LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 8 mars 2023
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 h 3 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir à tout le monde sur place et à ceux qui se joignent à nous virtuellement. Il s’agit d’une réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et j’occupe la présidence du comité.
De nombreux sénateurs se joignent à nous ce soir : le sénateur Deacon, de Nouvelle-Écosse, la sénatrice Marshall, le sénateur Gignac, la sénatrice Bellemare, le sénateur Loffreda et la sénatrice Ringuette. Les sénateurs Smith, Woo et Yussuff se joindront aussi à nous sous peu.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur les investissements dans les entreprises au Canada, leur insuffisance et les façons de les favoriser. Nous allons parler à des représentants de jeunes entreprises et de sociétés nouvelles et nous pencher sur l’importance de la technologie dans tout cela.
Dans le cadre de notre premier groupe de témoins aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir virtuellement Chris Albinson, chef de la direction, et Prateek Sureka, chef de la politique publique et des relations gouvernementales, à Communitech.
Soyez les bienvenus, messieurs. Merci d’être des nôtres. Monsieur Albinson, nous allons commencer par votre déclaration liminaire.
Chris Albinson, chef de la direction, Communitech : Madame la présidente, membres du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie, merci de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui sur ce sujet important. C’est un privilège d’être invité à échanger avec vous aujourd’hui sur la question cruciale de l’investissement dans les entreprises au Canada.
Je remercie plus particulièrement le sénateur Deacon, qui est un champion de l’économie de l’innovation au Canada. Sénateur, nous vous remercions de votre leadership dans la création d’une économie de l’innovation de renommée mondiale.
Communitech est le turbo technologique du Canada. Nous soutenons une communauté de 1 400 jeunes entreprises, d’entreprises en expansion et d’acteurs internationaux partout au pays. Nous les aidons à croître et à réussir en leur donnant accès à trois choses : le talent, les capitaux et les marchés. Ces trois piliers constituent les fondements d’une économie de l’innovation dynamique qui peut soutenir la société canadienne. En tant que chef de la direction de Communitech, j’ai eu le privilège de travailler avec des centaines de jeunes entreprises en technologie de partout dans le monde. Ces entreprises constituent l’âme de l’innovation et de l’économie; elles créent des produits et services qui transforment les industries et améliorer des vies.
Pourtant, malgré leur potentiel, beaucoup de ces entreprises au Canada peinent à accéder aux capitaux dont elles ont besoin pour être concurrentielles à l’échelle mondiale. Le fait est que le milieu de l’investissement institutionnel au Canada n’en fait pas assez. Selon l’Institut C.D. Howe, le Canada est terriblement à la traîne des États-Unis et d’autres économies avancées en matière d’investissement dans les entreprises. C’est un grave problème pour l’économie de l’innovation qui dépend d’un accès constant au capital de risque pour alimenter sa compétitivité et sa croissance. Au Canada, les investissements dans les entreprises représentent environ la moitié de ceux aux États-Unis et sont inférieurs à ceux de la majorité des États membres de l’OCDE. Selon le rapport sur l’investissement au Canada, le pays arrive au 22e rang parmi 36 États membres de l’OCDE en matière de placement de capital de risque en pourcentage du PIB. Ces investissements insuffisants ne sont pas seulement un problème pour les entreprises, mais aussi pour toute l’économie. L’économie de l’innovation est un moteur majeur de la croissance économique, de la création d’emplois et de la compétitivité sur le marché mondial. Sans les investissements adéquats, nous risquons de prendre encore plus de retard par rapport à d’autres pays et de perdre la prochaine génération d’innovateurs canadiens au profit d’États qui offrent un milieu d’investissement plus favorable.
Sur une note plus positive, la politique d’immigration axée sur les compétences mondiales du Canada est la meilleure de l’OCDE. Elle permet au Canada de développer et de déployer des talents hautement qualifiés, à un point tel que le Canada est aujourd’hui la deuxième grappe d’innovation en importance dans le monde.
Je ne crois pas que le sénateur Plett soit des nôtres aujourd’hui, mais je me suis joint à lui la semaine dernière, en Israël, qui est réputé être une nation de jeunes entreprises. Israël compte une main-d’œuvre en technologie de 362 000 personnes, comparativement à 659 000 personnes au Canada. Toutefois, le nombre de travailleurs en technologie est vraiment la seule catégorie où le Canada supplante Israël. D’après un récent rapport statistique de la Silicon Valley Bank, les jeunes entreprises canadiennes connaissent une meilleure croissance et obtiennent de meilleurs rendements sur le capital de risque investi que leurs homologues américaines et israéliennes. Malgré cela, les jeunes entreprises canadiennes n’ont été en mesure de réunir que 17 milliards de dollars en capital de risque en 2021 comparativement à 37 milliards de dollars pour les entreprises israéliennes et à 455 milliards de dollars pour les entreprises américaines. Répartis par travailleur en technologie, ces fonds représentent seulement 25 000 $ investis par travailleur en technologie au Canada comparativement à 82 000 $ aux États-Unis, soit trois fois plus, et 102 000 $ en Israël, soit près de quatre fois plus. L’avantage d’un tel investissement soutenu est manifeste pour Israël. Même si le pays compte la moitié moins de travailleurs en technologie que le Canada, 54 % de ses exportations en 2021 étaient dans le domaine des hautes technologies comparativement à seulement 15 % pour le Canada. Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que des 17 milliards de dollars investis dans les jeunes entreprises canadiennes en 2021, 74 % provenaient de l’extérieur du pays.
Donc, que pouvons-nous faire pour relever ce défi? La nécessité de créer une culture uniforme d’investissement dans l’innovation canadienne du laboratoire au chantier et de garder la majorité de la valeur de cette innovation au Canada s’avère un élément crucial. La source de ces investissements, comme aux États-Unis et en Israël, doit être nos caisses de retraite. En les modulant en fonction des risques, les rendements au Canada sont supérieurs à ceux en Chine, aux États-Unis et en Europe pour la première fois en une génération. Avec les caisses de retraite, le Canada dispose d’actifs de plus de 4 billions de dollars. Nous avons les capitaux. Nous avons un modèle. Depuis 30 ans, la Caisse de dépôt et placement du Québec fait fructifier notre caisse de retraite en investissant de manière soutenue dans l’innovation canadienne. Il y a également eu des progrès importants ces dernières années dans la création de programmes au sein du Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario, du Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario et de l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada. Toutefois, la lenteur de cette amorce a laissé 74 % des parts de nos meilleures entreprises entre les mains d’entités étrangères, qui appartiennent aujourd’hui en grande partie à des régimes de retraite et à des fonds américains.
Du côté des investissements publics, Innovation, Sciences et Développement économique Canada fait du bon travail pour jeter les bases d’une économie de l’innovation. En faisant du budget de 2022 le budget de l’innovation, le gouvernement fédéral a montré sa volonté de maintenir le rythme des investissements publics dans l’économie de l’innovation. Quelques points dignes de mention : le milliard de dollars par an géré par la Corporation d’innovation du Canada, les milliards de dollars investis par l’intermédiaire du Fonds stratégique pour l’innovation et de l’initiative Accélérateur net zéro, les 360 millions de dollars investis dans la nouvelle Stratégie quantique nationale et les 443 millions de dollars consacrés à la Stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle. Si nous voulons avoir une économie de l’innovation de renommée mondiale, les investisseurs institutionnels du Canada doivent eux aussi mettre la main à la pâte et acheter de la technologie canadienne, puis investir dans des entreprises canadiennes.
Malgré ces difficultés, il y a de l’espoir à l’horizon pour le Canada. Nous avons du talent entrepreneurial en abondance, dont la croissance a même dépassé celle de ses pairs américains pour un cinquième trimestre consécutif. Nous avons les bonnes politiques et initiatives. Le Canada peut investir pour contrebalancer la quantité toujours plus grande de capitaux américains qui viennent au pays de sorte à détenir 50 % de parts. Il est crucial sur le plan stratégique que le pays procède de cette façon. Des trois piliers, il n’y en a qu’un sur lequel nous pouvons nous appuyer à l’échelle mondiale, soit un talent qui est le meilleur de sa catégorie. Si nous ne remédions pas aux problèmes relatifs aux capitaux et à l’approvisionnement, nous mettons en péril le dynamisme de l’économie canadienne et notre capacité à soutenir notre société.
Enfin, j’aimerais saluer les efforts du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie visant à cerner des recommandations réalisables à l’intention du gouvernement fédéral afin de catalyser les investissements dans les entreprises au Canada. J’ai hâte de discuter de cela plus en détail avec le comité. Merci de votre attention.
La présidente : Merci, monsieur Albinson. Je sais que le sénateur Deacon ronge son frein, mais juste avant de poser nos questions et de faire une analyse plus approfondie, j’aimerais savoir, en mettant de côté le budget et le discours que nous entendons depuis des années sur toute la question de la culture de l’investissement, quelle est la différence? Que se passe-t-il en Israël qui ne se passe pas ici?
M. Albinson : Madame la présidente, je vous dirais qu’il y a deux choses. Nous pouvons être fiers de beaucoup de choses. Je le répète, nous avons le deuxième carrefour d’innovation en importance dans le monde; il est près de deux fois plus imposant que celui d’Israël, mais les sommes investies en Israël sont deux fois plus importantes. En fait, si vous remontez à 1993-1994, nous avions une économie de l’innovation d’environ la même taille que celle d’Israël. Toutefois, Israël nous a dépassés, en grande partie grâce à des investissements institutionnels constants par l’intermédiaire de capitaux de risque qui forment une part stratégique de son plan économique. Nos caisses de retraite, à quelques exceptions notables, dont la Caisse de dépôt et quelques autres, comme je l’ai dit, ne sont pas, pour la plupart, dans la classe d’actifs ou y entrent et en sortent. Nous n’investissons pas de façon soutenue dans l’innovation canadienne.
La présidente : Nous verrons s’il est possible ou non de légiférer sur les investissements ou sur cette culture de l’investissement dont vous parlez.
Le sénateur C. Deacon : Merci, messieurs Albinson et Sureka, d’être des nôtres aujourd’hui. C’est merveilleux de vous recevoir à ce comité.
Le congrès sur l’exploration et l’exploitation minières de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs se termine aujourd’hui. C’est le plus grand congrès au monde où recueillir des fonds et conclure des ententes dans le domaine des métaux, des minéraux et des mines. Nous sommes un pays majeur en matière de talent dans le domaine technologique, et nous avons d’excellents exemples à cet égard, mais nous n’avons tout simplement jamais appris de cela afin de devenir un leader mondial. L’un des changements majeurs vient du fait que nous devons aujourd’hui gérer des actifs incorporels par rapport à des actifs corporels. Je crois que la gestion du risque associé aux actifs incorporels et notre malaise par rapport à ceux-ci constituent un problème.
Pourriez-vous m’aider un peu par rapport au changement culturel qui doit se produire dans le rôle du gouvernement pour vraiment faire preuve de leadership? Y a-t-il des exemples israéliens desquels nous pourrions vraiment tirer des leçons à cet égard? L’un d’eux, que vous venez de mentionner, est d’investir en vous et d’avoir vos propres institutions, donc que les Canadiens investissent dans le talent canadien pour créer des exportations canadiennes. Quel est le changement culturel nécessaire?
M. Albinson : C’est une question intéressante, sénateur. Je vous en remercie.
Je sens qu’il y a une occasion d’agir. Le centre mondial d’innovation déménage pour la première fois depuis qu’il a quitté Boston en 1993 pour s’installer dans la Silicon Valley. Le Canada a de très bonnes chances d’être le prochain carrefour mondial de l’innovation. Nous avons beaucoup de bonnes politiques, mais nous ne manifestons pas aussi clairement notre volonté à assumer ce leadership, comme vous le soulignez, et à vraiment établir tous les éléments nécessaires à notre réussite.
Si vous regardez la réussite d’Israël, qui repose en fait sur une femme, Orna Berry, qui était la scientifique en chef d’Israël en 1996, on constate que le pays a harmonisé de façon unique son approvisionnement, son écosystème d’innovation et ses investissements en capital. Il a essentiellement établi que d’avoir une économie d’innovation de niveau mondial était essentiel à sa société.
Nous avons fait une partie de ces choses pour le talent. Nous avons actuellement la meilleure politique d’immigration au monde pour le talent, mais elle n’est pas alignée sur l’approvisionnement. Pour être franc, sénateur, nous sommes épouvantables quand il s’agit d’acheter nos produits comparativement à n’importe quelle autre économie de l’innovation, et nous ne faisons pas mieux en matière d’investissement dans nos produits.
Si nous revenons aux 17 milliards de dollars investis au cours des 12 derniers mois, 74 % de cette somme viennent en grande partie des meilleurs investisseurs en capital de risque dans le monde, soit des États-Unis, qui investissent dans des entreprises canadiennes. D’une part, nous devrions être très heureux que les Américains se rendent compte que les jeunes entreprises canadiennes constituent le meilleur endroit où investir du capital de risque. D’autre part, nous devrions être très préoccupés par le fait que 74 % des parts dans nos meilleures entreprises n’appartiennent plus à des intérêts canadiens.
Le sénateur C. Deacon : Quand on tente d’établir où mettre à profit nos efforts collectifs, l’approvisionnement est constamment présenté comme le plus grave problème. Y a-t-il des modèles d’approvisionnement ailleurs dans le monde que nous pourrions commencer à mettre en œuvre dans des secteurs clés pour illustrer une voie différente? Le gain le plus facile pour toute entreprise vient des ventes. Ce n’est pas la participation au capital.
M. Albinson : Sénateur, vous soulevez un excellent point où, croyez-le ou non, j’estime qu’il est assez facile d’agir. Il suffit de regarder ce qui fonctionne bien aux États-Unis depuis 40 ans avec la SBA, la Small Business Administration, et le SBIR, le Small Business Innovation Research. Si 3,2 % de chaque dollar que nous dépensons vont à une entreprise privée sous contrôle canadien, avec une exigence législative d’une amélioration de 5 % soit en matière de prix ou de productivité, nous pourrions égaler les États-Unis en matière d’approvisionnement, le faire assez rapidement, harmoniser le tout et commencer à faire tourner la roue. Actuellement, nous sommes à moins de 1 % de chaque dollar dépensé par tous les ordres de gouvernement qui est versé à des entreprises canadiennes.
Le sénateur Gignac : Je souhaite la bienvenue à tous les témoins.
Dans une autre vie, j’ai eu l’occasion d’être ministre du Développement économique. J’ai travaillé avec la Caisse de dépôt et avec les anges investisseurs au Québec, ainsi qu’avec Investissement Québec et d’autres personnes que vous connaissez, monsieur Albinson, dont Michel Brûlé. Là où je veux en venir, c’est qu’il y a là une culture et quelque chose en place en matière d’écosystème. Je suis moins au fait de la situation dans le reste du pays. Vous avez souligné que l’approvisionnement est quelque chose que nous devons développer davantage au Canada comparativement aux États-Unis. Pourriez-vous approfondir un peu ce point, et que pensez-vous de ce qui existe au Québec et qui pourrait inspirer le reste du Canada ou le gouvernement fédéral?
M. Albinson : Sénateur, félicitations pour votre travail dans votre ancienne carrière, car j’estime que cela mérite d’être souligné.
L’idée que vous ne pouvez pas investir dans vos propres entreprises et obtenir des rendements de qualité mondiale pour subvenir à vos besoins de retraite est tout simplement fausse. La Caisse de dépôt obtient les meilleurs rendements en investissant au Canada. Depuis 2015, son rendement composé des investissements dans l’innovation au Canada est de 35 %. Elle a pris moins de risques et obtenu un meilleur rendement en investissant chez elle, et les Israéliens font de même, tout comme les Américains.
En ce qui a trait à votre question sur l’approvisionnement, malheureusement, nous avons appris à nos meilleures entreprises pendant 40 ans à ne pas se donner la peine de vendre au Canada. Le processus est trop long. Vous devez passer par des projets pilotes. Vous n’atteignez jamais vraiment l’étape de la production. Il est plus rapide et facile de consacrer ses ressources pour les ventes et le marketing sur la vente aux États-Unis. Si vous ne changez pas fondamentalement cette culture, vous aurez deux problèmes majeurs : d’abord, 74 % de nos entreprises appartiennent en partie à des intérêts américains, qui détiennent en outre la majorité des actions. Si au moins 90 % de leurs revenus viennent aussi des États-Unis, il devient très difficile de garder ces entreprises ici.
Je vais vous donner un bref exemple. Instacart et Shopify sont deux entreprises fondées au Canada ayant perturbé le marché. Il ne reste rien de canadien chez Instacart, que ce soit le conseil d’administration, la propriété, la direction, rien du tout. Si ce n’était de Tobi Lütke, qui a investi beaucoup d’efforts en disant qu’il voulait bâtir son entreprise ici pour s’assurer une meilleure qualité de vie à lui-même et à sa famille, Shopify ne serait plus canadienne, si l’on considère la propriété et la provenance de ses ventes.
Je pense que, si nous ne réglons pas le problème des approvisionnements en nous assurant qu’au moins 3,2 % des dollars que nous dépensons tous les jours vont à des entreprises canadiennes, il sera difficile de conserver ces entreprises au Canada à long terme.
Le sénateur Gignac : Est-ce parce que le gouvernement fédéral pense, en raison du libre-échange avec les États-Unis, qu’il pourrait s’attirer les foudres de Washington? Si l’on compare cela avec Israël, pourquoi le gouvernement fédéral est-il peu disposé à aller de l’avant avec une politique d’approvisionnement plus robuste pour aider les jeunes pousses?
M. Albinson : Je pense que ce qui manque ici, par rapport à la SBA, l’agence responsable de l’administration des petites entreprises aux États-Unis, c’est cette amélioration de 5 % de la productivité ou des prix qui garantit que les forces du marché puissent s’exercer. C’est une chose d’acheter des produits canadiens, mais c’en est une autre d’acheter les meilleurs. Et c’en est encore une autre de s’assurer qu’ils sont concurrentiels et qu’ils génèrent une amélioration d’au moins 5 % de la productivité ou des prix pour les Canadiens. Il nous manque le cadre législatif s’appliquant aux États-Unis sous l’égide de la SBA et dans le cadre du volet de recherche intitulé Small Business Innovation Research, ou SBIR. Je ne crois pas que nos ententes commerciales nous imposent quelque limite que ce soit. Notre législation serait semblable à celle des États-Unis à l’heure actuelle; alors, pas de souci.
Je pense qu’il y a bien une aversion au risque en général au Canada dans les secteurs public et privé, pour ce qui est d’acheter des solutions novatrices venant d’ici. Malheureusement, cette propension peut s’autoalimenter, et les meilleures entreprises ne se donnent plus la peine de vendre leurs produits au pays. Si vous êtes assez brave pour acheter une solution canadienne, celles qui restent ne sont généralement pas les meilleures. Les meilleures solutions sont vendues au Département de la Sécurité intérieure américaine, le NHS, ou aux réseaux hospitaliers là-bas. Nous devons rompre avec 40 ans de dynamique culturelle négative. Selon moi, il faudra vraiment que le gouvernement fédéral fasse preuve de leadership pour amorcer la pompe en déclarant que nous allons mettre en œuvre des lois identiques à celles qu’on retrouve aux États-Unis. Je pense que 3,2 % des approvisionnements provenant d’ici et qu’au moins 5 % de gains au chapitre de la productivité et des prix contribueraient beaucoup à changer la culture.
La présidente : Voilà une suggestion très précise. Je vous remercie. Cela nous sera utile quand nous produirons notre rapport.
Le sénateur Loffreda : Merci à nos témoins d’être parmi nous.
Même si certains croient qu’il y a eu assez d’investissement dans l’économie canadienne depuis des dizaines d’années, pensez-vous que nous faisons de bons investissements dans la recherche au Canada, mais que nous avons eu plus de mal à rentabiliser cet effort de recherche? Est-ce que c’est ce que vous croyez? Selon vous, comment pourrions-nous inverser cette tendance?
M. Albinson : Voilà une question bien réfléchie, sénateur.
Je dirais que nous nous dirigeons dans la bonne direction. Permettez-moi de le dire sans détour. Je répète que nous avons le deuxième plus grand carrefour d’innovation au monde et qu’il connaît la plus rapide croissance de tous. Par exemple, les trois plus grandes entreprises ayant récolté plus d’un milliard de dollars dans les cinq dernières années ont été fondées par Tobi Lütke, un immigrant venu au Canada depuis l’Allemagne, Marcel Cortez, un immigrant venu du Brésil, et Martin Basiri, un immigrant venu d’Iran. Nous avons vu la même chose se produire dans la Silicon Valley. La moitié des entreprises les plus novatrices ont été fondées par des gens ayant immigré aux États-Unis. Je dirai sans détour que nous sommes chanceux. Pour une raison ou une autre, les États-Unis se sont tirés dans le pied au cours des six dernières années. Notre politique d’immigration est si fantastique; elle a alimenté l’accélération de la mise en marché et de l’investissement.
Toutefois, nous sommes toujours loin derrière Israël et les États-Unis, en ce qui a trait au rythme des investissements par travailleur dans le domaine des technologies, et cela me préoccupe. Le plus préoccupant, c’est que 74 % des actions de nos entreprises connaissant un succès et une croissance mondiales — et nous en avons maintenant un certain nombre — sont désormais détenues par des fonds de pension et de dotation américains, parce qu’ils ont reconnu le potentiel de ces entreprises et ont accéléré leurs investissements au Canada.
Le sénateur Loffreda : Vous avez parlé d’Israël et de votre voyage là-bas. Lorsque je suis moi-même allé en Israël, j’ai visité des établissements postsecondaires qui investissent beaucoup en recherche. Ils reçoivent des dons de la communauté et du milieu des affaires en général. Estimez-vous que les établissements postsecondaires devraient jouer un plus grand rôle dans le développement et la recherche technologiques, ainsi qu’aux fins de la rentabilisation de cette recherche? Comment évaluez-vous leur rendement en ce moment?
M. Albinson : Voilà une excellente question, sénateur Loffreda.
Nous sommes vraiment choyés de pouvoir compter sur des établissements de classe mondiale. En particulier, si vous voyez la question sous l’angle de la Silicon Valley, l’Université de Waterloo est le principal établissement où les sociétés du Nasdaq-100 recrutent leurs employés, en raison de l’alternance travail-études et de la productivité de ces candidats à leur arrivée en poste.
Concernant votre question sur la recherche et votre comparaison avec Israël, voici deux choses auxquelles vous pourriez réfléchir. J’ai pu rencontrer le recteur de l’Université de Tel-Aviv et tout son personnel la semaine dernière, y compris les doyens de toutes les facultés jusqu’aux services d’octroi de licences en matière technologique, et j’ai été estomaqué d’apprendre que la principale mesure qu’examine cette université est la création d’entreprises, et non pas la publication d’articles de recherche ou le nombre de diplômés. Le recteur a été très direct à ce propos. Il a dit que la recherche, c’est fantastique, mais sans retombées pour l’humanité et sans mise en marché, qu’est-ce que ça change? Entendre parler de cette mesure essentielle pour les établissements d’enseignement durant ma visite la semaine dernière m’a fait réfléchir.
La sénatrice Marshall : J’ai été étonnée par votre commentaire sur les Américains qui investissent au Canada, alors que les Canadiens n’investissent pas dans leur propre pays. Puis vous avez dit que nous devions changer de culture. Pourquoi exactement les Canadiens n’investissent-ils pas dans leur pays? Vous avez aussi dit que le gouvernement pourrait peut-être légiférer en matière d’approvisionnement, mais je considère toujours que le gouvernement s’ingère trop dans le milieu des affaires. Il n’est pas un partenaire aidant et volontaire. Que peut faire le gouvernement pour que cesse cette pratique? Voilà peut-être l’incitatif dont ont besoin les Canadiens pour investir dans leur propre pays.
M. Albinson : C’est une question intéressante, sénatrice.
À mon avis, c’est quand on est incité à investir au pays qu’on agit en ce sens. Il fut un temps où nous pensions que la politique industrielle n’avait aucun sens et que cette époque est révolue, mais je pense que nous vivons maintenant dans une époque différente. Si on observe ce qui se passe avec la Caisse de dépôt du Québec, on constate qu’elle est assujettie à une double exigence sur le plan des résultats. Elle doit investir dans l’innovation au Canada, mais également offrir un haut rendement aux pensionnés qu’elle représente. Il est intéressant que depuis que le Canada n’impose plus de telle exigence aux autres régimes de retraite en privilégiant le libre marché dans lequel ils sont libres d’investir où bon leur semble, nous ayons perdu de vue l’occasion qui était sous notre nez. Mais les Américains n’ont pas fait cette erreur, investissant à un rythme décuplé. Approximativement 4 milliards de dollars par année étaient investis dans nos entreprises jusqu’à il y a deux ans environ. L’an dernier, ces investissements ont atteint 17 milliards de dollars, et ici encore, 74 % de cette somme ont été investis par les Américains qui s’apercevaient qu’ils tiraient un meilleur rendement des entreprises canadiennes que des compagnies israéliennes, américaines ou chinoises.
Il faut toutefois être compréhensifs envers nos régimes de retraite. Ce sont d’imposantes entités pour lesquelles il est difficile de changer rapidement. Mais si nous n’exerçons pas un peu de pression sur elles — sans nécessairement aller jusqu’à légiférer — et si nous ne leur signifions pas qu’il est temps d’investir au pays, et que pendant encore une année comme celle de l’an dernier, au cours de laquelle 74 % des actions de nos meilleures compagnies ont été vendues à des régimes de retraite et des fonds de dotation américains, je crains qu’à long terme, quand ces compagnies finiront par offrir la valeur qu’elles sont en voie de créer, cette valeur quitte le pays, et nous n’aurons jamais une économie d’innovation indépendante qui peut être concurrentielle à l’échelle mondiale.
La sénatrice Marshall : Les Canadiens se sont habitués à l’idée que le gouvernement investit des milliards de dollars dans l’innovation, les grappes et d’autres mécanismes, alors que cette stratégie ne semble pas fonctionner. Pensez-vous que les Canadiens ont conclu que le gouvernement investira de l’argent pour qu’ils n’aient pas à le faire et qu’ils peuvent investir leurs deniers dans l’économie américaine? Pensez-vous que ce sera un problème?
M. Albinson : Je ne suis pas certain de voir les choses ainsi, sénatrice. Comme je l’ai indiqué dans mon allocution, quand j’observe la situation, je pense qu’on investit suffisamment de fonds publics dans l’innovation. Cela nous permet d’avoir le deuxième centre d’innovation en importance au monde. De fait, quand j’étais en Israël la semaine dernière, les entrepreneurs craignaient fort qu’Israël ne soit en train de désinvestir dans le secteur de l’intelligence artificielle et considéraient que les investissements du Canada dans la technologie fondamentale qu’est l’intelligence artificielle constituaient une des meilleures stratégies du monde.
En fait, le problème ne vient pas de l’investissement public ou de son ampleur, mais de l’investissement privé. Si les investissements viennent principalement de l’étranger, le fruit des efforts que nous avons déployés dans le cadre de nos excellentes recherches quittera le pays.
La présidente : Je vous remercie. Je veux faire une pause pour voir si M. Sureka a quelque chose à ajouter à la discussion avant que nous poursuivions.
Prateek Sureka, chef de la politique publique et des relations gouvernementales, Communitech : Je vous remercie, madame la présidente. Je vous sais gré de m’offrir l’occasion d’intervenir, mais je pense que M. Albinson fait un excellent travail.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je m’excuse, j’ai manqué le début de votre présentation. Ma question est la suivante : vous parlez d’Israël et des États-Unis; l’Israël est un petit pays et le Canada est un grand pays composé de grandes provinces, comme les États-Unis. Par contre, il y a une similarité entre l’Israël et les États-Unis, soit la défense. Quel est l’impact, selon vous, des dépenses publiques consacrées à la défense nationale sur l’investissement en technologie, dans ces deux pays?
[Traduction]
M. Albinson : C’est une question fort pertinente, sénatrice.
Je pense que c’est un des domaines où nous pourrions aligner les dépenses que nous effectuons aux fins d’approvisionnement. À titre de pourcentage du PIB, les sommes dépensées s’apparentent à celles qu’Israël investit. À l’évidence, les États-Unis procèdent à un autre rythme. Il ne fait aucun doute que les investissements et les approvisionnements effectués dans le domaine de la technologie canadienne pour résoudre les problèmes canadiens, que ce soit en santé ou en défense, constituent la pierre angulaire d’une économie d’innovation vigoureuse.
Sachez que l’Aviation royale canadienne collabore avec Communitech depuis quatre ans. Pendant la pandémie de COVID, j’ai eu le privilège de pouvoir parler aux commandants des bases de Shearwater, sur la côte Est, et de Nanoose, sur la côte Ouest. Il est question d’envoyer des troupes risquer leur vie dans des régions comme la mer de Chine méridionale, mais elles n’ont pas l’équipement dont elles ont besoin pour remplir leur mission. La technologie a considérablement évolué dans le secteur de la défense. Il suffit de regarder les actualités pour voir ce qu’il se passe quotidiennement en Ukraine avec des technologies comme l’intelligence artificielle, la cybertechnologie et les systèmes autonomes. Pour que les Forces armées canadiennes disposent des outils dont elles ont besoin pour défendre le pays, l’industrie de la défense doit absolument collaborer étroitement avec l’immense atout que constitue le deuxième centre d’innovation en importance au monde et tirer pleinement parti de la technologie pour conférer aux militaires les outils dont ils ont besoin.
La sénatrice Bellemare : Jugez-vous que les accords de libre-échange que nous avons conclus avec les États-Unis et d’autres pays nuisent à l’accroissement des approvisionnements?
M. Albinson : Non. En fait, je pense que c’est le contraire, sénatrice. Le Canada est le seul pays à avoir des accords de libre-échange avec tous les pays du G7. Les discussions ont été intéressantes avec les fondateurs israéliens la semaine dernière. Depuis plus de 25 ans, il existe une connexion entre Tel-Aviv et Silicon Valley, où les fondateurs israéliens envisageaient d’ouvrir des bureaux qui seraient leurs deuxièmes sièges sociaux naturels. La politique d’immigration des États-Unis les en a empêchés. Les fondateurs israéliens envisagent sérieusement la possibilité de venir au Canada pour édifier leurs entreprises internationales, jugeant qu’il s’agit d’un tremplin naturel. Leur logique s’appuie notamment sur le fait que le Canada a pu conclure des accords de libre-échange avec tous les pays du G7.
La sénatrice Bellemare : Je vous remercie.
Le sénateur Smith : Monsieur Albinson, vous avez fait remarquer que le Canada pourrait être en position idéale pour réussir à Silicon Valley en raison de son ouverture à l’immigration et au talent. Je conviens avec vous que le Canada se montre très accueillant envers les immigrants. Je ferais toutefois remarquer qu’il n’est pas aussi ouvert quand vient le temps de reconnaître l’éducation et les titres de compétences étrangers. Je suis certain que nous avons tous entendu parler d’ingénieurs qui conduisent des taxis ou de scientifiques qui travaillent dans des restaurants. Considérez-vous que cette situation ait des répercussions négatives sur les industries technologies du Canada? Existe-t-il des solutions qui permettraient de combler les manques dans le secteur de la technologie?
M. Albinson : Que voilà une question pertinente, sénateur.
Je suis entièrement d’accord avec vous. Nous avons fait l’effort d’accueillir quelque 500 000 nouveaux Canadiens au pays depuis 12 mois, la moitié d’entre eux possédant des diplômes en sciences, en technologie, en ingénierie et en mathématiques. Comment pouvons-nous les intégrer à notre économie d’innovation avec le moins de heurts possible? Malheureusement — et ce n’est pas nécessairement une question de politiques —, certaines associations professionnelles font essentiellement en sorte que les choses n’avancent pas aussi rapidement qu’elles le devraient. Je peux vous dire qu’il y a aujourd’hui 8 000 postes à pourvoir dans de jeunes entreprises des quatre coins du pays. Ce ne sont donc pas les besoins qui manquent. Il est impératif d’accorder aux immigrants les accréditations dont ils ont besoin et de les intégrer plus rapidement à l’économie.
À dire vrai, les 105 000 travailleurs du secteur de la technologie titulaires de visas H-1B qui ont été mis à pied aux États-Unis constituent la plus formidable manne qui se soit offerte au Canada depuis la rétrocession de Hong Kong en 1997. Ces travailleurs ont été formés aux États-Unis, possèdent des visas américains et, dans certains cas, ont travaillé dans l’industrie de la technologie des États-Unis pendant 5 ou 10 ans, et voilà qu’on leur annonce qu’ils disposent de 30 à 90 jours pour trouver un autre emploi, sinon ils seront obligés de retourner dans leur pays d’origine. Si le Canada allait chercher ces personnes de talent instruites, compétentes et performantes, il pourrait bénéficier de sa plus extraordinaire occasion économique depuis la rétrocession de Hong Kong en 1997.
Le sénateur Smith : Si comme par magie, vous pouviez faire apparaître un plan d’action, quel serait-il?
M. Albinson : Les outils sont devant nous. J’encenserai ici une autre grande entreprise canadienne, Open Text, sise à Waterloo, qui est maintenant la septième entreprise de logiciels en importance sur la planète. Open Text assure la transmission de données pour tout ce qui concerne l’immigration aux États-Unis et au Canada. Il existe déjà des protocoles entre les deux pays pour nous permettre de comprendre les titres de compétences quand les gens passent du Nord au Sud et du Sud au Nord. Il suffit de dire que si les gens ont un visa H-1B, ils peuvent rapidement obtenir la résidence permanente au Canada. Nous pourrions ainsi modifier à nous seuls le vecteur économique du pays.
Le sénateur Smith : Je vous remercie beaucoup.
La présidente : C’est une observation intéressante.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de comparaître aujourd’hui.
Je veux revenir à la question de l’investissement des régimes de retraite dans les jeunes entreprises canadiennes. Les régimes de retraite sont manifestement bien garnis, mais vous avez indiqué qu’ils n’investissent pas suffisamment dans les jeunes pousses du Canada. Je suppose qu’il faut en discuter avec de nombreux titulaires de régimes de pension et, surtout, avec les travailleurs dont l’argent est conservé dans les régimes des entreprises et à qui en revient la plus grande part.
C’est une chose que de parler au directeur général d’une entreprise de gestion de régimes de retraite, mais si on ne consulte pas les travailleurs, on n’est pas très avancés s’ils ne font pas confiance aux gestionnaires pour renforcer la capacité et investir leur argent, car au bout du compte, c’est leur retraite qui en dépend. Les travailleurs sont très patriotiques au Canada. Ils vivent et travaillent ici. Ils veulent s’assurer de pouvoir bénéficier d’une retraite et que leurs petits-enfants aient des emplois ici. Ils comprennent donc l’importance d’investir ici. De quoi discute-t-on et ne discute-t-on pas pour tenter de combler les lacunes qui posent un problème actuellement?
M. Albinson : Sénateur, c’est une excellente question. Comme nous sommes tous titulaires du Régime de pensions du Canada, nous sommes tous des pensionnés potentiels.
Je répondrais brièvement que nous ne discutons pas assez de la question. Il y a quelques décennies, il a été décidé d’autoriser les régimes de retraite à investir sans limites géographiques. À titre d’observateur neutre et de pensionné potentiel, qu’est-ce que je pense des centaines de millions perdus dans des transactions en cryptomonnaies aux États-Unis? Cet argent aurait pu être investi dans des entreprises moins risquées qui auraient offert un meilleur rendement au Canada.
Les gestionnaires de régimes de retraite avaient l’impression qu’avec des restrictions géographiques, ils ne pouvaient obtenir le rendement nécessaire pour offrir aux pensionnés la retraite confortable qu’ils méritent et pour laquelle ils ont travaillé fort. Je pense que les données montrent sans contredit que c’est un faux choix. La Caisse de dépôt affiche le meilleur rendement parmi les régimes de retraite du Canada, ses investissements ayant un rendement annuel de 35 %, et les fonds sont investis au pays. En outre, la caisse court moins de risque en investissant à proximité au lieu de le faire en Chine ou dans d’autres pays. Je dirais donc que c’est une fausse idée de penser qu’investir au Canada est une mauvaise décision économique, car les données indiquent nettement que c’est le contraire.
Je suis entièrement d’accord avec votre affirmation initiale. Pourquoi à peine 2 % des 16,4 milliards de dollars investis par les régimes de retraite dans le capital de risque ont-ils été investis ici? Quels genres de risques prend-on à investir ailleurs?
Le sénateur Yussuff : C’est également crucial dans le contexte de la structure de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada. J’étais sceptique quand cette nouvelle structure a été établie, mais force m’est d’admettre qu’elle offre un excellent rendement à ceux qui en dépendent pour recevoir leurs prestations. Cela étant dit, rien ne nous empêche de réévaluer une décision stratégique qui pourrait mieux correspondre aux besoins et aux défis du pays en matière d’investissement. Je vous encouragerais simplement. C’était une décision stratégique du gouvernement, et ce pourrait également être une décision stratégique qui pourrait légèrement modifier la situation afin qu’un important capital de risque soit disponible pour que vous et d’autres gestionnaires puissiez faire votre travail et aider les entreprises canadiennes à prendre leur envol.
M. Albinson : Je vous remercie, sénateur.
Le sénateur Woo : Je remercie nos témoins.
Vous avez fait référence à la Corporation d’innovation du Canada, ou CIC. Vous avez peut-être eu l’occasion d’en voir le plan directeur, qui a été publié récemment. Qu’en pensez-vous? Est-ce un bon plan? Que voudriez-vous qu’on y ajoute? Quels sont vos espoirs à l’égard de la CIC?
M. Albinson : Comme j’y ai fait allusion précédemment, l’investissement public et son ampleur me semblent assez appropriés si on les compare aux modèles des États-Unis et d’Israël. Cela étant dit, il est toujours possible de faire mieux. En créant la CIC, on admet du même coup qu’il faut améliorer l’efficacité et l’orientation.
Je ferais d’abord référence à une Canadienne dont nous devrions tous être extrêmement fiers; j’ai nommé Cathy Priestner. Pour ceux qui ne la connaissent pas, il s’agit de l’architecte du programme « À nous le podium ». Quand elle a créé ce programme en 2006, elle s’est fait dire qu’elle se montrait un tantinet ambitieuse et qu’elle dérogeait de la tradition canadienne. Or, il faut modifier fondamentalement la manière dont nous fixons nos objectifs. Pour ceux d’entre nous qui sont assez vieux pour s’en souvenir — et je ne rends pas justice à son travail —, elle a dit que pour être les meilleurs au monde, on ne peut pas se fier à ParticipACTION. Il faut utiliser des données objectives pour cibler les ressources vers les personnes dont la réussite est probable et non possible. Depuis 13 ans, le programme « À nous le podium » est une source de grande fierté, non seulement en raison de notre succès lors des Jeux olympiques de Vancouver, mais aussi en vue des prochains jeux.
Le défi est le même dans l’économie de l’innovation au Canada. On ne peut pas tout faire pour tout le monde. Comme Mme Priestner l’a indiqué, chaque ville du pays ne peut pas avoir un anneau de glace de calibre mondial. Il faut réunir nos meilleurs éléments; utiliser des centres à haut rendement; disposer des meilleurs entraîneurs du monde, pas des meilleurs entraîneurs du Canada; et avoir les meilleures installations du monde et non les meilleures installations du Canada, si on veut être les meilleurs au monde.
J’espère que la CIC adoptera une approche fondée sur le mérite afin de cibler les ressources là où le succès est probable. Ce n’est qu’ainsi que le pays pourra enfin concurrencer des pays comme Israël, la Chine et les États-Unis au chapitre de l’innovation.
Le sénateur Woo : Je ne pense pas que vous ayez fait référence au point le plus couramment soulevé dans le débat sur l’innovation, soit les sempiternelles réductions d’impôt, que certains semblent voir comme une solution miracle. Considérez-vous que c’en soit une? Où se classe-t-elle dans l’éventail d’initiatives que vous recommanderiez de mettre en œuvre pour favoriser l’innovation au Canada?
M. Albinson : Sénateur, vous aurez probablement compris, d’après mes propos, qu’elle ne figure pas parmi les trois premières solutions. Si on compare le régime fiscal du Canada à celui de la Caroline du Nord, de New York ou même d’Israël, il est assez comparable à maints égards.
Je pense que nous peinons à attirer le talent étranger après le seuil de cinq ans, puisque nous encourageons essentiellement les éléments les plus talentueux qui bâtissent des entreprises à quitter le Canada après ce délai. Certaines parties du régime fiscal d’Israël encouragent l’investissement de capital de risque peut-être un peu mieux que le nôtre, mais je ne pense pas que ce soit une solution miracle. C’est la réponse courte. Ce n’est pas le domaine où le défi est le plus grand. En comparaison, l’approvisionnement et l’investissement institutionnels constituent des problèmes bien plus substantiels.
La présidente : Je voudrais revenir sur une phrase que vous avez utilisée. Nous sommes nombreux dans cette salle à siéger au comité depuis un certain temps, et nous avons réexaminé ces questions à maintes reprises, en particulier dans le contexte de ce que vous venez de dire au sujet de l’initiative « À nous le podium », à savoir que personne ne remporte de trophée simplement pour avoir participé. Nous devons en fait viser le meilleur candidat qui soit, et pas seulement le meilleur Canadien ou la meilleure femme, ou quoi que ce soit d’autre.
En ce qui concerne l’aversion pour le risque que vous avez mentionnée, veuillez la définir, si possible, ainsi que la façon dont nous devons nous y attaquer, selon vous.
M. Albinson : L’aversion pour le risque se manifeste dans trois domaines différents.
En ce qui concerne les talents, nous faisons du bon travail. Objectivement, si l’on se réfère à l’OCDE, nous recherchons, de manière assez agressive, les meilleurs talents du monde, et nous les faisons venir au Canada à un rythme assez rapide. D’après ce que j’ai compris, l’immigration nette au Canada n’a jamais été aussi élevée depuis 1914. Nous prenons de vrais risques pour attirer les meilleurs cerveaux du monde. Ce sera un grand avantage pour nous, car les États-Unis ont fermé la porte aux talents depuis maintenant six ans. Il faut donc applaudir ces initiatives.
En ce qui concerne les capitaux, pour une raison ou une autre, nous avons l’impression — et c’est peut-être, comme dirait ma grand-mère, le syndrome des enfants mal chaussés du cordonnier — qu’il est impossible d’investir chez nous et d’obtenir de bons rendements, que nous devons monter à bord d’un avion et aller en Chine ou dans d’autres lieux du monde entier pour investir. Si nous utilisons des données objectives — et nous disposons de ces données —, nous devons crier l’information suivante sur tous les toits. Le Canada affiche aujourd’hui de meilleurs rendements en matière de capital-risque que les États-Unis. Malheureusement, les Américains l’ont déjà compris, alors que nous ne l’avons toujours pas compris ici.
La présidente : C’est ce que j’essaie de comprendre, si vous le voulez bien. Qui devrait crier cette nouvelle sur les toits? Ce n’est pas comme si nous ne savions pas que c’est le cas.
M. Albinson : En fait, sénatrice, je dirais que cette information n’est pas bien connue. Lorsque je parle aux banques canadiennes ou aux caisses de retraite canadiennes — et j’ai déjeuné avec l’une d’entre elles aujourd’hui —, je constate qu’elles ne sont pas au courant du fait que la croissance des jeunes entreprises canadiennes a dépassé celle de leurs homologues américaines pendant cinq trimestres consécutifs. C’est ce que montrent les données de la Silicon Valley Bank. En ce qui concerne nos régimes de retraite, en raison de leur taille et de la diversification de leurs actifs, ce n’est pas nécessairement les actifs qu’elles connaissent le mieux ou sur lesquels elles se concentrent. Je pense qu’il faut sensibiliser les gens à l’importance de cette catégorie d’actifs et au fait qu’au moins 50 % de ces actifs devraient être détenus par des Canadiens.
La présidente : Je sais que vous vouliez faire valoir un troisième point.
M. Albinson : Le dernier point portait sur l’approvisionnement. J’y ai fait allusion plus tôt dans la conversation, sénatrice.
La présidente : Je vous remercie.
Le sénateur C. Deacon : Je remercie les témoins de leur participation. Il est vraiment phénoménal d’entendre parler de ces différentes données. Si vous avez des documents de référence et des références à des données, veuillez les faire parvenir à la greffière. Ils nous seraient utiles.
Je voudrais m’attarder un peu plus sur l’approvisionnement, monsieur Albinson, parce qu’il semble que nos processus d’approvisionnement, du moins à Ottawa, tentent de réduire les risques d’une manière qui finit par en créer de nouveaux. La technologie n’est pas une joie dans cette ville. Elle n’est pas perçue comme une source de réussite. Comment pouvons-nous commencer à transformer nos problèmes sociaux et nos difficultés publiques en de grands débouchés technologiques à l’échelle mondiale? C’est ainsi que je vois ces problèmes. Le Canada n’est pas le seul pays du monde à faire face à ces problèmes, mais notre gouvernement n’est pas innovant. Nous ne relevons pas nos défis de manière innovante. Je vous prie donc de nous expliquer un peu plus en détail comment nous pourrions renforcer nos recommandations à cet égard.
M. Albinson : Si je peux me permettre, sénateur, j’aborderai cette question de deux angles.
Le premier est d’ordre politique. Il existe un modèle éprouvé que les États-Unis ont intégré dans leurs lois il y a 40 ans, dans le cadre des programmes de la SBA et du programme SBIR, et qui consiste à attribuer un certain montant des approvisionnements aux petites et moyennes entreprises. Dans notre cas, il est essentiel de préciser qu’au Centre canadien pour la mission de l’entreprise, ces fonds sont réservés uniquement aux sociétés privées sous contrôle canadien. Il est également essentiel que, du point de vue des dollars dépensés, l’offre présente une amélioration de 5 % en matière de productivité ou de prix. C’est ce que prévoit la loi américaine. Cela permet de s’affranchir des problèmes liés à l’éventuel transfert de fonds à des amis ou à l’absence d’appels d’offres concurrentiels et équitables. La loi américaine présente un cadre efficace et clair. Elle nous permet d’harmoniser nos activités du point de vue du libre-échange.
Le deuxième problème est un problème que nous nous employons à résoudre, et c’est un problème difficile à résoudre. Pendant 40 ans, nous avons appris à nos meilleures entreprises à ne pas vendre leurs produits au Canada, et pendant 40 ans, nous avons dit aux personnes qui prenaient des décisions d’achat qu’il valait mieux faire affaire avec une multinationale comme IBM plutôt qu’avec une entreprise canadienne, car ces décisions étaient moins risquées. Pour modifier cet état de choses, je pense que nous devons trouver un moyen d’amorcer la pompe. Prenons l’exemple d’Israël ou des États-Unis, dont le marché est en plein essor. Il faut distinguer les grands problèmes, déterminer si une solution canadienne existe et, le cas échéant, aider l’entreprise à la mettre en production — pas à mettre en œuvre un projet pilote, mais à mettre sa production en œuvre.
Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le secteur de la santé, et nous avons distingué 27 hôpitaux d’un océan à l’autre qui dépensent environ 40 milliards de dollars par an et qui sont déterminés à introduire l’innovation dans le système de santé, non pas sous forme de projets pilotes, mais dans les systèmes de production, afin d’améliorer les résultats en matière de santé pour les Canadiens. De notre côté, nous avons essentiellement consulté les 9 900 entreprises en démarrage pour trouver celles qui non seulement répondaient aux besoins, mais qui étaient également prêtes à passer à la phase de production. Il y a 12 mois, j’étais assis devant notre immeuble avec le président de l’hôpital Grand River, et il m’a expliqué toutes les raisons pour lesquelles il ne pouvait pas acheter l’innovation canadienne. J’ai agi comme l’enfant de trois ans le plus ennuyeux qu’il ait jamais rencontré, car je lui disais : « Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? ». Mesdames et messieurs les sénateurs, j’ai le plaisir de vous annoncer que les produits KA Imaging, Signal 1 et Axonify sont installés à l’hôpital Grand River, que les produits PointClickCare et Voice sont maintenant installés. Nous pouvons promouvoir l’innovation canadienne.
Mais pour en revenir à la remarque antérieure de la sénatrice, il faut adopter une approche du genre « À nous le podium ». Nous devons distinguer nos meilleurs éléments et les soutenir du point de vue de l’investissement, de l’approvisionnement et de l’accès aux talents.
Le sénateur Gignac : Je tiens à remercier une nouvelle fois nos invités. Nous avons appris beaucoup de choses aujourd’hui. Le cœur de notre mandat consiste à comprendre pourquoi le Canada a un moins bon rendement que d’autres pays en matière d’investissements de capitaux et d’innovation.
J’ai eu affaire à la Caisse de dépôt et, en tant qu’ancien ministre, j’ai composé avec des politiques. Nous devons choisir notre bataille en ce moment. Bien sûr, nous pouvons pousser le RPC à investir au Canada et modifier son mandat pour qu’il ait un double mandat comme la Caisse de dépôt. Certains régimes de retraite pourraient être restreints par une telle politique. Je sais que la Caisse de dépôt investit beaucoup au Canada, mais un grand nombre d’autres fonds de pension publics canadiens investissent davantage en Chine qu’au Canada. J’en ai assez de cette situation, car les gens parlent d’empreinte carbone, mais jamais d’empreinte démocratique. Je pense que c’est maintenant une question que nous devons soulever. En tant que travailleur canadien, consentez-vous à ce que votre argent soit utilisé pour stimuler ou soutenir le développement économique de la Chine ou d’autres pays non démocratiques?
Ma question est la suivante : êtes-vous satisfait de l’information communiquée par les fonds de pension publics au sujet de leurs investissements? Lorsque je vérifie leur rapport, ils mentionnent que tel ou tel pourcentage de leurs actifs se trouvent en Asie. Si vous investissez en Inde, il s’agit d’un pays démocratique. Si vous investissez en Chine, ce n’est pas le cas. J’ai entendu des témoins citer des statistiques aujourd’hui, et c’est la première fois que j’entends parler de ces statistiques. Ce n’est pas normal. En tant qu’économiste, je pense que je suis les statistiques de très près, mais c’est la première fois que j’entends parler de telles statistiques. Suggérez-vous de demander davantage de renseignements sur les fonds de pension publics dans le cadre de la publication de leurs rapports annuels?
M. Albinson : Sénateur, je vais réagir d’abord à votre premier argument.
En me fondant sur un examen objectif des données, je pense qu’il est en fait essentiel d’adopter une approche à double mandat pour avoir une économie de l’innovation de classe mondiale. Même dans l’un des marchés les plus concurrentiels du monde — et j’ai travaillé dans la Silicon Valley pendant 20 ans —, les fonds de pension californiens ont le double mandat d’investir et de lancer des sociétés de capital-risque pour qu’elles investissent en Californie. C’est également le cas dans les États du New Jersey et de New York. Là encore, si vous examinez notre propre situation en fonction des données de la Caisse de dépôt, vous constaterez que la caisse obtient un meilleur taux de rendement avec son double mandat que les fonds de pension qui ont eu libre accès à l’investissement mondial. Je dirais que la plupart des responsables de nos fonds de pension essaient de réévaluer les investissements qu’ils ont faits en Chine au cours des 20 dernières années, étant donné qu’ils estiment qu’il ne s’agit probablement pas des meilleures décisions qu’ils ont prises en matière d’investissement.
Je pense que la communication de renseignements sur les fonds de pension publics et privés est essentielle. Je crois que, depuis le 24 février de l’année dernière, nous comprenons tous que le monde a changé. Le fait d’investir dans les entreprises de nos amis, dans des pays démocratiques sûrs où la primauté du droit importe, réduit aussi franchement les risques d’investissement. Il est logique d’investir dans des pays démocratiques non seulement du point de vue de l’éthique en matière d’investissement, mais aussi du point de vue de la réduction des risques liée à des investissements dans des pays où la primauté du droit et la démocratie sont importantes.
La présidente : Sénateur Yussuff, vous avez à peu près une minute et demie pour poser votre question et obtenir une réponse.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de partager l’étendue de vos connaissances avec le comité. Il semble que nous redécouvrions qu’une politique industrielle est une chose souhaitable, compte tenu des résultats que nous voulons que le Canada obtienne à l’avenir. Bien sûr, une grande partie de ce qui a été dit dans le dernier budget, de ce qui se passe aux États-Unis et de ce qui est susceptible de se passer dans les prochains budgets conduira à cela d’une manière fondamentale, car on reconnaîtra les emplois et, bien sûr, l’assiette fiscale qu’une telle politique fournira. À votre avis, compte tenu de ce nouveau penchant pour la stratégie industrielle, quelle mesure serait appropriée en ce moment, mais également bénéfique pour le pays, en reconnaissant qu’au moins à l’échelle nationale, on estime désormais que cette stratégie est un élément fondamental de notre avenir?
M. Albinson : Sénateur, je ne sais pas si je peux répondre à cette question dans le temps qui vous est imparti, mais je ferai de mon mieux. Pour avoir une économie de l’innovation, trois éléments sont essentiels. En ce qui concerne les talents, nous faisons un excellent travail en matière de politiques et d’exécution. En ce qui concerne l’approvisionnement, nous devons simplement nous aligner sur les États-Unis. C’est aussi simple que cela. Leur politique a fonctionné. Leur politique industrielle est en place depuis 40 ans, et nous devons l’égaler. En ce qui concerne les capitaux, nous devons faire en sorte qu’environ 50 % des sommes investies soient domiciliées au Canada, de sorte que lorsque le secteur public investit dans l’innovation pour créer cette recherche qui permettra à ces entreprises de démarrer, le Canada détienne en fin de compte au moins 50 % de la valeur de ces entreprises. À l’heure actuelle, les fonds de pension et les fonds de dotation américains détiennent 74 % de ces entreprises, ce qui me préoccupe grandement.
La présidente : Je remercie infiniment nos témoins, M. Chris Albinson, chef de la direction de Communitech, et Prateek Sureka, chef de la politique publique et des relations gouvernementales de Communitech. Nous vous sommes reconnaissants des données, des idées et de certaines des suggestions que vous nous avez présentées. Comme l’a dit le sénateur Deacon, si vous disposez d’autres documents contenant des statistiques, n’hésitez pas à nous les transmettre. Cela aidera les analystes à rédiger le rapport. Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré aujourd’hui.
Nous accueillons maintenant le deuxième groupe d’experts pour poursuivre notre discussion sur l’état des investissements des entreprises au Canada. Nous recevons notamment Benjamin Bergen, président du Conseil canadien des innovateurs ou CCI, et David Helliwell, cofondateur et président du conseil d’administration de Thrive Health et membre du CCI. Nous commencerons par entendre la déclaration préliminaire de M. Bergen, qui sera suivie de celle de M. Helliwell. Monsieur Bergen, vous avez la parole.
Benjamin Bergen, président, Conseil canadien des innovateurs : Bonsoir, madame la présidente. Bonsoir, monsieur le vice-président. Bonsoir, chers membres du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je vous remercie de me donner l’occasion de faire un exposé aujourd’hui au sujet de l’étude des investissements des entreprises au Canada.
Le CCI est un conseil national qui représente 150 des entreprises connaissant la croissance la plus rapide au Canada, dont le siège social est établi au Canada. Nos membres emploient plus de 52 000 personnes partout au pays, et ils sont des chefs de file du marché dans les secteurs de la santé, de l’énergie propre, des semi-conducteurs, de la finance, de la cybersécurité, de l’intelligence artificielle et de bien d’autres secteurs encore.
La vérité dérangeante, c’est que lorsqu’il s’agit de saisir les occasions de l’économie intangible du XXIe siècle, le Canada est sur la touche, et ce depuis des décennies. En 2020, plus de 91 % de la valeur de l’indice S&P 500 provenait d’actifs incorporels. Les algorithmes, les brevets, les données et les autres actifs incorporels ne feront que gagner en importance pendant que les effets de la COVID continuent d’entraîner une vague de numérisation. Alors que le Canada se tourne vers l’économie postpandémique de demain, la propriété intellectuelle canadienne et son accélération seront essentielles pour inverser la tendance à la baisse de la création de richesse au Canada.
En 2010, le PIB par habitant du Canada était à peu près identique à celui des États-Unis. Aujourd’hui, nous voyons le PIB par habitant des États-Unis augmenter et le nôtre stagner, dans le meilleur des cas. Cette situation est due, en partie, au fossé qui s’est creusé entre les recettes du Canada liées à la propriété intellectuelle, qui génèrent de la richesse, et nos paiements liés à la propriété intellectuelle, qui réduisent notre richesse au profit d’autres pays. Nous observons un net écart entre la création de richesse du Canada et celle de nos partenaires économiques les plus proches, ce qui fait que les Canadiens sont moins riches qu’ils ne l’étaient il y a 10 ans.
En outre, depuis 1976, les rendements du Canada en matière de productivité sont les plus faibles de tous les pays de l’OCDE, ce qui se traduit par une stagnation des salaires réels. Malheureusement, cette tendance ne semble pas près de s’inverser. En fait, l’OCDE prévoit que l’économie canadienne sera l’économie avancée ayant le pire rendement au cours de la prochaine décennie. Malheureusement, cette situation a rendu plus difficile la gestion des perturbations liées aux chaînes d’approvisionnement, de l’inflation record et de l’augmentation du coût de la vie pour les Canadiens. J’aimerais revenir brièvement sur certaines des raisons qui expliquent cette situation.
L’essor des technologies nouvelles et transformatrices a créé une nouvelle économie fondée sur la connaissance, une économie intangible, dans laquelle la richesse et le pouvoir découlent du contrôle des données et de la détention d’un droit de propriété intellectuelle de grande valeur. Ce type d’économie contraste fortement avec l’économie industrielle fondée sur la production ou avec l’économie des biens corporels sur laquelle les politiques économiques du Canada reposent.
Dans le cadre de la compétition mondiale pour la propriété intellectuelle, qui est aujourd’hui la source d’une richesse perpétuelle, le Canada vise à créer, mais non à protéger ces actifs et les avantages qu’ils apportent à notre économie. Bien que nous ayons observé une évolution positive de notre propre régime de propriété intellectuelle, comme la création du Collectif d’actifs en innovation, d’autres mises à jour sont nécessaires, comme un système réservé au coffre de brevets et d’autres secteurs imaginatifs du monde de la conservation de la propriété intellectuelle.
De même, le Canada doit réévaluer son approche désuète en matière d’investissements étrangers et mettre en place un système d’investissement de portefeuille étranger qui tient compte des réalités de l’économie intangible. Notre approche actuelle, qui consiste à utiliser l’investissement étranger direct, ou IED, comme stratégie d’implantation de filiales, n’est pas adaptée à une économie moderne fondée sur l’innovation. Notre pays a besoin d’une politique d’IED plus stratégique qui protège les développements technologiques cruciaux réalisés par des entreprises et des recherches canadiennes financées avec l’argent des contribuables. Cela garantira que les avantages des investissements étrangers en matière de richesse et de sécurité se concrétisent au profit de l’économie canadienne.
D’autres problèmes récurrents pour les entreprises canadiennes sont liés à la difficulté de se retrouver dans notre système d’approvisionnement impénétrable. L’approvisionnement est l’outil de développement économique le plus puissant dont dispose le gouvernement. S’il est utilisé de manière stratégique, il peut non seulement répondre aux besoins du secteur public en fournissant des solutions uniques, mais aussi stimuler des secteurs clés et aider le pays à atteindre une croissance économique durable. Jusqu’à maintenant, le Canada a abordé l’approvisionnement relatif à des infrastructures numériques de la même manière que l’approvisionnement relatif à des infrastructures traditionnelles, en présentant la transformation numérique sous la forme de grands projets omnibus liés à un contrat unique. Malheureusement, cette approche ne tient pas compte de la façon dont les logiciels modernes sont développés, et elle a pour effet d’encourager les entreprises les plus innovantes du Canada à vendre leurs produits et services dans d’autres pays où elles rencontrent moins d’obstacles.
De même, l’absence de stratégie nationale en matière de données constitue un obstacle supplémentaire pour les entreprises technologiques canadiennes. Les données sous-tendent tous les aspects de notre vie et ont une incidence sur notre économie, notre sécurité nationale, notre santé, notre démocratie et notre vie privée. Les effets des données sont complexes et interreliés. Le Canada doit rattraper ses pairs en élaborant une stratégie globale en matière de données qui vise à garantir que les Canadiens possèdent et contrôlent leurs propres données et que celles-ci deviennent une source de prospérité pour le pays.
Si nous espérons laisser à la génération suivante une économie plus forte que celle dont nous avons hérité, nous devons tracer une nouvelle voie. Si nous espérons générer la richesse nécessaire pour financer les programmes sociaux dont nous voulons tous bénéficier et que nous méritons tous, nous devons créer les conditions économiques pour y parvenir. Si nous espérons accroître la productivité et voir nos entreprises les plus prometteuses se développer à l’échelle mondiale, nous devons commencer à faire les choses différemment.
Le Canada doit rapidement rattraper ses concurrents mondiaux et adopter une politique publique qui reconnaisse l’économie intangible, encourage l’investissement dans les dépenses des entreprises...
La présidente : Je vais vous demander de bien vouloir conclure votre déclaration.
M. Bergen : Certainement. À cette fin, j’aimerais demander à M. Helliwell de vous faire part de son expérience d’entrepreneur, afin que vous en sachiez davantage sur les réalités de la création et de la croissance d’une entreprise technologique au Canada.
David Helliwell, cofondateur et président du conseil d’administration de Thrive Health, à titre personnel : Merci, monsieur Bergen. Bonjour, madame la présidente. Bonjour, monsieur le vice-président. Bonjour, chers membres du comité permanent. Je vous remercie beaucoup d’écouter ce que nous avons à dire.
Je suis originaire de Colombie-Britannique et j’ai vécu et travaillé à l’étranger pendant une dizaine d’années. J’ai créé deux entreprises technologiques à forte croissance, toutes deux à Vancouver, et toutes deux axées sur une mission. La première était liée à une technologie propre, et celle-ci est liée à une technologie de la santé. Thrive Health a été reconnue comme l’entreprise numéro un à suivre au classement Technologie Fast 500 de Deloitte, pour avoir été l’entreprise technologique connaissant la croissance la plus rapide au Canada au cours des trois années menant à 2021. La dernière entreprise a été vendue à une société cotée au Nasdaq, où j’ai occupé un poste de direction pendant une année après la transition.
Avant d’être un entrepreneur dans le secteur des technologies, j’étais géophysicien. J’ai travaillé dans l’industrie pétrolière et gazière et dans l’industrie minière en tant que géophysicien prospecteur pour de grandes sociétés comme Amoco ou de très petites entreprises contractantes. J’ai été pendant quelques années directeur des politiques auprès d’un ministre à Ottawa, et j’ai donc vu de nombreuses situations où l’innovation a fonctionné ou n’a pas fonctionné. Je siège au conseil d’administration du Programme d’aide à la recherche industrielle, ou PARI, depuis deux ou trois ans. Je siège actuellement au conseil d’administration de Life Sciences British Columbia.
Je vais vous parler pendant quelques minutes de mon expérience de la création d’entreprises technologiques. J’ai également travaillé avec le PARI en tant que client — supergrappe, MITACS et autres catégories. Ce que les entreprises en démarrage peuvent faire pour le pays est tout à fait extraordinaire. Individuellement, elles contribuent beaucoup à la recherche et au développement. Une entreprise en démarrage typique investit près de 50 % de ses dépenses totales dans la recherche et le développement. En comparaison, l’économie canadienne dans son ensemble n’y consacre que moins de 2 %.
Comme nous l’avons entendu dire au cours de la dernière séance, le Canada dispose de matières premières vraiment étonnantes, grâce à ses habitants, à la recherche et à la gouvernance du pays dans son ensemble. Il est très important d’avoir une société où les gens peuvent se faire confiance et où les contrats ont un sens.
Au cours de ma déclaration préliminaire, la principale chose dont je voudrais parler concerne l’approvisionnement. De toute évidence, c’est un sujet dont on a beaucoup parlé. J’aimerais mettre en contexte la transformation que peut entraîner un contrat de 10 ou 20 millions de dollars pour une entreprise technologique canadienne en plein essor, comparativement à l’incidence qu’il aura sur une multinationale qui rapporte des milliards de dollars du monde entier. Il ne faut pas beaucoup de contrats de ce type pour devenir l’une des entreprises technologiques les plus florissantes du pays, et les responsables de l’approvisionnement du gouvernement et du secteur de la santé ont le pouvoir de conclure davantage de contrats de ce type.
Je vais vous donner un bref exemple lié à Thrive Health qui a eu lieu pendant la pandémie de COVID-19. Le gouvernement de la Colombie-Britannique nous a demandé de créer l’application COVID de la Colombie-Britannique et, peu de temps après, Santé Canada nous a demandé de créer l’application Alerte COVID pour le Canada. Il s’agissait de contrats gouvernementaux à exécution rapide qui nous ont permis de conclure très rapidement d’autres contrats avec un grand nombre des plus grands acteurs du monde des affaires au Canada et, en réalité, le gouvernement a ouvert la voie à des activités plus importantes.
Nous avons des chefs de file comme le CHEO d’Ottawa et l’hôpital St. Paul de Vancouver. Lorsqu’on parle d’innovation dans le système de santé, il y a vraiment des endroits partout au pays — et je suis sûr que nous entendrons parler d’autres chefs de file — qui prennent ces mesures pour faire avancer l’innovation, améliorer leur productivité, réduire leurs coûts et soutenir les entreprises canadiennes. Ce n’est pas comme si les entreprises canadiennes avaient besoin d’un coup de pouce; elles ont simplement besoin de règles du jeu équitables pour entrer dans la partie.
La présidente : Je vous remercie beaucoup. Ce sont là d’excellentes observations préliminaires. Nous allons passer directement aux séries de questions, en commençant par donner la parole à notre vice-président.
Le sénateur C. Deacon : Je remercie nos témoins.
J’aimerais vous poser une question, monsieur Helliwell. Je vais me concentrer sur l’approvisionnement et sur la manière dont nous soutenons les jeunes entreprises. Je pense que l’on consacre des efforts et des fonds à la communauté des jeunes entreprises au lieu de se concentrer sur des opportunités précises, plus particulièrement sur le potentiel au niveau mondial. Je pense au livre de Dan Breznitz, qui donne une définition de l’invention qui diffère de celle de l’innovation. Le Canada dispose d’un bon moteur d’invention, mais nous ne concrétisons pas ces opportunités. Le secteur des soins de santé est un domaine clé qui témoigne de cette réalité. Nous disposons de certains des meilleurs chercheurs en santé, fournisseurs de soins de santé et écoles de médecine, mais nous ne convertissons pas ces ressources en avantages économiques. Cela a un coût. Fournissez-nous des précisions sur l’approvisionnement. L’ISDE dispose de petits programmes qui tentent d’ouvrir la porte, mais ils sont de petite envergure et n’ont pas le caractère stratégique que nous jugeons nécessaire. Pouvez-vous nous fournir des conseils à cet égard?
M. Helliwell : Oui. C’est une excellente question, sénateur. Je vous remercie.
Je pense qu’il y a plusieurs dimensions très importantes à prendre en compte. L’une d’elles a été mentionnée par Chris Albinson lors de la dernière séance, concernant l’établissement de repères pour une certaine partie de l’approvisionnement dans le cadre de ce type d’opération. Je tiens à souligner à quel point c’est important. Fixer des objectifs est une chose, à supposer que nous en arrivions à les établir officiellement, mais les atteindre en est une autre.
La deuxième chose est ce que nous voyons constamment sur le terrain lorsque nous proposons un objectif qui semble convenable pour l’approvisionnement, mais qu’il n’est pas atteint. Il y a une explication très rationnelle à cela. Lorsque l’approvisionnement est effectué, les personnes responsables n’ont pas de motifs de faire des choses plus innovantes, et elles estiment qu’il est très risqué de faire quoi que ce soit de différent, parce qu’elles ont alors l’impression que leur emploi pourrait être menacé.
Je pense que la solution à ce problème est assez simple et qu’il suffit de leur donner la sécurité nécessaire pour dire : « Nous reconnaissons que la situation est différente de ce qu’elle était auparavant, mais nous vous autorisons à prendre ces mesures pour conclure ces ententes plus rapidement. » Au final, c’est beaucoup plus productif.
Lors de la dernière séance, quelqu’un a également formulé un commentaire très perspicace sur le fait que parfois — je pense que c’était vous, en fait, qui parliez d’essayer de réduire les risques et de finir par accumuler plus de choses, ce qui rend le processus plus lourd, plus lent et plus susceptible de se solder par un échec. Le dernier élément serait un approvisionnement dans le cadre duquel vous n’essayez pas de faire bouillir l’océan et de trouver une solution gigantesque à tous les problèmes, mais divisez la solution en plusieurs éléments dont la probabilité de réussite est beaucoup plus importante et qui sont beaucoup plus digestes pour les entreprises qui innovent.
Le sénateur C. Deacon : Brièvement, à titre de suivi à ce sujet, les approvisionnements auxquels j’ai participé définissent une solution que nous voulons acquérir — ou que le gouvernement veut acquérir — plutôt qu’un problème que nous voulons résoudre et les contraintes avec lesquelles nous devons composer. Qu’en pensez-vous?
M. Helliwell : Exactement. C’est là que les choses se gâtent si souvent dans le cadre de l’approvisionnement, car le gouvernement, mais aussi les organismes de grande taille, ont tendance à formuler des exigences excessives pour chaque petite chose dont ils ont besoin. Cette tendance a des conséquences négatives pour un certain nombre de raisons, notamment parce qu’on ne connaît pas exactement les besoins tant que l’on n’a pas commencé. Nous devons nous donner la souplesse nécessaire pour évoluer avec le projet. Une autre raison est qu’on ne tire pas profit de l’expertise du partenaire avec lequel on va finalement choisir de faire affaire. Troisièmement, en ce qui concerne la division en différents éléments, nous avons tendance à regrouper tout un tas de choses qui ne vont pas nécessairement ensemble, au lieu de les diviser en trois éléments différents, par exemple, qui pourront ensuite être coordonnés les uns avec les autres. Tout le monde y gagne et cette solution permet d’augmenter les chances de réussir à moindre coût et d’aller beaucoup plus vite, ce qui, soit dit en passant, facilite grandement la participation des entreprises canadiennes.
La présidente : Si vous aviez une formule magique, monsieur Helliwell, pour éliminer l’aversion au risque de la bureaucratie, je pense que ce serait un miracle. Existe-t-il un autre pays dans le monde où cette formule a fonctionné et où l’on dit à la bureaucratie : « C’est bon, allez-y, prenez le risque »?
M. Helliwell : C’est une très bonne question, sénatrice.
Je vois les choses un peu différemment. Tout d’abord, on ne se débarrassera jamais de l’aversion au risque au sein de la bureaucratie, et c’est probablement une bonne chose. On peut toutefois recadrer le risque. Il existe toutes sortes de risques qui ne sont pas pris en compte dans la procédure d’approvisionnement. Imaginez que ce projet soit retardé de quatre ans, parce qu’il est énorme et qu’il englobe beaucoup d’autres choses. Quel est le coût de l’absence d’une solution pendant toute cette période? Il y a tant d’aspects négatifs qui devraient être pris en compte à titre de risque et qui, d’après mon expérience, ne le sont généralement pas.
Il y a également l’autre côté des choses : dans quelle mesure accordez-vous de l’importance au bien du pays? Cela me rendait dingue lorsque j’étais directeur de la politique et que mon patron était le ministre des travaux publics, et que nous traitions avec les personnes chargées de l’approvisionnement. Ces personnes étaient formidables, mais elles se sentaient vraiment enfermées dans un carcan qui les empêchait d’accorder de l’importance à ces autres éléments. Je pense que le fait de leur donner des paramètres pour que l’on accorde de la valeur à ces aspects aiderait vraiment le système à fonctionner.
La présidente : Nous venons de traiter le dossier des F-35 et je tiens à dire que je sais à quel point c’est difficile.
La sénatrice Bellemare : En vous écoutant, je comprends certains des problèmes liés à l’utilisation de la technologie au sein du service public. Les systèmes du secteur de la santé sont tellement anciens. Certains hôpitaux utilisent encore des télécopieurs de nos jours. Vous m’avez donné un aperçu des raisons de cette situation.
Monsieur Bergen, dans certains documents que vous avez rédigés, vous parlez beaucoup de la pénurie de talents, et vous dites que l’un des grands problèmes du secteur technologique est la pénurie de talents. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
M. Bergen : Pour ce qui est de l’utilisation des technologies de la santé dans les provinces, il s’agit en fait d’un problème d’approvisionnement. Cette question concerne évidemment davantage les provinces que, disons, le gouvernement fédéral.
J’aimerais revenir un peu sur ce que disait M. Helliwell dans ses remarques précédentes sur la manière dont l’approvisionnement est effectué. Le gouvernement a lancé Solutions innovatrices Canada. Cet outil est conçu en vue de l’adoption d’une approche basée sur les enjeux consistant à examiner un problème et à essayer d’amener l’industrie à le résoudre. Le problème que nous avons constaté avec ce programme est que les entreprises commençaient à l’adopter, mais que lorsqu’elles arrivaient au bout de la piste, il n’y avait pas de mécanisme d’acquisition pour l’achat proprement dit. Une solution était générée, mais la technologie créée par l’entreprise n’était pas acquise. Je ne pense pas seulement à la composante fondée sur les enjeux, mais aussi à la manière de créer la piste d’atterrissage nécessaire pour permettre à une entreprise de démarrer. Je vais en rester là pour ce qui est de l’approvisionnement.
Pour ce qui est de votre commentaire sur l’accès aux talents, il s’agit d’un problème universel auquel sont confrontés tous les pays. Les talents sont le carburant de l’économie immatérielle. Ils sont ce qui fait avancer les choses, le bois ou le pétrole. Ils en sont réellement le carburant. Le Canada est confronté à des difficultés uniques en ce qui concerne sa capacité à disposer de travailleurs hautement qualifiés à un certain niveau, parce qu’il a eu du mal à créer des entreprises technologiques qui se développent.
L’un des domaines dans lesquels le gouvernement a fait du bon travail est celui des programmes de visas et de l’offre d’une aide pour faire venir des travailleurs hautement qualifiés qui correspondent au niveau de la haute direction. Ce que nous savons, c’est qu’environ 230 000 postes ne seront pas pourvus dans le secteur technologique d’ici 2023, et que nous devons trouver des moyens d’accélérer ce processus.
L’immigration est assurément l’un des outils à utiliser — c’est donc un bon point — mais nous devons également nous pencher sur la mise à niveau et le recyclage qui seront nécessaires, en veillant à ce que les fonds publics soient réellement alloués à des domaines qui permettent aux entreprises de trouver les travailleurs qualifiés dont elles ont besoin. Il ne s’agit pas seulement, par exemple, d’ingénieurs logiciels classiques, mais aussi de professionnels d’autres domaines. Les personnes capables de faire de la vente et du marketing dans le cadre de l’économie immatérielle sont un élément important.
Le sénateur Loffreda : Merci à nos témoins d’être présents. J’ai une question pour M. Helliwell et une autre pour le Conseil canadien des innovateurs sur la pénurie de talents, s’il nous reste du temps.
Monsieur Helliwell, en ce qui concerne les jeunes entreprises technologiques ou les jeunes entreprises en général, j’ai vu de nombreuses enquêtes menées par des sources fiables qui montrent que les fondateurs préfèrent vendre leur entreprise au lieu de poursuivre son développement s’ils reçoivent une offre intéressante. Pensez-vous que ce fait soit préjudiciable à l’économie canadienne? Pensez-vous que ce problème va perdurer au Canada? Dans l’affirmative, comment pouvons-nous inciter nos entrepreneurs à agir autrement?
M. Helliwell : Merci, sénateur Loffreda. C’est une très bonne question.
Pendant la majeure partie des 15 dernières années et plus, mon groupe de pairs a été constitué d’entrepreneurs provenant non seulement du Canada, mais du monde entier, en particulier de la Silicon Valley et du Royaume-Uni, mais aussi du monde entier. La situation à laquelle vous faites référence — il s’agit là de mon opinion subjective — n’est pas particulière au Canada. Elle touche les entrepreneurs débutants, pour qui tout représente un risque : ils peuvent être riches ou n’avoir rien, et il n’y a pas grand-chose entre les deux. Les investisseurs le constatent également, car ils souhaitent souvent que les PDG fondateurs poursuivent leur activité. En règle générale, on peut donner de l’argent aux fondateurs. On leur donne une certaine somme d’argent pour éliminer la possibilité qu’ils perdent tout. Il existe des moyens de changer cet état d’esprit. Pour ma part, maintenant que j’ai bénéficié d’autres sorties, je n’envisage plus cette solution et il s’agit d’une perspective différente, mais je tiens à souligner que je ne crois pas qu’il s’agisse là d’un problème spécifiquement canadien.
Le sénateur Loffreda : Il s’agit donc d’un problème généralisé et mondial?
M. Helliwell : Oui. Je ne crois même pas qu’il s’agit d’un problème, mais plutôt d’un phénomène lié à la nature humaine. Par ailleurs, il est normal que les jeunes entreprises soient rachetées dans le monde entier. C’est ainsi que fonctionne l’écosystème. Je pense que notre plus gros problème, au Canada, est qu’il n’y a pas assez de grandes entreprises qui acquièrent d’autres entreprises à l’étranger.
La première entreprise de mon partenaire Greg Kerfoot — nous travaillons ensemble depuis 2006 — a été rachetée par Business Objects, qui l’a renommée Crystal Decisions. Il s’agissait du logiciel de veille stratégique le plus utilisé dans le monde, qui fait aujourd’hui partie de SAP. Cette société a fait des milliards de dollars avant d’être rachetée, mais il existe aujourd’hui de nombreuses autres jeunes entreprises au Canada qui valent des centaines de millions de dollars et qui sont issues de cette société, qui a vu le jour ici.
Le sénateur Loffreda : Pensez-vous que notre radar pour les acquisitions étrangères devrait être revu à la baisse en ce qui concerne les entreprises canadiennes? Il est assez élevé à l’heure actuelle. Un grand nombre de nos jeunes entreprises sont des sociétés technologiques prospères qui sont fréquemment rachetées par des sociétés étrangères et dont les sièges sociaux sont ensuite déplacés. Donnez-moi une réponse rapide à ce sujet. Quel est votre avis?
M. Helliwell : D’accord. Nous devons faire en sorte qu’un plus grand nombre de ces sociétés qui acquièrent des entreprises soient basées ici. Ces mêmes grandes entreprises achètent des jeunes entreprises partout dans le monde, et le Canada produit d’excellentes jeunes entreprises. Il y a beaucoup de potentiel pour le développement de cet écosystème au Canada, en termes d’approvisionnement, de financement et de personnel, comme nous l’avons dit.
Le sénateur Smith : J’ai une question pour M. Helliwell au sujet de la compétitivité fiscale du Canada. Les technologies évoluent constamment et nous continuons d’en créer fréquemment de nouvelles. Dans ce contexte, les pays dotés de systèmes fiscaux souples et adaptables ont l’avantage d’attirer ces entreprises et ces personnes. J’aimerais savoir si vous pensez que notre code fiscal, dans sa forme actuelle, attire ces types d’innovateurs technologiques, ou si nous devrions nous inspirer d’autres pays?
M. Helliwell : C’est une bonne question.
De mon point de vue personnel, le Canada fait partie du groupe des pays dont la situation est normale, qui vont plutôt bien, et ce n’est donc pas quelque chose auquel je pense vraiment. Pour certaines industries, on pourrait parler de l’approche de l’Irlande en matière de propriété intellectuelle et de la façon dont elle a fait venir des entreprises. Je connais assurément un certain nombre de personnes qui ont transféré leur siège social vers l’Irlande pour des raisons liées à la propriété intellectuelle. Quelqu’un a déjà mentionné cet après-midi que tant que nous faisons partie des pays dont la situation est normale dans cet espace, je pense que nous devons être satisfaits et que nous pouvons consacrer plus d’efforts à d’autres problèmes.
Le sénateur Gignac : Je remercie nos témoins.
Votre organisation compte près de 100 membres, dont des PDG très en vue des entreprises technologiques les plus prospères. J’ai vérifié l’origine de vos membres, et vous avez des représentants d’un bout à l’autre du pays. Quels sont selon vous les modèles que nous devons suivre? Une province obtient-elle de meilleurs résultats qu’une autre, ou une province pourrait-elle servir de modèle, qu’il s’agisse des marchés publics ou de l’écosystème de l’innovation? Avez-vous une opinion à ce sujet?
M. Bergen : Je pense que différentes régions réussissent dans des domaines différents pour ce qui est de la manière dont elles abordent la question. Dans l’ensemble, nous constatons une continuité là où il y a des difficultés. L’un des domaines dans lesquels je dirais que nous pourrions mieux faire est la manière dont nous soutenons réellement l’écosystème. Il s’agit de ce sur quoi nous portons notre attention et nos efforts en tant que pays. Il a été question tout à l’heure de la composante fiscale. Lorsque nous examinons la manière dont nous élaborons les politiques d’innovation, l’essentiel est de les centrer sur les entreprises nationales et de trouver les outils nécessaires pour les soutenir.
Les analogies avec les États-Unis constituent une fausse équivalence dans la mesure où les structures politiques mises en place pour faire avancer les entreprises américaines sont très différentes. Si l’on examine d’autres pays, comme Israël, la Corée ou le Japon, leur véritable force réside dans le soutien que leur apporte leur gouvernement dans tous les domaines. Pour obtenir ces résultats, il ne suffit pas d’actualiser une ou deux politiques ici ou là. Il faut bien comprendre l’ensemble du cadre économique. Nous allons nous pencher rapidement sur quelques domaines.
Dans des domaines comme la recherche et le développement, prenons un programme comme le Programme de la recherche scientifique et du développement expérimental, qui fournit un soutien très important. À qui ces fonds sont-ils alloués pour soutenir les entreprises nationales? On constate qu’environ 50 % des 1,7 milliard de dollars consacrés à ce programme vont en fait à des entreprises qui ne sont canadiennes que de nom et qui ne sont pas des entreprises technologiques nationales. Une quantité énorme de ressources est consacrée au soutien de grandes multinationales étrangères au Canada, sous prétexte de créer des emplois et d’en stimuler la création. Comme nous l’avons déjà dit, 230 000 emplois dans le secteur technologique sont déjà pourvus.
Un exemple intéressant figurait dans une étude sur le crédit d’impôt pour les jeux vidéo menée au Québec publiée la semaine dernière. Celle-ci révèle que 75 % des 340 millions de dollars alloués au secteur des jeux vidéo ont été versés à 18 entreprises qui étaient en fin de compte des multinationales étrangères situées au Québec. Lorsque nous examinons la manière dont nous allouons les fonds, nous devons impérativement nous assurer qu’ils vont bien à des entreprises canadiennes.
Je dirais que beaucoup d’administrations canadiennes et de provinces ont beaucoup de mal à comprendre certaines des retombées négatives de l’investissement direct étranger. Lorsque les provinces affectent des fonds, que ce soit par le biais de crédits d’impôt pour les jeux vidéo ou d’autres mécanismes, elles sapent en fin de compte la capacité des entreprises nationales à embaucher des talents et à générer et à créer des entreprises au pays.
Le sénateur Woo : Je tiens à remercier M. Bergen et M. Helliwell de leur participation.
Félicitations, monsieur Helliwell pour le succès de Thrive Health, mais je voudrais vous poser une question sur votre entreprise précédente, Pulse Energy. Vous nous avez expliqué brièvement de quelle manière vous vous êtes retiré de cette entreprise. J’aimerais que vous nous disiez quels sont, selon vous, les types d’interventions gouvernementales ayant contribué à la réussite de Pulse Energy. Je pense que vous pouvez dire que ce n’est pas le cas. J’aimerais également que vous nous fassiez part de vos réflexions sur le fait que vous avez dû vous retirer en faveur d’une société américaine basée à Boston, et que vous nous expliquiez les raisons pour lesquelles la société n’a pas pu conserver son statut et son actionnariat canadiens.
M. Helliwell : Je vous remercie, sénateur Woo. Cela fait beaucoup d’éléments à examiner.
Tout d’abord, je rappelle qu’il y a eu une histoire à succès concernant le soutien du gouvernement à Pulse Energy, à partir du moment où l’entreprise en était seulement au stade d’une idée. Le PARI nous a aidés à réaliser une étude de marché de 20 000 $, et cela s’est poursuivi au cours des neuf années suivantes avec un certain nombre de projets différents dont certains se sont chiffrés à plusieurs centaines de milliers de dollars. Nous avons également obtenu le soutien de Technologies et développement durable Canada, ce qui nous a permis de bénéficier de soutien à l’échelle provinciale. Je pense que cela s’est avéré très important. En réalité, nous n’avions pas d’investissements étrangers, et seuls les fondateurs ont investi dans l’entreprise.
Le geste le plus important que le gouvernement fédéral a fait pour nous est lié au développement des entreprises. C’est un délégué commercial du nord de l’Angleterre qui nous a approchés lors d’un forum de discussion. Il a su percevoir une bonne opportunité pour Thrive Heatlh et British Gas, la plus grande entreprise de services publics au Royaume-Uni. Cela semblait un peu inusité au début, mais cette entente a fini par s’avérer non seulement notre plus gros contrat, mais également le plus important contrat jamais conclu dans notre secteur. Nous n’en aurions jamais eu connaissance sans FirstThought. À l’époque, Gordon Campbell était haut-commissaire au Royaume-Uni, et lui et son équipe, parce qu’il nous avait connus à l’époque où il était premier ministre de la Colombie-Britannique, nous ont aidés à conclure l’accord avec British Gas. On peut dire que c’était réellement une approche d’équipe canadienne. Nous nous sommes sentis très bien soutenus, et cela a eu des répercussions significatives sur l’évolution de l’entreprise. Nous tenons à vous remercier sincèrement pour l’aide apportée par le gouvernement.
En ce qui concerne la seconde partie de votre question, je m’inscris en faux contre la formation « devoir nous retirer ». En réalité, nous n’étions pas obligés de nous retirer; c’est un choix que nous avons fait selon un contexte particulier. Deux grandes sociétés allemandes s’intéressaient à nous, mais c’est une société américaine cotée sur le Nasdaq qui a fini par nous acquérir. Ce sont les trois seules entreprises réellement présentes à cette échelle. Cela rejoint un point que j’ai fait précédemment, à savoir que nous avons besoin de plus d’acquéreurs au Canada.
À la question de savoir pourquoi nous avons choisi de nous retirer à ce moment-là, je rappelle que nous aurions dû investir environ 100 millions de dollars de plus pour être en mesure d’effectuer le prochain saut dans un contexte de grande incertitude. Il nous paraissait également évident, sur le marché où nous étions en train d’évoluer, qu’une consolidation était à venir. Sur les 10 entreprises homologues présentes à l’époque, il n’en reste plus qu’une. Les neuf autres ont été acquises dans le cadre d’un regroupement. J’espère avoir répondu à votre question.
Le sénateur Woo : Je rétracte ma formulation antérieure. C’est un récit fort intéressant. J’apprécie également votre observation à l’effet que demeurer au Canada n’était pas une option, étant donné qu’il n’y avait pas d’acquéreur ayant la taille et l’envergure nécessaires pour reprendre l’entreprise et la maintenir au sein du pays.
La présidente : En effet. Par rapport au soutien à la vente d’entreprises aux Américains... Nous y reviendrons.
La sénatrice Marshall : Monsieur Helliwell, je m’intéresse à votre expérience au Canada par rapport à votre expérience aux États-Unis. Pourriez-vous comparer les deux? J’aimerais savoir s’il est vrai que les Américains sont réellement plus favorables aux entrepreneurs que les Canadiens. À propos de Thrive Health, le Canada repose sur un système public, alors qu’aux États-Unis, on constate un système mixte public et privé. Pensez-vous qu’il y a une différence entre le secteur public et le secteur privé en ce qui a trait à la réticence à prendre des risques? Pouvez-vous comparer les deux secteurs? J’essaie de comprendre pourquoi tout le monde semble croire que les Américains sont meilleurs que les Canadiens. Comme vous travaillez dans les deux pays, je pense que vous êtes bien placé pour effectuer des comparaisons. Vous pouvez également vous pencher sur le cas du Royaume-Uni, que vous avez mentionné lors de vos remarques préliminaires.
M. Helliwell : Je pourrais continuer à parler de ce sujet pendant une demi-heure, mais je vais m’en tenir à quelques minutes, si possible.
Une chose qui m’a vraiment frappé à l’époque où j’ai mis sur pied mon entreprise au Canada, c’est la réaction extrêmement positive des gens. Je ne parle pas du gouvernement, mais de personnes de tous horizons qui m’ont dit qu’elles trouvaient mon projet génial. C’était en 2006. Il y avait beaucoup de soutien pour les gens qui décidaient de se lancer en affaires. Il était si facile d’incorporer une entreprise et de faire avancer les choses. Vous ne m’avez pas interrogé sur le cas de la France, un pays où il est très difficile de démarrer une entreprise. C’est peut-être plus facile maintenant, je ne sais pas. Aux États-Unis, l’entrepreneuriat est célébré, mais pas davantage qu’au Canada. En ce qui concerne l’aide du gouvernement, je me fie aux observations de mon réseau de pairs constitué de PDG d’entreprises dont le chiffre d’affaires varie de quelques millions à une centaine de millions. Ils ont constaté qu’il existe d’excellents programmes d’aide aux États-Unis, mais rien de comparable au PARI. Mes pairs américains me rapportent qu’ils trouvent le PARI formidable et aimeraient qu’un tel programme existe dans leur pays.
Là où les États-Unis ont beaucoup d’avance sur le Canada, c’est au niveau de leur capacité à garantir l’acquisition de technologies nationales, et de pouvoir compter sur une équipe de confiance. Je suis certain que Jim Balsillie s’exprimera demain au sujet de la nécessité d’adopter une position forte en matière de propriété intellectuelle à l’échelle mondiale afin de nous assurer que les entreprises détiennent la propriété intellectuelle dans leurs pays respectifs. C’est là que l’on constate que les États-Unis ont les coudées franches. Il y a beaucoup plus de litiges aux États-Unis qu’au Canada, ce qui est évidemment démoralisant, et ce qui représente une grande perte de temps, de ressources financières et de bonne volonté. Selon moi, la confiance qui règne au Canada devrait représenter un avantage concurrentiel en soi. Je suis peut-être influencé par les recherches de mon père sur le bonheur et l’amélioration du monde, mais je pense que cela pourrait constituer un avantage pour notre pays.
En ce qui a trait aux soins de santé, je constate qu’il est beaucoup plus rapide de faire avancer les choses au sein du système de santé privé américain. Même les groupes qui essaient d’innover au Canada ont beaucoup de mal à sortir des sentiers battus. Nous pourrions discuter, si vous le souhaitez, de la fausse distinction entre le secteur public et le secteur privé au Canada. Aujourd’hui, au pays, environ 30 % des dépenses en santé se font dans le secteur privé, qu’il s’agisse de soins dentaires, de soins de santé mentale, ou autres. C’est un ratio normal pour un pays de l’OCDE qui répartit les soins de santé entre le public et le privé. Il serait toujours possible de conserver un système de soins de santé financé par l’État, mais avec une part des prestations fournies par le secteur privé. Si vous souhaitez en discuter à un autre moment, je peux vous présenter mes idées à ce sujet. Nous n’aurions pas besoin de changer les grandes orientations, et notre système pourrait mieux fonctionner.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins pour les renseignements très pertinents qu’ils fournissent au comité.
Ma question s’adresse à M. Bergen. L’un des défis que vous avez évoqués et mis en évidence est la question des travailleurs qualifiés, qui représente un problème permanent et un objet de débat. Certains observateurs avancent que la solution passe par l’immigration, mais il existe au Canada un énorme vivier de jeunes gens qui souhaitent entrer dans le secteur des technologies et y rester. Toutefois, l’industrie doit consacrer des investissements en lien avec ces jeunes candidats afin d’assurer leur formation, leur rétention, et innover en misant sur leurs compétences et leurs qualifications. Or, les données de l’OCDE indiquent régulièrement que les entreprises canadiennes n’investissent pas suffisamment dans la formation de leurs propres travailleurs. Nous ne pouvons pas nous contenter de compter uniquement sur l’immigration. Comment donc amener les entreprises canadiennes à investir davantage de ressources pour tirer parti de ce vivier de travailleurs talentueux?
M. Bergen : C’est une excellente question.
Nous commençons à voir le gouvernement établir des partenariats plutôt intéressants. Il y a notamment le projet Palette qui permet de consacrer 250 millions de dollars au soutien des entreprises pour leurs activités de perfectionnement et de recyclage. C’est ainsi que des entreprises, et notamment des PME, peuvent collaborer avec le gouvernement pour offrir de la formation à leurs employés. À titre d’exemple, AltaML, une entreprise d’Edmonton, fait des merveilles en matière de perfectionnement et de remise à niveau des compétences de ses employés.
Pour revenir à ce que vous disiez au départ, il y a dans le secteur technologique de nombreuses petites entreprises qui cherchent à prendre de l’expansion. Elles investissent dans le perfectionnement de leurs employés pour voir ensuite trop souvent, surtout depuis quelques années, de plus grandes firmes leur arracher ces nouvelles compétences. On constate donc qu’un grand nombre de petites entreprises consacrent des ressources à cette fin pour voir en fin de compte les nouveaux talents ainsi formés se joindre à d’autres sociétés capables de leur offrir de meilleurs salaires. Les grandes entreprises déjà en place, les multinationales étrangères, ne voient pas la nécessité de former et de perfectionner des travailleurs dans un contexte où elles se sont justement installées ici pour avoir accès aux talents déjà disponibles.
Il est donc vraiment crucial de cibler les outils à mettre en œuvre pour aider ces entreprises, et particulièrement celles qui sont en expansion dans le secteur technologique, à améliorer les compétences de leurs employés à l’interne. On peut citer à cet effet l’exemple de cette entreprise d’Edmonton, AltaML, qui a su tirer parti du financement gouvernemental pour former une soixantaine de personnes par année dans le domaine de l’intelligence artificielle. Il en résulte en fin de compte un bassin de talents plus vaste, non seulement pour cette entreprise, mais pour tout l’écosystème d’Edmonton.
Je dirais qu’il faut que le gouvernement instaure des approches de collaboration avec l’industrie pour aider les différentes entreprises à former et à perfectionner leur personnel. Le financement est toujours allé en grande partie aux universités. Il va de soi que les universités ont un rôle essentiel à jouer, mais il était également primordial de miser sur la collaboration entre les PME et le gouvernement pour offrir un modèle de financement adéquat. Comme je l’indiquais, le nouveau programme mis en place par le gouvernement ne semble pas améliorer les choses, mais l’avenir nous dira dans quelle mesure il peut être efficace. Pour ma part, je pense vraiment qu’il faut tabler bien davantage sur la collaboration afin de mobiliser l’industrie, et tout particulièrement ces entreprises technologiques en mode de croissance.
La sénatrice Bellemare : Ma question s’adresse à nos deux témoins. J’ai sous les yeux la version française de l’un de vos rapports.
[Français]
Stratégie du Conseil canadien des innovateurs en matière de gestion des talents et des compétences.
[Traduction]
C’est en 2022 que vous avez produit ce rapport que je trouve fort intéressant. J’aimerais aller un peu plus loin avec ma question.
Monsieur Bergen, vous avez parlé d’un écosystème qui est parfois très propice aux investissements des entreprises. Vous savez peut-être qu’en Europe, et même aux États-Unis, le secteur privé, c’est-à-dire de grandes entreprises comme IBM, a établi des cadres de compétences. Dans les pays européens, ce sont davantage les gouvernements qui se sont dotés de cadres nationaux permettant aux gens de cerner les compétences qu’ils possèdent et celles dont ils auraient besoin, le tout de manière à pouvoir suivre une formation à court terme et à bénéficier d’un financement pour leur perfectionnement. Pensez-vous qu’une telle approche pourrait fonctionner au Canada?
M. Bergen : Au sein d’une fédération comme la nôtre, l’éducation relève des provinces, ce qui rend un peu plus difficile la normalisation à grande échelle comme c’est le cas en Europe. De leur côté, les Américains peuvent s’appuyer sur de grandes multinationales. Ces entreprises gigantesques ont les moyens d’en faire autant que certains États en matière d’éducation et de formation. Nous ne disposons tout simplement pas d’une capacité semblable au Canada, si bien qu’il est vraiment difficile de favoriser la croissance de nos entreprises.
Du point de vue fédéral, il nous faut absolument une stratégie permettant de déterminer la façon d’utiliser les différents outils à notre disposition. Peut-être faudrait-il organiser un sommet national sur le talent. D’après ce que j’ai pu comprendre, c’est un peu ce qu’a déjà fait l’Université de Waterloo lorsqu’on a constaté un manque de capacité en ingénierie.
Il faut que tous les gouvernements au pays travaillent de concert pour combler les lacunes en matière de compétences en aidant nos entreprises à faire le nécessaire à ce chapitre. Je vous ai d’ailleurs déjà mentionné certains résultats positifs découlant de ces efforts. Il y a par exemple l’Initiative en matière de compétences qui devrait, espérons-le, se traduire par une collaboration entre le gouvernement fédéral et l’industrie.
Je dirais qu’il nous est malheureusement impossible, étant donné que nous sommes une fédération, d’adopter une approche en tous points semblable à celle de l’Union européenne qui est centralisée sous l’autorité de certaines instances. Nous n’avons pas non plus la capacité que possèdent les Américains avec de grandes entreprises de la taille d’Alphabet ou de Meta. Notre approche devra donc être un peu différente.
La sénatrice Bellemare : Est-ce que l’initiative peut venir de votre conseil, par exemple? Pourquoi ne pas mobiliser toutes les entreprises intéressées par ces enjeux en même temps que le milieu syndical, le secteur privé, une partie du secteur public et du monde de l’éducation, pour discuter tous ensemble de ces questions? C’est peut-être pour nous, Canadiens, la façon de faire les choses que la Constitution ne nous permet pas de faire.
[Français]
M. Helliwell : C’est une très bonne idée. Peut-être qu’on parlera après avec Benjamin pour voir ce qu’on pourrait faire.
Je vais ajouter la perspective qui est celle des entreprises canadiennes en démarrage. Ce n’est pas vraiment les skills matrix traditionnels qu’on veut, mais vraiment des gens qui sont des innovateurs et qui peuvent très rapidement apprendre des choses et les appliquer; des personnes pouvant changer d’objectif assez rapidement. Alors on cherche des choses un peu différentes. Les technologies d’aujourd’hui seront sans intérêt dans cinq ans, alors on ne veut pas avoir toute une machine pour 100 000 personnes qui peuvent opérer une technologie X. Il faut se préparer pour les gens qui peuvent réfléchir. Benjamin, on pourrait peut-être en parler après.
La sénatrice Bellemare : Il s’agit de prendre une initiative sectorielle à travers le Canada. Merci.
[Traduction]
Le sénateur Loffreda : Merci encore une fois à nos témoins.
J’aimerais aussi parler de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. C’est un enjeu vraiment crucial pour notre économie. Ma question est pour nos deux témoins, mais je peux d’abord l’adresser au représentant du Conseil canadien des innovateurs. Vous avez soulevé un aspect intéressant dans l’une de vos récentes études. Voyons d’abord de quoi il s’agit avant de passer à ma question. Vous indiquiez que, plutôt que d’essayer d’attirer des investissements étrangers et d’évaluer les résultats en fonction de la création d’emplois, nos gouvernements devraient voir en priorité à élargir le bassin de travailleurs qualifiés disponibles. Ce serait donc la création de talent, et non la création d’emplois, qui devrait guider les efforts des chefs d’entreprise soucieux de développer au Canada une économie misant sur l’innovation.
Dans la foulée des échanges que vous avez eus avec la sénatrice Bellemare, je voudrais approfondir cette analyse. On recense actuellement près d’un million d’emplois vacants au Canada en même temps qu’un million de Canadiens qui sont sans travail. Est-ce attribuable au fait que l’on n’a pas mis suffisamment l’accent sur la création de talent? Comment pouvons-nous rectifier le tir? Nous pouvons observer le manque criant de ressources dans le secteur des services, le commerce et la construction. Même si un million de Canadiens n’ont pas de travail, nous avons tout de même des pénuries de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs. Est-ce qu’on pourra corriger cette incongruité en tablant sur la création de talent?
M. Bergen : C’est une excellente question. Très honnêtement, je ne suis pas moi-même économiste du travail, si bien qu’il me serait difficile de vous expliquer comment peuvent se conjuguer exactement tous ces facteurs liés au chômage et aux compétences.
Dans le contexte de cette question, il faut comprendre que le gouvernement appuie de plus en plus l’économie de succursales pouvant se traduire par l’ouverture de nouvelles installations dans notre pays. On adore ces cérémonies d’inauguration qui permettent d’annoncer que l’on a créé 500 emplois à Toronto, ou encore 250 au centre-ville de Vancouver en y ouvrant un nouveau bureau d’Amazon. Dans ce rapport que vous citez, nous essayons de faire valoir que c’est un secteur déjà touché par une pénurie de main-d’œuvre. Il n’y a pas donc de création d’emplois à proprement parler. On procède plutôt à une redistribution des emplois. Les entreprises voient les talents qu’elles ont formés leur être subtilisés par ces grandes sociétés étrangères capables de payer de meilleurs salaires.
Il y a un très bon exemple que je pourrais fournir au comité à ce sujet. Dans le cadre du Fonds stratégique pour l’innovation, le gouvernement a versé 49 millions de dollars pour aider Mastercard à ouvrir un nouveau centre à Vancouver. Tous les dirigeants des entreprises de technologie financière de la ville ont alors sauté sur leur téléphone pour me faire part de leurs craintes. Ils se sentaient directement ciblés par cette aide annoncée. Ils voyaient des recruteurs tourner autour de leurs meilleurs employés pour essayer de les convaincre d’aller travailler au nouveau centre. Selon nous, si tant est qu’il soit possible de qualifier le tout de stratégie pour la création de talents, on ne peut certes pas affirmer que cette stratégie est vraiment judicieuse. En fin de compte, cela revient à financer à même les fonds publics canadiens les activités de recherche et développement d’entreprises étrangères qui ouvrent une succursale au pays. En outre, cela se fait au détriment de la capacité des firmes canadiennes de conserver les meilleurs éléments à leur emploi.
Si le gouvernement veut vraiment avoir un effet positif dans ce domaine, ce ne sera pas en se contentant d’annoncer qu’une entreprise X ou Y ouvre un nouveau centre au pays, car l’écosystème technologique canadien n’en ressort pas vraiment gagnant. On devrait plutôt — et cela nous ramène peut-être à ce que vous disiez — se concentrer sur les moyens à mettre en œuvre pour que notre économie axée sur l’innovation puisse compter sur la main-d’œuvre suffisante pour pouvoir pleinement prospérer. Il va de soi que cela peut exiger le perfectionnement et la remise à niveau des compétences ou même un effort de recrutement dans le secteur de la vente au détail ou par la voie de l’immigration. Il faut déployer une vaste gamme de politiques publiques pour pouvoir obtenir les résultats souhaités.
Si nous avions une mise en garde à faire au gouvernement, ce serait qu’il évite d’affirmer à tort qu’il y a création d’emplois. Nous sommes d’ores et déjà en situation de chômage négatif. Pour stimuler l’économie nationale, il faut accroître l’apport de main-d’œuvre. J’espère avoir un peu mieux répondu à votre question.
La présidente : Il y a aussi le fait que l’on nous parle d’une prétendue « transition équitable » dans le secteur des hydrocarbures. Il est difficile de croire à l’existence de programmes de transition lorsque nous ne savons même pas à quel moment cela doit se faire et où va nous mener cette supposée transition. C’est un peu le même problème que celui que vous venez de nous exposer en parlant de ces emplois qui ne sont pas créés, mais plutôt simplement déplacés.
Il ne nous reste que très peu de temps, et je vais céder la parole au sénateur Deacon qui attend patiemment depuis un bon moment déjà.
Le sénateur C. Deacon : C’est notre cas à tous, et cela m’a donné l’occasion d’entendre les excellentes questions de mes collègues.
Monsieur Helliwell, j’aimerais revenir à la discussion que nous avons eue tout à l’heure concernant le ratio « lions-agneaux » en parlant, à tort ou à raison, de ceux qui achètent et de ceux qui se font acheter. Je veux me concentrer sur l’aspect de ces transactions qui est lié à la propriété intellectuelle de manière à mieux comprendre la situation du point de vue de l’entrepreneur. J’estime très important dans cet écosystème de savoir quand le moment est venu de vendre et de réinvestir l’argent — comme dans l’excellent exemple que vous nous avez donné à ce sujet. Nous avons un Fonds stratégique pour l’innovation qui nous permet d’investir dans des entreprises étrangères, mais celles-ci peuvent rentrer chez elles avec la propriété intellectuelle générée grâce à l’investissement du gouvernement fédéral. Je crois que c’est encore le cas avec le Programme d’aide à la recherche industrielle — le PARI — et le programme Recherche scientifique et Développement expérimental — RSDE. Si nous imposons des restrictions en la matière aux entreprises canadiennes sans en faire autant pour les entreprises étrangères, je crains fort que notre ratio « lions-agneaux » devienne problématique. J’aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez à la lumière de votre expérience de créateur d’entreprise qui a dû vivre de telles situations en quelques occasions.
M. Helliwell : Vous avez soulevé deux ou trois éléments particulièrement importants.
Vous avez parlé du FCIT, le Fonds canadien d’investissement dans la technologie, du PARI et de RSDE. Concentrons-nous d’abord sur ces deux derniers programmes. Des règles très claires ont été établies pour le PARI. Il faut que l’entreprise soit canadienne. Nous savons d’expérience que c’est un programme étroitement ciblé. En revanche, comme le soulignait M. Bergen, environ la moitié des fonds de RSDE va à des entreprises étrangères dont la propriété intellectuelle ne reste pas au Canada. Lorsque nous avons vendu notre dernière entreprise, nous avons eu des échanges avec les gens du PARI qui ont vraiment fait le nécessaire pour savoir où s’en allait la propriété intellectuelle et si les emplois créés allaient demeurer au Canada. Nous avons pu leur démontrer que suffisamment d’activités allaient se poursuivre au Canada pour que le jeu en vaille la chandelle.
Je pense que vous posez en fait la question suivante. Pourquoi les entreprises canadiennes en démarrage devraient-elles être pénalisées si elles sont vendues à une société étrangère qui part avec la propriété intellectuelle, alors que les entreprises étrangères peuvent simplement bénéficier du financement et s’en aller avec cette propriété intellectuelle? Il semble y avoir là une iniquité fondamentale qui n’est pas acceptable pour un entrepreneur canadien. Nous estimons que les conditions devraient tout au moins être les mêmes pour tous, et il y a tout lieu de se demander pourquoi nous sommes défavorisés ainsi. Je ne sais pas si quelqu’un ici aurait la réponse à cette question.
Le sénateur C. Deacon : Cela devrait tout au moins se faire suivant une approche stratégique.
M. Helliwell : Oui, une approche stratégique équilibrée qui ne fait pas pencher la balance au détriment des innovateurs canadiens.
Le sénateur Yussuff : Permettez-moi de remercier à nouveau nos deux témoins qui ont su nous parler des choses que nous faisions bien et de celles que nous devons améliorer. Il arrive trop souvent dans les débats semblables que tous les intervenants affirment que tout est effroyable. Cela ne correspond pas à la teneur générale des échanges que nous avons pu avoir aujourd’hui.
Monsieur Bergen, la situation a toujours été la même au Canada pour ce qui est de la gestion des talents. Certaines entreprises offrent de la formation et d’autres ne le font pas, et il y a toujours des gens prêts à débaucher les meilleurs éléments des autres firmes. Cela commence à dater, mais au début de ma vingtaine, les employeurs me posaient toujours la même question. Pourquoi paierais-je pour ta formation alors qu’une autre entreprise va venir te recruter dès que tu seras formé? Et ce problème perdure, 40 ans plus tard. Peut-être qu’à la base, tous les employés devraient être formés, et qu’il devrait s’agir d’une exigence pour les employeurs. En formant ainsi tout le monde, on aurait accès à un bassin de talent beaucoup plus étendu. Il ne fait aucun doute que l’immigration est bénéfique pour notre pays, mais nous pourrions également bénéficier d’une formation offerte systématiquement à tous.
La présidente : Monsieur Bergen, auriez-vous un commentaire à ce sujet?
M. Bergen : Oui. Nous devons mettre sur pied des entreprises technologiques prospères qui sont capables d’absorber les talents que nous développons, car, sans cela, ces employés vont finir par partir pour se joindre à des firmes étrangères et générer de la richesse et de la prospérité ailleurs dans le monde.
Je ne saurais vous donner de meilleur exemple que celui de la stratégie que le gouvernement s’est employé à mettre en œuvre au fil des cinq dernières années dans le secteur de l’intelligence artificielle. Le tout s’est traduit en fin de compte par une simple initiative de développement de nouveaux talents. Un article du Globe and Mail révélait que 80 % de la propriété intellectuelle générée est sortie du pays au bénéfice d’entreprises étrangères comme Uber et Microsoft. Le Canada a dépensé des centaines de millions de dollars pour développer de nouveaux talents, mais si nous n’avons pas ici les entreprises pouvant accueillir les travailleurs ainsi formés, les rémunérer et les maintenir à niveau, ils vont finir par partir.
Je dirais donc qu’il faut effectivement que les entreprises canadiennes trouvent des moyens de former leurs employés, mais que nous devons également aider ces entreprises à passer à l’étape suivante en matière de prospérité. Sans cela, il leur sera impossible de conserver à leur emploi ces travailleurs très spécialisés, car c’est ainsi que les choses se passent au sein de cet écosystème. C’est un peu l’histoire de l’œuf et de la poule. Nous convenons tous qu’il nous faut en faire davantage. C’est vraiment une chose qui va de soi en matière de politique publique. C’est nécessaire sur tous les plans. Nous devons toutefois également nous interroger sur les autres principes à appliquer pour parvenir à bâtir une économie axée sur l’innovation et à appuyer les entreprises qui veulent prendre de l’expansion. M. Helliwell a abordé la question en parlant de ces 100 millions de dollars requis afin d’assurer l’accès à des capitaux suffisants pour passer au prochain niveau. Mais le moment est également venu d’examiner les outils à notre disposition du point de vue des politiques publiques. Il peut s’agir des règles touchant notamment les fuites de propriété intellectuelle ou les collectifs de brevets.
La présidente : Je veux maintenant remercier sincèrement de leur participation à nos travaux M. Benjamin Bergen, président du Conseil canadien des innovateurs, et M. David Helliwell, cofondateur et président du conseil d’administration de Thrive Health. Vous nous avez soumis de nombreux éléments fort intéressants.
Nous allons poursuivre dès demain cette discussion sur les investissements commerciaux au Canada, les entraves à ces investissements et, espérons-le, quelques autres pistes de solution.
(La séance est levée.)