LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 7 novembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 35 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires).
Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, bonjour. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je m’appelle Brent Cotter. Je suis un sénateur de la Saskatchewan, et je suis le président du comité.
J’inviterais mes collègues à se présenter, à commencer par la vice-présidente.
La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Senior : Bonjour. Paulette Senior, de l’Ontario.
Le sénateur Arnot : Bonjour. David Arnot. J’habite à Saskatoon, qui se trouve au cœur du territoire du Traité no 6 et de la terre traditionnelle des Métis.
La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, au cœur du territoire du Traité no 6.
La sénatrice Pate : Kim Pate. J’habite ici, sur le territoire non cédé et non rendu du peuple algonquin anishinabe.
[Français]
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
Le sénateur Aucoin : Réjean Aucoin, du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, bienvenue, et merci d’être avec nous.
Je m’apprête à présenter les témoins qui comparaîtront devant nous, mais juste avant, j’aimerais souligner pour les personnes qui nous regardent peut-être en ligne que le sénateur Arnot est le parrain du projet de loi et que la sénatrice Batters en est la porte-parole.
Nous nous réunissons pour poursuivre notre étude du projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires).
Pour la première partie de notre réunion, nous accueillons la présidente et co-fondatrice de la Canadian Crime Victim Foundation, Lozanne Wamback. Mme Wamback se joint à nous avec la vidéoconférence. Nous vous souhaitons la bienvenue, madame. Nous accueillons également la directrice générale du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, Sarah Crawford, qui est avec nous dans la salle. Enfin, nous accueillons une membre de la Commission de l’Association du Barreau autochtone, Rheana Worme, qui se joint à nous avec la vidéoconférence. Nous vous souhaitons la bienvenue, madame Worme.
Nous sommes heureux de vous recevoir. Nous allons commencer par entendre la déclaration préliminaire de chacune d’entre vous, selon l’ordre dans lequel je vous ai présentées, à commencer par Mme Wamback. Vous disposez d’environ cinq minutes chacune. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs. Nous disposons d’environ une heure pour cette partie de la réunion.
J’invite maintenant Mme Wamback à faire sa déclaration préliminaire. Vous avez la parole.
Lozanne Wamback, présidente, co-fondatrice, Canadian Crime Victim Foundation : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui.
Je tiens également à dire que ce qui est arrivé à David Milgaard est terrible. Je tiens aussi toutefois à féliciter Joyce Milgaard d’avoir transformé une chose aussi dévastatrice et terrible en quelque chose de bon. Je la félicite.
Nous aimerions vous faire part de certaines de nos préoccupations concernant le projet de loi C-40. Premièrement, nous sommes préoccupés par les retards qui surviendront dans un système judiciaire déjà très surchargé. En fait, comme l’a révélé le juge en chef de la Cour suprême du Canada le 3 mai 2023, la lenteur du processus de nomination des juges permet à certains criminels présumés de s’en tirer parce qu’il n’y a pas assez de juges pour entendre les causes en temps opportun. La situation actuelle est intenable et je crains qu’elle ne crée une crise dans notre système de justice, qui est déjà assez problématique. L’accès à la justice et la santé de nos institutions démocratiques sont menacés.
Bien que nous soyons tous d’avis que ce projet de loi est nécessaire et bénéfique, qu’il en vaut la peine, nous pouvons également supposer que de nombreuses personnes condamnées choisiront d’intenter des poursuites, qu’elles soient justifiées ou non, de sorte que les retards seront inévitables dans ce système surchargé. Par conséquent, nous espérons qu’un plan sera mis en place pour nommer plus de juges afin de réduire le fardeau.
De plus, nous espérons que le soutien qui sera offert aux personnes qui présentent une demande sera aussi offert aux victimes et à leur famille de façon préférentielle et à un niveau équivalent. Comme nous le savons, le processus judiciaire peut être très pénible pour ces personnes, et le fait de revivre l’affaire ne fera qu’entraîner une revictimisation.
Maintenant, je peux vous parler de mon expérience personnelle...
Le président : Pouvez-vous me donner une seconde, madame Wamback?
Chers collègues, le son du côté de Mme Wamback ne fonctionne pas bien et est interrompu. Nous avons coupé la vidéo, en espérant que cela améliorerait le son, mais il n’y a rien à faire. Je pense que nous allons tout de même continuer. Nous avons votre déclaration écrite, mais je pense que nous allons vous inviter à poursuivre. Nous entendons tous vos propos, mais il y a parfois des interruptions.
Acceptez-vous que nous continuions d’entendre Mme Wamback chers collègues?
La sénatrice Batters : J’ai remarqué que parfois, en passant à l’audio seulement, la qualité du son s’améliorait parce que la vidéo prend beaucoup de bande passante. En changeant pour l’audio seulement, nous pourrions peut-être mieux entendre la témoin.
Le président : Nous l’avons fait, mais sans succès. Madame Wamback, je propose que vous poursuiviez avec votre déclaration préliminaire. Nous vous entendons bien, mais il y a parfois quelques pauses. Nous entendons tout ce que vous dites. S’il y a un problème, je vous interromprai de nouveau, mais je vous demanderais de poursuivre. Merci.
Mme Wamback : J’ai presque terminé. Je vais donc poursuivre. Je n’ai pas grand-chose à ajouter.
Je disais que le processus judiciaire peut être très pénible pour les victimes et les membres de leur famille, et le fait de revivre l’affaire entraîne une revictimisation. Je le sais par expérience personnelle après l’attaque violente contre mon fils et par mes interactions avec de nombreuses victimes d’actes criminels au fil des années.
L’ensemble du processus peut être une énorme source de stress, et les victimes peuvent avoir besoin de plusieurs années de soutien émotionnel et psychologique. Une grande partie des coûts associés à ces services d’aide sont payés par les victimes elles-mêmes, ce qui entraîne un lourd fardeau financier. En fait, de nombreuses victimes d’actes criminels n’ont pas les moyens d’avoir recours à ces services de soutien et doivent s’en passer alors qu’elles en ont grandement besoin. Nous espérons que cette question sera également abordée.
Ce sont là nos préoccupations. Je vous remercie de m’avoir écoutée.
Le président : Merci, madame Wamback. Nous vous remercions de votre persévérance. Nous avons aimé entendre votre déclaration préliminaire.
J’invite maintenant Mme Crawford à faire une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes.
Sarah Crawford, directrice générale, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes : Monsieur le président et honorables sénateurs, bonjour. Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant vous cet après-midi dans le cadre de votre étude sur l’examen des erreurs judiciaires. Je m’appelle Sarah Crawford et je suis la directrice générale du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, ou CCRVC. Le CCRVC assure des fonctions de soutien, de recherche et d’éducation essentielles aux survivants de crimes graves et aux intervenants partout au Canada. Notre mission est de veiller à ce que les victimes de crimes graves et les intervenants aient accès aux ressources dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées, obtenir justice et faire reconnaître et respecter leurs droits.
Je vais vous parler aujourd’hui des mesures de soutien et des défis associés au projet de loi C-40 en ce qui concerne les victimes et les survivants d’actes criminels. Je souligne tout d’abord l’importance de veiller à ce que des ressources adéquates soient mises à leur disposition tout au long du processus. Ce projet de loi représente une étape importante dans la lutte contre les condamnations injustifiées. Cependant, pour les survivants d’actes criminels et leur famille, la justice ne se limite pas à la punition, mais comprend aussi la responsabilisation, la validation et le sentiment de résolution. Les survivants qui apprennent que la mauvaise personne a peut-être été tenue responsable d’un crime commis contre eux peuvent perdre confiance à l’égard du système de justice pénale. Cela peut créer un sentiment de trahison et de malaise.
Pour les survivants, la justice est complexe. Elle permet de corriger le préjudice qui a été causé, et de veiller à ce que leurs voix soient entendues, à ce que leurs expériences soient validées.
En réalité, même si le projet de loi C-40 est conçu pour prévenir les injustices pour les personnes condamnées à tort, il risque également de rouvrir de profondes blessures émotionnelles pour les victimes et les survivants d’actes criminels. La révocation d’une condamnation signifie que les survivants, qui croyaient que leur cas avait été réglé, peuvent être confrontés à un nouveau traumatisme en revivant des souvenirs douloureux. Il est essentiel que ce projet de loi protège non seulement contre les condamnations injustifiées, mais aussi le bien-être mental et émotionnel des survivants et des familles touchées par ces décisions.
Le CCRVC estime que ce projet de loi doit accorder la priorité aux ressources visant à soutenir les victimes tout au long de ces examens et garantir l’accès à des services de soutien, à des mises à jour de cas et à des ressources supplémentaires qui pourraient être nécessaires pour les aider à s’y retrouver dans ces processus difficiles.
L’une des principales préoccupations du CCRVC est qu’en mettant l’accent sur l’examen des cas des personnes condamnées à tort, on pourrait croire que les besoins de l’accusé l’emportent sur les expériences des survivants et des victimes. Dans certains cas, cette perception pourrait amener les victimes à se demander si le système de justice accorde encore de l’importance à leur voix ou s’il considère leur expérience comme secondaire. Pour éviter cela, il est essentiel d’assurer un équilibre afin de veiller non seulement à ce que les personnes innocentes soient disculpées, mais aussi à ce que les besoins émotionnels des survivants soient pleinement respectés.
Il ne faut pas non plus oublier que la réouverture des dossiers signifie que les survivants et leurs familles devront une fois de plus faire face aux traumatismes qu’ils ont subis.
Nous demandons que ce projet de loi comprenne des dispositions relatives à la notification des victimes et aux services de soutien, afin que les personnes touchées disposent des ressources psychologiques et informationnelles nécessaires pour faire face à la résurgence de leur cas. Les survivants ne devraient pas être laissés à eux-mêmes pour naviguer dans ces sentiments et ces systèmes complexes. Ils ont besoin de soutien, d’une communication claire et d’une approche compatissante de la part du système de justice.
Notre objectif aujourd’hui est de défendre les victimes et les survivants et de démontrer notre engagement indéfectible à défendre leur dignité, leur sécurité et leurs droits.
Bien que ce projet de loi préconise une conversation nécessaire sur les condamnations injustifiées, nous demandons instamment qu’il renforce simultanément les mesures de soutien offertes aux survivants d’actes criminels. Nous sommes prêts à soutenir ce travail et à veiller à ce que les voix et les besoins des victimes et des survivants ne soient jamais oubliés. Merci.
Le président : Merci, madame Crawford. Maître Worme, nous serons maintenant heureux de vous entendre. Vous disposez d’environ cinq minutes. Allez-y.
Me Rheana Worme, membre de la Commission, Association du Barreau autochtone :
[Mots prononcés en cri]
Bonjour à tous. Je m’appelle Rheana Worme.
Je suis avocate crie, mère et membre du conseil d’administration de l’Association du Barreau autochtone du Canada, ou ABA. Au nom des membres de mon conseil d’administration, je remercie le comité de m’avoir donné l’occasion de vous faire part de nos réflexions sur le projet de loi C-40.
Nous considérons le projet de loi C-40 comme une occasion essentielle de remédier aux injustices historiques et continues subies de façon disproportionnée par les Autochtones, en particulier les femmes autochtones. Cette situation est attribuable aux couches souvent intersectionnelles de discrimination systémique qui sont exacerbées par le système de justice pénale. Conformément au mandat et aux objectifs de l’ABA, nous soumettons respectueusement que les recommandations suivantes, qui s’harmonisent avec celles de la Commission de vérité et réconciliation et les appels à la justice pour les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones disparues et assassinées garantiront que ce projet de loi répond adéquatement aux besoins des communautés autochtones, en particulier des femmes autochtones, que le système de justice a trop souvent laissé tomber.
Pour étayer certaines des recommandations de l’Association du Barreau autochtone, j’aimerais vous raconter une histoire personnelle. Je suis une avocate de deuxième génération. Mes deux parents — Don Worme et Helen Semaganis — sont également avocats. Au début de leur carrière juridique, mes parents ont travaillé dans l’affaire de la Reine contre Donelda Kay. C’était l’un de leurs premiers procès pour meurtre et l’un des premiers en Saskatchewan où l’on évoquait la défense de la femme battue. Je dirais même qu’il s’agissait peut-être du premier cas à faire valoir le point de vue d’une femme autochtone. Ce cas a par la suite fait l’objet d’une étude dans le cadre d’un cours intitulé Defending Battered Women on Trial.
Bien que mes deux parents soient cris, mon père savait très bien qu’il ne pouvait pas pleinement comprendre l’expérience de cette femme autochtone qui avait été victime de violence familiale, et il s’est donc assuré de prendre le temps d’écouter non seulement sa cliente, mais aussi ma mère. Même si elle était une novice et qu’elle était encore à la faculté de droit, il savait que, malgré ses propres expériences en tant que témoin de la mort de sa mère, il ne comprenait toujours pas pleinement les couches de violence coloniale auxquelles les femmes autochtones sont confrontées. Ensemble, ils ont été en mesure de présenter une défense propre à l’expérience de la femme autochtone en matière de violence familiale.
Ce que je suggère en m’inspirant de cet exemple, c’est qu’il y a une incapacité innée, même pour le meilleur allié, de comprendre pleinement le contexte et les expériences des femmes et, plus particulièrement, des femmes autochtones.
Nous proposons six recommandations : la représentation autochtone au sein de la commission et les préjugés systémiques; un processus d’examen en groupe pour cerner les tendances systémiques; un mandat qui est adéquat, durable et qui fournit un financement prévisible; le biais potentiel et le besoin de formation pour les commissaires; une représentation juridique compétente sur le plan culturel et tenant compte des traumatismes. La dernière recommandation porte sur les pouvoirs de la commission.
La première recommandation est primordiale : la représentation autochtone au sein de la commission est essentielle. Elle garantit une compréhension vécue et culturelle des obstacles uniques auxquels les peuples autochtones font face. Les commissaires autochtones auraient les expériences et les connaissances culturelles requises en ce sens, ce qui permettrait de remplir le mandat du projet de loi de prévenir les injustices systémiques, en particulier celles qui touchent les femmes autochtones. Nous croyons fermement que la représentation de l’ABA au sein du comité de nomination de la commission soutiendra la légitimité de la sélection et fournira à la commission les idées et les points de vue nécessaires pour cerner avec précision les préjugés systémiques.
L’ABA représente plus de 330 professionnels juridiques autochtones dans tout le pays. Nous sommes déterminés à faire la promotion des Autochtones au Canada et à veiller à ce que nos membres et représentants répondent à une norme rigoureuse en matière d’identité autochtone afin de prévenir la fraude d’identité et de maintenir le rôle de l’ABA en tant qu’organisation professionnelle autochtone de confiance.
Cette recommandation est fondée sur l’appel à l’action no 50 de la Commission de vérité et réconciliation, qui demande que les Autochtones soient représentés dans les nominations à la magistrature. L’objectif est d’éliminer la discrimination systémique.
Notre deuxième recommandation vise à aller au-delà des examens de cas individuels et à passer à une évaluation collective des cas. Cela permettra de mettre au jour les tendances communes de discrimination systémique auxquelles font face les demandeurs autochtones — en particulier les femmes autochtones — comme le racisme, le sexisme et les préjugés coloniaux. Cette approche proactive force la reconnaissance des liens et améliore la désignation des tendances. Autrement, la commission risque d’accroître les inégalités mêmes qu’elle vise à corriger. Cette recommandation est fondée sur les appels à la justice du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui soulignent l’importance de comprendre l’expérience collective et les modèles systémiques de discrimination auxquels font face les femmes autochtones.
En troisième lieu, pour être équitable, le système judiciaire doit être doté de ressources suffisantes pour répondre aux besoins des communautés noires et autochtones. Nous plaidons ardemment en faveur d’un financement dédié prévu dans le projet de loi C-40 pour assurer l’efficacité et la durabilité de la commission. De plus, l’ABA recommande que le projet de loi C-40 prévoie un financement réservé aux femmes autochtones, qui comprendrait un soutien financier pour la représentation juridique, des consultations adaptées à la culture et des services tenant compte des traumatismes. Sans ressources adéquates, les femmes autochtones et d’autres communautés marginalisées pourraient se heurter à des obstacles qui les empêcheraient d’accéder à la commission, ce qui pourrait nuire à sa capacité de remplir son objectif.
Quatrièmement, tous les commissaires et le personnel devraient suivre une formation sur les compétences culturelles, la lutte contre les préjugés et la prise en compte des traumatismes. Ces séances de formation devraient être conçues et dirigées par des formateurs autochtones, et intégrer les principes juridiques autochtones. Nous pensons qu’une telle formation contribuerait à prévenir les préjugés inconscients et à faire en sorte que les affaires impliquant des femmes autochtones soient examinées en tenant compte des facteurs intersectionnels de race, de genre et de statut socio-économique qui peuvent influer sur les décisions juridiques.
Cinquièmement, il faut approfondir la formation des commissaires sur les traditions juridiques autochtones afin d’inclure les perspectives et les principes juridiques autochtones dans la prise de décision. Il devrait y avoir un avis juridictionnel obligatoire sur les traditions juridiques autochtones et les notions de culpabilité, de défense de soi ou des enfants, ainsi que sur le décalage entre le droit occidental et le droit autochtone, afin de mettre en évidence les erreurs judiciaires. Tous ces facteurs devraient être pris en compte et inclus dans les rapports de la commission.
Enfin, la commission devrait avoir pour mandat de formuler des recommandations systémiques générales sur la base de l’examen des cas. Ces recommandations devraient servir de base à des changements de politique, y compris des réformes systémiques des services policiers, de la représentation juridique et du système correctionnel, en mettant l’accent sur les questions qui ont une incidence disproportionnée sur les demandeurs autochtones, en particulier les femmes autochtones.
S’il n’y a pas de questions, j’ai terminé ma déclaration liminaire.
Le président : Merci, maître Worme. Je crois qu’il y aura des questions, mais nous vous remercions de votre déclaration.
Je vais maintenant inviter les sénateurs à poser des questions à chacun des témoins. Nous commençons par le parrain du projet de loi.
Le sénateur Arnot : J’ai une question pour Me Worme. J’aurai des questions pour Mme Wamback et Mme Crawford lors d’une deuxième série de questions, s’il y en a une.
Maître Worme, en tant qu’avocate crie et membre active de l’Association du Barreau autochtone, votre point de vue sur la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale est particulièrement précieux pour notre analyse du projet de loi C-40. Je veux vous donner l’occasion de développer les fondements des points que vous venez de soulever dans votre déclaration préliminaire. J’aimerais que vous vous concentriez sur les questions relatives aux groupes surreprésentés, comme les Autochtones, dans le système de justice. Mais que suggérez-vous à la commission de faire pour façonner ses structures, ses lignes directrices et ses politiques de manière à ce qu’elles puissent s’attaquer aux préjugés systémiques dans les condamnations injustifiées, en particulier les préjugés sur l’intersection de la race et du sexe à laquelle sont confrontées les femmes des Premières Nations?
Le projet de loi prévoit que les commissaires reflètent la diversité de la société canadienne. Selon vous, dans quelle mesure est-il essentiel pour la commission d’inclure des voix autochtones, des compétences culturelles, des compétences tenant compte des traumatismes et une formation afin de garantir un traitement équitable des demandeurs autochtones auprès d’une commission sur les erreurs judiciaires?
Me Worme : L’Association du Barreau autochtone recommande, pour améliorer ce projet de loi, de veiller à ce que les appels à l’action et les appels à la justice soient respectés de manière appropriée grâce à un mécanisme de surveillance et de responsabilité dirigé par des Autochtones, qui guidera le travail de la commission et garantira le respect des lois et des pratiques autochtones. Ce comité fournirait continuellement de la rétroaction pour garantir la reddition de comptes, non seulement envers les communautés autochtones, mais aussi pour promouvoir l’harmonisation continue avec les normes juridiques autochtones.
La formulation actuelle des nouveaux paragraphes 696.84(1) et (2) proposés comprend des dispositions de « soutien aux demandeurs dans le besoin, » ce qui comprend que la commission doit « les aider, s’ils sont démunis, à obtenir de l’assistance juridique en ce qui a trait à la présentation d’une demande ou d’observations écrites [...] »
Le sens du terme « démunis » est nébuleux. Sans définition adéquate du terme, l’admissibilité à ces mesures de soutien se voit considérablement réduite. Les frais juridiques s’accumulent très rapidement, et les personnes ayant des enfants et vivant au niveau ou en dessous du seuil de pauvreté qui sont sous-qualifiées pour un emploi rémunéré pourraient ne pas entrer dans cette catégorie, ce qui aggraverait l’injustice qui se perpétue. La commission se heurte au problème persistant de devoir évaluer si certaines personnes sont « admissibles sur le plan du traumatisme » si elles ne correspondent pas à cette définition étroite.
Cette définition doit être interprétée de manière libre pour comprendre les statistiques économiques des peuples autochtones du Canada.
En outre, nous recommandons vivement d’inclure dans le texte du projet de loi C-40 une formulation supplémentaire qui garantit une représentation juridique sensible à la culture et tenant compte des traumatismes, en particulier pour les femmes autochtones. De plus, la commission devrait inclure ou au moins avoir accès à des experts juridiques et des défenseurs autochtones qui peuvent aider à surmonter les barrières culturelles et systémiques et qui peuvent travailler en étroite collaboration avec les communautés autochtones tout au long du processus d’examen.
Là encore, nous pensons que notre association est bien placée pour apporter son soutien.
Le sénateur Arnot : Merci.
La sénatrice Batters : Je vous remercie toutes d’être parmi nous aujourd’hui. Je suis ravie de voir Me Worme de la Saskatchewan. J’imagine que c’est de là que vous témoignez.
Je voudrais adresser une brève remarque à Mme Wamback. Merci d’avoir persévéré malgré les difficultés sonores, et merci également d’avoir mentionné dans votre déclaration préliminaire les graves problèmes qui peuvent se poser actuellement dans le système judiciaire canadien en raison des retards des tribunaux. Ces retards ont été exacerbés par les vacances judiciaires fédérales qui laissent les victimes attendre trop longtemps pour que leurs affaires soient entendues et que, enfin, justice soit rendue.
Ma première question s’adresse à Mme Crawford, qui est avec nous aujourd’hui. Le projet de loi C-40 ne mentionne les victimes d’actes criminels qu’une seule fois, à l’alinéa 696.83(2)d), où il est question de l’obligation de la commission d’adopter des politiques concernant les victimes d’actes criminels :
la fourniture d’avis et d’autres renseignements aux demandeurs, à leurs représentants, aux procureurs généraux et aux autres intéressés, notamment les victimes;
C’est tout ce qu’il dit sur les victimes. Mais aucune mesure visant proprement les victimes n’est prévue dans le projet de loi au-delà de ce qui est mentionné, et même le document du gouvernement sur l’analyse comparative entre les sexes Plus mentionne à peine les victimes. Le ministre a déclaré que la commission comprendrait un coordinateur des services aux victimes. Or, lorsque j’ai interrogé les fonctionnaires du ministère de la Justice, ils ont indiqué qu’il appartiendrait au commissaire en chef de décider si ce poste serait à temps plein, à temps partiel ou simplement un poste contractuel, et s’il y aurait plus d’un coordinateur pour s’occuper de cet enjeu très important.
Selon vous, est-il approprié que le poste de coordinateur des services aux victimes ne soit pas réellement inclus dans le projet de loi? Puis, pensez-vous que cette approche pourrait risquer de devenir un simple symbole et de donner une image de soutien aux victimes sans véritable structure pour les aider efficacement?
Mme Crawford : Je le constate souvent dans le milieu des services d’aide aux victimes. En général, il n’y a jamais assez de fonds ou d’argent pour soutenir ces rôles. Ils sont souvent considérés comme secondaires. Même lorsque nous examinons les possibilités de financement, il n’y a pas de financement gouvernemental de base. Il faut toujours passer par les subventions et les demandes. En n’incluant pas ce poste dans le projet de loi, on ne s’assure pas de la présence d’un défenseur des victimes ou d’une personne travaillant avec les survivants.
Dans la mesure du possible, l’inclusion de ce poste constituerait un véritable engagement envers les personnes touchées par la criminalité et montrerait que leurs droits sont importants et que nous demandons que des services leur soient fournis. Elles peuvent accéder aux services communautaires, mais seul un véritable coordinateur peut comprendre en détail les tenants et aboutissants de cette entité.
Je pense que si ce poste était inclus dans le projet de loi comme il se doit, ce serait un excellent moyen d’améliorer le soutien aux victimes et aux survivants d’actes criminels.
La sénatrice Batters : Comme l’a déclaré hier l’un de nos témoins, pour chacune de ces affaires de condamnation injustifiée, il est très possible qu’un véritable criminel soit toujours en liberté. C’est crucial pour les victimes touchées, comme vous l’avez dit précédemment, par ces dossiers qui sont rouverts. Cela traumatise à nouveau les victimes, parce qu’elles croyaient que leur affaire avait été classée depuis longtemps, et tout à coup, elles découvrent que non seulement leur affaire n’est pas nécessairement classée, mais que la personne responsable est peut-être encore en liberté et fait du mal à d’autres.
Le projet de loi C-40 permet aux personnes qui souhaitent obtenir ce type de révision d’une condamnation injustifiée de demander à la commission de procéder à une révision sans avoir épuisé leurs appels. Le projet de loi n’exige pas non plus de preuve d’innocence et fixe un seuil assez bas pour l’examen des demandes.
Pensez-vous que ces critères pourraient ouvrir la porte à des demandes non fondées qui pourraient victimiser à nouveau les victimes d’actes criminels? Quels changements recommanderiez-vous pour éviter que des demandes non fondées ne soumettent les victimes à des souffrances inutiles?
Mme Crawford : Ce n’est pas de mon ressort. Je ne pense pas nécessairement avoir la capacité de dire quel devrait être le seuil. Je pense que, quel que soit le seuil, il est important que les victimes puissent s’exprimer, qu’elles soient informées de toutes les décisions et qu’elles puissent bénéficier de conseils et de mesures de soutien.
La détermination du seuil sort un peu de mes compétences, mais oui, il faut s’assurer que les victimes sont informées tout au long du processus. Pour être honnête, je ne sais pas quel devrait être le seuil.
La sénatrice Batters : Je comprends. Pour revenir à la question du coordinateur des services aux victimes, si ce poste est effectivement créé, comment pensez-vous qu’il devrait être structuré? Vous avez une grande expérience dans ce domaine avec le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, ou CCRVC. Comment suggéreriez-vous qu’il soit structuré pour garantir un soutien concret et accessible aux victimes d’actes criminels touchées par la réouverture de dossiers? Quelles responsabilités et ressources devraient être assorties à ce poste pour assurer un suivi et un soutien appropriés aux victimes qui revivent ce type d’événements difficiles?
Une fois de plus, je tiens à rappeler à ceux qui nous regardent que les victimes sont tout aussi concernées que les demandeurs d’examen d’une condamnation injustifiée dans ce processus. En effet, les victimes souffrent aussi si une erreur a entraîné un déni de justice.
Mme Crawford : Si ce poste devait être créé, il serait formidable de consulter les organisations qui effectuent ce travail afin de trouver un certain équilibre. Souvent, dans notre travail, nous avons des spécialités sur lesquelles nous misons. Les survivants de violence familiale peuvent travailler avec une ressource spécialisée en violence familiale ou sexuelle. Le CRCVC travaille avec des victimes de tous les crimes graves.
La personne occupant ce poste devrait assurer la liaison avec les victimes, connaître suffisamment bien le système pour savoir où elles peuvent obtenir de l’aide, leur fournir des conseils et des ressources. Il pourrait s’agir d’un conseiller ou d’une personne offrant des conseils gratuits dans la communauté. Le titulaire du poste doit être en mesure de répondre à tous les besoins des victimes liés à cette affaire, évidemment.
En général, quelqu’un qui travaille avec des victimes peut faire appel à différents services pour obtenir de l’aide. Ces travailleurs connaissent leur région et savent où obtenir de l’aide et des conseils. Ils sont en mesure de chercher des fonds et de les mettre à la disposition des victimes, si possible.
Cet employé devrait être capable de se retrouver dans le système et de comprendre la réalité des victimes et des survivants d’actes criminels. C’est essentiel.
La coordination serait assurée par une personne veillant aux besoins des victimes. Je ne sais pas combien de cas l’employé examinerait chaque année, mais cela pourrait être lourd pour une seule personne.
Il faudrait assurément tenir compte du volume de cas. C’est une excellente question.
[Français]
Le sénateur Carignan : Pour continuer sur le sujet des victimes, en vertu de la Charte canadienne des droits des victimes, vous savez certainement que les victimes ont le droit de participer aux audiences.
[Traduction]
Le sénateur Arnot : Je n’entends pas l’interprétation.
Le président : Nous allons nous arrêter un instant. Je l’entendais, sénateur Arnot.
Le sénateur Carignan : C’est malaisant. Chaque fois que je parle en français, il y a un retard ou des problèmes techniques. Nous devons revoir ces tests, et tout doit être fait avant de commencer la réunion. Je ne comprends pas pourquoi c’est toujours ainsi quand je prends la parole. La situation me frustre.
Le président : Nous en prenons note. Merci, sénateur Carignan. Voulez-vous recommencer, en français, et nous verrons si tout fonctionne bien?
[Français]
Le sénateur Carignan : Donc, un peu dans la même veine que la question de la sénatrice Batters, en vertu de la Charte canadienne des droits des victimes, vous avez le droit de participer directement aux audiences en faisant valoir votre point de vue.
Ne croyez-vous pas que ce droit devrait être reconnu ou inclus dans le projet de loi C-40, pour que vous soyez avisés de la révision, de l’enquête et de la décision qui sera prise et pour avoir la possibilité de faire des démarches au même titre que l’accusé et le procureur général?
[Traduction]
Mme Crawford : Oui. Merci pour votre question. Je pense effectivement que les victimes et les survivants d’actes criminels doivent être inclus dans tous les aspects du système de justice pénale, s’ils le souhaitent.
C’est une question et une distinction qui sont importantes. Je pense que leur droit d’être impliqués dans l’ensemble du processus de justice pénale est primordial et que, qu’il y ait ou non un travailleur d’aide aux victimes affecté au dossier, ils doivent être inclus dans tous les aspects. Il serait très important qu’ils puissent participer pleinement à ce processus. C’est une excellente question.
La sénatrice Simons : Je remercie tous les témoins.
Madame Crawford, pour revenir aux propos de la sénatrice Batters, je ne peux imaginer le traumatisme que je ressentirais comme victime si je croyais que l’auteur de l’infraction — la personne qui m’a fait du mal ou qui a fait du mal à un de mes proches — était en prison. Je ne peux même pas imaginer à quel point il serait traumatisant pour quelqu’un de se faire dire : « Oh, il s’avère que vous dormiez bien la nuit parce que vous croyiez que le coupable a été trouvé, mais détrompez-vous. »
Je veux vous donner, ainsi qu’à votre collègue en ligne, si elle le peut, l’occasion de parler de ce que cette situation représente : comment se sent-on quand ce qui nous apportait du réconfort n’est en fait pas vrai?
Mme Crawford : C’est une autre excellente question. C’est l’une des considérations pour trouver un équilibre nuancé : comment maintenir notre système de justice pénale tout en tenant compte des survivants et des victimes d’actes criminels?
En ce qui me concerne, je sais que le simple fait de travailler avec nos collègues... C’est nuancé. C’est difficile pour les victimes à toutes les étapes du processus. Il faut à tout prix apporter du soutien aux victimes lorsqu’elles apprennent que la personne qui leur a causé du tort n’est en fait pas celle qui est en prison.
Je sais que les besoins de ces survivants vont augmenter. Je sais qu’ils devront avoir accès à nos services. Je sais que le fait d’être traumatisé et victimisé à nouveau fait ressurgir toutes les blessures du passé. C’est sur ce plan qu’il faut trouver un équilibre : oui, les gens méritent tout ce qu’ils méritent. Mais aussi, comment traitons-nous les victimes dans ce contexte?
Il est très important que nous plaidions pour que leurs besoins soient pris en compte. Même si la personne qu’ils pensaient être la personne coupable n’est plus coupable ou qu’elle se dit innocente, les survivants doivent être impliqués dans le processus. C’est pourquoi l’accès aux conseils et au soutien est vraiment crucial et primordial pour cette partie du processus, et je ne vois pas suffisamment cet angle dans le projet de loi. Il s’agit d’une lacune : il faut s’assurer que les deux côtés sont pris en compte.
Le président : J’invite Mme Wamback à tenter de répondre également, sénatrice Simons.
La sénatrice Simons : J’avais une question pour Me Worme.
Le président : Si le temps le permet. Vous avez posé la question aux deux témoins. Madame Wamback, la même question s’adresse à vous. Nous avons l’obligation de veiller à ce que vos communications puissent être faites en anglais et en français. Nous pourrions avoir de la difficulté à vous entendre suffisamment bien pour que les interprètes traduisent vos propos en français. Si l’interprétation ne s’effectue pas, je devrai vous interrompre et nous devrons passer à quelqu’un d’autre. La parole est maintenant à vous, et nous ferons de notre mieux.
Mme Wamback : J’ai un véritable problème avec le son. Le problème vient de mon côté. Toutes les cinq secondes, il se produit une longue pause. Je n’entends pas tout correctement. Pour répondre à la question, oui, bien sûr, la revictimisation est terrible, car on doit revivre l’affaire et cela ravive tous ces souvenirs. Je veux dire clairement que ce n’est pas comme si on est [difficultés techniques].
Le président : Madame Wamback, je dois vous interrompre. Je m’en excuse. Nous ne pourrons pas entendre votre réponse dans ce format parce que nous ne pouvons pas la traduire en français.
Je vous invite à nous fournir votre réponse par écrit si vous le souhaitez. Elle sera également traduite en français et communiquée à tous les membres du comité. Je suis désolé pour ce désagrément, mais il est attendu que les travaux du Sénat soient bilingues. Merci.
Sénatrice Simons, vous aviez une question supplémentaire?
La sénatrice Simons : Maître Worme, nous savons que les femmes autochtones sont grotesquement surreprésentées dans le système de justice pénale et incarcérées à des taux plus élevés que ce qui serait rationnel, mais elles sont plus susceptibles d’être elles-mêmes des victimes. Pourriez-vous parler des deux points de vue, puisque vous défendez des personnes qui peuvent être accusées à tort ou qui ont une défense légitime, et aussi des femmes qui sont des victimes?
Comment pensez-vous que nous pourrions trouver un équilibre dans ce projet de loi?
Me Worme : Merci de cette question. C’est une excellente approche. Nous savons que les peines minimales obligatoires et la négociation de plaidoyers touchent de façon disproportionnée les Autochtones, en particulier les femmes. Non seulement les Autochtones sont-ils plus susceptibles de faire l’objet d’une condamnation injustifiée, mais ils se heurtent aussi à des obstacles quand vient le temps d’obtenir des recours pour des déclarations de culpabilité erronées.
L’ABA considère que le projet de loi C-40 doit corriger ces pratiques en tenant compte des pressions culturelles et socioéconomiques qui s’exercent sur les femmes autochtones en leur offrant des moyens plus sûrs de se défendre, comme la légitime défense. Cela pourrait contribuer à prévenir d’autres injustices et à défendre le droit à un procès équitable des femmes autochtones qui sont actuellement pressées de plaider leur cause dans des conditions inéquitables.
Il faut faire preuve de souplesse, non seulement dans la détermination des peines, mais aussi dans le traitement des femmes autochtones qui sont des victimes.
La sénatrice Pate : Merci à vous toutes. Je vous remercie de faire valoir votre point de vue pour les victimes.
Je m’adresserai à vous, maître Worme. Merci d’avoir soulevé l’affaire dans le cadre de laquelle vos parents ont admirablement travaillé pour Donelda Kay. Pour les gens qui écoutent, et mes collègues ne le savent peut-être pas, il s’agit d’une des rares affaires où un procès a eu lieu. Mme Kay a été acquittée de meurtre dans une situation où, ne serait-ce que pour une journée, elle était la victime.
Vous avez soulevé des points importants au sujet du fait que votre père, même s’il avait été témoin de l’assassinat de sa propre mère alors qu’il était enfant, a compris qu’il ne saisissait pas entièrement le contexte de la vie de Donelda Kay; votre mère a donc participé au processus.
Les exemples abondent. Certaines d’entre vous savent que j’ai été chargée d’en réunir quelques-uns pour les juges LaForme et Juanita Westmoreland-Traoré lorsqu’ils se sont penchés sur cette question. Dans ces affaires, même en parlant à certains avocats qui ne comprenaient pas le contexte à ce moment-là, il leur semble difficile d’admettre qu’ils ne comprenaient pas ce qui se passait.
Y a-t-il d’autres façons que l’ABA, ou vous personnellement, pourriez recommander à la commission d’exiger des analyses de ces affaires afin que l’approche systémique que vous avez mentionnée, certains des problèmes soulevés et le contexte soient examinés de façon exhaustive pour essayer de prévenir dans l’avenir — de mon point de vue — le nombre considérable de condamnations injustifiées de femmes victimes de violence, et de femmes autochtones en particulier?
Me Worme : Merci de cette question, sénatrice Pate.
Pour répondre à cette question, nous devrions examiner quelles autres politiques peuvent être intégrées afin de réduire les obstacles à la représentation des Autochtones au sein de la commission. À notre avis, une politique plus souple au chapitre de la nomination des commissaires et des genres de parcours jugés acceptables serait très utile. De nombreux candidats autochtones ont surmonté des défis importants dans leur vie, mais les comités de sélection pourraient interpréter ces expériences comme des signaux d’alarme plutôt que comme des points forts. On suppose également que l’histoire familiale peut avoir une incidence sur les qualifications professionnelles. Il y a là un préjugé que les candidats non autochtones sont beaucoup moins susceptibles de rencontrer. Ce point est particulièrement problématique, compte tenu des injustices systémiques auxquelles sont confrontées les communautés autochtones qui ont mis un grand nombre de personnes et leurs familles en contact avec le système de justice.
Il manque souvent au comité chargé de sélectionner les candidats pour les nominations publiques une représentation autochtone adéquate et même d’une bonne compréhension des réalités autochtones. Voilà qui induit un préjugé implicite selon lequel les candidats non conformes aux attentes typiques du poste sont écartés. Ce sont là quelques domaines où nous pouvons réduire les obstacles à la représentation autochtone dans tous les aspects de la commission.
La sénatrice Pate : Vous avez parlé des peines minimales obligatoires et de la négociation de plaidoyer, et je veux vous donner l’occasion de nous en dire plus à ce sujet pour nous faire part de la position de l’ABA à cet égard.
Me Worme : Je suis désolée. Je n’ai pas compris.
La sénatrice Pate : Je voulais vous donner l’occasion de nous en dire plus sur la position de l’ABA sur les peines minimales obligatoires et le rôle qu’elles jouent pour encourager les déclarations de culpabilité et savoir comment cela contribue aux injustices.
Me Worme : Ce qui manque le plus, c’est l’incorporation des principes juridiques autochtones. La situation varie selon les régions et les nations au Canada, mais dans de nombreuses nations autochtones, nos principes juridiques exigent que nous soyons confrontés à nos actes répréhensibles. J’oserais dire que ce principe inculqué à un grand nombre des nôtres a eu une incidence sur nombre de déclarations de culpabilité injustifiées.
Pour détecter ce problème, l’ABA considère que la commission devrait avoir des rapports encore plus transparents plutôt qu’un rapport annuel, particulièrement dans les affaires mettant en cause des Autochtones, en ayant des rapports trimestriels sur les tendances et les problèmes systémiques relevés, notamment dans les affaires qui concernent des femmes autochtones. Selon nous, la transparence est essentielle pour assurer la reddition de comptes et permettre au public d’observer des progrès mesurables. La formulation de recommandations systémiques pour le changement contribuerait grandement à assurer la confiance du public envers la commission.
[Français]
Le sénateur Aucoin : Merci beaucoup. J’apprécie vraiment vos témoignages, qui sont vraiment intéressants.
Ma question s’adresse à Me Worme. La Fondation canadienne des relations raciales était d’avis que le mandat de la commission devait inclure un examen proactif et global visant à réformer certains aspects du système de justice. Elle a soutenu l’idée selon laquelle au moins une des personnes nommées commissaires devrait être autochtone et au moins une autre devrait être noire, puisque la représentation était très importante. Pour faire suite aux commentaires que vous avez faits ce matin, la seule chose que je vois dans le projet de loi par rapport à la nomination des commissaires, c’est que l’article 693.73 indique qu’on doit tenir compte de la surreprésentation des Autochtones et des Noirs dans nos systèmes carcéraux.
En se basant sur ce que vous avez dit aujourd’hui, y a-t-il une obligation de nommer des commissaires qui sont Noirs ou d’origine autochtone? Combien en faudrait-il? Que pourriez-vous ajouter aux commentaires que vous avez déjà faits ce matin?
[Traduction]
Me Worme : Merci de cette question.
Nous avons constaté dans de nombreuses commissions qu’il est nécessaire d’assurer la représentation à tous les niveaux d’une organisation. Cela va du sommet — les commissaires dans le cas présent — jusqu’à la collecte de données. La façon dont les données sont recueillies et analysées peut aussi reposer sur un préjugé implicite. C’est pourquoi nous avons préconisé non seulement une formation pour déconstruire les préjugés pour l’ensemble du personnel et des commissaires, mais également une diversité de représentation à tous les niveaux de cette commission. Cela inclut non seulement les Autochtones, les Noirs et d’autres groupes marginalisés, mais aussi des personnes ayant différents niveaux de capacité et des personnes qui vivent ou ont vécu à divers niveaux de statut socioéconomique. Fort de notre mandat, nous insistons pour qu’il y ait non seulement une compétence culturelle, mais aussi une formation contre les préjugés et le racisme pour quiconque devra prendre des décisions qui touchent les Autochtones dans le système de justice pénale.
La sénatrice Senior : Je remercie les témoins de comparaître. J’ai deux questions à poser. Je ne pourrai peut-être en poser qu’une. Nous verrons.
Maître Worme, en vous appuyant sur votre expérience ou vos connaissances, pourriez-vous nous parler de l’efficacité chez les personnes qui ne sont pas noires, autochtones ou racisée des genres de formation que vous jugez importantes, comme la formation sur les traumatismes, contre le racisme et contre les préjugés? Pourriez-vous nous parler de l’efficacité de ce genre de formation selon votre expérience et nous dire si cela a une incidence notable?
Madame Crawford, d’après ce que vous savez actuellement sur ce qui aide les victimes, je voudrais savoir si vous pensez que le travail du CCRVC devra être adapté avec la mise en œuvre de cette commission. À quoi ressemblerait ce genre d’ajustement?
Me Worme : Merci de cette question.
L’efficacité est difficile à mesurer et le sera toujours. À mon avis, le facteur le plus important pour que l’information fournie dans la formation soit non seulement efficace, mais aussi pertinente, c’est qu’elle soit conçue et offerte par les personnes qui font partie des groupes marginalisés.
Des séances de formation offertes par des formateurs autochtones, qui intègrent les principes juridiques autochtones et qui incluent une variété d’expériences et de voix, voilà ce qui rendra la formation plus efficace.
Il arrive souvent que des formations contre le racisme soient conçues ou données par des personnes qui occupent déjà des postes de pouvoir dans la société, et elles peuvent être influencées par certains préjugés. C’est en partie pourquoi nous préconisons des formations offertes non seulement par des Autochtones, mais aussi par des membres d’autres communautés marginalisées — les Noirs, les Autochtones et les personnes de divers statuts socioéconomiques.
Mme Crawford : Si nous examinons l’incidence que l’arrivée de la commission pourrait avoir sur le travail que nous accomplissons, je pense qu’il y aura certainement une augmentation du nombre de personnes qui ont besoin de soutien. Cet accroissement ne se manifestera peut-être pas seulement dans notre organisme, mais aussi dans des organismes de soutien aux victimes de toutes les régions du pays.
Je pense que nous sommes déjà traditionnellement sous-financés. Comme nous dépassons notre capacité, il n’y a pas toujours assez d’argent actuellement pour accomplir notre travail. Il y aura du travail et des besoins supplémentaires, car je prévois que dans chaque dossier qui sera rouvert, un certain nombre de victimes seront touchées. Cela touchera non seulement la victime, mais aussi sa famille, ses amis et ses proches. Nous anticipons certainement un besoin accru. Merci.
La sénatrice Clement : Madame Wamback, je veux rendre hommage à votre témoignage, à votre expérience vécue. Je ne sais même pas comment vous avez pu faire part de votre expérience, de votre douleur et de la souffrance de votre fils dans le cadre de nos délibérations. Je tiens à vous remercier.
Madame Crawford, vous avez utilisé des mots très forts. Le mot « trahison » est fort pour parler de la façon dont les victimes se sentent et du manque de confiance dans le système judiciaire qui en découle. Merci d’avoir employé ces mots.
J’ai une question pour Me Worme. Vous savez peut-être que le Canada a une stratégie en matière de justice pour les personnes noires qui comporte 114 recommandations. Nombre d’entre elles portent sur un sujet dont vous avez parlé aujourd’hui : la surreprésentation. Je me demande si vous pourriez donner suite à ce que vous avez dit à la sénatrice Pate au sujet du mandat de la commission pour contribuer à l’analyse collective. Tout ce qui concerne le système de justice est établi au cas par cas, mais nous n’avancerons pas tant que nous ne comprendrons pas collectivement ce qui ne va pas. En quoi consisterait le mandat que vous proposez pour la commission au chapitre de l’analyse collective?
Me Worme : Merci beaucoup de cette question. Je pense que c’est très intéressant.
Le problème quand on analyse au cas par cas, c’est qu’on n’a pas de vision globale des problèmes à résoudre parce qu’on regarde en arrière, jusqu’à ce qu’on prenne du recul pour voir qui forme la population carcérale, qui est incarcéré, qui est institutionnalisé. Ainsi, en prenant activement du recul par rapport aux données et en examinant les tendances globales, nous espérons pouvoir regarder davantage vers l’avant pour déceler les tendances qui se manifestent actuellement. Nous croyons que les rapports trimestriels de la commission pourraient être plus à jour et plus dynamiques pour réagir aux tendances de la discrimination systémique, car nous savons que la discrimination ne se limite pas à des incidents isolés. Le véritable obstacle, c’est lorsqu’on met en place tout un système de préjugés qui sont enracinés dans le système et qui entravent ou limitent l’accès des Autochtones, des Noirs et des personnes ayant des difficultés socioéconomiques — les pauvres — à la justice.
Le président : Je crois que nous avons dépassé l’heure des délibérations et qu’il ne conviendrait pas d’effectuer un deuxième tour, honorables collègues. Je m’en excuse. Je vais maintenant profiter de l’occasion pour remercier nos témoins.
Madame Wamback, veuillez nous excuser de ne pas avoir pu communiquer avec vous aussi bien que nous l’aurions souhaité, mais j’espère que si vous êtes disposée à fournir une réponse écrite à une ou deux questions qui vous ont été posées, nous leur accorderions une grande valeur et nous les transmettrions aux membres du comité dans les deux langues officielles.
Merci, madame Wamback, de vous être jointe à nous par vidéoconférence. Merci, madame Crawford, d’être venue en personne. Et merci beaucoup aussi, maître Worme, d’avoir témoigné. Nous sommes ravis que des diplômées en droit de l’Université de la Saskatchewan comparaissent devant notre comité, je le confesse, et nous sommes trois autour de la table à célébrer en silence la générosité de vos remarques et les idées que vous avez fournies.
Honorables sénateurs, nous poursuivrons notre étude du projet de loi C-40, Loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire (Loi de David et Joyce Milgaard).
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous sommes heureux de voir — je pense qu’il vaudrait mieux dire « revoir » — M. Benjamin Roebuck, ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels du Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, qui témoigne en personne; ainsi que Tom Stamatakis, président de l’Association canadienne des policiers, qui comparaît par vidéoconférence. Merci de vous joindre à nous, monsieur Stamatakis, même si c’est à quelque distance. Nous sommes enchantés de vous revoir. Une fois encore, bienvenue.
Nous commencerons par un exposé d’environ cinq minutes de chacun d’entre vous, en commençant par M. Roebuck pour ensuite entendre M. Stamatakis. Comme je l’ai dit, vous disposez d’environ cinq minutes pour faire votre exposé, après quoi nous passerons aux questions et aux échanges avec les sénateurs. Nous avons un peu moins d’une heure pour échanger avec vous, et nous sommes impatients de nous y mettre. J’invite M. Roebuck à commencer.
[Français]
Benjamin Roebuck, ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels : Bonjour à tous et merci de m’accueillir aujourd’hui.
[Traduction]
Je suis ravi de vous revoir tous. Nous nous trouvons sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe, qui s’occupe de cette terre depuis des temps immémoriaux. Je suis reconnaissant de la sagesse et de la générosité des amis et des dirigeants autochtones qui continuent de donner le bon exemple en vivant de bonne façon et en incarnant la réconciliation.
Les communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis continuent d’être victimes d’erreurs judiciaires résultant de la violence coloniale et du patriarcat, et sont surreprésentées dans le système de justice pénale. Je crois qu’il est impératif que le gouvernement fédéral renforce les réactions aux erreurs judiciaires en vue de la réconciliation et comme moyen approprié d’honorer le legs de l’ancien sénateur Murray Sinclair.
Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, notre équipe, est indépendant de Justice Canada. Nous aidons les victimes d’actes criminels à régler leurs plaintes avec les organismes fédéraux et nous soulevons des problèmes systémiques auprès des décideurs. À titre d’ombudsman fédéral, j’aide le gouvernement à honorer les obligations qui sont les siennes en vertu de la Charte canadienne des droits des victimes, qui est une loi quasi constitutionnelle au Canada.
J’appuie ce projet de loi. Il est grand temps que l’on réforme le processus d’examen des condamnations pénales au Canada. Nous savons que les condamnations injustifiées ont des répercussions disproportionnées sur les personnes autochtones, noires, racisées et issues de communautés marginalisées. Je pense que le mandat élargi de la commission, qui va au-delà des affaires individuelles pour examiner les problèmes systémiques, est un moyen essentiel pour faire progresser la justice.
Il est également clair que les condamnations injustifiées constituent une erreur judiciaire pour les victimes d’actes criminels. Les victimes et les survivants éprouvent des réactions complexes à un traumatisme vécu. Ils peuvent se sentir coupables ou stigmatisés en raison de leur participation au système de justice; avoir des préoccupations en matière de sécurité s’ils ne connaissent pas l’identité de la personne qui leur a fait du tort; ressentir une atteinte à leur vie privée s’ils ont partagé des détails intimes sur leur traumatisme dans leur déclaration de la victime ou en raison de la couverture médiatique; craindre le risque de poursuites civiles pour diffamation; se sentir trahis lorsque des condamnations sont rejetées en raison de détails jugés techniques; souffrir d’un trouble de stress post-traumatique et avoir des souvenirs douloureux si on leur demande de participer à un nouveau procès. Ils peuvent aussi perdre des revenus à cause d’un arrêt de travail et doivent composer avec des lacunes dans les services aux victimes, puisque les survivants ne sont plus admissibles à une indemnisation pour les services de counselling. C’est un domaine dans lequel le gouvernement fédéral laisse constamment tomber les survivants des crimes les plus violents au Canada. La majorité des fonds d’indemnisation provinciaux ne couvrent qu’un nombre limité de séances pendant une à trois années. Cela signifie que les survivants qui participent aux audiences de libération conditionnelle ou aux programmes fédéraux des années après la commission d’un crime violent n’ont pas toujours accès à de l’aide.
La commission sera assujettie à la Charte canadienne des droits des victimes, ou CCDV, qui prime, au Canada. Les juges LaForme et Westmorland-Traoré étaient d’accord avec notre ancienne ombud, Heidi Illingworth, pour dire que les victimes d’actes criminels ont droit à l’information, à la protection et à la participation et que ces droits doivent être respectés, et qu’une commission sur les erreurs judiciaires devrait également se pencher sur les façons dont le système de justice a laissé tomber les victimes.
Le projet de loi C-40 exige que la commission établisse des politiques pour assurer la communication avec les victimes, mais il ne respecte pas leurs droits à la protection et à la participation.
En vertu de la Charte canadienne des droits des victimes, la commission sera tenue de se doter d’un processus de traitement des plaintes pour les victimes d’actes criminels, à l’instar de tous les organismes de justice pénale à l’échelle fédérale. Si une victime n’est pas satisfaite de la réponse, elle peut déposer une plainte auprès de notre bureau. Ces éléments devraient être énoncés dans le projet de loi pour que ce soit clair.
Nous aimerions collaborer avec la commission dans l’élaboration de ses politiques pour les victimes afin de réduire les obstacles courants et les méfaits. La création d’une nouvelle organisation comme celle-ci comporte son lot de défis et les victimes d’actes criminels seront confrontées à de nombreuses difficultés, c’est inévitable. Cependant, nous pensons que le processus de traitement des plaintes est un mécanisme qui nous permet d’apprendre. Nous aidons les gens à améliorer leur sort en écoutant les survivants.
J’ai quelques recommandations. Premièrement, il faut veiller à ce que la commission ait le pouvoir législatif de divulguer des renseignements aux victimes. Le projet de loi C-40 pourrait nécessiter une modification de coordination visant l’article 26 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour autoriser le Service correctionnel du Canada, ou SCC, à communiquer aux victimes des informations sur les travaux de la commission.
Deuxièmement, lorsque la commission informe un demandeur, elle mènera une enquête conformément au paragraphe 696.5(2). Il faut également qu’elle communique avec la victime.
Troisièmement, si un demandeur est remis en liberté en attendant une audience, il faut demander aux victimes si elles ont des préoccupations en matière de sécurité.
Quatrièmement, lorsqu’un appel est susceptible d’annuler une condamnation, il faut en aviser les victimes qui ne se sont pas inscrites pour obtenir des renseignements. La durée d’une peine peut influencer le choix de s’inscrire ou non pour obtenir des renseignements, et la non-divulgation de nouveaux renseignements érode davantage la confiance.
Cinquièmement, il faut élargir les pouvoirs conférés par le paragraphe 696.84(2) afin d’autoriser la commission à fournir du soutien aux victimes sans ressources ainsi qu’aux demandeurs dans le besoin. Il peut s’agir d’une indemnisation pour des services de counselling ou pour quelques conseils juridiques indépendants.
Les erreurs judiciaires entraînent l’obligation morale pour l’État de réparer les torts causés aux victimes d’actes criminels et aux personnes condamnées à tort.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Roebuck.
Monsieur Stamatakis, la parole est à vous.
Tom Stamatakis, président, Association canadienne des policiers : Mesdames et messieurs les sénateurs, membres du comité, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous au nom de l’Association canadienne des policiers, qui représente près de 60 000 policiers de première ligne partout au Canada, y compris des membres civils et assermentés. Nous vous remercions de votre travail sur cette question importante et sommes reconnaissants de l’occasion qui nous est donnée de discuter du projet de loi C-40.
Notre association appuie les principes généraux du projet de loi C-40 et la création d’une commission chargée d’examiner les condamnations injustifiées au Canada. Les policiers de première ligne et les membres civils sont souvent le premier point de contact des Canadiens avec le système de justice. Ils ont à cœur de veiller à ce que la justice soit rendue de façon équitable et juste. Nous comprenons que la confiance du public dans notre système de justice est d’une importance capitale, et que les condamnations injustifiées minent cette confiance. À titre de policiers, nous assumons nous aussi le devoir de veiller à ce que la justice ne soit pas seulement rendue, mais aussi perçue comme telle.
C’est pour cette raison que nous reconnaissons qu’il est nécessaire de se doter de mécanismes qui permettent de réparer tout échec du système de justice et de soutenir les initiatives visant à corriger les erreurs judiciaires.
Nous avons toutefois quelques inquiétudes concernant certains éléments du projet de loi qui, selon nous, doivent être mieux définis pour renforcer sa mise en œuvre. Nous sommes notamment préoccupés par l’absence de délais clairs relatifs aux examens des condamnations injustifiées potentielles menés par la commission.
Grâce à nos membres qui ont participé à des enquêtes, nous savons que les retards dans un examen et, éventuellement, un nouveau procès peuvent entraîner de graves problèmes. Le passage du temps a inévitablement une incidence sur la qualité des éléments de preuves et la fiabilité des souvenirs relatés.
Comme vous le savez tous, les enquêtes reposent en grande partie sur les dossiers détaillés conservés et sur les souvenirs des enquêteurs qui ont participé à ces enquêtes. Avec le temps, les dossiers peuvent devenir incomplets ou il peut être difficile de les retrouver, et les souvenirs des témoins s’estompent. Bon nombre de nos membres ont une lourde charge de travail et peuvent avoir pris leur retraite ou accepté d’autres fonctions au moment où une ancienne affaire est réexaminée. Il est essentiel que cette commission mène ses travaux conformément à un échéancier clair, dans la mesure du possible, afin de veiller à ce que les affaires soient examinées dans les plus brefs délais, pour limiter l’impact du temps sur les éléments de preuves et faire en sorte que la justice soit rendue de manière efficace.
Nous pensons qu’avec les bonnes ressources et des délais clairs pour les procédures, cette commission peut jouer un rôle essentiel pour renforcer la confiance dans notre système de justice. Pour que la justice soit rendue de manière équitable, il faut que les affaires soient traitées de manière sérieuse et efficace. Les longs retards, en revanche, n’aident personne : ni les personnes condamnées à tort, ni les victimes, ni leurs familles, ni les enquêteurs qui sont appelés à se pencher à nouveau sur ces affaires, parfois des décennies plus tard.
Nous espérons que ce comité, dans le cadre de son examen minutieux du projet de loi, répondra à ces préoccupations et fournira des recommandations supplémentaires quant à l’établissement de délais pour les examens. Si elle est tenue de respecter des délais, la commission effectuera son travail de façon efficace, en conciliant la nécessité de faire preuve de rigueur et de fixer des délais afin de maintenir l’intégrité des nouveaux procès.
Ensuite, nous encourageons le comité à réfléchir à la composition de la commission. Étant donné que de nombreux cas examinés se fonderont sur les éléments précis des méthodes et techniques d’enquête, il serait bon de s’assurer que des agents de l’application de la loi soient membres de la commission. Leur point de vue peut apporter un éclairage précieux sur les aspects pratiques des enquêtes, depuis le traitement des éléments de preuves jusqu’aux subtilités liées à l’interrogation des témoins et des suspects.
Si la commission compte parmi ses membres des gens qui ont une compréhension professionnelle des techniques d’enquête, les examens seront complets et toutes les recommandations formulées seront fondées sur les réalités du travail des policiers de première ligne. Leur participation renforcerait la crédibilité de la commission et favoriserait une approche équilibrée dans le cadre de son important mandat.
En conclusion, je tiens à souligner que nous appuyons le projet de loi C-40, qui constitue un pas dans la bonne direction. Nous reconnaissons et sommes conscients que la création de cette commission est une tâche complexe. C’est pourquoi nous sommes disposés à travailler avec vous dans la poursuite de vos délibérations. Nous nous efforçons tous de mettre en place un système de justice dans lequel les Canadiens peuvent avoir la plus grande confiance, et nous sommes fiers de participer à cet effort.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Stamatakis. Je vous remercie également d’avoir respecté le temps qui vous était imparti. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Nous allons maintenant commencer la série de questions avec les sénateurs. Nous allons commencer par le parrain du projet de loi, le sénateur Arnot.
Le sénateur Arnot : Je remercie nos deux témoins. Sénateur Cotter, j’ai deux questions pour M. Stamatakis. Pendant la deuxième série de questions, je poserai une question à M. Roebuck.
Monsieur Stamatakis, en votre qualité de président de l’Association canadienne des policiers qui représente les policiers de première ligne, votre point de vue sur les répercussions potentielles des examens de condamnations injustifiées sur les forces de l’ordre et la confiance du public est essentiel pour notre comité.
Compte tenu des efforts que vous avez déployés en faveur des intérêts des policiers et de la sécurité publique, comment la police pourrait-elle soutenir un processus d’examen équitable qui maintient la confiance du public, en particulier dans les cas de condamnations injustifiées présumées?
Ensuite, comment les organismes d’application de la loi pourraient-ils améliorer la formation ou les méthodes d’enquête afin de réduire le risque de condamnations injustifiées? Pensez-vous que les organismes d’application de la loi peuvent collaborer avec la commission pour soutenir les efforts de prévention visant à réduire la fréquence des erreurs judiciaires? Je pense ici aux témoignages que nous avons entendus relativement au problème que posent les enquêtes qui sont menées avec une vision trop étroite.
M. Stamatakis : En réponse à votre première question, je pense que la police joue un rôle crucial. C’est pourquoi l’une des recommandations dans ma déclaration liminaire était que les responsables de l’application de la loi fassent partie de la commission, afin qu’ils puissent orienter ses travaux. Plus important encore, lorsque la commission entreprendra ses travaux — après avoir été mise sur pied —, leurs observations pourront orienter la formation. Cela m’amène à la deuxième question que vous avez posée. Vous me demandiez si je pouvais préciser les domaines dans lesquels une formation supplémentaire pourrait contribuer à prévenir les condamnations injustifiées ou les enquêtes qui aboutissent à des condamnations injustifiées.
D’autres témoins ont déjà parlé, par exemple, de la formation qui tient compte des traumatismes et de la formation sur les préjugés. Il s’agit là de formations importantes qui font partie de la formation des policiers. Les formations doivent continuer à s’appuyer sur les pratiques exemplaires ou les nouveaux constats, que la commission, j’en suis convaincu, tirera dans le cadre de son travail.
Le président : Au cas où nous manquerions de temps, voulez-vous prendre un peu plus de temps maintenant pour poser vos autres questions, sénateur Arnot?
Le sénateur Arnot : Je vais céder la parole à mes collègues.
La sénatrice Batters : Merci à vous deux de votre présence aujourd’hui. Je vais d’abord m’adresser à l’ombud fédéral des victimes d’actes criminels. Je vous remercie de vos recommandations importantes pour veiller à ce que la commission ait le pouvoir législatif nécessaire pour s’occuper des victimes convenablement, compte tenu des conséquences majeures que ces situations ont sur elles.
Je veux commencer par vous demander si le projet de loi C-40 permet aux gens de demander à la commission d’effectuer un examen même s’ils n’ont pas épuisé tous leurs droits d’appel, car le projet de loi n’exige pas expressément de preuve d’innocence, et il fixe un seuil assez bas pour l’examen des demandes.
Si l’on se concentre sur la protection des victimes d’actes criminels, pensez-vous que ces critères pourraient ouvrir la porte à des demandes non fondées qui risqueraient de victimiser à nouveau les victimes d’actes criminels? Avez-vous des suggestions de modifications que nous pourrions apporter pour éviter que des cas qui ne méritent pas d’être examinés ne soumettent les victimes à des souffrances inutiles?
M. Roebuck : Tout d’abord, je tiens à dire qu’il faut toujours remettre en question l’idée selon laquelle les infractions sont commises par des inconnus, car il s’agit de la minorité des cas dans le système. Souvent, il s’agira d’affaires complexes où la personne qui a été reconnue coupable connaît la victime, et une erreur judiciaire n’est pas toujours synonyme d’innocence. Une erreur judiciaire peut signifier qu’une condamnation n’était pas justifiée en raison d’une question de procédure dans l’affaire; par exemple, des preuves sans lesquelles une condamnation n’aurait pas été possible n’auraient pas dû être admises. Il est très réaliste de dire que l’incidence sur les victimes peut quand même être très grave et qu’elles pourraient être en danger.
Pour répondre à votre question, nous avons examiné des méthodes employées à l’échelle internationale et l’une d’entre elles pourrait servir de mesure de protection : la communication avec les victimes lorsque l’on accepte d’examiner une affaire. Je ne communiquerais toutefois pas avec les victimes lorsqu’une demande est envoyée, car si on n’entend pas l’examiner sérieusement, il n’est peut-être pas utile d’en informer la victime. J’ai besoin de plus de temps pour réfléchir à cette question, car je préfère ne pas prendre de décisions qui visent à protéger les victimes en leur nom, car, souvent, ce n’est pas ce qui se passe.
La sénatrice Batters : Peut-être, oui. Pourriez-vous, s’il vous plaît, communiquer avec notre greffier pour qu’il puisse nous transmettre ces renseignements? Je m’interrogeais plus précisément, avec cet exemple, sur le fait que l’on abaisse la norme de façon importante; elle est bien plus basse que celle qui existe au Royaume-Uni — comme nous l’a dit le témoin du Royaume-Uni hier — et bien différente de celle qui existe en ce moment au Canada.
Je reviendrai peut-être à vous si j’en ai l’occasion.
Ma prochaine question s’adresse au représentant de l’Association canadienne des policiers. Le projet de loi C-40 stipule que la commission doit traiter les demandes d’examen des condamnations injustifiées « ... le plus rapidement possible... ». C’est tout ce qu’indique le projet de loi. Il ne contient aucune définition de ce que cela signifie. Vous avez fait référence à ce genre de situation dans votre déclaration liminaire. Vous avez déclaré que nous pourrions être confrontés à de graves problèmes, car le passage du temps peut avoir des répercussions sur les éléments de preuve, comme les souvenirs des témoins, et sur les policiers qui participent à ces enquêtes.
Étant donné l’importance de la question sur laquelle nous nous penchons — une personne a peut-être été traitée injustement et a été victime d’une condamnation injustifiée, mais il y a aussi les victimes et les policiers qui ont été concernés par ces affaires il y a peut-être longtemps, et l’incidence sur leur réputation —, est-ce que l’imprécision de la formulation « ... le plus rapidement possible... » vous préoccupe?
Pouvez-vous nous donner plus d’informations sur la façon dont cette situation peut être déraisonnable et sur le fait que nous avons besoin de plus de précisions à ce sujet?
M. Stamatakis : Il faut tenir compte de deux choses.
Il y a d’abord les délais qu’il faut respecter lorsque l’on accepte d’examiner une demande. Je reviens à votre question précédente au sujet du seuil qu’il faut atteindre. C’est une bonne question et elle doit être examinée avec soin. Il en a été question dans des témoignages précédents ou dans des questions qui ont été posées.
De plus, nous ne voulons pas que les gens utilisent le système à mauvais escient, et ce, pour toutes les raisons évoquées, dont, plus particulièrement, l’impact sur les victimes de crimes très graves. Il y a cet aspect de la question.
Il y a aussi la question de savoir comment la commission va traiter les demandes déposées. Votre comité devrait envisager, entre autres, de créer des échéances précises à cet égard, de sorte qu’une fois une demande reçue, son examen ne se prolonge pas pendant une longue période, voire des années. Des échéances précises devraient être établies pour déterminer la rapidité avec laquelle la commission devrait mener ces examens. Pour toutes les raisons décrites par d’autres témoins aujourd’hui et probablement par d’autres personnes qui ont comparu devant vous à un autre moment, du point de vue des services de police, un élément qui est rarement pris en compte, outre les risques pour la réputation du service de police et des policiers concernés qui sont parfois interrogés sur un événement qui s’est produit de 5 à 20 ans plus tôt — et même si cela est mis de côté —, c’est le traumatisme vécu par les policiers eux-mêmes. En effet, ces policiers enquêtent sur des crimes graves. Ils sont en contact avec les victimes et les survivants de ces crimes. Ils interviennent dans des situations horribles où ils sont surexposés à des traumatismes. Lorsqu’on les oblige à revivre ces situations et ces incidents traumatisants sur lesquels ils ont dû enquêter, cela a un impact important sur eux aussi, et souvent le même impact que celui vécu par les victimes et les survivants de ces types de crimes graves.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je vous remercie. C’est très intéressant. J’aimerais continuer avec M. Stamatakis.
Compte tenu de l’impact de tout cela, ne croyez-vous pas que, pour prévenir les erreurs judiciaires, on devrait travailler en amont et donner les outils nécessaires aux policiers, en leur donnant notamment un meilleur accès aux données génétiques? On pourrait ainsi mettre plus de crimes et plus d’informations dans la banque de données, pour vous permettre de prévenir ce type d’erreur judiciaire? De cette façon, on ne travaille pas à essayer de remettre la pâte à dents dans le tube.
[Traduction]
M. Stamatakis : Je vous remercie de votre question.
Je suis tout à fait d’accord. Les ressources sont au cœur de toute cette discussion. Tout d’abord, toute commission mise en place devra être dotée de ressources adéquates. Nous avons assisté à une croissance importante de la population de notre pays sans qu’il y ait eu d’investissements correspondants dans les soutiens à la police. À l’heure actuelle, les services de police de tout le pays peinent à répondre à la demande. C’est donc un aspect de la question.
Le problème n’est pas seulement lié aux effectifs, mais aussi au déficit en matière d’infrastructure. Vous avez fait allusion à une partie de ce problème, sénateur, lorsque vous avez parlé des outils que la police peut utiliser pour enquêter sur les crimes de manière plus efficace, afin d’éviter des condamnations injustifiées en premier lieu.
Un autre élément a également été mentionné dans un témoignage précédent. Il s’agit des obstacles auxquels font face certaines personnes qui sont représentées de manière disproportionnée dans le système de justice pénale, que ce soit en raison de leur situation socioéconomique ou d’autres défis auxquels elles doivent faire face, ce qui fait en sorte qu’elles se retrouvent souvent dans le système de justice pénale alors que, si nous prenions des mesures en amont, si nous disposions de ressources adéquates et si nous nous attaquions à certains de ces défis dans les collectivités d’un bout à l’autre du pays, nous pourrions éviter que ces types de situations ne se produisent en premier lieu.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à M. Roebuck.
Je vous entends et je suis d’accord avec ce que vous avez dit. Cela correspond à la question que j’ai soulevée avec le témoin précédent.
Pensez-vous qu’on devrait également donner un plus grand droit aux victimes, en allant même jusqu’à la représentation, pour que les victimes soient en mesure de faire des interventions plus directes auprès du conseil? De toute façon, on est à un autre niveau; on n’est pas à l’échelle judiciaire. Ne devrait-il pas y avoir un droit d’intervention beaucoup plus agressif?
[Traduction]
M. Roebuck : Au Canada, nous n’allons pas souvent aussi loin que d’autres pays en ce qui concerne le droit à la participation et à la représentation. Ainsi, à ce moment-ci, il serait peut-être difficile d’imaginer comment on pourrait introduire des possibilités en matière de représentation tout en restant cohérent avec le cadre existant.
Je tiens à préciser que la Charte canadienne des droits des victimes contient actuellement une disposition sur la confidentialité. Cela signifie que la commission est assujettie à la CCDV. Elle doit inclure des droits à la protection et à la participation. Ces droits ne sont pas prévus dans le projet de loi et ils devront donc être précisés.
En cas d’incohérence, la priorité doit être donnée à la CCDV. J’aimerais aussi que l’on accorde une plus grande attention à la forme que prendra la participation.
Les juges qui ont préparé le rapport ont formulé certaines excellentes recommandations qui ne sont pas reflétées dans le projet de loi. Il faut donc mettre en place un processus et accorder plus d’attention au fait qu’il s’agit d’une erreur judiciaire pour les victimes. La raison d’être d’une commission d’examen des erreurs du système judiciaire est de remédier aux erreurs judiciaires. On ne peut donc pas écarter les victimes de ce processus.
La sénatrice Simons : J’aimerais poursuivre dans la même veine.
Nous nous sommes rencontrés hier soir, lorsque nous avons participé à une réunion fascinante avec des représentants des systèmes anglais et écossais, ainsi qu’un ancien procureur de la Caroline du Nord qui dirige leur programme là-bas.
Dans le cadre du système de la Caroline du Nord, on n’examine que les cas d’innocence réelle, ce qui représente un seuil beaucoup plus élevé. Notre système se penche sur les erreurs judiciaires attribuables à une erreur de droit, à une représentation inadéquate, à une perquisition inadéquate ou à l’extraction illégitime d’aveux. Il y aura donc des cas où des individus ne seront pas innocents, mais où ils n’auraient pas dû être déclarés coupables.
Je me demande dans quelle mesure cela représentera un défi pour les personnes que vous représentez et au nom desquelles vous parlez. Si ces personnes souhaitent participer à ce processus, il arrivera inévitablement, dans certains cas, que des personnes qui leur ont fait du mal échappent à toute condamnation. Comment cela va-t-il fonctionner?
M. Roebuck : C’est une excellente question.
La possibilité d’examiner un large éventail de cas est un élément important pour pouvoir cerner les inégalités systémiques qui entraînent certaines erreurs judiciaires, mais cela souligne également la nécessité d’offrir des soutiens et des soins supplémentaires et que les victimes d’actes criminels puissent se reconnaître, bien franchement, dans le projet de loi. Dans le système militaire, le rôle de l’agent de liaison avec les victimes a été inscrit dans la Loi sur la défense nationale lorsque les droits des victimes ont été promulgués.
Je ne pense pas qu’il soit acceptable de laisser la forme que prendra une notification à la discrétion de qui que ce soit et de présumer qu’il y aura une position. Ces éléments doivent être prévus par la loi, afin que les droits des victimes soient reflétés dans cette loi elle-même.
La sénatrice Simons : Dans ce cas, je me demande si cela ne crée pas inévitablement, non pas un conflit d’intérêts, mais une divergence d’intérêts.
M. Roebuck : C’est la nature du système de justice pénale, où il y a une énorme divergence d’intérêts. En effet, les intérêts des victimes d’actes criminels sont mis de côté au profit des intérêts de l’État. Nous devons donc mieux gérer ces deux aspects. De nombreuses notions liées aux droits ne sont pas en conflit, et nous devons donc nous assurer que nous faisons ce que nous pouvons pour traiter les gens de manière appropriée. Par exemple, il faut penser à ne pas envoyer un avis d’audience le jour de l’anniversaire de la date à laquelle un enfant a été assassiné, afin de protéger les victimes.
La sénatrice Simons : Monsieur Stamatakis, nous avons entendu un autre témoignage fort intéressant hier soir. En effet, ces trois organismes sont soumis à des règles très différentes lorsqu’il s’agit de contraindre une personne à témoigner. Les mots « assignation à comparaître » n’ont pas été utilisés, mais dans certains cas, ces organismes pouvaient effectivement contraindre des gens à témoigner, par exemple des juges, des jurés, des procureurs et des avocats de la défense, et dans d’autres cas, ils ne le pouvaient pas. Mais ils pouvaient faire une demande en ce sens.
Le projet de loi ne semble pas prévoir de mesures précises à cet égard. Qu’en pensez-vous, surtout lorsqu’il s’agit des policiers que vous représentez? À votre avis, devrait-il exister un pouvoir de contraindre des enquêteurs, des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense à témoigner — pas à témoigner, mais à fournir des déclarations? Je suis désolée, cette formulation est plus juste.
M. Stamatakis : La réponse courte serait oui. Je pense que lorsqu’il s’agit de mener un examen approfondi de cas d’erreur judiciaire ou de condamnation injustifiée, si on n’a pas la possibilité de contraindre des gens à participer au processus, on n’obtiendra probablement pas le type de résultats escomptés par le projet de loi. Je pense que si la possibilité de contraindre ou d’assigner des témoins à comparaître doit exister, elle doit s’appliquer à toutes les personnes qui participent au processus et non davantage à un groupe qu’à un autre.
Sans la possibilité de contraindre des témoins à participer au processus, il y aura inévitablement, d’après mon expérience en tout cas, des personnes qui choisiront de ne pas le faire pour une série de raisons auxquelles j’ai déjà fait allusion. Ce sera peut-être à cause du traumatisme qu’elles ont subi — je parle ici au nom de mes membres — au cours de l’enquête et des poursuites judiciaires qui ont suivi — et qu’elles ne veulent pas revivre. Aussi, lorsque ces examens ont lieu, parfois plusieurs décennies après les faits, de nombreuses personnes concernées ont déménagé pour vivre dans d’autres parties du pays ou du monde ou pour occuper d’autres postes. Il serait donc difficile d’obtenir la participation de ces gens si on n’a pas la possibilité de les contraindre à participer au processus et de leur accorder les ressources nécessaires pour le faire.
La sénatrice Simons : Je vous remercie.
La sénatrice Pate : Je remercie les deux témoins.
J’aimerais d’abord poser une question à M. Roebuck, puis ensuite à M. Stamatakis. Est-ce que je l’ai bien prononcé? Je vous prie de m’excuser si ce n’est pas le cas.
M. Stamatakis : C’est correct.
La sénatrice Pate : Eh bien, ce n’est pas correct, et je vous prie de m’excuser.
Je pense que vous avez tous les deux entendu le groupe de témoins précédent. Comme Mme Worme, qui faisait partie de ce groupe de témoins, l’a indiqué et comme vous l’avez également souligné, M. Roebuck, l’interconnexion entre les accusés et les victimes — en particulier lorsqu’il s’agit de violence à l’égard des femmes et, selon moi, en particulier lorsqu’il s’agit de femmes autochtones qui sont bien trop souvent criminalisées lorsqu’elles réagissent à des situations dans lesquelles elles sont victimisées — signifie que ces victimes se retrouvent dans des situations où on les encourage fortement à plaider coupable ou elles assument cette responsabilité pour des raisons d’ordre éthique, familial, moral ou autre.
Dans les rares cas où un examen de ce contexte a eu lieu, le principal défi n’était pas seulement lié aux préjugés de la police, mais aussi à ceux de la Couronne, de la défense et du système judiciaire, car dès que quelqu’un entend une femme dire qu’elle se sent responsable, c’est presque comme si cela signifiait automatiquement qu’elle est effectivement responsable.
Nous savons que dans le cadre de l’Examen de la légitime défense, la juge Ratushny a recommandé de traiter avec les peines minimales obligatoires en partie pour lutter contre cette pression. J’aimerais donc savoir ce que vous recommanderiez pour faire avancer les choses pour les victimes des deux côtés, si l’on peut dire — les femmes autochtones qui ont déjà été victimisées, mais pour la journée, elles pourraient très bien avoir été étiquetées comme victimes dans l’affaire — et comment nous pourrions aborder, selon vous, certains de ces enjeux et comment nous ne pouvons pas nous contenter de sensibiliser les gens, car nous devons aussi veiller à ce que ces éléments contextuels fassent partie de l’examen de la commission, car c’est la raison principale — selon le juge LaForme et la juge Westmoreland-Traoré — pour laquelle aucune femme, en particulier aucune femme racisée, n’a obtenu un réexamen de son cas.
M. Roebuck : Oui, je vous remercie. Puisque les préjugés représentent un facteur contributif, il est important de s’en occuper et d’en tenir compte. La composition des membres de la commission devrait au moins représenter les gens qui peuvent demander de l’aide. Un seul commissaire autochtone n’est pas suffisant si nous savons que les Autochtones sont surreprésentés dans ces affaires. Je tiens à exprimer clairement que les personnes condamnées à tort sont des victimes de l’État et qu’elles devraient être traitées de façon appropriée.
Cette représentation crée un contexte dans lequel il est plus facile de reconnaître les préjugés qui ont pu entraîner cette situation. Nous observons que les survivants sont souvent criminalisés. Il faut donc prévoir des mesures de protection.
Je ne me suis peut-être pas exprimé aussi clairement que je l’aurais voulu, mais la réponse est oui.
La sénatrice Pate : Monsieur Stamatakis, avez-vous des recommandations à formuler? Vous avez parlé de l’ADN, mais dans ces cas, il ne s’agit pas d’une situation liée à l’ADN. Il s’agit du contexte de la violence préexistante qui n’est souvent même pas exploré ou qui, s’il est connu, n’est pas considéré comme étant pertinent.
M. Stamatakis : Oui. En parlant strictement du point de vue des services de police et de mon expérience dans ce domaine, le manque de ressources est souvent le problème sous-jacent. Il y a de nombreux exemples dans lesquels, pour les raisons que vous avez mentionnées, les gens, lorsqu’ils n’ont pas accès aux ressources nécessaires, plaident souvent coupables juste pour en finir ou ils acceptent une sorte d’entente de plaidoyer pour enfin pouvoir passer à autre chose. Ils n’ont personne pour les défendre. Il y a aussi les avocats de la Couronne, qui doivent traiter de multiples dossiers en même temps et qui sont trop heureux de clore certains dossiers pour obtenir des résultats.
La question sous-jacente est de savoir comment obtenir les ressources nécessaires, y compris pour la commission proposée, et comment s’assurer que la représentation est adéquate. C’est un point qui a déjà été soulevé à de nombreuses reprises, notamment par Mme Worme, je crois, plus tôt, car il faut que les personnes qui agissent à titre de commissaires aient reçu une formation appropriée qui leur permet de prendre conscience de leurs propres préjugés et de la façon de les maîtriser et de répondre aux personnes qui font une demande d’une manière qui tient compte des traumatismes.
Nous devons intégrer ces notions dans tous nos systèmes, et ce, à chaque étape du processus. Au sein de la police, nous mettons l’accent sur les approches qui tiennent compte des traumatismes pour interagir avec les victimes, mais cela n’a pas toujours été fait de la meilleure façon possible. Il y a maintenant de nombreuses formations sur les préjugés qui nous aident à prendre conscience de nos propres préjugés lorsque nous interagissons avec différents groupes racisés dans nos collectivités.
Je ne saurais trop insister — et on a déjà soulevé ce point — sur l’importance d’intégrer ce type de formation et ces notions dans l’approche utilisée dans le cadre du travail qui sera effectué par cette commission, afin de nous assurer de prendre en compte les nombreux obstacles, qu’ils soient de nature socioéconomique ou autre, auxquels ces personnes font face lorsque nous répondons à leurs demandes pour qu’elles reçoivent un traitement équitable, mais aussi pour que leur point de vue soit pris en compte non seulement de manière équitable, mais aussi objective, dans les circonstances.
[Français]
La sénatrice Oudar : Merci à nos deux témoins. Ma question s’adresse à M. Roebuck. En fait, je suis préoccupée par toute la question des victimes.
Au cours de mes dernières années de carrière, en collaboration avec l’organisation que je dirigeais, j’ai administré le programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels au Québec.
J’ai des questions dans la foulée de celles que vous a posées le sénateur Carignan. Vous avez répondu au sujet de la représentation; je vais vous amener à l’accompagnement des victimes. En lisant la Charte canadienne des droits des victimes, j’ai voulu mieux cerner les services qu’offre votre organisation par rapport à l’accompagnement de ces victimes. J’aimerais également que vous nous parliez des ressources.
Lorsqu’on lit la Charte canadienne des droits des victimes, qui s’applique à toutes les victimes... J’aimerais mieux cerner les services de votre organisation par rapport à l’accompagnement de ces victimes et vous entendre sur les ressources. Les victimes ont le droit d’être informées de tout ce qui concerne leur dossier — je pense qu’on est au cœur de la question.
Si le dossier prend une tournure différente — et s’il y a eu une erreur judiciaire —, on doit prendre soin de la victime afin qu’elle soit correctement informée, accompagnée et conseillée, car elle sera appelée à témoigner dans le cadre d’une procédure qui sera organisée par la commission.
Comment voyez-vous plus spécifiquement votre rôle dans l’accompagnement des victimes, et comment en prenez-vous soin? Les aidez-vous aussi à préparer leur témoignage, qu’elles devront éventuellement livrer puisqu’elles ont le droit, compte tenu de la Charte, de présenter une déclaration aux autorités compétentes?
Je pense que l’article sur le droit de participation qui se trouve dans la Charte des droits des victimes s’applique à la situation dont nous discutons ici.
Je voudrais vous entendre sur les services offerts par votre organisme en ce qui concerne les droits des victimes.
Est-ce que vous allez jusqu’à accompagner la victime physiquement lors des audiences, en plus d’offrir des services d’information et d’accompagnement? On sait que c’est au moment des audiences que de grandes doses de stress sont vécues par les victimes. Vous le savez, beaucoup de victimes se désistent dans la crainte de vivre ce stress lors des audiences; voilà pourquoi c’est si important d’être présent physiquement, et non pas au moyen de services téléphoniques.
Croyez-vous que la mission de votre organisation va changer si cette loi est adoptée? Est-ce que vous avez les ressources suffisantes pour ce faire également?
M. Roebuck : C’est une bonne question.
[Traduction]
Votre intervention contenait de nombreuses questions. Il est important de distinguer notre rôle de service d’ombudsman de celui des fournisseurs de services directs de première ligne, car il doit exister un endroit où l’on peut demander de l’aide si on n’obtient pas ce dont on a besoin de la part de ces services.
Si nous mettons en place ce genre de choses à l’échelon fédéral, il devrait au moins exister des mécanismes à l’échelon provincial qui offrent un soutien aux victimes et aux témoins, ainsi que des gens qui coordonnent le processus, accompagnent ces personnes et leur fournissent des renseignements. Nous appuyons parfois les gens dans le cadre d’un processus de plainte, d’une comparution devant le tribunal ou d’une autre activité connexe, mais cela ne fait pas partie de nos services principaux, et il faut donc prévoir des soutiens à cet égard.
Je m’attends à ce que nous devions consacrer plus de temps et d’attention à la manière dont les victimes sont traitées dans le cadre de ce processus, ainsi qu’aux consultations. J’ai aussi entendu parler de la participation. Il faut établir cela et consulter les survivants au Canada en vue de déterminer leurs besoins.
La sénatrice Senior : Ma question s’adresse à M. Stamatakis et elle fait suite à la question de la sénatrice Batters au sujet des échéances.
Vous avez dit qu’il y avait deux volets en ce qui concerne les échéances. J’aimerais en savoir plus au sujet de l’un de ces volets, car vous avez parlé d’un délai de 5, 10, 15 ou 20 ans pour certaines plaintes, compte tenu de toutes les variables qui entrent en jeu.
J’aimerais savoir si vous pensez à une échéance qui serait trop longue, en particulier en ce qui concerne certains témoignages que nous avons entendus au sujet de personnes qui ont passé des années en prison à attendre que leur dossier soit examiné ou qu’on les croie pour que leur dossier puisse ensuite être examiné. J’aimerais donc en savoir plus au sujet de ces deux choses. Comment pouvez-vous trouver un équilibre, compte tenu de votre préoccupation?
M. Stamatakis : On peut faire l’équilibre de deux manières. Tout d’abord, s’il y a beaucoup de nouvelles données ou informations qui remettent en question une condamnation, on examinerait bien sûr cette affaire, peu importe combien temps a passé.
Je répondais à la question sur le seuil nécessaire pour considérer une demande.
Je m’attendrais à ce que la création de quelque chose de ce genre, on peut l’espérer, règle certaines affaires dont vous avez parlé où les gens croupissent pour toujours ou attendent que quelqu’un les croie. J’aimerais penser que la création de cette commission donnerait aux gens la possibilité de présenter une demande pour qu’on réexamine les circonstances entourant une affaire, ce qui amènerait la commission à réagir. La commission aurait ensuite un délai à respecter pour faire enquête ou mener un examen en temps opportun. Ainsi, on éviterait que les gens attendent pendant des années et passent devant divers paliers de tribunaux pour obtenir un résultat. J’espère que cette réponse clarifie ce que je voulais dire.
La sénatrice Senior : Merci.
La sénatrice Clement : Merci aux témoins. Ma première question s’adresse à M. Stamakis, puis la suivante, à M. Roebuck.
Tout d’abord, je tiens à vous remercier, monsieur Stamakis, de votre travail et de celui de vos membres. Quand j’étais mairesse de Cornwall, nous travaillions étroitement avec le service de police municipal et nous en étions reconnaissants. Nous étions également inquiets pour eux et leur santé mentale à cause des traumatismes qu’ils vivaient sur le terrain.
Ma question vise à savoir si vous connaissez la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires. Mes collègues commencent à comprendre que je vais citer cette stratégie à toutes les réunions. Dans le deuxième pilier sous « Maintien de l’ordre », il est écrit que :
Portant une attention particulière à la dynamique des interventions policières et de la surveillance excessives dans les communautés noires, ce pilier examine les pratiques policières qui entraînent une augmentation des détentions, des arrestations et...
Au fond, il y a une surreprésentation dans le système.
Je me demande si vous pourriez nous parler de ce que fait votre organisation concernant cette stratégie et ce pilier en particulier.
Monsieur Roebuck, M. Stamakis a dit dans son exposé qu’il aimerait que les services policiers soient représentés à la commission. Certains d’entre nous autour de la table parlent de la représentation des Noirs et des Autochtones. Je me demandais si vous aviez quelque chose à dire quant à la représentativité des commissaires et à la façon dont nous devrions réfléchir à ce processus.
M. Stamatakis : Concernant mon organisation et ce que nous faisons à l’égard du pilier que vous avez mentionné, je milite dans la communauté policière pour que nous soyons à l’écoute des préoccupations des Autochtones, des Noirs ou d’autres groupes racisés dans les collectivités que nous desservons. Nous devons compter sur eux pour façonner notre façon de servir ces collectivités. À mon avis, ce lien n’a pas été aussi fort qu’il aurait dû l’être par le passé. Nous nous sommes améliorés, mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour trouver des façons de tisser des liens.
Je sais que certaines de nos organisations membres mettent sur pied des groupes consultatifs avec lesquels elles interagissent, mais nous devons faire mieux pour inclure des représentants de ces communautés qui craignent notre façon de travailler avec elles. Nous devons répondre à ces craintes et utiliser cette information pour orienter notre formation, notre pratique et notre façon d’interagir avec ces communautés. Par le passé, c’était une lacune ou un échec, ou le mot que vous voudrez. Nous n’avons pas communiqué de façon significative et n’avons pas tenu compte de ces différents points de vue dans notre formation et notre pratique. Je pense que si nous faisons cela, je l’espère, nous aurons de meilleures relations avec ces communautés, la communauté noire, la communauté autochtone et d’autres groupes racisés. Nous pourrons être plus attentifs à leurs différentes cultures, leurs valeurs, leurs pratiques et leurs traditions, auxquelles nous devrions être plus sensibles que nous ne l’avons été.
La sénatrice Clement : Merci.
M. Roebuck : Je pense que l’on continue d’investir beaucoup dans des mécanismes comme celui-ci pour défendre les droits des accusés ou de ceux qui sont passés dans le système, mais on n’investit pas de façon équivalente pour répondre aux besoins des victimes d’actes criminels. Notre bureau mène actuellement une enquête systémique partout au Canada sur la façon dont les survivants d’agressions sexuelles sont traités dans le système de justice, et nous constatons clairement qu’il y a des obstacles à l’accès à la justice et que souvent, les gens n’obtiennent ni condamnation ni justice lorsqu’ils se manifestent.
Comme vous l’avez mentionné, même l’intérêt des victimes d’actes criminels n’est pas entièrement représenté dans la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires. Elles se butent à des obstacles quand elles portent plainte à la police. Si les gens sont criminalisés dans ce groupe en particulier, souvent, les survivants de ce groupe ne se sentiront pas à l’aise d’accéder au système. Nous aurions aimé qu’on examine plus en détail ces éléments et les obstacles systémiques auxquels les survivants font face dans l’accès à la justice.
À l’échelle fédérale, dans une organisation comme celle-ci, il faudrait un haut-commissaire ou un poste équivalent consacré à répondre aux besoins des victimes d’actes criminels, parce que c’est un des principaux intérêts en jeu. C’est une erreur de justice pour les victimes, et il faut y accorder la même attention et les mêmes ressources de manière différente que ce qui est prévu pour les gens qui accèdent au programme, mais il devrait y avoir une équivalence. Il faudrait y réfléchir avec soin.
En réponse à une question précédente, je pense que bien que l’on ait investi dans ces mécanismes, on n’a pas fait d’investissement équivalent dans les mécanismes comme le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels. On a fixé notre budget en 2007, et il n’a pas augmenté depuis. La Charte canadienne des droits des victimes n’a absolument pas mené à une augmentation. Cela va exiger du travail de notre part, et il faut un geste concret. Nous avons besoin d’un projet de loi pour faire enquête et demander de l’information en vue de répondre aux inquiétudes des victimes, parce qu’à l’heure actuelle, on refuse des demandes d’information dans notre mécanisme de plaintes pour les survivants.
Nous devons corriger ces éléments en même temps si nous voulons améliorer ce qui entoure les erreurs judiciaires pour les accusés.
Le président : J’aimerais prendre la liberté de poser une ou deux questions, si vous le permettez. Mes questions s’adressent particulièrement à M. Stamakis.
Merci de votre exposé ici et du travail que vous et votre organisation faites depuis de nombreuses années afin de défendre les points de vue responsables de la police sur ces questions.
Je voulais surtout faire un commentaire et voir si vous étiez d’accord. Vous avez parlé du besoin d’avoir des délais pour ce genre d’enquêtes, mais une des difficultés, c’est que certaines enquêtes sont complexes. Si l’on établit un délai, on risque de tronquer une enquête pertinente.
J’ai autorisé une nouvelle enquête sur la condamnation de David Milgaard il y a deux ou trois ans, après que la Cour suprême a résolu le caractère erroné de cette condamnation et l’a suspendue. Le procureur général adjoint de l’Alberta, un procureur et 14 policiers y avaient travaillé. Il a fallu deux ans avant qu’ils puissent produire un rapport. C’était une affaire inhabituelle pour tout dire, mais je crains un peu que si l’on déclare que tout doit se faire en 12 mois, cela ne cause des problèmes. Au fond, je vous invite à convenir avec moi que parfois, il faut être attentif au besoin d’une enquête prolongée pour que justice soit rendue. J’aurai ensuite une question pour vous.
M. Stamatakis : Je pense que pour répondre à cette préoccupation, et je suis d’accord avec vous... On ne veut certainement pas créer un mécanisme qui mène à une autre enquête incomplète. Il faut établir des délais de production de rapports.
Par exemple, partout au pays, il y a des lois provinciales sur la supervision de la police. Toutes ces lois prévoient un délai, mais un mécanisme permet de demander une prolongation. Cela nous assure qu’il y ait une reddition de comptes dans le processus, que les enquêteurs procèdent avec diligence et qu’ils rendent souvent des comptes sur leur progrès. C’est un incitatif à l’efficacité. C’est mon point de vue.
Le président : Je pense que votre réponse était meilleure que ma question. Merci. J’étais soumis aux contraintes que vous venez de décrire.
Pourrais-je maintenant vous poser une question que j’estime difficile? Vous avez été franc et ouvert concernant l’accès à l’information de tous les participants, disant qu’il faudrait exiger non seulement qu’ils participent tous, mais qu’ils vous transmettent les informations qu’ils possèdent. Une des questions soulevées consiste à savoir si les commissions comme celle-ci devraient avoir accès aux communications privilégiées entre les procureurs et les policiers. Il y a des exceptions à cela, quand les barreaux examinent le comportement d’un avocat, et cela me semble être une question ardue. D’habitude, nous n’avons pas la chance — si je puis dire — de poser des questions à des représentants de la police, et j’aimerais beaucoup connaître votre perspective sur la pertinence de suspendre un tel privilège à ces fins.
M. Stamatakis : Je ne suis pas avocat, mais je vais commencer par dire ceci. Je ne pense pas qu’il faut en faire une règle, mais dans certaines circonstances, on voudrait accéder à ces communications, parce qu’elles pourraient s’avérer indispensables et expliquer pourquoi on présente une demande en premier lieu et qu’il y a une enquête.
Je pense que pourvu qu’un mécanisme dans le projet de loi ou un règlement permettent de conserver le caractère privilégié des communications privilégiées, même s’il y a un processus d’accès à ces communications, ce serait sans doute un bon équilibre entre le besoin de protéger ces communications et la garantie que l’enquête est complète.
Le président : Merci. C’est très utile.
Je pense que cela nous amène à la fin de la réunion d’aujourd’hui. Nous avons d’autres engagements dans quelques minutes seulement pour honorer nos responsabilités sénatoriales, mais juste avant notre départ, je tiens à remercier mes collègues d’avoir posé des questions réfléchies, précises. Merci à MM. Roebuck et Stamakis de nous avoir fourni des réponses riches durant nos discussions. Nous avons beaucoup apprécié votre savoir, votre expérience et votre ouverture à répondre à nos questions dans le cadre de notre étude sur ce projet de loi très important.
Juste un rappel avant notre départ, nous tiendrons une autre réunion avec témoins sur le projet de loi C-40 le mercredi 20 novembre en après-midi. Puis, nous avons l’intention de passer à l’étude article par article du projet de loi le jeudi 21 novembre. Ce sera après la semaine de relâche, mais ce seront nos deux réunions avec un ordre du jour précis durant la première semaine après la relâche.
Encore une fois, merci beaucoup de votre attention.
(La séance est levée.)