LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 8 février 2023
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-228, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir à tous. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin, et je suis la présidente de ce comité. J’aimerais vous présenter certains des sénateurs qui seront parmi nous aujourd’hui: le sénateur Deacon, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Wells, le sénateur Arnot — qui est en visite — et le sénateur Smith. Je crois que les autres se joindront probablement à nous au fil de la réunion.
Nous entamons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-228, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.
Nous sommes heureux d’entamer cette étude avec Marilyn Gladu, députée de Sarnia—Lambton et marraine de ce projet de loi à l’autre endroit. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’être parmi nous ce soir.
Nous allons commencer par vos remarques liminaires, madame Gladu.
[Français]
Marilyn Gladu, députée, Sarnia—Lambton, marraine du projet de loi, à titre personnel : Merci, madame la présidente.
Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui pour discuter de mon projet de loi, qui traite de la protection des régimes de retraite.
[Traduction]
Au cours des 20 dernières années, le Sénat et diverses parties à la Chambre des communes se sont mobilisés pour déposer un projet de loi sur la protection des pensions. De nombreuses entreprises — Eaton, Sears, Nortel, Grant Forest Products, Indalex — ont fait faillite, et des gens y ayant travaillé toute leur vie se sont retrouvés avec une fraction de ce qu’ils auraient dû avoir sur leur pension. J’ai examiné tous les projets de loi de protection de pensions et j’ai choisi les parties qui faisaient l’unanimité, car dans chacun d’eux, il y avait quelque chose sur lequel les gens n’arrivaient pas à s’entendre. Voilà comment nous en sommes arrivés au projet de loi C-228, qui accomplit essentiellement trois choses. En vertu de ce projet de loi, un rapport sur la solvabilité des fonds gérés par le gouvernement fédéral devra être déposé annuellement à la Chambre des communes afin d’assurer une plus grande transparence. Ainsi, nous saurons où sont les problèmes. Il existe aussi un mécanisme permettant de transférer de l’argent dans le fonds sans incidence fiscale pour redresser un fonds insolvable. En cas de faillite, les pensions seraient versées en priorité avant l’argent des créanciers garantis, des créanciers privilégiés et des créanciers non privilégiés.
Je crois que vous avez tous reçu un tableau qui présente un résumé de la très longue loi de la protection de la faillite et qui vous montre exactement où se situent les protections des pensions.
Les députés ont appuyé ce projet de loi à l’unanimité à la Chambre des communes. De nombreuses parties du projet de loi avaient déjà été étudiées au Parlement. Par exemple, un de mes collègues du Bloc avait déposé un projet de loi qui comprenait l’idée de prioriser les pensions, et le Comité permanent de l’industrie et de la technologie de la Chambre des communes l’a étudié et a reçu beaucoup de témoins à cet égard.
Les parlementaires, les organisations d’aînés, CARP, les retraités et le Conseil du travail du Canada appuient largement le projet de loi, mais ce dernier ne fait pas l’unanimité. Vous entendrez aussi probablement des témoignages de la communauté bancaire, qui croit que le projet de loi pourrait faire en sorte que ceux qui ont des fonds insolvables ne puissent pas obtenir de crédit ou doivent payer plus d’intérêts pour ce crédit.
Je vous répondrai que la partie portant sur la priorisation n’entrera en vigueur que quatre ans après la sanction royale. Cela donne amplement de temps aux entreprises pour mettre de l’ordre dans leurs finances, et je dirais que si elles n’y arrivent pas, eh bien, du point de vue du libre-marché, c’est la raison pour laquelle certains paient des taux d’intérêt plus élevés ou n’obtiennent pas autant de crédit.
Vous entendrez peut-être aussi que ce projet de loi fera disparaître les régimes à prestations déterminées, mais je vous répondrai qu’ils diminuent déjà d’environ un pour cent par année — et cela remonte à avant le dépôt de ce projet de loi et la tendance se poursuivrait probablement après. Les régimes à prestations déterminées sont plus coûteux, et les employeurs choisissent donc d’autres types de régimes. En réalité, seulement 30 % des Canadiens ont un régime de retraite, ce qui est préoccupant, mais nous voulons nous assurer que ceux qui en ont un soient protégés.
Nous voulons que les aînés qui ont travaillé toute leur vie puissent percevoir ce qui leur est dû en vertu de leur contrat. Lorsqu’ils commencent à travailler, ils ont des avantages sociaux, un salaire et une pension. Le projet de loi permettra donc d’atteindre cet objectif, et j’espère bien pouvoir répondre intelligemment à toutes les questions que vous pourriez avoir. J’espère vraiment que nous pourrons faire adopter ce projet de loi. Après 20 ans d’efforts, ce serait vraiment bien. Il ne répond pas aux attentes de tout le monde, mais c’est un bon début et je pense qu’il contribuerait grandement à protéger ceux qui ont travaillé toute leur vie pour obtenir leur pension. Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Je vous remercie de vos commentaires concis et directs. C’était très intelligent de votre part de sélectionner les éléments clés. Qu’est-ce qui diffère de ce projet de loi des autres qui lui ont précédé? Retrouve-t-on quelque chose dans ce projet de loi qui ne se retrouvait pas dans les autres ou vice versa qui changera la donne, selon vous?
Mme Gladu : Je vous remercie de la question. Erin O’Toole avait initialement déposé un projet de loi à la Chambre qui prévoyait le dépôt de ce rapport financier. Ce rapport existe déjà et est envoyé au surintendant des institutions financières, mais nul ne sait ce qu’il en fait — s’il en fait même quelque chose —, et il y a d’ailleurs eu des cas où des fonds gérés par le gouvernement fédéral sont restés insolvables pendant un certain temps. Cela dit, le projet de loi aurait permis de changer le type de pension à la dernière minute, ce qui n’a plu à personne, et c’est donc la partie que nous avons laissée de côté. Marilène Gill a également déposé un projet de loi qui comprenait la partie sur la priorisation, que nous avons entièrement incluse dans ce nouveau projet de loi. Son projet de loi avait été étudié en comité et tous les partis s’étaient entendus sur cette partie. Cela dit, ils voulaient une date d’entrée en vigueur différente afin que les entreprises aient le temps de réagir. Le NPD a également déposé un projet de loi qui traitait de la possibilité d’alimenter un fonds. Voilà d’où viennent toutes ces idées.
La présidente : Je vous remercie d’avoir préparé le terrain. Nous allons passer à la première question.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie d’avoir défendu cet enjeu, madame Gladu. De toute évidence, il serait difficile de trouver quelqu’un en désaccord avec l’intention du projet de loi. Cela dit, comme vous l’avez dit, je crois que nous entendrons ceux qui n’approuvent pas l’approche.
Vous avez parlé de ce que vous avez fait, de votre examen des projets de loi antérieurs et de votre recherche d’une structure pour ce projet de loi qui refléterait le mieux les raisons pour lesquelles les autres n’ont pas été adoptés au Parlement. J’aimerais vous entendre à ce sujet, si possible. Avez-vous examiné ce qui se fait à l’étranger? Je n’ai pas su trouver un autre pays ayant adopté ce type d’approche. Quelles recherches avez-vous menées à cet égard? Avez-vous étudié des pays en Europe et ailleurs qui avaient peut-être la même intention, mais une approche fort différente? Merci.
Mme Gladu : Il s’agit d’une excellente question, monsieur le sénateur.
Les États-Unis disposent d’un programme doté d’un rempart pour les pensions. Si une entreprise fait faillite, elle versera jusqu’à 15 000 $ en pension. Il existe des programmes similaires dans certains pays européens. Certains d’entre eux ont opté pour des programmes qui s’apparentent davantage à celui de l’Ontario. En Ontario, si une entreprise fait faillite, les travailleurs reçoivent 1 500 $ par mois, ce qui allège le fardeau d’une personne laissée à elle-même. Ce sont les principaux exemples.
Le sénateur C. Deacon : Je pense que l’on va nous demander d’envisager des amendements. Je m’attends à ce que ce soit le cas, et ce n’est pas quelque chose que nous prendrons à la légère. Nous savons également à quel point il est important d’agir dans ce dossier.
Si vous pouviez nous donner les raisons principales — outre celles que vous avez énumérées dans vos remarques liminaires — pour lesquelles vous croyez que le projet de loi, dans sa forme actuelle, répond à tous les... En tant que marraine du projet de loi, pourriez-vous nous donner d’autres raisons dont nous devrions tenir compte en écoutant les différents points de vue ou en posant les questions nécessaires pour veiller à procéder à un examen aussi robuste que possible?
Mme Gladu : Il s’agit d’une excellente question, monsieur le sénateur. Quand conviendrait-il d’adopter ce projet de loi? Ce serait vraiment le bon moment parce que les fonds gérés par le gouvernement fédéral ont une solvabilité moyenne de 109 %. Ils se portent bien, et c’est une bonne chose.
Les banques et les créanciers ont prêté beaucoup d’argent aux particuliers pendant la pandémie, les ont laissés se retrouver dans le rouge et ont continué à leur proposer des arrangements pour les soutenir. J’y crois. Leur travail consiste à prêter de l’argent, et ils ont plus de chance de survivre à la faillite d’une entreprise qu’un particulier qui dépend entièrement de sa pension.
Le sénateur C. Deacon : Merci.
Le sénateur Wells : Je vous remercie d’être parmi nous, madame Gladu, et de m’expliquer ce projet de loi plus en détail. Comme vous le savez, j’en suis le parrain au Sénat. Je suis heureux de l’être. J’estime qu’il s’agit d’un bon projet de loi avec de bonnes intentions.
Le projet de loi C-228 créera-t-il des obstacles à la restructuration ou au refinancement? C’est la critique qui revient le plus souvent lorsque les gens parlent des inconvénients du projet de loi. Ils parlent de la difficulté de financer, de refinancer et de restructurer l’obligation. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet, je vous prie?
Mme Gladu : Voilà pourquoi les éléments préventifs du projet de loi sont importants. L’idée consiste à relever les fonds qui sont en difficulté et à offrir un mécanisme pour rectifier le tir afin de ne jamais avoir à faire de refinancement.
Les cas de faillite se retrouvent toujours devant les tribunaux. Certes, le juge se doit de suivre les lignes directrices de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, mais il dispose tout de même d’une certaine marge de manœuvre, sauf en ce qui concerne la priorisation. Si les fonds de pension restent en bon état, on n’aura pas autant de rattrapage à faire, si rattrapage à faire il y a, et la souplesse du tribunal pour trouver un bon arrangement permettra de régler le reste.
Le sénateur Wells : Merci. J’ai une question sur les circonstances d’un régime de retraite conjoint. Cela concerne de nombreuses entreprises — peut-être même des centaines. Je pense à un cas en particulier, où le régime n’est pas sursouscrit, mais entièrement souscrit en matière de financement. Que se passe-t-il si l’une de ces entreprises fait faillite dans le cadre de l’application de cette loi?
Mme Gladu : C’est une très bonne question. On parle d’entités comme le Healthcare of Ontario Pension Plan, ou HOOPP, par exemple, où l’employeur verse une certaine partie des pensions au HOOPP et où les employés versent leur propre partie au HOOPP, mais il s’agit d’une tierce partie. Lorsqu’une entreprise fait faillite, le HOOPP va quand même verser une pension aux particuliers concernés. C’est l’avantage de l’avoir, en fait. Ils ne seront pas affectés par ce projet de loi parce qu’il est clair que c’est l’employeur qui a un fonds de pension qui a la responsabilité — ou l’obligation — de fournir cette pension à ses employés.
Le sénateur Wells : Le fait de confier l’administration à une tierce partie n’aura pas d’incidence là-dessus? Il s’agira toujours de l’obligation de l’entreprise ou de l’employeur.
Mme Gladu : Oui, assurément. Ils paieront moins que ce qu’ils auraient dû payer si l’entreprise était restée en activité plus longtemps, car le montant des entrées est moins élevé.
Le sénateur Wells : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je voudrais revenir à la dernière question de mon collègue le sénateur Wells au sujet des régimes de retraite conjoints dont on vient de parler, qui se présentent auprès des travailleurs et des entreprises comme étant un regroupement de risques et donnant l’assurance que le régime de retraite — donc ce qu’on y a contribué — sera versé.
Je veux bien comprendre, parce que ces entreprises peuvent craindre que le projet de loi C-228 leur nuise, d’une manière ou d’une autre, et qu’il nuise aux entreprises qui voudraient s’inscrire à ces régimes de risques partagés.
Pouvez-vous faire des commentaires au sujet de ces craintes et les dissiper, si c’est possible?
Mme Gladu : Merci pour la question.
[Traduction]
En ce qui concerne les organisations auxquelles les entreprises ont recours pour obtenir leur pension — cela concerne le CAAT, je crois, tout comme les collèges et les universités —, l’avantage est qu’elles ne sont pas impliquées dans la faillite. Elles ne sont pas nommées dans la déclaration de faillite. Seul l’employeur est nommé, et il a la responsabilité de veiller à ce que l’argent soit versé. Le fait d’avoir choisi ces autres types de fonds de pension n’a aucune incidence; elles ne sont pas impliquées dans le procès, par exemple. Les gens du CAAT ou du HOOPP devront payer la pension comme ils l’ont toujours fait. Ils ne vont pas recevoir quoi que ce soit de plus, sauf si une entreprise a tardé à envoyer sa part. Cela fait partie des mesures de priorisation — vous le verrez dans la liste —; ils devront payer toutes les primes qu’ils ne payaient pas auparavant. C’est le seul impact, mais cela n’incitera pas les gens à ne pas les choisir. En fait, je dirais que les entreprises sont plus susceptibles de commencer à utiliser ce type d’arrangement parce que les régimes à prestations définies sont coûteux. Les employeurs ne veulent pas avoir à les payer, et c’est un moyen pour les employés de se sentir beaucoup plus en sécurité qu’ils ne l’auraient été si leur pension et tous leurs avantages découlaient de l’employeur.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Madame Chabot, j’imagine que vous appuyez le projet de loi. Que pensez-vous de ces compagnies qui offrent des risques partagés entre les travailleurs et les employeurs?
Louise Chabot, députée, Thérèse-De Blainville : Merci, sénatrice Bellemare
J’aimerais ajouter un commentaire. Je pense que Mme Gladu a brossé un portrait adéquat du projet de loi, qui est finalement un beau risque.
Je crois comprendre votre question. C’est un projet de loi que nous cautionnons. Nous avons travaillé conjointement. Le Bloc québécois a déjà déposé des projets de loi à ce sujet. Nous avons travaillé ensemble pour déposer un projet de loi commun. Il y avait des différences par rapport aux projets de loi déposés par le Bloc, par exemple, en ce qui concerne les assurances collectives. Cela a été supprimé pour ne protéger que les caisses de retraite.
Si j’ai un argument de plus à présenter, c’est qu’il est important, après toutes ces années, de ne jamais perdre de vue ce que l’on veut protéger. C’est pour cette raison que ce seront des créanciers privilégiés. Le revenu de retraite est un salaire différé des travailleuses et des travailleurs. Dès le début de leur carrière, ils acceptent — et ils acceptent souvent de gagner un salaire moindre — qu’on verse de l’argent dans des caisses de retraite.
Pour les travailleurs, il s’agit de protéger leur bas de laine, mais pas à n’importe quel prix. Par exemple, cela n’empêcherait pas des restructurations d’entreprise. Je pense que les syndicats tiennent aussi à travailler dans le cas de la restructuration d’une entreprise, parce que quand on peut sauver une entreprise, c’est encore mieux. Le but est de protéger les travailleurs au moins à un rang privilégié. C’est l’élément qui est commun dans ce projet de loi, c’est-à-dire les caisses de retraite des travailleuses et travailleurs.
La sénatrice Bellemare : Merci.
[Traduction]
La présidente : Je vais maintenant vous présenter la députée Louise Chabot, qui s’est jointe à la députée Gladu à titre de témoin aujourd’hui. C’est agréable de voir un soutien non partisan pour ce projet de loi. Nous vous invitons à répondre aux questions à ce sujet.
Le sénateur Woo : Merci, chères collègues de la Chambre. Madame Gladu, vous avez parlé d’une des inquiétudes de la communauté bancaire, à savoir que si elle constate qu’un fonds de pension n’est pas entier ou solvable, elle hésitera à prêter de l’argent frais à l’entreprise. D’une certaine façon, cela pourrait précipiter la déchéance de l’entreprise, et viendrait alors le moment d’invoquer la loi.
Les banques pourraient-elles avoir une autre préoccupation, de sorte que même si un fonds de pension est solvable à un moment donné — c’est-à-dire lorsque l’entreprise a besoin d’une marge de crédit, d’un nouveau financement, etc. —, elles appliqueraient une grille plus stricte pour évaluer la solvabilité de cette entreprise simplement parce que leur ancienneté a été affectée en cas de faillite? Les choses peuvent changer très vite, n’est-ce pas? Des entreprises solvables aujourd’hui peuvent faire faillite quelques mois plus tard.
Avez-vous entendu cette préoccupation? Que répondriez-vous à cet égard?
Mme Gladu : Merci de la question. Les banques évaluent les risques. Elles vont certainement tenir compte de ce que vous soulevez. En 2005, lorsque les salaires sont devenus prioritaires au titre de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, les banques ont exprimé exactement les mêmes craintes, dont aucune ne s’est avérée.
Je suis certaine qu’elles continueront à engranger des milliards en profit et qu’elles sont tout à fait en mesure d’évaluer les risques.
Les dispositions les plus importantes du projet de loi sont celles qui portent sur les mesures préventives, c’est-à-dire les obligations de transparence et l’octroi de la période de quatre ans qui permettra aux entreprises de mettre un ordre durable dans leurs finances. Je pense que ces dispositions contribueront grandement à limiter les dégâts. Je ne peux pas anticiper ce que feront les banques, mais j’imagine qu’elles seront aussi magnanimes qu’elles l’ont été pendant la pandémie, lorsqu’elles ont aidé les entreprises à poursuivre leurs activités.
Le sénateur Woo : Je voudrais maintenant examiner la situation dans son ensemble et vous poser une question sur les épargnes des Canadiens pour la retraite, y compris les Canadiens qui ne font pas encore partie de la population active ou qui viennent d’intégrer le marché du travail et qui ne reçoivent pas encore de prestations d’un régime de retraite d’une entreprise.
Vous avez reconnu que le projet de loi dissuadera probablement les entreprises à offrir des régimes de retraite à prestations déterminées, mais nous sommes déjà à ce stade. A-t-on raison de dire que le projet de loi aide surtout un segment de la population canadienne qui s’amenuisera avec le temps parce que plus personne ne voudra mettre en place un régime de retraite à prestations déterminées? Or, cette loi contient des dispositions qui visent à décourager les entreprises de mettre en place ce type de régime. Ces dispositions, qui sont utiles aujourd’hui, seront peut-être obsolètes à un moment donné.
La grande question est de savoir ce que nous devons faire pour tenir compte du régime de retraite de nombreux Canadiens qui ne jouissent pas de ce type de régime, qui ne sont pas protégés par la loi et qui ne le seront pas plus si le projet de loi est adopté, puisque les entreprises ne mettront pas sur pied de régimes de retraite à prestations déterminées dans ces circonstances.
Mme Gladu : Je vais répondre à la dernière question en premier, car elle porte sur le thème du prochain projet de loi d’initiative parlementaire que je vais déposer. J’aime beaucoup la manière dont les régimes CAAT et HOOPP, entre autres régimes, fonctionnent, car ils offrent une excellente protection pour les retraités.
Aujourd’hui, la loi ne permet qu’aux employeurs, et non pas aux employés, de s’inscrire aux régimes HOOPP ou CAAT et de les utiliser comme fonds de pension. Voilà notre occasion d’apporter un changement.
Quant aux régimes de retraite à prestations déterminées, n’oubliez pas que la priorité s’appliquera ici à tous les types de régimes — dont les régimes à cotisations déterminées ou à prestations déterminées — et que pour l’instant, des six millions et demi de Canadiens qui ont un régime de retraite, la plupart qui ont un régime de prestations déterminées sont des employés du gouvernement fédéral. Ce serait étonnant qu’ils perdent leur régime à prestations déterminées. Nous observons une baisse d’environ 1 % par année. Je suppose que dans 20 ou 30 ans, la situation que vous décrivez pourrait se réaliser.
Le sénateur Woo : Si le projet de loi se répercute également sur les régimes de cotisations déterminées — et je peux voir comment cela se pourrait —, cela ne va-t-il pas dissuader les sociétés de mettre en place n’importe quel type de régime de retraite?
Mme Gladu : Non. En ce moment, le marché est très favorable aux travailleurs. Les entreprises ont de la difficulté à trouver de la main-d’œuvre. Elles devront offrir un régime de prestations ou un régime de retraite pour attirer des travailleurs. Je pense que la concurrence va se poursuivre si je me fie aux projections de croissance. Je prévois que les bons régimes de retraite constitueront un moyen pour les employeurs de tirer leur épingle du jeu.
La présidente : Nous avons discuté de ce point.
La sénatrice Ringuette : Tout d’abord, laissez-moi vous féliciter. Après la catastrophe de Nortel, j’ai déposé au Sénat un projet de loi similaire qui traitait de cette question des prestations déterminées et des cotisations déterminées. Après avoir écouté les discussions aujourd’hui, je crois que certains sénateurs vont consacrer beaucoup d’énergie à marteler que le projet de loi entraînerait la diminution des régimes à prestations déterminées et l’augmentation des régimes à cotisations déterminées.
Les régimes à cotisations déterminées ont pris leur essor il y a une quinzaine d’années, dans une période d’abondance de main-d’œuvre. Or, la donne a changé. Que répondez-vous à ces observations?
Mme Gladu : Je dirais à ceux qui prédisent la disparition des programmes à prestations déterminées que je n’ai pas de boule de cristal. Ces régimes connaissent une diminution en ce moment, mais je suis d’accord avec vous pour dire que le marché fluctue et que les employeurs qui recherchent des talents vont devoir offrir plus d’avantages sociaux et plus de prestations de retraite, entre autres bonbons, pour attirer les travailleurs.
Je ne peux pas prédire l’avenir, mais je suis certaine qu’une bonne partie des régimes à prestations déterminées du secteur public ne disparaîtront probablement pas, car ils sont garantis par le gouvernement.
Dans l’ensemble, les régimes de retraite gagneront en importance, car nous voyons bien que le Régime de pensions du Canada ne soutient pas le rythme des pressions inflationnistes actuelles. Nous savons que la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti ne sont pas indexés aux taux d’inflation vertigineux que nous connaissons actuellement. Je suis prête à parier que les gens pencheront davantage vers les entreprises qui leur offriront un régime de retraite.
La sénatrice Ringuette : Je vois que le projet de loi octroie une période de transition de quatre ans. Je pense que cette période pourrait sans doute être réduite à deux ans. Pourquoi avez-vous choisi une durée de quatre ans?
Mme Gladu : C’est l’art de la collaboration dont nous parlions. Initialement, mes amis du Bloc voulaient une période de 3 ans, mes amis libéraux, une période de 7 à 10 ans, et les conservateurs, une période de 5 ans.
Un point important qui est ressorti lors de nos discussions est le fait que de nombreuses entreprises se relèvent de la pandémie. On estime qu’elles pourraient prendre un an ou deux pour vraiment se remettre sur les rails. Nous avons convenu que nous devions leur allouer un peu plus de temps en sus des trois ans. Les libéraux et les autres ont accepté un compromis de quatre ans. Voilà comment nous sommes arrivés à cette durée.
Le sénateur Smith : C’est un plaisir de vous voir. Je voudrais en savoir plus sur les recherches que vous avez menées qui vous ont aidée à vous faire une idée de la sous-capitalisation et à mesurer l’ampleur du problème.
Mme Gladu : C’est une excellente question. Le rapport sur la solvabilité des fonds gérés par le gouvernement fédéral, qui est présenté, comme je l’ai mentionné, par le surintendant des institutions financières, avait été publié sur le site Web de ce dernier, mais il a soudainement disparu. Voilà pourquoi nous voulions qu’il soit déposé à la Chambre des communes. Le rapport indique que probablement la moitié des régimes gérés par le gouvernement fédéral n’étaient pas entièrement solvables.
Dans la plupart des provinces, les régimes provinciaux doivent être capitalisés à 85 %. Ils sont soumis à une vérification, mais ne font pas l’objet d’un rapport. Nous ne savons pas combien il y en a et où ils se trouvent, car il n’existe pas de rapport à ce sujet, mais nous savons par contre qu’ils sont capitalisés à au moins 85 %, car c’est une exigence provinciale.
La sénatrice Ringuette : Ce n’est pas le cas.
Le sénateur Smith : Le point que je veux soulever, à la suite de ce que vous avez dit et selon une estimation que nous pourrions faire de la situation, c’est que dans bon nombre de cas, la capitalisation pourrait se situer entre 50 et 60 %. La période de quatre ans donnerait le temps aux gens de se renflouer. Est-ce exact?
Mme Gladu : Vous avez tout à fait raison. Ils voudraient faire ce rattrapage. J’espère donc que lorsque le projet de loi sera adopté au niveau fédéral, les provinces essaieront d’harmoniser leurs exigences. Avec un peu de chance, elles instaureront un peu de transparence en publiant des rapports conformément au projet de loi.
Le sénateur Smith : Quelle est la rétroaction que vous avez reçue concernant les conséquences non voulues du projet de loi?
Mme Gladu : Honnêtement, exception faite des banques et de certains représentants de l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite — en l’occurrence le témoin qui s’est opposé au projet de loi devant le comité —, tout le monde semble assez satisfait.
On reconnaît qu’un rapport a été déposé, qu’il y a des mécanismes pour y donner suite et que les personnes sont hissées au rang des priorités. Il faut admettre que les banques sont habituellement en mesure de soutenir une société qui fait faillite, tandis que la situation des personnes qui ont perdu la totalité de leurs revenus de retraite est souvent sans issue.
Le sénateur Smith : Quel type de soutien avez-vous reçu verbalement ou par écrit de la part d’organisations ou d’associations?
Mme Gladu : Un nombre impressionnant de parties prenantes ont exprimé par écrit leur soutien au projet de loi. J’ai d’ailleurs énuméré quelques-unes des organisations qui l’ont fermement appuyée : CARP, Mike Powell de la Fédération canadienne des retraités, le Congrès du travail du Canada et quelques cellules des Métallurgistes unis. Une partie de ce soutien venait du Québec. Bref, les commentaires étaient en grande majorité favorables. La faible résistance que nous avons observée venait des prêteurs d’argent.
Le sénateur Smith : Merci.
Le sénateur Arnot : Merci aux témoins qui sont ici aujourd’hui, et merci du travail collaboratif qui a été accompli à l’autre endroit, qui a permis au projet de loi de se rendre à ce stade.
Une préoccupation qui n’a pas encore été mentionnée devant le comité vient de l’Association canadienne des régimes de retraite, qui estime que le projet de loi pourrait être anticonstitutionnel, car il touche aux travailleurs sous réglementation provinciale.
À mon avis, cet argument est pauvre et peu substantiel. Je vais donc vous donner l’occasion de le souligner pour le compte rendu.
Mme Gladu : Merci de la question, sénateur. Il est tout à fait juste de dire que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité s’appliquera à toutes les situations provinciales, d’où les préoccupations soulevées. Mais en fait, c’est déjà le cas. Le projet de loi n’apporte aucun changement à la situation actuelle.
Le sénateur Arnot : Très bien.
La présidente : D’accord. Je pense que nous progressons. Merci, sénateur Arnot.
Le sénateur Massicotte : Merci de votre présence parmi nous. Puis-je vous renvoyer au tableau 1? J’essaie de comprendre les principes qui sous-tendent ce tableau, qui établit la priorité des réclamations des créanciers en cas de faillite et d’insolvabilité.
Dans mon domaine, j’ai tâté un peu de ces questions, mais ce qui prédomine dans le tableau, ce sont les créanciers garantis, en majeure partie les banques. Selon mon expérience, une fois qu’elles ont terminé, il ne reste pas grand-chose. Où se situent-elles dans l’ordre de priorité des réclamations? Autrement dit, il y a les fournisseurs impayés. Les fiducies présumées, qui se trouvent au premier rang, renvoient à une autre dimension. Au deuxième rang, il y a les fournisseurs impayés. Nous pouvons toutefois parler d’une exception, puisque cela ne s’applique qu’aux marchandises livrées récemment, qui ne correspondent jamais à de grosses sommes. Ensuite, il y a les superpriorités. Le montant n’est pas élevé non plus, mais j’essaie de comprendre ce que seraient les superpriorités. Voilà une autre exception liée aux retenues à la source du Régime de pensions du Canada.
Mme Gladu : C’est une excellente question. Regardons le tableau ensemble. Dans la première section, intitulée fiducies présumées, les retenues à la source ne sont pas versées. Par conséquent, les cotisations au Régime de pensions du Canada, au Régime de rentes du Québec et les impôts sur le revenu exigibles, ainsi que les cotisations au programme d’assurance-emploi, tout cela passe en premier.
Il y a ensuite les fournisseurs impayés. Toute marchandise livrée dans les 30 jours précédant la faillite peut être récupérée.
Dans la catégorie des superpriorités, il y a la valeur des produits agricoles et aquicoles impayés qui ont été livrés dans les 15 jours précédant la faillite. Un petit créneau est accordé à ces marchés. Il y a la valeur des salaires et des indemnités impayées jusqu’à concurrence de 2 000 $ par employé. Ce changement a été apporté en 2005 pour éviter que des salaires ne soient pas versés, ce qui arrive fréquemment dans les situations de faillite. À cela s’ajoute la valeur des cotisations retenues sur les salaires et des cotisations de l’employeur à un régime de pension agréé, ce qui veut dire que les prestations de retraite ne seront pas versées si quelqu’un n’a pas pleinement cotisé. Il y a enfin la remise en état de terrains contaminés, mais honnêtement, je ne sais vraiment pas pourquoi cet élément figure dans le tableau.
Ensuite, il y a les retraités, suivis des réclamations garanties — qui représentent de grosses sommes d’argent, comme vous l’avez soulevé —, des réclamations prioritaires et des réclamations non garanties.
Le sénateur Massicotte : Seulement pour me rafraîchir la mémoire, toutes ces réclamations ne s’appliquent que dans les situations de faillite. Elles ne sont pas visées par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
Mme Gladu : C’est exact. Elles ne s’appliquent qu’aux faillites.
Le sénateur Massicotte : Je ne sais pas quel est le pourcentage, mais la plupart des réclamations sont probablement prévues dans la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Quel est le pourcentage des compagnies insolvables qui ont manqué à leurs obligations? La Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies s’est avérée très efficace, car je pense que ce pourcentage est très élevé.
Mme Gladu : Mme Chabot vient de me corriger en disant que les réclamations sont visées par les deux lois.
Le sénateur Massicotte : Elles ne s’appliquent pas?
Mme Gladu : Elle me dit qu’elles sont visées par les deux lois.
Le sénateur Massicotte : De quoi parlons-nous?
Mme Gladu : Vous avez demandé si les réclamations étaient visées à la fois par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, ou seulement par la première loi. J’ai répondu qu’elles ne s’appliquaient qu’aux faillites. Mme Chabot dit que ce n’est pas le cas.
Le sénateur Massicotte : Je pensais que l’objet de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies était tout autre, puisque cette loi prévoit une entente entre toutes les parties intéressées, tandis que la faillite entraîne la liquidation des biens.
[Français]
Mme Chabot : La Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies s’applique aux compagnies dont les créances s’élèvent à plus de 5 millions de dollars.
Le sénateur Massicotte : C’est la grande majorité.
Mme Chabot : Il s’agit de permettre aux entreprises qui sont en difficulté de restructurer leur entreprise plutôt que de faire faillite.
Le sénateur Massicotte : Quand on fait une restructuration, il n’y a pas de règles fixes; il s’agit de négociations avec tous les intervenants qui sont à la table.
Mme Chabot : Voilà.
Le sénateur Massicotte : Cela ne s’applique pas à toutes les compagnies régies par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies; c’est à part.
Mme Chabot : Oui.
Le sénateur Massicotte : Si c’est le cas... De mémoire, 40 % des entreprises canadiennes ont un fonds de pension — peut-être 36 % ou 37 % — et le gouvernement représente plus de la moitié de ce nombre. On parle donc de 16 % ou 17 %. Lorsqu’un problème majeur se produit, un gros pourcentage des solutions passent par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et notre inquiétude porte sur 4 % ou 5 % des fonds de pension? Je pose la question.
[Traduction]
Mme Gladu : Oui. Je pense que vous soulevez un point pertinent en disant qu’un très petit nombre d’entités seraient touchées par le projet de loi. Votre observation est justifiée.
Le sénateur Massicotte : Je m’efforce d’être juste, car je suis sensible à ce problème. Mais hormis ce souci de justice, les auteurs des quelque deux cents courriels que nous avons reçus disent essentiellement : « La compagnie m’a promis un régime de retraite. Elle a dit que je recevrais des prestations d’un certain montant si les choses se détérioraient. Je lui demande seulement de remplir son engagement et ses obligations envers moi. Je veux qu’elle me donne mon argent. »
Le problème avec cet argument, c’est qu’il y a beaucoup de fournisseurs. Chaque fournisseur brandit ce même argument, pour chaque achat. Par conséquent, les gens font la queue pour avoir l’argent parce qu’il n’est assorti d’aucune obligation légale. Désormais, l’obligation sera renforcée. Pourquoi ne parle-t-on que des retraités qui souffrent? Qu’en est-il des fournisseurs, qui ont une famille à faire vivre? Pourquoi eux et pas les autres?
Mme Gladu : Le problème, c’est lorsque vous vous retrouvez dans une situation où ce n’est pas tout le monde qui recevra son argent. La question est donc de savoir qui pourra être le plus résilient dans ces cas-là. Les entreprises qui sont des fournisseurs ont l’habitude d’être confrontées à des événements inattendus qui leur coûtent cher. Elles sont plus susceptibles d’être résilientes. Les banques sont extrêmement résilientes. Il est probable qu’elles ne feront pas faillite parce qu’elles font des milliards de dollars de profit. Par conséquent, les personnes qui sont les moins résilientes sont celles qui comptent sur cet argent pour subvenir à leurs besoins pour le reste de leur vie.
C’est avec Sears que tout a commencé. Une de mes voisines, qui vivait de l’autre côté de la rue, travaillait pour Sears. Elle a reçu 70 ¢ par dollar. Elle n’a finalement pas pu prendre sa retraite comme prévu et a dû retourner travailler. Les conséquences sont réelles pour ces personnes.
Le sénateur Massicotte : Pour qui éprouvez-vous le plus de sympathie? Qui devrait gagner ce concours de beauté?
Mme Gladu : Évidemment, je suis du côté des retraités.
Le sénateur Cardozo : Je vous félicite, madame Gladu, d’avoir mené ce projet de loi aussi loin. Cela a pris beaucoup de temps, comme l’a souligné la sénatrice Ringuette. Elle et d’autres ont travaillé sur ce dossier pendant longtemps.
J’aimerais aussi féliciter Mme Chabot pour sa présence et sa collaboration avec les autres partis.
Je tiens à féliciter mon collègue, le sénateur Wells, qui parraine ce projet de loi au Sénat. C’est ainsi que tout fonctionne. Vous devez avoir quelqu’un qui vous défendra de ce côté-ci, et mon collègue fait du bon travail en nous forçant la main dans ce dossier.
Ma question est la suivante : comment pouvons-nous protéger les prestations des travailleurs?
Ma question dépasse un peu la portée de ce projet de loi. Je me demande si les gens ont pensé que les entreprises pourraient mettre leur argent dans une agence, comme le RPC, au lieu de le conserver dans l’entreprise. Ce serait un moyen plus sûr. Certaines personnes pensent que le gouvernement n’est pas un endroit sûr pour y laisser de l’argent, mais nous pourrions peut-être trouver un moyen de le mettre à l’abri quelque part au sein du gouvernement, comme dans le RPC, de sorte que les cotisations que les employeurs et les employés versent pourraient être conservées dans le coffre-fort du gouvernement. Lorsque nous y puiserions de l’argent, nous le ferions comme nous le faisons avec le RPC et d’autres régimes de retraite.
Mme Gladu : J’aurais peur de mettre l’argent des retraités dans le coffre-fort du gouvernement parce que ses portes sont grandes ouvertes en ce moment.
La question des prestations a déjà été abordée. Je crois que c’est un ancien député néo-démocrate du nom de Scott Duvall qui a présenté un projet de loi à cet effet. Il voulait que les pensions soient la priorité. Le problème était d’essayer de déterminer le coût réel des prestations, car elles changent avec le temps, en fonction du vieillissement et de l’état de santé des prestataires. Il est difficile d’en calculer le coût. C’est la raison pour laquelle l’idée n’a pas été acceptée par certains partis, mais je pense qu’il y a de l’intérêt à investir dans des organismes comme le Régime de retraite des travailleurs de la santé de l’Ontario et le Régime de retraite des CAAT, qui gèrent les fonds de pension et protègent les employés s’il leur arrive quelque chose. Je pense que c’est la raison pour laquelle ces organismes connaissent une croissance rapide. Certaines provinces, comme la Saskatchewan, ont inscrit cela dans leur législation provinciale pour permettre à tout le monde de participer à ce genre d’arrangements.
Je pense que c’est une très bonne idée.
Le sénateur Massicotte : Je croyais que vous alliez dire que le montant d’argent qui allait être retenu sur les salaires pour le bien des régimes de retraite devient de l’argent en fiducie et que, par conséquent, personne ne peut y toucher. N’est-ce pas le cas?
Mme Gladu : Bien sûr, lorsque l’argent est déposé dans le régime de pension, l’entreprise ne peut le retirer et l’utiliser pour ses revenus généraux. C’est déjà séparé. La question est de savoir quelle est la façon de mieux protéger cet argent. Je pense que la question précise portait sur les avantages sociaux, ce qui est différent des pensions. Une pension est une prestation.
Le sénateur Massicotte : Si vous jouez avec cet argent, c’est de la fraude. C’est très grave. J’imagine qu’il n’y a pas beaucoup de problèmes avec cela.
Mme Gladu : Je ne suis pas certaine de comprendre votre question.
Le sénateur Massicotte : Si vous retirez l’argent du salaire, l’argent sort et ensuite le gestionnaire de la pension — ça pourrait être un tiers — le dépose dans un compte séparé. Il n’est plus dans le compte de l’entreprise. Je pensais que la réponse aurait été : « Non. Ne vous inquiétez pas pour ces gens. Ils sont entièrement protégés. Il n’y a pas de problème. »
Mme Gladu : J’ai peut-être mal compris la question du sénateur, mais je pensais qu’il parlait des avantages sociaux, par exemple, des prestations médicales et de toutes ces autres prestations qui sont également perdues lorsqu’une entreprise fait faillite. Avec Eaton, par exemple, tout le monde a perdu son assurance maladie, son assurance dentaire, et tout le reste. Je pensais qu’il s’agissait de sa question et je répondais en fonction de cela.
La présidente : Monsieur le sénateur Cardozo, êtes-vous...
Le sénateur Cardozo : J’ai terminé. Ma question portait sur les avantages sociaux et les pensions.
La présidente : Je veux poursuivre sur cette distinction entre les avantages sociaux et les pensions. Selon les statistiques dont nous disposons, si les régimes à prestations déterminées dans le secteur privé sont passés de 21 % à moins de 10 % en 10 ans, les chiffres ont beaucoup baissé. Comme nous l’avons dit, moins de gens seront touchés par ces mesures.
Que vous disent les jeunes? S’intéressent-ils vraiment autant aux pensions qu’aux avantages sociaux ou s’intéressent-ils peut-être davantage aux questions liées au style de vie, comme la semaine de travail plus courte ou le travail à domicile? Ces éléments ont-ils été discutés?
Mme Gladu : Nous n’en avons pas parlé cette fois-ci, lorsque le projet de loi était à l’étude en comité, parce que tous ces éléments avaient déjà été étudiés à d’autres comités. Ils n’ont pas posé ces questions. J’ai 60 ans. Je ne suis donc pas certaine de pouvoir répondre comme un jeune le ferait. Je ne saurais trop dire.
La présidente : D’accord. C’est très bien. Il s’agit simplement de données intéressantes, car je pense que ce que les jeunes recherchent est très différent.
Le sénateur C. Deacon : Merci de l’énergie dont vous faites preuve. Ce sujet n’est pas évident pour un sexagénaire. Merci beaucoup.
Je pense que sans cette loi, les retraités sont convertis en créanciers involontaires et non protégés en cas de faillite. Ils sont des investisseurs, qu’ils le veuillent ou non. Ils n’ont pas le choix.
Mme Gladu : Ils se retrouvent certainement au bas de la pile aujourd’hui.
Le sénateur C. Deacon : Je pense que c’est là où vous voulez en venir. J’ai aimé le débat entre les collègues et le sénateur Massicotte à cet égard. Merci encore pour votre travail.
Mme Gladu : Merci. J’aimerais ajouter quelque chose. Avec le temps, l’engouement a augmenté. Dès le début, lorsqu’on a commencé à présenter ces projets de loi sur les pensions, même mon propre parti, à un moment donné, ne voulait pas en faire une priorité. L’engouement a crû. Je pense que les gens reconnaissent, en général, qu’il s’agit d’un salaire reporté. Cela fait partie du contrat lorsque vous décrochez un emploi et que vous travaillez toute votre vie. Vous ne pouvez pas vous retrouver en queue de peloton.
La présidente : Merci de ces commentaires.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je vous remercie de vous préoccuper de l’intérêt des retraités et des travailleurs qui investissent dans un régime de retraite.
Il y a plusieurs façons de protéger les travailleurs à l’avenir. Ce projet de loi sera tout à fait à propos pour ce qui est de protéger les régimes de retraite actuels et les retraités. Toutefois, de nombreux pays ont choisi des fonds d’assurance, et les régimes privés — que ce soit des régimes à contributions ou à prestations définies — sont garantis par ces fonds.
Je ne connais pas la mécanique de ces régimes, mais j’ai vu dans des tableaux de recherche que l’Angleterre et les États-Unis ont ce genre de fonds. Je connais bien la Suède. Son régime public est assez généreux, mais on encourage les employés à souscrire à des régimes de retraite. Quatre fonds existent, dont deux pour les régimes à prestations définies et deux pour les régimes à contributions pour le privé et le public.
Que pensez-vous d’une stratégie qui pourrait, à court terme et à moyen terme, être mise en place au moyen de ce type de fonds?
[Traduction]
Mme Gladu : C’est une bonne question. J’ai eu cette bonne idée quand j’ai commencé à rédiger ce projet de loi. Je pensais que l’on devait pouvoir obtenir une assurance pour la partie insolvable d’un fonds de pension. J’ai donc inséré ce mécanisme dans le projet de loi. C’était ma propre création, je ne l’avais pas choisie. Malheureusement, tout le monde a détesté l’idée, surtout le NPD. Une grande partie du mouvement syndical a vraiment détesté cette idée et voulait que ce mécanisme soit retiré du projet de loi. Il a donc été retiré à l’étape de l’étude en comité. Je pense toujours que ce n’est pas une mauvaise idée. Les compagnies d’assurances ont pour mission d’assurer les risques. C’est ce qu’elles font.
Bien que je n’aie pas de boule de cristal pour prédire l’avenir, je m’attends à ce que ces organismes, comme le Régime de retraite des travailleurs de la santé de l’Ontario et le Régime de retraite des CAAT, prennent de l’expansion avec le temps, car ils constituent un moyen tellement efficace de protéger les retraités et de faire croître les fonds investis. La plupart de ceux qui m’ont été présentés font fructifier les fonds cinq fois plus que ce que vous pourriez faire vous-même si vous investissiez. C’est la voie de l’avenir, à mon avis.
[Français]
La sénatrice Bellemare : J’aimerais poser une autre question.
Quelle est la méthode la plus efficiente en matière de coûts pour ceux qui contribuent à un régime de retraite?
Les contributions sont assez élevées pour garantir des prestations définies. Cela représente 12 % des salaires en moyenne pour les travailleurs et 12 % pour l’entreprise. C’est l’entreprise qui garantit le risque, mais à un taux assez élevé. Pourtant, des fonds plus larges permettraient peut-être d’obtenir des assurances à un meilleur coût.
[Traduction]
Mme Gladu : Je pense que c’est l’avantage d’avoir un fonds de pension auquel participent 500 entreprises, par exemple. Vous répartissez le risque et je pense que c’est mieux pour le fonds de pension.
La présidente : Merci. Plusieurs personnes aimeraient poser des questions, mais nous n’avons plus beaucoup de temps.
Le sénateur Massicotte : Je pense que cela dépasse la portée de votre projet de loi. Si l’on examine la situation dans son ensemble, on pourrait être convaincu assez facilement qu’il est important pour notre société de protéger adéquatement nos retraités. De plus, si vous prenez en compte l’expérience de la Chine, vous verrez qu’il y a 20 ans, on y épargnait beaucoup trop parce que les systèmes de retraite sûrs n’existaient pas.
Je pense que ce projet de loi a beaucoup de mérite, mais je comprends que nous sommes assez limités dans le type de loi que nous pouvons adopter. Nous ne pouvons pas dépenser d’argent. Vous devez trouver une façon bien unique d’atteindre votre objectif, mais ce n’est peut-être pas si évident étant donné les limites.
Mme Gladu : Évidemment, en ce qui me concerne, je pense que le fait de faire passer les retraités avant les autres ne coûte pas plus cher au gouvernement fédéral, et cette façon de faire nous permet vraiment de les protéger. Voilà pourquoi je pense que les mesures qui sont proposées — bien qu’elles ne représentent pas toutes ce que l’on voudrait changer dans un système de pension — sont notre meilleure option à ce stade-ci. Mieux vaut adopter ce projet de loi que d’encore se retrouver sans mesure de protection pour les retraités dans 20 ans. Il s’agit de ma recommandation.
Le sénateur Woo : Ce projet de loi attribue la priorité absolue aux retraités de la même manière que les salariés ont déjà la priorité absolue, mais les deux cohortes ne sont pas pareilles, évidemment. De nombreux retraités auront déjà quitté le marché du travail et bénéficieront de cette loi, mais les salariés en bénéficieront aussi, en raison des pensions à venir auxquelles ils n’ont pas encore accès. Qui aurait la priorité absolue sur l’autre, les salariés ou les retraités?
Mme Gladu : Ce seraient les salariés. Si vous consultez le tableau, vous pouvez voir que la ligne sur les salaires jusqu’à concurrence de 2 000 $ par employé de l’article 81.2 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité viendrait avant cet article modifié.
Le sénateur Wells : Je n’ai pas vraiment de question. J’aimerais plutôt faire une observation. Quand je pense à la discussion de mes collègues, les sénateurs Cardozo et Bellemare, sur l’appui fourni par le gouvernement, je dois dire que je ne pense pas que le gouvernement devrait fournir cet appui. Les créanciers n’aimeront peut-être pas trop cette idée, mais quand je pense aux banques canadiennes, je me dis qu’elles jouissent du soutien par excellence offert par le gouvernement fédéral par le biais de la Société d’assurance-dépôts du Canada, ou SADC, à hauteur de 100 000 $ par compte. À mon avis, il est plus qu’étrange que les créanciers puissent être préoccupés par un filet de sécurité autofinancé alors qu’ils bénéficient eux-mêmes de l’appui du gouvernement fédéral à hauteur de plus d’un billion de dollars.
Mme Gladu : Je comprends ce que vous dites. Les banques ne souffrent certainement pas, et elles sont protégées. Le gouvernement est également venu à la rescousse, si vous vous en souvenez, de General Motors en lui fournissant une aide financière. Je pense qu’il existe beaucoup de mesures de protection pour les banques, mais il n’y a actuellement aucune mesure de protection offerte aux personnes qui travaillent toute leur vie.
La sénatrice Ringuette : J’ai plutôt une question complémentaire. Lorsque j’ai fait des recherches sur la question en ce qui concerne la situation aux États-Unis, j’ai découvert que le gouvernement américain prélève 1 % des cotisations à son système de pension, qui fonctionne par trimestres, et ce fonds constitue un filet de sécurité en cas de faillite. Mais nous ne voulons pas en arriver là. Je pense qu’il s’agit d’une approche très équilibrée et raisonnable. Merci encore.
Mme Gladu : Merci, sénatrices et sénateurs.
La présidente : Je remercie la députée de Sarnia—Lambton, Marilyn Gladu, accompagnée de façon spontanée par Louise Chabot, députée du Bloc québécois, qui a travaillé aux côtés de Mme Gladu sur ce projet de loi. Nous vous remercions de votre résumé très clair de votre projet de loi et de vos arguments en sa faveur. Nous pourrions nous tourner une fois de plus vers vous, à une étape plus avancée de notre étude, une fois que nous aurons entendu d’autres témoins. Il s’agit de notre première réunion sur le sujet. Merci beaucoup.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Il s’agit du deuxième groupe de témoins que nous entendrons aujourd’hui sur la question des pensions et sur le projet de loi C-228.
Nous sommes heureux d’accueillir Peter Gorham, actuaire chez JDM Actuarial Expert Services Inc. Nous accueillons également, de l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite, ou ACARR, Todd Saulnier, président du conseil d’administration, et Andrea Boctor, ancienne présidente du Conseil fédéral de l’ACARR.
Nous allons commencer avec la déclaration préliminaire de M. Gorham, qui sera suivie par celle de M. Saulnier. Allez-y.
Peter Gorham, actuaire, JDM Actuarial Expert Services Inc. : Bonjour. Je suis un actuaire qui offre des services de consultation sur les régimes de retraite canadiens depuis 45 ans. Aujourd’hui, je me présente en mon nom. Deux commentaires qui ont été présentés par certains opposants au projet de loi C-228 ne brossent pas un portrait complet de la situation, et cela me préoccupe.
Bien qu’il existe de nombreux régimes de retraite au Canada, seul le régime à prestations déterminées est touché par ce projet de loi, à part peut-être les régimes dont les cotisations non versées sont dues au fonds de pension. Seuls les régimes à prestations déterminées peuvent développer un passif non capitalisé.
Dans le secteur privé, les données les plus récentes de Statistique Canada montrent que 9,6 % des travailleurs du secteur privé souscrivent à un régime à prestations déterminées. Vous trouverez d’autres renseignements généraux dans mon mémoire.
Il est probable que les créanciers imposeront des conditions financières supplémentaires aux entreprises en raison des risques accrus découlant de ce projet de loi. Ceux qui s’opposent au projet de loi disent que, sans payer un supplément par rapport aux coûts actuels, il pourrait devenir très difficile, voire impossible, d’obtenir du financement.
Bien que nous ne sachions pas quelles pourraient être ces conditions ni à quel point elles pourraient être lourdes, ceux qui sont contre le projet de loi suggèrent que les entreprises pourraient mettre fin à leurs régimes à prestations déterminées pour éviter de se conformer à ces conditions ou pour réduire les coûts d’emprunt.
D’abord, beaucoup de travailleurs qui ont des régimes à prestations déterminées sont assujettis à des négociations collectives, et il est peu probable que les entreprises pourront mettre fin à ces régimes sans nouvelles négociations.
Deuxièmement, si une entreprise supprime un régime de retraite à prestations déterminées, elle est tenue de combler tous les manques à gagner. Lorsqu’un régime est ainsi supprimé, tous ses cotisants sont à peu près certains de toucher toutes les sommes auxquelles ils ont droit. Il est toutefois possible que certains employés constatent désormais que leur régime de retraite a été remplacé par un autre qui est moins coûteux.
Troisièmement, les estimations actuelles révèlent que la plupart des régimes de retraite à prestations déterminées au Canada se retrouveraient dans une position de surplus s’ils étaient liquidés. Il y en a quelques-uns en situation de déficit et très peu dont le déficit est prononcé. Il s’agit d’une amélioration considérable par rapport à la situation qui prévalait il y a quelques années.
Lorsque le projet de loi C-228 aura été adopté, les entreprises ayant un régime de retraite en bonne santé financière se verront sans doute imposer très peu, voire pas du tout, de conditions additionnelles par les prêteurs, si ce n’est l’exigence de s’assurer que leur régime de retraite demeure entièrement capitalisé. Cette condition sera également bénéfique pour les travailleurs.
Les opposants au projet de loi C-228 allèguent que le processus de cessation des régimes de retraite utilisé par Stelco serait une solution de rechange tout à fait valable. Tous les régimes de retraite en place chez Stelco étaient sous-capitalisés lorsque l’entreprise s’est affranchie de la protection offerte par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies en 2017. Un arrangement a alors été négocié afin de reporter le paiement final des prestations dans l’espoir que l’on parvienne à replacer le régime dans une position de capitalisation intégrale. Au milieu de l’année 2022, cet objectif avait été atteint pour deux des cinq régimes en question. Voilà une belle histoire de réussite.
Les bons résultats obtenus par Stelco sont cependant attribuables à la combinaison de trois facteurs. Premièrement, les actifs du régime ont été investis avec comme objectif de produire des rendements plus élevés que ceux nécessaires pour payer les pensions. Rien ne garantissait que cela allait fonctionner. Ces investissements auraient pu entraîner des pertes et faire augmenter davantage le passif non capitalisé. La vente de l’entreprise était par ailleurs conditionnelle à ce que l’acquéreur, Bedrock Industries, contribue au fonds de pension. Les contributions de base étaient relativement minimes, mais des contributions additionnelles liées à différents paramètres de performance devaient gonfler les actifs de façon marquée. Troisièmement, l’acquisition par Bedrock Industries a été rendue possible par l’engagement du gouvernement ontarien à se porter garant de l’entreprise et à la libérer des passifs qu’elle n’avait pas à assumer. Ces garanties ont grandement contribué à la réussite de la transition.
Selon moi, il vaut la peine de mettre en place une mesure semblable pour les autres situations d’insolvabilité présentant des conditions qui s’y prêtent. Il n’en demeure pas moins que cela exige des garanties d’un gouvernement, un acquéreur disposé à investir ses revenus à venir dans le régime de retraite, des cotisants prêts à courir le risque de se retrouver avec moins d’argent et des investissements produisant des résultats positifs — un scénario peu probable dans bien des cas d’insolvabilité et de faillite.
J’ose espérer que ces quelques indications pourront vous aider à comprendre un peu mieux certaines des conséquences possibles de ce projet de loi. Je conclurais pour ma part en vous disant qu’il était grand temps que l’on s’emploie à protéger ceux qui ne sont pas capables de se protéger eux-mêmes, plutôt que de continuer à protéger ceux qui peuvent très bien le faire sans aide. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant entendre M. Saulnier, le président du conseil d’administration de l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite. À vous la parole.
Todd Saulnier, président du conseil d’administration (Mercer), Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite : Merci, madame la présidente et monsieur le vice-président. Nous voulons vous remercier de nous donner l’occasion de présenter nos points de vue sur le projet de loi à l’étude par cette distinguée Chambre.
[Français]
Je suis président du conseil d’administration de l’ACARR, soit l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite. L’ACARR est une organisation de défense des intérêts à but non lucratif. Je suis actuaire et consultant en placements et je compte plus de 30 ans d’expérience.
[Traduction]
En dehors du travail de notre association, mon rôle consiste à aider des promoteurs à créer, concevoir, mettre en œuvre et administrer sainement des régimes de pensions et d’autres solutions efficaces pour assurer un revenu aux gens à la retraite.
L’ACARR se veut le principal défenseur des promoteurs et des administrateurs de régimes de retraite dans le but de favoriser l’établissement d’un système de revenu de retraite équilibré, efficace et viable au Canada. Nous comptons parmi nos membres les responsables de quelques-uns des plus importants régimes de retraite à prestations déterminées des secteurs public et privé au Canada qui gèrent collectivement des billions de dollars en actifs au bénéfice de millions de cotisants.
Vous noterez que nous avons joint à notre documentation une copie du mémoire que nous avons soumis au comité de la Chambre des communes qui s’est penché sur le projet de loi C-228. Nous soulevons dans ce mémoire nos préoccupations relativement à certaines conséquences graves que pourrait avoir l’approche mise de l’avant par ce projet de loi. Il va de soi que nous souscrivons à l’intention de cette mesure législative, à savoir protéger les retraités. Nous avons toutefois suggéré certaines solutions de rechange qui, à notre avis, permettraient de protéger plus efficacement les retraités actuels et ceux qui les suivront — dont le sort nous inquiète tout particulièrement — en leur évitant ces conséquences néfastes.
Notons que la Chambre a unanimement adopté cette approche pour le moins particulière, nos recherches ayant révélé que la Corée du Sud est le seul autre pays du monde développé à avoir opté pour un régime de retraite suivant le principe de la priorité absolue.
Nous allons donc limiter nos observations à l’intention du comité sénatorial à un certain nombre de problèmes que pourrait poser le libellé de ce projet de loi. Nous espérons que le Sénat voudra bien étudier ces questions pour éventuellement proposer certains amendements de telle sorte que la loi puisse bel et bien s’appliquer et nous permettre d’obtenir les résultats visés avec cette mesure législative émanant de la Chambre.
Je vais maintenant demander à Mme Boctor, l’avocate de notre groupe, de vous en dire plus long.
Andrea Boctor, ancienne présidente, Conseil fédéral de l’ACARR (Osler, Hoskin & Harcourt LLP), Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite : Disons l’avocate spécialisée dans les régimes de retraite. Merci, monsieur Saulnier, madame la présidente et monsieur le vice-président.
L’ACARR croit sincèrement que tous les retraités devraient toucher toutes les prestations de retraite auxquelles ils ont droit, que leur employeur soit solvable ou non. C’est en fait notre mission. Nous nous battons sans relâche pour offrir aux Canadiens un régime de retraite viable. L’ACARR a aussi la ferme conviction qu’un traitement prioritaire des régimes déficitaires n’est pas la meilleure façon d’atteindre cet objectif. Nous estimons plutôt qu’un traitement semblable va entraîner la cessation de bon nombre des autres régimes à prestations déterminées, qu’ils soient soumis ou non à une négociation collective.
Nous avons exprimé ces préoccupations dans notre lettre au comité permanent de la Chambre des Communes qui est jointe, comme l’indiquait M. Saulnier, à la lettre que nous avons adressée à votre comité. Nous vous implorons de bien vouloir envisager ces autres options stratégiques qui pourraient nous permettre d’atteindre cet objectif fort louable.
Dans notre lettre à votre intention, nous traitons également des problèmes techniques mentionnés par M. Saulnier. On pourrait diviser nos préoccupations à cet égard en quatre catégories principales. Il y a d’abord la validité constitutionnelle des mesures proposées. Dans un cas d’insolvabilité, ce projet de loi nous obligerait ainsi à considérer chaque régime de retraite sous réglementation provinciale comme étant un régime sous réglementation fédérale, à y appliquer les modalités de financement prévues au fédéral dans la Loi sur les normes de prestation de pension et à créer une priorité pour le montant en question. Cette somme n’est pourtant pas nécessairement due en vertu de la loi provinciale. À ce titre, le projet de loi pourrait permettre de créer une dette et d’y accorder une priorité. Nous savons tous que le gouvernement fédéral est certes habilité à établir des priorités. Nous nous interrogeons plutôt sur la validité constitutionnelle d’une mesure créant directement une dette à l’égard d’un montant qui ne serait pas sans cela dû en vertu de la loi provinciale.
Nous avons aussi entendu la marraine du projet de loi, Mme Gladu, et bien d’autres intervenants, affirmer que ce projet de loi avait notamment pour but de changer le comportement des employeurs quant au financement de leur régime de retraite dans une perspective à long terme. À ce titre, les provinces ont fait différents choix stratégiques. Par exemple, l’Ontario exige seulement une capitalisation du déficit de solvabilité à hauteur de 85 %, alors qu’il n’y a aucune exigence en la matière au Québec. Elles ont fait délibérément ces choix afin d’endiguer la vague des liquidations de régimes de retraite à prestations déterminées par un employeur unique, lesquels ont encore leur importance quand on sait que 9,6 % des Canadiens en bénéficient.
Le projet de loi a pour but d’exiger des employeurs qu’ils investissent davantage dans leur régime, et nous y voyons également de l’ingérence à l’égard des droits provinciaux de légiférer en matière de pensions. En outre, on ne fait aucunement mention du mécanisme de garantie instauré par l’Ontario. En cas d’insolvabilité d’un employeur, l’Ontario peut faire intervenir toutes les dispositions du Fonds de garantie des prestations de retraite, un régime qui n’est pas mentionné dans le projet de loi C-228, ce qui nous amène à nous interroger sur sa validité constitutionnelle.
Nous estimons par ailleurs que le projet de loi ratisse trop large. Suivant sa formulation actuelle, une priorité pourrait être créée même lorsqu’il n’y a pas eu perte de prestations de retraite, et ce, en raison de la façon dont le montant est calibré.
Il y a aussi un problème de calibration des montants dans le cas des régimes sous réglementation fédérale. Comme l’indiquait Mme Gladu, diverses versions de ce projet de loi ont vu le jour à un moment ou un autre au cours des 15 à 20 dernières années. Les lois et les modalités de financement des régimes de retraite ont évolué depuis, notamment à l’échelon fédéral, mais la formulation du projet de loi n’a pas été rajustée en conséquence.
Quatrièmement, il convient de rappeler, pour ce qui est des régimes sous réglementation provinciale, qu’il nous est impossible de savoir avec précision de quelle manière, dans la pratique, nous calculerions le montant faisant l’objet d’une priorité. Nous sommes des experts en la matière et nous n’arrivons pas à interpréter ce projet de loi quant à son application aux régimes sous réglementation provinciale, ce qui ne manque pas de nous préoccuper vivement quant aux répercussions qui pourraient s’ensuivre.
Nous vous proposons également des pistes de solution, y compris des options stratégiques et des modifications au libellé, si c’est effectivement le choix politique qui est fait. Toutes ces propositions sont décrites dans notre lettre. Nous serons ravis de pouvoir en discuter plus en détail avec vous.
La présidente : Merci à tous pour vos observations préliminaires.
Le sénateur C. Deacon : Merci pour vos remarques liminaires.
J’aimerais bien vous entendre au sujet de cette question des régimes de retraite parrainés conjointement à laquelle Mme Gladu a fait allusion. On s’inquiète du fait que ces régimes ont été mis en place à une époque où le risque était partagé également entre l’employeur et l’employé, si bien que l’employeur n’était pas le seul filet de sécurité, ce qui serait maintenant le cas si les mesures proposées étaient adoptées.
Pouvez-vous nous parler de cet enjeu dont certains d’entre nous avons été saisis? Je veux juste savoir si vous voyez les choses du même œil que Mme Gladu.
M. Saulnier : D’un point de vue actuariel, un employeur qui se retire de l’un de ces régimes parrainés conjointement — et notamment d’un arrangement multiple comme dans le cas du régime des CAAT — peut le faire alors que le régime est déficitaire, mais je ne sais pas, du point de vue légal — et Mme Boctor pourrait nous éclairer à ce sujet —, si ce déficit devrait être épongé en cas de faillite de l’employeur. Est-ce que cela crée une dette s’ajoutant au bilan du régime? Je ne saurais vous le dire.
Mme Boctor : Les régimes de retraite parrainés conjointement sont une excellente idée. Ils devraient être autorisés à l’échelon fédéral. Nous sommes d’ardents défenseurs de ces régimes. Ils sont actuellement interdits en vertu de la Loi sur les normes de prestation de pension. Aucune loi fédérale n’autorise la mise en place de tels régimes.
Le projet de loi dans sa forme actuelle prévoit qu’un régime serait considéré comme étant sous réglementation fédérale, mais n’indique pas clairement comment la loi s’appliquerait à un tel régime en cas d’insolvabilité de l’employeur si on ne peut pas établir avec précision à l’échelon fédéral s’il s’agit d’un régime à prestations déterminées, à cotisations déterminées ou à cotisations négociées. C’est ce que nous jugeons préoccupant.
Le sénateur C. Deacon : Tout à fait. Mme Gladu semblait dire que ces régimes échappent complètement à l’application de ce projet de loi, mais vous n’en paraissez pas aussi certaine?
Mme Boctor : Le libellé n’est pas clair à ce sujet.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur Gorham?
M. Gorham : Je pense que tout dépend en fait des modalités du régime. Certains de ces régimes sont pourvus d’un mécanisme prévoyant un rajustement des prestations lorsque les actifs deviennent insuffisants. Autrement dit, ils sont fondés sur le principe suivant lequel une fois les cotisations versées par l’employeur et les employés, ceux-ci n’ont pas d’autre obligation à l’égard des prestations de retraite accumulées jusque-là. Si vous avez déjà payé toutes les cotisations requises, vous n’aurez rien de plus à verser au titre du passif non capitalisé.
Il y a certains régimes pour lesquels les déficits enregistrés sont imputés aux employeurs participants. C’est pour ces régimes qu’il faudra chercher à déterminer si la loi peut s’appliquer en cas de faillite de l’un des employeurs lorsque le régime est en déficit.
Je suis loin d’être un expert en matière de faillite, mais je serais porté à croire que la loi s’appliquerait à l’obligation d’un employeur en pareil cas et que le syndic de faillite devrait payer ces cotisations au régime de retraite.
Le sénateur C. Deacon : Si on va un peu plus loin, vous avez fait valoir que nous avons ici une loi fédérale susceptible de créer un passif pour des régimes de retraite sous réglementation provinciale, ce qui pourrait être problématique du point de vue constitutionnel.
Avez-vous demandé à un expert en matière constitutionnelle de se pencher sur la question? Êtes-vous allés au-delà de vos simples craintes quant à la validité constitutionnelle pour demander à un spécialiste d’analyser les choses de plus près?
Mme Boctor : Nous avons effectivement cherché à tirer cela au clair, mais nous exhortons le comité sénatorial à étudier également la question, compte tenu de son importance.
Si ce projet de loi ne s’applique pas aux régimes sous réglementation provinciale, il n’atteindra pas le but que l’on s’est fixé.
Le sénateur C. Deacon : Oui. Merci
Le sénateur Wells : Il va de soi que le gouvernement fédéral devrait toujours, en matière de compétences, garder sa place. J’en suis intimement convaincu, mais je suis conscient qu’il n’en va pas de même de tous les intervenants au sein du régime fédéral.
Monsieur Gorham, merci de votre exposé. Vous avez dit craindre que l’adoption du projet de loi C-228 sonne le glas ou tout au moins entraîne la décroissance de certains régimes de retraite à prestations déterminées. J’ai l’impression que c’est la tendance que l’on observe d’ores et déjà, même sans ce projet de loi.
Votre mémoire semble faire contrepoids à cette préoccupation, ou tout au moins la minimiser. Vous notez dans un premier temps que bon nombre de régimes à prestations déterminées sont soumis à la négociation collective, et qu’il est peu probable qu’une entreprise puisse supprimer un tel régime sans devoir passer par le processus de négociation.
Il va de soi que lorsqu’une convention collective arrive à échéance, tout est sur la table. J’en suis bien conscient.
Vous indiquez dans un deuxième temps qu’une entreprise qui supprime un régime à prestations déterminées est tenue d’en combler tous les manques à gagner et dispose actuellement de cinq ans pour ce faire — un délai qui serait raccourci à quatre ans avec le projet de loi.
Dans un troisième temps, vous notez que peu d’entreprises ont actuellement un régime de retraite en situation de déficit. Nous avons tous pu consulter les chiffres à ce sujet.
Dois-je comprendre que vous estimez que ce projet de loi ne risque pas d’inciter des employeurs à mettre un terme à leur régime de retraite à prestations déterminées?
M. Gorham : C’est effectivement le cas. Je ne pense pas que ce projet de loi va être à l’origine de cessations de régime. J’ai indiqué que des opposants au projet de loi ont fait valoir que des entreprises allaient liquider leur régime de retraite. Pour ma part, je ne crois pas que les choses vont se passer ainsi.
Il y a toutes sortes de raisons qui peuvent inciter une entreprise à liquider son régime de retraite pour emprunter une autre avenue.
Le sénateur Wells : Lorsque certaines entreprises liquident leur régime de retraite, offrent-elles une solution de rechange ou indiquent-elles seulement que cet avantage n’est plus accessible? Je pose notamment la question parce qu’un témoin précédent nous a mentionné qu’il s’agissait désormais d’un incitatif pour le recrutement de nouveaux employés.
M. Gorham : De nombreuses entreprises vont remplacer leur régime semblable par un autre qui est à cotisations déterminées ou par un régime enregistré d’épargne-retraite, ou REER, collectif. Le fonctionnement d’un régime à cotisations déterminées est assez semblable à celui d’un REER. Il est basé sur l’accumulation de fonds.
Le sénateur Wells : Tout à fait. Et il n’y a pas d’inconvénient à une telle solution, si ce n’est de la forme que le régime pourrait prendre?
Madame Boctor, vous semblez vraiment vouloir intervenir.
Mme Boctor : Le régime de retraite à cotisations déterminées comporte d’importants inconvénients.
Il n’y a pas si longtemps, le HOOP, le régime de retraite des travailleurs de la santé en Ontario, a commandé une étude sur les avantages d’un bon régime de pension à laquelle nous faisons d’ailleurs référence dans notre mémoire. Il est estimé que chaque dollar versé dans un régime à cotisations déterminées rapporte environ 2,50 $ en économies pour la retraite. Pour chaque dollar investi dans un régime à prestations déterminées à employeur unique, le rendement est de 4,50 $.
Le sénateur Wells : Dans un cas de faillite, car c’est ce dont il est question ici, ce taux de rendement importe peu. Le retraité se retrouve simplement plus loin dans la file d’attente. Ne serait-il pas alors question de fractions d’un dollar, plutôt que de multiples?
Mme Boctor : Eh bien, en cas de faillite, le régime de retraite aurait une valeur de 4,50 $, et s’il n’est financé qu’à 80 % au moment de la faillite, les pensionnés obtiendraient 80 % de chaque 4,50 $, ce qui est quand même mieux que 2,50 $.
Je pense que c’est la décision stratégique que de nombreuses provinces ont prise, se disant qu’un régime à prestations déterminées bien garni vaut mieux que les autres solutions, comme un régime à cotisations déterminées ou un régime enregistré d’épargne-retraite collectif.
M. Saulnier : Il vaut mieux avoir 85 % d’un régime à prestations définies qu’un régime à contribution définie.
Le sénateur Wells : D’accord.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de témoigner devant nous.
Je suis encore à la case de départ, car vous avez présenté de nombreux arguments qui semblent pertinents. Mais s’il est juste que le projet de loi effarouchera les banques, je me préoccupe considérablement des répercussions qu’il pourrait avoir, principalement sur l’économie et les petites entreprises. Son incidence sera considérable.
Comment bien comprendre les tenants et les aboutissants quand les accusations et les stipulations abondent? Comment savoir ce qu’il en est réellement? Pouvons-nous nous tourner vers un autre pays, particulièrement les États-Unis?
M. Saulnier : Je peux répondre à cette question. Comme la mission première de l’ACARR consiste à soutenir les régimes de retraite, nous nous préoccupons fort de la question.
Nous avons effectué quelques recherches dans les statistiques, et Statistique Canada nous offre un bon aperçu de l’évolution des tendances.
Monsieur Gorham, dans votre mémoire — comme dans le nôtre —, il est indiqué que moins de 10 % des régimes de retraite financés par l’employeur...
Le sénateur Massicotte : Moins de 10 %?
M. Saulnier : Moins de 10 % du secteur des entreprises disposent d’un régime à prestations déterminées.
Le sénateur Massicotte : On parle ici d’un régime à prestations déterminées et non d’un régime à cotisations déterminées.
M. Saulnier : Oui, à prestations déterminées.
Je pense que les critiques et les préoccupations — certainement chez nos membres organisationnels — à l’égard de cette tendance, qui se manifeste de toute façon, comme Mme Gladu l’a soulignée, offrent une raison de plus de croire que la tendance pourrait se maintenir. Les régimes sont adéquatement financés aujourd’hui en raison de la hausse des taux d’intérêt. Jusqu’en 2022, le rendement était excellent; les régimes sont donc bien financés aujourd’hui. Mais c’est aujourd’hui. La situation peut évoluer rapidement d’une année à l’autre au chapitre de la solvabilité et du financement. Même si un régime n’accuse pas de déficit aujourd’hui, un prêteur peut juger que le risque est élevé et décider d’en tenir compte dans le contrat de prêt.
Le sénateur Massicotte : Est-ce raisonnable? C’est peut-être parce que le témoin précédent a indiqué que de 12 à 15 % du chèque de paie d’un cotisant seraient versés au régime de retraite. Voilà qui fait passer le coût de la main-d’œuvre d’une entreprise à 12 %. C’est une augmentation substantielle, d’autant plus que cette excellente excuse est valable. Les employeurs veulent probablement se débarrasser du régime à prestations déterminées. C’est trop risqué, et l’histoire a montré qu’ils veulent s’en départir.
M. Saulnier : Oui. C’est une bonne observation. Le Canada n’est pas le seul pays qui connaît cette évolution. L’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni ont évolué en ce sens aussi, alors qu’ils comptaient autrefois beaucoup plus de régimes à prestations déterminées. Il n’en existe aucun en Australie, alors que dans d’autres pays, le nombre de régimes à prestations déterminées a rapidement décru.
Le sénateur Massicotte : Nous sommes en situation difficile, mais nous n’avons pas le choix. Il faut tenir bon en espérant ne pas faire fausse route.
La présidente : Je veux éclaircir un point. Si moins de 10 % des régimes sont à prestations déterminées actuellement et que la tendance est déjà à la baisse, le projet de loi n’accélérera pas les choses. C’est déjà une tendance. Il semble que ce soit la direction vers laquelle le monde se dirige.
M. Saulnier : Le projet de loi pourrait accélérer la tendance. Je pense que le phénomène est probablement là de toute manière. Vous avez absolument raison, la tendance est là de toute façon, mais c’est peut-être une raison supplémentaire pour laquelle le pourcentage passe de 9 à 1 % plus rapidement qu’il ne l’aurait fait autrement.
La sénatrice Ringuette : Je vous remercie de votre exposé, qui m’est vraiment utile.
Je suis toutefois perplexe et j’espère que vous pouvez éclaircir vos propos sur la constitutionnalité de ce projet de loi.
La Loi sur la faillite et l’insolvabilité est probablement plus vieille que moi. Sa dernière révision remonte à 1985, c’est-à-dire a 37 ans. Elle s’applique aux petites et moyennes entreprises, aux sociétés, aux services publics, aux universités et aux diverses entités sous réglementation fédérale et provinciale. En 37 ans, personne n’a remis en question la constitutionnalité de la loi.
Même si ces entités sont réglementées par le gouvernement provincial, que ce soit en vertu de la loi provinciale sur les petites entreprises, la Loi sur les traitements ou toutes ces lois, je ne peux pas comprendre pourquoi vous dites que pour le régime de retraite, contrairement aux salaires et à tout ce qu’ils contiennent, ce n’est pas constitutionnel. Expliquez-moi cela, car j’examine des questions constitutionnelles depuis 20 ans au Sénat et cette opinion me laisse perplexe. Veuillez éclaircir ce point.
Mme Boctor : Ce serait pour deux raisons. D’abord, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité accorde la priorité aux dettes du débiteur — le failli —, puis répartit équitablement le reste des actifs entre les créanciers. Pour les régimes sous réglementation provinciale, le projet de loi pourrait créer une dette...
La sénatrice Ringuette : Non. Écoutez, en 2005, nous avons ajouté les salaires.
Mme Boctor : Oui.
La sénatrice Ringuette : C’était il y a 17 ans et la constitutionnalité de cette disposition n’a jamais été remise en question.
Mme Boctor : Les salaires sont de 2 000 $ par employé, mais c’est « à concurrence de » 2 000 $ par employé. L’employeur doit donc avoir une dette envers l’employé pour que ce dernier reçoive un montant allant jusqu’à 2 000 $. Nous obligeons ici l’employeur à financer le régime alors que la loi provinciale ne l’y obligeait pas.
La sénatrice Ringuette : Je suis désolée, mais je vois les choses d’un autre œil. Restons-en là.
Le sénateur Woo : Pour continuer sur la question des sphères de compétences provinciales en laissant de côté la question de la constitutionnalité, est-ce que les provinces pourraient réagir d’autres manières si ce projet de loi est adopté?
Par exemple, l’Ontario pourrait-il se débarrasser de son Fonds de garantie des prestations de retraite en disant qu’il n’en a plus besoin? Est-ce que d’autres provinces changeraient de tactique alors qu’elles ont des régimes à prestations cibles? Le projet de loi les pousserait-il à modifier leurs calculs?
Assisterions-nous à un transfert de responsabilité des provinces à la loi et, essentiellement, au gouvernement fédéral, sans égard à la constitutionnalité de l’affaire? Cela pourrait faire le bonheur des provinces en les soulageant de la responsabilité. N’importe lequel d’entre vous peut répondre.
M. Gorham : Je ne vois pas pourquoi les provinces changeraient leur façon de faire en raison du projet de loi, sauf peut-être dans le cas du Fonds de garantie des prestations de retraite de l’Ontario. Même si ce fonds n’aura vraisemblablement pas à faire autant de débours dans l’avenir, le projet de loi ne garantit pas que chaque régime de retraite recevra tout l’argent dont il a besoin pour verser 100 ¢ par dollar à tout le monde. S’il y a peu d’actifs au moment de la faillite, le Fonds de garantie des prestations de retraite de l’Ontario pourrait entrer en jeu et s’avérer utile.
Le projet de loi pourrait faire en sorte que ce fonds n’ait pas besoin d’autant d’argent dans l’avenir et que les employeurs n’aient pas à y cotiser autant. Voilà qui leur permettra d’économiser.
Le sénateur Woo : Le fonds de l’Ontario paierait-il en premier avant que le régime ne prenne le relais?
M. Gorham : Je m’abstiendrai de répondre à cette question, car je pense que c’est une question de politique.
Mme Boctor : Cela devrait être clair dans le projet de loi, car le Fonds de garantie des prestations de retraite est censé s’appliquer en cas d’insolvabilité et il ne le fait pas.
Le sénateur Woo : Nous ignorons qui paiera pour cela.
La sénatrice Ringuette : Un organisme spécialisé en insolvabilité résoudra la question de la différence dans certaines régions.
M. Saulnier : Les législateurs des pensions modifieront-ils la manière dont ils financent les régimes de retraite? Ils ont procédé à un exercice pour changer délibérément la cible de financement. Considéreront-ils que le projet de loi a préséance sur leurs décisions stratégiques? Je ne sais pas qu’ils contesteraient cela. Je me perds en conjectures à ce sujet.
Le sénateur Woo : Pour en revenir à la question précédente, je crois comprendre que nos collègues de l’association sont en désaccord avec Mme Gladu à propos des répercussions que le projet de loi aurait sur les régimes à prestations déterminées. Vous et Mme Gladu convenez tous les deux qu’il n’entraînera pas de diminution de ces régimes pour diverses raisons, mais n’est-il pas juste de dire que les entreprises qui n’ont pas encore de régimes de retraite — des entreprises qui n’existent peut-être même pas aujourd’hui, mais qui verront le jour — seront fortement dissuadées d’opter pour des régimes à prestations déterminées? N’est-ce pas une bonne évaluation de la situation?
M. Saulnier : Certainement. Voilà pourquoi de nombreuses autres solutions sont à l’étude afin d’établir quelque chose comme un régime de retraite.
M. Gorham : Si vous me permettez d’intervenir, c’est ce qui est en train de se passer, avec ou sans le projet de loi. Il s’établit très peu de nouveaux régimes à prestations déterminées. Ils se font rares.
La présidente : Avec ou sans : voilà la question.
Le sénateur Arnot : En ce qui concerne la question de la constitutionnalité, je ne suis pas d’accord avec vous. Je comprends ce que vous dites : le projet de loi crée une dette de retraite et lui accorde la priorité chez un employeur ou une entreprise sous réglementation provinciale. J’ai une meilleure question.
Elle s’adresse à l’association. Le projet de loi revient sous diverses formes depuis 15 ou 20 ans. Les gens ont quatre ans pour s’adapter aux changements, et vous proposez des solutions de rechange. Pouvez-vous traiter de la question? Avez-vous parlé à des groupes syndicaux, des groupes de pension, des ministères ou des organismes gouvernementaux à ce sujet pour tenter d’obtenir leur adhésion aux solutions proposées? Dans l’affirmative, les discussions ont-elles été comme prévu? Les autres ne semblent pas intéressés.
M. Saulnier : Quand nous établissons nos positions et nos politiques, nous collaborons avec un comité stratégique national dont font partie le Régime des CAAT et le Healthcare of Ontario Pension Plan, ainsi que des actuaires, des avocats et des fournisseurs de services afin d’obtenir un éventail de points de vue dans le cadre de nos recherches.
Nous avons donc recueilli beaucoup d’observations et de soutien concernant les solutions que nous avons élaborées.
Le sénateur Arnot : Qu’en est-il des syndicats?
M. Saulnier : Ils sont représentés par les régimes de retraite avec lesquels nous travaillons, mais nous ne collaborons pas directement avec eux.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je serais intéressée à en savoir plus sur les propositions que vous voulez mettre de l’avant.
Cependant, tout d’abord, j’ai une question très précise. Je suis vraiment préoccupée par le fait qu’il faut s’occuper des pensionnés et des futurs retraités en cas de faillite. On a un projet de loi qui est intéressant. Ma question s’adresse à nos trois témoins. Est-ce que l’adoption d’un projet de loi comme celui-là — qui fait en sorte que les retraités deviendront une priorité en cas de faillite — est suffisante? Les retraités recevront-ils quelque chose? Est-ce que ce que l’on promet est vrai, ou est-ce un mirage? J’aimerais vous entendre à ce sujet, autant M. Gorham que M. Saulnier et Mme Boctor.
M. Saulnier : C’est une bonne question de demander si l’argent sera vraiment donné aux retraités. Dans le cas d’une faillite, cela dépendra des circonstances de la faillite. Il y a eu des faillites par le passé — à un moment où cette loi n’existait pas —, où les régimes de retraite ont continué de fonctionner après l’insolvabilité de l’employeur, comme dans les cas de Stelco, dont on a parlé plus tôt, ou d’Air Canada. Il y a eu plusieurs cas. Il y a même un projet de loi au Québec qui prévoit un système pour les régimes de retraite des entreprises qui sont en faillite et où les fonds de pension continuent d’être distribués jusqu’à ce qu’il y ait assez d’argent pour acheter les rentes de tous les retraités.
Il y a des solutions qui existent, dont une solution que nous avons proposée dans notre lettre : donner la possibilité de continuer à verser le fonds de pension, soit avec des fiduciaires, soit en se joignant à un autre régime, comme CAAT, qui peut protéger les régimes. Est-ce que cela répond à votre question?
La sénatrice Bellemare : Oui, merci. Monsieur Gorham, avez-vous quelque chose à ajouter?
[Traduction]
M. Gorham : Le projet de loi accordera aux retraités — aux pensionnés — leur pleine pension dans la mesure où il reste suffisamment d’argent pour le faire au moment de la faillite.
La sénatrice Bellemare : C’est ma question.
M. Gorham : À l’heure actuelle, comme les pensionnés passent après les créanciers, il reste rarement assez d’argent. L’administrateur de la faillite devra habituellement se battre bec et ongles pour en obtenir une partie. Avec ce projet de loi, le régime de retraite et l’administrateur pourront plus aisément obtenir l’argent nécessaire pour verser une pleine pension à tous, mais ce n’est pas garanti.
La sénatrice Bellemare : C’est difficile à faire. Quand on s’y connaît en faillite, ce qui n’est pas mon cas, si on accorde la priorité aux pensionnés, quelle probabilité y a-t-il que cela leur donne...
[Français]
— donner aux retraités ce à quoi ils ont droit.
[Traduction]
M. Gorham : C’est possible tant que l’entreprise en faillite a suffisamment d’actifs pour générer les fonds nécessaires. Si elle possède des biens immobiliers, des usines et de l’équipement qui peuvent être vendus, il y a moyen de générer de l’argent, mais cela n’en générera habituellement pas assez pour satisfaire tout le monde.
La sénatrice Bellemare : Je vous remercie.
La présidente : Avez-vous quelque chose de précis à dire sur le projet de loi, monsieur Saulnier et madame Boctor? Voudriez-vous que l’ordre des bénéficiaires ou que le régime d’attribution soient différents ou est-ce que vous n’aimez tout simplement pas le projet de loi?
M. Saulnier : Si nous prenons le projet de loi dans sa forme actuelle avec les priorités absolues, nous proposerions trois ou quatre amendements qui permettraient encore au projet de loi d’atteindre son objectif. Ces amendements, qui figurent dans notre lettre, élimineraient certaines des dispositions que nous avons trouvées nébuleuses quand nous avons tenté de lire le projet de loi.
La présidente : Quels sont ces amendements, si vous pouvez nous les résumer?
Mme Boctor : Les priorités ne s’appliqueraient qu’aux régimes en liquidation. Ce n’est que lorsque le plan est en liquidation que les prestations cessent. Si le plan est encore actif, il ne devrait pas avoir la priorité.
En plus, il faudrait établir un montant clair et net équivalent aux salaires impayés. Il y a un montant fixe par employé. Si vous pouviez calculer un montant, il serait plus facile pour les entreprises d’obtenir du financement parce que les prêteurs pourraient plus aisément évaluer le risque et ne les pénaliseraient pas indûment parce qu’elles ont un régime à prestations déterminées.
En ce qui concerne la question de la constitutionnalité, les lois provinciales sur les pensions traitent des fiducies présumées, précisant les montants que devraient contenir ces fiducies au nom des pensionnés, de l’avis des provinces. Si on établit des priorités absolues ou une échelle de priorités — quel que soit le niveau proposé —, il faudrait que ce soit pour le montant présumé détenu en fiducie que les provinces ont établi. Il s’agit habituellement de paiements spéciaux et souvent du déficit, mais les provinces ont choisi un régime différent.
Ces lois prévoient des exceptions quand cela est pertinent. Sont donc exclus les régimes de retraite conjoints et à prestations cibles, et le Fonds de garantie des prestations de retraite, ou FGPR, est pris en compte. Nous savons donc comment procéder et nous n’entrons pas dans un litige les 10 premières fois où l’affaire est portée en cour.
La présidente : Le problème reste le même : tout dépend de l’argent qui reste dans les coffres pour toutes ces choses. Il faut voir si cela fait la moindre différence.
J’ai vu M. Gorham secouer la tête. Je suis sûre que vous pensez le contraire.
M. Gorham : Les fiducies présumées provinciales ne fourniront pas suffisamment d’argent pour verser aux pensionnés 100 ¢ par dollar. Elles ne contiennent qu’une part minime de ce qu’il faudrait pour combler les besoins.
À dire vrai, par le passé, en raison de la supériorité de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, ces fiducies présumées se sont avérées sans valeur. Je m’opposerais donc à l’amendement proposé.
Les autres pourraient fonctionner, mais je pense que le projet de loi peut être amélioré à mesure que son examen se poursuit.
La présidente : Vous êtes donc satisfait. Le projet de loi fonctionnerait avec la réduction de la participation au marché.
Je pense qu’il ne reste plus de questions. Je vous remercie. Pouvez-vous nous remettre les amendements proposés, si ce n’est déjà fait? Nous en tiendrons compte.
Nous remercions M. Peter Gorham, actuaire chez JDM Actuarial Expert Services, qui nous a rappelé qu’il témoignait aujourd’hui à titre personnel, mais qui possède de nombreuses années d’expérience. Nous remercions également les représentants de l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite : Todd Saulnier, président du conseil d’administration, et Andrea Boctor, ancienne présidente du Conseil fédéral.
Nous vous remercions de votre participation. Nous entamons à peine notre étude. Nous prendrons toutes vos observations en délibéré, comme on dit, et nous poursuivrons nos travaux.
Voilà qui nous amène à la fin de notre séance. Nous nous reverrons demain. Je vous remercie.
(La séance est levée.)