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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 21 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 18 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Salma Ataullahjan et je suis sénatrice de Toronto et présidente du comité. Nous tenons aujourd’hui une réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. J’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion : à ma gauche, la sénatrice Gerba, du Québec, et la sénatrice Hartling, du Nouveau-Brunswick; et à ma droite, nous avons la sénatrice Omidvar, de l’Ontario.

Notre comité étudie la question de l’islamophobie, au titre de l’ordre de renvoi général. Dans le cadre de notre étude, nous aborderons, entre autres sujets, le rôle de l’islamophobie dans la violence sur Internet et dans la vie réelle contre les musulmans, la discrimination fondée sur le sexe et la discrimination en matière d’emploi, y compris l’islamophobie dans la fonction publique fédérale.

Nous étudierons aussi les sources de l’islamophobie, ses répercussions sur les gens — y compris sur la santé mentale et la sécurité physique — et les solutions et les interventions potentielles du gouvernement.

Après avoir tenu deux réunions à Ottawa, en juin, notre comité a tenu des réunions publiques en septembre à Vancouver, à Edmonton, à Québec et à Toronto. Nous avons aussi visité des mosquées quand nous étions dans ces villes. Maintenant, nous poursuivons nos réunions publiques à Ottawa.

Laissez-moi vous donner quelques détails sur nos réunions d’aujourd’hui. Cet après-midi, nous avons invité deux groupes de témoins qui comparaîtront pendant une heure chacun, puis, durant la troisième partie de la séance, nous aurons 45 minutes avec notre dernier témoin. Les témoins de chaque groupe ont un exposé à nous présenter, puis nous passons à la période de questions des sénatrices.

Je vais maintenant présenter les témoins du premier groupe. Nous avons demandé à chaque témoin de présenter une déclaration liminaire de cinq minutes. Les témoins vont nous présenter leur exposé. Nous espérons que notre deuxième témoin va se joindre à nous sous peu. Une fois que les témoins nous auront présenté leurs exposés, nous passerons aux questions des sénatrices.

Je tiens à souhaiter la bienvenue à notre premier témoin : Me Husein Panju, président de l’Association canadienne des avocats musulmans. Maître Panju, je vous invite à nous présenter votre exposé.

Me Husein Panju, président, Association canadienne des avocats musulmans : Honorables sénatrices et membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, je vous remercie de m’avoir invité à témoigner devant vous aujourd’hui au nom de l’Association canadienne des avocats musulmans, aussi appelée l’ACAM. 

En guise d’introduction, l’ACAM est une association sans but lucratif dont le but est de promouvoir les objectifs et de défendre les intérêts des personnes œuvrant dans le domaine du droit qui s’identifient comme musulmans. Notre organisation comprend cinq chapitres provinciaux, lesquels comptent plus de 250 membres à l’échelle du pays. Bon nombre d’entre nous ont travaillé dans le domaine du droit relatif aux droits de la personne et sont sensibilisés au contexte culturel et juridique de notre pays.

En 2018, l’ACAM a ouvert une clinique d’aide juridique pour musulmans, le Muslim Legal Support Centre, dont la mission est de promouvoir un traitement équitable et l’accès à la justice pour les musulmans ayant peu de moyens. L’ACAM est régulièrement autorisée à intervenir dans le cadre de divers appels, et nous sommes aussi invités à formuler des commentaires juridiques lors des consultations gouvernementales, comme votre étude sénatoriale d’aujourd’hui.

En ce qui concerne la discrimination en milieu de travail, l’ACAM se réjouit de savoir que votre comité examine précisément le rôle de l’islamophobie au travail. Comme vous le savez, comme de nombreux Canadiens, nous passons la majeure partie de notre journée au travail, mais il ne s’agit pas uniquement d’une façon de gagner sa vie; nos interactions au travail jouent un rôle fondamental en façonnant notre identité et notre vision du monde.

Pourtant, et ce n’est pas surprenant, divers membres des communautés minoritaires, y compris les musulmans, sont disproportionnellement victimes de discrimination au travail, et ce, malgré les lois et les politiques protégeant leurs droits humains. Nos membres l’ont confirmé : la discrimination en milieu de travail peut avoir de graves répercussions sur le sentiment de sécurité psychologique et d’appartenance des gens, et aussi sur leur capacité à faire leur travail du mieux qu’ils le peuvent.

En ce qui concerne l’islamophobie, on constate que, en milieu de travail, il peut y avoir et il y a de la discrimination dans tous les domaines, y compris dans la fonction publique. Lors de nos consultations, nous avons entendu de nombreux témoignages rapportant des pratiques d’embauche discriminatoires, des refus de fournir des mesures d’accommodement religieux de base ainsi que des milieux de travail toxiques, dans lesquels les employés musulmans se sentaient rejetés et vulnérables. Des poursuites bien documentées ont aussi été intentées contre le gouvernement fédéral à la suite d’allégations de racisme ou d’islamophobie au travail.

En préparation à la réunion d’aujourd’hui du comité sénatorial, nous avons consulté activement nos membres d’un bout à l’autre du pays, y compris d’éminents avocats spécialisés en droit du travail. Nous avons également demandé des commentaires aux clients de notre clinique juridique qui ont eux-mêmes vécu de la discrimination au travail. Nos membres ont donné à notre conseil d’administration énormément d’informations, mais j’aimerais conclure mon exposé préliminaire en mettant l’accent sur deux thèmes qui sont revenus souvent. Je me ferai un plaisir de vous fournir plus de détails durant le reste de la réunion d’aujourd’hui.

Le premier thème qui a émergé concernait l’accès direct au Tribunal canadien des droits de la personne. Ce thème reflète un obstacle à l’accès à la justice qui révèle le besoin d’un recours en matière de droits de la personne.

Actuellement, les fonctionnaires fédéraux qui cherchent à obtenir réparation en s’adressant au Tribunal canadien des droits de la personne doivent d’abord présenter leur revendication à la Commission canadienne des droits de la personne, et celle-ci a le pouvoir discrétionnaire de décider si la revendication sera ou non instruite par le tribunal lui-même. D’après nos membres et divers autres groupes en quête d’équité qui sont passés par là, cette fonction de contrôle de l’accès a un effet dissuasif qui fait que les revendicateurs légitimes hésitent même à chercher à obtenir réparation grâce au système des droits de la personne.

L’une de nos recommandations pour votre comité est d’envisager d’éliminer ce rôle de gardien de l’accès que joue la commission.

L’autre thème dont j’aimerais vous parler concerne le rôle de la discrimination systémique et intersectionnelle en milieu du travail. Comme nos membres l’ont dit, l’islamophobie au travail est un problème systémique, et non un problème causé par quelques pommes pourries. Il est nécessaire d’examiner la question de la discrimination en milieu de travail sous l’angle de l’intersectionnalité. Je m’explique : selon ce concept, les diverses formes de discrimination — le racisme, le sexisme et l’islamophobie, entre autres — coexistent souvent et se recoupent, pour certaines personnes qui ont ces identités. L’effet cumulatif de ces diverses formes de discrimination dépasse souvent la somme de ses parties.

Puisque le gouvernement fédéral souhaite mettre en œuvre de nouvelles politiques ou de nouveaux cadres pour lutter contre l’islamophobie et contre les divers problèmes que les musulmans vivent au travail, je soulignerais qu’il est non seulement utile, mais bien nécessaire d’adopter une approche systémique, pour tenir compte de l’influence de ces autres types de discrimination également.

Je vais conclure mon exposé ici, mais je me ferai un plaisir de répondre aux questions sur ces thèmes ou à n’importe quelle autre question que le comité pourrait avoir.

La présidente : Merci beaucoup. Je vais en profiter pour souhaiter la bienvenue au témoin de l’Association musulmane du Canada, M. Nabil Sultan, directeur des communications et de l’engagement communautaire. Bienvenue au Comité sénatorial des droits de la personne. M. Sultan va témoigner, puis nous passerons aux questions.

Nabil Sultan, directeur des communications et de l’engagement communautaire, Association musulmane du Canada : Merci de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui. Je m’appelle Nabil Sultan. Je suis éducateur et médecin. Je suis le directeur des communications et de l’engagement communautaire de l’Association musulmane du Canada, l’AMC. Précédemment, j’ai été président du conseil d’administration de l’AMC. La mission de l’AMC est de promouvoir une vision modérée et juste de l’islam au Canada et aussi d’éduquer et de motiver les musulmans canadiens à mettre leur foi au service de tous les Canadiens. Pour l’AMC, l’islam est un mode de vie global qui fait place non seulement à la foi, mais aussi à l’importance de servir l’humanité. Présentement, l’AMC compte plus d’un millier d’employés et plusieurs milliers de bénévoles, et elle offre ses services à plus de 150 000 membres de la communauté musulmane du Canada, grâce à ses chapitres dans 14 villes d’un bout à l’autre du pays. L’AMC exploite également 22 mosquées et centres communautaires et 30 écoles.

L’AMC est reconnue comme étant un chef de file des affaires islamiques au Canada; nous représentons une partie importante de la communauté musulmane canadienne et sa vision de l’islam. L’Agence du revenu du Canada a ciblé des organismes de bienfaisance musulmans : selon des rapports indépendants de l’Institut des études islamiques et de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, les préoccupations de la communauté, en ce qui concerne la discrimination et l’islamophobie, sont fondées.

Le premier ministre a confirmé qu’il s’agissait d’un problème lors du Sommet national sur l’islamophobie, et l’ombudsman mène une enquête sur les pratiques de l’agence.

Malgré son bon travail, l’AMC risque présentement de voir son statut d’organisme de bienfaisance révoqué par la Division de la revue et de l’analyse — la DRA — de l’ARC. L’ARC soumet l’AMC — ainsi que bon nombre d’autres organismes de bienfaisance musulmans — à des normes qu’elle n’applique pas aux autres organisations confessionnelles.

L’AMC reconnaît que l’ARC est en droit de contrôler les organisations et que, à l’instar de tous les autres organismes de bienfaisance, elle doit se conformer à la Loi de l’impôt sur le revenu. Cependant, le fait d’imposer à l’AMC des normes qui ne sont pas imposées aux autres organismes de bienfaisance — aux autres organismes de bienfaisance confessionnels —, simplement parce que nous sommes une organisation musulmane, est discriminatoire et va à l’encontre des principes fondamentaux de la démocratie canadienne et de la Charte des droits et libertés.

Aujourd’hui, je vais vous parler de ce que l’AMC a subi, car ses expériences reflètent celles des autres organismes de bienfaisance musulmans. En 2015, le Toronto Sun a publié des articles islamophobes selon lesquels l’AMC avait été nommée dans une enquête de l’Équipe intégrée de la sécurité nationale de la GRC et qu’elle avait des liens avec des groupes terroristes. Ces articles étaient faux et trompeurs et avaient possiblement des motifs politiques. À l’époque, l’AMC a nié ces allégations, mais elle n’avait aucun recours, puisque la GRC refusait de confirmer ou d’infirmer ces allégations.

Peu de temps après, l’ARC a décidé de contrôler l’AMC. Il ne s’agissait pas d’un audit aléatoire ou de routine; l’audit avait été déclenché en raison de ces articles et avait pour but précis d’enquêter sur d’éventuels liens avec le terrorisme ou le financement du terrorisme. L’audit était mené par la DRA, la Division de la revue et de l’analyse, une unité spécialisée de l’ARC dont le mandat est d’enquêter sur le financement du terrorisme. La DRA a passé environ 13 mois dans nos locaux pour effectuer cet audit : elle a mené des entrevues avec le personnel et a examiné plus de 400 000 de nos courriels, 1 million de transactions financières et plus de 60 000 autres fichiers.

Selon les avocats de l’AMC, qui ont une très grande expérience des audits des organismes de bienfaisance, cet audit était beaucoup plus exhaustif que n’importe quel autre qu’ils n’avaient jamais vu. Au bout du compte, comme on pouvait s’y attendre, la DRA n’a rien trouvé qui montrerait que l’AMC soutient ou finance une forme ou une autre de terrorisme ou d’extrémisme.

En 2020, l’Association musulmane du Canada a communiqué avec la commissaire de la GRC, Mme Brenda Lucki, pour lui demander des explications sur les articles du Toronto Sun. Nous avons reçu de sa part une lettre confirmant que l’AMC n’avait commis aucun acte répréhensible. Peu de temps après, Postmedia a retiré les articles du Toronto Sun, puisqu’ils n’étaient pas justifiés.

En 2021, la Division de la revue et de l’analyse — la DRA — de l’ARC a délivré une lettre d’équité administrative qui s’appuyait très lourdement sur ces articles aujourd’hui retirés ainsi que sur un grand nombre d’articles discrédités et islamophobes. L’un de ces articles était signé Thomas Quiggin, lequel a publié de l’information trompeuse en alléguant qu’il existait de nombreux liens entre les organisations musulmanes et le terrorisme. M. Quiggin fait l’objet de nombreuses poursuites pour diffamation, et faisait d’ailleurs partie des organisateurs du Convoi de la liberté. Imaginez si l’ARC décidait de contrôler une organisation juive en invoquant des sources rédigées par des antisémites connus; pourtant, l’ARC juge acceptable de le faire lorsqu’il s’agit d’organismes de bienfaisance musulmans.

Cet audit regorge d’exemples d’islamophobie, mais l’un des exemples les plus clairs est le fait que l’ARC affirme arbitrairement que plusieurs des activités de l’AMC étaient de nature sociale plutôt que religieuse et que, par conséquent, son statut d’organisme de bienfaisance devait être révoqué. Par exemple, l’ARC prétend que les célébrations que l’AMC organise pour l’Aïd ne sont pas suffisamment religieuses, parce qu’elles comprennent des activités sociales comme des carnavals pour les enfants, des bazars et la vente de nourriture. J’ai de la difficulté à imaginer que l’ARC impose la même norme, en affirmant qu’une fête de Noël organisée par une église, ou alors la Pâque juive organisée par une synagogue, ou même des célébrations du Diwali par un temple hindou ne sont pas suffisamment religieuses. Nous ne devons pas accepter que l’ARC et la DRA se prétendent interprètes de l’islam. C’est pour toutes ces raisons que l’AMC a déposé une contestation fondée sur la Charte, devant la Cour supérieure de l’Ontario, dénonçant à la fois les pratiques d’islamophobie systémique de l’ARC et les violations précises des droits de l’AMC prévus dans la Charte que l’ARC a commises lors de son audit.

La lettre d’équité administrative, ou LEA, de l’ARC a été envoyée pour ôter toute légitimité aux activités de bienfaisance importantes au Canada visant à promouvoir la religion, mais elle s’appuie sur des allégations non fondées, qui ne sont que le résultat de préjugés islamophobes. De nombreux organismes de bienfaisance musulmans ont vécu la même chose lorsqu’ils ont été contrôlés par l’ARC. L’approche pleine de préjugés ne sert pas l’intérêt public; plutôt, elle reprend et nourrit les discours islamophobes extrémistes. Il est arrivé à de nombreux organismes de bienfaisance musulmans que, quand l’ARC n’arrivait pas à démontrer un quelconque lien avec le terrorisme, elle décidait plutôt de révoquer leur statut d’organisme de bienfaisance et de les sanctionner pour des fautes techniques qui pourraient se régler sans sanction, si les organismes de bienfaisance musulmans étaient traités de façon équitable et bénéficiaient de l’approche axée sur l’éducation de l’ARC; cette approche est d’ailleurs exposée dans sa politique générale et est offerte aux autres organismes de bienfaisance.

Ces pratiques discriminatoires de l’ARC contre les organismes de bienfaisance musulmans ont eu des conséquences dévastatrices sur les services et les programmes sur lesquels comptent des dizaines de milliers de Canadiens musulmans et d’autres bénéficiaires. Les organismes de bienfaisance musulmans ont été forcés d’utiliser d’importantes ressources humaines et financières, qui offraient des services aux communautés, pour se défendre contre ces pratiques. Cela a aussi eu un effet paralysant sur la communauté musulmane, qui hésite désormais à soutenir les organismes de bienfaisance musulmans et à demander leurs services, privant encore davantage de ses droits une communauté qui souffre déjà de l’islamophobie.

Si on permet que cela continue, alors le gouvernement du Canada envoie le message que les préjugés islamophobes systémiques sont tolérés dans ses propres organisations, et cela encourage l’islamophobie à l’extérieur du gouvernement en plus de miner les efforts de tous ceux qui veulent promouvoir la tolérance.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup à nos témoins.

La sénatrice Omidvar : Je remercie les témoins de leur présence et de nous avoir fait part de vos perspectives; ces renseignements ont une très grande valeur.

Je m’adresserai d’abord à Me Panju, puisque vous avez commencé. Vous nous avez présenté un survol de la discrimination en milieu de travail — systémique et autre — que vivent les musulmans. Pouvez-vous nous parler de la discrimination que les avocats musulmans peuvent vivre, dans le domaine du droit?

Me Panju : Absolument. Merci de la question.

Je dirais que, puisque je suis moi-même un avocat qui pratique, je reconnais qu’il y a eu des progrès au cours des dernières années et que l’accent est davantage mis sur l’équité, la diversité et l’inclusion, mais il reste encore beaucoup de place à l’amélioration.

Avant de poursuivre, sénatrice Omidvar, me demandez-vous de parler de la profession juridique en général, ou seulement dans la fonction publique?

La sénatrice Omidvar : La profession juridique en général. Nous étudions l’islamophobie en général.

Me Panju : Absolument. Merci.

Au sujet de l’islamophobie dans la profession juridique, je dirais que les problèmes sont similaires à ceux qui sont répandus en général. Je vais vous donner quelques exemples de choses que nous avons entendues dans le cadre de nos études et de nos consultations.

Nous savons qu’il y a peu d’accommodements raisonnables en milieu de travail, pour toutes sortes de raisons. Par exemple, les musulmans demandent du temps pour faire leurs prières quotidiennes ou demandent des accommodements raisonnables afin de pouvoir jeûner pendant le ramadan. Ce sont des problèmes que vivent aussi les musulmans qui pratiquent le droit, et cela a bien sûr comme conséquence que certains musulmans se sentent mal à l’aise de s’auto-identifier en fonction de leur religion.

Comme nous le savons, la loi 21 soulève des problèmes au Québec. Je serai heureux d’en parler plus en détail, mais je pense que vous connaissez déjà tous bien le dossier des couvre-têtes, qui empêchent certains procureurs et fonctionnaires musulmans de pratiquer à cause de leurs convictions religieuses.

Comme je l’ai dit plus tôt, il s’agit de problèmes systémiques, et il y a aussi un manque de représentation dans la communauté juridique, pour diverses raisons se perpétuant depuis des années. C’est très difficile pour une personne de s’imaginer faire une carrière juridique, si elle n’a pas de mentor ou de modèle qui font déjà partie de ce monde.

Pour ce qui est de s’attaquer efficacement au problème, il y a quelques solutions. Je pense que les facultés de droit, par exemple, pourraient faire davantage d’efforts pour recruter des étudiants issus de la diversité, en élargissant leurs bassins de candidats. Les cabinets d’avocats et les services juridiques pourraient faire davantage d’efforts et examiner davantage de talents afin d’avoir davantage de candidats issus de la diversité. Quand ces personnes sont embauchées, comme je le disais, il faut adopter une approche plus intersectionnelle pour savoir pourquoi il y a tant de discrimination envers la communauté musulmane. Il faut que ces personnes participent à la discussion si nous voulons nous assurer que nous adoptons une approche systémique, car les personnes qui comprennent ces problèmes savent quelle est la meilleure façon de les régler.

La sénatrice Omidvar : Qu’en est-il de la profession juridique dans la fonction publique fédérale?

Me Panju : Nous avons entendu parler des problèmes qui ont été signalés là également. Nous avons entendu parler des problèmes touchant l’affectation à certains dossiers. Parfois, des membres musulmans de la profession juridique, dans la fonction publique fédérale, ont soulevé des préoccupations légitimes quant à leur participation, parfois, même s’ils n’ont pas nécessairement été congédiés, ils ont été affectés à divers dossiers qui constituaient presque une rétrogradation.

Un autre problème qui a été signalé concernait les habilitations de sécurité que certains membres des ministères chargés de la sécurité nationale doivent avoir. D’après ce que nous ont dit plusieurs membres, lorsqu’ils ont été questionnés pour obtenir leur habilitation de sécurité, plusieurs ont eu à répondre à des questions tout à fait inappropriées qui n’avaient rien à voir avec l’habilitation de sécurité, par exemple « Où avez-vous étudié le droit? », « Pourquoi portez-vous le hidjab? » et « Combien de fois priez-vous par jour? »

Des questions comme celles-ci sont posées dans ce genre de contexte, et ce genre de questions et le système même des habilitations de sécurité ont parfois comme conséquence de retarder le processus, voire de dissuader les gens de vouloir occuper ce genre de postes.

Voilà seulement quelques exemples qui me viennent à l’esprit, d’après les commentaires que nous avons entendus de la part de nos membres, et c’est donc pourquoi nous avons besoin d’une approche systémique pour corriger ces problèmes dans leur ensemble, et non de façon fragmentaire.

La sénatrice Omidvar : Monsieur Sultan, je ne sais pas grand-chose du dossier des organismes de bienfaisance, alors je vous remercie de votre témoignage. Pouvez-vous nous dire où en est votre contestation en vertu de la Charte?

M. Sultan : C’est encore devant les tribunaux; nous attendons une décision à la fin du printemps ou au début de l’été de la Cour supérieure de l’Ontario.

La sénatrice Omidvar : Savez-vous que le gouvernement a nommé un ombudsman des contribuables, en partie pour donner suite au sommet sur l’islamophobie? L’ombudsman des contribuables va témoigner aujourd’hui devant nous, et il a lancé une enquête sur les allégations d’islamophobie visant l’ARC.

Dans quelle mesure vous a-t-on consulté, dans le cadre de cette enquête?

M. Sultan : Je pense que l’AMC a été consultée à ce sujet, en tant qu’organisation, mais je sais que, dans la communauté, les gens estiment qu’il n’y a pas eu suffisamment de consultations. Il y a aussi des membres de la communauté qui se méfient des consultations.

Présentement, dans la communauté musulmane, il y a un manque de confiance envers les organisations gouvernementales, parce que les gens ont été témoins de l’islamophobie. Ils hésitent à participer pleinement. Je ne sais pas quelle a été l’ampleur de la consultation, mais on a communiqué avec l’AMC.

La sénatrice Omidvar : Je vois. Vous avez dit que l’ARC appliquait des normes différentes aux organismes de bienfaisance musulmans. Quand j’ai demandé des explications aux représentants de l’ARC, ils m’ont dit qu’ils ne tenaient pas compte de la religion lorsqu’ils examinaient ou contrôlaient des organismes de bienfaisance. Ils ne pouvaient pas me dire si des organismes hindous ou juifs avaient été contrôlés, parce qu’ils ne recueillent pas ce genre d’information. Qu’en pensez-vous?

M. Sultan : Je dirais qu’il y a une façon très simple de savoir s’il y a de la discrimination systémique. Une façon toute simple est de demander combien d’organismes de bienfaisance musulmans ont fait l’objet d’un audit par la Division de la revue et de l’analyse, en comparaison des organismes chrétiens, juifs, hindous, et cetera. Je pense que ce serait éloquent. La DRA effectue un audit très différent de ceux que mène habituellement l’ARC. La DRA a été établie pour enquêter sur le financement du terrorisme. Parmi tous les organismes de bienfaisance musulmans qui ont fait l’objet d’un audit par la DRA, je ne suis au courant d’aucune personne où des accusations criminelles ont été déposées contre des individus à la suite de ces audits. Donc, les organismes doivent se soumettre aux audits de la DRA, personne n’est accusé au criminel, mais les organismes sont tout de même forcés de fermer leurs portes, ou alors ils sont pénalisés ou encore leurs activités sont paralysées.

C’est une partie du problème, selon moi : nous n’avons pas accès à cette information et l’ARC peut faire des déclarations qui sont très difficiles à examiner de l’extérieur, parce que nous n’avons pas accès à cette information. Voilà pourquoi la communauté espère que le gouvernement va intervenir, pour faire la lumière sur la discrimination et les préjugés qui existent, incontestablement, et pour corriger le tir.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins d’aujourd’hui. Je vous écoute et je comprends pourquoi, monsieur Sultan, vous avez lancé une contestation. Je comprends mieux ce que vous vivez. C’est vraiment déplorable.

Ma question s’adresse à Me Panju. Vous avez indiqué tout à l’heure que le gouvernement doit penser à d’autres politiques pour renforcer la lutte contre l’islamophobie. À quelles politiques pensez-vous et que recommanderiez-vous au gouvernement en ce qui concerne la lutte contre ce fléau dans notre pays?

[Traduction]

Me Panju : Merci de la question, sénatrice Gerba. Si je comprends bien votre question, vous me demandez quelles mesures le gouvernement pourrait prendre pour lutter plus concrètement contre l’islamophobie. Un aspect qui serait important, je crois — et j’en ai parlé plus tôt —, serait de fournir un accès à des recours dans le système des plaintes relatives aux droits de la personne au gouvernement fédéral du Canada.

Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, le Tribunal canadien des droits de la personne a compétence pour instruire les plaintes pour discrimination qui sont déposées dans le contexte de l’emploi dans la fonction publique fédérale. D’après ce que je sais, il s’agit du seul recours auquel les gens ont réellement accès pour déposer une plainte. Encore une fois, cette compétence englobe les plaintes déposées pour motifs religieux.

Le problème tient au fait que les employés qui cherchent à obtenir réparation de la part de ce tribunal doivent d’abord déposer une plainte auprès de la commission, laquelle a le pouvoir discrétionnaire d’examiner les plaintes et de déterminer si la plainte peut être instruite. La commission joue un rôle de gardien. Pour nos membres ainsi que pour bon nombre d’autres groupes, ce rôle de gardien à l’accès a de nombreuses répercussions concrètes : le processus d’examen est très long, et le processus d’enquête peut prendre des mois, voire des années, ce qui peut avoir des effets très néfastes sur les revendicateurs qui ont déjà souffert de la discrimination. Il y a aussi eu des rapports concernant la conduite de la commission pendant ces examens. Un autre problème tient au fait que, si la commission décide de ne pas envoyer la plainte au tribunal lui-même, alors le seul recours pour les revendicateurs est de demander un contrôle judiciaire par une cour, ce qui peut être une tâche colossale, qui demande encore plus de temps et suppose des dépenses juridiques ainsi que d’autres coûts. Tout ce processus a un effet dissuasif qui empêche les gens de même obtenir réparation, alors qu’ils ont déjà été victimes de discrimination en premier lieu.

C’est pourquoi l’une de nos recommandations est d’éliminer ce rôle de gardien de la commission. Nous ne réclamons pas l’élimination complète de la commission. Nous savons qu’elle remplit de nombreux autres rôles importants en matière de conformité et de sensibilisation du public et d’autres fonctions, mais nous croyons simplement que les revendicateurs pourraient pouvoir déposer leurs plaintes directement au tribunal et s’attendre à ce que le tribunal lui-même tranche leur plainte. Ainsi, les revendicateurs pourront être sûrs que leur affaire sera tranchée par un arbitre ayant la compétence culturelle et la formation juridique nécessaires pour que l’équité procédurale soit respectée dans leur cas.

Ce que nous proposons n’a rien de nouveau. De nombreux groupes en quête d’équité ont soulevé les préoccupations dont j’ai parlé, et ce, depuis des décennies. En 2000, comme vous le savez, le juge La Forest a publié un rapport qui a été très bien accueilli dans le cadre de l’examen de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et l’une des recommandations de ce rapport était d’éliminer le rôle de gardien de la commission. Nous savons que d’autres groupes en quête d’équité, y compris l’Association des avocats noirs du Canada, ou AANC, et l’Association du Barreau canadien, réclament depuis longtemps ce changement.

Nous savons que les organisations provinciales homologues, en Ontario et en Colombie-Britannique, ont aussi, à la suite de cette recommandation, éliminé les rôles de gardien de leurs commissions respectives. Dans ces provinces, si vous voulez déposer une plainte en matière de droits de la personne, le modèle en vigueur vous donne un accès direct dans ces provinces.

Je vais conclure en disant que l’ACAM sait que le tribunal a des problèmes de ressources actuellement. Nous savons qu’il y a eu des rapports faisant état de l’arriéré des décisions et du manque d’effectif, en ce qui concerne les arbitres. Nous comprenons que cela pourrait créer quelques craintes de surcharge du système, si ce modèle d’accès direct était mis en vigueur immédiatement. En réponse, l’ACAM recommanderait au gouvernement d’adopter une approche de mise en œuvre progressive, afin de pouvoir outiller complètement le tribunal, pour que celui-ci soit ainsi capable de régler ces plaintes avec suffisamment d’arbitres et de ressources. Nous pensons que le fait d’abattre cet obstacle important, pour les gens qui veulent obtenir un recours relativement à une plainte pour discrimination, serait une partie essentielle de la solution.

La sénatrice Gerba : Merci.

La sénatrice Hartling : Merci aux témoins d’être avec nous. Nous discutons de sujets très intéressants ce soir.

Il y a eu récemment un rapport publié à Toronto, maître Panju, sur la violence fondée sur le sexe contre les femmes musulmanes; elles se font cracher dessus ou agresser sexuellement ou physiquement, et d’autres choses du genre. Je sais que, dans les emplois sous réglementation fédérale, et aussi en vertu du projet de loi C-65, les gens sont censés être protégés, et qu’il y a aussi un mécanisme pour aider les femmes et les autres personnes qui sont ainsi visées, mais j’ai l’impression que ce n’est peut-être pas le cas, parce que ce genre d’incidents sont peu signalés à la police. Je trouve vraiment tragique que les femmes ne puissent pas aller au travail et se sentir en sécurité, et la plupart du temps, les gens ont besoin de travailler.

Je voulais savoir si vous pouviez me donner de l’information à cet égard. Je sais qu’il y a des employeurs sous réglementation fédérale et aussi qu’il y a ce projet de loi, mais qu’en est-il du reste? Avez-vous de l’information à nous donner?

Me Panju : Pour être franc, je ne suis pas au courant du projet de loi dont vous parlez, pas directement, mais nous nous ferons un plaisir d’y jeter un œil et de vous répondre par écrit, si vous croyez que ce serait utile.

D’après ce que je sais, le mécanisme de recours dépend de votre type d’employeur. Comme vous le savez, selon la division des pouvoirs, il y a certaines industries qui sont sous responsabilité fédérale, comme les télécommunications et les banques, alors que bon nombre d’autres types d’emplois sont sous la responsabilité des provinces, et relèvent souvent des lois relatives à la propriété et aux droits civils. J’imagine que, si une personne était discriminée, de façon violente ou pas, la première chose qu’elle ferait serait de déterminer si elle relève du fédéral ou du provincial. Ensuite, elle s’adresserait au tribunal correspondant.

Je voudrais souligner moi aussi que, souvent, la violence fondée sur le sexe n’est pas signalée, pour toutes sortes de raison. Nous savons que ce genre de violence a beaucoup augmenté, malheureusement, à cause de la pandémie. Nous reconnaissons aussi que le gouvernement doit prendre certaines décisions quant à l’affectation des ressources pour protéger les gens les plus vulnérables, pour toutes sortes de raisons potentielles. Nous avons aussi entendu de la part de nos membres qu’il faudrait peut-être songer à établir des recours en vertu du droit criminel, dépendamment de la forme que prend la violence. Nous savons que certains ministères de la Couronne ont des connaissances particulières et sont habitués d’aider les victimes de violence conjugale et de violence fondée sur le sexe. En milieu de travail, d’après ce que nous avons appris grâce aux consultations, il s’agirait surtout de discrimination plutôt que de violence au sens strict. Il y a malgré tout un recoupement entre les causes et les problèmes systémiques qui en sont à l’origine.

Encore une fois, nous nous ferons un plaisir de vous envoyer une réponse plus tard, après avoir regardé le projet de loi C-65 et demandé à nos membres s’ils ont des commentaires précis à formuler à ce sujet, et aussi sur le faible taux de signalement de ces problèmes.

La sénatrice Hartling : Merci, parce que je pense que ce projet de loi va peut-être aider certaines personnes à savoir quel mécanisme elles peuvent utiliser, surtout celles qui occupent des emplois sous réglementation fédérale, par exemple dans l’industrie bancaire ou du camionnage et aussi dans de nombreux autres domaines relevant du fédéral.

Je vous en suis reconnaissante. Merci beaucoup.

Me Panju : Merci.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Omidvar : J’ai une question pour vous deux. Monsieur Sultan, vous savez sans doute que, pour avoir des politiques solides, il faut des données solides, et présentement, l’ARC ne recueille pas de données sur la religion. Nous savons combien il y a d’organismes de bienfaisance religieux ici au Canada, mais nous ne savons pas combien appartiennent à telle ou telle religion. C’est donc très difficile de faire la comparaison.

Recommanderiez-vous que l’ARC commence à recueillir des données sur les organismes de bienfaisance religieux en fonction de leur inscription, des audits et des révocations, afin que nous ayons enfin des données qui nous permettent de comparer des pommes avec des pommes et des pommes?

M. Sultan : Absolument. Un point de données dont j’ai oublié de parler était d’ailleurs mentionné dans le rapport de l’Université de Toronto, au sujet des pratiques de l’ARC. Selon ce rapport, même si les organismes de bienfaisance musulmans comptaient pour moins de 1 % de tous les organismes de bienfaisance canadiens, ils représentaient 75 % des organismes qui avaient vu leur statut révoqué par la Division de la revue et de l’analyse, la DRA. Donc, nous avons cette information, mais effectivement, tout comme on demande aux organismes d’application de la loi de présenter des données ventilées selon la race, l’ARC doit pouvoir présenter des données ventilées selon la religion. Elle devrait pouvoir présenter différentes données ventilées selon différents facteurs démographiques, sur les différents types d’organismes de bienfaisance qu’elle soumet à un audit ainsi que les résultats de ces audits. Le public devrait savoir quelles organisations font l’objet d’audits par la DRA ou d’audits par la division habituelle de l’ARC et aussi de quels types d’organismes de bienfaisance il s’agit et comment ils sont traités.

Absolument, je pense que cela devrait être une partie importante de la réforme, et que cela aidera à promouvoir la transparence, pour que le public et le gouvernement sachent ce qui se passe.

La sénatrice Omidvar : Donc, ce sera en quelque sorte ce qu’on appelle normalement des données ventilées, mais ici, ce serait des données ventilées selon la religion?

M. Sultan : Exact.

La sénatrice Omidvar : Maître Panju, je m’intéresse à votre recommandation d’éliminer le rôle de gardien à l’accès de la Commission canadienne des droits de la personne. Si cela était fait, cela ne s’appliquerait pas uniquement aux travailleurs musulmans, mais à tous les travailleurs. Je tiens donc pour acquis qu’il y aurait un déluge de demandes ou de plaintes, et vous avez recommandé une approche progressive. Savez-vous si les autres commissions des droits de la personne — les commissions provinciales — ont obtenu de bons résultats avec une approche progressive? Vous avez dit que la Colombie-Britannique avait ouvert les vannes. Est-ce que cela a créé une avalanche de plaintes? Comment s’en est-elle sortie?

Me Panju : Merci de la question. Nous sommes au courant de cette préoccupation particulière; de nombreux groupes ont dit, et cela est tout à fait légitime, que l’on pourrait craindre un déluge de plaintes. À titre indicatif, de notre point de vue, d’abord, nous ne croyons pas qu’il va y avoir une augmentation importante du nombre de plaintes proprement dites. Une chose, c’est que, si les gens pensent qu’il y a un mécanisme qui convient mieux à leur plainte, alors il y aura peut-être une augmentation du nombre de candidats ou de personnes qui voudraient y recourir. Ces personnes trouveraient ce processus plus équitable.

Pour ce qui est de l’approche progressive, je ne sais pas vraiment quels délais précisément l’Ontario et la Colombie-Britannique se sont donnés par rapport à leurs projets de loi respectifs pour créer un modèle d’accès plus direct. Ce que je sais, c’est que le rapport du juge La Forest a été publié en 2000 et que les projets de loi de l’Ontario et de la Colombie-Britannique ont été présentés quelques années plus tard. J’imagine que, entre temps, il y a eu énormément de discussions pour déterminer les besoins en matière de ressources et d’affectations des meilleures personnes pour remplir ces postes.

Encore une fois, je ne suis pas vraiment convaincu que cela entraînerait une hausse importante du nombre de plaintes. Ce que notre organisation soutient, c’est que cela renforcerait l’équité ou l’équité perçue du processus. Si, pour cela, il faut accroître les ressources en matière d’effectif et de financement qui sont nécessaires pour doter le tribunal en personnel, alors nous croyons que le jeu en vaut bien la chandelle, si cela permet d’avoir un processus plus juste et plus équitable, qui est à la fois adapté aux besoins de notre communauté et aussi aux besoins des autres personnes qui s’estiment discriminées.

La sénatrice Omidvar : Nous savons, grâce aux médias, que le règlement des plaintes individuelles déposées au Tribunal canadien des droits de la personne prend beaucoup de temps. Si je vous comprends bien, vous dites d’ouvrir les vannes, d’accroître les ressources et d’y aller progressivement.

Me Panju : Je suis content que vous ayez posé la question. Pour être clair, nous ne vous demandons pas d’ouvrir les vannes pour laisser passer tout le monde. Il y a des exigences prévues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne qui définissent dans quelles circonstances une plainte en matière des droits de la personne est admissible, et dans quelles circonstances elle ne l’est pas. Il y a dans les articles 40 et 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne des dispositions qui fournissent une orientation quant aux paramètres selon lesquels une plainte peut être légitime. Nous ne demandons pas que toutes les plaintes soient tout simplement acceptées par le tribunal. Ce que nous demandons, c’est d’enlever le rôle de gardien à l’accès à la commission et de le donner au tribunal; ce sera donc un membre du tribunal qui a une expertise juridique et une compétence et des capacités culturelles pour évaluer les plaintes qui va prendre la décision.

La sénatrice Omidvar : Je comprends la distinction, maintenant. La Commission canadienne des droits de la personne fait son travail en fonction des plaintes qu’elle reçoit. Peut-elle... je ne suis pas certaine, mais fait-elle des examens systémiques? Quand elle reçoit un déluge de plaintes touchant un certain type de discrimination, est-elle autorisée à faire un examen systémique?

Me Panju : C’est une bonne question, mais je ne suis pas certain de la réponse. Je pense que les représentants de la commission vont témoigner tout de suite après moi, n’est-ce pas? Peut-être qu’ils seront mieux placés pour vous répondre. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il manque de données statistiques sur bon nombre des questions dont nous avons parlé aujourd’hui, et dont vous avez parlé dans vos autres réunions.

Nous avons une abondance de preuves empiriques sur l’islamophobie en milieu de travail et sur l’islamophobie en général. Cependant, comme nous l’avons constaté en nous préparant à la consultation d’aujourd’hui et aux consultations avec nos membres, il manque de données, et cela réduit la capacité des décideurs de prendre des décisions éclairées. Je pense que cela tient en partie au fait que nous n’avons pas une approche intersectionnelle, comme je l’ai dit plus tôt. Comme vous le savez, dans les lois sur les droits de la personne, il y a quatre groupes en particulier qui sont ciblés, par rapport à la discrimination. Il y a le groupe des femmes et le groupe des Autochtones. Il y a aussi les personnes handicapées et les gens de couleur, qui forment le dernier groupe. Premièrement, cela ne permet pas de lutter précisément contre l’islamophobie. Je pense que le groupe des gens de couleur englobe l’islamophobie.

En outre, le fait qu’il y ait quatre groupes distincts fait en sorte que les données recueillies n’ont parfois pas cet aspect intersectionnel. Il peut y avoir de l’information sur la discrimination que vivent les personnes noires et aussi des données sur les personnes qui sont des femmes, mais il n’y a pas beaucoup d’informations sur les femmes noires qui, comme je l’ai mentionné, sont davantage victimes de discrimination que les deux autres groupes.

Je pense qu’il faudrait recueillir des données de façon plus concertée, que ce soit fait par la commission ou par un autre organisme, parce que nous pensons que ces données sont nécessaires pour prendre des décisions éclairées en matière de politiques et de lois également.

[Français]

La sénatrice Gerba : C’est vraiment très intéressant, ce que vous dites. On voit qu’il y a un sérieux problème de données. Il faut mettre l’accent sur l’obtention de ces données, qui permettent de prouver et de criminaliser l’islamophobie.

En juin 2021, à la London Community Legion, vous avez déclaré que l’islamophobie individuelle et systémique doit être criminalisée. Jugez-vous que les lois actuelles du Canada ne sont pas efficaces contre l’islamophobie?

[Traduction]

Me Panju : Je vous remercie de la question. Je pense que la question était de savoir si les lois actuelles sont suffisantes pour lutter contre l’islamophobie. C’est une excellente question.

Encore une fois, malgré qu’il n’y a pas eu autant de collecte active de données sur l’islamophobie en milieu de travail ou ailleurs, je pense que les preuves empiriques provenant des nombreux rapports, pas seulement ceux de notre organisation, indiquent que, si des lois sont en vigueur, elles sont insuffisantes.

Je pense que de nombreux groupes, certainement pas le nôtre, contesteraient même le fait que l’islamophobie est un véritable problème. Même après les tragiques attaques à London, l’année dernière, nous avons entendu de nombreux groupes dire... La question qui a été soulevée est de savoir si l’islamophobie est ou non une réalité. Selon nous, le concept d’islamophobie, malgré le fait qu’il reflète un problème systémique important... nous pensons que la définition d’islamophobie doit être examinée attentivement si l’on veut qu’elle rende compte du sectarisme antimusulman existant. Du point de vue de notre organisation, c’est une question sérieuse qu’il faut régler.

Parfois, le fait qu’il y ait le mot « phobie » dans le terme « islamophobie » amène les gens à croire qu’il s’agit d’un enjeu seulement pour les groupes extrémistes et les groupes d’extrême droite. La réalité — nous parlons du milieu de travail que je connais, aujourd’hui —, c’est que, parfois, l’islamophobie est explicite, et que, d’autres fois, elle est également implicite. Parfois, on ferme les yeux sur des commentaires faits sur le lieu de travail. Il existe parfois des politiques qui ont des effets disproportionnés sur les groupes comme les nôtres. Voilà des exemples de l’islamophobie dont nous parlons.

Nous pensons qu’il faut déployer des efforts mieux concertés pour aborder l’islamophobie d’un point de vue juridique et stratégique. Je pense que la collecte de données est une condition préalable importante pour rendre cela efficace.

La présidente : J’ai deux ou trois questions. Vous avez suivi des études de droit. Quelle est la situation des étudiants musulmans dans les facultés de droit? La raison pour laquelle je pose la question, c’est que ma fille a fréquenté la Faculté de droit de l’Université de Toronto et que je peux vous dire que, parfois, ce n’était pas une expérience très agréable.

Mon autre question porte sur les grandes entreprises. Quand elles recrutent et qu’elles organisent une petite séance d’accueil... encore une fois, ma fille ne boit pas d’alcool, et on lui a dit plus tard qu’elle n’avait pas été embauchée parce qu’elle n’était pas assez sociable. Vous savez de quoi on parle. Et les noms. Quel rôle joue le nom dans le processus d’embauche, quand vous êtes un jeune avocat musulman? Encore une fois, Ataullahjan était trop long, il faudrait le changer.

Me Panju : Je vous remercie de la question. Je devrais signaler que l’ACAM compte diverses associations de facultés de droit, et que de nombreuses facultés de droit en Ontario ont leur propre chapitre de l’ACAM. Même si nous ne leur avons pas demandé directement, nous avons entendu des commentaires pendant nos rencontres avec elles. Tous les membres de notre conseil ont également été étudiants en droit, à un moment donné, et j’ai obtenu mon diplôme il y a environ 10 ans. Je pense que certains des problèmes que j’ai rencontrés au cours de mon expérience à la Faculté de droit existent peut-être encore aujourd’hui.

Un des problèmes, c’est qu’il manque encore de diversité dans la profession et, encore une fois, cela commence en grande partie dès l’admission dans une Faculté de droit et dès les critères à respecter seulement pour être admis. Des progrès ont été faits, certes, certains au cours des 10 dernières années, mais il demeure que, au cours des dernières décennies, il y a eu beaucoup plus de personnes de couleur et de musulmans dans la profession également. Il n’y a toujours pas assez de musulmans dans les facultés de droit, ce qui, encore une fois, joue un rôle important au chapitre de la représentation.

En ce qui concerne le processus d’embauche, comme vous l’avez dit, sénatrice Ataullahjan, souvent, les décisions relatives à l’embauche et au maintien du personnel sont prises selon un critère de compatibilité. Je ne suis pas vraiment certain de savoir s’il existe des moyens de changer cela, d’un point de vue législatif, mais ce que je peux dire, c’est que la participation à des fonctions sociales joue parfois un rôle quand il s’agit de donner ou non de l’avancement à quelqu’un. Comme vous le savez, l’alcool est souvent présent et attendu lors de ces événements. Pour de nombreux musulmans, cela représente un obstacle pour ce qui est du dialogue actif avec leurs collègues et employeurs actuels ou potentiels, ce qui peut également avoir des répercussions.

Comme vous l’avez dit, sénatrice Ataullahjan, le fait que de nombreuses personnes aient des noms dont l’origine ethnique est reconnaissable a vraisemblablement aussi un effet sur leur capacité à entrer sur le marché du travail.

Comme vous le savez tous, en ce qui concerne la profession — cela est vrai pour la profession juridique et d’autres professions également —, il faut faire beaucoup de réseautage pour progresser dans sa carrière. Pas seulement pour entrer à la Faculté de droit ou pour obtenir son premier emploi, également, mais par la suite aussi. Puisque de nombreux employeurs prennent leur décision en s’appuyant sur la compatibilité, il existe une tendance — et elle est très bien documentée — à embaucher les gens qui ressemblent aux membres du comité d’embauche et au personnel de l’entreprise. Ce sont des gens qui s’intégreront au groupe, puisqu’ils ressemblent aux membres de ce groupe.

Le problème, c’est que, lorsqu’il y a du racisme systémique dans la profession, il y a des employeurs, qu’il s’agisse de cabinets ou de services, qui manquent de diversité, ce qui a parfois pour effet de perpétuer le problème et d’empêcher les personnes de couleur, y compris les musulmans, d’entrer dans la profession parce que ce cycle se poursuit sans fin. Ce sont les choses qui me viennent à l’esprit. Je me ferai un plaisir de répondre à toute autre question que vous pourriez avoir à ce sujet.

La présidente : Je vous écoute. Les musulmans ont-ils connaissance de toutes les ressources qui leur sont offertes? Il semble qu’il faut presque un diplôme en droit pour savoir à qui s’adresser, à qui signaler si l’on se croit victime de discrimination. Je pense que c’est une des raisons pour lesquelles les actes d’islamophobie sont sous-déclarés. Êtes-vous d’accord? Pourriez-vous brièvement répondre à cela?

Me Panju : En ce qui concerne la connaissance des mécanismes de plainte, je suis sûr que toutes les organisations pourraient mieux se faire connaître. Je suis certain qu’il s’agit d’un des enjeux pour ce qui est de la recherche de recours. Mais je pense que notre organisation dirait que, même si les gens ont les moyens d’arriver au stade de la plainte, s’il existe des obstacles à l’obtention d’un recours, c’est un problème sérieux qui a un effet dissuasif.

De nombreux membres nous ont dit qu’ils ont pris des clients — moyennant paiement ou à titre bénévole —, qu’ils les ont informés du mécanisme de plainte, que ce soit le tribunal par l’entremise du processus de la commission ou par d’autres moyens. Pourtant, même après avoir retenu les services d’un avocat et avoir consacré le temps et les fonds nécessaires, les clients arrivent à la fin de ce processus et ont encore le sentiment que leur plainte a été rejetée et, de plus, qu’on les a empêchés d’obtenir un résultat juste; c’est décourageant.

Je suis sûr qu’il existe des moyens par lesquels le gouvernement pourrait faire mieux connaître les mécanismes de plainte, mais si ces mécanismes eux-mêmes ne sont pas améliorés, de façon que le processus soit à la fois juste et perçu comme tel, c’est un problème qu’il faut résoudre.

La présidente : Monsieur Sultan, j’ai une petite question à vous poser. Nous allons entendre les représentants de l’ARC à un moment donné. Quelle serait la question que vous leur poseriez?

M. Sultan : Je leur demanderais quels systèmes ils ont mis en place pour s’assurer qu’il n’y a pas de discrimination systémique contre les musulmans ou d’autres minorités.

La présidente : Pour revenir à la question de la sénatrice Omidvar... nous avons toutes les deux eu une réunion avec l’ARC, et j’ai parlé du fait que, sur les huit organismes de bienfaisance ayant fait l’objet d’une vérification, six étaient musulmans. Les représentants de l’ARC ont dit qu’ils ne vérifiaient pas spécifiquement les organismes de bienfaisance musulmans. Je leur ai dit que, s’ils savent qu’un organisme de bienfaisance mène des activités dans un pays musulman ou a le mot « islamique » dans son nom, c’est un organisme de bienfaisance musulman.

M. Sultan : Oui, bien sûr. Je pense que c’est un peu hypocrite d’affirmer qu’il n’existe aucun critère explicite quand il s’agit de contrôler un organisme de bienfaisance musulman, pourtant, la réalité sur le terrain, c’est que les processus qui déclenchent une vérification, particulièrement par la DRA, sont absolument défavorables pour les organisations et les organismes de bienfaisance musulmans. Cela trouve son origine dans l’islamophobie, dans les médias islamophobes, auprès des politiciens islamophobes du passé, qui ont instauré ces programmes dans cet état d’esprit. Tant que nous ne serons pas prêts à appeler les choses par leur nom, la communauté musulmane continuera de faire l’objet d’une telle discrimination. Les organismes de bienfaisance musulmans, au lieu de fournir des services aux communautés dans tout le pays, dépenseront d’importantes ressources humaines et financières pour se défendre contre ces préjugés et cette discrimination.

C’est vraiment injuste, parce que c’est une communauté qui est déjà privée de ses droits, qui est déjà victime d’islamophobie systémique dans la société en général, et elle doit maintenant y faire face au sein des administrations gouvernementales. C’est un double fardeau et c’est injuste pour la communauté musulmane, et je ne pense pas que l’ARC a pris l’initiative de cerner le problème et de s’engager à le régler.

Tout ce que j’ai entendu de la part de l’ARC, que ce soit dans les médias ou par d’autres canaux, c’est le déni. C’est vraiment dommage : il y a des preuves convaincantes, plusieurs rapports, les pratiques sont très évidentes, et il n’y a aucune sensibilisation ni engagement à faire mieux. Le premier ministre a parlé de l’importance du phénomène et a dit que c’est un vrai problème qui doit être réglé. Où est la direction de l’ARC? Où en sont rendues ses réflexions et ses évaluations? Je pense que si l’ARC ne fait pas preuve de leadership, cela signifie, encore une fois, que le gouvernement a la responsabilité d’agir et de lancer une réforme.

La présidente : Merci beaucoup. J’aimerais sincèrement remercier les témoins d’avoir accepté de participer à cette étude importante. Nous apprécions grandement l’aide que vous apportez à notre étude.

Honorables sénatrices, je vais maintenant présenter notre second groupe de témoins. On a demandé à chaque témoin de présenter une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons écouter les témoins, et nous passerons ensuite aux questions des sénatrices.

Honorables sénatrices, je vais maintenant présenter notre second groupe de témoins. On a demandé à chaque témoin de présenter une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons écouter les témoins, et nous passerons ensuite aux questions des sénatrices.

Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Marie-Claude Landry, présidente et première dirigeante de la Commission canadienne des droits de la personne, Mme Marcella Daye, conseillère principale en matière de politiques de la Division des politiques, de recherche et des relations internationales, et Me Brian Smith, avocat principal de la Division des services juridiques.

J’aimerais également accueillir, par vidéoconférence, Me François Boileau, ombudsman du Bureau de l’ombudsman des contribuables.

J’inviterais Mme Landry à présenter son exposé, puis ce sera au tour de Me Boileau.

[Français]

Marie-Claude Landry, présidente et première dirigeante, Commission canadienne des droits de la personne : Bonsoir. Je vais prononcer mes remarques en français, mais je pourrai répondre aux questions dans les deux langues officielles.

Je vous remercie d’avoir invité la Commission canadienne des droits de la personne à prendre part à l’étude sur l’islamophobie. Au cours des prochaines minutes, j’aimerais attirer votre attention sur trois points. Premièrement, l’islamophobie est une forme de racisme. Deuxièmement, le racisme antimusulman s’immisce dans toutes les sphères de la société, y compris dans les milieux de travail. Troisièmement, nous devons faire davantage pour que les personnes musulmanes au Canada se sentent bienvenues, incluses et valorisées dans les milieux de travail et dans notre société.

Nous savons que le comité a entendu un certain nombre de perspectives au sujet du terme « islamophobie ». Lorsque nous utilisons le mot « islamophobie », nous parlons à la fois du racisme antimusulman et de l’intolérance religieuse. Ce sont deux éléments étroitement liés. Le racisme antimusulman et l’intolérance religieuse peuvent se manifester par divers comportements tels que la discrimination, le harcèlement, les discours haineux, les menaces, et la violence.

Pour qu’un incident fasse l’objet d’une plainte à la commission, il doit répondre à certaines exigences précisées dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Notre loi ne peut pas s’appliquer à toutes les situations. La commission s’élève contre toutes les formes de haine et de discrimination antimusulmanes. Nous sommes solidaires dans la lutte contre l’islamophobie et sommes conscients que la situation s’aggrave.

Deuxièmement, le racisme antimusulman s’immisce dans toutes les sphères de la société, notamment dans les milieux de travail. La commission a reçu plusieurs centaines de cas de discrimination à cet égard au cours des cinq dernières années. Les personnes musulmanes ont notamment dénoncé des situations où le temps et l’espace pour la prière leur avaient été refusés : elles avaient été la cible de profilage, ayant jugé que leur présence représentait un risque de sécurité dans le milieu de travail, et elles avaient été insultées ou isolées en raison de leurs vêtements ou de leur régime alimentaire, culturel ou religieux. Beaucoup craignent de subir des représailles ou d’être congédiées si elles soulèvent ces questions. C’est inacceptable.

C’est pourquoi nous continuons à intervenir, notamment dans la contestation judiciaire concernant le projet de loi no 21, au Québec. Nous considérons que le projet de loi no 21 constitue une discrimination en milieu de travail imposée par le gouvernement.

Les lois adoptées au Canada doivent servir à éliminer la discrimination, et non à la favoriser ou à la rendre légitime. Dès le dépôt du projet de loi, la commission a fait entendre ses préoccupations. Nous avons souligné que ce type de loi aurait un impact négatif sur les minorités religieuses, et plus particulièrement sur les femmes musulmanes.

Troisièmement, nous devons faire davantage pour que les personnes musulmanes au Canada se sentent bienvenues, incluses et valorisées dans les milieux de travail et dans notre société. La société est désormais plus consciente de la haine, des menaces et de la violence auxquelles les personnes musulmanes font face, mais ce n’est rien de nouveau. Nous avons besoin d’obtenir plus de données à ce sujet, mais cela ne doit pas nous empêcher d’agir ou nous retarder à agir. Il est urgent d’agir. Nous avons déjà pris beaucoup de retard.

À plusieurs reprises, nous avons appelé les législateurs et les employeurs à prendre des mesures concrètes afin de mieux protéger les personnes contre la haine. Nous avons plaidé en faveur de la modernisation de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, puisqu’elle n’avait pas permis de réaliser les avancées auxquelles ont droit les personnes racisées.

Nous avons aussi tourné le regard sur nous-mêmes. Au cours des dernières années, nous avons examiné de près notre travail à la commission, et nous continuons cette démarche visant une amélioration organisationnelle. Nous mettons en place des mesures tangibles par l’entremise de notre plan d’action de lutte contre le racisme, lequel est détaillé. Nous rendons compte publiquement de nos progrès. Nous nous engageons à agir comme un allié de taille dans la lutte contre le racisme au Canada. Je le réitère, il est urgent d’agir.

Merci. C’est avec plaisir que mes collègues et moi répondrons à vos questions, en français ou en anglais.

[Traduction]

La présidente : Merci de votre exposé.

Me François Boileau, ombudsman, Bureau de l’ombudsman des contribuables : Merci beaucoup de m’avoir invité. Je présenterai mes observations en français et en anglais, et je répondrai aux questions en français ou en anglais.

[Français]

Je vous remercie chaleureusement pour cette invitation à comparaître devant vous aujourd’hui. Le thème de votre étude est de la plus haute importance pour les Canadiennes et les Canadiens.

La ministre du Revenu national, l’honorable Diane Lebouthillier, m’a demandé d’effectuer un examen systémique pour enquêter sur les préoccupations exprimées par certains organismes de bienfaisance dirigés par des musulmans et d’autres communautés racisées au sujet de leur traitement par l’Agence du revenu du Canada.

Elle m’a expressément demandé d’accorder une attention particulière à trois préoccupations majeures : l’une liée à la sélection des dossiers aux fins de vérification par l’agence, l’autre concernant l’observation de la qualité des services offerts à ces organismes, et enfin, elle m’a demandé d’analyser les efforts déployés par l’agence pour sensibiliser ses employés aux préjugés inconscients.

[Traduction]

Étant donné que notre enquête est toujours en cours, veuillez nous excuser de ne pas pouvoir vous fournir beaucoup de détails aujourd’hui, surtout en ce qui concerne les conclusions potentielles.

[Français]

Nous évaluerons les politiques et pratiques existantes relatives aux services. Nous croyons que nous pourrons apporter des réponses objectives aux questions portant sur les pratiques de l’agence en matière de formation des employés au sujet des biais inconscients. Nous serons aussi capables de rapporter des informations recueillies tant par les intervenants que les organismes et l’agence. Cela dit, il nous sera malheureusement impossible de valider ces informations auprès de ce qui est présent dans les dossiers de ces organismes en y faisant une analyse comparative.

[Traduction]

Nous comprenons les principes fondamentaux sur lesquels repose l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui visent l’importance capitale de la protection de la confidentialité des renseignements des contribuables. Par conséquent, nous avons collaboré avec l’ARC et le ministère de la Justice pour savoir s’il existe d’autres options de rechange viables. Nous avons tenté de trouver avec eux de nouvelles solutions originales qui nous auraient permis de répondre de manière appropriée à toutes les questions posées par le ministre dans le cadre de cet examen.

L’ARC nous a dit que, en raison des limites prévues par la Loi de l’impôt sur le revenu, elle ne pouvait pas communiquer certaines parties du dossier des organismes de bienfaisance, même si nous avions obtenu le consentement de ces derniers. De plus, la pratique actuelle de l’ARC consiste à ne pas communiquer certains renseignements, surtout en ce qui concerne l’évaluation des risques au moment de choisir un organisme de bienfaisance à des fins d’audit. Cependant, cela nous semble être des éléments essentiels pour que nous puissions correctement répondre aux questions posées, surtout la question sur les critères de sélection des dossiers à des fins d’audit. L’ARC nous a informés que certains renseignements touchant la sécurité nationale sont très secrets et sont uniquement communiqués en fonction du besoin de savoir. Notre examen ne répond pas à cette exigence. Tous les renseignements de tiers au dossier sont également supprimés par l’ARC.

Le rôle d’un ombudsman ne peut pas se limiter à écouter un seul point de vue; il doit plutôt être en mesure d’écouter toutes les parties, et d’avoir ensuite accès à une réelle capacité de faire des observations factuelles. Cela comprend entre autres choses l’application, dans ce cas, des critères de sélection retenus selon lesquels le dossier d’une organisation sera envoyé à des fins d’audit. Cela peut également inclure la capacité d’effectuer une analyse comparative de divers dossiers pour cerner des tendances, au-delà des règles écrites comme les directives, les politiques et les procédures, pour voir s’il n’y a pas un feu qui couve.

Soyons honnêtes; certains des participants nous ont dit qu’ils estimaient avoir été injustement choisis pour un audit. D’autres nous ont dit qu’ils se sentaient parfois intimidés, et bon nombre nous ont dit que le processus était fastidieux. Cependant, nous ne pouvons pas vérifier ces prétendus faits sans avoir accès aux dossiers complets des contribuables. Je comprends que l’intention du ministre n’était pas de nous demander d’agir en dehors du cadre législatif actuellement en vigueur, bien sûr, mais notre rôle d’ombudsman est limité.

[Français]

Nous souhaitons également confirmer notre compréhension des mandats et des rôles respectifs d’un certain nombre d’organismes partenaires nationaux en ce qui concerne la vérification en matière de sécurité nationale et des organismes de bienfaisance. Notre objectif est de mieux comprendre les liens entre les divers partenaires et le processus de vérification.

Les attentes publiques sont très élevées concernant cet examen. L’un des rôles d’un ombudsman est d’analyser selon une base factuelle de comparaison. Je trouve donc important d’être le plus transparent possible, tant auprès de vous qu’auprès du public canadien. Bien que les délais soient extrêmement serrés, nous travaillons d’arrache-pied afin de soumettre un rapport à la ministre en mars 2023.

J’espère répondre à vos questions et écouter vos commentaires avec grand intérêt. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci de vos exposés.

Avant de passer aux questions et réponses, j’aimerais demander aux membres et aux témoins dans la salle de ne pas s’approcher trop près de leur microphone ou de retirer leurs écouteurs s’ils le font. Cela permettra d’éviter la rétroaction acoustique qui pourrait nuire au personnel du comité présent dans la salle.

J’aimerais poser une question aux représentants de la Commission canadienne des droits de la personne. Dans le précédent groupe de témoins, vous avez dû entendre le représentant de l’Association canadienne des avocats musulmans proposer que les revendicateurs aient un accès direct au tribunal des droits de la personne. Quels seraient les avantages et les inconvénients de cette approche, et comment le modèle d’accès direct fonctionne dans les autres provinces?

Mme Landry : Merci de votre question. C’est une question importante.

Selon moi, l’accès à la justice représente beaucoup plus qu’une journée au tribunal. L’accès à la justice, c’est permettre une participation pleine et entière au système, c’est travailler pour que les gens comprennent et connaissent les outils dont ils disposent pour se retrouver dans le système. Cela signifie qu’il faut un système qui offre aux gens des possibilités intéressantes et qui leur permet d’arriver à un résultat équitable, y compris leur offrir le soutien dont ils ont besoin pour présenter leur dossier et se retrouver dans le processus, comme je l’ai dit, ce qui pourrait inclure la médiation, la conciliation et d’autres formes de soutien.

La Commission canadienne des droits de la personne soutient toutes les démarches visant à améliorer l’accès à la justice au chapitre des droits de la personne, dans tout son sens, mais elle n’est pas convaincue que le système d’accès direct de l’Ontario ou de la Colombie-Britannique constitue une amélioration probante par rapport au modèle de sélection par la commission.

Permettez-moi de céder la parole à mon collègue, Me Brian Smith, qui vous fournira davantage d’information à cet égard.

Me Brian Smith, avocat principal, Division des services juridiques, Commission canadienne des droits de la personne : Certainement. Merci, madame la présidente, de la question.

Comme vous l’avez entendu, il existe principalement deux modèles différents de traitement des plaintes dans le cadre des systèmes de protection des droits de la personne du pays. L’un des modèles est le plus souvent appelé modèle de sélection par la commission, et c’est le système que nous utilisons actuellement, au fédéral, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’autre modèle qui existe et qui est essentiellement utilisé en Ontario et en Colombie-Britannique est le système d’accès direct.

Il existe des similitudes et des différences entre les deux modèles. Évidemment, comme vous l’avez entendu, une des principales différences est que, selon le modèle de sélection par la commission, les plaintes sont d’abord déposées auprès de la commission des droits de la personne, qui est un organe distinct du tribunal des droits de la personne et du décideur. Les lois sur les droits de la personne dans ces administrations confient aux commissions des droits de la personne certaines fonctions de sélection ainsi que d’autres fonctions relatives au traitement des plaintes.

Dans un système d’accès direct, les plaintes sont directement déposées auprès du tribunal des droits de la personne, l’organe qui aura au bout du compte compétence pour entendre le fond d’une affaire qui arrive à ce stade.

Une chose dont a un peu parlé le premier groupe de témoins, c’est l’idée que les commissions effectuent une présélection, et que les dossiers sont rejetés sans que l’affaire soit tranchée sur le fond. C’est une caractéristique qui existe en fait dans les deux systèmes. La principale différence, c’est l’entité qui assure la fonction de sélection. Il en va de même dans un tribunal civil. Les tribunaux exercent également la fonction une sélection des affaires dès le début, lorsque le dossier ne remplit pas les conditions nécessaires pour justifier une audience en bonne et due forme. Il existe quelques différences, mais aussi quelques similitudes.

Je pense que, comme notre présidente l’a dit pour la commission fédérale, nous sommes d’avis que l’accès à la justice comporte de nombreux éléments. Les règlements rapides sont assurément un élément important. Dans le cadre du modèle fédéral de sélection, la commission a pris de nombreuses mesures au cours des dernières années pour moderniser et simplifier son processus de traitement des plaintes et ses services de médiation, le tout en vue de s’assurer que les affaires puissent passer par l’accueil, la médiation et la sélection de la manière la plus efficace possible, afin que celles qui doivent être tranchées par un tribunal puissent l’être rapidement.

Nous estimons également qu’il faut en faire davantage pour que les gens fassent confiance au système de justice et croient qu’il répondra à leurs besoins et qu’il donnera des résultats équitables. Le modèle de sélection, dans le cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, permet en effet à la commission de fournir aux parties en litige certains soutiens nécessaires d’une manière qui, selon nous, se distingue de ce que l’on voit dans les modèles d’accès direct de l’Ontario et de la Colombie-Britannique. Les employés chargés de l’accueil à la commission peuvent travailler avec les parties en litige pour les aider à définir les questions à trancher dès le début, conformément aux exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les médiateurs peuvent travailler en étroite collaboration avec les parties afin de leur donner les moyens de parvenir à un règlement rapide des conflits, y compris des moyens qu’elles auront elles-mêmes conçus. Les enquêteurs sur les droits de la personne ou les agents aux droits de la personne peuvent aider à déterminer les types d’information ou de preuve qui seront nécessaires pour qu’un arbitre évalue une plainte. Enfin, et c’est l’une des principales différences, si la commission envoie une affaire au tribunal des droits de la personne, selon le modèle de sélection par la commission, celle-ci a le droit de participer devant le tribunal en tant que partie à cette procédure judiciaire.

Cela signifie que, quand la commission relève des problèmes systémiques, des questions de droit complexes ou de nouvelles questions de droit, elle peut participer et contribuer à l’exécution d’une partie du travail qui sera nécessaire pour permettre au tribunal de statuer équitablement sur la plainte. Cela allège le fardeau des revendicateurs, qui, le plus souvent, ne sont pas représentés par un avocat.

Au bout du compte, bien sûr, c’est au Parlement de décider quel serait le bon modèle dans la sphère fédérale. En ce qui concerne la commission, nous encourageons toujours le gouvernement, si c’est ce qu’il envisage, à examiner toutes les preuves disponibles concernant les forces et les faiblesses relatives de chaque système.

Assurément, nous savons très bien — comme vous l’avez entendu dans le précédent groupe de témoins — qu’il y a des groupes dans la société civile qui demandent des systèmes d’accès direct. En même temps, il y a des groupes qui ont demandé de laisser un rôle plus actif aux commissions.

Par exemple, dans un rapport de 2019, l’Alberta Civil Liberties Research Centre a prévenu que « [...] l’accès direct a le potentiel de créer autant de problèmes qu’il en résout ».

C’est une question stratégique légitime, mais, selon nous, le modèle de sélection de la commission a des avantages qui doivent être pris en considération dans le cadre du débat.

La présidente : Si vous pouviez fournir une réponse vraiment brève à la question suivante : combien de temps prendrait ce processus, la sélection? Généralement, combien de temps cela prend-il?

Me Smith : Je vous prie de m’excuser. Je n’ai pas apporté ces statistiques avec moi. Nous pouvons assurément les retrouver et fournir l’information au comité, à moins que l’un de mes collègues ne dispose d’information à jour.

Mme Landry : Je pense que ce qui est également très important, c’est que, parfois, le temps dont a besoin un revendicateur peut être affecté par un problème de santé mentale ou d’autres situations... cela dépend, en fait.

Quand nous avons modernisé notre système de traitement des plaintes, nous avons mis en place de nombreux outils pour faciliter et accélérer le processus, dans certaines situations. Nous savons que tous les dossiers sont importants, mais ils ne sont pas tous aussi urgents. Les dossiers n’ont pas tous un caractère d’urgence.

Nous avons mis en place un processus de tri, qui permet à certains cas, quand la situation nécessite une attention immédiate, d’être traités plus rapidement. C’est l’une des choses que nous avons mises en place.

Nous avons également créé un mécanisme au moyen d’un formulaire de plainte en ligne, qui permet aux revendicateurs qui savent utiliser ces outils de le faire, et cela libère du personnel qui pourra aider et soutenir ceux qui ont besoin de nous pour les soutenir dans le processus et les accompagner.

La présidente : Cela est-il fait après le processus de sélection? Vous évaluez qui a le plus rapidement besoin d’aide?

Mme Landry : Oui, absolument, au moyen du tri et de certains mécanismes que nous mettons en ligne. En fait, notre approche est souple.

Quand j’ai été nommée présidente, l’une des principales choses que j’ai faites, c’est de rencontrer les intervenants et les détenteurs de droits pour savoir ce qu’ils attendent de la commission au chapitre de la modernisation de notre système, et c’est exactement ce que nous avons fait.

Nous avons tenu une table ronde d’experts, d’experts racisés, à titre d’exemple, pour savoir où sont les lacunes, les difficultés et les préjugés. À la commission, nous formons le personnel, y compris — y compris les commissaires, qui ne font pas partie du personnel proprement dit, mais ce sont des commissaires nommés par le gouverneur en conseil —, mais nous offrons également de la formation aux commissaires, pour nous assurer de pouvoir mieux évaluer les plaintes et que les commissaires peuvent prendre des décisions qui seront éclairées par la formation, ce qui est très important.

La présidente : Merci.

La sénatrice Omidvar : J’ai tellement de questions et si peu de temps. J’adresserai ma première question à Mme Landry. Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui.

Vous avez dit dans votre témoignage que, au cours des cinq dernières années, vous avez vu plusieurs centaines de cas de discrimination contre les musulmans. Selon votre compréhension de l’islamophobie, quel est le pourcentage de plaintes qui sont passées de la commission au tribunal?

Me Smith : Je suis peut-être mieux placé pour tenter de répondre à cette question du mieux que je peux. Nous avons quelques informations que nous pouvons vous communiquer sur les chiffres et les statistiques liés aux plaintes.

Je devrais préfacer — et je m’excuse de le faire, mais je vais arriver à votre question — mes observations sur les statistiques par quelques mots. C’est en partie pour répondre à certaines des choses qui ont été dites par le premier groupe de témoins, simplement pour préciser les types de cas qui arrivent à la commission pour que vous compreniez les types de statistiques dont je parlerai dans un instant.

Nous invitons toujours les gens à garder à l’esprit que la Loi canadienne sur les droits de la personne n’est que l’un des nombreux instruments législatifs relatifs aux droits de la personne dont dispose notre pays. Il existe des régimes provinciaux et territoriaux des droits de la personne qui, bien sûr, s’appliquent à leurs propres sphères de compétence, et tous les dossiers liés à l’emploi et les choses relatives à...

La sénatrice Omidvar : Maître Smith, ma question était assez directe.

Me Smith : Je fais de mon mieux pour y répondre.

La présidente : Si vous pouviez répondre directement à la question, je pense que nous avons 20 minutes, et deux sénateurs ont des questions à poser.

Me Smith : D’accord.

La sénatrice Omidvar : Le temps d’examiner...

Me Smith : Si je comprends bien, votre question est de savoir combien d’affaires sont passées de la commission au tribunal.

La sénatrice Omidvar : Oui, parce que Mme Landry a dit qu’il y a eu des centaines d’affaires au cours des cinq dernières années.

Me Smith : Oui. Laissez-moi seulement retrouver les chiffres, sur ma feuille, et je fais de mon mieux pour répondre aussi rapidement que possible. Au cours des cinq dernières années, la commission a reçu environ 8 000 plaintes. Pour 10 % des plaintes reçues pendant cette période, on a mentionné le motif de la religion. Parmi les plaintes reçues concernant la religion, environ 60 % mentionnaient les mots clés « islam » ou « musulman ». Ce que la commission a reçu...

La présidente : Soixante pour cent?

La sénatrice Omidvar : Soixante pour cent des 10 %.

Me Smith : C’est exact. Encore une fois, nous serions heureux de vous les fournir par écrit après la comparution.

La sénatrice Omidvar : Nous serions curieux de savoir combien d’entre elles se sont effectivement rendues devant le tribunal.

Me Smith : Je vais y arriver.

La sénatrice Omidvar : Entretemps, permettez-moi de poser à Mme Landry une question pendant que vous essayez… parce que je comprends que les preuves sont… pour que nous puissions revenir à vous.

Madame Landry, étant donné que vous avez reçu des centaines de plaintes, soit 10 % de 60 %, ce qui est tout de même une quantité importante, avez-vous la capacité d’aller au-delà de la simple présence aux tribunaux pour lancer une enquête sur la discrimination systémique contre les musulmans dans les milieux de travail sous réglementation fédérale?

Mme Landry : Ce pouvoir est inscrit dans la loi. Une des choses, c’est le manque de ressources dont la commission disposait pendant longtemps, pour lancer elle-même une enquête. Certainement, ce que nous avons fait au cours des dernières années, c’est de travailler non seulement avec les titulaires de droits, mais aussi avec les groupes qui représentent les plaignants pour les aider à déposer des plaintes.

La sénatrice Omidvar : Vous en avez donc la capacité, mais vous ne l’avez pas encore fait en ce qui concerne l’islamophobie?

Mme Landry : Nous ne l’avons pas fait.

La sénatrice Omidvar : Maître Smith, avez-vous la réponse maintenant?

Me Smith : Oui, c’est la meilleure réponse que je peux vous donner pour aujourd’hui, et ensuite nous pourrons toujours entreprendre d’en faire plus. Au cours des années depuis le 1er janvier 2017, environ 25 cas envoyés au tribunal citent le motif de la religion et comprennent également les mots-clés « Islam » ou « musulman ». Je n’ai donc pas ce chiffre sous la forme que vous avez décrite comme un pourcentage, mais j’ai ce chiffre. Je peux vous dire que c’est environ 8 % du nombre total de cas déférés au tribunal pendant cette période, si cela peut vous aider.

La sénatrice Omidvar : Merci de cette information.

Maître Boileau, ai-je raison de comprendre votre témoignage comme suit : vous essayez de faire un travail avec une main attachée dans le dos, et par conséquent, tout rapport que vous présenterez comportera de grandes lacunes parce que vous n’aurez pas accès aux renseignements essentiels dont vous avez besoin?

Me Boileau : C’est exact, sénatrice Omidvar.

La sénatrice Omidvar : Que devrait alors recommander le comité à l’ARC ou, en fait, à la ministre de l’ARC pour vous permettre de faire peut-être une deuxième nouvelle enquête, parce que votre rapport sera publié en mars?

Me Boileau : C’est complexe, bien sûr. Je vais essayer d’être le plus bref possible.

Nos avocats, qui sont les mêmes que ceux de l’ARC en passant, nous ont dit que nous n’avons pas accès aux renseignements des contribuables que nous connaissions déjà, bien sûr. C’est primordial. Nous le savions. Lorsque nous recevons des plaintes individuelles, nous pouvons demander le consentement des contribuables, puis nous pouvons poser des questions pertinentes à l’ARC, tout en accédant au dossier ou aux renseignements.

Mais avec ce système, c’est une sorte de nouvel examen pour nous. Pour ma part, j’espérais dès le départ, sachant que nous ne pouvions pas avoir accès à tous les contribuables, donc à tous les dossiers des organismes de bienfaisance... mais si nous avions pu choisir des dossiers au hasard et demander à l’ARC de caviarder des renseignements confidentiels, je pensais que cela aurait été suffisant pour que nous ayons un accès véritable aux données sur lesquelles nous pouvons nous fonder. Parce que, en ce moment, nous sommes dans la situation où nous entendons cela de la part de nombreuses organisations, de nombreux particuliers, puis de l’ARC. Nous avons examiné toutes les politiques, les procédures et les directives, mais nous ne sommes pas en mesure d’appliquer et de valider tous les renseignements lorsque nous examinons un ou plusieurs dossiers particuliers. Comme vous l’avez dit, cela revient à avoir une main attachée dans le dos.

Comment pouvons-nous changer cela? Certains diront, eh bien, nous devons modifier la Loi de l’impôt sur le revenu pour nous donner la permission d’être considérés comme des agents qui sont réputés capables de récupérer les renseignements confidentiels contenus à l’article 241. Ce serait assez compliqué.

D’autres diront qu’un organisme comme l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, ou OSSNR, pourrait peut-être faire plus que nous. Nous pourrions peut-être travailler ensemble si c’est le cas, parce que nous avons évidemment fait beaucoup de travail préparatoire.

Je n’ai pas de baguette magique, sénatrice Omidvar. J’aimerais que ce soit le cas. J’ai pensé qu’il était important pour moi de venir ici et d’être transparent au sujet de notre situation actuelle et du fait que nous sommes dans une sorte d’impasse avec l’ARC. J’espérais vraiment que tout en collaborant — et je ne dis pas que l’ARC n’a pas collaboré avec nous — ce que je dis, c’est qu’il y avait un manque d’imagination pour que nous ayons accès même si nous récupérons des renseignements confidentiels en ce moment. Du point de vue de l’ARC, on nous dit que même si nous récupérons des renseignements confidentiels caviardés, le fait est que nous pouvons deviner qui est l’organisme de bienfaisance en question. Voilà où nous en sommes.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie de votre franchise face aux défis auxquels vous êtes confronté. Nous attendons tous avec impatience votre rapport, et j’espère qu’il contiendra des recommandations sur le processus à suivre pour les enquêtes futures.

Me Boileau : C’est noté.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins. Je vais adresser ma question à Mme Landry.

Vous avez mentionné que nous devons faire plus pour mieux accueillir et mieux intégrer les communautés musulmanes. Je suis d’accord avec vous parce que le Canada est un pays d’immigration; d’ailleurs, nous avons accueilli des milliers de réfugiés syriens qui sont majoritairement musulmans et qui, aujourd’hui, sont surpris de l’accueil et de l’intégration inexistants pour ceux qui sont musulmans.

Pouvez-vous nous faire quelques recommandations, que nous pourrons transmettre au gouvernement et aux décideurs politiques, en ce qui a trait à cette étude et à la meilleure façon d’accueillir, d’intégrer et de traiter les questions d’islamophobie?

Mme Landry : Merci pour votre question, madame la sénatrice.

Alors, selon la Commission canadienne des droits de la personne, il est certain que cela passe par l’éducation, la sensibilisation. Il est important de travailler avec les communautés, les gouvernements et les différentes organisations pour s’assurer que les gens comprennent mieux la réalité, les impacts des différences, et pour qu’on puisse être préparés à mieux accueillir l’ensemble des gens qui viennent au Canada pour y trouver une maison.

Le Canada a toujours été reconnu comme un pays dont les valeurs sont le respect, l’intégrité, l’accueil, la diversité et l’inclusion. Malheureusement, on voit de plus en plus une polarisation, puis il y a des choses qui, avec mes yeux de personne de 58 ans, ne font pas partie de ce que je m’attendais à voir de mon vivant.

Alors, je pense qu’en notre qualité de Commission canadienne des droits de la personne, il est certain qu’on a un travail à faire, non seulement avec les différents partenaires et intervenants, mais il faut aussi aller à la rencontre des gens pour comprendre la réalité et savoir comment les outiller, d’abord pour qu’ils connaissent leurs droits et sachent les faire valoir.

On travaille en étroite collaboration avec nos partenaires, les commissions provinciales et territoriales des droits de la personne, afin de s’assurer d’avoir une approche aussi cohérente et cohésive que possible au pays.

Évidemment, à titre d’institution nationale des droits de la personne, on fait aussi rapport. Une des choses importantes qu’on fait à la Commission canadienne des droits de la personne, c’est de faire rapport sur la situation des droits de la personne au Canada. On le fait en consultant, encore une fois, les différents partenaires, les intervenants et les commissions provinciales, fédérales et territoriales afin de pouvoir formuler des recommandations.

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup.

Est-ce que vous avez des exemples d’autres pays qui ont réussi à réduire ou à mettre en place des politiques contre l’islamophobie de manière efficace? Est-ce qu’on peut s’inspirer d’autres pays?

[Traduction]

Mme Landry : Je vais l’envoyer à ma collègue.

Marcella Daye, conseillère principale en matière de politiques, Division des politiques, de recherche et des relations internationales, Commission canadienne des droits de la personne : Merci beaucoup de poser la question. En tant qu’institution nationale des droits de la personne, ce qu’est la commission au Canada, nous avons certaines responsabilités et capacités à l’échelle internationale où nous pouvons exhorter la communauté internationale à adopter de meilleures pratiques. Nous pouvons également, dans ce rôle, nous adresser aux organes de traités des Nations unies, aux rapporteurs spéciaux et à d’autres instruments des Nations unies pour qu’ils fournissent des renseignements que, espérons-le, d’autres pays pourront utiliser.

Nous n’avons pas la capacité de critiquer précisément les autres pays, et nous n’avons donc pas à portée de main les exemples que vous cherchez pour savoir qui est meilleur et qui est pire à l’heure actuelle. Mais je dirai que le Canada est souvent considéré comme un chef de file mondial. Nous avons certainement constaté au cours des dernières années que la situation dans de nombreux pays est devenue plus hostile aux immigrants, et nous savons que le Canada envisage également d’accueillir davantage d’immigrants.

Cela ne veut pas dire que le Canada est parfait. Nous devrions entreprendre une recherche spécifique pour trouver des exemples précis de bonnes pratiques que nous pouvons suivre. Nous pouvons chercher ces exemples aux Nations unies, dans le cadre de leurs procédures spéciales, où des experts spéciaux se penchent sur des questions particulières liées aux droits de la personne. Nous serions heureux d’entreprendre cette recherche. Je ne sais pas ce que nous trouverons, mais nous serons heureux de vous revenir à ce sujet.

La sénatrice Gerba : Je me demande si vous avez quelques exemples d’autres pays qui réussissent bien dans le dossier de l’islamophobie.

Mme Daye : Nous connaissons des pays qui ont fait des progrès et où le Canada suit en fait leur exemple. L’un d’entre eux est l’Australie, qui a pris des mesures contre la haine en ligne et a fait des percées novatrices dans ses relations avec les médias d’information pour endiguer la vague de représentations négatives et d’extrémisme.

Je dirais également qu’il y a un certain mouvement au sein de l’Union européenne. Certains pays ont mis en place des règlements précis. Il faudrait que je vous revienne là-dessus. Je ne veux pas parler à tort et à travers, car je ne veux pas en nommer un par erreur. Mais l’Australie me vient immédiatement à l’esprit.

La sénatrice Gerba : Merci.

La présidente : J’ai une question complémentaire. Vous dites que le Canada apprend et que les choses ne vont pas si mal au Canada. Mais ce n’est pas ce qui ressort des témoignages que nous avons entendus au cours des derniers mois, surtout de la part de musulmans. Nous entendons dire que les choses vont plutôt mal pour les musulmans canadiens, comme le fait que le plus grand nombre de musulmans tués dans un pays du G7 se trouve au Canada. Nous entendons parler d’incidents dans des écoles partout, absolument partout. Partout où nous sommes allés, nous avons entendu dire que les choses allaient très mal.

Nous entendons également dire que les incidents islamophobes sont sous-déclarés. Les gens ne veulent pas les signaler. Les choses sont donc plutôt mauvaises ici.

Merci.

La sénatrice Hartling : Merci à tous les témoins d’être ici. Je pensais à ce dont vous parliez plus tôt concernant l’augmentation du nombre de plaintes. Je pense que vous avez fait allusion à un manque de ressources. Je me demande simplement — surtout depuis que nous avons la COVID et toutes ces choses qui se produisent et le nombre de personnes qui déposent des plaintes — quels sont les recours actuels ou les choses dont vous auriez besoin pour vous aider dans votre travail à mesure que cela augmente? Y a-t-il des choses que vous pourriez nous suggérer?

Me Smith : Je peux essayer de répondre à cette question. Oui, certainement — c’est peut-être banal de le dire — les ressources aident. Dans la mesure où la commission a une fonction de traitement des plaintes, avoir accès à des ressources supplémentaires aiderait la commission à traiter les arriérés ou les retards qui existent. Nous ne voulons pas nier l’existence de ces préoccupations, et nous travaillons continuellement de façon créative et du mieux que nous le pouvons avec les outils dont nous disposons pour moderniser et rationaliser le processus.

Il en va de même... et je ne parle pas au nom du Tribunal canadien des droits de la personne. Il s’agit certainement d’un organisme distinct. Mais il y a eu des moments où, en tant que plaideur régulier devant le tribunal, nous aurions aimé avoir un tribunal qui comptait plus d’arbitres, ce qui aurait également pu accélérer le processus d’arbitrage à l’échelle du tribunal des droits de la personne. Ce sont là quelques-unes des choses que la commission a préconisées au fil des ans.

Je ne sais pas si l’une de mes collègues ici a quelque chose à ajouter.

Mme Daye : Je peux ajouter que nous avons cherché à apporter des modifications à notre loi — la Loi canadienne sur les droits de la personne — afin d’élargir les motifs qui sont énumérés pour inclure un motif comme la condition sociale, que la des autrepluparts codes provinciaux des droits de la personne comprennent. Cela peut inclure un mot comme pauvreté ou [Difficultés techniques] revenu ou condition sociale. Mais cela permettrait à la commission de recevoir un type de plainte plus large.

Nous avons aussi, à l’occasion, comparu devant des comités comme le vôtre et soulevé des préoccupations au sujet des limites des recours. Le Tribunal canadien des droits de la personne peut imposer un plafond aux recours. Ce plafond n’avait pas changé, et il n’est pas vraiment rajusté en fonction de l’inflation. Par conséquent, au cours des dernières années, nous avons vu de plus en plus de plaintes de harcèlement sexuel être portées devant les tribunaux civils, où elles peuvent recevoir le degré de recours approprié qui n’existe pas à la commission.

La présidente : Merci.

Trois d’entre nous veulent poser des questions, et je crois que M. Payet, le greffier du comité, me dit que j’ai cinq minutes. Nous allons donc poser des questions très brèves, et si vous pouviez répondre brièvement, nous vous en serions très reconnaissants.

Nous savions que le gouvernement avait présenté l’ancien projet de loi C-36 en 2021, qui avait promulgué une nouvelle version de l’article 13. Ce projet de loi est mort au Feuilleton. Dans quelle mesure l’ancien article 13 a-t-il réussi à contrer le discours haineux, y compris dans les cas qui n’atteignaient pas le seuil du discours haineux criminel?

Mme Daye : Merci de la question. Je serai aussi brève que possible.

L’article 13 a vu le jour alors que nous travaillions avec des téléphones, et les gens composaient un numéro 1-800 et recevaient un message haineux. C’était la façon dont les communautés haineuses s’auto-organisaient.

Le monde a changé depuis. Après le 11 septembre, l’article 13 a été modifié pour inclure les communications par Internet. Il y a eu des cas très importants qui ont découlé de cela et qui ont été très médiatisés. Vous les avez vus aux nouvelles. Cela a donné lieu à une assez bonne jurisprudence, y compris à la Cour suprême du Canada, par exemple, dans l’arrêt Whatcott. Nous avons maintenant de bons renseignements sur ce que signifie le discours haineux en vertu des recours civils et des codes des droits de la personne. Nous avons les 11 caractéristiques de la haine; nous pouvons dire de quoi il s’agit. Cela ne signifie pas que tout ce qui n’est pas criminel respecte tout de même la norme, mais la barre est quand même assez haute, mais il y a eu de grandes réussites.

Je dirai maintenant que cela ne pourrait pas être vrai. L’ancien projet de loi C-36 et l’actuel projet de loi C-261 visent à rétablir l’article 13, qui permettrait aux plaignants de déposer une plainte concernant des propos haineux sur Internet. Personnellement, je compare cela à fournir une tapette à mouches pour repousser une pluie de météores. Le monde est différent. Nous avons besoin de beaucoup plus d’outils et d’une approche globale pour nous mettre sur la bonne voie.

L’un de vos témoins précédents a parlé d’un mouvement de haine qui gagne du terrain, il n’en perd pas. Nous avons besoin d’un retour en arrière, ce qui signifie beaucoup plus qu’un simple ajout à notre loi.

La sénatrice Omidvar : Ma question s’adresse à Me Boileau. Nous avons déjà entendu l’Association canadienne des avocats musulmans parler des preuves solides de l’islamophobie à l’ARC. Elle a cité le rapport de l’Université de Toronto, et le Réseau international des organisations des libertés civiles a publié un rapport, il y a deux ans, je crois, indiquant que six des huit organismes de bienfaisance provoqués, vérifiés par la SAR étaient des organismes de bienfaisance musulmans. Pourtant, l’ARC, lorsque je lui ai parlé, a nié toute action islamophobe, et elle me dit également qu’elle ne recueille pas d’information par type de religion. Tout le monde est enregistré comme organisme de bienfaisance sous l’une des quatre catégories, et nous savons donc combien d’organismes de bienfaisance relèvent du chef de la religion, mais nous ne savons pas quelle religion.

À ce stade-ci de votre enquête, pensez-vous que l’ARC devrait commencer à recueillir des données qui ventilent les organismes de bienfaisance par religion à chaque étape de leur expérience, de leur enregistrement, de leur vérification et de leur révocation, afin que nous puissions obtenir une analyse comparative de leur traitement?

Me Boileau : C’est peut-être une des recommandations, sénatrice Omidvar.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Me Boileau : Merci. En ce moment, ce n’est que lorsque vous vous inscrivez que l’ARC entre les codes. Ce pourrait être la religion, l’avancement de la religion, l’éducation ou d’autres types de bénéfices pour la communauté. La réalité est que c’est beaucoup plus complexe que lorsque vous vous enregistrez et que vous entrez des codes. Il s’agit en fait des activités d’un organisme de bienfaisance. C’est beaucoup plus complexe que cela. Ils n’ont pas été en mesure de nous fournir des données statistiques qui nous donneraient une vue d’ensemble.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je vais poser ma question à Me Smith.

Il y a des témoins qui sont passés avant vous et qui nous ont dit que la procédure pour porter plainte contre l’islamophobie est très complexe, très difficile et parfois décourageante pour les plaignants.

Est-ce que vous êtes d’accord avec cette déclaration? Que peut-on faire pour améliorer ce service qui est crucial?

[Traduction]

Me Smith : Merci de poser la question. Cela rejoint un peu la réponse que nous avons fournie lorsqu’on nous a questionnés sur les différences entre les systèmes d’accès direct et les modèles de filtrage de la commission. Il est certain que, même avec un modèle de filtrage, il s’agit toujours d’une procédure judiciaire et il peut être complexe pour bon nombre de nos plaignants de s’adresser à la commission, de profiter du système et d’indiquer leurs droits dans le cadre d’un processus juridique qui est toujours accusatoire. Cela peut être un défi. Pour rendre ce processus aussi équitable et juste que possible et promouvoir la justice en matière de droits de la personne pour tous, le personnel de la commission s’est efforcé de fournir un soutien, au besoin, aux plaignants en situation vulnérable qui ont du mal à naviguer dans le système. Certaines choses que le personnel de la commission peut faire sur le plan de l’accueil, dans le processus de médiation et aussi dans le processus de sélection des cas, c’est d’interagir et de dialoguer avec les demandeurs afin d’offrir certains de ces types de soutien. Il n’en demeure pas moins que si la commission décide de renvoyer une affaire au tribunal pour arbitrage, c’est aussi un processus accusatoire. Une fois qu’ils sont devant le tribunal, la gamme de mesures de soutien peut varier selon que la commission est en mesure ou non de participer à l’affaire aux côtés du demandeur.

La commission n’a pas les ressources nécessaires pour participer à toutes les affaires qui sont renvoyées au tribunal. Dans certains cas, les demandeurs poursuivent avec les défendeurs, et la commission n’est pas présente à l’affaire. Ce qui se passe toutefois, c’est que la commission fait de son mieux pour être présente dans toutes les affaires où elle estime qu’il serait dans l’intérêt public qu’elle le soit. Cela peut comprendre une évaluation des vulnérabilités des parties et de notre participation à l’affaire. C’est une partie essentielle de ce que je fais en tant qu’avocat à la commission; nous travaillons aux côtés des demandeurs. Nous ne les représentons pas. En tant qu’avocat pour la commission, nous sommes là pour représenter la commission en tant qu’organisme d’intérêt public participant à l’affaire, mais nous avons généralement des intérêts alignés sur ceux du demandeur, dans la mesure où nous sommes là pour présenter des preuves et où nous cherchons à obtenir une décision du tribunal selon laquelle il y a eu violation de la loi et que nous cherchons à obtenir des réparations, y compris des recours systémiques, le cas échéant. Dans ce genre de cas, nous travaillons en étroite collaboration avec les demandeurs et sommes en mesure de fournir certaines des mesures de soutien qui les aident à passer à travers le système.

La présidente : Je tiens à remercier les témoins de leurs témoignages. Cela nous aidera beaucoup lorsque nous serons prêts à rédiger notre rapport.

Honorables sénateurs et sénatrices, je vais présenter notre dernier groupe de témoins, et le témoin a demandé à présenter une déclaration liminaire. Nous entendrons le témoin, puis nous passerons aux questions des sénateurs. J’ai le plus grand plaisir d’accueillir par vidéoconférence Haroon Siddiqui, journaliste et rédacteur émérite, Toronto Star, qui va présenter son exposé.

Haroon Siddiqui, journaliste et rédacteur émérite, Toronto Star, à titre personnel : Merci, mesdames les sénatrices. Je tiens à remercier particulièrement le greffier du comité, M. Payet, qui a été extrêmement utile et très aimable pendant les préparatifs.

Je n’ai pas grand-chose à dire, sauf ce qui suit, et je suis prêt à répondre à vos questions. Je me suis décrit comme un Canadien optimiste de naissance, ce qui ne veut pas dire que je suis d’un optimisme excessif, mais je suis réaliste. Je critique le Canada et je le fais pour l’améliorer, dans le même esprit que celui dans lequel vous tenez vos audiences.

Je pense que le contexte que nous connaissons tous, c’est que nous sommes ici 21 ans après le 11 septembre à cause du 11 septembre. Ce jour fatidique, 2 977 Américains innocents ont été tués, et depuis, 800 000 musulmans ont été tués dans la guerre contre le terrorisme. La plupart d’entre eux étaient aussi innocents que les Américains qui sont morts le 11 septembre. Environ 38 millions de musulmans ont été déplacés dans la guerre contre le terrorisme. Il y a eu une pléthore de cas de torture à Guantanamo, à Abou Ghraib, à Bagram et dans au moins une dizaine d’autres sites noirs dans le monde. Au total, environ 8 billions de dollars ont été dépensés pour cette guerre contre le terrorisme, ce qui a vidé nos coffres et détourné l’argent d’autres priorités de politique publique et, en fait, a dénaturé nos démocraties dans une grande mesure.

Parallèlement, cette guerre contre le terrorisme a déclenché une guerre culturelle contre les musulmans et l’islam, qui perdure encore, et c’est pourquoi nous avons l’islamophobie, et c’est ce qui explique le problème. Le Canada a participé à la fois à la guerre contre le terrorisme et à la guerre culturelle contre les musulmans, y compris les musulmans canadiens.

Je pense que je vais m’arrêter là, et je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup, monsieur Siddiqui, de vous être joint à nous. Nous espérons vous entendre encore beaucoup, car nous vous poserons des questions qui feront la lumière sur le rôle des médias, en particulier, dans l’islamophobie. C’est le point sur lequel j’essaierai d’axer mes questions.

J’anime une baladodiffusion, et j’ai interviewé la journaliste Supriya Dwivedi, qui m’a dit qu’elle animait une émission de radio, un débat radiodiffusé — et ces débats, nous le savons, sont une plaque tournante de la haine, d’une manière ou d’une autre — et qu’elle avait quitté le débat radiodiffusé parce que l’organisation médiatique ne l’avait pas protégée, n’avait pas agi en son nom.

Je veux vous demander ceci : comment les journalistes, que ce soit sur les médias sociaux, dans les médias grand public, à la télévision ou à la radio... comment les organisations médiatiques peuvent-elles en faire plus et mieux protéger leurs employés qui sont musulmans et qui reçoivent une quantité démesurée de courrier haineux?

M. Siddiqui : J’ai écrit une chronique pendant une quinzaine d’années, entre 1999 et 2015, et je dois avoir reçu environ 38 000 à 40 000 courriels pendant cette période. Beaucoup d’entre eux étaient très toxiques, haineux et menaçants, mais je dois vous dire qu’une écrasante majorité de Canadiens soutenaient ce que j’écrivais.

Nous avons vraiment dans notre pays un décalage entre ce que les médias grand public... je laisserai les médias sociaux de côté pour une discussion ultérieure. Depuis le 11 septembre, les médias grand public ne font que du chauvinisme, et non du journalisme. La plupart d’entre eux ont soutenu la guerre en Irak. La plupart d’entre eux ont soutenu la guerre en Afghanistan, alors qu’une écrasante majorité des Canadiens se sont opposés à la guerre en Irak et ont entretenu de sérieux doutes au sujet de notre guerre en Afghanistan. Pourtant, les médias, à l’exception honorable du Toronto Star... et je ne dis pas cela parce que c’est là que je travaillais, mais c’est un fait. Il y a ce décalage, et ces médias d’un bout à l’autre du pays, y compris les journaux grand public de Montréal à Ottawa, à Winnipeg, à Regina, à Saskatoon, à Edmonton, à Calgary, à Vancouver, sont pour la plupart en faveur de la guerre et font surtout la promotion du chauvinisme.

Parallèlement, ils ont également attisé l’islamophobie, soit parce qu’il s’agit d’une question de politique, soit parce que l’islamophobie est un modèle d’affaires dans les médias. Fox News en est l’exemple le plus frappant. Nous avons eu des versions de cela au Canada également.

Je ne sais pas — pour répondre précisément à votre question — si les employés qui étaient là, soit dans les journaux ou à la radio et ainsi de suite, étaient bien protégés ou non. J’étais certainement protégé. Mon journal me donnait, en fait, carte blanche pour dire ce que je voulais dire dans le respect des règles du journalisme, des lois sur la diffamation, et cetera et du bon goût; j’avais donc de la chance. Malgré les abus que j’ai subis, la vaste majorité des Canadiens étaient d’accord avec ce que je disais. Premièrement, j’étais chanceux. Deuxièmement, j’étais encore plus chanceux du fait que mon employeur était toujours derrière moi.

Je ne connais pas la réponse à votre question précise sur ce que d’autres personnes ont peut-être subi, mais je suis sûr que c’est arrivé.

La sénatrice Omidvar : Le Toronto Star traite et découvre de façon tout à fait exemplaire la véritable diversité de Toronto. Vous avez écrit dans la Literary Review of Canada :

Même si les médias parlent sans cesse des musulmans depuis le 11 septembre, ils parlent rarement aux musulmans ordinaires.

Comment pouvons-nous corriger cela?

M. Siddiqui : Avant d’en venir à la deuxième partie, ce que je voulais dire, c’est que c’est une évidence maintenant, non seulement dans les journaux, mais dans tous les médias et même dans l’industrie de l’édition, et cetera. Le mot d’ordre est que les gens ne veulent entendre que deux types de musulmans, les radicaux, les terroristes et les fous, d’une part, ou les musulmans qui sont dociles et qui confirment les grands préjugés de la société, et cetera.

L’opinion publique musulmane majoritaire est rarement reflétée dans les journaux et dans les médias, et cela a été prouvé à maintes reprises dans différentes études.

Honnêtement, je ne connais pas la réponse à votre deuxième question, à savoir ce que nous pouvons faire pour régler les choses, car ce que je vais dire n’est pas très flatteur pour mes collègues. Ils sont assez effrontés. Cette chose est connue. Les universitaires ont réalisé étude après étude, de l’Angleterre à l’Australie en passant par les États-Unis — le Poynter Institute et d’autres — mais cela ne semble pas faire de différence. Alors que les journalistes sont experts dans l’art de critiquer les autres, ils ne reçoivent pas eux-mêmes très bien la critique. Ils sont très susceptibles.

Ils poursuivent allégrement leur chemin. Bien sûr, il y a eu des améliorations, comme nous pouvons le voir, parce que la société change. Il y a une plus grande sensibilisation et une plus grande prise de conscience de l’islamophobie, mais dans l’ensemble, l’élément de droite des médias ne s’est pas beaucoup amélioré.

J’espère que votre comité jouera un rôle déterminant en lançant un cri d’alarme et en leur faisant honte pour ce qu’ils ont fait, ce que vous avez vous-mêmes entendu dans tout le pays. Vous avez un précédent, car c’est un comité sénatorial dirigé par le sénateur Keith Davey, par exemple, puis par M. Kent qui a réalisé de grandes études et mis en garde contre la concentration des journaux et la concentration de la propriété des médias au Canada. Aucune de ces études n’a abouti à quoi que ce soit en raison du pouvoir énorme des médias d’information.

Je vous souhaite bonne chance et j’espère que vous ne mâcherez pas vos mots en annonçant vos conclusions.

J’espère également que, lorsque votre rapport sera publié, vous consacrerez une section distincte aux médias et que vous demanderez la tenue de réunions de comités de rédaction dans tout le pays, afin de vous adresser aux comités de rédaction. Il existe dans ce pays une longue tradition de comités de rédaction qui accueillent les présidents des comités, et cetera, pour les informer. S’ils vous refusent, cela nous dira aussi quelque chose.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à notre témoin de sa présence aujourd’hui. Je me réjouis d’avoir un journaliste émérite comme vous qui témoigne ici, devant nous, parce que les précédents témoins ont mentionné le fait que ce sont les journalistes qui ont créé un lexique qui, aujourd’hui, est utilisé contre les musulmans. On associe, par exemple, l’Islam au terrorisme, alors que quand on dit « zen », ça fait allusion à d’autres cultures.

Pensez-vous que la liberté d’expression, qui est un fondement important dans votre métier, est aujourd’hui respectée? Pensez‑vous que vos collègues qui cultivent cette islamophobie se préoccupent des conséquences que cela peut avoir dans la société?

[Traduction]

M. Siddiqui : Merci d’avoir posé la question, sénatrice.

La liberté d’expression est un peu comme une supercherie parce que la liberté d’expression absolue n’existe pas. On compare toujours chaque droit à d’autres droits. Ma liberté s’arrête là où la vôtre commence.

De même, la liberté d’expression n’a jamais été absolue sauf aux États-Unis. Lorsqu’on parle de liberté d’expression, il faut aussi tenir compte des lois sur le libelle. Il faut tenir compte des lois sur la diffamation, des lois qui luttent contre la haine, que ce soit le Code criminel ou le code des droits de la personne. Il existe aussi des lois précises qui luttent contre la haine en Europe. Il y en avait au Canada, mais il n’en existe plus à l’échelle fédérale.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques maintient la liberté d’expression, mais exige aussi que les États interdisent :

Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination [...]

La Commission européenne des droits de l’homme dit quelque chose de similaire. PEN International, pour qui j’ai travaillé, qui est le premier groupe revendicateur de la liberté d’expression au monde possède 150 centres. Le groupe milite en faveur de la liberté d’expression, mais incite aussi les membres à favoriser :

[...] la bonne entente et [le] respect mutuel [...] pour dissiper les haines [liées à la race, à la classe et celle à l’échelle nationale] [...]

La seule exception, comme je l’ai dit, c’est aux États-Unis, parce que le premier amendement exige que le Congrès ne mette en place aucune loi qui pourrait nuire à la liberté d’expression. La situation elle-même s’est détériorée dans la mesure où il y a un débat en cours aux États-Unis. Il est connu sous le nom de « firstness of the first amendment », autrement dit la primauté du premier amendement : le premier amendement a fini par faire obstacle à d’autres droits qui sont aussi garantis par la Constitution, notamment l’interdiction de faire preuve de discrimination envers les minorités. Donc, nous, au Canada, lorsqu’il est question de ce principe abstrait de liberté d’expression, nous semblons appliquer de plus en plus la version américaine de liberté d’expression : tout peut se dire.

Mais ce n’est pas le cas. En fait, en pratique, en réalité, tout ne se dit pas. Ce qui se passe, c’est que les personnes les plus vulnérables se font malmener au nom de la liberté d’expression. Aucun journal, aucun poste de télévision ou aucune station de radio ne peut volontairement être raciste ou malveillant envers les Autochtones. Ils ne peuvent plus être antisémites ni être ouvertement racistes envers les Noirs et ainsi de suite. Le comportement des médias a changé, parce que la société a changé. Les valeurs de la société ne tolèrent plus que nous agissions ainsi. Mais la discrimination contre les musulmans est toujours tolérée, donc les médias continuent de malmener les musulmans. Ainsi, au cours de notre histoire, la liberté d’expression a été invoquée afin d’être utilisée principalement contre les personnes les plus vulnérables. Aujourd’hui, les personnes les plus vulnérables étant les musulmans, les médias font ce qu’ils veulent et invoquent la liberté d’expression, et ce, de façon exagérée lorsqu’il est question des musulmans. C’est malheureusement la réalité.

[Français]

La sénatrice Gerba : Comment le gouvernement fédéral peut-il agir auprès des médias pour endiguer ou corriger cette situation sans être accusé d’être en train de limiter la liberté d’expression?

[Traduction]

M. Siddiqui : Je pense que ce qu’il faut faire, c’est... nous avions certains outils. Ils ont aussi disparu. Un de ces outils était le suivant : chaque province avait un conseil de presse. Le Québec en possède toujours un à l’échelle provinciale. Ceux du Canada anglais ont été combinés pour n’en former qu’un. Ces conseils de presse étaient toujours axés sur les plaintes, mais, ce qui se passait réellement lorsque des affaires leur étaient présentées, comme ce sont des organisations bénévoles, c’est qu’ils finissaient par être indûment minutieux à propos de ceci et de cela, et ainsi de suite. Aucun mécanisme n’est réellement accessible lorsqu’il est question de liberté d’expression si ce n’est le fait d’obliger nos médias à arrêter de faire ce qu’ils font.

En fin de compte, qu’est-ce que je dis? Je dis que nous devons changer l’opinion publique. Si nous modifions l’opinion publique, alors les médias changeront en conséquence, comme nous l’avons appris. Vous savez, je viens de vous donner de nombreux exemples. En effet, quel journal serait sciemment antisémite? Quel journal, quelle station de radio ou quel poste de télévision ferait volontairement la promotion du racisme envers les Noirs à la une du journal ou du bulletin de nouvelles du soir? Comme l’opinion publique ne permet pas une telle expression de haine ou d’affront envers des personnes, je pense que, finalement, ce qu’il faut modifier, c’est l’opinion publique.

Mais lorsqu’il est question de la haine en ligne, nous avons toujours le CRTC, et le gouvernement envisage la possibilité d’adopter un projet de loi. Évidemment, il n’existe pas de solution miracle. Il existe des opinions différentes, mais la solution n’est pas le statu quo.

La sénatrice Hartling : Vous nous éclairez sur de nombreux aspects. Je me demande seulement une chose : il semble qu’il n’y ait pas beaucoup d’espoir à ce sujet. Savez-vous si les jeunes pourront nous aider à favoriser ce changement? Je sais que dans certains milieux, les jeunes changent la façon dont les gens voient de nombreux problèmes. Connaissez-vous des ambassadeurs qui pourront nous aider à changer les choses à ce sujet comme nous l’avons déjà fait lorsqu’il était question d’autres problèmes?

M. Siddiqui : Dans une démocratie, il n’existe aucune solution de rechange au fait de sensibiliser le public, évidemment. C’est ainsi que nous commençons à attirer l’attention sur les Autochtones, par exemple. C’est ainsi que Black Lives Matter a modifié nos perceptions, en nous faisant prendre conscience du comportement que nous avions. C’est Martin Luther King qui a dit que la lutte contre le racisme et la haine et tout ce qui y ressemble ne finit jamais. Les musulmans se trouvent dans le bas de l’échelle en ce moment, et nous ne faisons que continuer.

En fait, nous continuons d’analyser [Difficultés techniques]. Excusez-moi, je me répète. Qu’ont fait les médias durant la guerre contre le terrorisme, par exemple, outre le fait de, notamment, encourager les guerres? Ils étaient les premiers à rejeter le blâme sur tous les musulmans. Un incident terroriste survenait quelque part, et on me demandait : « Qu’avez-vous à dire sur ceci ou sur cela? » Comme si j’étais responsable; comme si les musulmans ordinaires étaient responsables. On disait du mal des mosquées et des imams, on disait qu’il y avait des terroristes dans tous les minarets au Canada. Aucune de ces choses ne s’est révélée exacte. En fait, rappelez-vous, en 2014, l’ancien premier ministre, M. Harper, qui n’aimait pas les musulmans plus qu’il le fallait, a dit que les mosquées et les institutions musulmanes avaient été très utiles pour nos organismes responsables de la sécurité. Les médias sont-ils jamais revenus sur le fait qu’ils avaient diffusé neuf histoires dans lesquelles on calomniait telle ou telle mosquée et tel ou tel imam, pour s’excuser? Non. Les médias ont conclu des ententes contre nature avec les forces de sécurité par exemple; ils ont cité des sources anonymes sur tel ou tel sujet, et rien ne s’est révélé exact. Souvenez-vous des affaires des groupes de 23 et de 18 de Toronto : très peu des chefs d’accusation qui ont été mentionnés dans les médias se sont révélés exacts. Certains oui. Mais est-ce que les médias sont revenus sur le sujet et se sont excusés parce qu’ils avaient eu tort dans 19 cas? Non.

Aussi, on disait toujours que les actes terroristes commis par les musulmans tenaient toujours à la religion, comme si c’est quelque chose qui est dicté par l’islam. Puis, on a attiré démesurément l’attention sur la violence commise par les musulmans comparativement à la violence commise par des non‑musulmans. Souvenez-vous de l’attentat survenu dans la ville de Québec, en 2017; l’incident n’a pas fait la une du Globe and Mail le lendemain, et l’incident a été presque passé sous silence par la CBC. Lorsque l’attentat de Christchurch est survenu, et que 50 personnes ont été tuées, l’événement n’a pas fait la une du Globe and Mail.

Donc, nous avons une tendance ici. Personne ne dit que ces personnes sont racistes, mais il est évident qu’elles refusent de l’admettre, ou elles n’ont pas fait preuve de sensibilité au moment d’aborder ces incidents. Donc nous ne faisons que continuer d’attirer l’attention sur le problème. Nous continuons de nous faire entendre, vous savez? Donc, c’est ce que nous devons faire.

La sénatrice Hartling : Merci.

La présidente : J’ai quelques questions. Vous avez soulevé un point à l’instant : vous dites que lorsque l’attentat de Québec a eu lieu, un poste de télévision donnait l’état de la situation en temps réel d’un événement survenu dans un autre pays qui n’était vraiment pas important. Les journalistes, les journaux, les médias imprimés et la télévision forgent l’opinion publique. Je dis souvent aux gens : « Ne croyez pas tout ce que vous lisez », parce qu’ils disent quelque chose de ridicule, et je leur dis : « Ne croyez pas tout ce que vous lisez. »

Si l’opinion publique est façonnée par les personnes mêmes qui n’appuient pas les musulmans, qu’est-ce que la communauté musulmane fait pour modifier la perception que tous ont d’eux? Je me rappelle un incident où la première chose qu’un jeune Français m’a dite lorsqu’il a su que j’étais musulmane, c’est : « Pourquoi voulez-vous me tuer? » Comment pouvons-nous modifier cette perception?

M. Siddiqui : Oui, il y a deux parties à votre question. Nous allons mettre de côté la partie qui concerne ce que la communauté musulmane devrait faire pour le moment. Ce n’est pas vraiment un problème qui touche seulement les musulmans. C’est un problème qui concerne tout le Canada. En fait, c’est un problème qui concerne l’Occident tout entier parce que cette islamophobie me rappelle, notamment, les années 1930. Elle a entaché nos démocraties, et ce genre de haine dont nous avons été témoins n’est semblable en rien à ce que nous avons pu vivre récemment.

Ce que nous appelons la menace verte a été pire que la menace rouge des années 1950 parce qu’elle a duré plus longtemps et qu’elle a fait beaucoup plus de victimes.

Si vous demandez aux musulmans quel est le plus gros problème, ils vont dire que ce sont les médias, et ils ont raison. De nombreuses études universitaires indiquent, si je me souviens bien, qu’entre 58 et 75 % des répondants ont dit que leur première impression de l’islam ou leur seule connaissance, ou du moins l’essentiel de ce qu’ils savent de l’islam, provient des médias. Les médias ne peuvent pas prétendre qu’ils ne possèdent pas de pouvoir, et que nous n’influençons pas les gens, car c’est effectivement le cas; c’est de là que provient l’information. Ils ont été une source de désinformation et de mésinformation.

Prenons un exemple canadien : Charles Taylor, qui était à la tête de la Commission sur les accommodements raisonnables avec M. Bouchard en 2008. La commission a cerné 15 ou 20 incidents ayant été mentionnés dans les tabloïds du Québec qui faisaient état d’histoires à sensation concernant des musulmans, et elle a embauché ses propres enquêteurs afin qu’ils enquêtent une nouvelle fois sur toutes ces histoires. La commission a dit dans son rapport final qu’aucune de ces histoires ne s’est révélée exacte, mais pour les médias, cela n’a rien changé. Au nom de la liberté d’expression, on calomnie des personnes, des institutions, et ce, sans aucune conséquence.

Il s’agit d’un problème grave qui entache nos démocraties d’ici jusqu’en Europe, et il ne touche pas seulement les musulmans. Les musulmans doivent militer davantage comme tous les autres groupes, comme la communauté LGBTQ2, les Autochtones et les juifs, qui continuent d’être victimes d’antisémitisme. C’est évident. C’est vraiment au gouvernement, aux institutions et à la bonne volonté des gens de ce pays et ailleurs de prendre part à la lutte, et j’espère que votre comité sera de la partie.

La présidente : Merci. Des gens écrivent que l’islamophobie est un mouvement mondial.

M. Siddiqui : Oui, effectivement, en Europe, en Inde et aux États-Unis, ce l’est, et Donald Trump en est le meilleur exemple.

Nous parlons de Donald Trump et de toute la désinformation, des faussetés qui ont été communiquées et du fait qu’il peut mentir, et ce, sans subir la moindre conséquence. Souvenez‑vous, tout a vraiment commencé avec les musulmans. Les musulmans ont été les premiers à être attaqués, et depuis, les attaques ont été dirigées vers d’autres personnes. Dans ce mouvement, les musulmans ont été les premières victimes, et elles sont toujours les victimes principales, mais ce qui se passe, c’est que l’érosion des valeurs sociales, le fait qu’on franchisse des limites qu’on ne franchissait pas avant, et ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas finit par faire du tort à nos démocraties. C’est vraiment le gros problème; cela ne touche pas seulement les musulmans. En fait, les musulmans ont été les principales victimes.

La présidente : [Difficultés techniques] la portée de notre étude parce que nous étudions l’islamophobie au Canada, mais vous avez dit quelque chose au sujet de l’islamophobie en Inde. Comment est traité un musulman en Inde aujourd’hui?

M. Siddiqui : Je ne suis pas retourné en Inde depuis la COVID. Nous lisons toutes les histoires qui circulent, le mouvement Hindutva prend de l’ampleur. Le premier ministre à la tête du gouvernement en place était le ministre en chef d’un État où est survenu un pogrom. Il en était peut-être responsable, ou peut-être pas. Mais, vu les incidents qui surviennent, les experts disent que la situation est dangereuse en ce moment. Regardez dans certaines régions de l’Europe, regardez en France, regardez dans d’autres pays d’Europe et aux États-Unis.

La plupart des actes islamophobes avaient pour toile de fond les musulmanes. Les féministes, les libéraux au sens large, et d’autres : tous luttent pour les musulmanes. L’islam fait preuve de discrimination envers elles et ainsi de suite. Tout a vraiment commencé avec Laura Bush et Cherie Blair, en Afghanistan, qui ont, en quelque sorte, justifié la guerre en Afghanistan en disant que nous étions là pour sauver les musulmanes et s’assurer qu’elles conservent leurs droits. Évidemment, les Afghanes pouvaient avoir besoin d’être sauvées, mais nous n’avons pas envahi l’Afghanistan pour sauver les femmes.

De même, ce mouvement s’est en quelque sorte déplacé en Occident et s’est infiltré dans nos démocraties. Si les hommes afghans sont misogynes, les hommes musulmans canadiens et européens pourraient l’être aussi, et nous allons peut-être devoir sauver les musulmanes européennes et canadiennes; donc, nous ne devrions pas leur permettre de porter le hijab. Dites-moi, quelle est la différence? Les ayatollahs et les mollahs disent aux musulmanes de porter le hijab et le niqab depuis longtemps. Maintenant, nous avons les libéraux au sens large et les féministes qui disent aux musulmanes de ne pas les porter. L’ironie est incroyable. L’impulsion de contrôler les musulmanes est la même, qu’on parle des mollahs ou d’autres personnes.

J’ai écrit un article qui disait que « l’ayatollah Kenney » a lancé une fatwa selon laquelle personne ne peut devenir un citoyen s’il porte un niqab. Au Québec, la « sheikha Marois » a dit : nous allons vous renvoyer, et le « mollah Legault », du gouvernement actuel dit : nous allons vous renvoyer si vous portez un hidjab à l’école. Quelle est la différence entre les mollahs et les ayatollahs, et les dirigeants supposément libéraux de ce pays?

Ce sont les choses que nous utilisons pour critiquer les communautés musulmanes et les musulmans. Cela a été la même chose pour la panique liée à la charia : « la charia s’en vient ». Pardonnez-moi, comment est-ce possible? Est-ce que le Parlement du Canada dit que, à partir de demain matin, les lois canadiennes sont écartées et remplacées par la charia? Nous avons perdu la raison. Ce n’est pas logique, et cela n’a pas de sens, ce qui est la définition même de devenir fou, et c’est ce que je disais. Les parallèles qu’on peut faire avec ce qui s’est produit dans les années 1930 sont horribles.

C’est un gros problème. C’est parfois reflété par les médias; parfois, ce sont eux qui mènent la charge, mais nous avons un très gros problème dangereux qui touche nos démocraties occidentales.

La présidente : Merci. Le fait d’être alarmiste. Tant de personnes me posent aussi des questions sur la charia, et me demandent si je l’appuie. Je me demande vraiment pourquoi elles s’inquiètent au sujet de la charia.

M. Siddiqui : Je suis un adepte de la charia, qui est composée d’une multitude de lois et de règles. Je respecte la charia. Je dis mes prières, je jeûne durant le ramadan. Et puis? Qu’allez-vous faire?

La présidente : Le Sommet sur l’islamophobie qui s’est tenu il y a un an et demi au cours duquel le gouvernement actuel a promis de nommer un émissaire qui sera chargé expressément de l’islamophobie... nous attendons toujours. Lorsqu’ils nommeront cette personne... pensez-vous que c’est trop de responsabilités pour une seule personne? Je peux le voir maintenant, monsieur Siddiqui, selon la personne qui sera nommée. Il y a tant de musulmans différents, et la plupart des personnes ne le réalisent pas. La plupart des Canadiens ne le réalisent pas, et certains musulmans non plus. Il y a un certain groupe qui pense qu’il représente les musulmans, et il ne veut pas dire qu’il en existe d’autres. Il y a différentes races et différentes cultures. Les musulmans viennent de partout. Récemment, nous avons appris qu’une personne autochtone qui était musulmane s’était fait dire qu’elle ne pouvait pas l’être, et qu’il ne lui était pas permis de retirer de l’argent de son compte bancaire.

Donnons-nous trop de responsabilités à cette personne lorsqu’elle sera nommée? Est-ce que cela résoudra l’un ou l’autre de nos problèmes, le problème qui concerne les musulmans?

M. Siddiqui : Tout d’abord, ce n’est pas un problème qui concerne seulement les musulmans. C’est un problème canadien.

Pour répondre à votre question, bien entendu, ce serait trop de responsabilités pour une personne. Nous n’avons qu’effleuré la portée et l’étendue des questions et du problème. Une seule personne ne peut pas tout régler, mais elle peut aider à sensibiliser la nation, c’est sûr. Le fait que la communauté musulmane soit très diversifiée ne doit pas empêcher cette personne de faire entendre sa voix, parce que, vraiment, l’émissaire chargé du problème de l’islamophobie ne le fait pas... le travail ne repose pas sur la communauté musulmane. Il doit plutôt être effectué par la communauté non musulmane. C’est là, l’origine du problème. Le problème, ce n’est pas les musulmans.

Bien entendu, la communauté musulmane est diversifiée, et il existe des opinions différentes. Ce ne serait pas naturel si ce n’était pas le cas. La diversité y est plus importante que dans d’autres communautés. La communauté juive est diversifiée. La communauté hindoue l’est aussi. C’est une question de degré. Les chrétiens le sont : il existe un million d’églises, et ainsi de suite. Donc, le fait que nous le soyons ne doit pas nous empêcher de nous attarder au problème et de nous faire entendre, et ne doit pas non plus devenir une excuse pour ne pas le faire. C’est ce que je répondrais à ce sujet.

La présidente : À la fin de notre étude, nous formulerons des recommandations au gouvernement. Selon vous, quelles recommandations devrions-nous faire?

M. Siddiqui : Je demanderais de renforcer l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je pense que c’était Mme Daye qui a dit que le monde avait changé depuis. C’est vrai. Mais je pense que cela soulignerait le fait qu’il s’agit d’un problème grave, et que nous le prenons au sérieux. L’article 13 a été retiré non pas vraiment au nom de la liberté d’expression, mais plutôt au nom de la liberté d’expression pour que les islamophobes puissent continuer de parler en mal des musulmans et de l’islam. Nous savons quelles personnes ont milité pour cela et quel gouvernement l’a fait. C’est une recommandation que je ferais.

Ensuite, en ce qui concerne le problème de la haine en ligne, le gouvernement fait du surplace. Ce gouvernement en particulier a d’abord été estomaqué par la technologie de pointe. Il a été lent dès le départ. Le Canada a été à la traîne derrière l’Europe et l’Australie. Il a encore de la difficulté à composer avec le problème. Encore une fois, il n’y a pas de solution miracle; toutefois, nous devons être en mesure de dire que les super plateformes technologiques de pointe, qui permettent la propagation d’une telle haine et d’un tel poison, touchent des millions de personnes. Elles doivent être tenues responsables de leur contenu de la même façon que les diffuseurs à la radio et à la télévision sont tenus responsables de leur contenu. C’est aussi simple que ça. Ils peuvent peaufiner les détails.

Je recommanderais fortement au gouvernement de trouver une façon de régler la haine en ligne, et nous devons sensibiliser le public. Je reviens toujours sur ce point parce que, finalement, dans une démocratie, c’est l’opinion publique qui fait une différence.

La présidente : Merci, monsieur Siddiqui. En réponse à ce que vous avez dit plus tôt, nous avons effectivement communiqué avec certains médias. Certains d’entre eux pour une raison ou une autre ne pouvaient pas être présents, et d’autres ont refusé. Nous allons communiquer avec eux encore une fois. Lorsque nous nous sommes rendus à Vancouver, à Edmonton, à Québec et à Toronto, on nous a dit que les médias jouent un rôle dans la propagation de l’islamophobie.

M. Siddiqui : Plus tôt, un de vos témoins a parlé d’une l’histoire qui a paru dans le Toronto Sun, par exemple; celle-ci a, à son tour, entraîné le témoignage de l’ARC, ou du moins, en est l’origine, pour une raison ou une autre. J’inviterais le rédacteur en chef du Toronto Sun, et je dirais : « Nous avons entendu cela. Aimeriez-vous venir nous en parler? » et laissez-le dire non.

J’ai mentionné le Globe and Mail à deux reprises. J’inviterais le rédacteur du Globe and Mail et je lui dirais : « Voudriez-vous venir nous éclairer et nous donner votre version de l’histoire? » J’inviterais Médias d’info Canada, qui représente les médias imprimés et numériques quotidiens et hebdomadaires, et je dirais : « Nous avons entendu de nombreuses plaintes à votre égard. Nous aimerions entendre votre version. Venez nous voir ». S’il ne vient pas, cela sera révélateur.

La sénatrice Omidvar : J’avais des questions, mais maintenant, monsieur Siddiqui, je dois dire que je suis assez découragée. Habituellement, je suis exubérante et optimiste, mais cette discussion au sujet d’un mouvement mondial islamophobe sonne juste. Vous et moi sommes tous deux d’origine indienne, et lorsque je vois ce dont est victime la minorité musulmane en Inde, je désespère.

En ce qui concerne le Canada, j’ai pris connaissance de ce que vous avez écrit et de ce que vous avez dit, et j’ai assisté à des conférences et à des tables rondes avec vous. Je me souviens d’une chose que vous avez dite, et je m’en souviens encore aujourd’hui : il y a de bonnes et de mauvaises personnes. Il y a de bons et de mauvais immigrants. Toutefois, la primauté du droit trace une ligne invisible, et il faut tous nous plier à la primauté du droit.

Je vous entends dire que la loi n’est plus suffisante pour lutter contre ces expressions haineuses d’islamophobie. Ce n’est pas une question. Je ne fais que faire une observation aujourd’hui.

Laissez-moi vous poser une question. Outre le fait de modifier l’opinion publique, ce qui prend habituellement beaucoup de temps... et quelquefois cela se fait rapidement. Une photo d’un enfant décédé sur la plage a fait en sorte que les Canadiens ont accueilli des Syriens.

Attendons-nous un moment qui pourrait être choquant? Nous avons été témoins d’incidents choquants au Québec, et malgré tout l’opinion publique reste la même.

M. Siddiqui : Il faut admettre que l’opinion publique n’a pas tellement changé après l’incident survenu à Québec en 2017, mais il a effectivement changé après l’attentat de London parce qu’il a touché grandement la conscience des Canadiens, à un point qu’on n’avait alors jamais vu.

La sénatrice Omidvar : Oui.

M. Siddiqui : Nous sommes Canadiens. Nous critiquons le Canada. Nous voulons l’améliorer. Mais le Canada est lui-même un excellent exemple pour le reste du monde pour des milliers de raisons. J’ai dit que le Canada était complice lorsqu’il a été question de la torture, mais le Canada est aussi le seul pays au monde qui a mis sur pied une commission concernant Maher Arar et qui s’est entendu avec Omar Khadr. Les tribunaux lui ont donné raison dans une série de décisions, et ce, malgré tous les efforts déployés et toutes les dépenses engagées par le gouvernement Harper. C’est la commission dirigée par l’honorable Frank Iacobucci qui a rendu la bonne décision au sujet de trois Arabes canadiens qui avaient été torturés en Égypte et en Syrie. Le Canada a été le seul pays qui a pris ces mesures après les attentats du 11 septembre 2001, et ces mesures ne sont pas les moindres.

Le Canada est le seul pays occidental ayant un consensus national en faveur de l’immigration. Connaissez-vous un autre pays à l’échelle mondiale où les citoyens répondent à la question « Qu’est-ce que vous préférez le plus? » par « La Constitution, la Charte »? Le Canada est le seul pays où 85 % des immigrants deviennent citoyens, et en deviennent des bons.

Ce sont de grandes qualités que possède ce pays. Le Canada est le seul pays, bien sûr, on le sait, qui est multiculturel sur le plan constitutionnel; regardez l’article 27. Ce sont des réussites extraordinaires. Elles nous disent et disent aux Canadiens — et les Canadiens l’ont accepté — que Ratna Omidvar, née en Inde, qui est arrivée au Canada en passant par l’Iran, est une Canadienne, au même titre que n’importe quel autre Canadien. Ce n’est pas tout à fait le cas en Allemagne. Ce n’est pas encore tout à fait admis en Grande-Bretagne. Ce ne l’est clairement pas en France. C’est rejeté même aux États-Unis, la terre des immigrants.

Le Canada a fait de très bonnes choses. Nous sommes le seul pays qui s’est excusé pour nos crimes passés, que ce soit pour le Komagata Maru ou pour les actes commis contre les Asiatiques et le fait que le paquebot Saint Louis se soit vu refuser l’entrée au Canada. Nous apprenons effectivement de nos erreurs.

La droite nous dit que nous devenons trop woke, que M. Trudeau est trop woke. Nous sommes heureux de l’être. Nous ne devrions pas nous excuser pour cette raison. Nos capacités de nous améliorer nous-mêmes demeurent très élevées. Je suis toujours très optimiste à cet égard.

La sénatrice Omidvar : Merci.

La présidente : Merci beaucoup. J’aimerais profiter de l’occasion pour vous remercier d’avoir été présents aujourd’hui et d’avoir présenté vos exposés. Cela nous aidera beaucoup lorsque nous rédigerons notre rapport final.

(La séance est levée.)

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