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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, jeudi le 1er décembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous ceux qui sont présents dans la salle ainsi qu’à ceux qui se joignent à nous en ligne. Il s’agit d’une réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente du comité. J’aimerais vous présenter les membres qui sont avec nous aujourd’hui : le vice-président, le sénateur Deacon de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, le sénateur Smith et le sénateur Marwah.

Nous sommes ici pour poursuivre notre discussion sur l’état de l’économie canadienne, en examinant particulièrement l’inflation, mais aussi d’autres questions. Aujourd’hui, nous sommes heureux d’accueillir Kevin Page, président et directeur général de l’Institut des finances publiques et de la démocratie. Beaucoup d’entre vous le connaissent bien en tant qu’ex-directeur parlementaire du budget et pour tout le bon travail qu’il a fait à cette époque.

Monsieur Page, soyez le bienvenu. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons commencer par votre déclaration liminaire.

Kevin Page, président et premier dirigeant, Institut des finances publiques et de la démocratie : Madame la présidente, monsieur le vice-président, membres du Comité des banques, du commerce et de l’économie, je vous remercie de cette étude que vous menez sur l’économie et l’inflation au Canada, et je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner.

L’économie mondiale se prépare à un ralentissement. Il y a une confluence de facteurs, et plusieurs d’entre eux sont bien connus de tous : une inflation élevée, y compris les prix élevés des aliments et de l’énergie; le resserrement des conditions financières; la lutte de la Chine contre la COVID et la guerre de la Russie en Ukraine.

Le décor est planté pour un troisième choc économique mondial en moins de 15 ans. Il y a eu la crise financière mondiale de 2008, la pandémie mondiale de 2020, et il y aura peut-être une récession mondiale en 2023, ou un ralentissement pour juguler la forte inflation.

Le Canada doit se préparer, aider les personnes vulnérables, protéger la capacité économique, rétablir la stabilité macroéconomique et lancer un programme politique post-COVID pour promouvoir la compétitivité, la durabilité, l’inclusion et la résilience.

Pour le Canada, les nuages d’une tempête économique sont à l’horizon. Nous pouvons en voir des signes dans les enquêtes auprès des entreprises et dans la stabilisation du prix des maisons. Nous pouvons en voir des signes sur les marchés mondiaux des produits de base et des actions. La tempête ne s’est pas encore levée.

L’économie canadienne est relativement vigoureuse, mais l’expérience de la COVID l’a mise à mal. La croissance économique réelle s’est poursuivie au troisième trimestre, mais la croissance au cours des deux dernières années et demie — depuis le début de la COVID en février 2020 — n’a pas égalé celle que le Canada a connue au cours de l’année qui a précédé la COVID.

Le marché du travail canadien a bien rebondi. Le taux de chômage est revenu au niveau d’avant la COVID. Le taux d’emploi et le taux d’activité ne se sont pas entièrement rétablis, ce dont témoigne en partie l’augmentation du nombre d’emplois vacants.

Combinés à grande échelle, les bilans des ménages et des entreprises sont relativement meilleurs qu’avant la COVID, ce qui s’explique par les importants transferts fédéraux qui ont été faits pendant la pandémie. Les indicateurs du stress lié à l’endettement n’envoient pas encore de signaux d’alarme. Si nous avons un ralentissement de la croissance ou une récession courte et peu profonde, la solidité relative de ces bilans favorisera la résilience.

Les chiffres récents de l’inflation au Canada et dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, renforcent l’idée que l’augmentation des prix à la consommation pourrait avoir atteint un sommet, une situation toutefois conditionnelle à l’absence de chocs mondiaux inattendus. L’augmentation des chiffres de l’inflation de base — l’indice des prix à la consommation, à l’exclusion des aliments et de l’énergie, par exemple — au cours de la dernière année continue de préoccuper les décideurs, qui estiment que le problème de l’inflation doit être réglé promptement avant que les attentes et les pressions inflationnistes ne s’aggravent.

Les politiques monétaire et budgétaire du Canada sont en grande partie axées sur un retour à la normale. Les taux d’intérêt directeurs et les bilans des banques s’ajustent pour faire face à l’inflation élevée. Les déficits budgétaires fédéraux ont chuté de manière spectaculaire depuis 2020, ce qui rend compte du rebond de l’économie et des résultats des mesures de soutien déployés pendant la COVID. Le gouvernement devrait être encouragé à maintenir sa trajectoire budgétaire actuelle.

Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Je vous remercie de ces observations. J’ai quelques points rapides à soulever. Partagez-vous l’avis du gouverneur de la Banque du Canada selon lequel ils auraient probablement dû agir plus rapidement sur les taux d’intérêt? Et êtes-vous d’accord avec les observations de votre successeur selon lesquelles il n’y a pas encore vraiment d’indication que le gouvernement est d’humeur à faire des restrictions et que les dépenses vont ralentir?

M. Page : Je partage l’avis du gouverneur de la Banque du Canada, M. Macklem, selon lequel, rétrospectivement, il aurait été préférable pour l’économie canadienne que nous commencions l’ajustement normatif des taux directeurs et le resserrement quantitatif à l’automne 2021, sauf qu’il s’agit d’une réflexion qui a été émise avec le recul. À l’époque — et je suis certain que nous en reparlerons —, on se demandait si l’inflation que nous connaissions, c’est-à-dire les fortes hausses mensuelles de l’indice des prix à la consommation constatées à l’été et à l’automne 2021, était de nature transitoire ou permanente. Je pense qu’il est maintenant clair qu’elle est plutôt de nature permanente.

Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question concernant la politique budgétaire — encore une fois, j’espère que nous aurons l’occasion d’en parler — et notamment pour ce qui est de savoir si nous avons la bonne approche budgétaire pour faire face à la situation actuelle de l’économie — une économie qui fonctionne toujours, je pense, en deçà de la tendance et où il y a un sentiment général, en ce qui concerne le cadre de planification, que nous nous dirigeons vers un ralentissement —, je pense que la taille du déficit budgétaire fédéral au Canada, avec ses quelque 35 milliards de dollars cette année, ou environ 1,5 % du PIB, est un déficit modeste. Dans le contexte d’une économie qui fonctionne en deçà de son régime habituel, je pense que c’est un déficit convenable et qu’on ne devrait pas s’en préoccuper outre mesure.

Pour l’avenir, je pense que nous devons être prudents. Nous ne devrions pas lancer de grands programmes structurels ou de nouveaux programmes à long terme en les finançant par une augmentation du déficit. En ce moment, il est important que la politique budgétaire poursuive sa trajectoire vers des déficits moins importants à mesure que l’économie reprend du poil de la bête.

La présidente : C’est très utile. Merci d’avoir brossé ce portrait.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup, monsieur Page, d’être avec nous aujourd’hui.

J’aimerais approfondir un peu la question. La ministre des Finances, Mme Freeland, a déclaré cet automne que :

Nous croyons vraiment qu’il est important d’avoir une approche financièrement responsable en ce moment. Nous comprenons vraiment l’importance de ne pas jeter de l’huile sur le feu de l’inflation et de ne pas compliquer davantage la tâche déjà très difficile de la Banque du Canada.

Lorsque vous examinez les mesures en place et les plans d’avenir du gouvernement du Canada, pensez-vous que le plan pluriannuel que nous voyons actuellement est à la hauteur de cette déclaration de la part de la ministre des Finances?

M. Page : Tout compte fait, sénateur, je dirais oui. J’appuie la position de la ministre Freeland. Si nous regardons la trajectoire fiscale actuelle sur la base des perspectives de planification, nous avons effectivement presque deux perspectives de planification dans l’énoncé économique de l’automne. Il y a une prévision moyenne du secteur privé qui remonte à septembre, et puis il y a le scénario conservateur du ministère des Finances. Dans les deux cas, je vois une baisse du déficit en pourcentage du PIB. Je vois un ratio de la dette au PIB conforme à ce cadre de planification, ratio qui continuera de diminuer au cours des cinq prochaines années et qui atteindra des niveaux qui ne seront pas différents de ce que nous avons vu il y a cinq ou six ans en ce qui a trait à la taille du ratio de la dette au PIB, c’est-à-dire le déficit accumulé en pourcentage du PIB.

Au fur et à mesure que nous nous éloignerons de la COVID et du choc que nous subissons actuellement en raison du conflit qui sévit en Europe, les intentions du gouvernement de promouvoir la compétitivité et la transition énergétique pour préparer le secteur privé et faciliter l’ajustement à une économie carboneutre, et de renforcer le filet de sécurité sociale afin d’augmenter la résilience face aux tempêtes qui s’abattent sur nous, ce programme, donc, laisse présager une augmentation probable des dépenses publiques. Si nous avons effectivement besoin de plus de dépenses publiques pour aider l’économie à s’ajuster à moyen terme, elles devront être assorties d’une augmentation des recettes.

Si nous avons appris quelque chose des crises de 2008 et de 2020, c’est qu’il est très utile d’avoir une position fiscale robuste pour soutenir le Canada, les ménages canadiens et les entreprises canadiennes, et tout particulièrement lorsque les bases de l’économie s’effondrent comme ce fut le cas lors de ces deux crises.

Or, je pense que l’approche actuelle permet de le faire. Elle nous donne la souplesse nécessaire pour faire face à d’autres ralentissements, y compris, potentiellement, à celui que nous pourrions connaître en 2023.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup.

Le sénateur Smith : Merci d’être avec nous, monsieur Page.

Dans son évaluation du Budget supplémentaire des dépenses 2022-2023, le directeur parlementaire du budget note que les dépenses en personnel comptaient pour environ 2,3 milliards de dollars — soit 9 % — des autorisations budgétaires. Son rapport indique en outre que les dépenses fédérales pour les salaires et avantages sociaux des fonctionnaires devraient atteindre 55 milliards de dollars cette année, soit environ 130 000 $ par employé à temps plein.

Vous avez noté que cette vague d’embauche massive par le gouvernement fédéral augmente beaucoup plus rapidement que dans le secteur privé et plus rapidement que le taux de croissance de l’économie réelle. J’aimerais connaître votre opinion sur les répercussions potentielles que pourrait avoir l’augmentation de la taille du gouvernement, tant sur le marché du travail que sur l’économie en général.

M. Page : Merci, sénateur.

Je suis heureux que divers médias et le Sénat aient souligné cette question. Il y a un manque de transparence de longue date dans les plans d’embauche des ressources humaines du gouvernement. Il n’est pas facile pour les parlementaires ou les Canadiens d’obtenir facilement des renseignements sur les dépenses en personnel et le plan des ressources humaines du gouvernement. Il y a quelques données de base que vous pouvez obtenir du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Le greffier dépose chaque année un rapport sur l’état de la fonction publique qui contient certaines données sur la taille de la fonction publique, mais il n’est pas intégré à un plan de dépenses gouvernementales à long terme.

Lorsque beaucoup d’observateurs financiers se penchent sur cette croissance des employés à temps plein, en particulier sous ce gouvernement depuis 2015 — et oui, une partie de cette croissance durant la période de la COVID est compréhensible —, il est difficile de comprendre comment le gouvernement concilie cette croissance avec le plan de dépenses prévu pour les cinq prochaines années.

En regardant l’énoncé économique de l’automne, on apprend que nous reviendrons à l’équilibre, effectivement, sur cinq ans, et un coup d’œil aux recettes et dépenses en pourcentage du PIB permet de constater que les recettes prévues sont assez constantes par rapport au PIB à moyen terme —, soit un peu plus de 16 points de pourcentage.

Pour ce qui est des dépenses, surtout si vous regardez les gros transferts aux provinces et aux personnes, elles se maintiennent par rapport au PIB, mais la véritable baisse qui permet le retour à l’équilibre se situe sur le plan des dépenses en personnel. Les dépenses en personnel que vous avez soulignées en sont une composante importante, sénateur.

Il serait très utile d’encourager le gouvernement — et cela devrait venir du président du Conseil du Trésor — à fournir un plan quinquennal des ressources humaines, ou peut-être même un plan à plus long terme, qui comprendrait la composante standard que vous avez mentionnée, les employés à temps plein, les employés ventilés par ministère et un plan quinquennal. Cela nous permettrait de nous assurer que nous aurons la fonction publique nécessaire pour donner suite aux diverses politiques dont nous allons probablement parler et de concilier la croissance des cinq dernières années avec la diminution des dépenses par rapport au PIB au cours des cinq prochaines années. Pour moi, c’est assez difficile à concilier.

Cette importante croissance continue, qui, je pense, a commencé en 2016, a été constante. Elle a évidemment augmenté durant la COVID, sauf que maintenant, nous voyons qu’il devra y avoir une contraction des dépenses directes de programme au cours des cinq prochaines années pour revenir à l’équilibre.

Nous avons besoin de voir le plan. Des dépenses directes de programmes et des dépenses en personnel de 55 ou 60 milliards de dollars par an dépassent le PIB nominal — ou le PIB réel, en tout cas —, c’est quelque chose dont il faut se préoccuper. Il s’agit d’une pression importante sur les dépenses qui rendra difficile pour le gouvernement de réaliser le genre de restriction qu’il prévoit appliquer dans le cadre de sa planification prospective.

La présidente : Nous attendons toujours le plan pour les soins de santé, qui pourrait aussi venir changer la donne considérablement.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Merci d’être avec nous, monsieur Page. J’ai plusieurs questions, je vais commencer par une qui m’est venue hier, alors que je participais aux travaux du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Nous étudiions le Budget supplémentaire des dépenses (B).

J’ai été surprise par l’accroissement significatif des dépenses de fonctionnement du gouvernement. Il y a beaucoup de dépenses en ressources humaines; on parle de milliards. Des 20 milliards de dollars, il y avait au moins 20 % des dépenses qui concernaient de fonctionnement. Est-ce que le travail en mode hybride — qui est là pour de bon, j’en conviens — est rendu au point où il faut plus de main-d’œuvre pour satisfaire nos besoins? Vous venez de parler de planification de nos ressources humaines. Est-ce que cela devrait faire partie de la problématique?

[Traduction]

M. Page : Merci, sénatrice, de cette question. Je pense que c’est une bonne suite à la question précédente du sénateur Smith.

Je ne fais plus partie de la fonction publique depuis un bon moment déjà. Ce que l’on entend dire, c’est que nous avons besoin d’une fonction publique forte pour faire face à ce genre de chocs. Si nous revenons à 2020, je pense que la fonction publique a fait un travail incroyable pour gérer la crise en l’absence d’un vaccin, dans un contexte où l’on disait aux gens de pratiquer la distanciation sociale. Nous voulions protéger les ménages et les entreprises. Presque semaine après semaine, nous avons assisté au lancement de nouveaux programmes et à l’adaptation de programmes existants. Des centaines de milliards de dollars ont été dépensés pour faire face à cette récession très brutale.

En temps de crise, nous dépendons de la fonction publique, et nous avons besoin de cette capacité. Sauf que, sans ce plan à long terme des ressources humaines, il n’est pas évident de comprendre comment la croissance que nous observons dans les dépenses opérationnelles et dans les dépenses en personnel est liée aux défis de l’après-COVID. Quand je regarde les données sur les embauches qui ont eu lieu, pour moi, ce n’est pas clair. Je ne vois pas la stratégie. On dirait qu’il y a une croissance partout, dans tous les ministères. Les choses se font donc dans une optique large.

Nous avons besoin de ce rapport. Nous devons demander des comptes au gouvernement et savoir que nous disposons de la fonction publique dont nous avons besoin pour élaborer le type de programme qui facilitera la transition énergétique, qui favorisera la compétitivité et qui permettra de travailler avec les provinces et les Premières Nations — ainsi qu’avec les municipalités et les territoires — sur ces questions de résilience.

Nous n’avons pas de plan pour les dépenses opérationnelles. Pour beaucoup de gens qui font ces prévisions, c’est un peu embêtant.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Une petite question, monsieur Page. Vous avez parlé d’une reprise, mais ce n’est pas certain. Pensez-vous que le fait qu’il y ait des postes vacants en grande quantité permet un atterrissage en douceur au Canada et permet d’absorber la hausse des taux d’intérêt un petit peu plus facilement, peut-être en faisant en sorte que les personnes qui étaient en recherche d’emploi prennent des postes vacants?

[Traduction]

M. Page : Sénatrice, il est indéniable que nous gérons encore les séquelles de la crise provoquée par la COVID. J’ai l’impression que nous sommes toujours en transition vers une sorte de nouvel équilibre dans la fonction publique.

Le gouvernement, dans son programme de 2021, parlait d’examens et, dans le budget de 2021, a parlé d’examens des politiques et des opérations. On y consacre un paragraphe ou deux dans l’énoncé économique de l’automne, mais il n’y a pas vraiment eu d’examen. Donc, il est fort possible qu’il y ait eu cette hausse soudaine des dépenses opérationnelles au gouvernement, et que nous constations un type différent de retenue à l’avenir.

Donc, oui, nous avons besoin d’un plan.

La présidente : Je suis contente de vous entendre le répéter constamment, car cela me paraît un point très important.

Le sénateur Loffreda : Merci d’être des nôtres, monsieur Page.

Dans votre déclaration, vous avez dit que les ménages et les bilans sont relativement meilleurs en raison de l’aide gouvernementale, puis qu’aucun indicateur d’avertissement jaune n’est pour l’instant associé au poids de la dette.

Au cours de la réunion du mardi 29 novembre 2022 du Comité permanent des finances nationales, nous avons reçu M. Dan Kelly, président et chef de la direction de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Je vais le citer et j’aimerais connaître votre avis et vos réflexions sur ce qu’il a déclaré. Vous avez parlé de l’approche budgétaire à partir de maintenant, donc pourriez-vous décrire une approche qui viendrait limiter cela, si c’est possible?

Deux petites entreprises canadiennes sur trois ont toujours des dettes supplémentaires liées à la COVID, des dettes qu’elles n’avaient pas avant la pandémie et qu’elles ont contractées pour traverser la pandémie. En moyenne, les entrepreneurs ont à présent une dette additionnelle de 110 000 $, dont une partie est attribuable au prêt gouvernemental offert au titre du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes, le CUEC. De plus...

— et ce passage est important —

17 % des petites entreprises — près d’une sur cinq — risquent de fermer définitivement en raison des dommages qu’elles ont subis au cours des deux ou trois dernières années.

J’aimerais connaître vos impressions et vos réflexions là-dessus. Je suis d’accord que beaucoup ont un solide bilan. Beaucoup me l’ont dit, dont des entrepreneurs qui ont déclaré : « Nous avons obtenu de l’aide et l’avons déposée à la banque. Nous n’y avons pas touché. Elle est toujours là. Maintenant, nous allons investir cet argent. » La majorité des Canadiens travaillent toutefois pour de petites entreprises. Donc, quelle est la solution ici? Est-ce que ce chiffre est élevé? Êtes-vous préoccupé? Y a-t-il une approche budgétaire qui permettrait de sauver certaines de ces entreprises?

M. Page : Merci, sénateur. Je pourrais peut-être consacrer un peu de temps à traiter du type de données que j’ai étudiées pour arriver à ce genre d’opinion sur le bilan des ménages et des entreprises, mais en me concentrant sur celui des entreprises, puis répondre au point soulevé par M. Kelly.

Quand on étudie les données de Statistique Canada sur le secteur des entreprises, on peut suivre l’évolution du revenu. On peut faire le suivi de l’excédent d’exploitation. On peut se pencher sur les transferts aux administrations publiques. Il y a diverses mesures de l’économie nette ou du revenu disponible pour le secteur des entreprises, tout comme pour celui des ménages.

Ainsi, les données montrent d’abord que l’excédent d’exploitation a globalement connu une croissance fulgurante au cours des deux ou trois dernières années, et plus particulièrement au cours de la dernière année et demie, d’un point de vue macroéconomique. Quand on examine les autres données liées aux dépôts de bilan et aux faillites possibles, ces chiffres ont continué de décroître même en période de COVID. Nous n’avons pas vraiment remarqué d’augmentation par rapport au type de poids... au risque en matière de solvabilité qui existe même dans le secteur des entreprises.

Certes, on constate actuellement du mouvement à différents égards, y compris une forte hausse des taux d’intérêt et un changement des conditions financières. Nous avons examiné les enquêtes de la Banque du Canada auprès des responsables et sur les perspectives des entreprises. Nous allons continuer de le faire tous les mois, à l’instar de la Banque. Dans ces enquêtes, nous ne cernons pas encore de resserrement des conditions financières.

Ce point de vue est donc légèrement différent de celui de M. Kelly. Évidemment, il est très proche des petites entreprises et comprend le type de pression qu’elles peuvent subir. Si nous connaissions un ralentissement, je ne serais pas surpris que le secteur des entreprises soit touché, bien sûr. Nous voyons déjà une stabilisation des dépenses à la consommation dans les comptes nationaux, ce qui frappera durement les petites entreprises, puisque les gens ne voudront pas recourir au crédit pour dépenser vu les taux d’intérêt plus élevés.

Je crois que M. Kelly a raison de dire que nous devons être prudents. L’horizon s’assombrit. Les banques centrales, dont la nôtre, planifient activement un ralentissement de l’économie, afin de réduire un peu la pression que la demande exerce sur l’économie. Les petites entreprises seront affectées, c’est certain. C’est là que ça fera mal, ce qui veut dire que toutes les personnes qui y travaillent seront touchées.

Nous avons augmenté les taux de 3,5 % cette année, ce qui est faramineux; c’est essentiellement un choc de politique monétaire et il y aura peut-être une autre hausse l’an prochain. Vous ne pouvez pas augmenter les taux d’intérêt de la sorte, puis affirmer qu’il n’y aura pas d’incidence. Il y en aura une. Nous avons changé les conditions financières de façon radicale; tout s’est fait très rapidement. Donc, ce que M. Kelly nous dit, je présume, c’est que, dans la foulée d’un ralentissement de la croissance et du changement des conditions financières, sa communauté de petites entreprises sera touchée. C’est le prix que nous devons payer.

C’est une réponse de type post-pandémie, mais le taux de chômage va augmenter. Il y aura une pression bien réelle exercée sur les petites entreprises. Certaines vont probablement fermer leurs portes. Dans notre réflexion sur la façon de gérer l’année 2023 si cette récession mondiale se concrétise et que nous connaissons une petite récession au Canada, nous devons réfléchir à nos pratiques de prêt par rapport à cette communauté. Au cours de la dernière année, elles se sont resserrées.

La présidente : Nous allons y revenir dans un instant.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Page. Vous méritez notre reconnaissance et nos remerciements pour avoir mis en place une équipe au poste de directeur parlementaire du budget en tant que premier directeur parlementaire du budget. Nous, les parlementaires, bénéficions maintenant de cela avec votre successeur.

J’aurais envie de poser deux questions sur-le-champ, madame la présidente. Avec du recul, comment évaluez-vous la gestion gouvernementale de la pandémie de la COVID-19 sur le plan budgétaire? A-t-on fait la bonne chose?

Puis, à la sortie de la pandémie, croyez-vous que la politique fiscale gouvernementale actuelle stimule l’inflation? Le cas échéant, jusqu’à quel point y réussit-elle?

[Traduction]

M. Page : Merci, sénateur. Il faudra probablement des années avant de pouvoir porter un regard vraiment confiant sur la façon dont le gouvernement a répondu d’un point de vue fiscal à la crise provoquée par la COVID.

J’ai le pressentiment que l’opinion sera favorable. Les gens regarderont ce qui a été fait et diront que, dans un contexte où il n’y avait pas encore de vaccin contre le virus, dans un contexte de conditionnement social, un contexte où la production a connu un recul extrêmement rapide au deuxième trimestre de 2020, le gouvernement a réagi très rapidement et a fait preuve d’une grande générosité budgétaire. Il y a eu d’importantes dépenses en fonds publics pour sauver les ménages et les entreprises, mais, dans un même temps, on a essentiellement arrêté l’économie, fermé les portes à double tour et demandé aux gens de rester à la maison et d’appliquer des mesures de distanciation sociale, puisque nous n’avions pas encore de vaccin.

Un calcul permet d’établir à quel point la baisse du PIB a été abrupte, en sorties et en entrées, puis selon la taille de l’aide financière. Avec le recul, dans la lignée de la question posée plus tôt par la présidente sur la politique monétaire, nous allons probablement en venir à la conclusion que nous avons surcompensé, qu’un bazooka n’était pas nécessaire. En ce qui a trait au recul de la production, nous avons fourni un excédent de ressources fiscales. Si vous examinez les bilans des ménages et des entreprises, ainsi que les transferts correspondants, vous constaterez que nous n’avons jamais rien vu d’une telle ampleur qui soit déployé si rapidement.

Au cours des récessions antérieures, disons en 2008, au début des années 2000, au début des années 1990 ou au début des années 1980, quand les gouvernements dépendaient essentiellement de stabilisateurs automatiques, comme l’assurance-emploi ou des redressements fiscaux, l’argent était habituellement versé dans l’économie, mais assez tard. Même les stimulants budgétaires adoptés en 2008 par le premier ministre Harper et Jim Flaherty, l’ancien ministre des Finances, sont arrivés un peu tard par rapport au recul de la production, tandis qu’ici, pour ce qui est du moment d’intervention, les gens regarderont cela et se demanderont comment nous avons pu y arriver. L’injection de fonds dans l’économie a été massive et extrêmement à propos. Elle a protégé les ménages et les entreprises. Le déficit est passé de 30 milliards de dollars en 2019-2020 à 330 milliards de dollars, soit de quelque 1,5 % du PIB à presque 15 %. C’est gigantesque.

Avec le recul, nous dirons probablement que, du point de vue de l’économie, cette croissance et ce renforcement du bilan des ménages et des entreprises ont accentué la pression causée par la demande. Une fois la vaccination entamée à l’automne 2020, l’économie s’est rétablie vraiment vite. Je crois que la grande majorité des gens étaient sous le choc. Il y avait une demande énorme et une offre restreinte en raison des contraintes dues à la COVID.

On pourrait probablement plaider que cette inflation était inévitable puisque, à ce moment-là, nous avons un peu trop stimulé la demande par rapport à une offre restreinte en fournissant aux entreprises et aux ménages une aide initiale colossale et à propos, sans compter le travail supplémentaire de soutien des liquidités effectué par le gouverneur de la Banque du Canada.

S’il était possible de remonter dans le temps et de parler aux gens qui participaient à ces discussions importantes, ici et dans l’édifice de la Banque du Canada, sur la rue Wellington, où le premier ministre et le gouverneur de la Banque du Canada étaient breffés sur le risque, ils nous diraient probablement : « Dans cet environnement, si nous arrêtons l’économie, il vaut probablement mieux en verser trop plutôt que pas assez dans le système. » Ils ont trop injecté de fonds dans le système et, donc, l’économie a été relancée, mais de façon un peu trop intense par rapport à l’offre restreinte.

Nous avons maintenant un taux d’inflation de 7 % et un taux d’inflation de base légèrement supérieur à 5 %, ce qui est plus élevé que la cible de 1 à 3 % du gouvernement.

Si nous remontons bel et bien dans le temps, il était question d’un déficit de 35 milliards de dollars en 2022-2023, soit environ 1,5 % du PIB. Sénateur, si vous et moi avions eu cette conversation à l’été 2020, nous aurions alors cru nous diriger vers un déficit de 350 milliards de dollars. Si je vous avais dit, sénateur, que certaines personnes pensaient pouvoir ramener le déficit aux environs de 30 à 40 milliards de dollars en deux ans, vous m’auriez répondu : « N’y pensez même pas. » Vous aurez dit que le retrait de l’aide financière de l’économie était trop rapide, qu’il faudrait probablement y aller plus graduellement et que nous devrions nous attendre à un déficit frôlant les 100 milliards de dollars en 2022-2023.

Il est tout de même ahurissant de constater à quel point le déficit s’est réduit. C’est parce que l’économie a repris sur les chapeaux de roues et que le gouvernement a efficacement retiré l’aide relative à la COVID, dans la majeure partie des cas.

Les économistes, comme vous et d’autres, corrigent les variations cycliques qui influent sur le solde budgétaire. Actuellement, même si l’on parle d’une économie vraiment dynamique, je demeure d’avis que nous opérons en deçà de notre potentiel. Dans une économie qui n’opère pas à son plein potentiel, il est tout de même normal, du point de vue de la politique budgétaire et du solde budgétaire corrigé des variations cycliques, que l’on inscrive de petits déficits. Le déficit actuel se situe entre 30 et 35 milliards de dollars, ce qui est fort petit dans le contexte de la COVID.

À mes yeux, l’approche budgétaire de 2022 n’est pas inflationniste. Elle vise à ramener le taux directeur du gouvernement aux environs de 4 à 4,5 % pour gérer une inflation qui se situe autour de 7 %, et elle est en très bonne voie d’y parvenir. La trajectoire à la baisse a pris un rythme fulgurant. Je le répète, nous sommes passés de 330 milliards de dollars en 2020-2021 à 90 milliards de dollars, et maintenant nous parlons d’environ 35 milliards de dollars.

La question est maintenant la suivante : quelle est la voie à suivre? Je crois que nous sommes sur une très bonne voie en ce moment. Est-ce que le gouvernement peut maintenir le cap? Ça, c’est une autre question. De quels types de limites avons-nous besoin pour veiller à ce que le gouvernement garde le cap? De quelle façon peut-on limiter les dépenses du gouvernement dans cet environnement?

Dans l’énoncé économique de l’automne, il y avait un nombre modeste de mesures. Je ne les ai pas vues comme inflationnistes. Nous devons injecter encore 30 milliards de dollars, disons, au cours des six années à venir dans une économie de 2,7 billions de dollars; la majorité de cette somme ira aux personnes vulnérables en raison du montant du crédit de TPS qui double et de l’aide apportée aux étudiants afin d’alléger leur endettement. Je ne considère pas que c’est inflationniste. En outre, il y a de petites mesures relatives aux crédits d’impôt à l’investissement qui incitent les entreprises à adopter des technologies propres. Il y a des sommes supplémentaires prévues pour favoriser la formation des travailleurs dans le cadre de la transition énergétique. Nous devons le faire de toute façon. Malgré l’inflation, nous devons repenser l’économie canadienne afin de réduire nos émissions. Merci pour cette excellente question.

La présidente : Merci pour votre excellente réponse.

La sénatrice Marshall : Merci de votre présence, monsieur Page. Je vais poursuivre dans la même veine que certaines de vos remarques; il y en a parmi nous qui font le suivi des dépenses du gouvernement. Nous surveillons les taxes supplémentaires. Nous avons la dette à l’œil. Tout est en hausse. Chaque fois que l’on soulève ce point à la ministre des Finances, sa réponse est toujours la même : elle affirme que le Canada a le déficit le plus faible du G7 et qu’il a aussi le ratio de la dette au PIB le plus bas du G7. Donc, nous sommes les meilleurs du lot, mais cela dépend beaucoup de l’état des finances des six autres pays.

Nous savons qu’un choc financier se prépare. Croyez-vous que nous devrions avoir énormément confiance en ces deux ratios, en ces deux indicateurs financiers? L’examen des dépenses du gouvernement ne nous permet pas de savoir à quel point le choc financier sera grand. Nous espérons qu’il s’agira de ce que nous appelons un atterrissage en douceur, mais nous ne savons pas si ce sera le cas. Je suis d’accord pour aider les personnes qui en ont besoin, mais, quand on regarde l’énoncé économique de l’automne, certains des programmes mis en œuvre par le gouvernement ou proposés dans l’énoncé sont étranges, je dirais, ou différents, comme le changement de politique en matière d’Allocation canadienne pour les travailleurs, qui coûtera des milliards de dollars.

Croyez-vous que nous devrions accorder une grande confiance à notre place par rapport aux autres pays du G7 ou qu’il serait plus avisé de garder nos munitions financières en prévision d’un grand choc financier?

M. Page : Merci, sénatrice. Nous devons examiner l’ensemble des indicateurs pour déterminer si la situation financière du Canada est solide et si notre pays possède la résilience nécessaire pour faire face à la prochaine crise financière, au prochain choc économique ou au prochain choc en matière de santé publique.

Les marchés des obligations tiennent compte de certains des indicateurs mentionnés par Mme Freeland. Dans le cadre de la planification, ils examinent les hypothèses et se posent les questions suivantes : sont-elles réalistes? Quel est le déficit prévu par rapport au PIB? Quelle est la dette prévue par rapport au PIB? Ils examinent également ces deux indicateurs. Ils posent des questions sur la viabilité budgétaire du pays à long terme. Tout comme les actuaires, les marchés et les agences de cotation des obligations savent que notre population est vieillissante. Ils examinent les analyses effectuées par le ministère des Finances, le directeur parlementaire du budget ou le FMI pour déterminer si le ratio dette-PIB du Canada est relativement stable à long terme, c’est-à-dire sur plusieurs décennies, compte tenu du vieillissement de la population.

Pour faire court, au niveau fédéral, ce ratio est stable, mais comme le mentionnera certainement la présidente, nous avons d’autres problèmes. Nous sommes soumis à des pressions importantes liées aux dépenses dans les soins de santé, la défense et l’adaptation climatique, qui ne sont pas encore intégrées au cadre de planification.

Ils examineront assurément le coût de l’endettement. Ils étudieront les mesures des frais d’intérêts sur la dette publique par rapport aux recettes budgétaires. Ils compareront également les indicateurs du Canada à ceux des autres pays de l’OCDE. Nos chiffres se situent actuellement à des niveaux historiquement bas, bien que nous ayons ajouté une dette importante depuis la crise financière de 2008, en partie parce que le taux d’intérêt effectif sur cette dette n’a cessé de baisser. Il a atteint son point le plus bas et va commencer à remonter, mais le coût de l’endettement, du moins à moyen terme, reste exceptionnellement bas.

Nous affectons probablement environ 10 ¢ de chaque dollar de revenu aux intérêts sur la dette publique, alors que lorsque je travaillais au ministère des Finances à titre de chef adjoint de l’analyse et de la prévision des dépenses, nous consacrions environ 36 ou 38 ¢ de chaque dollar de revenu aux frais d’intérêts sur la dette publique.

Je me souviens que lorsque mes supérieurs devaient informer le député ou le ministre de l’époque, ce n’était pas agréable, car ils n’avaient aucune marge de manœuvre sur le plan fiscal. Le maintien d’un faible coût d’endettement est un indicateur important.

La diminution du ratio dette-PIB, même à moyen terme, est un signal fort, mais pouvons-nous nous engager à le faire? Pour l’essentiel, si vous examinez le mandat de ce gouvernement, le ratio dette-PIB dont il a hérité en 2015-2016 et la situation dans laquelle nous nous trouvions avant la COVID en 2019-1920, le gouvernement réduisait en fait ce ratio. Ce dernier a augmenté de 16 ou 17 points de pourcentage à cause de la COVID. Il diminue maintenant de façon assez spectaculaire sur le moyen terme parce que l’économie croît et que nous réduisons les aides liées à la COVID.

Il est donc judicieux de maintenir la pression sur le gouvernement et d’examiner une gamme complète d’indicateurs.

La sénatrice Marshall : Je sais que tout le monde espère un atterrissage en douceur, mais que se passera-t-il si nous subissons un autre choc financier comme celui que vient de causer la COVID? Il me semble que le gouvernement est... s’il n’avait pas investi dans certains programmes, il serait notamment mieux positionné pour l’avenir. C’est ce qui me préoccupe. Quel sera l’impact du choc financier? Les gens pensent qu’il ne sera pas très important. Ils pourraient se tromper. Peut-être que nous aurons une grosse surprise et qu’elle ne sera pas bonne. Souhaitez-vous faire un commentaire à ce sujet? Voilà ce qui m’inquiète.

M. Page : Je pense que votre excellente question comporte presque deux parties, sénatrice. La première est la suivante : comment devrions-nous envisager les perspectives à court terme, c’est-à-dire les deux prochaines années? Quels sont les différents scénarios que nous devrions examiner? Comment, dans cet environnement, pouvons-nous maintenir l’optionalité, la résilience et l’agilité dans nos bilans fiscaux au cours de l’année à venir?

Je pense que la confiance dans les perspectives de planification à court terme est faible. On parle depuis des mois de la récession qui s’annonce et, à bien des égards, cette récession est auto-infligée; les banques centrales en sont responsables non seulement au Canada, mais partout dans le monde. Elles parlent toutes de relever les taux d’intérêt, en partie à cause du déséquilibre entre les taux directeurs, les taux d’intérêt et l’inflation, mais aussi simplement pour réduire la pression de la demande sur l’économie. Cette récession est donc auto-infligée.

Se peut-il que nous nous trompions? Tout à fait. J’ai grandi à Thunder Bay, alors je dois utiliser des analogies tirées du hockey. Lorsque Walter Gretzky entraînait Wayne, il lui disait : « Wayne, tu dois aller à l’endroit où se dirige la rondelle. » Si vous jouez au hockey avec quelqu’un qui patine très vite, vous devez vous assurer d’envoyer la rondelle devant cette personne pour qu’elle atterrisse bien à plat sur son bâton.

Dans l’environnement actuel, il est assez difficile pour une banque centrale de prévoir comment l’économie se portera dans six mois ou un an, sachant que vous avez augmenté les taux d’intérêt de façon spectaculaire et en raison de la nature même de ces taux d’intérêt, de la façon dont ils influent sur la cote de crédit des personnes, le marché hypothécaire et immobilier et le crédit aux entreprises. Il faut du temps pour que cette hausse se reflète dans le système, même s’il y a eu une augmentation spectaculaire des taux d’intérêt. Il est difficile de savoir ce qui va se passer. On pourrait facilement se tromper. Toutes les banques centrales ont fait la même chose, et il y a de bonnes chances que nous nous trompions.

Il existe un risque réel et une probabilité significative que la récession soit plus longue et plus grave que ce que prévoit le scénario défavorable présenté par la ministre Freeland dans son énoncé économique de l’automne.

La deuxième partie de votre question est la suivante : quelle est notre situation financière et quels programmes devons-nous mettre en place afin d’être prêts à faire face à ce choc? Devrions-nous dépenser encore moins que nous l’avons fait pendant cette période? Devrions-nous commencer à réfléchir aux leçons que nous avons tirées de 2020 pour mettre rapidement de l’argent entre les mains des gens? Devons-nous apporter des ajustements à certains de nos programmes de stabilisation, comme l’assurance-emploi, les prestations aux travailleurs et d’autres programmes pour préparer les gens à ce genre de choc? Je suppose que les organismes centraux réfléchissent probablement à ce genre de choses en ce moment, mais nous ne savons pas ce qu’ils en disent. Il s’agit selon moi d’une critique justifiée. Je pense que nous devons féliciter la ministre Freeland d’avoir parlé de ce scénario défavorable. Nous avons obtenu les perspectives en matière de planification, mais la réponse politique fournie correspondait essentiellement au scénario de base, c’est-à-dire un ralentissement général. Elle voulait nous dire qu’il fallait préparer l’économie, mais nous n’avons pas obtenu de réponse politique permettant de préparer l’économie en vue du scénario défavorable.

Le sénateur Marwah : Merci d’être présent, monsieur Page. On a beaucoup parlé de l’aspect monétaire et des taux d’intérêt qui ont augmenté trop vite ou trop lentement, ou du fait qu’ils auraient dû augmenter plus tôt. Je comprends ce point en ce qui concerne les dépenses. Et sur le plan financier, il y a beaucoup de discussions sur l’ampleur des mesures de relance. Ces dernières étaient trop importantes, trop faibles ou auraient dû être supprimées. Mais on discute très peu de l’aspect fiscal. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Le gouvernement devrait-il réfléchir et prendre d’autres mesures que les rares mesures préventives qu’il a mises en œuvre, à savoir une taxe sur les rachats d’actions et une taxe sur les banques? Devrions-nous envisager d’autres mesures stratégiques pour atténuer ce problème compte tenu de l’environnement dans lequel nous nous trouvons?

M. Page : Merci, sénateur. Vous avez raison. Depuis le début de la COVID, pour ce qui est des discussions sur la politique fiscale, on discute, à l’échelle internationale d’un impôt minimum mondial, qui s’appliquerait à plus long terme à l’économie post-COVID. Avant la COVID, le gouvernement avait placé la croissance de la classe moyenne au centre de son programme, de sorte qu’au cours de la période de 2016, les taux et les fourchettes d’imposition figurant dans le code fiscal ont été modifiés.

Je pense, honnêtement... avant d’entrer dans la salle, je consultais les nouvelles et il y a des conférences sur les villes qui se tiendront la semaine prochaine et qui semblent très intéressantes, et j’ai lu certaines de ces histoires. Des villes comme Toronto et d’autres à travers le pays, qui sortent de la COVID et font face au programme de lutte contre le changement climatique. Elles n’ont pas les ressources financières nécessaires pour y faire face. L’impôt foncier ne va pas les aider. Nous estimons donc que nous devons modifier le système fiscal de façon à refléter le fait que notre économie est urbaine et que nous devons consacrer des ressources importantes aux infrastructures pour reconnecter nos réseaux énergétiques, mais notre système fiscal ne nous permet pas de le faire.

Je pense qu’il y a un autre enjeu qui relève en partie de l’idéologie, mais qui est également lié à la facilitation de la transition énergétique. Essentiellement, nous n’avons pas les recettes fiscales nécessaires pour augmenter les dépenses de santé. Lorsque nous entendons les premiers ministres parler, dans ce pays, du fait que la part fédérale est de l’ordre de 20 % du total des dépenses publiques, je pense que beaucoup de Canadiens diraient que cela n’a pas vraiment de sens. Nous disposons d’une Loi canadienne sur la santé, mais le gouvernement fédéral ne participe qu’à hauteur de 20 %. Un rééquilibrage s’impose et il s’agit d’un enjeu fiscal majeur.

Nous vivons dans un monde dans lequel, lorsque nous regardons les nouvelles, nous entendons beaucoup parler de la guerre entre la Russie et l’Ukraine et nous recevons des signaux inquiétants de la Chine, de Taïwan et de la Corée du Nord.

Nos moyens militaires sont-ils suffisants? Nous nous constatons que les États-Unis parlent d’augmenter leurs dépenses militaires d’un point de pourcentage du PIB. Cette somme est de loin supérieure aux dépenses du Canada compte tenu de la taille de notre économie et nous sommes loin de respecter nos engagements envers l’OTAN.

Pour ce qui est de combler ces deux lacunes — et nous pouvons continuer — je pense que pour faciliter la transition vers un nouveau système énergétique, le secteur public devra jouer un rôle clé pendant un certain temps, ce qui nécessitera davantage de ressources.

Nous ne faisons pas partie des pays qui consacrent le plus de fonds à l’aide publique au développement dans le monde. Nous sommes loin de ce que font les Scandinaves. Cela constitue une autre pression en matière de dépenses.

Compte tenu de ces pressions structurelles fondamentales en matière de dépenses, nous devrons générer plus que revenus, soit environ 16 points de pourcentage du PIB. Ces revenus devront probablement provenir du gouvernement fédéral et il faudra procéder à un certain remaniement du système.

Je pense que la COVID a mis fin à une grande partie de cette conversation sur la politique fiscale. Nous nous concentrons beaucoup sur la gestion de cette crise de santé publique et de son impact économique, mais ces pressions importantes font partie du programme économique post-COVID.

Le sénateur Marwah : C’est exactement ce qui me préoccupe : il n’y a aucune discussion sur la question des revenus. Nous allons devoir nous y atteler parce que les demandes sont très nombreuses, mais il n’y a pas de discussion sur la façon d’augmenter les revenus ou sur ce que nous pouvons faire en matière de politique ou de réforme fiscale. Devons-nous modifier la TPS ou [Difficultés techniques] Devrions-nous entreprendre une sorte de réforme fiscale globale qui permette de déterminer comment mieux percevoir nos revenus et comment les augmenter au fil du temps?

M. Page : Oui, c’est ce qu’il faut faire. Je pense honnêtement, d’après ma propre expérience, que ce genre d’étude ne peut émaner que du Sénat. Je peux comprendre que les politiciens ne veuillent pas parler d’augmenter les impôts dans le contexte actuel, alors que nous faisons face à une crise de santé publique; ce n’est pas le genre de mesure qui leur permettra de se faire réélire. Mais un organe comme le Sénat, qui, en s’appuyant sur son expérience, examine la structure sur le long terme, pourrait placer la conversation au premier plan. Je pense que cela pourrait se faire ici, et je pense qu’il y a la dimension du besoin de revenus. Il y a ensuite la dimension, à laquelle je pense que vous avez fait allusion, sénateur, de la manière dont nous structurons le système fiscal aux niveaux fédéral, provincial et municipal, pour qu’il présente tous les avantages de la neutralité tout en favorisant les types de mouvements dont nous avons besoin pour nous adapter à une économie à faible émission de carbone.

La présidente : Je pense que vous avez soulevé des points très intéressants. Les dépenses étaient nécessaires au début de la COVID et sont arrivées à point nommé, mais elles étaient excessives et n’étaient pas très bien ciblées. Les petites entreprises qui sont aujourd’hui en difficulté ont été fermées, de sorte que personne n’a pu y dépenser son argent, et maintenant, cet argent circule et fait grimper l’inflation.

Le gouvernement continue de dépenser beaucoup d’argent, mais de façon décousue. Ce sont 40 millions de dollars par-ci, 50 millions de dollars par-là, et ces dépenses sont consacrées à des programmes sociaux ou à des projets, mais, encore une fois, il n’y a pas de cible précise, comme vous dites. Nous n’avons pas les revenus nécessaires pour payer nos factures, qu’il s’agisse de l’armée, du système de soins de santé ou de toutes les choses que vous avez mentionnées.

Que proposez-vous? De toute évidence, un budget sera présenté, mais vous ne cessez de dire qu’il n’y a ni stratégie ni plan. Que devrions-nous faire assez rapidement pour apporter une certaine tranquillité d’esprit relativement à certaines des questions que le sénateur Marwah vient de soulever?

M. Page : Merci, madame la présidente. Je pense qu’il nous faut établir une stratégie et un plan pour notre économie post-COVID. On parle probablement depuis l’automne 2020 de l’économie post-COVID dans toutes sortes d’études du FMI — le Fonds monétaire international — de l’OCDE, de la Banque mondiale et de groupes de réflexion sur les divers éléments clés qui doivent être inclus dans cette économie. Il semble qu’en raison de la crise de la COVID et de la guerre russe en Ukraine, le gouvernement hésite à présenter ces plans. Lors des élections de 2021, nous n’avons pas vraiment eu de grand débat sur les politiques. Les plateformes n’ont pas vraiment abordé ces questions importantes.

Certains partis auraient peut-être aimé parler de certains de ces éléments potentiels importants qui pourraient être nécessaires, mais ils n’étaient ni le parti au pouvoir ni l’opposition officielle et ils n’avaient donc pas l’autorité nécessaire.

J’ai été fonctionnaire dans les années 1980, 1990 et 2000, et on a demandé au Sénat et à des commissions royales d’étudier ces changements structuraux fondamentaux. On a fait venir des experts de partout pour en discuter. Je pense à toutes les grandes questions suivantes : que faut-il faire pour que le Canada améliore sa compétitivité à moyen et long terme dans un monde en pleine décarbonation? Que faut-il faire pour que le Canada atteigne ses cibles en 2030 et en 2050? Disposons-nous du filet de sécurité nécessaire pour affronter les grandes crises qui semblent se manifester maintenant plus souvent?

Quel cadre avons-nous pour accroître la résilience face aux changements climatiques, aux crises de santé publique, aux crises de sécurité publique? Dépensons-nous de la bonne façon? Où sont les cadres que nous avons en place? Comment le secteur public travaille-t-il avec le secteur privé? Nous devons avoir une grande stratégie pour accompagner les changements de politiques et...

La présidente : Oui, nous avons besoin de cela — et je ne saurais être plus d’accord —, mais nous faisons face aussi à d’autres problèmes à court terme. Vous avez parlé de la crise de la politique monétaire, et une hausse de 3,5 points en si peu de temps ne peut se faire sans provoquer un déséquilibre et des répercussions considérables, et on commence à s’en rendre compte. Donc, pouvons-nous agir sur deux fronts à la fois?

M. Page : Au sujet de la politique économique, je ne pense pas que nous ayons vraiment le choix de faire ce qui est nécessaire pour parvenir à la stabilité macroéconomique. Je pense qu’il fallait mettre un frein à la poussée inflationniste que nous avons connue en début d’année, lorsque le taux dépassait les 8 %. Je pense que le prix à payer pour cela sera un ralentissement, sans doute inévitable, en 2023.

Toutefois, cela ne veut pas dire que nous devons nous arrêter là. Le fait que vous vous réunissiez pour discuter d’économie et d’inflation — et la plupart des enjeux sont à long terme —, c’est exactement ce qu’il faut faire. Il faut que la réflexion se fasse maintenant pour créer l’environnement nécessaire à ces changements fondamentaux.

Je suis convaincu que nous pouvons utiliser la politique publique pour remédier à l’instabilité macroéconomique, mais nous avons assurément besoin d’une réflexion stratégique, de débats, afin de parvenir à un consensus au sujet des plans à mettre en place pour renforcer l’économie, la durabilité, l’inclusion et la résilience, afin de commencer à mettre en œuvre les programmes. Je crois aussi que nous devrons créer les conditions pour dire qu’il faut, dans ce contexte et pendant un certain temps, payer plus d’impôts et relever la TPS d’un ou deux points si on veut inscrire le tout dans la durée.

Pour ce faire, je pense que nous avons vraiment besoin du Sénat, et c’est pourquoi j’étais heureux de venir témoigner.

La présidente : J’ai très hâte de voir la campagne électorale pendant laquelle tout le monde parlera de hausser la TPS de deux points. Ce sera assurément très intéressant.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie, monsieur Page. Nous avons une discussion captivante.

Je veux parler de la réglementation, si je peux me permettre, car nous avons divers problèmes à régler. La culture de la réglementation de type commande et contrôle est un de nos gros problèmes au pays. Nous sommes en tête des pays de l’OCDE à cet égard, et cela freine vraiment les possibilités d’innovations, car quand on établit des procédures qu’il faut suivre, il n’y a pas de place pour l’innovation. Nos efforts de modernisation de la réglementation progressent très lentement. Dans quelle mesure la numérisation peut-elle jouer un rôle? Nous nous classons au dernier rang parmi les pays de l’OCDE pour ce qui est de la transition vers le cybergouvernement et le gouvernement numérique. Nous avons donc la possibilité de passer du dernier au premier rang dans quelques domaines.

J’aimerais savoir ce que vous pensez du fait de ne pas toujours faire les choses de la même façon, de changer la réglementation, d’accroître la numérisation pour rendre le gouvernement et les entreprises plus efficaces et remédier aux problèmes de ressources humaines que nous connaissons. Nous avons trop de processus analogiques. Vous êtes-vous penché sur ce type de questions?

M. Page : Je ne me suis pas assez penché sur ces questions, mais je dirais que dans les échanges que nous avons eus aujourd’hui, nous avons parlé de recettes, de dépenses et de politique monétaire. Nous parlons maintenant de réglementation, et je pense que la réglementation est un instrument de politique fondamental. Quand on pense à l’économie de l’après-COVID et au rôle que le secteur public doit jouer pour faciliter la transition, le principal rôle du secteur public consiste à définir les marchés. Dans ce nouveau monde numérique et faible en carbone, nous devons donc revoir en profondeur la façon dont nous voulons structurer ces marchés pour qu’ils fonctionnent bien pour la population.

Je pense que si le Sénat pilote ce dossier et que nous examinons la question des recettes, des dépenses, de la politique monétaire et des mandats, ce que je peux dire pour l’instant, c’est que, oui, nous devons examiner la réglementation, toute la réglementation, et la considérer comme un instrument de politique fondamental pour structurer les marchés dans le monde de l’après-COVID où nous devons réduire notre empreinte carbone.

Le sénateur Loffreda : Monsieur Page, je vous remercie encore une fois d’être avec nous. Vous avez dit que le marché du travail se portait bien. J’aimerais vous citer un extrait du bulletin de l’Institut Fraser d’août 2022 et savoir ce que vous en pensez :

Selon un rajustement en fonction de la croissance de la population, le pourcentage des adultes de plus de 15 ans à l’emploi dans le secteur privé a diminué pour passer de 49,3 % à 48,2 % pendant la période.

De toute évidence, le secteur public joue un rôle disproportionné dans la reprise du marché du travail au Canada. Le nombre d’emplois total dans le secteur privé se situe aujourd’hui seulement un peu au-dessus de son niveau prépandémie, et après le rajustement en fonction de la croissance de la population, on constate que l’emploi dans le secteur privé est en deçà de ce qu’il était en février 2020.

L’information est très récente, elle date d’août, et nous avons tous vu des rapports, sans entrer dans les détails. La sénatrice Bellemare a aussi parlé des budgets. Nous examinions le Budget supplémentaire des dépenses (B) hier, soit 20 milliards de dollars. Les dépenses et les coûts du gouvernement sont en hausse, y compris du côté de la main-d’œuvre.

Qu’en pensez-vous et quelles sont vos recommandations à ce sujet?

M. Page : Au sujet du marché du travail, on peut dire d’un point de vue macroéconomique que les chiffres qui font les manchettes, en particulier ceux sur le taux de chômage et même sur le nombre de chômeurs — et je n’aime pas utiliser les mots « se porte bien » —, étant donné ce que nous avons vécu pendant la COVID, le fait d’avoir un taux de chômage autour de 5 % au Canada et le fait que le nombre de chômeurs soit moindre qu’avant la COVID en janvier et février 2020, c’est une bonne chose.

Je suis d’accord avec vous sur la prémisse de votre question. Il existe un risque — et la sénatrice Marshall en a parlé un peu — que nous exagérions le resserrement du marché du travail. C’est une expression que les économistes et les banquiers centraux utilisent quand ils parlent du fait qu’il faut encore hausser les taux d’intérêt, car le marché est trop serré.

Je suis sans doute plus d’accord avec l’Institut Fraser lorsqu’il est mentionné dans son étude que nous sommes encore ébranlés par l’expérience de la COVID. Nos taux de participation ne sont pas encore ce qu’ils étaient. Les taux de participation au marché du travail n’ont pas atteint les niveaux d’avant la COVID. L’emploi ne s’est pas pleinement rétabli. Le marché du travail n’est pas plus serré qu’il l’était avant la COVID. Quand on dit qu’il faut continuer à hausser les taux d’intérêt parce que le marché du travail est serré... Il n’est pas si serré que cela. Je ne le trouve pas si serré que cela. Les salaires sont à la hausse, mais les gens essaient de maintenir leurs salaires réels et ne pas trop perdre en raison de la forte inflation.

Il en va de même lorsque les gens parlent de l’économie en termes de croissance de la production. Encore une fois, quand je regarde les chiffres, j’ai impression que nous sommes bien en deçà des tendances. La croissance n’a été que de 2,7 points de pourcentage en deux ans et demi, cumulativement, depuis l’automne 2020. Quand on regarde le taux de croissance sur 12 mois, les prix de base et les données sur la production, la croissance a été de 2,7 % sur 12 mois à l’automne 2013, ce qui veut dire qu’en une année, la croissance a été la même qu’en deux ans et demi. Nous n’avons pas encore regagné tout le terrain perdu du point de vue des tendances, alors je pense que nous devons être prudents et ne pas exagérer les hausses du taux directeur en présumant que les pressions sur la demande sont énormes. Les contraintes pesant sur l’offre sont importantes dans l’économie mondiale, et dans une certaine mesure dans l’économie canadienne, mais l’augmentation des taux d’intérêt ne nous aidera pas du côté de l’offre. Cela ne peut pas modifier fondamentalement l’offre. On n’influera que sur la demande dans l’économie. Je crains vraiment qu’à court terme on aille trop loin.

Mon premier emploi à la fonction publique était un poste d’analyste de l’inflation au ministère des Finances en 1981. L’inflation était à 13 %. Nous étions très occupés. Les gens ont peur de revenir à la fin des années 1970 ou au début des années 1980 et de s’enliser dans ces hauts taux d’inflation et de chômage. J’ai l’impression que si nous ralentissons l’économie, personne ne parlera d’inflation dans un an. Vous n’aurez pas cela au programme. C’est notamment parce que les fortes hausses dans le bilan des ménages et des entreprises vont se résorber rapidement en raison de l’inflation. Un ralentissement dans l’économie en particulier lorsque les prix de l’énergie sont à la baisse — on voit déjà que les prix sont en baisse sur les marchés mondiaux des matières premières —, je ne pense pas que ce sera un grave problème à l’automne 2023. Je pense que ces chiffres vont commencer à baisser.

La présidente : Le sénateur Gignac posera une dernière question avant la fin de la séance.

[Français]

Le sénateur Gignac : Ma question s’adresse à l’ancien directeur parlementaire du budget.

Cette année, la ministre des Finances a annoncé des sommes de près de 20 milliards de dollars pour de nouvelles mesures, mais en dehors du budget et avant la mise à jour économique. On appelle cela des mesures budgétaires hors cycle.

Vous avez travaillé avec le défunt ministre Flaherty et d’autres gouvernements. Une somme de 20 milliards dollars est tout de même considérable; il s’agit là de 40 % des nouvelles mesures qui ont été annoncées en dehors d’un budget et d’une mise à jour économique.

Avez-vous déjà observé cette façon de faire par le passé ou s’agit-il d’une nouvelle tendance?

Comment pouvons-nous, comme parlementaires, réagir face à cela?

[Traduction]

M. Page : Je vous remercie, sénateur. Comme j’ai travaillé au sein des organismes centraux et que j’ai travaillé à la préparation des budgets pendant un certain temps, j’ai vu différentes façons d’utiliser les budgets et les mises à jour pour procéder aux annonces de politiques et de dépenses.

Il y a différentes écoles de pensée. Une veut que l’on utilise le budget pour procéder à la plupart des annonces de dépenses et qu’on limite les annonces hors cycle. Une autre veut, au contraire, qu’il soit bien de procéder à des annonces hors cycle et d’utiliser les mises à jour de mi-année comme des mini-budgets. Ce n’est pas une obligation de faire du budget l’événement suprême du cycle financier. On peut avoir des annonces hors cycle.

Dans un environnement où il y a tant d’incertitude et où les gouvernements sont perçus comme jouant un rôle de stabilisation, il existe une certaine logique à utiliser les mises à jour pour attendre des mesures. À mon avis, les mesures annoncées dans la dernière mise à jour économique de l’automne, tant du point de vue du bilan global que des perspectives économiques globales, n’étaient pas si importantes. On peut les étaler sur six ans. Les nouvelles mesures dépassaient à peine les 30 milliards de dollars, ou près de 8,5 milliards ou 10 milliards de dollars selon la façon de voir les chiffres. Il ne s’agissait pas vraiment d’annonces. On nous a dit de demeurer à l’écoute parce qu’il y aurait d’autres annonces hors cycle. Près d’un tiers des 30 milliards de dollars concernait le volet « restez à l’écoute », dont nous avons vu une ou deux mesures dernièrement. L’autre volet, environ un tiers, visait à aider les gens vulnérables. Il y avait des mesures importantes concernant le crédit pour la TPS, un peu d’aide pour les ménages, le secteur du logement et les étudiants, puis quelques mesures pour l’économie de l’après-COVID.

Quand on parle d’un gouvernement qui dépense plus de 400 milliards de dollars par année, et quand on parle d’un cadre de planification pour une économie de 2,7 billions de dollars, qui atteindra plus de 3 billions de dollars au cours des cinq prochaines années, c’est une erreur d’arrondi. On pourrait presque critiquer cela et dire que l’échelle n’est pas la bonne. À un certain moment, le Sénat devra analyser l’échelle nécessaire pour créer de la compétitivité dans l’économie canadienne de demain. Quel est le rôle du secteur privé et quel est celui du secteur public? Quelle est l’échelle pour avoir un programme de revenu de base. Quelle est l’échelle des dépenses nécessaires pour que nos cadres privés et publics favorisent la résilience afin de composer avec la crise des changements climatiques, la crise de santé publique, etc. Il semble y avoir beaucoup de petites mesures, comme l’a mentionné la présidente. Encore une fois, dans le cadre de votre étude structurale à long terme sur l’économie de l’après-COVID, un des enjeux est l’échelle, et l’un des instruments de politique est la réglementation.

La présidente : Je vous remercie beaucoup de vos réponses. Vous nous donnez beaucoup de travail à faire, vous savez, mais vous nous avez donné aussi une solide feuille de route. Je vous remercie beaucoup de nous avoir accordé de votre temps aujourd’hui, monsieur Page. Je rappelle que vous êtes président et premier dirigeant de l’Institut des finances publiques et de la démocratie, et que vous avez été, bien sûr, le premier directeur parlementaire du budget du Canada. Vous avez vraiment donné corps à ce rôle. Nous vous remercions beaucoup de vos observations aujourd’hui.

Je vais demander à chacun de demeurer sur place une minute avant la tenue de notre comité de direction, mais je vais d’abord mettre fin officiellement à la présente séance.

(La séance est levée.)

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