LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 8 février 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui avec vidéoconférence à 11 h 45 (HE) pour étudier le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente : Bonjour et bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je me présente : Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique, et j’invite mes collègues à se présenter également.
Le sénateur Cotter : Merci, madame la présidente. Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan.
La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, territoire du Traité no 6.
La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici sur le territoire non cédé des nations algonquines et anishinabek.
La sénatrice Clement : Sénatrice Clement, de l’Ontario.
Le sénateur Prosper : Sénateur Prosper, de la Nouvelle-Écosse, terre traditionnelle des Mi’kmaqs.
Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue. Marty Klyne, de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.
Le sénateur Dalphond : Pierre J. Dalphond, division sénatoriale De Lorimier, au Québec; le grand chevalier.
[Traduction]
La présidente : Merci, chers collègue. Si vous êtes prêts à commencer, nous aimerions vous entendre. Maître Elliott, vous avez la parole.
Me Kyle Elliott, président, Association des avocats noirs du Canada : Bonjour. Tout d’abord, merci d’avoir invité l’AANC, l’Association des avocats noirs du Canada, à s’exprimer sur ces grands enjeux de la justice pénale. Je m’appelle Kyle Elliott et je suis président de l’Association. Je suis accompagné de ma collègue Theresa Donkor, membre du Comité de représentation et du Sous-comité de réforme de la justice pénale et des services de police de l’AANC.
Comme vous le savez peut-être, notre association est le plus important regroupement professionnel d’avocats noirs au pays. Les membres de l’AANC sont des avocats noirs de partout au pays qui pratiquent dans tous les domaines du droit. Nous avons des sections en Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Ontario, au Québec et en Nouvelle-Écosse.
Pour les enjeux de cette nature, nous comptons beaucoup sur les membres de notre Sous-comité de réforme de la justice pénale et des services de police. Le sous-comité a une perspective tout à fait unique sur les questions liées aux relations entre les communautés noires et le système de justice, puisqu’il est composé d’avocats de la défense et de procureurs qui sont tous membres des communautés noires et qui travaillent tous avec des communautés noires dans l’exercice de leurs fonctions.
Cela dit, je commencerai par préciser que l’Association des avocats noirs du Canada appuie vigoureusement le projet de loi S230. Celui-ci ne porte pas seulement sur les droits des détenus. Il porte sur les droits de la personne, parce que l’humanité ne s’arrête pas aux portes de la prison.
Nous nous intéressons particulièrement à ce projet de loi en raison du fait troublant que les Noirs sont, de façon disproportionnée, soumis à des conditions de détention plus sévères. Malgré la promesse du gouvernement de mettre fin à l’isolement, les données du Bureau de l’enquêteur correctionnel et du rapport intitulé Expert Report on Crime, Criminal Justice, and the Experience of Black Canadians in Toronto, Ontario, publié en 2021, font de nos prisons un portrait désastreux, notamment en ce qui concerne le traitement des Noirs. Nous savons déjà que les Noirs sont surreprésentés dans le système carcéral en général, mais ces rapports révèlent également que les détenus noirs sont plus nombreux à faire l’objet d’accusations disciplinaires, à être placés en isolement, à être classés dans des catégories à risque élevé et à faire l’objet de mesures brutales.
Le rapport d’expert précise que la plupart des éléments de preuve donnent à penser que les Noirs sont rarement traités avec dignité et respect par le personnel du Service correctionnel du Canada.
Dans une décision de détermination de la peine rendue en 2020, le juge Todd Ducharme de la Cour supérieure de Toronto a déclaré ceci :
Si une peine est plus sévère pour un homme noir en raison du racisme systémique anti-Noirs dans le système correctionnel, toute peine que j’imposerai devra donc être réduite de ce fait.
À notre avis, il est grand temps que ce principe soit également énoncé dans le droit.
Me Theresa Donkor, membre, Comité de réforme de la justice pénale et des services de police, Association des avocats noirs du Canada : Honorables sénateurs, compte tenu du peu de temps dont nous disposons, j’aimerais me concentrer sur trois enjeux.
Nous tenons d’abord à souligner l’importance de la disposition qui permettrait de demander au tribunal une réduction de peine s’il y a eu injustice dans l’administration de la peine.
Il existe, dans notre système de justice pénale, des mécanismes pour remédier aux violations des droits garantis par la Charte avant le procès. Pas plus tard que le mois dernier, une accusation d’usage d’arme à feu portée contre un jeune Noir de 19 ans a été suspendue quand le juge s’est aperçu que celui-ci avait été victime d’une utilisation injustifiée et excessive de gaz poivré, suivie de deux semaines d’isolement cellulaire. Pire encore, les agents correctionnels avaient menti pour justifier ce recours à la force. Cela s’est produit dans un centre de détention provincial, mais, ne vous y trompez pas, ce genre d’incident se produit également dans nos établissements fédéraux.
Certains de mes propres clients ont vécu ce genre d’expérience. Pourtant, une fois condamnés, les détenus ne disposent d’à peu près aucun recours efficace en cas de violation de leurs droits. En permettant aux détenus de revenir devant le tribunal qui leur a imposé leur peine, on peut s’assurer qu’ils recevront vraiment des peines proportionnelles. L’article 198.1 proposé est indispensable à la protection et au maintien des droits, trop longtemps ignorés, des détenus.
Deuxièmement, nous sommes favorables à la recommandation d’autres témoins d’élargir la définition des UIS, les unités d’intervention structurée. Toute forme d’isolement, qu’une personne fasse partie ou non de la population générale, devrait être visée par cette définition. Cela comprendrait, sans s’y limiter, les rangées d’association limitée volontaire, les cellules nues, les cellules d’observation, et même les confinements de rangées. Plus précisément, toute personne détenue pendant plus de 48 heures qui ne sort pas au moins quatre heures à l’extérieur de sa cellule, avec deux heures de contact humain réel, devrait également avoir droit à la procédure de contrôle proposée dans ce projet de loi.
Troisièmement, nous insistons, bien sûr, sur l’importance du projet de loi S-230. Un seul projet de loi ne peut évidemment pas régler tous les problèmes de notre système correctionnel, mais c’est un pas, et non des moindres, dans la bonne direction.
Il y a déjà presque 30 ans, le rapport Arbour dénonçait l’absence de primauté du droit dans le système correctionnel. Nous constatons malheureusement que c’est toujours le cas de nos jours. Il ne faudrait pas laisser s’écouler encore 30 ans avant de mettre en œuvre ces changements importants. Les droits des détenus sont des droits de la personne, et, comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Stillman :
Le traitement que des mandataires de l’État réservent même à l’individu le moins digne d’égards sera souvent une indication du traitement que tous les citoyens de l’État peuvent s’attendre à recevoir en fin de compte.
Notre mémoire contient d’autres recommandations et ressources, mais nous serons heureux de répondre à vos questions. Merci.
La présidente : Merci beaucoup de votre exposé. Nous allons maintenant entendre le professeur Jackson. Monsieur Jackson, depuis que je suis au Canada, j’ai eu l’occasion de vous rencontrer une ou deux fois puisque j’ai également étudié à l’Université de la Colombie-Britannique. J’admire votre persévérance et votre détermination à améliorer la situation des détenus, et c’est un honneur de vous accueillir ici. Bienvenue à vous, professeur.
Michael Jackson, professeur émérite de droit, Faculté de droit Peter A. Allard, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis les territoires non cédés des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh et je tiens à remercier la sénatrice Jaffer de ses aimables remarques.
Depuis plus d’un demi-siècle d’exercice de ma profession, je fais des recherches sur le droit, les politiques et les pratiques en matière correctionnelle au Canada. J’ai représenté des détenus dans des affaires de droit correctionnel à tous les niveaux du système judiciaire, y compris devant la Cour suprême du Canada. J’ai comparu au nom de l’Association du Barreau canadien devant des comités du Sénat et de la Chambre des communes. J’ai été conseiller auprès de commissions royales et de commissions d’enquête, dont la Commission royale sur les peuples autochtones et la Commission Arbour. Je suis également président de la West Coast Prison Justice Society, dont la vice-présidente, Debra Parkes, vous a parlé hier.
J’ai présenté un mémoire écrit, qui est en cours de traduction, sur la disposition du projet de loi prévoyant le recours judiciaire de réduction de la peine, appelé à juste titre recours Arbour.
Dans mon mémoire, j’explique le contexte historique et l’évolution du contrôle judiciaire de l’administration des prisons, ainsi que les raisons pour lesquelles le recours judiciaire supplémentaire prévu dans le projet de loi est un élément essentiel des mesures de réparation destinées à redonner vigueur au principe de la primauté du droit, encore à faire valoir, entre les murs des prisons, conformément aux demandes insistantes énoncées dans des rapports de comités du Sénat et de la Chambre et par la Cour suprême du Canada.
En conclusion de mon mémoire et de mon exposé d’aujourd’hui, je demande aux membres du Comité d’examiner la disposition corrective sous deux angles connexes. Le premier est le poids de l’emprisonnement, et le deuxième est l’équité de la justice.
C’est dans les années 1970 que j’ai découvert la notion de poids de l’emprisonnement dans le cadre d’entrevues avec des détenus, à l’occasion d’une affaire où j’ai commencé à contester les conditions brutales de l’isolement cellulaire à la Bastille, ancien pénitencier de la Colombie-Britannique.
Nous qui vivons à l’air libre passons du temps. Les prisonniers, eux, font du temps. Le temps est une force. Les délinquants sont frappés d’une peine de temps, et, en argot, on parlait autrefois de marmitage, qui signifie bombardement dense. Une peine d’emprisonnement n’a pas seulement de la force, elle a aussi une masse et un poids. Une peine trop lourde peut asphyxier. Ce n’est pas seulement sous la forme de conditions d’isolement prolongé que nous pouvons concevoir le poids de l’emprisonnement, même ceux d’entre nous qui n’en ont jamais fait l’expérience, et ce n’est pas non plus une expérience seulement physique pour les détenus qui font l’objet d’un recours illégal et excessif à la force par une équipe d’intervention d’urgence qui manie des matraques et les asperge de gaz.
Il existe toutes sortes d’autres situations dans lesquelles le poids d’une décision illégale alourdit et intensifie la douleur de l’emprisonnement.
Voici seulement trois exemples parmi tous ceux qui sont documentés. L’isolement dans une unité d’intervention structurée, ainsi que M. Zinger l’a expliqué hier et que l’intervenant précédent l’a également signalé; les nombreuses autres formes d’isolement comme l’isolement sans justification légale ou en violation des exigences relatives au contact humain réel; les mois et parfois les années d’incarcération dans un pénitencier à sécurité maximale à la suite d’un transfèrement injuste et illégal. Ajoutons la fouille à nu dégradante et le placement dans des dispositifs de contrainte sans justification légale.
Voyons maintenant la notion d’équité de la justice. Je donne suite à ce que l’intervenant précédent a si éloquemment expliqué. Lorsqu’un juge condamne un délinquant à une peine d’emprisonnement, la durée de la peine est évaluée en fonction des objectifs de la détermination de la peine énoncés dans le Code criminel et la jurisprudence.
L’équité de la justice n’exige pas que chaque jour passé en prison soit un jour parfait, mais elle exige que l’administration de la peine soit conforme à la primauté du droit. La raison d’être du recours Arbour, tel qu’il se traduit dans ce projet de loi, est de recalibrer la peine lorsqu’un prisonnier est détenu dans des conditions d’isolement ou subit les effets de décisions correctionnelles illégales ou injustes qui augmentent le poids et la douleur de l’emprisonnement et qui compromettent l’intégrité de la peine.
Les contrôles judiciaires individuels, les requêtes en habeas corpus, les recours collectifs et les contestations constitutionnelles complexes — toutes procédures auxquelles j’ai participé — sont des moyens importants, mais le recours supplémentaire proposé dans ce projet de loi, mesuré en monnaie et poids de temps, fait clairement valoir que le système correctionnel fait partie intégrante du continuum de la justice pénale et que les tribunaux doivent, en assumant un rôle indépendant, veiller à ce que les peines qu’ils imposent soient administrées conformément au droit et à une culture qui respecte la primauté du droit.
Il est difficile de formuler dans une langue juridique précise le seuil où le poids de l’emprisonnement exige un recalibrage de la peine et de l’équité de la justice, mais je crois que ce projet de loi fournit un cadre législatif suffisamment large, tout en restant intelligible, qui permettra à la magistrature d’évoluer.
Merci.
La présidente : Merci, monsieur Jackson.
Le sénateur Dalphond : Les deux témoins ont parlé de mémoires présentés au comité. Nous ne les avons pas reçus. Me voilà donc dans une situation difficile. Ils seraient peut-être en cours de traduction. Des gens prennent la peine de préparer de bons mémoires, mais il est difficile de poser de bonnes questions à ces témoins si nous n’avons pas leurs mémoires.
Merci.
La présidente : Je suis désolée, sénateur Dalphond. Ce sont les aléas du bilinguisme, et les documents sont effectivement en cours de traduction.
Le sénateur Dalphond : Il serait bon d’avertir nos témoins de déposer leurs mémoires suffisamment tôt pour que nous puissions les faire traduire, à moins qu’ils soient rédigés dans les deux langues. Ils ont des membres au Québec, et cela aurait pu être fait... ils pourraient fournir 90 % du travail, et une personne versée en droit pourrait s’occuper des 10 % restants.
Je crois qu’on devrait dire à nos témoins qu’il est préférable de présenter un mémoire dans les deux langues ou, sinon, de l’envoyer des semaines à l’avance. À vrai dire, je ne me sens pas prêt à poser des questions, parce que je n’ai pas eu l’occasion de prendre connaissance de ces mémoires.
Peut-être pourriez-vous me résumer un peu les choses. Vous avez dit qu’il y avait trois enjeux importants pour vous. J’ai noté que le premier est la demande présentée à un tribunal pour remédier à des conditions de détention inappropriées. À partir de là, vous adressez-vous au pouvoir judiciaire pour obtenir une réduction de la peine s’il est avéré que le condamné a été détenu dans des conditions inappropriées?
Le deuxième enjeu est l’élargissement de la définition d’unité d’intervention structurée pour y inclure ce qui est proposé dans le projet de loi — et toutes sortes d’arrangements semblables.
J’ai vraiment manqué le troisième, et j’aimerais donc que vous me le rappeliez.
Me Donkor : Certainement, sénateur Dalphond. Je tiens d’abord et surtout à m’excuser de ne pas avoir fourni de version traduite de notre mémoire, mais j’espère...
Le sénateur Dalphond : Ce n’est pas nécessaire, mais nous devons avoir un système capable de s’en occuper.
Me Donkor : Absolument.
Vous avez bien saisi les deux premiers enjeux, le premier étant l’importance d’avoir une sorte de recours contre la mauvaise administration d’une peine. Il s’agirait de renvoyer le détenu devant le tribunal et de permettre une réduction de la peine dans ces circonstances.
Le deuxième est l’élargissement de la définition d’unité d’intervention structurée. Le projet de loi propose déjà une définition, et nous suggérons simplement d’élargir cette...
Le sénateur Dalphond : Aller encore plus loin? Expliquez-vous dans le mémoire jusqu’où vous voudriez aller?
Me Donkor : Oui. Nous appuyons la recommandation de l’Association canadienne du droit carcéral. Elle propose dans son mémoire une définition que nous adopterions également. Ce qu’il faut retenir, c’est que la notion d’unité d’intervention structurée devrait englober toute forme d’isolement, que les intéressés fassent ou non partie de la population carcérale générale.
Le troisième enjeu est l’importance du projet de loi en général, étant donné que certaines de ses dispositions ont fait l’objet de recommandations il y a déjà 30 ans, mais que nous constatons encore des injustices dans notre système correctionnel. Il est donc grand temps d’apporter des changements profonds.
Le sénateur Dalphond : Il s’agirait de faire respecter la primauté du droit dans les centres de détention?
Me Donkor : Oui, tout à fait.
Le sénateur Dalphond : En ce qui concerne le premier enjeu, vous avez parlé d’une cause jugée au provincial en Ontario. Quelle a été la conclusion du juge? La peine a-t-elle été réduite?
Me Donkor : Oui, il s’agissait de l’affaire McKingsford Marfo. Une copie en est jointe à notre mémoire, mais je peux vous fournir la référence. La cause est numérotée 5663 ONSC 2020. Le dossier complet est fourni en annexe à notre mémoire.
Dans cette affaire, le juge a tenu compte du fait qu’un homme noir subira inévitablement des conditions de détention plus sévères en raison du racisme systémique anti-noir et que c’est un facteur à prendre en considération au moment de la détermination de la peine. Cette affaire a récemment été citée et entérinée par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Hills.
On voit donc que nos tribunaux en tiennent compte aujourd’hui, mais il serait important que ce soit inscrit dans la loi pour que ce soit examiné non seulement au moment où l’intéressé est condamné, mais aussi au cours de sa détention, c’est-à-dire que les tribunaux pourraient, par la suite, examiner la peine et déterminer si elle est vraiment proportionnelle. La question étant : la peine purgée est-elle vraiment proportionnelle à l’infraction dont le détenu a été reconnu coupable?
Le sénateur Dalphond : Il ne s’agit pas d’une révision de la peine a posteriori, mais plutôt d’un autre critère appliqué dans le processus de détermination de la peine.
Me Donkor : À l’heure actuelle, oui.
Le sénateur Dalphond : Merci.
La présidente : Sénateur Dalphond, vous aviez raison, mais je ne voudrais pas que les témoins pensent que c’est une remarque à votre sujet. Nous allons essayer de mieux faire circuler les mémoires. N’y pensez plus quand vous partirez d’ici, je vous en prie.
La sénatrice Pate : Serait-il acceptable d’informer les témoins qu’ils peuvent les envoyer directement par courriel à chacun des membres du Comité pendant que nous attendons? Je ne voudrais pas faire quelque chose que nous ne sommes pas censés faire.
La présidente : Ce n’est pas dans nos habitudes.
La sénatrice Pate : D’accord.
La présidente : Mais je vais en parler au comité directeur. Merci.
Le sénateur Prosper : Merci aux témoins d’être venus aujourd’hui.
J’ai une question pour Me Elliott, Me Donkor et le professeur Jackson.
Tout d’abord, maître Elliott, vous avez dit que les détenus noirs risquent davantage de ne pas être traités avec la dignité et le respect qui conviennent, et vous avez énuméré un certain nombre de faits comme le recours à la force, le risque accru de confinement, etc. Cela étant, pourriez-vous — ou vous, maître Donkor — nous dire pourquoi il en est ainsi à votre avis?
J’ai aussi une question pour M. Jackson. Concernant l’application du principe de primauté du droit, je crois que vous avez parlé d’une culture qui respecterait la primauté du droit. Cet élément de la culture comporte de nombreuses caractéristiques, et j’aimerais que vous nous en parliez.
Mais d’abord, je vais permettre à Me Elliott et à Me Donkor de répondre. Merci.
Me Elliott : Je vous remercie de cette question, sénatrice. L’argument est directement tiré du rapport d’expert sur la criminalité dont j’ai parlé et qui est joint à notre mémoire, mais je n’ai pas le mémoire sous les yeux en ce moment même.
J’invite Me Donkor à compléter ce que j’ai dit, car ce rapport, bien qu’il fournisse des renseignements utiles en soi, ne pourra pas répondre suffisamment à votre question.
Je dirais que le racisme systémique anti-noir se révèle et se manifeste à chaque étape du processus, depuis le début de l’interaction policière jusqu’à la détermination de la peine, en passant par les décisions relatives à la détention et aux conditions de détention.
Voilà ma réponse brève pour le moment.
Le sénateur Prosper : Merci.
Me Donkor : Pour revenir à ce qu’a dit Me Elliott, nous savons que les Noirs et les Autochtones sont représentés de façon disproportionnée dans nos systèmes carcéraux, et nous savons aussi qu’ils sont assujettis de façon disproportionnée à des conditions de détention plus sévères. Il n’y a aucune explication, si ce n’est le racisme systémique. Nous savons qu’ils sont traités plus sévèrement et nous ne pouvons pas dire que c’est parce qu’ils sont plus violents, puisque ce n’est pas la race qui rend quelqu’un plus violent. La race n’augmente pas le risque d’infraction. À l’examen des données, on constate régulièrement que les Noirs et les Autochtones vivent des conditions de détention plus sévères, qu’on a davantage recours à la force contre eux et qu’ils sont plus souvent placés dans des établissements à sécurité maximale ou en isolement cellulaire. Il n’y a pas d’autre explication à cela que le racisme systémique, et c’est un problème que nous devons affronter et régler.
Le sénateur Prosper : Merci. Vous avez la parole, professeur Jackson.
M. Jackson : Je vous remercie de votre question. C’est une question très importante. J’ai écouté avec intérêt hier le témoignage de l’enquêteur correctionnel, Ivan Zinger, qui a justement parlé de la raison pour laquelle il n’y a pas de culture du respect des droits de la personne dans les prisons canadiennes. Cela a fait l’objet de commentaires et de critiques pendant les 50 années durant lesquelles j’ai exercé et me suis occupé de recherche.
Je crois qu’il y a plusieurs explications à cela. La juge Arbour en a parlé dans son rapport. Je l’ai constaté tant et plus sur dix années de recherche et en ai rendu compte dans un livre publié à l’aube du millénaire sous le titre de Justice Behind the Walls.
L’administration d’une prison — M. Jeff Wilkins en a parlé hier — est une tâche très difficile. Il a donné un exemple des raisons pour lesquelles les détenus d’une UIS ne peuvent pas obtenir de temps pour un contact humain réel. Par exemple, peut-être qu’il neige dehors et, comme il y a tel nombre d’heures dans une journée, il y a incompatibilité. Il y a une foule d’exigences opérationnelles, comme j’ai pu le constater en discutant longuement avec des détenus, des agents correctionnels et des gestionnaires. Dans les faits, là où le bât blesse, c’est que les contraintes opérationnelles et de sécurité l’emportent sur le droit et sur les droits de la personne — et ce n’est pas parce que les agents se fichent éperdument des droits de la personne ou parce que ce sont de mauvaises personnes. J’ai représenté des agents correctionnels et je connais beaucoup de bonnes personnes qui travaillent dans le système carcéral. Le monde de la détention est intrinsèquement sévère et répressif. Quand le système est géré par de bonnes personnes, il fonctionne mieux, mais au final, c’est un système répressif à l’égard de tout ce que nous apprécions à l’extérieur — l’autonomie, la liberté, la capacité de faire des choix.
On peut comprendre que les agents correctionnels qui entrent dans la prison veulent faire une bonne journée de travail, mais que la balance des droits et des contraintes opérationnelles penche souvent du côté des restrictions plutôt que des droits.
La juge Arbour en a parlé, l’enquêteur correctionnel aussi. Tout le monde en parle, mais il s’agit de savoir comment y remédier. Comme je l’explique dans mon mémoire, la juge Arbour est sans illusion et sait que son recours judiciaire n’est pas une panacée. Cela fait partie d’un ensemble de mesures, et cela suppose que le Service correctionnel du Canada lui-même prenne les mesures nécessaires pour enseigner et inculquer ce respect.
Il est également important que des organismes externes, comme les tribunaux et l’enquêteur correctionnel, interrogent continuellement les pratiques pour s’assurer qu’elles sont conformes aux droits.
La sénatrice Simons : Monsieur Jackson, nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais, quand j’étais journaliste au Edmonton Journal, je me souviens d’avoir eu le plaisir de vous interviewer à quelques reprises pour mes enquêtes. Merci beaucoup d’être ici.
L’une des dispositions du projet de loi S-230 prévoit un contrôle judiciaire de chaque placement dans une unité d’intervention structurée dans les 48 heures. J’aimerais savoir, parce que je jongle moi-même avec cette question, si, compte tenu de l’arriéré accumulé dans nos tribunaux, vous pensez qu’une période d’examen après 48 heures est le délai qui convient. Je vais commencer par vous, professeur Jackson.
M. Jackson : J’ai les mêmes réserves dont le professeur Doob vous a fait part en décembre dernier lorsqu’il a témoigné. Le problème tient en partie au fait que, bien souvent, dans les 48 heures, l’information ne fait que commencer à circuler. Le SCC commence à peine à examiner les justifications et les solutions de rechange, et je crains qu’il soit un peu prématuré de solliciter un tribunal dans ce délai.
Dans mes propres recommandations, je préconise un contrôle dans un délai de cinq ou sept jours, qui me semble plus réaliste.
Mais je comprends que l’idée d’accélérer le contrôle se justifie par l’exercice d’une plus grande pression sur le SCC pour qu’il utilise le moins possible les UIS et qu’il envisage des solutions de rechange le plus rapidement possible. J’ai donc des réserves, mais je comprends les raisons d’un contrôle accéléré : il s’agit, en fait, de forcer le SCC à s’organiser sur le plan opérationnel de façon à ce qu’il puisse mener cette enquête préliminaire très rapidement, pour des raisons de priorité et non de commodité.
La sénatrice Simons : Le délai de 48 heures est-il irréaliste ou est-ce celui qui convient?
Me Donkor : Je comprends le point de vue de M. Jackson au sujet des préoccupations que suscite l’arriéré du système judiciaire, mais à mon avis, l’importance de cette question l’emporte sur nos craintes au sujet de la rareté des ressources. Lorsqu’une personne est arrêtée, elle a le droit d’obtenir une mise en liberté sous caution le plus tôt possible; cela devrait se faire dans les 24 heures. Dans ces circonstances, les preuves concrètes du lourd impact psychologique et physique du placement dans une UIS, c’est-à-dire une unité d’intervention structurée, d’un isolement cellulaire ou de toute autre forme d’isolement pendant plus de 48 heures montrent assez le préjudice causé au prisonnier.
Une surveillance judiciaire s’impose impérativement et, comme M. Jackson l’a dit, j’espère que cela forcera notre système correctionnel à envisager des solutions de rechange. Mon expérience me dit que les agents correctionnels placent des détenus dans une UIS parce que c’est la solution la plus rapide à un problème, mais ce n’est pas forcément la meilleure. Le système correctionnel doit donc envisager des solutions de rechange plus humaines et plus adaptées plutôt que de recourir immédiatement au placement en UIS.
La sénatrice Batters : Merci à vous tous d’avoir accepté de comparaître.
Tout d’abord, au sujet de vos mémoires, je suis sûre que vous n’avez même pas été invités à témoigner devant le comité il y a des semaines. Il ne vous aurait certainement pas été possible de fournir quoi que ce soit il y a des semaines si vous n’aviez même pas été invités. Nous allons donc nous débrouiller avec ce que nous avons, mais merci beaucoup d’être là. Vous sacrifiez du temps que vous auriez pu consacrer à votre carrière professionnelle.
Je vous propose une idée : si vous avez votre mémoire sous les yeux et s’il s’y trouve un paragraphe ou deux qui sont extrêmement importants pour le comité à ce stade-ci, je vous invite à en donner lecture. Grâce à l’interprétation, tous pourront en prendre connaissance et d’autres sénateurs pourront vous interroger à ce sujet.
Me Elliott : Merci de votre intervention, sénatrice Batters. Je comprends que ce pourrait être utile au comité, étant donné que personne n’a le mémoire sous les yeux.
Outre les points soulevés dans nos exposés, notre mémoire énumère quelques autres éléments et, bien sûr, il y a aussi d’autres références. Nous avons formulé dans notre mémoire quelques recommandations que je vais résumer.
La première s’appuie sur ce qu’a dit Me Donkor au sujet d’une définition plus large. Nous adoptons la recommandation de la Canadian Prison Law Association, qui propose d’ajouter le libellé suivant :
. . . tout type de garde qui soumet le détenu à des conditions très restrictives de 22 à 24 heures par jour, sans qu’il ait droit à un minimum de deux heures d’interaction sociale significative chaque jour, ou à au moins une heure d’activité à l’extérieur lui donnant la possibilité de toucher le sol et des plantes et de voir le ciel.
La deuxième recommandation consiste à interdire l’isolement préventif de plus de 15 jours. Cela correspond aux Règles Nelson Mandela des Nations unies, qui assimilent l’isolement cellulaire prolongé — c’est-à-dire l’isolement pendant une période de plus de 15 jours consécutifs — à de la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant.
Notre troisième recommandation veut que soit supprimée la limite de 60 jours pour présenter une demande de réduction de peine. Il ne devrait pas y avoir de délai prescrit pour cette demande. Cette limite constituera pour les détenus un obstacle impossible à surmonter pour se prévaloir de ce recours. Il faudra du temps pour réunir les documents nécessaires, retenir les services d’un avocat et présenter une demande. Cette limite ajoute également une complexité inutile à l’étude des demandes, car il peut y avoir des différends au sujet du moment de la présentation et des motions présentées pour obtenir une prorogation du délai.
Quatrième recommandation : ajouter une disposition permettant au tribunal de nommer un avocat pour les demandes présentées en vertu du paragraphe 198.1(1). Il doit y avoir des mécanismes permettant de retenir les services d’un avocat autrement que par mandat privé. Une disposition prévoyant la nomination d’un avocat aidera les personnes à naviguer plus efficacement dans le système juridique et allégera la pression sur les ressources judiciaires. Cette approche est conforme à la législation qui prévoit la nomination d’un avocat dans d’autres circonstances, comme pour les jeunes inculpés au pénal ou pour les plaignants dans les causes d’agression sexuelle.
Cinquième et dernière recommandation qui figure dans notre mémoire : adopter la recommandation de l’Association des femmes autochtones du Canada visant à remplacer les termes « délinquant » et « détenu » par « personne », reconnaissant que le projet de loi devrait employer un langage humanisant, et que toutes les autres lois devraient faire de même.
Je vais résumer rapidement les références supplémentaires qui sont présentées. J’ai parlé tout à l’heure de l’ouvrage Expert Report on Crime, Criminal Justice and the Experience of Black Canadians in Toronto, Ontario. C’est l’une des références. Ses auteurs sont Akwasi Owusu-Bempah, professeur adjoint au département de sociologie de l’Université de Toronto, Camisha Sibblis, de la Faculté de travail social de l’Université York, et Carl James, professeur, titulaire de la Jean Augustine Chair in Education, Community and Diaspora, à l’Université York, et membre de la Société royale du Canada.
Il importe de signaler que ce rapport a été invoqué dans l’affaire R. c. Morris, qui est...
La présidente : Merci, maître Elliott. Désolée de devoir vous interrompre. La sénatrice Batters pourra peut-être intervenir au deuxième tour.
Le sénateur Klyne : Bienvenue aux témoins. Je vous remercie de votre exposé liminaire. J’ai quelques questions à poser à M. Jackson.
Vous avez exprimé des préoccupations au sujet de quelques points, notamment l’incidence que la loi pourrait avoir sur la formation des praticiens du droit et l’éducation des étudiants en droit.
Une autre de vos préoccupations porte sur l’impact possible du projet de loi sur l’accès à l’aide juridique, en particulier pour les populations marginalisées ou défavorisées.
Vous vous inquiétez aussi des effets possibles d’une surveillance judiciaire accrue. Je dirai à ce propos que j’ai parrainé le projet de loi C-83, qui a instauré les unités d’intervention structurée. J’ose dire que, selon moi, nous avons commis une erreur au comité, en ce sens que nous n’avons pas insisté pour obtenir la surveillance judiciaire et que nous nous sommes satisfaits d’un organisme d’examen indépendant. Or, d’après les rapports, cet organisme n’a pas été très efficace et il a même été dysfonctionnel. Je m’interroge sur l’inquiétude que vous inspire le rôle accru de la surveillance judiciaire.
M. Jackson : J’ai préconisé l’arbitrage indépendant dès 1972. Cela a mené à la nomination d’arbitres indépendants pour le processus disciplinaire, mais le SCC a farouchement résisté à tout arbitrage indépendant sur l’isolement.
Voilà pourquoi, entre autres raisons, madame la juge Arbour a proposé comme solution de rechange la surveillance judiciaire — l’arbitrage indépendant au début du placement en isolement, non pas 60 jours plus tard mais dès le départ.
À mon avis, la principale lacune du projet de loi C-83 est que le processus visant à déterminer si le placement dans une unité d’intervention structurée est justifié — s’il peut demeurer justifié après 7 jours, après 14 jours, peu importe — était reporté à beaucoup plus tard dans le processus, de sorte que le Service correctionnel du Canada, le SCC, conservait le contrôle du processus et a été en mesure de continuer à accorder la priorité à la sécurité plutôt qu’aux droits de la personne. À mon avis, à la lumière des expériences collectives — près de 50 ans de rapports — au cours desquelles le SCC a exprimé ses réticences, la surveillance judiciaire constitue à ce stade la mesure corrective qui convient.
Le sénateur Klyne : Merci. En ce qui concerne l’incidence du projet de loi sur l’accès à l’aide juridique, en quoi le projet de loi S-230 pourrait-il, du point de vue juridique, avoir une incidence sur l’accès à cette aide? Y a-t-il des considérations juridiques au sujet de l’offre d’un accès juste et égal à la justice pour tous?
M. Jackson : J’appuie la recommandation de votre dernier intervenant, ainsi que les recommandations formulées par la Canadian Prison Law Association et par Michael Spratt, lorsqu’il s’est adressé à vous plus tôt au cours de l’audience : le projet de loi devrait prévoir la nomination d’un avocat. C’est un recours qui devrait s’appliquer de façon beaucoup plus large.
En Colombie-Britannique, mon organisation, qui représente les services d’aide juridique, est en mesure de fournir un soutien juridique en réponse aux demandes légitimes. Mais dans beaucoup d’autres régions du Canada, il n’y a pas d’aide juridique pour les prisonniers, ou alors elle est très limitée. Si on veut que ces recours soient efficaces, il faut qu’il y ait des dispositions en ce sens. Nous tenons ici l’occasion d’ajouter une disposition permettant la nomination d’un avocat dans les cas méritoires.
Le sénateur Cotter : Merci beaucoup de vos exposés et des réponses que vous donnez à nos questions. Nous vous en sommes très reconnaissants.
J’ai une ou deux questions à vous poser, monsieur Jackson. La première est plutôt une observation. Dans bien des cas, lorsque nous modifions une loi au Parlement, nous ne tenons pas compte des répercussions sur les ressources. Vos derniers propos sur les ressources en aide juridique pour les prisonniers m’ont rappelé ce problème.
Ma question plus générale prend la forme d’une invitation à conclure votre réponse sur la culture. Vous avez travaillé dans ce domaine de façon exceptionnelle pendant 50 ans et vous avez eu affaire, notamment dans le domaine correctionnel, à des institutions qui ont du mal à respecter les droits des détenus. Nous sommes saisis d’un projet de loi que nous adopterons peut-être, mais je crains qu’il ne fasse évoluer que des éléments marginaux. Hélas, nous avons affaire à une institution qui ne semble pas en mesure de se gouverner efficacement au gré de nos attentes. Elle semble avoir constamment besoin d’une intervention et d’une surveillance de l’extérieur. Allons-nous nous affranchir de cette dynamique d’une façon ou d’une autre?
M. Jackson : Vous ne me posez pas la question au bon moment. Si vous l’aviez fait lorsque j’ai commencé à travailler comme jeune professeur de droit, lorsque j’avais 30 ans, je vous aurais donné une réponse très positive : avec de la bonne volonté, avec les meilleures intentions, avec les bonnes lois, avec une panoplie de recours devant les tribunaux, les griefs et l’enquêteur correctionnel, nous pouvions bien faire les choses pour que la prison ne soit pas, comme l’a dit un sous-comité parlementaire, l’incarnation même de l’injustice.
Vous me posez la question quand j’ai 80 ans — après que j’ai travaillé toute ma vie dans le système, insistant, tâchant de persuader, fulminant pour que les choses changent. Ce sera toujours une entreprise difficile. Le projet de loi s’inscrit dans l’effort soutenu du Parlement, des tribunaux et de toutes les parties concernées pour faire en sorte que l’emprisonnement en arrive à un stade qu’il n’est peut-être pas possible d’atteindre. Je n’ai pas encore renoncé à l’idée qu’on puisse en faire davantage une expérience de la justice.
Ma réponse n’est probablement pas satisfaisante. Toutefois, si je me souviens bien, vous avez dit hier que les services correctionnels ne cessent de consumer la bonne volonté. J’ai un certain scepticisme... Madame la juge Arbour a eu un certain scepticisme et elle a travaillé au tribunal qui juge les crimes de guerre et comme haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Ce scepticisme est apparu à cause de l’expérience du judiciaire, mais j’ai encore de l’espoir.
Le sénateur Cotter : Désolé de ne pas avoir été nommé au Sénat plus tôt. J’aurais pu vous poser la question lorsque vous étiez plus optimiste.
J’ai été sous-ministre du gouvernement de la Saskatchewan pendant un certain nombre d’années. Pendant cinq ans, j’ai été chargé du système correctionnel provincial. C’est vraiment un parcours qui renforce peut-être votre pessimisme et, dans une certaine mesure, le mien.
J’ai ordonné aux centres correctionnels de libérer le plus tôt possible les délinquants non violents qui avaient purgé la peine minimale et qui avaient été de bons détenus, et dit que nous devions consacrer notre temps aux services correctionnels communautaires. Au cours des deux premières années, le nombre de détenus a diminué de 10 %. J’ai ensuite quitté le poste. Mon successeur avait d’autres priorités, et les chiffres sont remontés au niveau d’avant et même plus haut. L’impératif institutionnel était trop fort.
La présidente : Merci.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup. Je remercie tous les témoins de leur présence. De différentes façons, vous continuez de parfaire mon éducation et celle de bien d’autres gens. Je vous en remercie.
Monsieur Jackson, vous avez montré la voie en expliquant à bon nombre d’entre nous ce que nous devons faire. J’espère que vous vous attribuez une partie du mérite du projet de loi à l’étude, car vous avez été une source d’inspiration, tout comme l’ont été une foule de gens derrière les barreaux. Si le projet de loi est adopté, j’attends avec impatience la prochaine génération, qui concrétisera certaines des aspirations auxquelles bon nombre d’entre nous ont consacré leur vie professionnelle et personnelle. Je voudrais maintenant donner à chacun d’entre vous l’occasion d’expliquer plus longuement certains des points que vous avez soulevés.
Monsieur Jackson, dans un rapport des Services juridiques pour prisonniers qui remonte à 2016, vous avez affirmé que les pratiques de gestion de la population carcérale et les mesures de soutien en santé mentale doivent faire l’objet d’une surveillance externe si on veut qu’elles soient efficaces. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus pourquoi vous en êtes venu à croire que la surveillance judiciaire est nécessaire et pourquoi le statu quo ne saurait suffire? Maître Donkor et maître Elliott, je voudrais vous entendre à ce sujet également.
Il existe d’autres méthodes. Comme on l’a fait remarquer, il y a l’habeas corpus, le contrôle judiciaire et d’autres possibilités. Pouvez-vous également nous dire pourquoi ce n’est pas efficace?
M. Jackson : Permettez-moi d’aborder le dernier point pour commencer parce que j’en parle dans mon mémoire.
Qu’est-ce qui ne va pas dans la boîte à outils de la justice en ce moment? Ce qui ne va pas, ou ce qui manque de mordant, c’est que, dans un contrôle judiciaire, le tribunal ne décide pas si les autorités correctionnelles ont pris la bonne décision ou non. Il décide si elles ont agi de façon raisonnable. S’il conclut qu’il y a eu violation de la loi ou qu’elles ont agi de façon déraisonnable, la Cour fédérale invalide la décision et renvoie l’affaire au décideur pour qu’il prenne une autre décision.
Dans le cas de l’habeas corpus, par exemple, où un détenu fait valoir avec succès qu’il a été illégalement placé en isolement ou en unité d’intervention structurée, le tribunal déclare que ce traitement est illégal, nul et non avenu, et la personne en cause réintègre la population générale.
Même dans les cas où il y a des recours collectifs et où des dommages-intérêts sont accordés, aucun des recours — et pas plus les contestations de l’isolement fondées sur la Constitution — ne redonne à la partie lésée le temps perdu. Aucun n’assure une restitution, une réparation en temps. Si on permet au tribunal de rajuster la peine, de réduire la durée de la peine à purger et d’abréger les délais d’admissibilité à la libération conditionnelle, le recours pourra tenir compte de façon proportionnelle de la durée de détention. C’est la différence.
Quant à la surveillance des services psychologiques, j’ai toujours constaté que le Service correctionnel du Canada fait cesse appel aux mêmes psychologues pour évaluer les risques. Souvent, leurs rapports sont des textes standardisés. Il n’y a aucune possibilité de remettre en question leur évaluation des risques ni de vérifier la fiabilité des outils d’évaluation, et ces outils, selon la Cour suprême, ne sont pas validés en ce qui concerne les Autochtones.
Dans le contexte d’un contrôle judiciaire, de procédures judiciaires, ces questions peuvent faire l’objet d’un interrogatoire et d’un contre-interrogatoire, et les limites et les lacunes peuvent être repérées. Voilà la différence.
La présidente : Monsieur Jackson, merci.
La sénatrice Clement : Merci à tous les témoins. Merci, monsieur Jackson, de nous avoir parlé à ce moment particulier de votre carrière. Vos propos sont convaincants.
J’appuie ce qu’ont dit la présidente et la sénatrice Batters, faisant valoir que nous devons prendre de meilleures dispositions pour les mémoires. Je respecte votre réaction empreinte d’élégance, mais nous devons faire mieux.
Mes questions s’adressent aux représentants de l’Association des avocats noirs du Canada. Votre appui au projet de loi S-230 est clair. Le sénateur Prosper vous a posé une vaste question : pourquoi parlons-nous encore de la question alors que, il y a 30 ans, il y a eu une discussion approfondie sur les idées de la juge Arbour?
Je vous invite à faire le point sur la situation actuelle des Noirs dans le système de justice en général. Où en sommes-nous avec la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires? Y participez-vous? Y a-t-il pour les Noirs un accès suffisant aux évaluations des répercussions et des aspects racial et culturel? Le projet de loi traite également de services adaptés à la culture au moment de la libération. Y ont-ils accès? Ces services sont-ils disponibles et suffisants?
Me Donkor : Je vous remercie de votre question, sénatrice Clement.
Je dirai en gros que je suis au début de ma carrière juridique et que j’affiche donc un optimisme prudent, mais il y a beaucoup de travail à faire. Nous constatons que, de façon disproportionnée, les Noirs et les Autochtones sont davantage placés en isolement, que leurs conditions de détention sont plus dures, qu’ils sont incarcérés de façon disproportionnée, et que les chiffres sont à la hausse plutôt qu’à la baisse.
Il y a beaucoup à faire pour améliorer les rapports présentenciels. Nous n’avons pas assez de fonds. Il y a donc un énorme arriéré et des retards dans l’application de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires. Nous en sommes aux premières étapes. Des consultations sont en cours, certes, mais il reste encore beaucoup à accomplir, et nous n’en faisons pas assez, très franchement, pour nous attaquer à ces problèmes.
Les problèmes sont tellement systémiques, tellement enracinés dans nos systèmes, qu’il faut apporter des changements significatifs, comme le projet de loi S-230. C’est un début. Ce n’est certainement pas la ligne d’arrivée, mais c’est un début.
Je pourrais peut-être répondre brièvement à la question de la sénatrice Pate. Nous avons déjà certains recours, mais je suis tout à fait d’accord avec M. Jackson pour dire qu’ils ne portent pas vraiment sur la peine purgée. Chose certaine, il n’est pas tenu compte de la proportionnalité ni de la parité, qui sont des principes clés de la détermination de la peine. Si deux délinquants sont condamnés exactement de la même façon, pour la même infraction, l’un d’entre eux peut être assujetti à des conditions de détention plus dures. Les données montrent que les Autochtones, les Noirs, les membres des minorités vulnérables risquent d’être soumis à des conditions de détention plus sévères. À l’heure actuelle, il n’y a pas vraiment de solution. Ce qui rend le projet de loi d’autant plus important.
Pour revenir à votre question, sénatrice Clement, il y a beaucoup de travail à faire, et le gouvernement n’en fait pas assez, le système de justice pénale n’en fait pas assez, car les mêmes modèles de comportement reviennent encore et toujours.
La sénatrice Clement : Vous avez accès à suffisamment de données?
Me Donkor : Oui. Nous avons déjà fourni des données, mais regardez celles du Bureau de l’enquêteur correctionnel. À propos du recours à la force, notamment, des données montrent clairement que les Noirs et les Autochtones en sont plus souvent victimes, mais il n’y a aucune explication.
Le document intitulé Expert Report on Crime, Criminal Justice and the Experience of Black Canadians in Toronto, Ontario établit clairement que les Noirs sont soumis à des conditions de détention plus sévères dans l’ensemble.
Les données sont claires, et les explications sont limitées. C’est indissociable du problème.
La sénatrice Clement : Merci.
La présidente : J’ai une très longue question, et vous ne serez probablement pas en mesure d’y répondre dans le temps qu’il nous reste — deux minutes avant l’arrivée du prochain groupe de témoins —, mais je voudrais demander à Me Donkor et à Me Elliott s’ils peuvent, malgré leur horaire très chargé, nous présenter un bref mémoire pour répondre à ma question.
Nous savons que les Noirs au Canada sont soumis à trop de surveillance policière, trop souvent incarcérés. Pourriez-vous nous parler de l’étape de la réinsertion sociale dans le système de justice et nous dire si les Canadiens noirs reçoivent le soutien dont ils ont besoin à leur sortie de prison?
On en sait très peu sur les défis que doivent relever les Canadiens noirs. Pourriez-vous nous remettre un bref mémoire à ce sujet? Je le ferai circuler.
Autre contrainte, nous allons passer jeudi prochain à l’étude article par article du projet de loi. Pourriez-vous produire ce mémoire avant, pour que les membres du comité puissent le recevoir?
Maître Donkor, Me Elliott et monsieur Jackson, je vous prie sincèrement de m’excuser de vous avoir coupé la parole si brusquement. Monsieur Jackson, ne m’en tenez pas rigueur; j’essaie simplement de donner à tous les sénateurs l’occasion de vous poser des questions. Si certains d’entre vous estiment n’avoir pas pu donner des réponses complètes aux questions, qu’ils nous fassent parvenir une réponse par écrit, et nous la ferons traduire.
Honorables sénateurs, je vous présente également mes excuses, mais vous savez que nous avons tous quatre minutes pour poser nos questions. Merci beaucoup aux témoins d’avoir comparu. Nous avons hâte de vous revoir.
Honorables sénateurs, nous allons prendre quelques minutes pour accueillir le prochain groupe de témoins.
Honorables sénateurs, voici le deuxième groupe de témoins. Nous accueillons le Dr Mathieu Dufour, de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel; Margaret Eaton, cheffe de la direction nationale de l’Association canadienne pour la santé mentale, qui témoigne par vidéoconférence; enfin, de la Société Saint-Léonard du Canada, Anita Desai, directrice exécutive, et Danielle Kouri, coordonnatrice du rayonnement.
Nous allons commencer par vous, docteur Dufour.
Dr Mathieu Dufour, psychiatre légiste, chef du Département de psychiatrie, Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel : Merci. Est-il préférable que je fasse mon exposé en français ou en anglais?
La présidente : Comme vous voulez. Nous sommes un pays bilingue. Vous pouvez vous exprimer en français ou en anglais.
[Français]
En français, s’il vous plaît.
Dr Dufour : D’accord. Donc, je vais le faire en français. Est-ce que je comprends que je dispose de 5 minutes pour parler de mon opinion sur le projet de loi S-230 et qu’ensuite, il y aura des questions?
La présidente : Oui.
Dr Dufour : Merci. Ce n’est pas souvent que je me présente au Sénat. Je suis plus habitué à me présenter à la cour.
Je me présente, mon nom est Mathieu Dufour, je suis psychiatre légiste, je travaille à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel; je suis le chef du département de psychiatrie depuis quelques années. Je pratique depuis 11 ans comme psychiatre légiste. Comme psychiatre légiste, on a aussi un statut de professeur adjoint clinique à la faculté de médecine de l’Université de Montréal.
Je me présente aujourd’hui devant vous pour faire des commentaires sur le projet de loi S-230. Je pense qu’on a été sollicité, à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, pour deux raisons. Je vais parler de Pinel, mais c’est l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. On est le seul hôpital à sécurité maximale au Québec en psychiatrie légale, et on est le plus grand hôpital en psychiatrie légale au Canada. Donc, il y a peut-être un lien avec le fait qu’on est un institut national, alors on est reconnu pour faire des transferts de connaissance et être expert en la matière.
Nous avons un contrat avec le Service correctionnel Canada ou SCC. Le projet de loi S-230 parle du paragraphe 16(1), où le gouvernement du Canada peut avoir un contrat avec certains hôpitaux pour la détention et le traitement de certains patients. Nous, à Pinel, avons ce contrat.
Nous avons 15 lits pour des femmes détenues au fédéral, alors on peut les amener à Pinel pour un traitement, et nous avons cinq lits et plus pour les détenus fédéraux de sexe masculin. Nous avons une certaine expertise en ce qui concerne tout ce qui se passe entre les hôpitaux psychiatriques et le SCC.
Finalement, pour donner un peu de contexte, je ne suis pas là pour représenter le SCC, mais je suis aussi psychiatre consultant au SCC; je travaille au centre de traitement. Au Québec, c’est le Centre régional de santé mentale (CRSM) qui est un regional treatment center. Je travaille là une journée par semaine, donc j’ai une certaine expertise en la matière aussi.
Donc, je vous donne notre opinion, brièvement. Lorsqu’on a revu le projet de loi, j’en ai discuté avec notre comité de direction et avec des gens qui sont experts en la matière. Il est sûr que tout ce qui concerne le traitement des patients qui ont des problèmes de santé mentale et qui sont en détention nous tient à cœur.
On sait que la prison n’est pas nécessairement un lieu pour traiter des gens qui ont des symptômes psychiatriques importants; ce n’est pas un milieu qui favorise le rétablissement de nos patients. Nous appuyons le principe selon lequel on peut soigner les patients où ils devraient être.
Ceci étant dit, on voit que c’est le premier but du projet de loi : pouvoir transférer dans un hôpital toute personne du pénitencier souffrant de troubles mentaux invalidants. On comprend que c’est la population qui se trouve dans des unités d’intervention structurées (UIS). Je pense que c’est au paragraphe 2.01 : s’ils ne peuvent pas obtenir une évaluation de leur santé mentale à temps, ils doivent être transférés dans un hôpital psychiatrique qui correspond, un peu comme Pinel, à un hôpital psychiatrique qui aurait un contrat avec le SCC.
Je vous dirais qu’on a des inquiétudes au sujet de ce paragraphe pour deux raisons. La première est la capacité du réseau des hôpitaux psychiatriques provinciaux à accueillir plus de patients, actuellement. Ce n’est pas juste au Québec, mais partout au Canada : c’est difficile d’avoir accès à des soins de santé mentale, nos urgences psychiatriques sont débordées en matière de capacité du système d’avoir plus de jus, si on veut, à pouvoir accueillir des patients.
C’est une inquiétude, pas juste pour Pinel — car on n’a pas d’urgence psychiatrique —, mais en général, pour les hôpitaux psychiatriques qui relèvent du provincial. Donc, c’est une des premières inquiétudes.
La deuxième inquiétude, selon notre expérience, est le fait que les patients qui se trouvent en UIS, lorsqu’ils ont des troubles psychiatriques importants et invalidants selon la loi — ce sont les deux troubles psychiatriques qu’on voit le plus régulièrement : la schizophrénie et le trouble bipolaire où les patients sont en psychose. Lorsqu’ils sont dans une UIS, il y a déjà des procédures en place pour pouvoir les transférer. Ils ne vont pas nécessairement à Pinel, mais ils vont dans leur centre de traitement pénitencier, un des cinq centres de traitement au Canada, comme le CRSM.
Je vous dirais que selon notre expérience, lorsque je parle à mes collègues, c’est rare qu’on en manque. La plupart de ces patients, qui ont besoin de soins, sont justement transférés dans ces centres de traitement. La grande majorité des patients qui sont en UIS ont possiblement des troubles de santé mentale, mais plutôt de l’ordre du trouble de personnalité, donc des troubles de comportements liés à leur structure de personnalité.
Parfois, ils ont eu une enfance difficile et ont de la difficulté à gérer leurs émotions. Ce ne sont pas nécessairement des troubles psychiatriques qui doivent être traités dans des hôpitaux psychiatriques, comme Pinel. En fait, quand on amène des gens qui ont des troubles de personnalité sévères dans des hôpitaux et qu’on les traite à long terme, ils tendent à régresser. Ils sont souvent moins bien, c’est comme si on leur offrait trop de structure et trop de soins, et les troubles de la personnalité peuvent s’aggraver dans les hôpitaux psychiatriques.
C’est pour cela que je constate que nous avons une inquiétude sur ce plan; on a peur que cela médicalise certains troubles de comportement sans que ce soit nécessairement des troubles psychiatriques avérés...
La présidente : Pouvez-vous conclure maintenant s’il vous plaît?
Dr Dufour : J’avais terminé, madame la présidente.
La présidente : Je suis vraiment désolée, mais ce sera sûrement le bon moment pour finir votre présentation lors des questions des sénateurs.
[Traduction]
Nous allons maintenant entendre Margaret Eaton, de l’Association canadienne pour la santé mentale, ou ACSM.
Margaret Eaton, cheffe de la direction nationale, Association canadienne pour la santé mentale : Merci de me donner l’occasion de parler de l’important projet de loi qui est à l’étude.
L’Association canadienne pour la santé mentale est le plus vaste réseau communautaire pour la santé mentale au Canada. Elle propose des services de défense des droits, des programmes gratuits et des ressources qui aident à prévenir les problèmes et maladies de l’ordre de la santé mentale et de la toxicomanie, mais qui appuient aussi le rétablissement des malades.
Cette association qui a vu le jour en 1918 rejoint 330 collectivités réparties dans toutes les provinces et au Yukon. Elle mobilise 11 000 bénévoles et emploie plus de 7 000 personnes dans tout le pays.
L’ACSM appuie le projet de loi et son objectif, qui est d’offrir des solutions de rechange à l’isolement et d’assurer une surveillance et des recours dans le système correctionnel.
Le projet de loi vise à corriger les lacunes du projet de loi C-83, qui tolère encore que des détenus restent en isolement pendant plus de 90 jours. Nous connaissons les profondes répercussions de l’isolement sur la santé mentale, dont l’anxiété, la psychose induite, les problèmes de colère et de comportement, le désespoir, la paranoïa et le suicide.
Nous appuyons les efforts visant à faire en sorte que l’objectif visé par le projet de loi C-83, c’est-à-dire mettre fin à la pratique de l’isolement cellulaire, soit maintenu. Nous croyons également que le projet de loi appuiera un autre objectif, faire en sorte que les personnes incarcérées reçoivent les soins de santé mentale et les traitements dont elles ont besoin et qu’elles ont le droit fondamental de recevoir.
Compte tenu de l’expertise de l’ACSM en tant que prestataire de soins de santé mentale communautaires de première ligne, mon témoignage portera sur les modifications a) et c) décrites dans le sommaire du projet de loi S-230.
En principe, l’ACSM appuie la modification a) qui exige le transfèrement, à des fins d’évaluation, des personnes souffrant de graves problèmes de santé mentale dans un établissement de soins de santé adapté. Tous devraient recevoir les soins dont ils ont besoin, peu importe leur situation. En détention, ce n’est pas souvent le cas, car l’accès aux soins y est très difficile.
Ce ne sont pas tous les établissements correctionnels qui ont du personnel spécialisé en santé mentale disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pour garantir la continuité des soins aux personnes qui recevaient des soins de santé mentale avant leur mise sous garde.
Pour ceux qui contractent une maladie mentale dans un établissement correctionnel, il est extrêmement difficile de recevoir un bon diagnostic et le traitement voulu.
Nous croyons fermement que c’est à l’hôpital et dans la collectivité qu’il faut établir les diagnostics et offrir les traitements pour les problèmes importants de santé mentale. Il existe un conflit inhérent entre le fonctionnement d’un établissement dont la raison d’être est le châtiment et les besoins médicaux du patient.
Nous savons que les soins de santé mentale offerts dans les établissements correctionnels ne sont pas à la hauteur. Selon nous, il faut accroître l’offre de soins de santé mentale dans les hôpitaux et dans la collectivité. Nous craignons pourtant qu’il ne soit pas possible de donner suite à la modification. Comme d’autres intervenants l’ont dit, nous sommes plongés partout au Canada dans une crise des services de santé et des ressources humaines qui a gagné le système de soins de santé mentale. Les hôpitaux et les services d’urgence sont soumis à des pressions intenses et ont du mal à répondre aux besoins des Canadiens et à attirer et à retenir du personnel. Si nous voulons transférer un plus grand nombre de détenus des services correctionnels vers des hôpitaux ou d’autres établissements de santé mentale, nous devons veiller à ce qu’ils aient la capacité d’accueil voulue.
La modification c) permettrait la libération et la réinsertion par des groupes communautaires et d’autres services de soutien analogues. L’ACSM appuie également le principe, mais nous devons là encore soulever des préoccupations au sujet de la capacité d’accueil et de la disponibilité des ressources. Bien qu’il existe des services communautaires de soutien en santé mentale à certains endroits, les organismes communautaires sont gravement sous-financés et les listes d’attente des programmes essentiels sont longues. À mesure que les problèmes de santé mentale se multiplient, les services et les soutiens existants ne peuvent pas répondre à la demande.
Honorables sénateurs, si nous voulons que ces modifications donnent les résultats escomptés et permettent de répondre aux besoins des personnes qui ont des problèmes de santé mentale en détention, il faut investir davantage dans le système de soins de santé mentale pour que tant les hôpitaux que les services communautaires puissent assurer les soins et les traitements.
Cela ne veut pas dire que nous croyons que le projet de loi ne devrait pas être adopté tant que ces services ne seront pas au rendez-vous. Au contraire, nous souhaitons que son adoption entraîne le déblocage de fonds supplémentaires pour les soins de santé mentale afin d’en appuyer l’application.
La santé mentale est un droit inaliénable de la personne. Depuis 2004, le Bureau de l’enquêteur correctionnel a soulevé à maintes reprises la question des soins et du traitement des détenus ayant des problèmes de santé mentale, et a publié des rapports à ce sujet. Le modèle actuel de soins et de traitement pour les personnes aux prises avec la justice ne fait rien de moins que bafouer leur droit d’être à l’abri de la discrimination fondée sur leur diagnostic de maladie mentale.
Dans son intervention en réponse au projet de loi, le sénateur Boisvenu a dit que le Canada s’occupe de la santé mentale de façon lamentable. L’ACSM est d’accord. Je vous prie d’adopter le projet de loi et d’appuyer de nouveaux investissements dans les services de santé mentale pour tous. Merci.
La présidente : Merci, madame Eaton. Nous allons passer à Anita Desai, directrice exécutive.
Anita Desai, directrice exécutive, Société Saint-Léonard du Canada : Merci de m’avoir invitée à comparaître pour présenter le point de vue de la Société Saint-Léonard du Canada sur le projet de loi S-230.
La Société Saint-Léonard est une organisation caritative nationale qui regroupe un réseau de particuliers et d’organismes communautaires indépendants. Sa mission consiste à promouvoir des politiques, des pratiques et un leadership responsables en matière de justice pénale et sociale qui soient humains et éclairés afin de favoriser la sécurité des collectivités.
Je tiens d’abord à remercier la sénatrice Pate du travail qu’elle a accompli pour élaborer le projet de loi S-230 et de ses efforts inlassables pour améliorer la situation des personnes aux prises avec le système de justice pénale du Canada.
Les normes internationales en matière de droits de la personne, comme celles établies par les Règles Nelson Mandela et l’Organisation mondiale de la santé, reconnaissent le droit des prisonniers à des soins de santé de la même qualité que ceux offerts à toute autre personne. Le respect de normes équitables et cohérentes en matière de soins de santé, à l’abri de toute discrimination, est essentiel au bien-être de nos collectivités. Il est également essentiel si nous voulons assurer la santé générale, le bien-être et une issue favorable pour les personnes incarcérées pendant leur peine et au moment de leur libération.
Les membres du comité ont déjà entendu et continueront d’entendre des experts très qualifiés s’exprimer sur des questions liées à la maladie mentale, aux expériences directes des personnes placées dans les unités d’intervention structurée, aux recours juridiques pour injustice dans l’application des peines, ainsi qu’à la capacité du projet de loi d’établir des mécanismes pour assurer une meilleure issue aux populations défavorisées et minoritaires.
Aujourd’hui, je voudrais faire profiter le comité de mes connaissances en matière de services correctionnels communautaires sous l’angle des modifications relatives aux ententes sur le soutien communautaire, au transfèrement de la garde et à la mise en liberté dans la collectivité.
À maintes reprises, nous n’avons pas su tenir compte de l’impact de la désinstitutionnalisation qui a touché les établissements de santé mentale il y a des dizaines d’années, et nous n’avons pas consenti les investissements nécessaires dans le soutien communautaire. C’est ainsi qu’ont été parqués dans les prisons des gens en proie à des problèmes de santé mentale, à des maladies mentales.
Le projet de loi à l’étude peut servir de plan pour constituer un réseau intégré pour ceux qui, criminalisés, sont aussi stigmatisés dans la collectivité, dans les services correctionnels communautaires et dans les services communautaires de santé mentale. Si nous réussissons à implanter ce réseau, nous pourrons tirer des leçons de ce travail visant à améliorer les éléments de prévention qui réduiront les risques de criminalisation des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Bien entendu, pour réussir, il faudra s’attaquer aux disparités actuelles en matière de financement et à l’instabilité que connaissent les organismes communautaires, comme l’a dit le témoin précédent.
Les membres de la Société Saint-Léonard du Canada exploitent collectivement 15 des plus de 180 établissements résidentiels communautaires du Canada. Bon nombre d’entre eux sont des prestataires de services bien établis depuis plus de cinq décennies et sont des partenaires reconnus pour assurer la continuité des soins entre les établissements et la collectivité.
Ces résidences ont été fondées pour aider à faire baisser le taux de récidive en offrant des systèmes structurés de soutien social et résidentiel aux personnes libérées des prisons. Les recherches sur leurs activités montrent constamment que ceux qui sont accueillis dans des établissements résidentiels communautaires dans le cadre d’une mise en liberté graduelle et accompagnée ont beaucoup plus de chances que les autres de rester dans la collectivité à long terme comme citoyens respectueux des lois et d’avoir moins de problèmes de réinsertion.
Les recherches montrent également que, pour bien des personnes incarcérées, il est préférable, dans le respect du niveau de risque et d’autres critères, d’opter pour la garde en milieu communautaire, comme dans des établissements résidentiels et d’autres services qui offrent des soins spécialisés ou des soutiens adaptés à la culture, y compris des centres de traitement, des maisons de retraite, des établissements de soins palliatifs, etc.
Le projet de loi S-230 reconnaît la valeur de ces services et organisations de soutien communautaire comme moyen de s’attaquer aux problèmes de santé nouveaux ou préexistants exacerbés par l’incarcération, et il peut aider à en renforcer les capacités. Nous sommes reconnaissants, notamment, du fait que le projet de loi ouvre la voie à des ententes qui, si elles sont assorties des ressources nécessaires, ménageront pour ceux qui purgent une peine de ressort fédéral la souplesse voulue pour avoir accès à un plus large éventail de services de soutien. Le projet de loi prévoit également des mécanismes pour améliorer la communication et la collaboration recherchées par les organismes communautaires afin de mieux les soutenir.
De plus, le projet de loi établit les bases pour proposer des plans de libération qui permettront de mieux équilibrer les besoins en tenant compte des risques et de l’état de santé. Pour renforcer l’intention qui sous-tend le projet de loi, nous recommandons d’élargir la définition de « défavorisé », à l’article 79, afin qu’elle tienne davantage compte des cinq déterminants sociaux de la justice : revenu, emploi, logement stable, éducation et santé. Ainsi, on prendrait en considération des facteurs clés comme la pauvreté et d’autres expériences négatives de l’enfance qui peuvent être à l’origine de l’incarcération. On pourrait mieux comprendre comment l’environnement et la situation de chacun peuvent être vraiment pris en compte pour proposer des interventions plus justes et obtenir des résultats plus équitables.
Je terminerai mon intervention en invitant les membres du comité à visiter n’importe laquelle des résidences exploitées par nos organisations membres. Leurs responsables seraient heureux de montrer comment ils peuvent répondre aux besoins uniques des personnes qui ont des démêlés avec la justice et de discuter de la façon d’améliorer les soutiens qu’ils offrent.
Merci encore une fois de m’avoir invitée. J’attends vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, madame Desai. Nous allons maintenant passer aux questions.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Je vais accepter l’invitation que vous nous avez faite, madame la présidente.
J’ai 4 minutes, docteur Dufour. Il pourrait vous en rester 3 minutes 45 secondes si vous voulez compléter votre présentation et surtout nous parler du manque de ressources et des difficultés ou d’un point de vue pratique, de la mise en vigueur de la loi et des inquiétudes que vous avez.
Dr Dufour : Merci sénateur. En fait, j’avais vraiment terminé ma présentation; il ne restait que quelques secondes. Je ne prendrai pas plus de temps.
Disons que, du point de vue pratico-pratique, je pense à la situation du Québec. Par exemple, l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel est la seule institution qui respecterait les critères du paragraphe 16(1) pour recevoir ces patients qui sont dans des UIS et qui devraient avoir une évaluation psychiatrique.
En fait, ce qu’il se passerait, c’est qu’actuellement, il y a des UIS dans quelques pénitenciers au Québec, principalement à l’établissement de Donnacona. Si les patients ne peuvent voir de psychiatre ou de psychologue pour obtenir une évaluation, on nous les transférerait à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel assez rapidement.
Or, à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, historiquement, on n’a jamais eu d’urgence psychiatrique. Il faudrait les mettre sur une liste d’attente ou les admettre dans une unité qui correspond au niveau de sécurité de l’établissement de Donnacona, donc une de nos unités à sécurité maximale. On a actuellement des listes d’attente de plusieurs mois.
Nous avons des patients partout au Québec et même au Canada qui attendent de venir à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel parce qu’ils sont trop dangereux pour leurs hôpitaux psychiatriques respectifs. On ne pourrait pas les évaluer rapidement à l’hôpital psychiatrique, étant donné nos longues listes d’attente. Je parle de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, mais ce sont principalement tous les hôpitaux psychiatriques du Québec qui ont le même problème.
J’ai pratiqué en Ontario pendant 6 ans et c’était le cas il y a 6 ans : il y avait de longues listes d’attente de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Il ne serait pas possible de les voir rapidement dans les hôpitaux psychiatriques.
J’ajouterais que les patients qui sont sur les listes d’attente des hôpitaux psychiatriques, pour l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, souffrent d’un trouble psychiatrique important, comme la schizophrénie ou un trouble bipolaire. Donc souvent, ce sont des troubles psychotiques où des gens entendent des voix ou ont des délires ou une désorganisation de la pensée. C’est un des trois symptômes de la psychose.
Lorsque les patients ont ces symptômes de manière répétée, cela devient une schizophrénie. Ce sont nos patients les plus malades — 30 % des gens qui souffrent de schizophrénie sont résistants aux traitements malgré la médication; ils continuent à avoir des symptômes de psychose. C’est principalement ce genre de patients qui viennent à Pinel.
Si on avait un système où les patients d’UIS avaient la priorité sur les autres patients qui souffrent de schizophrénie, pour leur permettre de venir dans un hôpital psychiatrique comme Pinel, cela entraînerait une difficulté du point de vue éthique. Par exemple, s’il y a des patients en UIS et qu’en raison d’un problème logistique, ils ne peuvent subir leur évaluation en santé mentale, s’ils n’ont pas de trouble psychiatrique important comme la schizophrénie, il y a un problème d’éthique. Il faut que ce soit les gens qui en ont le plus besoin qui viennent à Pinel. Ce n’est pas parce qu’on est en UIS qu’on souffre d’un problème psychiatrique grave.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Merci aux témoins d’être là. J’ai une question à poser au Dr Dufour et une autre à Mme Eaton.
Docteur Dufour, vous évoquez une interaction entre les problèmes de santé mentale et les troubles de la personnalité, et je suis curieux de savoir comment cela se traduit dans votre travail. D’après ce que je comprends de ce que vous avez dit au sujet des troubles de la personnalité, ces troubles sont plutôt ancrés dans les antécédents et l’éducation d’une personne, si je ne m’abuse. Quelle est l’interaction entre les deux et comment cela se manifeste-t-il dans le cadre de votre travail?
Madame Eaton, que pensez-vous de la façon dont la détention, que ce soit dans des unités d’intervention structurée ou autrement, peut favoriser l’apparition de problèmes de santé mentale ou aggraver des problèmes préexistants. Vous avez également dit que cela peut faire apparaître certains problèmes de santé mentale. Cette dynamique m’intrigue également.
Docteur Dufour, pouvez-vous nous en parler?
Dr Dufour : Merci, sénateur. La question porte sur la différence entre les troubles de la personnalité et certains troubles psychiatriques plus graves.
Les troubles de la personnalité sont pris en compte dans le DSM-5, qui est notre bible, en psychiatrie, lorsque nous avons tous les critères voulus pour établir un diagnostic. Techniquement, il s’agit toujours d’un trouble psychiatrique, qui entraîne beaucoup de souffrance et de dysfonctionnement chez le patient parce qu’il est en conflit avec lui-même, les autres et tous les domaines de sa vie. C’est la source d’une grande souffrance. Je ne veux pas minimiser le fait qu’il s’agit d’un problème de santé mentale.
Cela dit, il ne s’agit pas nécessairement d’un trouble mental grave de la même façon que la schizophrénie et le trouble bipolaire qui sont des troubles psychiatriques organiques, plus enracinés dans le déséquilibre des neurotransmetteurs. Dans le cas de la schizophrénie, il y a trop de dopamine dans le cerveau. Je simplifie. Il faut donc des médicaments pour faire diminuer la dopamine et tout va bien. Il n’y a plus de psychose. C’est simple et organique.
Le patient qui est dans un état psychotique aigu doit aller à l’hôpital ou, du moins, dans un centre de traitement à l’intérieur de l’établissement carcéral. Le prisonnier psychotique qui se trouve dans une unité d’intervention structurée doit certainement se rendre à l’hôpital.
Par contre, ceux qui ont un trouble de la personnalité, ce qui correspond à la situation de 70 à 80 % des détenus dans le système carcéral, y compris le système carcéral fédéral, ont commis leur crime à cause de ce trouble. On n’a pas besoin de la même intensité de traitement. Le détenu n’a pas nécessairement besoin de prendre des médicaments. Aucun médicament ne guérira ou ne résoudra tous les problèmes de relations interpersonnelles. Il faudrait davantage de psychothérapie à long terme, mais cela ne peut pas se faire dans un milieu de soins actifs comme un hôpital. Si la personne était en liberté, cela se ferait en service externe. Je ne dis pas qu’elle n’a pas besoin de traitement, mais le type de traitement n’est pas aussi intense, et il n’est pas dispensé à l’hôpital.
La présidente : Madame Desai, j’ai une question pour vous. Les mémoires du syndicat des gardiens et du Service correctionnel du Canada, SCC, insistaient sur le fait que certains détenus choisissent de s’adresser aux unités d’intervention structurée pour leur propre sécurité. Les chiffres fournis par le SCC indiquent que plus de la moitié des détenus dans ces unités, soit entre 55 et 60 %, s’y retrouvent pour leur propre sécurité, et non pas parce qu’ils représentent un risque pour les autres. Cela signifie-t-il qu’il va falloir accroître le recours aux transferts à l’extérieur de la prison dans le cadre d’accords pris en vertu de l’article 81, ou à un établissement psychiatrique en vertu de l’article 29?
Mme Desai : Merci d’avoir posé cette question. Il y a deux ou trois aspects à relever. Je pense que cela en dit long sur ce qui se passe au sein de la population carcérale en général si les gens estiment qu’ils doivent se retrouver dans une unité d’intervention structurée pour leur propre sécurité.
Quant à savoir si les gens peuvent être mieux gérés s’ils font l’objet d’un transfert, ce qui, je crois, est la deuxième partie de votre question, je songe notamment au fait que notre réseau s’occupe souvent de personnes âgées qui s’exposent à devenir des victimes, des personnes dans la cinquantaine et la soixantaine. C’est notre domaine d’expertise et je pense que nous pouvons affirmer que c’est un secteur de la population pour laquelle nous pourrions mieux gérer les risques et autres aspects au sein de la collectivité à condition de pouvoir procéder à des transferts.
J’estime que nous devons nous faire une meilleure idée des raisons pour lesquelles les gens choisissent, le cas échéant, de s’adresser aux unités d’intervention structurée pour leur propre protection. À mon avis, c’est un reflet fidèle de ce qui se passe au sein de la population en général, où nous n’avons pas des tas de recours pour effectuer les interventions appropriées.
La sénatrice Simons : Madame Eaton, j’ai eu l’occasion de visiter l’établissement d’Edmonton en janvier, qui est la prison à sécurité maximale pour hommes. J’ai été stupéfiée d’apprendre, lorsque j’ai posé la question au personnel, que le protocole d’entente entre les établissements fédéraux et le ministère provincial de la Santé était périmé. On m’a dit qu’il est maintenant impossible d’envoyer des prisonniers dans des établissements de soins de santé provinciaux, y compris à l’unité médico-légale sécurisée de l’Alberta Hospital Edmonton. Il ne leur reste que deux options, soit traiter les patients à l’intérieur de l’établissement, avec leur propre personnel, soit transférer la personne à Saskatoon si elle est assez malade pour être hospitalisée. Ce sont les deux seules options.
Comme le Dr Dufour l’a souligné, il y a beaucoup de gens qui souffrent de problèmes psychiatriques et neurologiques qui ne sont pas suffisamment aigus pour provoquer une psychose comme on le verrait chez quelqu’un qui souffre d’un trouble bipolaire ou dans le cas d’un épisode psychotique chez une personne atteinte de schizophrénie.
Je me demande si vous savez si d’autres provinces ont également suspendu leurs protocoles d’entente avec le SCC et, à la lumière de cela, qu’en est-il des dispositions du projet de loi S-230, qui sont peut-être impossibles à appliquer dans les provinces où des lits ne sont pas disponibles.
Mme Eaton : Je vous remercie de la question. Malheureusement, je ne suis pas au courant de la suspension des protocoles d’entente dans d’autres provinces, mais je me ferai un plaisir de me renseigner et de vous en faire part.
Nous vivons une crise de santé mentale partout au pays et, en fait, le financement que reçoivent les organismes de santé mentale ne représente que 7 ou 8 % des budgets provinciaux en matière de santé, alors que le Royaume-Uni, l’Europe et l’Australie dépensent plutôt 13 ou 14 % en santé mentale. Je ne suis pas surprise d’entendre qu’il y a cet énorme problème, et cela signifie que les Canadiens, incarcérés ou non, attendent des soins et, comme l’a souligné le Dr Dufour, le risque d’attendre est intense. Les gens en paieront le prix. En fait, c’est notre système de soins de santé qui en paiera le prix, car un diagnostic tardif rend les soins plus longs et plus coûteux que si nous étions proactifs et que nous cherchions à soigner les gens et à prévenir leurs problèmes de santé mentale.
Comme je l’ai dit dans ma déclaration, je crois que l’adoption de ce projet de loi pourrait inspirer, je l’espère, les provinces et le gouvernement fédéral à financer pleinement la santé mentale afin que les gens puissent recevoir les soins dont ils ont besoin.
La sénatrice Simons : Ma question s’adresse au Dr Dufour. Le projet de loi demande que les gens soient traités très rapidement dans la collectivité et non pas en milieu carcéral. En même temps, l’enquêteur correctionnel, Ivan Zinger, nous a dit hier que le nombre de lits psychiatriques dans ces hôpitaux médico-légaux avait considérablement diminué. Pouvez-vous nous dire si vous avez vu le même genre de compressions dans votre établissement et si vous savez pourquoi il y a eu des réductions aussi importantes du nombre de lits dans les hôpitaux médico-légaux partout au pays?
Dr Dufour : Lorsqu’on examine le nombre de lits pour les patients médico-légaux dans l’ensemble du pays, on constate un écart important entre le nombre de lits et le nombre de patients. L’un des grands problèmes, c’est que le nombre de patients médico-légaux dépend des tribunaux. Si le tribunal rend plus de verdicts de non-responsabilité criminelle — comme au Québec, par exemple, où nous avons le double, voire le triple du nombre de verdicts de la sorte par rapport aux autres provinces —, alors nous avons besoin de plus de lits. C’est difficile à prévoir parce que tout dépend de la décision du juge dans chaque cas.
J’ai oublié de le mentionner, mais je suis président de l’ACPD, l’Académie canadienne de psychiatrie et droit, et donc des psychiatres légistes. Je suis tout à fait au courant des différentes situations au pays. Le nombre de lits n’a pas nécessairement diminué, mais il n’a pas suivi la croissance de la population et du nombre des verdicts de non-responsabilité criminelle. Le ratio est donc à la baisse, non pas à cause des compressions, mais parce qu’on ne tient pas compte de l’augmentation du nombre de ces verdicts. Cela dit, je ne crois pas que la solution...
La présidente : Merci, docteur Dufour. Je suis vraiment désolée.
Le sénateur Klyne : J’ai deux questions pour Mme Eaton. Vous avez mentionné que les Canadiens consacrent 7 % de leur budget de santé à la santé mentale, alors que l’Australie ou le Royaume-Uni y consacrent de 13 à 14 %. Est-ce que les statistiques montrent qu’il y a une réduction du nombre de détenus souffrant de troubles de santé mentale? Quel est l’intérêt de doubler le montant des dépenses?
Mme Eaton : Le projet de loi laisse entendre en particulier que les services communautaires de santé mentale et les hôpitaux doivent offrir des services aux détenus. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de lits disponibles ni d’établissements de soins. Si nous pouvions augmenter considérablement ce financement, il y aurait moyen de rédiger ce projet de loi de façon à appuyer les prisonniers.
Le sénateur Klyne : Est-ce que les dépenses supplémentaires en Australie ou au Royaume-Uni le permettent?
Mme Eaton : L’argent est-il destiné aux détenus?...
Le sénateur Klyne : Voyez-vous la différence?
Mme Eaton : Est-ce que je vois la différence? C’est une excellente question qu’il faudrait que je vérifie.
Le sénateur Klyne : D’accord. Je vais passer à l’autre question que j’aimerais vous poser. Comment faudrait-il adapter les services correctionnels et les plans de réinsertion sociale pour répondre aux besoins en santé mentale des personnes issues de populations défavorisées ou minoritaires, et quelles mesures peut-on prendre pour garantir l’équité dans ces contextes?
Mme Eaton : La réinsertion est extrêmement importante. Je crois que la Société Saint-Léonard du Canada aurait aussi une excellente réponse à cette question. L’Association canadienne pour la santé mentale gère de nombreux programmes partout au pays qui portent sur la réinsertion sociale, et il est extrêmement important de rétablir ce lien avec la collectivité. Les personnes incarcérées souffrent souvent de maladie mentale. On estime qu’environ 38 % des personnes incarcérées souffrent d’une maladie mentale.
Le sénateur Klyne : Merci.
Madame Desai, vous avez peut-être une réponse sur la façon d’adapter les plans de réinsertion sociale des services correctionnels pour répondre à ces besoins en matière de santé?
Mme Desai : Je vous remercie de la question et de l’occasion que vous m’avez donnée, et je remercie Mme Eaton de me permettre d’intervenir.
Une partie du problème tient à la rapidité avec laquelle les organismes communautaires peuvent participer au processus de planification de la mise en liberté. Nous avons certainement essayé de trouver des moyens de mieux défendre ce point de vue dans le cadre des politiques et des lois existantes, mais les difficultés persistent.
En examinant ce projet de loi, on constate qu’il crée un plan pour légiférer la collaboration ou l’accès au processus de planification de la mise en liberté. J’aimerais certainement préciser qu’il y a des organismes communautaires qui se spécialisent dans certains domaines, comme la prestation de services de soutien et de lits communautaires adaptés aux personnes ayant des problèmes de santé mentale particuliers. Je pense qu’il faut pouvoir collaborer avec ces organismes ou apporter des ressources pour renforcer la capacité dont parle Mme Eaton. Le projet de loi crée une capacité à cet égard, et nous pouvons l’améliorer. Cela ne veut pas dire que tout est disponible et sous-utilisé, mais nous n’avons pas un accès rapide au travail de planification de la mise en liberté auprès du Service correctionnel. C’est souvent le cas quand on cherche à être proactif dans ce processus de planification.
La sénatrice Batters : Mes questions s’adressent à Mme Eaton, de l’Association canadienne pour la santé mentale. Tout d’abord, dans le cadre de l’étude du projet de loi S-230, je partage vos préoccupations au sujet de la capacité et de la disponibilité des ressources pour les problèmes de santé mentale. Vous avez dit tout à l’heure qu’il fallait investir davantage et vous espérez que l’adoption de ce projet de loi pourrait entraîner une augmentation des dépenses du gouvernement fédéral à ce chapitre.
Madame Eaton, je suppose que vous faites probablement allusion au fait que le gouvernement fédéral n’a pas versé un sou jusqu’ici pour remplir sa promesse électorale de 2021 d’établir le Transfert canadien en matière de santé mentale en lui consacrant 4,5 milliards de dollars. Je sais que l’Association a toujours réclamé haut et fort que le gouvernement fédéral tienne sa promesse. À l’heure actuelle, il accuse un retard d’environ 2,5 milliards de dollars par rapport au calendrier de dépenses prévu. Ai-je raison de croire que c’est ce qui explique vos observations à ce sujet?
Mme Eaton : Oui, vous avez tout à fait raison. Nous avons été très déçus du fait que le gouvernement libéral n’ait pas tenu sa promesse. Il est par ailleurs possible que, dans le cadre des ententes bilatérales, une partie des paiements de transfert aux provinces soit consacrée à la santé mentale, mais le grand avantage des paiements qui lui auraient été expressément destinés, c’est que les provinces auraient été tenues de les dépenser à ces fins. Nous ne savons pas combien les provinces consacrent à la santé mentale ni si ces ententes bilatérales permettront d’obtenir le genre d’augmentation des dépenses que nous recherchons à ce chapitre.
La sénatrice Batters : Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de « problèmes psychiatriques graves ». À ce sujet, lors de la comparution du premier groupe de témoins hier, j’ai posé une question sur la définition de « troubles mentaux invalidants », qui se trouve dans le projet de loi. La sénatrice Pate, qui parraine le projet de loi, a déclaré qu’elle voulait que la définition soit conforme à l’article 37.11 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui décrit certains critères, notamment le refus d’interagir avec les autres, les actes d’automutilation, les symptômes de surdose et les signes de détresse émotionnelle ou un comportement indiquant un besoin urgent de soins de santé mentale.
Qu’en pensez-vous, compte tenu de votre vaste expérience des problèmes de santé mentale? Selon vous, cette définition est-elle appropriée pour orienter les décisions relatives au transfert des détenus dans un hôpital dans le cadre du projet de loi S-230, ou la trouvez-vous peut-être trop large? Pensez-vous qu’il serait préférable de trouver une autre définition pour les « troubles mentaux invalidants »?
Mme Eaton : Merci. La définition est assez large et elle mise sur la capacité de l’agent correctionnel d’interpréter le comportement et d’agir en conséquence.
D’une certaine façon, j’aime cette largeur, car elle donne de la portée. Elle est fondée sur le comportement et sur des symptômes reconnaissables que même une personne qui n’est pas nécessairement formée en psychiatrie pourrait observer. Nous croyons que ce n’est pas un mauvais point de départ pour cette définition.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à M. Dufour.
Lors de sa comparution devant le comité, la commissaire Kelly du Service correctionnel du Canada a indiqué qu’il y avait une entente avec l’Institut Pinel, mais sans en préciser la teneur.
Pouvez-vous nous expliquer un peu quelle est la nature de cette entente, en résumé, et nous l’envoyer par écrit, si vous êtes capable de le faire?
Dr Dufour : Oui, certainement, je pense qu’on peut passer par nos services pour vous envoyer l’entente, si elle n’est pas confidentielle.
En gros, il y a deux parties : la première est pour les femmes détenues au fédéral. On a 15 lits, donc 15 places, on a une unité à Pinel qui est réservée aux femmes, pas juste de l’établissement de Joliette, mais de tout le Canada. Donc, il existe un processus permettant de les transférer quand elles souffrent de maladies psychiatriques graves — je pense qu’on en parlait tantôt — et la plupart du temps, elles souffrent de schizophrénie ou de troubles bipolaires, et elles ont besoin de soins hospitaliers.
La deuxième partie du contrat est pour les hommes, donc des détenus fédéraux. On a cinq lits garantis qui sont nos unités à Pinel — on est un hôpital à sécurité maximale — et plus, s’il y a un besoin pour plus de cinq lits pour les hommes.
Le sénateur Carignan : Je reviens sur la définition qui est assez large, dont on a parlé tout à l’heure.
Je reprends la définition à l’article 37.11. On parlait du transfert dans les hôpitaux, on a parlé de détenus provenant des unités d’intervention structurée, mais le projet de loi ne mentionne pas que les gens proviennent uniquement d’une unité d’intervention structurée, c’est beaucoup plus large. Cela peut être des gens qui ne sont pas dans ces unités.
La définition de l’article 37.11, qui est visée par la sénatrice Pate dans son projet de loi, se lit comme suit :
a) le détenu refuse d’interagir avec les autres;
b) il commet des actes d’automutilation;
c) il présente des symptômes de surdose de drogue;
d) il présente des signes de détresse émotionnelle ou un comportement qui donne à penser qu’il a un urgent besoin de soins de santé mentale.
Selon votre expertise, combien de personnes, dans un pénitencier fédéral, souffrent d’un de ces symptômes?
Dr Dufour : Selon mon expérience à l’extérieur de Pinel, parce que j’ai pratiqué dans plusieurs pénitenciers au Québec et même dans des établissements réguliers, je dirais spontanément que la plupart ont de tels symptômes un jour ou l’autre.
J’aurais tendance à dire que c’est une définition un peu trop large et vague. Cela ne devrait pas être une définition qui est différente de ce qui se passe dans la communauté. Pour moi, un détenu en détention ne devrait pas avoir plus de soins que s’il est en communauté; il devrait avoir les mêmes soins.
Je pense qu’il y a un problème d’accès aux soins, moins au fédéral qu’au provincial. C’est pour cela qu’on parle du fédéral, mais le provincial a encore beaucoup plus de besoins; il y a beaucoup de gens qui souffrent de schizophrénie et qui ne reçoivent pas les traitements nécessaires en prison. Tandis qu’au fédéral, selon mon expérience et le système qu’on a à Pinel, la plupart des gens qui souffrent de graves troubles psychiatriques et de psychose reçoivent des soins.
Pour revenir à votre question, si la définition est trop large, on va embourber notre système de psychiatrie général au provincial avec des problèmes pas particuliers et pour lesquels, normalement, les gens qui ne seraient pas détenus ne se présenteraient pas à l’hôpital. Ils ne le feraient pas s’il y avait une certaine détresse émotive ou qu’ils étaient isolés, sinon, il faudrait beaucoup plus d’hôpitaux psychiatriques.
Le sénateur Carignan : Parfait, merci.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Merci beaucoup à tous nos témoins et pour tout le travail que vous faites chaque jour.
Je voulais vous poser une question. Lors de sa comparution, la commissaire Kelly a dit qu’il y avait 18 lits à Pinel, 15 pour les femmes et 3 pour les hommes. Elle n’a pas mentionné, d’ailleurs vous non plus, docteur Dufour, qu’à l’occasion, il aurait fallu une unité de 30 lits à Pinel. Je suis curieuse. Dans le cadre de l’adoption du projet de loi C-83, le gouvernement a affecté de nouvelles ressources spécifiquement pour obtenir plus de lits et embaucher des défenseurs de la santé mentale pour des personnes qui pourraient être isolées autrement.
Depuis 2019, combien de nouveaux lits le Service correctionnel du Canada a-t-il accordés à chacun de vos organismes? Vous, docteur Dufour, pour Pinel; madame Eaton, pour l’ACSM; et mesdames Desai et Kouri, pour les services de soutien communautaires.
Dr Dufour : Si vous me permettez de commencer, je ne suis pas au courant de toute l’histoire du contrat entre le SCC et Pinel, alors je ne peux pas vous confirmer si le chiffre de 15 lits pour les femmes est exact, mais je suis pas mal certain que nous avons 5 lits pour les hommes, parce qu’ils sont toujours occupés, mais je ne sais pas quels étaient les chiffres en 2019.
La sénatrice Pate : Le Service correctionnel du Canada vous a-t-il fourni de nouveaux lits depuis 2019? Non. D’accord. Et vous, madame Eaton?
Mme Eaton : Je ne crois pas que nous ayons reçu de financement du SCC pour des lits dans l’ensemble de nos associations, non.
Mme Desai : Pour ce qui est du genre de lits dont vous parlez, je dirais que c’est zéro. Je dirais qu’un contrat a été conclu avec l’un des membres de notre réseau pour l’ouverture d’un centre résidentiel communautaire de 10 lits pour des gens ayant des troubles de santé mentale. Mais dans des conditions qui ne sont pas différentes, à ma connaissance, pour...
La sénatrice Pate : Pas conformément au projet de loi C-83?
Mme Desai : Non.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup. Ce sont mes questions.
La sénatrice Clement : Merci à tous les témoins pour le travail que vous faites.
J’ai entendu le Dr Dufour parler de l’incidence du trouble de la personnalité et de la façon dont cela mène à la participation à des activités criminelles. Ma question s’adresse à Mme Desai. Je me demande si vous pourriez nous parler davantage des cinq piliers que vous avez décrits et du rôle qu’ils pourraient jouer dans le système de justice pénale et de l’intersectionnalité qui y a lieu.
Mme Desai : Bien sûr. Je vous remercie de la question. Je l’apprécie.
Je parlais des déterminants sociaux de la justice qui se sont ajoutés aux déterminants sociaux que nous voyons dans le système de soins de santé. En réalité, il s’agissait du revenu, de l’emploi, du logement stable, de l’éducation et de la santé, qui ne sont que des facteurs sociaux qui mènent à l’exclusion, à la discrimination et, en définitive, aux inégalités à l’heure de rendre justice. Lorsque ces déterminants ne sont pas respectés, la personne est d’autant plus susceptible d’adopter des comportements délictueux et de subir le poids de la justice.
Ces facteurs doivent entrer en ligne de compte, du moins en partie, au lieu de stigmatiser les personnes ayant des troubles de santé mentale en présumant systématiquement qu’elles sont plus susceptibles d’être impliquées au criminel. C’est une série de facteurs qui, à mon avis, contribuent à criminaliser la personne au départ, tout cela parce que les autres facteurs ne sont pas nécessairement respectés.
La sénatrice Clement : Recueillons-nous suffisamment de données sur ces questions pour pouvoir comprendre exactement ce que vous dites dans le contexte de la recherche?
Mme Desai : Oui, nous nous y prenons mieux pour comprendre les déterminants sociaux de la santé et l’équité en santé, et nous nous y investissons à fond.
En ce qui concerne un investissement parallèle dans la recherche, la défense des droits et la compréhension des déterminants sociaux de la justice — je m’efforce de m’asseoir à autant de tables que possible pour parler de la façon dont la justice devrait faire partie des débats sur le logement, l’accès à l’emploi et l’élimination des obstacles. Cela fait partie d’une approche axée sur la personne, au lieu de voir les gens constamment comme des délinquants. Soit dit en passant, j’apprécie les commentaires sur la modification du libellé de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour y inclure le mot « personne ». Ce langage axé sur la personne est essentiel pour mieux défendre et comprendre quels sont les éléments qui amènent les gens à avoir des démêlés avec la justice au départ. Ce n’est pas la santé mentale à elle seule, et ce n’est certainement pas le cas. Nous devons mieux comprendre ces facteurs.
Non, je crois que les recherches sont insuffisantes pour vraiment renforcer la façon dont nous défendons les gens en invoquant les déterminants sociaux de la justice.
La sénatrice Clement : Merci.
Mme Desai : Je vous en prie.
La sénatrice Pate : Merci. Je voulais faire un suivi.
Un élément que le directeur parlementaire du budget a calculé lorsqu’il a examiné le projet de loi C-83, c’est le coût des ressources que Rick Sauvé — qui, par l’entremise de votre organisation, s’est occupé de la désaffiliation aux gangs — a chiffré à environ 200 000 $ à déployer dans tout le pays, et je crois comprendre que cela vient de Saint-Léonard.
Y a-t-il eu des discussions sur la possibilité d’envisager ce genre d’approche, étant donné que l’une des raisons invoquées par le SCC et le syndicat — nous avons entendu le syndicat — pour garder les gens dans les unités d’intervention structurée, c’est l’affiliation à un gang ou d’autres conflits de personnalités. L’un des avantages que nous avons constatés en ce qui concerne la défense des intérêts par les pairs, c’est que ces obstacles sont éliminés de manière efficace, ce que les gens de l’extérieur ne peuvent pas souvent faire et les employés du Service correctionnel du Canada carrément pas.
Y a-t-il eu des discussions au sujet de l’expansion ou même de la fourniture de ressources pour ce service?
Mme Desai : En vertu du projet de loi C-83 concrètement? J’ai essayé. Je dirais que nous demeurons d’ardents défenseurs du soutien par les pairs dans les établissements. On sait que M. Sauvé est très en demande à l’intérieur des institutions. Nous sommes loin d’avoir assez d’argent. Cependant, je dois rendre à César ce qui appartient à César : dans la région de l’Ontario, certains de nos membres, par l’entremise de PeerLife Collaborative, ont collaboré avec SCC Ontario pour fournir un contrat pluriannuel à M. Sauvé, et nous avons en fait réaménagé certaines ressources pour que les gens puissent aller sur place et offrir du soutien par des pairs, en particulier pour les personnes purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité ou une peine d’une durée indéterminée dans les établissements de l’Ontario.
D’après ce que je comprends, le projet de loi C-83 ne prévoit aucun financement. Nous avons établi les coûts pour le ministre à l’époque, au début de 2019, lorsqu’il a été invité à mener des consultations sur le projet de loi. En fait, nous avions calculé le coût de ce qu’il faudrait pour être en mesure d’organiser cela — n’oublions pas que les unités d’intervention structurée sont dispersées. En Ontario, il n’y a que celle de Kingston. Le fait de pouvoir faire venir des gens de partout en Ontario de nos organismes à Kingston pour visiter l’unité de Millhaven est en somme une question de ressources. Ce n’est pas que nous ne voulions pas faire ce travail, mais le terme « organisme bénévole » ne signifie pas que nous ayons les moyens d’intervenir, même si nous pourrions être les bienvenus. Nous n’avons pas les ressources nécessaires pour amener les gens directement dans les établissements et défrayer les coûts connexes.
Donc, non, nous n’avons rien constaté, mais nous espérons que ce soit le cas, en ce qui concerne les services de M. Sauvé en particulier. D’après ce que nous avons compris, le SCC est en train de mettre en œuvre une stratégie nationale pour les condamnés à perpétuité. Nous avons bon espoir de pouvoir participer d’une façon ou d’une autre à l’élaboration de cette stratégie. J’aimerais continuer d’inviter le service à voir comment nous pouvons nous entendre pour fournir des ressources et mobiliser des gens. Pour peu que nous sachions nous y prendre, je pense que le soutien par les pairs est une intervention vraiment rentable, utile et efficace. Il y a des partenaires très désireux de mener ces projets à bien.
La présidente : Merci. Merci à tous les témoins et merci de votre patience. Je suis désolée d’avoir dû vous interrompre de temps à autre, mais je vous remercie de votre présence, et nous avons hâte de vous revoir à l’avenir. Merci.
Chers collègues, j’aimerais discuter de certaines choses avec vous. Premièrement, il n’y aura probablement pas de réunion mercredi prochain. C’est à déterminer. Notre prochaine réunion aura donc lieu jeudi prochain, et nous procéderons à l’étude article par article de ce projet de loi.
Ensuite, nous étudierons le projet de loi de la sénatrice Boyer, le projet de loi S-250. Puis, ce sera au tour de celui de la sénatrice Batters, le projet de loi C-291. Je remercie les sénateurs et les témoins de leur présence.
(La séance est levée.)