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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 8 décembre 2021

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui à 18 h 30 (HE) pour étudier la teneur du projet de loi C-3, Loi modifiant le Code criminel et le Code canadien du travail.

La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Ratna Omidvar, et je suis sénatrice de l’Ontario et présidente du comité.

Le comité commence son étude de la teneur du projet de loi C-3, Loi modifiant le Code criminel et le Code canadien du travail, qui a été déposé à la Chambre des communes le 26 novembre 2021. La Chambre des communes étant toujours saisie du projet de loi, notre comité en effectue une étude préalable.

Nous entendrons deux groupes de témoins aujourd’hui. J’aimerais présenter le premier groupe de témoins et remercier chacun d’entre eux d’avoir accepté de comparaître ici avec peu de préavis.

Je souhaite la bienvenue à Michael Villeneuve, chef de la direction, et à Aden Hamza, responsable de l’élaboration des politiques, qui représentent l’Association des infirmières et infirmiers du Canada.

Dre Monika Dutt est membre du Decent Work and Health Network.

Katlin Doucette, co-fondatrice, et Rebecca Gordon, organisatrice, s’exprimeront au nom de la Coalition Canadienne des Travailleu.r.se.s de la Restauration.

Je vous invite à faire vos exposés. Je vous prie de vous en tenir à cinq minutes, afin que les sénateurs aient le temps nécessaire pour vous poser des questions. Nous commencerons par M. Villeneuve, et ensuite ce sera le tour de la Dre Dutt et de Mme Gordon.

Monsieur Villeneuve, je vous cède la parole.

Michael Villeneuve, chef de la direction, Association des infirmières et infirmiers du Canada : Madame la présidente, honorables sénateurs, merci. C’est un privilège de m’adresser au comité encore une fois. Je salue également les autres témoins qui comparaissent aujourd’hui.

J’aimerais tout d’abord reconnaître la nation algonquine et le peuple anishinabe, car je m’adresse à vous aujourd’hui depuis les belles terres agricoles de l’Est de l’Ontario, où j’habite, qui sont leurs terres traditionnelles.

Merci d’avoir invité l’Association des infirmières et infirmiers du Canada à s’exprimer sur le projet de loi C-3. Nous sommes la voix professionnelle nationale et internationale du secteur infirmier canadien. Nous représentons le personnel infirmier des 13 provinces et territoires ainsi que les personnes qui travaillent dans des centaines de communautés autochtones.

Nous félicitons le gouvernement fédéral d’avoir déposé le projet de loi C-3, que nous appuyons de tout cœur, car il aidera à protéger les travailleurs de la santé des menaces et du harcèlement, et accordera 10 jours de congés de maladie payés aux travailleurs du secteur privé assujettis à la réglementation fédérale.

Il faut une main-d’œuvre en santé pour avoir une économie vaillante. La pandémie a bien souligné le besoin urgent de congés de maladie payés suffisants, car les travailleurs ne devraient pas avoir à choisir entre leur santé et leur chèque de paie. C’est la raison pour laquelle notre association appuie sans réserve les amendements proposés au Code canadien du travail.

L’adoption de ce projet de loi constitue une occasion de montrer l’exemple au reste du pays. Bien souvent, les gens qui ont besoin de prendre congé sont ceux qui n’en ont pas la possibilité à cause d’impératifs financiers ou autres. Que ce soit le personnel infirmier ou des travailleurs d’usine, les gens qui travaillent pendant la pandémie savent qu’il est plus sûr de rester à la maison, mais bon nombre d’entre eux ne peuvent pas se le permettre. Nous espérons qu’une fois que le projet de loi aura été adopté, il entraînera des changements dans les provinces et les territoires.

Madame la présidente, je passerai maintenant aux amendements proposés au Code criminel dans le projet de loi C-3.

Notre association milite depuis longtemps pour un secteur de la santé sans violence, assurant ainsi le droit des infirmières et des infirmiers à un milieu de travail respectueux, sans menaces ni harcèlement. C’est fort simple : le personnel infirmier, constitué essentiellement de femmes, comme vous le savez bien, doit se sentir en sécurité afin de pouvoir assurer la sécurité des patients.

Les quelques 448 000 infirmières et infirmiers ont mené un combat de première ligne pendant la pandémie, et ils sont épuisés, vidés et démoralisés. Au début de la pandémie, on les qualifiait de héros. Maintenant, bon nombre d’entre eux subissent des violences verbales et se font même cracher dessus. Et pourtant, contre vents et marées, ils continuent à aller au travail et à s’occuper de leurs patients.

La pandémie a exacerbé les problèmes du système de soins de santé qui existaient longtemps avant la COVID-19. Les travailleurs de santé sont aux prises avec de plus grandes pénuries de personnel, des charges de travail excessives et une détresse humaine considérable, tout en craignant pour leur propre sécurité. Ils peuvent aussi tomber malades. Nous avons assisté à des agressions, des violences verbales et des menaces dirigées contre des travailleurs de la santé en personne et en ligne, tout simplement en raison de messages de santé publique, et ce, en dépit du dévouement continu du personnel à l’égard de leurs patients.

La santé du personnel soignant du Canada tient à un fil. Le projet de loi envoie un message clair : la santé des travailleurs de la santé est une priorité pour le Canada. Le projet de loi aidera à retenir le personnel infirmier en poste et évitera que ne s’aggravent les pénuries déjà critiques de personnel infirmier au Canada. Nous observons des taux de vacance sans précédent, et ce projet de loi est un pas dans la bonne direction pour garder nos infirmières et infirmiers en poste.

Madame la présidente, merci de m’avoir donné l’occasion de vous parler. Ma collègue, Aden Hamza, et moi-même serons heureux de répondre aux questions du comité.

La présidente : Merci, monsieur Villeneuve. Au tour maintenant de la Dre Dutt.

Dre Monika Dutt, membre, Decent Work and Health Network : Merci de m’avoir donné l’occasion de parler au nom du Decent Work and Health Network du projet de loi C-3. Nous sommes un groupe de médecins, d’infirmières et infirmiers, de travailleurs de la santé et d’experts qui revendiquent des congés de maladie payés. Nous avons maintes fois fait des recommandations, preuves à l’appui, pour une politique efficace de congés de maladie payés.

J’ai travaillé comme médecin de famille à Sydney, en Nouvelle-Écosse, et comme médecin de la santé publique à Terre-Neuve-et-Labrador. Je vois tous les jours l’incidence, pourtant évitable, du manque de congés de maladie payés.

J’appuie l’instauration de 10 congés de maladie payés pour les employés assujettis à la réglementation fédérale. Comme la pandémie de la COVID l’a bien montré, les congés de maladie payés sont essentiels à la santé des particuliers, des familles, des collectivités et de l’économie.

Afin d’assurer l’efficacité des congés de maladie payés, nous proposons deux amendements clés au projet de loi C-3. Tout d’abord, les congés de maladie payés doivent offrir un nombre suffisant de jours afin que nos patients puissent rester à la maison lorsqu’ils tombent malades. Une étude américaine a montré que les travailleurs ayant de six à neuf jours de congés de maladie payés ont utilisé davantage de services préventifs que ceux ayant de zéro à deux jours. Dix jours de congés de maladie payés permanents sont devenus la norme minimale reconnue à l’échelle du pays.

Même si le projet de loi C-3 prévoit 10 jours de congés de maladie payés, les employés ne pourront pas s’en prévaloir immédiatement. Cela veut dire que les travailleurs n’ont aucune protection au début de l’année ou lorsqu’ils commencent un nouvel emploi. Les employés deviennent plutôt admissibles aux congés de maladie au début de chaque mois après avoir travaillé de façon continue pendant un mois.

Le système cumulatif de congés de maladie vient contredire la preuve médicale et les recommandations de la santé publique, qui indiquent qu’il faut plutôt rester à la maison lorsqu’on est malade dès l’apparition des premiers symptômes, et ce, jusqu’à ce que l’on soit remis. Nous nous inquiétons pour les travailleurs qui contracteraient la grippe, la COVID-19 ou une autre maladie pendant les premiers quelques mois de l’année civile et qui ne pourraient prendre qu’un ou deux jours de congés, plutôt que le nombre véritable de jours dont ils auraient besoin pour s’en remettre. Pire encore, le cas des gens qui n’ont droit à aucun congé de maladie lorsqu’ils en ont le plus besoin.

En tant que médecin, je sais que dans la plupart des cas, les gens ayant une maladie comme la grippe doivent rester à la maison en moyenne quatre jours. Dans le cas de la COVID-19, les gens doivent s’isoler ou se mettre en quarantaine de 10 à 14 jours.

Le Yukon est seul à utiliser un modèle cumulatif pour les congés de maladie. Tous les autres territoires et provinces offrent le nombre complet de jours de maladie, payés ou non payés, immédiatement après la période prescrite d’emploi continu.

Aucun autre type de congé prévu par le Code canadien du travail n’est soumis au modèle cumulatif mensuel. Les congés de maladie payés prévus dans le projet de loi C-3 devraient suivre cette pratique exemplaire bien établie.

Le fait de cumuler des jours de congés payés sur une base mensuelle aura une incidence négative sur les travailleurs qui en sont à leur première année dans leur poste, qui ont des emplois temporaires ou précaires, ou encore les travailleurs immigrants ou racialisés, qui seront pénalisés de façon disproportionnée du fait qu’ils ont moins tendance à occuper le même emploi de façon ininterrompue. Le modèle cumulatif frappera également plus durement les femmes, qui prennent plus de congés de maladie payés que les hommes. Nous recommandons que le projet de loi C-3 soit modifié, afin de supprimer le modèle cumulatif mensuel et d’offrir 10 jours de congés de maladie payés sans condition au bout de deux semaines de travail continu.

Notre deuxième amendement, c’est la suppression de l’article 239(1.6), qui permet aux employeurs d’exiger un billet médical d’un fournisseur de soins de santé. Cet amendement est essentiel, car les billets médicaux mettent non seulement le public à risque, mais découragent également les travailleurs de demander des jours de congés de maladie. Le travailleur malade aurait à quitter son foyer, se déplacer dans sa collectivité et exposer les gens dans la salle d’attente de la clinique ou de l’hôpital à une infection, et aurait parfois même à payer le billet médical.

Selon un sondage national, 82 % des Canadiens préféreraient aller au travail malade que de demander un billet médical. La communauté médicale s’entend pour dire que les billets médicaux constituent une barrière à l’accès des patients et un fardeau évitable pour les ressources de soins de santé. L’Association médicale de l’Ontario a conclu que le fait d’exiger que les patients malades visitent leur fournisseur de soins de santé pourrait en fait ralentir leur guérison, en raison du repos perturbé et du risque d’exposition à d’autres virus contagieux.

L’Association médicale canadienne prévient que : « ... écrire un billet médical est une tâche administrative supplémentaire, c’est-à-dire du temps qui devrait être consacré à fournir des soins directs aux patients. »

Nous recommandons la suppression de la disposition du projet de loi C-3 permettant aux employeurs d’exiger des billets médicaux.

Nous espérons que vous réfléchirez aux recommandations que je viens d’énumérer et que vous modifierez en conséquence le projet de loi C-3. Ce faisant, vous donnerez l’exemple aux provinces et territoires. Le projet de loi C-3 pourrait servir de modèle de politique de congés de maladie payés efficace partout au pays.

En tant que fournisseurs de soins de santé qui mènent le combat pour des congés de maladie payés, nous sommes encouragés par le fait que nos patients qui travaillent dans des secteurs assujettis à la réglementation fédérale auront la possibilité de bénéficier de protections permanentes et adéquates au travail, et nous nous tenons prêts à collaborer avec vous afin que ces amendements essentiels soient apportés. Merci.

La présidente : Docteure Dutt, vous avez fini pile à l’heure. Nous passons maintenant à Mme Gordon.

Rebecca Gordon, organisatrice, Coalition Canadienne des Travailleu.r.se.s de la Restauration : Merci de me donner la possibilité de vous adresser la parole ce soir. Je tiens à reconnaître que je vous parle aujourd’hui du territoire des Mississaugas de Credit. J’ai l’honneur de vous parler du projet de loi C-3 et du besoin impératif de 10 jours de congés de maladie payés.

Je vous adresse la parole ce soir au nom de la Coalition Canadienne des Travailleu.r.se.s de la Restauration. Nous sommes une alliance des travailleurs de restaurants, d’organismes d’accueil à but non lucratif et d’universitaires qui revendiquent les droits des travailleurs de la restauration.

Nous avons lancé une pétition il y a un an, demandant au gouvernement de venir en aide aux travailleurs du secteur de l’hospitalité canadien.

L’une de nos pétitions a demandé un projet de loi prévoyant 10 jours de congés de maladie payés. Notre pétition porte maintenant plus de 21 500 signatures, ce qui montre bien que c’est un problème que bon nombre de Canadiens ont à cœur.

J’ai travaillé dans des restaurants pendant plus de 10 ans et j’ai géré un restaurant jusqu’en mai 2020. Je fais actuellement ma maîtrise, qui porte sur les conditions de travail dans l’industrie de la restauration.

Au cours de mes 10 années passées à travailler dans les restaurants, mes collègues et moi sommes allés travailler en étant malades maintes fois. J’ai vu une angine streptococcique faire le tour de mes collègues. J’ai vu des travailleurs tousser, éternuer et vomir au travail. Mes collègues et moi soupçonnons aussi que certains d’entre nous ont attrapé la COVID-19 au début de mars 2020. Dans toutes ces situations, nous aurions dû être à la maison en train de nous reposer. Toutefois, bon nombre de travailleurs de la restauration ne peuvent rester à la maison malades, car pour ce faire, ils se priveraient d’un jour de paie.

Le Centre canadien de politiques alternatives a publié un rapport qui indique que les travailleurs à revenu faible sont les personnes qui ont probablement le moins accès aux jours de congés de maladie payés, et que par conséquent, ils ont davantage tendance à aller au travail malades. C’est le cas pour de nombreux travailleurs des services d’accueil qui vivotent d’un chèque de paie à l’autre.

Tout le monde mérite le droit de pouvoir rester à la maison quand ils sont malades sans devoir se soucier d’avoir assez d’argent pour nourrir la famille ou payer le loyer. Voilà la raison pour laquelle nous revendiquons 10 jours de congés de maladie payés.

Au cours de la dernière année, nous avons vu les nombreux problèmes associés aux programmes de congés de maladie mis sur pied par les provinces et les territoires. Nous aimerions en discuter avec vous, afin d’éviter que le projet de loi C-3 ne présente pas les mêmes écueils.

Tout d’abord, il faut offrir des congés de maladie payés aux travailleurs sans y rattacher de conditions. Les travailleurs nous indiquent que leurs employeurs ne les croient pas lorsqu’ils leur disent qu’ils sont malades, et la seule façon d’obtenir un jour de congé est de fournir un billet du médecin attestant leur maladie.

Or, l’obligation de fournir un billet du médecin constitue une barrière pour certains travailleurs. Il est difficile pour bon nombre d’entre eux de se rendre chez le médecin, notamment par les transports en commun. Cela prend du temps qui pourrait être passé à s’en remettre et crée également un risque pour le public. Parfois les travailleurs doivent aussi payer le billet médical.

Nous aimerions aussi souligner le fait que certains travailleurs de restaurants en Alberta nous ont même dit qu’ils n’avaient pas de médecin à consulter, en raison de la grave pénurie.

Les travailleurs nous disent qu’ils préfèrent aller au travail malades que d’obtenir un billet médical.

Nous pensons qu’il vaudrait mieux offrir 10 jours de congés de maladie payés à tous, sans exiger de billet médical.

De plus, nous voulons nous assurer que le congé de maladie n’oblige pas le travailleur à remplir un formulaire. Certains travailleurs sont pénalisés parce qu’ils n’ont pas l’anglais ou le français comme langue maternelle et ne peuvent remplir un formulaire.

Deuxièmement, les congés de maladie doivent représenter un nombre suffisant de jours. Le projet de loi C-3 propose que les travailleurs cumulent un jour de congé de maladie payé par mois. C’est injuste pour les travailleurs qui viennent de commencer un nouvel emploi.

Dans l’industrie des services d’accueil, les travailleurs changent de restaurant en moyenne tous les six mois. Ces travailleurs de la restauration ne seront jamais admissibles à 10 jours de congés de maladie payés, même s’ils travaillent dans l’industrie depuis des années.

Nous recommandons que les 10 jours soient offerts à partir d’un mois de travail.

Mon troisième et dernier point, c’est que le gouvernement doit mener des campagnes de sensibilisation et de surveillance, afin que les travailleurs et les employeurs connaissent l’obligation d’offrir 10 jours de congés de maladie payés.

Nous avons parlé à une serveuse québécoise qui est devenue admissible à deux jours de congés de maladie payés au bout de trois mois de travail. Bien qu’elle ait travaillé comme serveuse pendant quelques années, elle ne savait même pas que les congés de maladie payés existaient. Elle n’avait jamais reçu de paie pour les jours qu’elle était malade. Il est fréquent que les employeurs ne transmettent pas l’information à leurs travailleurs, et il est également impossible pour les travailleurs de tenir leur employeur responsable s’ils ne connaissent pas les nouvelles dispositions. Il ne suffit pas de faire adopter une loi. Il faut également éduquer les gens.

Ces trois points sont essentiels pour que les travailleurs puissent jouir de congés de maladie payés. Les travailleurs tomberont inévitablement malades. Lorsque cela se produit, les travailleurs ne devraient pas avoir à renoncer à leur paie, ce qui est injuste, alors qu’ils tentent de bien faire en restant à la maison et en évitant que d’autres gens tombent malades.

Nous espérons que le gouvernement donnera non seulement l’exemple avec le projet de loi C-3, mais s’engagera également à collaborer avec les provinces et les territoires, afin que tous les travailleurs jouissent de ce droit.

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous parler au nom des travailleurs de la restauration sur la politique.

La présidente : Merci beaucoup.

Les témoins ont fait un excellent travail et n’ont pas pris plus de cinq minutes chacun. J’espère que nos sénateurs pourront également respecter le temps imparti.

Au tour maintenant des sénateurs de poser des questions.

Conformément à notre pratique habituelle, je rappelle aux sénateurs qu’ils disposent de cinq minutes pour poser leur question et entendre la réponse.

Si vous souhaitez poser une question, je vous prie de faire signe au greffier ou de lever votre main dans Zoom, dans le cas des gens qui participent par vidéoconférence. Les personnes présentes dans la salle peuvent faire signe au greffier.

Nous avons tout d’abord comme intervenants la sénatrice Bovey, vice-présidente du comité et représentante du Manitoba, qui sera suivie par le sénateur Patterson du Nunavut et la sénatrice Verner du Québec.

La sénatrice Bovey : J’aimerais remercier l’ensemble des témoins de leurs exposés et de leurs réflexions sur la situation qui nous occupe.

J’aimerais savoir si vous avez été consultés et si vous avez abordé la question de l’accumulation de journées de congé de maladie plutôt que d’une banque de congés de maladie quand et si vous avez été consultés.

J’ai remarqué, docteure Dutt, avant qu’il ne soit trop tard, que vous avez indiqué dans le rapport que l’exigence de présenter un billet médical est un obstacle à l’octroi de congés de maladie payés, et cela se dégage aussi ce que vous avez dit aujourd’hui. On parle plutôt, dans le projet de loi, de certificats médicaux.

J’aimerais que vous nous parliez un peu plus de ce type d’obstacle. J’ai vécu l’expérience de la COVID dans ma famille : une personne pensait avoir un rhume, elle est restée à la maison une journée, puis est retournée au travail et s’est rendu compte que c’était plus qu’un rhume. Que représente cette interruption dans les congés de maladie?

J’aimerais que vous nous aidiez à creuser cette question un peu plus, j’aimerais beaucoup vous entendre, chacun d’entre vous, me parler des consultations et de ce que vous avez exprimé pendant les consultations sur les congés de maladie.

La présidente : Cette question s’adresse à vous, docteure Dutt. Si d’autres témoins souhaitent y répondre aussi pendant les cinq minutes dont nous disposons, je vous accorderai une minute de plus pour cela. Je vous prie de lever la main.

Dre Dutt : Certainement, je peux commencer. Dans le cadre des consultations, nous avons écrit une lettre au nom du Decent Work and Health Network, que nous avons fait parvenir au ministre du Travail ainsi qu’aux partis de l’opposition et aux partis représentés au Parlement. Nous y exprimons nos préoccupations. Nous avons eu diverses rencontres avec les différents partis, ainsi qu’avec le personnel du ministre du Travail. Nous avons essayé de leur exprimer notre pensée. Ils sont donc au courant que nous sommes favorables au projet de loi, mais que nous y proposons ces modifications.

Pour ce qui est des obstacles, ma position se fonde à la fois sur mon expérience personnelle comme médecin de famille et sur les données probantes. Nous savons que c’est un fardeau de devoir quitter son domicile quand on est malade, étant donné que la vaste majorité des gens n’ont pas besoin de soins de santé pour autant, donc c’est un fardeau supplémentaire. Il faut aussi faire garder les enfants, ce qui ajoute au fardeau, et nous savons à quel point c’est lourd pour le système de santé, puisque la plupart de ces personnes n’auraient pas besoin de services d’urgence, qu’elles n’auraient pas besoin de venir nous voir sinon.

Le fait que 82 % des Canadiens affirment que l’effort à déployer pour obtenir un billet médical les dissuade de rester chez eux est assez effarant, cela signifie que les gens préfèrent aller travailler que d’investir l’énergie et le temps nécessaires pour obtenir un billet médical, alors que ce ne serait pas vraiment nécessaire.

La présidente : Nous avons le temps d’entendre la réponse des autres témoins à cette question.

Mme Gordon : Je peux vous répondre. Je pense que cela a été très bien expliqué. La Coalition Canadienne des Travailleu.r.se.s de la Restauration a rencontré un certain nombre de députés, mais c’était il y a quelques mois. Nous n’avons donc pas vraiment mené de consultations sur ce projet de loi pour pouvoir véritablement exprimer nos préoccupations.

C’est donc la première fois que nous en parlons.

Je répète que l’un des grands obstacles, c’est le temps. Bien entendu, il est très important d’aller voir un médecin quand on est malade, mais quand on souffre simplement de quelque chose comme le rhume et qu’on sent qu’il suffit de se reposer quelques jours, c’est lourd de devoir aller consulter un médecin. Cela prend du temps. On ne peut pas simplement se coucher pour dormir et se rétablir. Les travailleurs de la restauration ont souvent bien du mal à voir leur médecin, parce qu’ils sont souvent loin. Beaucoup d’entre eux n’ont pas de voiture. Bref, le temps constitue un obstacle, et le plus important, c’est généralement de rester chez soi pour se reposer.

La présidente : Sénatrice Bovey, avez-vous quelque chose à ajouter?

La sénatrice Bovey : Docteure Dutt, pouvez-vous nous indiquer brièvement quelle réponse vous avez obtenue quand vous avez demandé s’il serait préférable d’avoir une banque de congés plutôt qu’un modèle cumulatif?

Dre Dutt : Nous avons rencontré un conseiller très réceptif au cabinet du ministre, qui a écouté nos doléances. Il disait que les employeurs sont souvent portés à croire que les employés ne devraient pas avoir de journées de congé de maladie dès le départ en raison du mythe coriace selon lequel les travailleurs en abusent, alors qu’au contraire, on observe dans des endroits comme San Francisco, où il y a neuf journées de congé de maladie obligatoires, que la plupart des gens en utilisent bien moins que cela et que le quart d’entre eux n’en utilise pas une seule. On a pu constater sans équivoque à San Francisco, à New York et ailleurs que lorsque les employés ont des journées de congé de maladie payé, ils les utilisent adéquatement. Il y a des évaluations qui ont été faites. C’est la grande préoccupation.

L’autre chose, c’est que les employeurs s’inquiètent de ce que ces congés leur coûteront, mais qu’ils oublient souvent de se demander combien il leur en coûtera de ne pas leur offrir de journées de congé de maladie payé et que par conséquent, des employés se présentent malades au travail, qu’ils ne travaillent pas aussi bien qu’ils le devraient et qu’il en découle un grand roulement de personnel. Ce sont là quelques-unes des réponses que nous avons obtenues sur cette proposition de modification.

La présidente : Merci, docteure Dutt.

Le sénateur Patterson : Je remercie tous les témoins.

Docteure Dutt, vous avez recommandé que les travailleurs puissent utiliser leurs 10 journées de congé deux semaines après leur embauche, si je vous ai bien comprise. La Coalition Canadienne des Travailleu.r.se.s de la Restauration recommandait plutôt que ce soit après un mois, si j’ai bien compris. J’aimerais savoir si vous pouvez nous dire si ces recommandations s’appuient sur des recherches. Je vous pose la question parce qu’habituellement — et je ne dis pas que c’est l’idéal —, ces avantages deviennent accessibles après une période de probation pouvant varier entre trois et six mois.

Pouvez-vous nous parler un peu plus de ce qui vous pousse à nous recommander cette période? Merci.

Dre Dutt : Certainement. Comme je l’ai déjà dit, le gouvernement du Yukon est le seul qui utilise la méthode de l’accumulation des congés avant qu’un employé puisse se prévaloir de journées de congé de maladie payé ou non. En revanche, l’Ontario prêche par l’exemple avec le dépôt du projet de loi 148 pour que les employés aient accès à deux journées de congé pour urgence personnelle au bout de deux semaines. Je crois que le congé personnel consenti par le gouvernement fédéral est lui aussi accessible après deux semaines. Par conséquent, ce serait conforme à d’autres politiques fédérales sur les congés.

Encore une fois, il faut voir les congés de maladie payés non pas comme un privilège qu’on acquiert après une longue période, mais comme un avantage de base dont les travailleurs ont besoin. Il est bien documenté que les gens savent les utiliser adéquatement. Ils les utilisent quand ils sont malades et bien souvent, ils n’utiliseront pas tous les congés auxquels ils ont droit. Tout cela nous ramène au fait que les travailleurs devraient y avoir accès dès le départ, parce qu’on peut tomber malade dès sa troisième semaine de travail, sa sixième ou après six mois. On veut avoir accès à des journées de congé de maladie payé, et les gens les utilisent adéquatement. Je pense que cela prouve qu’il faudrait y avoir accès dès que possible. Il pourrait être raisonnable de prévoir un délai d’un mois, mais on voit déjà souvent au Canada une période d’attente de deux semaines.

Le sénateur Patterson : Merci. Monsieur Villeneuve, je ne crois pas avoir entendu de réponse de votre part jusqu’ici sur les consultations menées par votre association avant le dépôt de ce projet de loi et sur votre degré de satisfaction à l’égard de la façon dont vous avez été consultés, si vous l’avez été.

M. Villeneuve : Oui, l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, ou AIIC, a déjà eu l’occasion d’en discuter avec le gouvernement. Nous n’avons pas participé à des consultations officielles, mais nous avons pu formuler nos recommandations. Nous avons indiqué notre fort appui à la protection des travailleurs de la santé, particulièrement en ce qui concerne le harcèlement, et c’est vraiment un grand pas dans la bonne direction. Nous n’avions pas vu le projet de loi encore, mais nous sentions que nous avions là l’occasion d’exprimer notre fort appui.

Le sénateur Patterson : Merci. Madame Gordon, j’ai une brève question à vous poser. Je comprends que les travailleurs de la restauration ne sont pas visés par ce projet de loi. Que recommanderiez-vous pour protéger les travailleurs du milieu de la restauration?

Mme Gordon : Nous espérons que l’adoption de ce projet de loi établira un précédent et une norme pour les provinces et les territoires. Cela fera croître la pression pour qu’ils accordent 10 jours de congés de maladie payés.

C’est en Colombie-Britannique que la norme est la plus élevée jusqu’à maintenant, elle sera portée à cinq dès la prochaine année. Au moins, le gouvernement fédéral donne l’exemple, ce qui est non négligeable. Il y a aussi de l’éducation à faire : il faut trouver des façons de sensibiliser les employeurs au bien-fondé que les travailleurs restent à la maison quand ils sont malades et que l’employeur leur accorde des congés.

Le sénateur Patterson : Merci. Bref, vous nous recommandez d’adopter ce projet de loi.

[Français]

La sénatrice Verner : J’imagine que l’interprétation fonctionne bien pour nos témoins. En tant que sénatrice du Québec, j’aimerais m’adresser à eux en français, si possible. Est‑ce que l’interprétation est disponible?

[Traduction]

La présidente : Cela fonctionne, sénatrice. Nous vous entendons très bien.

[Français]

La sénatrice Verner : Je ne répéterai pas les mêmes questions que mes collègues. Je voulais simplement faire un commentaire à propos du certificat médical qui serait plus difficile à obtenir pour certains employés qui sont malades. J’entends ce que vous me dites quand vous affirmez qu’il y a une barrière qui peut les empêcher d’obtenir ce certificat.

Docteure Dutt, et peut-être aussi madame Gordon, avez-vous envisagé la possibilité que ce fameux certificat médical soit disponible en clinique, par téléconsultation, dans le but d’éviter qu’un employé malade prenne le transport en commun et aille s’asseoir dans les urgences de cliniques médicales ou d’hôpitaux pour se procurer ce certificat?

Avec la COVID, les téléconsultations avec les cliniques médicales sont devenues très populaires. À la limite, au Québec, dans certaines cliniques, il y a ce qu’on appelle les super infirmières qui pourraient délivrer ce certificat. Avez-vous tenu compte de cette option dans votre requête en vue d’éviter d’obtenir un certificat médical?

Dre Dutt : Je n’avais pas d’interprétation, mais je vais tenter de répondre, car je pense avoir bien compris votre question.

À mon avis, il n’y a pas lieu d’obtenir un certificat. Je crois qu’il est important pour une personne de consulter un médecin ou une infirmière si elle a besoin de soins de santé. Selon moi, un certificat est simplement quelque chose que j’écris. Si je donne un certificat au patient, je ne lui donne pas de soins. Je ne pense pas que l’option virtuelle soit sensée. Si je n’examine pas la personne, je ne lui prescris pas de médicaments. Je ne la vois que pour lui délivrer un certificat.

Dans un tel cas, si on accorde aux employés 10 journées de congé de maladie, elles peuvent les utiliser au besoin et cela rend le certificat médical inutile.

J’étais très nerveuse de parler en français; j’espère que vous m’avez bien comprise.

La sénatrice Verner : Je vous ai très bien comprise; je suis simplement déçue que l’interprétation n’ait pas fonctionné pour vous. Je crois que ma question est très pertinente à l’ère où les téléconsultations sont de plus en plus populaires dans les cliniques. Je sais qu’en Ontario, les choses vont plus vite dans ce sens, car les infirmières peuvent poser des actes médicaux plus poussés que dans certaines régions du Québec.

Pour éviter qu’un travailleur malade ait à se déplacer, je me demandais s’il ne pouvait pas simplement avoir un rendez-vous en téléconférence avec une infirmière clinicienne ou tout simplement, s’il y a lieu, avec son médecin de famille.

Je tiens simplement à dire que j’appuie les propos de Mme Gordon, c’est-à-dire que lorsque la loi sera en vigueur, il faudra une bonne campagne de sensibilisation pour que les employeurs et les travailleurs connaissent bien les outils à leur disposition quand ils sont malades. Je pense que c’est essentiel. Mme Gordon a soulevé un bon point.

La sénatrice Petitclerc : Je vais m’exprimer en français. J’ai deux questions. Ma première question s’adresse à M. Villeneuve et, s’il me reste du temps, j’en aurai une autre pour la Dre Dutt.

Monsieur Villeneuve, vous l’avez mentionné, depuis le début de la pandémie, nos infirmières et nos infirmiers travaillent fort dans des conditions très difficiles. Avec ce projet de loi, on tente de les protéger de toute forme d’intimidation possible, tout en respectant le droit des citoyens de s’exprimer.

J’ai deux questions à cet égard. Vous savez peut-être que la Colombie-Britannique tente d’adopter un projet de loi qui établirait une sorte de zone franche de 20 mètres autour des installations, ce qui offrirait une protection supplémentaire.

Qu’en pensez-vous? À votre avis, est-ce que ce serait utile et est-ce que cela offrirait un peu plus de sécurité à nos infirmières et infirmiers? En fait, est-ce nécessaire ou le projet de loi tel qu’il est est-il suffisant ?

[Traduction]

M. Villeneuve : Merci. Nous n’avons pas encore arrêté notre position sur le nombre de pieds ou de mètres de distance nécessaire. Cependant, je pense que nous appuierons vivement tout ce qui pourra aider les infirmiers et infirmières, les médecins et les autres dans ce projet de loi, pour qu’ils puissent entrer dans les hôpitaux et leurs lieux de travail puis en sortir en toute sécurité.

Là est le problème. Nous sommes passés du statut de héros à une situation où on nous bouscule et on nous insulte, littéralement. Nous ressentons une forte solidarité avec que nos collègues de notre profession et estimons que les gens ont le droit de se rassembler librement, pour des activités syndicales ou faire la grève, entre autres. Mais prenons l’exemple d’une manifestation syndicale. Nul besoin d’insulter les gens, de les bousculer et de les frapper, de les empêcher de se rendre au travail parce qu’ils portent les messages de la santé publique. Il faut comprendre qu’en vertu de leurs codes de déontologie, les infirmiers et infirmières, les médecins et les autres professionnels ont l’obligation, de par leur travail, de parler ce langage et d’offrir des soins.

Nous sommes donc prêts à appuyer toute mesure de protection raisonnable pour notre personnel en ligne ou dans leurs déplacements entre leur lieu de résidence et leur lieu de travail. Je suis désolé de ne pas pouvoir prendre position sur la proposition de la Colombie-Britannique. Je ne connais pas bien la distance exacte dont vous parlez.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie. Dans vos notes d’introduction, vous avez parlé de l’intimidation en ligne. J’ai un peu de mal à voir comment ce projet de loi va protéger les infirmiers et les infirmières dans des situations d’intimidation sur des plateformes en ligne.

Avez-vous un commentaire ou une réflexion à faire à cet égard?

[Traduction]

M. Villeneuve : Il nous semble très clair que l’intention de ce projet de loi est de protéger les gens contre toute menace, tout harcèlement et toute intimidation sur un portail en ligne comme Facebook ou même par courriel. Certains d’entre nous se font dire des choses ou reçoivent des messages assez perturbants, au point où certaines infirmières et certains infirmiers sentent le besoin d’être protégées pendant le trajet entre l’établissement et leur voiture, par exemple, à cause de tout ce qu’elles se font dire en ligne. C’est très intimidant.

D’après ce que nous comprenons, l’intention de ce projet de loi est de protéger les gens contre tout harcèlement verbal et physique en personne et contre les menaces en ligne du type « nous allons vous trouver » ou « vous allez nous trouver sur votre chemin si vous parlez positivement des vaccins », ou de quoi que ce soit d’autre.

Nous espérons qu’il s’appliquera aux menaces que les infirmiers et infirmières nous disent recevoir. Nous en recevons également à l’association.

La présidente : Sénatrice Petitclerc, il vous reste 40 secondes.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Très brièvement, docteure Dutt, vous avez mentionné que le besoin d’avoir un certificat médical pouvait poser certains défis.

D’après vous, est-ce que certains groupes pourraient faire face à plus d’obstacles que d’autres? Est-ce que cette demande visant à obtenir un certificat d’expert médical pour avoir une journée de congé payé pourrait causer, de façon disproportionnée, des obstacles à certains groupes plus qu’à d’autres? Je pense notamment à des personnes en situation de handicap.

[Traduction]

La présidente : Docteure Dutt, veuillez répondre à la question brièvement, parce que nous n’avons presque plus de temps.

Dre Dutt : La réponse brève est « oui ». Rebecca Gordon a aussi expliqué que les personnes en situation de travail précaire peuvent avoir de la difficulté à trouver un moyen de transport ou des services de garde pour leurs enfants le temps d’aller voir un médecin, ou qu’elles peuvent ne pas avoir de médecin de famille ou d’infirmière praticienne. Il y a beaucoup de groupes aussi, comme celui des personnes handicapées, qui peuvent avoir de la difficulté à obtenir des soins médicaux.

Beaucoup de groupes trouveront difficile d’obtenir un billet médical, donc c’est certain que cette exigence nuira particulièrement à certains groupes.

Le sénateur Kutcher : Je remercie tous nos témoins.

Je poursuivrai dans la foulée des questions de la sénatrice Petitclerc, pour creuser un peu plus sur les certificats médicaux. La population a-t-elle équitablement accès à des certificats médicaux partout au Canada et dans la négative, quels groupes en particulier ont le plus de mal à en obtenir, selon vous?

Dre Dutt : Je reviendrai avant tout à cette question fondamentale : quel est le but d’un billet médical? C’est essentiellement d’attester qu’en effet, la personne est malade, mais dans la plupart des cas, les gens se rétabliront sans intervention médicale, et ce certificat n’apportera rien.

Pour ce qui est des personnes à qui nuira le plus cette exigence, c’est, et je me répète encore : quiconque a difficilement accès à un professionnel de la santé ou aura du mal à se rendre dans une clinique. J’ai déjà vu des personnes en consultation avec leurs enfants, qui avaient dû prendre une journée de congé de plus seulement pour prendre rendez-vous afin d’obtenir un certificat médical, alors qu’elles auraient vraiment pu juste rester chez elles trois ou quatre jours et qu’elles n’auraient jamais dû avoir besoin de ce papier pour retourner au travail. Quiconque est confronté à ce genre de difficultés trouvera compliqué d’obtenir un billet médical.

Pour moi, cela revient au fait que ce certificat n’ajoute rien aux soins médicaux et qu’il ne change rien non plus au fait que la personne aurait simplement dû avoir des congés de maladie et les utiliser pour se rétablir, puis retourner au travail.

Le sénateur Kutcher : Je suis moi-même médecin, donc vous prêchez à un converti à ce chapitre. Je me demandais seulement si vous aviez plus de détails à nous donner.

Quelle est l’opinion générale des médecins sur la valeur de ces certificats et leur volonté à les remplir?

Dre Dutt : Nous savons, par exemple, que les femmes se prévalent généralement plus souvent de congés de maladie payés que les hommes, donc on peut dire que ces derniers seraient démesurément touchés par cette mesure. Pour ce qui est de l’opinion des médecins, selon un sondage réalisé en 2019, 76 % des médecins produiraient au moins un certificat médical par jour, donc cela leur prend du temps. Il y a 13 % des fournisseurs de soins d’urgence qui facturent la rédaction d’un certificat médical à leurs patients parce qu’ils se trouvent à ne fournir aucun soin, si bien qu’ils doivent se faire payer d’une manière ou d’une autre. Il y a 90 % des médecins qui croient que leurs patients n’avaient pas besoin de soins médicaux quand ils se sont présentés pour obtenir un certificat médical. Les médecins en produisent tous les jours. Ils ne les jugent pas nécessaires. Ils estiment que les gens sont aptes à déterminer eux-mêmes quand ils sont prêts à retourner au travail et que la plupart d’entre eux n’ont pas besoin d’autres soins.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie de cette réponse.

Monsieur Villeneuve, je suis content de vous revoir. Abordons un peu l’aspect criminel. Les mesures contenues dans ce projet de loi pour protéger les travailleurs de la santé vous semblent‑elles aller assez loin? Auriez-vous d’autres propositions à faire pour assurer la sécurité des professionnels de la santé et des patients?

M. Villeneuve : Nous n’avons pas d’amendements importants à recommander au projet de loi. Nous croyons [Difficultés techniques] un plan pour protéger les travailleurs de la santé, et nous n’avons aucune modification à proposer.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup.

Madame Gordon, croyez-vous qu’il y a des préjugés contre les travailleurs pour ce qui est des journées de congé de maladie, qu’on ne leur fait pas confiance? Les employeurs veulent de ce bout de papier, parce que bien sûr, il leur inspire confiance, mais ne pourraient-ils pas faire confiance aux travailleurs? Ne croyez‑vous pas qu’il y a beaucoup de choses qui se cachent derrière cette discussion sur le certificat médical?

Mme Gordon : Oui. Vous m’avez enlevé les mots de la bouche. Pendant que vous parliez, je me disais que, comme employée, j’ai l’impression que mon employeur ne me fait pas confiance lorsqu’il exige un certificat; et puis il faut courir partout pour s’assurer qu’on est en sécurité dans son emploi. C’est une question de confiance. D’après ce que j’ai pu constater en tant que gestionnaire de travailleurs, nous avions des jours de congé de maladie payé à mon lieu de travail, et je n’ai pas constaté que mes employés en abusaient. En fait, ils sentaient qu’on leur faisait confiance. Ils étaient plus fidèles à notre entreprise parce qu’ils savaient que nous les respections.

Nous avons entendu des histoires semblables. Nous travaillons avec divers restaurants qui emploient des membres de la Coalition Canadienne des Travailleu.r.se.s de la Restauration et qui offrent 10 jours de congé de maladie payé, et ils constatent que leurs employés ne les utilisent pas tous. Ils les utilisent très prudemment, car ils ne savent pas quand ils vont tomber malades. Ils sont très prudents et n’en abusent pas.

Le sénateur Kutcher : Estimez-vous valable l’argument voulant que les jours de congé de maladie — les vrais jours de congé de maladie, pour lesquels aucun certificat médical n’est requis — réduisent considérablement la productivité et créent plus de problèmes dans le milieu de travail?

Mme Gordon : Non, ce n’est pas le cas. Je dirais même que c’est le contraire. Si vous allez travailler alors que vous êtes malade, vous ne vous donnez pas à fond. Dans les restaurants, nous avons vu des gens malades qui finissaient par se couper et devaient aller à l’hôpital; les gens travaillent beaucoup plus lentement et ne font pas leur travail correctement, et le service à la clientèle est moins bon. Les gens qui vont au travail alors qu’ils sont malades ne font que nuire à la productivité. Il est probablement plus avantageux pour les entreprises de permettre aux gens de rester à la maison lorsqu’ils sont malades et d’être quand même payés.

La sénatrice Bernard : Je me sens coupable de prendre le temps de mon collègue de la Nouvelle-Écosse, mais je vais le prendre.

Je veux revenir sur quelques questions que certains de mes collègues ont posées, et je veux aller un peu plus loin.

Tout d’abord, docteure Dutt, je me demande si vous pouvez étoffer l’information que vous avez donnée plus tôt sur la façon dont le modèle d’accumulation de congés pénalise davantage les personnes racialisées et les femmes, et si vous pouvez expliquer la façon dont elles profiteraient de l’élimination de ce modèle. J’aimerais que vous nous donniez un peu plus d’information à ce sujet, s’il vous plaît.

Dre Dutt : À titre d’exemple, Statistique Canada a indiqué en 2019 que les femmes ont tendance à prendre plus de jours. Le nombre moyen de jours pris en congé pour maladie et invalidité était de 8,4 pour les hommes, alors qu’il avait tendance à être de 10,4 pour les femmes. Les femmes ont effectivement tendance à utiliser plus souvent les jours de congé de maladie payé. Si elles n’avaient pas ces jours de congé de maladie, elles ne pourraient pas utiliser les jours dont elles ont besoin lorsqu’elles sont malades.

Nous savons que les personnes qui occupent des postes à court terme ou contractuels et qui se trouvent dans des situations de travail plus précaires ont tendance à être des personnes racialisées, des nouveaux arrivants, des immigrants, des Noirs et des Autochtones. Ces situations d’emploi précaires ne s’accompagnent généralement pas de jours de congé de maladie payé.

Avec la méthode d’accumulation de congés, si ces personnes n’occupent pas un poste pendant une longue période, ce qui est souvent le cas, elles n’auront pas accès à ces jours de congé de maladie payé. C’est la raison pour laquelle les répercussions seraient disproportionnées, car ces personnes ont tendance à occuper un poste pendant de plus courtes périodes ou à commencer un nouvel emploi plus souvent, de sorte qu’elles ne pourraient pas avoir accès à ces jours de congé de maladie payé.

La sénatrice Bernard : Merci.

Je me demande si je peux demander à l’un ou l’autre de nos témoins de nous en dire plus sur le commentaire qui a été fait précédemment concernant le besoin de sensibilisation et de surveillance. Dans le meilleur des cas, si ce projet de loi est adopté, quels sont les moyens qui, selon vous, permettraient d’atteindre les personnes les plus touchées par l’absence de jours de congé de maladie payé? Quelles seraient les meilleures stratégies pour atteindre ces personnes afin de les sensibiliser? Et j’aimerais qu’on me dise aussi qui devrait assumer cette responsabilité.

Mme Gordon : Je ne sais pas si j’ai les réponses à cette question. Une des choses que je sais, concernant les travailleurs de la restauration, c’est que nous n’avons pas le temps de lire les projets de loi, et si des dispositions sont adoptées alors que vous ne les comprenez pas vraiment, cela peut sembler décourageant et insurmontable. Je pense qu’il serait utile de rédiger les textes dans un langage facile à comprendre.

Il y a eu beaucoup de messages d’intérêt public, dans le contexte de la COVID-19, et les médias sociaux ont aidé à joindre les jeunes travailleurs. Ce serait peut-être une solution. Il faudrait peut-être faire plus de recherches sur les meilleures façons d’atteindre ces personnes, mais la première chose à faire est de veiller à ce que le message soit communiqué dans un langage facile à comprendre.

La sénatrice Bernard : Est-ce que quelqu’un d’autre aimerait dire quelque chose?

Dre Dutt : Je peux faire un commentaire rapide sur l’importance de l’accessibilité directe aux congés de maladie payés. Nous savons, par exemple, que certains des programmes qui ont été mis en place — comme la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique et le programme de l’Ontario — ont eu un taux de participation plus faible que prévu. Cela s’explique en partie par la difficulté d’y accéder. Comme cela a déjà été dit, il se peut que les gens ne connaissent pas le programme, qu’il y ait des étapes à franchir pour accéder à ces journées, et que les employeurs doivent prendre des mesures supplémentaires. Tous ces éléments rendent l’accès plus difficile pour les gens. Plus nous pouvons simplifier et faciliter l’accès, si cela fait partie de votre emploi et qu’il n’y a pas de démarches supplémentaires à faire, plus c’est efficace.

La sénatrice Bernard : Merci.

La sénatrice Griffin : J’ai quelques questions rapides, je l’espère, pour que le sénateur Kutcher ait plus de temps. En passant, mes questions s’adressent à chacun des groupes qui comparaissent. Est-ce que ce projet de loi couvrira une grande partie des gens que vous représentez?

M. Villeneuve : Nous parlons, bien sûr, d’un groupe différent, pour l’AIIC, car notre association est le porte-parole professionnel des 450 000 infirmières et infirmiers qui en sont membres. Dans tout le pays, c’est depuis l’automne que les infirmières et infirmiers nous disent qu’ils veulent une forme de protection, à cause des manifestations qu’on a vues devant des hôpitaux, où des infirmières étaient harcelées et menacées. Les infirmières et infirmiers à qui nous avons parlé nous ont dit comprendre que la santé est réglementée par les provinces et les territoires, mais elles croient fermement que le gouvernement fédéral a le pouvoir de manifester clairement son soutien en faveur d’un environnement de travail respectueux. Nous pensons que cela couvre très bien les travailleurs de soutien et tous les différents travailleurs de la santé, mais il est certain que les les infirmières et les infirmiers seront satisfaits de cela.

La sénatrice Griffin : On dirait que cela ne représente pas très bien beaucoup d’autres groupes. Vous êtes tous concernés par cette question, d’une manière ou d’une autre. Avez-vous été consultés lorsque le gouvernement du Canada s’est engagé à collaborer avec les employés et les travailleurs sous réglementation fédérale pour la mise en œuvre de cette loi, ainsi que pour l’élaboration du plan national? Avez-vous été consultés? Le silence est assourdissant. Dois-je considérer ce silence comme étant la réponse à ma question?

Mme Gordon : Non, la Coalition Canadienne des Travailleu.r.se.s de la Restauration n’a pas été consultée sur ce projet de loi en particulier. Nous avons fait beaucoup de travail en parlant aux députés tout au long de la pandémie, mais en six mois, nous n’avons pas été consultés sur ce sujet.

M. Villeneuve : Comme je l’ai dit plus tôt, nous avons effectivement discuté avec le gouvernement de cet éventuel projet de loi, mais le travail sur les jours de congé de maladie incombe généralement à nos collègues du milieu syndical, la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers. Cela aurait été l’endroit approprié pour cette discussion. Nous avons bien sûr parlé de l’intention du projet de loi dans son ensemble et des changements apportés au Code criminel. Merci.

Dre Dutt : Je dirais qu’il s’agit d’un problème qui remonte à de nombreuses années, alors nous avons fourni des commentaires au fil des ans. Pour ce projet de loi particulier, nous apportons notre contribution maintenant que le projet de loi a été déposé. Nous avons été en mesure de donner notre avis. Vu la rapidité avec laquelle tout a été élaboré, nous n’avons pas donné notre avis sur les détails, mais nous avons donné notre avis sur ce que nous pensons qu’il devrait contenir.

La sénatrice Griffin : Merci.

La sénatrice Moodie : Merci à nos témoins d’aujourd’hui. Monsieur Villeneuve, c’est à vous que je vais adresser ma question. C’est un plaisir de vous revoir. Bienvenue au Sénat.

Vous avez décrit des cas d’agressions, de violence verbale et de perturbation de l’accès sécurisé aux hôpitaux, entre autres événements signalés par vos 450 000 infirmières et infirmiers. Avez-vous entendu dire que des groupes particuliers sont touchés? Ce que je veux savoir, c’est si ces comportements d’intimidation sont, d’une manière ou d’une autre, dirigés de façon disproportionnée vers les personnes racialisées, les travailleurs de la santé handicapés qui tentent d’accéder à leur lieu de travail et qui courent un risque accru. Je me demande si ce comportement s’étend à l’intérieur de l’hôpital et aux interactions au chevet des patients. Dans quelle mesure ce problème est-il répandu?

M. Villeneuve : Ce problème est omniprésent, monsieur le président. Je vais confier cette question à ma collègue, Aden Hamza, qui est notre experte en matière de violence au travail.

Aden Hamza, responsable de l’élaboration des politiques, Association des infirmières et infirmiers du Canada : Je vous remercie de cette question. Bien que nous n’ayons pas de données précises sur les communautés racialisées ou marginalisées qui sont touchées, dans le secteur des soins de santé, nous savons que la violence en milieu de travail est un problème grave pour les infirmières et infirmiers. Selon un rapport publié l’été dernier par nos collègues de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et infirmiers, 8 infirmières et infirmiers sur 10 ont signalé des actes de violence physique au travail. En ce qui concerne le harcèlement verbal, 1 personne sur 5 en fait l’expérience quotidiennement. Bien entendu, cela n’a pas que des répercussions physiques sur les infirmières et infirmiers, en ce qui concerne les blessures liées au travail — environ 40 % d’entre eux signalent une blessure liée au travail une fois par mois —, mais vous pouvez également imaginer les répercussions psychologiques : les infirmières et infirmiers affichent désormais des taux d’anxiété et de dépression parmi les plus élevés chez les travailleurs de la santé.

La sénatrice Moodie : Merci, madame Hamza. Je me demande, avec cette information, si vous pouvez nous aider, dans notre rôle de législateurs, à comprendre comment nous pouvons établir une meilleure définition. Avons-nous bien saisi les types d’activités et d’incidents que le projet de loi doit cibler? Est-ce que nous avons bien saisi ces éléments dans le projet de loi? Avez-vous des recommandations à formuler?

Mme Hamza : Pour l’instant, nous n’en avons pas.

La sénatrice Moodie : Sommes-nous allés assez loin?

Mme Hamza : En ce qui concerne la collecte de données, nous avons besoin de plus d’information, mais nous sommes très satisfaits du projet de loi et des dispositions législatives qui ont été présentées.

La sénatrice Moodie : Merci.

La sénatrice Dasko : Merci d’être avec nous aujourd’hui. Je veux brièvement revenir sur la question des 10 jours de congé. J’aimerais savoir ce que vous pensez de la façon dont le gouvernement est arrivé à 10 jours et si vous avez pu jouer un rôle dans la consultation. D’où viennent ces 10 jours? Le gouvernement est passé de 3 à 10 jours. J’aimerais savoir ce que vous pensez des motifs du gouvernement et de la façon dont il a pris la décision de donner 10 jours.

Par ailleurs, y a-t-il actuellement des provinces qui ont 10 jours de congé de maladie? Est-il possible que cela soit à l’origine de cette décision? Est-ce qu’en légiférant sur les 10 jours, le gouvernement va plutôt, en fait, prendre de l’avance lorsqu’il s’agit d’établir la norme? J’aimerais que vous puissiez tous répondre à cette question, si vous le pouvez. Merci.

M. Villeneuve : Merci beaucoup. Je ne sais pas si j’ai la bonne réponse, mais j’ai cru comprendre que cela correspondait à la crise qui sévit dans tout le pays avec la pandémie, puisqu’on demande parfois aux gens de s’isoler pendant 10 jours. Si, selon la règle en matière de santé publique, vous pouvez établir un diagnostic positif à la maison avec votre propre test, ou que vos symptômes correspondent à la liste fournie, vous devez rester chez vous pendant 10 jours. Les citoyens font déjà ce que les responsables de la santé publique leur disent de faire. Nous ne sommes pas des experts dans ce domaine, et n’avons pas été consultés sur le nombre de jours. J’ai l’impression que cela correspond aux 10 jours d’isolement prévus pour la COVID-19.

La sénatrice Dasko : C’est intéressant. Est-ce que quelqu’un d’autre souhaite faire des commentaires à ce sujet?

Dre Dutt : Je pense que cela concorde avec la COVID-19. En même temps, je pense que l’on commence à estimer que les 10 jours sont une norme. Par exemple, la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, l’Australie et la Suisse offrent toutes au moins 10 jours de congé de maladie payé. La Suède en offre 14. L’Allemagne offre plusieurs semaines de plus. En fait, le Canada serait en train de rattraper son retard à ce stade. Nous n’établirions pas la norme, nous la rattraperions. Cela correspond également à ce que nous savons sur la durée de la maladie des gens lorsqu’ils ont un rhume ou une maladie gastro-intestinale qui provoque de la diarrhée ou des vomissements; cela peut aller de deux à sept jours. Cela tient également compte de certains services préventifs. Des études ont été réalisées à ce sujet. Si les gens ont neuf jours, ils utilisent aussi au moins quelques-uns de ces jours pour accéder aux soins de santé d’une manière qui les aide à éviter de tomber malades, ce qui est aussi extrêmement utile.

La sénatrice Dasko : Y a-t-il des provinces qui offrent 10 jours?

Dre Dutt : Non. La Colombie-Britannique en offre cinq. On estime la norme à 10 jours, mais aucune province n’offre 10 jours.

La sénatrice Poirier : Merci à tous les témoins de leur participation. Je vais d’abord poser ma question à Dre Dutt. Est‑ce que je l’ai bien prononcé?

Dre Dutt : Oui. Merci.

La sénatrice Poirier : Je reviens sur certains des commentaires que vous avez faits précédemment et que vous avez répétés. Vous avez cité un certain nombre de pays où l’on offre déjà 10 jours de congé de maladie. Avez-vous des données montrant que, dans les pays en question, les travailleurs reçoivent 10 jours immédiatement au début de l’année ou dans les deux, trois ou quatre premières semaines, conformément à la modification que vous demandez? Les 10 jours s’accumulent-ils plutôt sur toute l’année? Et si cela commence dès le début de l’année dans les pays dont vous parliez, existe-t-il des données sur la fréquence des cas où ces 10 jours sont utilisés tout au début de l’année — de sorte qu’il ne reste plus de jours de maladie à la fin de l’année —, ainsi que sur la façon dont on règle ce problème lorsque le travailleur est de nouveau malade, mais qu’il a utilisé tous ses jours de congé de maladie au début de l’année?

Dre Dutt : Nous ne disposons pas d’une ventilation par pays, mais selon le modèle typique, vous disposez d’une période beaucoup plus courte, après laquelle vous pouvez accéder aux jours de congé, ce qui correspond à ce que nous avons constaté au Canada, même dans le cadre de la politique actuelle de congé du Code du travail fédéral. Le fait est que la plupart des gens y ont accès bien plus tôt dans leur emploi qu’après le premier mois. Pour ce qui est du moment où les gens les utilisent dans l’année, je n’ai pas cette information. J’ai l’information selon laquelle, sur toute l’année, les gens ont tendance à utiliser beaucoup moins que les jours qui leur sont alloués. Même s’ils les utilisent au début, nous savons qu’ils n’ont pas tendance à utiliser plus que ce qu’ils ont pour toute l’année.

La sénatrice Poirier : Si les 10 jours ne sont pas utilisés pendant l’année, savez-vous s’ils sont conservés ou accumulés? Peuvent-ils en utiliser 20 l’année suivante ou utiliser le solde de ce qui n’a pas été utilisé dans une année pour l’année suivante?

Dre Dutt : Dans la plupart des programmes, la tendance veut que vous ayez un certain nombre de jours pour l’année et que ce soit tout.

Les jours de congé ne sont généralement pas reportés à l’année suivante. Vous commencez l’année suivante avec une nouvelle réserve de jours de congé — que ce soit 10 jours ou un autre nombre de jours —, car c’est pour la maladie. C’est le nombre moyen de jours que les gens ont tendance à utiliser en un an. Ils peuvent avoir le même nombre de jours à nouveau pour l’année suivante.

La sénatrice Poirier : Madame Gordon, avez-vous des données ou d’autres informations concernant les questions que je viens de poser? Avez-vous de l’information à ce sujet de votre côté, pour l’industrie hôtelière?

Mme Gordon : Non, malheureusement, je n’ai pas de données exactes sur les 10 jours et la façon dont ce choix a été fait. Je n’ai vu que des données provenant des États-Unis et de leurs différents États, mais ils ne vont pas jusqu’à 10 jours. Cependant, ces données montrent que ce n’est pas tout le monde qui utilise tous ses jours de congé de maladie au cours d’une année.

La sénatrice Poirier : Merci.

La sénatrice Lankin : Je remercie tous les témoins de leur présence et de leurs exposés. Docteure Dutt, je voulais revenir sur le commentaire que vous avez fait au sujet des chiffres que la recherche montre, à savoir que les femmes prennent proportionnellement un plus grand nombre de jours de congé de maladie. Ce constat remonte à de nombreuses années. Je vous demande maintenant si l’information que vous avez est nouvelle ou peut-être plus pertinente. Je ne suis peut-être pas à jour.

À l’époque où je faisais de la recherche en économie et de la négociation, nous essayions d’accroître l’accès aux congés pour soins familiaux — on pense en particulier aux enfants. Encore une fois, à l’époque, il était clair que la responsabilité principale des soins familiaux incombait aux femmes, et que celles-ci finissaient de manière disproportionnée par utiliser leurs propres jours de congé de maladie pour s’occuper de leur famille.

Nous avons fait des progrès dans l’accès aux soins familiaux. Je me demande si les chiffres montrent ces progrès et si ce déséquilibre est toujours présent.

Dre Dutt : Il semble que vous pourriez certainement m’en apprendre davantage à ce sujet. Ce que nous savons maintenant de cette information de Statistique Canada qui date de 2019, c’est que le nombre moyen de jours perdus par travailleur, par année, pour des responsabilités personnelles ou familiales était de 2,2 pour les femmes et de 1,6 pour les hommes. Nous parlons de 2019. Cette disparité est toujours présente. Nous savons que les gens peuvent souvent utiliser des jours de maladie pour s’occuper de leur famille s’ils n’ont pas d’autres congés à utiliser. Ce sont souvent les femmes qui s’occupent d’un enfant malade ou même de certains détails comme la vaccination. Nous savons que les personnes bénéficiant d’un congé de maladie payé sont plus susceptibles d’aller se faire vacciner, et il en va de même pour les femmes qui peuvent emmener leurs enfants. D’autres pourraient le faire, mais il revient souvent de façon disproportionnée aux femmes et aux mères de le faire.

La sénatrice Lankin : Merci. Je suis désolée si je m’éloigne un peu de votre domaine d’expertise général. Cependant, je voulais insister sur ce point, car avec de telles affirmations — comme dans ce cas, où les seuls chiffres montrent une plus grande utilisation par les femmes —, les gens qui ne connaissent pas les facteurs qui y contribuent, notamment les facteurs culturels, peuvent simplement penser, à cause de la méfiance qu’ils entretiennent à l’égard des travailleurs, que les femmes sont plus souvent malades. Je veux toujours mettre les choses en perspective de sorte que la prochaine fois que de tels chiffres sont cités, vous puissiez penser qu’il y a peut-être une raison à cela, outre la simple considération d’un comportement différent en fonction du sexe.

Ma deuxième question s’adresse à M. Villeneuve. S’il vous plaît, si cela ne relève pas de la compétence de l’association, dites-le-moi. Je voudrais examiner l’énoncé concernant la Charte que le gouvernement a fourni au sujet des dispositions visant à garantir aux patients un accès sûr aux services de soins de santé légaux et à protéger les fournisseurs de soins de santé.

Dans ce contexte, nous savons que la Charte protège la liberté d’association et la liberté d’expression, et nous savons également qu’il y a eu des injonctions particulières, parfois, qui visaient à équilibrer les droits des gens en vertu de ces dispositions. Les choses ne vont jamais nettement dans un sens ou dans l’autre.

Craignez-vous que le projet de loi, dans son libellé actuel, puisse faire l’objet de contestations judiciaires — qu’il soit vulnérable aux contestations judiciaires — selon lesquelles ces dispositions confèrent un droit qui constitue une violation de la Charte pour les personnes qui protestent ou que cette loi contrôle ou réglemente? Avez-vous des inquiétudes? Avez-vous examiné cette question? Est-ce une question sur laquelle l’association peut exprimer une opinion?

M. Villeneuve : Merci beaucoup. Nous avons effectivement discuté de la question au cours de la dernière semaine. Comme vous le savez, tout cela a été très soudain. Notre préoccupation concerne, par exemple, les groupes de défense des droits des patients qui pourraient vouloir se réunir et s’exprimer devant un hôpital. Des personnes racialisées qui ont eu une mauvaise expérience dans un hôpital pourraient vouloir se rassembler. Ce droit doit être protégé. Nous sommes tout à fait conscients de cet enjeu. Cependant, après avoir examiné le projet de loi, nous estimons qu’il vise assez précisément les personnes qui s’en prennent aux travailleurs de la santé qui se déplacent ou aux patients qui cherchent à se faire soigner dans un établissement.

D’après notre expérience, qu’il s’agisse de syndicats qui organisent des manifestations tout à fait légitimes ou qui disent le mauvais mot à l’extérieur d’un hôpital, ou de groupes de patients ou autres, la dynamique que nous constatons est très différente. Les infirmières et infirmiers ne nous disent jamais que cela constitue vraiment un problème. Elles arrivent peut-être au travail avec une minute de retard. Mais nous n’avons pas entendu cela au fil des ans. C’est quelque chose de très nouveau. À notre avis, le projet de loi s’attaque vraiment bien à ce problème.

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup.

La présidente : Merci à tous. Merci, chers collègues, d’avoir été brefs dans vos questions. Encore une fois, merci beaucoup à nos témoins d’avoir accepté de participer malgré un si court préavis. Votre contribution à notre étude est très appréciée.

Vous avez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration, après quoi nous vous poserons les questions nécessaires à notre étude. Merci.

Bea Bruske, présidente, Congrès du travail du Canada : Bonsoir, sénateurs. C’est pour moi un plaisir et un privilège de comparaître devant vous aujourd’hui.

Je me joins à vous depuis le territoire du Traité 1 à Winnipeg, au Manitoba. Je m’appelle Bea Bruske, et je suis la présidente du Congrès du travail du Canada. Le CTC est la plus grande centrale syndicale du Canada. Nous défendons des dossiers d’importance nationale au nom de trois millions de travailleurs et travailleuses au Canada, ainsi que de tous les travailleurs et travailleuses du pays.

Les industries sous réglementation fédérale, y compris les sociétés d’État fédérales, comptent quelque 18 500 employeurs. Ensemble, ces employeurs emploient environ 955 000 personnes, soit environ 6 % de tous les employés au Canada. Un tiers à peu près de ces travailleurs sont protégés par une convention collective. La grande majorité — 87 % de ces travailleurs — travaille dans des entreprises comptant au moins 100 employés.

De nombreux employés syndiqués travaillant dans des entreprises du secteur privé sous réglementation fédérale ont négocié des congés de maladie payés avec leur employeur. Cependant, pour les employés non syndiqués d’entreprises privées sous réglementation fédérale, le gouvernement fédéral a adopté le projet de loi C-86 en 2018, qui prévoyait trois jours de congé de maladie payé.

C’était très important, car en 2015, selon l’Enquête sur les milieux de travail de compétence fédérale, un peu moins de 14 % des entreprises du secteur privé sous réglementation fédérale offraient alors un congé de maladie payé aux employés permanents qui comptaient au moins un an de service continu et qui travaillaient plus de 30 heures par semaine.

Il est essentiel d’améliorer les congés de maladie payés afin de réduire la propagation de la COVID-19. Au Canada, on estime que plus de la moitié des travailleurs — 58 % d’entre eux, en fait — n’ont pas accès à des congés de maladie payés, et cette proportion passe à 70 % si l’on considère les travailleurs à faible revenu qui gagnent 25 000 $ ou moins.

Le gouvernement fédéral, étant conscient de la nécessité de lutter contre la COVID-19, a mis en œuvre la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique à l’intention des travailleurs qui ont perdu au moins la moitié de leur semaine de travail prévu, en raison d’une maladie ou d’un isolement liés à la COVID, et, bien entendu, ce programme prévoyait une prestation hebdomadaire de 500 $. En date du 28 novembre de l’année en cours, pas moins de 780 000 Canadiens avaient tiré parti de ce programme.

Cette prestation de maladie temporaire importait parce qu’elle permettait de ralentir la propagation de la COVID, mais elle ne remplace toujours pas un congé de maladie payé offert en milieu de travail auquel tous les travailleurs peuvent avoir accès, quelle que soit l’origine de leur maladie. Même s’il s’agit d’une solution provisoire importante, la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique n’est pas offerte à tous les travailleurs malades qui en ont besoin. Elle ne s’applique qu’aux travailleurs qui ont gagné au moins 5 000 $ en 2019 ou au cours de la période de 12 mois qui précède la demande de prestations. Donc, à l’heure actuelle, des milliers de travailleurs sont laissés pour compte.

Cette prestation n’est utile qu’en dernier recours. Si l’employeur offre un autre type de congé payé, comme un congé d’invalidité de courte durée ou tout autre type de prestation, le travailleur n’est pas admissible à la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique. De même, si l’employé a demandé ou reçu la Prestation canadienne de la relance économique, des prestations pour proches aidants, des indemnités pour accidents du travail, des prestations d’assurance-emploi ou des prestations du Régime québécois d’assurance parentale, il n’a pas droit à la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique. En outre, elle n’est pas non plus offerte aux travailleurs qui sont malades pendant moins de la moitié de leur semaine de travail et, encore une fois, il s’agit d’une prestation temporaire et non permanente. Elle s’applique aussi seulement si le travailleur est atteint de la COVID et, une fois que ces prestations sont épuisées, après un maximum de huit semaines, c’est fini. Aucune autre prestation n’est versée.

Le processus de demande est également très difficile pour l’employé. Vous devez présenter une demande chaque semaine si vous avez besoin de la prestation pendant plus d’une semaine. Dans le cadre d’une étude portant sur la politique en matière de congés de maladie payés en Colombie-Britannique, le Centre for Future Work a estimé que la mise en œuvre d’un congé de maladie payé de 10 jours dans la province entraînerait une augmentation très minime des dépenses totales des entreprises qui oscillerait entre 0,15 % et 0,3 %. Le centre n’a trouvé aucune preuve que 10 jours de congé de maladie payé entraîneraient des faillites ou des pertes d’emploi généralisées. Le rapport a également répertorié les avantages que les entreprises retireraient d’une politique de congés de maladie payés, notamment une réduction du risque de transmission entre collègues et clients malades, une meilleure rétention du personnel et une plus grande confiance des clients dans ce lieu de travail.

L’étude du Centre for Future Work a permis d’énumérer de nombreux avantages associés aux politiques de congés de maladie payés, lesquels comprennent, bien sûr, la réduction de l’absentéisme des travailleurs malades, la réduction du présentéisme des travailleurs malades qui se rendent au travail, mais qui ne sont pas en mesure d’accomplir efficacement leurs tâches, ce qui pourrait engendrer des problèmes de santé et sécurité au travail. Ces politiques améliorent aussi la capacité des employeurs à recruter et à conserver leurs employés. Nous savons qu’en ce moment, de nombreuses industries ont beaucoup de mal à attirer et à conserver leur personnel.

Nous pensons également qu’en accordant aux employés le temps requis pour se faire vacciner, les employeurs contribuent à la prévention de la COVID-19 en encourageant les travailleurs à prendre cette mesure.

Au cours de la plus récente enquête que la FCEI a menée auprès de ses membres, en octobre 2021, environ la moitié des répondants ont indiqué que les pénuries de main-d’œuvre et les fermetures et restrictions futures des entreprises étaient leurs principales préoccupations. Par ailleurs, approximativement un autre tiers des répondants a répondu que la santé des personnes, y compris leur santé physique et mentale, était une préoccupation majeure. Nous croyons que des prestations de congé de maladie payé aideront les petites entreprises à résoudre tous ces problèmes.

En conclusion, sénateurs, le Congrès du travail du Canada accueille favorablement le projet de loi C-3 et demande instamment qu’il soit adopté rapidement. L’instauration de 10 jours de congé de maladie payé au sein d’un secteur privé sous réglementation fédérale se fait attendre depuis très longtemps. Cette instauration est attendue encore davantage par les millions de travailleurs qui, à l’heure actuelle, n’ont absolument aucun accès à ces prestations. C’est la raison pour laquelle nous devons nous atteler à la tâche de faire en sorte que tous les travailleurs canadiens, quel que soit leur statut d’emploi ou leur lieu de travail, aient accès à des congés de maladie payés au travail. Pendant que nous continuons de combattre la COVID-19 et d’anticiper les défis sanitaires à venir, il est tout à fait logique de s’attaquer à ce problème. Je suis impatient de répondre aux questions que vous pourriez avoir.

La présidente : Merci beaucoup.

Gil McGowan, président, Alberta Federation of Labour : Je m’appelle Gil McGowan, et j’ai le privilège de présider l’Alberta Federation of Labour, qui est le plus important groupe de défense des intérêts des travailleurs de la province de l’Alberta et qui représente environ 175 000 travailleurs des secteurs public et privé. Je me joins à vous ce soir depuis le territoire visé par le Traité no 6 à Edmonton, où vivent les Cris, les Anishinaabe, les Dénés, les Pieds-Noirs, les Saulteux et les Dakota-Sioux.

Je vais commencer mes observations ce soir en procédant à une sorte d’expérience de réflexion et en posant une question. Je ne m’attends pas à ce que tout le monde réponde à la question, mais je veux que vous y réfléchissiez. La question est simple. Combien de personnes parmi celles qui participent à cet appel ce soir ont accès à des congés de maladie payés dans le cadre de leur travail? Je m’adresse aux sénateurs, aux membres du personnel politique et aux fonctionnaires. Je pense pouvoir affirmer sans me tromper que la grande majorité d’entre vous n’ont pas à réfléchir à deux fois pour savoir s’ils peuvent, oui ou non, prendre congé lorsqu’ils sont malades. Mais pendant que vous y réfléchissez, je veux vous encourager à comprendre que nous nous trouvons dans une position privilégiée. Malheureusement, tous les Canadiens ne bénéficient pas de ce privilège. En fait, dans ma province, environ deux tiers des travailleurs n’ont accès à aucun congé de maladie payé dans leur milieu de travail.

Qu’est-ce que cela signifie pour ces travailleurs? Eh bien, cela signifie que, lorsqu’ils tombent malades, ils doivent faire un choix entre faire ce qu’il faut en restant à la maison et aller travailler en étant malades. Cela veut dire qu’ils ont plus de mal à suivre les conseils des responsables de la santé publique parce que, franchement, ils doivent assumer des coûts financiers qu’aucun d’entre nous — les personnes ayant la chance d’avoir accès à des congés de maladie payés — n’a à envisager.

Il s’ensuit que bon nombre de gens vont au travail alors qu’ils savent qu’ils ne devraient pas le faire, et le nombre de personnes qui le font est en fait assez choquant. Il y a quelques mois, la médecin hygiéniste en chef de l’Alberta, Dre Deena Hinshaw, a reconnu que plus de 10 % des personnes ayant obtenu un résultat positif à un test de dépistage de la COVID se rendaient au travail alors qu’elles étaient malades. Évidemment, ces chiffres seraient beaucoup plus élevés s’ils étaient atteints d’une autre maladie qu’ils pourraient transmettre à leurs collègues. Toutefois, 10 % des patients ayant obtenu un résultat positif à un test de dépistage de la COVID se rendaient au travail alors qu’ils étaient malades, et ce, au beau milieu de la deuxième et troisième vague de la COVID-19 en Alberta.

Qui sont donc les personnes qui n’ont pas de congés de maladie payés? Nous avons entendu Dre Dutt et d’autres intervenants aborder la question, mais ce sont précisément les personnes qui en ont le plus besoin. Nous parlons des travailleurs non professionnels du secteur des services, des personnes qui travaillent en première ligne. Ce sont des gens qui n’ont pas eu le luxe de pouvoir travailler à la maison pendant la pandémie, des gens comme les travailleurs dans les épiceries, les salariés des usines de transformation de la viande, les personnes qui travaillent dans des établissements de soins de longue durée, les travailleurs de la construction, même des membres du secteur des soins de santé où la plupart des employés sont syndiqués ou des milieux de travail syndiqués où les travailleurs sont beaucoup plus susceptibles d’avoir accès à des congés de maladie payés. Cependant, même dans le secteur des soins de santé, de l’éducation, des universités et des collèges, il y a de plus en plus de personnes qui occupent des postes temporaires et précaires du genre « travail à la demande » et qui, même si elles travaillent dans le secteur public, n’ont pas accès à des congés de maladie payés.

Nombreux sont ceux qui considèrent qu’il s’agit d’un problème de santé publique, et c’est le cas. Nous ne pourrons jamais surmonter la pandémie et maîtriser la situation tant que les gens ne pourront pas rester chez eux lorsqu’ils sont malades. Toutefois, il s’agit aussi d’une question de santé et de sécurité au travail. Au sein de l’Alberta Federation of Labour, nous représentons des personnes qui travaillent dans tous les secteurs et tous les coins de la province, et je peux vous dire que la COVID a frappé très durement nos milieux de travail.

La majeure partie de l’attention publique est concentrée sur les établissements de soins de longue durée et les hôpitaux. Mais je peux vous dire qu’il y a eu des éclosions incroyables dans nos écoles. Littéralement chaque épicerie représentée par nos affiliés a connu au moins une éclosion. Il y a eu des dizaines d’éclosions dans des entrepôts, ainsi que des dizaines d’éclosions dans des usines, des installations de fabrication et des camps de travail liés à l’exploitation des sables bitumineux.

Bon nombre de gens ont soutenu qu’il s’agissait d’un problème de propagation communautaire. Avec tout le respect que je vous dois, cela présente la situation sous un faux jour. La COVID se propage sur les lieux de travail. En fait, au cours des quatre vagues que nous avons connues jusqu’à présent, la propagation sur les lieux de travail a été et continuera d’être — s’il y a une cinquième vague — l’un des facteurs de transmission les plus importants.

Les congés de maladie payés sont donc une question de santé publique et de santé et sécurité au travail. Mais ce qui est probablement encore plus important, c’est que l’enjeu des congés de maladie payés est une question de pouvoir. Comme de nombreux universitaires l’ont fait remarquer, et comme de nombreux travailleurs vous le diront certainement, la relation de travail entre les employeurs et les employés est très inégale. Les employeurs détiennent la plupart des cartes. Donc sans l’intervention des gouvernements...

La présidente : Merci, monsieur McGowan. Je m’en excuse, mais votre temps de parole est écoulé.

Nous devons passer à M. Guénette, le représentant de la FCEI.

[Français]

Jasmin Guénette, vice-président, Affaires nationales, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Je m’appelle Jasmin Guénette et je suis vice-président, Affaires nationales, à la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Nous représentons 95 000 PME de partout au pays.

Je tiens à remercier la présidente et les membres du comité de cette invitation.

Je voudrais tout d’abord vous présenter quelques données sur la santé des PME. Soixante-dix-huit pour cent des PME canadiennes sont complètement ouvertes, 45 % emploient tout leur personnel et 36 % seulement ont des revenus normaux. Comme vous le voyez, la situation est donc loin d’être revenue à la normale pour un très grand nombre de PME partout au pays. Pire encore, 71 % de celles-ci ont dû contracter des dettes en raison de la COVID-19. Cette dette s’élève à 170 000 $ en moyenne, et une entreprise sur six est à risque de fermer en raison de la pandémie.

La FCEI est préoccupée par le projet de loi C-3. Le gouvernement fédéral doit faire preuve d’une extrême prudence afin de ne pas imposer de nouveaux coûts aux PME, alors que la majorité d’entre elles n’ont pas encore retrouvé un niveau normal sur le plan des ventes et qu’elles sont lourdement endettées. Il faut noter que les PME seront déjà confrontées à une hausse importante des cotisations au Régime de pensions du Canada, notamment dès le 1er janvier 2022.

Il est important de mentionner que la majorité des PME offrent déjà des congés de maladie qui sont équivalents ou supérieurs aux normes de la province dans laquelle l’entreprise se trouve. Quand nous demandons aux entrepreneurs quelles sont les barrières qui les empêchent d’offrir davantage de congés de maladie, 53 % répondent que le coût est tout simplement trop élevé. Si le projet de loi C-3 est mis en œuvre, 48 % des chefs d’entreprise disent que le gouvernement devra compenser pour l’ajout de nouveaux coûts en baissant d’autres frais d’exploitation.

[Traduction]

Quatre-vingts pour cent des propriétaires d’entreprises déclarent que la meilleure façon de soutenir leur entreprise est de veiller à ce que leurs coûts d’exploitation n’augmentent pas.

Si le projet de loi C-3 est adopté, de nombreuses entreprises pourraient être contraintes de réduire le nombre de leurs employés et leurs avantages sociaux afin d’absorber les nouveaux coûts, si tant est qu’elles parviennent à survivre à la pandémie.

Si le projet de loi C-3 est adopté, le gouvernement devra trouver des moyens de réduire d’autres coûts assumés par les propriétaires de petites entreprises, par exemple en bloquant les augmentations liées au RPC. Le gouvernement pourrait également réduire les cotisations d’assurance-emploi versées par les employeurs et veiller à ce qu’un plus grand nombre d’entreprises aient accès aux programmes de soutien liés à la COVID.

L’optimisme des propriétaires de petites entreprises est presque au niveau le plus bas jamais enregistré. L’inflation, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les pénuries de main-d’œuvre frappent durement les petites entreprises, sans parler de la COVID-19 et de toutes les restrictions imposées aux entreprises en conséquence.

Le gouvernement doit attendre que la crise actuelle soit terminée et que l’économie soit pleinement rétablie avant de présenter un projet de loi comme le projet de loi C-3.

Une consultation approfondie des petites entreprises doit également avoir lieu avant l’adoption d’un tel projet de loi. Le gouvernement doit aussi fournir aux petites entreprises une analyse des coûts et avantages des congés de maladie payés avant de proposer un tel projet de loi. À l’heure actuelle, le gouvernement précipite l’adoption de ce projet de loi, et les choses ne devraient pas se passer ainsi.

Le gouvernement a indiqué qu’il voulait reconnaître les besoins uniques des propriétaires de petites entreprises dans le cadre de l’élaboration de cette politique. Nous sommes heureux de constater que le gouvernement reconnaît les difficultés que la politique pourrait entraîner pour les petites entreprises. Nous allons donc surveiller les mesures prises par le gouvernement et proposer des solutions pour minimiser les répercussions négatives que ce projet de loi pourrait avoir sur les petites entreprises.

La dernière chose que je mentionnerai est que la crise actuelle liée à une pénurie de main-d’œuvre est extrêmement difficile pour les petites entreprises. Elles se battent pour trouver et garder des employés. Toute mesure législative qui rendra la gestion des salaires plus difficile et plus coûteuse pour les propriétaires d’entreprises leur sera extrêmement préjudiciable.

J’aimerais remercier de nouveau la présidente et tous les membres du comité de nous avoir donné l’occasion de vous faire cet exposé aujourd’hui, et nous sommes impatients de répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Merci, monsieur Guénette. Nous allons passer aux séries de questions en commençant par la sénatrice Bovey. Chaque sénateur dispose de cinq minutes pour poser des questions et obtenir des réponses.

La sénatrice Bovey : Merci, madame la présidente. Je tiens à remercier les témoins. Je vous suis très reconnaissante des renseignements que vous nous avez fournis.

Si je comprends bien, les dispositions du projet de loi s’appliqueront évidemment aux employés et aux industries sous réglementation fédérale, ainsi qu’aux sociétés d’État. Cela représente environ 6 % de l’ensemble des employés du Canada.

Je vous remercie de vous être exprimé clairement sur le nombre de personnes auxquelles cette mesure ne s’appliquera pas. Je comprends ce chiffre, et je l’accepte.

Cependant, parmi ces 6 % d’employés canadiens qui sont assujettis à ce projet de loi, pouvez-vous nous indiquer le pourcentage d’employés syndiqués? Selon vous, combien d’entre eux ont accès à des avantages équivalents ou supérieurs offerts par leur syndicat ou leur employeur, en ce qui concerne les congés de maladie payés?

Mme Bruske : Je crois pouvoir répondre en partie à votre question. Environ un tiers de ces 6 % ou de ces 955 000 travailleurs canadiens sont syndiqués, et leur travail est régi par une convention collective.

Dans la plupart des cas, la grande majorité des travailleurs dont le travail est régi par une convention collective ont accès à des congés de maladie payés. Là encore, le nombre de congés de maladie payés auxquels ils ont droit varie, mais on peut supposer qu’il s’agit d’une accumulation d’au moins une demi-journée par mois, voire une journée complète par mois.

La sénatrice Bovey : L’accumulation dépasse-t-elle un maximum de 10 jours par an? Peut-elle être reportée? Pouvez‑vous nous donner une idée de ce que peuvent être ces autres situations?

Mme Bruske : Chaque convention collective étant bien sûr unique, je ne prendrais pas le risque d’estimer ce pourcentage. En règle générale, vous perdez, pour ainsi dire, vos congés de maladie payés, si vous ne les utilisez pas dans l’année. Vous ne conservez donc que le montant cumulatif maximal prévu par votre convention collective.

Toutefois, il convient de noter que, même si vous êtes employé dans le cadre d’une convention collective, il arrive souvent que des congés de maladie payés ne soient pas accordés aux employés à temps partiel ou aux travailleurs occasionnels.

La sénatrice Bovey : Vous avez répondu à la prochaine question que j’allais poser.

Pour laisser le temps à d’autres personnes de poser des questions, je vais demander rapidement à chacun d’entre vous si vous avez été consulté pendant le processus d’élaboration de ce projet de loi ou au sujet des situations liées à la COVID qui ont manifestement entraîné son élaboration?

Mme Bruske : Nous n’avons pas été consultés au sujet de la présentation la plus récente de ce projet de loi. Cependant, le CTC estime depuis longtemps que les congés de maladie payés sont une nécessité pour tous les travailleurs et toutes les industries du pays. Au cours des dernières années, nous avons profité de l’occasion d’aborder ce point particulier avec tous les politiciens de tous les horizons.

La sénatrice Bovey : Monsieur McGowan, pouvez-vous répondre à la question afin que je sache si vous avez été consulté?

M. McGowan : Ma réponse est similaire. Notre fédération des travailleurs et des fédérations d’autres provinces exercent des pressions sur les gouvernements provinciaux et fédéral depuis des années pour qu’ils instaurent 10 jours de congé de maladie payé. Il y a donc des discussions avec le gouvernement actuel et les gouvernements précédents. Toutefois, nous n’avons pas été consultés au sujet de ce projet de loi, bien que nous soyons ravis qu’il soit présenté. Il correspond à ce que nous demandions. Au nom de notre fédération, je dirais que, sans vouloir paraître ingrats, nous avons les mêmes préoccupations qu’ont soulevées deux des témoins du groupe précédent au sujet des lacunes du projet de loi. Nous sommes profondément préoccupés par le fait qu’on a choisi d’inclure un modèle d’accumulation de congés pour les jours de congé de maladie payé.

Ce qui est essentiel pour nous, c’est que pour que cette mesure soit aussi efficace qu’elle doit l’être, en particulier pendant une crise comme la pandémie actuelle, les gens doivent pouvoir utiliser les jours de congé de maladie au moment où ils en ont besoin, que ce soit après deux semaines ou deux mois d’emploi.

De plus, nous n’appuierons pas l’idée d’exiger que l’employé présente un certificat médical.

La sénatrice Bovey : Nous avons déjà parlé du modèle d’accumulation de congés.

Monsieur Guénette, avez-vous été consulté?

M. Guénette : On ne nous a pas consultés au sujet de ce projet de loi. J’ajouterais que ce n’est pas seulement lorsqu’un projet de loi est présenté qu’il faut consulter les petites entreprises; il faut les consulter avant qu’il soit présenté et rédigé. Donc, non, nous n’avons pas été consultés lorsque le projet de loi a été présenté, et nous aurions dû l’être.

La sénatrice Bovey : Merci.

Le sénateur Patterson : J’aimerais poser une question à M. Guénette, et peut-être que les autres témoins voudront intervenir. Le 7 décembre, le directeur parlementaire du budget a publié une note sur l’évaluation du coût d’une mesure législative, dont j’espère que vous avez pris connaissance. Essentiellement, on y indique que la décision d’accorder davantage de jours de congé de maladie payé générera en fait des revenus importants pour le gouvernement fédéral en raison de l’augmentation des recettes provenant de l’impôt sur le revenu des particuliers. De plus, il n’en coûtera pas grand-chose au gouvernement fédéral pour accorder des congés de maladie supplémentaires aux employés des sociétés d’État fédérales, car la plupart d’entre eux ont déjà au moins quelques jours de congé de maladie payé. Êtes-vous au courant de cette évaluation des coûts, et convenez‑vous que cela signifie que le gouvernement se décharge, en fait, du coût sur les entreprises tout en engrangeant d’importantes recettes fiscales provenant de l’impôt sur le revenu des particuliers grâce à l’ajout de ces jours de congé de maladie payé?

M. Guénette : Je vous remercie de la question. Je n’étais pas au courant de l’existence de ce rapport. Puisque je ne l’ai pas lu, je ne peux pas en parler.

Lorsque nous avons sondé nos membres au sujet des 10 jours de congé de maladie payé et que nous leur avons demandé quelles seraient les répercussions, la majorité d’entre eux ont dit que s’ils ne peuvent pas mettre en œuvre une telle politique, c’est parce que les coûts sont tout simplement trop élevés.

N’oublions pas la situation dans laquelle se trouvent les petites entreprises actuellement; l’année 2021 a été l’une des années les plus difficiles — voir l’année la plus difficile — en une génération ou en 100 ans sur le plan de la gestion des petites entreprises. Les restrictions liées à la COVID les ont frappées durement. Nous observons actuellement des taux d’inflation record, ce qui a des répercussions sur les petites entreprises. La perturbation de la chaîne d’approvisionnement a de très mauvaises répercussions sur elles. La pénurie de main-d’œuvre est l’un des principaux problèmes, et cette situation est difficile pour elles. À l’heure actuelle, la dernière chose dont les petites entreprises canadiennes ont besoin, c’est de voir leurs coûts augmenter, et c’est ce que cette politique causerait.

M. McGowan : J’aimerais intervenir, si vous me le permettez.

Le sénateur Patterson : Allez-y, s’il vous plaît.

M. McGowan : Si vous me le permettez, lorsqu’il est question des coûts, je pense qu’il est important de tenir compte de l’ensemble des coûts, des deux côtés. Bien que le fait d’offrir des jours de congé de maladie payé peut entraîner certains coûts, il est tout à fait clair qu’il y a des avantages qui les compensent. Ma collègue du Congrès du travail du Canada, Mme Bruske, en a mentionné un certain nombre.

Toutes sortes d’études montrent clairement que lorsque les travailleurs ont accès à des congés de maladie payés, le taux d’absentéisme diminue, les gens risquent moins de se présenter au travail quand ils sont malades et de nuire à leur propre productivité et à celle des autres.

J’aimerais revenir sur la question de la pénurie de main‑d’œuvre. Nous représentons des gens qui travaillent dans le secteur des services et des gens qui travaillent dans des secteurs durement touchés de l’industrie manufacturière. Je peux vous dire que, dans le contexte actuel de la pandémie, les gens ont peur d’aller travailler et que c’est l’un des principaux obstacles qui empêchent les employeurs d’attirer des travailleurs dans l’environnement actuel.

Donc, si l’on est préoccupé par les pénuries de main-d’œuvre et la nécessité d’attirer et de retenir des travailleurs, je pense que les faits sont éloquents. Les employeurs qui offrent de bons programmes de congé de maladie payé sont mieux à même d’attirer des travailleurs et de les retenir en général, surtout pendant une pandémie. À ceux qui disent que nous pouvons remettre cela à plus tard, lorsque nous pourrons mieux nous le permettre, je réponds qu’on parle ici d’une pandémie et que nous devons la contrôler. C’est la meilleure solution pour faire face à une crise économique. Le contrôle de la pandémie passe en partie par des congés de maladie payés. C’est un investissement dans le contexte de la lutte contre la pandémie qui nous aidera à traverser le creux économique.

Mme Bruske : J’aimerais intervenir là-dessus.

La présidente : Je suis désolée, madame Bruske, mais nous devons permettre à d’autres sénateurs de poser leurs questions. Je dois céder la parole à la sénatrice Verner. Je suis désolée.

[Français]

La sénatrice Verner : J’ai une question relativement courte. M. McGowan m’a devancée pour ce qui est de mon intervention. Ma question s’adresse à vous, monsieur Guénette. Vous avez parlé des difficultés que cela poserait pour les petites entreprises, compte tenu des problèmes qu’elles affrontent à cause de la pandémie, à savoir les fermetures et tout ce qu’on en sait. Nous savons également qu’il existe un cruel manque de main-d’œuvre.

Cela ne pourrait-il pas faire partie de l’offre pour attirer et retenir du personnel — même dans les petites entreprises — et figurer parmi les conditions de travail que l’on pourrait leur offrir? Quelqu’un que je connais a tenté par tous les moyens d’embaucher un employé d’une autre entreprise. À la toute dernière minute, l’employé, qui devait commencer le lundi, l’a appelé pour lui dire : « Non, finalement, mon employeur a décidé de m’offrir un certain nombre de journées de maladie supplémentaires. » Dans le contexte de la COVID, évidemment, pour cette personne-là, ces journées étaient les bienvenues.

N’y a-t-il pas un équilibre qu’on pourrait créer dans certaines entreprises, même si je sais qu’elles sont très touchées par les compressions et tout ce qui s’est passé, afin que cela puisse faire partie d’un portefeuille de conditions que l’on pourrait offrir à des employés dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre?

M. Guénette : Merci beaucoup pour votre question. Un très grand nombre de PME offrent déjà plusieurs avantages sociaux. L’ensemble des PME font tout ce qu’elles peuvent pour offrir des bénéfices à leurs employés. Un très grand nombre d’entreprises ont mis en place différentes façons d’offrir des congés de maladie et des horaires flexibles pour permettre un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Un très grand nombre de PME sont déjà très flexibles et ont des politiques particulières avec leurs employés. Nous savons que souvent, dans une petite entreprise de 7, 10 ou 12 employés, les employeurs sont très proches de leurs employés. Dans certains cas, ils peuvent être des amis ou des membres de la famille. Nous voyons, en raison des sondages et des commentaires d’un grand nombre de nos 95 000 membres, qu’ils font déjà beaucoup d’efforts pour améliorer continuellement les avantages qu’ils offrent à leurs employés. Cela inclut récemment une pression à la hausse sur les salaires.

Cependant, une telle politique doit se payer, et la dernière chose que les PME peuvent prendre sur leurs épaules en ce moment, ce sont des coûts supplémentaires.

Je l’ai dit et je le répète, l’année 2021 a été extrêmement difficile et nous sommes très préoccupés par ce projet de loi qui viendrait ajouter une pression financière sur les épaules d’un très grand nombre de PME alors qu’un très grand nombre de celles‑ci, comme je vous l’ai dit, offrent déjà des conditions très avantageuses à leurs employés, notamment pour les raisons que vous avez déjà mentionnées, madame la sénatrice.

Il y a de la concurrence; les employés peuvent choisir d’aller d’une entreprise à une autre. Avec la pénurie de main-d’œuvre, cela n’a jamais été aussi facile de se trouver un travail. Donc, il y a un très grand nombre de PME sur le terrain qui offrent des avantages très compétitifs, et on n’a pas besoin d’un projet de loi comme le projet de loi C-3 pour s’assurer que les entreprises ont de bonnes mesures pour leurs employés.

La sénatrice Verner : En complément de ce que vous venez de dire, bien entendu, pour les entreprises sous réglementation fédérale, les fameux 6 % dont on parle depuis le début deviendraient des compétiteurs féroces pour garder la main‑d’œuvre. On dit que la petite entreprise offre plus que les programmes gouvernementaux, mais si je prends l’exemple du Québec, ce n’est pas très difficile à battre, puisque seulement deux journées payées sont offertes grâce aux normes du travail. Cela dit, cette proportion de 6 % d’entreprises deviendrait une compétition vraiment féroce pour l’ensemble de vos membres de façon générale.

[Traduction]

La présidente : Sénatrice Verner, votre temps est écoulé. Je me confonds en excuses.

La sénatrice Dasko : Ma question s’adresse à M. Guénette. Je vous remercie de votre exposé. Je vis à Toronto. Je peux certainement voir que de nombreuses petites entreprises ont été touchées par la COVID. En marchant dans la rue, je vois des restaurants qui sont fermés. C’est très triste. J’attends avec impatience la fin de ce terrible chapitre.

Je sais que vous faites des sondages auprès de vos membres, qui disent qu’offrir 10 jours de congé de maladie à leurs employés leur coûterait trop cher. Je le comprends très bien et cela peut très certainement être le cas.

D’un autre côté, en examinant le projet de loi, vous constaterez qu’il ne touche qu’une petite proportion de travailleurs. Ces gens travaillent dans des industries sous réglementation fédérale. On parle de compagnies de transport, de câblodistributeurs, et cetera. Ce sont de grandes entreprises : VIA Rail, Air Canada, et cetera. Il me semble que les petites entreprises au Canada ne sont probablement pas touchées par cette mesure législative, à peu près pas. C’est simplement mon analyse des chiffres.

J’ignore s’il existe des recherches sur cet aspect, mais il me semble que les petites entreprises ne sont vraiment pas visées par le projet de loi, d’après ce que je comprends de la structure de ces industries. J’aimerais approfondir un peu la question, si vous le voulez bien. Nous parlons vraiment de réglementation provinciale qui toucherait la plupart des petites entreprises, et d’après ce que nous ont dit les témoins du groupe précédent et d’après ce que nous savons à ce sujet, cette disposition n’existe dans aucune province. Je vous lance la question. Merci.

M. Guénette : Je vous remercie de la question. Vous avez raison. La plupart de nos membres sont des entreprises sous réglementation provinciale. Nous avons quelques milliers de membres qui sont sous réglementation fédérale. Il s’agit par exemple d’entreprises de l’industrie du camionnage, d’exploitants d’élévateurs à grains, d’entreprises du secteur des communications qui sont des petites entreprises.

Je n’ai pas, de mémoire, le nombre exact de membres qui sont sous réglementation fédérale, mais je dirais que ce sont moins de 4 000 des 95 000 membres que nous représentons.

Cela dit, je pense que les répercussions du projet de loi sur les petites entreprises qui sont sous réglementation fédérale sont aussi lourdes que si elles étaient sous réglementation provinciale.

La présidente : Avez-vous une autre question?

La sénatrice Dasko : Non, ça va.

La sénatrice Griffin : J’avais plusieurs questions vraiment brillantes à poser, bien entendu, mais d’autres sénateurs ont déjà abordé ces questions. Je vais donc passer mon tour.

La présidente : Cela donne un peu plus de temps. Nous n’avons pas beaucoup de temps.

La sénatrice Lankin : Ma première question s’adresse à M. Guénette. S’il me reste du temps par la suite, j’aurai une question à poser aux autres témoins.

Tout d’abord, permettez-moi de vous dire, en toute transparence, que j’ai passé des années à défendre des dispositions relatives aux avantages sociaux, comme les congés de maladie payés, et que j’ai donc cette approche et ce parti pris.

Je ne veux pas donner l’impression que je m’oppose à ce que vous dites, mais je veux comprendre certains de vos arguments. Vous dites que ce serait aussi difficile pour les employeurs sous réglementation fédérale que s’il s’agissait d’entreprises sous réglementation provinciale.

Cependant, vous nous avez dit que la majorité de vos membres offraient déjà un programme de congés de maladie équivalent ou meilleur. Ces deux arguments — trop grande lourdeur et la présentation d’un projet de loi est inutile puisque c’est déjà offert — ne collent pas bien en tant qu’arguments et contre‑arguments.

Vous avez également parlé de la pénurie de main-d’œuvre. Pour moi, c’est une chose vraiment saisissante qui ressort de la pandémie. Honnêtement, je n’avais pas vu cela venir ou, dans ma propre réflexion, je ne l’avais pas prévu. Nous avons ici une situation qu’on appelle la grande démission, dans laquelle les gens ne retournent pas à des emplois; ils se font du souci pour leur santé, la prévention et le type de soutien que les employeurs vont fournir, comme des jours de congé de maladie.

Encore une fois, je vois un contraste dans ce que vous dites. Vous êtes préoccupé par les coûts de la main-d’œuvre, mais vous ne pouvez pas en trouver. Les coûts de vos membres vont augmenter. Tout le monde prévoit que, au cours des trois à quatre prochaines années, les coûts de la main-d’œuvre augmenteront de façon spectaculaire, car les employeurs devront attirer les gens pour qu’ils reviennent sur le marché du travail et ils devront changer beaucoup de choses afin de répondre à leurs attentes.

Je me demande si vous pouvez en parler, car les arguments semblent être les mêmes que ceux que j’entends depuis de nombreuses années de la part de votre organisation, et ils semblent également se contredire.

M. Guénette : Je vous remercie de la question. Quel volet voulez-vous que j’aborde en premier?

La sénatrice Lankin : Vous êtes libre de choisir, monsieur.

M. Guénette : Concernant mon commentaire au sujet des congés de maladie déjà offerts par nos membres, ces données sont tirées d’un sondage que nous avons mené auprès de nos membres, et la majorité d’entre eux disent qu’ils offrent déjà au moins ce que la province exige des entreprises. Ce qu’ils offrent correspond donc à cette base ou la dépasse.

[Français]

J’aimerais parler d’un contexte qu’il est important de retenir. Je voudrais que vous vous mettiez dans la peau du propriétaire d’une PME sous réglementation fédérale, qui a passé une année particulièrement difficile.

Je parle d’une entreprise confrontée à différents enjeux, notamment une augmentation des coûts reliés aux chaînes d’approvisionnement. Ces petites entreprises sous réglementation fédérale subissent également des pressions pour augmenter les salaires, particulièrement en raison des récentes lois qui ont été mises en place par le gouvernement fédéral. Quand vous additionnez tous ces facteurs et que vous demandez aux employeurs d’ajouter 10 jours de congé payé, en plus de toutes les dépenses liées au contexte de la pandémie, je vous demande d’attendre un peu. D’abord, attendons que les entreprises se...

[Traduction]

La présidente : Merci, monsieur Guénette. Votre temps est écoulé.

Le sénateur Kutcher : Sénatrice Griffin, merci beaucoup de m’avoir cédé votre temps de parole.

Ma première question s’adresse à la représentante du Congrès du travail du Canada, ou CTC, et au représentant de l’Alberta Federation of Labour, ou AFL. Nous sommes conscients des avantages que procure, sur le plan de la santé, le fait d’avoir des jours de congé de maladie payé, y compris une amélioration de la productivité — cela n’entraîne certainement pas une perte de productivité. J’ai terminé la lecture d’une étude qu’a réalisée l’IZA, l’Institute of Labor Economics, qui décrit en détail une vaste étude qui a été faite aux États-Unis, selon laquelle l’obligation de payer des indemnités de maladie a, au passage, entraîné une réduction des syndromes grippaux attestés par un médecin dans la population — donc, pas seulement sur le lieu de travail. Le fait d’avoir des jours de congé payé a entraîné une diminution des maladies dans la population générale. Cela vous étonne-t-il?

Mme Bruske : Je vous remercie de la question. Non, cela ne m’étonne pas. Je viens d’un milieu, au Manitoba, qui représente des personnes qui travaillent dans des milieux de production alimentaire et dans la vente au détail qui sont en contact très étroit avec d’autres travailleurs — en particulier dans les milieux de production alimentaire, et bien entendu, dans les secteurs de la vente au détail et des services, avec des clients. Bien sûr, lorsqu’on retire les gens de leur milieu de travail quand ils sont malades, quelle que soit la maladie, il y a beaucoup moins de risques que la maladie se propage.

Encore une fois je veux souligner le fait que 87 % des travailleurs qui seraient couverts par la mesure prévue dans le projet de loi concernant les 10 jours de congé payé travaillent dans des entreprises qui comptent au moins 100 employés. Ce ne sont pas principalement des petites entreprises qui mettront en œuvre cette mesure sur les jours de congé de maladie payé. Cela aura des répercussions importantes surtout sur des lieux de travail plus grands.

Le sénateur Kutcher : Merci. Je comprends.

Monsieur Guénette, vous nous avez parlé des sondages d’opinion, et comme l’a souligné la sénatrice Dasko, ils ont leur place. J’aimerais savoir de quelles données économiques vous disposez. Pouvez-vous nous fournir les données économiques sur la différence entre les coûts liés au fait d’offrir 10 jours de congé de maladie payé et les coûts primaires et secondaires liés au fait que des gens viennent travailler même s’ils sont malades, à la baisse de productivité, à l’augmentation des blessures, à l’infection d’autres travailleurs et aux coûts secondaires liés au fait que des clients se retrouvent infectés? Avez-vous ces données?

[Français]

M. Guénette : Merci beaucoup pour la question. Je n’ai pas les données précises que vous demandez. Par contre, encore une fois, je veux ajouter ce qui suit. Il faut qu’on regarde la proposition sous tous les angles possibles. Ultimement, ce sont les PME qui...

[Traduction]

Le sénateur Kutcher : Excusez-moi. Je n’ai que cinq minutes. Si vous pouviez obtenir ces données et nous les fournir, nous vous en serions reconnaissants. Les opinions sont importantes, mais j’aimerais voir les données.

Ma dernière question est un peu difficile, et je tiens à m’excuser à l’avance pour les problèmes qui pourraient survenir. À votre avis, si les préposés aux soins personnels qui travaillent dans les établissements de soins de longue durée avaient eu accès à des congés de maladie payés et s’ils n’avaient pas eu à venir travailler même s’ils étaient malades, pensez-vous que le taux de transmission de la COVID aurait été différent dans ces établissements?

Mme Bruske : Je pense à cent pour cent que cela aurait fait une grande différence. Souvent, les travailleurs des établissements de soins de longue durée sont de nouveaux arrivants. Ce sont souvent des femmes et des personnes racialisées qui n’ont pas accès à des congés de maladie payés et qui iront travailler parce qu’elles doivent joindre les deux bouts. C’est la réalité — elles se demandent si elles pourront payer le loyer à la fin du mois.

Les travailleurs doivent prendre des décisions difficiles lorsqu’ils subissent des pressions financières. Le fait que des établissements de soins de longue durée privés n’offrent pas ce genre d’avantages est un problème absolu lorsqu’on parle de la propagation de la COVID et d’autres maladies.

M. McGowan : Si vous me le permettez, je dirais qu’il ne s’agit pas d’une question hypothétique ni d’une question d’opinion. Nous avons une expérience réelle qui nous aide à répondre à la question. Je suis sûr que c’est la même chose dans d’autres provinces, mais ici, en Alberta, il y a des établissements de soins de longue durée qui sont gérés et dirigés par l’État. La plupart de ces travailleurs sont couverts par une convention collective. D’autre part, il y a des établissements de soins de longue durée privés qui n’offrent pas d’avantages comparables à leurs employés. C’est clair : les taux de transmission étaient beaucoup plus élevés dans les établissements privés, où les travailleurs sont moins bien payés et bénéficient de moins d’avantages; notamment, ils n’ont pas de congés de maladie payés. Les preuves sont là, sous nos yeux. Les congés de maladie payés dont bénéficient les travailleurs de certains établissements de soins de longue durée ont sauvé des vies.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : J’ai une question assez brève pour Mme Bruske. Dans vos propos liminaires, vous avez mentionné que vous êtes d’accord avec l’instauration de ces 10 jours de congé payé. J’aimerais vous entendre sur la façon dont on peut accumuler ces 10 jours de congé. Les témoins précédents nous disaient que, dans certains pays, après deux semaines ou un mois, on a une banque de 10 jours. Or, ce projet de loi nous propose un modèle différent, avec des journées qui s’accumulent chaque mois.

Quelle est votre position à ce sujet?

[Traduction]

Mme Bruske : Je vous remercie de cette question importante. Idéalement, les employés devraient pouvoir utiliser les 10 jours de congé payé lorsqu’ils en ont besoin, dès le début de leur emploi. Encore une fois, on ne choisit pas le moment où l’on tombe malade. Cela peut se produire pendant la première ou la vingtième semaine de travail. Le fait d’avoir une période d’accumulation de congés crée des difficultés pour les gens qui doivent attendre et décider s’ils sont assez malades pour rester à la maison ou s’ils vont prendre le risque d’aller travailler.

La sénatrice Bernard : Je remercie tous les témoins. Je sais que le temps file. Je ne poserai qu’une question, qui s’adresse à M. Guénette.

À un certain nombre de reprises, vous avez parlé des coûts pour les petites entreprises. Nous savons que le projet de loi touche les entreprises sous réglementation fédérale, mais d’autres témoins ont dit également qu’ils espéraient que le projet de loi inciterait les provinces à présenter un projet de loi similaire. Vous avez parlé des coûts. Vous avez fait allusion à certaines orientations politiques qui pourraient aider à compenser les coûts. J’aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet si possible, s’il vous plaît. Je me demande également si, dans votre réseau d’entreprises, vous travaillez également avec des propriétaires d’entreprises noirs et d’autres propriétaires racialisés. Merci.

M. Guénette : Je vous remercie de la question.

Comme je l’ai mentionné dans mon exposé, il existe des moyens de compenser les coûts. L’un d’eux consiste à ne pas augmenter les impôts des petites entreprises. Un autre consiste à ne pas procéder à l’augmentation des cotisations au Régime de pensions du Canada prévue le 1er janvier, soit dans deux ou trois semaines. Une autre solution possible, c’est de diminuer les cotisations d’assurance-emploi des employeurs.

À l’heure actuelle, les employeurs paient 60 % des cotisations d’assurance-emploi et les employés, 40 %.

Ce serait plus équitable si l’on réduisait les cotisations payées par les employeurs.

D’autres frais relatifs à la conformité et d’autres coûts d’exploitation augmenteront au cours des prochains mois, et le projet de loi C-3 ne ferait qu’ajouter à cela, au pire moment possible, comme je l’ai déjà mentionné à quelques reprises.

Il est certain que l’inquiétude règne quant aux répercussions. Si le gouvernement devait adopter une telle politique, ce serait certainement une invitation aux provinces à faire de même. Récemment, la Colombie-Britannique a adopté une politique de cinq jours de congé de maladie payé. Nous avons recommandé au gouvernement provincial de ne pas aller de l’avant avec cette proposition pour les mêmes raisons que nous exprimons aujourd’hui.

Il existe des moyens de compenser les coûts, et nous ferons valoir nos arguments régulièrement dans les jours et semaines à venir.

En ce qui concerne les partenariats, la FCEI représente des entreprises de tous les secteurs, de toutes les régions du Canada, et nous offrons à nos membres des services de consultation et de représentation, et nous sommes très fiers du travail que nous accomplissons.

La présidente : Merci, monsieur Guénette. J’aimerais remercier tous les témoins de leur participation à l’étude, surtout compte tenu du court préavis. Votre aide dans le cadre de nos délibérations est grandement appréciée. Je m’excuse sincèrement d’avoir dû vous interrompre. Je m’excuse également auprès de mes collègues, mais notre temps est limité et nous devons être justes.

Puisqu’il n’y a pas d’autres points à l’ordre du jour, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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