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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 16 mai 2023

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui à 9 h 4 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je tiens d’abord à souligner que nous sommes rassemblés sur le territoire ancestral non cédé de la nation algonquine anishinabe, qui abrite aujourd’hui de nombreuses autres Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’ensemble de l’île de la Tortue.

Je suis le sénateur micmac Brian Francis d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Avant de commencer notre réunion, j’aimerais demander aux membres du comité de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.

Le sénateur Arnot : Bonjour, je suis le sénateur David Arnot et je suis originaire du territoire visé par le Traité no 6, en Saskatchewan.

La sénatrice Hartling : Bonjour, je suis la sénatrice Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, du territoire visé par le Traité no 7, en Alberta.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki .

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, du territoire visé par le Traité no 6, en Colombie-Britannique.

La sénatrice Audette : [mots prononcés dans une langue autochtone] Michèle Audette, du Québec [mots prononcés dans une langue autochtone].

Le président : Je vous remercie, chers collègues. Nous accueillons également aujourd’hui la sénatrice Mary Jane McCallum. Merci de votre présence, sénatrice McCallum.

Aujourd’hui, nous poursuivons l’étude du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.

Avant de commencer, je voudrais demander à tout le monde de faire en sorte que nos échanges soient aussi brefs que possible. En raison des contraintes de temps, chaque sénateur disposera de cinq minutes pour poser une question et recevoir une réponse. Nous accorderons la priorité aux membres du comité et passerons ensuite à d’autres collègues si le temps le permet. Enfin, s’il nous reste du temps, nous entamerons une deuxième série de questions.

J’aimerais maintenant présenter notre premier groupe de témoins : Bobby Cameron, chef de la Fédération des nations autochtones souveraines; Cathy Merrick, grande cheffe de l’Assemblée des Chefs du Manitoba; Darlene Angeconeb, représentante du conseil S.A.F.E, Première Nation Nishnawbe Aski.

Je vous remercie tous de vous être joints à nous aujourd’hui. Chaque témoin pourra faire une présentation d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une séance de questions et de réponses. Dans un souci d’équité et de respect du temps imparti, une fois les quatre minutes écoulées, je vais brandir ce panneau pour vous indiquer qu’il ne vous reste qu’une minute avant la fin de votre temps de parole.

J’invite maintenant le chef Cameron à présenter ses observations préliminaires.

Bobby Cameron, chef, Fédération des nations autochtones souveraines : Bonjour à tous et à toutes. Nous remercions Dieu, notre Créateur, pour cette belle journée. [mots prononcés dans une langue autochtone]

Je tiens à saluer chacun et chacune d’entre vous, les sénateurs présents dans la salle, les témoins et toutes les autres personnes. Nous remercions Dieu, notre Créateur, pour cette si belle journée. J’aimerais aussi saluer et remercier rapidement les témoins présents ce matin : Mmes Merrick, Angeconeb, Caron et Achneepineskum. Vous aurez remarqué que la majorité de nos témoins sont des femmes. Le pouvoir de nos femmes est sans commune mesure. Récemment, nous avons célébré la fête des Mères à l’échelle internationale, alors je vous souhaite à toutes une bonne fête des Mères au nom de notre fédération et de nos familles ici dans la région. Je vous remercie tous et toutes.

Nous menons aujourd’hui une discussion très importante concernant nos recommandations sur la manière dont ce projet de loi pourrait fonctionner, et sur certaines de ses lacunes. Je tiens à mentionner, mesdames et messieurs les sénateurs, que mes commentaires ne prendront pas cinq minutes. Nos anciens et nos gardiens du savoir sont les véritables experts dans le domaine de la langue et de la culture, et saurons nous aider dans ce processus d’inclusion. Chacune de ces personnes issues de nos régions visées par un traité pourra vous aider et vous guider vers l’objectif que vous vous êtes fixé dans le cadre de cet enjeu important. Chaque gardien du savoir a été guidé par des millénaires d’enseignement transmis oralement. Le genre de connaissances que possèdent nos gardiens du savoir ne peut pas s’apprendre dans une école ou une université. Il est fondamental de le comprendre.

J’ai également quelques questions. J’ignore combien de personnes vous allez nommer au sein de cette équipe de réconciliation et s’il s’agira de postes rémunérés. Je ne sais pas non plus à quel moment cette équipe sera mise sur pied. Il y a tant de questions par rapport auxquelles nous espérons recevoir des réponses.

Ma recommandation est que les sénateurs et les autres décideurs suivent les conseils et les orientations des représentants de nos régions. L’une de mes principales recommandations est d’inclure à la table des décisions les gardiens du savoir issus des différents territoires visés par des traités, ainsi que des locuteurs des différentes langues autochtones du Canada. Les gardiens du savoir sont de véritables experts qui comprennent nos langues et notre culture, et ce, depuis des décennies. Nous remercions d’ailleurs chacun d’entre eux pour leur gentillesse, leur patience et leur amour inconditionnel. Nous tenons nos aînés en haute estime. Chaque fois que nous en perdons un, c’est comme si nous perdions une bibliothèque; nous perdons à la fois leur expertise, leur éducation et leur compagnie. Tout cela est rassemblé dans une même personne.

Voilà pour ce qui est de mes remarques. Je tiens à vous remercier de m’avoir invité à titre de représentant de la Fédération des nations autochtones souveraines. La discussion que nous avons en ce moment est très importante. Continuons de progresser vers la réconciliation. Une fois de plus, j’insiste sur l’importance de nommer certains de nos aînés et de nos gardiens du savoir à la table de décision. Je recommande également que le conseil respecte la parité hommes-femmes, c’est important.

Voilà l’essentiel de ce que j’avais à dire aujourd’hui. Je vous remercie de votre attention, et j’ai hâte d’entendre les autres témoins.

Le président : Je vous remercie, chef Cameron. J’invite maintenant la grande cheffe Merrick à présenter ses observations préliminaires.

Cathy Merrick, grande cheffe, Assemblée des Chefs du Manitoba : [mots prononcés dans une langue autochtone]

Bonjour à tous. Je vous salue de la part de l’Assemblée des Chefs du Manitoba, l’ACM. Par ailleurs, je rappelle que 22 % de la population autochtone au Canada se trouve au Manitoba. Aujourd’hui, je suis venu témoigner à propos du projet de loi C-29, qui prévoit la création d’un conseil national pour la réconciliation.

L’ACM appuie les mesures qui garantiront la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Néanmoins, nous sommes déçus de l’approche adoptée par le gouvernement fédéral, et nous lui demandons de faire mieux.

L’appel à l’action 53 de la Commission de vérité et réconciliation exhorte le Parlement, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, d’adopter une loi visant à établir un conseil national, lequel serait un organisme national et indépendant de surveillance. L’ACM n’est pas un détenteur de droits, et le Parlement ne s’est pas engagé à collaborer avec nous. De même, nous ne savons pas si le gouvernement fédéral a mené des efforts de consultation et de collaboration avec les Premières Nations du Manitoba.

L’ACM a un certain nombre de préoccupations par rapport à ce projet de loi. Pour les besoins de cette présentation, je vais me concentrer sur nos cinq principales préoccupations, qui, à mon avis, peuvent être résolues en apportant des amendements au projet de loi.

Le gouvernement fédéral présente ce conseil comme étant dirigé par des Autochtones. L’ACM conteste cette affirmation, car le conseil ne peut pas être véritablement dirigé par les peuples autochtones s’il a été créé unilatéralement par une loi votée au Parlement. L’ACM estime que le conseil aurait dû être mis sur pied par l’entremise d’un accord entre le Canada et les gouvernements des Premières Nations. Je crois fermement que nos aînés et nos gardiens du savoir sont de précieuses sources d’enseignements; ils enseignent nos langues et transmettent notre histoire de génération en génération.

Les termes que ce conseil semble établir ont une portée panautochtone. L’ACM continue de plaider en faveur d’une approche fondée sur les distinctions entre les groupes autochtones, et qui reconnaît à juste titre la position unique des Premières Nations en tant que partenaires de traités avec la Couronne et en tant qu’habitants originels du territoire qui s’appelle aujourd’hui le Canada.

En ce qui a trait à la composition du conseil d’administration, l’ACM craint que le conseil ne reflète pas les différences régionales et diverses des Premières Nations. À l’heure actuelle, on n’exige pas d’avoir un minimum d’administrateurs issus des Premières Nations ni d’avoir un minimum d’administrateurs originaires du Manitoba. Il n’existe également pas d’obligation de refléter la diversité des Premières Nations au Manitoba, à savoir par exemple les Anishinabes, les Dénés et les Dakotas.

Par ailleurs, bien que le projet de loi exige qu’au moins les deux tiers des administrateurs soient des personnes autochtones, j’aimerais souligner qu’il n’existe aucune garantie pour s’assurer que les personnes qui se sont identifiées comme ayant un héritage autochtone, mais qui n’ont aucun lien avec une Première Nation ou une nation autochtone ne soient pas incluses. La question de l’auto-identification continue d’affecter les intérêts des Premières Nations, et l’ACM aimerait avoir l’assurance que seuls les détenteurs de droits pourront être considérés pour un poste d’administrateur aux fins de l’article 11 du projet de loi.

L’ACM conteste également le fait que le conseil doive présenter un rapport au Parlement chaque année, mais qu’il ne soit pas tenu de le présenter également aux gouvernements des Premières Nations. Il convient d’étudier cet enjeu afin de s’assurer que les gouvernements des Premières Nations puissent également avoir accès à ce rapport.

Nous craignons que le conseil ne défende pas les intérêts des gouvernements des Premières Nations au Manitoba. Pour que le conseil de réconciliation soit efficace, il doit reconnaître et refléter les besoins distincts des Premières Nations au Manitoba, et être redevable à ses gouvernements.

Telles sont les questions que nous avons soulevées et que nous présentons au comité. Nous avons d’autres questions à poser. Quelle est l’importance du concept de territoire pour la réconciliation? Quelle est l’importance des relations de nation à nation? Je vous laisse répondre à ces deux questions.

Je suis très reconnaissante d’avoir eu l’occasion de comparaître devant le comité pour m’exprimer au nom de tous les habitants de l’île de la Tortue.

[mots prononcés dans une langue autochtone]

Le président : Je vous remercie, grande cheffe Merrick. J’invite à présent Mme Angeconeb à présenter ses observations préliminaires.

Darlene Angeconeb, représentante du conseil S.A.F.E, Première Nation Nishnawbe Aski : Bonjour. Salutations à tous les membres du comité. Je suis heureuse de comparaître au nom de la Première Nation Nishnawbe Aski, qu’on appelle communément la NAN, pour vous faire part de notre point de vue sur le projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.

Je m’appelle Darlene Angeconeb et je viens de la Première Nation du Lac Seul, dans le Nord-Ouest de l’Ontario. Je suis une survivante du pensionnat indien de Pelican Lake, situé près de Sioux Lookout, en Ontario. Je fais partie du Conseil des survivantes et de l’autonomisation des familles de la NAN, qu’on appelle aussi le conseil S.A.F.E., en plus d’être présidente du Comité de vérité et de réconciliation de la municipalité de Sioux Lookout.

La Première Nation Nishnawbe Aski est une organisation de défense des droits de 49 communautés des Premières Nations, dont les terres s’étendent sur les deux tiers de la province de l’Ontario. Elle défend les aspirations socioéconomiques et politiques légitimes de ses membres à tous les ordres de gouvernement afin de permettre l’autodétermination tout en établissant l’indépendance spirituelle, culturelle, sociale et économique.

Les objectifs de la Première Nation comprennent la mise en œuvre des directives politiques reçues des chefs de la NAN en assemblée; des revendications pour l’amélioration de la qualité de vie du peuple dans les domaines des terres, de l’éducation, des ressources, de la santé, de la gouvernance et de la justice; la sensibilisation aux traditions, à la culture et à la langue du peuple et la lutte pour assurer leur viabilité grâce à l’unité et au nationalisme; l’élaboration et la mise en œuvre de politiques qui reflètent les aspirations du peuple et favorisent l’amélioration de sa qualité de vie; l’établissement de partenariats solides avec d’autres organisations.

La Première Nation Nishnawbe Aski prend la responsabilité de défendre les intérêts de ses survivants au sérieux. À l’époque des pensionnats indiens, il y avait sept établissements situés à l’intérieur ou près du territoire de la Première Nation. Ils étaient administrés par des organismes religieux financés par le gouvernement fédéral. De nombreux enfants des communautés de la Première Nation ont fréquenté ces pensionnats, ainsi que d’autres écoles de l’Ontario et du Canada. Les enfants qui sont passés par ces institutions ont été marqués à tout jamais par les préjudices et les abus dévastateurs qu’ils y ont subis, ainsi que par les attaques calculées contre leur identité, leur culture, leur langue et leurs systèmes familiaux. Certains de ces enfants ne sont jamais rentrés chez eux, mais nous nous souvenons d’eux, ainsi que des familles qu’ils ont laissées derrière eux.

L’héritage des pensionnats indiens a laissé des traumatismes et des effets intergénérationnels directs et persistants sur les survivants, sur notre peuple et sur nos communautés, de sorte qu’il est difficile, surtout pour les survivants, d’appuyer les efforts de réconciliation ou d’y croire. Lorsque la Commission de vérité et réconciliation du Canada a publié son rapport, en 2015, aucun mécanisme de surveillance ou de reddition de comptes n’a été mis en place pour assurer la mise en œuvre des 94 appels à l’action. Par conséquent, le gouvernement fédéral est très lent à donner suite aux appels à l’action qui permettraient d’améliorer le plus la qualité et les conditions de vie des membres des Premières Nations Nishnawbe Aski sur leur territoire.

En ce qui concerne le conseil national de réconciliation et son conseil d’administration, la Première Nation Nishnawbe Aski voit l’établissement d’un conseil national de réconciliation comme un geste positif pour faire progresser les efforts de réconciliation au Canada. Le mandat du conseil national, qui consiste à suivre les progrès et à en faire rapport, à augmenter la sensibilisation du public et mobiliser les communautés autochtones concorde en grande partie avec les priorités établies par la Première Nation Nishnawbe Aski.

Toutefois, la Première Nation Nishnawbe Aski s’inquiète de la façon dont le conseil national de réconciliation sera établi. Dans le préambule du projet de loi C-29, on peut lire ceci : « Attendu que [le gouvernement du Canada] reconnaît la nécessité que soit constitué un organisme indépendant, apolitique et permanent qui doit être dirigé par des Autochtones... » Pour que le conseil national soit indépendant et apolitique, le gouvernement fédéral, par l’entremise du ministre, ne devrait jouer aucun rôle dans la sélection des membres du premier conseil d’administration prévue à l’article 8, ni dans le choix des représentants constituant le conseil d’administration prévu à l’article 12. Cette sélection conjointe sous-entend que le gouvernement fédéral exercera une influence sur la nomination des administrateurs et le travail du conseil d’administration. Pour que le conseil national soit véritablement un organisme dirigé par des Autochtones, l’article 12 sur la représentativité du conseil d’administration du conseil national doit prévoir qu’il « se compose de représentants autochtones », et il faudrait en retirer les mots « dans la mesure du possible ».

On dit que le conseil national doit être dirigé par des Autochtones, mais l’article 11 sous-entend que son conseil d’administration ne se compose pas en totalité d’Autochtones. La Première Nation Nishnawbe Aski réclame un conseil national vraiment représentatif des Autochtones.

Si le ministre Miller et le Canada veulent avancer sur la voie de la réconciliation avec les peuples autochtones, les survivants des pensionnats indiens doivent être entendus, écoutés et diriger le processus. Il ne peut pas y avoir de réconciliation sans justice pour les Autochtones. Les survivants du territoire de la Première Nation de Nishnawbe Aski ont été témoins et victimes de nombreuses injustices — au pensionnat de St. Anne, par exemple. Les survivants n’ont toujours pas obtenu justice. Le pensionnat de St. Anne a été en activité de 1902 à 1976 sous l’égide de l’Église catholique et est l’un des plus horribles pensionnats indiens. Compte tenu de cette histoire, il est primordial que le conseil national soit véritablement indépendant du gouvernement.

Je vous remercie à nouveau d’avoir invité la Première Nation de Nishnawbe Aski à témoigner verbalement devant le comité. C’est tout. Si vous avez des questions, vous pouvez les poser. Merci.

Le président : Merci, madame Angeconeb.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui. Je vais faire quelques observations.

Merci, chef Cameron, d’avoir rappelé à tous le rôle que les aînés devraient jouer — assurément au sein du conseil national, mais peut-être aussi dans le travail que nous faisons ici en ce moment. Je vous en suis très reconnaissant.

L’Assemblée des chefs du Manitoba m’a fait part de son mécontentement quant au fait qu’il n’y a pas eu assez de consultations dans le processus d’élaboration de cette loi et de sélection des personnes qui siégeront au conseil d’administration. L’Assemblée des chefs du Manitoba doit avoir voix au chapitre. Il est indéniable que le Manitoba doit jouer un rôle important au sein du conseil.

En outre, il semble qu’on n’ait pas respecté les conventions sur relations issues de traités dans un contexte moderne dans le processus d’élaboration de cette loi et que la façon dont les choses ont été faites pourrait constituer une lacune irrémédiable. De même, votre Première Nation a de vives inquiétudes quant à la composition du conseil d’administration. Elle estime que le ministre des Relations Couronne-Autochtones ne devrait pas participer à la sélection des administrateurs, tandis que la NAN devrait avoir son rôle à jouer.

L’un ou l’autre des témoins pense-t-il qu’il s’agit de lacunes irrémédiables et que nous devrions renvoyer le projet à la Chambre des communes en recommandant la tenue d’autres consultations avant d’aller plus loin? Ou voudriez-vous plutôt que nous l’adoptions, mais en soulignant les lacunes afin qu’on puisse peut-être rectifier le tir? C’est ma question générale.

M. Cameron : Merci, sénateur. Je vais ouvrir le bal.

Voici une recommandation pour vous, sénateur Arnot, et pour les autres : que la grande cheffe Merrick et Mme Angeconeb fassent part de leur position et de leurs recommandations à leurs chefs et aux gardiens du savoir afin d’en discuter et de présenter une position. C’est ce que nous réclamons depuis plusieurs décennies. Les chefs qui m’ont précédé et de nombreux autres dirigeants affirment tous que le meilleur moyen de trouver une solution est d’inclure les perspectives des Premières Nations ou des gardiens du savoir. Ce serait probablement une bonne chose pour vous, sénateurs, de faire en sorte que ces personnes expriment leurs préoccupations et qu’on établisse un conseil des gardiens du savoir, comme je l’ai dit. Combien y en aura-t-il par région? Un ou deux par région? Ce sont des questions auxquelles il faut répondre. Disons que la grande cheffe Merrick, Mme Angeconeb ou moi-même proposions chacun la candidature d’un gardien du savoir de sa région.

S’il y avait une personne désignée pour porter notre voix à ce sujet et nous représenter, et que cette personne avait la confiance des gens de la région et de nos dirigeants, cela nous rassurerait sûrement.

Voilà ce que je voulais dire.

Mme Merrick : Merci, chef Cameron, pour votre observation et votre recommandation. En ce qui concerne la position de l’Assemblée des chefs du Manitoba, il s’agit avant tout d’une question d’inclusion. L’ensemble du processus devrait être mené par nos gardiens du savoir et nos aînés. Ce sont eux qui nous guident dans le travail que nous voulons accomplir dans nos régions respectives. C’est également l’une de nos recommandations.

Je ne veux pas seulement que vous en preniez note, je veux que cela fasse partie des discussions futures. Merci pour cette question, sénateur.

La sénatrice Sorensen : Bienvenue à tous les témoins. Je vous remercie tous de vos observations. Je vais revenir un peu sur la question du sénateur Arnot et vous demander de faire d’autres commentaires.

Si je comprends bien où nous en sommes, dans le cadre du projet de loi C-29, le gouvernement propose que le conseil soit composé de 9 à 13 membres. Quatre sièges ont été garantis. Le reste sera déterminé d’une manière ou d’une autre — nous ne savons pas exactement ce qu’il en est. Je vous demande à tous de faire quelques observations supplémentaires.

Tout d’abord, croyez-vous que l’Assemblée des Premières Nations, ou l’APN, représente vos membres de façon générale? Le chef Cameron a commencé à parler de ce qui pourrait être fait à la place, mais je cherche à comprendre quelle est la façon la plus efficace de remédier aux lacunes. Lorsqu’on dit, par exemple, que « chaque région doit être représentée », pardonnez mon ignorance, mais je ne sais pas de combien de régions il s’agit. Combien de dirigeants autochtones et de gardiens des savoirs au pays devraient se réunir pour essayer de corriger les lacunes que nous connaissons aujourd’hui?

Par ailleurs, croyez-vous qu’il y ait une place pour des non‑Autochtones au sein du conseil? Je suis désolée. C’est une question très générale, mais j’aimerais que chacun d’entre vous dise quelques mots à ce sujet si possible. Voulez-vous commencer?

Mme Merrick : Qui d’entre nous?

La sénatrice Sorensen : Excusez-moi. Allez-y, grande cheffe Merrick.

Mme Merrick : Je crois profondément à la réconciliation. C’est quelque chose de très vaste. Il s’agit d’abord de communiquer aux jeunes leur histoire, en fait. Il faut que ce soit mené par les Autochtones. Je suis convaincue que nos peuples doivent diriger ce travail. Encore une fois, je reviens à nos gardiens des savoirs et à nos aînés. Ils sont nos enseignants. Ce sont eux qui apprennent cette histoire à nos êtres pour que nous sachions comment avancer. J’y crois fermement et je crois fermement au lien entre la réconciliation et le territoire. Il s’agit d’une relation de nation à nation. Il s’agit d’une relation entre les peuples autochtones et les représentants de la Couronne. Je crois profondément que le conseil devrait être dirigé par des Autochtones et comprendre des membres des Premières Nations.

La sénatrice Sorensen : Merci. Madame Angeconeb, voulez‑vous dire quelque chose? Ou peut-être vous, chef Cameron?

M. Cameron : Je vous remercie de la question. Pour corriger les lacunes, encore une fois, il faudrait que la grande cheffe Merrick, Mme Angeconeb et d’autres informent leurs conseils et leurs dirigeants, évidemment leurs conseils des gardiens des savoirs, pour favoriser une plus grande participation et faire une recommandation finale. Vous avez dit que le conseil compterait de 9 à 13 membres. Est-ce que quatre membres sont nommés par le gouvernement fédéral?

La sénatrice Sorensen : Je crois comprendre que quatre sièges — et veuillez me corriger si je me trompe — ont été garantis, soit un à l’APN, un à la nation métisse de l’Ontario, un à l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK, et un à l’Association des femmes autochtones du Canada, ou AFAC. Ces quatre groupes se sont vu garantir un siège au conseil, et les autres, entre 9 et 13 membres — encore une fois, corrigez-moi si je me trompe... désolée, ils sont nommés. Quoi qu’il en soit, le reste des membres doivent être nommés d’une autre façon qui reste à déterminer.

M. Cameron : Pour remédier aux lacunes, il faut en discuter avec les régions. L’autre question portait sur l’APN. Nous sommes toujours unis en tant que membres des Premières Nations. Ce sont nos droits inhérents aux traités qui nous lient. Voilà ce que je dirais.

Pour revenir sur l’autre point, nous intégrerions vraiment chaque région. Les gardiens des savoirs, ces neuf personnes, quelles qu’elles soient, doivent être nommées avec la pleine participation des Premières Nations. Il doit s’agir de gardiens des savoirs.

La sénatrice Sorensen : Merci, chef Cameron. Je suis certaine que d’autres questions nous permettront d’aller plus loin.

Le président : Merci, grand chef Cameron.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous nos témoins de leurs témoignages très utiles et réfléchis. Je suis encore en train de les digérer et de digérer les réponses aux questions qui ont précédé les miennes.

Je voudrais parler du point que chacun d’entre vous a soulevé, à savoir le rôle des aînés et des gardiens des savoirs, ainsi que — et j’imagine qu’il y a des recoupements assez importants — des survivants des pensionnats. Chacun d’entre vous nous a parlé de l’importance de ces personnes étant donné que de nombreux aînés sont les gardiens des savoirs et que de nombreux gardiens des savoirs sont des survivants des pensionnats.

J’aimerais peut-être entendre le chef Cameron pour commencer, puis toute autre personne qui souhaiterait s’exprimer sur le sujet par la suite. Comment voyez-vous ces rôles en particulier? Il y a toute une série d’étapes et de lieux permettant à ces groupes de participer. J’imagine qu’il y a de multiples endroits où, selon vous, ils peuvent participer afin que les effets soient les meilleurs possible.

En tant que membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, devrions-nous consulter directement ces personnes à ce stade-ci? Devraient-elles être consultées par les quatre groupes qui, comme nous le savons, vont nommer des gens au conseil d’administration? Devrait-il y avoir une entité distincte du conseil, si vous voyez ce que je veux dire, regroupant des gardiens des savoirs? J’aimerais comprendre quelles sont, selon vous, les voies d’accès les plus efficaces et importantes pour les gardiens des savoirs, les aînés et les survivants.

M. Cameron : Je vous remercie de la question. L’importance des gardiens des savoirs réside dans le fait qu’ils ont une vaste gamme de compétences et de connaissances dans différents secteurs. Tout est lié au cadre de nos droits inhérents issus de traités. Tous les secteurs relèvent de ces droits. La langue et la culture. La liste des compétences et des connaissances que nos gardiens des savoirs possèdent dans leur tête et dans leur cœur est longue. Comme je l’ai dit plus tôt, on ne peut pas enseigner ou apprendre cela dans une salle de classe. Il faut le vivre. Il faut le respirer. Dans la plupart des cas, ceux qui décèdent, en meurent parce qu’ils y croient.

Je vais vous donner brièvement un exemple qui montre qu’il est important de recourir aux gardiens des savoirs. Je prendrai l’exemple du rôle de la personne qui occupe le poste de gouverneur général du Canada, qui n’honore pas ou ne remplit pas ses obligations issues de traités envers nos peuples. C’est à cet égard que nos gardiens des savoirs pourraient aider à guider et à informer tous ceux qui ne comprennent pas le rôle du gouverneur général en ce qui concerne les relations fondées sur les traités.

Il s’agit d’un représentant de la Couronne pour les Premières Nations auprès de la Couronne britannique. Nous croyons savoir que le roi Charles viendra au Canada au cours des deux ou trois prochaines années. Tout le monde fait pression pour avoir une rencontre avec lui afin de lui faire comprendre l’importance historique des droits inhérents issus de traités, qui relèvent du droit international.

C’est ce que nous exprimons et ce que nos gardiens des savoirs disent, c’est-à-dire que le rôle d’un gouverneur général est de venir rencontrer nos peuples sur nos terres visées par un traité pour discuter, mettre des choses en œuvre et avancer de façon positive pour défendre les droits inhérents issus de traités. Ce n’est qu’un exemple.

Merci de la question.

La sénatrice Coyle : Je ne suis absolument pas en désaccord avec vous et je comprends parfaitement l’importance des gardiens des savoirs, des aînés et des survivants. J’essaie de comprendre quels sont les rôles, les voies d’accès, et cetera, dans le cadre du processus actuel, qu’il est important d’inclure à votre avis — le point sur l’inclusion qui a été mentionné. Est-ce que quelqu’un souhaite intervenir?

Mme Merrick : Je vais vous parler un peu de l’histoire et de certains problèmes concernant notre relation avec la Couronne. Lorsque les Premières Nations ont accepté de partager leurs terres avec la Couronne et les colons, elles ont fait confiance à la Reine-Mère à l’époque pour qu’elle tienne les promesses faites aux Premières Nations dans les traités.

Nous en sommes à ce stade, à la réconciliation avec nos peuples, et nous croyons sincèrement que nous devons veiller à ce que, dans tout ce qui est proposé, nous parlions de cette relation découlant des traités que nous avions avec la Couronne, car les gouvernements semblent en oublier l’importance. C’est l’une des choses que nos aînés ont toujours répétées : il faut maintenir cette relation issue des traités.

Je suis très heureuse d’apprendre que le roi envisage de venir au Canada. Je me suis rendue à Londres, en Angleterre, pour son couronnement, afin de transmettre le message que nous avons ce lien et que les traités sont très importants pour nos peuples au Canada. Voilà ma réponse.

Le président : Merci.

Le sénateur Tannas : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui.

Je m’inquiète davantage du fait que nous nous égarons au sujet de ce conseil, que nous ne faisons pas une lecture attentive. Je dois dire que, selon moi, les appels à l’action 53 à 56 étaient très évocateurs et réfléchis. Il s’agissait d’une commission qui s’appuyait sur des faits et les présentait à ceux qui doivent rendre des comptes sur les progrès et qui menait des initiatives d’éducation du public et des recherches politiques approfondies, mais il y a aussi cette idée d’être une sentinelle du progrès, afin que les horribles erreurs du passé ne se répètent pas d’une manière ou d’une autre.

J’ai eu le privilège de connaître l’un des commissaires de la Commission de vérité et réconciliation et de travailler avec lui, soit le sénateur Sinclair. Je suis persuadé que les appels à l’action ont été mûrement réfléchis et qu’il ne s’agissait pas de formuler des mots sans que lui et les autres commissaires aient réfléchi aux répercussions possibles de ces mots.

J’aimerais savoir ce que vous pensez de l’idée selon laquelle lorsque nous ne nous entendons pas sur quelque chose, nous devons revenir en arrière et lire ce qui a été recommandé, et prendre le tout pour ce que cela vaut, dans l’esprit dans lequel cela a été présenté, et considérer la Commission de vérité et réconciliation comme étant la consultation par excellence.

Je tiens à lire le texte ici parce que nous avons passé beaucoup de temps à débattre du processus de nomination et de la question de savoir qui peut faire partie du conseil d’administration, et cetera. Je pense que certaines compétences doivent être représentées au sein de ce conseil d’administration, sinon on le verra se transformer en quelque chose d’inefficace. À mon sens, la surveillance, la collecte de données et le fait d’obliger les gens à rendre compte de cette information concernant les progrès accomplis pour les peuples autochtones sont d’une importance capitale.

Dans l’appel à l’action no 53, on indique ce qui suit :

[N]ous demandons que [l]es dispositions [législatives] établissent le conseil en tant qu’organisme de surveillance indépendant de portée nationale dont les membres, autochtones et non autochtones, sont nommés conjointement par le gouvernement du Canada et des organisations autochtones nationales.

Pourriez-vous me dire si cette phrase n’est pas suffisamment claire pour que nous puissions trouver le moyen de constituer le conseil d’administration?

M. Cameron : Je vous remercie de votre question et de votre observation, sénateur Tannas.

Évidemment, il est important d’inclure des personnes ayant des visions, des mentalités et des points de vue différents sur l’objectif de ce sujet particulier, de nommer des personnes non issues des Premières Nations au conseil d’administration, ou au comité, parce que nous avons besoin d’idées et d’éléments différents. Quelqu’un peut ne pas voir ou saisir un certain aspect. L’inclusion est certainement un élément important, mais, encore une fois, nous affirmons que nous devons travailler ensemble pour nous assurer que les choses se font correctement, de toute évidence.

Les organisations autochtones qui nomment chaque personne savent que concernant les recommandations, nos gardiens des savoirs seront toujours consultés, évidemment, parce que ce sont eux les vrais spécialistes, sénateur Tannas. Nous tenons compte de chacun d’entre eux.

Merci de la question.

Mme Merrick : Je vous remercie de votre question, sénateur. Je sais que bien souvent, nous devons veiller à ce que nos organisations nationales aient voix au chapitre, mais il arrive parfois qu’elles ne parlent pas de ce que nous voulons dire. Nous sommes très reconnaissants de leur présence et de l’ensemble du processus. Oui, tout à fait.

Du bon travail a été accompli sur bien des plans dans le cadre de la Commission de vérité et réconciliation. Les personnes qui ont été nommées à l’époque... Je ne peux parler que de mon sénateur de l’époque, qui a fait un travail formidable. Je le soulignerai toujours lorsqu’il s’agit de sa participation.

Nous devons insister sur l’idée que les aînés et les gardiens des savoirs doivent participer au processus. Nous devons également veiller à ce que les personnes qui y participent sachent qui nous sommes en tant que personnes visées par des traités, quels sont nos liens avec la terre et à quel point nous respectons l’eau. Les gens doivent s’assurer qu’il s’agit là des sujets qu’ils devront avoir en tête lorsqu’ils discuteront.

Le président : Merci, grande cheffe.

La sénatrice Audette : [mots prononcés dans une langue autochtone] Je vous remercie beaucoup de vos observations, des préoccupations que vous avez exprimées et de vos recommandations.

Nous savons que dans le cadre de ce projet de loi, il y a l’espoir de veiller à ce qu’il y ait aussi des gardiens des savoirs autochtones. C’est le deuxième point, je dirais, lorsqu’il s’agit de la composition du conseil d’administration et des représentants de ce groupe de personnes. Bien sûr, nous avons besoin de personnes qui ont les connaissances et l’expérience qu’il faut ou de survivants.

Je pense aussi — je ne sais pas si vous vous en souvenez — qu’à l’Assemblée des Premières Nations, à chaque réunion des chefs ou à chaque assemblée, M. Georges Erasmus venait rendre compte au chef et à l’assemblée du travail de suivi, je dirais, sur la fondation.

Est-ce quelque chose que vous aimeriez voir dans le projet de loi, soit qu’on s’assure que des rapports annuels ou bisannuels sont présentés au chef de l’Assemblée des Premières Nations et qu’ils vous parviennent également? Nous devons trouver d’autres moyens pour que des rapports soient présentés aux chefs et aux collectivités de partout au Canada, mais souhaiteriez-vous la même approche?

N’importe quel grand chef peut répondre à la question.

M. Cameron : Je remercie la sénatrice Audette de sa question et de sa remarque.

Certes, la communication est un volet d’envergure pour la suite des choses. La production de rapports annuels ou semestriels est assurément primordiale, car tous les honorables sénateurs dans la salle et en ligne savent aussi bien que moi que les choses évoluent. Je vais même faire une analogie avec la manière d’élever nos enfants. Nous faisons tout en notre possible pour leur donner l’ensemble des outils et des compétences cruciales afin de réussir dans la vie et à l’école. Ensuite, à l’école primaire, voire parfois même secondaire, nous devons leur rappeler les valeurs, les enseignements et les compétences nécessaires pour réussir dans la vie, à l’école, puis aussi à l’université, à l’âge adulte, et enfin à celui d’une kokum et d’un mosum.

Madame la sénatrice Audette, il est donc certain que des éléments seront probablement modifiés en cours de route. Des rapports annuels permettront donc de savoir quoi changer au fil du temps pour améliorer et renforcer le processus à mesure que nous cheminons ensemble.

La sénatrice McCallum : [mots prononcés dans une langue autochtone] Le fait d’avoir cette conversation constitue un acte de réconciliation.

Je voulais revenir sur la remarque de la grande cheffe ayant trait à la manière dont les enfants sont changés à jamais, dans leur identité et leur culture. La réconciliation est une expérience de vie que nous subissons. Pour ma part, je la subis au quotidien puisqu’elle provoque une réaction en moi. Ce n’est pas un processus simple.

Je pense que le volet le plus sacré se rapporte aux aînés, c’est‑à-dire aux gardiens du savoir. Selon un des chercheurs, l’autonomisation des peuples autochtones passe par les pratiques culturelles individuelles et collectives, comme c’est le cas aujourd’hui. Leanne Simpson affirme avec raison que nous n’avons pas besoin d’une permission, d’un climat politique favorable ou d’un financement. Ce qu’il nous faut selon elle, ce sont plutôt nos aînés, nos langues et nos terres, ainsi que notre vision, notre détermination, notre engagement, notre communauté, et notre action, en définitive. Un autre spécialiste souligne que la souveraineté et l’identité des peuples autochtones émanent du territoire et du Créateur, et reposent sur les lois spirituelles et naturelles plutôt que sur les gouvernements autonomes et les lois. La souveraineté autochtone constitue un cadre important et indispensable pour la décolonisation.

Il y a donc deux groupes dont les avis divergent. Or, nous tentons de tout intégrer dans cet immense chantier d’une importance capitale qui mobilise plusieurs instances et de nombreux secteurs.

Pensez-vous que certains volets devraient être écartés et négociés autrement? En fait, nous continuerons à obtenir des réponses à ces questions. Je parle de la recrudescence que nous observons déjà puisque des gens se réapproprient leur culture et vont de l’avant. C’est ce que nous devons faire sur le plan individuel et collectif. Pensez-vous que certains volets du projet de loi doivent demeurer sacrés et être négociés autrement? Une grande partie de l’enjeu est que nous devons négocier avec des non-Autochtones. Voilà qui fera aussi partie de la réconciliation.

Nous allons dans tous les sens, ce que je trouve tout à fait ahurissant. Vos conseils là-dessus seraient donc bienvenus. Si nous manquons de temps, vous pourrez nous faire parvenir un mémoire. Kinanâskomitin.

M. Cameron : Je vous remercie, sénatrice McCallum. Voilà pourquoi il est si important que les gardiens du savoir fassent partie de l’équation. Il y a certains protocoles et sujets sacrés qui doivent être respectés. Je parle de protocoles, parce qu’il s’agit de personnes. Les gardiens du savoir décideront des sujets dont nous pouvons discuter ou non. Je n’ai pas encore 50 ans, mais je ne veux assurément pas affirmer que nous ne devrions pas parler d’un enjeu ou que nous devrions laisser tomber un sujet donné. La décision incombe aux gardiens du savoir, qui pourront nous donner des recommandations.

Mme Merrick : J’ai un ajout à faire en réponse à certaines des questions posées. En ce qui concerne les prochaines étapes du processus, tout ce que je veux, c’est que nous puissions nous en remettre à notre Créateur et à nos aînés pour qu’ils nous montrent la voie et nous guident, et que nous puissions parler de nos terres, de notre guérison et de la relation de nation à nation qui se noue dans le cadre de la réconciliation. Tout découle du système de pensionnats indiens. L’ensemble des processus sont en place pour veiller à ce que nous soyons entendus. Il s’agit d’un pas de géant et d’une entreprise considérable.

Tout ce que je veux, c’est que personne n’oublie notre relation découlant d’un traité conclu avec la Couronne. Nous devons améliorer ce qui a trait à nos Premières Nations. Nous devons pouvoir mener à bien ces processus. Il ne faut pas oublier que nous sommes résilients et que nous sommes venus ici pour prendre la parole et éclairer l’ensemble du processus.

En tant que grande cheffe de l’Assemblée des Chefs du Manitoba, qui regroupe 22 % de la population autochtone nationale, c’est énorme. Nous devons pouvoir parler de la réconciliation, ainsi que de ce qu’elle représente pour nous tous afin de mieux comprendre le phénomène.

Je vous remercie.

Le président : Je remercie la grande cheffe de sa réponse.

Nous allons maintenant écouter la sénatrice Greenwood, qui posera la dernière question. Elle aimerait simplement que vous répondiez par écrit puisque nous manquons de temps.

La sénatrice Greenwood : Je remercie les témoins d’être avec nous aujourd’hui. Il est vraiment intéressant d’entendre vos réponses.

J’ai vraiment pris à cœur les propos sur les droits issus de traités, la diversité et l’inclusion. Je les trouve moi aussi absolument essentiels pour nous orienter dans ce genre d’enjeux — à l’instar de nos sages gardiens du savoir, bien entendu.

Je me demande si vous pourriez répondre à ma question. Vous n’avez peut-être rien de précis, mais il serait formidable de connaître vos idées. Comment structureriez-vous le conseil ou un organisme — je ne suis pas certain du mot juste — qui serait inclusif et représentatif de ce que vous avez soulevé aujourd’hui? Je pense que c’est le défi que nous devons relever.

À quoi ressemblerait une telle structure? Comment pourrions‑nous y arriver collectivement et ensemble?

Il nous serait extrêmement utile que vous nous répondiez par écrit. Je vous remercie.

Le président : Nous vous saurions gré de fournir une réponse par écrit à la greffière du comité d’ici vendredi.

Le temps imparti pour le premier groupe de témoins est maintenant écoulé. Je tiens encore une fois à remercier tous les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants de vos témoignages.

Le sénateur Arnot : J’aimerais obtenir une réponse écrite à la question suivante de la part des témoins : l’appel à l’action 53 dit que le Parlement — autrement dit, une loi — devrait agir « [...] en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones[...] »

Le gouvernement du Canada veut que nous adoptions le projet de loi dans sa forme actuelle avant la fin de juin. Pensez-vous que c’est trop vite? Aimeriez-vous participer davantage à une véritable consultation et collaboration afin de faire les choses correctement? Voulez-vous plutôt que nous l’adoptions, quelle qu’en soit la forme? Autrement dit, que faut-il faire pour corriger le texte législatif? Je ne veux pas contribuer à une initiative précipitée qui ne respecte pas les droits issus des traités et les relations fondées sur les traités.

En réalité, c’est simple : voulez-vous que nous allions de l’avant, ou que nous ralentissions la cadence afin de régler vos questions avant que la loi soit adoptée?

Voilà ma question. Je vous remercie.

Le président : Je vous invite encore une fois à nous soumettre vos réponses par écrit, ce qui serait grandement apprécié. Vous pouvez faire parvenir vos mémoires à la greffière avant mardi prochain.

Je voudrais maintenant présenter le deuxième groupe de témoins. Nous accueillons Anna Betty Achneepineskum, la grande cheffe adjointe de l’Assemblée des Premières Nations; Cassidy Caron, la présidente du Ralliement national des Métis; et les représentants de l’Inuit Tapiriit Kanatami : le président Natan Obed, et le directeur des services juridiques Will David.

Je vous remercie tous de vous joindre à nous aujourd’hui. Nos témoins prononceront des observations liminaires d’environ cinq minutes, qui seront suivies d’une période de réponses des sénateurs.

Par souci d’équité et de respect du temps imparti, je lèverai cette jolie affiche après quatre minutes pour aviser le témoin qu’il ne lui en reste qu’une. Je vous demanderais de bien vouloir être attentifs au temps.

J’invite maintenant la grande cheffe adjointe Achneepineskum à prononcer son mot d’ouverture.

Anna Betty Achneepineskum, grande cheffe adjointe, Assemblée des Premières Nations : [mots prononcés dans une langue autochtone]

Bonjour. Je m’appelle Anna Betty Achneepineskum, et je suis ici pour représenter l’Assemblée des Premières Nations, ou APN. Je suis ravie et honorée de m’adresser au Sénat et d’avoir été désignée par l’APN pour comparaître.

Tout d’abord, je tiens à saluer le Créateur, nos ancêtres et tous les survivants des pensionnats indiens qui étaient en activité au Canada du milieu des années 1800 aux années 1980.

Je représente la nation Nishnawbe Aski en plus de mon rôle de grande cheffe adjointe, mais je suis ici aujourd’hui pour parler au nom des survivants de toutes les régions du pays.

Par le passé, la cheffe nationale Archibald a déjà présenté au ministre ses inquiétudes entourant le projet de loi. J’aimerais reprendre trois aspects préoccupants tirés de ses commentaires et observations : le processus de candidature, la représentation et le financement.

Mes conseillers me rappellent qu’une réconciliation n’est pas possible tant que nous n’avons pas notre mot à dire à ces tables.

Il y a eu très peu de consultations au sujet du projet de loi, et nous ne sommes pas d’accord avec le processus de nomination du ministre Miller.

Avant 10 heures, j’ai écouté mes collègues qui ont pris la parole devant le Sénat. Je souhaite confirmer et bonifier leurs propos. En effet, les survivants et les gardiens du savoir devraient pouvoir représenter votre comité. Ils doivent aussi recevoir suffisamment de fonds pour assurer la surveillance et vérifier la mise en œuvre.

Je conviens aussi que les représentants doivent provenir de diverses régions canadiennes et être des survivants ou des personnes désignées par ceux-ci.

J’ai des pages de mémoires, que je soumettrai au Sénat. Je vous remercie infiniment de votre temps. Meegwetch. Kinanâskomitin.

Le président : Je remercie chaleureusement la grande cheffe adjointe Achneepineskum. Nous allons maintenant écouter Cassidy Caron, qui prononcera son exposé.

Cassidy Caron, présidente, Ralliement national des Métis : Bonjour à tous. Tansi. Je m’appelle Cassidy Caron, et je suis la présidente du Ralliement national des Métis, ou RNM. Je tiens à vous remercier de m’accueillir aujourd’hui.

Je suis à la tête du RNM, qui représente la nation métisse du Canada à l’échelle nationale et internationale depuis 1983. Son mandat et sa composition sont établis par les dirigeants des gouvernements de la nation métisse élus démocratiquement  en Ontario, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie‑Britannique. Nos gouvernements métis, par l’entremise de leurs registres et de leurs structures de gouvernance démocratiquement élues aux échelons local, régional et provincial, ont le mandat et l’autorisation de représenter les citoyens de la nation métisse dans le cadre de leurs compétences respectives, notamment en ce qui a trait aux droits et intérêts collectifs des Métis et aux revendications non réglées à l’égard de la Couronne.

Depuis 1983, la priorité du RNM reste — et restera — les citoyens métis, et nous continuerons de faire cheminer les dossiers d’importance collective et de servir la nation métisse comme le voulaient nos fondateurs.

Je tiens encore à vous remercier de me permettre aujourd’hui de donner l’avis du RNM sur le projet de loi C-29. Nous avons lu le projet de loi, discuté avec d’autres dirigeants d’organisations autochtones nationales, les députés du comité des affaires autochtones et du Nord ainsi que les sénateurs qui sont actuellement saisis du projet de loi, et nous avons des préoccupations à l’égard du libellé dans sa forme actuelle.

Avant que le projet de loi ne soit déposé en juin 2022 pour donner suite aux appels à l’action 53 à 56 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, ou CVR, il n’y a pas eu de consultations officielles avec ni les organisations autochtones nationales ni d’autres gouvernements ou entités autochtones.

Le projet de loi décrit le vaste mandat du conseil dans l’esprit de ces appels à l’action. Dans sa forme actuelle, le conseil n’aurait toutefois pas suffisamment de pouvoir pour être assez ferme. Il ne s’agirait donc pas d’un mécanisme de reddition de comptes efficace dans le travail de réconciliation au pays.

Si le conseil n’a pas suffisamment de pouvoir pour devenir un mécanisme de reddition de comptes, le projet de loi ne fera que créer un autre organisme à but non lucratif ayant un mandat de réconciliation auquel les gouvernements pourront faire appel plutôt que de s’adresser directement à la nation métisse et à ses représentants légitimes.

Avec la création de cette entité, le gouvernement d’aujourd’hui ou de demain pourrait avoir l’option de trier sur le volet les voix qu’ils écouteront sur le fonctionnement de la réconciliation, ce qui pourrait semer la confusion dans le programme de réconciliation ou faire fi des priorités distinctes et des expériences de la nation métisse. En ce qui a trait plus particulièrement à la réconciliation, le gouvernement du Canada a tendance à choisir de consulter des organismes consultatifs qui n’ont rien à voir avec la nation métisse et n’ont pas de comptes à lui rendre. Une instance législative comme celle proposée dans le projet de loi C-29 pourrait avoir plus d’influence sur le gouvernement. Il pourrait alors éviter de véritablement consulter la nation métisse et ses représentants démocratiquement élus sur tout ce qui relève de la réconciliation.

De plus, le projet de loi C-29 ne préconise pas une approche fondée sur les distinctions. Dans toutes nos activités, nous prônons cette approche pour veiller à ce que les besoins, les expériences et les perspectives uniques de notre peuple soient bien compris, pris en compte et mis en application à mesure que nous avançons dans tous nos dossiers. Puisque le projet de loi ne favorise pas une approche fondée sur les distinctions, les efforts de réconciliation pourraient être brouillés par des groupes ou des organisations de revendication plutôt que de mettre en lumière les représentants des détenteurs de droits.

Pour que le projet de loi C-29 obtienne l’appui du RNM, de vastes consultations seront nécessaires pour adapter le texte de façon à véritablement créer un organisme digne de ce nom qui respecte l’intention initiale des appels à l’action 53 à 56 de la CVR.

Si un seul organisme était mis sur pied pour vraiment obliger le gouvernement à rendre des comptes en matière de réconciliation, il faudrait que le texte législatif confère un pouvoir qui ne se trouve pas dans le projet de loi actuel. En ce moment, cette perspective et approche semblent impossibles à atteindre puisque le Parlement a déjà refusé de conférer de tels pouvoirs au conseil, notamment la capacité de délivrer les assignations à comparaître. Encore ici, cette voie nécessiterait une refonte du projet de loi et une consultation des détenteurs de droits pour veiller à ce que le texte soit utile.

Par ailleurs, si le projet de loi est adopté, le libellé devra veiller à ce que le nouvel organisme à but non lucratif ne fasse pas obstacle au travail des gouvernements métis, du Ralliement national des Métis, d’autres détenteurs de droits ou d’organismes nationaux représentant les Autochtones. Pour ce faire, il faudra préciser clairement que l’organisme n’aura pas de pouvoirs consultatifs.

Nous avons la conviction profonde que le RNM, grâce à nos gouvernements métis, nos processus collectifs et nos arrangements avec le gouvernement du Canada, est mieux placé pour faire valoir et surveiller les priorités des Métis au sein du programme de réconciliation.

Je vous remercie encore une fois de m’accueillir, et j’ai hâte de discuter.

Le président : Je vous remercie, présidente Caron. J’invite maintenant le président Obed à prononcer ses observations liminaires.

Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami : Nakurmiik. Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs, de m’avoir invité. Je me réjouis de la conversation que nous avons sur le projet de loi C-29. Je suis également heureux de participer à cette réunion avec des représentants de l’Assemblée des Premières Nations et du Ralliement national des Métis.

Nous avons pu avoir des conversations sur ce projet de loi, mais aussi sur la réconciliation, d’un bout à l’autre du pays. J’espère que nous pourrons poursuivre le bon travail qui se fait dans ce pays, même si la situation actuelle et ce projet de loi nous causent énormément de frustration compte tenu de la façon dont le gouvernement tente de faire avancer la réconciliation, de manière parfois très malhabile.

Pour l’instant, l’Inuit Tapiriit Kanatami s’abstient d’appuyer le projet de loi C-29. Notre principale préoccupation à l’égard de ce projet de loi, dans sa forme actuelle, est qu’il minerait les priorités en matière de réconciliation propres aux Inuits au lieu de les faire progresser.

Le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord du Canada, ou RCAANC, n’arrive même pas à nommer une seule communauté autochtone qui a participé à l’élaboration du projet de loi. Comme l’a fait remarquer la sénatrice Anderson, 32 personnes ont participé à la rédaction du projet de loi C-29. Cela signifie que le projet de loi que vous étudiez reflète le travail et les points de vue d’un ministère fédéral et de moins de 50 personnes. Le projet de loi n’a pas été rédigé en collaboration avec les organisations inuites signataires de traités, et les détenteurs de droits inuits n’ont pas du tout participé à cet exercice. Par le passé et, plus récemment, nous avons entendu au sein de ce comité que le processus de participation pour l’élaboration du projet de loi comporte des lacunes.

Or, la réponse à ces remarques a été de s’entêter à utiliser ce processus de participation lacunaire et de demander à ce qu’il y ait plus de participation seulement une fois que le projet de loi aura été adopté.

À notre avis, vous devriez régler les problèmes relatifs à ce projet de loi avant son adoption. Il est probable que les Inuits n’appuieront ce projet de loi que s’il est modifié pour établir le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne comme mécanisme qui orientera l’élaboration de mesures de réconciliation propres aux Inuits, ou pour préciser et définir la portée des fonctions du conseil.

L’élaboration d’un mécanisme unique pour tous les groupes autochtones, tel qu’un Conseil national de réconciliation, qui n’aura pas de liens clairs avec les priorités déterminées par les Inuits, ne fera probablement qu’exclure les Inuits au profit des priorités des autres peuples autochtones et du RCAANC. Il appartiendra aux personnes qui siégeront à ce conseil de cibler les objectifs qu’ils aimeraient atteindre, et ce n’est certainement pas la façon par laquelle les Inuits veulent accéder à l’autonomie gouvernementale en 2023.

Nous avons quatre grandes préoccupations en ce qui concerne le conseil. Premièrement, le conseil continuera de s’appuyer sur l’avis d’experts pour évaluer et définir la réconciliation. Cette approche sera instable et fragmentée, mais surtout, elle sera dissociée des organisations qui représentent les Inuits et qui tentent de faire progresser cette question. Plutôt que de soutenir nos efforts pour accéder à l’autodétermination et mettre en œuvre nos droits de la personne existants, le conseil opérera probablement de manière indépendante et entravera peut-être même le travail que nous voulons accomplir avec le gouvernement du Canada.

Notre deuxième préoccupation concerne le rôle des Inuits relativement aux efforts accomplis pour atteindre la réconciliation au pays. Nos priorités en matière de réconciliation sont différentes de celles des Métis et des Premières Nations. Tenter de rassembler toutes ces questions dans un rapport qui sera ensuite présenté au gouvernement chaque année fera en sorte que nos priorités ne seront vraisemblablement pas prises en compte ou seront complètement laissées de côté.

La réinstallation d’Inuits dans l’Extrême-Arctique, les répercussions continues de la tuberculose et le travail inachevé sur la question de l’abattage des chiens au Nunavik et au Nunavut sont quelques-uns des sujets sur lesquels nous nous penchons dans le cadre du partenariat entre les Inuits et la Couronne qui vise à définir la réconciliation. Or, ces priorités pourraient très bien ne pas être celles d’un Conseil de réconciliation du Canada qui met tous les Autochtones dans le même panier.

Troisièmement, en plus de rejeter les priorités définies par les Inuits en matière de réconciliation, le conseil risque fort d’écarter le travail accompli par les Inuits et d’autres groupes sur les mesures clés en matière de surveillance, de reddition de comptes et de réparation. Certaines de ces mesures sont en cours d’élaboration depuis huit ans.

En ce moment, l’Inuit Tapiriit Kanatami prépare des mécanismes de recours et de réparation en cas de violation majeure de la Déclaration des Nations unies. Nous élaborons aussi des mécanismes, avec l’ombudsman national, pour donner suite aux appels à la justice énoncés dans le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Nous travaillons également, avec le gouvernement du Canada, sur un mécanisme de surveillance des obligations découlant des traités modernes visant à faire avancer les appels à la justice énoncés dans le rapport de l’Enquête nationale et de la mise en œuvre du plan d’action de la Déclaration des Nations unies.

Enfin, le projet de loi dans sa version actuelle entravera la capacité du conseil à exécuter efficacement le mandat qui lui sera confié. Le conseil n’aura qu’un accès limité aux renseignements dont disposera le gouvernement et ne pourra pas prendre des décisions éclairées. Cet organisme à but non lucratif n’est créé que pour tous les attendus et le préambule de ce projet de loi qui donnent l’impression d’inaugurer une nouvelle ère marquée par la reddition de comptes du gouvernement en matière de réconciliation. Cela ne correspond toutefois pas aux dispositions du projet de loi. Nous sommes très préoccupés par la place qu’occupera ce conseil dans le travail que nous menons avec le gouvernement, travail qui est fondé sur notre caractère distinct et nos droits. Ce travail a beaucoup évolué et a été stimulant pour les Inuits, surtout depuis 2015, en raison de ce que nous avons été en mesure d’accomplir.

Le sénateur Arnot : Je remercie tous les témoins de participer à cette étude. J’ai une question assez simple à vous poser, et vous pouvez répondre par écrit si vous le souhaitez.

Je pense que la grande majorité des Canadiens appuient l’idée de mettre sur pied un Conseil national de réconciliation en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones. Des représentants du gouvernement du Canada et d’organisations autochtones nationales siégeraient à ce comité mixte.

Dans une certaine mesure, deux options s’offrent à nous. D’une part, notre comité pourrait, à l’aide d’amendements, essayer de corriger les lacunes qui ont été cernées. D’autre part, nous pourrions ralentir le processus — sachant que le gouvernement du Canada souhaite que nous terminions l’étude d’ici la fin du mois de juin 2023, donc dans environ six petites semaines — pour voir si ce projet de loi peut être amélioré grâce à une collaboration et à une consultation accrues avec les groupes mentionnés dans l’appel à l’action 53 de la Commission de vérité et réconciliation, que le sénateur Tannas a évoqués. Nous pourrions accorder plus de temps à cette étude pour nous assurer que le projet de loi est adéquat avant qu’il ne devienne loi.

Voilà la question toute simple que je pose aux trois témoins d’aujourd’hui. Je suis prêt à entendre tout ce qu’ils voudront dire maintenant, mais des réponses écrites feraient également l’affaire.

M. Obed : Dans un esprit de réconciliation, l’Inuit Tapiriit Kanatami serait heureux de travailler avec le gouvernement du Canada sur des amendements qui pourraient être apportés au projet de loi. Il est certain qu’il faudra plus de six semaines pour les rédiger. À la lumière des témoignages des Premières Nations et des Métis, il est évident que nous ne sommes pas les seuls à avoir des réserves à l’égard de ce projet de loi.

Comme nous l’avons dit, nous voulons avoir la certitude que nos efforts mèneront à une réconciliation pérenne entre les Inuits et le gouvernement du Canada. Nous aimerions que cet organisme reçoive un mandat très clair qui ne brouillera en aucune façon les relations fondées sur les droits que les Inuits entretiennent avec la Couronne.

Le président : Quelqu’un d’autre veut-il répondre?

Mme Achneepineskum : Pour répondre à la question du sénateur, nous sommes d’avis que nous aurions besoin de plus de temps pour nous assurer que le processus de consultation auprès des nombreux groupes sur ce territoire se déroule convenablement. Nous disposons déjà de bon nombre de documents relatifs aux consultations qui ont été menées auprès des survivants de tout le pays. Nous aurions donc besoin de temps. Nous partons toujours du principe qu’il faut aller de l’avant dans le respect. Meegwetch.

Mme Caron : Je me fais l’écho de cette remarque. Je pense que nous aurons besoin de beaucoup de temps pour veiller à ce que tout se passe correctement. Le Ralliement national des Métis n’est pas favorable à l’adoption d’un projet de loi qui présente des problèmes qui ne pourraient être réglés que plus tard.

Nous soutenons l’intention initiale de la création de ce conseil. Cependant, ce conseil a été constitué en vase clos, sans porter attention aux processus qui permettent déjà de faire avancer la réconciliation, processus qui, je le répète, sont fondés sur notre caractère distinct.

Il faudrait mener des consultations pour veiller à ce que ce caractère distinct soit pris en compte, et je ne pense pas que cela puisse se faire en six semaines.

Le président : Je vous remercie de vos réponses. J’aimerais ajouter une précision. Nous avons dit que l’étude du projet de loi serait achevée à la fin du mois de juin, mais ce n’est pas tout à fait le cas. Nous ne savons pas encore si nous aurons terminé d’ici la fin du mois de juin.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Au sein du bureau du représentant du gouvernement au Sénat, nous ne disons pas que nous aurons terminé à ce moment-là et que la sanction royale sera accordée d’ici la fin juin. Nous devons prendre notre temps et travailler de manière réfléchie. Le bureau du représentant du gouvernement et, par notre entremise, le gouvernement, le comprennent.

Le sénateur Arnot : Il s’agit peut-être d’une erreur de ma part. J’avais l’impression que le gouvernement voulait que nous adoptions ce projet de loi avant la fin du mois de juin. Je retire ce que j’ai dit. Je n’avais pas compris cela.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie de cette précision. Je pensais la même chose et cela me stressait. Je ne suis pas prête. Il nous reste tellement de choses à entendre. Nous n’avons pas entendu tous les nombreux groupes de partout au pays, comme ceux de l’Est. Je comprends ce que vous dites. C’est un peu comme si le gouvernement avait décidé de coudre une robe, qu’elle ne faisait plus et qu’il devait maintenant la déchirer. Serons-nous capables de faire ce travail et de régler les problèmes?

Certaines des recommandations que vous avez formulées me plaisent. Nous devons faire preuve de prudence et travailler de façon réfléchie parce que ce projet de loi aura une incidence sur les gens pendant longtemps. Où est l’urgence? De combien de temps aurions-nous vraiment besoin? Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, à savoir ce que vous pensez de certaines des recommandations et du temps dont nous aurions besoin?

M. Obed : Nous avons reçu le projet de loi deux jours avant qu’il ne soit déposé en Chambre. Nous nous sommes retrouvés en comité deux semaines plus tard. Les détenteurs de droits inuits et les membres de notre conseil d’administration n’ont toujours pas été en mesure d’avoir une discussion approfondie pour adopter une position claire sur les amendements qui pourraient être proposés au projet de loi. Nous pouvons faire ce travail. Nous pouvons accélérer ce processus et c’est la voie que l’Inuit Tapiriit Kanatami va emprunter. Nous espérons que nous serons alors en mesure de proposer des solutions très claires et propres aux Inuits pour améliorer ce projet de loi. Bon nombre de nos préoccupations portent sur ce que propose réellement ce projet de loi.

Mme Caron : Je pense que beaucoup de problèmes auraient pu être réglés à l’aide d’une simple conversation avec les membres de nos organisations, soit l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis. J’ai cru comprendre qu’un conseil provisoire travaillait à l’élaboration de ce projet de loi depuis un certain nombre d’années. Pendant ce temps, aucune rencontre formelle n’a été organisée avec les représentants de nos organisations et de nos conseils d’administration pour discuter du processus d’élaboration de ce conseil, de la rédaction de ce projet de loi et des difficultés auxquelles ils ont fait face en travaillant avec RCAANC. Je suis persuadée que nos préoccupations ont également été soulevées par les membres de ce conseil provisoire, mais nous n’avons pas eu la possibilité d’en parler.

Je crois que ce conseil provisoire est toujours en place et que son mandat a peut-être même été prolongé alors que le processus se poursuit. Beaucoup de gens brillants y siègent. Je sais que Willie Littlechild en fait partie. S’il pouvait venir nous expliquer l’intention de ce projet de loi et comment il peut être rédigé judicieusement, s’il pouvait comprendre les processus que le Ralliement national des Métis a déjà mis sur pied pour faire avancer la réconciliation et si nous pouvions accomplir ce travail dans le cadre d’une véritable collaboration et d’une véritable élaboration conjointe, nous pourrions certainement résoudre beaucoup des problèmes que nous pose le projet de loi dans sa version actuelle.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie.

Le sénateur Tannas : Si nous voulons régler ce problème, nous devons revenir en arrière, commencer par le début et avoir des conversations franches. Le projet de loi vise à répondre à trois appels à l’action précis qui ont été mûrement réfléchis, bien rédigés et dont l’élaboration a pris de nombreuses années.

Je vais vous poser ma première question. Êtes-vous totalement en désaccord avec les appels à l’action 53 à 56? Croyez-vous que la portée de ce qui, selon vous, était envisagé dans les appels à l’action 53 à 56 a été élargie ou atténuée d’une manière ou d’une autre, et est-ce que cela vous gêne? J’espère que toute personne qui s’engagera à prendre le taureau par les cornes mènera des consultations pour nous mettre sur la bonne voie et posera ces questions. Les mots employés dans les appels à l’action 53 à 56 vous gênent-ils? Y a-t-il là quelque chose qui vous fait dire : « Non, je ne suis pas d’accord avec cela, et nous ne sommes pas d’accord avec cela. » Si c’est le cas, nous devrions probablement lever la main et le dire. Il s’agit de la première question que je pose aux trois éminents représentants que nous accueillons aujourd’hui.

Mme Caron : Je peux commencer. Il est important de reconnaître que ces appels à l’action ont été élaborés il y a 10 ans. Ils ont été déposés en 2015, c’est-à-dire il y a huit ans. Au cours de ces huit années, nous avons réalisé des progrès considérables en tant que nation métisse du Canada, en collaboration avec le gouvernement libéral. Des progrès ont été accomplis pour que nos droits soient reconnus et mis en œuvre, pour que nous ayons des processus bien établis où nous travaillons de façon bilatérale avec le gouvernement fédéral, et pour que nous ayons de réelles occasions de développer conjointement des projets de loi à l’avenir.

Je ne suis pas en désaccord avec les appels à l’action et leur formulation, mais je pense qu’il est important de reconnaître que lorsque ces appels à l’action ont été déposés, ces processus n’existaient pas. À l’époque, il était important d’établir un mécanisme de reddition de comptes pour le gouvernement, car la réconciliation n’était pas une priorité. Or, elle l’est aujourd’hui. Nous avons réalisé des progrès considérables au cours des dernières années. Il est important de voir le chemin parcouru depuis la présentation des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, mais il faut aussi tenir compte des progrès réalisés lors de la mise en œuvre des appels à l’action. Ce document est en constante évolution.

Mme Achneepineskum : N’oublions pas que dans le cadre de la Commission de vérité et réconciliation, les commissaires se sont rendus dans nos territoires. Ils ont écouté de nombreux survivants et de nombreuses autres personnes affectées par les pensionnats. Nous faisions confiance aux commissaires. Nous savions qu’ils allaient réunir les informations dont ils avaient besoin pour formuler leurs recommandations. Chacun d’entre nous respecte les recommandations qui ont été présentées. Il nous incombe de participer à leur mise en œuvre de la façon la plus respectueuse possible. Comme dirigeants, nous avons la responsabilité de travailler en collaboration avec le gouvernement et de ne pas oublier d’où viennent ces voix. Meegwetch.

Le président : Monsieur Obed, voulez-vous fournir une réponse brièvement?

M. Obed : Lorsque je songe aux résolutions de 2013 formulées par l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK, je me rends compte que c’était une tout autre époque. Je n’instaurerais pas de résolutions formulées il y a 12 ou 13 ans sans vérifier si elles sont toujours pertinentes et que nous allons toujours dans la même direction.

Évidemment, les résolutions reposent sur la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Les Métis n’ont pas signé cette convention, et les communautés inuites non plus. Comme ses fondements ne sont pas vraiment universels, la mise en œuvre d’appels à l’action en particulier pourrait s’avérer très chaotique.

L’ITK a adopté une résolution sur la mise en œuvre des appels à l’action. Nous sommes en règle générale d’accord avec leur contenu, mais lorsque vient le temps de les concrétiser, par exemple dans le cas des appels à la justice formulés dans l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et de plusieurs autres rapports dans le passé, nous adaptons l’esprit et les fondements des rapports à l’époque actuelle.

La sénatrice LaBoucane-Benson : La sénatrice Hartling a posé ma question. Je vais poser une question à M. Obed. Monsieur Obed, vous avez rencontré le premier ministre et le ministre ce week-end dans le cadre des travaux du Comité du partenariat entre les Inuits et la Couronne. Vu le travail accompli avec vos groupes des revendications territoriales et avec le gouvernement, les amendements que vous voudriez apporter sont-ils plus clairs? Avant de proposer quoi que ce soit, le comité aimerait voir les amendements que les organismes autochtones nationaux ont proposés.

M. Obed : Nous n’avons pas parlé du tout du projet de loi C-29 lors de la réunion du Comité du partenariat entre les Inuits et la Couronne à Nunatsiavut vendredi dernier. Je suis tout de même ravi qu’un premier ministre soit allé pour la première fois à Nunatsiavut, où des discussions ont eu lieu entre les dirigeants inuits et la Couronne. Ce type de travail avec les Inuits est sans précédent au Canada. Nous sommes très fiers de ce que nous avons accompli, même si ce n’est qu’une fraction du travail que nous devons encore abattre.

Un exemple clair du type de travail effectué par les Inuits dans le cadre de la réconciliation est la mise au point de dispositions portant expressément sur les Inuits dans le cadre de la création du plan d’action visant à mettre en œuvre la loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous espérons que ces dispositions seront publiées au cours des trois prochaines semaines. Plusieurs des mesures en question sont liées au processus du Comité du partenariat entre les Inuits et la Couronne. Nous appliquons une philosophie fondée sur les droits et sur les distinctions à la mise en œuvre de la déclaration.

Nous effectuons ce travail selon un processus établi de concert avec le gouvernement du Canada. Ce processus se situe aux antipodes de l’approche préconisée habituellement par le gouvernement qui est de s’ériger en seul interprète et seul responsable de la mise en œuvre des droits des peuples autochtones pour les peuples autochtones. Nous essayons de nous éloigner de ce modèle, et c’est ce que nous faisons au Comité du partenariat entre les Inuits et la Couronne. Voilà pourquoi nous tenons tant à imprimer cette philosophie dans le projet de loi C-29.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Audette : Je vais parler en français. Ce sont des termes juridiques, alors mon « franglais » n’est pas parfait encore.

Aux trois leaders, un gros merci; aux chefs et aux présidents, merci beaucoup. Vous comprenez que dans ce qu’on appelle le Canada, dans l’aspect géopolitique, on a des organisations de la base, des organisations politiques et des organisations de première et de deuxième ligne.

Toutefois l’important de cette rencontre avec vous ici, aujourd’hui, est ce que vous pouvez nous laisser comme héritage. Votre relation avec le gouvernement fédéral peut changer, sachant que ce sera différent d’un premier ministre à l’autre, pour les sept prochaines générations, c’est sûr.

Comment peut-on améliorer ce projet de loi? Je suis anxieuse ou j’ai vraiment hâte de voir les libellés ou les mots dont vous voulez qu’on puisse débattre, de les inscrire dans nos recommandations pour qu’ils deviennent des amendements officiels et de les envoyer à la Chambre des communes.

Pour l’Assemblée des chefs du Manitoba, pour les Métis et pour les Inuits, pour moi, c’est fondamental. Est-ce qu’on peut voir aussi, dans les textes que vous nous proposerez comme suggestions d’amendements, l’importance pour le gouvernement fédéral de maintenir les consultations avec vous et non pas juste avec ce nouveau conseil? Cela, c’est un danger.

Pour terminer, parce que vous avez la responsabilité de réconciliation pour vos peuples, êtes-vous à l’aise avec l’idée que ce conseil ait une responsabilité de reddition de compte à votre égard, une à deux fois par année? Il s’agit de rencontrer vos élus et vos leaders pour dire : « Voici ce qu’on a fait. » Donc l’élu, le conseil d’administration a une relation officielle avec vous, mais la consultation doit se faire auprès de nos gardiens des droits, qui sont nos trois organisations ici présentes.

Merci.

[Traduction]

Mme Achneepineskum : Meegwetch, sénatrice Audette. Comme toujours, c’est un grand honneur d’échanger avec vous. Merci de votre question.

Comme représentants de l’Assemblée des Premières Nations, nous devons communiquer avec les communautés et les citoyens à qui nous rendons des comptes. Nous devons nous assurer qu’un processus est en place à cette fin et que le conseil en question rend des comptes aux personnes qui constituent sa raison d’être. Il doit y avoir un processus permettant de communiquer, de participer et de nous faire entendre. C’est très important. Ces éléments doivent tous faire partie du processus.

Je ne suis pas en mesure de fournir des réponses aux autres commentaires que vous avez formulés. Je les ai pris en note et j’y répondrai par écrit. Meegwetch.

La sénatrice Audette : Merci.

M. Obed : Nakurmiik. Merci pour la question, sénatrice Audette.

Nous aurions aimé voir des changements fondamentaux qui dépassent la portée du projet de loi, surtout dans une optique de responsabilité gouvernementale. La première chose qui me vient à l’esprit est le Tribunal des droits de la personne pour les peuples autochtones, dont la mise sur pied figurait dans les appels à la justice. L’ITK le réclame depuis 2017, et nous espérons continuer à promouvoir ce projet en prenant pour levier le plan d’action de la déclaration des Nations unies. Ce serait formidable également si le projet de loi pouvait galvaniser et renforcer le Comité du partenariat entre les Inuits et la Couronne selon l’approche fondée sur les distinctions. Nous devinons toutefois que ces amendements ne seront probablement pas bien reçus.

Que fera le conseil à cet égard? Il va sillonner le pays et tenter de travailler en faveur de la réconciliation en fournissant des lieux et des occasions de réconciliation entre les Autochtones et les non-Autochtones. Il nous faut des institutions qui mettent en place ces espaces et qui rendent compte aux Canadiens du travail et des progrès accomplis pour la réconciliation. Par contre, en accolant le concept de responsabilité gouvernementale à un organisme sans but lucratif qui n’a pas la capacité de prendre concrètement ces responsabilités, nous restons dans l’espace où nous nous trouvons actuellement.

Parlons maintenant du débat sur la composition du conseil et des organismes qui ont été retenus ou non. Il y a beaucoup de travail à faire au Canada. Le gouvernement est à peine en mesure de reconnaître officiellement les institutions titulaires des droits des Inuits et de les distinguer des organismes de défense des intérêts et d’autres groupes — au niveau national, régional ou communautaire — qui se penchent sur les problèmes ou les préoccupations des peuples autochtones, mais qui sont fondamentalement différents des organismes gouvernementaux.

Le Canada n’a pas évolué au point où les gouvernements respectent les institutions titulaires des droits et font la distinction entre ces dernières et les organismes de défense des intérêts. Le comité sera aux prises avec cette question tant que le projet de loi ne renfermera pas de dispositions qui permettront de résoudre avec sagesse ces difficultés.

Le président : Merci, monsieur Obed. Madame Caron, si vous avez quelque chose à ajouter, je vous demanderais de le faire par écrit. Nous devons mettre fin à la réunion à 11 heures.

Mme Caron : Certainement. Je suis tout à fait d’accord avec M. Obed et avec tout ce qu’il vient de dire.

Le président : Merci de votre réponse.

La sénatrice Coyle : Merci à tous les témoins. Cette conversation est d’une importance cruciale. Le comité en est à un tournant, et le processus aussi.

Aujourd’hui, nous sommes saisis du projet de loi. Il a été adopté par la Chambre, et le voilà entre nos mains. Nous nous trouvons dans une situation inusitée, et vous avez à juste titre, honnêtement et intelligemment, souligné que le texte que nous étudions, selon ce que nous en ferons — vous avez exprimé vos craintes et vos préoccupations à cet égard —, pourrait en fait saper l’intention dans laquelle il a été déposé. Nous sommes toujours à l’affût des conséquences non voulues des projets de loi. C’est le travail des comités sénatoriaux et du Sénat comme institution. La dernière chose que nous souhaiterions, c’est de voir cette mesure miner le processus de réconciliation avec les Inuits, les relations avec les Métis dont nous venons de parler et les préoccupations que la grande cheffe adjointe Achneepineskum a exprimées. Cette question mérite d’être soulevée, et je ne veux pas que votre témoignage s’arrête là conformément à ce que nous ferions d’habitude. Nous vous avons entendu. Nous avons reçu vos recommandations et nous avons des amendements, mais nous sommes encore très loin du but selon ce que j’ai cru comprendre, quoique nous n’en serions peut-être pas si loin si nous trouvions une solution mitoyenne acceptable.

Je voulais justement vous demander quelle serait cette solution mitoyenne. On a parlé d’efforts accrus de la part du conseil d’administration provisoire pour rejoindre vos organismes membres et d’autres organismes au pays. Selon vous, quel stade relierait la situation actuelle et la mise en place d’un conseil fiable et efficace pour votre organisme et pour tous les Canadiens? Évidemment, le conseil est là pour tous les Canadiens.

M. Obed : C’est seulement la troisième fois dans l’histoire du pays que l’Inuit Tapiriit Kanatami est mentionné dans une loi fédérale. C’est assez ironique étant donné les points de vue que je vous ai présentés aujourd’hui.

En 2018, le conseil provisoire avait recommandé que le projet de loi soit élaboré en collaboration avec les organismes autochtones nationaux. Aucune suite n’a été donnée. Nous vivons en ce moment avec les conséquences de ce mode opératoire et des mesures exubérantes qui ont été prises au mépris des préoccupations soulevées.

Le Canada ne comprend pas encore que la notion de réconciliation est intriquée avec les droits. Le projet de loi table sur cette ignorance. Pas étonnant alors que cette mesure ait été adoptée unanimement à la Chambre des communes. En effet, qui peut être contre la réconciliation? Combien de Canadiens se lèveraient et s’opposeraient au projet de loi? Combien de Canadiens peuvent comprendre pourquoi nous nous y opposons?

Oui. Le temps est essentiel, mais il doit exister un moyen de faire valider nos préoccupations par le gouvernement en suivant vos processus, car c’est un passage obligé. Je recommanderais de revenir en arrière et de travailler avec le gouvernement à la Chambre des communes pour modifier le projet de loi et le renvoyer au comité lorsqu’il sera prêt. Toutefois, connaissant votre système, je suis bien conscient que cette idée est ridicule. En fait, je suis aussi désemparé que vous.

Le président : Merci de votre réponse, monsieur Obed. Nous devons passer à la prochaine question. Je rappelle aux témoins qui souhaiteraient fournir une réponse par écrit de ne pas hésiter à le faire.

La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés. Les appels à l’action proviennent d’histoires d’anciens élèves des pensionnats, dont je fais partie et dont 92 % étaient des membres des Premières Nations. Je pose la question à la nation métisse. Concernant ces anciens élèves, comment votre programme et vos besoins s’inscrivent-ils dans les appels à l’action émanant de la Commission de vérité et réconciliation? Voilà ma première question.

Ensuite, tout le monde — même le premier groupe de témoins — a parlé de l’approche fondée sur les distinctions en faisant valoir que le modèle pancanadien ne fonctionnerait pas parce que chaque groupe — les Métis, les Inuits et les Premières Nations — a sa propre histoire. Or, nous n’avons pas encore entendu les histoires de la nation métisse et de la rafle des années 1960. Les membres de ce groupe ont des besoins uniques qui nécessitent des solutions uniques. Quelles sont vos recommandations à cet égard, et quels sont les objectifs de réconciliation? Je pense que cela varie d’un groupe à l’autre. Chacun des trois groupes emprunte sa propre voie vers l’autodétermination et vers sa souveraineté en tant que peuple autochtone. Il y a ces éléments disparates et il y a le projet de loi.

La chose qui nous unit est l’appel à l’action 46 :

la pleine adoption et la mise en œuvre complète de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre de la réconciliation.

Toutefois, cet énoncé relève encore du plan d’action. C’est seulement un squelette. Pourriez-vous formuler des commentaires ou des résolutions? Il règne encore un certain magma entre les trois groupes. Nous devons les examiner séparément. Qu’en pensez-vous?

Mme Caron : Merci, sénatrice. Comme vous l’avez dit, la Commission de vérité et réconciliation ne tient pas compte des réalités vécues, des expériences et des perspectives de la nation métisse. Les Métis ne sont pas signataires de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, en tout cas pas la majorité des survivants métis des pensionnats. Certains ont glissé entre les mailles du filet et ont profité de la convention de règlement, mais pas la vaste majorité. La fondation ne reflète donc pas les besoins persistants de la nation métisse.

Nos survivants luttent toujours pour la reconnaissance, et j’aimerais avoir l’occasion un jour de venir vous parler de l’Île-à-la-Crosse et des injustices que subissent encore ces Métis, qui après presque sept générations ne sont toujours pas reconnus comme survivants des pensionnats.

Je vais vous fournir davantage d’informations par écrit, mais nous soutenons l’intention générale des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation qui est de faire progresser le programme de la réconciliation. Cela dit, il est primordial que ce programme tienne compte des distinctions pour que les histoires et les priorités de la nation métisse ne se perdent pas en cours de route. Comme vous l’avez dit, il est important de reconnaître l’autodétermination de chacune des nations, principe que ne respecte absolument pas le conseil proposé.

Le président : Malheureusement, en raison des services d’interprétation, nous devons nous arrêter à 11 heures. Je rappelle aux témoins qu’ils peuvent fournir des informations supplémentaires par écrit s’ils le souhaitent. Le temps de ce groupe de témoins est écoulé. Je voudrais remercier encore une fois les témoins de leur présence parmi nous aujourd’hui et de leurs témoignages marquants.

(La séance est levée.)

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