LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE ET DE LA DÉFENSE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 19 avril 2021
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd’hui par vidéoconférence, à 14 heures (HE), pour étudier toute question concernant la sécurité nationale et la défense en général, notamment les anciens combattants, tel qu’établi à l’article 12-7(15) du Règlement; puis, à huis clos, pour l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je suis Gwen Boniface, sénatrice de l’Ontario, et j’ai le plaisir de présider le comité. Aujourd’hui, nous tenons une réunion publique du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense par vidéoconférence.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie à l’avance de votre patience alors que nous nous adaptons à cette nouvelle façon de tenir nos réunions. Avant de commencer, j’aimerais rappeler aux sénateurs de laisser leur microphone en sourdine en tout temps, à moins que la présidente les désigne par leur nom, et d’éviter de passer d’une langue à l’autre durant la même intervention. Pour tout problème technique, particulièrement en ce qui concerne l’interprétation, veuillez le signaler à la présidente ou à la greffière, et nous nous efforcerons de régler le problème. Veuillez noter que nous pourrons devoir suspendre les travaux si cela se produit, car nous devons nous assurer que tous les membres sont en mesure de participer pleinement.
Enfin, j’aimerais rappeler à tous les participants que les écrans Zoom ne doivent pas être copiés, enregistrés ni photographiés. Vous pouvez utiliser et transmettre les procédures officielles affichées sur le site Web SenVu à cette fin. J’aimerais maintenant présenter les membres du comité qui participent à la réunion : le sénateur Boisvenu, vice-président du comité; le sénateur Dagenais, vice-président du comité; le sénateur Dalphond, quatrième membre du comité directeur; la sénatrice Busson; le sénateur Cotter; le sénateur Duffy; la sénatrice Martin; le sénateur Oh; et la sénatrice Simons.
Honorables sénateurs, nous sommes heureux que comparaisse devant nous aujourd’hui le lieutenant-général Wayne Eyre, chef d’état-major de la Défense par intérim, qui nous fournira un bilan et un aperçu de son mandat. Au nom du comité, j’aimerais remercier le lieutenant-général Eyre d’avoir accepté de comparaître moyennant un court préavis et de prolonger sa comparution jusqu’à 90 minutes.
Pour faciliter le déroulement de la réunion virtuelle, j’ai préparé une liste d’intervenants, à commencer par des membres du comité directeur, suivis par le reste des membres du comité selon une rotation hebdomadaire. Si les sénateurs n’ont pas de question, on leur demande de le signaler à la greffière dans la conversation Zoom. Le lieutenant-général Eyre s’est vu accorder jusqu’à 10 minutes pour sa déclaration liminaire, puis les sénateurs auront 4 minutes pour chaque question. Si vous n’avez pas de questions, la parole est à vous, lieutenant-général Eyre.
Lieutenant-général Wayne Eyre, chef d’état-major de la Défense par intérim, ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui pour vous parler de l’état de la situation dans les Forces armées canadiennes et de mes priorités pour cette institution en tant que chef d’état-major de la Défense par intérim.
Bien que ce soit inattendu, c’est pour moi un grand honneur et un immense privilège d’être chargé de diriger nos forces armées.
[Français]
C’est en toute humilité et avec une grande détermination que je m’acquitte de cette responsabilité pour que les Forces armées canadiennes demeurent une organisation qui fait preuve d’excellence opérationnelle tout en reflétant les valeurs que nous chérissons en tant que Canadiens et Canadiennes et dont nous sommes fiers.
[Traduction]
J’ai accepté ce rôle à un moment où nos forces armées sont confrontées à d’énormes défis, tant au sein de notre organisation qu’à l’extérieur. Au pays, les Forces armées canadiennes continuent de participer à la réponse pangouvernementale à la COVID-19, tout en préservant notre souveraineté dans l’Arctique et notre sécurité continentale, et elles se tiennent prêtes à aider les Canadiens touchés par une catastrophe naturelle. À l’étranger, nous continuons de défendre, aux côtés de nos alliés et partenaires, l’ordre international fondé sur des règles qui a permis d’assurer notre paix et notre prospérité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est dans ce contexte en évolution rapide que j’ai ciblé quatre points de repère pour nos forces armées, et j’aimerais les présenter brièvement au comité aujourd’hui. Ce sont notre personnel, nos opérations, notre disponibilité opérationnelle et le développement de nos capacités futures.
Tout d’abord, notre personnel. Comme vous le savez, les Forces armées canadiennes se trouvent à un point d’inflexion en ce qui concerne leur culture. Nous avons été profondément ébranlés par la mise au jour de cas d’inconduite sexuelle et les allégations troublantes à cet effet.
Cela a clairement démontré que les efforts que nous avons déployés jusqu’à présent pour y mettre un terme, même s’ils reposaient sur de bonnes intentions, n’ont pas donné les résultats dont nous avons besoin et que notre personnel mérite. Nous devons continuer d’aller de l’avant avec humilité. De plus, nous continuons de constater que les FAC ne sont pas plus à l’abri des problèmes que sont le racisme et les comportements haineux que les autres secteurs de notre société, et nous devons éliminer ces comportements.
[Français]
Permettez-moi d’être clair : le sexisme, la misogynie, le racisme, l’antisémitisme, la discrimination, le harcèlement et tout autre comportement qui nous empêchent d’être une organisation véritablement inclusive et accueillante n’ont pas leur place dans les Forces armées canadiennes.
[Traduction]
Nous devons nous efforcer de remédier à cette situation et de mettre sur pied des Forces armées canadiennes où chaque personne est respectée, valorisée et se sent à l’aise de contribuer au meilleur de ses capacités. Nous avons grand besoin des talents présents dans toutes les sphères de la société canadienne. À cette fin, nous accepterons et appuierons un examen externe de notre institution et de sa culture, ainsi que de nos pratiques, y compris la mise sur pied d’un système indépendant de la chaîne de commandement aux fins du signalement des méfaits.
Nous n’attendrons toutefois pas que cet examen soit terminé avant d’agir. Suivant une approche fondée sur le principe « écouter, apprendre, agir », nous déployons des efforts délibérés de façon à comprendre les raisons pour lesquelles nous n’avons pas réussi et à déterminer les mesures que nous devons prendre pour connaître du succès.
[Français]
Nous sommes résolus à écouter nos militaires, à apprendre de nos expériences et à agir dans le but d’instaurer une culture axée sur la dignité et le respect.
[Traduction]
En ce qui concerne les opérations des FAC, nous continuerons de collaborer avec nos alliés et nos partenaires afin de maintenir la paix et la stabilité dans le monde. Notre personnel prend part à des déploiements de par le monde — dans les Caraïbes, en Afrique, en Europe de l’Est, au Moyen-Orient et dans la région indo-pacifique.
Cependant, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, nos principales responsabilités sont ici, au pays. Nous appuyons nos partenaires à l’échelle du gouvernement en vue de la mise en œuvre de programmes de vaccination dans de nombreuses collectivités éloignées, autochtones et du Nord. Et nous nous tenons prêts à donner suite aux éventuelles demandes d’assistance.
Par ailleurs, nous procédons actuellement à la vaccination de nos propres effectifs afin d’assurer leur santé et leur bien-être, de même que notre efficacité opérationnelle continue.
[Français]
Outre le rôle que nous jouons dans la réponse à la pandémie de la COVID-19, le printemps et l’été sont accompagnés de risques accrus d’inondations et d’incendies. Nous demeurons disposés à prêter main-forte dans la protection des Canadiens et de leurs collectivités contre ces dangers.
De plus, nos équipes de recherche et sauvetage se tiennent prêtes à aider les personnes dans le besoin, et nous continuons de satisfaire à nos engagements à l’égard du NORAD et de la défense partagée de l’Amérique du Nord.
[Traduction]
Pour ce qui est de la disponibilité opérationnelle, la pandémie a posé des défis pour les FAC auxquelles elles tentent de s’attaquer. Bien que nous ayons perdu moins de militaires en raison de l’attrition sur 12 mois qu’à l’habitude, nous avons également constaté une diminution considérable du recrutement, puisque la pandémie a considérablement réduit notre cadence, ce qui se traduit par un nombre inférieur de recrues venant s’entraîner. La taille des FAC connaît en fait une décroissance alors qu’elle devrait prendre de l’ampleur.
Nous continuons de nous adapter aux réalités de la pandémie, tout en cherchant à accroître la diversité des personnes que nous accueillons dans nos rangs.
Notre instruction a également été affectée. À moyen terme, nous accordons la priorité à l’instruction individuelle plutôt qu’à l’instruction collective, et nos militaires profitent de l’occasion pour perfectionner leurs aptitudes en leadership et leurs compétences et qualifications techniques.
[Français]
Nous devons tout de même maintenir notre compétence collective, et pour ce faire, nous devrons prendre des risques.
Notre instruction se poursuit comme elle se doit, et nous avons pris d’importantes mesures pour nous adapter aux réalités de la pandémie.
[Traduction]
Je continue d’évaluer la situation, mais à mon avis, il faudra plusieurs années pour regagner le terrain perdu. Nous devons donc nous entraîner afin d’assurer notre disponibilité opérationnelle, mais nous devons le faire de manière sécuritaire en tenant compte de la menace continue que représente la COVID.
Enfin, en ce qui a trait au développement de nos capacités futures, nous continuons de suivre le plan d’investissement en immobilisations que nous avons exposé dans la politique de défense « Protection, Sécurité, Engagement » ou PSE. Ce plan comprend l’achat de chasseurs perfectionnés et la réalisation du projet de navires de combat de surface canadiens, dont le début des travaux de construction est prévu en 2023 ou 2024.
Nous profitons déjà des retombées d’autres investissements dans le cas de la politique PSE. Le premier navire de patrouille extracôtier et de l’Arctique a réussi haut la main des essais sur glace au nord du 60e parallèle le printemps dernier, et nos tout premiers véhicules blindés de soutien au combat sortent tout juste de la chaîne de production.
[Français]
Les Forces armées canadiennes réalisent des investissements de taille dans des technologies qui nous permettent de mener nos activités efficacement dans des domaines non traditionnels, comme le cyberespace.
Nous travaillons aussi avec nos partenaires américains pour renforcer la défense continentale, notamment en modernisant le NORAD pour répondre à nos besoins dans un monde qui a beaucoup évolué depuis la création de l’organisation à l’époque de la guerre froide.
[Traduction]
Madame la présidente, alors que nous faisons face à d’importantes difficultés au sein même des Forces armées canadiennes, nous continuons d’être confrontés à une gamme sans cesse grandissante de menaces et de provocations de la part d’un éventail de concurrents et d’adversaires étatiques et non étatiques. Nous y sommes en outre confrontés au sein d’un environnement opérationnel qui s’avère plus complexe et instable que jamais et qui englobe de nouveaux domaines, comme l’espace et le cyberespace, qui sont de plus en plus au cœur de la nature du conflit. Nous traversons une période difficile, mais nous sommes résolus à réussir sur tous les fronts. Je m’engage d’ailleurs personnellement à faire des FAC une organisation plus forte, inclusive et résiliente qui saura servir la population canadienne et la rendre fière pendant de nombreuses années à venir. Nous devons le faire, car la sécurité dans le monde ne s’améliore pas, et les menaces qui pèsent sur notre nation sont manifestement en hausse. Je vous remercie de votre attention et je suis impatient de répondre à vos questions et de participer à la discussion.
La présidente : Merci beaucoup de votre exposé, lieutenant-général Eyre. Nous allons passer à la période de questions, en commençant par le sénateur Boisvenu, vice-président du comité. Je rappelle à tous les sénateurs que vous avez quatre minutes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup, madame la présidente, de cette précision sur le temps qui nous est alloué, c’est très apprécié.
D’abord, lieutenant-général, je tiens à vous saluer et vous dire toute la sympathie que j’ai pour les Forces armées canadiennes, surtout pendant ces durs moments que vous passez depuis les dénonciations liées à des comportements inappropriés.
Je sais que cela fait longtemps que vous êtes dans les Forces armées canadiennes, vous avez fait, je pense, beaucoup de missions, vous avez gravi les rangs, etc.
Par rapport à ce qu’il se passe actuellement dans les Forces armées canadiennes, en ce qui concerne les dénonciations par les victimes, personnellement, depuis combien de temps en êtes-vous conscient, combien d’années?
[Traduction]
Lgén Eyre : Merci de poser la question. Nous savons que l’inconduite sexuelle est un problème depuis un certain temps, mais ce qui est absolument clair dans la foulée des plus récentes allégations, c’est que les mesures que nous avons prises pour régler le problème ne se sont pas révélées efficaces, n’ont pas atteint le résultat escompté. Ce que nous devons faire maintenant, c’est comprendre pourquoi. Pourquoi les mesures que nous avons mises en place n’ont-elles pas été suffisamment efficaces pour réduire l’incidence de l’inconduite sexuelle ni efficaces pour changer notre culture sur tous les plans...
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Excusez-moi, lieutenant-général, ma question n’est pas là. Je ne veux pas savoir ce que vous avez fait, je suis tout à fait conscient que les Forces armées canadiennes ont pris le taureau par les cornes.
Ma question est la suivante : en tant que haut gradé, depuis quand êtes-vous au courant de ce type de comportements, d’autant plus que l’opération Honneur semble être mise de côté depuis un moment? J’essaie de comprendre la logique dans tout cela.
Vous, en tant que haut gradé, depuis combien de temps êtes-vous au courant de ces comportements?
[Traduction]
Lgén Eyre : Lorsque nous prenons conscience des allégations d’inconduite sexuelle, il nous revient à nous d’agir. En tant que chef au sein des Forces armées canadiennes — en tant que chef au sommet des Forces armées canadiennes — je m’attends à ce que tous les chefs prennent des mesures décisives lorsqu’ils apprennent l’existence d’allégations d’inconduite. Cependant, ce n’est pas juste à l’extrême limite du spectre, les allégations les plus graves d’agression sexuelle, auxquelles nous devons réagir. Ce sont tous les comportements, tout le harcèlement et tout le spectre des comportements débouchant sur de l’inconduite sexuelle que nous devons absolument mieux comprendre et auxquels nous devons réagir.
À mesure que nous progresserons, ce que nous avons entendu dire de nos membres, et ce n’est pas une seule voix que nous entendons...
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Lieutenant-général, ma question n’est pas là. Je comprends que vous avez de la difficulté à répondre, alors je vais vous poser une autre question.
Nous avons adopté, il y a deux ans, la Charte canadienne des droits des victimes dans le domaine militaire. J’ai été renversé d’apprendre, l’automne dernier, que cette charte, qui a été adoptée il y a deux ans par le Sénat — j’en étais d’ailleurs le porte-parole et j’ai moi-même fait adopter la Charte des droits des victimes en 2015 — n’a pas encore été mise en œuvre par le ministre de la Défense afin de donner l’information et la protection requises aux victimes voulant dénoncer dans les Forces armées canadiennes.
Comment expliquez-vous que cette charte, qui a été adoptée par le Sénat il y a deux ans, n’a pas encore été mise en œuvre par les Forces armées canadiennes et le ministre?
[Traduction]
Lgén Eyre : La mise en œuvre continue maintenant en tant qu’effort prioritaire. Des équipes ont été formées pour la concrétiser, pour mettre en place les directives nécessaires. Des consultations ont été réalisées en vue de réagir au changement de culture global au sein des Forces armées canadiennes, pour s’occuper des victimes et leur fournir le soutien requis...
La présidente : Monsieur Boisvenu, votre temps est écoulé.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Encore une fois, madame la présidente, lorsqu’on pose une question, il faudrait que les gens nous répondent de façon claire. Sinon, on n’obtiendra jamais de réponse dans tout le temps qui nous est accordé.
[Traduction]
La présidente : Sénateur Boisvenu, nous allons arriver à la deuxième ronde.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je tiens à souhaiter la bienvenue au lieutenant-général et je le remercie d’avoir accepté notre invitation.
Vous savez, lieutenant-général, cela fait tout près de 10 ans que je siège à ce comité. Je vous dirais que force est de constater que le gouvernement, en ce qui concerne le harcèlement sexuel et les comportements inappropriés, avait fermé les yeux sur des faits qu’il connaissait.
J’aimerais savoir, entre autres, quelles sont les mesures que vous allez être capable de mettre en œuvre afin de faire mieux que l’opération Honneur et que tous les membres des Forces armées canadiennes — au plus haut niveau aussi — puissent être traités avec égalité dans ces mêmes enquêtes.
Je vous demanderais aussi ceci, à la suite de la démission fracassante de la lieutenante-colonelle Eleanor Taylor : croyez-vous — comme vos prédécesseurs — que la solution aux cas de harcèlement doit encore venir de l’interne ou qu’il serait mieux pour les militaires de se tourner vers l’externe, comme le mentionnait le colonel Drapeau, qui est souvent venu témoigner au Comité de la défense? J’aimerais vous entendre à ce sujet.
[Traduction]
Lgén Eyre : Je crois comprendre que la question comporte deux parties. La première consiste à savoir quelles mesures nous prenons pour réagir aux préoccupations. D’abord, nous devons comprendre pourquoi les mesures que nous avons prises à ce jour n’ont pas fonctionné. Nous devons nous presser d’écouter, et non pas nécessairement nous presser d’agir. Nous devons apprendre de la base, de nos membres, leurs perspectives et leurs idées concernant la solution aux défis auxquels nous faisons face.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, nous devons aussi recourir à une expertise extérieure, consulter ceux qui sont des experts du changement de culture et de ce type de problème. Pour ma part, je suis favorable à un examen externe. Cela donne un point de vue extérieur pour notre organisation, qui nous fournira des recommandations quant à la façon de procéder, puis nous devrons appliquer ces recommandations.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Avec votre permission, madame la présidente, j’aurais une autre question.
La juge Deschamps est venue témoigner devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense et on avait parlé de la formation d’un comité indépendant. Je pense que même la juge Deschamps a mentionné que ce comité n’était que l’ombre de lui-même, qu’il avait de la difficulté à fonctionner. Peut-on espérer de votre part que, s’il y a un comité — et je suggère fortement qu’il soit indépendant —, on pourra dénoncer les inconduites sexuelles? Je peux vous dire qu’à l’heure actuelle, malgré les témoignages du général Vance, qui est souvent venu témoigner devant ce comité, on sent qu’il y a une incapacité, à l’interne, à régler ce problème.
[Traduction]
Lgén Eyre : Je serais favorable à l’examen d’un comité externe et à des recommandations qui en découleraient, ce qui nous permettrait de mieux nous voir et de mieux nous comprendre. À mesure que nous avancerons, nous devrons examiner l’ensemble des recommandations qui sont ressorties du rapport de la juge Deschamps et comprendre exactement pourquoi la mise en œuvre n’a pas été aussi efficace que nous l’aurions espéré.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’aimerais revenir aux équipements; nous avions présenté à l’époque un rapport — c’était le sénateur Lang qui était alors président — sur les équipements qui n’arrivent pas à l’armée, en raison de discussions à répétition. Toutefois, la vérificatrice générale et le directeur parlementaire du budget ont mentionné qu’il y avait eu des coûts inutiles dans des études à répétition, mais est-ce qu’on peut...
[Traduction]
La présidente : Monsieur le sénateur, je suis désolée; nous pouvons garder cette question pour le deuxième tour.
Avant de passer à la sénatrice Busson, je veux souhaiter la bienvenue à la sénatrice McPhedran, qui s’est jointe au comité. Vous êtes sur la liste.
La sénatrice Busson : Lieutenant-général Eyre, merci de votre service pour le pays. Nous, en tant que Canadiens, avons vu les problèmes s’articuler autour des cas d’inconduite au sein des FAC, et on s’est essentiellement concentré, à juste titre d’ailleurs, sur la responsabilisation, mais j’aimerais remettre un peu les choses en perspective.
À l’échelle internationale, la réputation de nos forces armées a été décrite en termes positifs; des mots comme brave, efficace, juste et fiable ont été utilisés et elles sont essentiellement, je vous le dirais, un modèle pour le maintien de la paix internationale.
Au-delà de la responsabilisation, qui semble être le sujet d’intérêt aujourd’hui et certainement celui des dernières réunions au sujet de votre leadership et du leadership d’autres personnes, quelles mesures les chefs et vous prenez-vous pour reconnaître le courage et le dévouement et encourager le moral de vos troupes et de vos employés qui n’ont rien à voir avec cette inconduite et dont le dévouement semble se perdre au milieu de tout ce négativisme?
Lgén Eyre : C’est une question fantastique qui me préoccupe grandement. Malgré les allégations et les histoires qu’on raconte, les forces armées sont composées d’excellents Canadiens qui partent et accomplissent des merveilles dans le monde. Nous devons constamment nous rappeler que, malgré les mauvaises histoires qui ressortent — et souvent, je dois me le rappeler, parce que les mauvaises nouvelles remontent souvent à la surface — nous avons des milliers d’excellents militaires des Forces canadiennes qui, même aujourd’hui, réalisent dans le monde entier des choses formidables pour les Canadiens, au péril de leur vie. Fait encore plus important, ici, au Canada, au beau milieu de la pandémie, ils s’exposent à des risques, laissant leur famille dans cet environnement très stressant pour aller s’occuper des Canadiens.
Les troupes dans le Nord du Manitoba qui aident au déploiement du vaccin dans les collectivités autochtones nordiques sont un bon exemple. Nos Rangers dans les collectivités nordiques qui contribuent à la réponse à la pandémie de COVID sont un autre exemple. Nous ne pouvons perdre de vue l’excellent travail que ces hommes et ces femmes en uniforme font partout dans le monde et ici chez nous.
La sénatrice Martin : Merci, lieutenant-général Eyre, de votre service incroyable. En tant que présidente d’honneur de l’Association canadienne des vétérans de la Corée, je sais comment nos vétérans considèrent le lieutenant-général Eyre et le travail que vous accomplissez maintenant en tant que chef d’état-major de la Défense par intérim.
Le 70e anniversaire de la bataille de Kapyong approche. Avec ma question, je veux profiter de votre expertise. Vous avez été commandant adjoint du Commandement des Nations unies en Corée, le premier non-Américain à occuper ce poste. C’est une question qui concerne l’expansion de la capacité chinoise dans le Pacifique. Pendant que vous êtes avec nous, j’espère que je peux faire appel à votre expertise sur ce qui se passe dans le cadre de cette modernisation militaire incessante et des efforts d’expansion dans le Pacifique, et il se passe beaucoup de choses dans la mer de Chine méridionale, la mer de Chine orientale et par rapport à Taïwan. Nos alliés les plus proches prennent la situation au sérieux, comme vous le savez très bien. À quel point l’expansion des capacités chinoises dans le Pacifique vous préoccupe-t-elle? Vous préoccupez-vous du fait que nous n’arrivons pas à garder le rythme? Nos plus proches alliés, les Américains, vous ont-ils fait part de ces préoccupations à vous ou à la Défense nationale?
Lgén Eyre : Merci de poser la question et merci pour les bons commentaires de la sénatrice. [mots prononcés en coréen]
C’est quelque chose qui m’inquiète beaucoup. La Chine fait des investissements massifs dans ses capacités militaires, y compris dans de nouvelles technologies comme les armes hypersoniques, l’intelligence artificielle et l’informatique quantique. Je dirais que, pour la première fois depuis le début des années 1940, nous, l’alliance occidentale, assistons à un surclassement de nos capacités militaires en ce qui concerne tant la qualité que la quantité des types de capacités militaires dans lesquelles la Chine investit.
La Chine impose sa volonté à ses voisins. Nous voyons cela constamment. La menace pour l’ordre international fondé sur les règles est importante. J’ai acquis une perspective assez unique durant la période que j’ai passée en Corée, ayant constaté directement les problèmes dans cette région du monde. Les problèmes liés au fait d’acquérir un sentiment de supériorité, d’excès de confiance, associé à un manque de communication qui pourrait causer des erreurs de calcul et une escalade imprévue. Je suis très inquiet par rapport à cette menace montante.
La sénatrice Martin : Et qu’en est-il de notre propre Nord, de l’Arctique, avec les Russes et leurs activités? Je ne peux pas entrer dans les détails, mais vous le savez très bien. Pourriez-vous aussi faire part de vos préoccupations par rapport à ce qui se passe dans le Nord du Canada?
Lgén Eyre : C’est une autre grande source de préoccupation et une des raisons pour lesquelles nous devons insister beaucoup plus sur la défense continentale et la modernisation du NORAD.
Avec les changements climatiques et l’ouverture du Nord, il y a de nombreuses parties intéressées, y compris les Chinois qui se sont eux-mêmes déclaré une nation proche de l’Arctique, peu importe ce que cela veut dire.
Les Russes accordent énormément d’attention à leurs capacités militaires dans le Nord, ce qui suppose des exercices importants, des capacités de projection, en ressuscitant des bases de l’époque de la Guerre froide pour leur utilisation. C’est quelque chose qui doit assurément nous préoccuper.
La sénatrice Martin : Merci. Je vais attendre le deuxième tour.
La présidente : La greffière m’a gentiment rappelé que j’ai omis le sénateur Dalphond. Je m’en excuse, et vous pouvez être le suivant.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Merci d’être présent ici aujourd’hui.
[Traduction]
Dans votre discours, vous faites référence à l’attrition et à la taille des forces armées. Pouvez-vous vous prononcer sur le recrutement et les taux de rétention maintenant, dans les Forces canadiennes, et dire comment les problèmes actuels influencent l’embauche et la rétention au sein des forces armées?
Lgén Eyre : Merci de poser la question. Encore une fois, c’est une grande source de préoccupation pour moi.
Nous n’avons pas encore vu les répercussions des enjeux liés à la réputation. Ce que nous avons vu, ce sont les répercussions de la pandémie, qui a limité notre pipeline de production en vue du recrutement. Par exemple, au cours du dernier exercice, nos résultats en matière de recrutement ont représenté le tiers de la normale, simplement en raison du manque de capacité pour obtenir des recrues au moyen de notre système de recrutement, puis de la réduction de notre capacité d’instruction en raison des mesures de protection de la santé.
En même temps, bien que notre taux de rétention ait augmenté, nos niveaux d’attrition sont bas. Habituellement, nous nous situons autour de 8 %, approchant parfois un taux d’attrition de 9 %, qui est, je dois le dire, le meilleur taux parmi nos alliés les plus proches. L’an dernier, ce taux a diminué à environ 6 %. Globalement, nous avons perdu près de 2 300 employés au sein de la Force régulière, puis environ le même nombre dans les réserves. Il faudra un certain temps pour compenser cette perte, et c’est ce qui explique que l’on accorde la priorité à l’instruction individuelle, au recrutement et au fait d’inviter un plus grand nombre de jeunes Canadiens à pouvoir servir leur pays.
Le sénateur Dalphond : Y a-t-il un genre d’entrevue de départ pour ceux qui partent, comme la lieutenante-colonelle Taylor? Je sais qu’elle s’exprime très ouvertement et que cela a été rendu public, mais il se peut que de nombreuses personnes partent sans rien dire. Y a-t-il un certain type d’entrevue de départ pour connaître la raison?
Lgén Eyre : Oui, il y en a une, et nous nous attendons à ce que tous les commandants effectuent des entrevues de départ auprès de leurs membres lorsqu’ils partent, pour que nous puissions mieux comprendre les raisons pour lesquelles les gens décident de passer à autre chose.
Il est normal d’avoir une certaine attrition, et nous nous attendons à voir un certain pourcentage de la force prendre sa retraite ou poursuivre d’autres possibilités. C’est sain que de nouvelles personnes continuent d’entrer, mais en ce qui concerne tout particulièrement les niveaux de commandant du côté des officiers — comme lieutenant-colonel et major — et les niveaux de sergent et d’officier marinier du côté de la Marine, c’est le leadership de niveau intermédiaire qui me préoccupe le plus et sur lequel nous devons, je crois, concentrer nos efforts de rétention.
Le sénateur Dalphond : Je vais passer au prochain tour.
Le sénateur Cotter : Merci beaucoup, lieutenant-général Eyre, de vous être joint à nous aujourd’hui et de l’excellent travail que vous avez réalisé pendant des dizaines d’années au nom de nous tous.
Ma question fait suite ou est liée à la question posée par le sénateur Dalphond et d’autres personnes sur la partie de l’équation qui concerne les gens. Il semble que, dans le monde de la sécurité nationale et de la défense, l’environnement devient de plus en plus perfectionné, vu les talents dont vous avez besoin pour faire ce travail de la meilleure façon possible durant des périodes de plus en plus difficiles — les meilleurs et les plus intelligents, pour ainsi dire.
Une de mes inquiétudes — et j’imagine que cela vous inquiète aussi — c’est que ces difficultés liées à la réputation de l’armée découragent certaines de ces personnes, qui ne songent même pas à se joindre à l’armée. Depuis plus de 100 ans, nous sommes nombreux à tirer une grande fierté de l’armée canadienne. De fait, je pense que ce sentiment s’est tranquillement implanté dans notre esprit, mais lorsque cette fierté s’érode, les gens perdent confiance et ont moins d’intérêt pour ce qui est de servir dans nos forces armées.
Je m’intéresse non seulement aux difficultés liées au fait de gérer le contexte des inconduites, mais à son effet important sur l’embauche, et l’embauche des types de gens dont vous aurez besoin dans l’avenir. Je m’inquiète aussi du fait que ces questions — en fait, comme la juge Deschamps l’a soulevé — sont profondément culturelles, et certaines des cultures les plus difficiles à changer sont celles des organisations paramilitaires. Pourriez-vous vous exprimer sur cet ensemble de préoccupations?
Lgén Eyre : Cet ensemble de préoccupations figure en haut de ma liste également. C’est un peu paradoxal que, à mesure que la population de notre pays augmente, notre bassin de recrutement traditionnel diminue en réalité. Nous devons être en mesure d’attirer du talent, en tant que Forces armées canadiennes, où que ce soit et dans quelque segment de la société canadienne que ce soit. Nous devons être une organisation attrayante pour tous les talents. Si nous ne le sommes pas, cela représentera au bout du compte une menace existentielle pour nous. Nous disparaîtrons et mourrons si nous ne pouvons pas attirer ces talents qui se trouvent chez tous les Canadiens.
Cela veut dire que nous devons voir le leadership de façon beaucoup plus inclusive. Si nous partons du principe que l’efficacité opérationnelle repose sur la cohésion et que la cohésion repose sur le travail d’équipe, à mesure que le visage du Canada changera, le visage de nos équipes va changer. Nos chefs doivent adopter une approche beaucoup plus individualisée et personnalisée par rapport à chacun de leurs subordonnés. Cela veut dire qu’il n’y a pas une solution à l’emporte-pièce. Cela signifie de comprendre leurs expériences uniques et leurs besoins en matière de perfectionnement, leurs forces et leurs faiblesses et de les traiter comme des personnes à mesure que vous formez cette équipe.
Toutes les personnes n’auront pas les mêmes expériences. Il deviendra de plus en plus important pour les chefs à tous les échelons de devenir de plus en plus avisés en ce qui concerne les compétences humaines.
Le sénateur Cotter : Les FAC peuvent-elles apporter ce changement culturel? Est-ce réalisable, selon vous? Et qu’est-ce qui est nécessaire pour y arriver?
Lgén Eyre : C’est réalisable, parce que cela doit être réalisable. Si nous ne l’atteignons pas, comme je l’ai dit, nous ne pourrons pas fonctionner comme institution au final.
Donc, à mesure que nous avancerons, nous devrons comprendre ce que nous devons intégrer dans notre instruction. Quelles méthodes de formation et d’éducation devons-nous prévoir pour changer, de sorte que ce type de leadership soit internalisé par les chefs à tous les échelons? Je n’ai pas toutes les réponses en ce moment. C’est pourquoi nous passons à travers cette phase où nous écoutons et apprenons, pour savoir ce que nous devons régler et comment le faire.
La présidente : Sénateur Cotter, votre temps est écoulé. Je souhaite la bienvenue à la sénatrice Moodie, qui s’est jointe au comité.
Le sénateur Oh : Merci, lieutenant-général Eyre, de votre exposé et de vos longs états de service pour le Canada.
Ma question pour vous aujourd’hui porte sur les menaces actuelles et les nouvelles menaces les plus graves pour la sécurité nationale du Canada. Que font le MDN et les FAC pour y réagir?
Lgén Eyre : Si j’ai bien compris la question, quelles sont les menaces les plus pressantes pour notre sécurité nationale? Est-ce exact?
Le sénateur Oh : Oui.
Lgén Eyre : Je vois ce qui se dresse devant nous comme une confluence de menaces qui pourraient se combiner sous diverses formes pour produire des menaces à facettes multiples. Grosso modo, ces menaces que j’entrevois sont une réorganisation mondiale, donc un plus grand nombre d’États autoritaires qui imposent leur volonté à des démocraties libérales, à des pays qui n’ont pas encore décidé de quel côté ils souhaitent aller, cela associé aux changements climatiques, ce qui ouvre des secteurs différents comme l’Arctique. Mais ces changements précipitent aussi des choses comme les migrations humaines, le phénomène continu de l’extrémisme mondial, y compris l’extrémisme national chez nous, jumelé à une accélération des changements technologiques, qui présentent de nombreuses nouvelles capacités tous en même temps, et nous n’avons pas découvert comment ils fonctionnaient tous ensemble. Toutes ces choses combinées, jumelées à des changements démographiques et sociétaux, ici, à la maison, créent un avenir qui est très incertain.
Pour revenir à l’aspect technologique, nous assistons à l’essor de nouveaux domaines, comme l’espace, le cyberespace, l’environnement de l’information et son importance pour façonner une volonté nationale afin d’atteindre des objectifs nationaux.
Tous ces éléments combinés produisent un vaste éventail de menaces, et cela veut dire que le monde n’est pas plus sûr. Le Canada n’est pas aussi sûr qu’il l’a déjà été, et il continuera d’être confronté à ces difficultés.
Le sénateur Oh : Merci.
Le sénateur Duffy : Lieutenant-général, merci beaucoup d’être venu et de nous faire part de votre expertise aujourd’hui. Je pense que nous avons tous en commun un sentiment de fierté envers les Forces canadiennes et un sentiment de soulagement, peut-être, lorsque nous entendons votre témoignage au sujet de votre engagement pour ce qui est d’embrasser l’avenir.
J’ai deux questions rapides auxquelles vous avez fait allusion. Quelles mesures prenez-vous pour rendre les Forces canadiennes plus attrayantes ou plus transparentes pour certains des nouveaux groupes qui sont entrés dans la société canadienne, qui sont venus ici d’autres pays où l’armée n’était pas de leur bord, où l’armée était en fait à craindre? C’est ma première question.
Ma deuxième question découle de la première, d’une certaine façon, et elle concerne votre sensibilisation dans des écoles secondaires et des universités. Certains d’entre nous se rappellent les cadets de l’armée qui exerçaient des activités aux côtés des scouts, ceux-là mêmes exerçant leurs activités auprès des réserves des Forces canadiennes, et cela a permis de bâtir un continuum de compréhension dans les petites collectivités d’un océan à l’autre, où l’on savait ce qu’était l’armée et on connaissait les grandes contributions que l’armée a faites dans le passé et celles qu’elle fera dans l’avenir. Il me semble que, tandis que vous entamez cette nouvelle phase, il pourrait être très important de revitaliser ces mesures de sensibilisation éprouvées.
Lgén Eyre : Ce sont deux excellents points. La sensibilisation est incroyablement importante. Malheureusement, la pandémie a fortement miné nos efforts de sensibilisation en raison de la distanciation physique et des aspects liés aux rassemblements. Avant la pandémie, c’est exactement ce sur quoi nous travaillions, tendant la main à des groupes différents de nouveaux Canadiens, ainsi qu’aux écoles. J’ai commencé moi-même comme cadet de l’armée et je me suis enrôlé à 12 ans. Je crois fermement au programme des cadets. Ma propre fille a fait la même chose. Ce n’est pas nécessairement un outil de recrutement. C’est plus un outil conçu pour faire naître la citoyenneté chez les jeunes Canadiens.
Au niveau de la base, selon moi, la sensibilisation est même plus importante que les publicités de recrutement, les campagnes publicitaires, et cetera. C’est une communication face à face en personne qui parle de l’organisation, qui dissipe certains des mythes, qui renseigne sur les possibilités. Je pense que c’est une partie très importante de nos efforts de recrutement et d’attraction à mesure que nous avançons.
La sénatrice McPhedran : Je tiens à reconnaître, lieutenant-général Eyre, que c’est un moment très difficile d’être chef d’état-major de la Défense par intérim, et je vous remercie de votre service.
J’ai eu de nombreuses expériences positives avec les Forces armées canadiennes dans un certain nombre de pays différents ainsi que dans l’Arctique ici, au Canada. Je tiens à exprimer ma reconnaissance pour leur service. J’aimerais aussi cibler mes questions sur les employés qui n’ont peut-être pas reçu autant d’attention, et je parle de vos employés civils.
J’ai suivi un cas particulier qui provient d’Edmonton. Je ne donnerai pas de noms ni de détails permettant d’identifier la personne, mais en tant qu’avocate qui a géré de nombreux aspects différents de cas de harcèlement dans toute une gamme de situations d’emploi avant de venir au Sénat, j’ai été vraiment choquée par cette affaire particulière. Il y a deux employés civils. C’est une affaire de harcèlement. D’après mes calculs, nous sommes maintenant rendus au 690e jour, et il n’y a pas eu de règlement. Le commandant de qui relèvent ces employés civils est resté en poste. Avec l’aide de mon équipe dans mon bureau, j’ai en fait assemblé une chronologie très détaillée et je serai heureuse de la transmettre si quelqu’un regarde en ce moment ce qui, je dirais, est un cas très clair de deux poids, deux mesures.
Nous voici donc dans une situation très difficile, préoccupés à juste titre par des affaires qui ressortent des forces armées, et je tenais vraiment à vous demander votre avis sur les employés civils et souligner que, lorsqu’une des employés — j’ai suivi ses tentatives pour obtenir un certain type de réparation — a posé des questions pour la première fois au sujet de l’opération Honneur, elle s’est clairement fait dire que cela ne s’appliquait pas aux employés civils.
Lgén Eyre : Madame la présidente, assurément, c’est un des domaines dans lesquels nous devons accroître notre présence. C’est tout à fait vrai, l’opération Honneur porte uniquement sur les militaires des FAC, mais à mesure que nous allons de l’avant, nous devons reconnaître que nos partenaires de l’équipe de défense, nos employés civils, doivent bénéficier d’un type de soutien semblable. Lorsque nous avons ces intersections de rencontres entre militaires et civils ou des plaintes... parce que nous avons de nombreux civils qui travaillent pour les militaires. Nous avons de nombreux militaires qui travaillent pour des superviseurs civils. Dans l’avenir, il ne sera plus logique d’isoler les deux dans deux cloisons distinctes.
Nous avons entendu parler de ce besoin, pendant que nous écoutons et apprenons, et pour l’avenir, nous devons prendre conscience de la nécessité d’un mécanisme de plainte mieux intégré.
La sénatrice McPhedran : J’ai une autre question rapide, si je peux.
Lieutenant-général Eyre, lorsque nous vous entendons parler d’« écouter et apprendre », pourriez-vous clarifier où le leadership des femmes s’inscrit dans ce processus actuel?
Lgén Eyre : Si j’ai bien compris la question, où les femmes chefs s’inscrivent-elles dans le processus lorsqu’il s’agit d’écouter leurs préoccupations, ou où s’inscrivent-elles pour ce qui est d’écouter d’autres femmes?
La sénatrice McPhedran : Ma question porte vraiment sur le groupe d’intervention ou le modèle que vous utilisez pour...
La présidente : Sénatrice McPhedran, je suis désolée, votre temps est écoulé. Aimeriez-vous poser votre question au deuxième tour?
La sénatrice McPhedran : Absolument. Merci.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, lieutenant-général, non seulement d’avoir passé toute votre vie au service de l’armée canadienne, mais aussi d’assumer cette responsabilité en ce moment crucial. J’ai deux questions, une qui concerne les pays étrangers et l’autre, le Canada. Je viens d’Edmonton, qui abrite la BFC Edmonton. Toute la ville a été profondément touchée par l’expérience de l’armée canadienne en Afghanistan. Beaucoup de personnes dans ma collectivité portent toujours les cicatrices, le TSPT, de ces expériences. Nous voyons maintenant le nouveau gouvernement américain qui cherche à extirper les États-Unis de leur rôle en Afghanistan. Pourriez-vous nous dire, à la lumière de vos propres expériences là-bas, quelles seraient certaines des vulnérabilités qui se feront jour lorsque les Américains se retireront? À quel point cette région sera-t-elle stable à votre avis? Et prévoyez-vous qu’il puisse être nécessaire de mener de nouveau des opérations de maintien de la paix dans cette région à un moment donné?
Lgén Eyre : C’est une question à laquelle je réfléchis depuis un certain temps, ayant passé une bonne partie du milieu de ma carrière dans cette région du monde, ayant aussi été stationné à Edmonton et ayant fait des déploiements à partir de là-bas. Après 20 ans dans ce pays, le gouvernement américain a décidé de se retirer. Quels sont certains des risques dans l’avenir? En fait, j’ai eu samedi une bonne discussion avec mon homologue américain à ce sujet, à mesure que le pays retire ses forces. C’était une décision délibérée de la part des États-Unis. Bien sûr, il y a des risques. Nous ne savons pas ce que l’avenir de ce pays apportera en ce qui concerne la forme de gouvernement qu’il aura, s’il y aura un accord de gouvernance négocié dans cette région du monde. Je l’ignore à l’heure actuelle.
Je repense à notre contribution dans ce pays, et c’est quelque chose à quoi je pense depuis quelques années, la question de savoir si cela en valait la peine, la question que tous ceux d’entre nous qui ont servi dans cette région du monde se posent en ce moment : mon service en valait-il la peine? Eh bien, c’est trop tôt pour le dire. C’est trop tôt pour dire si les 20 années d’éducation que nous avons données à ce pays, en l’exposant au monde extérieur, en lui faisant voir un avenir différent, changeront les choses en fin de compte. Nous ne le savons tout simplement pas.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup. Ma deuxième question est très différente et peut-être plus délicate. Durant la période où nous avons vu une montée du nationalisme blanc et de la violence néofasciste, on a évoqué des préoccupations dans certains milieux concernant la mesure dans laquelle les membres de nos forces policières et de notre armée peuvent avoir été impliqués dans certains de ces mouvements de suprémacistes blancs. Je me demande si vous pourriez me dire pas seulement ce que vous faites pour réagir aux problèmes de l’iniquité raciale au sein des Forces armées canadiennes, mais ce que vous faites pour aller au fond de ces préoccupations liées au fait que l’armée soit un terreau fertile pour la radicalisation des suprémacistes blancs.
Lgén Eyre : Madame la présidente, c’est une autre de mes préoccupations. Il semble que nous soyons en train de passer en revue une liste d’épicerie de mes préoccupations, et comme vous pouvez le voir, j’en ai un très grand nombre. C’est une toxicité qui existe dans notre culture. Nous devons nous assurer que cette toxicité ne s’infiltre pas dans nos rangs, parce qu’il n’y a aucune place pour cela : donc un meilleur filtrage, une meilleure compréhension de la menace.
Nous devons aussi comprendre que cette menace des organisations extrémistes continue de se transformer. Lorsque nous avons mis en place des mesures, elles ont changé leurs symboles, leurs noms et leurs façons d’agir. Elles deviennent plus intégrées dans la société. C’est quelque chose par rapport à quoi nous devons être constamment vigilants et nous devons renseigner nos chefs sur les mêmes choses, c’est-à-dire savoir quels indicateurs rechercher et quels comportements reconnaître, y compris les comportements en ligne lorsque ceux-ci sont portés à notre attention. C’est quelque chose par rapport à quoi nous ne pouvons absolument pas baisser notre garde, car chaque militaire en Occident fait face au même type de menace de l’intérieur.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
La sénatrice Moodie : Merci, lieutenant-général Eyre, de la responsabilité que vous assumez et de votre service durant cette période difficile au Canada. Ma question va dans le sens de la question de la sénatrice Simons au sujet de la radicalisation au sein des forces armées, et elle a trait au niveau de compréhension que vous avez actuellement au sein de l’armée.
L’automne dernier, vous avez signé des décrets pour sévir contre la haine et l’extrémisme dans les forces armées. À l’époque, vous avez fait une mise en garde, disant que la discrimination et la haine au sein des rangs constituent une menace directe pour notre capacité d’accomplir nos missions de sécurité et de défense. Pourriez-vous nous fournir un compte rendu? J’aimerais obtenir un compte rendu principalement sur la portée de la menace au sein des forces armées. Je recherche des données et des rapports, si vous en avez, qui ont été produits pour évaluer la portée et l’ampleur du problème dont vous venez de parler et sur lequel la sénatrice Simons a posé sa question, ainsi que tout ce qui va au-delà de cette enquête interne de 2019 qui a peut-être contribué à votre décision de mettre en place ces décrets.
Lgén Eyre : Merci de poser la question. La chose importante que ce décret a faite — et il découlait effectivement d’un décret des forces armées publié plusieurs mois auparavant — était de définir ce qui constitue un comportement haineux. Si vous pouvez définir quelque chose, vous pouvez le reconnaître. Pour commencer, comme nous avons mené beaucoup de consultations externes pour nous assurer que nous faisions bien les choses, c’est ce qu’il a permis. Puis, il a expliqué un éventail de comportements, à partir des commentaires inacceptables jusqu’à la participation à des organisations extrémistes violentes.
Il importe de comprendre tout ce spectre, parce que c’est un des facteurs en cause lorsque nous traitons avec des personnes trouvées coupables d’avoir commis des actes le long de ce spectre. Nous devons examiner combien de temps ils ont été avec nous. C’est quelque chose que j’appelle « déterminer le seuil de la réhabilitation ». Si quelqu’un vient de se joindre aux forces, a passé 18 ou 20 ans à vivre dans le reste de la société et se joint à nos rangs et fait un commentaire raciste ou extrémiste, pouvons-nous réhabiliter cette personne ou cette personne se situe-t-elle au-delà de ce seuil? C’est un bon outil décisionnel qui aide nos commandants à déterminer ce qu’ils doivent faire avec ces personnes. Maintenant, il y a certains actes qui dépassent clairement ce seuil, comme l’appartenance à ces organisations. C’est aussi important.
Nous en sommes venus à comprendre que ces décrets sont seulement la première étape. Il y a une compréhension continue à mesure que la menace évolue, donc vous pouvez la reconnaître et continuer d’agir.
L’autre chose que je suis très impatient de poursuivre, c’est d’accélérer le congédiement de personnes qui ont dépassé ce seuil de réhabilitation, afin de les faire sortir des forces armées le plus rapidement possible tout en suivant le processus d’application régulière de la loi que nous sommes légalement obligés de suivre.
La sénatrice Moodie : J’ai une deuxième question si je le peux, madame la présidente.
La présidente : Oui, rapidement s’il vous plaît.
La sénatrice Moodie : Je change d’orientation. À l’immense honneur des forces armées, le renseignement militaire a publié des alertes précoces concernant la COVID-19 en janvier 2020, des mois avant que le gouvernement ne commence à réagir. Seriez-vous en mesure de parler plus en détail de ces alertes, de dire ce qu’elles comprenaient, à qui elles étaient adressées, qui les a rédigées et quels processus de suivi ont eu lieu après qu’elles ont été envoyées à l’ASPC?
Lgén Eyre : Je n’ai pas les détails exacts que vous demandez, mais je peux dire, du point de vue du renseignement, que nous continuons d’analyser l’horizon à la recherche de menaces émergentes dans le monde. Nous sommes associés de près à nos partenaires internationaux, plus particulièrement les parties à l’entente de partage de renseignement avec le Groupe des cinq, laquelle est extrêmement importante pour notre sécurité nationale. Nous sommes aussi en contact étroit avec nos partenaires dans d’autres ministères et organismes ici, au gouvernement. L’information et le renseignement sont souvent communiqués à cette fin. Mais en ce moment, je n’ai pas les détails précis concernant la communication de l’alerte précoce de la pandémie.
La présidente : Nous passons à la deuxième série de questions, mais avant, j’aimerais poser une question. Tout d’abord, merci encore d’être ici et d’avoir servi le Canada. Je m’intéresse à l’opération Reassurance en Lettonie. La Presse canadienne a signalé que certains membres ont eu un résultat positif à la COVID-19. J’aimerais savoir comment cela s’est répercuté sur l’instruction en cours. Ensuite, y a-t-il eu une augmentation des agressions dans la région en raison de la pandémie et de son effet sur les troupes de nos pays de l’OTAN qui y participent?
Lgén Eyre : Madame la présidente, l’opération Reassurance a vu apparaître quelques éclosions de cas positifs à la COVID, non seulement dans notre propre contingent, mais dans celui des autres pays alliés qui ont contribué à notre groupement tactique de présence avancée renforcée. Ce groupement tactique a pris des mesures exceptionnelles pour contenir ces éclosions, tout en continuant d’être prêt à rassurer les populations de nos alliés de l’OTAN et à décourager l’agression russe. Nous n’avons vu aucune agression russe supplémentaire dans cette région du monde ou dans ce théâtre.
Je peux aussi dire que, très bientôt, nous commencerons notre campagne d’immunisation pour cette mission. Nous avons déjà commencé dans notre mission au Moyen-Orient. Nous avons commencé samedi, je crois, à plus ou moins un jour près. Donc, la vaccination des membres de nos missions à l’étranger commence véritablement cette semaine.
La présidente : Merci beaucoup. Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons passer à la deuxième série de questions.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup, lieutenant-général. Je veux répéter toute l’admiration que j’ai pour les Forces armées canadiennes et ça vous concerne également. J’ai des questions très importantes à vous poser.
Selon les informations actuelles, le nombre de femmes qui ont quitté les forces armées est disproportionnel par rapport au nombre d’hommes. Cela est principalement attribuable au fait que les femmes n’ont plus l’impression qu’elles sont protégées dans les forces armées lorsqu’elles dénoncent des abus. J’essaie de comprendre, car depuis des années, les forces armées affirment que leur priorité est le recrutement et la protection des femmes. Si la Charte canadienne des droits des victimes a pour but de protéger les droits des femmes qui quittent l’armée aujourd’hui, comment réussira-t-on à recruter d’autres femmes si deux ans après son adoption par le Parlement, la Charte des droits des victimes n’est pas encore appliquée dans les Forces armées canadiennes? Comment expliquez-vous cela?
[Traduction]
Lgén Eyre : Madame la présidente, la rétention de tous les militaires des Forces canadiennes que nous voulons garder est une priorité. Maintenant, je ne peux pas parler en détail du taux d’attrition des hommes par rapport aux femmes. Je me rappelle une séance d’information, où on m’a dit que le taux était en fait inférieur dans le cas des femmes. Mais je prendrai la question et j’obtiendrai les données exactes sur les taux d’attrition pour les femmes par rapport aux hommes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous avez raison pour ce qui est du nombre absolu, c’est moins élevé, mais pour ce qui est de la proportion des femmes, on sait qu’il y en a très peu dans les forces armées. Cela n’a aucun rapport.
Quel est le plan de travail au bureau du ministre — et à mon avis, ce qui se passe dans les forces armées n’est pas une priorité — pour faire en sorte que la Charte canadienne des droits des victimes dans le domaine militaire soit mise en œuvre? Quel est votre plan de travail?
[Traduction]
Lgén Eyre : Si j’ai bien compris votre préoccupation, c’est le délai qu’il a fallu pour mettre en œuvre ce projet de loi. Dans l’avenir, je peux vous dire que c’est une priorité d’achever le travail. Mettre cela en place est un aspect clé de ce que nous ferons dans l’avenir et pour changer notre culture afin de nous assurer que nos victimes continuent de recevoir des soins.
Le sénateur Boisvenu : À quel moment?
Lgén Eyre : Madame la présidente, je n’ai pas le calendrier sous les yeux.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci.
Le sénateur Dagenais : Merci encore d’avoir accepté notre invitation, lieutenant-général. J’aimerais vous parler des équipements.
Notre comité, la vérificatrice générale du Canada et le directeur parlementaire du budget ont émis des constats accablants sur la lenteur et les coûts inutiles des différents processus de renouvellement des équipements. Je dirais que cette situation, pardonnez-moi l’expression, pourrait passer pour du « traînage de pieds ». Mais selon vous, est-ce que cela relève de la responsabilité militaire ou de la responsabilité politique?
On a fait beaucoup d’études qui ont coûté des millions de dollars, mais actuellement, on ne voit pas de changement d’équipements au sein de l’armée, si on ne parle que des avions...
J’aimerais vous entendre à ce sujet.
[Traduction]
Lgén Eyre : De mon point de vue, la question de l’acquisition d’équipement ne relève pas de moi. Cependant, je peux dire que, plus tôt nous mettrons de l’équipement moderne entre les mains de nos hommes et de nos femmes en uniforme, mieux nous nous porterons en tant que forces armées. La définition des capacités, la formation par rapport aux capacités et le fait de les mettre dans les mains des gens qui en ont absolument besoin doivent être des priorités.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je tiens à vous le rappeler, lieutenant-général, car vous êtes sûrement au courant que même le gouvernement avait consenti à l’achat de pièces de rechange pour réparer les vieux avions de l’armée.
Alors, quand serons-nous capables d’acquérir des F-35 au lieu de réparer nos vieux avions avec des pièces de rechange? Je comprends que cela ne relève pas de vous, mais cela concerne quand même l’armée. D’ailleurs, cela peut mettre en péril les ententes que nous avons avec nos alliés, n’est-ce pas?
[Traduction]
Lgén Eyre : Je crois savoir que la concurrence pour le nouveau chasseur est en cours. Nous nous sommes assurés que la flotte actuelle de CF-18 sera en bon état de service et prête jusqu’à ce que la nouvelle flotte arrive.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, lieutenant-général, pour votre réponse.
[Traduction]
Le sénateur Dalphond : Lieutenant-général, durant les questions de la sénatrice Martin et du sénateur Oh, vous avez parlé de l’apparition de nouvelles menaces, et j’admets ces descriptions. À votre avis, quelle est la meilleure réponse? Est-ce par l’entremise du NORAD, de l’OTAN ou un mélange des deux? Bien sûr, le NORAD défend le pays, parce que c’est en Amérique du Nord; l’OTAN est européen. Autrefois, l’OTAN se concentrait presque exclusivement sur la Russie, mais la nouvelle source de la menace de totalitarisme est maintenant la Chine. Comment voyez-vous les choses, étant donné que l’espace est militarisé également?
Parmi les nombreux défis que vous devez surmonter, comment voyez-vous notre partenariat stratégique avec le NORAD et l’OTAN? Devrait-il y avoir une place pour nous dans l’espace avec le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord?
Lgén Eyre : Je crois fermement que l’avantage concurrentiel du Canada tient à la participation à un groupe d’alliés et de partenaires aux vues semblables. En tant que pays relativement petit, il est dans notre intérêt de maintenir les relations avec nos principaux alliés, qu’ils soient à l’OTAN, ici, sur le continent, ou dans le théâtre indo-pacifique. Le maintien de ces partenariats est absolument essentiel.
J’aime utiliser l’analogie d’une cour d’école. Pour se défendre devant un intimidateur, les jeunes enfants se mettent ensemble, donc nous devrions nous tenir aux côtés du reste des jeunes enfants pour être en mesure de nous défendre contre l’intimidateur.
Le sénateur Dalphond : Et rester amicaux avec le plus grand d’entre eux, qui se trouve au sud. Merci.
La sénatrice Busson : J’ai une question. Lieutenant-général Eyre, merci encore une fois de votre exposé. Il m’a rappelé la complexité sans précédent de la sécurité nationale ces jours-ci. Dans votre exposé et dans les autres questions auxquelles vous avez répondu — au moins deux fois, peut-être davantage — vous avez dit que le monde n’est pas plus sûr; cela a vraiment capté mon attention, et j’espère que c’était le cas pour beaucoup d’autres personnes également. On a probablement jamais dit rien de plus vrai.
Ma question concerne le renseignement militaire. On a dit que les Forces armées canadiennes repoussent leurs limites dans la majeure partie du travail qu’elles accomplissent et que cette capacité de relever d’énormes défis vient de nos réseaux avec l’armée et d’autres agents du renseignement.
Étant donné que, selon votre expérience, le ministre Sajjan et vos employés doivent travailler en étroite collaboration avec le ministre Blair, vu ses responsabilités par l’entremise du SCRS, du CST et de la GRC, ainsi qu’avec Affaires mondiales dans le travail que ce ministère fait à l’échelle nationale et internationale, à quel point êtes-vous à l’aise avec la capacité du Canada de communiquer des renseignements entre des organisations pour garantir que le pays a un réseau transparent à l’égard du renseignement que chacun de ces groupes recueille, lequel, essentiellement, doit être communiqué et coordonné pour que son efficacité soit maximale?
Lgén Eyre : Madame la présidente, je continue d’acquérir de l’expérience sur ce plan, mais j’ai vu jusqu’ici qu’il y a de bonnes relations entre les divers partenaires au sein du Canada.
Les rapports que je reçois de notre chef du renseignement de la Défense montrent la même chose : des relations très solides. Nos relations avec le Groupe des cinq et d’autres partenaires, qui sont tout aussi importantes, continuent d’être très solides et c’est quelque chose que nous devons continuer de protéger dans l’avenir.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup.
La sénatrice Martin : Encore une fois, merci, lieutenant-général Eyre, du leadership que vous apportez à notre pays durant cette période, en plein milieu de toutes les préoccupations en matière de sécurité de notre monde complexe, avec en prime la pandémie. Votre leadership est fort nécessaire.
Je vais revenir à une question que la sénatrice Moodie a posée concernant le fait que l’armée avait alerté le gouvernement au sujet de la pandémie dès janvier 2020. Je me demande si vous pourriez déposer un rapport sur ce que le gouvernement s’est fait dire et pourquoi il y a eu un tel retard dans la réponse du gouvernement. Merci.
Lgén Eyre : Madame la présidente, je devrai prendre note de la question.
La sénatrice Martin : Merci. Kamsahamnida.
Le sénateur Cotter : Merci beaucoup. Ma question porte sur les tensions qui s’accentuent à la frontière entre l’Ukraine et la Russie, et, dans les limites de ce que vous pouvez nous communiquer; je m’interroge sur les intérêts du Canada et la façon dont le Canada est sollicité sur cette question.
Lgén Eyre : C’est un autre point chaud que nous observons de près et qui est préoccupant.
Durant les dernières semaines, nous avons vu une augmentation sans précédent des forces russes dans le théâtre de la Crimée, et nous les observons donc de près pour déterminer leur intention. Nous avons aussi vu une hausse de la propagande russe affirmant qu’il y avait eu des violations du cessez-le-feu, de l’agression ukrainienne et des situations analogues sur ce théâtre. Nous devons féliciter nos amis ukrainiens pour leur attitude et leurs efforts visant à contenir l’escalade et à éviter les réactions excessives.
Notre force opérationnelle avec l’opération Unifier, qui mise sur le renforcement de la capacité auprès des forces ukrainiennes, se concentre entièrement sur la partie occidentale du pays loin des zones menaçantes. Cela dit, elle surveille aussi de près la situation et continue de nous fournir des comptes rendus.
La présidente : Sénateur Oh, avez-vous une question pour le deuxième tour?
Le sénateur Oh : Madame la présidente, je n’ai pas de question.
Le sénateur Duffy : Lieutenant-général, vous parlez du manque de personnel ou de la diminution de l’effectif, dans les forces armées. Avez-vous un chiffre? Quelles ont été les économies pour les Forces canadiennes? Le Conseil du Trésor vous a-t-il permis de garder l’argent qui n’avait pas été dépensé au titre de ces salaires, pour que vous puissiez l’affecter aux nombreux bons endroits qui, j’en suis sûr, ont besoin de cet argent?
Lgén Eyre : Je n’ai pas de réponse à cette question. Je vais en prendre note et vous revenir.
Le sénateur Duffy : Je présume que vous ne le refuserez pas.
Lgén Eyre : Absolument pas.
Le sénateur Duffy : Merci.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. Je vais tenter de clarifier ma question précédente.
J’ai été très frappée par un de vos récents prédécesseurs qui a publié sur les médias sociaux une photo d’une réunion de haut niveau de ses plus proches collègues, qui avaient présumément un commandement partagé, en train de parler de diversité. Mais il y avait une seule femme à la table, et c’était très difficile de voir une grande diversité au-delà de cela.
Ma question concerne non seulement l’écoute, mais le fait de savoir qui écoute? Qui va prendre les décisions? Et où le leadership de la femme s’inscrit-il dans votre modèle?
Lgén Eyre : Nous devons augmenter la diversité de notre cadre de direction. Une des difficultés tient à notre système. Combien de temps faut-il pour former un officier général qui a 30 ans d’expérience? Il faut 30 ans.
Au cours des six dernières années, nous avons triplé le nombre de femmes occupant des postes d’officiers généraux et nous avons doublé la cohorte de niveau intermédiaire des niveaux de lieutenant-colonel et de commandant, des femmes chefs. Donc, au cours des six prochaines années environ, cette cohorte grossira les rangs des officiers généraux. Il faut du temps, mais nous faisons des progrès.
Cela dit, nous nous assurons de mettre des femmes chefs dans des postes clés afin de pouvoir nous assurer d’avoir tous les points de vue nécessaires pour apporter les changements qu’il nous faut dans l’avenir. Je dois aussi ajouter que les femmes que nous sélectionnons sont tout à fait qualifiées pour les postes.
La sénatrice McPhedran : Oui, je comprends parfaitement. La période où nous discutions de gestes symboliques est depuis longtemps révolue.
J’avais une deuxième question au sujet du budget, mais je vais m’en tenir à cette question, parce que je partage certaines des frustrations que mes collègues, le sénateur Boisvenu et le sénateur Dagenais, ont exprimées concernant la spécificité de la réponse.
Dans la mesure où le temps nous le permet, monsieur, pourriez-vous clarifier davantage ce qui vous semble l’équilibre du point de vue du nombre? C’est de votre ressort. Vous décidez qui travaillera avec vous pour réagir à ces enjeux primordiaux. Pourriez-vous aussi nous dire comment l’inclusion d’anciens militaires — par exemple, des organisations comme It’s Just 700 — s’insère dans votre processus décisionnel et votre modèle d’action dans l’avenir?
Lgén Eyre : Dans le cadre du modèle où nous écoutons, apprenons et agissons, le fait d’écouter ces organisations est à l’avant-plan. J’ai assisté à une séance d’information, une table ronde, il y a plusieurs semaines, où It’s Just 700 était représentée et a présenté des arguments très solides concernant ce que nous devons faire pour améliorer les choses. Tandis que nous continuons d’écouter, ce sont ces organisations... nous écoutons les victimes, des experts de l’extérieur, des universitaires et nos employés au niveau de la base qui ont des idées, des suggestions et des expériences de ce qui doit se passer. À mesure que nous écoutons et apprenons, nous continuons de recueillir leurs idées.
Dans le cadre de ce processus d’écoute, on fait appel à quatre domaines : répondre, prévenir, soutenir et inclure. À mesure que nous recueillons ces idées, nous les combinons avec des observations et des recommandations issues d’un examen externe, et cela jettera les fondements d’un plan délibéré pour l’avenir.
La sénatrice McPhedran : Combien de femmes participeront à ce plan dans l’avenir? Qui passera à l’action?
La présidente : Je suis désolée, madame McPhedran, votre temps est écoulé.
La sénatrice Simons : Lieutenant-général, quand j’ai posé ma première série de questions, j’ai fait allusion au nombre de personnes aux prises avec un TSPT chez les gens qui sont revenus d’Afghanistan. Je n’ai pas besoin de vous le dire j’en suis sûre, les conséquences de cette mobilisation pour les gens qui étaient là-bas sont de très longue durée, et cela comprend des nombres horribles de suicides de personnes qui ont servi.
Je me demande : 20 ans après le début de cette mobilisation, que pensez-vous que les Forces armées canadiennes ont appris au sujet du TSPT? Quelles erreurs ne seront pas commises de nouveau? Quelles garanties avons-nous que les futurs combattants ne feront pas face aux types de problèmes auxquels les vétérans de l’Afghanistan ont été en butte lorsqu’ils sont revenus?
Lgén Eyre : C’est quelque chose que nous continuons d’apprendre chaque jour. Je pense qu’il importe de souligner que le TSPT n’est pas binaire. C’est une échelle, et nous avons des membres qui continuent de fonctionner pleinement tout en éprouvant dans une certaine mesure ou non un TSPT.
Je n’ai pas les statistiques complètes, parce que sur une période de 20 ans, un bon nombre de ces membres sont passés à autre chose. Anciens Combattants fait peut-être le suivi de certains de ces chiffres.
Pour ce qui concerne les suicides, c’est quelque chose que nous surveillons de très près au sein des Forces armées canadiennes. Je suis heureux de signaler que, au cours des cinq dernières années, le nombre de suicides est demeuré stable, y compris l’an dernier, au milieu de la pandémie, malgré des stresseurs accrus influant sur notre santé mentale.
Cela dit, nous devons continuer d’appliquer ce que nous avons appris. La stratégie de prévention du suicide que nous avons présentée il y a trois ans comportait une approche d’atténuation des risques par niveaux afin de réagir à tous les divers stresseurs qui mèneraient au suicide, comme l’échec de relations, l’alcoolisme, la toxicomanie, l’endettement, les blessures physiques menant à des blessures mentales. Nous devons continuer de renseigner nos chefs sur ces signaux d’alarme et sur les mesures d’atténuation à mettre en place.
Pour ce qui est de préparer nos gens à des opérations futures, nous devons prendre les leçons tirées des outils d’adaptation et de résilience que nous avons élaborés et nous assurer qu’ils sont pleinement équipés. La formation En route vers la préparation mentale n’est qu’un aspect de ces outils qui permettent à une personne de mieux composer avec les stresseurs de l’expérience de guerre opérationnelle, mais aussi de la vie militaire, qui peut parfois être assez stressante.
Pour terminer, je vais dire que l’équipe de notre médecin-chef a présenté la formation En route vers la préparation mentale pour la pandémie et l’a distribuée à nos membres, en raison des stresseurs additionnels qu’imposent des choses comme la distanciation physique menant à une distanciation sociale et à une déconnexion sociale.
La sénatrice Simons : Nous avons parlé de la Chine, de la Russie et de l’Afghanistan, mais surveillez-vous d’autres théâtres mondiaux? Je pense aux fois où nous pourrions être appelés pour maintenir la paix. Je pense aux nouvelles que je vois au sujet du Yémen, du Cameroun et de l’Érythrée. Sachant que ce ne sont pas des endroits qui présentent une menace directe pour nous, quel est notre état de préparation pour ce qui est de surveiller des lieux où nous pourrions être appelés à maintenir la paix à une date ultérieure?
Lgén Eyre : Nous maintenons une surveillance mondiale afin de cerner et de comprendre ces types de points chauds dans le monde, que ce soit au Moyen-Orient comme vous l’avez dit, en Afrique, ou dans la région Indo-Asie-Pacifique. Il y a de nombreux points chauds dans le monde, comme vous l’avez mentionné, et il n’y a aucune pénurie de débouchés futurs possibles pour les FAC.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
La sénatrice Moodie : Lieutenant-général, pouvez-vous confirmer si les forces armées ont fait partie de l’examen de la réponse précoce à la pandémie du Canada demandé par la ministre Hajdu l’an dernier?
Lgén Eyre : Madame la présidente, je ne le sais pas. Je devrai prendre note de la question.
La présidente : J’ai une dernière question pour vous, mais permettez-moi de fournir un contexte, parce que je reprends la question que la sénatrice McPhedran a soulevée en référence à une photographie que nous avons vue d’un commandant supérieur parlant de diversité et d’un manque clair de diversité.
En tant que Canadiens, nous nous attendons à voir un certain engagement à l’égard de ces discussions, mais ces discussions doivent aussi inclure divers groupes qui sont représentés dans le contexte canadien. Donc, je pense que ce que la sénatrice McPhedran tentait à juste titre de souligner, c’est si nous pouvons nous attendre à un engagement de votre part, en tant que nouveau chef, à savoir que non seulement ce que nous entendons, mais ce que nous voyons, commencera à être différent.
Lgén Eyre : Oui. Tout d’abord, ces décisions que nous prenons et ces discussions que nous tenons ne peuvent se faire isolément. Elles doivent absolument être guidées par des opinions d’experts et par les personnes qui possèdent l’expérience voulue afin que l’on s’assure qu’elles vont réellement fonctionner.
À mesure que nous avancerons, nous devrons examiner les choses du point de vue d’une victime, parce que nous pourrions dire que nous avons réalisé des progrès sur un nombre « X » d’années, mais si nous regardons les choses du point de vue d’une victime ou d’une personne qui a eu une expérience différente ou qui provient d’un milieu différent, cela ne sera pas nécessairement le cas, et nous devons donc changer notre cadre de référence. Nous devons absolument assurer une plus grande diversité dans nos rangs décisionnels.
La présidente : Merci beaucoup. Juste comme précision, sans cela, je pense que vous aurez du mal à recruter des gens lorsqu’ils ne voient pas des gens qui leur ressemblent. Je pense que c’est ce que de nombreuses organisations ont constaté.
Je tiens à vous remercier très sincèrement d’avoir été ici. Ce n’est pas arrivé très souvent qu’un témoin comparaisse seul pendant 90 minutes, donc nous sommes très reconnaissants de votre présence moyennant un très court préavis et de votre volonté de venir et de la candeur avec laquelle nous avez répondu aux questions auxquelles vous pouviez répondre. Nous vous souhaitons tout le succès possible dans votre leadership futur et, comme toujours, nous souhaitons aux militaires des forces armées bonne chance dans leurs divers théâtres; nous leur sommes aussi très reconnaissants de leur service pour notre pays.
Le sénateur Duffy : Bravo.
(La séance se poursuit à huis clos.)