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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 25 avril 2022

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 17 h 4 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Wanda Thomas Bernard (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Honorables sénateurs, je suis la sénatrice Wanda Thomas Bernard de la Nouvelle-Écosse, et je suis vice-présidente du comité. Je me joins à vous aujourd’hui depuis ma collectivité, East Preston, qui se trouve dans le Mi’kma’ki, le territoire ancestral non cédé du peuple micmac.

J’aimerais maintenant présenter les membres du comité qui participent à cette réunion en format hybride. Dans la salle, nous avons la sénatrice Audette, du Québec, et en ligne, nous avons la sénatrice Boyer, de l’Ontario, la sénatrice Gerba, du Québec, la sénatrice Hartling, du Nouveau-Brunswick, la sénatrice Omidvar, de l’Ontario et le sénateur Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador. De plus, j’aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux qui regardent les délibérations d’un bout à l’autre du pays.

Aujourd’hui, nous poursuivons une étude qui a commencé en 2019 sur la stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada. Notre comité a déposé un rapport provisoire sur cette question en juin 2021. Nous poursuivrons cette étude pendant trois réunions, et nous déposerons ensuite un rapport final.

J’aimerais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. De Services aux Autochtones Canada, nous accueillons le Dr Evan Adams, médecin en chef adjoint de la santé publique et Aimie Hillier, directrice par intérim, Division des jeunes et des familles en bonne santé, Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits. De l’Agence de la santé publique du Canada, nous accueillons Tasha Stefanis, vice-présidente adjointe.

Le Dr Adams est un ancien médecin hygiéniste en chef de la Régie de la santé des Premières Nations, et Mme Stefanis était, jusqu’à récemment, avec Santé Canada et a travaillé sur cette question.

J’invite maintenant le Dr Adams à faire une déclaration préliminaire. Ensuite, les sénateurs poseront des questions au Dr Adams, à Mme Hillier et à Mme Stefanis.

Dr Evan Adams, médecin en chef adjoint de la santé publique, Services aux Autochtones Canada : Merci beaucoup. Je vous parle aujourd’hui de mon territoire d’origine, c’est-à-dire la Première Nation des Tla’amin, qui se trouve à environ 150 kilomètres de Vancouver.

Nous sommes tous ici parce que nous sommes troublés par les signalements persistants de cas de stérilisation forcée et contrainte de femmes autochtones au Canada. La stérilisation des femmes sans leur consentement éclairé est une forme de violence sexospécifique. Elle constitue une agression et une infraction pénale. Elle est incompatible avec les droits fondamentaux de la personne et les normes médicales, et il est inacceptable que cela puisse se produire et continue de se produire dans le système de santé canadien.

Pour les femmes autochtones en particulier, la stérilisation forcée et contrainte est un acte de sexisme, de racisme et de génocide culturel ancré dans la colonisation et le paternalisme, ce qui perturbe la continuité des soins et les générations futures.

Ma déclaration se fonde sur mon expérience, et je suis ici à la fois à titre de médecin en chef adjoint de la santé publique pour Services aux Autochtones Canada et à titre de médecin autochtone.

Je me souviens très bien que pendant mes études de médecine et ma résidence, des obstétriciens m’ont demandé à de nombreuses reprises ce que je comptais faire au sujet des taux de naissance et de grossesse chez les adolescentes chez les Autochtones. Le jugement et l’impression que tout leur est dû illustrent l’arrogance, le racisme et le sexisme qui peuvent être aussi répandus dans une profession dont les membres ont un tel pouvoir sur les femmes. Au cours de mes cinq premières années de travail dans le domaine de la médecine familiale autochtone, je suis souvent allé dans le quartier centre-est de Vancouver, où vivent de nombreux Autochtones. Dans ce quartier, il s’est développé toute une industrie dans laquelle des hommes sont fortement engagés dans l’exploitation, l’asservissement et la dégradation des femmes. Il s’agit en grande partie de femmes autochtones qui souffrent de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

À bien des égards, la question de la stérilisation forcée et contrainte établit un lien entre ces deux expériences. En effet, la violence est normalisée, tout comme les approches paternaliste et raciste dans les soins cliniques à l’intention des femmes.

Toutes les femmes autochtones doivent pouvoir recevoir des services de santé respectueux des valeurs culturelles, quel que soit l’endroit où elles vivent et le fournisseur de ces services. Les appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation et les appels à la justice formulés dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées nous invitent tous à veiller à ce que les femmes autochtones reçoivent des services respectueux des valeurs culturelles, y compris les soins de santé.

En mai 2019, mon collègue, le Dr Tom Wong, s’est adressé à vous et a fait référence à la déclaration sur la sécurité et l’humilité culturelle de l’Autorité sanitaire des Premières Nations de la Colombie-Britannique. Je suis heureux que la Dre Malhotra, de l’Autorité sanitaire des Premières Nations, soit également ici pour vous parler. La sécurité et l’humilité culturelles diffèrent de la compétence culturelle, car elles concernent d’abord et avant tout les conséquences réelles pour la sécurité. Il s’agit en effet de soins fondés sur des principes et axés sur les patients, où les professionnels de la santé comprennent le rôle qu’ils jouent en matière de soutien et s’engagent à offrir un environnement sûr. Services aux Autochtones Canada espère que ce modèle sera reproduit dans d’autres provinces et territoires canadiens.

Depuis la dernière comparution du Dr Wong devant votre comité, et à la suite d’une recommandation de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, Services aux Autochtones Canada a accordé des fonds à des organismes de femmes autochtones pour élaborer des produits d’information sur les droits génésiques des femmes et pour mieux comprendre la portée de la stérilisation forcée et contrainte.

De plus, le Comité consultatif sur le bien-être des femmes autochtones, créé en 2019, en réponse à la question de la stérilisation forcée et contrainte, fournit au ministère des conseils, des directives et des orientations fondées sur les distinctions en ce qui concerne les questions liées à la santé et au bien-être des femmes inuites, métisses et des Premières Nations. Ce comité, dirigé par des partenaires autochtones, a évolué pour devenir un moyen important de mobiliser les partenaires autochtones, les ministères fédéraux et les organismes professionnels à prendre des mesures concertées pour favoriser le bien-être des femmes. Le comité s’est fait le champion des soins de santé génésique respectueux des valeurs culturelles.

Les intervenants de Services aux Autochtones Canada sont bien conscients de la nécessité de mettre en œuvre une action collective à l’échelle des gouvernements et des professions pour lutter contre la stérilisation forcée et contrainte. La collaboration avec les partenaires autochtones est essentielle, et les possibilités de faire entendre la voix et l’expérience vécue des femmes autochtones doivent continuer à orienter notre réponse. À cette fin, le ministère a appuyé un forum national en 2020 sur la liberté de choix et le consentement éclairé dans les services de santé pour les femmes inuites, métisses et des Premières Nations. Ce forum a réuni plus de 100 intervenants de tout le Canada pour examiner les réalités actuelles et les orientations futures en matière de choix et de consentement éclairés dans les services de santé pour les femmes autochtones.

Les thèmes soulevés dans le cadre de ce forum reflètent les priorités du Comité consultatif sur le bien-être des femmes autochtones. Ces thèmes visent à aborder des questions liées à la promotion de la profession de sage-femme dirigée par des Autochtones et des défenseurs des patients autochtones, à la responsabilisation, à l’amélioration de la collecte de données, au rôle des services de protection de l’enfance, aux modifications à apporter au Code criminel et à la formation obligatoire sur la lutte contre le racisme pour les prestataires de soins de santé.

À la suite des mauvais traitements racistes et du décès tragique de Joyce Echaquan, le gouvernement du Canada a également organisé trois dialogues nationaux, en octobre 2020 et en janvier et juin 2021, qui ont réuni des organismes autochtones, des gouvernements provinciaux et territoriaux, des partenaires du système de santé et des personnes ayant une expérience vécue, afin de discuter et de présenter des plans d’actions concrètes visant à éliminer le racisme envers les Autochtones dans les systèmes de santé. Ces discussions se poursuivent.

La réponse fédérale aux dialogues nationaux consiste à mettre sur pied des initiatives et des activités qui amélioreront l’accès à des services de santé de haute qualité et respectueux des valeurs culturelles, notamment pour les femmes autochtones, les personnes 2SLGBTQQIA+, les personnes handicapées et d’autres groupes marginalisés qui sont touchés de manière disproportionnée par le racisme envers les Autochtones.

Le budget de 2021 prévoyait 33,3 millions de dollars pour accroître le soutien aux initiatives relatives aux sages-femmes et aux doulas autochtones, conformément aux recommandations du Comité consultatif sur le bien-être des femmes autochtones. La profession de sage-femme reconnaît le choix éclairé comme étant un principe fondamental et est considérée comme un facteur de protection contre le racisme envers les Autochtones dans les systèmes de soins de santé et de services sociaux. Cet investissement renforce également le financement des organismes nationaux de femmes autochtones, des organismes pour la santé sexuelle des jeunes et des organismes régionaux et locaux.

Nous nous engageons à poursuivre le travail nécessaire avec nos partenaires pour lutter contre la stérilisation forcée et contrainte, dans le cadre d’un impératif plus large visant à éliminer le racisme systémique, à améliorer la sécurité culturelle, à soutenir la transformation de la prestation des services de santé et à réduire les obstacles auxquels les populations autochtones, et en particulier les femmes autochtones, font face lorsqu’elles ont accès aux soins de santé.

Je serai très heureux de répondre à vos questions. Je vous remercie.

La vice-présidente : Je vous remercie, docteur Adams.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Nous entendrons d’abord la sénatrice Hartling, qui sera suivie de la sénatrice Boyer.

Comme nous le faisions auparavant, j’aimerais rappeler à chaque sénateur que vous avez cinq minutes pour votre question, et cela inclut la réponse. Pour ceux qui participent par l’entremise de Zoom, veuillez utiliser la fonction « Lever la main » si vous avez une question. Pour ceux qui se trouvent dans la salle du comité, veuillez aviser la greffière. Lorsque vous posez votre question, veuillez indiquer si vous souhaitez obtenir une réponse d’un témoin en particulier ou de tous les témoins. Nous allons maintenant passer aux questions. Nous entendrons d’abord la sénatrice Hartling.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie, docteur Adams, de votre déclaration très intéressante. C’est difficile à croire, et c’est choquant que cela se produise encore au Canada, mais nous savons que c’est le cas. Dans notre dernière étude, nous avons appris le nombre de personnes à qui cela était arrivé. Je m’interroge sur les professionnels de la santé. Sont-ils conscients des conséquences et des torts que cela entraîne? Que devrait-il arriver aux personnes qui continuent à agir de la sorte? Existe-t-il des règlements appropriés que nous pourrions suggérer et qui contribueraient à la prévention, au changement d’attitude, à la sensibilisation, et cetera? Que pourriez-vous me dire à ce sujet?

Dr Adams : À mon avis, dans le cadre de notre formation médicale, on enseigne très clairement que nous ne devons pas causer de tort, et que nous devons travailler dans les limites de notre formation. Ainsi, il est formellement interdit de décider pour une personne du cours de son traitement sans consultation appropriée ou sans consentement éclairé. Cela ne signifie pas pour autant que certains professionnels de la santé et certainement quelques individus n’ont pas d’idées ou de position préconçue sur la manière dont les femmes devraient gérer leur grossesse, sur le nombre de leurs grossesses, sur l’âge auquel elles devraient être enceintes, sur ce qu’elles devraient manger, sur les services liés à la reproduction auxquels elles devraient avoir accès ou non et sur les services généraux auxquels elles devraient avoir accès.

Je pense que la solution, dans ces situations, consiste à se doter d’une politique très précise sur la façon dont ces situations doivent être gérées et d’énoncer clairement une politique sur ce qui doit arriver lorsque les patients subissent des préjudices ou lorsque leurs droits sont lésés. Je pense qu’il incombe à chaque établissement de soins de santé d’énoncer clairement ces politiques et à leurs employés, c’est-à-dire les obstétriciens et les autres médecins susceptibles de fournir ces services, d’être pleinement conscients que ces politiques font partie de leurs conditions d’emploi.

J’ai déjà mentionné certaines autres questions qui doivent être abordées. Il ne s’agit pas seulement de se doter de telles politiques, mais aussi de disposer de données sur les cas où ces politiques sont transgressées, sur les préjudices causés et sur les conséquences. Il ne devrait pas y avoir de violence, de racisme ou de sexisme dans le système de soins de santé sans conséquence. Ces conséquences ne sont absolument pas punitives. On pourrait mettre sur pied une sorte de processus de réparation. Mais il est certain que ce type de comportement ne devrait pas se produire sans qu’on établisse une sorte d’équilibre qui oblige le fournisseur de services à assumer la responsabilité de ses propres actions. Je vous remercie.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie beaucoup.

La sénatrice Boyer : Je vous remercie, docteur Adams, de votre déclaration très intéressante, bien que triste. Je sais que vous travaillez dans deux camps à la fois, c’est-à-dire que vous avez un pied dans la collectivité et l’autre au plus haut échelon de la fonction publique. Je me demande combien de survivants se trouvaient dans la centaine de personnes, de professionnels et autres qui ont participé au forum contre le racisme. Dans quelle mesure est-il important d’entendre les voix des personnes qui ont été stérilisées, en particulier lorsqu’on cherche des solutions à certains de ces problèmes?

Dr Adams : Je vous remercie. Je ne connais malheureusement pas la répartition des participants à ces trois différents forums nationaux. Je pense toutefois que la majorité des personnes qui ont fait des présentations sur le racisme envers les Autochtones dans le système de santé étaient des professionnels de la santé, et non des patients. Je suis d’accord; je pense qu’il est très important d’entendre directement les consommateurs, les patients, les clients et les personnes qui ont été touchés par le système, car c’est souvent le système qui leur a causé des préjudices. Les personnes qui se trouvent dans les deux camps, comme les travailleurs de la santé autochtones, ne sont pas représentatives des patients et des clients autochtones, qui sont servis et souvent lésés d’une manière différente.

Par exemple, lorsque je suis dans le système de santé, je suis un patient très privilégié au statut élevé, contrairement à de nombreux autres patients autochtones. Il ne faut donc jamais confondre la voix des fournisseurs de soins autochtones avec celle des clients autochtones. J’espère que nous aurons de plus en plus l’occasion d’entendre des femmes et des personnes qui ont été touchées par ce genre d’actions. C’est presque inconcevable pour d’autres personnes, mais aujourd’hui, j’ai tenu à parler de ma réalité quotidienne à titre d’étudiant en médecine, afin que vous puissiez voir clairement à quel point le mépris des gens à l’égard des femmes autochtones est banal et fréquent — à quel point on méprise leur reproduction, leur famille et les choix qu’elles font dans la vie, à quel point on les juge et à quel point elles reçoivent une sorte de réponse armée dans le système de soins de santé.

Le sénateur Wells : Docteur Adams, je vous remercie de votre déclaration. J’ai aussi hâte d’entendre les autres déclarations. Bien que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne ait étudié cette question lors d’une législature précédente, il semble qu’il n’ait fait qu’effleurer la surface.

Tout d’abord, je tiens à reconnaître le travail effectué par la sénatrice Boyer sur le sujet. C’est un enjeu que je ne connaissais pas du tout avant les premières réunions de notre comité sur la question. Je vous remercie, sénatrice Boyer, du travail que vous avez effectué à l’époque et de vos efforts soutenus à l’égard de cet enjeu.

Dans le rapport du Comité des Nations unies contre la torture, la réponse du Canada indiquait que notre Code criminel contient des articles selon lesquels la stérilisation forcée serait considérée comme une infraction, à savoir les articles 265, 267 et 268. Je présume qu’aucune poursuite n’a été intentée en vertu de ces articles du Code criminel. Pourquoi n’y en aurait-il pas? De votre position privilégiée à titre de médecin en chef adjoint, pouvez-vous penser à une mesure plus précise qui pourrait être prise dans cette situation?

Dr Adams : Je pense que la Dre Malhotra, qui prendra la parole plus tard, pourra vous en dire plus sur la question du consentement éclairé. Je présume qu’au moins certains des médecins qui ont perpétré ce genre d’infraction ont cru qu’ils avaient obtenu une sorte de consentement éclairé, mais j’oserais aussi affirmer qu’ils avaient peut-être l’impression de faire ce qu’ils considéraient comme la meilleure chose à faire, à leur avis, pour protéger une population donnée.

De notre point de vue de médecins, nous devons savoir exactement où se trouve la limite. Nous ne sommes pas censés donner des soins qui ne sont pas souhaités par le client. Si une femme n’a pas demandé la stérilisation, le médecin, peu importe la mesure dans laquelle il estime que sa position justifie sa décision, n’a pas le droit d’intervenir, car cela dépasse le cadre de son travail. Je suis également curieux de savoir pourquoi les médecins qui ont agi de la sorte n’ont pas fait l’objet de poursuites. Je pense que c’est en partie parce que nous commençons tout juste à apprendre comment porter plainte contre les infractions commises par un médecin. Je pense aussi que nous apprenons tout juste à remettre en question l’autorité de manière efficace. Par exemple, certains médecins pourraient demander si cela ne fait pas partie de leur travail et pourquoi on leur parle de cette façon. En général, les actions des médecins ne sont pas remises en question comme le sont celles d’autres travailleurs, selon moi, mais nous pouvons certainement apprendre à le faire.

Enfin, ce que les médecins peuvent apprendre et apprendront, c’est que leur travail est surveillé. Qui est leur patron? Ils ne sont pas juste entrepreneurs indépendants. Qui a son mot à dire quant à leur façon de pratiquer? À l’Autorité sanitaire des Premières Nations en Colombie-Britannique, les chefs ont usé de leur droit d’avoir un mot à dire quant à la façon dont les médecins exercent leur profession auprès de leur population et sur leurs territoires.

Le sénateur Wells : Le mur qui sépare le public ou la loi, et le concept ou la pratique d’un maintien très strict du secret professionnel sont-ils également un obstacle? Un témoin qui n’a pas encore parlé est peut-être davantage en mesure de répondre ou pourrait également répondre. Est-ce également un obstacle pour savoir ce qui se produit dans le cabinet du médecin?

Dr Adams : Je ne suis pas certain de comprendre la question. Peut-être que d’autres aimeraient répondre.

Le sénateur Wells : La question porte sur le secret professionnel qui doit être respecté entre le patient et le médecin. S’il se produit derrière le rideau quelque chose qui pourrait être considéré comme une infraction à la loi, est-ce un obstacle pour cerner la source du problème et entamer d’éventuelles poursuites?

La vice-présidente : Il ne nous reste que 30 secondes pour entendre la réponse à cette question.

Le sénateur Wells : J’espère que nous pourrons obtenir la réponse d’ici la fin pendant les interventions d’un autre témoin. Merci, docteur Adams.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup, docteur Adams, pour votre exposé et votre comparution devant nous aujourd’hui. Le sénateur Wells s’est penché sur certains aspects de ma question, et je vais donc changer de cap un peu.

Vous avez dit que les sages-femmes autochtones sont une des solutions à ce problème très inquiétant. Vous avez dit que des fonds ont été accordés pour améliorer la prestation de ces services, pour les encourager.

Même à ce stade précoce, docteur Adams, pouvez-vous nous dire si vous voyez des progrès dans ce domaine? Y a-t-il plus de femmes et d’hommes qui souhaitent exercer ce métier? Dans la négative, qu’est-ce que le gouvernement devrait faire selon vous des 33,3 millions de dollars pour favoriser cela?

La vice-présidente : Je suis désolée, sénatrice Omidvar. Je pense que nous avons des problèmes techniques, et nous avons perdu le Dr Adams. Je me demande si l’un des autres témoins aimerait répondre à votre question.

Aimie Hillier, directrice par intérim, Division des jeunes et des familles en bonne santé, Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits, Services aux Autochtones Canada : Je peux essayer de répondre. Merci beaucoup pour la question, madame la sénatrice. Je pense que nous voyons des pratiques prometteuses. Les 33,3 millions de dollars annoncés dans le budget de 2021 sont arrivés tard l’année dernière. L’argent est remis en ce moment même. Les investissements du budget de 2017 sur lesquels s’appuie le budget de 2021 ont donné lieu à des projets pilotes percutants. Le mois dernier, la Première Nation de Sturgeon Lake en Saskatchewan a célébré sa première naissance dans la communauté depuis 50 ans. Les projets concernant les services des sages-femmes commencent à porter fruit. Il a fallu un certain temps pour mettre au point l’infrastructure, la formation et une approche respectueuse de la culture, mais ces projets sont en cours.

De façon similaire, dans un avenir rapproché, grâce aux Innus de la région de l’Atlantique, il y a de nombreux éléments prometteurs en ce qui a trait à la formation de sages-femmes autochtones dans les communautés autochtones par d’autres sages-femmes. La force de ce genre de modèles commence à se faire sentir. On augmente le nombre de sages-femmes. Nous voyons néanmoins des lacunes à cet égard, surtout dans l’accès aux programmes de formation. L’Université des Premières Nations en Saskatchewan a un programme formidable, mais l’accès demeure difficile, et la nécessité de devoir quitter sa collectivité pour suivre la formation demeure un obstacle.

Grâce à cet investissement, nous renforçons les mesures de soutien pour les collectivités afin qu’elles puissent avoir accès à différents modèles ou créer le leur. Nous sommes toutefois conscients que les investissements du budget de 2021 sont un point de départ; 33,3 millions de dollars, c’est beaucoup d’argent. Est-ce assez pour que tout le monde ait accès aux soins qu’ils devraient avoir à l’échelle locale? Probablement pas, mais nous nous déployons beaucoup d’efforts à cette fin.

La sénatrice Omidvar : Madame Hillier, aimeriez-vous, dans le cadre de cette étude sur la stérilisation forcée et contrainte, que des investissements et une action soutenus soient proposés pour accroître le nombre de sages-femmes autochtones au pays? Dans l’affirmative, pouvez-vous donner quelques précisions sur la forme à donner à cette recommandation?

Mme Hillier : Nous aimerions évidemment qu’il y en ait plus et que leurs services soient offerts en toute sécurité dans le plus grand nombre possible de collectivités. Nous nous attendons à ce que la somme de 33,3 millions de dollars versée au cours du dernier exercice et des deux exercices suivants soit pour un temps limité, c’est-à-dire que nous pensons revenir devant le Cabinet à ce moment-là. Je pense donc qu’il pourrait y avoir d’autres occasions à saisir.

[Français]

La sénatrice Audette : C’est dommage pour le Dr Adams, car je voulais le remercier. Nous étions tout jeunes dans nos communautés au Québec, alors la Dre Suzy Basile a sûrement vu ces affiches où le Dr Adams faisait partie des modèles autochtones. Ces campagnes de sensibilisation et de promotion de belles personnes valent la peine.

Dans ma famille, juste chez les Innus, on a beaucoup de femmes qui sont décédées, et la dernière nouvelle qu’on leur annonçait était qu’elles étaient porteuses d’un stérilet. Elles ne parlaient ni français ni anglais, donc elles ne savaient pas qu’on leur avait imposé cette forme de contrôle de contraception.

Ma tante fait partie de ces victimes. Elle est encore vivante, et mes nièces, qui sont de jeunes femmes, vont se faire imposer la contraception, sans même se faire expliquer qu’elles ont des droits et une santé sexuelle. C’est la même chose pour moi : dans la communauté, Santé Canada nous imposait une façon de faire au lieu de promouvoir la santé sexuelle.

Je ne sais pas si c’est encore le cas pour les jeunes filles qui vivent dans les communautés. Cependant, il n’y a pas d’hôpitaux dans ces communautés, donc il faut voyager à Joliette, Montréal ou Sept-Îles, où on va vivre du racisme et où on nous refuse la sécurité culturelle. Peut-être qu’à ces endroits, les médecins agissent inconsciemment ou consciemment.

Comment voyez-vous ces deux silos, qui sont si importants et si difficiles pour bien des femmes autochtones, et comment peut-on s’assurer qu’on pourra être en mesure de faire comme s’il n’y avait pas de silos de juridiction?

Comment va-t-on faire pour dire aux jeunes filles qu’elles ont des droits et pour défendre celles qui ont perdu les leurs, et ce, même si cela s’est passé dans un hôpital québécois?

Enfin, je ne sais pas ce qu’il en est pour les représentants du gouvernement, mais est-ce qu’il y a des pourparlers?

[Traduction]

Tasha Stefanis, vice-présidente adjointe, Agence de la santé publique du Canada : Je pense que le Dr Adams a parlé du dialogue national qui a eu lieu. C’était la première fois qu’on tenait une discussion aussi ouverte sur le racisme vécu par les Autochtones dans le système de santé. Cette discussion a commencé à faire bouger les choses dans ce domaine et à rassembler des fournisseurs de soins de santé autochtones ainsi que des représentants d’autres ordres de gouvernement, dont le gouvernement fédéral.

Les investissements prévus dans le budget de 2021 pour lutter contre le racisme systémique dans la prestation des soins de santé figurent parmi les mesures concrètes qui ont été prises depuis. À titre d’exemple, Santé Canada vient tout juste de lancer un appel d’offres dans le but d’affecter 13 millions de dollars à la formation sur la sécurité et l’humilité culturelles, au programme d’études ainsi qu’aux exigences d’apprentissage et d’agrément. La somme doit aussi servir à chercher des moyens d’intégrer des pratiques sécuritaires sur le plan culturel dans les établissements de soins actifs ainsi que des approches traditionnelles dans la prestation des soins de santé. Toutes ces mesures visent à examiner comment nous pouvons rendre le système de santé plus équitable et exempt de racisme et de discrimination.

La vice-présidente : C’est tout le temps que nous avions pour ce groupe de témoins. Je vois que la sénatrice Gerba a levé la main, et j’avais également une question. Nous tentons encore de communiquer avec le Dr Adams pour voir s’il peut se rejoindre à nous. Si le comité est d’accord, nous allons poursuivre quelques minutes.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je ne sais pas à qui je dois adresser ma question.

Le Comité contre la torture de l’Organisation des Nations unies a recommandé au Canada de veiller à ce que toutes les allégations de stérilisation forcée et contrainte fassent l’objet d’une enquête impartiale, que les personnes responsables en assument la responsabilité et enfin, que des mesures de réparation adéquate soient offertes aux victimes. En réponse, le Canada, dans son Code de criminel, a indiqué que la stérilisation forcée et contrainte est un crime au pays et constitue une infraction en vertu des articles 265, 267 et 268.

Cependant, le phénomène, on vient de le constater, persiste dans différentes régions du Canada. Madame, vous avez, selon vos parcours, eu la possibilité de discuter avec des femmes et de recueillir les témoignages de personnes autochtones victimes de stérilisation.

Pensez-vous que le droit criminel canadien actuel est suffisant pour mettre fin au fléau de la stérilisation forcée? Comment peut-on améliorer les actions pour y faire face de manière efficace?

[Traduction]

Mme Stefanis : Je pense que le ministère de la Justice pourrait probablement mieux répondre aux questions concernant le Code criminel. Je ne suis pas avocate ni en mesure d’expliquer la portée de notre système de justice pénale.

La vice-présidente : Merci. Je vais passer à la dernière question, qui s’adresse à l’une ou l’autre des témoins. Notre comité se prépare à entendre des personnes survivantes dans le cadre de cette étude, et nous examinons des moyens d’adapter le processus à leur culture, de le rendre sécuritaire et de tenir compte des traumatismes vécus. Selon votre expérience auprès de personnes survivantes et devant notre comité, pouvez-vous nous faire des suggestions pour que notre approche tienne compte des besoins des personnes survivantes?

Mme Hillier : Si vous le permettez, je peux commencer, et j’invite Mme Stefanis à ajouter quelque chose si elle le souhaite. Je suppose que de mon point de vue, je commencerais par demander aux personnes survivantes d’exprimer leurs besoins. Nous savons qu’elles ne parlent pas tous avec la même aisance de ce qu’elles ont vécu, qu’elles ne veulent pas toutes se manifester. La première étape de l’étude du comité a démontré qu’il est essentiel d’entendre des personnes survivantes. Nous ne voulons pas prendre de décisions politiques sans mettre leur voix au centre de l’orientation stratégique adoptée. Je pense qu’il est important de poser ces questions et de laisser les personnes survivantes cerner elles-mêmes leurs besoins, d’être à l’écoute et de reconnaître que selon la tribune et la personne, la mesure dans laquelle elles pourraient se sentir à l’aise de raconter ce qui peut être des expériences horribles peut varier. Nous devons faire preuve de souplesse et être à l’écoute.

La vice-présidente : Merci. Voulez-vous ajouter quelque chose, madame Stefanis?

Mme Stefanis : Je pense que ma collègue a donné une excellente réponse. Je pourrais peut-être juste ajouter que vous devriez tenir compte de l’importance de la santé mentale et d’autres mesures de soutien pour les personnes survivantes qui participent à votre processus.

La vice-présidente : Merci à vous deux de votre présence ici ce soir. Compte tenu des problèmes techniques du Dr Adams, nous vous sommes particulièrement reconnaissants de nous avoir permis de continuer grâce à vos réponses aux questions. Merci à vous deux.

Nous allons poursuivre notre examen de la stérilisation forcée et contrainte de personnes au Canada. J’aimerais présenter nos prochains témoins : de l’Autorité sanitaire des Premières Nations, nous accueillons la Dre Unjali Malhotra, directrice médicale de Santé des femmes; Me Alisa Lombard, avocate à Lombard Law; et Mme Suzy Basile, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones, à l’Université du Québec. Nous allons d’abord entendre la Dre Malhotra, qui sera suivie de maître Lombard et de Mme Basile.

Unjali Malhotra, directrice médicale, Santé des femmes, Autorité sanitaire des Premières Nations : Bonjour, et merci de l’occasion de comparaître. Je me trouve sur les terres traditionnelles non cédées de la Première Nation de Westbank sur le territoire syilx.

Je me présente humblement à vous aujourd’hui en tant que médecin spécialisée en santé génésique qui exerce et a été formée partout au Canada depuis 20 ans. J’ai grandi dans le Nord de la Saskatchewan. Je suis la fière fille des Drs Lalita et Tilak Malhotra qui ont servi notre communauté autochtone du Nord de la Saskatchewan pendant près de 50 ans.

J’ai acquis une partie de mon expérience en travaillant dans leur clinique — un endroit sécuritaire pour tous. J’ai également appris en côtoyant dans mon enfance de nombreuses filles à la voix et au privilège limités. Pendant ma propre formation, dans des cliniques de contraception, d’avortement et de gynécologie, je me rappelle du silence à donner froid dans le dos de nombreuses femmes autochtones. Le silence est un comportement acquis. Il repose sur de mauvais traitements, y compris la stérilisation forcée et les cris ignorés de nombreuses générations. En tant que praticienne et administratrice, je rencontre souvent des femmes qui préféreraient ne pas avoir accès à des soins de santé plutôt que de risquer une coercition.

Je vous prie de tenir compte d’une chose. Personne n’aime subir un examen pelvien, mais imaginer la peur paralysante ressentie à l’idée d’en subir un lorsqu’on a de bonnes raisons de croire qu’on sera stérilisé. Imaginez ne pas pouvoir recevoir de soins spécialisés ou de soins contre le cancer à cause de la terrible crainte de préjugés d’un fournisseur inconnu par rapport à votre avenir reproductif. Imaginez que vous ne voulez pas mettre votre bébé au monde dans un établissement de santé parce que vous ne pouvez pas savoir, au moment de signer des formulaires que vous ne comprenez pas, si vous serez stérilisé, si quelqu’un défendra vigoureusement vos intérêts, si l’équipe soignante prendra soin de vous.

Ces histoires qu’on nous raconte représentent une réalité qui nous oblige à remettre en question le système et à y apporter des changements significatifs et pertinents. Il est important de ne pas oublier que notre système de santé repose sur le racisme. Pensons à la Sexual Sterilization Act et à la commission eugénique. Comment les femmes autochtones peuvent-elles faire confiance à notre système lorsqu’il n’a pas été créé pour les protéger? Notre système de santé nécessite plutôt la compréhension de termes et de concepts complexes. C’est une série de formulaires — que je considère comme un élément évolutif de la prestation de soins —, qui peut être mal comprise, mais malheureusement pas remise en question. Ces formulaires situent le pouvoir dans la prestation des soins plutôt que dans l’atteinte des soins. Ils donnent raison à l’idée voulant la patiente doit se protéger et se défendre, sans tenir compte des personnes qui ne peuvent pas se faire entendre.

On a forcé des femmes à prendre des décisions déterminantes pour leur vie sous la contrainte et la menace. Il arrive parfois qu’on ne leur donne pas l’occasion de changer d’idée ou de jouer un rôle important dans leurs propres soins. Il est primordial que nous nous servions de notre privilège pour progresser vers un changement de système.

Permettez-moi de parler du travail que nous faisons sur le terrain, en sachant que ce n’est que le début et que d’autres protections sont nécessaires.

De concert avec l’honorable sénatrice Boyer et Perinatal Services British Columbia, nous avons créé un consentement partagé pour la prise de décision concernant les soins contraceptifs, en ciblant la stérilisation forcée. Avec l’Université de la Colombie-Britannique, nous entreprenons également un projet pour permettre aux femmes autochtones de raconter leur histoire et leur expérience relativement à l’accès aux soins de santé reproductifs, dans le but de déployer des efforts visant à offrir des soins les plus sécuritaires possible.

Ces démarches découlent de plusieurs changements grandement nécessaires dans notre système de santé: un consentement axé sur la discussion; l’autonomisation par rapport à l’extraction dans les antécédents; le consentement au fil du temps plutôt que dans des milieux de soins de courte durée; la prise de considérations liées à l’état d’esprit et à la confusion; la reconnaissance d’une directive en matière de soins de santé présentée par le patient ou le fournisseur — en demandant qui lance la discussion —; une reddition de comptes autre que des notes subjectives au dossier; et la prise en considération de l’ensemble du parcours de la personne plutôt que d’un moment donné.

De toute évidence, c’est un changement dans la façon dont les femmes accordent leur consentement, ce qui nécessite une transition importante du système. À cette fin, il faut modifier la pratique, le déroulement du travail, la façon de penser et l’idéologie. Nous attirons collectivement l’attention sur le problème de la stérilisation contrainte à chaque demi-journée d’apprentissage et séance scientifique que nous organisons auprès de fournisseurs actuels et futurs à l’échelle du pays. Nous disons clairement que toute forme de coercition, dissimulée ou non, est inacceptable.

Il est de temps de faire front commun. Améliorons collectivement la situation des femmes grâce à nos compétences et à nos talents pour que notre système les protège et les serve. Merci de m’avoir invité.

Alisa Lombard, avocate, Lombard Law, à titre personnel : Merci de m’avoir invitée à prendre la parole. Je me trouve sur le territoire non cédé du peuple algonquin à Ottawa, en Ontario. Il est effectivement regrettable que trois années se soient écoulées depuis notre dernière rencontre, et je déplore que peu de choses aient changé pour mes clients. J’essaie de me ressaisir après l’exposé de la Dre Malhotra. Je vous prie de faire preuve d’indulgence.

En fait, la pandémie a généralement aggravé les inquiétudes de mes clientes par rapport au système de santé, et pour être franche, la mort de Mme Joyce Echaquan les a beaucoup touchées.

Je continue d’entendre parler de femmes déchirées par la stérilisation forcée en Saskatchewan et dans les autres provinces du Canada. Nous avons aussi entendu parler d’un nombre croissant d’avortements non consensuels.

Malgré les restrictions attribuables à la pandémie et un certain repli, et forts d’une meilleure compréhension juridique de la négligence systémique, nous nous attendons à déposer des documents modifiés cette semaine ou la semaine suivante et à passer aux autres étapes du litige dans le recours collectif proposé en Saskatchewan et ailleurs, qui aboutira assez rapidement à une audience sur la certification.

Dans l’intervalle, on a levé le voile sur le traumatisme attribuable à la violence obstétrique, et nous devenons de plus en plus conscients de ses nombreux visages, qui touchent tous de manière disproportionnée les femmes autochtones et d’autres femmes de couleur.

Depuis notre dernière rencontre, les responsables de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a déposé son rapport final et fait plusieurs appels à la justice qui sont pertinents dans le cadre de notre travail ici aujourd’hui. On a notamment affirmé que la stérilisation forcée est une forme de violence fondée sur le sexe et que c’est un élément du génocide examiné. Dans le rapport supplémentaire, on dit que c’est l’intention de l’État par l’entremise de ses politiques entêtées ou de l’absence de politiques.

Mes clientes sont parfaitement d’accord et elles ont utilisé le terme, parlé de l’agression, de l’indignité fondamentale d’un « génocide ». C’est ce que vous les entendrez dire dans leurs témoignages au cours des prochaines semaines.

Elles attendent une reddition de comptes, des mesures préventives et les réparations que le Comité des Nations unies a fortement recommandées au Canada. Le Canada n’a toujours rien fait pour elles et pour leurs familles. Il a affecté des ressources financières considérables dans divers programmes liés à la sécurité culturelle, mais les femmes que vous allez entendre, tout comme leurs filles et leurs petites-filles, ne se sentent toujours pas en sécurité.

Le Canada n’a pas utilisé le pouvoir que lui accorde la Loi canadienne sur la santé pour protéger les femmes autochtones contre la stérilisation forcée, les avortements forcés, les signalements de naissance et ainsi de suite. Il a pourtant agi rapidement pour exercer cette option au Nouveau-Brunswick peu de temps avant la pandémie. Lorsqu’il a été établi que le cadre pour les avortements au Nouveau-Brunswick donnait lieu à l’imposition de frais d’utilisation à l’assuré, le Canada a réagi promptement en arrêtant les transferts en santé pour la province de manière proportionnelle à l’ensemble des frais d’utilisation imposé, je suppose.

L’Autochtone stérilisée de force reste infertile, mais la technique conçue pour inverser les effets de l’opération — à laquelle elle n’a pas consenti et qu’elle ne désirait pas — coûte au moins 5 000 $ et a une probabilité de réussite de presque nulle à nulle, d’après, je l’avoue, mes connaissances médicales très rudimentaires. Les techniques de procréation coûtent au moins 50 000 $, et les pertes que ces femmes subissent, faute d’essayer certaines de ces méthodes de rechange, leur coûtent quotidiennement une part inconnue de dignité humaine. Néanmoins, elles attendent, de plus en plus impatiemment. Elles savent que les remèdes juridiques ont un pouvoir limité pour leur restituer ce qu’elles ont perdu. Elles savent qu’aucun verdict judiciaire, aucun recours collectif ni rien d’autre, comme tant d’autres moyens essayés dans le passé, ne peut remplacer ce qu’elles ont perdu et, ce qui est des plus importants encore, ne peut mettre les femmes et les filles autochtones à l’abri des violations dévastatrices de la stérilisation forcée.

Récemment, l’Espagne a reçu une sérieuse mise en garde générale concernant la violence obstétrique. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, à sa 75e session, a déterminé que le remède judiciaire espagnol aux conséquences d’une opération à laquelle une mère n’avait pas consenti à la naissance de son enfant était inadéquat. La survivante, SFM, avait épuisé les recours devant les tribunaux espagnols, et ses droits avaient été bafoués. Nous ignorons si nos clientes subiront le même sort — nous ne l’espérons certainement pas — mais le retard à accorder le statut juridique de personne à l’Autochtone et la persistance des déficits de genre en raison de discriminations croisées se passent ici d’explications. Nous sommes rendus à une enquête d’une durée de deux ans, destinée à examiner chaque détail, sans en oublier un seul, qui a été nettement recommandée et qui faisait gravement défaut. La rapporteuse spéciale sur la santé a exprimé sa détermination de mettre fin au problème de la stérilisation forcée et a également promis de l’examiner en profondeur.

La vice-présidente : Maître Lombard, je dois malheureusement vous interrompre. Il vous reste 10 secondes.

Me Lombard : Elle-même médecin d’ascendance zouloue d’Afrique du Sud, elle comprend cette situation difficile et elle continue d’appuyer celles qui, chez elles, ont besoin de ce soutien. Comprenez que les blessures béantes demeurent lancinantes, et l’impunité que constatent constamment nos clientes attise vraiment les braises qui continuent de les brûler de l’intérieur. Bientôt, elles raconteront leur histoire, mais, ce qui est des plus importants, elles vous demanderont ensuite d’agir, et nous espérons que vous le ferez.

La vice-présidente : Merci.

[Français]

Suzy Basile, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, à titre personnel : Kaskina. Bonjour et merci de cette invitation. Je tiens à mentionner que je suis d’origine atikamekw et que je viens d’une longue lignée de femmes qui, comme mon arrière-grand-mère, ont connu l’inondation de leur territoire et qui, comme ma grand-mère, ont fait un long séjour de plusieurs années dans un sanatorium en raison de la tuberculose. Ma mère est une survivante des pensionnats. C’est un honneur de partager avec mes sœurs un peu de ma contribution, grâce aux travaux de recherche que je mène sous les auspices de la chaire de recherche du Canada que j’ai obtenue, mais aussi de partager les contributions d’autres collègues. Je remercie la nation anishinabe de m’accueillir sur son territoire ancestral et non cédé ici même, en Abitibi-Témiscamingue.

Je m’excuse de la redondance des propos que vous allez entendre; je me suis réfugiée dans un chapitre de livre que je viens de soumettre pour publication, mais je crois quand même important de rappeler certains grands pans de l’histoire de la santé des femmes autochtones au Canada en français. Malgré l’amélioration récente de certains indicateurs socioéconomiques et de santé chez les peuples autochtones, d’importantes disparités persistent entre les femmes autochtones et les autres Canadiennes. Les femmes autochtones sont davantage exposées à une panoplie de violences qui mettent en danger leur sécurité, leur intégrité, leur vie, ainsi que celles de leurs enfants; le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées le montre très bien.

Par exemple, leur condition de femme les expose à des risques uniques, comme ceux qui sont associés à la reproduction. Le Canada fait partie de la liste des États qui ont mis en place des politiques et des programmes de contrôle de la procréation par la stérilisation ou les avortements imposés au nom d’une soi-disant atteinte de modernité.

En effet, selon différents auteurs, la régulation des naissances était devenue nécessaire et on jugeait, à une certaine époque, que le taux de natalité autochtone était beaucoup trop élevé. Il fallait donc intervenir. De ce fait, des milliers de femmes autochtones ont été stérilisées, vous le savez très bien. De récentes recherches réalisées dans différentes provinces canadiennes, dont une qui est en cours au Québec et dont je suis directrice, montrent notamment que les femmes autochtones ont été et sont encore aujourd’hui victimes de discrimination, de racisme et de traitements différentiels dans les systèmes de santé, au point où elles évitent de se rendre dans différents points de services, même en cas de besoin.

Alors que les enjeux de santé mentale des femmes autochtones en contexte périnatal sont encore très mal compris, la résilience des femmes autochtones et l’apport de leurs savoirs en matière de santé maternelle sont trop souvent ignorés. À ce propos, il a été démontré que le retour de la pratique des sages-femmes, dont on vient de parler brièvement, et de certains rituels liés à la naissance, ainsi que la revitalisation des savoirs de ces femmes, favorise la reprise en main de la santé des femmes par les femmes autochtones.

Il faut souligner que le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada ainsi que celui de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées recommandent d’intégrer dans les soins de santé les savoirs autochtones et les pratiques qui y sont associées.

Ces recommandations s’appuient notamment sur l’article 24 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, dont je n’ai pas besoin de vous rappeler l’essence.

Or, l’élaboration du principe de Joyce — document qui a été publié à la suite du décès tragique de Joyce Echaquan — confirme que les protections juridiques en matière de santé applicables à la population générale sont vraisemblablement insuffisantes pour assurer une véritable sécurité au peuple autochtone, un droit pourtant censé être reconnu à l’ensemble des citoyens du pays.

Puisque la stérilisation est une opération qui altère de façon permanente les capacités reproductives d’une femme, les balises entourant le consentement doivent faire l’objet d’une attention particulière et donner la pleine latitude à la patiente de prendre une décision sans pression ni contrainte; les exemples sont éloquents à cet égard.

Alors que plusieurs études ont été lancées sur le sujet dans les provinces de l’ouest du pays, il y a une absence vraiment particulière de données et de recherches au Québec, ce qui contribue à la méconnaissance et au manque de reconnaissance de la gravité de cet enjeu pour les femmes des Premières Nations et les Inuites du Québec.

En février 2019, j’ai participé à la rédaction d’une lettre ouverte qui a été publiée et qui dénonçait le fait que le gouvernement du Québec avait refusé à l’époque de participer à un groupe de travail fédéral pour faire la lumière sur cette réalité, en argumentant qu’il était déjà très sensibilisé à la question et que, de toute manière, la santé est un domaine de compétence provinciale — alors que, dans les faits, la santé est une compétence partagée.

[Traduction]

La vice-présidente : Madame Basile, je vous rappelle qu’il nous reste environ cinq secondes, mais que vous aurez amplement l’occasion d’être questionnée.

[Français]

Mme Basile : En conclusion, j’aimerais rappeler les trois constats de la recherche que nous sommes en train d’analyser au Québec : la mise à mal du consentement libre et éclairé des patients autochtones, le traitement différentiel dans les hôpitaux québécois envers les femmes autochtones et la méfiance envers les services de santé de manière généralisée, ce qui fait en sorte que plusieurs ne se rendront pas à l’hôpital et n’obtiendront pas les soins de périnatalité nécessaires.

Je serais heureuse de venir vous présenter les résultats de la recherche sur les stérilisations imposées de femmes autochtones que nous sommes en train de terminer.

[Traduction]

La vice-présidente : Merci beaucoup. Passons maintenant aux questions des sénateurs. Je tiens à rappeler à mes collègues que maître Lombard agit à titre d’avocate dans une affaire dont un tribunal canadien a été saisi. Je les invite donc à faire preuve de retenue dans leurs questions. Dans La Procédure du Sénat en pratique, la convention du sub judice le commande aux parlementaires quand ils discutent d’affaires en instance, et je les y encourage vivement dans leurs observations directes sur les détails du procès.

Nombreux sont ceux qui veulent poser des questions. Veuillez préciser à qui vous les posez, puisque les témoins sont au nombre de trois.

La sénatrice Hartling : Maître Lombard, j’ai bien aimé ce que vous avez dit au sujet de la violence obstétrique. Quelle expression fascinante et juste! Examinons-la un peu. Qu’est-ce qui distingue la stérilisation forcée, la coercition et un bon conseil médical? Des groupes, des personnes plus vulnérables que les autres se rangeraient-elles dans cette catégorie? Où tracer la ligne? Comment faire cette détermination? Pourriez-vous me donner plus de précisions, s’il vous plaît?

Me Lombard : Merci de votre question. En droit, la notion de consentement à des opérations non essentielles ou bien connues n’a rien d’opaque et ne présente aucune ambiguïté. Toute mesure de stress qu’éprouve un patient suffit à remettre la discussion à une date ultérieure. Nous avons remarqué que des médecins abordaient des femmes qui se trouvaient dans une vulnérabilité sans espoir, pas nécessairement à cause d’un problème de santé mentale, mais parce qu’elles accouchaient.

Celles qui ont été appelées à donner naissance ou ceux ou celles qui ont été témoins d’une naissance, si je peux le dire aussi directement, comprendront que ce n’est pas le meilleur moment pour parler de recommencer. Il y en a de meilleurs — quand on se sent de nouveau comme un être humain — et ce n’est pas ce que nous constatons. Alors, s’il faut parler des doctrines juridiques du consentement, elles sont plutôt simples. Il faut la capacité de le faire. Le consentement est propre à l’opération et au médecin. Le consentement doit être donné en connaissance de cause, et il faut aussi que soient réunies des conditions suffisantes ou favorables à l’appréciation, par la femme, des options qui s’offrent à elle. C’est un élément du consentement en connaissance de cause qui aboutit au quatrième principe, celui du consentement volontaire.

Dans ce cas particulier, observons-nous une sorte d’oscillation des circonstances atténuantes? Oui, peut-être. Mais nous constatons aussi un besoin urgent d’ajustement culturel dans le système médical et dans les systèmes de santé, non une compréhension meilleure de la culture autochtone.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup.

La sénatrice Boyer : Mesdames Lombard et Basile, par suite de vos recherches dans ce domaine, dans quelle mesure le problème est-il répandu? Je sais que vous vous êtes surtout focalisées sur le Québec, madame Basile, mais vous en avez peut-être une idée. L’avez-vous observé dans toutes les provinces ainsi que dans le Nord? Quel genre de recommandations précises conseilleriez-vous à notre comité de formuler, pour résoudre ce problème?

[Français]

Mme Basile : Alors oui, on peut...

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Je veux seulement savoir à quel point il est répandu. Et connaître ce que vous avez trouvé grâce à vos recherches.

[Français]

Mme Basile : Donc oui, on peut dire que la pratique est également répandue au Québec et dans l’ensemble du pays. Tout cela est bien documenté. Malheureusement, on peut également ajouter le Québec à la liste.

Nous sommes en train d’analyser les témoignages que nous avons récoltés [Difficultés techniques].

Je peux simplement confirmer qu’il y a des cas au Québec et que les cas se retrouvent chez plusieurs peuples autochtones, pas uniquement au sein d’une seule nation.

[Traduction]

Me Lombard : Je peux rapidement ajouter mon point de vue. La pratique est répandue dans tout le pays. Récemment, des poursuites ont été intentées dans les Territoires du Nord-Ouest. Nous savons que la pratique était incroyablement répandue dans certains endroits isolés du Nunavut et du Nunavik. Nous savons que des cas ont été signalés en Colombie-Britannique. Il y en a eu également au Yukon. En somme, partout au Canada.

Mme Basile : J’ai oublié de mentionner un recours collectif intenté au Québec par la Nation Atikamekw. Affaire à suivre.

La sénatrice Boyer : Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Étant donné que le ministre de la Justice n’est pas présent, ma question de tout à l’heure reste la même. Je ne sais pas si quelqu’un peut y répondre. Cependant, je vais poser une question à la Dre Malhotra. Le gouvernement fédéral a indiqué que la santé et la sécurité des femmes et des filles autochtones représentent une priorité absolue pour le pays. Quels sont, selon vous, les moyens à court, moyen et long terme que le gouvernement doit utiliser pour mettre fin au phénomène de la stérilisation forcée?

[Traduction]

Dre Malhotra : Je répondrai humblement en ma qualité de médecin, de clinicienne et d’administratrice.

D’après moi, plusieurs couches d’événements passés et d’événements qui continuent de survenir se superposent. Ça commence à l’intérieur du cercle de soins auquel je fais souvent allusion. Notre patiente est au milieu de ce cercle, et chacun des points de contact à l’intérieur du réseau de santé devient significatif pour son mieux-être à venir. Il en va de même de chaque personne qui lui répond au téléphone, qu’elle voit à l’hôpital, à qui elle s’adresse, qui l’opère, de chacun des formulaires qu’on lui présente. Voilà la première couche.

Chaque point de contact de cette personne avec le système de santé doit être sensibilisé et responsabilisé pour ses conversations et ses actions à l’intérieur des soins qu’il prodigue ou d’une partie d’entre eux, de toute manière.

À l’extérieur de cette couche, les règles de notre collège doivent être fonctionnelles. Nous devons nous assurer que les médecins et les autres fournisseurs de soins sont bien missionnés par leur organisme professionnel. C’est une autre couche du côté médical.

À partir de là, nous avons besoin de plus de mesures de protection du gouvernement pour le soin de ces femmes. Il est difficile d’affirmer que nous avions des lois qui légalisaient ou autorisaient la stérilisation. Pourtant, nous ne mettons pas nécessairement en place, pour tous les aspects, ces protections foisonnantes. Ça découle directement de la sensibilisation de nos fournisseurs de soins, de l’admission à la sortie du patient. D’après moi, c’est tout le parcours des soins qu’il faut envisager.

D’après ce que j’ai vu et entendu, je trouve incroyablement navrant d’en entendre certaines, qui sont nombreuses, venir me dire dans le sanctuaire de l’autorité médicale des Premières Nations, qu’elles ne peuvent pas recevoir tel ou tel traitement, subir un examen régulier ou de routine, parce que quelqu’un, dans sa communauté, a été stérilisé. En effet, ce n’est pas une donnée que tout ira bien.

Donc, de la prise du rendez-vous à la fin des soins, chacun doit être sensibilisé de manière à s’entourer d’un espace sûr et de savoir que toutes les formes de coercition sont inacceptables — et ça répond à une question antérieure : ce n’est pas nécessairement la confidentialité de ce que quelqu’un vivra dans le système, mais le pouvoir qu’il faut modifier. Nous essayons de changer, par la modification des formulaires de consentement, l’interaction entre le patient et le soignant, pour redonner le pouvoir au patient, parce que c’est de ses soins dont il s’agit. Et pour que les préjugés de nos soignants, enracinés dans notre système depuis un temps immémorial, ne s’infiltrent pas dans les soins qu’ils donnent.

Ça commence dès l’accès à la pilule anticonceptionnelle et ça se poursuit jusqu’à la stérilisation. C’est cet ensemble qu’il faut prendre en considération. Il faut s’attaquer très visiblement à tous les niveaux où les droits sont bafoués : médical, étatique, juridique.

Me Lombard : Si je peux répondre à la question en proposant des mesures concrètes.

[Français]

Il y aurait une série de mesures pénales et une série de mesures politiques, mais je crois que les mesures pénales pourraient avoir un effet de dissuasion, en vertu de leurs existences plus simples.

La sénatrice Gerba : Pensez-vous que le droit criminel actuel est suffisant pour mettre fin à ce fléau?

Me Lombard : Non.

La sénatrice Gerba : Comment peut-on améliorer les actions, alors?

Me Lombard : Il faudrait apporter des amendements ou des changements législatifs aux sections.

[Traduction]

La vice-présidente : Sénatrice Gerba, nous vous inscrivons pour une prochaine intervention. Si nous en avons le temps. Merci.

La sénatrice Omidvar : Je remercie tous les témoins d’être des nôtres.

Madame Basile, je ne voudrais pas marcher à l’intérieur des bornes des plates-bandes juridiques de maître Lombard, comme la présidence l’a fait remarquer. Je voudrais concentrer mon attention sur les survivantes.

Madame Basile, votre recherche montre-t-elle la nécessité d’indemniser les survivantes? Dans l’affirmative, quel rôle le gouvernement fédéral jouerait-il en leur assurant une certaine mesure de justice? Croyez-vous qu’une recommandation en ce sens devrait se retrouver dans votre rapport?

[Français]

Mme Basile : Cela pourrait certainement être une recommandation que vous pourriez inclure dans votre rapport. Quant à savoir quel est le mécanisme à prendre ou à utiliser pour ce faire, sur le plan national, je ne peux pas vous suggérer de piste. Je m’y connais moins à cause du fait que, au Québec, les choses se font d’une certaine manière selon les sujets.

Pour ce qui est des compensations, ce n’était pas une revendication des participantes à notre recherche. Quand on leur posait la question au sujet d’un éventuel recours collectif et quand on leur demandait si elles voulaient obtenir plus d’information sur le sujet — parce que cet élément ne fait pas partie de la recherche et que ce sont d’autres personnes qui s’occuperaient du recours collectif —, la grande majorité des participantes répondaient qu’elles voulaient avoir de l’information à ce sujet. Cependant, ce n’était pas nécessairement dans le but d’obtenir une compensation financière. Je crois que ce pourrait être une avenue intéressante à emprunter pour réparer ne serait-ce qu’un peu ce qu’elles ont eu vécu.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Je suppose que ce n’est pas seulement pour porter remède; c’est également préventif. Dès qu’il y a un coût pour le système, soit pour le médecin, soit pour le système médical ou, encore le gouvernement fédéral, c’est plus musclé. Merci de votre réponse.

J’ignore si maître Lombard peut intervenir sur cette question.

Me Lombard : Je ferais mieux de m’abstenir.

La sénatrice Omidvar : Oui. Merci.

[Français]

La sénatrice Audette : Avant de commencer, madame Basile, merci beaucoup de porter la voix de quatre générations de votre famille, une voix qui reflète celles de milliers d’autres femmes autochtones du Québec. Maître Lombard, merci d’être la douce guerrière derrière les voix plutôt silencieuses pour faire changer des lois, je l’espère. Merci infiniment à ma collègue que j’aime d’amour, la sénatrice Boyer, de faire bouger les choses. Encore une fois, d’un point de vue de victime, de maman ou de femme qui ne comprend pas bien ce que sont les juridictions provinciales et fédérales et d’un point de vue personnel, pour moi qui ai participé aux trois sommets et aux forums sur le racisme dans le milieu de la santé après le décès de notre sœur Joyce Echaquan, on va se dire les vraies choses : le Québec est absent, ou alors il essaie de démontrer clairement que nous n’avons pas besoin de sécurisation culturelle dans la réforme de la santé sur son territoire.

Rassurez-moi : comment pouvons-nous, par nos recherches — je sais que vous avez parlé de mesures pénales et politiques, madame Basile —, nous assurer que, malgré la complexité des juridictions, nous pouvons faire des choses? Aidez-moi.

Mme Basile : C’est une bonne question, sénatrice Audette. En effet, le Québec s’est déresponsabilisé de plusieurs secteurs, dont celui de la sécurisation culturelle, en affirmant il y a quelques semaines à peine que cette importante notion ne se retrouve pas dans la politique de santé publique du Québec. Cela est extrêmement incompréhensible à mes yeux, mais pour un gouvernement qui ne reconnaît pas l’existence du racisme systémique, ce n’est pas surprenant.

Les témoignages que nous avons recueillis prouvent clairement qu’il y a du racisme systémique dans le système de santé au Québec. Je ne veux pas tirer profit du décès de Joyce Echaquan, mais en voilà une preuve flagrante qui est arrivée en même temps que nos travaux de recherche commençaient. Tout cela parle de soi-même.

Peut-être pourrait-on mettre de la pression sur les partis politiques en place, eux qui ont, l’automne dernier, adopté une motion à l’unanimité à l’Assemblée nationale pour qu’il n’y ait plus de stérilisation forcée de femmes au Québec. Peut-être faudrait-il leur rappeler qu’ils ont adopté cette motion et que des élections s’en viennent. Il serait très important que les enjeux autochtones, aussi larges soient-ils, soient minimalement au cœur des enjeux électoraux qui viennent. C’est un élan qu’il ne faut pas manquer. Je vous laisse vous occuper de cela.

La sénatrice Audette : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Boyer : J’interroge la Dre Malhotra.

Vous avez décrit la crainte des femmes qui se rendent à l’hôpital, particulièrement lorsqu’elles se trouvent en situation de vulnérabilité. Qu’en est-il de leur famille? Qu’en est-il de l’accès de leurs enfants à des soins? Comment cette frayeur a-t-elle gagné les générations ultérieures qui ont eu des enfants? Pouvez-vous, s’il vous plaît, le décrire?

Dre Malhotra : Je le peux vraiment. Merci pour la question. C’est vraiment navrant. En fait, il est très difficile d’écouter et de militer pour une cause à l’intérieur d’un tel traumatisme. Ça ne se limite pas à une seule personne obligée, dans la communauté, d’être stérilisée. Toute la communauté éprouve ce qu’elle vit. Finalement, ça aboutit à ce discours entre quelqu’un qui vient me voir, qui se dit absolument terrifié de se présenter à un rendez-vous et qui me demande conseil : « Comment puis-je obtenir mes soins? Quelles sont mes options? » Mais elles auront des enfants, des tantes, des mères et des grands-mères qui auront eu les mêmes craintes, en général très légitimes. J’en déduis que toute une communauté, désormais, n’accède pas à des soins efficaces. Ça signifie que le mieux-être global, le risque global de cancer et la santé globale de toute la communauté sont désormais compromis. Comment entendre ça et ne pas entreprendre de changement? Ça me déchire le cœur de prendre connaissance de cette information, parce que c’est tellement douloureux et ç’a touché tant de gens.

On peut imaginer que, si quelqu’un, dans une communauté, a été stérilisé, puis qu’une mère qui est une cousine, une amie ou un membre de la communauté ne veuille pas obtenir de soins, ce renseignement est transmis sur de nombreuses générations, et, pendant ces générations, il n’y a pas de confiance envers le système.

Nous constatons avec les survivantes de tous les traumatismes, depuis les pensionnats et la stérilisation, qu’il faut changer tout le système, tout le cercle de soins, de toutes les façons possibles, pour que leur santé et leur sécurité soient aussi prioritaires que tout autre élément de soins et que nous amplifions leur voix pour qu’elle recouvre tout ce que nous faisons d’autre.

La sénatrice Boyer : Diriez-vous qu’il serait très important de prendre en considération dans tout type d’offre de dédommagement — que la sénatrice Omidvar a mis sur le tapis — le legs intergénérationnel de la stérilisation forcée?

Dre Malhotra : Absolument. C’est ce que croit la simple aidante que je suis. J’ai directement vu les conséquences du traumatisme subi par les survivants des pensionnats, des femmes ayant subi la stérilisation forcée, les répercussions dans la communauté. Il faut les prendre en considération, en raison des nombreuses et vastes répercussions. Certains sont désormais incapables d’être au mieux de leur santé, à cause d’une agression survenue, peut-être, une génération avant eux.

La sénatrice Boyer : C’est particulièrement navrant que des enfants en souffrent. Merci beaucoup.

Dre Malhotra : Absolument. J’ai une fille, et nous nous faisons du souci pour ce qui pourrait arriver à une prochaine visite gynécologique. Imaginez si vous deviez également ajouter à cette couche celle de la crainte de la stérilisation de votre enfant ou de votre nièce et de ce à quoi ça ressemble. Je pense que tous peuvent comprendre que tous les enfants sont nos enfants quand nous devenons mères, et, parfois, nous pensons à notre communauté de façon différente, et c’est l’une des occasions où ça se produit.

La sénatrice Boyer : Merci, docteure.

[Français]

La sénatrice Gerba : Madame la présidente, je pense que la sénatrice Boyer a posé la question que je voulais poser pour apporter un peu plus de lumière sur les témoignages des victimes que la Dre Malhotra a rencontrées. Je cède donc mon temps de parole.

La sénatrice Audette : À cause de toutes mes émotions — car ces tragédies nous touchent personnellement —, j’ai oublié de remercier la Dre Malhotra. Merci beaucoup de votre travail, et merci de nous rappeler l’impact de tout cela. C’est toute une communauté qui a souffert.

Je pose la question à Me Lombard et à la Dre Malhotra : on parle de mesures pénales et politiques, mais malgré le fait que les provinces ont la compétence exclusive dans les hôpitaux — parce qu’on ne l’a pas dans nos territoires et nos communautés —, y a-t-il des choses qu’on peut rapidement mettre en place pour accompagner les femmes et les filles qui ont peur d’aller dans les hôpitaux, en attendant la tenue de grands débats politiques ou le dépôt de lois ou de projets de loi? Dans l’immédiat, comment pouvons-nous faire l’accompagnement de l’individu, qui va se refléter dans la collectivité?

Me Lombard : Merci, sénatrice Audette. Si je peux me permettre de répondre à votre question, merci de l’avoir posée. Il est triste de penser que les femmes autochtones qui vont à l’hôpital, quelle que soit la raison, auraient besoin d’un garde du corps, mais je pense que nous en sommes là. Les liaisons dans les hôpitaux peuvent être utiles, mais on doit s’en remettre aux gros changements. Cela rejoint les questions que le sénateur Wells et la sénatrice Hartling ont posées par rapport à la reddition de comptes. Cela rejoint également la question de la sénatrice Gerba, qui a évoqué la criminalisation de la stérilisation sans consentement.

De quoi aurait-on besoin pour nous assurer que les femmes sont, au moins, moins à risque de se faire imposer des procédures permanentes qu’elles ne souhaitent pas, particulièrement en ce qui a trait à leur habileté de concevoir des bébés?

La criminalisation spécifique pourrait avoir un effet de dissuasion. Jusqu’à présent, on ne peut pas parler de médecins qui ont dû faire face aux conséquences de leurs actes, comme la sénatrice Hartling l’a mentionné; il n’y en a eu aucun. Cependant, le risque de sanctions pénales pourrait avoir un impact. Au moins, on sait que ce serait toujours mieux que ce que l’on a en ce moment, qui n’est rien du tout. Je pense que c’est une mesure qui serait immédiate. Il faut comprendre que, pour dénoncer une pratique qui est absolument inacceptable, la mesure doit égaler le tort qui a été causé. Si des médecins savent qu’ils pourraient possiblement subir des sanctions pénales, cela pourrait changer des comportements assez rapidement.

Deuxièmement, je crois que les centres de soutien dans les hôpitaux sont très importants. Plusieurs de mes clientes se présentent seules afin de donner naissance à leur bébé, mais ce n’est pas une invitation aux médecins à faire ce qu’ils veulent avec leur corps non plus. À mon avis, ce soutien au sein des hôpitaux est quand même assez important.

Le fait que ce soit la province ou le gouvernement fédéral —

[Traduction]

À mon avis, ce n’est pas tant une question d’immunité entre les administrations qu’une question de double compétence. Je ne dis pas cela avec désinvolture; j’ai étudié la question et je ne pense pas que les provinces ou le gouvernement fédéral aient une compétence exclusive pour ce qui est de la santé et des Autochtones, en particulier les Premières Nations. Je pense, pour parler franchement et sans détour, que cela relève des deux ordres de gouvernement et qu’ils jouent de la carte de la compétence pour des questions d’argent.

Quant au dernier commentaire de la Dre Malhotra, lorsqu’elle dit : « Pouvez-vous imaginer amener votre enfant et avoir de telles discussions sur la contraception? » Cela pourrait aussi être vous, votre sœur, votre nièce, et cetera... Je pense que la sénatrice Audette et la professeure Suzy Basile ont clairement indiqué d’où venait la question. Dans mon cas, je n’ai même pas à faire l’effort d’imaginer ce que c’est, car en tant que femme enceinte qui s’occupe de ce dossier et qui a dû prendre l’avion pour Genève afin de dénoncer cette situation inacceptable, je n’avais absolument pas besoin d’imaginer cette peur : elle était bien réelle. Je peux vous dire qu’elle existe indépendamment des privilèges, et je suis très privilégiée.

La sénatrice Boyer : J’examine les recommandations. Maître Lombard, vous laissez entendre que le Code criminel, le soutien et les questions de compétence doivent faire partie de toute recommandation. J’aimerais savoir si la Dre Malhotra peut ajouter quelque chose à la liste des recommandations que le comité pourrait formuler.

Dre Malhotra : Je suis d’accord avec celles qui ont été formulées, bien entendu.

Personnellement, quant aux recommandations nécessaires relativement au cadre de gouvernance médicale... Je m’excuse bien humblement si ce n’est pas le rôle de ce comité, mais je crois que cela a une incidence réelle sur les soins de santé. Si les instances de gouvernance de la profession de sage-femme, des soins infirmiers et de la médecine modifiaient réellement le discours et l’approche à l’égard de cette question et des conséquences pour les prestataires de soins qui exercent toute forme de coercition en matière de santé reproductive, cela aurait un impact réel. Ce serait un autre élément.

Permettez-moi de revenir brièvement sur ce qui a été dit. Je suis éducatrice et, il n’y a pas si longtemps, j’étais une apprenante dans le secteur de la santé. Aujourd’hui, j’enseigne. Jamais on n’a indiqué clairement et sans équivoque que c’était un problème. Aucune voix n’a été entendue. Le mois prochain, je consacrerai une demi-journée aux témoignages de patients en obstétrique et en gynécologie. Ce sera l’une des premières séances entièrement axées sur ce sujet. Ce sont nos futurs chirurgiens.

Il est important que ces discussions soient au cœur de nos préoccupations et fassent partie de notre programme d’études. Je sais que personne ne veut entendre qu’il pourrait être le chirurgien concerné, mais les gens doivent l’entendre. Ils doivent entendre ce qui se passe dans les salles d’opération et ils doivent entendre ce que les patients ressentent lors du processus de consentement. Remettre à quelqu’un un formulaire de consentement qu’il ne comprend pas, avec des mots qu’il ne comprend pas, qui ne parle que de perte de sang et de fluides, c’est une chose, mais parler de l’incidence sur sa vie, de ce que la personne vivra après, c’est autre chose. C’est l’aspect du consentement sur lequel je travaille fort, avec vous et d’autres, pour que cela se concrétise.

Pour y arriver, toutefois, le soutien des instances de gouvernance doit être imposé et doit occuper une place réelle et significative dans le continuum de soins.

La sénatrice Boyer : Avec de réelles conséquences.

Dre Malhotra : Oui, avec des conséquences réelles.

La sénatrice Boyer : Merci.

[Français]

Mme Basile : Il est évident qu’une campagne de sensibilisation anglais-français-langues autochtones devrait être au moins financée pour ce qui est de la question du consentement, qui est très méconnue chez plusieurs des femmes autochtones avec qui nous avons eu l’occasion de parler. Quand certaines nous confient qu’elles ont eu des pressions pour subir une ligature des trompes à chacune de leurs grossesses et qu’elles ont des enfants dans la vingtaine, on voit qu’il y a un problème. Comment répondre à cela adéquatement, quand on ne sait pas qu’on a le droit de consentir ou non à quelque chose? Cela montre l’importance d’une telle campagne.

Je termine en vous suggérant de faire appel aux ordres professionnels des travailleurs sociaux, infirmières, médecins et autres, afin qu’ils incluent obligatoirement dans leurs programmes de certification une composante sur les questions de violences obstétricales par rapport aux peuples autochtones. Il faudrait suivre au minimum un cours pour devenir membre de l’ordre professionnel en question.

Cela pourrait être, peut-être pas immédiatement, mais certainement à moyen terme, une manière de s’assurer que l’information se rend auprès des futures infirmières, médecins et ainsi de suite du pays.

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Merci, professeure. C’était très important.

Le sénateur Wells : Il y a un an, environ, une loi exigeant que les nouveaux juges suivent une formation sur le droit relatif aux agressions sexuelles a été adoptée. À mon avis, il pourrait y avoir un parallèle à faire concernant la formation, non seulement pour les nouveaux médecins, mais aussi pour tous les médecins, et sans aucun doute pour ceux qui font de telles interventions.

Je vous remercie, docteure Malhotra. Vous avez mentionné quelque chose qui pourrait être obligatoire. Nous l’avons fait pour les juges. Selon vous, y a-t-il un parallèle de ce genre à faire avec les professionnels de la santé, de façon à en faire une exigence pendant la formation, non seulement en vertu de la loi, mais du côté des ordres professionnels?

Dre Malhotra : Certainement. Les exigences de formation peuvent être renforcées à plusieurs niveaux. Il faut notamment attirer l’attention sur la question, faire clairement savoir qu’il s’agit d’un problème actuel et continu, puis préciser la notion de consentement.

Voilà pourquoi nous travaillons avec la prise de décision partagée plutôt qu’avec un formulaire de consentement. On peut dire qu’une personne a donné son consentement, mais a-t-elle compris à quoi elle a consenti? Pas nécessairement. Il s’agit d’une indication que tous les fournisseurs de soins et l’ensemble du cercle de soins doivent connaître et comprendre.

Cette personne a-t-elle réellement compris ce qu’on lui a dit? Voulait-elle que vous lui posiez ces questions? Est-ce même une avenue qu’elle souhaite explorer?

Voilà pourquoi la première question de ce que nous avons créé est la suivante : « Qui a abordé la question en premier? » Il faut commencer par cette racine pour connaître la direction et avoir une idée de la situation.

Beaucoup de fournisseurs de soins consultés à ce sujet ont indiqué être très occupés dans leur cabinet et autres choses du genre. Je comprends que cela exige du temps et que cela représente un fardeau, mais ce que je réclame, à l’instar de la sénatrice Boyer et de mes collègues, c’est de modifier la façon d’obtenir le consentement. Je ne parle pas du consentement en soi, le cas échéant, ni du temps que cela prend, mais de ce qui est demandé. C’est cet aspect de la formation qui doit changer, et ce, à toutes les étapes du processus.

Je pense que cela doit être obligatoire pour tous les fournisseurs de soins de santé, et que cela ne vaut pas seulement pour une forme précise de consentement. Je préconise d’obtenir le consentement pour les restes sacrés, la perte, et tous ces événements très traumatisants de la vie d’une personne, mais nous n’avons pas cette formation. La prise de décision partagée ne fait pas encore partie du programme de base, et on n’enseigne pas la véritable responsabilité quant à ce qui se produit lors des consultations servant à obtenir le consentement pour certaines interventions, la contraception étant la plus importante, y compris la ligature des trompes. On peut obtenir le consentement pour les risques de perte de sang et tout le reste, mais on peut aussi indiquer au dossier, pour se décharger de la responsabilité d’une conversation qui devait avoir eu lieu, que la patiente consent à la ligature des trompes. Cela doit changer. Voilà pourquoi il faut rendre obligatoire la formation de fournisseurs de soins ainsi que la façon de l’enseigner.

Le sénateur Wells : Merci. Maître Lombard, j’ai hâte d’entendre votre réponse.

Me Lombard : Je vous remercie de cette question, sénateur Wells, et merci à vous, docteure Malhotra, de votre réponse très réfléchie. Je pense que vous avez probablement compris, à me voir hocher de la tête vigoureusement, que je suis tout à fait d’accord avec vous.

J’ai quelques questions. Le consentement et le contenu ne sont pas un événement ponctuel, mais un processus. Je pense que la Dre Malhotra a décrit avec précision et justesse ce que cela sous-tend, en particulier lorsqu’il est question de choses aussi importantes que le fait de vouloir avoir d’autres enfants ou non.

Quant au type de formation requis, je peux dire qu’à mon avis, les médecins devraient mieux comprendre leurs obligations légales et leurs obligations fiduciaires à l’égard des patientes. En tant qu’avocats, nous avons le même genre d’obligations relativement aux intérêts de nos clients. Nous apprenons beaucoup à ce sujet lors du processus d’obtention de la licence en droit, et cetera. Je pense que les médecins devraient apprendre ce que sous-tendent ces obligations, ce qu’elles comprennent, ce qu’ils peuvent faire et ne pas faire. Leur rôle est d’aider les gens et de leur fournir des soins en toute humilité, comme la Dre Malhotra l’a indiqué. C’est la patiente qui décide. Le médecin fournit des informations pour que la patiente puisse y réfléchir et prendre les décisions qui lui conviennent.

La jurisprudence appuyant cette proposition est abondante. Je pense que les médecins devraient connaître cette jurisprudence et les conséquences lorsque ces principes ne sont pas compris. Donc, j’estime que l’éthique doit aller un peu plus loin et explorer les obligations légales des médecins à l’égard des patients. Je pense que mes connaissances sur ce point précis s’arrêtent là.

Le sénateur Wells : Merci beaucoup, maître Lombard.

Docteure Malhotra, ma question porte sur les propos de Me Lombard sur le fait que « c’est la patiente qui décide ». Je le sais, vous le savez, et toutes les personnes qui participent à cet appel sur Zoom le savent peut-être aussi, mais pour une jeune personne qui n’est peut-être pas très instruite ou qui considère les professionnels de la santé comme des leaders dans la communauté, par exemple, je pense qu’il n’est pas exagéré de penser que le médecin soit perçu comme celui qui décide et que cette dynamique puisse s’installer. Même si je peux parfaitement lire ce qui m’est présenté en toute circonstance, en particulier dans une clinique ou un hôpital, je suis certain qu’il y a beaucoup de choses à signer, souvent par pure formalité, et je signerai ceci et cela. Il me semble que cette dynamique doit aussi changer. Cela pourrait faire partie de la formation qui pourrait être envisagée. Lorsque je pense à ce sujet, je suis choqué que cela fasse encore l’objet de discussions au Canada à cette époque, cette année. C’est peut-être quelque chose qu’on devrait considérer comme faisant partie intégrante du changement de dynamique nécessaire.

Dre Malhotra : Tout à fait. Les rendez-vous médicaux représentent un moment de grande vulnérabilité pour tout le monde, en particulier les personnes qui ont subi de mauvais traitements quelconques, ou qui connaissent un membre de la communauté ou de la famille à qui c’est arrivé. La dynamique de pouvoir qui s’est instaurée au fil de nombreuses décennies en raison de la colonisation et des lois sur la stérilisation sexuelle qui ont été adoptées doit être brisée. Voilà pourquoi il faut changer la façon de parler aux patientes et c’est à nous, les fournisseurs de soins, qu’il revient de le faire. C’est pourquoi il est nécessaire d’imposer des obligations aux professionnels de la santé et de modifier le libellé des formulaires. Tous les formulaires doivent être lisibles et il faut une discussion. Il convient de redonner le pouvoir à l’utilisateur du système, et non au fournisseur de soins. C’est de la sémantique dans une certaine mesure, mais c’est aussi lié à la présentation et à l’attrait d’une clinique, à savoir qui est présent dans la pièce, l’ensemble du cercle de soins. Encore une fois, tout le monde a un rôle dans le changement. Il est essentiel que cela se produise.

Évidemment, en tant que médecin spécialiste de la santé reproductive, je suis quelque peu partiale. Dans ma pratique en soins cliniques, je vois des personnes vulnérables au quotidien. En tant que prestataire de soins, j’ai la responsabilité de leur demander comment je peux les aider à améliorer leur situation. Êtes-vous rendue au point où nous devons avoir cette conversation? Devrions-nous apprendre à nous connaître un peu plus? Y a-t-il d’autres problèmes à examiner? Voilà où la sécurisation culturelle entre en jeu dans notre système. Voilà le changement qui doit se produire. Il nous faut un système sûr au plan culturel, et nous n’en sommes pas encore là.

La vice-présidente : J’ai aussi deux ou trois questions à poser. La première s’adresse à la Dre Malhotra. Vous avez dit que la stérilisation des femmes autochtones ne touchait pas seulement la personne concernée, mais qu’elle avait un impact sur l’ensemble de la communauté. Nous avons également entendu parler des préjudices multigénérationnels, qui touchent non seulement les personnes, mais aussi les communautés. Avez-vous des recommandations précises à faire au comité sur les aspects que nous devrions examiner dans le cadre de notre étude pour traiter des préjudices multigénérationnels et des questions de prévention intergénérationnelle afin de lutter contre les effets néfastes sur les collectivités?

Dre Malhotra : Je pense que le plus important est de veiller à une véritable prise de conscience de ces questions et de savoir que lorsqu’une personne est traumatisée, lorsqu’une personne est stérilisée, dans le système, les répercussions ne se limitent pas à elle. Je pense que cela doit être pris en compte dans toute recommandation, et cela comprend toute réglementation et obligation faisant l’objet d’une recommandation. Il faut inclure l’ensemble de la communauté. On ne peut considérer qu’une seule personne a subi ce préjudice, car cela va bien au-delà.

Honnêtement, cela vaut aussi pour toute compensation ou réglementation — quoi que ce soit. Il convient juste de reconnaître que le tort subi par une personne touche beaucoup de gens. Toute personne, moi compris, qui a subi un traumatisme sait que cela se transmet et se propage. Nous devons garder cela à l’esprit. Nous sommes dans une position privilégiée, dans cette conversation, étant donné la place que nous occupons, et nous devons en être les porteurs et les détenteurs, sachant que nous avons la responsabilité de veiller à ce que cela se reflète dans la suite des choses.

La vice-présidente : Merci. J’aimerais que tous les témoins répondent à cette deuxième question, que j’ai posée au groupe précédent. Notre comité se prépare à entendre des personnes survivantes dans le cadre de cette étude, et nous examinons des moyens d’adapter le processus à leur culture, de le rendre sûr au plan culturel et de tenir compte des traumatismes vécus. Selon votre expérience auprès de personnes survivantes et devant notre comité, pouvez-vous nous faire des suggestions pour que notre approche tienne compte des besoins des personnes survivantes?

Dre Malhotra : Nous devons leur demander ce dont elles ont besoin. Quand quelqu’un vient me voir avec ses peurs, ses histoires, ma première question est la suivante : de quoi avez-vous besoin? Comment puis-je vous aider? J’ai l’impression que c’est notre rôle à tous.

Me Lombard : Je pense que c’est excellent, mais elles ne le savent peut-être pas toujours. Cela peut être différent de l’approche habituelle, mais je suggérerais de tenir compte du degré de confiance et du déséquilibre de pouvoir. Sénatrices et sénateurs, vous avez tous l’air de gens bien, mais pour ceux qui n’ont jamais parlé à des sénateurs, vous pouvez être intimidants, voire extrêmement intimidants. Bien humblement, je vous propose de tenir avec les survivantes une rencontre informelle, de durée flexible, sans chronomètre, afin qu’elles puissent vous voir et apprendre à vous connaître afin que l’expérience ne constitue pas un choc trop grand. Voilà ce que je vous conseille, bien humblement.

[Français]

Mme Basile : Si vous me le permettez, je suis du même avis que Me Lombard. Elle vient de suggérer de faire cela dans un contexte plus convivial. Vous êtes sympathique, mais c’est un cadre officiel et cela pourrait gêner certaines d’entre elles. Dans les témoignages que nous avons récoltés au Québec, des femmes nous ont dit que si nous avions besoin d’entendre d’autres témoignages, elles accepteraient de le faire, et certaines d’entre elles ont donné des entrevues dans les médias. Il y a certainement une voix ou deux qui pourraient parler de ces enjeux — en français aussi, car c’est important — et qui pourraient partager leur vécu. C’est assurément le cas des autres témoignages recueillis dans les autres provinces, qui sont à vous faire dresser les cheveux sur la tête.

[Traduction]

La vice-présidente : Je vous remercie beaucoup, mesdames, d’avoir été avec nous ce soir. Merci de votre participation à notre étude. Nous vous sommes reconnaissants de votre aide et nous avons pris bonne note de vos conseils.

Chers collègues, c’est là-dessus que se termine la réunion. Notre prochaine réunion sur ce sujet aura lieu lundi prochain, le 2 mai.

(La séance est levée.)

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