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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 7 février 2024

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, afin d’étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je tiens d’abord à reconnaître que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe, où vivent maintenant de nombreuses Premières Nations, ainsi que de nombreuxs Métis et Inuits de toute l’Île de la Tortue.

Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, lieu aussi appelé Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité des peuples autochtones.

Je vais maintenant demander aux membres du comité de se présenter en se nommant et en précisant la province ou le territoire qu’ils représentent.

Le sénateur Arnot : Je m’appelle David Arnot. Je suis sénateur de la Saskatchewan. Je vis sur le territoire du Traité no 6.

La sénatrice Coyle : Je suis la sénatrice Mary Coyle. Je viens d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse, dans le Mi’kma’ki.

La sénatrice Sorensen : Je m’appelle Karen Sorensen. Je suis sénatrice de l’Alberta, où se trouve le parc national Banff, situé sur le territoire du Traité no 7.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, sénatrice de l’Ontario.

La sénatrice White : Judy White, sénatrice de Ktaqmkuk, lieu mieux connu sous le nom de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le président : Avant de poursuivre, je tiens à souligner que la présente réunion porte sur les pensionnats indiens, un sujet que certains peuvent trouver troublant. Du soutien est accessible en tout temps et gratuitement pour toute personne qui en a besoin. Vous n’avez qu’à appeler la ligne d’écoute téléphonique de Résolution des questions de pensionnats indiens au 1-866-295-4419, ou à la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux‑être, au 1-855-242-3310. Vous pouvez aussi clavarder à www.espoirpourlemieuxetre.ca.

Je vais maintenant vous donner des renseignements concernant la réunion d’aujourd’hui.

Vous vous souviendrez peut-être qu’en mars dernier, le Comité des peuples autochtones a entendu les témoignages du Centre national pour la vérité et la réconciliation, ou CNVR, et du Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens. À la lumière de ces témoignages reçus le 19 juillet, le Comité des peuples autochtones a publié un rapport provisoire intitulé Honorer les enfants qui ne sont jamais rentrés auprès des leurs : vérité, éducation et réconciliation.

Ce rapport recommandait notamment la tenue d’audiences publiques avec le gouvernement, les organisations religieuses et les autres entités qui continuent de refuser de divulguer les documents concernant les pensionnats et les sites qui y sont associés. Au cours de la réunion de ce soir, nous continuerons d’entendre ces témoins.

Je vous présente donc nos témoins.

Du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, nous recevons Kyla Kakfwi-Scott, sous-ministre adjointe, Services généraux et sécurisation culturelle, ministère de la Santé et des Services sociaux. Du gouvernement de la Saskatchewan, nous accueillons Clive Weighill, coroner en chef de la Saskatchewan. Wela’lin. Merci à tous les deux de vous joindre à nous aujourd’hui.

Kyla Kakfwi-Scott, sous-ministre adjointe, Services généraux et sécurisation culturelle, ministère de la Santé et des Services sociaux, gouvernement des Territoires du Nord-Ouest : Bonsoir. Je vous remercie, monsieur le président, de me donner l’occasion de prendre la parole devant le comité aujourd’hui.

[mots prononcés dans une langue autochtone]

Comme je l’ai indiqué en me présentant brièvement dans ma langue, je suis K’asho Got’ine et je vis à Denendeh, la « terre du peuple ». Mes parents s’appellent Stephen Kakfwi et Marie Wilson. Je suis originaire de Fort Good Hope, dans les Territoires du Nord-Ouest, et je me joins à vous depuis Yellowknife, où je vis et travaille pour le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.

Je tiens d’abord à préciser pour le compte rendu que je témoigne aujourd’hui en tant qu’ancienne sous-ministre adjointe, Services généraux et sécurisation culturelle, ministère de la Santé et des Services sociaux. J’occupe depuis peu un nouveau poste, celui de sous-secrétaire au cabinet de notre premier ministre, mais je voulais respecter mon engagement de comparaître devant le comité dans le cadre du processus de transition des rôles.

En tant que survivante intergénérationnelle des pensionnats ayant un lien personnel profond avec le travail de la Commission de vérité et réconciliation, ou CVR, j’ai un grand respect pour l’importance du Centre national pour la vérité et la réconciliation, qui veille à ce que les générations actuelles et futures aient accès à leurs récits et à leurs histoires. C’est cette optique qui a guidé mon travail au ministère de la Santé et des Services sociaux, et j’ai été très heureuse de recevoir la lettre du comité, portant à mon attention la question des demandes de documents en suspens et m’invitant à comparaître devant le comité.

Je sais que le comité a déjà reçu une réponse écrite, mentionnant que des problèmes de capacité ont empêché jusqu’à présent le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, ou le GTNO, de fournir les certificats de décès des enfants décédés pendant qu’ils fréquentaient des pensionnats des Territoires du Nord-Ouest. Les documents historiques que le GTNO a en sa possession, qui vont de 1925 à 1956, n’existent qu’en version papier originale et doivent être recherchés manuellement puis entrés dans nos systèmes électroniques, afin de produire des rapports qui peuvent être communiqués au Centre national pour la vérité et la réconciliation.

En tant que petite administration, le personnel de notre Bureau de l’état civil est très limité. Jusqu’à maintenant, les recherches de documents ont été effectuées parallèlement au travail régulier du bureau, au besoin, en réponse à des demandes spécifiques de la part des membres des familles.

Au cours des derniers mois, nous avons travaillé à l’élaboration d’un plan visant à donner la priorité au travail de correspondance, de localisation et de numérisation des dossiers de tous les enfants répertoriés par le Centre national pour la vérité et la réconciliation comme étant des élèves décédés pendant qu’ils fréquentaient un pensionnat. Des employés supplémentaires nous permettront de nous concentrer sur l’achèvement de ce travail en temps opportun.

Nous travaillons également avec l’archiviste territorial afin de trouver tous les renseignements supplémentaires sur ces élèves qui pourraient être ajoutés à nos dossiers et fournis au centre national, comme l’emplacement du pensionnat et le nom de l’administrateur probable de l’établissement au moment du décès.

Enfin, je peux confirmer que des amendements ont été apportés en 2019 à notre réglementation sur l’état civil, afin de permettre au GTNO de transmettre des registres de l’état civil au Centre national pour la vérité et la réconciliation. Nous sommes maintenant en mesure de travailler à un accord de communication de renseignements pour faciliter le transfert des dossiers une fois qu’ils auront été entièrement saisis dans nos systèmes.

Merci encore de nous donner l’occasion de vous expliquer comment nous prévoyons de donner la priorité à l’achèvement rapide de cet important travail. Je répondrai avec plaisir à toutes les questions des membres du comité. Mahsi.

Le président : Merci, madame Kakfwi-Scott.

Je vais maintenant inviter M. Weighill à présenter son mot d’ouverture.

Clive Weighill, coroner en chef de la Saskatchewan, gouvernement de la Saskatchewan : Bonsoir. Je m’appelle Clive Weighill, et je suis le coroner en chef de la province de la Saskatchewan. La province est visée par les Traités nos 2, 4, 5, 6, 8 et 10 et elle est la terre natale des Métis.

En 2012, le Bureau du coroner de la Saskatchewan a commencé à travailler au projet Enfants disparus et lieux de sépulture non marqués de la Commission de vérité et réconciliation. Le gouvernement de la Saskatchewan a organisé un événement national à l’intention des survivants, des jeunes et d’autres personnes, qui s’est tenu à Saskatoon du 21 au 24 juin 2012.

Dans une lettre adressée au premier ministre de la Saskatchewan le 12 juin, l’honorable juge Murray Sinclair, président de la Commission de vérité et réconciliation, a déclaré que le gouvernement de la Saskatchewan est perçu comme un champion et un leader en matière de réconciliation en raison de sa contribution et de son appui à l’événement national.

Le président Sinclair a félicité le coroner en chef de l’époque pour son expression de réconciliation lors de l’événement national. Le président Sinclair a également félicité le coroner en chef d’avoir fait approuver à l’unanimité une résolution lors de la réunion des coroners en chef et des médecins légistes en chef qui a eu lieu avant l’événement national. La résolution visait à appuyer le dialogue et les discussions avec la Commission de vérité et réconciliation afin de bien comprendre le rôle des coroners en chef et des médecins légistes en chef dans l’avancement du mandat du projet Enfants disparus et lieux de sépulture non marqués. La Commission de vérité et réconciliation a fourni au Bureau du coroner de la Saskatchewan une copie du protocole que le Bureau du coroner en chef de l’Ontario avait élaboré pour répertorier les décès probables dans les pensionnats. La Saskatchewan a en grande partie calqué sa méthodologie sur celle de l’Ontario. Toutefois, les lois et les procédures relatives à la tenue des dossiers et à l’accès à ceux-ci varient selon la province et le territoire et ont beaucoup évolué au fil du temps.

La Saskatchewan a établi son propre système judiciaire en 1915. En 1958, on comptait 21 districts judiciaires. Avant 1976, les dossiers des coroners étaient souvent conservés au centre judiciaire concerné ou au palais de justice, particulièrement lorsqu’une enquête était ouverte. Tous les dossiers disponibles datant de 1915 à 2015 ont maintenant été récupérés dans les zones judiciaires, catalogués et entreposés au centre des documents du gouvernement de la Saskatchewan aux fins d’entreposage permanent.

Malheureusement, certains des documents historiques n’étaient pas datés, et, pour certaines années, nous n’avons pas pu retrouver des documents. Les renseignements autres que les rapports d’enquête se limitent au nom du défunt, à la date de naissance, à la date du décès, au lieu du décès et au mode de décès.

Le Bureau dispose maintenant d’une base de données électronique qui héberge tous les documents de 2015 à nos jours.

Compte tenu des différentes procédures relatives à la tenue des documents et à l’accès à ceux-ci, en collaboration avec la Commission de vérité et réconciliation, la Saskatchewan a élaboré une stratégie à deux volets : le Bureau du coroner examine les dossiers d’enquête sur les décès, dans la mesure du possible, afin de répertorier les décès d’élèves des pensionnats; ensuite, le centre national communique sa liste des enfants morts ou disparus lorsqu’ils fréquentaient un pensionnat en Saskatchewan et la mettra régulièrement à jour.

À l’aide de ce travail, on a créé un tableau sur les décès possibles de jeunes autochtones dans les pensionnats. Le tableau comporte les numéros de dossier, les noms, l’âge et le sexe, les dates de décès, les lieux de décès et les causes de décès.

Au cours de l’élaboration du protocole, la Commission de vérité et réconciliation a fourni une liste d’environ 620 décès potentiels dans des pensionnats afin d’orienter les recherches du Bureau du coroner de la Saskatchewan. Grâce à cette liste, le Bureau a pu rechercher des documents concernant environ 400 enfants, car des détails suffisants avaient été fournis. En 2015, le Bureau du coroner avait achevé sa recherche initiale des documents facilement accessibles et il a fourni à la Commission de vérité et réconciliation une liste des décès potentiels dans les pensionnats. Le bureau a également effectué un examen de tous ses dossiers en s’appuyant sur une recherche sur les décès potentiels dans les pensionnats fournie par la Commission de vérité et réconciliation et il a trouvé deux dossiers d’enfants dans le Registre national des décès d’élèves des pensionnats indiens de la Commission de vérité et réconciliation. Un décès survenu à Beauval en 1954 était attribuable à des causes naturelles, tandis que 19 décès étaient attribuables à un incendie de cause inconnue, mais non suspecte, comme l’a déterminé le jury de l’enquête, en 1927, également à Beauval.

Ces dossiers ont été remis au Centre national de vérité et de réconciliation le 31 janvier 2023. Ces renseignements ont été transmis à l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens dans le cadre de sa demande d’accès à l’information présentée en mai 2023.

Le 7 septembre 2023, les Archives provinciales de la Saskatchewan ont informé le Bureau du coroner qu’elles possédaient le registre de l’école industrielle de Regina, ainsi que les registres de naissance, de mariage et de décès de certaines églises, qui pourraient permettre d’identifier des élèves.

Le 13 septembre 2023, le bureau a reçu le registre du pensionnat de Regina et a effectué une recherche dans ses dossiers au cours du même mois. Aucun nouveau décès d’enfants fréquentant le pensionnat n’a été trouvé.

Le Bureau du coroner de la Saskatchewan prévoit d’obtenir des copies des registres d’églises conservés aux Archives provinciales et pouvant permettre d’identifier des élèves. Afin de faciliter cette entreprise, les Archives provinciales ont offert de communiquer avec les propriétaires des registres d’églises.

Les documents qui avaient été fournis au Centre national de vérité et de réconciliation étaient censés représenter tous les documents que le Bureau du coroner de la Saskatchewan avait en sa possession. Toutefois, le 30 octobre 2023, le bureau a passé en revue la transcription de la réunion du comité sénatorial permanent du 20 septembre 2023 et il a procédé à un examen approfondi des documents issus des renseignements supplémentaires. Une autre recherche de documents a été effectuée le 7 décembre 2023, et trois autres documents ont été trouvés. Ils ont été remis au Centre national de vérité et de réconciliation.

Le Bureau du coroner de la Saskatchewan reconnaît que les travaux de la Commission de vérité et de réconciliation se poursuivent et il est prêt, disposé et apte à mener d’autres recherches si de nouveaux détails sont fournis. Le bureau se réjouirait d’avoir d’autres conversations avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation au sujet de cet important travail.

C’était là mon mot d’ouverture, monsieur le président.

Le président : Merci, monsieur Weighill, de vos commentaires. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Si des sénateurs ont des questions, la parole est à eux.

La sénatrice Sorensen : Merci à nos témoins. Je ferai d’abord un commentaire à l’intention du comité. Il est désolant de continuer à entendre qu’un problème de capacité empêche encore de faire ce travail. Personne ne pourra répondre à cette question, mais en ce qui concerne la dotation et le financement, nous avons entendu un bon nombre d’organismes dire que le problème est qu’ils n’ont tout simplement pas la capacité de faire le travail. Je trouve cela décevant à entendre.

Ma question s’adresse à M. Weighill. Certains commentaires qui figurent dans votre mémoire m’ont laissée perplexe. J’essayais de trouver des commentaires similaires dans votre exposé.

Tout d’abord, il semble que votre bureau ait fait un énorme travail complexe pour rapprocher des données provenant de différentes sources.

M. Weighill : Oui.

La sénatrice Sorensen : Dans le mémoire — et vous pouvez peut-être m’expliquer cela un peu plus —, vous dites que le CNVR n’a pas été en mesure de fournir à la province une liste d’enfants ayant séjourné dans les pensionnats indiens. Ensuite, je pense que vous avez dit que eHealth n’est pas en mesure de déterminer à partir de ses dossiers quels enfants sont morts dans un pensionnat et quels enfants sont décédés dans la population générale.

Dans le mémoire, on précise ensuite que pour fournir des dossiers de décès supplémentaires, il faudrait divulguer tous les décès d’enfants survenus dans la province entre 1944 et la date de fermeture du dernier pensionnat indien en Saskatchewan, ce qui n’est pas possible en raison de questions relatives à la protection de la vie privée.

Pouvez-vous donner des précisions sur les commentaires que j’ai formulés, en particulier sur les questions en matière de protection de la vie privée?

M. Weighill : La Loi sur les coroners de la Saskatchewan ne pose aucun problème. J’ai certainement le pouvoir de communiquer toute information à ce sujet aux familles, à la Commission de vérité et réconciliation ou au CNVR.

La sénatrice Sorensen : D’accord. La première partie est-elle exacte, à savoir que le CNVR n’a pas été en mesure de vous fournir des noms pour restreindre votre recherche?

M. Weighill : Je me demande si nous consultons le même mémoire. Je ne suis pas au courant de cela. Nous avons reçu tous les renseignements possibles du CNVR. Nous avons vérifié tous les noms par rapport à ces renseignements. Je ne sais pas quel mémoire vous examinez.

La sénatrice Sorensen : D’accord. Je vais céder la parole à quelqu’un d’autre et comparer mes notes.

Le sénateur Arnot : Merci aux témoins d’être venus ici aujourd’hui. J’ai une question à poser à Mme Kakfwi-Scott, mais je la garde pour le deuxième tour.

J’ai une question à poser au coroner en chef Weighill. Ma question sera différente: vous avez commencé votre mandat à titre de chef de police de la ville de Saskatoon à un moment où il y avait une grande polarisation politique. Vous avez travaillé avec acharnement pour favoriser la réconciliation. Au sein de votre bureau actuel, l’un de vos coroners vient de terminer une audience au sujet de la tragédie qui s’est déroulée en 2022 dans la Nation crie de James Smith.

Selon moi — et les recommandations très complètes qui ont été faites par le coroner et le jury —, cette enquête a fourni une occasion importante de guérison et de réconciliation à ceux qui ont été touchés dans ces communautés.

J’aimerais que vous nous donniez votre opinion en fonction de votre expérience. Qu’est-ce qui fonctionne pour instaurer la confiance, établir des relations et permettre la réconciliation avec les peuples autochtones et les organismes gouvernementaux, en particulier le Service correctionnel du Canada et la Gendarmerie royale du Canada, dont la division F fournit des services de police dans la province de la Saskatchewan? Je voudrais savoir ce qui ressort, selon vous, de l’enquête de ce coroner et quels conseils vous donneriez au comité au sujet des points qu’il devrait examiner cette année en matière de réconciliation et des mesures que nous pouvons encourager parmi celles qui doivent être prises. Merci, monsieur. Au fait, c’est vraiment agréable de vous voir ici aujourd’hui.

M. Weighill : Tout d’abord, j’aimerais parler du travail que nous avons fait avant et pendant l’enquête menée pour la Nation crie de James Smith sur l’incident survenu à Weldon. Nous avons veillé à ce que presque toutes les cérémonies autochtones possibles soient organisées, conformément à nos exigences législatives. Il y avait des huttes de sudation, des cérémonies du calumet tous les lundis matin — j’étais présent à chacune d’elles —, un tipi érigé à l’extérieur du centre où l’enquête a eu lieu, où un feu brûlait jour et nuit pendant toute la durée de l’enquête, et il y avait sur place des aînés et des responsables du bien-être qui pouvaient aider quiconque avait des difficultés émotionnelles, des cérémonies de purification par la fumée et des prières. Nous avons vraiment essayé d’être inclusifs pour nous assurer que la population autochtone touchée se sentait bien accueillie et sentait que nous étions à l’écoute de ses préoccupations et que nous avions à cœur sa spiritualité et son bien-être. C’est très important.

Lorsque l’on regarde mon bilan à Saskatoon, pour répondre à votre première question, on constate que c’est aussi ce que nous avons essayé de faire à Saskatoon. Je pense que ce travail a culminé vers 2016, lorsque nous avons érigé le monument devant le quartier général du Service de police de Saskatoon en collaboration avec le conseil tribal de Saskatoon en mémoire des personnes, des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées. C’était un endroit où les gens pouvaient se rassembler et c’était là, devant le quartier général, qu’ils commençaient leurs marches, et cetera.

Le sénateur Arnot : Voulez-vous donner plus de détails sur ce que vous recommanderiez? C’est un exemple. Vous prêchez par l’exemple. Auriez-vous des commentaires à formuler sur ce que nous devrions rechercher sur le plan de la réconciliation à l’avenir?

M. Weighill : Nous devons nous pencher sur les deux mondes qui doivent collaborer. Il y a toujours deux visions du monde. D’abord, dans le cadre de mon travail — c’est-à-dire auprès de la Nation crie de James Smith, compte tenu de ce qui est survenu et de certaines des choses qui se passaient —, il était nécessaire d’écouter ce que les gens ont à dire, d’écouter leurs préoccupations, et de prendre ensuite les mesures qui s’imposent. J’ai découvert dans mes diverses carrières que les choses sont différentes au niveau provincial et municipal. Malheureusement, beaucoup d’Autochtones se font souvent dire « non ». Ils ont toujours l’impression de devoir faire avancer les choses eux-mêmes, de toujours avoir à se battre contre une grande bureaucratie. Au Bureau du coroner de la Saskatchewan, nous avons engagé un agent de liaison auprès des familles oeuvrant à l’échelle locale pour que les gens n’aient pas à se heurter à un coroner en chef ou à quelqu’un qui, à leur avis, est en position d’autorité. Ils peuvent ainsi gérer leur problème à l’échelle locale et se sentir à l’aise d’être écoutés par cette personne. À mon avis, c’est important.

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos deux témoins. J’ai une question à poser à chacun de nos témoins pour obtenir des éclaircissements.

Mme Kakfwi-Scott, je tiens d’abord à vous féliciter pour votre nouveau poste. Comme l’a dit ma collègue, la sénatrice Sorensen, je pense que l’une des choses que nous retenons de ce que vous avez dit, c’est que tous les efforts nécessaires ont été déployés et continuent de l’être. Toutefois, la principale chose que nous retenons, c’est que la capacité est limitée, et que les responsables de ce travail ont aussi d’autres chats à fouetter.

Pourriez-vous nous parler un peu de ce problème de capacité et de ce que vous auriez besoin pour réaliser le travail que vous aimeriez faire? Que faudrait-il pour passer de ce que vous pouvez accomplir en ayant cette capacité limitée à ce que vous voudriez ou devez accomplir afin d’atteindre les objectifs?

Mme Kakfwi-Scott : Merci de la question. Je tiens à apporter des précisions. Je regrette de ne pas avoir été claire dans mes remarques préliminaires. Je sais que nous avons déjà dit qu’il s’agit d’un problème de capacité. Aujourd’hui, ce que je tiens à vous dire, c’est que nous avons demandé ce que nous devons faire pour avoir la capacité nécessaire pour effectuer le travail, parce qu’il ne sera manifestement pas effectué s’il reste sur le coin d’un bureau.

La sénatrice Coyle : D’accord.

Mme Kakfwi-Scott : L’avantage d’être une petite administration ayant une capacité limitée, c’est qu’il ne faut pas une grande quantité de ressources pour accroître considérablement cette capacité. Nous avons embauché une personne qui commencera en février et qui se concentrera sur ce travail. Il s’agit d’une augmentation de 50 % par rapport à la capacité actuelle de notre personnel. En affectant une personne à cette tâche, nous espérons être en mesure d’effectuer le travail. Je ne peux pas vous dire quelle est l’échéance de ce travail, car il faut d’abord établir un plan de travail avec cette personne une fois qu’elle sera en poste, mais voilà ce que nous avons fait. Nous avons veillé à ce qu’une personne ait la tâche d’exécuter ce travail, de sorte que nous n’ayons pas à revenir sans cesse présenter nos excuses parce que nous ne sommes pas en mesure de faire le travail avec les ressources actuelles.

La sénatrice Coyle : Merci. Vous aviez probablement dit tout cela, mais je ne l’avais pas entendu. Merci de cette précision. Je comprends que vous ne puissiez pas vraiment dire combien de temps ce travail prendra parce qu’il faut d’abord le commencer, avec ce niveau de capacité, pour vraiment être en mesure d’en évaluer l’ampleur. Merci de cette précision.

Coroner en chef Weighill — excusez ma prononciation —, j’essaie d’obtenir un portrait de l’ensemble du système dont vous faites partie. Il y a le CNVR et les Archives provinciales. Je crois que vous avez dit que les Archives provinciales communiquent avec les diverses églises. Est-ce exact?

M. Weighill : Oui.

La sénatrice Coyle : Pourriez-vous en dire un peu plus à ce sujet? Communiquent-elles avec les églises en fonction de ce que vous leur transmettez comme information? Comment ce système fonctionne-t-il?

M. Weighill : Elles assurent la liaison entre nous et les églises. Elles ont la capacité de communiquer avec les églises.

Je devrais également expliquer au comité que le Bureau du coroner de la Saskatchewan ne s’occupe que des décès de causes non naturelles. Nous enquêtons sur les décès attribuables à des homicides, à des suicides, à des noyades, à des incendies, à des surdoses, et ainsi de suite. Une grande partie des décès sont des décès naturels, notamment un enfant qui décède d’une maladie. Ces décès ne sont jamais signalés au Bureau du coroner. Nous ne nous occupons que des décès inattendus ou de causes non naturelles, c’est pourquoi le Bureau du coroner ne détient pas un registre complet de tous les décès survenus en Saskatchewan.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup à nos deux témoins. J’aimerais faire suite à la question qu’a posée la sénatrice Coyle au coroner en chef. Je suis heureuse de vous revoir. Je me joins à mon collègue, le sénateur Arnot, pour vous féliciter du travail que vous avez accompli en matière de réconciliation, à la fois en tant que chef de police et dans le cadre de votre rôle actuel.

En ce qui concerne les différences entre les informations que contient la liste de la CVR d’environ 620 personnes qui pourraient être décédées dans les pensionnats et ce que vous pouvez trouver dans les dossiers de 400 personnes parmi ces 620 personnes, avez-vous essayé de voir quels renseignements sont manquants et de répertorier, comme vous l’avez dit, les décès naturels? Est-ce que vous supposez que ces personnes sont peut‑être décédées d’une maladie, par exemple? Pensez‑vous qu’il y a des lacunes dans les documents originaux? Comment examinez-vous ces renseignements?

M. Weighill : Nous examinons tous les noms et toutes les descriptions que nous recevons de la CVR ou d’ailleurs, et nous comparons ces noms aux dossiers du Bureau du coroner de la Saskatchewan. Ce sont les seuls dossiers auxquels j’ai accès. Les autres dossiers relèvent du Bureau de l’état civil ou d’autres entités au sein de la province de la Saskatchewan. Je crois qu’il témoignera ici au sujet du travail qu’il a fait relativement à ses dossiers.

Nous avons examiné tous nos dossiers depuis 1915. Nous les avons tous récupérés. Nous avons embauché des commis pendant l’été pour passer en revue tous ces anciens dossiers qui sont datés à la main, nous les avons tous récupérés pour les cataloguer et pour nous assurer que nous avons tous les noms afin de pouvoir les comparer avec la liste complète des noms lorsque nous la recevrons. Tout ce que reçoit actuellement le Bureau du coroner de la Saskatchewan est comparé à tous nos dossiers depuis 1915.

La sénatrice Boniface : Excusez-moi, dites-vous 1950 ou 1915?

M. Weighill : Depuis 1915.

La sénatrice Boniface : Excellent. Merci beaucoup.

Le sénateur Prosper : Merci aux témoins. J’ai deux questions pour chaque témoin. Je vais commencer par M. Weighill.

Merci d’avoir présenté et expliqué ces détails en ce qui concerne le déroulement de votre travail. L’une des choses que je constate, quand il s’agit d’un sujet aussi délicat que celui-ci, c’est qu’il semble que... Vous avez parlé de cérémonies, mais vous avez aussi mentionné l’embauche d’un agent de liaison auprès des familles, et j’en ai pris bonne note. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Je pense que certaines approches pourraient être très bénéfiques ailleurs. Pourriez-vous en dire un peu plus à ce sujet? Je vous en serais très reconnaissant.

Ma deuxième question s’adresse à Mme Kakfwi-Scott. Vous avez mentionné que vous disposerez d’une capacité accrue, qui était grandement nécessaire, pour entreprendre le travail que vous devez faire. J’aimerais savoir si vous envisagez des difficultés législatives ou institutionnelles au cours de ce travail. Merci.

M. Weighill : Il s’agit d’un poste que nous avons depuis peu au sein du Bureau du coroner de la Saskatchewan. Ce poste d’agent de liaison auprès des familles n’existe que depuis environ trois ans et demi ou quatre ans. Il a porté ses fruits, non seulement pour nous, mais aussi pour les familles avec lesquelles nous traitons.

L’employée qui occupe ce poste travaille avec les familles qui ont des problèmes. Si une famille n’est pas d’accord avec les conclusions du Bureau du coroner de la Saskatchewan, elle peut travailler avec elle. Avant la tenue de l’enquête sur les événements survenus dans la Nation crie de James Smith, elle a travaillé pendant un an avec les membres des 11 familles. Elle leur a expliqué le travail du coroner et ce que nous pouvions faire pour eux en tant que Bureau du coroner. Elle leur a aussi mentionné que nous pouvions leur fournir des trousses de divulgation afin qu’ils puissent savoir à l’avance ce qui allait se passer pour qu’ils se sentent à l’aise et ne soient pas surpris. Elle a travaillé avec eux et s’est littéralement assise avec les 11 familles tout au long de l’enquête et elle s’est assurée que leurs questions soient transmises au conseil d’enquête et au coroner. Elle leur a fait sentir que l’on prenait bien soin d’eux. Cela a vraiment été avantageux pour nous, et plus particulièrement pour les familles, qui étaient convaincues, à la fin du processus, que l’on avait répondu à leurs questions et qu’elles avaient été traitées équitablement.

Le sénateur Prosper : Merci.

Mme Kakfwi-Scott : À mon avis, les difficultés que nous aurons seront vraiment liées à la qualité des documents. Bon nombre des documents historiques sont incomplets. On s’emploie à comparer les listes que le CNVR détient et le travail effectué par les archives pour voir si elles ont des renseignements supplémentaires, et ensuite à parcourir manuellement les certificats de décès physiques que nous avons pour déterminer si nous pouvons faire des rapprochements.

D’après ce que je comprends, d’après notre réglementation sur l’état civil, nous devons faire un peu de travail pour communiquer des renseignements, mais ce travail est terminé. Nous devrons conclure officiellement un accord sur la communication de renseignements avec le CNVR, mais nous avons l’autorité réglementaire pour le faire.

Le sénateur Arnot : Merci, madame Kakfwi-Scott. Grâce à votre travail et à votre expérience personnelle, je crois que vous comprenez — mieux que beaucoup d’autres peut-être — la douleur et la souffrance des familles et des familles élargies qui ont perdu des enfants ou qui vivent un traumatisme lié au système des pensionnats.

D’après votre expérience, à quel point est-il important de trouver ces documents pour ces familles? Plus important encore, avez-vous des conseils à nous donner en ce qui concerne l’établissement de relations de confiance pour favoriser la réconciliation entre les peuples autochtones et les organismes gouvernementaux?

Mme Kakfwi-Scott : Merci de la question. J’ai beaucoup de choses à dire à ce sujet.

Comme je l’ai dit durant mon exposé, je suis une survivante intergénérationnelle. Je suis également la fille d’une des trois commissaires de la CVR, et c’est pourquoi nous mettons l’accent sur cette question, sur les plans individuel et familial, depuis de nombreuses années. Cela m’a servi au cours des 11 années que j’ai passées au ministère de la Santé et des Services sociaux. Nous nous sommes beaucoup concentrés sur la sécurité culturelle et la lutte contre le racisme dans les soins de santé en particulier. Nous avons aussi cherché à savoir à quoi pourraient ressembler des systèmes représentatifs, où les peuples autochtones se concentrent sur le travail de guérison qu’ils doivent accomplir et où les gouvernements se concentrent sur le travail de prise de conscience qu’ils doivent accomplir.

Le travail de réconciliation est tellement important, mais je crains qu’il s’agisse d’une réconciliation avec un R majuscule, pour l’apparence seulement, dont nous pouvons suivre les progrès et qu’elle soit assortie de mesures de suivi, entre autres. Tout cela est important, mais il est incroyablement difficile de faire quoi que ce soit différemment si ce travail de changement ne commence pas au niveau individuel. C’est quelque chose que chacun d’entre nous, en tant que personne vivant au Canada, peut s’engager à faire en tant que pratique personnelle de prise de conscience, d’introspection et de croissance délibérée, même lorsque ce n’est pas agréable. Ensuite, il faut penser à la façon dont nous pouvons mettre tout cela à profit dans notre travail, quelle que soit la nature de ce travail.

Toutes les régions, les industries et les organisations ont du travail à faire. Il est accablant de penser à tous ces changements à apporter, mais si vous parvenez à en faire une mission personnelle et vous réfléchissez à ce que vous faites pour vous améliorer et à la façon dont vous mettez cela en application, c’est utile.

Dans un contexte de travail, nous avons adopté le mantra « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous ». Alors, nous nous assurons que, lorsqu’il est question du travail à faire, de l’approche à mettre en œuvre et de ce que cela signifie de bien faire les choses, tout soit guidé et dirigé par les peuples autochtones eux-mêmes, et que ceux d’entre nous qui travaillent avec le GTNO tiennent également compte du fait que nous travaillons nous aussi pour un gouvernement colonial. Nous devons être responsables et être conscients de la façon dont nous nous gérons et faisons notre travail.

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Sorensen : Je voudrais présenter mes excuses au coroner en chef Weighill. Vous avez raison; un autre mémoire était associé à votre nom. Quand nous entendrons le témoin, je poserai de nouveau ma question. Voilà pourquoi je ne comprenais pas pourquoi mes notes ne correspondaient pas à vos commentaires. Merci de tout le travail que vous avez fait.

M. Weighill : Merci.

Le président : Les sénateurs qui ont d’autres questions peuvent encore prendre la parole. Comme je ne vois aucune main levée, nous allons mettre fin à la discussion avec ces témoins.

Encore une fois, je tiens à remercier nos témoins de s’être joints à nous ce soir et de nous avoir fait part de leurs commentaires. Si vous désirez présenter d’autres observations, veuillez les soumettre par courriel à la greffière dans les sept jours. C’est ainsi que se termine notre réunion d’aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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