LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 14 juin 2023
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, j’aimerais commencer par souligner que nous nous réunissons aujourd’hui sur le territoire ancestral traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe, qui accueille maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis, d’Epekwitk, aussi connue sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité des peuples autochtones.
Je vais maintenant demander aux sénateurs qui sont ici de se présenter en précisant leur nom et la province ou le territoire d’où ils viennent.
Le sénateur Arnot : Sénateur David Arnot, de la Saskatchewan, territoire du Traité no 6.
La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique, territoire du Traité no 6.
La sénatrice Martin : Bonsoir. Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Coyle : Bonsoir et bienvenue. Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Bonsoir. Patti LaBoucane-Benson, du territoire du Traité no 6, en Alberta.
La sénatrice Audette : [Mots prononcés en innu-aimun] Michèle Audette, du Québec.
Le président : Aujourd’hui, nous poursuivons l’étude du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.
Avant de commencer, j’aimerais demander à tout le monde de s’en tenir à des échanges courts. En raison des contraintes de temps, chaque sénateur disposera de cinq minutes pour poser une question et recevoir une réponse.
Nous allons donner la priorité aux membres du comité, puis nous passerons à nos autres collègues. S’il reste du temps, nous entamerons un deuxième tour. De plus, je demanderais aux témoins de fournir par écrit, avant la fin de la semaine, toute réponse qu’ils n’auront pas eu le temps de donner.
J’aimerais maintenant vous présenter notre premier groupe de témoins : Katherine Strongwind, directrice de 60s Scoop Legacy of Canada. De l’Association des femmes autochtones du Canada, nous accueillons Carol McBride, présidente, et Lisa J. Smith, conseillère intérimaire de la présidente. Nous accueillons également, à titre personnel, David MacDonald, professeur de science politique à l’Université de Guelph.
Merci à tous de vous joindre à nous aujourd’hui. Les témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs.
Pour nous aider à respecter les délais et à assurer l’équité pour tous, une fois que vous serez rendus à quatre minutes, je vous ferai signe qu’il vous reste une minute. Je vous demanderais de faire attention pour que je n’aie pas à vous interrompre, parce que c’est ce que j’aime le moins dans mon travail.
J’invite maintenant Katherine Strongwind à faire sa déclaration préliminaire.
Katherine Strongwind, directrice, 60s Scoop Legacy of Canada : Boozhoo et bonsoir. Je m’appelle Katherine Strongwind. Je suis une adoptée autochtone de Winnipeg, au Manitoba. J’ai été adoptée à la naissance par une famille non autochtone à laquelle je ne parle plus.
Mes deux parents biologiques sont décédés avant que j’aie 12 ans, et j’ai quatre frères et sœurs, dont trois que je n’ai jamais rencontrés. Le frère que j’ai rencontré en 2019 est décédé d’une surdose en juin 2020. Il a fallu plus d’un mois avant que j’apprenne qu’il était décédé.
Je vous en fais part pour souligner que les survivants de la rafle des années 1960 et les membres de nos familles continuent de composer avec les effets liés à notre enlèvement et à notre adoption forcés, ainsi qu’avec le traumatisme intergénérationnel des pensionnats et des externats indiens.
Aujourd’hui, je m’adresse à vous depuis le territoire non cédé de la nation de T’Sou-ke à titre de directrice bénévole de 60s Scoop Legacy of Canada et de conseillère de la ministre de l’Emploi, du Développement économique et de l’Innovation de la Colombie-Britannique.
J’aimerais remercier la sénatrice Mary Jane McCallum d’avoir proposé que je prenne la parole devant vous aujourd’hui pour parler du projet de loi C-29.
60s Scoop Legacy of Canada est un organisme national sans but lucratif de soutien par les pairs créé en 2017. Nous défendons les intérêts des survivants de la rafle des années 1960, sensibilisons les gens à la rafle des années 1960 et faisons la promotion de la guérison et du bien-être des survivants et de nos familles. Notre conseil d’administration compte des survivants des Premières Nations, indiens non inscrits, métis et inuits. Nous n’avons jamais reçu de financement des programmes gouvernementaux depuis la création de notre organisme.
Notre conseil d’administration, composé de 13 survivants, appuie en principe le projet de loi C-29, moyennant trois amendements. D’abord et avant tout, il doit y avoir au moins un survivant de la rafle des années 1960 au conseil.
En tant que survivants directs des politiques et des lois d’assimilation du gouvernement — qui ont eu des effets à long terme dont nous continuons de souffrir —, nous devons avoir un siège à la table où sont prises les décisions concernant notre guérison.
Notre enlèvement n’a pas affecté que nous. Il a profondément blessé nos parents, nos frères et sœurs, nos grands-parents, nos enfants, nos tantes, nos oncles, nos cousins, nos aînés et nos collectivités.
En 2021, de concert avec l’ancien sénateur Murray Sinclair, nous avons demandé au gouvernement fédéral de lancer une enquête nationale sur la rafle des années 1960. Il s’agit d’une étape importante vers la vérité et la guérison pour de nombreux survivants, mais les ministres n’ont pas répondu à nos appels.
À ce jour, le gouvernement fédéral n’a pas vraiment reconnu les survivants de la rafle des années 1960 et nos parents, non plus que ceux qui sont morts dans un foyer d’accueil ou aux mains de leurs gardiens, par une enquête, par des excuses ou par du soutien à la guérison.
Cela fait partie du travail que nous accomplissons à 60s Scoop Legacy of Canada : nous sensibilisons les gens aux expériences uniques des survivants de la rafle des années 1960 et à la nécessité d’un soutien à la guérison pour nous et nos familles. Il est donc tout à fait approprié que nous nommions un membre de notre conseil d’administration au Conseil national de réconciliation, afin de poursuivre le travail que nous faisons au nom des survivants autochtones de la protection de l’enfance et de l’adoption forcée.
Ensuite, le Conseil national de réconciliation doit compter un représentant qui soit un Indien non inscrit. De nombreux Indiens non inscrits ont été dépossédés de leurs droits issus de traités et de leur statut lorsque le gouvernement fédéral a voulu priver les Indiens et les sang-mêlé de leurs droits fonciers.
Dans ma famille paternelle, le père de mon arrière-grand-mère a renoncé pour elle, lorsqu’elle avait 3 ans, à son statut d’Indien visé par un traité en échange d’un certificat de Métis promis par le gouvernement, qui, comme nous le savons tous, a rarement été remis. Nous savons aussi maintenant qu’il s’agissait d’une ruse pour permettre aux colons non autochtones d’acheter des lots de colonisation et des propriétés sur des terres indiennes volées.
Les Indiens non inscrits continuent d’être sous-représentés dans les discussions sur la réconciliation. Il doit donc y avoir un représentant des Indiens non inscrits au conseil en tant que personne ayant une expérience vécue, et non en tant que titulaire d’une charge publique.
Enfin, le Conseil national de réconciliation doit être doté d’un mécanisme pour prévenir la fraude à l’identité autochtone ou les « faux Indiens ». L’auto-identification n’est plus un moyen acceptable de prouver l’indigénéité. Il est non seulement moralement et éthiquement répréhensible de prétendre faussement être Autochtone, mais c’est aussi une insulte pour ceux d’entre nous qui ont été arrachés à leur famille et qui ont travaillé fort pour rétablir nos liens avec notre culture et notre communauté. À notre avis, il ne devrait jamais y avoir de membre non autochtone au conseil.
Pour terminer, je voudrais dire que 60s Scoop Legacy of Canada appuie le projet de loi C-29, qui vise à créer le Conseil national de réconciliation, moyennant ces trois amendements.
Nous remercions tous les législateurs de leur travail sur cette étape importante vers la mise en œuvre des appels à l’action 53 à 56 de la Commission de vérité et réconciliation, et nous faisons écho aux appels lancés au gouvernement pour qu’il fournisse un financement qui assurera la réussite du conseil national.
Meegwetch. Merci du temps que vous m’avez accordé aujourd’hui.
Le président : Merci, madame Strongwind. J’invite maintenant Mme McBride à faire sa déclaration préliminaire.
Carol McBride, présidente, Association des femmes autochtones du Canada : Bonsoir. Je suis très heureuse d’être ici aujourd’hui, sur le territoire non cédé et non abandonné de la nation algonquine anishinabe, ma terre natale.
Je tiens à remercier les honorables membres du comité de leur bon travail.
Le projet de loi C-29 est un élément important pour la vérité et la réconciliation : c’est peut-être l’élément le plus important parce qu’il concerne la mise en œuvre. Il concerne le fait de veiller à ce que les 94 appels à l’action soient mis en œuvre.
L’honorable Murray Sinclair, président de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, a dit : « L’éducation nous a mis dans ce pétrin, et l’éducation nous en sortira. »
Voici ce que nous savons. Nous savons que l’article 3 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dit ceci :
Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes.
Nous savons que les processus coloniaux perpétuent souvent les torts causés aux gens que je représente, c’est-à-dire les femmes, les filles, les personnes transgenres et les personnes de diverses identités de genre d’un océan à l’autre.
Nous savons que l’appel à l’action 53 de la Commission de vérité et réconciliation dit ceci :
Nous demandons au Parlement du Canada, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, d’adopter une loi visant à établir un Conseil national pour la réconciliation.
L’Association des femmes autochtones du Canada, ou l’AFAC, n’a pas été consultée. Si nous l’avions été, nous aurions été inclus dans le texte original du projet de loi. Cependant, je suis heureuse que le projet de loi ait été amendé à l’étape de l’étude en comité à la Chambre des communes. Je suis heureuse que la Chambre des communes reconnaisse que l’AFAC aidera le conseil à remplir son mandat.
Nous savons également que l’objectif du conseil est de favoriser la réconciliation avec les peuples autochtones et, conformément à l’alinéa 7d) du projet de loi, de surveiller les politiques, lois et programmes fédéraux qui ont une incidence sur les peuples autochtones.
L’AFAC est un chef de file reconnu à cet égard. L’AFAC offre une voix distincte pour défendre les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Il est important de garder à l’esprit que l’AFAC est une voix inclusive. Nous comptons parmi nos membres des membres des Premières Nations vivant dans les réserves et hors réserve, des Indiens inscrits et non inscrits, des Métis et des Inuits.
Nous savons que les torts coloniaux sont perpétués par la Loi sur les Indiens. Les femmes autochtones et leurs descendants — les gens qui, dans l’esprit du gouvernement, ne détiennent pas de droits — continuent d’être aliénés. L’AFAC veille à ce que leurs droits soient respectés et à ce qu’ils soient représentés dans les négociations. Nous représentons également les Autochtones vivant en milieu urbain.
Nous sommes la voix de ceux qui ne sont plus avec nous, de ceux dont les droits ont été bafoués. Il y a un génocide au Canada.
Nous savons que l’une des voies fédérales du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées est « refuser de reconnaître la capacité d’agir et de l’expertise des femmes et des filles autochtones […] ». Je félicite les parlementaires de veiller à ce que la capacité d’agir et l’expertise de nos femmes soient incluses.
Enfin, nous savons que le paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme des droits ancestraux et issus de traités qui sont garantis aussi bien aux hommes qu’aux femmes.
Je vis selon les enseignements des sept grands-pères, dont l’un est la vérité. J’espère que nous pourrons tous travailler ensemble pour vivre notre vérité et mettre en œuvre les 94 appels à l’action.
Encore une fois, pour reprendre la conviction de l’honorable Murray Sinclair, nous agissons mieux lorsque nous en savons davantage.
Merci. Meegwetch.
Le président : Merci, madame McBride. J’invite maintenant M. David MacDonald à faire sa déclaration préliminaire.
David MacDonald, professeur de sciences politiques, Université de Guelph, à titre personnel : Meegwetch. Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui. Je suis un colon indo-trinidadien-écossais originaire du territoire visé par le Traité no 4, mais je vous parle de Tāmaki Makaurau, ou Auckland, la terre ancestrale de neuf Māori iwi qui sont mana whenua et qui assurent la kaitiakitanga — la protection — du territoire. C’est aussi mon 50e anniversaire ce matin.
Je remercie la sénatrice McCallum et son personnel de leur soutien pendant mes préparatifs en vue de la réunion. J’ai huit recommandations. Étant donné que certaines d’entre elles demandent des amendements au projet de loi C-29, je fournirai un libellé précis pendant la période des questions.
Le libellé se trouve dans mon mémoire, que la greffière a en main, de sorte que les membres du comité peuvent consulter le tout durant mon témoignage. J’ai un mémoire plus long de 4 500 mots qui contient plus de détails, si les membres du comité souhaitent le consulter.
Premièrement, je recommande d’augmenter le financement fédéral à au moins 450 millions de dollars — 600 à 800 millions de dollars seraient mieux — pour que le conseil puisse être indépendant et générer ses propres revenus. Une telle structure correspond au modèle de la Fondation autochtone de guérison, qui est devenue autosuffisante grâce à un investissement total de 515 millions de dollars. Le conseil aura besoin d’argent pour recueillir des données, faire participer des témoins et maintenir un personnel de chercheurs et d’universitaires engagés dans la collectivité. Le conseil peut aussi financer des projets au niveau communautaire afin de favoriser la réconciliation. Des fonds pourraient également être consacrés à des mécanismes de surveillance et au recours à des experts juridiques si le gouvernement et les institutions choisissent de ne pas divulguer l’information.
Deuxièmement, le conseil doit avoir des pouvoirs judiciaires comparables à ceux d’un organisme d’enquête publique en vertu de la Loi sur les enquêtes, y compris la capacité d’assigner des témoins à comparaître et de demander que des documents et d’autres renseignements pertinents soient fournis. Contrairement aux organismes d’enquête temporaires, le conseil doit avoir un statut de tribunal permanent.
Troisièmement, le mandat du conseil doit inclure tous les ordres de gouvernement au Canada. Le gouvernement fédéral n’étant qu’une incarnation du gouvernement de la Couronne, des exemplaires du rapport annuel devraient être présentés aux gouvernements provinciaux et territoriaux, aux administrations municipales et aux représentants officiels de la Couronne. Les rapports devraient également être adaptés lorsqu’il y a des préoccupations thématiques particulières qui relèvent de la compétence des ordres de gouvernement infranationaux. J’ai recommandé des modifications précises au préambule et à l’article 17 du projet de loi concernant le rapport du conseil, le dépôt au Parlement et la réponse du gouvernement.
Quatrièmement, la compréhension de la réconciliation doit évoluer au-delà de la Commission de vérité et réconciliation, la CVR. J’ai proposé des ajouts à l’article 7 du projet de loi concernant les fonctions du conseil. Les 94 appels à l’action devraient constituer une référence, mais pas une norme immuable. Après tout, la CVR était une entité post-judiciaire qui avait des contraintes en vertu de son mandat, et ses recommandations dateront peut-être d’une dizaine d’années lorsque le conseil commencera ses activités. Il doit y avoir des mécanismes touchant les nouveaux appels à l’action à mesure qu’ils sont formulés, y compris les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, les recommandations du Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens, et toute violation de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Cinquièmement, la portée du conseil doit être élargie pour inclure les Églises chrétiennes et d’autres institutions censément caritatives qui participent au système des pensionnats indiens et au colonialisme qui a toujours cours. Le conseil devrait indiquer clairement les mécanismes par lesquels il peut recommander à l’Agence du revenu du Canada de suspendre le statut d’organisme de bienfaisance des institutions qui abusent de leur statut en retenant de l’information sur des crimes passés ou actuels dont elles pourraient être responsables. Il devrait s’agir d’un dernier recours, mais d’une option qui est quand même sur la table.
Sixièmement, le conseil doit être conscient des génocides et des traumatismes subis et il ne doit jamais présumer que les ordres de gouvernement sont politiquement neutres ou qu’ils favorisent nécessairement les droits des Autochtones. Le préambule doit être modifié afin d’inclure la reconnaissance du génocide, pour aller au-delà du langage d’assimilation. Encore une fois, je peux fournir un libellé précis. Il pourrait être nécessaire d’adopter une position plus antagoniste au sein du conseil lorsque les ordres de gouvernement ou d’autres institutions ne coopèrent pas.
Septièmement, le conseil devrait également présenter ses rapports aux Nations unies. La Couronne canadienne et les ordres de gouvernement associés doivent rendre des comptes à l’échelle internationale. Le conseil devrait déposer son rapport annuel auprès du Rapporteur spécial des Nations unies, du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones et de l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations unies, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Huitièmement, le conseil devrait élaborer des protocoles touchant l’utilisation de l’intelligence artificielle, l’IA. Le conseil doit prendre fermement position contre l’utilisation de la surveillance reposant sur l’IA et protéger la vie privée et la souveraineté des données des Autochtones. Le conseil devrait trouver des façons d’utiliser l’IA pour atteindre des objectifs positifs, comme surveiller les politiques gouvernementales à tous les niveaux et suivre la réaction des institutions, y compris la Gendarmerie royale du Canada et les Églises canadiennes, aux changements suggérés par le conseil, en plus d’effectuer des analyses des médias, des sondages agrégés et d’autres types de collecte et d’analyse d’information. Le conseil devrait réserver des fonds pour générer de l’expertise et des capacités afin de veiller à ce que l’IA ne soit plus nuisible aux peuples autochtones et à ce qu’elle puisse être utile sur le plan de l’agrégation et de la collecte de données.
Meegwetch. Je vous remercie de votre invitation à participer à la séance, et je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le président : Merci, monsieur MacDonald. Je tiens à mentionner aux membres du comité que le mémoire mentionné par M. MacDonald vous a été transmis vendredi dernier par courriel et qu’il est accessible en ligne. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Le sénateur Arnot : Je remercie tous les témoins qui sont ici ce soir pour leurs exposés.
J’ai une question pour chacun d’entre vous. C’est une question que j’ai posée à quelques reprises. Ce projet de loi n’est pas parfait. D’une part, certains aspects du projet de loi suscitent beaucoup d’inquiétude, et chaque témoin ici présent a relevé certaines lacunes. D’un autre côté, est-il dans l’intérêt des Canadiens — et du travail du Conseil national de réconciliation — de commencer le plus tôt possible, nonobstant les recommandations que vous avez formulées concernant certains amendements? C’est la question que je pose à chaque témoin.
Mme McBride : Je crois que nous avons perdu beaucoup de temps jusqu’à maintenant et qu’il est urgent de commencer. J’espère que nous pourrons nous mettre au travail dès maintenant. Comme vous pouvez le constater, de nombreuses plaintes ont été formulées au sujet de la lenteur avec laquelle le gouvernement a procédé à la mise en œuvre. J’aimerais certainement que des mesures soient prises immédiatement, ou le plus tôt possible. Merci.
M. MacDonald : Je suis tout à fait favorable à ce que nous procédions le plus rapidement possible. J’ai recommandé un libellé, alors je suppose que mes recommandations pourraient être incluses; si les gens sont d’accord, c’est parfait, sinon, il y aura peut-être des choses à faire à l’avenir. Je crois que c’est important.
La question du financement est importante; je pense qu’elle va poser de sérieux problèmes. Au cours d’une des séances précédentes avec mon collègue Ian Mosby, je crois que le sénateur Arnot a conclu que les fonds du gouvernement s’élevaient à 2,6 millions de dollars par année. Je ne veux pas que cela se fasse, par exemple, à l’Université du Manitoba, où divers gouvernements peuvent choisir de réduire le financement des universités. Cette situation met en péril le travail du conseil. Je ne voudrais pas qu’ils soient redevables aux Églises. Prenez l’Église catholique, qui a dit qu’elle fournirait 30 millions de dollars, et qui a maintenant 10,3 millions de dollars, ou quelque chose du genre. S’il y a un changement de gouvernement provincial ou fédéral, nous ne pouvons pas nécessairement compter sur un financement donné de cette façon. Je suis fortement en faveur du modèle de la Fondation autochtone de guérison. Le conseil intérimaire a proposé 1 milliard de dollars, qui provient du site Web Indigenous Watchdog; je ne sais pas si c’est exact, mais je crois que oui.
Si vous voulez procéder dans l’état des choses actuel, je suppose que ça va. Je pense que Mme Strongwind a soulevé des points importants et essentiels au sujet de la représentation. Je ne pense pas que le conseil puisse être viable s’il n’a pas plus d’argent, sinon ce sera une émanation du gouvernement, des entreprises, des églises ou des universités, ce qui signifie qu’il sera une émanation du gouvernement provincial hôte. L’indépendance et la marge de manœuvre du comité seraient alors limitées. C’est ce que je pense.
Le président : Madame Strongwind, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Strongwind : Je suis d’accord avec les deux témoins pour dire que le temps presse. Nous perdons rapidement des survivants. Bon nombre d’entre eux vieillissent et ne se portent pas bien, et huit ans se sont écoulés depuis la fin de l’enquête de la Commission de vérité et réconciliation. Je pense que c’est le temps de vraiment faire avancer les choses. Je suis d’accord avec la préoccupation concernant le financement. Je suis prêt à commencer demain; je plaisante, mais je ne plaisante pas vraiment.
Le président : Merci.
La sénatrice Martin : Je remercie tous les témoins.
Monsieur MacDonald, votre liste de huit recommandations a retenu mon attention, surtout le dernier point, et je pourrais donc vous poser une question à ce sujet.
Mais d’abord, si vous me le permettez, j’aimerais m’adresser à la présidente McBride. Dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai mentionné qu’il a fallu que mes collègues conservateurs au comité fassent en sorte que le conseil d’administration du conseil ait une place réservée à votre organisation. Vous avez mentionné que vous n’aviez pas été consultés. C’est inquiétant parce que vous êtes une organisation importante. Je me demande si vous pourriez parler de ce qui s’est passé ou du manque de consultation auprès de votre organisation. Aussi, que pensez-vous de la composition du conseil d’administration? Devrait-il y avoir un nombre égal d’hommes et de femmes? Que pensez-vous de la composition des places restantes au conseil d’administration?
Mme McBride : Tout d’abord, je suis devenue présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada en juillet dernier, alors je vais répondre à la lumière de ce que je sais.
À ma connaissance, nous n’avons participé à aucune consultation. La seule fois où j’ai fait quelque chose de pertinent à ce sujet, c’était dans le cadre de ma présentation à la Chambre des communes.
Mme Smith m’accompagne également. Elle est avocate de l’association depuis un certain temps, alors elle a peut-être d’autres renseignements sur les consultations avec l’AFAC, mais je crois qu’il n’y en a pas eu.
Pour ce qui est de votre autre question sur la composition du conseil, il devrait y avoir une représentation égale de femmes et d’hommes. Je représente des femmes et des familles, alors nous devons y affecter plus de femmes parce que nous sommes certainement le cœur de nos nations. C’est ce que je pense. Je crois aussi que le groupe devrait refléter la situation au Canada.
Lisa J. Smith, conseillère intérimaire de la présidente, Association des femmes autochtones du Canada : Je dirais que l’AFAC n’a pas été consultée, ce qui ressort du texte original du projet de loi. Bien sûr, nous avons été exclus. S’il y avait eu des consultations partout au pays, nous aurions figuré dans le texte original.
Je vais parler du paragraphe 12(2) du projet de loi. Il y est question de la diversité des sexes, et c’est un élément clé. Je tiens à souligner que nous aimerions également que les personnes transgenres et de diverses identités de genre en fassent partie.
La sénatrice Martin : Le parrain du projet de loi à la Chambre a dit ce qui suit :
[…] nous avons adopté une approche collaborative pour élaborer le projet de loi C-29. La consultation des chefs et des communautés autochtones a fait partie intégrante du processus, du début jusqu’à la fin.
Il est donc surprenant que vous n’ayez pas participé à ce processus, car vous représentez une organisation si importante.
Pour revenir à M. MacDonald, vous avez formulé des recommandations très fortes. La dernière recommandation a retenu mon attention. L’intelligence artificielle est en quelque sorte le sujet du jour. Je me suis demandé ce que vous vouliez dire par l’élaboration de protocoles. Avez-vous des exemples d’utilisation efficace de l’IA dans le cadre des travaux d’organisations ou de conseils comme celui-ci? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce dernier point?
M. MacDonald : Absolument. Merci, sénatrice Martin. Un groupe de travail autochtone sur l’IA a produit un certain nombre de rapports, en partie par l’intermédiaire de l’Université Concordia. Il y a une dimension canadienne à cela. Ils ont établi une série de protocoles et d’idées sur la façon dont l’IA peut servir.
Il s’agit en partie de respecter la souveraineté du statut autochtone et, en partie, de ne pas utiliser l’intelligence artificielle pour contrôler et surveiller ou essayer de prédire le comportement des peuples autochtones, surtout avec différentes formes de surveillance.
Il y a aussi un potentiel énorme. Vous pourriez examiner les données des sondages et d’autres choses. L’intelligence artificielle donne l’occasion, d’une certaine façon, d’examiner ce que font tous les ordres de gouvernement. Je n’ai pas de protocoles précis. Ce n’est pas mon domaine d’expertise, mais c’est, comme vous l’avez dit, un secteur en croissance.
Si le conseil n’a pas de protocoles et de position sur l’utilisation de l’IA par les gouvernements contre les peuples autochtones, il y a un risque de préjudice continu. À l’heure actuelle, il y a des problèmes. J’insiste aussi sur le potentiel du mécanisme moderne. Je travaille avec un étudiant postdoctoral, qui est un chercheur métis, à mon université, et nous examinons certaines de ces questions. C’est lui l’expert, pas moi. J’espère avoir répondu à la question.
Le président : Oui. Merci.
La sénatrice Coyle : Je remercie tous nos témoins. J’ai une petite question pour chacun d’entre vous.
Madame la présidente McBride, je vais commencer par vous. Vous avez mentionné que l’AFAC représente les femmes autochtones. Pouvez-vous nous dire comment elle représente — et comment elle représenterait — les femmes inuites et métisses en particulier? Nous savons que ces communautés autochtones ont leurs propres organisations représentatives. Quel lien entretenez-vous avec ces organisations si l’AFAC était représentée — et je suis heureuse du fait qu’il semble que l’AFAC sera représentée — au sein du conseil?
Mme McBride : Je vous remercie de vos questions. Au sein de notre organisation, que ce soit pour les Métis, les Indiens inscrits ou qui que ce soit d’autre, nous avons un objectif principal : la défense des droits. Nous avons un objectif principal en ce qui concerne les besoins de nos familles partout au pays. Nous essayons de mettre au point des outils qui les aideront à être plus en sécurité. Nous travaillons dans des domaines problématiques, comme le logement, la santé et bien d’autres; il y a tellement de domaines à nommer.
Dans tous ces domaines, nous avons l’information et les données nécessaires pour participer pleinement aux discussions.
La sénatrice Coyle : En ce qui concerne les femmes inuites et métisses du pays, quels liens entretenez-vous avec ces communautés de femmes?
Mme McBride : Au sein de notre conseil d’administration, nous avons des AMPT — des associations membres provinciales et territoriales — pour chaque province et territoire. Elles représentent les femmes de leur province ou de leur territoire, qu’elles soient métisses ou autres. C’est la province ou le territoire qui attirera — je ne veux pas dire « différents types » de femmes — les Métis, les Indiens inscrits ou les transgenres. Chaque AMPT est responsable d’écouter, d’aider et d’essayer d’être là pour répondre aux besoins de nos femmes. Elles joueront un rôle important dans la mise en lumière de leurs besoins et de leurs expériences. Les expériences varient d’un bout à l’autre du pays. Elles nous font part de cela aussi, et c’est quelque chose que nous avons.
La sénatrice Coyle : Merci.
Je vais maintenant passer rapidement à M. MacDonald. Je crois comprendre que vous avez effectué des recherches approfondies afin de comparer les efforts de réconciliation de la Nouvelle-Zélande à ceux du Canada; en reconnaissant, bien sûr, qu’il s’agit de contextes très différents. Pourriez-vous nous faire part des leçons tirées des réussites et des échecs qui pourraient nous être utiles?
Je sais que vous nous avez formulé des recommandations très concrètes. Y a-t-il des leçons que vous pourriez tirer de l’expérience de la Nouvelle-Zélande en ce qui concerne ses réussites et ses échecs dans ce domaine?
M. MacDonald : Oui, merci beaucoup. Quelques éléments me viennent à l’esprit : premièrement, aujourd’hui, le maori est une langue officielle de la Nouvelle-Zélande. Je pense que les langues autochtones pourraient devenir les langues officielles du Canada ou, à tout le moins, dans les provinces où résident les nations autochtones. Ce serait déjà une chose.
Deuxièmement, il y a des sièges garantis au Parlement pour les peuples autochtones; il y en a sept dans le cas d’Aotearoa, en Nouvelle-Zélande. On pourrait envisager quelque chose de ce genre aux paliers provincial et fédéral.
Troisièmement, il y a de 30 à 35 places garanties pour les peuples autochtones aux conseils municipaux partout au pays. Cela pourrait aussi être une façon d’aller de l’avant. Il y a aussi le tribunal Waitangi, qui est un tribunal permanent d’enquête sur les violations du traité de Waitangi, ou Te Tiriti o Waitangi, qui est le traité fondateur d’Aotearoa, en Nouvelle-Zélande. Shin Imai et d’autres à la Faculté de droit Osgoode Hall, ainsi que de nombreux dirigeants autochtones, ont fait valoir que nous n’avons rien de tel.
Je dis que nous avons besoin de quelque chose de ce genre. Le conseil pourrait refléter, en partie, des aspects semblables à ceux du tribunal Waitangi, dans la mesure où il s’agit d’une structure permanente et bien financée. Le Tribunal de Waitangi n’a pas les pouvoirs judiciaires que nous devrions avoir ici, mais certains aspects de ce modèle seraient utiles. Nous n’avons pas d’organisme chargé d’examiner les violations flagrantes des traités ou de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. C’est quelque chose que la Nouvelle-Zélande fait raisonnablement bien. Les règlements sont plutôt modestes. Les Néo-Zélandais ne font pas un travail parfait, mais ils sont quand même un peu en avance sur nous à cet égard.
Ce ne sont là que quelques éléments qui me viennent à l’esprit et qu’il serait intéressant d’examiner. Il y en a beaucoup d’autres, mais c’est un début.
Le président : Merci.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci. Je vais commencer par Mme Strongwind. Le paragraphe 16(2) du projet de loi est ainsi libellé :
Le protocole doit permettre au Conseil de recevoir, dans la mesure du possible, tous les renseignements que celui-ci juge pertinents pour remplir sa mission.
Je suis très heureuse que vous soyez ici parce que je ne pense pas que nous ayons parlé à qui que ce soit de la rafle des années 1960 ou de ce groupe. L’aide à l’enfance, qui est une compétence provinciale et territoriale, est inhérente à la rafle des années 1960. Pouvez-vous nous aider à comprendre les problèmes que le conseil aura à obtenir de l’information qui pourrait être cruciale pour les gens que vous représentez?
Mme Strongwind : Merci de votre question. Étant donné qu’il n’y a pas eu d’enquête nationale sur la rafle des années 1960, il est très difficile de recueillir des renseignements sur les survivants de cette rafle et en ce qui concerne certaines de nos données démographiques, par exemple. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons insisté pour que le gouvernement fédéral commande une enquête nationale sur la rafle des années 1960.
Cependant, en tant qu’organisme sans but lucratif, nous avons fait de notre mieux afin de rejoindre les survivants de la rafle des années 1960, principalement par l’intermédiaire des médias sociaux. Nous avons essayé de recueillir le plus d’information possible. Nous avons aussi déposé un mémoire : vous avez peut‑être lu que nous sommes en partenariat avec l’Université Dalhousie. Nous menons une étude sur l’épigénétique et l’effet des traumatismes sur le bien-être des enfants; pas seulement sur nos gènes, mais aussi sur les gènes de nos enfants. Nous savons que c’est génétique. Le traumatisme modifie la constitution génétique des gens.
Dans le cadre de cette initiative, nous avons pu recueillir des renseignements auprès des survivants de la rafle des années 1960, mais il y a certainement une lacune en matière d’information.
Je pense que les provinces ont le devoir de fournir certaines de ces données au gouvernement fédéral relativement à leur rôle dans la rafle des années 1960. Avec l’ajout de l’article 88 de la Loi sur les Indiens, la protection de l’enfance relevait des provinces. Franchement, c’est là que les choses ont dérapé. Ce n’était pas sur une bonne trajectoire, mais les responsables provinciaux ont vraiment pris cela à cœur et ont pris en charge des familles entières, tant dans les réserves qu’à l’extérieur.
Les provinces ont certaines données, mais elles ne sont pas regroupées de façon collective ou interprétable, à mon avis. Le Conseil national pour la réconciliation pourrait se pencher sur cette question.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je m’interroge sur les questions de compétence qui pourraient être soulevées. Nous voudrions surveiller et recueillir des données de base sur la prise en charge des enfants de familles d’origine vers des familles non autochtones et vers des familles autochtones. Tant que nous ne transférerons pas complètement la compétence aux collectivités et aux organisations autochtones, nous ne pourrons pas mettre la main sur ces données. Je me demandais si vous aviez eu du succès, mais il semble que ce soit un problème permanent.
Monsieur MacDonald, dans le même paragraphe 16(2), je vois que votre deuxième point portait sur les pouvoirs d’assignation. Votre troisième point concerne la compétence d’inclure tous les ordres de gouvernement. Pourriez-vous nous dire comment régler ce problème de compétence qui existe au Canada entre les provinces et le gouvernement fédéral?
M. MacDonald : Merci beaucoup, sénatrice. C’est une situation très complexe dans la mesure où il y a des traités entre la Couronne et les peuples autochtones. Ensuite, la Couronne les divise en morceaux et confie les terres de la Couronne et les responsabilités de la Couronne aux provinces. C’est un système de leurre qui remonte à des décennies. C’est tout à fait illégitime. J’imagine que nous devons mettre de l’ordre dans tout cela.
Chaque fois que je regarde la compétence provinciale et la façon dont les provinces vont au-delà de leurs compétences, je suis en colère. Je ne sais pas exactement comment il faudrait procéder. À un certain niveau, le conseil doit avoir le mandat de surveiller la Couronne et le gouvernement de la Couronne. Cela inclut les provinces parce que les pouvoirs de la Couronne ont été délégués. Nous avons des lieutenants-gouverneurs, des commissaires et ainsi de suite dans les territoires. Mais les gouvernements provinciaux, au nom de la Couronne, ont également des compétences d’ordre municipal. Tous les ordres de gouvernement au Canada sont essentiellement des gouvernements de la Couronne, soit directement, soit par délégation.
Le conseil devrait avoir un moyen de surveiller cette situation dans le cadre de son mandat — plutôt que le gouvernement fédéral, qui me semble faire preuve de passablement de faiblesse; je pense que c’est un mandat faible de simplement s’assurer que le gouvernement fédéral fait du bon travail. Tous les paliers de la Couronne doivent être visés.
Je ne connais pas exactement la légalité du pouvoir d’assignation pour les gouvernements provinciaux ou municipaux, mais il faut faire quelque chose. Si j’ai bien compris, l’intention initiale des traités était que la Couronne ne confie pas la plupart des fonctions sur le terrain — qui concernent les peuples autochtones — à d’autres ordres de gouvernement qui ne sont absolument pas imputables. C’est inacceptable selon moi.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.
Le président : Je rappelle aux membres du comité que le mémoire de Mme Strongwind a été distribué au comité le 29 mai.
La sénatrice Audette : Merci, sénatrice LaBoucane-Benson, d’avoir posé une question mieux que je n’aurais pu le faire en anglais. Je tiens à remercier notre collègue de nous avoir fait part de l’importance des nombreuses voix de ceux d’entre nous qui ont été enlevés lors de la rafle des années 1960. Cette situation a aussi eu cours dans notre région qu’on appelle le Québec.
Madame la présidente McBride, nous voulons comprendre l’AFAC et la représentation, ou la participation. Il y a d’anciens maires d’Iqaluit, la célèbre Madeleine Redfern, des femmes métisses de partout au Canada, des femmes qui parlent le français comme langue seconde, des femmes d’affaires et des gardiennes des langues.
Cette situation soulève la perspective suivante : « Nous sommes ici et nous devons être entendues. » Mais, dans la discussion, quel serait l’impact si on ne peut pas entendre la voix de l’AFAC ou des membres sur le terrain qui participent au sein de votre organisation? Que se passera-t-il si vous ne participez pas au débat sur la Loi sur les services de police des Premières Nations qui s’en vient, ou sur les projets de loi sur la santé et tout autre projet de loi dont le conseil pourrait faire un suivi chaque année? Quelles sont les pratiques exemplaires? Qu’est-ce qui manque? Qu’en est-il des répercussions sur les femmes? Il y a de l’espace dans ce cercle. Cette initiative vous aidera-t-elle à être un meilleur chien de garde — je n’aime pas ce terme, alors peut-être qu’un meilleur terme serait « caribou de garde » — relativement à tous les projets de loi que nous ferons adopter au Sénat et à la Chambre des communes?
Mme McBride : Nous allons toutes les deux répondre à cette question.
Nous sommes la voix de beaucoup de personnes, et nous exprimons bon nombre de leurs besoins partout au pays. Nous tirons aussi beaucoup de fierté des réussites des femmes que nous représentons. Nous apprenons d’elles, et nous partageons ce savoir. L’AFAC possède toute une gamme de données différentes que nous pouvons utiliser pour communiquer avec les divers types de femmes que nous servons. Je vais laisser Mme Smith répondre au reste de la question.
Mme Smith : Merci, sénatrice, de votre question.
J’aimerais compléter les propos de notre présidente, Mme McBride. Je veux que le comité sache que nous sommes fières de l’optique que nous adoptons dans le cadre de l’ensemble de notre travail, soit celle d’une analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture. Avec tout le respect que je vous dois, j’estime que l’analyse comparative entre les sexes du gouvernement ne va pas assez loin. Elle ne tient pas compte du colonialisme ni des traumatismes.
C’est quelque chose que nous pouvons apporter à ce conseil, et que nous pouvons vous offrir à vous, les décideurs. Nous sommes reconnues à cet égard depuis l’initiative Sœurs par l’esprit, dans le cadre de laquelle nous avons été les premières à répertorier les cas de disparitions ou d’assassinats et à établir une base de données à ce sujet. Cela débouche sur une discussion intéressante sur la souveraineté des données; je pense que cela fait aussi partie de la discussion d’aujourd’hui.
La sénatrice Audette : Au sein du cercle, il s’agira d’un atout, ou de quelque chose de plus fort... ou d’un point de vue que nous pourrions négliger si vous n’êtes pas partie prenante.
Le sénateur Arnot : Madame Strongwind, je suis sensible à ce qui touche à la rafle des années 1960. J’ai été sensibilisé à certaines de ces questions dans le cadre d’autres fonctions que j’ai occupées. Plus particulièrement, le documentaire sur l’histoire de Betty Ann Adam était très puissant et convaincant.
Je pense que le Conseil national de réconciliation doit jouer un rôle important dans la résolution des problèmes qu’éprouvent les personnes et les familles touchées par la rafle des années 1960. Si vous n’en faites pas partie, comment pensez-vous que le conseil national réglera vos problèmes?
Madame MacDonald, vous avez soulevé une question importante. De nombreux témoins ont parlé du financement adéquat du conseil, et l’une de mes préoccupations est que le financement doit être durable et à long terme. Vous avez parlé d’environ 600 à 800 millions de dollars; je comprends cela, car moyennant un taux de 5 %, cela générerait entre 30 et 40 millions de dollars par année. L’organisme a été constitué en tant que société sans but lucratif. Le thème sous-jacent, c’est que le groupe devra peut-être recueillir des fonds à un moment donné afin de financer certaines des activités qu’il veut mener, mais il n’aurait pas à le faire si son fonds de dotation était suffisamment important dès le départ. Il n’aurait pas à se lancer dans une quête de ressources à un moment donné.
J’aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet. Je pense que c’est important, et de nombreux témoins en ont parlé.
Mme Strongwind : Merci de votre question, sénateur Arnot. Si on ne nous accorde pas un siège au sein du Conseil national de réconciliation, il y a de fortes chances que la situation actuelle se perpétue, c’est-à-dire que nous n’aurons pas voix au chapitre et que nous n’aurons ni championne ni personne pour porter nos problèmes à l’attention du gouvernement fédéral.
Avec tout le respect que je dois à mes collègues ici présents, certains des organismes provinciaux et territoriaux qui prétendent nous représenter ne l’ont pas vraiment fait. Ils n’ont pas défendu notre cause, celle des survivants de la rafle des années 1960. Nous avons des expériences particulières en tant que personnes adoptées. Nous n’avons pas nécessairement les mêmes problèmes que les survivants des pensionnats et des externats, qui ont été amplement analysés, comme nous le savons. Il est important que quelqu’un qui a connu la rafle des années 1960 nous représente au sein de ce conseil.
Si vous me permettez de parler franchement, il y a eu en 2017 un règlement qui ne concernait que les survivants inuits et des Premières Nations. Les Métis et les Indiens non inscrits en étaient complètement exclus, sans que ce soit de notre faute, et cela a donné le ton à une partie de la représentation qui en a découlé. Plutôt que de créer d’autres divisions, nous devons nous représenter nous-mêmes au sein de ce conseil pour pouvoir avoir notre propre voix et notre propre point de vue, si vous voulez.
Nous savons que les pensionnats et la rafle des années 1960 se recoupent. Honnêtement, ce n’est pas tout le monde qui comprend bien cela. Les élus ne sont pas nécessairement au fait de toutes les nuances dont les survivants de la rafle des années 1960 ont une expérience directe.
Je vous remercie de votre question.
M. MacDonald : Merci de votre question, sénateur. Comme vous l’avez dit, on peut examiner les déclarations faites par des témoins, surtout à la Chambre des communes. L’ancienne commissaire de la Commission de vérité et réconciliation, Marie Wilson, a dit : « […] une intention sans certitude quant aux ressources concentre tous les premiers efforts sur la recherche des moyens de fonctionner. » Mitch Case, du comité de transition, a dit craindre que, et je cite : « […] le budget ne soit pas suffisant pour qu’il puisse faire tout ce qu’on lui demande de faire. » Et Mike DeGagné, du même comité, a déclaré : « […] il ne s’agit pas d’un montant suffisant sur la longueur, mais c’est suffisant au départ […] »
Lorsque des experts comme ceux-là — des gens qui sont sur le terrain et qui ont déjà fait ce travail, en plus d’une commissaire de la Commission de vérité et réconciliation — disent que les fonds sont insuffisants, nous devons prendre cela au sérieux.
De plus amples renseignements sont fournis dans le mémoire détaillé que je serai heureux de soumettre au comité par l’entremise de la greffière. Il est évident que les fonds ne sont pas suffisants, et que l’indépendance et la légitimité du conseil seront compromises s’il ne dispose pas d’un financement beaucoup plus substantiel pour pouvoir se maintenir à long terme.
Le sénateur Arnot : Veuillez transmettre votre mémoire détaillé à la greffière.
M. MacDonald : Oui. Je l’ai sous la main. Je peux certainement le faire.
Le président : J’allais rappeler ceci à nos témoins : si vous avez des éléments à ajouter à vos témoignages, n’hésitez pas à les faire parvenir à la greffière d’ici vendredi.
La sénatrice Greenwood : J’ai une question pour chacun d’entre vous, si le temps nous le permet.
Monsieur MacDonald, d’autres témoins nous ont fait part de leurs préoccupations, et ma question englobe quelques-unes d’entre elles. Croyez-vous que le Conseil national de réconciliation, sous sa forme actuelle, aura pour effet de déplacer le travail relatif à d’autres mesures clés pour favoriser la réconciliation? Est-ce que les gouvernements vont s’en servir pour éviter de consulter directement les peuples autochtones ou de nouer le dialogue avec eux?
M. MacDonald : Merci, madame la sénatrice. Oui, c’est possible. L’an dernier, le Parlement canadien a reconnu avoir commis un génocide contre les peuples autochtones, et ce génocide se poursuit, comme l’enquête nationale l’a établi. J’ai une citation à ce sujet dans un document plus détaillé, que je peux vous transmettre.
Nous vivons dans une société où le génocide et les structures du génocide se perpétuent. Le gouvernement et le conseil pourraient servir d’outils de promotion de la violence persistante du colonialisme. Je pense que c’est évident. La question est la suivante : quels mécanismes de protection sont en place pour éviter que cela se produise? Si un État est en train de perpétrer un génocide et qu’il a mis en place des institutions et des structures lui permettant de perpétrer un génocide, nous devons nous assurer que des mécanismes rigoureux sont en place.
Je pense qu’il s’agit d’un danger réel, mais aussi d’un danger prévisible. Il faut être réaliste et veiller à ce que des systèmes soient en place pour s’assurer que les communautés autochtones sont convenablement consultées.
Tous les gouvernements — et tous les ordres de gouvernement — font de beaux discours et trouvent des mots au sujet de la réconciliation. Je pense que, dans l’avenir, on s’attendra à ce que tous les gouvernements soient semblables, mais au bout du compte, à moins qu’un changement fondamental se produise dans la façon dont le pays est gouverné, ces problèmes persisteront. Il faut être avant-gardistes, et il faut d’entrée de jeu formuler de bonnes recommandations et mettre en place de bonnes structures. Nous devons veiller à ce que le conseil ne donne pas aux gouvernements la possibilité de se soustraire à leurs responsabilités et à leurs devoirs.
La sénatrice Greenwood : Merci. Madame McBride, si le projet de loi C-29 est adopté tel quel, avec toutes ses failles et ses imperfections reconnues, croyez-vous qu’il favorisera la réconciliation ou qu’il lui nuira?
Mme McBride : Nous devons travailler avec ce que nous avons à ce moment-ci. Nous pouvons collaborer et améliorer les choses au fur et à mesure. Je ne vois pas comment on pourrait l’effacer, vu les progrès qui ont été réalisés jusqu’à maintenant.
Je crois qu’il faut continuer d’aller de l’avant et régler certains des problèmes qui existent. Tous ceux d’entre nous qui seront autour de la table doivent travailler en équipe et de façon respectueuse en s’appuyant sur les principes que j’utilise tous les jours, c’est-à-dire les enseignements des sept grands-pères, comme l’amour, le respect, l’honnêteté et le fait de ne pas se déchirer les uns les autres. Nous avons aussi besoin d’un processus de décolonisation. Nous devons nous détourner de ce qui nous a amenés au point où nous en sommes aujourd’hui. J’espère que cela répond en partie à votre question.
La sénatrice Greenwood : Oui, merci.
La sénatrice Coyle : J’ai une question au sujet des sièges à la table, dont nous parlons constamment. Qui siégera au conseil d’administration? Nous savons que l’AFAC va désigner quelqu’un. Comment allez-vous vous y prendre? Quels critères ou quel processus utiliserez-vous pour désigner la personne que vous souhaitez voir siéger au conseil? Vous pouvez nommer quelqu’un à ce conseil. Selon vous, à quoi ressemblerait un bon membre ou le membre idéal du conseil d’administration de ce conseil?
Mme McBride : Tout d’abord, étant donné la structure de l’AFAC, nous sommes représentées partout au pays par le truchement de nos associations provinciales et territoriales membres. Chacune s’occupe de sa province ou de son territoire. Nous devrons discuter avec elles. Nous devons nous réunir pour discuter de la façon de désigner une personne. Nous avons assurément besoin d’une personne bien renseignée sur tous les milieux, qu’il s’agisse d’une Métisse ou d’une autre personne. Il faut que ce soit une personne bien renseignée et éclairée.
Nous aimerions certainement désigner quelqu’un. À coup sûr, nous nommerions une personne qui apporterait beaucoup à la table. Quelqu’un qui prendrait ce que l’AFAC a actuellement à offrir et qui l’apporterait là-bas aussi. Nous avons beaucoup à apporter à cette table.
Le président : Merci, sénatrice Coyle.
La sénatrice Greenwood veut poser une question à laquelle Mme Strongwind répondra par écrit.
La sénatrice Greenwood : Je suis désolée, je n’ai pas eu l’occasion de poser ma question plus tôt. Madame Strongwind, selon le mémoire qui a été présenté au comité, le groupe 60s Scoop Legacy of Canada encourage le gouvernement à recourir au conseil pour valoriser et amplifier les voix des survivants de la rafle des années 1960. Selon vous, quel rôle le Conseil national de réconciliation proposé jouera-t-il dans la promotion de la réconciliation avec les survivants de la rafle des années 1960? Si vous pouviez nous donner des idées à ce sujet et nous les soumettre par écrit, ce serait utile. Merci beaucoup.
Le président : Cela nous amène à la fin de la période dont nous disposions pour ce groupe de témoins. Encore une fois, je remercie tous nos témoins.
Comme je l’ai déjà dit, je demande à chacun d’être le plus bref possible dans ses échanges. En raison des contraintes de temps, chaque sénateur disposera de cinq minutes pour poser une question et recevoir une réponse. Les membres du comité auront la priorité sur les autres collègues. Je vais aussi demander aux témoins de transmettre par écrit, d’ici la fin de la semaine, les réponses qu’ils n’auront pas pu fournir.
J’aimerais vous présenter notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons Max FineDay, directeur général de Warshield; Me Kenneth B. Young, avocat-procureur, qui témoignera à titre personnel; ainsi que William Goodon, ministre du cabinet, qui représente la Fédération des Métis du Manitoba.
Merci à tous d’être parmi nous aujourd’hui. Les témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs. Pour veiller au respect de l’horaire et assurer l’équité entre tous les intervenants, une fois que vous aurez utilisé quatre minutes de votre temps, je vous ferai signe pour vous indiquer qu’il vous reste une minute.
J’invite maintenant Max FineDay à présenter sa déclaration préliminaire.
Max FineDay, directeur général, Warshield : [mots prononcés en cri]
Je suis ravi d’être ici avec vous, amis et parents. Je m’appelle Max FineDay, et je représente la Première Nation de Sweetgrass, dans le territoire visé par le Traité no 6, en Saskatchewan. Je suis le directeur général de Warshield, une entreprise de politique et de relations gouvernementales qui travaille avec les gouvernements des Premières Nations et le secteur privé.
Aujourd’hui, je m’adresse à vous en tant qu’ancien membre de la première mouture du Conseil national de réconciliation. En 2018, la ministre Bennett m’a chargé de contribuer à la mise sur pied et au lancement de ce conseil. Nous disposions d’environ six mois pour faire ce travail, honorables sénateurs, et ce fut une lourde tâche, mais nous l’avons fait. En juin 2018, nous avons présenté à la ministre Bennett ce rapport que je pense que vous avez tous eu l’occasion de parcourir. Mesdames et messieurs les sénateurs, cinq minutes, ce n’est pas beaucoup de temps. Je suis donc prêt à répondre à vos questions concernant le déroulement de la première mouture du conseil, les consultations, la manière dont nous en sommes arrivés au montant de 1 milliard de dollars de dotation financière pour le conseil et les façons dont nous sommes intervenus ou avons participé, à titre de Canadiens non autochtones au sein du conseil. Je serai heureux de répondre aux questions des sénateurs, s’ils en ont.
Cette invitation m’a donné l’occasion de réfléchir un peu à cette époque, en 2018. J’étais un homme beaucoup plus jeune; j’étais le représentant des jeunes à ce moment-là, alors vous pouvez voir que le temps a passé. Elle m’a permis de réfléchir au fait qu’à l’heure actuelle, aucune institution n’a pour seule fonction de suivre les progrès réalisés ou de tenir le gouvernement responsable des progrès réalisés — ou non — sur le plan de la réconciliation. Pendant que nous faisions ce travail en tant que conseil, nous voulions nous concentrer sur les aspects pratiques et concrets. Nous voulions nous concentrer sur les faits — et non pas sur des questions de nature politique —, que nos travaux soient axés sur des données et exercer une fonction semblable à celle de vérificateur général.
Dans le cadre de ces travaux, nous avons constaté qu’il était nécessaire qu’un organisme assure une surveillance et une supervision, effectue des recherches, produise des rapports, formule des recommandations et peut-être même éduque les Canadiens sur le rôle de la réconciliation dans leur vie. Nous avons également constaté qu’il était essentiel qu’un organisme puisse suivre ce que le gouvernement faisait ou ne faisait pas — et les progrès qu’il réalisait ou non — du point de vue des services aux Autochtones. Nous cherchions à établir un mécanisme qui non seulement obligeait les politiciens, mais aussi l’appareil gouvernemental, à rendre des comptes, ce qui fait partie de la conversation qu’on a souvent négligé d’avoir, à notre avis. Nous savons que tous les ministères et toutes les branches du gouvernement fédéral ont maintenant pour mandat de rétablir les relations avec les peuples autochtones — ou d’en établir —, mais qui surveille la réalisation de ce mandat? Prenons l’exemple d’Affaires mondiales Canada : que fait ce ministère? Qu’avez-vous entendu dire qu’Affaires mondiales Canada fait dans le cadre de ses efforts de réconciliation? Je ne veux pas l’attaquer; ce n’est qu’un exemple.
Au-delà de la nécessité d’un autre organe politique, ou de ce conseil grandiose qui pourrait plaire à tout le monde, nous avons vu la nécessité d’obtenir des résultats concrets… et la nécessité de vérificateurs de la réconciliation, si on veut.
Cinq minutes, ce n’est pas beaucoup de temps. Les Cris ne sont pas reconnus pour leur brièveté, alors j’irai droit au but, honorables sénateurs. Je sais que vous êtes soumis à des contraintes politiques. Je travaille très souvent dans des réalités politiques et en fonction d’échéanciers politiques. À mon avis, mesdames et messieurs les sénateurs, nous avons besoin de ce projet de loi. Nous avons un moment — nous avons une occasion — et ce n’est pas un moment qui nous est souvent accordé, ni à vous et à vos prédécesseurs, pour que nous puissions suivre les progrès, ou peut-être même l’érosion, de la réconciliation dans l’ensemble des institutions gouvernementales.
Je sais et suis très conscient que ce n’est pas l’opinion universelle que d’autres ont choisie. Vous avez entendu le témoignage d’autres personnes qui ne sont pas certaines d’approuver ce projet de loi. Nous savons qu’il y a des intervenants de mauvaise foi qui veulent qu’il soit rejeté. Au cours des dernières années, nous avons entendu dire que certains croient que la réconciliation est morte et que d’autres préféreraient que le projet de loi ne soit pas adopté. Alors vous votez pour le report ou pour l’arrêt complet de ce projet de loi.
J’ai beaucoup appris de membres du conseil comme le grand chef Littlechild, Jean Teillet, Clint Davis, Mike DeGagné, Edith Cloutier et d’autres dont vous avez entendu le témoignage. De ma propre famille — de mon père qui est un survivant des pensionnats —, j’ai appris que la réconciliation est un cadeau que nous avons reçu de la part des survivants des pensionnats; c’est un rameau d’olivier, si on veut, tendu au Canada, qui dit que ces choses difficiles nous sont arrivées, mais… dans bien des cas, aucune punition ni représailles n’ont été exigées. Beaucoup de survivants nous ont dit qu’ils voulaient que les choses s’améliorent. Ils voulaient que les choses s’améliorent. L’établissement de ce conseil est une excellente façon de rendre hommage à ce don qu’ils nous ont fait en tant que pays. Nous pouvons montrer que ce n’est pas un cadeau gaspillé, que nous avons écouté en tant que conseil, que les institutions comme la vôtre ont écouté et qu’ils verront un résultat concret de leur vivant.
[mots prononcés en cri]
Merci beaucoup.
Le président : Merci, monsieur FineDay. Je rappelle à nos témoins, s’ils ont d’autres témoignages à présenter par écrit, de ne pas hésiter à le faire, de préférence d’ici vendredi. Je vous remercie de votre déclaration. Maître Young, vous avez la parole.
Me Kenneth B. Young, avocat-procureur, à titre personnel : Je tiens tout d’abord à remercier les sénateurs de me donner la possibilité d’aborder une question très importante qui touche notre peuple.
J’ai remarqué que mon nom figurait à l’ordre du jour de la réunion à titre personnel. Je tiens à dire que je vais représenter les survivants des pensionnats indiens dans mon exposé… parce que je suis un survivant des pensionnats indiens depuis 10 ans. Je suis également un citoyen de la nation crie d’Opaskwayak, territoire visé par le Traité no 5, au Manitoba.
En examinant le projet de loi, en particulier le préambule, j’en suis venu à la conclusion que… bien que le mot « réconciliation » soit mentionné dans le préambule, il ne définit pas ce qu’est la réconciliation. Je pense qu’il est très important qu’une définition du mot « réconciliation » soit incluse dans le corps du projet de loi, car elle serait alors exécutoire. Le libellé du préambule n’a pas force exécutoire. Je recommande fortement l’inclusion d’une définition du terme « réconciliation » dans le corps du projet de loi.
Dorénavant, ma position sera la suivante : le problème des pensionnats indiens a eu des répercussions très importantes sur les membres des Premières Nations — 92 % des personnes qui ont fréquenté ces pensionnats étaient des enfants des Premières Nations. L’Église catholique a construit des écoles sur des terres autochtones pour loger des élèves autochtones — des élèves des Premières Nations. La politique qui a mené à la création des pensionnats indiens visait à tuer l’Indien dans l’enfant. La Loi sur les Indiens a permis à des organisations religieuses de signer des ententes qui leur permettaient d’exploiter et d’administrer ces pensionnats indiens.
Le problème des pensionnats indiens n’est pas un enjeu autochtone; c’en est un qui touche les Premières Nations. Par conséquent, puisque la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens a été négociée par l’Assemblée des Premières Nations — ou l’APN — au nom des survivants des pensionnats indiens, je peux également dire que l’APN a représenté le Ralliement national des Métis à la table de négociation parce qu’on lui a demandé de le faire. L’accord que nous avons négocié a été signé par l’APN, les Inuits, les Églises et le Canada. Je pense que, quoi qu’il advienne de ce projet de loi, il doit être piloté et dirigé par les Premières Nations, en particulier par les membres survivants des Premières Nations. Merci.
Le président : Merci, maître Young. J’invite maintenant William Goodon à faire sa déclaration préliminaire.
William Goodon, ministre du cabinet, Fédération des Métis du Manitoba : Merci beaucoup, monsieur le président. Honorables sénateurs, je suis très heureux d’être des vôtres pour représenter la Fédération des Métis du Manitoba, qui est le gouvernement national des Métis de la rivière Rouge. Je reconnais que je me joins à vous aujourd’hui sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe, dont la présence ici remonte à des temps immémoriaux. Je m’appelle Will Goodon. Je suis ministre du cabinet de la fédération.
Comme nous le faisons toujours — et je m’éloigne un peu de mon texte —, nous nous présentons et disons d’où nous venons et qui sont les membres de notre parenté. Je viens des collines Turtle, dans ce qui est maintenant le Sud-Ouest du Manitoba. Je suis un Métis de la rivière Rouge. En fait, ma grand-mère venait du côté du Dakota du Nord des collines Turtle. Mon grand-père venait du côté canadien. Les deux sont des survivants des pensionnats. Ma grand-mère est allée au Dakota du Sud. Mon grand-père est allé dans un pensionnat au Canada, et il a dû s’enfuir. Il a dû retourner chercher sa petite sœur pour la sauver.
J’ai de la parenté partout dans notre pays. Comme c’est le cas chaque fois qu’un Métis de la rivière Rouge rencontre un autre Métis, nous comparons toujours nos généalogies, et nous découvrons que nous sommes des cousins au deuxième ou au troisième degré, et c’est habituellement ainsi que nous nous présentons.
Je comparais pour faire connaître le point de vue de la Fédération des Métis du Manitoba sur le projet de loi C-29, Loi portant sur un conseil national de réconciliation. Mon collègue et ambassadeur de la fédération, Clément Chartier, a déjà comparu devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes pour discuter de ce projet de loi, et je crois que ma déclaration d’aujourd’hui renforcera son témoignage.
Mon gouvernement est satisfait des lois adoptées par le Canada au cours des dernières années, en particulier la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Son préambule porte sur les peuples autochtones — ce qui nous comprend, nous, les membres de la nation métisse historique, qui « vivent dans des territoires qui sont aujourd’hui situés au Canada et où s’expriment leurs identités, cultures et modes de vie distinctifs » — et affirme que le Canada rejette toute forme de colonialisme. Nous sommes également satisfaits de notre relation renouvelée de gouvernement à gouvernement et de nation à nation avec le pays, et nous avons hâte de conclure le traité de reconnaissance et de mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Métis de la rivière Rouge. C’est dans cet esprit de collaboration que nous voulons aller de l’avant et terminer le travail inachevé de réconciliation entre les Métis de la rivière Rouge et le Canada.
Même si notre gouvernement comprend l’intention de ce projet de loi qui sous-tend la mise sur pied d’un conseil national de réconciliation — en réponse aux appels à l’action 53 à 56 de la Commission de vérité et réconciliation —, il demeure problématique du point de vue de mon gouvernement.
Je vais commencer par le libellé technique du projet de loi, à l’article 10, qui établit la mise en candidature des administrateurs au sein du conseil d’administration. Le paragraphe 10(1) prévoit que le conseil d’administration doit comprendre quatre administrateurs qui ne peuvent être élus qu’après avoir été mis en candidature par l’Assemblée des Premières Nations, par l’Inuit Tapiriit Kanatami, par le Ralliement national des Métis et par l’Association des femmes autochtones du Canada. L’administrateur mis en candidature par le gouvernement national des Métis de la rivière Rouge brille par son absence.
Comme vous le savez, en 2021, la Fédération des Métis du Manitoba a coupé des liens avec le Ralliement national des Métis parce qu’il avait abandonné la définition nationale du terme « Métis » et, par conséquent, la nation métisse. Le Ralliement national des Métis, par l’intermédiaire de sa filiale, la nation métisse de l’Ontario, continue de permettre à des non-Métis de devenir membres de la nation métisse. Les Métis de la rivière Rouge sont les seuls peuples autochtones à avoir établi une province. En 1870, ils sont devenus les partenaires de négociation du Canada au sein de la Confédération et les fondateurs du Manitoba. Grâce à notre traité avec le pays, notre patrie est devenue ce qu’on appelle aujourd’hui l’Ouest canadien, les provinces des Prairies.
Le Ralliement national des Métis ne représente pas et ne peut pas représenter les Métis de la rivière Rouge. Nous sommes un peuple et une nation autochtones uniques et distincts. Nous avons notre propre voix. Le ralliement est un organisme pan‑autochtone qui n’est pas différent du Congrès des peuples autochtones, qui est également exclu de ce projet de loi. Celui-ci ne tient pas compte des gouvernements autochtones démocratiquement élus, comme la Fédération des Métis du Manitoba — qui représente les détenteurs de droits —, et abandonne le principe de l’établissement de relations de nation à nation.
L’alinéa 12(1)c) brouille encore plus les cartes. Le libellé du projet de loi énonce que le conseil doit comprendre, dans la mesure du possible, des représentants d’organisations autochtones au sens de l’article 2 de la Loi sur le ministère des Services aux Autochtones, de manière à refléter la diversité des ententes qui régissent les relations entre les collectivités autochtones et le gouvernement du Canada. Cette définition inclut les gouvernements. Il convient de souligner que le conseil d’administration n’est pas tenu de nommer des membres par les gouvernements autochtones, mais qu’il doit inclure les organisations énumérées au paragraphe 10(1). Du point de vue de mon gouvernement, cela pourrait entraîner l’absence de la voix des Métis de la rivière Rouge et créer le type d’environnement politisé qu’un conseil national de réconciliation doit éviter.
Lorsqu’on demande à mon gouvernement s’il appuiera ce projet de loi, la réponse n’est ni un simple « oui », ni un simple « non ». L’adoption de ce projet de loi ne sera pas déterminée par notre appui. Toutefois, nous n’appuierons pas la création d’un conseil national de réconciliation qui exclurait les citoyens métis de la rivière Rouge. Par conséquent, mon gouvernement recommande que le projet de loi soit modifié de manière à corriger et à inverser l’exclusion flagrante de la Fédération des Métis du Manitoba, le gouvernement national des Métis de la rivière Rouge. La Fédération appuie les efforts du gouvernement fédéral visant à favoriser la réconciliation, mais le projet de loi C-29 ne répond pas à ses normes à cet égard.
Nous continuerons de représenter les Métis de la rivière Rouge sur l’ensemble de notre territoire, et nous travaillerons de bonne foi pour faire progresser la réconciliation au moyen d’une approche fondée sur les distinctions, de gouvernement à gouvernement et de nation à nation. Merci.
Le président : Merci, monsieur Goodon. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à M. FineDay.
Monsieur FineDay, à mon avis, le conseil national de réconciliation sera probablement l’institution la plus importante pour la promotion, la mesure et la progression de la réconciliation au cours des prochaines décennies. Puisque vous faisiez partie du conseil provisoire à l’origine, le projet de loi C-29 reflète-t-il la vision personnelle que vous aviez de ce conseil?
Et, si vous en avez l’occasion, j’aimerais que vous nous en disiez davantage sur la question de la dotation. Un fonds de dotation de 1 milliard de dollars semble être beaucoup d’argent, mais pas s’il est lié à la tâche à accomplir et à ce qui doit être fait. Vous n’êtes pas le premier témoin à affirmer qu’il est vraiment important d’avoir un niveau de financement qui va soutenir ce travail pour les quelques décennies que nous pouvons prévoir.
J’aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet, pour ma gouverne et celle de mes collègues du Sénat.
M. FineDay : Je ne connais pas de loi parfaite. Certes, en tant que sénateurs, vous avez vu l’ambitieux programme législatif du gouvernement en ce qui concerne les enjeux qui préoccupent les peuples autochtones.
Un avant-projet de loi a été ajouté en annexe de notre rapport final pour orienter les rédacteurs législatifs et le gouvernement en fonction de ce que nous avons observé, de ce que nous avons entendu et de ce que nous espérions voir dans le projet de loi.
Il y aura des obstacles et des défis en matière de coordination. Mon expérience est dans le domaine de la politique des Premières Nations, et il y a 633 nations. Si on ajoute d’autres groupes reconnus par la Constitution, les choses se complexifient davantage.
Ce projet de loi fera ce que nous avons besoin qu’il fasse : tenir le gouvernement responsable de la mesure du déroulement de la réconciliation. Nous avons vu des organismes sans but lucratif et des acteurs de la société civile essayer de faire ce travail. Sa portée et sa nature sont limitées, et il ne donne pas l’aperçu général dont nous avons besoin, surtout de la part du gouvernement.
En ce qui concerne la dotation, la somme de 126 millions de dollars — qui, je pense, était prévue dans le budget du conseil national de réconciliation — ne permet tout simplement pas de faire le travail que nous avons recommandé, c’est-à-dire de permettre au conseil d’être financièrement indépendant du gouvernement. Quiconque sera embauché à titre de premier directeur général ou dirigeant de ce conseil devra demander au gouvernement une autre affectation dans les budgets ultérieurs. Ce n’est pas une situation idéale.
Si vous regardez ce qui est prévu... je crois qu’il s’agit de 1,5 million de dollars pour la première année de fonctionnement. Je ne sais pas combien d’entre vous ont travaillé dans le secteur privé à diriger des organismes sans but lucratif, mais ce n’est pas beaucoup d’argent. Je sais que cette somme peut sembler importante, mais elle n’est pas suffisante pour l’établissement d’un secrétariat et l’élaboration d’une stratégie globale et d’un plan de communication, ni pour que l’on puisse s’assurer que les gens sont d’accord, non seulement les Autochtones, mais aussi l’ensemble du Canada.
Il faudra que la personne soit un très bon lobbyiste et, espérons-le, un voisin du ministre des Finances, afin qu’elle puisse tenter d’obtenir les ressources nécessaires pour s’assurer que ce conseil dispose de l’argent dont il a besoin pour faire son travail. J’ai bon espoir que l’objectif d’un fonds de dotation de 1 milliard de dollars ne sera pas perdu avec qui que ce soit les membres du conseil inaugural et le directeur, et que c’est un objectif vers lequel ils continueront de travailler.
La sénatrice Coyle : Je remercie tous les témoins ici présents et à l’écran ce soir.
J’ai tellement de questions à poser. Je vais peut-être commencer par vous, moi aussi, monsieur FineDay.
Vous affirmez qu’on a besoin de ce projet de loi. Je ne pense pas que quiconque autour de cette table soit en désaccord avec vous. Franchement, presque toutes les personnes à qui nous avons parlé nous ont dit que nous en avions besoin.
Je crois que vous avez dit que la recommandation initiale — et vous la maintenez — est qu’il devrait y avoir des représentants autochtones et non autochtones au sein du conseil, ce qui est formidable.
Vous avez parlé de certains mauvais intervenants. Il y en a toujours. Mais il y a aussi de bons intervenants à qui le projet de loi ne pose aucun problème. Nous en sommes maintenant au point où nous voulons le mettre en œuvre; cela fait longtemps que nous attendons. Nous avons besoin de ce projet de loi. Pourtant, certaines de nos organisations politiques autochtones nationales — il ne s’agira pas d’un organisme politique — auront leur mot à dire et un intérêt à cet égard, et on leur demandera de mettre des gens en candidature à ce conseil, et ainsi de suite. Jusqu’à maintenant, quelques-unes de ces organisations nous ont dit que, compte tenu de la situation actuelle et de la façon dont les choses se déroulent, elles ne sont pas prêtes à dire : « Procédons avec ce projet de loi. » Elles ne sont pas prêtes à embarquer. Ce ne sont pas du tout de mauvais intervenants.
Qu’avez-vous à dire à ce sujet? Quelle serait la voie à suivre?
M. FineDay : Je dirais que je suis heureux de ne pas être sénateur et que je n’ai pas à prendre cette décision.
Nous affirmons qu’il ne devrait pas s’agir d’un organisme politique. Nous disons que ce n’est pas un processus politique. Mais, bien entendu, il s’agit d’un travail essentiellement politique. Les intervenants politiques qui participeront aux travaux du conseil national de réconciliation ont des préoccupations très légitimes.
Je suis un bon ami des dirigeants d’organisations autochtones nationales, ou OAN, et je leur ai parlé de ce processus. J’ai peur du risque. À l’heure actuelle, notre paysage politique est incertain, comme c’est le cas pour tout gouvernement minoritaire. Ce n’est pas un commentaire partisan. Je travaille avec toutes les allégeances politiques. Ce projet de loi a été adopté à la Chambre des communes, ce qui est un exploit extraordinaire. Il a fait l’objet de quelques lectures ici avec vous, ce qui est un exploit extraordinaire. Au bout du compte, ce sera une décision difficile. Est-il préférable d’avoir un conseil national de réconciliation — et de travailler à rendre les dirigeants plus à l’aise une fois qu’il aura été établi au moyen d’un certain nombre de processus —, ou bien est-il préférable de ne pas en avoir? Je déteste présenter les choses de façon aussi contrastée.
Bien entendu, il y a toujours la possibilité de retarder les choses, de tenir plus de consultations et de collaborer davantage avec les OAN. Je suis arrivé à Ottawa en 2015 et j’ai travaillé à l’APN. Il n’arrive pas souvent qu’un parti, un groupe ou un organisme — politique ou de la société civile — affirme avoir été suffisamment consulté. Je dis cela avec beaucoup de respect pour tous ces organismes qui font un travail très important.
À mon avis, nous avons besoin de ce projet de loi. Je préférerais qu’il soit adopté — et que l’on continue de travailler dessus honnêtement et sérieusement — que de risquer de ne pas l’avoir du tout.
La sénatrice Martin : Je remercie nos témoins de ce soir. Monsieur FineDay, ma question s’adresse à vous. J’ai l’impression que le sénateur Arnot et moi nous sommes concentrés sur des éléments semblables.
Vous avez attiré mon attention lorsque vous avez affirmé que ce conseil est comme le vérificateur de la réconciliation; c’était très clair à mes yeux. Mais j’ai ensuite examiné le projet de loi, plus précisément les articles 6 et 7, qui décrivent la mission et les attributions du conseil... la liste est assez longue.
J’ai une question semblable concernant le contenu du projet de loi et la tâche du conseil, qui est vraiment vaste, y compris la protection des droits linguistiques des Autochtones et l’éducation du public. C’est un défi de taille... J’allais vous demander si les recommandations que vous avez formulées et le contenu du projet de loi correspondent à la vision et à l’orientation que le conseil provisoire a pu avoir.
M. FineDay : Je vous remercie de poser cette question, sénatrice.
La réponse est « oui ». Je ne vois pas d’inconvénient à ce que la portée soit si vaste parce que je n’aimerais pas qu’un conseil, qu’il s’agisse de la première ou de la vingt-troisième mouture, soit trop restreint ou limité dans sa portée.
Selon moi, ce conseil et ce projet de loi permettent l’exercice de la fonction de vérification des services gouvernementaux, des ministères, des statistiques et de ce genre de choses... et de ne pas être trop limité dans sa portée. Nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation où les membres du conseil sont incapables de terminer le travail qu’ils jugent important à un moment donné. Encore une fois, nous ne savons pas comment la réconciliation va évoluer au cours des 3, 10 ou 25 prochaines années. La réconciliation d’aujourd’hui est très différente de ce qu’elle était lorsque la Commission de vérité et de réconciliation a été créée, à l’époque où je fréquentais encore l’université.
Je comprends votre question, mais je pense qu’il est préférable que la portée soit plus vaste qu’étroite.
La sénatrice Martin : Je vais vous faire confiance, à vous et à vos idées, dans une certaine mesure, mais cette tâche semble être un défi de taille. J’espère que le conseil procédera étape par étape. Comme vous le dites, une vaste portée sera moins contraignante et permettra au conseil de faire son travail.
Monsieur Goodon, au sein du groupe de témoins précédent, j’ai cité le parrain du projet de loi à la Chambre, qui a dit ce qui suit :
[...] nous avons adopté une approche collaborative pour élaborer le projet de loi C 29. La consultation des chefs et des communautés autochtones a fait partie intégrante du processus, du début jusqu’à la fin.
Selon votre témoignage, il est clair que vous avez été exclus.
Pourriez-vous commenter cette citation et peut-être préciser les propos que vous avez tenus pendant votre témoignage?
M. Goodon : Oui, absolument.
La façon de faire du gouvernement fédéral actuel n’est pas la même que celle de certains des gouvernements qui l’ont précédé, mais, dans le passé, le mot « consultation » et l’obligation de tenir des consultations ont été galvaudés, si vous me permettez d’employer ce terme. Si un Autochtone marche dans la rue et qu’on lui demande : « Que pensez-vous du barrage hydroélectrique ici? », c’est une consultation. Ce n’est peut-être pas tout à fait dans cette mesure, mais il est assez évident, d’après la déclaration que j’ai faite devant vous aujourd’hui, que l’accent était surtout mis sur les OAN et sur le fait que le Ralliement national des Métis ne représente plus la nation métisse parce qu’il permet à des non-Métis de devenir citoyens au sein de leurs organisations. Les Métis de la rivière Rouge, qui sont le peuple de Riel et de Gabriel Dumont, n’auront pas voix au chapitre. D’après ce que je comprends, nous n’avons pratiquement pas été consultés sur ce projet de loi; autrement, nous aurions pu soulever ce problème beaucoup plus tôt. Comme je l’ai dit, mon collègue l’ambassadeur Clément Chartier en a parlé au comité de la Chambre, mais son témoignage n’a pas semblé avoir l’effet que nous souhaitions.
Encore une fois, le gouvernement fédéral n’a pas pour mandat de participer à la vie politique des Métis — il ne le voudrait pas parce que les choses se corsent un peu —, mais, en même temps, il doit reconnaître que, sans la voix des Métis de la rivière Rouge, qui sont reconnus à l’article 35 de la Constitution, il y aura un trou béant à la table.
Le président : Je vais intervenir parce que Me Young n’a pas eu l’occasion de formuler de commentaires. Alors, je vais maintenant lui donner cette occasion pour voir s’il a quelque chose à ajouter.
Me Young : C’est intéressant. J’ai pris le temps d’examiner le projet de loi, et j’ai recommandé que le conseil d’administration n’ait pas le pouvoir absolu d’élaborer un plan d’action sans consulter les autres intervenants mentionnés dans la Constitution du Canada — les Métis, les Inuits et les peuples des Premières Nations — parce que ces gens auront la possibilité de définir leurs droits existants, qui sont reconnus et confirmés dans la Constitution du Canada.
À l’instigation des évêques catholiques du Canada, les survivants des pensionnats indiens ont demandé un document d’une page sur ce que requiert la réconciliation. Le mot « réconciliation » est employé depuis longtemps. Ce qui m’inquiète, c’est que, dans cinq ou six ans, si la notion n’est pas définie dans la loi et qu’elle n’est pas juridiquement contraignante, le mot « réconciliation » deviendra chose du passé. Dans leurs déclarations, les survivants ont affirmé qu’il n’y aura pas de véritable réconciliation à moins que les peuples autochtones — dont les droits sont reconnus dans la Constitution du Canada — aient la possibilité de définir et de négocier une stratégie de mise en œuvre avec le Canada et avec les gouvernements provinciaux et territoriaux. Si cela ne se produit pas, les problèmes dont notre peuple parle aujourd’hui — la pauvreté, la question des terres et les traités qui ne sont pas mis en œuvre — seront encore des problèmes dans 20 ans.
Je crois que c’est le moment opportun pour le Canada et les provinces de discuter avec chacun des groupes autochtones pour négocier leur accord-cadre sur une stratégie de mise en œuvre. Je sais que c’est une grosse affaire, mais, à mon avis, il faut que ce soit fait. Merci.
Le président : Merci, maître Young.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Maître Young, on a répondu à ma question, mais quel est, selon vous, le rôle essentiel des survivants au sein du conseil? Pensez-vous que le conseil d’administration devrait être composé de survivants, ou bien envisagez-vous un conseil des survivants — peut-être comme un conseil des aînés — qui conseillerait le conseil d’administration? Selon vous, quel est le rôle essentiel des survivants dans cette organisation?
Me Young : Je crois que le conseil d’administration du conseil national de réconciliation devrait être composé majoritairement de membres des Premières Nations, de préférence des survivants, parce que le problème des pensionnats indiens a causé la situation dont nous parlons en ce moment, où ce sont les membres des Premières Nations qui ont été le plus touchés. Ce ne devrait pas être une question litigieuse.
Je pense que c’est une position responsable à adopter, et, si cela nécessite davantage de discussions entre les peuples et le gouvernement, alors elles devraient avoir lieu.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma deuxième question s’adresse à M. Goodon. Je suis une Métisse de l’Alberta, et ma famille vient de la rivière Rouge. J’ai eu des conversations avec ma bonne amie Audrey Poitras et avec Dave Chartrand. Lorsque les peuples autochtones se feront arracher la capacité de définir qui ils sont par le gouvernement, il y aura des désaccords.
Je trouve fantastique que vous ayez aidé les membres du comité à comprendre que les Métis y travaillent, et j’ai choisi de croire qu’un jour, nous trouverons une solution ensemble.
Outre les questions d’identité qui se posent dans le cadre de notre propre travail, croyez-vous qu’il serait utile que le conseil soit en mesure d’établir des renseignements de base, ainsi que de surveiller et de mesurer, au fur et à mesure, la façon dont le gouvernement travaille avec les peuples autochtones — les peuples qui sont définis dans notre Constitution —, mais aussi, de façon plus générale, les personnes issues de populations vulnérables qui doivent être reconnues? Y voyez-vous un avantage ou une utilité? La Fédération des Métis du Manitoba considère-t-elle que nous devons nous réunir, en tant qu’Autochtones, au sein d’un conseil comme celui-ci, et prendre le contrôle de nos propres données et de l’histoire qu’elles racontent?
M. Goodon : Ce sont d’excellentes questions. Avant d’y répondre, j’aimerais revenir sur deux ou trois choses qui ont déjà été dites dans les témoignages.
En ce qui concerne le Ralliement national des Métis, j’ai participé de près à ses activités pendant longtemps. Il n’a pas demandé à l’Assemblée des Premières Nations de représenter ses membres dans le dossier des survivants des pensionnats indiens et du règlement. C’est un peu une erreur qui a été commise.
Par ailleurs, je pense qu’il est absolument nécessaire que des représentants de la nation métisse historique siègent à un conseil comme celui-ci, comme je l’ai dit dans ma déclaration. Je ne voudrais pas que le conseil se concentre sur une question importante, mais une seule question. La réconciliation est plus vaste que quelques-unes des tragédies du passé. Si on regarde ce qui est arrivé à notre peuple, le Canada est entré en guerre avec nous, et je ne sais pas s’il a déjà présenté des excuses. Ce pourrait être un élément de la réconciliation. On nous a pris nos terres. Beaucoup de choses se sont produites.
Et, quand on regarde ce qui est arrivé aux Inuits, nous pourrions parler pendant des heures, ici, au sujet des tragédies et des choses horribles qui se passaient là-bas.
Je conviens avec vous qu’il y a une utilité. De fait, je pense que notre gouvernement est tout à fait d’accord pour dire qu’il est extrêmement important, comme vous l’avez mentionné, d’établir des bases de référence, de surveiller les données et de comprendre les différents problèmes que vivent les divers gouvernements et nations autochtones en ce qui a trait à leur relation avec la Couronne, ou à leur relation avec notre pays.
J’hésiterais à affirmer que ce serait utile ou pas pour les Métis de la rivière Rouge sans savoir qui représenterait cette voix métisse. Si le représentant des Métis était originaire de l’une de ces nouvelles collectivités de l’Ontario qui n’a aucun lien avec la nation métisse historique, ce serait extrêmement problématique, à nos yeux, car il n’y aurait aucun lien avec nous.
Quant à ce que vous dites, nous appuyons entièrement le concept et la prémisse, mais nous sommes préoccupés par son fonctionnement.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vous remercie, monsieur le président, de me permettre d’être aussi entêtée.
Me Young : Monsieur le président, je veux corriger ce que M. Goodon a dit. Le Ralliement national des Métis a demandé à l’Assemblée des Premières Nations de négocier la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens au nom des Métis du Canada et des Premières Nations.
Le président : Nous allons devoir vous demander de présenter votre témoignage par écrit. Nous avons encore une liste de sénateurs à parcourir. Je vous remercie toutefois de votre commentaire.
Me Young : Je vais le faire. Merci.
La sénatrice Greenwood : Je remercie les témoins. J’ai assisté aux témoignages de plusieurs témoins... tout le monde parle de la composition du conseil et nous présente toutes sortes de recommandations, ce qui est formidable, car elles proviennent de divers points de vue. Je vais poser cette question, mais différemment.
Quels conseils donneriez-vous au sujet de la mise sur pied d’un conseil inclusif? Il y a de nombreuses organisations, et peut-être que c’est la structure en soi. J’aimerais que vous répondiez tous les trois en formulant un ou deux conseils. Si vous étiez les responsables et que vous deviez le faire, quels conseils nous donneriez-vous pour réfléchir, concevoir et créer? Puis-je commencer par vous, monsieur FineDay?
M. FineDay : Oh, ma foi, sénatrice. Je me disais que vous m’aimiez peut-être, mais je sais maintenant que ce n’est pas le cas.
Je suis véritablement choyé. Je ne représente pas une certaine circonscription. Je ne représente personne d’autre que moi-même et mon rôle au sein de ce conseil. Le projet de loi, dans sa forme actuelle, permet à trois groupes reconnus par la Constitution, en plus de l’Association des femmes autochtones du Canada, de siéger, et il décrit en détail d’autres éléments qui devraient être examinés et pris en considération au moment de constituer le conseil. Je pense que nous pouvons vivre avec ces paramètres et ces indicateurs statistiques qui ont été établis dans le projet de loi.
Nous savons, d’un point de vue statistique, que, si on se rend dans un bureau de bande, neuf fois sur dix, la majorité des administrateurs sont des femmes, et un nombre croissant de gestionnaires de bande sont des femmes, et un nombre croissant de chefs — nous venons tout juste de dépasser la barre en Saskatchewan — sont également des femmes. Je suis heureux de voir que l’Association des femmes autochtones du Canada est représentée.
Je comprends pourquoi des organisations comme Pauktuutit Inuit Women of Canada et le Conseil des femmes de l’APN ne seraient pas d’accord pour que cette association soit incluse dans le conseil d’administration. Je ne peux qu’imaginer les témoignages que vous avez entendus de la part de divers groupes de circonscription qui exigent une représentation au sein de ce conseil.
Ma mère est norvégienne, et mon père est de Sweetgrass, alors je suis tenté de dire qu’il devrait y avoir un garçon très mignon de Sweetgrass, qui est aussi à moitié norvégien, au conseil également. Je ne vais pas le faire.
En tant qu’Autochtones, nous adorons créer des assemblées. Nous sommes très doués pour le faire. Nous revenons par défaut à une structure de gouvernance et nous disons : « D’accord, cette part est à moi. Vous pouvez avoir celle-là, mais elle est là-bas. Celle-ci est à moi. » Nous sommes territoriaux, en quelque sorte.
J’aimerais vraiment que nous puissions, pour un bref moment, nous élever au-dessus de la politique identitaire et de la politique de représentation. Vous constaterez qu’en ce qui concerne ce dont je parle, je penche d’un côté. C’est mon esprit querelleur : le fait que je viens de la Saskatchewan lorsque je suis à Ottawa. On a tous quelque chose.
Ce travail est tellement important que j’espère que nous pourrons suspendre brièvement ces petits désaccords enfantins que nous avons souvent et, encore une fois, j’ai beaucoup de respect pour les dirigeants élus, les OAN et ce genre de choses. Mais ce travail est tellement important, et je reviens toujours au compteur qui tourne et au temps limité dont vous disposez pour adopter ce projet de loi.
Le président : Le temps dont nous disposons s’écoule. Il nous reste trois sénateurs, mais seulement cinq minutes, alors j’essaie d’inclure tout le monde. Si vous pouviez poser votre question, et peut-être demander une réponse par écrit. Ainsi, tout le monde pourrait poser sa question.
La sénatrice Audette : Je vais essayer de poser ma question en anglais.
À mes yeux, de mon point de vue ou de ma passion en tant que personne du peuple, le processus relatif au projet de loi et à la détermination de qui devrait siéger où a été long. Monsieur le ministre Goodon, je suis en train d’apprendre et je vous écoute nous dire que vous avez également un droit et que votre peuple a un droit. Peut-être pourrions-nous inscrire quelque part dans le projet de loi l’existence d’une obligation de rendre des comptes à votre nation — à votre peuple — et que vos représentants viendront chaque année. Tous les ans, à l’APN — maître Young, je me souviens de vous à l’APN —, le commissaire venait présenter des rapports. Peut-être pourrons-nous donner au conseil l’obligation ou la responsabilité de s’adresser à vous et de créer cette conversation, ainsi qu’un espace pour votre nation et votre peuple jusqu’à ce que la question soit réglée... ou, si elle ne l’est pas, vous aurez cet espace. Je crois fermement que, compte tenu de la façon dont nous sommes structurés, nous nous battons entre nous... et le programme là-bas est sans nous.
M. Goodon : C’est une question formidable qui rejoint celles des autres sénateurs. Oui, je pense honnêtement qu’il existe des façons de le faire. Pour revenir à l’une des premières — que la sénatrice Martin a posée, je crois —, c’est une question de consultation. S’il y avait eu avec notre gouvernement une conversation visant à trouver une solution, même si elle n’est pas parfaite, elle pourrait quand même être utile. Elle pourrait avoir de la valeur, comme on l’a déjà laissé entendre. J’ai beaucoup de respect pour mon collègue Max FineDay, qui veut faire avancer les choses, et nous avons des dossiers que nous voulons faire progresser. Nous voulons que notre traité soit enchâssé dans le projet de loi cet automne, et j’espère que les sénateurs l’appuieront lorsqu’il sera présenté. Mais, en même temps, comme on l’a dit à maintes reprises aujourd’hui, ce sera un organisme extrêmement important... et je pense qu’il faudrait que nos gouvernements s’entendent sur la façon dont il sera mis sur pied. Je pense que les discussions doivent avoir lieu le plus tôt possible.
La sénatrice Audette : Merci.
Le président : Le temps de parole réservé à ce groupe est écoulé. Je remercie encore une fois les témoins d’avoir été des nôtres ce soir. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de votre témoignage.
(La séance est levée.)