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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 4 novembre 2024

Le comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 59 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général; et, à huis clos, pour examiner la réponse du gouvernement au quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, intitulé « Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral », déposé au Sénat le 16 juin 2021 durant la deuxième session de la quarante-troisième législature.

La sénatrice Wanda Thomas Bernard (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, pour commencer, j’aimerais reconnaître que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe, qui abrite maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.

Je suis Wanda Thomas Bernard, sénatrice de la Nouvelle-Écosse et vice-présidente du comité. En l’absence de la présidente, je présiderai la réunion de ce soir.

J’aimerais d’abord inviter mes honorables collègues à se présenter.

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

Le sénateur Arnot : Je suis David Arnot, de la Saskatchewan.

La sénatrice Ross : Je suis Krista Ross, du Nouveau-Brunswick

La sénatrice Pate : Kim Pate, et je vis ici sur le territoire non cédé et non abandonné des Algonquins anishinabe.

Le sénateur K. Wells : Kristopher Wells, de l’Alberta.

La vice-présidente : Bienvenue, sénateurs et sénatrices, et bienvenue à tous ceux qui suivent nos délibérations à la maison.

Aujourd’hui, notre comité poursuit son étude de la fin de la prise en charge des jeunes en foyer d’accueil en vertu de son ordre de renvoi général.

Avant d’accueillir nos témoins, je voudrais faire une mise en garde concernant le contenu de la réunion. Les sujets sensibles abordés aujourd’hui peuvent être des déclencheurs pour les personnes présentes dans la salle ainsi que pour celles qui regardent et écoutent la diffusion. Un soutien en santé mentale est offert à tous les Canadiens par téléphone et par message texte. Il suffit de composer le 988. Je rappelle également aux sénateurs et aux employés parlementaires qu’ils peuvent profiter du Programme d’aide aux employés et à leur famille du Sénat, qui leur offre des services de counseling à court terme pour les problèmes personnels et professionnels, ainsi qu’un service de counseling en cas de crise.

Cet après-midi, nous aurons deux groupes de témoins. Dans chaque groupe, nous entendrons les témoins, puis les sénateurs autour de la table auront une période de questions et de réponses.

Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. On a demandé à nos témoins de présenter des déclarations liminaires de cinq minutes. Nous recevons aujourd’hui par vidéoconférence Lisa Broda, défenseure des droits des enfants et des jeunes et présidente du Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes; et elle est accompagnée de Marci Macomber, directrice des enquêtes systémiques, du Bureau du défenseur des enfants et des jeunes de la Saskatchewan.

Dans le même groupe de témoins, veuillez accueillir par vidéoconférence Annette King, défenseure de l’enfance et de la jeunesse du Yukon et vice-présidente du Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes, du Bureau du défenseur de l’enfance et de la jeunesse du Yukon.

J’invite maintenant Mme Broda à présenter son exposé, suivie de Mme King.

Lisa Broda, défenseure des droits des enfants et des jeunes et présidente, Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes, Bureau du défenseur des enfants et des jeunes de la Saskatchewan : Bonjour. Je vous remercie de me permettre de m’exprimer sur cette question importante et je remercie tous les autres témoins de leurs contributions et de leur travail important dans ce domaine.

Je me joins à vous depuis le territoire visé par le Traité no 6 et la terre d’accueil des Métis, et notre travail en tant que conseil couvre tous les territoires visés par des traités. Dans le cadre de ce travail, nous honorons toutes les Premières Nations et tous les peuples inuits et Métis.

Je m’adresse à vous aujourd’hui en tant que défenseure des droits des enfants et des jeunes de la Saskatchewan ainsi que présidente du Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes.

Les membres de notre conseil sont des défenseurs des enfants, des représentants et des ombudsmans indépendants nommés dans les provinces et les territoires qui sont explicitement mandatés par la loi pour protéger les droits des enfants et des jeunes qui reçoivent des services publics grâce à une défense individuelle et systémique. Nous travaillons ensemble pour cerner les préoccupations communes et aborder ces questions nationales dans la mesure du possible.

Dans mes commentaires en tant que présidente du conseil portant sur les normes nationales pouvant faire l’objet d’une loi, je ne m’adresse pas à vous au nom de mes collègues au Québec, car ils ne se prononcent généralement pas sur les projets de loi fédéraux, qui ne font pas partie de leur mandat provincial.

Les difficultés et les vulnérabilités auxquelles les jeunes qui sortent de la prise en charge sont confrontés — et les jeunes autochtones en particulier — ont toutes été bien abordées par d’autres témoins du comité. Il est clair que les jeunes qui sortent de la prise en charge par le gouvernement ne sont pas adéquatement préparés avant leur transition vers l’indépendance et que le soutien après la prise en charge n’est souvent pas suffisant.

Cette situation reflète ce que nous constatons en Saskatchewan et ce que les membres du conseil voient à l’échelle nationale. Je peux ajouter de notre perspective en tant qu’organismes de surveillance du système de protection de l’enfance que, malgré les meilleures intentions des fournisseurs de soins et des personnes qui travaillent au sein de ces systèmes, ce manque de préparation résulte souvent de la grande instabilité à laquelle les jeunes sont confrontés lorsqu’ils grandissent dans des foyers d’accueil.

Les enfants et les jeunes voient souvent des rotations des intervenants, ce qui se répercute sur la communication et la planification concernant leurs besoins. Les jeunes doivent aussi souvent se déplacer pendant une prise en charge, et les jeunes qui grandissent dans des foyers de groupe font face à l’instabilité supplémentaire des multiples fournisseurs de soins rémunérés qui entrent dans le foyer et en sortent et au roulement continu du personnel dans ce domaine.

Même si cette étude porte sur la fin de la prise en charge des jeunes en foyer d’accueil, d’autres formes de prise en charge sont de plus en plus utilisées, comme la prise en charge par la famille élargie et les foyers de groupe, et devraient donc être prises en considération.

À l’échelle nationale, ce que nous savons d’après notre défense des intérêts et notre travail systémique et ce que nous entendons dire directement par les jeunes qui font la transition vers la vie adulte reflète ce que d’autres témoins ont déjà souligné, à savoir que la transition doit se faire plus tôt, être plus longue et permettre une flexibilité accrue.

Même si un grand nombre de provinces et de territoires disposent de politiques adéquates pour faire la transition vers la fin de la prise en charge, en réalité, la pratique ne répond pas toujours aux exigences des politiques. Partout au Canada, les systèmes sont éprouvés par le recrutement et la rétention d’employés d’expérience dans les systèmes de protection de l’enfance, surtout dans les collectivités rurales, nordiques et éloignées.

Même si nous entendons souvent dire que le roulement et les congés fréquents du personnel entraînent un épuisement professionnel, ce qui nuit à la capacité du système de répondre aux normes stratégiques ou de garantir des évaluations de qualité des besoins d’un jeune, le manque de ressources entraîne des charges de travail élevées, ce qui met en péril le temps dont disposent les intervenants pour fournir du soutien et des conseils aux jeunes qui approchent de l’indépendance. Les charges de travail doivent être conservées à un niveau gérable de sorte que la consultation des jeunes et l’établissement d’une relation puissent se faire à tous les niveaux et toutes les étapes du processus des services d’aide à l’enfance.

Les normes de communication sont également une question clé, surtout pour ce qui est des jeunes qui cessent d’être pris en charge. En Saskatchewan au moins, il n’y a pas de normes de communication requises pour les jeunes qui reçoivent des services de soutien élargis.

Bien que les services de protection de l’enfance relèvent de la compétence provinciale, le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour relever les défis auxquels les jeunes qui sortent de la prise en charge du gouvernement font face.

Le Canada est un État partie à la Convention des Nations unies relatives aux droits de l’enfant. Lorsqu’il ratifie la Convention, le Canada est légalement lié à celle-ci dans le cadre du droit international et, par conséquent, il est responsable de sa mise en œuvre devant la communauté internationale.

Lorsque le Canada a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant, il l’a fait avec l’accord de toutes les provinces. Par conséquent, tous les ordres de gouvernement au Canada ont une obligation légale et morale partagée de protéger, de respecter et d’instaurer les droits des enfants tels qu’ils sont codifiés dans la Convention.

Le préambule de la Convention indique qu’elle a été élaborée en « considérant qu’il importe de préparer pleinement l’enfant à avoir une vie individuelle dans la société... »

Le gouvernement fédéral a la responsabilité de faire tout son possible pour collaborer avec d’autres ordres de gouvernement pour s’assurer que ses obligations à l’endroit des enfants en vertu de la Convention sont respectées. Cela comprend la mise en œuvre des observations de clôture du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, qui prévoit l’élaboration de certains des mécanismes de changement déjà recommandés par d’autres témoins de l’étude.

Les jeunes pris en charge maintiennent leurs droits à un niveau de vie suffisant, à un accès égal à l’éducation supérieure, au meilleur état de santé qu’ils sont capables d’atteindre et ainsi de suite jusqu’à leur dix-huitième anniversaire, en vertu d’autres traités internationaux et de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui garantit la prise de mesures spéciales à l’endroit des jeunes Autochtones à cet égard.

D’autres témoins au comité ont exprimé que des normes nationales pour la transition vers la fin de la prise en charge sont nécessaires. Il est important de nous assurer que tous les jeunes ont accès au même niveau de service peu importe l’endroit où ils vivent au Canada, tout en respectant les limites juridictionnelles. Mais pour que l’on respecte les normes supplémentaires, les systèmes responsables doivent disposer de ressources humaines suffisantes pour faire ce travail important.

En gardant cela à l’esprit, nous recommandons au comité d’élargir la portée de l’étude afin d’inclure les jeunes qui sortent de tout type de prise en charge par le gouvernement.

Nous suggérons que le gouvernement fédéral collabore avec les gouvernements provinciaux et territoriaux afin d’augmenter la capacité en matière de ressources humaines et de garantir une main-d’œuvre qualifiée et soutenue adéquatement au sein des systèmes de protection de l’enfance. Il pourrait s’agir par exemple d’un accord de financement ciblé partagé pour les ressources humaines et la formation, à l’instar de ce qui est prévu dans les accords bilatéraux pour améliorer les services de soins de santé.

Nous suggérons également que le gouvernement fédéral mette en œuvre les recommandations de longue date du Comité des droits de l’enfant des Nations unies pour la collecte de données désagrégées afin de permettre une surveillance exhaustive des droits des enfants et d’établir un mécanisme indépendant à l’échelle fédérale pour la surveillance des droits des enfants, comme un commissaire national aux enfants et à la jeunesse.

Enfin, nous recommandons l’adoption d’une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes qui fournit une cible‑cadre pour tous les ordres de gouvernement, tout en permettant aux provinces et aux territoires d’adopter, en conséquence, leurs propres plans et stratégies particuliers.

Je tiens à vous remercier encore une fois de m’avoir permis de présenter mon exposé. Nous sommes reconnaissantes d’être ici aujourd’hui et sommes ouvertes à répondre à vos questions. Je vous remercie.

La vice-présidente : Merci, madame Broda.

Annette King, défenseure de l’enfance et de la jeunesse et vice-présidente, Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes, Bureau du défenseur de l’enfance et de la jeunesse du Yukon : Merci de me recevoir également. Je m’appelle Annette King et je suis défenseure des enfants et des jeunes pour le Yukon.

Dans le contexte du Yukon, il y a 14 Premières Nations; 11 d’entre elles sont autonomes, ce qui représente un contexte unique pour ce qui est de la manière dont le gouvernement territorial travaille avec les gouvernements des Premières Nations et également du rôle du gouvernement fédéral. Whitehorse est la ville principale, qui se trouve sur le territoire traditionnel de la Première Nation Kwanlin Dün et du Conseil des Ta’an Kwäch’än.

Notre loi a été adoptée en 2009 et découlait directement de la Child and Family Services Act, en tant que recommandation formulée dans cette loi entrée en vigueur en 2008. Par conséquent, nous savons que nous existons comme organisation pour relever les défis et réagir aux vulnérabilités des enfants qui se trouvent principalement dans le système de protection de l’enfance.

Nous sommes très reconnaissantes d’avoir l’occasion de discuter et d’entendre parler de pratiques positives dans les provinces et les territoires et du rôle approprié pour le gouvernement fédéral.

En tant que vice-présidente du Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes, je ne suis pas ici pour représenter toutes les administrations, mais j’en suis à ma dixième année à cette table, alors je peux vous dire que c’est un sujet important depuis les 10 années que je le connais. Il y a beaucoup de points communs entre les provinces et les territoires, qui ont des situations uniques, en particulier des lois et des législations différentes.

Au Yukon, les enfants peuvent être pris en charge jusqu’à 19 ans, et dans les plus récentes révisions de la Child and Family Services Act, ils peuvent maintenant bénéficier de mesures de soutien après la prise en charge jusqu’à 26 ans.

À l’échelle locale, nous avons tenu compte de cette question à l’aide de notre travail individuel quotidien ainsi que de nos activités de défense individuelles auprès d’enfants et de jeunes en particulier et en nous assurant qu’ils sont représentés auprès des décideurs. Nous avons également réagi à la question de manière systématique. Dans la sphère publique, nous avons publié une vidéo sur la fin de la prise en charge qui a été conçue par un jeune pris en charge qui est sorti d’un foyer d’accueil. Nous avons ensuite publié un rapport intitulé Empty Spaces — Caring Connections, qui examinait tous les problèmes différents dans le système de protection de l’enfance. Nos recommandations découlent principalement de ce rapport.

Nous avons aussi été fortement influencés par la Commission de vérité et réconciliation ainsi que les appels à l’action concernant les femmes, les filles et les personnes bispirituelles plus autochtones disparues et assassinées et aussi par une stratégie locale pour les appels à la justice dans ce domaine.

De plus, il existe au Yukon une stratégie territoriale pour les jeunes, où les jeunes peuvent s’exprimer haut et fort pour influencer les priorités gouvernementales, et tous les ordres de gouvernement — les Premières Nations, les municipalités, les trois partis territoriaux et le gouvernement fédéral — ont adhéré à cette stratégie. Nous recevons beaucoup de conseils de nos jeunes.

Au Yukon, nous avons observé de nombreux changements, et cela tient particulièrement au fait que la loi a changé ou qu’elle a été modifiée, et qu’elle essaie vraiment d’intégrer les principes qui étaient enchâssés dans le projet de loi C-92. La manière dont c’est intégré est un peu différente au Yukon, mais il s’agit de s’assurer que les gouvernements des Premières Nations ont ce partenariat.

Mais peu importent les changements apportés à la loi et aux politiques, c’est la pratique qui compte. Il y a des lacunes continues dans la pratique et le besoin d’assurer une surveillance continue.

Comme Mme Broda l’a affirmé, ces lacunes ont été exacerbées par un roulement élevé dans tous les niveaux du système de protection de l’enfance de la première ligne jusqu’aux dirigeants. Nous ne voyons pas de norme constante dans la prise en charge des enfants dans tous les domaines; il y a beaucoup d’épuisement professionnel, beaucoup de travailleurs qui partent, beaucoup de gens qui quittent le territoire et qui viennent d’administrations différentes et ne connaissent pas notre contexte territorial. Nous devons constamment composer avec ces situations et nous assurer que les enfants bénéficient de la norme continue de prise en charge qui est vraiment liée à l’article 25 de la Convention relative aux droits de l’enfant et nous assurer que l’on tient compte de ce droit de faire examiner la prise en charge.

Nous avons été témoins de quelques initiatives et solutions de rechange créatives qui étaient bien intentionnées et étaient axées sur la réconciliation. Elles sont parfois bonnes. J’aimerais parler de nombreux exemples, mais je pense qu’on cherche à ne pas avoir d’enfants pris en charge ou à essayer d’aider les enfants à quitter la prise en charge plus tôt possible pour qu’ils se retrouvent dans une situation familiale ou de les inclure dans un accord jeunesse et de créer l’indépendance encore plus tôt. Cela a parfois des conséquences imprévues qui créent des problèmes différents. Je pense donc que, dès que des décisions sont prises, nous recommandons en fait une analyse des solutions qui tienne vraiment compte des droits des enfants. Nous ne voulons pas simplement régler un problème et, en même temps, en créer un autre.

Une partie du problème tient à la façon dont les enfants sont placés en premier lieu. Pendant longtemps, les membres d’une même fratrie étaient séparés, les enfants étant déplacés hors de communautés, sans cette connexion culturelle, et la façon dont les enfants sont placés en premier lieu est importante pour la façon dont ils peuvent sortir de la prise en charge avec ces liens culturels, ces ancrages dans les communautés et les plans culturels.

Il est aussi très important que les jeunes prennent part à la planification des cas et aux mesures de soutien dès le début. Cette façon de faire a connu un certain succès dans notre travail de défense individuel.

Le soutien des enfants âgés de 16 à 19 ans dans notre système est aussi très important, parce que ces enfants ne veulent plus être pris en charge. Le soutien et la capacité de développement requise à ce moment-là sont très importants.

La planification de la garde permanente était autrefois un terme utilisé…

La vice-présidente : Excusez-moi, madame King. J’ai autorisé l’intervenante précédente à dépasser les six minutes, et maintenant vous avez dépassé la marque des six minutes. Je déteste vous interrompre, mais je pense que, dans la période de questions et de réponses, vous pourrez nous fournir les autres renseignements que vous avez.

Mme King : J’ai tout terminé sauf pour quelques recommandations.

La vice-présidente : D’accord. Dans ce cas, entendons vos recommandations. Merci.

Mme King : Comme je l’ai déjà dit, on doit renforcer l’optique des droits de l’enfant, y compris la participation des jeunes à toutes les décisions. On doit poursuivre la surveillance. Examiner les questions qui chevauchent les sphères de compétence pour les enfants et les jeunes qui sortent de la prise en charge. Il y a beaucoup de migration interprovinciale, surtout pour les enfants du Yukon. Un commissaire national aux enfants et aux jeunes s’impose. Nous voyons cette lacune, et il n’y a personne qui s’occupe d’enjeux fédéraux.

Dites-nous si vous aimeriez présenter un exposé à une réunion du Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes ou que vous aimeriez communiquer davantage avec le reste de nos défenseurs, et Mme Broda et moi pourrons discuter de ce à quoi cela pourrait ressembler.

La vice-présidente : Merci à vous deux de vos exposés.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous aurez cinq minutes pour votre question, et cela comprend la réponse. Nous avons une liste d’intervenants ici, et si vous voulez être mis sur la liste et ne l’êtes pas, veuillez nous le faire savoir.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à nos deux témoins. Nos témoins précédents ont expliqué ici qu’il serait beaucoup plus pertinent pour les jeunes qui quittent le système de protection de l’enfance de bénéficier d’une approche personnalisée basée sur leurs besoins, et non sur leur âge. Êtes‑vous d’accord avec cette proposition?

[Traduction]

Mme Broda : Je pense que nous serions tous d’accord pour dire que ce qui est très important ici lorsque les jeunes sortent de la prise en charge, c’est qu’ils aient la possibilité d’effectuer une planification appropriée, et celle-ci doit tenir compte de tous leurs besoins et de toutes leurs vulnérabilités. Je pense que nous avons tous convenu à l’échelle nationale qu’il n’y a pas un plan unique qui va fonctionner pour tous les jeunes. En fait, je pense que j’ai dit plus tôt dans ma déclaration que les jeunes nous diront : « Il y a un mois, j’étais un enfant, et j’ai maintenant 18 ans et je suis censé aller faire toutes ces choses, et je ne suis peut-être pas prêt. Je ne serai peut-être pas prêt à 21 ans. » Comment pouvons-nous nous assurer que toute planification qui se fait pour ces jeunes va reconnaître leurs vulnérabilités ainsi que leurs besoins, s’il n’y a pas un plan unique. Je pense que c’est une question importante à poser.

Mme King : Je dirais par rapport aux droits des enfants que l’article 2 est le principe général de non-discrimination. Dès que nous formulons une politique fondée expressément sur l’âge, nous devons tenir compte du fait qu’elle peut être discriminatoire.

L’article 3 porte sur les pratiques exemplaires. Si vous regardez ce que signifie vraiment le terme « pratiques exemplaires », il s’agit de tenir compte de tous les facteurs qui pourraient avoir des répercussions individuelles sur un enfant.

L’article 12 concerne la participation des jeunes. Si vous cherchez à demander à l’enfant ce dont il a besoin à ce moment‑là et que vous formulez des hypothèses quant à la capacité d’un enfant sans intégrer son point de vue, cela nous cause souvent des problèmes.

Comme Mme Broda l’a dit, les jeunes nous disent ce dont ils ont besoin. J’avais un jeune de 23 ans et demi qui m’a dit : « Tu es mon parent depuis que j’ai deux ans, et maintenant qu’est-ce qui se passe? Tu as fini de t’occuper de moi? J’ai besoin d’aide. »

Lorsqu’ils ont le plus besoin d’aide, surtout dans les accords après la prise en charge, c’est souvent à ce moment-là qu’ils reçoivent le moins de ressources. Les ressources sont surtout en place pour les enfants qui réussissent.

[Français]

La sénatrice Gerba : Est-ce que c’est une recommandation que vous aimeriez faire dans le cadre d’éventuelles normes nationales que le gouvernement fédéral pourrait mettre en œuvre?

[Traduction]

Mme Broda : Les normes nationales sont importantes tant qu’elles tiennent compte des sphères de compétence, car nous avons tous des lois différentes. Elles sont toutes dictées par les provinces et les territoires. Je pense qu’il faudrait en tenir compte. L’une des recommandations que j’ai mentionnées plus tôt était d’avoir un certain type de collaboration avec les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux quant à la première mesure à prendre.

Deuxièmement, s’il y a un certain type d’accord, comme dans le cas des services de santé mentale et des services de santé de manière générale, le gouvernement fédéral a établi ces accords bilatéraux avec des conditions-cadres pour que les provinces puissent les exécuter. Avec des conditions, cela pourrait être un moyen de prévoir des normes véritablement utiles pour les provinces et les territoires et de fournir le soutien nécessaire dans le contexte de toutes les questions mises en lumière par ma collègue Mme King et moi.

Je ne sais pas, madame King, si vous voulez ajouter autre chose, ou madame Macomber.

Mme King : Allez-y, madame Macomber. Je n’ai rien d’autre à ajouter. Merci, madame Broda.

Marci Macomber, directrice des enquêtes systémiques, Bureau du défenseur des enfants et des jeunes de la Saskatchewan : J’ajouterais, pour revenir à la question précédente, que des administrations différentes au pays prévoient des âges différents pour la fin de la prise en charge, mais aussi pour la fin des services après la majorité. C’est assez révélateur, les âges arbitraires, et le fait qu’il n’y a pas de décision uniforme au pays quant au moment où l’enfance se termine ou au moment où le besoin de soutien se termine. Donc il serait très utile que l’on tienne compte de l’état de préparation plutôt que d’un âge arbitraire.

Comme l’a dit Mme Broda, dans des endroits comme la Saskatchewan, où vous cessez de bénéficier de soins à 18 ans et où vos services après l’âge de majorité — à moins que vous ne soyez admissible au soutien fédéral —, prennent généralement fin à 21 ans… s’il pouvait y avoir des normes supplémentaires ou du soutien à plus long terme… les travailleurs sociaux ont déjà du mal à respecter les normes en place et à maintenir les liens existants avec ces jeunes. Comme l’a dit Mme Broda, il serait donc très utile que le gouvernement fédéral participe d’une certaine manière à régler les problèmes auxquels les systèmes eux-mêmes se heurtent.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : J’ai quelques questions pour chaque témoin, alors je serai rapide.

Madame Broda, comment votre bureau fait-il participer les jeunes directement à l’élaboration de politiques ou aux rétroactions concernant les services de prise en charge des foyers d’accueil? Pouvez-vous nous donner quelques exemples où les perspectives des jeunes ont entraîné des changements importants?

Deuxièmement, la santé mentale étant un enjeu critique chez les jeunes en foyer d’accueil, comment votre bureau travaille-t-il avec les agences de santé pour s’assurer que les jeunes ont accès à des services de santé mentale adaptés à la culture et axés sur les traumatismes?

Mme Broda : Pour ce qui est de la première question, je suis désolée, sénateur Arnot, vous demandez comment nous accédons à la voix des jeunes?

Le sénateur Arnot : Dans l’élaboration de politiques. Comment recevez-vous les commentaires des jeunes concernant la prise en charge des foyers d’accueil et les lacunes cernées, et cetera? Pouvez-vous nous donner des exemples de changements positifs ou importants qui ont été apportés en réponse aux problèmes cernés?

Mme Broda : Nous avons à notre bureau un Conseil consultatif des jeunes, où nous sollicitons l’opinion des jeunes concernant les changements stratégiques qui comptent pour eux et à l’égard desquels nous voulons qu’ils s’expriment. Pour ce qui est de toutes les politiques qui ont une incidence sur eux, nous voulons que nos jeunes aient une voix. Depuis ma nomination et le début de mon mandat de défenseure, c’est quelque chose que nous faisons.

L’une des autres choses que nous faisons, c’est que, lorsque nous avons réalisé le rapport de l’état de la nation sur les services de santé mentale en Saskatchewan pour les jeunes, dans notre rapport intitulé Desperately Waiting, nous avons parlé à plus de 150 jeunes sur les près de 500 intervenants à qui nous nous sommes adressés pour ce rapport afin d’entendre la voix des jeunes concernant leur santé mentale et leurs besoins. Nous leur avons essentiellement demandé ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas et ce dont ils ont besoin. Ils nous ont parlé de toutes les lacunes qui, nous le savons, existent dans les services de santé mentale.

Nous surveillons aussi de près ce qui se passe aux Nations unies concernant le Comité des droits de l’enfant. À cet échelon, lorsqu’on nous demande de réagir à quelque chose le jour de la discussion générale, nous demandons aux jeunes de nous faire part de leurs commentaires. Ce n’était pas juste notre province. L’Alberta a participé, ainsi que des jeunes de la Nouvelle-Écosse, alors des jeunes représentants de l’Est et de l’Ouest ont raconté aux Nations unies à quoi ressemble la prise en charge des jeunes et la transition à la fin de la prise en charge.

Ce sont certains exemples de ce que nous faisons.

Le sénateur Arnot : Avez-vous des commentaires sur les problèmes de santé mentale des enfants placés en famille d’accueil et sur l’approche adaptée à la culture? Je pense au pourcentage élevé de jeunes Autochtones dans le système de protection de l’enfance de la Saskatchewan et aux services de santé mentale tenant compte des traumatismes. Cela fait suite à ce que disait Mme Broda.

Mme Broda : Merci. Nous savons qu’à l’heure actuelle, 82 % des enfants et des jeunes pris en charge par les services de protection de l’enfance sont autochtones. Lorsque nous avons rédigé notre rapport sur le suicide chez les jeunes et que nous sommes allés dans le Nord pour recueillir les points de vue des jeunes Autochtones sur le suicide et sur leurs besoins, nous avons certainement assuré la présence d’aînés dans les écoles et mis en place une planification adaptée à la culture en matière de santé mentale, un soutien culturel et davantage de mesures de soutien pour les jeunes du Nord, des régions éloignées et rurales, afin de les aider.

Pour tous les enfants et les jeunes, surtout depuis la COVID et ses répercussions, nous constatons que les services posent toujours problème. Nous constatons des progrès par rapport à certaines des recommandations de notre rapport intitulé Desperately Waiting, notamment en ce qui concerne une stratégie pour les enfants en Saskatchewan, mais aussi d’autres mesures prises pour essayer de répondre à ces recommandations en offrant des services dans les écoles. Le modèle de renforcement des capacités en santé mentale, qui a été mis à l’essai et qui est maintenant étendu à d’autres écoles en est un exemple. Ça en fait partie.

Compte tenu des vulnérabilités des enfants, il est important de mettre en place des pratiques tenant compte des traumatismes, des services adaptés à la culture et des services destinés aux jeunes en général, ainsi que diverses modalités, car les enfants ne souhaitent pas tous bénéficier des services de la même manière.

L’une des plus grandes difficultés que nous avons constatées dans le cadre de ce travail ici dans cette province — et nous en avons parlé avec tous mes homologues à l’échelle nationale —, c’est que lorsqu’un enfant passe de 17 à 18 ans, la transition des services de santé mentale pour les jeunes aux services pour adulte constitue un obstacle important, et le jeune doit raconter son histoire encore et encore à d’autres professionnels de la santé mentale. C’est là un problème important pour les jeunes et leur transition. Cela a également des répercussions sur les jeunes en transition en général, car nous savons que c’est un obstacle auquel ils sont confrontés.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins.

Jeudi dernier, j’ai assisté à un cours à Carleton. C’était un cours pour les jeunes qui essayaient d’entrer à l’université, une classe de transition. J’ai été frappée par le nombre de jeunes qui avaient été pris en charge et qui se trouvaient là. La toute première question qu’on m’a posée était : que pourrait faire le Sénat pour les jeunes qui quittent les foyers d’accueil? Un jeune homme a raconté qu’un travailleur social lui avait donné un sac poubelle en plastique contenant tous ses effets personnels et qu’il lui avait souhaité bonne chance lorsqu’il a atteint l’âge de la majorité. Il a parlé des défis très réels que cela a créés, pas seulement pour lui. Le nombre de jeunes qui hochaient la tête dans la classe m’a frappée. C’était une situation bien trop familière.

Nous savons que pendant la pandémie, de nombreuses administrations ont imposé un moratoire sur la fin de la prise en charge. Je suis curieuse de savoir ce que chacun d’entre vous, dans vos administrations respectives, a appris de cela et quelles seraient vos recommandations au comité.

C’est formidable d’avoir un commissaire à l’enfance et la Convention relative aux droits de l’enfant, mais quand on a d’innombrables exemples comme celui du jeune homme la semaine dernière, que recommanderiez-vous que nous mettions en place pour utiliser le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral ou les options de réglementation dont nous disposons?

Ma question s’adresse à chacun d’entre vous.

Mme King : Tout d’abord, en ce qui concerne le moratoire sur la vie après le foyer d’accueil, c’était très important. Même en parlant simplement de cas individuels, je peux penser à quelques jeunes qui ont pu respirer un instant. Nous étions tous très reconnaissants que cela ait été mis en place pour eux, y compris les travailleurs de première ligne. Je ne veux pas diaboliser les gens qui essaient de faire ce travail et qui restent en poste. Ils étaient très heureux de pouvoir continuer à assurer les soins dont ils savaient que ces jeunes avaient besoin. J’espère qu’il y aura davantage de possibilités individuelles à cet égard.

C’est toujours intéressant lorsque le gouvernement dit non à quelque chose. Nous savons qu’il y a un remboursement fédéral de toute façon. Je ne comprends pas très bien comment cela devient un problème d’argent. Parfois, je ne sais pas où sont prises ces décisions, quand on dit « C’est notre politique, et nous nous y tenons. Non, non, non, nous ne ferons pas ça. » Je pense qu’il faut soutenir les valeurs, considérer les jeunes individuellement et les laisser exprimer leurs besoins.

Les sacs poubelles sont une horreur, et cela continue. Des bénévoles sont venus me voir et ont demandé à des organismes communautaires s’ils pouvaient acheter des sacs de sport pour les enfants quittant les foyers d’accueil. Il doit y avoir une meilleure solution. Rien ne s’oppose à ce que l’on intègre dans un budget une aide significative destinée aux enfants qui sortent du système.

Et pourrait-on ne pas le faire le jour de leur 19e anniversaire? Pourquoi faut-il que ce soit à l’anniversaire? « Hé, voilà ton gâteau. On se voit plus... jamais. » C’est la réalité des jeunes. Carrie Davis raconte son histoire, de manière très détaillée, dans la vidéo intitulée Ageing Out. Nous pouvons faire beaucoup mieux.

Au Yukon, notre commissaire à la divulgation de renseignements personnels dans l’intérêt public, en ce qui concerne les actes répréhensibles, a examiné la façon dont certains enfants quittaient les foyers d’accueil. Et les résultats montrent la même chose.

Je vais m’arrêter là, à moins que vous ne souhaitiez savoir autre chose précisément, de notre point de vue.

Mme Broda : Je vais aussi faire un commentaire. Je suis dans un bureau tout en verre et je reçois maintenant la lumière vive que le technicien m’a justement dit d’éviter.

Je reviendrai sur les observations finales et sur les droits des enfants, car si le Canada respecte ces obligations, il sera plus efficace pour aider les provinces et les territoires à apporter les mesures de soutien nécessaire dans chaque administration pour aider à changer la situation des jeunes qui se font remettre des sacs poubelles. Je suis d’accord avec ma collègue — et je sais que nous serions tous d’accord dans tout le pays — pour dire qu’il s’agit de la pire forme de traitement indigne que nous puissions infliger aux jeunes en transition.

Les droits des jeunes sont importants ici parce que nous avons ratifié ces droits, et nous le savons tous ici à la table. Je crois aussi que, d’un point de vue systémique, les systèmes doivent changer, s’adapter, cesser de réagir et soutenir; il faut repenser à quoi ressemblerait le système et le réimaginer afin qu’il soutienne les jeunes du début à la fin, pas seulement lorsqu’ils quittent le système. Encore une fois, je me fais l’écho de ce que Mme King a dit : nous ne voulons pas diaboliser les travailleurs qui font de leur mieux, mais ils sont confrontés à un système qui échoue. Nous le constatons à maintes reprises dans divers aspects de la protection de l’enfance, pas seulement lors de la transition vers la sortie du système. Aider les systèmes à changer et à fournir le niveau de ressources nécessaire pour aider ces jeunes permettra d’atténuer l’exemple du sac poubelle, qui est indigne en soi.

La vice-présidente : J’aimerais poser une question. Il s’agit en quelque sorte de faire le lien entre la fin de la prise en charge, cet anniversaire en particulier, et la santé mentale.

Je suis travailleuse sociale. L’un des premiers cas sur lesquels j’ai travaillé au cours de ma carrière, qui a débuté dans un établissement de santé mentale, était celui d’une jeune femme afro-néo-écossaise de 18 ans qui avait été prise en charge de 3 à 18 ans. Le jour de son 18e anniversaire, on lui a donné un sac poubelle et on lui a dit « joyeux anniversaire » et « tu dois quitter cette maison ». Elle est restée dans le même foyer pendant ces 15 ans, mais c’était un foyer dans lequel elle a subi toutes les formes de violence imaginables. En réaction à ce que l’intervenant lui disait — qu’elle devait maintenant quitter cette maison —, elle a tenté de se suicider. Elle a été admise dans l’établissement de santé mentale où je travaillais. Je ne travaillais pas avec elle. Il y avait très peu de personnes d’origine africaine qui travaillaient dans ce système. D’une manière ou d’une autre, je me suis retrouvée à travailler avec elle. C’était difficile parce qu’il n’y avait pas de soutien.

J’ai entendu chacune d’entre vous évoquer toute cette question de la santé mentale ce soir. J’ai été particulièrement touchée par le commentaire selon lequel les jeunes qui reçoivent du soutien sont ceux qui se portent bien. Ceux qui ne s’en sortent pas très bien ne sont pas susceptibles d’obtenir du soutien dans les systèmes actuels que nous avons partout au pays. Pouvez-vous nous dire comment, selon vous, l’établissement de normes nationales pourrait aider à prévenir ce genre de transition du type « au revoir, bonne chance » que nous avons vu au fil du temps?

Mme King : L’une des choses que je constate lorsque j’examine les politiques ou les lois relatives à la transition de différentes administrations, c’est qu’elles sont très générales et non normatives. Dans notre cas, il y aura une entente de soutien à la transition élaborée selon ces normes ou avec quelques éléments de base. Elles ne sont pas détaillées. Ensuite, ce sont les politiques qui apportent plus de détails. L’enfant, le jeune, doit-il prendre contact avec un travailleur au hasard pour accéder au service, ou quelqu’un fera-t-il de la sensibilisation pour l’informer de l’existence de ce service?

Les choses changent un peu ici au Yukon parce que les gens commencent à s’en rendre compte, mais en général, ces jeunes passent un peu inaperçus. Ils disent qu’ils savent qu’ils sont admissibles aux ententes, mais ils n’ont pas appelé. Les enfants qui ont le plus besoin ne vous appelleront pas nécessairement, car vous êtes ceux contre qui ils sont en colère et qui les ont tenus éloignés de leur famille pendant tout ce temps. La sensibilisation ferait partie des recommandations. Si nous examinions les normes, cela pourrait être lié à des normes nationales sur la façon d’interpréter la petite mesure législative qui concerne ces ententes de soutien transitoire.

Mme Macomber : J’ajouterais que, lors de sa journée de débat général sur les jeunes bénéficiant d’une protection de remplacement pour les Nations unies, le conseil a entendu dire que les jeunes voulaient un soutien de suivi plus approfondi et plus constant de la part des travailleurs sociaux après leur sortie de la prise en charge, pas seulement un soutien et des conseils approfondis pendant qu’ils se préparent à quitter les foyers d’accueil, mais plutôt un suivi régulier par la suite. Ils nous ont dit qu’ils ont parfois besoin de plus de soutien à l’âge adulte parce que tant de choses leur arrivent tellement vite, des choses auxquelles ils ne sont peut-être pas préparés.

Mme Broda l’a déjà mentionné, mais au moins en Saskatchewan, il n’existe pas de normes de contact pour les jeunes qui reçoivent des services de soutien post-majorité. Toutefois, les responsables voulaient que les services de soutien restent continuellement en contact avec eux, s’assurent qu’ils vont bien et voient s’ils ont besoin d’aide pour surmonter les défis de la vie adulte. Cela pourrait être une norme nationale.

La vice-présidente : Merci.

Le sénateur Arnot : Je vais rester avec la Saskatchewan. Madame Macomber, une partie de vos fonctions de directrice des enquêtes systémiques consiste à cerner les problèmes systémiques chez les enfants qui reçoivent certains services. D’après votre expérience, quels sont les problèmes systémiques courants que les services de protection de l’enfance constatent et qui affectent le bien-être à long terme des jeunes qui ne sont plus pris en charge?

Par ailleurs, lorsque vos enquêtes révèlent des lacunes dans les services ou des défaillances systémiques, quelles stratégies utilisez-vous pour encourager les organismes à mettre en œuvre les changements recommandés? Votre organisme a-t-il des difficultés à assurer le respect des recommandations formulées?

Mme Macomber : Merci, sénateur Arnot. Et bien sûr, madame Broda, vous pouvez intervenir si vous le souhaitez.

En ce qui concerne la question des problèmes systémiques qui affectent le bien-être à long terme des enfants et des jeunes pris en charge, je peux dire une chose — comme l’ont dit d’autres témoins tout au long de l’étude —, c’est le niveau d’attachement dont ils ont besoin. Pour que les jeunes puissent grandir, s’épanouir et réaliser leur plein potentiel, ce qui est un droit en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies, ils doivent ressentir une connexion et un sentiment d’appartenance, et ces relations doivent être établies. Mme Broda a parlé de l’instabilité importante qui est souvent inhérente au système de protection de l’enfance, qu’il s’agisse de multiples déménagements au sein des placements, de fournisseurs de soins surchargés, même s’ils sont bien intentionnés, ou d’un roulement fréquent des travailleurs sociaux. Les gens nous ont dit qu’ils ne savent jamais qui est leur travailleur social, comment entrer en contact avec lui ou quel est le plan. Faire entendre leur point de vue tout au long du processus peut avoir une incidence sur leur bien-être à mesure qu’ils progressent dans leur prise en charge et qu’ils quittent leur foyer d’accueil.

Pour ce qui est de la question de savoir quelles stratégies nous utilisons pour mettre en application nos recommandations, en Saskatchewan du moins, nous surveillons régulièrement les recommandations que nous faisons au gouvernement. Nous espérons qu’il nous informera s’il a accepté ces recommandations, s’il les a partiellement acceptées ou s’il les a refusées. En général, il accepte toujours, car notre but à tous est de faire progresser le bien-être des enfants et des jeunes. Donc, nous surveillons régulièrement ces recommandations et demandons des rapports d’étape qui exposent la manière dont le gouvernement met en application les recommandations. Si, pour une raison quelconque, il y a un retard ou si aucun progrès n’est fait, notre loi nous permet d’en faire rapport. C’est donc un outil utile.

Madame Broda, est-ce que vous vouliez ajouter quelque chose?

Mme Broda : Non. Vous avez tout dit.

Le problème systémique le plus fréquent que nous observons d’un bout à l’autre du pays, avec les défenseurs, les représentants et les protecteurs des enfants, c’est le problème lié à la pratique, en particulier. Mme King a souligné plus tôt qu’elle a été assise à notre table et au Yukon pendant ces 10 dernières années. Il en va de même pour moi. Effectivement, les jeunes qui cessent d’être pris en charge est un problème de longue date qui persiste. De plus, malgré les bonnes politiques et le travail excellent que les gens accomplissent sur le terrain, les problèmes liés à la pratique continuent de faire obstacle à l’amélioration de la situation des jeunes qui sortent de la prise en charge.

Nous nous efforçons de soutenir les ministères au moyen de recommandations et d’observations que nous abordons avec eux. Comme vous le savez, nous allons adopter une approche non contradictoire. Cependant, par moments, il se peut que nous abordions certaines choses avec le public, car ce sont des choses qui doivent être rendues publiques afin que nous puissions trouver le meilleur moyen de résoudre les problèmes, et d’informer le public de ce qui se passe avec nos jeunes.

C’est tout ce que je vais ajouter pour l’instant. Certes, nos recommandations connaissent beaucoup de succès, mais parfois, nous sommes également confrontés à des obstacles à ce chapitre.

Le sénateur Arnot : Madame King, vous êtes une défenseure qui a de solides racines au Yukon. Quels sont les défis uniques que les jeunes Autochtones qui cessent d’être pris en charge rencontrent dans les zones du Nord et rurales? Quels obstacles uniques rencontrent-ils?

Mme King : Le défi le plus important, ce sont les conséquences intergénérationnelles des pensionnats. Les familles ont souvent l’impression que leur enfant a quitté le pays, quand il est pris en charge. Les travailleurs à domicile ou les parents de familles d’accueil ont même dit qu’ils allaient accueillir cette famille, mais ce n’est pas comme cela que les choses fonctionnent. Lorsqu’elles ont lieu, les transitions vers les communautés peuvent être très compliquées, car la perception du fossé est plus grande que l’écart physique lui-même. Par la suite, le préjudice culturel qui découle de la prise en charge ajoute une couche supplémentaire aux problèmes de santé mentale. Mais ces problèmes de santé mentale sont vécus par des générations.

L’article 39 de la CNURDE arrive vers la fin, mais c’est sûrement l’article le plus important de ma carrière. L’article veille à ce que les enfants et les jeunes qui ont subi un préjudice aient l’occasion de se remettre et de guérir. Pour qu’un enfant sorte de la prise en charge d’une façon qui soit culturellement appropriée, il faut que l’objectif de la guérison soit fortement placé sur l’individu qui fait partie d’une communauté.

La sénatrice Pate : Merci à toutes les deux.

J’aimerais connaître les meilleures pratiques que vous avez vues dans diverses administrations, non seulement au Canada, mais également à l’échelle mondiale. Je sais que dans certaines administrations, au Canada et également à l’échelle mondiale, cherchent à fournir des ressources aux familles ou aux communautés. Donc, quand il y a un problème dans une famille, il s’agit de retirer les personnes qui posent problème, qu’il s’agisse des parents ou de quelqu’un d’autre, et de fournir le soutien nécessaire. Je sais que le Pays de Galles a mis en place une initiative de revenu de base pour les jeunes qui sortent de la prise en charge. Certaines administrations, ici, en ont discuté. Quelles approches avez-vous vues, et que pouvez-vous recommander comme meilleures pratiques ou quelles idées prometteuses, si elles n’ont pas encore été mises en application, pouvez-vous recommander?

Mme Macomber : Pour ce qui est des pratiques exemplaires, en Saskatchewan, nous disposons de certaines ressources utiles. Nous avons la Saskatchewan First Nations Family and Community Institute, une organisation à but non lucratif, qui reçoit un financement du ministère en vue de soutenir les agences et les travailleurs de la protection de l’enfance. Cet organisme dispose d’un certain nombre de ressources utiles pouvant favoriser la transition à divers égards, comme l’éducation, le transport, les droits et la loi, et la façon dont ces éléments affectent les jeunes. Ces listes de contrôle qu’il utilise incluent des dialogues en profondeur avec les jeunes, pour qu’il puisse s’assurer que ces dialogues ont lieu, et également veiller à ce que les jeunes comprennent le processus dans lequel on les guide. Le souci, c’est que les agents chargés du traitement de cas n’ont pas toujours le temps de le faire et de le mettre en application. Donc, bien que cet organisme soit une ressource utile là-bas, les agents chargés du traitement de cas sont toujours surchargés avec d’autres problèmes, et c’est la raison pour laquelle il y a toujours des jeunes qui nous disent qu’ils ne se sentent pas assez bien préparés. Voilà une chose.

La deuxième chose, et nous n’avons pas eu le temps de nous pencher là-dessus, mais, pour ce qui est des choses prometteuses... certains aspects de l’approche écossaise sont intéressants. Les Écossais mettent l’accent sur le fait de nourrir, chez les jeunes qui sortent de la prise en charge, un sentiment de connexion et d’appartenance en leur fournissant un soutien communautaire avant qu’ils soient relâchés. Ils mettent également l’accent sur des évaluations fondées sur les besoins et essaient de faire en sorte que les jeunes restent dans leurs lieux de placement, si ces lieux sont évidemment favorables. Cela dit, quelqu’un a décrit une situation aujourd’hui, qui montre que les placements ne sont pas toujours favorables, quelle que soit leur stabilité, et c’est quelque chose qui doit être pris en considération. Ils disposent également de lois et de politiques encadrant le rôle de parent collectif. Ces lois et politiques confient à un certain nombre de travailleurs chargés du traitement de cas, mais aussi aux agences, la responsabilité de travailler de concert pour soutenir les besoins holistiques des jeunes. Donc, même si nous ne pouvons pas vraiment nécessairement recommander cette approche, car je n’ai pas pu me pencher dessus, c’est quand même une approche qui semble prometteuse.

Mme King : À mes yeux, l’approche la plus importante serait le modèle axé sur la surveillance de la famille, lequel est mis en application quelque part au Canada, à certains moments. Il s’agit d’un modèle dans lequel le parent est pris en charge avec l’enfant, ou on aide énormément au maintien de la sécurité de cette relation, et on mise sur cette capacité. Ce modèle présente certaines failles, mais je pense que c’est le fondement de ce que je considère comme la meilleure pratique, dans la mesure où l’enfant maintient une connexion, des liens, et sa culture. La deuxième étape consiste à travailler sur la planification de la permanence dans le contexte, au lieu de retirer l’enfant et de le renvoyer par la suite dans sa communauté, de laquelle il aurait dû faire partie depuis le début.

Les Premières Nations du Yukon reçoivent un certain financement du gouvernement fédéral afin d’appuyer la préservation de l’intégrité familiale. Ce financement fait une grande différence au chapitre de la prévention, dans la mesure où, pour combler et répondre à leurs besoins immédiats, les familles ont besoin de remplir moins de paperasse. Le principe de Jordan a également apporté d’importantes modifications et a fourni un soutien à de nombreuses familles dans le Nord.

Je vais m’arrêter là. Je pourrais vous citer de nombreuses pratiques exemplaires, mais je pense que c’est là que je vais m’arrêter.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins pour leurs contributions. Je vais poser ma question à Mme Broda. Vous avez à plusieurs reprises dans votre présentation souligné l’importance de définir des initiatives communes et des plans concertés avec les provinces et les territoires. Pourriez-vous nous expliquer quelle forme devraient prendre cette concertation et cette collaboration entre le fédéral, les provinces et les territoires?

[Traduction]

Mme Broda : Si j’ai bien compris votre question, lorsque vous mentionnez les initiatives communes, en ce qui a trait à cette question en particulier — et aux autres fois où nous avons tenu une réunion d’urgence concernant l’aide sociale à l’enfance, comme ce qui s’est passé en 2018, lorsque le gouvernement fédéral a fait venir tous les représentants des provinces et territoires pour une session collaborative axée sur le bien-être des enfants, des problèmes que nous observions et des mesures à prendre. Il était surtout question de prévention, et de normes d’intervention entre autres — de notre point de vue, évidemment, en matière de collaboration —, nous avons discuté du fait de se servir du projet de loi créant la stratégie nationale pour les enfants de la sénatrice Moodie comme projet de loi-cadre. Ce projet de loi assure la collaboration avec les gouvernements au sujet d’une stratégie pour les enfants, s’il est adopté.

Dans ce cas, si le comité souhaite savoir comment résoudre le problème des jeunes qui cessent d’être pris en charge, il est important d’adopter ce même genre d’approche collaborative, car, comme je l’ai mentionné plus tôt, les provinces et les territoires ont des lois qui diffèrent énormément. Les pratiques, les conditions, et les normes communes qui découleraient de ce genre de collaboration aboutiraient à une espèce d’accord. Et effectivement, un soutien du gouvernement aux provinces et territoires serait bénéfique. Le processus initial comprendrait à coup sûr tous les organismes responsables de mettre sur pied ces systèmes, mais aussi les organismes les plus à même de parler des problèmes.

Mme King a parlé du rapatriement des jeunes une fois qu’ils ne sont plus en âge d’être pris en charge et qu’ils partent vers le Sud, parce qu’en fin de compte, c’est ce qui va leur arriver. Dans le même ordre d’idées, les transferts des jeunes entre les administrations représentent un problème de taille que nous voyons, surtout lorsqu’un jeune quitte sa communauté et province natale pour aller dans une autre province, puis il fait la transition dans une province différente quand il n’est plus pris en charge. C’est le genre de choses dont nous devrions parler à l’échelle nationale, provinciale et territoriale, car nous observons de gros problèmes juste à cet égard lorsqu’on fait aller et venir des enfants, qu’on les bouge d’une province à l’autre et qu’il n’y a pas de suivi. Cela pourrait être un exemple de norme, une façon de définir un problème commun, qui pourrait aboutir à une meilleure solution commune pour les jeunes dans cette situation.

Je ne suis pas certaine de répondre exactement à votre question.

De toute évidence, ce serait génial si le comité du Sénat souhaitait discuter réellement avec notre conseil, en raison de notre autorité au chapitre des compétences, de notre capacité de voir ce qui se passe sur le terrain, et parce qu’il y aurait plus de temps à y consacrer. Entendre l’avis de chaque défenseur des droits, représentant, et protecteur des enfants serait bénéfique, si c’est ce que le comité du Sénat souhaite faire. Nous pourrions organiser une réunion pour en discuter plus en profondeur.

Le sénateur K. Wells : Je voulais revenir sur la question liée à la recommandation touchant les données ventilées. Auriez‑vous une idée du nombre de jeunes dans vos territoires qui s’identifient comme membres de la communauté 2ELGBTQIA+, et savez-vous si des recommandations ou des stratégies spécifiques sont nécessaires pour soutenir ces jeunes lorsqu’ils sortent de la prise en charge afin qu’ils puissent créer des liens avec les communautés ou trouver du soutien? La question s’adresse à toutes les deux.

Mme Macomber : Je ne pense pas que ces données ont été spécifiquement quantifiées, en Saskatchewan. Je sais que bon nombre de témoins, que nous avons entendus dans le cadre de l’étude, ont dit qu’il n’y avait pas un tel niveau de collecte de données, du moins, pas à l’échelle nationale. Même à l’échelle provinciale, je ne suis pas sûre que ces données aient été recueillies en Saskatchewan. C’est peut-être le cas, mais je ne le pense pas.

Pour ce qui est des données ventilées, vous avez parlé de la question de savoir si une stratégie pour cerner les besoins des individus et des membres de la communauté 2ELGBTQIA+ était nécessaire; à mon avis, oui, effectivement, ce besoin existe. Si nous disposons de ces données, elles feraient ressortir ce besoin avec plus d’acuité. Les preuves qualitatives dont nous font part des jeunes qui ont une diversité sexuelle et de genre démontrent que leurs besoins, lorsqu’ils sont en quête d’autonomie, ne sont pas comblés. Leurs préoccupations quant à leurs besoins liés à la santé et à l’emploi, entre autres, sont multiples. Comme je l’ai mentionné, je ne pense pas que ces données soient recueillies à l’heure actuelle, mais il serait nécessaire de le faire.

Comme Mme Broda l’a mentionné plus tôt, l’une des recommandations du Comité des droits de l’enfant est que le Canada améliore ses efforts de collecte de données ventilées en matière d’âge, de genre, de handicap, d’emplacement géographique, d’ethnicité et d’origine nationale entre autres, pour que nous puissions cerner les besoins ainsi que les efforts nécessaires à y consacrer.

Mme King : Au Yukon, nous n’avons pas ces données.

Lors de l’examen récent de la Child and Family Services Act, j’ai fourni le rapport de l’Alberta sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre des enfants pris en charge, rapport que connaît bien le sénateur Wells, j’en suis certaine. J’ai dit qu’il était essentiel de tenir compte de ce rapport dans notre politique. Or on n’en tient pas très bien compte. Dans notre bureau, nous procédons à un examen systémique des politiques en matière d’OSIG dans le domaine de l’éducation, donc, je pourrais peut‑être fournir des recommandations pour la révision des politiques concernant les enfants pris en charge. Je n’en suis pas sûre.

Les données sont très faibles, mais nous avons les expériences. Dans notre rapport Empty Spaces, nous avons entendu parler de foyers de groupe qui étaient même séparés en fonction du genre, et l’indifférence était moins présente. Mais, pour ce qui est des expériences des jeunes en quête d’autonomie, je vais me pencher là-dessus pour voir si je trouve quoi que ce soit, et pour déterminer ce sur quoi nos recherches doivent réellement porter.

Le sénateur K. Wells : Merci.

La sénatrice Ross : Ma question porte sur l’intérêt que portent les différentes provinces à ce genre d’approche consolidée et je souhaite également savoir si, selon vous, les provinces d’un océan à l’autre souhaitent procéder à une sorte de survol fédéral de ces problèmes des jeunes qui ne sont plus pris en charge.

Mme Broda : Je ne sais pas si je peux répondre à cette question moi-même. Ce serait peut-être une bonne idée de la poser à tout le conseil, si nous étions ensemble avec le comité. En Saskatchewan, les politiques et les lois ont fait l’objet d’importantes modifications visant à reconnaître l’âge de protection, c’est-à-dire, jusqu’à 18 ans, et évidemment, l’âge de sortie de la prise en charge, c’est-à-dire, 21 ans — et c’est tout récent — et afin de mettre en place des mesures spéciales pour les enfants autochtones. Mais cette question n’a toujours pas reçu de réponse. Je ne peux pas parler au nom du reste des provinces et des territoires. Mme King peut parler au nom de son territoire. Mais nous accepterions évidemment de revenir à la table. De toute façon, en ce qui concerne l’intérêt du gouvernement, j’ignore si nous pouvons répondre à ces questions.

Évidemment, l’accord bilatéral ayant trait à la dépendance et à la santé mentale a été bien reçu, et donc, peut-être que les diverses administrations auraient un intérêt à venir à la table, surtout si un accord a été conclu afin d’obtenir l’appui général des provinces et des territoires pour que les organismes œuvrant pour la protection de l’enfance se penchent sur les problèmes que nous avons soulignés aujourd’hui et que j’ai abordés en particulier dans mon allocution. Je pense que le comité du Sénat pourrait également poser cette question aux agents provinciaux afin d’obtenir leur avis.

Mme King : Je ne peux pas non plus parler au nom des représentants du gouvernement. Étant une représentante du Yukon, je sais que mon expérience diffère de celle des représentants du gouvernement, et notre situation est unique. Cela signifie qu’une norme nationale ne serait pas nécessairement bien reçue, surtout si on tient compte des accords d’autogouvernance des Premières Nations.

Cela me mène donc à la question de savoir quelle est la position de l’Assemblée des Premières Nations sur ce problème. Est-ce qu’il existe un dialogue à l’échelle nationale concernant la vie des enfants qui cessent d’être pris en charge, autour des tables des Autochtones et des Premières Nations? Je serais curieuse de le savoir.

D’ailleurs, le groupe de travail fédéral-provincial-territorial des directeurs des services du bien-être à l’enfance est un groupe important. Il faut qu’il y ait davantage de collaboration interprovinciale et territoriale, en particulier pour ce qui concerne la migration interprovinciale, mais aussi les normes de fonctionnement de différentes approches. Je pense que c’est une discussion à laquelle il faudrait prendre part. D’ailleurs, Mme Broda et moi-même essayons de prendre part à l’une de leurs réunions.

Mme Broda : Je vais simplement ajouter qu’une collaboration territoriale, provinciale ou fédérale quelconque doit toujours tenir compte des obstacles liés aux sphères de compétence dont nous avons également parlé tout à l’heure.

La sénatrice Ross : Pour ce qui est de la portée d’une étude, comme celle sur laquelle le comité travaille, est-ce que vous diriez qu’il importe de trouver une approche à l’échelle nationale pour tenter de cerner les meilleures pratiques et de simplement les partager? Selon vous, quelle serait la meilleure portée pour une telle étude?

Mme Broda : Je pense que ce genre d’étude comporte des limites, étant donné que les services du bien-être à l’enfance sont de compétence provinciale et territoriale. Selon moi, le modèle des pratiques exemplaires est vraiment une solution. Je pense que votre question est bien posée et permet d’examiner cela.

Je ne voudrais pas dire que les systèmes ont besoin de soutien. Il y a des défis importants — je vais parler du cas de la Saskatchewan, mais je pense que nous sommes tous du même avis à l’échelle du pays — à l’heure actuelle en ce qui concerne les ressources des services de bien-être à l’enfance. Les systèmes qui tombent en panne ont besoin de soutien, et un certain soutien fédéral serait utile. De toute évidence, nous ne savons pas ce à quoi cela ressemblerait, mais manifestement nous avons des mandats provinciaux qui nous encadrent.

Ce genre d’étude risque de se compliquer au regard des recommandations du comité. Quelle que soit l’issue de votre étude, au bout du compte, il pourrait être difficile d’appliquer ce qui en découle sans l’adhésion et les efforts de collaboration entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires, et sans tenir compte, encore une fois, des diverses sphères de compétence.

J’apprécie le fait d’aborder cet enjeu, car il s’agit d’un problème de longue date qui persiste, au même titre que de nombreux problèmes que nous observons en ce qui concerne le bien-être à l’enfance. Les systèmes peuvent être corrigés. Nous pouvons les repenser. Nous pouvons les réimaginer, et nous devons réfléchir de cette façon, car dans certaines provinces, il y a de nombreux problèmes, pas juste celui-ci. Surtout dans la période postpandémique, la bataille s’annonce difficile.

Je pense, pour ce qui est des recommandations que nous faisons, vu que nous sommes à même de faire des recommandations en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, que même si ces recommandations sont acceptées, cela n’aura aucune importance si nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour régler ce problème. Cet écart dans le système existera toujours en dépit des solutions et des recommandations qui découleront des décisions du comité du Sénat à la lumière de tout ce que vous avez entendu aujourd’hui.

La vice-présidente : Merci. Nous allons devoir nous arrêter là. Nous sommes à court de temps. Je tiens à tous vous remercier de vos exposés et de vos réponses à nos questions. Merci de votre participation à cette étude importante. Votre aide est très appréciée.

Je vais à présent vous présenter notre deuxième série de témoins. Avec nous, à la table, veuillez accueillir Derek Montour, président de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. Nous accueillons aussi, par vidéoconférence, Jane Bates, représentante des enfants et des jeunes du Bureau du représentant de l’enfance et de la jeunesse du Nunavut. Je vais maintenant inviter M. Montour à faire son exposé, et ensuite ce sera au tour de Mme Bates.

Derek B. Montour, président, Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador : [Mots prononcés dans une langue autochtone]

Mon nom anglais est Derek Montour. Comme cela a été mentionné, je suis ici pour représenter la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador. Je suis également ici pour représenter la Kahnawà:keShakotiia’takehnhas Community Services. J’y occupe le rôle de directeur exécutif.

J’aimerais commencer par remercier le créateur de nous avoir donné cette occasion d’être ici aujourd’hui. Nous ne savons jamais quand notre temps sera fini et quand nous allons retourner dans le monde des cieux. Je tiens également à reconnaître que nous sommes sur les territoires non cédés du peuple algonquin anishinabe. Je les remercie de nous accueillir sur leur territoire.

Merci de nous accorder ce temps pour présenter un exposé aux membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Aujourd’hui, je vais vous parler des répercussions que les placements peuvent avoir sur les enfants des Premières Nations ainsi que des défis associés à la vie d’un enfant après qu’il a vécu dans une famille d’accueil. Je vais également présenter certains problèmes que nous rencontrons avec le gouvernement du Canada et celui du Québec en ce qui concerne la protection de la jeunesse.

Premièrement, la surreprésentation des enfants des Premières Nations dans le système de protection de la jeunesse. Les enfants issus des Premières Nations sont surreprésentés à toutes les étapes du processus d’intervention de la protection de la jeunesse, que l’on parle de rapports, d’évaluation, de placement et ainsi de suite. Selon le rapport First Nations/Quebec Incidence Study of Child Maltreatment and Serious Behavior Problems Investigated by Child Protection Services in 2019, les enfants issus des Premières Nations risquaient 4,3 fois plus que les enfants non autochtones d’être placés à l’extérieur de leur famille.

Deuxièmement, les répercussions du placement sur les enfants issus des Premières Nations. Les enfants issus des Premières Nations placés à l’extérieur de leur communauté subissent souvent des conséquences irréversibles. Ces placements causent la rupture de liens avec sa famille, la culture et la langue, ce qui pourrait représenter une rupture linguistique, culturelle et sociale désastreuse.

La plupart des jeunes qui ont été placés dans une famille d’accueil non autochtone sont retournés dans leur communauté d’origine à l’âge de la majorité. Ces jeunes, qui ont grandi sans leur famille et leurs points de référence, ont perdu, dans la plupart des cas, leur identité, leur culture et leur langue. Ils n’ont plus, ou du moins, ils ont très peu de liens avec leur famille et la communauté. Ils reviennent brisés et déracinés.

Troisièmement, au Québec, la Loi sur la protection de la jeunesse comprend un article qui prévoit que le directeur de la protection de la jeunesse informe la communauté lorsqu’un enfant est retiré de son milieu de vie familial et placé dans un milieu de vie substitut. Bien que cette section soit en vigueur depuis 2019, nombre de communautés n’ont pas été informées du placement des enfants de leur communauté.

Par exemple, une communauté n’a pas été informée du placement de 60 de ses enfants à l’extérieur de leur famille, à l’extérieur de leur communauté. Certains de ces placements ont été faits de façon permanente. La plupart de ces enfants ont été placés dans des familles d’accueil non autochtones. On a même interdit à certains d’entre eux de reprendre contact avec leurs parents. La communauté n’en a été que très récemment informée, car elle n’a exercé sa compétence sur les services à l’enfance et à la famille qu’à partir de 2020, et elle essaie de collaborer avec les institutions du réseau des services sociaux et de la santé du Québec pour ce qui concerne les enfants qui vivent à l’extérieur de la communauté.

La Loi sur la protection de la jeunesse est claire à ce sujet. Ce genre de situation n’est pas censé arriver. C’est un exemple flagrant qui explique pourquoi les communautés songent sérieusement à créer leurs propres lois en ce qui concerne les services à l’enfance et à la famille.

Quatrièmement, la vision des Premières Nations en ce qui concerne la protection de la jeunesse. La vision des Premières Nations diffère de celle de la province du Québec. Les communautés et les familles travaillent de concert pour prévenir les problèmes liés à la protection de la jeunesse. Nous nous concentrons sur des solutions axées sur la famille et non pas sur l’individu. Nous travaillons avec les familles, non pas contre elles. L’intérêt supérieur des enfants est primordial. Il est nécessaire de demeurer flexible durant tout le processus d’intervention de la protection de la jeunesse afin de permettre aux parents de se mobiliser et de participer à la recherche de solutions et aux problèmes qu’ils rencontrent. Or, ce n’est pas le cas avec la Loi sur la protection de la jeunesse. En effet, la loi place des échéances serrées qui peuvent être irréalistes à respecter, et ne respectent pas les parents qui ont vécu des traumatismes multiples, souvent des traumatismes multigénérationnels.

Cinquièmement, les services de soutien post-majorité. Depuis avril 2022, Services aux Autochtones Canada a financé, au coût réel, les services de soutien post-majorité pour les jeunes et jeunes adultes issus des Premières Nations, qui sont, ou qui étaient, pris en charge par les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations jusqu’à l’âge de la majorité. Les mêmes critères d’admissibilité s’appliquent aux jeunes qui sont, ou qui étaient, pris en charge à l’échelle provinciale et qui habitaient normalement dans une communauté. Le financement a pour but de faciliter la transition vers l’âge adulte et il est accessible jusqu’à ce que la personne atteigne l’âge de 26 ans. Bien que des personnes qui vivent à l’extérieur des communautés rencontrent le même genre de problème de surreprésentation que celles qui vivent à l’intérieur des communautés, ce financement ne leur est pas accessible. Compte tenu de cette surreprésentation, il est impératif de veiller à ce que ce financement soit accessible à tous les jeunes issus des Premières Nations qui sont pris en charge, indépendamment de leur lieu de résidence et de leur lieu de signalement. Pour que ces services soient accessibles, il est particulièrement important que les institutions provinciales travaillent en étroite collaboration avec les communautés pour mettre sur pied et en application des mécanismes de collaboration.

Il est également essentiel que ceux qui travaillent dans le réseau du Québec soient informés des services qui sont offerts par les communautés elles-mêmes. Ce dialogue entre les communautés et la province est vital pour assurer un continuum efficace des services ainsi que le bien-être des jeunes, qui sont ou qui étaient dans le système de protection de la jeunesse.

Pour conclure, les réflexions que j’ai présentées visent à souligner les défis auxquels les jeunes issus des Premières Nations sont confrontés en ce qui concerne la protection de la jeunesse au Québec. Il faut mettre en avant des solutions durables pour surmonter ces défis. C’est pourquoi nous invitons le gouvernement du Canada à réviser le financement des services de soutien post-majorité afin de garantir l’accessibilité de ces services à tous les jeunes issus des Premières Nations, indépendamment du lieu de résidence de leur famille ou du lieu de signalement initial.

Niawen:kowa.

Jane Bates, représentante de l’enfance et de la jeunesse du Nunavut, Bureau du représentant de l’enfance et de la jeunesse : Bonsoir. Je m’appelle Jane Bates, et je suis représentante de l’enfance et de la jeunesse du Nunavut. Le Bureau du représentant de l’enfance et de la jeunesse est un bureau indépendant de l’Assemblée législative du Nunavut. Le mandat du Bureau est d’assurer que les services et les soutiens offerts et fournis par le gouvernement du Nunavut sont conformes à l’éthique, équitables et uniformes pour tous les jeunes Nunavois et Nunavoises et leurs familles.

Je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de discuter d’un enjeu critique : la transition des jeunes qui cessent d’être pris en charge par le gouvernement en raison de leur âge. Ayant moi-même travaillé dans le secteur de la protection de l’enfance pendant plus de 30 ans, et dans trois provinces et territoires très différents, je me réjouis de voir que l’on étudie la question.

J’ai vu de mes propres yeux, comme cela a été souligné dans de nombreux rapports, que les jeunes qui ne sont plus pris en charge font face à des difficultés importantes, étant donné les lacunes considérables en matière de planification après la prise en charge et du soutien et des services inadéquats.

Même si ces éléments sont nécessaires pour s’assurer que les besoins de tous les jeunes en matière de santé mentale et de santé physique sont comblés alors qu’ils passent à l’âge adulte, ils sont encore plus essentiels pour les jeunes qui ne sont plus pris en charge par le gouvernement, car ils sont déjà exposés à des risques plus élevés en raison de plusieurs facteur critiques :

Il y a, premièrement, les traumatismes antérieurs. De nombreux jeunes pris en charge ont été traumatisés, maltraités et négligés. Sans un soutien adéquat, ces traumatismes non résolus créent souvent des problèmes émotionnels et des problèmes de santé mentale à l’âge adulte.

Le deuxième facteur est le manque de liens familiaux. Les jeunes pris en charge de façon permanente n’ont souvent pas de liens importants avec leur famille ou avec leur famille élargie, et ont donc des réseaux de soutien limités, s’ils en ont, alors qu’ils font la transition entre la prise en charge et des années tout aussi importantes et formatrices.

Le troisième facteur est l’absence d’un fournisseur de soins principal. Pour les jeunes qui ont vécu en résidence et qui n’ont pas de fournisseur de soins principal font face à encore plus de difficultés lorsqu’ils quittent la prise en charge en raison de leur âge.

Au Nunavut, le plus grand et le plus jeune territoire du Canada, plus de 30 % de la population a moins de 19 ans, et presque 60 % a moins de 29 ans, ce sont des jeunes aux yeux du gouvernement fédéral.

Actuellement, environ 159 jeunes sont pris en charge au Nunavut. De ce groupe, 101 jeunes sont pris en charge de façon permanente ou font l’objet d’une ordonnance de garde, ce qui exige une planification de la permanence et de la transition à la fin de la prise en charge de ces jeunes.

Même si les jeunes du Nunavut sont exposés à de nombreux facteurs auxquels sont aussi exposés les autres jeunes pris en charge, au Canada, diverses difficultés et complications propres au territoire les exposent à un risque encore plus élevé lorsqu’ils ne sont plus pris en charge.

Premièrement, il y a un manque de données et de planification. Selon des rapports produits par mon bureau et du Bureau du vérificateur général du Canada, le ministère des Services à la famille du Nunavut peine à respecter ses obligations fondamentales, prescrites par la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, et il y a des lacunes en matière de suivi et de planification de la transition des jeunes.

Deuxièmement, il y a le placement à l’extérieur du territoire. Sur les 88 jeunes placés à l’extérieur du Nunavut, 41 % sont pris en charge de façon permanente, ce qui entraîne non seulement la perte du soutien communautaire et familial, mais aussi la perte de leur culture et de leur langue. En l’absence d’un soutien complet, de nombreux jeunes se buteront à des difficultés extrêmes lorsqu’ils seront trop âgés pour être pris en charge.

Troisièmement, le soutien législatif et procédural est limité. Au Nunavut, la Loi sur les services à l’enfance et à la famille définit un « jeune » comme une personne âgée de 16 à 19 ans. La même loi prévoit que la prise en charge permanente et les ordonnances de garde sont en vigueur jusqu’au 16e anniversaire. Même si cela peut être prolongé jusqu’à l’âge de 19 ans, cette incohérence dans la loi signifie que les jeunes pourraient ne plus être pris en charge dès l’âge de 16 ans, ce qui, concrètement, les laisse sans accès à des services ou du soutien, comme l’aide au revenu, jusqu’à leur 19e anniversaire. À ma connaissance, le seul soutien offert aux jeunes du Nunavut âgés de 19 à 26 ans est prévu dans les accords sur les services de soutien post-majorité.

J’ai été extrêmement chanceuse d’avoir été adoptée, très jeune, par une famille aimante et de ne pas avoir été une jeune personne prise en charge de façon permanente par le gouvernement. Des années après avoir quitté la maison et longtemps après avoir atteint l’âge adulte, j’allais voir mes parents lorsque j’avais besoin de soutien et de conseils. Je savais que je pouvais toujours retourner à la maison. Lorsque j’ai reçu un diagnostic de cancer du sein, il y a deux ans, je suis retournée vivre avec ma famille, à Toronto. Un jeune qui cesse d’être pris en charge n’a souvent pas de lieu où il peut retourner se réfugier ou d’adultes de confiance qui peuvent le soutenir et le conseiller lorsqu’il n’est plus pris en charge, et il est largement laissé à lui-même.

Cesser de prendre en charge un jeune uniquement en raison de son âge, sans aucune planification ni aucun soutien, est une violation des droits des jeunes et des engagements pris dans le cadre de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Le gouvernement fédéral doit prendre les choses en main et élaborer des normes nationales pour les jeunes pris en charge par le gouvernement. Ces normes devraient être fondées sur la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et devraient inclure des normes s’appliquant aux jeunes qui cessent d’être pris en charge par le gouvernement et qui font la transition vers leur indépendance. Il est temps que tous les ordres de gouvernement respectent les engagements qu’ils ont pris il y a plus de 30 ans au titre de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Le Canada doit protéger tous les jeunes et s’assurer que leurs besoins en matière de santé mentale et de santé physique soient comblés, à toutes les étapes de leur vie.

Je vous remercie encore de cette occasion. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.

La vice-présidente : Je remercie chaleureusement nos deux témoins.

Le sénateur Arnot : Monsieur Montour, vous demandez, depuis longtemps, des politiques qui respectent et intègrent les perspectives autochtones. Quels changements systémiques précis devraient être apportés selon vous aux systèmes de protection de la jeunesse du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador afin d’améliorer les résultats des jeunes Autochtones et afin que ces organismes respectent la culture et le savoir traditionnel autochtones?

M. Montour : Avant tout, le gouvernement du Québec doit collaborer davantage avec nous afin de reconnaître et de soutenir les lois que nous souhaitons mettre en œuvre dans nos propres communautés.

Souvent, les allochtones nous mettent tous dans le même panier. Que veulent les Premières Nations? En réalité, chaque communauté se distingue de toutes les autres communautés. Notre vision de nous-mêmes, notre vision de l’avenir, et la manière dont nous incarnons cette vision, ainsi que le caractère plus ou moins progressiste des communautés, certaines sont éloignées et certaines vivent en milieu urbains... Ce sont toutes des réalités différentes.

Encore aujourd’hui, l’élaboration du projet de loi C-92 a tracé un chemin, mais la résistance a été immédiate sur la question de la compétence concernée. La réalité est que les provinces ont laissé tomber les Premières Nations. Nous pouvons tous, je l’espère, le confirmer. Comment pouvons-nous nous reconstruire et régler les traumatismes qui se sont produits au fil des générations? Cela suppose entre autres de le découvrir nous‑mêmes, de redonner vie à nos propres langues et de cultiver notre jardin.

Aussi, selon moi, le Québec doit — et le Canada par son soutien et avec d’autres lois et volets de financement ainsi qu’avec le transfert des compétences fédérales... Tous ces éléments entrent en jeu. Il doit y avoir une collaboration.

Prenons Obedjiwan, la première communauté au Québec qui a élaboré sa propre loi. Il n’y a pas eu beaucoup de partenariats à ce chapitre. C’est l’une des communautés qui est soulignée dans mon rapport. Pour moi, c’est un des aspects les plus importants.

L’autre chose — dont j’ai parlé, ici, en particulier en lien avec les plaintes en matière des droits de la personne et maintenant le financement qui est versé —, est de soutenir l’élaboration de programmes de prévention au sein des communautés, qui en sont dépourvues, alors que les enfants allochtones y ont accès depuis des décennies. Nous commençons à les élaborer.

Nous les élaborerons, ce qui est très difficile en raison du manque de personnel, de bâtiment et d’infrastructure, de toutes ces choses. Vous pouvez avoir 1 million de dollars, mais si vous n’avez pas de personnel et que vous n’avez pas de bâtiments, cet argent est inutile. Nous avons besoin de temps pour élaborer ces choses. Elles doivent être fondées sur la culture. Une fois que cela est fait, les organismes extérieurs, qui prennent encore nos enfants en charge, doivent être mis au courant. C’est un autre aspect du partenariat; il ne s’agit pas seulement de reconnaître nos lois. Il faut aussi, lorsque des mesures sont prises pour les enfants qui, comme je l’ai dit, sont longuement séparés de leur communauté, qu’il y ait une reconnexion constante.

Selon moi, ce sont des enjeux systémiques qui peuvent être traités à l’échelon provincial. C’est réellement une question de partenariat. Tous les organismes locaux peuvent faire cela.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue et merci à nos témoins. Ma question s’adresse à M. Montour. Vous avez évoqué dans votre allocution liminaire les conséquences irréversibles que pouvait avoir le placement des Autochtones, en particulier la perte de lien avec leur identité et leur culture. De quelle manière pourrait‑on remédier à ce problème? Comment devrait-on prendre en compte cette réalité pour améliorer la prise en charge des jeunes qui quittent le système de protection de l’enfance?

[Traduction]

M. Montour : C’est une excellente question. C’est extrêmement complexe et compliqué puisque c’est une réalité permanente à laquelle nous faisons tous face. Je vais vous parler un peu d’histoire. Je vais essayer de le faire aussi rapidement que possible.

Mon père était alcoolique, et j’ai grandi dans une maison d’alcooliques. Lorsque vous grandissez dans une maison d’alcooliques, vous apprenez certains comportements. Mon père est un produit du système des externats indiens, tout comme moi. À six ans, il était orphelin. Nous avons des traumatismes familiaux. Mon père a arrêté de boire à 11 ans, et j’ai commencé à boire à 12 ans. J’ai arrêté de boire à 29 ans. Je suis, depuis tout ce temps sur la voie de la guérison. La guérison est possible, mais elle nécessite du temps et de l’énergie. Toutes nos blessures peuvent être guéries, mais, en fin de compte, pour soutenir les personnes qui entament leur guérison, nous devons déployer énormément d’efforts, les soutenir et les aimer.

Si nous pensons aux traumatismes qu’ont vécus les Premières Nations de tout le Canada, une partie de la solution consiste à réfléchir à la façon dont nous allons réétablir le soutien et l’amour au sein de ces structures afin d’offrir cet appui. Aussitôt qu’un enfant est retiré de sa maison, au sens du système de protection de l’enfance — c’est le système anglo-américain, le système de l’Angleterre, de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie. Le système est fondé sur un modèle selon lequel les parents sont responsables de ce qui se passe à la maison.

En réalité, puisque les parents sont des victimes de la discrimination systémique et du système créé par le Canada, ils sont déjà traumatisés, donc nous soutenons les parents, les grands-parents, les tantes et les oncles, ainsi que les enfants, en même temps. C’est la seule façon d’accomplir une guérison. Vous ne pouvez pas retirer un enfant sans collaborer avec l’ensemble de la famille.

Parallèlement, il existe de nombreux bons programmes qui visent la protection de l’unité de la famille. HOMEBUILDERS en est un bon exemple. Ce programme a été fondé en 1974, à Washington. Nous essayons de l’adopter à l’interne.

Un élément important est de savoir comment bâtir des systèmes qui soutiennent cela. Le lien avec la culture est essentiel. Si nous sommes perdus et nous n’avons pas d’identité, qu’il s’agisse de faire partie de la communauté LGBTQ2+, d’appartenir à une religion, de parler une langue, qu’il s’agisse de la perception de soi-même dans le monde — si j’ai l’impression que je n’ai pas ma place, eh bien, je suis perdu spirituellement. Il faut donc entre autres rétablir ces liens et renouer ces relations.

Si un enfant est placé, j’aimerais mieux voir le Canada et le Québec se concentrer sur la façon de renforcer les communautés afin que les enfants puissent demeurer dans leur communauté, tout en tenant compte des traumatismes familiaux et en comprenant la communauté. Mais nous devons mettre en œuvre des mesures de soutien, rétablir la culture et soutenir tous ces endroits. Tout cela commence par la construction, et, au bout du compte, se traduit par des résultats.

La chose la plus importante, sénatrice, c’est le temps. Il va falloir du temps pour en corriger les effets. C’est le mieux que je peux l’expliquer.

La sénatrice Gerba : Merci.

La sénatrice Pate : Ma première question s’adresse à M. Montour. Je vous remercie d’être ici. Merci, madame Bates. Si j’ai assez de temps, j’ai une question à vous poser. Autrement, je vais revenir au deuxième tour de questions.

Comme vous le savez sûrement, la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, dans son Processus de consultation régionale sur la réforme du Programme d’aide au revenu, notait que le Programme de sécurité économique pour les chasseurs cris, une forme de revenu garanti, était reconnu pour être un bon exemple de programme soutenant la culture et les activités traditionnelles. Le rapport souligne l’importance d’assurer une aide au revenu adéquate afin de permettre aux gens de sortir de la pauvreté plutôt que d’en rester prisonniers et de rester dans le besoin.

Comme vous le savez, l’une des décisions du tribunal canadien des droits de la personne, en 2022, visait à ce que les services post-majorité pour les jeunes des Premières Nations soient financés jusqu’à leur 26e anniversaire, pour l’ensemble des provinces et des territoires.

Est-ce que le financement est adéquat? Est-ce que les résultats sont semblables à ceux du Programme de sécurité économique pour les chasseurs cris? Est-ce que cela permettrait de renforcer la capacité des communautés, ce que vous avez dit être très important? Si ce n’est pas le cas, qu’est-ce qui doit être fait? Si c’est le cas, comment est-ce que cela pourrait être amélioré?

M. Montour : Premièrement, il faut savoir que les services de soutien post-majorité sont présentement, pour nous, une inconnue. Je dis cela parce que le financement à un coût, c’est-à-dire que nous devons soumettre une proposition pour les services de soutien post-majorité que nous souhaiterions obtenir et que le Canada doit l’approuver et, par la suite, financer les services.

Par exemple, à Kahnawà:ke, nous avons élaboré un programme et nous espérions pouvoir offrir des logements de transition. Un nombre important de jeunes, qui étaient pris en charge, sont laissés à eux-mêmes à leur 18e anniversaire, avec des habiletés fondamentales limitées. Souvent, il y a des difficultés pour ce qui est de l’école, des écoles de métiers ou d’autres programmes de formation professionnelle. Comment pouvons-nous les aider à bien se préparer à la vie qui les attend? Nous avons élaboré un programme complet, de A à Z. Nous l’avons proposé. Il a été soutenu, et il est passé aux étapes suivantes. Idéalement, un de ces jours, nous pourrons construire une résidence post-majorité pour les logements de transition. Mais cela a un prix, car nous ne savons pas ce que nous allons recevoir l’année prochaine. Rien n’est coulé dans le béton. Il n’a rien à planifier, à ce chapitre. Présentement, il s’agit de ce que nous pouvons imaginer.

Nous savons, bien sûr, qu’il y avait un accord potentiel entre l’Assemblée des Premières Nations, les chefs de l’Ontario, la nation Nishnawbe Aski et le Canada. Nous avons tous participé à la décision. Je ne savais pas clairement dans quelle mesure le soutien post-majorité serait financé, à long terme, après cela, à quoi il ressemblerait et quelles seraient les prochaines étapes.

Pour répondre à la question, si c’est suffisant ou non, je n’en suis pas sûr. Je crois que cela a beaucoup de potentiel, mais c’est vraiment une nouveauté pour nous. Le gouvernement a annoncé le financement, mais la conception, la création et la proposition des services ainsi que la reprise du financement et la dotation en personnel ainsi que le processus de placement, tout cela a pris énormément de temps. Toutes ces choses ont pris du temps. Nous sommes réellement fonctionnels depuis six mois à un an. Cela va prendre du temps à mettre en place. Nous ne recevons pas de soutien de la province pour cela. Tout cela est fait par l’entremise du gouvernement fédéral.

J’espère que, peu importe l’accord qui est conclu sur les services de soins post-majorité qui sont considérés, qu’un volet de financement sera établi et maintenu et qu’il tiendra compte de tous les jeunes des Premières Nations. Un des morceaux du casse-tête est que nous avons seulement nos communautés. Toute personne qui a été placée va revenir, un jour ou l’autre, dans sa communauté. Qu’il s’agisse de jeunes pris en charge maintenant, ou pris en charge de 18 à 26 ans, comment pouvons‑nous les aider à faire cette transition? Nous devons créer des services et des programmes précis. Sans financement, il est impossible de le faire.

La sénatrice Ross : Ma question s’adresse à vous deux. Comme vous le savez, l’étude porte sur la question de la vie après la famille d’accueil, et nous regardons les diverses administrations ainsi que les diverses nuances entre les secteurs et les enjeux précis. Puisque le Sénat envisage la question dans l’optique fédérale, quelle serait une bonne conclusion de l’étude, qui permettrait d’aider les enfants vulnérables à l’échelle fédérale, plutôt qu’à l’échelle provinciale? Quelle serait la portée la plus avantageuse des résultats, selon vous?

Mme Bates : Si j’ai bien compris la question, vous me demandez quelle serait une bonne conclusion pour cette étude précise.

L’une des thématiques principales, lorsque je réfléchis à ce qui doit être fait pour les jeunes et à ce qui doit être fait pour le système de protection de la jeunesse, c’est l’idée de collaboration et de communauté. Je crois que la meilleure conclusion serait que les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral comprennent et acceptent qu’il faut collaborer afin d’améliorer le système, en reconnaissant qu’il ne fonctionne pas.

Je vais m’écarter un peu du sujet, pour revenir à ce que ma collègue a dit précédemment. Nous nous concentrons souvent sur l’arrière-plan du système plutôt que sur la façon dont nous pouvons aider les familles. Comment empêcher que des enfants soient pris en charge et aient besoin d’une prise en charge à long terme? Ici, nous nous concentrons sur les jeunes qui quittent les foyers, et c’est une question importante, mais je crois que nous devons porter notre regard sur le début. Comment soutenons‑nous les familles et les communautés afin d’assurer de meilleurs résultats pour les enfants? Encore une fois, l’un des messages clés est que nous devons collaborer. Il doit y avoir une collaboration. Nous devons envisager différemment le système de protection de l’enfance. Nous devons le réimaginer, car, je le répète, il ne fonctionne pas.

La sénatrice Ross : Merci.

M. Montour : Je suis tout à fait d’accord pour dire que la collaboration est essentielle à la réussite à long terme de nos jeunes. Les accords tripartites et les accords de coordination entre le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et la communauté elle-même sont des mécanismes qui pourraient être mis en œuvre.

Je dois ajouter que, j’espère, personnellement, qu’il y aura un financement constant et durable, à long terme, pour le soutien post-majorité. J’encourage le Canada à voir cela comme un investissement. Pourquoi? Si nous pouvons aider des jeunes qui ont été tellement traumatisés chez eux qu’ils doivent être retirés et placés à l’extérieur — ils sont déjà traumatisés. Il y a une perte potentielle de la culture, de la langue, des relations et de la famille. Comment pouvons-nous renouer ces liens? Si nous ne faisons pas ces efforts, il est très probable que leurs enfants seront eux aussi pris en charge. Nous devons nous retrousser les manches maintenant. C’est à cet âge-là qu’ils ont des enfants, n’est-ce pas? C’est entre 18 et 29 ans qu’ils ont des enfants, si ce n’est pas avant. Offrons-leur un soutien dès maintenant, pour cela.

Traditionnellement, le financement prend fin à leur 18e anniversaire. Si nous pouvons envisager un plan à long terme qui tient compte des immobilisations, parce que l’on ne peut rien faire sans cela, et qui soutient les efforts en matière de langue. Je dis cela parce que, il y a deux semaines, j’ai comparu devant le Comité des langues officielles. Oui, l’anglais et le français, dans l’ensemble du Canada, sont des langues reconnues, mais dans nos communautés, nous peinons [mots prononcés dans une langue autochtone]. Nous avons été colonisés par les Anglais. Parallèlement, les lois prévoient que nous devons maintenant parler français, alors qu’ils prévoyaient avant que nous devions parler anglais, et pendant ce temps, nos langues disparaissent. Cela représente un défi important lorsqu’une jeune personne éprouve des difficultés liées à son identité et à sa langue, et qu’elle doit survivre malgré ces défis qui changent constamment.

La reconnaissance de notre savoir est, elle aussi, essentielle, plutôt que de dire : « vous devez aller à l’université; vous devez passer par notre système afin d’être reconnu comme professionnel et avoir d’obtenir les mêmes types de compétences. » Quelqu’un qui a été médecin, qui est un guérisseur, qui est un devin, toutes ces choses, doivent être reconnues comme étant semblables. C’est un apprentissage qui dure toute une vie, mais il n’est pas reconnu de la même façon. Comment pouvons-nous changer les systèmes qui soutiennent cela?

La vice-présidente : Chers collègues, pour gagner du temps — nous avons quatre intervenants pour la deuxième série de questions —, je vous accorderai quatre minutes chacun.

Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à Mme Bates. Compte tenu des défis culturels et géographiques propres au Nunavut, que fait votre bureau pour assurer que les jeunes pris en charge gardent leurs liens avec leurs communautés, leur culture et leur langue lorsqu’ils ne sont plus pris en charge?

Mme Bates : Je vous remercie de la question.

Encore une fois, une des choses que fait mon bureau est que nous communiquons avec les jeunes au moyen d’initiatives de défense des droits individuels. Nous faisons tout notre possible pour que, si les liens ont été coupés — ce qui est très souvent le cas, mais nous avons des exigences en matière de confidentialité et ce genre de choses —, les parents soient impliqués lorsque nous nous occupons d’un dossier de défense des droits individuels. Encore une fois, cela doit être repensé. Nous devons miser sur la communauté et la collaboration. Un jeune ne pourra pas réussir dans la vie s’il n’a pas de lien avec sa famille, s’il n’a aucun lien — bien sûr, certaines familles sont toxiques, et ce n’est potentiellement pas sain pour le jeune. Mais comment pouvons-nous quand même renouer les liens? Nous essayons, chaque fois que c’est possible, comme je l’ai dit, d’impliquer les parents et la famille dans nos initiatives de défense des droits individuels.

Encore une fois, nous ne sommes pas des fournisseurs de services de première ligne. Ce que nous essayons de faire, c’est de collaborer avec les ministères pour, par exemple, élaborer des plans de transition, nous assurer qu’une planification est faite, nous assurer que les parents sont informés, nous assurer qu’ils travaillent avec les parents sur un plan de réunification et sur des visites, si le jeune est à l’extérieur du territoire. Ce genre de choses. Nous travaillons presque indirectement à bien des égards. Nous devons encourager le ministère à prendre des décisions qui sont dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est qu’il retourne dans sa communauté, et il faut collaborer avec le jeune pour qu’il acquière des compétences et travailler avec la famille pour régler les problèmes, quels qu’ils soient, qui empêchent le jeune de rester chez lui.

La sénatrice Pate : Pour conclure sur ce dont nous avons discuté précédemment, monsieur Montour, j’aimerais savoir si un soutien financier est envisagé, en plus des services fournis aux jeunes.

Je pose également la question à Mme Bates, parce que le Nunavut, tout comme l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, considérait la question du revenu de base comme un mécanisme de soutien; votre discussion sur la prévention du placement des jeunes a fait surgir cette question dans mon esprit, et nous savons que ce genre de soutien peut être crucial.

Je me demande également combien il y a d’accords au Nunavut. Si j’ai bien lu, je crois qu’il y a des accords de six mois renouvelables jusqu’à 26 ans, de 16 à 26 ans. Combien y en a‑t‑il?

Peut-être que M. Montour peut répondre, ensuite Mme Bates pourra répondre.

M. Montour : Je vais faire vite.

Oui, il y a des coûts directs et indirects pour lesquels nous pouvons faire une demande. Lorsque je pense aux services, je pense aux services indirects que nous essayons de mettre en place. La plupart du temps, les jeunes visitent la communauté pour essayer d’accéder à quelque chose. Si les services ne sont pas accessibles, les jeunes tombent dans les failles du système lui-même. C’est ce que je voulais dire, mais, oui, il y a des coûts directs que nous soutenons et pour lesquels nous faisons des demandes.

L’autre chose, c’est que j’ai bien aimé ce que vous avez dit au sujet des Cris. Dans notre communauté, par exemple, nous sommes traditionnellement agriculteurs. Nous voyons la terre comme une possibilité d’enseigner des habiletés en lien avec la plantation, la culture et la récolte. C’est parfois limité à cela.

L’autre chose dont nous devons tenir compte, si nous voulons être créatifs avec les ressources, c’est que les jeunes qui ont dépassé l’âge de 26 ans ont accumulé des factures et ont fait des choses qui les ont endettés. Ils s’enfoncent eux-mêmes en raison d’un manque d’options de rechange et de manque de connaissances; en raison de l’ignorance. Comment pouvons-nous les aider à ce chapitre-là également?

Mme Bates : Vous m’avez posé une question sur les accords de soutien post-majorité.

Encore une fois, l’une des choses que j’ai dites dans ma déclaration préliminaire, et que je vais répéter, est que la collecte de données, ici, au Nunavut, n’est pas très solide. Dans les faits, elle a d’importantes lacunes. Cela fait cinq ans que je suis représentante. Cela va bientôt faire six ans. Pendant ces cinq années, j’ai demandé au ministère de me dire combien d’accords ils avaient conclus. Pendant les trois premières années où j’ai été en fonction, je n’ai pas eu de réponse. Jusqu’à très récemment, le ministère ne pouvait pas me dire combien d’enfants il avait à sa charge. Oui, c’est assez choquant quand on y pense. C’est seulement en janvier de cette année que le ministère a pu me dire combien d’enfants étaient pris en charge à l’extérieur du territoire et qui ils étaient.

Dans le cadre de notre rapport annuel, nous avons demandé à chaque ministère de nous fournir des statistiques. Entre autres, nous demandons chaque année combien d’accords de soutien post-majorité ont été conclus. Cette année, le ministère a dit qu’il avait 32 accords présentement en vigueur. Vous ne devez pas nécessairement le croire sur parole, compte tenu de l’historique. L’année dernière, il y en avait 35.

Les accords de soutien post-majorité... encore une fois, c’est fondé sur le système colonial. Souvent, les accords de soutien post-majorité — et ce n’est pas différent dans ce cas-ci — exigent que les jeunes les respectent. C’est au directeur, disons, de négocier ces accords et, si les jeunes ne les respectent pas, s’ils ne font pas ce que le directeur veut qu’ils fassent, ou qu’ils résistent, ils peuvent être facilement écartés, ce qui me préoccupe vraiment. Vous demandez aussi aux jeunes qui ont vécu beaucoup de traumatismes et qui, dans la plupart des cas, veulent seulement être libres... On leur a dit quoi faire pendant vraiment longtemps.

La mise en œuvre de ces accords de soutien post-majorité est problématique. J’ai l’impression que, même si du soutien est offert, celui-ci est très limité. Encore une fois, il est fondé sur un modèle de conformité, disons.

La vice-présidente : Madame Bates, j’aimerais vous poser une question en lien avec la réponse que vous avez donnée à la sénatrice Pate. Vous avez dit que beaucoup d’enfants étaient placés dans un foyer à l’extérieur du territoire. Est-ce que cela veut dire qu’ils sont placés dans un foyer non autochtone? Si c’est le cas, quelles mesures sont prises pour offrir à ces enfants des soins qui tiennent compte de la culture?

Mme Bates : C’est une très bonne question. Encore une fois, ce n’est qu’en janvier passé que le ministère a pu me dire dans les faits qui étaient ces enfants et où ils étaient placés. Je dirais que la grande majorité des enfants actuellement placés à l’extérieur du territoire sont dans des établissements. Il y a eu de nombreux enjeux — comme cela a été largement rapporté — en lien avec la culture, et on s’est posé des questions : Comment faire pour garder le lien avec la communauté? Comment pouvez‑vous maintenir votre culture lorsque vous vivez à l’extérieur de votre communauté, à l’extérieur du territoire, loin de votre famille, loin de votre famille élargie, et que vous ne pouvez retourner dans votre communauté que deux fois par année, et ce, seulement si le directeur peut prendre des dispositions pour vous le permettre, c’est-à-dire s’il y a suffisamment de personnel. Il y a plein de problèmes qui peuvent survenir.

Un des enjeux que nous avons tenté de régler, c’est de s’assurer que des plans axés sur la culture sont établis. C’est l’un des 100 enjeux énumérés sur la liste des enjeux que nous tentons de régler. Évidemment, nous sommes très préoccupés par les jeunes qui sont dans des foyers à l’extérieur du territoire parce que, franchement, le ministère ne savait même pas où ces jeunes se trouvaient, dans la majorité des cas. Puis-je dire qu’ils ont été placés d’une façon convenable sur le plan culturel? Je pense que non. Je ne le sais pas. Le ministère a créé un poste d’agent de liaison avec la clientèle pour tenter de tisser des liens et de concevoir des plans axés sur la culture. Nous surveillons cela, présentement.

[Français]

La sénatrice Gerba : Madame Bates, ma question s’adresse à vous. En fait, c’est aussi une question de suivi à celles de mes deux collègues. Vous avez tous les deux mentionné le manque de relation entre les enfants autochtones et leur famille d’origine, voire l’absence totale de cette relation. Avez-vous des recommandations de mesures que l’on pourrait prendre pour favoriser une plus grande proximité entre les familles et les enfants, en particulier les enfants qui sortent du système? Madame Bates, vous pouvez commencer.

[Traduction]

Mme Bates : C’est une question très complexe. Je ne pense pas qu’il y ait de réponse facile. Maintenir ces liens — surtout en ce qui concerne les foyers à l’extérieur du territoire — est incroyablement difficile. Il faut s’assurer que les jeunes puissent rester dans la communauté, qu’ils puissent être placés dans les communautés et y rester. Habituellement, quand il est question de petites communautés, même si vous n’êtes pas avec votre famille, vous avez tout de même de la famille élargie autour de vous et vous pouvez entretenir ces liens.

J’insiste beaucoup, quand il est question de protection de l’enfance, sur les conférences et les groupes de famille, et je mets les familles à l’avant-plan, disons, lorsque des préoccupations liées à la protection de l’enfance surviennent, et je demande à tout le monde de se réunir pour parler de ces préoccupations. Si mon enfant doit être placé à l’extérieur de son foyer, comment pourrons-nous garder contact? Comment pouvons-nous nous assurer que cet enfant ne sera pas perdu? C’est à la famille, à la famille élargie et aux membres de la communauté d’établir ces plans — ce n’est pas au directeur ou à l’établissement de prendre ces décisions. Nous devons revenir à la base, et parler de la façon dont nous pouvons permettre aux parents, à la famille, à la famille élargie et à la communauté de trouver un foyer d’accueil à l’enfant afin que celui-ci puisse maintenir ces liens. C’est un changement fondamental majeur de la façon d’envisager la protection de l’enfance.

M. Montour : J’aimerais ajouter que, Kahnawà:ke offre des services et s’est vu confier le pouvoir d’offrir des services il y a environ 40 ans maintenant. Obedjiwan vient de commencer grâce au projet de loi C-92. D’autres communautés ne sont pas encore rendues là. De nombreux directeurs des services de protection de la jeunesse prennent des décisions qui concernent les enfants de leurs communautés et les envoient ailleurs, comme on l’a dit aujourd’hui.

Je me ferais l’écho des commentaires de Mme Bates : la solution, c’est de placer les enfants dans la communauté de sorte que le rôle du directeur qui hérite du dossier de la protection et de tous ces centres jeunesse consiste à soutenir et à établir des programmes de placement familial dans la communauté. La plupart du temps, ils ne sont pas investis dans la communauté, et ils ne connaissent pas les foyers, donc ils placent les jeunes à l’extérieur. Ils ne prennent pas les mesures nécessaires pour travailler avec la communauté et créer des programmes de placement qui permettent cela.

C’est ce que j’ai vécu, parce que, lorsque nous avons commencé, avant de prendre les rênes, presque tous nos placements étaient externes. Ils sont maintenant tous internes sauf ceux qui concernent des besoins spéciaux, parce que nous sommes très mal outillés pour trouver une famille d’accueil à des jeunes ayant des besoins spéciaux compte tenu de la complexité des services requis. Notre prochain objectif est d’établir cela à l’interne. Cela supposera des partenariats entre le fédéral, la province et la communauté afin de mettre en œuvre un service de soins 24 heures sur 24. De nombreux services sont requis lorsque vous avez des besoins spéciaux qui justifient ce service. À cet égard, nous avons le soutien.

Les foyers de groupe se trouvent tous à l’extérieur du territoire. Nous n’en avons pas un seul sur le territoire, présentement. C’est en partie une décision que nous avons prise parce que nous ne voulions pas avoir des foyers de groupe où les parents pourraient laisser leurs enfants en disant : « Corrigez-le moi. » Toute la famille doit être soutenue dans ce processus. C’est notre objectif.

Il nous faut mettre en œuvre notre propre programme de protection de la jeunesse, bâtir des foyers d’accueil, recruter du personnel, encourager ces foyers d’accueil et offrir du soutien continu... C’est le genre de réussite dont ces communautés auront besoin.

[Français]

La sénatrice Gerba : J’ai une question sur les résultats des ententes dont vous avez parlé plus tôt avec les directeurs de services à l’enfance et à la famille. Avez-vous déjà évalué ces ententes? Quels ont été les résultats? Le gouvernement fédéral devrait-il en faire davantage pour soutenir ce genre d’initiative?

[Traduction]

Mme Bates : J’aimerais seulement préciser une chose : vous parlez des accords de soutien post-majorité?

La sénatrice Gerba : Oui.

Mme Bates : Je ne pense pas que ce serait très productif d’évaluer les accords eux-mêmes.

Un accord, c’est exactement cela; on s’entend sur le fait que je vais vous offrir un service en échange; ce n’est pas un changement fondamental de la façon dont nous voyons les jeunes et les familles. Même si les accords sont de bonnes choses, ils sont conçus pour vous offrir un service. Ce n’est pas un lien familial. Ce n’est pas « C’est ainsi que je vais garder votre culture en vie ». C’est « Je vais payer pour ton loyer et pour ces choses ». Je ne crois pas que ces accords sont efficaces parce qu’ils sont axés sur des services. Ils ne tiennent pas compte de la culture ou des traumatismes. Ils ne disent pas « Voici vos besoins affectifs, physiques et psychologiques ». Ce n’est pas un accord global. Vous avez besoin d’un plan. Vous devez tenir compte de la personne à part entière et de toutes ses facettes. C’est une distinction importante.

Nous devons repenser la façon dont nous traitons les familles ainsi que les services et les soutiens offerts aux familles et aux jeunes qui atteignent la majorité et ne sont plus pris en charge par le système et aux jeunes qui s’y trouvent encore aujourd’hui. C’est difficile de tisser des liens et de gérer un traumatisme. Nous devons nous éloigner des accords.

La vice-présidente : J’aimerais poser une question au sujet de l’intersectionnalité. Monsieur Montour, vous avez brièvement parlé de cela lorsque vous avez répondu précédemment à ma collègue en ce qui concerne les enfants autochtones qui pourraient avoir des besoins spéciaux. Vivent-ils avec davantage de vulnérabilités? Vous en avez parlé brièvement. Je ne sais pas si vous voudriez ajouter quelque chose à ce sujet.

Aussi, madame Bates, voudriez-vous ajouter quelque chose? En ce qui concerne les enfants autochtones ayant des besoins spéciaux, les familles qui en prennent soin doivent-elles gérer des vulnérabilités particulières?

Mme Bates : En ce qui concerne les jeunes du Nunavut qui ont des problèmes médicaux importants et qui doivent être placés à l’extérieur du foyer, ils se retrouvent souvent loin au sud, à l’extérieur du territoire. C’est un obstacle. Ils sont complètement coupés de leur famille. À quelle fréquence voient-ils leurs parents et leur famille, et d’autres questions comme cela? Je pense qu’il y a des vulnérabilités supplémentaires parce qu’ils ne peuvent pas recevoir les services dont ils ont besoin pour être en santé, et je pense que cela les expose à un risque beaucoup plus grand.

Je dis toujours que les risques d’un jeune augmentent dès la minute où il quitte la maison familiale. Puis, son risque augmente encore s’il quitte la communauté. Son risque augmente, encore une fois, quand il quitte le territoire. Quand je parle de risque, je parle du lien familial, du soutien, de la composante du traumatisme — tous ces aspects sont interreliés.

La vice-présidente : Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Montour?

M. Montour : Oui, absolument.

Je pense que les besoins spéciaux représentent deux fois plus de défis. Il faut non seulement gérer le besoin spécial et tout ce qu’il suppose, mais, si l’enfant se retrouve dans un foyer qui fait face à son lot de défis en lien avec la protection de la jeunesse, il y a aussi d’autres types de traumatismes qui entrent en jeu. Les placements à l’extérieur de ce foyer et auprès de familles qui pourraient ne pas bien saisir les défis auxquels cet enfant fait face comportent deux fois plus de défis.

Le principe de Jordan ne s’applique que jusqu’à 18 ans, donc, après leur 18e anniversaire, ces enfants ont des besoins spéciaux qui ne sont pas comblés par le principe de Jordan et qui ne pourraient pas être comblés après leur majorité, dépendant de la nature de ces services. Il pourrait y avoir des défis liés au lien avec la communauté.

Les ressources qui nous permettent de les réinsérer dans la communauté sont limitées, donc ils finissent parfois par être placés à l’extérieur du territoire. Si nous pouvions mettre en place du soutien pour qu’ils restent chez eux aussi longtemps que possible et si nous pouvions les soutenir, nous pourrons dire que nous avons réussi.

Le défi se pose quand les fournisseurs de soins commencent à être âgés ou ne peuvent plus prendre soin de ces enfants. Nous devons alors les replacer ailleurs. Il y a aussi des adultes, qui n’ont parfois pas l’usage de la parole ou qui parfois ne comprennent que l’anglais. Si nous n’avons pas les ressources dans la communauté, ils seront placés à l’extérieur du territoire, en espérant être inscrits sur une liste d’attente, et ainsi de suite. Parfois, ils sont placés dans des foyers où l’on parle français, donc maintenant nous avons une personne qui n’a pas l’usage de la parole qui comprend peut-être seulement l’anglais, qui est placée dans un foyer francophone, parce que c’est la seule solution qui s’offre à nous.

Encore une fois, c’est une question de ressources internes — nous n’en avons tout simplement pas —, donc nous avons besoin de collaborer pour commencer à en créer et à en créer au fur et à mesure.

Absolument, il y a des enjeux à toutes les étapes, selon le besoin spécial dont il s’agit.

La vice-présidente : Notre temps est maintenant écoulé. Au nom du comité, j’aimerais remercier de tout cœur nos deux témoins d’avoir comparu devant nous cet après-midi. Votre témoignage sera très utile dans le cadre de nos délibérations et de notre étude. Merci.

Honorables collègues et invités, cela met fin à la partie publique de notre réunion. Nous allons maintenant suspendre la séance quelques minutes, puis nous reprendrons à huis clos pour parler d’un point à l’ordre du jour.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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