est un mystère. Donc, lorsque vous traitez de questions qui ont trait au cerveau, faites attention. C’est mon plaidoyer.

La sénatrice Batters : Ma première question s’adresse au Dr Kotalik. Comme vous le savez, docteur Kotalik, le projet de loi C-7 supprime certaines mesures de sauvegarde du régime actuel. À votre avis, avons-nous suffisamment de données pour justifier l’élimination de mesures de sauvegarde du régime actuel?

Dr Kotalik : Merci beaucoup pour cette question. Je pense que c’est une question très importante à régler en ce moment.

Le projet de loi supprime un certain nombre de mesures de sauvegarde sans fournir la moindre justification. Lorsqu’on examine le rapport annuel du gouvernement fédéral de l’année dernière, on y trouve beaucoup de données sur les répercussions sociales du programme d’AMM, mais il n’y a aucune référence aux mesures de sauvegarde ou aux critères d’admissibilité. Je ne vois pas grand-chose qui justifie ces changements.

Les mesures de sauvegarde mises en place en 2016 étaient considérées comme absolument essentielles pour prévenir les abus et avoir un programme équilibré. Il n’est pas très judicieux de les supprimer sans avoir une évaluation de leur fonctionnement dans la pratique, ce que nous n’avons pas à l’heure actuelle. Les rapports annuels de l’an dernier ne fournissent qu’un aperçu fragmentaire de certains des critères et de certaines des mesures de sauvegarde, mais aucun examen systématique au cas par cas, qui serait nécessaire pour détecter tout programme appliquant ces critères. Le problème, c’est que ce projet de loi est présenté à un moment où nous n’avons pas fait d’examen indépendant et aux premières étapes de nos tentatives de surveillance d’un programme national d’AMM.

La sénatrice Batters : Merci.

Ma deuxième question s’adresse aux représentantes de Santé Canada. Parmi les milliers de personnes qui ont reçu l’AMM depuis l’entrée en vigueur du projet de loi C-14, en 2016, combien ont reçu l’AMM pour une maladie mentale comme seule condition sous-jacente? Je pose la question parce que quelques témoins qui ont comparu devant le comité récemment ont laissé entendre que cela s’est produit. Je veux savoir combien de fois cela s’est produit et pour quelles maladies mentales.

Mme Hoffman : Je vous remercie de votre question, sénatrice Batters. Je pense que, d’après les données que nous avons recueillies et dont nous avons fait rapport, même s’il y a des personnes — et un nombre important, une minorité, mais néanmoins un nombre important — qui sont identifiées par l’évaluateur et le fournisseur de l’AMM à mourir comme étant atteintes d’une maladie neurodégénérative, ce ne sont pas des personnes définies comme ayant une maladie mentale, disons un trouble psychiatrique, pour utiliser ce terme, comme seule condition sous-jacente justifiant leur admissibilité à l’AMM et qui l’auraient donc reçue.

La sénatrice Batters : Même si le témoin dit connaître des cas de ce genre, ce n’est pas exact d’après les données que vous avez?

Mme Hoffman : En effet.

La sénatrice Batters : Merci.

La présidente : J’ai une question pour Mme Hoffman.

Madame Hoffman, la ministre a communiqué à notre comité une analyse comparative entre les sexes et une analyse comparative entre les sexes plus, et je lui ai demandé pourquoi aucune analyse fondée sur la race n’avait été effectuée. J’ai plus tard posé cette question à vos collègues du ministère de la Justice, et ils m’ont conseillée de faire un suivi auprès de votre ministère au sujet de mes préoccupations concernant l’absence d’analyse fondée sur la race et la collecte de données pour l’analyse comparative entre les sexes plus dans le cadre de l’étude du projet de loi C-7. J’ai été très déçue et découragée de voir que le document sur l’ACS+ que j’avais reçu ne tenait pratiquement pas compte de la race. Étant donné que ces pouvoirs de réglementation relèvent du ministère de la Santé, à votre connaissance, le gouvernement fédéral recueille-t-il des données ventilées selon la race?

Mme Hoffman : Merci, sénatrice, de votre question. Je dirai simplement, comme on l’a laissé entendre hier, je crois, mais je vais certainement le dire clairement aujourd’hui, qu’en ce moment, en ce qui concerne le régime de surveillance fédéral, nous ne recueillons pas de données fondées sur la race ou d’autres renseignements concernant l’ethnicité.

Comme le ministre Lametti l’a laissé entendre hier, nous devons faire mieux dans ce domaine et nous le ferons. Nous avons entendu vos commentaires, hier, et nous les avons pris très au sérieux. Nous examinerons très attentivement comment nous pouvons inclure des renseignements sur l’origine ethnique, non seulement dans le régime de surveillance, mais aussi dans notre examen plus général de nos enjeux sociétaux et sociodémographiques qui influent à la fois sur l’accès aux soins de santé et à l’AMM et sur l’évaluation de l’admissibilité à l’AMM. Je pense pouvoir vous donner l’assurance que nous examinons cela très attentivement et que nous apporterons les ajustements appropriés au régime de surveillance qui suivra l’adoption du projet de loi C-7.

La présidente : Madame Hoffman, je vous remercie de votre réponse. Merci.

Je suis perplexe devant tout ce qui s’est passé en juillet dernier lorsque le caucus des parlementaires noirs a convenu que nous aurions des données fondées sur la race. Le ministre Lametti et la ministre Hajdu étaient à nos caucus, et ils ont entendu cela. C’était une demande. Je ne devrais pas être la seule à dire : « D’accord, nous allons examiner la question. » La grande question est surtout de savoir comment on peut ne pas tenir compte de la réalité de tout un groupe de personnes. C’est ce qui m’inquiète.

Mme Hoffman : Madame la sénatrice, puis-je répondre brièvement. C’est une observation intéressante. De toute évidence, ces questions sont d’actualité depuis quelque temps déjà, bien avant juillet 2020, comme vous le savez. Pour que nous puissions changer le fondement et la nature des renseignements que nous recueillons, il faut modifier la réglementation. Chaque élément d’information et chaque donnée que nous recueillons figure dans les sept annexes du Règlement sur la surveillance de l’AMM. Nous allons réviser les règles le plus rapidement possible.

Nous ferons ce que nous avons déjà fait avec les provinces quand nous avons produit nos rapports intérimaires, avant même la mise en place du régime réglementaire. Nous collaborerons avec les provinces et les territoires et nous veillerons à ce que, dans l’intervalle, nous ayons des moyens de recueillir des données qui finiront par être codifiées dans le Règlement. Nous savons que certaines administrations, pas toutes, recueillent des données sur l’origine ethnique. Nous allons nous appuyer sur ces données dans la mesure du possible, jusqu’à ce que les modifications réglementaires requises soient apportées.

La présidente : Madame Hoffman, je vous remercie pour cette réponse.

J’en arrive à ma dernière question. Le gouvernement prend-il des mesures efficaces pour établir un cadre national de collecte et d’analyse de données fondées sur la race et l’identité autochtone au Canada? Je vous pose la question et j’ai entendu votre réponse. Je tiens à ce que cela figure au compte rendu. Est-ce qu’on recueille des données ou non?

Mme Hoffman : Si vous parlez des données sur la race dans le contexte de l’AMM, voire de l’accès à des services de santé en général à l’échelle fédérale, la réponse est non. Cela dit, il est possible, en faisant le couplage d’ensembles de données à Statistique Canada, d’extraire des données spécifiques sur l’origine ethnique, mais il n’y a pas de base de données expressément là-dessus. Pour les obtenir, il faudrait examiner des ensembles de données couplées.

La présidente : C’est donc possible. Il ne manque plus que l’intention de faire, exact?

Mme Hoffman : C’est possible, mais c’est aussi une question de temps. Nous nous faisons un point d’honneur de produire ces données et ce rapport de surveillance de l’AMM le plus rapidement après l’expiration de la période en question. Si nous attendions d’obtenir des données couplées de Statistique Canada, il nous faudrait attendre une année ou même davantage avant de pouvoir faire la lumière sur les questions dont vous parlez. Nous nous sommes engagés à trouver un moyen de faire cela de manière plus efficace et rapide.

La présidente : Madame Hoffman, vous et moi avons travaillé ensemble il y a des années. Vous dites que vous étiez tellement dans l’urgence que vous n’avez pas tenu compte d’un important groupe ethnique au Canada et je le signale aux fins du compte rendu. Je sais que vous ne pouvez pas me donner une réponse plus complète.

Dr Kotalik : À cet égard, je dois me porter à la défense du ministère de la Santé. Dans notre système de soins de santé, la désignation raciale n’est pas systématique et elle est problématique. En tant que président du comité de l’éthique, j’ai essayé de trouver une façon de calculer le pourcentage de patients autochtones que nous avions et nous avons discuté de la manière de le faire. Le problème, c’est d’abord que les patients d’origine autochtone ou qui appartiennent à une tribu n’ont pas envie de donner cette information, peut-être parce qu’ils ne veulent pas être traités différemment. Par ailleurs, du point de vue du système de santé, nous craignions que le fait d’étiqueter un patient comme étant d’origine autochtone soit un facteur de division et de discrimination. C’est pourquoi nous ne pouvions pas recueillir cette information au moment de l’admission de nos patients.

Le sénateur Harder : Madame Saint-Arnaud, dans les pays qui autorisent l’AMM pour cause de maladie mentale, le nombre de patients admissibles est extrêmement faible d’après les données que j’ai. Certains témoins entendus cet après-midi ont prétendu le contraire. Mes données indiquent qu’en Belgique, par exemple, on a signalé 57 cas d’euthanasie chez des personnes souffrant de troubles mentaux sur une période de deux ans, soit une moyenne annuelle de 28; aux Pays-Bas, il y a eu 68 cas en 2019.

Ces données n’indiquent nullement qu’il y a un risque de dérive. En fait, le nombre est plutôt faible. Compte tenu de votre intérêt professionnel et de votre expérience en matière de comparaisons internationales, pouvez-vous nous en dire plus sur l’expérience du Benelux et sur la théorie de la dérive dont on a parlé ici?

[Français]

Mme Saint-Arnaud : Pour ma part, je n’ai pas constaté de dérapages. Les chiffres que j’ai pour 2009, et ils viennent de la Belgique, rapportent qu’il y en aurait eu 36; cela veut dire que 4,89 % des euthanasies sont le fait de personnes qui ont des problèmes de santé mentale. En 2019, il y en a eu moins, soit 23, ce qui correspond à 0,86 % des euthanasies. Donc, pour ma part, je ne vois pas du tout de dérives de ce point de vue.

Je pense que ce sont les médecins et les infirmières praticiennes qui s’assureront que les précautions nécessaires seront prises pour les personnes atteintes de problèmes de santé mentale, si jamais la loi autorise l’aide médicale à mourir pour ces personnes au Canada.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Je vous remercie de cette précision.

La sénatrice Martin : Je remercie tous nos témoins.

Docteur Kotalik, vous avez parlé de l’importance de respecter la liberté de conscience des professionnels de la santé, et cet enjeu a été au cœur de mes préoccupations et de celles d’autres intervenants tout au long de ce débat. Vous avez également insisté sur l’importance de respecter la conscience des médecins surtout en ce qui concerne leur capacité à prodiguer de bons soins. Il a été bien expliqué que la liberté de conscience est inséparable de ce qui les guide dans leur travail. Hier, le ministre Lametti a réitéré la disposition du projet de loi C-14 qui protège la liberté de conscience, mais pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette disposition s’est révélée insuffisante dans la pratique? C’est ce que nous ont affirmé certains témoins et j’aimerais entendre votre point de vue à ce sujet.

Dr Kotalik : Merci. C’est très simple, en fait. Dans le projet de loi C-14, la protection de l’objection de conscience est énoncée dans le préambule. Elle fait partie d’une série de protections qui doivent être offertes, mais quand vous arrivez à la fin de la loi, vous constatez qu’il n’y a pas de véritable protection dans le droit pénal. Nous aurions besoin d’une disposition en vertu de laquelle le fait de forcer quelqu’un à offrir cette aide constituerait une infraction au sens du droit pénal similaire à celle consistant à fournir de faux renseignements sur l’AMM ou à omettre de donner une information pour laquelle la loi prévoit des conséquences. Nous devons sortir cette disposition du préambule et l’enchâsser dans le corps de la loi afin qu’elle relève du droit pénal. Je vous remercie.

La sénatrice Martin : Je vous remercie de cette réponse. Je sais que nous examinerons des amendements à l’étape de la troisième lecture et c’est l’un de ceux qui retiendront mon attention.

Monsieur Cohen-Almagor, je vous remercie d’avoir fait une étude exhaustive des régimes d’euthanasie en place dans différents pays. Nous avez parlé de l’importance des mesures de sauvegarde, des conseils et des lignes directrices que vous proposez pour notre régime. Il reste toutefois une question importante à laquelle je n’ai pas eu de réponse satisfaisante. Je l’ai d’ailleurs posée à la ministre de la Santé qui n’y a pas répondu directement, mais d’une manière différente. Ma question porte sur les mécanismes d’interruption du processus d’AMM afin de s’assurer que toutes les options sont offertes et qu’il peut y avoir des interventions. Je suis curieuse de connaître les mécanismes d’interruption que vous avez observés dans d’autres pays et que nous devons nous assurer d’avoir au Canada.

M. Cohen-Almagor : Merci pour cette question. Si vous voulez que votre régime fonctionne bien, vous devez prévoir des mécanismes de contrôle et d’inspection. De tous les pays que j’ai étudiés, le meilleur régime, à mon avis, est celui de l’État de l’Oregon; il n’est pas parfait, mais c’est le meilleur de tous. Regardez ce qui se passe en Oregon. C’est un État très proactif et transparent, puisque chaque année, il publie un rapport annuel très détaillé, contrairement à d’autres pays qui ne le font malheureusement pas. Si vous souhaitez suivre un bon modèle pour le Canada, je vous recommande celui de l’Oregon.

La sénatrice Martin : Merci. C’est un autre point que nous devons examiner très attentivement.

Ma prochaine question est pour Abby Hoffman. Vous avez dit que vous alliez faire un examen du régime de surveillance et tenir compte des préoccupations exprimées par la communauté des personnes handicapées, mais vous n’avez pas parlé des préoccupations des communautés autochtones. Pouvez-vous confirmer qu’elles seront également prises en compte?

Mme Hoffman : Oui, en effet, cela a été souligné. Malgré les efforts considérables déployés pour mobiliser les communautés autochtones dans cette dernière ronde de consultations, en janvier dernier, je pense qu’ils n’ont pas été suffisants de façon générale. Nous ne sommes pas en désaccord avec cela. Je pense que nous sommes très clairs. Il y a une grande diversité de points de vue parmi les communautés autochtones, non seulement en raison de leurs distinctions, mais sur un plan plus général. Au fur et à mesure que notre régime de surveillance prendra forme, nous veillerons à ce que les groupes autochtones, dans leur diversité, participent au processus de consultation.

J’ajouterai, si vous le permettez, que nous avons été particulièrement frappés par l’expérience d’AMM que nous a racontée le sénateur Sinclair avant Noël. Il s’agissait d’une femme autochtone qui avait choisi l’AMM, mais les circonstances dans lesquelles cette aide lui a été fournie par les prestataires ont clairement posé des problèmes. Ces problèmes découlent non seulement du régime de surveillance, mais bien de la manière dont l’AMM est prodiguée.

Je tiens à souligner que j’ai été très impressionnée par ce que Julie Campbell a dit aujourd’hui sur la diligence, la compassion et la rigueur qui président à l’évaluation ou à la prestation de l’AMM. Nous devons veiller à ce que ces processus soient empreints de sensibilité et de respect à l’égard des personnes appartenant à de nombreux groupes susceptibles de demander l’AMM dans notre pays. Même si le point de vue prédominant au sein d’une communauté est que l’AMM n’est pas vraiment compatible avec la culture dominante de cette communauté, cela ne veut pas dire que certains membres ne demanderont pas l’AMM, et ils devront être traités avec sensibilité et respect.

Je vous remercie pour cette question, sénatrice Martin.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci à tous les témoins pour leurs témoignages de grande qualité. Ma question s’adresse à Mme Saint-Arnaud. Je vais revenir sur la déclaration du ministre concernant l’admissibilité de l’aide médicale à mourir pour les personnes qui souffrent de maladies dégénératives cérébrales. Nos connaissances ne sont pas assez complètes, et cela pourrait provoquer des dérives.

J’ai cru comprendre de votre témoignage et des statistiques que vous avez évoquées que, dans ces cas, au Québec du moins, nous n’avons vu aucune dérive. Lorsque nous parlons de maladies dégénératives cérébrales, nous ne faisons pas seulement référence à la douleur, mais aussi à des conditions de fin de vie presque inhumaines. Par exemple, certains ont vu leurs proches mourir d’alzheimer. Leur expérience les a rendus beaucoup plus sensibles à ce sujet et ce sont des moments qu’ils ne veulent pas vivre eux-mêmes. Les gens voudraient, au moment où ils reçoivent un diagnostic... Hier, j’ai parlé hier d’une dame qui a fait l’objet d’un reportage dans La Presse, qui a vu son père mourir d’alzheimer à 53 ans dans des conditions inhumaines. Elle ne veut pas traverser cela, et elle vient d’apprendre qu’elle va souffrir d’alzheimer. Ma question est la suivante : comment pouvons-nous modifier ou proposer un amendement dans ce projet de loi pour faire en sorte que les gens qui souffrent de maladies dégénératives cérébrales... On parle dans ce cas-ci d’un problème physique, ce sont les cellules qui, en se détériorant, enlèvent toute conscience de vie ou perception de vie.

Donc, comment ce projet de loi pourrait-il être modifié pour faire en sorte que ces gens puissent, soit par procuration, soit par une directive anticipée, bénéficier de l’aide médicale à mourir au moment où ils ne seront plus conscients?

Mme Saint-Arnaud : Je dirais d’abord qu’il faut retirer le critère qui a trait à l’aptitude qui doit être maintenue jusqu’au moment de l’aide médicale à mourir. Ce serait la première condition, le premier changement à faire dans la loi canadienne et aussi dans la loi québécoise. Les personnes atteintes d’alzheimer pourraient faire une demande d’aide médicale à mourir grâce à des directives médicales anticipées, ce qui n’est pas possible actuellement, alors que ce l’est dans d’autres pays comme les Pays-Bas et la Belgique. Par exemple, une personne qui reçoit un diagnostic, et qui est toujours évaluée comme étant apte à prendre des décisions pour elle-même au moment où elle fait connaître ses directives anticipées, serait en mesure de décider, par exemple, qu’elle pourrait recevoir l’aide médicale à mourir dans les dernières phases de la maladie d’Alzheimer.

Je n’ai pas eu le temps d’aller plus loin à ce sujet, mais le changement que je demande, c’est que l’aptitude soit évaluée au moment où la personne fait ses directives anticipées, ce qui n’existe pas pour le moment. Actuellement, une personne peut remplir un formulaire et peut refuser, par exemple, tous les traitements qui pourraient la maintenir en vie si elle était dans telle ou telle condition, c’est-à-dire un décès imminent, un coma végétatif persistant ou encore si elle souffrait de démence dans les derniers stades de la maladie. Elle peut, au Québec, refuser des traitements qui la garderaient en vie si elle était atteinte de démence de type alzheimer, mais elle n’a pas la possibilité à demander l’aide médicale à mourir, ce qui pourrait être corrigé.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Merci beaucoup de nous transmettre ces renseignements de Santé Canada. Cela démontre, en fait, que la qualité des services n’est pas nécessairement évaluée.

Ma question s’adresse au Dr Grant. Le projet de loi C-7 exige que les patients soient informés des solutions de rechange disponibles pour soulager leurs souffrances. Au cours de son étude préalable du projet de loi, le comité a entendu des témoins de la Nouvelle-Écosse dire que, dans bien des cas, ces solutions ne sont pas disponibles et qu’en fait, elles font l’objet de litiges en matière de droits de la personne en raison de la pratique consistant à confiner les personnes handicapées dans des établissements hospitaliers à cause d’une liste d’attente de plusieurs années et du fait que plus d’un millier de personnes essaient d’obtenir des soins communautaires. Je suis curieuse de savoir comment vous prévoyez vous conformer à l’exigence réglementaire vous obligeant à informer les patients des solutions de rechange lorsque celles-ci sont inexistantes dans la pratique. Comment documenterez-vous ces cas et comment garantir une documentation rigoureuse de ces dossiers et de ces pratiques. Je vous remercie.

Dr Grant : Merci pour cette question perspicace. Les organismes de réglementation ont les mêmes préoccupations que tout le monde concernant la disponibilité de soins palliatifs. Permettez-moi de vous répondre en tant que médecin, parce que je me vois encore un peu ainsi. Nous considérons les soins palliatifs comme un complément indispensable de l’aide médicale à mourir, comme ce l’est devenu dans tous les pays du Benelux. Je me rappelle qu’à l’époque où ces pays ont commencé à pratiquer l’aide médicale à mourir, il y avait une résistance de la part de la communauté des soins palliatifs. Aujourd’hui, c’est un élément fondamental des soins palliatifs.

Vous voulez savoir s’il y aurait un devoir de conseiller. À mon avis, il est raisonnable de penser que oui. C’est un traitement reconnu. Quels documents seraient requis? Nous exigerions une documentation complète de ce qui a été dit et de la logique qui sous-tend ces propos. Vous me voyez toutefois dans l’impossibilité de vous dire quelles seraient les exigences particulières dans une situation où on recommanderait un service qui n’est pas offert. Vous comprendrez que je ne peux répondre avec précision à cette question. Dans mon rôle de surveillance de la conduite des médecins de la Nouvelle-Écosse et de la diligence qu’ils exercent, je dois adopter une perspective raisonnable. Si le service n’est pas disponible, il ne l’est tout simplement pas. J’ose espérer que d’autres branches du système veilleront à le rendre disponible.

La sénatrice Pate : Madame Hoffman, compte tenu de ce que je viens d’entendre et des préoccupations exprimées par la communauté des personnes handicapées, compte tenu également du fait que les pays du Benelux consacrent un pourcentage beaucoup plus élevé de leur PIB aux services de soutien qui doivent être offerts comme mesure préventive avant que la décision de recourir à l’AMM soit prise, quelles mesures ont été mises en place au Canada pour améliorer ces services? Où en sommes-nous dans l’établissement de normes nationales à cet égard?

Mme Hoffman : Merci pour cette question, sénatrice Pate.

Je ne suis pas certaine d’être la mieux placée pour parler de l’étendue des services de soutien aux personnes handicapées. Si j’ai bien compris la première partie de votre question, vous parlez de fournir moins de soins palliatifs et plus de services de soutien aux personnes qui pourraient demander l’AMM parce que leur état de santé, en particulier leur maintien en établissement, et l’absence de solutions de rechange pourraient inciter ces personnes à se tourner vers l’AMM.

Il existe bel et bien un plan d’action visant l’amélioration des aides offertes aux personnes handicapées. Pour revenir à la question des données et de la surveillance, je pense que, du côté des services de santé, nous devons nous assurer d’avoir la meilleure compréhension possible, à travers la réglementation, du processus de surveillance et de rapport concernant les services disponibles. Nous devons également savoir ce que le professionnel qui établit le rapport et la personne qui envisage de recourir à l’AMM disent de la pertinence de ces services et de leur utilité dans leurs cas.

Dans le rapport de surveillance, nous avons soulevé des questions de nature plutôt modeste, je l’admets, au sujet des services de soutien aux personnes handicapées. Nous devrons aller plus loin à cet égard. Cela nous ramènera à cette question difficile qu’il reviendra aux prestataires de soins de trancher, soit comment aider une personne qui n’a pas accès à ces services à prendre une décision. Comment cette absence de service influence-t-elle la décision concernant l’admissibilité? Le changement radical requis pour s’assurer que les services seront disponibles ne se produira pas assez vite pour répondre à la demande de cette personne.

Ce sont là les problèmes épineux que nous devons résoudre. Nous le savons. La meilleure chose que nous pouvons faire, selon moi, du point de vue de la surveillance, c’est d’essayer de comprendre, au moyen d’un mécanisme officiel de surveillance, d’études ou d’évaluations, comment la qualité et l’accessibilité des services entrent en jeu dans les décisions prises par des personnes de recourir à l’AMM et dans les évaluations des demandes par des professionnels.

La sénatrice Boniface : Je remercie tous les témoins pour leur contribution.

Ma question s’adresse à Mme Campbell. Je vous remercie pour votre témoignage et pour le travail que vous faites. Je veux seulement m’assurer que j’ai été claire. Ma question est la suivante : quelle incidence le projet de loi C-7 pourrait-il avoir sur la volonté des médecins et des infirmières praticiennes de faire des évaluations et de fournir une aide médicale à mourir? Par exemple, la suppression de la disposition relative à la mort raisonnablement prévisible découragera-t-elle certains praticiens d’offrir ce service? Dans un cas comme dans l’autre, pourquoi?

Mme Campbell : Il est juste de dire que cela pourrait avoir une incidence sur le nombre de prestataires et d’évaluateurs qui seront disponibles. Ce que je constate, c’est que la situation a évolué depuis 2016. Ils étaient très peu nombreux en 2016. Depuis, nous avons construit un réseau national de soutien et de partage de pratiques exemplaires afin d’aider plus de praticiens à comprendre comment faire ce travail et à se sentir appuyés dans ce rôle. Je m’attends à ce que ces efforts aient une incidence sur les chiffres, mais j’espère aussi qu’avec le temps, nous mettrons en place des systèmes pour nous soutenir les uns les autres et pour partager nos connaissances afin de garantir la sécurité de nos patients et la nôtre en tant que prestataires de l’aide et d’évaluateurs.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à Mme Hoffman et au Dr Grant.

Madame Hoffman, vous avez parlé du fait que vous recueillez des données relatives à la pratique en matière d’aide médicale à mourir.

Je vous renvoie à la page 94 du rapport de la Commission québécoise sur les soins de fin de vie, publié en 2019, qui reprend les données recueillies entre 2015 et 2018. Le rapport mentionne que, parmi les personnes qui ont obtenu l’aide médicale à mourir, 1 453 avaient des souffrances physiques et psychiques, 93 n’avaient que des souffrances physiques, et 75 avaient des souffrances psychiques.

Je constate qu’ici, du moins pour ce qui est du régime québécois, les données sont désagrégées du point de vue de la souffrance physique, psychologique ou des deux. Avez-vous ces données en main?

[Traduction]

Mme Hoffman : La question n’est pas de savoir si nous pouvons ou non avoir ces données. La question, c’est plutôt que ces données que nous demandons aux prestataires ont un lien direct avec la loi. Nous leur demandons de déterminer les problèmes de santé des personnes, ce qu’ils font parallèlement à leur évaluation de la capacité cognitive, des souffrances irrémédiables et ainsi de suite. Mon collègue me corrigera si je me trompe, mais nous n’avons eu aucun rapport indiquant que la maladie mentale est le principal motif de la demande d’une personne d’obtenir l’AMM. Ce n’est donc pas parce qu’il n’y a pas de données.

Si vous voulez savoir si c’est l’une des raisons du rejet de demandes d’AMM — parce que nous déclarons les cas où les demandeurs ont été jugés inadmissibles —, là encore, nous n’avons pas eu de rapport indiquant que la maladie mentale était l’un des motifs d’inadmissibilité. Il existe d’autres facteurs justifiant l’inadmissibilité, par exemple la capacité, le consentement éclairé, l’absence de souffrances irrémédiables pour ne nommer que ceux-là.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, madame Hoffman, mais je vous pose cette question.

Si, dans la vraie vie, il s’avère que des statistiques officielles sont publiées, selon lesquelles l’aide médicale à mourir est autorisée pour des gens dont la seule condition médicale est psychique, on doit s’assurer que cela figure quelque part dans les données officielles. Madame Hoffman, ma question complémentaire est la suivante.

Dans le cadre de l’ACS+, soit l’analyse comparative entre les sexes plus, qui est effectuée par le ministère de la Justice pour évaluer la conformité d’une loi à la Charte, quels travaux sont effectués en collaboration avec Justice Canada et Santé Canada pour s’assurer que les données recueillies vont servir à faire cette analyse?

Je vois des données qui sont recueillies par Santé Canada et, parallèlement à cela, je vois une analyse qui est faite par Justice Canada. Quel est le lien entre les deux ministères? Est-ce que le ministère de la Justice vous demande un certain nombre de données précises pour être en mesure, par la suite, de faire une analyse qui se fonde sur des données réelles?

[Traduction]

Mme Hoffman : Dans le cadre de sa préparation de l’ACS+ pour le projet de loi C-7, Justice Canada a eu accès à toutes les données que nous avions recueillies auprès des provinces par le biais des rapports intérimaires. Au moment de la publication du premier rapport officiel, le ministère de la Justice était bien avancé dans son ACS. En fait, il l’avait achevée six mois avant. Il a donc l’avantage d’avoir ces données.

Comme je l’ai déjà dit précédemment, dans le rapport, nous publions absolument toutes les données que nous recueillons, sans toutefois confirmer que les demandeurs avaient un numéro d’assurance maladie valide. Nos collègues du ministère de la Justice ont accès à ces données.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Vous n’avez pas répondu à ma question. Je veux savoir s’il y a des travaux conjoints entre les deux ministères pour définir le type de données qui sont nécessaires. Vous me dites que le ministère de la Justice a accès aux données à Santé Canada. Ma question est la suivante : quels sont les travaux conjoints entre les ministères de la Justice et de la Santé pour définir les données dont le ministère de la Justice aura besoin, et que vous allez leur fournir pour qu’ils puissent faire leur analyse?

[Traduction]

Mme Hoffman : Je suis désolée de ne pas avoir bien compris la question. Premièrement, nous travaillons toujours très étroitement avec nos collègues du ministère de la Justice, du niveau ministériel jusqu’aux niveaux inférieurs. Vous avez soulevé certains points, de même que la sénatrice Jaffer et d’autres intervenants, mais s’il y a des incohérences ou des lacunes dans notre travail, nous travaillerons sans faute avec Justice Canada, et de nombreuses autres instances, pour apporter les corrections requises. Cela ne fait aucun doute. Nous travaillons en étroite collaboration.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci. J’ai une question pour le Dr Grant. Au début de votre témoignage, vous nous avez expliqué — et merci de votre patience et de vous être joint de nouveau à notre séance...

[Traduction]

La présidente : Madame la sénatrice Dupuis, vous avez dépassé le temps qui vous était alloué. Je suis désolée. Nous devons poursuivre.

La sénatrice Wallin : Ma question s’adresse à Mme Campbell. J’aimerais revenir à la question des personnes atteintes d’un trouble cognitif léger, de démence et d’alzheimer. Selon vous, qu’est-ce qui doit être prévu — je ne sais pas jusqu’à quel point vous pouvez être précise — dans ce projet de loi pour que nous puissions éliminer l’impasse dans laquelle semblent se trouver les personnes chez qui on a diagnostiqué des variantes de ces maladies pour entrer dans le système?

Mme Campbell : Je pense que la possibilité de renonciation à un consentement final dans le projet de loi C-7 aidera ces patients. Lorsque leur maladie répond aux critères du premier volet et qu’ils peuvent présenter une demande anticipée — ou renoncer par anticipation, je ne veux pas mélanger les notions de directives anticipées et de renonciation au consentement préalable, je pense que cela ferait en sorte que certains de ces patients seraient couverts par cette loi.

La sénatrice Wallin : Quel poids a une renonciation anticipée?

Mme Campbell : Je ne suis pas certaine de comprendre ce que vous voulez dire par « quel poids ».

La sénatrice Wallin : Si la renonciation était signée au tout début, disons après un diagnostic de trouble cognitif léger, mais avant que les symptômes soient vraiment ceux de la démence et de la maladie d’Alzheimer, à quelle fréquence faudrait-il la mettre à jour? Y a-t-il une possibilité de le faire et, deuxièmement, une volonté de le faire dans le cadre du système, et non pas au niveau de la personne?

Mme Campbell : Je pense qu’une des limites du projet de loi C-7 est que la renonciation au consentement préalable ne s’applique qu’aux personnes dont la mort est raisonnablement prévisible. Avec ce critère, elle ne s’applique pas aux autres patients tant qu’ils ne répondent pas aux autres critères, le déclin avancé étant la clé dans ce cas. Ce sera donc difficile.

Quand la mise à jour se fait-elle? Ce n’est pas clair dans le projet de loi C-7. Cela a certainement fait l’objet d’un débat parmi les évaluateurs et les fournisseurs de soins pour les patients dont la mort est raisonnablement prévisible. À quoi cela ressemblerait-il? Nous avons lancé ce débat, mais rien dans la loi ne limite jusqu’à maintenant le nombre ou la fréquence des mises à jour.

La sénatrice Wallin : De toute évidence, des éclaircissements seraient utiles.

Mme Campbell : Effectivement. Merci.

La sénatrice Wallin : Merci.

Le sénateur Kutcher : J’ai une question pour le Dr Grant et une autre pour Mme Campbell.

Docteur Grant, nous avons beaucoup entendu parler de la protection de la liberté de conscience. Pouvez-vous nous éclairer sur la façon dont la liberté de conscience des médecins est actuellement protégée au Canada et nous dire si, à votre avis, le projet de loi C-7 limiterait ces droits?

Dr Grant : Merci de votre question, sénateur Kutcher. Il va sans dire, et tout le monde ici le sait, qu’aucun médecin ne peut être obligé de fournir une aide médicale à mourir. Lorsque le projet de loi C-14 a été adopté, il incombait aux ordres professionnels de mettre en place des mesures pour les médecins qui, pour des raisons de conscience, s’y opposaient. La plupart, sinon la totalité, des ordres ont adopté un libellé semblable à celui de la Nouvelle-Écosse et de l’Ontario, qui exige qu’un médecin que sa conscience empêche de fournir une aide médicale à mourir aiguille un patient vers un médecin qui n’a pas cette objection de conscience. Cette disposition a été contestée devant les tribunaux et jugée constitutionnelle.

Lorsqu’il est question de conscience en médecine, je pense que les premiers mots du Code d’éthique et de professionnalisme de l’Association médicale canadienne sur les engagements fondamentaux de la profession médicale sont les plus importants, soit « Tenir compte d’abord et avant tout du bien-être des patients; [...] ». Cela fait partie du serment que j’ai prêté et, si je me souviens bien, vous aussi, sénateur Kutcher.

Un peu plus tôt, quelqu’un a dit — et je ne suis pas sûr si c’était le Dr Kotalik, mais je crois que c’était lui — que la conscience est indivisible et que c’est un acte de conscience, par exemple, pour un médecin de signaler le cas d’un enfant victime de violence. Je crois que c’est ce qu’a dit le Dr Kotalik. Ce n’est pas seulement un acte de conscience; c’est un acte exigé par la loi et par les ordres professionnels.

Les médecins qui pratiquent la médecine et qui sont autorisés à le faire sont tenus de remplir de nombreuses fonctions. Je ne crois pas que le projet de loi C-7 ou le projet de loi C-14 empiètent sur ce droit. Il y a des médecins qui, pour des raisons de conscience, ne peuvent pas fournir une aide médicale à mourir, et ils n’ont pas besoin de le faire; ils doivent simplement aiguiller le patient vers quelqu’un d’autre.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, docteur Grant.

Madame Campbell, il est effectivement rafraîchissant d’avoir le point de vue de quelqu’un qui fournit de l’aide médicale à mourir au Canada. Il nous a été très utile de voir le soin, la compassion et le sérieux dont vous faites preuve pour évaluer les demandes d’aide médicale à mourir et fournir cette aide. Selon votre expérience au niveau personnel et administratif, les évaluateurs canadiens de l’aide médicale à mourir sont-ils compétents pour effectuer des évaluations approfondies et exhaustives de la capacité pour les demandes d’aide médicale à mourir?

Mme Campbell : Je crois qu’ils le sont. C’est ce que nous faisons pour chaque patient. Nous prenons vraiment notre temps. Nous nous tournons vers nos collègues lorsque nous avons besoin de leur aide et nous nous assurons de bien connaître nos patients. J’ai souvent entendu des patients me dire : « Oh, vous avez déjà pris connaissance de tous mes renseignements avant de venir? C’est tellement rassurant. » Je veux prendre le temps de connaître leur raisonnement, et non pas me limiter à répéter ce que je peux lire dans leur dossier.

En tant qu’évaluateurs et fournisseurs de l’aide médicale à mourir, nous prenons très au sérieux le maintien de la confiance du public. C’est pourquoi aucune mesure disciplinaire n’a été prise depuis que l’aide médicale à mourir a été adoptée en 2016.

Le sénateur Kutcher : Merci. Vous avez dit qu’en cas d’incertitude, vous demanderiez naturellement l’aide d’un collègue. Est-ce que cela signifie que si vous aviez des préoccupations concernant l’évaluation que vous faites, vous demanderiez l’avis de quelqu’un d’autre?

Mme Campbell : Oui.

Le sénateur Kutcher : Vous le faites donc déjà dans le cadre de la pratique habituelle?

Mme Campbell : Oui. C’est ce qui m’a amenée à parler du libellé original du projet de loi C-7. Nous le faisons déjà. Je crois que je ne peux pas m’adresser à un expert dans ce domaine qui a des objections de conscience et lui demander de faire à la fois l’évaluation pour l’aide médicale à mourir et de partager son expertise, parce que cela le place dans une situation très difficile. Toutefois, si je communique avec ces personnes en leur disant : « J’ai vraiment besoin de votre expertise concernant ce patient pour m’assurer qu’il connaît toutes les options qui s’offrent à lui », alors elles peuvent volontairement partager toute cette expertise avec moi. C’est la façon dont nous avons abordé la question jusqu’à maintenant, afin de nous assurer de communiquer avec des gens qui ont plus d’expérience que nous lorsque cela est nécessaire.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je voudrais d’abord remercier tous les témoins que j’ai entendus, en particulier Mme Campbell. En effet, ce témoignage nous a donné un regard intérieur sur ce qui se passe avec l’aide médicale à mourir.

Ma question s’adresse au professeur Cohen-Almagor. Les données récoltées au Canada, et sans doute dans plusieurs autres pays, le sont par un système d’autodéclarations effectuées par les médecins afin de savoir combien il y a eu de cas d’aide médicale à mourir et comment ils se sont passés. On m’a dit qu’aux Pays-Bas, il y avait un autre système parallèle de vérification indépendante effectuée par des inspecteurs qui, tous les cinq ans, revoient certains cas afin de s’assurer que les lois et les règlements sont suivis. Est-ce que ce système est nécessaire ou non dans les différents pays qui mettent en œuvre l’aide médicale à mourir ?

[Traduction]

M. Cohen-Almagor : Je vous conseille sincèrement de ne pas suivre l’exemple des systèmes néerlandais ou belge. Je ne pense pas que ce soit de très bons systèmes. Je m’excuse d’être aussi catégorique à ce sujet.

Lorsque je suis allé aux Pays-Bas pour la première fois, j’étais un partisan de l’euthanasie. J’ai écrit à ce sujet pendant huit ans. J’ai écrit des articles préconisant l’euthanasie parce que je croyais, et je crois toujours, que nous devons respecter l’autonomie du patient, mais il y a une différence entre le respect de l’autonomie du patient sur le plan philosophique et la façon dont la politique est mise en œuvre. La politique ne porte pas sur des cas particuliers, sur une infirmière ou sur un médecin en particulier. La politique concerne des millions de personnes. Quand on voit de nombreux cas de non-respect des règlements, c’est très inquiétant. Cela m’inquiète en tant qu’être humain.

Je crois qu’un bon modèle devrait prévoir des rapports une fois par année, comme je l’ai déjà dit. Un système de santé dans lequel les gens qui souhaitent mourir demandent à un médecin [Difficultés techniques] le système et les aspects culturels de la chose est un système dangereux. Il est très important de faire la corrélation entre les groupes minoritaires de votre société, la pauvreté et l’éducation, parce que ces éléments sont reliés.

En Belgique, il est facile de comprendre à quel point le système est corrompu lorsque l’on voit que le grand défenseur de l’euthanasie préside le comité de contrôle. Comment peut-on nommer à la présidence du comité la personne qui prône l’euthanasie et qui en fait la promotion? Il ne peut pas y avoir de conflit d’intérêts plus flagrant, mais personne dans l’establishment belge n’élève la voix pour dire que cela n’est pas acceptable. Cela n’est pas acceptable que tous les gens qui font partie du comité de contrôle appuient l’euthanasie.

Il faut un bon mécanisme de contrôle pour s’assurer qu’il n’y aura pas d’abus. Je ne dis pas qu’il faut changer tout le système. Il faut trouver un équilibre entre différentes considérations. Il faut faire les choses de façon transparente et éthique, afin que ceux qui souhaitent bénéficier de l’aide médicale à mourir obtiennent ce qu’ils veulent et que ceux qui ne veulent pas s’en prévaloir n’y soient pas obligés contre leur gré.

J’ai publié un article qui démontre que la vie d’un grand nombre de personnes en Belgique a été écourtée sans leur consentement. Cela devrait tirer une sonnette d’alarme. Les gens devraient se pencher sur cette question. Lorsque mon article a été publié, il y a eu un débat au Sénat belge, et on m’a attaqué en disant que j’étais un intégriste religieux. C’est tout simplement incroyable.

[Français]

Mme Saint-Arnaud : D’abord, ce qui se passe en Oregon est très intéressant. L’aide au suicide y a été légalisée. Avant de fournir cette aide au suicide, on essaie de répondre aux besoins des personnes. Par conséquent, il y en a au moins un tiers qui change d’avis parce qu’on a pu répondre à certains de leurs besoins, comme leurs besoins sociaux ou d’autres.

À propos de la question que vous avez formulée, madame la sénatrice Miville-Dechêne, il existe aux Pays-Bas une équipe de recherche qui est indépendante du gouvernement et des commissions qui reçoivent les déclarations des médecins. Cette équipe choisit un nombre important de certificats de décès pour évaluer le nombre d’euthanasies qui n’ont pas été déclarées. Je trouve que c’est un très bon système, parce qu’effectivement, il y a des euthanasies qui restent non déclarées. Généralement, ce sont celles qui ne suivent pas les règles qui ne sont pas déclarées.

Je trouve cela intéressant qu’un gouvernement subventionne une équipe de recherche indépendante qui aura accès aux certificats de décès, et cela exige des permissions spéciales du point de vue de la loi. Dans ces certificats de décès, il y a une obligation d’indiquer comment la personne est décédée. On peut, de cette façon, vérifier si les données recueillies par les commissions sont complètes.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup, honorables sénateurs.

Merci beaucoup à tous les témoins. Comme vous pouvez le constater, la discussion a été très animée. Au nom de tous les sénateurs, nous vous remercions tous de votre présence aujourd’hui. Nous savons que cela prend beaucoup de votre temps et nous vous en sommes très reconnaissants. Merci beaucoup.

Nous sommes maintenant prêts pour notre troisième groupe de témoins. Comme vous le savez, nous recevrons quatre groupes aujourd’hui. Nous avons cinq témoins. Nous allons commencer par ceux de Siksika Health Services. Nous accueillons Tyler White, chef de la direction, et le Dr Thomas Fung, médecin-chef. Ils présenteront tous les deux un exposé. Puis-je vous demander de commencer, s’il vous plaît?

Tyler White, chef de la direction, Siksika Health Services : Merci et bonjour, honorables sénateurs. C’est un véritable honneur et un plaisir d’être ici.

[mots prononcés dans une langue autochtone]

Cela veut dire, dans notre langue : « Bonjour. Mon nom est Holy Eagleshield en pied-noir. »

Mon collègue et ami, le Dr Thomas Fung, et moi-même sommes heureux de comparaître devant vous cet après-midi.

Nous sommes ici pour parler au nom de la Première nation Siksika, membre de la Confédération des Pieds-Noirs et signataire du Traité no 7 en Alberta. Nous sommes très préoccupés par les répercussions du projet de loi C-7 sur notre communauté autochtone. L’élargissement de l’aide médicale à mourir pour inclure les personnes dont la mort n’est pas prévisible aura des répercussions durables sur les populations autochtones du Canada. Comparativement aux personnes non autochtones, ces personnes font face à des disparités en matière de santé, notamment au chapitre de l’espérance de vie, de la complexité des maladies chroniques et de l’accès aux services de santé, ainsi que des taux plus élevés d’incapacité, de maladie mentale et de douleur chronique. Notre peuple vit aussi avec des taux plus élevés de pauvreté, d’insécurité alimentaire et de chômage — tous des déterminants sociaux négatifs de la santé.

Il est alarmant de constater que les consultations menées jusqu’à maintenant sur le projet de loi C-7 auprès des peuples autochtones du Canada, qui seront touchés de façon disproportionnée par ce projet de loi, ont été nettement insuffisantes.

Soyons clairs. L’aide médicale à mourir, qui consiste à administrer une substance mortelle pour mettre fin à la vie d’une personne, va à l’encontre de nos valeurs, de nos croyances et de nos enseignements sacrés. Notre conception de la santé et du bien-être ne comprend pas la fin intentionnelle de la vie. Bien que les collectivités autochtones puissent avoir une diversité de langues et de coutumes, nous avons une croyance commune en la reconnaissance de la dignité de la vie. Notre patrimoine culturel nous enseigne à honorer le passage naturel de la vie du monde physique au monde spirituel. Les efforts visant à faire comprendre à notre peuple que l’aide médicale à mourir est une fin digne pour les malades en phase terminale ou les personnes handicapées sont une forme de colonialisme culturel.

Nous sommes également préoccupés par les répercussions du projet de loi C-7 sur nos efforts pour lutter contre la crise du suicide chez les jeunes dans nos collectivités. L’élargissement de l’aide médicale à mourir envoie un message contradictoire, à savoir que certaines personnes devraient recevoir une aide au suicide, alors que d’autres devraient profiter de mesures de prévention du suicide. Le message que nous envoyons toujours à nos jeunes est que le suicide n’est pas la solution aux difficultés et aux défis auxquels nous faisons face en tant que peuple. Le message qu’envoie le projet de loi C-7 est en opposition directe avec le nôtre.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-7 ne contient aucune disposition protégeant les personnes et les institutions comme la nôtre contre la stigmatisation et les répercussions pour ceux qui choisissent de ne pas profiter de l’aide médicale à mourir. Nous croyons que notre peuple ne devrait pas être forcé de participer à l’administration de substances létales pour mettre fin à la vie d’une personne. Cela entre en conflit direct avec nos croyances culturelles concernant la vie et la mort. La Commission de vérité et réconciliation du Canada demande à ceux qui peuvent apporter des changements au sein du système de soins de santé canadien de reconnaître la valeur des pratiques de guérison autochtones et de respecter le droit des peuples autochtones à l’autodétermination pour les questions spirituelles, y compris le droit de pratiquer nos propres traditions et coutumes. Nous demandons au gouvernement de modifier le projet de loi C-7, afin que ceux qui choisissent de ne pas participer directement ou indirectement à l’aide médicale à mourir soient protégés contre la discrimination dans leur lieu de travail et dans le système de soins de santé.

Dr Thomas Fung, médecin-chef, Siksika Health Services : Merci, monsieur White.

Les soins de santé aux Autochtones présentent des défis uniques.

Premièrement, malgré des années de représentation, les soins primaires ne sont toujours pas financés dans les collectivités autochtones, ce qui oblige bon nombre de leurs habitants à parcourir de grandes distances pour consulter un médecin.

Il y a aussi des obstacles à l’accès aux services spécialisés. Notre service psychiatrique en zone rurale affiche actuellement un temps d’attente de plus de 60 jours, et pour les soins palliatifs, il n’y a pas de centre accessible localement. La période d’attente prévue dans le projet de loi C-7 ne tient pas compte des réalités liées à l’accès aux soins de santé dans les collectivités autochtones et éloignées.

Compte tenu de nos résultats en matière de santé, il est juste de dire que les services aux Autochtones ne servent pas bien nos gens. Il n’est pas rare, dans le cas des services de santé non assurés, que la couverture de thérapies qui amélioreraient la qualité de vie soit refusée. Deux de mes patients — l’un souffrant d’une maladie pulmonaire incurable et l’autre d’un cancer du foie avancé — se sont vus refuser de l’oxygénothérapie à domicile. Dans le cadre du projet de loi C-7, ces patients seraient probablement admissibles à l’aide médicale à mourir, même si cela va à l’encontre de leur conscience, alors que nous ne leur avons pas fourni d’autres moyens de soulager leurs souffrances. Certains Autochtones n’ont même pas accès aux services de santé non assurés en raison de problèmes non résolus liés à leur demande de statut d’Indien et à des questions de paperasse.

Le gouvernement peut-il nous assurer que toute personne admissible à l’aide médicale à mourir peut également être admissible à une aide gouvernementale ou à un revenu d’invalidité?

Pour les personnes vulnérables et défavorisées, l’aide à mourir devrait être une option de dernier recours et non la voie de la facilité. Nous demandons au gouvernement de prévoir des amendements qui exigeraient la prestation de thérapies appropriées visant à soulager la souffrance, avant que l’aide médicale à mourir ne soit envisagée, et d’assurer un accès réel aux soins médicaux et au soutien social.

Enfin, en tant que médecins pratiquant en Alberta, nous sommes tenus de suivre une formation de sensibilisation pour offrir des soins culturellement adaptés aux Autochtones. Si j’abordais le sujet du suicide assisté avec mes patients autochtones, cela démontrerait un manque total de compréhension de leurs croyances et traditions ou, pire encore, cela pourrait être considéré comme une forme subtile de coercition ou de racisme à leur endroit, alors qu’ils sont vulnérables et désespérés. Par conséquent, le projet de loi C-7 devrait inclure une modification prévoyant que seuls les patients soient autorisés à amorcer des discussions au sujet de l’aide médicale à mourir et que les travailleurs de la santé n’aient pas le mandat de le faire, comme certains l’ont préconisé. Les Autochtones ne se sentent déjà pas en sécurité lorsqu’ils ont accès aux soins de santé en raison de la stigmatisation et du racisme. L’idée de leur offrir une substance mortelle ne fera que perpétuer une culture de méfiance, ce qui retardera leur recherche de soins médicaux et aggravera leurs résultats en santé.

La semaine dernière, lors du sommet sur la lutte contre le racisme à l’endroit des Autochtones dans les soins de santé, le ministre Marc Miller a annoncé l’intention du gouvernement fédéral de réformer les soins de santé aux Autochtones, afin que ceux-ci aient le contrôle du développement et de la prestation des services de santé.

Nous avons demandé des amendements au projet de loi C-7...

La présidente : Docteur Fung, pourriez-vous conclure, s’il vous plaît?

Dr Fung : Oui. Nous implorons maintenant le Sénat d’examiner nos recommandations et de profiter de l’occasion pour reconnaître les Premières Nations comme des partenaires à part entière dans le développement de la prestation des soins de santé.

La présidente : Merci beaucoup, docteur Fung.

Nous allons maintenant entendre l’enquêteur correctionnel du Canada, M. Ivan Zinger. Le Bureau de l’enquêteur correctionnel a travaillé avec la Commission des droits de la personne sur l’aide médicale à mourir pour les détenus dans les établissements correctionnels.

[Français]

Ivan Zinger, enquêteur correctionnel du Canada, Bureau de l’enquêteur correctionnel : Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole. Je le fais aujourd’hui à titre d’enquêteur correctionnel du Canada.

Au cours de mon exposé, je décrirai ce que je retiens et ce qui me préoccupe relativement à trois cas connus de personnes qui purgeaient une peine de ressort fédéral et qui ont reçu l’aide médicale à mourir; dans l’un de ces trois cas, la procédure a été menée à l’intérieur d’un pénitencier fédéral. Je ferai également référence à un mémoire que j’ai soumis sur cette question au Comité permanent de la justice et des droits de la personne en novembre 2020.

Selon moi, trois problèmes de fond se posent en ce qui concerne les lois et les politiques actuelles qui régissent l’application des dispositions sur l’aide médicale à mourir dans le système correctionnel fédéral.

Premièrement, la politique interne du Service correctionnel du Canada (SCC) donne au SCC le pouvoir discrétionnaire d’autoriser l’aide médicale à mourir à l’intérieur de pénitenciers fédéraux dans des circonstances exceptionnelles.

Deuxièmement, en vertu de la loi actuelle, le SCC n’est pas tenu d’enquêter sur le décès d’un détenu qui a reçu l’aide médicale à mourir et n’est pas tenu de faire parvenir d’avis à mon bureau pour les décès de cette nature.

Dans le cas des détenus atteints d’une maladie en phase terminale ou qui souffrent d’une douleur chronique intolérable, il manque d’options en matière de libération, comme la mise en liberté en raison de l’âge ou pour des raisons médicales. Les dispositions actuelles, comme la libération pour des raisons de compassion ou la prérogative royale de clémence, sont peu accessibles, très restrictives ou sous-utilisées.

[Traduction]

Pour ce qui est de mon premier point, j’aimerais souligner que le premier cas d’aide à mourir de ce genre dans un pénitencier a été fourni à un délinquant non violent qui purgeait la peine minimale de deux ans prévue par la loi fédérale. La décision de lui refuser la libération conditionnelle, même s’il souffrait d’une maladie en phase terminale, seulement pour lui offrir l’aide médicale à mourir dans un pénitencier, me semble être en contradiction avec la gravité, la nature et la durée de la peine de cet homme. Mon examen de cette affaire a fait ressortir de graves questions d’omissions, de retards et de mauvaise application de la loi et des politiques. Il met en évidence le manque de solutions de rechange à la mise en liberté et le manque de souplesse dans l’administration des peines dans le contexte de la gestion des maladies chroniques ou terminales au sein de la population carcérale du Canada.

Pour être clair, je n’ai rien contre la proposition d’étendre l’aide médicale à mourir aux personnes purgeant une peine de ressort fédéral. Mes préoccupations concernent la nature et le contexte de l’incarcération elle-même. L’objectif de l’aide médicale à mourir est de donner aux Canadiens la possibilité de mettre légalement fin à leurs jours dans la dignité, au moment et à l’endroit de leur choix. Il n’est tout simplement pas possible ou souhaitable de respecter ces intentions dans le contexte particulier de l’incarcération. Dans le cas que je viens de mentionner, cet homme a mis fin à ses jours en prison non pas par choix, mais parce que toutes les autres options lui ont été refusées ou n’ont pas été prises en considération.

Quant à mon deuxième point, je ne vois vraiment pas pourquoi, en 2016, on a décidé d’exempter le SCC de l’obligation de procéder à un examen ou à une enquête sur les décès consécutifs à l’AMM. L’élimination de l’obligation d’informer mon bureau des décès consécutifs à l’AMM me semble être une grave omission. À l’heure actuelle, le SCC n’est pas tenu d’informer mon bureau d’un décès consécutif à une procédure d’AMM en milieu carcéral. En fait, la loi ne contraint pas le SCC à signaler ou à examiner les décès de cet ordre. Je ne crois pas que le législateur ait eu l’intention d’exempter le SCC d’un examen interne ou public dans ce cas. Il doit certainement exister une disposition garantissant que toutes les possibilités de libération ont été envisagées, que la qualité des soins fournis respectait les normes professionnelles et communautaires et que toutes les autres garanties procédurales ou juridiques ont été suffisamment et correctement respectées.

À mon avis, un détenu devrait pouvoir prendre la décision de demander l’aide médicale à mourir dans la collectivité, dans le cadre d’une libération conditionnelle, et non pas quand il est derrière les barreaux. Il ne s’agit pas de savoir si l’AMM devrait être accessible aux personnes condamnées, mais plutôt de savoir comment et où elle peut être administrée. C’est troublant, mais le texte actuel de la loi et son application sont tels qu’il est plus facile pour un détenu en phase terminale d’être admissible à l’aide médicale à mourir que d’obtenir une libération conditionnelle à titre exceptionnel.

Chaque année, une quarantaine de détenus sous responsabilité fédérale meurent de causes naturelles derrière les barreaux. La plupart de ces décès sont prévisibles ou, pour employer le vocabulaire législatif en vigueur, raisonnablement prévisibles. On peut supposer que la plupart de ces personnes auraient rempli les critères de l’AMM dans sa forme actuelle ou envisagée. En milieu carcéral, l’AMM n’élargit pas nécessairement les choix de soins palliatifs ou de fin de vie. Il semble très peu probable qu’une personne saine d’esprit, mais souffrant physiquement, à qui l’on offre une solution de rechange viable, libre de toute coercition et pleinement informée de son état et de son pronostic, choisisse l’aide médicale à mourir en prison. La sécurité publique n’a rien à gagner à laisser en prison un détenu en phase terminale qui a peut-être déjà purgé la majeure partie de sa peine ou dont la date d’admissibilité remonte à plusieurs années.

[Français]

L’aide médicale à mourir pour les prisonniers n’est pas une option qui élargit forcément la gamme des options en matière de soins de fin de vie ni une solution pour un système rigide d’administration des peines. En somme, l’aide médicale à mourir ne devrait jamais être exécutée en milieu carcéral, encore moins sans être soumise au moindre examen.

Je vous remercie de votre attention, et je serai heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Zinger.

C’est au tour de M. François Paulette, aîné respecté et président du Conseil consultatif des aînés de l’Administration territoriale de la santé Stanton de Yellowknife. Monsieur Paulette, vous avez la parole.

François Paulette, aîné de la nation dénésuline, à titre personnel : J’ai entendu parler de ce projet de loi il y a quelque temps, lorsqu’il a été présenté.

Je vais vous parler de notre vision du monde et de sa terminologie. L’expression à retenir est Déné Ch’anié, ce qui signifie littéralement « le chemin que nous suivons » d’hier à demain. Dans la vision du monde des Dénés, il n’y a pas de description ni de mot pour « aide médicale à mourir » ou « suicide ».

Le premier suicide signalé dans notre tribu s’est produit dans les années 1700. À l’époque, quand les Anglais sont arrivés dans notre partie du monde et que nous les avons aidés à construire le fort Prince-de-Galles dans la baie d’Hudson, il y avait un chef célèbre. Il s’appelait Matonabbee. Il avait beaucoup d’adeptes, et le commerce de la fourrure venait tout juste de commencer. C’est à ce moment-là que remonte la colonisation de notre peuple, incité à penser que la chasse aux animaux à fourrure pour gagner beaucoup d’argent était le mode de vie à privilégier.

Matonabbee dirigeait un groupe très nombreux entre la baie d’Hudson et les régions de l’Ouest et du Nord. Durant la guerre de Sept Ans entre les Anglais et les Français, ceux-ci ont pris le fort, et Matonabbee en a été désespéré parce qu’il avait le monopole du commerce de la fourrure. Quand il l’a appris, son armée était loin et n’a pas pu participer à la guerre. La même année, Matonabbee s’est suicidé, et c’est le premier suicide qu’on ait enregistré dans notre peuple. C’est comme dans les années 1930, quand les marchés boursiers se sont effondrés et que les gens ont sauté par les fenêtres. C’est ce qui est arrivé dans le cas de Matonabbee.

C’était le début des suicides. Aujourd’hui, le suicide est endémique dans nos communautés. C’est devenu une sorte de mode de vie. Comme je l’ai dit, nous n’avons pas de mot pour désigner le suicide. C’est tout à fait contraire aux lois spirituelles qui règlent notre mode de vie. Toutes les tribus ont des rites de passage, de la naissance à la vie d’homme, à l’apprentissage du métier de chasseur, des premiers pas hors du tipi, de la tente, jusqu’à la mort — autant de rites de passage.

Dans notre tribu, l’expérience la plus proche serait celle-ci : quand les gens se déplaçaient — il s’agissait de très grandes tribus —, si un aîné, un grand-père ne pouvait plus suivre, il demandait de son propre gré à rester sur place. La famille élargie accédait à son désir, et on lui laissait toute la nourriture dont il avait besoin pour survivre, ainsi que des médicaments, et cetera, pour les semaines où il pourrait survivre. Dans certains cas, ces aînés finissaient par rejoindre le groupe.

Cette vision du monde est très différente de la pensée occidentale. Le savoir autochtone traditionnel de l’Ouest et des Dénés représente une autre façon de voir le monde, de comprendre les rapports entre les uns et les autres et d’envisager la question du suicide.

Il y a des soins palliatifs partout au pays. Les soins palliatifs sont l’endroit où l’on a décidé de rester. Même les unités de soins palliatifs ne sont pas conçues pour des Autochtones. Premièrement, un lit en acier n’est pas l’endroit idéal pour un aîné mourant. C’est pourquoi nous demandons souvent de ramener la personne chez elle.

Le suicide a vraiment rattrapé nos jeunes, à cause des iPad, de la télévision et de tous les commérages qui s’étalent sur Facebook et d’autres réseaux sociaux. Les jeunes sont blessés par tout cela et ils se tuent. Quel gâchis. Cela ne devrait pas arriver, mais cela arrive à cause de la colonisation et de l’assimilation.

Par ici, notre pays subit les répercussions des sables bitumineux — dans l’air que nous respirons, dans l’eau que nous buvons. Les gens souffrent plus que jamais de problèmes respiratoires. Cela a des effets non seulement sur les gens, mais aussi sur nos moyens de subsistance.

J’estime que le projet de loi C-7 ne nous appartient pas. Je sais que les Occidentaux et leur façon de faire sont très différents, vraiment différents. On me demande maintenant, au dernier moment, de proposer des modifications à cette loi. On aurait dû me le demander dès le début. Vous auriez dû demander aux Autochtones de s’asseoir avec les représentants du gouvernement pour concevoir ce projet de loi.

Je pense que les Autochtones seront offensés si vous ne leur exposez pas de bonnes raisons, constructives et rationnelles de participer à l’aide médicale à mourir. Dans la nation dénée à laquelle j’appartiens, nous en avons discuté. Pour l’instant, cela n’a abouti à rien. Je n’ai été mis au courant de cette discussion qu’il y a quatre jours; je suis donc en train de faire du rattrapage, si l’on peut dire, mais, en même temps, je vous donne de l’information sur les Dénésulines, sur notre vision du monde et sur les principes spirituels que nous respectons. Nous n’en dérogerons pas.

Donc, si vous voulez donner suite à ce projet de loi, vous devriez le concevoir en prévoyant que les Premières Nations qui ne veulent pas y participer puissent le faire en vertu de leurs propres lois et de leurs propres règles, transmises depuis des milliers d’années. Ne croyez pas que nous sommes tous assimilés et que nous participerons à ce changement.

Je sais que le processus de participation au projet de loi C-7 visant à modifier le Code criminel (aide médicale à mourir) est hors de notre portée. Cela vaut pour toute autre mesure législative présentée par le gouvernement du Canada.

Vous me demandez mon avis. Je suis chef depuis de nombreuses années. J’ai parcouru le monde pour parler de mon peuple. Comme Déné, j’ai de très graves questions à poser, mais, au bout du compte, je sais que la décision est déjà prise et que mon point de vue n’a pas d’importance.

Je voulais simplement vous dire cela et j’espère que vous avez un peu compris ma réflexion, que j’exprime à titre de Dénésuline vivant selon les règles de son peuple. Notre histoire est longue. Notre histoire, mais surtout notre langue, est ce qui nous guide. Notre langue est descriptive. S’il n’y a pas de mot dans notre langue, c’est que cela n’a jamais fait partie de notre histoire. C’est ce que je voulais vous dire.

Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Paulette. Votre témoignage est très instructif. Mes collègues auront peut-être des questions à vous poser par la suite, et nous aurons donc encore la possibilité d’apprendre à votre contact.

Nous allons maintenant entendre la prochaine intervenante, Suzanne L. Stewart, directrice du Waakebiness-Bryce Institute for Indigenous Health et professeure agrégée à la Dalla Lana School of Public Health, à l’Université de Toronto. Elle est également présidente de la section autochtone de la Société canadienne de psychologie et elle a vocation à intégrer les enjeux liés aux modes de guérison autochtones à la discipline de la psychologie.

Suzanne L. Stewart, directrice, Waakebiness-Bryce Institute for Indigenous Health et professeure agrégée à la Dalla Lana School of Public Health, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup.

Je tiens à remercier notre aîné François Paulette. Mahsi’cho.

Mon nom colonisé est Suzanne Stewart. Mon vrai nom est Etsey Doctor Wedson. J’appartiens à la Première Nation des Dénés Yellowknives, dans les Territoires du Nord-Ouest. Je vis et travaille sur le territoire des Haudenosaunee et des Anishinabe à l’Université de Toronto depuis près de 15 ans. Je suis heureuse d’être ici et je vous remercie tous de m’avoir invitée et de prendre le temps d’écouter certaines de mes réflexions sur les révisions du Code criminel concernant l’aide médicale à mourir.

J’aimerais vous faire part de quelques enjeux en m’appuyant sur mon travail clinique et mes recherches en santé physique et mentale auprès des Autochtones depuis 20 ans. J’ai également été membre du groupe d’experts chargé du rapport de 2018 du Conseil des académies canadiennes sur l’aide médicale à mourir.

Compte tenu de ces éléments et du temps nécessaire pour en rendre compte, je parlerai de cinq enjeux croisés et primordiaux pour les Autochtones dans ces révisions du projet de loi C-7. Je conclurai mon exposé en vous renvoyant des questions, à vous tous et au gouvernement, au sujet de votre responsabilité à l’égard des questions que je soulève.

Il y a un aspect qui n’est pas suffisamment abordé dans le projet de loi : c’est la question de la diversité. Il y a une diversité de peuples autochtones et donc une diversité de points de vue sur l’aide médicale à mourir. Par exemple, nous avons des réserves autochtones en zones rurales, urbaines et éloignées. Les membres des Premières Nations peuvent être des Indiens inscrits ou non. Il y a les Métis. Il y a les Inuits. Il y a les points de vue des personnes bispirituelles et transgenres. Ces points de vue sur l’AMM sont très divers. Par ailleurs, des Autochtones et des communautés autochtones ont des visions du monde différentes inspirées du christianisme et des convictions culturelles autochtones traditionnelles. Dans certaines régions, il y a des guérisseurs traditionnels qui connaissent des méthodes ancestrales pour soulager les souffrances en mettant fin à la vie, mais ces méthodes sont fondées sur le savoir spirituel traditionnel et non sur la science médicale occidentale.

Le projet de loi C-7 ne tient pas compte non plus d’autres enjeux cruciaux comme le racisme et l’exploitation. Il est bien établi que les communautés autochtones ont souffert et souffrent encore des effets du racisme et de l’exploitation dans les différents milieux médicaux du Canada. On sait que des procédures médicales sont souvent imposées sans aucun sens éthique aux Autochtones, souvent sans leur consentement et pour des raisons sociales et politiques fondées sur la Loi sur les Indiens et sur les valeurs euro-chrétiennes-canadiennes et non pas sur une justification médicale fondée sur la science occidentale. Les Autochtones se méfient du système médical pour ces raisons et, compte tenu de ce contexte, ils n’auront pas l’espace dont ils ont besoin ni un accès équitable à l’AMM. Des Autochtones qui demandaient des soins ont subi les conséquences désastreuses, y compris la mort, d’un climat de racisme et d’exploitation à l’échelle individuelle et institutionnelle. Une relation de confiance et de transparence entre les patients autochtones et les professionnels de la santé est l’un des principaux éléments manquants, et c’est particulièrement essentiel pour l’AMM dans le système de santé. Comme les Autochtones sont actuellement dans l’impossibilité d’avoir une conversation ouverte et transparente avec les fournisseurs de soins de santé au sujet de l’AMM, ils risquent d’être exclus et exploités compte tenu de la façon dont le projet de loi C-7 est actuellement rédigé et serait mis en œuvre.

La littératie en santé est un autre enjeu crucial. Les séquelles des pensionnats et des systèmes de protection de l’enfance, entre autres de la rafle des années 1960, sont un fardeau qui a probablement privé les Autochtones de connaissances en médecine occidentale qui leur permettraient de prendre une décision éclairée en matière d’AMM comparativement aux personnes qui ne subissent pas ce traumatisme colonial.

Par ailleurs, les Autochtones ne bénéficient pas d’équité en raison de la construction et du fonctionnement coloniaux de la société canadienne dans le système de santé et ils ne pourraient probablement pas se défendre eux-mêmes, notamment à l’égard de questions lourdes de sens comme l’AMM, pour veiller à ne pas être indûment influencés et à être entendus. Il n’y a pas de soutien global aux Autochtones à l’échelle de la société, aussi bien en matière de logement que de sécurité alimentaire, de souveraineté, d’éducation, d’emploi, de perfectionnement professionnel, de services en santé mentale, de services médicaux et de soutien aux enfants et aux jeunes. Ce sont autant de facteurs importants dont il faut tenir compte, car ils entraînent de plus grandes vulnérabilités en matière de littératie en santé et d’accès à l’AMM.

Les besoins et les intérêts des communautés constituent un autre enjeu crucial. Il y a lieu de s’interroger sur l’investissement actuel du gouvernement fédéral canadien dans l’AMM pour les populations autochtones alors que celles-ci s’intéressent unanimement à la promotion de la vie et à la guérison plutôt qu’à des solutions de fin de vie. Pour les Autochtones...

La présidente : Madame Stewart, puis-je vous demander de conclure? Merci.

Mme Stewart : Les ressources investies dans l’AMM pourraient être envisagées comme le prolongement d’un objectif gouvernemental perpétuant le génocide juridique et systémique des Autochtones.

J’ajoute que les soins de santé en général ne sont pas équitablement accessibles aux Autochtones, et que l’information, l’évaluation et les dispositions de l’AMM se heurtent à des obstacles semblables. Cela témoigne également de la nécessité d’élaborer du matériel de psychoéducation communautaire autochtone, de fournir une formation clinique adaptée à la culture autochtone et tenant compte des traumatismes à tous les professionnels de la santé voués à l’AMM, et d’offrir des services d’AMM culturellement adaptés dans tous les milieux de soins de santé offrant ce service. Ces enjeux ne sont pas suffisamment abordés dans la loi actuelle ou dans les révisions proposées.

Mahsi’cho.

La présidente : Merci, madame Stewart.

Nous allons passer à notre dernier témoin du troisième groupe, M. Rod McCormick, professeur et titulaire de chaire de recherche au Centre All My Relations, à l’Université Thompson Rivers. M. McCormick a de l’expérience en counselling et en psychologie et en matière de santé mentale et de suicide chez les Autochtones.

Rod McCormick, professeur et chaire de recherche, Centre de recherche All My Relations, Université Thompson Rivers, à titre personnel : Merci. J’aimerais vous dire « tout ce qu’elle a dit », mais j’ai modifié mes notes pour essayer de ne pas dépasser sept minutes.

Shé:Kon. Je m’appelle Rod McCormick. Je suis Mohawk, Kanien’kéha. Je remercie les sénateurs de m’avoir invité à comparaître ici. Nous sommes sur le territoire traditionnel et non cédé de ma partenaire, de la nation Tk’emlúps te Secwépemc. On m’a demandé mon avis sur le projet de loi C-7. Comme le temps file, je vais m’en tenir à deux articles : celui sur la maladie mentale et celui qui exige que la mort naturelle du demandeur soit raisonnablement prévisible.

J’ai reçu une formation de psychologue et de psychothérapeute, et, après de nombreuses années d’expérience clinique auprès d’Autochtones, j’apprécie le fait que le changement proposé à l’AMM prévoit l’exclusion d’une personne dont la seule condition médicale invoquée serait une maladie mentale. Comme l’ont dit d’autres témoins, nous ne disposons pas de garanties suffisantes à cet égard.

J’ai travaillé notamment dans le domaine de la prévention du suicide. Durant plusieurs années, j’ai dirigé un groupe de prévention du suicide des adolescents au Yukon. J’ai également mené des recherches sur les parcours de guérison de jeunes et d’adultes suicidaires.

Ceux qui ont surmonté leurs tendances suicidaires avaient quelques constatations communes. La première est que leurs pensées étaient très déformées lorsqu’ils étaient suicidaires. Ils étaient entre autres convaincus qu’il n’y avait aucun espoir d’atténuer leurs souffrances et aucune chance de mettre fin à leur douleur. Ils croyaient que la vie ne valait pas la peine d’être vécue et que, s’ils se suicidaient, personne n’en ferait de cas.

En se rétablissant, ils se sont rendu compte à quel point ces convictions étaient inexactes. Avec le recul, ils ont compris que le suicide était une solution permanente à un problème temporaire. Le message de l’AMM à ceux qui souffrent est que, quand la souffrance devient intolérable, des professionnels de la santé peuvent mettre fin à leurs jours pour eux. Ce message mine le principe même de prévention du suicide.

Mon autre observation porte sur la modification qui supprimerait le critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible. Compte tenu de la sémantique de l’expression AMM dans le cadre de l’étude du projet de loi C-7, cela signifierait que la loi devrait plutôt s’appeler aide médicale pour mourir au lieu d’aide médicale à mourir, qui consiste simplement à accélérer le décès en raison d’une maladie en phase terminale. Du point de vue autochtone, il semble ironique de discuter de ces nouvelles possibilités de mourir alors que nous sommes des citoyens de deuxième classe au Canada du point de vue de l’aide médicale à vivre.

Les points de vue sont divers et nombreux parmi les Autochtones du Canada, mais il y a quelques perspectives communes sur le sens de la vie. Notamment que la vie est donnée et reprise par le créateur et que les êtres humains ne devraient pas y faire obstacle. C’est aussi un principe de la religion catholique, qui a une grande influence sur les Autochtones. Je rappelle que des évêques des Territoires du Nord-Ouest, où la moitié de la population est autochtone, ont ordonné aux prêtres de refuser des funérailles religieuses à ceux qui choisissent l’aide médicale à mourir.

Pour les Autochtones, la responsabilité envers la famille, la collectivité et la terre est fondamentale. C’est différent, je crois, de l’approche occidentale axée sur l’individu et sur les droits individuels. L’AMM et le projet de loi C-7 sont donc culturellement déterminés au sens où ils mettent l’accent sur le droit de l’individu de décider sans tenir compte des autres.

Pour paraphraser un autre témoin, nous, Autochtones, vivons moins longtemps. Nos bébés meurent plus souvent de maladies évitables. Nos amis et les membres de nos familles meurent de maladies évitables. Beaucoup mettent prématurément fin à leurs jours et meurent en détention ou sous la garde des services sociaux et du système de justice. Les Autochtones meurent de maladies complexes et dans des proportions plus élevées que la population en général. Il semble donc ironique, quand nous sommes déjà surreprésentés à tous les niveaux de ce système de santé, de nous offrir un autre chemin vers la mort.

Pour faire vite, les obstacles sont l’éloignement, le manque d’accessibilité, et l’accès limité aux services de santé et aux services sociaux pour les personnes handicapées. La pandémie de COVID a aggravé la situation. Nous avons constaté une augmentation de la violence familiale, du suicide et des cas de surdose de drogue. Au lieu d’un nouvel outil pour l’aide à mourir, nous préférerions vraiment un meilleur accès aux services de counseling, de santé mentale et de soins palliatifs et aux services pour les personnes handicapées.

Je m’inquiète également des problèmes d’accès, car il est peu probable que des médecins se rendent par avion dans des collectivités éloignées pour administrer cette procédure. Est-ce que cela signifie qu’on en chargera les infirmières communautaires? La plupart d’entre elles vivent dans de très petites collectivités, et il peut donc être difficile d’assumer le rôle de fournisseur d’aide médicale à mourir. Je ne pense pas que les gens veuillent se rendre dans les hôpitaux de grandes villes pour l’obtenir.

Pour nous, les soins palliatifs sont différents, comme l’a dit notre aîné. Nous avons besoin de grandes salles parce que nous avons beaucoup de visiteurs. Il n’y a généralement pas de soins palliatifs culturellement adaptés et accessibles.

Enfin, concernant la situation des personnes handicapées, il faut savoir qu’environ le tiers des Autochtones au Canada ont un handicap qui limite leurs activités quotidiennes, et qu’environ 40 % d’entre eux ont un handicap grave ou très grave. Le projet de loi C-7 semble ouvrir la porte aux personnes handicapées qui souhaiteraient obtenir une aide médicale à mourir. Cela ne va pas améliorer la situation des Autochtones, compte tenu du taux élevé d’invalidité.

Compte tenu des antécédents de stérilisation forcée et d’autres stratégies de génocide culturel, on peut comprendre que les Autochtones se méfient de ce projet de loi.

Enfin, nous avons besoin de données. Nous n’avons pas de données sur l’AMM et les problèmes que vivent les Autochtones. Je pense qu’il serait minimalement responsable de fournir ces renseignements avant de modifier les dispositions exigeant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible.

Je vais m’arrêter ici. Merci, Nia:wen.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur McCormick.

Merci beaucoup à tous les témoins. Vous avez effectivement souligné un point de vue que nous devons prendre très au sérieux. Merci encore une fois, monsieur Paulette, d’avoir pris le temps de nous rencontrer. Honorables sénateurs, nous allons passer aux questions.

La sénatrice Petitclerc : Ma première question s’adresse à M. Zinger. Merci de nous avoir fait part de votre point de vue très particulier sur l’aide médicale à mourir dans le système correctionnel fédéral. Avez-vous eu l’occasion de réfléchir, compte tenu de votre expertise, à ce qui, dans le projet de loi C-7 qui, comme vous le savez, modifie le Code criminel, relèverait ou devrait relever de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et de la réglementation afférente? Avez-vous une opinion à ce sujet?

M. Zinger : Merci.

Je dirais, en rappelant la deuxième des préoccupations que j’ai exprimées, que, jusqu’en 2016, en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, tout décès en milieu carcéral devait faire l’objet d’une enquête par le Service correctionnel du Canada et que le rapport du Comité d’enquête national devait être envoyé à mon bureau.

En 2016, avec l’arrivée de l’AMM, pour une raison qui m’échappe encore puisque mon bureau n’a jamais été consulté, le Service correctionnel a réussi à instaurer des dispositions l’exemptant de mener des enquêtes internes sur l’AMM. À mon avis, c’est inacceptable. C’est un manquement à la reddition des comptes. Ce n’est pas une procédure ouverte et transparente étant donné qu’un décès par AMM n’est pas simplement une cause de décès. Il s’agit, entre autres, de déterminer si le Service correctionnel a pu fournir des soins de santé suffisants et si le décès n’était pas, disons, prématuré en raison d’un accès insuffisant aux soins de santé fournis par le Service correctionnel.

Il faudrait aussi, dans le cadre de ces enquêtes, déterminer si le Service correctionnel a fait tout ce qu’il pouvait pour faciliter le placement d’une personne en soins palliatifs ou en établissement de fin de vie dans la collectivité, où l’aide médicale à mourir peut être fournie de façon beaucoup plus respectueuse de la réglementation à l’égard du choix, du moment et des moyens.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup.

J’ai une question pour M. McCormick. Vous savez probablement que, en janvier, le gouvernement a annoncé le lancement d’un nouveau processus de consultation pour l’élaboration conjointe de lois sur la santé des Autochtones fondées sur les distinctions pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis. J’aimerais savoir à quoi cela devrait ressembler selon vous, ou ce dont il faudrait tenir compte s’agissant de l’AMM et ce que devrait être l’AMM si celle-ci devait faire partie du processus, si c’est ce que vous pensez. Avez-vous une opinion à ce sujet?

M. McCormick : Je suis désolé. Je n’ai pas participé à ces réunions nationales de consultation sur la modification des soins de santé pour les Autochtones. Je n’ai pas été invité et je ne peux donc pas commenter ce dont on y discute, si ce n’est que la raison qui a précipité les choses est la présence évidente d’un climat de racisme dans le système de santé.

L’accessibilité est une question énorme pour nous. Dans le cas des garanties relatives à la maladie mentale, par exemple, il est question de demander à divers professionnels de la santé mentale d’évaluer la personne et de s’assurer que les gens sont informés de tous les services ou solutions de rechange à l’aide médicale à mourir. Malheureusement, beaucoup de ces services, même les services d’évaluation, sont très difficiles à obtenir concrètement. Ce sentiment de désespoir vient souvent du fait que, dans les petites collectivités, on ne se rend pas compte qu’il existe des solutions de rechange parce qu’elles ne sont pas évidentes. Mais nous avons nos propres façons d’aider les gens, et celles-ci sont souvent sous-utilisées. J’ai fait valoir la nécessité d’avoir des navigateurs en santé mentale dans nos collectivités pour faciliter l’accès des Autochtones aux services de santé mentale, parce que c’est vraiment difficile.

Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question, madame la sénatrice.

La sénatrice Petitclerc : Oui, merci.

La sénatrice Batters : Ma première question s’adresse à Tyler White, de Siksika. J’aimerais avoir votre avis sur le manque de consultation des Autochtones concernant le projet de loi C-7, compte tenu du fait que le ministre Lametti nous a dit hier qu’ils ont fait de leur mieux dans le délai dont ils disposaient. Quelles seraient les raisons pour lesquelles il serait impératif de procéder à une consultation approfondie des Autochtones au sujet d’un projet de loi comme celui-ci? Pourriez-vous également nous dire ce que, d’après vous, le gouvernement aurait encore du mal à comprendre tout à fait en raison d’un manque de consultation suffisante des Autochtones?

Dr Fung : Permettez. Malheureusement, M. White a dû quitter la réunion en raison d’une urgence familiale, mais je pourrais répondre en son nom si vous voulez.

La sénatrice Batters : Eh bien, en fait, je pourrais peut-être poser la question à Suzanne Stewart — et je pourrais la répéter, si elle n’était pas tout à fait attentive. Pourriez-vous répondre à cette question, madame Stewart? Voulez-vous que je la répète?

Mme Stewart : Non, je l’ai écoutée.

La sénatrice Batters : D’accord. Merci.

Mme Stewart : Pourquoi la consultation est-elle importante? Eh bien, parce que les systèmes et les services de santé biomédicaux occidentaux comme l’AMM — nous parlons de l’AMM comme d’un service de santé et de la façon dont nous allons le réglementer — ont toujours été imposés aux Autochtones, généralement à leur détriment, dans le meilleur des cas, et pour leur malheur et leur perte, dans le pire des cas. Cela renvoie au principe fondamental de l’autonomie et de l’autodétermination en matière de soins de santé et d’accès.

Les Autochtones ne disposent pas du degré d’autonomie et d’autodétermination dont jouissent et que tiennent pour acquis les autres membres de la population canadienne. Cela renvoie aux lois racistes, coloniales et patriarcales qui sont à l’origine de toutes les règles auxquelles nous sommes toujours assujettis au Canada et qui régissent ce système. Pour changer ce système, il faut consulter les Autochtones et leur demander : « Comment changer ce système pour qu’il ne vous nuise pas? » De toute évidence, en 2020, la société et ses systèmes gouvernementaux ne sont toujours pas en mesure de comprendre ce qui nuit aux Autochtones, même si c’est tout à fait évident autour de nous et tout le temps.

Je ne sais pas si cela répond à votre question.

La sénatrice Batters : Oui, et j’ai vraiment apprécié votre exposé préliminaire. Vous avez utilisé un terme très précis sur lequel je reviendrai plus tard, car je crois qu’il était tout à fait juste.

Mme Stewart : Rappelez-moi ce que c’était pour que je puisse l’utiliser de nouveau.

La sénatrice Batters : J’essaie de me souvenir. J’en ai pris note pour pouvoir y revenir plus tard.

J’aimerais aussi poser une question à M. François Paulette. Merci, monsieur Paulette, d’être parmi nous aujourd’hui. Vous êtes un aîné et un leader déné respecté et vous nous apportez un point de vue important. Je sais que vous avez déjà parlé aux médias du suicide assisté par un médecin et que vous avez affirmé que le suicide médicalement assisté ne fait pas partie de la culture autochtone. Vous avez eu un peu de temps aujourd’hui. Nous aimerions beaucoup, bien sûr, vous entendre longuement, mais notre délai n’est pas illimité. Monsieur Paulette, étant donné que le gouvernement n’a pas consulté suffisamment les Autochtones, qu’est-ce qui lui a échappé à votre avis?

M. Paulette : Je pense d’abord et avant tout que les détenteurs du savoir, les gardiens du savoir autochtone, auraient dû participer dès le début. C’est simple. Et je ne parle pas de politiciens. Je ne parle pas de monsieur Tout-le-Monde. Je parle des aînés, des détenteurs du savoir. Si on avait procédé ainsi et si on m’avait posé la question, j’aurais peut-être pu m’asseoir à cette table et vous fournir des renseignements historiques sur notre façon de voir le suicide. Comme je l’ai dit au début, le suicide n’est entré dans notre vocabulaire qu’il y a 300 ans; donc, c’est récent. Aujourd’hui, le suicide a pris des proportions incroyables.

Je suis un ex-alcoolique depuis 47 ans. Je suis professeur à l’École de santé publique de l’Université de l’Alberta. Une grande partie de mon travail porte sur le savoir traditionnel. J’ai pris la parole à l’occasion de la COP. J’ai assisté à huit ou neuf réunions de la COP dans le cadre de conférences sur les changements climatiques et j’y ai parlé des perspectives traditionnelles sur les soins que nous devons prendre de la planète et sur l’équilibre à conserver dans notre démarche.

Pour répondre à votre question, je pense qu’il n’est pas trop tard pour inviter des détenteurs du savoir si vous désirez examiner, peut-être, un enjeu précis de la loi dont ils pourraient parler. Merci.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Je vous suis reconnaissante.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question va dans le même sens que celle de la sénatrice Batters. Elle s’adresse à M. Paulette. Étant donné que le ministre a dit qu’il avait consulté les nations autochtones, mais que vous nous dites que vous n’avez pas été consulté, pouvez-vous nous dire qui a été consulté, qui a été invité et quel a été le processus engagé, à votre connaissance? Si d’autres témoins veulent répondre, allez-y.

[Traduction]

La présidente : Oui, nous vous avons entendu, et je pense que le Dr Fung veut répondre.

Dr Fung : Seulement si M. Paulette veut passer son tour.

En 2016, lorsque le projet de loi C-6 était à l’étude, Graydon Nicholas, avocat autochtone et trentième lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, avait dénoncé le manque flagrant de consultation des Autochtones. À l’époque, le Dr Lafontaine, de l’Association des médecins autochtones du Canada, y avait fait écho. Malheureusement, cinq ans plus tard, nous sommes toujours dans la même situation. Personne dans notre communauté n’est au courant des détails de ce projet de loi, et personne, assurément, n’a été consulté parmi nos dirigeants. À l’époque où l’Australie avait débattu des lois sur l’euthanasie, une partie de la délégation avait communiqué avec plus de 100 communautés autochtones pour connaître leur opinion sur le suicide assisté. Plus de 99,7 % des personnes consultées s’y étaient vivement opposées. À ce que je sache, il n’y a pas de données de consultation de ce genre au Canada, mais ç’aurait été un début.

La présidente : Merci.

Mme Stewart : Je pense que ce qui n’est peut-être pas bien saisi ici, et c’est un enjeu important, c’est que la consultation des Autochtones passe par certains protocoles de sollicitation des communautés autochtones et de leurs dirigeants. Cent cinquante ans plus tard, le gouvernement du Canada n’a toujours pas compris ni même n’est sur le point de définir ce qu’est une consultation ou une collaboration valable et véritable avec les communautés autochtones. Il serait bon, pour commencer, de revenir en arrière pour déterminer en quoi consiste le protocole permettant la consultation des communautés autochtones. Le mode de sollicitation des communautés autochtones est généralement plutôt insultant et irrespectueux dans le pire des cas, et méprisant et superficiel dans le meilleur des cas. Je pense que c’est l’un des enjeux que le gouvernement doit aborder de façon authentique.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins et l’aîné d’être venus nous voir.

Ma question s’adresse à M. Zinger. Vous avez dit au cours de votre exposé et dans votre mémoire que « le texte actuel de la loi et son application sont tels qu’il est plus facile pour un détenu en phase terminale d’être admissible à l’aide médicale à mourir que d’obtenir une libération conditionnelle à titre exceptionnel » et que l’aide médicale à mourir ne devrait pas se faire derrière les barreaux ni être la solution à un régime de détermination de la peine inflexible. Estimez-vous que les prisonniers admissibles à l’aide médicale à mourir et qui en font la demande devraient d’abord obtenir une libération pour raisons humanitaires? Pourriez-vous nous expliquer les obstacles actuels à ce genre de libération — particulièrement à une libération conditionnelle à titre exceptionnel — et nous parler de la situation des personnes handicapées actuellement en phase terminale en prison?

M. Zinger : Merci de votre question, sénatrice Pate.

Il y a deux ans, mon bureau, en collaboration avec la Commission canadienne des droits de la personne, a mené une enquête systémique intitulée Vieillir et mourir en prison : enquête sur les expériences vécues par les personnes âgées sous garde fédérale. Vous pouvez voir le rapport ici. Au cours de cette enquête systémique, nous avons interrogé plus de 250 hommes et femmes incarcérés ou purgeant le reste de leur peine dans la collectivité. Dans leur très grande majorité, ils ont déclaré qu’ils ne voudraient pas mourir en prison.

La question est donc de savoir pourquoi il y a encore dans nos prisons tant de gens qui meurent, une quarantaine par an, alors qu’ils sont en soins palliatifs ou en fin de vie, qu’ils souffrent d’un handicap grave, qu’ils sont grabataires ou qu’ils sont atteints de la maladie d’Alzheimer ou de démence. Nous avons au moins 700 détenus de plus de 65 ans. Ces personnes coûtent peut-être deux à quatre fois plus en moyenne que les autres détenus. Comme vous le savez, le coût moyen est d’environ 120 000 $ pour les hommes et d’environ 200 000 $ pour les femmes. Deux à quatre fois, c’est énorme. Il existe des solutions de rechange qui ne compromettraient pas la sécurité publique, qui respecteraient davantage la dignité humaine et qui seraient beaucoup plus avantageuses pour la société en général.

Il y a des obstacles, mais, à mon avis, ils sont surtout dictés par le Service correctionnel lui-même, qui ne propose pas proactivement certaines de ces solutions et qui ne s’assure pas d’avoir des lits dans la collectivité pour les délinquants vieillissants et mourants. Il pourrait assurément financer ces lits. C’est ce que le président de la Commission canadienne des droits de la personne et moi-même avons recommandé, c’est-à-dire que le SCC devrait instaurer proactivement ces mesures pour que des décisions comme le recours à l’aide médicale à mourir ne soient jamais prises en milieu carcéral. Ce serait fait dans la collectivité, puisqu’un détenu en soins palliatifs ou en fin de vie serait proactivement et rapidement remis en liberté. Si la santé d’un détenu se détériorait très rapidement, la décision serait exceptionnellement prise en milieu carcéral, mais la procédure serait appliquée dans un hôpital extérieur. Il s’agirait cependant de cas exceptionnels.

La plupart des 40 personnes qui meurent chaque année souffrent de maladies chroniques et sont censées mourir dans un avenir prévisible. La plupart d’entre elles seraient admissibles à l’AMM, et elles devraient être libérées et ne pas être prises en charge en milieu carcéral.

La sénatrice Martin : Merci à tous nos témoins. J’ai l’impression que nous aurions besoin de beaucoup plus de temps pour approfondir ces questions. Nous apprenons beaucoup, ne serait-ce qu’aujourd’hui. J’ai l’impression que nous ne faisons qu’effleurer la surface.

Monsieur François Paulette, vous avez dit que le mot « suicide » était récent. Cela remonte à près de 300 ans, presque le double de l’âge du Canada.

Nous en sommes aux derniers stades de l’étude de ce projet de loi. Je suis vraiment déchirée devant ce que nous avons à faire. Nous sommes engagés dans ce processus. À ce stade, je reviens sur un sujet qui me tient beaucoup à cœur. C’est la protection explicite de la liberté de conscience qu’il faut inscrire dans le projet de loi. Des médecins nous ont dit que, même si le projet de loi C-14 prévoit une disposition en ce sens, celle-ci ne leur garantit pas concrètement la protection dont ils ont besoin pour pratiquer la médecine au Canada. Je m’interroge donc. Cette question s’adresse à M. McCormick ou aux autres témoins. Quelle est l’importance de la protection explicite de la liberté de conscience, au niveau fédéral, pour les médecins et les infirmières praticiennes autochtones?

M. McCormick : Madame la sénatrice, je ne suis pas médecin, mais je peux vous donner un avis personnel.

Je suis convaincu qu’il faut protéger à la fois les médecins et, sans doute, les infirmières praticiennes ou quiconque sera chargé d’administrer cette procédure dans les communautés autochtones. Il faut absolument que ces garanties soient données aux fournisseurs de services et aux membres de la profession médicale. Je m’inquiète également pour les fournisseurs de soins de santé compatissants qui pourraient être plus enclins à utiliser l’aide médicale à mourir. Je suppose que c’est l’envers de la médaille.

Quand je travaillais comme consultant en santé mentale pour les Premières Nations et les Inuits, j’ai examiné un grand nombre de centres de traitement des Autochtones. Dans l’un d’eux, on me montrait les piluliers hebdomadaires que reçoivent tous les patients. Il y avait une douzaine de personnes en traitement à l’époque. J’ai remarqué qu’ils avaient tous des médicaments semblables — et beaucoup de ces gens étaient plus jeunes que moi. J’ai donc demandé des explications. On m’a dit : « Nous accompagnons tous les patients chez le pharmacien local, qui vérifie leurs médicaments et leur donne des ordonnances. » J’ai demandé : « Quel est ce médicament que tout le monde prend? On dirait des vitamines. » Réponse : « Non, ce sont des T3. » J’ai dit : « Pardon? On a prescrit des T3 aux 12 personnes? Comment cela? Deux à quatre par jour? » Et on m’a dit : « Eh bien, le pharmacien local estime que, si on est autochtone, on souffre probablement, et il les prescrit à ceux qui en font la demande. »

L’envers de la médaille, qui est le risque de refuser la procédure à ceux qui seraient enclins à en abuser, m’inquiète aussi. Je ne veux pas avoir l’air paranoïaque, mais nous avons des antécédents malheureux concernant certaines interventions médicales dans le système de santé traditionnel.

La sénatrice Martin : Je pense que le Dr Fung voulait également répondre à cette question.

Dr Fung : Oui, si vous le permettez.

Un professeur de l’Université Queen’s et titulaire d’une chaire de recherche en l’Ontario, le Dr Udo Schüklenk, a demandé aux universités de refuser l’admission à la faculté de médecine aux personnes qui ont des objections de conscience à l’AMM. Si un candidat autochtone était par ailleurs admissible, les facultés de médecine refuseraient-elles son admission en raison de ses convictions autochtones?

Dans la nation Siksika, nous avons aussi un pavillon pour les aînés et nous craignons les mesures prises dans d’autres provinces. Par exemple, en Colombie-Britannique, lorsque le centre de soins palliatifs Delta a refusé d’administrer l’aide médicale à mourir sur place, les autorités ont expulsé tout le personnel et ont donc dû transférer tous les patients ailleurs, pour finir par prendre la relève. Qu’y a-t-il dans le langage juridique, dans la loi, pour protéger nos établissements et centres de soins autochtones contre ce genre de situation? C’est très alarmant.

La sénatrice Boniface : Merci à tous d’être ici. C’est un groupe intéressant aux témoignages instructifs.

Monsieur Zinger, concernant certains de vos commentaires sur l’administration de l’aide médicale à mourir dans les établissements correctionnels, je suis surpris que vous n’ayez pas accès à un examen des cas. D’après vos commentaires, il semble s’agir d’une politique et d’une pratique du Service correctionnel. Plus précisément, s’agissant du projet de loi C-7, quelle modification ou quel moyen permettrait de répondre à vos préoccupations ou est-ce que, en fait, cela concerne davantage la politique correctionnelle fédérale?

M. Zinger : Merci, madame la sénatrice.

Je dirais deux choses. D’abord, il faudrait interdire l’aide médicale à mourir en milieu carcéral. Pour moi, c’est vraiment important. Le Canada ne devrait pas avoir à pratiquer une procédure d’euthanasie sanctionnée par l’État dans un établissement correctionnel. Cela crée une mauvaise perception. C’est une mauvaise politique. C’est terrible. Le détenu devrait être transféré dans un hôpital extérieur, et le Service correctionnel devrait avoir très peu à voir avec la procédure de l’AMM. Il vaut mieux que le Service correctionnel ne participe pas à ces activités.

Voilà pour la première remarque. La deuxième aussi est importante, je crois. Je ne sais pas pourquoi, mais, en 2016, on a modifié la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour exempter le service de mener une enquête interne. La réglementation prévoit en principe que les rapports sur les décès en détention soient envoyés à mon bureau. Cette exemption devrait être abolie. Elle est mal conçue. Mon bureau n’a jamais été consulté par le ministère de la Justice, le ministère de la Sécurité publique ou le Service correctionnel à ce sujet. Si cela avait été le cas, je serais descendu dans l’arène. Je ne sais pas ce qui a motivé cette décision. Je ne sais pas si le Service correctionnel pensait qu’il y aurait des dizaines de cas et que la charge de travail serait insoutenable, mais ce n’est manifestement pas le cas. Je crois que c’est une très mauvaise décision administrative.

Vous avez raison de dire, au sujet des solutions comme la libération gériatrique ou la libération conditionnelle pour raisons médicales, que ce sont des questions plus vastes, qui vont bien au-delà du projet de loi C-7, mais, malheureusement, elles sont reliées, parce que le créneau étroit auquel lequel le Service correctionnel s’est cantonné a des répercussions sur les décisions relatives à l’AMM et sur la procédure de l’AMM. Je vous remercie.

La sénatrice Boniface : Je veux être sûre de comprendre. Vous n’êtes pas en train de dire qu’on devrait refuser l’AMM aux détenus, mais que, s’ils demandent l’AMM, cela devrait se faire ailleurs qu’en prison. C’est bien cela?

M. Zinger : Tout à fait. Dans le meilleur des cas, les détenus en fin de vie ou remplissant les conditions devraient être envoyés ailleurs. Ils n’ont plus besoin d’être en prison. S’ils sont encore en prison, la procédure devrait tout du moins être effectuée dans un hôpital extérieur. Dans les cas exceptionnels que sont la libération pour raisons humanitaires et la prérogative royale de clémence, tout devrait se faire à l’extérieur. Il incombe au Service correctionnel d’offrir ces solutions de rechange. Le simple fait qu’il n’y ait pas de solutions de rechange explique les dilemmes éthiques dans lesquels nous sommes plongés actuellement.

La sénatrice Boniface : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à M. Paulette d’abord, et j’aimerais aussi avoir le point de vue de Mme Stewart et de M. McCormick, car j’ai cru comprendre que le chef White n’était pas disponible.

Ma question est donc la suivante. En tant qu’elders, vous nous avez dit que vous étiez les détenteurs du savoir, et je comprends très bien qu’une grande partie du droit coutumier autochtone réside dans votre savoir.

Est-ce que, à votre avis, les gens qu’il faut consulter sur la question de l’aide médicale à mourir devraient être les dirigeants de la communauté et les aînés? Est-ce que les décisions et les discussions doivent se faire dans chacune des communautés? Est-ce que ces discussions doivent engager les dirigeants et les elders de la communauté, ou seulement les elders? J’aimerais savoir quelle est votre position.

[Traduction]

M. Paulette : Pouvez-vous répéter la question?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je répète ma question, monsieur Paulette.

Vous nous avez dit que vous-même et d’autres elders étiez les détenteurs du savoir, donc ceux qui conservent ce qui constitue une bonne partie du droit coutumier d’une communauté. Vous avez également affirmé que, en tant qu’aînés, vous auriez dû être consultés dès le départ.

Est-ce que ces questions d’aide médicale à mourir devraient être discutées et réglées dans chacune des communautés? Est-ce que ces discussions devraient se tenir avec les chefs et les elders de la communauté, ou seulement avec les aînés?

Des médecins et des infirmières autochtones sont venus nous dire qu’il fallait faire attention et respecter également la volonté de certaines personnes dans les communautés de recevoir l’aide médicale à mourir. Selon vous, qui devrait d’abord en discuter et ensuite en décider?

[Traduction]

M. Paulette : Je vous remercie de cette question.

Oui, toutes les tribus ont leurs détenteurs de savoir. Selon la position occupée ou le sujet, différents aînés détiennent différentes sources de savoir. Par exemple, dans ma langue, quand on dit :

[mots prononcés en langue autochtone]

Ce mot signifie grand, qui occupe une place de choix. Par exemple la rivière, la grande rivière ou la grande montagne.

Maintenant, il y a d’autres manières de décrire des gens, par exemple :

[mots prononcés en langue autochtone]

Cela veut dire quelqu’un qui s’y connaît en la matière.

[mots prononcés en langue autochtone]

La personne qui s’y connaît en médecine.

Il y a donc différents détenteurs de savoir. Cela relève de la tribu, et les questions sont parfois posées au chef et au conseil. C’est à peu près le bon protocole, mais, au bout du compte, le protocole relève du détenteur du savoir et de la personne qui cherche des réponses ou soulève des questions comme ici, dans cette discussion sur le suicide. Comprenez-vous ce que je veux dire?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Oui, je pense que je comprends.

Si je comprends bien votre explication, selon les questions dont il s’agit, et dans ce cas-ci ce sont toutes des questions de santé, les chefs devraient avoir l’autorité nécessaire pour discuter de ces questions, mais ils devraient le faire en impliquant directement ceux qui détiennent le pouvoir, soit les elders, qui sont les gardiens du savoir dans le domaine de la santé; est-ce bien cela?

[Traduction]

M. Paulette : Oui.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci beaucoup.

Est-ce que Mme Stewart et M. McCormick auraient d’autres perspectives à partager en ce qui a trait à cette question?

[Traduction]

M. McCormick : Non, je m’en remets à ce que l’aîné a dit.

Mme Stewart : Je suis également d’accord avec M. Paulette. Meegwetch.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci, ma question a déjà été posée.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Les témoins doivent savoir que l’aide médicale à mourir existe au Canada depuis maintenant près de cinq ans et que le projet de loi vise à améliorer cette loi compte tenu de décisions judiciaires.

Ma question s’adresse à Mme Stewart. Selon vous, les mesures de prévention du suicide peuvent-elles coexister avec l’aide médicale à mourir? Le suicide et l’aide médicale à mourir sont deux actes extrêmement différents sur les plans moral, éthique, émotionnel et, en fait, juridique. Quelles mesures le gouvernement peut-il prendre pour garantir que la distinction soit claire pour les communautés autochtones au-delà de ces mesures manifestement infructueuses depuis l’instauration de l’AMM il y a près de cinq ans?

Mme Stewart : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.

Vous soulevez une question vraiment cruciale. Il y a un monde entre le suicide et l’aide médicale à mourir. Il s’agit, entre autres, de pouvoir fournir aux gens — et pas seulement aux Autochtones, mais aussi, par exemple, aux fournisseurs de soins de santé et à d’autres soutiens auxiliaires du mieux-être dans les communautés autochtones — de l’information exacte.

La désinformation en tout ce qui a trait à la santé est au moins 10 fois plus répandue dans les communautés autochtones que dans la population générale. Cela comprend aussi les fournisseurs de soins de santé. Pour une raison ou une autre, les fournisseurs de soins de santé qui s’adressent aux communautés autochtones ont des œillères à l’égard de l’information réelle et de son traitement.

Du côté des garanties, je crois qu’il faut fournir une information culturellement adaptée et culturellement sûre aux Autochtones au sujet de l’AMM, de la façon dont elle est utilisée et de ce qu’elle est. Ce qui importe, c’est de faire de la psychoéducation communautaire à tous les niveaux dans les communautés autochtones.

Je ne sais pas si c’est la réponse suffisamment séduisante que vous cherchiez.

Le sénateur Harder : Oui, effectivement. Je tiens à souligner que, selon vous, l’AMM n’est pas incompatible avec une société autochtone. Autrement dit, est-ce une contradiction en soi ou est-ce son application qui fait problème?

Mme Stewart : Je ne pense pas que ce soit une contradiction. C’est l’application qui est problématique, outre ce dont presque tous les témoins ont parlé aujourd’hui, à savoir la question de la diversité. Il y a toutes sortes de visions du monde et de systèmes de croyances au sujet de l’aide médicale à mourir. Nous l’appelons ainsi dans un contexte biomédical occidental, mais j’ai aussi rencontré des médecins autochtones en soins palliatifs qui m’ont dit avoir travaillé avec de nombreux guérisseurs traditionnels de différentes régions, qui avaient des façons traditionnelles de mettre fin à la souffrance des gens lorsqu’il n’y avait plus aucun espoir. Mais cela se faisait de concert avec la famille, avec la collectivité, et en fonction d’un savoir spirituel, et non de facteurs atténuants ou non atténuants évalués dans ce cadre colonial complexe où s’inscrit le système de soins de santé et où s’inscrivent les Autochtones en vertu de ce mode d’organisation.

Le sénateur Harder : C’est très instructif. Merci.

Mme Stewart : J’aimerais ajouter quelque chose. N’oubliez pas que ce sera différent dans chaque communauté. Cela fait partie du problème. Nous adoptons ici un point de vue panautochtone. Quelqu’un a demandé tout à l’heure si nous devrions avoir des politiques et des programmes différents pour chaque communauté. Oui, absolument. Chacune doit prendre ses propres décisions, en consultation avec les gardiens du savoir dans chacun de ces endroits, y compris dans les régions urbaines, où la plupart des nôtres vivent actuellement.

Le sénateur Harder : D’accord, mais cela n’exige pas un contexte juridique différent; ce serait dans le cadre de l’application du même contexte juridique?

Mme Stewart : Tout à fait.

Le sénateur Harder : Merci.

Le sénateur Cotter : Ma question, qui est pour Mme Stewart, fait suite à celle du sénateur Harder.

D’après ce que nous comprenons, le gouvernement est actuellement en quelque sorte dans l’obligation constitutionnelle et juridique de régler certaines questions plus récentes concernant l’aide médicale à mourir. Beaucoup d’entre vous cet après-midi ont pris note, comme nous l’ont dit le Dr Lafontaine et de nombreux autres témoins dans le cadre de notre étude préliminaire, que le dialogue avec les communautés autochtones a été insuffisant.

Pourriez-vous nous éclairer un peu sur ce qui risque de se produire dans une situation où une initiative législative concernant le projet de loi C-7 se fait en parallèle d’une démarche à laquelle même le gouvernement ne peut pas résister. Que pourrait-il se passer au cours des prochains mois ou des prochaines années pour mieux répondre aux besoins des communautés autochtones et tenir compte de leurs spécificités culturelles dans le cadre d’une procédure d’aide médicale à mourir adaptée à leurs philosophies? Quelles sont les réflexions que vous en tirez?

Mme Stewart : De mon point de vue d’Autochtone faisant de la recherche sur les politiques et sur les services de santé autochtones et qui offre des services de psychologie clinique aux communautés, si quelqu’un me demandait comment je procèderais — et je suis certaine qu’il y a bien d’autres façons de le faire, d’ailleurs M. McCormick devrait également répondre à cette question —, je dirais que cela devrait être confié aux soins de chaque communauté, quel que soit le mode de regroupement, régional ou culturel. Nous sommes encore en train de dire les mêmes choses, et c’est ridicule, mais il s’agirait de laisser les communautés autochtones créer leurs propres politiques et leurs propres programmes en matière d’AMM.

Cela donnerait aux Autochtones le pouvoir de décider, par exemple : « Je vais retourner dans ma communauté pour y obtenir l’AMM; j’aurai la possibilité de le faire là où c’est fait selon ma culture et dans la sécurité de ma culture » ou : « Je vais le faire dans une ville, dans un contexte de soins de santé autochtone en milieu urbain », ou encore : « Je vais le faire dans un contexte de soins de santé non autochtone et comme une personne non autochtone. »

Mais, surtout, il s’agit de donner cette autonomie aux Autochtones pour qu’ils puissent décider.

Le sénateur Cotter : Merci. M. McCormick a peut-être aussi une opinion.

Mme Stewart : J’aimerais aussi savoir ce qu’en pense M. McCormick.

M. McCormick : Merci, monsieur le sénateur. J’ajouterais seulement deux points. Je suis d’accord avec Mme Stewart.

Concernant les solutions de rechange, je crois que l’expression était « solutions de rechange raisonnables ». Le problème, c’est que les gens sont désespérés parce qu’ils ne voient pas de solutions de rechange dans leur communauté. Ils ne savent plus comment faire cesser la souffrance. Ils sont désespérés. Ils doivent donc être informés des solutions de rechange. Il faut leur fournir ces renseignements.

L’autre point, c’est que trop souvent, l’aide apportée aux gens qui souffrent arrive quand la communauté déclare l’état d’urgence, souvent dans le cas d’un suicide, et c’est alors que toutes sortes de services sont offerts pendant peu de temps. Donc, malheureusement, le moyen d’accélérer les services de santé mentale est de déclarer l’état d’urgence. Ce n’est pas ainsi que cela devrait se faire.

J’ai plaidé auprès de la Direction générale de la Santé des Premières Nations et des Inuits pour qu’elle fasse passer le continuum des soins de la gestion de crise et de la post-intervention à la prévention. Avec l’AMM, nous avons un autre aspect du continuum des soins. Il me semble que l’on consacre beaucoup d’argent et d’attention au mauvais bout du continuum de soins.

C’est ce que j’avais à ajouter.

Le sénateur Cotter : Merci à vous deux.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup. J’allais poser une question à M. White, mais je crois qu’il est déjà parti. Je dirai donc simplement que Mme Stewart a plutôt bien répondu à ce que j’allais demander.

Mais j’aimerais savoir si M. McCormick pourrait nous dire s’il risque d’y avoir un dérapage existentiel de notre obligation commune envers autrui. La ligne de démarcation entre l’AMM et le suicide devient floue, non seulement dans les communautés autochtones, mais partout au pays. Je me demande si vous, qui avez travaillé toute votre vie avec des gens à cet égard, pourriez répondre à cette question.

M. McCormick : Merci. C’est une question difficile. C’est une bonne question.

Il faudrait que j’y réfléchisse davantage, mais le point commun pour moi, sur le plan existentiel, c’est ce sentiment d’impuissance ou de désespoir. Si nous pouvons répondre à cela et si nous pouvons créer de l’espoir, je ne pense pas qu’il y ait demande de suicide ou d’AMM. Je pense que, bien souvent, ce sont des gens qui ne voient tout simplement pas d’autres solutions.

Je ne pense pas avoir vraiment répondu à votre question.

Le sénateur Richards : Si, monsieur, vous l’avez fait. Je suis d’accord avec vous. Il est très difficile de répondre à cette question, mais c’est un important sujet de réflexion. Merci.

M. McCormick : Merci.

La sénatrice Pate : Monsieur Zinger, j’aimerais revenir sur une question soulevée par la sénatrice Boniface. Pour certaines personnes qui ne travaillent pas en milieu carcéral ou connexe, c’est peut-être moins évident, mais, quand je donne de la formation à des avocats, des juges, des travailleurs sociaux, des médecins ou des psychologues, nous passons beaucoup de temps à parler de la difficulté des détenus à faire des choix en prison. Votre bureau a bien étayé l’insuffisance des mécanismes de gestion des plaintes et ce genre de procédure. Louise Arbour et la commission d’enquête ont dénoncé le fait que beaucoup de médecins ne veulent pas travailler dans les prisons parce qu’ils ne peuvent parfois pas s’assurer que des détenus donnent leur consentement libre et éclairé à des procédures. Est-ce que c’est ce qui explique votre proposition de ne pas offrir d’aide médicale à mourir dans les prisons?

Par ailleurs, puisque des pressions s’exercent pour qu’on envisage d’accorder cette procédure quand la maladie mentale est la seule condition invoquée — et je ne peux pas imaginer combien de demandes vous recevez à votre bureau —, je sais que, depuis le dépôt du projet de loi sur l’aide médicale à mourir en 2016 et mon arrivée au Sénat, nous avons reçu de nombreuses demandes de personnes souhaitant obtenir l’aide médicale à mourir en raison de problèmes de santé mentale, parce qu’elles se retrouvent le plus souvent en isolement, qu’on appelle cela de l’observation médicale ou autre chose, peu importe.

J’aimerais avoir votre avis sur la première question. Ensuite, que penseriez-vous d’un élargissement de l’aide médicale à mourir sans les modifications que vous avez déjà recommandées?

M. Zinger : Merci.

Je ne vous envie pas ce rôle de législateurs. C’est un domaine où, malheureusement, les bonnes intentions ont parfois des conséquences imprévues. Dans ce domaine, il arrive souvent que des politiques semblent s’appliquer de façon égale à tous et paraissent solides et qu’elles finissent par produire des résultats différents ou discriminatoires.

Il est important de considérer qui sont les hommes et les femmes incarcérés. Pour orienter notre réflexion, nous pourrions examiner le rapport dans lequel un groupe d’experts et le rapporteur spécial de l’ONU émettent des mises en garde plutôt sévères. Les auteurs sont experts de la situation d’extrême pauvreté, de personnes handicapées et de personnes âgées. Ils affirment que l’on trouve dans les prisons des groupes vulnérables, et nous avons certainement entendu aujourd’hui de nombreux témoins éloquents sur les problèmes des Autochtones. Ces hommes et ces femmes dans les prisons, qui sont-ils? Chez les hommes, 35 % ont de graves problèmes psychologiques ou psychiatriques qui nécessitent des services. Chez les femmes, ce pourcentage est d’environ 50 %. On y constate une grave surreprésentation des Autochtones, soit 31 % de la population incarcérée, alors qu’ils ne constituent qu’environ 5 % de la population canadienne en général. Nous avons une quantité anormale de lésions cérébrales, de déficits intellectuels, de déficits cognitifs, de prévalence de la toxicomanie, de problèmes d’emploi et de très faibles niveaux de scolarité.

Pour éviter de causer des conséquences imprévues, il faudra ajouter des mesures de protection avant que cette loi n’entre en vigueur.

L’un des résultats du Service correctionnel du Canada m’a déçu. Il y a un an, la loi a été modifiée pour mettre en place des unités d’intervention structurée. Elle prévoyait la désignation d’un défenseur indépendant des patients, et le Service a reçu du financement pour cela. À ma connaissance, il n’a encore nommé personne. C’était justement le genre de protection qu’il faut aux hommes et aux femmes incarcérés pour qu’ils sachent à quels soins de santé ils ont droit. Malheureusement, les recommandations que mon bureau et la Commission canadienne des droits de la personne ont présentées il y a deux ans sont tombées dans l’oreille d’un sourd. Nous nous retrouvons donc avec un nombre démesuré de personnes qui ne devraient probablement pas être en prison et dont le comportement serait mieux géré dans la collectivité. Ces personnes sont maintenant coincées dans système qui peut leur infliger des conséquences tragiques.

La présidente : Honorables sénateurs, cela nous amène à la fin des témoignages de ce groupe d’experts.

Je tiens à remercier l’aîné Paulette et les autres experts d’être venus aujourd’hui. Je vous assure que nous avons beaucoup appris de vos témoignages, mais nous avons encore beaucoup de choses à apprendre. Merci d’être venus.

Honorables sénateurs, nous allons entendre notre dernier groupe de témoins de la journée. Je tiens à vous remercier tous de votre patience et de votre compréhension face aux défis techniques de ces audiences virtuelles et hybrides.

Avec notre dernier groupe de témoins aujourd’hui, nous accueillons le Dr Derryck Smith, professeur clinicien émérite, Département de psychiatrie, Université de la Colombie-Britannique. Il siège au conseil consultatif de Dying With Dignity. Son expertise et ses recherches portent sur les traumatismes cérébraux, sur le TDAH et sur les évaluations d’invalidité. Il a été membre de la British Columbia Medical Association et de l’Association médicale canadienne.

Docteur Derryck Smith, je tiens à ce que vous sachiez que je vous suis vraiment reconnaissante d’être revenu et de ne pas avoir renoncé à témoigner. Nous désirons vraiment vous entendre. Bienvenue. La parole est à vous, docteur.

Dr Derryck Smith, professeur clinicien émérite, Département de psychiatrie, Université de la Colombie-Britannique : Je suis psychiatre à Vancouver, et je voulais vous parler en particulier de la disposition du projet de loi C-7 qui traite des patients psychiatriques. Je voudrais vous présenter l’expérience que j’ai vécue avec deux patients qui ont reçu l’aide médicale à mourir uniquement en raison d’une maladie psychiatrique. Je crois qu’on vous a dit plus tôt que personne au Canada n’a reçu d’aide médicale à mourir uniquement pour souffrir d’une maladie psychiatrique, et ce n’est pas exact. Elle a été accordée à environ cinq personnes. Je vais vous parler des deux personnes dont je me suis occupé.

La première est de notoriété publique, car elle a été entendue par les tribunaux de l’Alberta. Il s’agit de l’affaire E.F., qui s’est déroulée avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-16. Les personnes qui voulaient obtenir l’aide médicale à mourir devaient le demander au tribunal. Mme E.F. a présenté une demande au tribunal, et la Cour du Banc de la Reine lui a accordé l’aide médicale à mourir. Le Canada et la Colombie-Britannique en ont appelé de cette décision, et l’affaire a été portée devant la Cour d’appel. Les arguments sur E.F. et sur les difficultés qu’elle éprouvait se sont avérés convaincants.

Voici un extrait du jugement :

E.F. est une femme de 58 ans qui endure des souffrances chroniques intolérables dues à un grave trouble médical appelé « trouble de conversion », classé parmi les troubles psychogéniques du mouvement. Elle souffre de spasmes musculaires involontaires qui partent de son visage et rayonnent vers les côtés, dans le haut de la tête et dans les épaules, ce qui lui cause de fortes douleurs et des migraines constantes. Les muscles de ses paupières causent des spasmes qui lui ferment les yeux, alors elle souffre d’une quasi-cécité. Son système digestif est inefficace, et elle refuse de manger jusqu’à deux jours de suite. Elle dort très mal et, à cause de ses troubles digestifs, elle a perdu du poids et de la masse musculaire. Elle est non ambulatoire et doit être transportée ou se déplacer en fauteuil roulant. Sa qualité de vie est inexistante. Bien que son état soit diagnostiqué comme étant psychiatrique, son aptitude et sa capacité cognitive de prendre des décisions éclairées, notamment de consentir à mettre fin à sa vie, sont intactes...

J’avais évalué cette femme et j’ai présenté mon rapport au Tribunal. On ne m’a pas demandé de l’examiner. Toutefois, la juge du procès a parlé à son médecin de famille, à son mari et à ses enfants et lui a accordé l’aide médicale à mourir. Elle a été la première personne au Canada à bénéficier de l’aide médicale à mourir en raison d’une maladie psychiatrique. Comme je l’ai dit, c’était avant le projet de loi C-14.

La deuxième patiente, que j’ai examinée à Vancouver, était une femme de 45 ans qui souffrait d’anorexie mentale depuis l’âge de 17 ans. Elle avait reçu une multitude de traitements à l’hôpital et en consultation externe. Elle avait essayé de nombreux médicaments, et l’on avait émis à plusieurs reprises un certificat d’admission conformément à la Loi sur la santé mentale. Elle avait été nourrie de force à la sonde, contre son gré. Quand je l’ai évaluée, elle n’avait pratiquement aucune vie sociale. Elle vivait seule. Il n’y avait pas de joie dans sa vie. J’étais convaincu qu’elle souffrait. Elle craignait beaucoup que l’on émette une fois de plus un certificat d’admission conformément à la Loi sur la santé mentale. Quand on la nourrissait de force, elle se sentait violée et lorsqu’elle reprenait du poids, elle se sentait dégoûtée d’elle-même. Selon mon évaluation, elle était apte à accepter l’AMM.

J’essaie toujours d’interviewer autant de membres de la famille que possible. Cette femme est venue avec son mari, qui est un juge de la Cour suprême à la retraite. Je lui ai demandé ce qu’il pensait du souhait de sa fille. Il m’a dit que ce souhait lui brisait le cœur, mais qu’il appuyait fermement sa fille, parce qu’elle menait une existence misérable et qu’il ne pouvait pas supporter de la voir ainsi. Je lui ai aussi demandé ce qu’il pensait de son aptitude, car il avait accumulé une grande expérience de l’évaluation de l’aptitude. Il était d’accord qu’elle accepte l’aide à mourir, et c’est ce qu’elle a fait.

La raison pour laquelle on n’entend pas parler de l’aide médicale à mourir dans le cas de patients psychiatriques, c’est que le registre national ne recueille pas ces statistiques. Il comporte une catégorie appelée « autre », et je soupçonne que les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique y sont incluses. D’après mes contacts partout au pays, je crois que seulement environ cinq personnes ont reçu l’aide à mourir pour une maladie psychiatrique.

Ce groupe de personnes est important, parce qu’elles souffrent autant que celles qui ont ce qu’on appelle une maladie médicale. En fait, il est très difficile de distinguer les maladies psychiatriques des maladies médicales. Le siège de la maladie psychiatrique est le cerveau humain, qui est lui-même un organe du corps. Je ne vois aucune raison de séparer la maladie psychiatrique de la maladie médicale. Je considère cela comme une discrimination flagrante contre les maladies psychiatriques. Cela ajoute à la stigmatisation des maladies psychiatriques, et j’ai bien l’impression que cela viole la Charte.

Vous avez également entendu des témoignages selon lesquels les médecins ne sont pas en mesure d’évaluer l’aptitude des patients. Je ne sais pas d’où vient cette idée. Les médecins canadiens, et en particulier les psychiatres, reçoivent une formation approfondie sur l’évaluation de l’aptitude. Je vous ai envoyé un certain nombre de documents. Il existe des outils qui aident les médecins canadiens à évaluer l’aptitude. Le Test d’évaluation de l’aptitude de Hopkins et l’outil d’évaluation de l’aptitude de MacArthur sont deux des nombreux outils disponibles pour déterminer si une personne est apte à accepter tout type d’intervention médicale, y compris l’aide à mourir. Cela ne m’inquiète donc pas du tout.

Le Collège royal des médecins et chirurgiens, qui forme tous les spécialistes, a un module spécial d’enseignement sur l’évaluation de l’aptitude. Les médecins de famille doivent régulièrement évaluer l’aptitude, parce que si une personne n’est pas en mesure de consentir à un traitement médical, nous, les médecins, avons les mains liées.

J’ai également envoyé un article que j’ai publié dans la Revue canadienne de psychiatrie, qui décrit l’historique juridique de l’aide médicale à mourir, particulièrement en ce qui concerne les maladies psychiatriques. Rien dans l’arrêt Carter n’empêche les patients en psychiatrie de demander l’aide médicale à mourir. C’est ce que la Cour d’appel a conclu en Alberta. Le projet de loi C-14 n’interdit aucunement d’accorder l’aide médicale à mourir pour une maladie psychiatrique. Ma patiente atteinte de troubles de l’alimentation l’a obtenue sur cette base. Pour une raison mystérieuse, les auteurs du projet de loi C-7 ont décidé qu’il fallait exclure les maladies psychiatriques. Je m’oppose vivement à ce principe, parce qu’il sacrifiera un certain nombre, quoique relativement restreint, de personnes qui, autrement, seraient admissibles à l’aide médicale à mourir si elles répondent à toutes les autres exigences.

Voilà donc ce que je voulais vous dire. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes les questions des sénateurs à ce sujet. Donc en résumé, je n’approuve pas l’exclusion des patients psychiatriques. Je tiens à assurer au Sénat que les médecins canadiens sont parfaitement capables d’évaluer si une personne est vraiment apte à accepter l’aide médicale à mourir ou, en fait, toute autre de la vaste gamme des interventions médicales.

La présidente : Merci beaucoup, docteur Derryck Smith. Nous vous remercions pour cet exposé.

Nous passons maintenant la parole au Dr Timothy Holland. Le Dr Holland est médecin, fournisseur d’aide médicale à mourir et professeur adjoint au Département de bioéthique de l’Université Dalhousie.

Dr Timothy Holland, médecin et évaluateur de l’AMM, à titre personnel : Tout d’abord, je tiens à vous remercier de m’avoir invité à parler d’un projet de loi aussi important. C’est vraiment un honneur.

Je pourrais parler longuement de toutes les dispositions de ce projet de loi, mais j’ai été invité ici en raison de mon rôle d’évaluateur et de fournisseur de l’AMM. Par conséquent, j’aimerais vous présenter un aperçu de ce à quoi ressemblent une évaluation et une procédure d’AMM, car j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de confusion au sujet de ce dont nous parlons réellement.

Je tiens à préciser que l’évaluation de l’AMM n’est pas une petite affaire. Pour effectuer une évaluation en vue d’accorder l’AMM, nous devons connaître à fond l’état médical de la personne. Nous devons effectuer une évaluation rigoureuse de son aptitude. Nous devons nous assurer qu’elle comprend bien toutes les options qui s’offrent à elle afin de prendre une décision vraiment éclairée. Nous devons aussi évaluer sa personnalité et comprendre les valeurs qui ont guidé sa vie. À ce moment-là seulement, nous pouvons vraiment déterminer si cette personne répond aux critères de l’AMM et s’il est certain qu’elle prend elle-même cette décision sans y être forcée par quelqu’un d’autre.

Il faut souvent des heures pour mener ces évaluations. Leur complexité varie d’un cas à l’autre, mais même les cas les moins complexes prennent en moyenne une heure. Avant même de rencontrer la personne, nous examinons son dossier médical. Pendant la rencontre, nous cherchons à comprendre ce qu’elle a vécu tout au long du parcours de sa maladie. Nous l’invitons à amener ses proches à cette rencontre d’évaluation afin d’avoir le temps de leur parler et de placer la personne dans le contexte de sa famille et de son réseau de soins.

Même après l’évaluation officielle, nous appelons souvent d’autres professionnels de la santé et les proches de la personne pour répondre aux questions et recueillir plus d’information pour éclairer notre évaluation. Nous reconnaissons que la responsabilité de ces évaluations est incroyablement lourde; nous ne prenons vraiment pas cette tâche à la légère.

Il serait bon que je vous explique aussi comment la procédure se déroule. Avant de devenir fournisseur d’AMM, je me faisais une idée très différente du déroulement réel de cette procédure. Au Canada, on utilise couramment trois médicaments : le midazolam, le propofol et le rocuronium.

Nous administrons d’abord le midazolam, qui est semblable à l’Ativan ou au Valium. Dans ce schéma posologique, il crée un sentiment de relaxation. De nombreux patients s’endorment avec le midazolam. D’autres restent éveillés, mais détendus.

Ensuite, nous administrons le propofol, qui crée un profond coma médical. Si la personne ne s’est pas déjà endormie, elle s’endormira sans aucun doute à ce stade. La forte dose de propofol utilisée pour l’AMM provoque un coma si profond que la personne cesse de respirer sans toutefois ressentir de la détresse. En fait, les patients arrêtent de respirer parce que leur cerveau n’en ressent plus le besoin.

Finalement, une fois dans un coma profond, la personne reçoit du rocuronium, qui est un médicament paralysant. Si elle n’a pas encore cessé de respirer, elle le fera certainement à ce stade. Son corps ne reçoit plus d’oxygène. Sans oxygène, les organes s’arrêtent, un par un, jusqu’à ce que le cœur cesse de battre et que la personne meure.

La personne passe d’un état de relaxation vers un sommeil profond. Les membres de sa famille voient leur être cher s’endormir, puis cesser graduellement de respirer.

On administre parfois d’autres médicaments, notamment la lidocaïne et la bupivacaine. Si le comité souhaite obtenir de plus amples renseignements sur ces médicaments, je suis prêt à répondre à ses questions.

Toutefois, la procédure d’AMM ne se limite pas aux médicaments. Je crois que bien des gens considèrent cette procédure comme un acte de pitié ou simplement comme une fin à la souffrance, mais elle est beaucoup plus que cela. C’est un événement magnifique et inspirateur. N’oublions pas que l’état de santé de cette personne l’a privée de qualité de vie bien avant l’évaluation et la prestation de l’AMM. Elle a déjà vécu cette perte. L’AMM lui rend le contrôle sur sa vie et sur sa maladie. C’est une chose très positive.

Nous devons tous mourir un jour. Le moment venu, nous espérons être entourés de nos proches, être en mesure de prononcer nos dernières paroles idéales dans une atmosphère paisible pour que nos proches puissent nous faire des adieux parfaits. C’est exactement ce que donne la procédure d’AMM.

J’ai la chance extraordinaire d’être témoin de ces beaux moments d’adieu qui couronnent une vie et des relations empreintes d’amour. Une fois la procédure terminée, toutes les familles nous sont profondément reconnaissantes. Je désire simplement que le comité comprenne que c’est un acte positif. La tragédie, c’est la maladie dont la personne souffrait. L’AMM est la bénédiction qui lui permet de contrôler cette perte.

Maintenant, j’aimerais aborder rapidement certains aspects importants du projet de loi C-7. Je m’oppose principalement au paragraphe 1(2), qui propose que l’on ajoute :

(2.1) Pour l’application de l’alinéa (2)a), la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap.

En tant qu’allié de ceux qui souffrent de maladie mentale, je trouve très problématique qu’il y ait dans la loi canadienne une disposition indiquant que la maladie mentale ne doit pas être considérée comme une maladie, quel que soit le contexte. Cependant, outre les implications philosophiques de ce paragraphe, je tiens à souligner la confusion qu’il créera pour les évaluateurs.

Le terme « maladie mentale » peut être interprété de bien des façons. Il n’a pas de définition fixe en médecine. Il peut s’agir d’une dépression, d’anxiété et de schizophrénie, et c’est souvent le cas. Cependant, on pourrait aussi l’appliquer à la démence ou au Parkinson. Certaines personnes la relient tout simplement au chagrin ou même à la tristesse.

De plus, comme je l’ai dit tout à l’heure, nos évaluations tiennent compte de nombreux aspects de l’état, des valeurs et de la vie de la personne pour déterminer son admissibilité à l’aide médicale à mourir. La tristesse, le chagrin, la dépression, tout cela rentre en ligne de compte.

L’un des éléments les plus importants de l’admissibilité est la souffrance intolérable. Le libellé actuel de l’alinéa 241.2(2)c) du Code criminel sur la souffrance intolérable permet à l’évaluateur de tenir compte à la fois de la maladie et des handicaps de la personne. L’alinéa (2)a) mentionne l’état du déclin, et l’alinéa (2)b) prévoit le moment où l’on peut déterminer que les souffrances physiques et psychologiques persistantes de la personne sont intolérables. Si la maladie mentale est exclue de l’alinéa (2)a), il deviendra très difficile de déterminer si la souffrance psychologique contribue ou non aux souffrances intolérables de l’alinéa (2)c). On me répondra peut-être que la souffrance psychologique est une maladie mentale et comme elle est exclue de l’alinéa (2)a), elle ne peut pas contribuer à la souffrance mentionnée dans l’alinéa (2)c). Cependant, un autre évaluateur pourrait interpréter que la souffrance psychologique de la personne passe par (2)b), l’état avancé de déclin, auquel cas la souffrance psychologique ne peut pas contribuer à celle de l’alinéa (2)c).

Je vous donne probablement l’impression d’entrer dans les subtilités du projet de loi. Cependant nous, les évaluateurs, passons d’innombrables heures à interpréter chaque mot du projet de loi et à essayer de comprendre comment le traduire de son contexte juridique au contexte médical de la personne. Le libellé actuel sur l’exclusion de la maladie mentale causera de la confusion et pourrait créer une mosaïque indiquant que dans différentes régions, des patients se trouvant dans des circonstances identiques obtiendront ou non l’aide médicale à mourir, suivant la façon dont on interprète cette loi.

J’y vois aussi beaucoup d’aspects positifs. Je suis très heureux de constater que l’expression « raisonnablement prévisible » a disparu. C’était une source considérable de confusion pour les évaluateurs depuis que l’AMM est devenue légale. Je suis très heureux de voir que l’on renonce au consentement final. Cependant à mon avis, on pourrait améliorer certains points. Il faudrait peut-être prévoir une disposition de temporisation sur l’exclusion de la santé mentale. Je vous félicite toutefois pour ce projet de loi. Je voudrais juste que l’on en précise certains aspects.

Merci beaucoup. Je suis prêt à répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, docteur Holland. Vous nous avez beaucoup aidés.

Le prochain témoin est Mme Laurel Plewes, directrice du programme d’aide mécicale à mourir de Vancouver Coastal Health Authority.

Laurel Plewes, directrice, Vancouver Coastal Health Authority (VCHA) : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs, de m’avoir offert cette occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis infirmière et directrice du Programme d’aide médicale à mourir, comme vous l’avez dit. Mon travail consiste à créer, puis à gérer le carrefour central de l’AMM dans notre autorité sanitaire, qui bourdonne d’activité en s’occupant de la souffrance des patients et cherchant à l’atténuer.

Le fait de coordonner l’AMM nous permet de suivre le processus aux côtés des patients, qu’ils y soient admissibles ou non. Nous les entendons décrire leurs expériences et les répercussions qu’a l’AMM sur leur parcours de soins.

Nous travaillons également en étroite collaboration avec les évaluateurs et les fournisseurs de l’AMM ainsi qu’avec les équipes de soins pour régler divers problèmes qui surviennent lorsqu’une personne demande l’AMM et qu’elle se heurte à des obstacles systémiques, que nous essayons ensuite de surmonter. Je me ferai un plaisir d’en parler davantage pendant la période de questions.

Moi-même et d’autres personnes qui facilitent l’accès à l’AMM en Colombie-Britannique, dont de nombreux fournisseurs d’AMM, avons passé beaucoup de temps à réfléchir à la façon d’opérationnaliser le projet de loi C-7. Les problèmes que je soulève ce soir sont des aspects qu’il faudra préciser pour que les gens comme moi puissent concentrer le processus sur les désirs de la personne tout en garantissant sa sécurité.

Dans la même veine, je vais aborder la renonciation au consentement final et le processus d’évaluation des personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Je tiens à préciser que j’appuie le projet de loi C-7 et je crois qu’avec quelques éclaircissements, il nous permettra de traiter plus efficacement les souffrances des patients.

La renonciation au consentement final, qui est à mon avis l’un des aspects les plus importants de ce projet de loi, serait difficile à appliquer dans sa forme actuelle. Pour que les souhaits de la personne orientent le processus, je propose qu’un délai soit établi entre le moment où la personne et le fournisseur d’aide médicale à mourir signent l’entente et la date du décès. Sans ce délai, le projet de loi permet que l’on applique les directives préalables de la personne avant l’examen judiciaire.

À mon avis, il serait idéal de fixer un délai de six semaines entre la signature de la renonciation et la date potentielle du décès. Cette entente pourrait être modifiée si la personne le souhaite. Le but de cette renonciation est de maintenir l’autonomie de la personne jusqu’à son décès. Si elle n’est plus apte à exprimer ses désirs, son autonomie sera plus difficile à maintenir. Sans ce délai, cette personne perd le contrôle de son décès. Ce délai permet de trouver un fournisseur d’AMM disponible pour apporter l’aide médicale à mourir.

Ce délai oblige aussi les familles à assumer leur responsabilité face à la personne. Certaines familles ne veulent pas que leur proche meure. Si les désirs de la personne ne sont pas tenus à jour et si les décisions de ses proches ne sont pas axées sur ses désirs, la famille peut décider d’annuler le décès. En ajoutant un délai, la personne aurait plus de chance d’obtenir l’aide médicale à mourir qu’elle demande.

Je passe maintenant au processus d’évaluation des personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Je demande qu’on précise qui veille à ce que la personne soit informée des services décrits à l’alinéa 3.1g). Sans orientation supplémentaire, cet aspect du projet de loi sera difficile à appliquer.

À mon avis, la protection devrait être assurée par l’expert, ou avec l’aide d’un expert, pour que la personne soit pleinement informée et qu’elle examine sérieusement tous les services disponibles pour atténuer sa souffrance. Si ces responsabilités demeurent ambiguës, elles incomberont aux fournisseurs d’AMM et aux représentants de programmes d’AMM, qui ne sont pas au courant de tous les services offerts à tous les groupes. Par conséquent, la personne ne serait pas pleinement informée, contrairement à l’intention de cette mesure de protection.

Nous avons également besoin de précisions sur la consultation mentionnée à l’alinéa 3.1e)(1). Je crois que l’intention était d’obliger les évaluateurs et les fournisseurs d’AMM à parler à un expert sans que la personne ne soit examinée par cet expert afin de réduire le temps d’attente. Cependant, le projet de loi ne précise pas quels renseignements les évaluateurs et les fournisseurs de l’AMM sont chargés de recueillir lorsqu’ils consultent cet expert. On peut déduire que l’intention de cet alinéa est de mieux comprendre le parcours de la personne, de savoir quels autres soins sont disponibles et de s’informer sur les résultats possibles. Si cet alinéa est ouvert à l’interprétation, il n’offrira qu’une mesure de protection inefficace qui n’assurera pas la sécurité de la personne. Il faut le rendre plus clair.

Si l’on n’ajoute pas de directives et d’éclaircissements au projet de loi C-7, les patients qui souffrent seront forcés de s’adresser aux tribunaux pour dissiper les ambiguïtés.

En résumé, j’appuie en général le projet de loi C-7, mais il faudra y ajouter de la clarté pour que le processus se concentre sur les désirs des patients et pour assurer leur sécurité. Grâce à cette transparence, le projet de loi s’appliquera à un plus grand nombre de Canadiens qui souffrent de façon intolérable et il assurera l’accès équitable à l’aide médicale à mourir partout au Canada.

Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré et du travail acharné que vous avez accompli pour écouter toutes nos réflexions sur ce projet de loi.

La présidente : Merci, madame Plewes, pour cet exposé.

Nous allons maintenant passer au témoin suivant, Me Delphine Roigt, avocate et éthicienne clinique à l’Université de Montréal. Elle dirige une équipe interdisciplinaire qui offre du soutien aux personnes et aux familles qui cherchent à obtenir de l’aide médicale à mourir ainsi qu’aux travailleurs de la santé qui font face à ce nouveau régime.

[Français]

Me Delphine Roigt, avocate et éthicienne clinique, à titre personnel : Premièrement, merci de m’avoir invitée. J’ai cru comprendre que le sénateur Dalphond m’avait entendue lors d’une conférence en 2013, avant l’entrée en vigueur de la loi au Québec, et que c’est pour cela que j’ai pu être invitée aujourd’hui. Donc, merci, sénateurs et sénatrices.

Je suis conseillère en éthique et éthicienne clinique dans le réseau de la santé depuis maintenant 22 ans. J’ai eu le plaisir et le privilège de participer à la consultation qui a précédé l’adoption de la loi au Québec, qui est maintenant en vigueur depuis quelques années. Donc, mon intervention d’aujourd’hui sera plutôt brève et réflexive, parce que ma réflexion se poursuit depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2015.

Au Québec — et je comprends la difficulté —, l’idée était que l’aide médicale à mourir devait être un soin dispensé dans un continuum de fin de vie, jusqu’à la fin de la vie.

Bien entendu, le fait de supprimer le critère de fin de vie, d’un point de vue éthique, change les choses. Je ne dis pas que c’est bon ou mauvais; je souligne simplement le fait que la dimension de la relation thérapeutique qui avait été promue par la ministre Hivon au Québec, à l’époque, était que notre société était rendue là et qu’on voulait s’assurer que les gens aient une fin de vie digne.

Donc, le fait de supprimer le critère de fin de vie va changer l’intention qui était celle du législateur de l’époque — on l’appelle d’ailleurs la Loi concernant les soins de fin de vie. On se retrouve donc avec une loi sur l’aide médicale à mourir et d’autres types de soins de fin de vie sur lesquels il faudra réfléchir.

La raison pour laquelle je vous parle de cela, c’est que si je lis le projet de loi C-7, je crois que c’est une bonne chose de supprimer le critère de fin de vie. Il faut permettre à des gens qui ne sont pas en fin de vie de décider de leur vie lorsqu’ils répondent aux autres critères, comme le degré de souffrance intolérable, les maladies incurables, etc.

Le seul enjeu que je constate — et ce, à partir des discussions que j’ai eues avec des soignants sur le terrain, mais je ne sais pas si c’est la même chose pour le Dr Holland ou dans d’autres provinces —, c’est qu’on commençait déjà à voir beaucoup de cas de maladies, de comorbidités et de maladies chroniques, et les médecins se questionnaient de plus en plus sur où nous en sommes dans le processus de vie et de fin de vie. Au cours des deux ou trois dernières années, on s’est rendu compte que la fin de vie, c’est une situation où on pourrait dire : « Serais-je surpris que cette personne meure dans la prochaine année? » Donc, il arrivait [Difficultés techniques] au début on se demandait, pour ce qui est des critères, si on parlait de trois mois, six mois, un mois ou quelques semaines. Cela avait mené à beaucoup de discussions. Le Collège des médecins du Québec avait précisé en disant qu’on pouvait examiner la question de façon plus large.

Donc, il y a quelque chose dans la relation thérapeutique qui fait qu’au Québec, il n’y a aucune possibilité pour le patient de se donner la mort avec l’aide d’un médecin. L’aide au suicide, comme je l’appellerais, n’est pas prévue au Québec; on parle vraiment d’aide médicale à mourir. Cela change aussi la dynamique, et j’ai hâte de voir ces discussions. Ce matin, Me Ménard vous a parlé de certains éléments, et il croit qu’il y a encore trop de restrictions. Je ne sais pas.

Cela étant dit, ce qui m’inquiète, c’est que l’on crée deux régimes où il y aurait la mort prévisible et la mort non prévisible, d’autant plus qu’au Québec, le patient ne peut pas se donner la mort. Il y a donc un processus différent pour lui. Il y a la question de la durée d’évaluation qui change beaucoup. On peut le voir du point de vue de l’équité entre deux types de patients, ceux qui sont en fin de vie et ceux qui ne le sont pas; cela pourrait créer de l’injustice pour certains. D’autres pourraient demander pourquoi on va si vite avec les patients dont la mort est prévisible. Je n’ai pas de réponse. Je ne fais que soulever la question.

Malheureusement, ce que je vois souvent dans ma pratique, en temps de pandémie, ce sont des discussions liées, par exemple, au protocole de triage, des gens qui disent : « Ce n’est pas vrai qu’on va décider pour moi, je veux vivre, j’ai le droit d’avoir accès aux soins. » Beaucoup de ces gens étaient dans des CHSLD. On sait que, dans les CHSLD, le pronostic de vie se situe autour de 18 mois, donc on a beaucoup de gens qui sont, techniquement, en fin de vie. Dans le fond, ma question est la suivante : pourrait-on promouvoir autant l’accès à des soins palliatifs? Je parle pour le Québec; je ne sais pas comment ça se passe dans les autres provinces, mais l’accès à des soins palliatifs, c’est ce qu’on a toujours demandé.

Je terminerai avec la question sur les maladies mentales, qui était : est-ce qu’on autorise l’aide médicale à mourir ou pas?

Je suis pour cette ouverture, mais je ne sais pas si on doit la faire maintenant. Je pense qu’on aurait intérêt à recueillir plus de données provinciales et pancanadiennes sur la manière dont les choses se passent depuis la mise en œuvre de l’aide médicale à mourir pour des raisons physiques.

Quand je regarde un document comme Accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de troubles mentaux — un document de réflexion rédigé par l’Association des médecins psychiatres du Québec —, je trouve qu’il y a là une belle réflexion, notamment sur des propositions alternatives. On demande aux personnes atteintes de maladies mentales de tenter d’autres options thérapeutiques.

Je me demande si, dans la mesure où, dans le domaine de la santé physique, plusieurs de ces options ne sont pas offertes ou ne sont pas disponibles — notamment les soins palliatifs —, on ne crée pas une iniquité entre les gens selon qu’ils souffrent de problèmes de santé physique ou de problèmes de santé mentale.

Je conclus mes propos sur ces réflexions. Évidemment, je serai heureuse de répondre à vos questions.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup, maître Roigt, et vous avez raison, c’est bien le sénateur Dalphond qui voulait que nous vous entendions. Sa suggestion était très judicieuse, alors merci beaucoup d’être venue.

Nous passons maintenant au Dr Joel Zivot. Il est professeur associé à l’Université Emory et professeur auxiliaire de droit à la Faculté de droit d’Emory.

Dr Joel B. Zivot, professeur associé, École de médecine de l’Université Emory, Vancouver Coastal Health Authority (VCHA), à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui. Je vois une fois de plus que comme mon nom commence par la lettre Zed, je passe en dernier. Aux États-Unis on prononce cette lettre « zee ».

La présidente : Vous n’êtes pas le dernier témoin.

Dr Zivot : Je vous remercie de m’avoir invité à m’adresser à vous aujourd’hui. Je vais parler de quelque chose qui, à mon avis, n’a pas particulièrement été abordé jusqu’à maintenant.

Le projet de loi C-7 m’inquiète un peu. Dans certaines circonstances, il élargira l’accès à l’aide médicale à mourir, mais je soutiens ici que la technique de l’AMM causera une mort douloureuse similaire à une noyade. Il faut que les Canadiens qui demandent l’AMM comprennent qu’elle a recours à une technique qui entraînera fort probablement un décès douloureux.

Je ne suis pas ici pour débattre du bien ou du mal de la notion d’aide médicale à mourir. Je laisse cela à d’autres. Je vais limiter mes préoccupations aux aspects techniques, et je vais vous expliquer ce que je soupçonne qu’une personne tuée par l’AMM ressent. Que ressent-on en mourant d’AMM?

Pour vous donner un peu de contexte, je suis citoyen canadien. Je suis médecin. J’ai étudié la médecine à l’Université du Manitoba, puis j’ai fait ma résidence en anesthésiologie à l’Université de Toronto. Par la suite, je suis allé à la clinique de Cleveland à Cleveland, en Ohio, avec une bourse de recherche en médecine de soins intensifs. Je pratique l’anesthésiologie et la médecine de soins intensifs depuis plus de 25 ans aux États-Unis et au Canada. Je me considère comme un expert de ces deux domaines, ce qui comprend la pharmacologie d’un grand nombre des médicaments utilisés ici dans le processus d’AMM.

Il y a quelques années, j’ai découvert qu’un médicament appelé thiopental de sodium, que moi-même et tous les anesthésiologistes utilisions couramment pour lancer l’anesthésie, avait disparu du marché mondial. Je me suis demandé pourquoi et, bien sûr, j’ai cherché à savoir ce qu’il était advenu du thiopental de sodium.

Mon enquête m’a mené à la dernière entreprise qui fabriquait du thiopental de sodium, la société Hospira. À l’époque, Hospira fabriquait du thiopental de sodium en Italie, et l’Italie, qui est membre de l’UE, était assujettie aux règles de l’UE, qui stipulent qu’aucune entreprise ne peut produire un composé qui sera utilisé pour exécuter quelqu’un. Ayant appris que le thiopental de sodium qu’elle fabriquait était utilisé aux États-Unis pour exécuter des détenus, la société Hospira a décidé de cesser de le fabriquer. L’exécution des détenus a essentiellement éliminé la production du thiopental de sodium. J’étais consterné, bien sûr, en pensant que l’utilisation d’un médicament fabriqué à des fins médicales avait été redirigée sur l’exécution de personnes.

Je me suis ensuite intéressé à l’injection mortelle comme forme d’exécution aux États-Unis. Encore une fois, comme je suis citoyen canadien, tout cela était nouveau pour moi. Le Canada, bien sûr, ne punit pas ses détenus en les exécutant, mais aux États-Unis, cette forme de punition est légale. Elle est assujettie à certaines conditions, notamment au Huitième amendement de la Constitution des États-Unis, qui interdit toute cruauté en appliquant une punition. Il existe d’autres techniques d’exécution, mais l’injection létale est la technique couramment utilisée à l’heure actuelle.

Il y a quelques années, on m’a remis un dossier qui contenait les résultats d’une série d’autopsies. On y trouvait celles de personnes qui avaient été exécutées par injection létale. On m’a demandé si, grâce à mon expertise, je pourrais déterminer en théorie si les niveaux sanguins de pentobarbital, le médicament utilisé dans ces cas, avaient suffi à causer la mort de ces personnes. Je me suis penché sur la question, mais j’ai aussi découvert qu’on m’avait remis les résultats d’autopsie complets qui présentaient une description générale des organes.

En examinant ces autopsies, j’ai constaté à ma grande surprise que dans la plupart des cas, les personnes exécutées par une injection de pentobarbital avaient les poumons congestionnés. Ils enregistraient deux fois leur poids normal, car ils étaient pleins d’eau. La seule explication possible était que l’on avait injecté le pentobarbital directement dans le corps de ces gens. Lorsqu’on regarde une exécution, on ne voit pas clairement ce qui se produit. Il n’y a pas grand-chose à voir. Les exécutions comme, j’imagine, la procédure d’aide médicale à mourir sont des événements plutôt sanglants; on ne voit pas grand-chose de l’extérieur. Mais ces autopsies m’ont révélé des faits très troublants et surprenants.

J’ai présenté cette information à un journaliste, puis je me suis lié à des journalistes de la National Public Radio ici aux États-Unis. Ils ont mené une enquête et, grâce à l’accès à l’information, ils ont recueilli 300 autopsies d’individus exécutés aux États-Unis, la plus grande collection jamais réunie. Les résultats de 200 autopsies ont révélé la présence de corps étrangers dans les poumons, et dans 85 % de ces cas, les poumons étaient remplis de liquide.

Qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie que lorsqu’une personne meurt par injection létale, elle se noie. Ses poumons se remplissent de liquide, et je dirais que le fait de mourir dans ces circonstances ressemble davantage à la torture par l’eau, une mort qui est assurément cruelle.

Maintenant, je vais vous dire que lorsque j’ai examiné la méthode de décès par l’aide médicale à mourir, j’ai trouvé la technique étonnamment similaire. La pharmacologie est semblable à celle de l’exécution par injection létale aux États-Unis. Il a été affirmé que les résultats d’autopsies effectuées sur des détenus montrent la présence de quantités importantes de liquide. Dans les commentaires que j’ai remis plus tôt, je vous renvoie au reportage de la National Public Radio, qui traite de cette question plus en détail.

La présidente : Docteur Zivot, pourriez-vous conclure, s’il vous plaît?

Dr Zivot : Bien sûr.

Permettez-moi d’ajouter que le plus troublant dans tout cela, c’est que l’AMM inclut dans son protocole l’utilisation d’un médicament paralysant. Maintenant, une fois qu’un bloqueur neuromusculaire est administré, la personne ne peut plus bouger, alors tout est perdu pour elle. Sa mort est paisible, bien sûr, puisqu’elle est incapable de bouger, mais il n’y a pas moyen de savoir si elle en est consciente. Je vous répète qu’aux États-Unis, on n’utilise même pas de bloqueurs neuromusculaires pour euthanasier les animaux, alors le fait que nous les utilisions dans le cadre de l’aide médicale à mourir est très inquiétant.

Enfin, je dirais qu’il est important que, si l’on autorise l’AMM, le public canadien sache clairement que le type de décès qu’il subira ne ressemblera aucunement à la façon dont on le présente. La mort pourrait être extrêmement douloureuse et s’apparenter davantage à une noyade.

Je vais maintenant répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Nous passons maintenant la parole à la Dre Janet Smylie. Elle est directrice du Well Living House Action Research Centre for Indigenous Infant, Child and Family Health and Wellbeing à l’hôpital St. Michael’s. Elle est médecin métisse et a de l’expérience dans la lutte contre les inégalités en matière de santé chez les peuples autochtones. Elle s’occupe notamment de l’élaboration de lignes directrices à l’intention des professionnels de la santé qui travaillent avec les peuples autochtones.

Dre Janet Smylie, directrice du centre Well Living House Action Research Centre for Indigenous Infant, Child and Family Health and Wellbeing de l’hôpital St. Michael’s, à titre personnel : Honorables sénateurs et estimés collègues, je suis ici pour vous parler un peu des Autochtones, des Premières Nations, des Inuits et des Métis, de l’AMM et du projet de loi C-7.

Les soins de fin de vie et les choix des Premières Nations, des Inuits et des Métis peuvent être considérés comme des pratiques autochtones traditionnelles. Par conséquent, le droit à l’autodétermination pourrait être considéré comme faisant partie des droits inhérents à la guérison traditionnelle, qui sont protégés à l’échelle nationale et internationale. Par conséquent, toute loi concernant l’aide médicale à mourir, y compris le projet de loi C-7, doit intégrer ces droits.

Pour ma part, dans mes fonctions de médecin de famille métis et de titulaire d’une chaire de recherche du Canada, je pense beaucoup à la fin de vie, et mes enseignants et aînés traditionnels m’ont appris à considérer la fin de vie comme un reflet de la naissance. J’ai passé beaucoup de temps à travailler avec des sages-femmes autochtones traditionnelles et à parler à des aînées qui avaient été sages-femmes, de sorte que nos aides aux personnes mourantes étaient aussi des sages-femmes.

Si nous considérons la fin de vie comme une naissance, nous cernons de graves lacunes ainsi que des éléments qui minent les droits inhérents des Premières Nations, des Inuits et des Métis dans tout le cheminement d’élaboration de ce projet de loi.

Nous avons tous dû réfléchir à ce qui s’est passé lorsque des services de santé ont été mis sur pied pour les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Nous voyons encore des femmes enceintes des Premières Nations, des Inuits et des Métis qui doivent se déplacer très loin de chez elles. Une loi a été adoptée pour déclarer illégale la profession de sage-femme traditionnelle, ce qui comprend notre droit inhérent de prendre soin des membres de notre communauté pendant leur décès. Ce qui s’est passé, c’est qu’une perspective non autochtone et des points de vue strictement juridiques se sont immiscés dans le rite important et profondément culturel de la naissance. La naissance et la mort sont des événements incroyablement culturels.

Ce qui me préoccupe en ce moment, c’est que ce projet de loi et ce processus législatif s’harmonisent mal avec les droits inhérents des peuples autochtones au Canada et à l’étranger. Je ne pense pas qu’ils répondraient aux critères de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Et comme dans presque tous les services de santé, on y trouve des lacunes sur la vision du monde. La plupart des présentations que j’ai entendues aujourd’hui ont déjà présenté ce problème. Heureusement, vous avez consulté d’autres Autochtones, d’autres médecins, des infirmières et des organismes à ce sujet. Cependant, je ne pense pas que ces consultations soient assez approfondies.

L’harmonisation avec le droit international et le droit national sur les droits inhérents qu’ont les Premières Nations, les Inuits et les Métis de décider eux-mêmes de leur santé et de leur guérison pose des défis. On n’a pas tenu assez de discussions avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. C’est un défi de taille, car notre diversité culturelle et linguistique est dix fois plus foisonnante que celle de l’Eurasie. Je peux présenter ma propre compréhension de la fin de vie et je pourrais appliquer une vision du monde crie-métisse élémentaire à ce projet de loi, mais nous devrions le faire en tenant compte de la riche diversité des visions du monde et des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Je constate plusieurs autres problèmes. Les services de santé au Canada, y compris ce projet de loi sur l’AMM et les processus dont j’ai entendu parler, ont été mis sur pied sans tenir compte des Autochtones. Il ne vous suffira pas d’ajouter quelques conversations avec les peuples autochtones pour rendre ces services convenables.

Je suis heureuse de voir que ce projet de loi ne requiert qu’un fournisseur de soins de santé lorsqu’on prévoit un décès. Il ne sera cependant pas possible d’exiger une ou deux opinions médicales indépendantes d’une manière culturellement sûre et d’une manière qui respecterait vraiment la personne, sa famille et la vision que sa Nation a du monde. Il ne sera pas possible de le faire dans le Nunangat inuit, il ne sera pas possible de le faire chez des Premières Nations éloignées et il ne sera pas possible de le faire ici, dans la ville de Toronto.

Je remercie mes collègues d’avoir expliqué le processus et d’avoir fait valoir que nous devrions réfléchir à la santé mentale et peut-être réexaminer l’idée qu’il est discriminatoire d’exclure les personnes qui ont reçu un diagnostic de maladie mentale. Les sénateurs doivent comprendre que, dans certaines langues autochtones, il n’y a même pas d’expression pour désigner la maladie mentale. Voilà un exemple de projet de loi élaboré suivant une logique, des idées préconçues et une conception du monde fondées sur un paradigme très différent de celui des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Comme d’autres vous l’ont dit, il y a une forte prévalence de la maladie mentale, qui est en grande partie attribuable aux intrusions et aux inégalités coloniales historiques et continues. Non seulement y a-t-il des lacunes en matière de soins physiques culturellement adaptés — en fait, comme nous le savons tous, ces lacunes ne se limitent malheureusement pas aux villes où se trouvent des hôpitaux —, mais la plupart du temps, les gens sont traités de façon discriminatoire lorsqu’ils se présentent à l’hôpital. Je crois avoir entendu la sénatrice Boyer dire récemment que l’exception n’est pas la personne qui a été victime de discrimination, mais plutôt celle qui a été traitée avec respect lors de son hospitalisation.

Les lacunes en soins de santé mentale culturellement adaptés et ancrés dans la conception du monde des Premières Nations, des Inuits et des Métis, qui est diversifiée, et non à l’intérieur du cadre des soins psychiatriques, vont limiter davantage la pertinence et le recours à cette loi pour les Premières Nations du Canada.

Il y a des façons de procéder, parce que j’ai soulevé et remis en question tout ce projet de loi dans le processus, c’est-à-dire lancer un processus qui appuierait les mesures de soutien et les exemptions à la loi sur l’aide médicale à mourir pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Tout comme en Ontario, où il existe une clause d’exemption pour les sages-femmes autochtones, et partout au pays, où nous constatons une résurgence du recours à des sages-femmes autochtones, nous devons être respectueux et reconnaître que les choix et les processus entourant la fin de vie pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis sont des droits intrinsèques, et ces peuples doivent les définir eux-mêmes, par souci d’harmonisation avec les principes de l’autonomie gouvernementale.

L’autre aspect qui serait important et qui pourrait appuyer certaines des limites à court terme, pendant que nous nous penchons sur les processus d’exemption, pourrait consister à recourir à des sages-femmes autochtones qui seraient en fait des doulas de fin de vie et qui pourraient faciliter cette étape et combler certaines des lacunes culturelles que nous observons pour les Premières Nations, Inuit et Métis.

Il serait également important d’appuyer les...

La présidente : Docteure Smylie, pourriez-vous abréger, s’il vous plaît?

Dre Smylie : Bien sûr. ... appuyer les organes directeurs nationaux et régionaux des Premières Nations, des Inuits et des Métis, ainsi que les aînés, les gardiens du savoir et les sages autochtones dans la préparation de documents d’information pour éclairer ces processus. C’est un processus qui a été observé avec les sages-femmes autochtones, et on pourrait le reproduire avec l’étape de la fin de vie des Autochtones.

Enfin, pour conclure, c’est toujours très important — et, bien sûr, il y a de nombreuses populations au Canada —, mais si nous voulons nous assurer que les Autochtones ne continuent pas de mourir de façon disproportionnée, quand on sait par exemple que de deux à quatre fois plus de nourrissons autochtones, inuits et des Premières Nations meurent à la naissance, si nous connaissions les données, nous saurions que le phénomène est beaucoup plus courant qu’on le pense et qu’il y a des disparités dans l’accès à des soins palliatifs dignes et sans douleur en fin de vie. Nous devons veiller à ce que toute mesure législative soit liée à des politiques et à des investissements tangibles qui corrigent les inégalités d’accès aux mesures de soutien en fin de vie pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis de toutes les régions.

Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup, docteure Smylie. Nous allons maintenant passer aux questions.

La sénatrice Batters : Ma question s’adresse au Dr Derryck Smith. Dans son témoignage devant le Comité au cours de notre étude préalable, le Dr Sonu Gaind a soulevé de graves préoccupations au sujet du risque pour les patients vulnérables en l’absence de normes, ou lorsque celles-ci ne sont pas respectées. En ce qui concerne l’aide médicale à mourir, ou AMM, dans les cas de maladie mentale au Canada, le Dr Gaind a critiqué sévèrement, dans l’affaire E.F. Alberta, le psychiatre qui a en quelque sorte évalué à la fois l’irrémédiabilité et l’aptitude sans jamais voir la patiente ou lui parler. Le Dr Gaind ne comprenait pas comment il était possible d’évaluer cliniquement ou éthiquement une patiente comme étant apte à recevoir l’aide médicale à mourir sans jamais la voir ou lui parler, surtout lorsque l’évaluation détermine si la patiente vit ou meurt. Selon un sondage réalisé en 2016 par le Groupe de travail sur l’aide médicale à mourir de l’Association des psychiatres du Canada, seulement 5 % des psychiatres canadiens estiment que cette façon de procéder satisfait à la norme de diligence attendue.

Docteur Smith, dans l’affaire E.F., sur les trois médecins qui ont approuvé ce cas particulier de suicide assisté, un seul a effectivement vu cette patiente, et c’était son médecin généraliste, son omnipraticien. Nous savons, d’après la décision du tribunal dans l’affaire E.F., que le psychiatre qui a approuvé le suicide assisté n’a fait qu’examiner le dossier de la patiente. L’autre médecin n’a jamais rencontré la patiente et n’a fait qu’une consultation sur FaceTime à une époque où c’était beaucoup plus rare qu’aujourd’hui.

Docteur Smith, je suppose, d’après ce que vous nous avez dit aujourd’hui, que vous êtes le psychiatre qui n’a jamais rencontré E.F. et qui n’a fait qu’examiner son dossier avant d’approuver son suicide assisté. Est-ce exact? Et comment pouvez-vous affirmer que la norme de diligence attendue a été respectée dans ce cas?

Dr Smith : Je suis heureux que vous posiez cette question parce que je voulais justement en parler. Malheureusement, beaucoup de faussetés ont été rapportées au Sénat au sujet de l’affaire E.F., et je vous encourage à lire ce que les juges de première instance ont dit, parce que toutes ces questions ont été traitées en détail, tant par la juge du Banc de la Reine que par le comité de trois juges de la Cour d’appel.

Je peux vous lire ce que la Cour d’appel a dit à ce sujet. La juge Bast est celle qui avait rendu la première décision.

... La Cour d’appel a conclu que la juge Bast n’avait pas commis d’erreur en rejetant cet argument. On lui a présenté des éléments de preuve provenant du médecin traitant de E.F.depuis 28 ans, d’un deuxième médecin apte à lui fournir l’aide à mourir et d’un psychiatre...

Moi-même.

... ayant une expertise des troubles de conversion sévères, et tous ont conclu que l’état d’E.F. était grave et irrémédiable. Le fait que E.F. n’avait pas été examinée par le psychiatre n’a pas été fatal, car il n’y avait aucune raison de croire que ce spécialiste d’expérience aurait donné cette opinion s’il n’avait pas été satisfait des renseignements médicaux qui lui avaient été fournis, ou s’il y avait une option de traitement qui aurait pu ou aurait dû être essayée par la partie demanderesse.

Votre préoccupation a donc été tranchée par les tribunaux, et je continue de défendre le rôle que j’ai eu dans cette affaire. C’était avant...

La sénatrice Batters : Vous avez donc examiné le dossier? C’était votre évaluation? Vous n’avez pas rencontré la personne? Vous avez évalué le dossier?

Dr Smith : J’ai examiné le dossier, qui était volumineux, et j’ai parlé au médecin de famille de la patiente, qui était son médecin depuis 28 ans. Sa famille et ses enfants adultes, son mari, étaient tous en faveur. Cette femme était en proie à des souffrances interminables, comme l’a statué le tribunal. Je vous invite, madame la sénatrice, à lire ce que la cour a dit à ce sujet.

Était-ce une situation idéale? Non, loin de là.

La sénatrice Batters : Sans blague.

Dr Smith : On ne m’a pas demandé d’examiner la patiente. On m’a seulement demandé d’examiner le dossier. J’ai fait ce qu’on m’a demandé de faire. Je témoigne au tribunal au moins cinq ou six fois par année, et je fais ce qu’on me demande de faire. Aurais-je aimé l’examiner? Oui, c’est évident. Mon opinion aurait-elle été plus complète si je l’avais examinée? Oui, assurément. Mais dans l’état actuel des choses, mon opinion, mon examen du dossier, a été accepté par la Cour du Banc de la Reine et par la Cour d’appel, qui a expressément rejeté l’appel du Canada et de la Colombie-Britannique dans cette affaire.

Je n’ai donc aucun regret par rapport à mon rôle dans l’affaire E.F. Je considère E.F. comme une femme qui souffrait depuis des années et qui méritait vraiment d’obtenir l’aide à mourir en vertu des règles de l’arrêt Carter. Les règles de l’arrêt Carter n’interdisaient pas l’aide à mourir dans le cas de troubles psychiatriques. Or, le Canada a aussi interjeté appel de cette décision, mais le comité des trois juges de la Cour d’appel a rejeté sa demande. Je n’ai donc aucune excuse à présenter au sujet de mon rôle dans ce cas particulier.

La sénatrice Batters : Monsieur, croyez-vous que vous pouvez aussi évaluer l’aptitude d’une patiente sur la seule foi de l’examen de son dossier?

Dr Smith : Non, on ne m’a pas demandé d’évaluer l’aptitude de la patiente. Il y a...

La sénatrice Batters : Combien de médecins ont évalué son aptitude à recevoir l’aide à mourir? Un seul? Seulement son médecin traitant?

La présidente : Sénatrice Batters, laissez le Dr Smith terminer, puis vous pourrez poser une autre question. Docteur Smith.

Dr Smith : L’aptitude de la patiente a été évaluée par son médecin de famille, qui la traitait depuis 28 ans. Le médecin de famille était parfaitement en mesure d’évaluer l’état de sa patiente.

Les choses ont beaucoup changé. C’était le tout premier cas. Il n’y avait pas de loi à ce moment-là. Comme c’était le premier cas à survenir après l’arrêt Carter, les choses se passeraient bien autrement aujourd’hui. Si on me demandait de trancher un cas comme celui-ci maintenant, j’insisterais pour parler à la patiente. Si on ne m’a pas demandé de lui parler, c’est en partie parce que cette femme vivait en Alberta et que j’étais à Vancouver. Il aurait donc été extrêmement coûteux et difficile de me faire venir là-bas, et il aurait évidemment été impossible de faire venir la patiente à Vancouver.

J’ai fait ce qu’on m’a demandé de faire. Mon opinion a été acceptée par la Cour à deux échelons du système judiciaire; je répète donc que je n’ai pas à m’excuser du rôle que j’ai joué dans la mort de E.F. Je pense que le Dr Gaind a constamment déformé ce qui s’est passé dans cette affaire pour...

La présidente : Docteur Smith, nous devons passer au prochain intervenant.

La sénatrice Martin : Merci à tous les témoins d’aujourd’hui.

Ma question s’adresse en fait au Dr Zivot. Désolée si je prononce mal votre nom. J’ai trouvé très intéressant ce que le Dr Holland avait à dire pour décrire le moment d’un décès dans un cas d’AMM. Je dois dire que la question que j’ai posée au Dr Zivot est fondée sur ma compréhension des médicaments, et chaque personne a une réaction différente. Je parle de l’expérience de membres très proches de ma famille qui vivent avec la schizophrénie ou la démence, et de ma propre expérience, car je fais une réaction à un médicament très couramment prescrit. Chaque personne réagit donc différemment.

Docteur Zivot, il y a eu tellement de discussions, et vous avez parlé de la pharmacologie, de la procédure à proprement parler. Comme nous n’en avons pas discuté, je suis très heureuse que vous en ayez parlé dans votre témoignage. Je pense que c’est un point de vue important à entendre. Nous savons très peu de choses sur la façon dont l’aide médicale à mourir est exécutée au Canada. Nous avons entendu des témoignages au cours de ces études, mais la plupart des Canadiens en savent très peu. Il semble pourtant y avoir beaucoup d’information sur les injections mortelles aux États-Unis et sur les nombreuses affaires judiciaires qui ont suivi, dont certaines se sont rendues jusqu’à la Cour suprême.

Comme vous l’avez dit, le midazolam est le médicament au cœur des deux procédures. Nous avons entendu dire que les injections mortelles pratiquées dans le contexte de l’AMM au Canada offrent une mort paisible sans complications. Or, d’après votre expérience aux États-Unis, vous avez commencé à dire que ce n’est peut-être pas vrai.

J’aurais aimé vous entendre approfondir la question, mais vous avez manqué de temps dans votre témoignage. J’ai aussi une question complémentaire, alors si vous pouviez nous en dire davantage sur ce qui se passe au Canada, et j’ai aussi quelques questions au sujet du manuel du protocole à Comox Valley, en Colombie-Britannique, ma province et au sujet de ce qui a été décrit comme des effets secondaires potentiels de ce médicament en particulier.

Dr Zivot : Les médicaments qui sont utilisés pour l’injection mortelle sont conçus, n’ayons pas peur de l’affirmer, pour traiter les patients et servir de médicaments. Ici, dans le contexte de l’aide médicale à mourir et de l’injection mortelle, ils sont transformés en poisons. La posologie dont vous parlez ici n’est pas celle que nous donnerions normalement à des patients dans une optique thérapeutique. Ce qui se fait ici relève plutôt du domaine de la conjecture. Je pense qu’il est clair que si ces médicaments sont administrés en très, très grandes quantités, des effets peuvent survenir, jusqu’à la mort.

Aux États-Unis, le midazolam a été utilisé pour remplacer le pentobarbital. S’il était utilisé de la même façon au Canada, il remplacerait le propofol. Ce n’est toutefois pas exactement la façon dont on l’utilise ici. On s’en sert comme mesure supplémentaire visant à faire en sorte que le patient manifeste encore moins de réaction.

Je tiens toutefois à préciser que la façon dont une personne mourrait avec l’aide médicale à mourir serait au moyen d’une administration de propofol, mais surtout d’un bloqueur neuromusculaire, ou BNM. Le propofol est administré en très grande quantité, soit 10 fois ce que je donnerais en salle d’opération.

Je tiens à préciser que lorsqu’on injecte du propofol dans un dixième de la concentration qui est administrée dans le cadre de l’aide médicale à mourir, cela cause souvent une sensation de brûlure. Le Dr Holland a parlé de l’utilisation d’une injection localisée avant le propofol afin que la personne ne ressente pas la brûlure, mais il convient de souligner que cette brûlure se produit néanmoins dans les poumons.

On utilise donc une très grande quantité d’un produit chimique qui se dirige vers les poumons et qui risque fort de déchirer les poumons, compte tenu de ses effets chimiques. De plus, on ajoute ce bloqueur neuromusculaire. Il m’est difficile de justifier l’utilisation de ce bloqueur neuromusculaire parce que ce que l’on fait à ce moment en réalité, c’est empêcher une personne de bouger de quelque façon que ce soit ou d’exprimer son inconfort.

On ne peut affirmer que la mort vécue par la personne est paisible, parce qu’on ne le sait pas. Je suppose qu’il serait vrai de dire que cette mort semble paisible. Mais c’est un mythe que l’on entretient autour de produits chimiques. C’est une illusion.

Le sénateur Cotter : Je n’ai pas de question comme tel, mais j’aimerais plutôt inviter le Dr Smith à conclure sa réponse à la sénatrice Batters. J’ai l’impression qu’elle parlait d’un Dr Gaind, qui a remis en question le traitement particulier que vous avez réservé à une patiente. Vous n’avez pas eu l’occasion de terminer votre réponse, docteur Smith.

Dr Smith : Tout d’abord, j’aimerais faire quelques observations secondaires. Je tiens à dire à quel point j’apprécie le dévouement dont fait preuve le Sénat du Canada lorsqu’il se réunit tard en soirée et qu’il entend un large éventail de points de vue. J’admire le processus et l’énergie que vous consacrez à cette question difficile.

Sénateur Cotter, je ne sais pas si je peux en dire beaucoup plus au sujet de l’affaire E.F., sauf que je pense qu’elle a été mal décrite par le Dr Gaind, qui a été président de l’Association des psychiatres du Canada et qui s’oppose personnellement à l’AMM. Je ne sais pas pourquoi il s’y oppose, mais je pense qu’il a fait une critique tout à fait erronée de mon travail. Comme je l’ai dit, si vous lisez le jugement de la cour, vous pourrez juger par vous-même si la loi a été respectée. Merci.

Le sénateur Harder : Ma question s’adresse à Mme Plewes, mais j’aimerais aussi entendre les commentaires du Dr Smith et du Dr Holland.

Le comité a entendu et, en fait, certains membres ont exprimé l’avis que l’état actuel du cadre de l’AMM ne protège pas suffisamment le droit des médecins à la liberté de conscience. Selon votre expérience, est-ce exact? Pouvez-vous nous parler de la façon dont le programme d’AMM traite la question de l’objection de conscience?

Mme Plewes : Je vous remercie de la question.

Lorsqu’un patient vient nous voir, nous communiquons souvent avec le médecin, c’est-à-dire son omnipraticien, ou l’infirmière praticienne, et nous leur demandons s’ils sont prêts à faire l’évaluation du patient en question. En cas de refus, nous faisons appel à des évaluateurs et des praticiens de notre programme qui interviennent et apprennent à connaître le patient, le rencontrent, de sorte que le médecin ou l’infirmière praticienne n’ont pas besoin de participer au processus, et décident du rôle qu’ils auront. Des omnipraticiens ont déclaré être contre l’aide médicale à mourir, mais ont tout de même tenu à y assister afin de soutenir leur patient. Nous essayons de nous assurer que c’est au praticien de la santé de déterminer son niveau de participation tout au long du processus.

Le sénateur Harder : Est-ce que le Dr Smith et/ou le Dr Holland ont quelque chose à ajouter?

Dr Smith : Oui, j’aimerais ajouter quelque chose. Aucun médecin, aucune infirmière ni aucun autre professionnel de la santé ne devrait être forcé de faire quelque chose contre son gré, que ce soit l’aide médicale à mourir, l’avortement ou toute autre forme de chirurgie. Aucun médecin n’est obligé de faire quoi que ce soit qu’il ne souhaite pas faire. Cette question a été longuement débattue par l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario. Ils ont dit à leurs membres — ce sont tous des médecins — que si vous vous opposez à l’AMM, vous avez l’obligation envers votre patient, s’il le demande, de diriger cette personne vers un collègue qui pourrait l’aider. Je pense que c’est tout à fait approprié. La dernière chose que nous voulons, c’est que des patients soient forcés de recourir à l’aide médicale à mourir ou que des médecins ou des infirmières soient forcés de participer à une activité à laquelle ils s’opposent moralement.

Dr Holland : C’est la même chose pour le College of Physicians & Surgeons of Nova Scotia. Le transfert des soins et la politique de l’Association médicale canadienne sur l’aide médicale à mourir, de la même façon assurent la protection de l’objection de conscience chez les médecins, de sorte qu’ils ne seront pas mis en position de prodiguer l’aide médicale à mourir ou d’y participer si cela ne leur convient pas. Nous n’avons eu aucun problème avec ces dispositions en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Harder : Docteur Holland, avez-vous des commentaires à faire au sujet du témoignage que nous venons d’entendre du Dr Zivot?

Dr Holland : Merci beaucoup. Oui. Il est difficile de savoir exactement par où commencer.

Le midazolam est une benzodiazépine, et il parle d’un barbiturique. Les benzodiazépines et les barbituriques ont une pharmacologie semblable. Les benzodiazépines n’entraînent toutefois pas la même dépression respiratoire qu’un barbiturique. Par ailleurs, l’utilisation du midazolam dans ce type de régime ne vise pas à donner la mort, mais bien à créer un sentiment de détente. Ce serait un mauvais médicament à administrer pour donner la mort. Le propofol n’est pas utilisé en remplacement du midazolam. Le propofol est un agent inductif qui entraîne un coma.

Nous en connaissons bien les effets. Je l’utilise constamment à l’urgence. J’utilise une dose d’environ 100 milligrammes pour qu’une personne soit inconsciente si je dois remettre un os en place ou faire quoi que ce soit d’incroyablement douloureux pour un patient. En se réveillant, le patient n’aura aucun souvenir ni aucune sensation de douleur en raison du profond sentiment d’inconscience que ce médicament entraîne.

Je suis certain que le Dr Zivot l’a utilisé dans des salles d’opération où les patients ont souvent des coupures — je ne veux pas trop entrer dans les détails — et où on procède à d’autres interventions incroyablement douloureuses et pénibles. Aucun patient ne se réveille en disant qu’il a senti la coupure, la paralysie ou le tube s’enfoncer dans sa gorge, parce qu’il n’en a pas conscience. Nous connaissons les effets du propofol et nous avons vu des gens se réveiller après une intubation et une chirurgie. Ils se réveillent et n’en ont aucun souvenir.

De plus, nous l’utilisons en doses beaucoup plus importantes, soit 1 000 milligrammes, de sorte que les patients ne sont certainement pas conscients. Ils peuvent ressentir une certaine irritation, et c’est ce que m’ont dit des patients à l’urgence, mais nous utilisons un anesthésique local, la lidocaïne, pour aider à réduire ce sentiment de brûlure. Il faut un certain temps pour que le propofol fasse effet avant que la personne ne perde connaissance. Pendant ce temps, le propofol circule abondamment dans tout leur corps. S’ils ressentaient une brûlure des poumons, ils pourraient le dire avant de perdre connaissance et avant que le médicament engourdisse leur cerveau. Donc, rien n’indique que le médicament brûle leurs poumons en salle d’opération et lorsque je replace des os à l’urgence. Il est impossible de penser qu’un patient pourrait d’une façon ou d’une autre être conscient parce qu’il est paralysé par le rocuronium. Cela va à l’encontre de tout ce que nous comprenons de la médecine.

Comparer le midazolam au propofol — il n’est pas utilisé ici comme il l’est aux États-Unis. Ces régimes d’exécution aux États-Unis sont malheureusement très rudimentaires. Je ne voudrais jamais voir une telle utilisation dans le cadre de l’aide médicale à mourir. Ce que nous appliquons ici, c’est un dosage incroyablement subtil de médicaments que nous avons utilisé abondamment dans les services d’urgence et les salles d’opération, bien avant qu’ils ne soient utilisés dans le cadre de l’aide médicale à mourir. Nous avons la certitude que les patients auxquels nous les administrons s’endorment très paisiblement.

Mme Roigt : Je voulais ajouter quelque chose au sujet de l’objection de conscience. Je ne sais pas ce qu’il en est dans les autres provinces, mais je sais qu’au Québec, moins de 1 % des médecins offrent l’aide médicale à mourir. Cela laisse un lourd fardeau pour si peu de médecins. Je sais qu’on leur offre beaucoup de soutien, et ainsi de suite, mais j’envisage la possibilité réelle que les médecins qui acceptent d’offrir l’aide médicale à mourir puissent invoquer leur objection de conscience s’ils le veulent, parce qu’ils sont si peu nombreux et qu’ils veulent être là pour leurs patients. Sans les critères de fin de vie, je pense qu’il est difficile pour vous, sénateurs, et pour les gouvernements provinciaux d’en faire davantage, de compter sur un plus grand nombre d’intervenants, de faire participer et de former un plus grand nombre de médecins, d’infirmières et d’équipes interdisciplinaires au processus de l’aide médicale à mourir.

La présidente : Merci.

Docteur Holland, j’ai une question un peu inhabituelle pour vous. Je dis inhabituelle, parce que je veux vraiment que vous répondiez par oui ou par non, et vous pourrez ensuite donner plus de précisions après que je vous aurai posé une série de questions, d’accord? Ce n’est pas un piège ou quoi que ce soit. J’essaie simplement de comprendre en quoi consiste votre travail.

Vous êtes un praticien d’aide médicale à mourir, et vous avez dit que lorsque vous évaluez un patient, vous examinez ses valeurs et le genre de personne qu’il est. Est-ce bien exact?

Dr Holland : Oui.

La présidente : Si je dis une fausseté, n’hésitez pas à me contredire. Vous devez donc vraiment savoir qui est cette personne, quelle est son expérience et quels sont ses antécédents. Toujours exact?

Dr Holland : Oui.

La présidente : Et cela consisterait en partie à prendre en compte des facteurs comme le sexe, la race et l’âge. Tous ces facteurs entrent en ligne de compte, n’est-ce pas?

Dr Holland : Ce serait souvent le cas, dans certains contextes. Je n’entre pas nécessairement dans les détails pour savoir comment une personne se définit comme homme, femme ou selon son identité de genre, mais le genre joue un rôle tout au long de la vie, et la vie que vous avez vécue et votre race ont un rôle à jouer dans les expériences que vous avez vécues. Cela entre souvent en ligne de compte. Je n’approfondis pas nécessairement le rôle de leur race ou de leur sexe dans leur vie, mais ces informations entrent effectivement en jeu.

La présidente : Mais leur race et leurs valeurs — leur race est aussi importante, non? Vous examinez tout?

Dr Holland : Je tiens compte de tous les facteurs qu’un patient trouverait pertinents dans sa vie.

La présidente : Merci.

J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus — vous en avez peut-être parlé un peu, mais cela m’aiderait beaucoup d’en savoir davantage — sur les médicaments que nous utilisons ici, après ce que disait le Dr Zivot, et j’ai été vraiment touchée par la fin de votre exposé. Ensuite, après l’intervention du Dr Zivot, j’ai été troublée. Nous avons devant nous deux médecins qui voient les choses différemment. Je le conçois aisément. Vous avez dit que nous n’utilisons pas ces médicaments. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là? Comment cela fonctionne-t-il?

Dr Holland : Dans le cas des autopsies auxquelles il a fait allusion, on avait administré des barbituriques, de médicaments que nous n’utilisons jamais dans notre régime. Ces médicaments ne font aucunement partie de notre régime d’aide médicale à mourir.

Le midazolam, le tout premier agent que nous utilisons, est utilisé pour la peine capitale aux États-Unis, mais de façon très rudimentaire et inefficace. Ils l’utilisent pour essayer d’empêcher quelqu’un de respirer, mais le midazolam n’est pas très efficace pour cela. Les doses qu’ils administrent sont énormes. Nous n’utilisons pas ce médicament à cette fin dans notre régime. Chez nous, il n’est utilisé que pour créer un sentiment de détente au tout début. Il ne vise pas à faire cesser la respiration, rien de tel. Nous pourrions enlever ce médicament du régime et nous réussirions tout de même à mettre fin à la vie du patient. Le Dr Zivot n’a pas parlé du propofol et du rocuronium, mais ce sont ceux qui sont efficaces pour mettre fin à la vie d’une personne.

Le propofol induit un coma très profond. Nous avons beaucoup d’expérience en salle d’opération et aux services d’urgence pour ce qui est de provoquer ces comas, quand il est nécessaire de causer une détresse incroyable chez un patient, par exemple pour faire l’ablation d’un appendice ou réparer un os. Le patient se réveille et ne ressent rien. Il ne se souvient de rien, puisque son esprit était ailleurs. Son corps est présent, mais son esprit est totalement inconscient. À de telles doses, la plupart des gens vont mourir étant donné que leur cerveau est si inconscient qu’il n’a plus le réflexe d’actionner le mécanisme de la respiration. Le fait de ne pas respirer ne cause aucune détresse au patient parce qu’il ne ressent pas le besoin de respirer.

Nous ajoutons le rocuronium simplement pour nous assurer de bloquer les poumons et faire en sorte que la personne ne respire plus et soit définitivement morte. En théorie, le propofol peut provoquer un coma si profond que vous êtes inconscient mais tout de même capable de respirer juste un peu. Vous ne ressentirez aucune détresse parce que, de la même façon, en salle d’opération à un dixième de la dose que nous utilisons pour l’aide médicale à mourir, lorsque nous donnons du rocuronium aux patients, ils ne peuvent pas respirer, ils sont intubés dans la gorge — ils ressentent une grande détresse physique et ils se réveillent.

Parmi les médicaments décrits par le Dr Zivot, le principal n’est pas du tout utilisé dans notre régime. Le deuxième, le midazolam, n’est pas utilisé à des doses élevées et n’est pas utilisé pour mettre fin à la vie. Il est utilisé comme médicament de relaxation à une dose beaucoup plus légère pour un objectif entièrement différent. Aucune recherche n’a fait état de patients dont les poumons témoigneraient d’effets de noyade en ce qui a trait aux médicaments que nous utilisons dans le cadre de l’aide à mourir. Ce sont des médicaments que nous utilisons beaucoup à d’autres fins, et les gens s’endorment et se réveillent ensuite.

On essaie de comparer deux médicaments qui ne sont pas du tout comparables. Les médicaments que nous utilisons sont largement employés dans de nombreux pays, et de nombreux experts en la matière m’appuieraient à ce sujet.

La présidente : Docteur Zivot, je veux être juste avec vous parce que j’ai posé tellement de questions au Dr Holland. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais j’aimerais que vous lui répondiez. C’est la seule chose à faire si nous voulons tenir un débat en bonne et due forme.

Dr Zivot : Je constate que le Dr Holland est sincère. Je suis désolé de ne pas avoir été émotif dans mon exposé...

La présidente : Je préférerais que vous ne parliez pas de personnalités. Tenez-vous-en aux faits et passons ensuite à autre chose.

Dr Zivot : Les faits sont les suivants. À ma connaissance, il n’y a pas eu d’autopsies des personnes qui sont décédées après avoir demandé et obtenu l’aide médicale à mourir. Je demanderais au Dr Holland et à d’autres de procéder à ces autopsies, et nous pourrons ensuite déterminer si le propofol produit l’effet que je suppose sur les poumons.

Je ne vois rien de subtil dans ce processus. Je vois un processus de mort par anesthésie et par blocage neuromusculaire. Le bloqueur neuromusculaire ne sert à rien d’autre qu’à donner l’impression aux témoins que la mort est paisible. Je pense que l’expérience intérieure des gens qui meurent n’est pas connue et n’est fondée que sur des conjectures. Il est faux de dire que les activités exercées dans les salles d’opération et les services d’urgence sont identiques à celles de l’aide médicale à mourir et que les doses ne sont pas du tout semblables. Je conviens que le midazolam est utilisé d’une manière différente dans le cadre de l’AMM. J’ai lu dans le protocole que le pentobarbital est le deuxième médicament disponible si le propofol n’est pas disponible ou ne peut pas être administré pour quelque raison que ce soit. J’imagine que le pentobarbital a été utilisé pour l’aide médicale à mourir à un moment donné, mais je ne peux l’affirmer avec certitude.

La présidente : Merci, docteur. Je vous ai donné l’occasion de répondre.

La sénatrice Pate : Docteure Smylie, je vous remercie de votre travail et de votre témoignage.

Vous avez parlé, tout comme d’autres témoins, de la question du racisme envers les Autochtones dans le système de soins de santé. Nous savons que la Colombie-Britannique a récemment publié un rapport à ce sujet. Bon nombre de personnes ont également exprimé des préoccupations au sujet du fait que le projet de loi C-7 adopte une approche qui élargit les droits de certains, mais ne tient pas vraiment compte des inégalités du système de soins de santé que vous et d’autres avez cernées pour les personnes les plus marginalisées, notamment en raison de leur race, de leur handicap, de leur classe sociale et de leur sexe.

Y a-t-il des mesures qui, selon vous, devraient être mises en place pour réduire l’inégalité en matière de santé? Cela comprendrait, par exemple, une observation sur le financement fédéral à l’appui d’un accès équitable aux options de soins de santé pour les peuples autochtones, reconnaissant que le projet de loi C-7 modifie les dispositions du Code criminel sur le suicide. Par conséquent, il est difficile de proposer un amendement qui tiendrait compte de la nécessité d’offrir d’autres options de soins palliatifs et de soins communautaires. Voulez-vous nous en dire davantage sur les recommandations que vous avez déjà faites ou avez-vous des façons précises d’intégrer ces recommandations dans ce projet de loi?

Dre Smylie : Ce dossier comporte plusieurs facettes, et nous essayons de nous concentrer sur des lois précises.

Les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis ont le taux de mortalité le plus élevé de toutes les populations du pays, alors nous mourons comme jamais auparavant, et nous le constatons également avec la COVID-19. Nous avons des taux plus élevés de décès attribuables au cancer et à d’autres maladies chroniques, comme le diabète, qui peuvent nécessiter des soins palliatifs et l’aide médicale à mourir, et c’est pourquoi il faut essayer de régler les inégalités qui persistent et qui s’aggravent, même dans un domaine aussi simple que la santé des nourrissons.

En ce qui concerne la fin de vie des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis, il est urgent d’appuyer les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation visant à appuyer la santé et la guérison des Autochtones. Nous devons donc aider les sages-femmes autochtones à s’attaquer aux disparités en matière de mortalité infantile. Nous devons les aider à offrir des soins de fin de vie aux Autochtones. Il faut des volets de financement concrets. Il est ironique de constater, au moment où nous essayons d’utiliser une loi visant à faire progresser les droits des personnes qui vivent dans la douleur et l’inconfort, que nous empiétons sur les droits intrinsèques des peuples autochtones.

C’est difficile pour moi parce qu’il est tard, et je suis la seule personne qui essaie d’aborder ce point de vue. Je crois qu’il est urgent d’examiner les inégalités et le racisme qui existent. C’est du racisme systémique et du racisme attitudinal. Nous sommes en pleine discussion, et j’apprécie vraiment tout le travail accompli par mes collègues, mais je ne peux même pas commencer à imaginer un accès sécuritaire à l’aide médicale à mourir dans la ville de Toronto.

Il y a des gens qui meurent douloureusement dans des refuges, sans aucun soutien. Dans une proportion de 90 %, les 70 000 Autochtones à Toronto vivent sous le seuil de faible revenu. Le tiers de notre population de 70 000 habitants à Toronto n’a pas de fournisseur de soins primaires si essentiels pour tous. Nous sommes terrifiés à l’idée d’aller à l’hôpital. Nous sommes terrifiés, même au sein de ma propre famille, parce que comme médecins autochtones, nous subissons aussi tout cela, et au cours des six derniers mois, mon être cher a subi un traitement discriminatoire horrible dans un hôpital local et cela, même si je suis médecin.

Je comprends à quel point mes collègues sont merveilleux en soins palliatifs et en fin de vie, mais il y a certaines choses au sujet des conceptions autochtones qu’il faut toute une vie pour comprendre. Je suis certaine que l’entreprise actuelle, qui fait un travail si merveilleux pour aider les gens à obtenir de l’aide médicale à mourir, fait de son mieux, mais nous avons besoin de modèles autochtones. En fait, c’est un mécanisme qui assurerait notre sécurité, et c’est aussi une obligation du peuple canadien, selon la Constitution.

La présidente : Docteure Smylie, je sais que vous devez vous sentir bien seule aujourd’hui. Nous avons entendu 81 témoins. Nous avons mené une étude préalable et nous nous sommes réunis cette semaine, et nous avons entendu certains des arguments que vous présentez maintenant. Je tiens à vous assurer que ce n’est pas la première fois que nous entendons ce genre de réflexions.

Dre Smylie : C’est très gentil de votre part, sénatrice. Oui, en fait, j’ai eu accès à certains des documents de l’étude préalable, et je constate que certains de mes estimés collègues en ont parlé dans leur exposé plus tôt aujourd’hui, et je suis heureuse de voir que certains de mes propos pourraient être pertinents.

La présidente : Ils le sont, n’ayez crainte. Je tenais à vous en assurer. Je ne veux pas que vous ayez l’impression d’être seule à exprimer ce point de vue.

La sénatrice Keating : Docteur Holland, pour ce qui est de votre description de l’AMM comme une expérience paisible, je peux confirmer que les praticiens d’AMM avec lesquels j’ai parlé dans ma province ont dit exactement la même chose que vous. Ils ne l’ont pas dit publiquement ici, mais c’est ce qu’ils m’ont dit.

J’aimerais en savoir plus sur l’expérience des proches qui sont témoins de l’AMM, comparativement, par exemple, au fait de voir un être cher mourir à coup d’injections de morphine, dans la douleur, comme l’expérience que j’ai vécue avec mon père pendant trois jours. Merci.

Dr Holland : C’est une vaste question.

Dans les expériences de l’AMM auxquelles j’ai pris part, les familles ont toutes été extrêmement reconnaissantes. Elles ont toutes dit à quel point l’expérience semblait paisible et elles m’ont affirmé qu’avant même l’étape finale, une fois que l’être cher a satisfait aux critères et que l’évaluation a été approuvée, elles avaient constaté que la personne qui attend l’aide médicale à mourir a un sentiment de paix et comprend qu’il y aura une fin à leurs souffrances et qu’elles ont apprécié ce moment spécial qui permet de dire au revoir à l’être cher dans la paix et la sérénité.

L’autre expérience est celle d’une personne qui agonise plus longtemps, à coup d’injections de morphine. Si c’est ce que souhaite le patient, je n’y vois absolument aucun inconvénient, mais les membres de la famille doivent composer avec une longue agonie. J’ai vu des personnes attendre la mort de l’être cher, et c’est difficile parce qu’il est impossible de prédire à quel moment elle arrivera, et à quel moment il faut faire son dernier au revoir.

La procédure d’AMM met un terme à la maladie et à la vie du patient, ce qu’on n’obtient pas nécessairement par des sédations prolongées ou des soins palliatifs, où le patient peut alterner entre conscience et inconscience pendant plusieurs jours. Je connais quand même beaucoup de gens qui emprunteraient plutôt cette voie. En tant que praticien travaillant avec le patient, je respecte l’autonomie. Je ne suis pas médecin en soins palliatifs, et je ne suis donc pas au courant de ces cas prolongés de trois jours et plus. Je peux seulement vous dire ce que j’ai vécu comme membre de la famille. C’était très difficile, contrairement à l’AMM.

La sénatrice Keating : C’était ma question. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma première question s’adresse à Mme Laurel Plewes.

J’aimerais que vous précisiez certaines choses que vous avez expliquées. Vous n’avez peut-être pas eu suffisamment de temps pour le faire parfaitement. Quand vous parliez de choses qu’il était nécessaire de clarifier, le premier élément avait trait au cas d’une renonciation au consentement. Vous avez dit que c’était très important, mais qu’il fallait prévoir une échéance.

Vous avez suggéré un délai de six semaines pour éviter que les familles refusent l’aide médicale à mourir. J’aimerais que vous précisiez ce point qui n’était pas clair pour moi. Qu’est-ce qui permettrait à une famille de refuser l’aide médicale à mourir?

[Traduction]

Mme Plewes : Merci de l’occasion que vous m’offrez.

Une fois qu’un patient est devenu inapte et qu’il n’est plus en mesure d’exprimer ses volontés, c’est la famille qui communique avec le praticien de l’AMM et qui prend les dispositions nécessaires. Si, par exemple, un patient a signé une renonciation avec un praticien pour six mois ou deux ans, il faut que la famille intervienne pour faire appliquer les dispositions. Mais si, durant cette période, la famille s’avise que ce ne serait pas le souhait de l’être cher, alors c’est à elle que revient la décision. L’idée de l’AMM est que c’est le patient qui décide. Pour comprendre l’intention derrière cette renonciation au consentement, il faut revenir à ce qui se passait au départ, c’est-à-dire avec la patiente en Nouvelle-Écosse. Elle voulait dire : « Je veux pouvoir décider de ma propre mort », donc pour être certains de respecter sa volonté alors qu’elle n’est plus en mesure de donner son consentement, nous devons préserver cette capacité de préciser le moment de pratiquer l’AMM. 

Est-ce que c’est plus clair pour vous, ou le contraire?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Oui, parce que, si je comprends bien, l’idée de l’aide médicale à mourir est de permettre à une personne de choisir le moment où, à partir du moment où ses souffrances sont intolérables, elle peut décider d’arrêter de souffrir avec cette intensité. En ce sens, croyez-vous que les directives anticipées pourraient permettre d’éviter la possibilité que la famille refuse de donner suite à la volonté de la personne?

[Traduction]

Mme Plewes : D’après ce que nous avons vu en Belgique et aux Pays-Bas, il n’y a pas eu beaucoup de prise en charge pour les gens qui ont indiqué à l’avance qu’ils aimeraient recevoir l’aide à mourir. Je ne pense pas qu’il y ait eu suffisamment d’études pour déterminer pourquoi les personnes qui demandent l’AMM dans leurs directives anticipées ne la reçoivent pas. C’est la raison pour laquelle il est important de distinguer entre les deux, dans ce projet de loi, pour dire qu’il ne s’agit pas d’une directive anticipée. Il s’agit d’une renonciation au consentement final pour s’assurer que le patient est maître de sa mort.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci. Ma prochaine question s’adresse à M. Zivot. Monsieur Zivot, vous avez fait référence à un protocole dans une de vos réponses. Pouvez-vous nous dire de quel protocole il s’agit?

[Traduction]

Dr Zivot : Vous me parlez du protocole utilisé dans l’AMM?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Vous nous avez parlé d’une expérience de 300 autopsies et d’une réalité aux États-Unis. De plus, dans une de vos réponses, vous avez fait référence à un protocole. Est-ce un protocole américain ou canadien? Quel est votre degré de connaissance? Y a-t-il un protocole canadien que vous connaissez sur lequel vous vous êtes fondé pour faire vos affirmations?

[Traduction]

Dr Zivot : Je sais qu’il existe un protocole pour pratiquer l’AMM. Je me fonde sur mon examen de la documentation de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM, la CAMAP. C’est l’organisation qui publie cette information, je crois, ou qui peut y renvoyer directement. Chaque province est un peu différente. En gros, le protocole comprend trois médicaments distincts.

Le premier est le midazolam, le deuxième est le propofol et le dernier est le rocuronium. Chacun a un spectre d’action différent. Bien entendu, le dépliant glissé dans l’emballage de ces médicaments n’indique pas la dose nécessaire pour tuer, donc on a établi pour l’AMM un protocole qu’on juge efficace, particulièrement dans le cas du bloqueur neuromusculaire, ou BNM. C’est clair. Une fois que le BNM est administré, les jeux sont faits. La respiration s’arrête, alors même si vous ne donniez pas de midazolam ou de propofol et seulement du rocuronium, la personne mourrait de toute façon. Et en passant, vue de l’extérieur, cette mort aussi aurait l’air très paisible.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Vous comprendrez que, à titre de législatrice canadienne, ma préoccupation est de m’assurer que l’on compare des choses comparables. Vous me parlez d’une situation aux États-Unis que vous semblez bien connaître; voilà une chose. Je tenais à m’assurer que vous connaissiez aussi bien à la fois les protocoles et la façon dont ces protocoles sont appliqués ici. Nous avons une situation canadienne à juger et nous devons légiférer. C’est en ce sens que je voulais m’assurer que l’on compare des choses comparables.

[Traduction]

Dr Zivot : Désolé, oui, merci. Je parlais du protocole canadien. Le protocole américain d’injection létale est généralement ou plutôt fondamentalement similaire, avec quelques différences. Si j’en parle ici, c’est parce qu’il s’agit de protocoles très semblables à bien des égards. C’est pourquoi je pense qu’on peut les comparer.

Bien sûr, vous avez raison de dire qu’au Canada, c’est différent, et on ne trouve pas d’information comme celle dont je dispose après avoir examiné les rapports d’autopsie de personnes exécutées. On n’a pas de rapports d’autopsie de personnes décédées par AMM. Je pense que ce serait utile et important pour savoir exactement à quoi ressemble la mort vue de l’intérieur.

Vue de l’extérieur, la mort a l’air paisible. Mais j’utilise le mot entre guillemets. Ce que vous voyez, c’est le résultat de l’action particulière d’un médicament qui bloque tout type de mouvement susceptible de se produire. S’il y a le moindre inconfort qu’une personne puisse ressentir à la suite, par exemple, de l’injection du propofol qui est utilisé dans l’aide médicale à mourir, il sera effacé. Dès que le bloqueur neuromusculaire est administré, c’est terminé. Vous ne verrez jamais rien d’autre qu’un visage inexpressif. Donc, quand on emploie ici des mots comme « élégant » ou « paisible », on ne les emploie pas vraiment à bon escient, parce qu’ils supposent quelque chose qui n’a pas vraiment lieu ou qui n’a pas été vérifié par un examen du corps en bonne et due forme, c’est-à-dire, comme je le propose, par la pratique d’une autopsie. Voilà ce que je pense.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Avez-vous de la documentation, une étude ou un article que vous auriez écrit qui compare ces deux types de protocoles? Vous comprendrez que nous ne voulons pas savoir si nous sommes en face d’un processus élégant ou non. Nous parlons de droits et de changements dans la pratique médicale, et nous parlons d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir.

Seriez-vous en mesure de nous fournir de la documentation qui soutiendrait les comparaisons que vous faites entre les deux régimes?

[Traduction]

Dr Zivot : Je peux vous renvoyer au reportage de la National Public Radio qui expose de long en large les résultats d’autopsie de personnes exécutées. D’après mes connaissances en pharmacologie et ce que je sais de ces médicaments en particulier, je dirais qu’on aurait de fortes chances de constater les mêmes résultats si on autopsiait des personnes décédées par AMM. Aucune étude n’a été menée. J’ai demandé à la présidente de la CAMAP si elle savait si quelqu’un avait subi une autopsie après l’AMM. Elle m’a dit que non. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas arrivé, mais pas à sa connaissance.

La présidente : Merci, docteur Zivot. Madame la sénatrice Dupuis, je vous ai laissé plus de temps parce que j’étais certaine que tout le monde voulait entendre. Mme Plewes a quelque chose à dire.

Mme Plewes : Je voulais seulement dire que des organes ont été prélevés chez des patients qui avaient reçu l’aide médicale à mourir, et qu’ils ont été transplantés avec succès chez des receveurs. Il n’y a eu aucun problème, et les transplantations n’auraient pas eu lieu si les organes n’avaient pas été jugés viables. Merci.

La présidente : Merci.

Le sénateur R. Black : Je tiens à remercier les témoins.

Mes questions s’adresseront au Dr Smith et au Dr Holland. En tant que sénateur originaire de l’Ontario rural, je sais que les Canadiens des régions rurales ont souvent du mal à accéder aux services de santé que les citadins peuvent trouver au coin de la rue. Près d’un cinquième des Canadiens vivent dans des collectivités rurales, mais ils ne sont desservis que par 8 % des médecins qui pratiquent au Canada. Je crains que les Canadiens des régions rurales qui envisagent une AMM soient moins susceptibles d’en faire la demande en raison de la difficulté qu’ils ont à accéder aux services. Cela pourrait prolonger la souffrance d’une personne, tandis que son vis-à-vis urbain reçoit des soins plus rapides.

Docteur Smith, à votre avis, y a-t-il des obstacles importants auxquels font face les Canadiens des collectivités rurales, éloignées et nordiques qui cherchent peut-être à accéder à l’aide médicale à mourir ou à obtenir de l’information auprès de ceux qui la pratiquent?

Dr Smith : Merci, monsieur Black.

Vous avez mis le doigt sur le problème, mais il ne s’agit pas seulement de l’aide à mourir. J’ai fait de la sensibilisation à Dawson Creek, dans le nord de la Colombie-Britannique, pendant 20 ans. Soit dit en passant, les gens des localités éloignées, où vivent aussi un grand nombre d’Autochtones du Canada, ont généralement un piètre accès à tous les types de soins de santé imaginables.

Nous examinons ici des enjeux de fin de vie. Je dirais que le plus gros problème pour les Canadiens des régions rurales est l’absence d’accès aux soins palliatifs, ce qui est tragique.

En ce qui concerne l’aide médicale à mourir, la seule chose qui a amélioré l’accès, c’est qu’il est maintenant possible de rejoindre les gens grâce à Zoom, comme nous le faisons pour nous réunir en ce moment. C’est un grand pas en avant.

Est-ce qu’il y aura un praticien dans une localité donnée? C’est une des choses que la CAMAP tente d’assurer, un accès adéquat pour tous les Canadiens qui veulent l’aide médicale à mourir, où qu’ils soient. Avons-nous atteint cet objectif? Certainement pas, mais je pense que nous devons prendre des mesures en ce sens, pour que les Canadiens des régions rurales aient accès à toute la gamme des services de santé.

Merci de votre question, monsieur Black.

Le sénateur R. Black : Merci beaucoup.

Docteur Holland, croyez-vous que le fédéral ou les provinces devraient intervenir dans la distribution des praticiens de l’AMM pour offrir un accès adéquat à toutes les collectivités du pays et pour éviter de prolonger la souffrance des personnes en quête de soins dans les régions rurales, éloignées ou nordiques, qui pour la plupart sont déjà à court de services médicaux, comme nous venons de l’entendre?

Dr Holland : Vous avez tout à fait raison. Je suis un des premiers praticiens en Nouvelle-Écosse et je sais pertinemment que l’accès aux régions rurales nous a posé beaucoup de problèmes. J’ai roulé pendant des heures incalculables à travers la province pour pouvoir faire des évaluations et des interventions. Heureusement, avec Zoom, les évaluations sont plus faciles. La Nouvelle-Écosse est une toute petite province. Je peux conduire d’un bout à l’autre. Je n’ose pas imaginer à quel point ce serait difficile dans le nord de l’Ontario, le nord du Québec et les territoires.

Cela s’applique également, comme le Dr Smith l’a signalé, aux soins palliatifs et à tous les aspects de la médecine. Il ne s’agit pas seulement d’un écart entre citadins et ruraux. Il faut envisager d’autres accès pour d’autres types de populations qui ont été systématiquement marginalisées et qui ont plus de mal à accéder à l’AMM, comme c’est le cas pour les soins palliatifs.

Que le fédéral ou les provinces interviennent, cela nous ramène au débat sur tout ce qui touche les soins de santé. Les soins sont fournis en grande partie par les provinces, alors je ne suis pas vraiment en mesure de dire si cela devrait être de compétence provinciale ou fédérale. Cependant, je peux dire qu’en Nouvelle-Écosse, la province a adopté une approche très ciblée pour offrir l’AMM dans les régions rurales. Les autorités sanitaires ont fait de grands efforts pour trouver des praticiens dans les régions rurales, en collaboration avec les évaluateurs et les praticiens établis. Je pense qu’il incombe au gouvernement, qu’il soit fédéral ou provincial, de garantir l’accès à l’aide médicale à mourir, aux soins palliatifs et à tous les autres soins de santé dans les régions rurales.

Je suis optimiste, parce qu’à mesure que l’AMM est devenue plus acceptable au plan culturel et aussi plus connue, de plus en plus de médecins se sont dit : « Je veux être évaluateur. Je veux pratiquer l’aide médicale à mourir. » Souvent, durant mes déplacements, j’essaie de trouver quelqu’un dans une collectivité qui serait intéressé. Les patients acceptent tout à fait qu’un médecin vienne auprès d’eux pour apprendre, parce qu’ils sont eux-mêmes des pionniers de plein droit dans ce domaine. Il n’y a pas que les médecins et les infirmières praticiennes.

Comme les médecins le voient, et comme de plus en plus de familles ont pu assister à une prestation d’aide médicale à mourir et voir de quoi il retourne, je pense qu’il y aura de plus en plus de médecins et d’infirmières praticiennes qui voudront y prendre part, alors je suis confiant que la pratique va se répandre. Cependant, je pense que le gouvernement, qu’il soit provincial ou fédéral, a la responsabilité de faciliter cette propagation et de faciliter l’accès dans toutes les régions, pas seulement dans les centres urbains.

Le sénateur R. Black : Merci.

La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins d’être avec nous ce soir. Je voulais adresser ma première question au Dr Zivot, mais j’aurais quelques mots à dire avant de vous la poser, docteur Zivot.

L’AMM est légale dans notre pays depuis environ quatre ans et demi maintenant. Nous savons donc beaucoup de choses sur les protocoles utilisés et sur la façon dont ils ont été élaborés. En fait, au Canada, il s’agit généralement d’un protocole en quatre étapes, auxquelles pourraient s’ajouter une cinquième et peut-être une sixième. Il y a d’ailleurs beaucoup de ressemblances à travers le pays dans la façon dont les interventions sont pratiquées, dont elles sont documentées et dont elles sont suivies.

Si on considère seulement l’expérience de la Vancouver Coastal Health Authority, on ne compte pas moins de 943 cas en quatre ans et demi. Aux États-Unis, il y a eu 1 234 injections létales en 45 ans. La VCHA a donc beaucoup d’expérience et elle peut en parler.

Dans un sondage que j’ai mené récemment auprès de 17 praticiens de l’AMM dans toutes les régions du Canada, j’ai pu constater une grande similitude de vues. Ils ont décrit l’expérience en des termes très semblables : paisible, sereine, même profondément satisfaisante. Ils n’ont rien vu des effets dont vous parlez, et ils ont dit que les familles réagissaient de la même façon que ce que vous avez entendu ce soir.

Docteur Zivot, je vous demande de répondre par oui ou par non : avez-vous déjà personnellement procédé à une intervention d’aide médicale à mourir?

Dr Zivot : Non.

La sénatrice Moodie : Y avez-vous déjà assisté?

Dr Zivot : Non.

La sénatrice Moodie : Merci, docteur Zivot.

Ma deuxième question s’adresse à Mme Plewes. Je vous demanderais de nous parler un peu plus de votre expérience de l’AMM, avec le grand nombre de cas qui ont été traités dans votre région. Pouvez-vous nous parler de certaines des expériences positives, ou négatives s’il en est, et peut-être nous signaler des contrastes, des différences, par rapport à ce que le Dr Zivot nous a décrit à propos de l’injection létale aux États-Unis?

Mme Plewes : Je vous remercie de la question. Je tiens à préciser que je ne pratique pas moi-même l’aide médicale à mourir, mais j’ai assisté en personne à plus de 200 décès, et j’ai vu passer, comme vous l’avez dit, environ 943 cas dans notre service.

D’après ce que nous avons constaté, les patients sont très soulagés d’aller vers la mort et de mettre fin à leurs souffrances. Nous avons vu aussi, comme en parlait le Dr Holland, des proches qui étaient peut-être contre l’aide médicale à mourir, mais qui ont dit après coup : « C’est tellement paisible. » Même les gens qui ne sont pas d’accord avec l’AMM avant le décès changent d’avis après y avoir assisté.

La comparaison que je ferais entre l’injection létale et l’aide médicale à mourir, c’est qu’au Canada, un médecin ou une infirmière praticienne doit administrer le médicament et être présent pendant le décès pour s’assurer du bon usage du médicament, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis, si je comprends bien. Je ne pense pas que nous comparions des pommes avec des pommes, comme on l’a entendu plus tôt, lorsque nous comparons l’aide médicale à mourir à l’injection létale. Nous sommes penchés sur un projet de loi canadien, et nous devons nous assurer de l’examiner uniquement dans le contexte canadien.

Merci.

La présidente : Docteur Zivot, vous aviez levé la main.

Dr Zivot : Je pense que l’apparence extérieure de calme et de paix ne rend pas vraiment compte de ce que peut vivre intérieurement la personne qui décède, alors cela ne veut rien dire si, vu de l’extérieur, tout a l’air paisible.

Le sénateur Kutcher : Je m’adresse au Dr Smith, qui se trouve être est un expert dans ce domaine. Docteur Smith, vous avez évalué des patients qui demandaient l’AMM pour le seul motif de la maladie mentale. Contrairement à de nombreux psychiatres, vous avez une expérience directe de l’aide médicale à mourir.

J’ai trois questions. Premièrement, les psychiatres canadiens sont-ils en mesure de déterminer si une personne atteinte de maladie mentale qui demande l’AMM est motivée principalement par le désir de se suicider? Deuxièmement, est-il beaucoup plus difficile d’évaluer la capacité de prendre des décisions et les tendances suicidaires chez une personne qui demande l’AMM pour le seul motif de la maladie mentale, ce qui est actuellement proscrit dans le projet de loi C-7, que de faire la même évaluation chez une personne atteinte d’une maladie mentale concomitante, ce qui est autorisé dans le projet de loi C-7? Troisièmement, une demande d’aide médicale à mourir équivaut-elle à un suicide?

Dr Smith : Ce sont des questions profondes, monsieur le sénateur. Il me faudrait une heure pour les étudier à fond.

Permettez-moi de dire qu’il n’y a pas de plus grande controverse en psychiatrie qu’entre la mort assistée et le suicide. Les psychiatres passent une bonne partie de leur vie à essayer de prévenir le suicide, c’est donc difficile pour eux quand on leur demande d’aider quelqu’un à mourir; d’ailleurs, nous envoyons des gens à l’hôpital pour les empêcher de se suicider. C’est tout un dilemme pour les psychiatres.

Cela dit, je suis convaincu que je peux déterminer si une personne est suicidaire et cherche à mourir ou si elle prend une décision sensée, raisonnable et rationnelle en se fondant sur tous les aspects de sa vie. Je m’intéresse particulièrement à ce que les membres de la famille ont à dire au sujet de leur être cher, et à l’appui qu’ils accordent à sa démarche. Heureusement, dans la grande majorité des cas que j’ai vus, la famille appuie entièrement la personne qui veut mettre fin à sa souffrance dans la dignité. C’est difficile quand les membres de la famille ne sont pas d’accord, encore plus lorsqu’il y a une maladie psychiatrique à l’œuvre.

Je tiens à assurer aux sénateurs que, s’il y a un doute quant à l’admissibilité de la personne à l’aide médicale à mourir, elle se voit dans la plupart des cas refuser cette aide.

N’oubliez pas non plus qu’il n’y a pas seulement une évaluation psychiatrique, mais une autre aussi, faite habituellement par un omnipraticien, qui porte sur les mêmes questions. Ce ne sont pas des choses faciles à trancher, mais je suis convaincu que les psychiatres et les médecins du Canada sont capables de distinguer entre ces deux enjeux différents, soit la mort assistée, en raison d’une maladie terminale ou de souffrances terminales, et une tentative de suicide en raison d’une maladie psychiatrique.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup, docteur Smith.

Docteur Holland, j’ai deux questions pour vous. Nous avons entendu plus tôt aujourd’hui le Dr Grant, du Collège des médecins et chirurgiens de la Nouvelle-Écosse, nous parler des difficultés qu’auraient les organismes de réglementation si la définition actuelle de la maladie mentale était acceptée. Vous-même avez parlé de la confusion qu’un praticien de l’AMM pourrait avoir si la définition actuelle de la maladie mentale était acceptée. Pourriez-vous nous préciser pourquoi il est si important de savoir de quoi on parle au juste?

Dr Holland : Oui. C’est une chose qui me tracasse depuis longtemps, depuis la lecture du projet de loi C-7. Je suis heureux qu’on ait supprimé l’expression « raisonnablement prévisible », qui a causé beaucoup de confusion chez les praticiens et exclu à jamais des personnes qui ont pourtant besoin d’une aide médicale à mourir. Par contre, en supprimant cela, on ouvre la porte au débat sur la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée.

Dans la loi actuelle — avant le projet de loi C-7 —, la maladie mentale est acceptée comme seule condition médicale invoquée, comme l’a signalé le Dr Smith. Ce n’est plus le cas. Ce n’est pas seulement un problème en soi, c’est une source de confusion. Ce n’est pas comme s’il y avait une définition précise de la maladie mentale, une liste de diagnostics qu’on apprendrait en deuxième année de médecine. La maladie mentale, comme la définition même de maladie, a fait l’objet de débats en médecine et en philosophie. Beaucoup de gens la définissent comme un ensemble précis de troubles de l’esprit répondant aux critères du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ou DSM-5, comme l’anxiété, la dépression. D’autres parlent de maladies comme celles de Parkinson ou d’alzheimer. Or, la notion de maladie peut être vue comme une simple fonction non normative. Dans ce cas, on pourrait dire qu’une réaction extrême de deuil ou de tristesse relève de la maladie mentale. Qu’est-ce qu’on doit exclure, alors, du champ des maladies incurables? En soi, il y a là une source de confusion.

En ce moment, lorsque j’évalue une demande d’AMM, je regarde tout le spectre de la souffrance du patient. Il y aura une part de souffrance existentielle, à cause de ce qu’il ne peut plus faire maintenant qu’il est cloué au lit. Il ne peut plus jouir de certains aspects de la vie. Il se sent pris au piège, le genre d’état où bien des gens verraient de la maladie mentale. Il est peut-être en dépression depuis longtemps, ce qui peut ajouter à sa souffrance. L’évaluateur doit absolument s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une dépression aiguë qui rendrait le patient inapte à prendre une décision. Comme disait le Dr Smith, les psychiatres ont souvent du mal à juger si la maladie mentale ne brouille pas le jugement des patients.

Disons que nous mettons cela de côté, que la maladie mentale — la dépression, l’anxiété, peu importe — ne brouille peut-être pas leur jugement, cela s’ajoute alors à la somme de ce qu’ils considèrent comme leur souffrance. Ils ont mal au dos, ils sont incapables de sortir du lit et de faire ce qu’ils aiment. Nous pouvons comprendre cette souffrance et comparer avec l’état dans lequel ils étaient, disons, il y a 10 ans — l’état auquel ils voudraient retourner.

Nous voici donc dans une situation où je vois quelqu’un, qui éprouve peut-être un sentiment profond de perte ou de dépression parce qu’il est maintenant cloué au lit. Est-ce que ce sentiment de perte contribue à son déclin avancé, auquel cas je peux l’ajouter à son portrait global de souffrance intolérable? Il s’agit peut-être d’une dépression, auquel cas il s’agit d’une affection ou d’une maladie, et je ne peux pas l’inclure en vertu de l’alinéa 2a).

Il va y avoir un débat sur la façon de l’interpréter. Une de mes craintes, c’est que certains évaluateurs diront : « Tout ce qui ressemble à la maladie mentale, je ne l’inclus pas dans la souffrance. La souffrance vient seulement du déclin ou d’un problème physique quelconque, comme la douleur à la jambe ou à la hanche ou au dos. » D’autres évaluateurs diront plutôt : « Non, cette souffrance fait partie du déclin avancé. Je vais considérer cette souffrance psychologique et existentielle dans le portait global. » Il y aura deux groupes différents qui incluront des facteurs différents dans cette souffrance en raison de la façon dont elle se manifeste, et tant pis si la maladie mentale en soi n’est pas nécessairement bien définie.

Donc, comme le Dr Grant, du Collège des médecins, s’en inquiète, je pourrais dire : « Eh bien, la maladie de Parkinson est un trouble neurologique », et quelqu’un d’autre pourrait dire que c’est aussi une maladie mentale. Je pourrais donc dire : « Eh bien, cette personne est atteinte de la maladie de Parkinson, donc admissible en vertu de l’alinéa 2a). » Un autre praticien pourrait dire qu’il s’agit d’un trouble neurologique, mais aussi d’une maladie mentale, donc inadmissible en vertu de l’alinéa 2a). Cela va créer de la confusion.

Je crois comprendre que le projet de loi C-7 visait en grande partie à supprimer l’expression « raisonnablement prévisible ». Je comprends que la partie sur la renonciation au consentement final a été ajoutée en prévision d’un examen législatif complet de la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée, ainsi que des mineurs matures et des directives anticipées.

Je proposerais peut-être d’ajouter une clause d’extinction à ce critère d’exclusion. Il y aura de la confusion entretemps, mais cela nous permettra de procéder à l’examen législatif complet, de voir comment nous voulons intégrer la maladie mentale comme seule condition médicale invoquée, ou d’élaborer des lignes directrices de pratique clinique qui nous serviraient de garde-fous pour qu’une personne invoquant la maladie mentale comme seul motif ne puisse pas consentir à l’AMM lorsque son jugement est brouillé par sa maladie mentale, sa dépression, sa schizophrénie et quoi encore.

La définition sera très difficile à établir, et j’espère sincèrement que le gouvernement procédera à un examen législatif complet qui se penchera là-dessus. Si le gouvernement n’est pas prêt à définir la maladie mentale à ce stade-ci ou à résoudre ce dilemme crucial, si vous insistez pour garder ce critère d’exclusion tel quel, je vous recommande d’ajouter une clause d’extinction qui nous forcera à affronter ces problèmes.

La présidente : Merci, docteur Holland.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à Mme Plewes. Essentiellement, j’aimerais savoir comment l’absence de service pourrait peser dans la décision, sachant que la détresse est due à une situation probablement sans issue, parce que vous ne pouvez pas offrir un service à une personne handicapée, ou que vous ne pouvez pas lui offrir l’intégration dans la communauté. Comment faites-vous dans une situation aussi difficile?

Mme Plewes : Je vous remercie de la question.

Nous réfléchissons depuis un certain temps à la façon de nous y prendre. Le délai de 90 jours après la première évaluation permettra aux évaluateurs, aux praticiens et aux responsables de programmes comme le nôtre de discuter plus longuement avec les patients pour bien comprendre leur souffrance et déterminer ensuite comment nous pourrions les aider, tout en sachant que nous ne pourrons peut-être pas les intégrer.

L’AMM a souvent été un drapeau blanc qu’on agite pour dire : « Je souffre. S’il vous plaît, aidez-moi. » J’espère que lorsque les médecins et les infirmières praticiennes sauront que c’est cela qui se passe, ils feront un effort supplémentaire pour trouver une façon de le faire.

Beaucoup de témoins ont déjà dit qu’il fallait ajouter plus de services aux soins palliatifs et plus de services de soutien aux personnes handicapées. Je pense que cela doit se faire en même temps pour faire droit aux conclusions du Québec dans le projet de loi C-7.

Malheureusement, je n’ai pas de réponse complète à vous donner, si ce n’est pour dire que nous sommes très conscients du problème et que nous comptons sur la collaboration des patients.

La présidente : Merci.

Je tiens à dire à tous les témoins qui ont comparu aujourd’hui que nous avons vraiment l’impression d’avoir obtenu réponse à bon nombre des questions avec lesquelles nous nous débattons depuis que nous avons entrepris cette étude, ou même avant, lors de l’étude du projet de loi C-14. Merci beaucoup de votre présence et d’avoir bien voulu nous faire part de vos connaissances. Nous n’aurons jamais votre bagage de connaissances, mais nous avons beaucoup appris de vous et nous nous en servirons dans notre travail de législateurs. Je tiens à remercier chacun et chacune de vous. Merci beaucoup.

Honorables sénateurs et sénatrices, je vous rappelle que c’est demain l’étude article par article. Ce sera peut-être difficile en mode virtuel, mais nous verrons bien. Si vous avez des observations, assurez-vous s’il vous plaît de les présenter dans les deux langues. Veuillez les faire parvenir au greffier, M. Mark Palmer, qui pourra regrouper les sujets et nous faciliter le travail demain. Merci beaucoup à chacun et chacune de vous. Merci de votre patience aujourd’hui. Nous nous reverrons demain.

(La séance est levée.)

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