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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 36e Législature,
Volume 137, Numéro 48

Le mardi 24 mars 1998
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mardi 24 mars 1998

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Visiteurs de marque

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je vous signale la présence à notre tribune d'un groupe d'éminents visiteurs. Il s'agit d'un groupe de parlementaires de la section du Royaume-Uni de l'Association parlementaire du Commonwealth.

Au nom du Sénat du Canada, je vous souhaite à tous la bienvenue parmi nous.

Bienvenue à un nouveau page

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, comme vous vous en souviendrez, notre page en chef, Gref Doiron, nous a quittés récemment. Nous accueillons aujourd'hui son remplaçant. J'aimerais vous présenter Hamish Kidston, de Maple Ridge, en Colombie-Britannique, qui fait un baccalauréat en commerce spécialisé en gestion des ressources humaines à l'Université d'Ottawa et qui doit terminer l'été prochain.

Nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat.

Le Programme d'échange de pages avec la Chambre des communes

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, j'aimerais aussi vous présenter un page qui vient de la Chambre des communes dans le cadre du programme d'échange.

[Français]

Éric Chassé poursuit ses études à l'Université d'Ottawa. Il est inscrit à la faculté des arts et sa spécialisation est en communications. Éric est natif d'Edmunston, au Nouveau-Brunswick.


DÉCLARATION D'UN SÉNATEUR

Les Jeux de la Francophonie

L'honorable Jean-Maurice Simard: Honorables sénateurs, je voudrais, en premier lieu, vous exprimer ma satisfaction à la suite de la décision du gouvernement fédéral de rétablir le financement du Programme de contestation judiciaire du Canada. Ce programme, on le sait, donne à des communautés linguistiques canadiennes l'accès à du financement pour les causes invoquant leurs droits linguistiques au fédéral ou au provincial.

Je me réjouis du succès des efforts déployés par la Fédération des communautés francophones et acadienne en vue d'amener le gouvernement à rétablir ce programme vital pour ces communautés.

J'y vois le signe que lorsqu'on maintient un dialogue constant et ouvert sur les questions qui touchent la francophonie canadienne, on peut toujours parvenir à un modus vivendi qui fait, sinon l'unanimité, du moins consensus.

À cet égard, j'aimerais inviter les gouvernements du Canada et du Québec à faire preuve de ce même esprit de dialogue dans le litige qui les oppose dans le dossier des Jeux de la Francophonie prévus dans la région Ottawa-Hull en 2001.

Depuis quelques semaines, la préparation de cet événement d'envergure internationale en sol canadien donne lieu à une nouvelle querelle de drapeaux qui ne sert en rien les intérêts des francophones du Canada et des Québécois.

Les Jeux de la Francophonie, faut-il le rappeler, veulent cultiver l'amitié entre les peuples et célébrer la fraternité de la grande famille de la Francophonie internationale. Dans cette grande famille, il doit y avoir de la place pour chacun des membres dûment autorisés à en faire partie.

Les francophones du Canada et du Québec ne doivent pas être les victimes des luttes de pouvoir entre deux niveaux de gouvernement. Ces luttes de pouvoir, qui affectent notre pays, ne devraient pas avoir préséance sur le front commun qu'il nous faut tous maintenir face aux visées réductionnistes et mesquines d'un parti politique rétrograde que la conjoncture électorale a propulsé à l'opposition officielle. Les véritables adversaires de la francophonie canadienne sont là et nulle part ailleurs.

(1410)

En conclusion, c'est pourquoi j'invite les autorités gouvernementales, canadiennes et québécoises, à faire preuve de souplesse dans la nécessaire collaboration qu'elles doivent entreprendre pour assurer le succès de cette grande fête de la Francophonie. Les tiraillements entre fédéralistes et souverainistes ne doivent pas venir ternir la convivialité généreuse qui est la raison d'être de la Francophonie internationale.


[Traduction]

AFFAIRES COURANTES

Le Budget des dépenses de 1997-1998

Présentation et impression en annexe du rapport du comité des finances nationales sur le budget supplémentaire (B)

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de présenter le troisième rapport du comité sénatorial permanent des finances nationales concernant l'examen du Budget supplémentaire (B) déposé devant le Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 1998.

Je demande que le rapport soit imprimé en annexe aux Journaux du Sénat d'aujourd'hui et qu'il fasse partie du compte rendu permanent du Sénat.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(Le texte du rapport figure à l'annexe des Journaux du Sénat d'aujourd'hui, p. 532.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand étudierons-nous ce rapport?

(Sur la motion du sénateur Cools, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

Les travaux du Sénat

L'ajournement

L'honorable Sharon Carstairs (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, je propose:

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'à demain, le mercredi 25 mars 1998, à 13 h 30.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

[Traduction]

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, avant que le Président ne mette la motion aux voix, j'aimerais savoir ce que va être la question que l'on pose traditionnellement le mardi. Quelle entente a été conclue entre le leader adjoint du gouvernement et le chef adjoint de l'opposition quant aux travaux de demain? À quelle heure peut-on raisonnablement s'attendre à ce que le Sénat s'ajourne? Le président d'un comité peut-il sans danger convoquer son comité pour 15 h 30, ou doit-on demander au Sénat la permission que le comité siège en même temps que le Sénat?

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, le sénateur Kinsella et moi avons eu des discussions. Tous les efforts sont faits de chaque côté de la Chambre pour faciliter la séance de manière à ce qu'elle prenne naturellement fin aux environs de 15 h 15.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint suppléant de l'opposition): Honorables sénateurs, afin d'apaiser les esprits à cet égard, j'avise l'honorable Chambre que si nous ne sommes pas ajournés à 15 h 15, je me lèverai et je proposerai la motion d'ajournement.

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, j'y consentirai, mais peut-être pas jusqu'à la fin de mes jours. Quand est-ce que le comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure étudiera-t-il enfin le rôle des sénateurs indépendants au sein de certains comités? Cette étude est sans cesse remise à plus tard. Les sénateurs pensent que je vais continuer à aboyer mais que je ne mordrai pas. Je suis d'humeur à passer aux actes.

On parle de réformer le Canada, de réformer la Constitution et d'améliorer le Sénat, et pourtant on ne peut même pas s'entendre sur une petite règle pour faire place aux sénateurs qui, loin de vouloir esquiver leurs responsabilités, veulent travailler et peuvent offrir leur expérience.

Ne me mettez pas en colère. Dites moi que les choses bougent. Cette affaire est en train de tourner à la plaisanterie et je ne suis pas prêt à en faire les frais.

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, on me dit que la première question à l'ordre du jour du comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure est l'assiduité, ce dont il doit faire rapport à cette Chambre. La question suivante est la structure des comités et leur composition.

Le sénateur Prud'homme: Je vous remercie.

Son Honneur le Président: L'honorable sénateur Carstairs, appuyée par l'honorable sénateur Johnstone, propose, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement: Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'à demain, le mercredi 25 mars 1998, à 13 h 30. Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

L'Association parlementaire Canada-Europe

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, à Paris et à Strasbourg, en France-Dépôt du rapport de la délégation canadienne

L'honorable Lorna Milne: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de l'Association parlementaire Canada-Europe, qui représentait le Canada à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui s'est tenue du 19 au 25 juin 1997 à Paris et à Strasbourg, en France.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, Le comité des affaires économiques et du développement, à Londres, au Royaume-Uni-Dépôt du rapport de la délégation canadienne

L'honorable Lorna Milne: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de l'Association parlementaire Canada-Europe, qui représentait le Canada à la réunion du comité des affaires économiques et du développement de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui étudiait le fonctionnement de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, les 17 et 18 février 1997, à Londres, au Royaume-Uni.

L'unité nationale

La position de la Colombie-Britannique sur le statut du Québec-Avis d'interpellation

L'honorable Pat Carney: Honorables sénateurs, je donne avis que jeudi, le 26 mars 1998, j'attirerai l'attention du Sénat sur la reconnaissance par la Colombie-Britannique du caractère unique du Québec et sur la frustration des habitants de notre province quant au rôle de celle-ci dans la Confédération, ainsi que l'expose le rapport du B.C. Unity Panel.

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les droits de la personne

La possibilité que le premier ministre fasse la promotion des droits de la personne à l'échelle internationale-La position du gouvernement

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, hier, le président des États-Unis, M. William Clinton, a inauguré sa tournée de six pays en 12 jours à travers l'Afrique dans le but de promouvoir les droits de la personne et de critiquer la corruption et les violations des droits humains fondamentaux. Selon les journaux, il exhortera les nations africaines à prendre des mesures en vue d'atteindre la prospérité au cours du prochain millénaire. Le voyage vise également à sensibiliser davantage le monde occidental à la grandeur des pays africains.

Au Canada, le premier ministre Chrétien s'est vu reprocher son manque de fermeté au chapitre des droits de la personne. Un exemple manifeste est le fait que l'on n'ait pas insisté sur les rapports entre les droits de la personne et l'économie lors de la conférence de l'APEC qui a eu lieu récemment à Vancouver.

Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous dire si le premier ministre envisage concrètement de faire des tournées semblables à celle du président Clinton afin de promouvoir les droits de la personne auprès de la communauté internationale à l'occasion du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, à ma connaissance, le premier ministre n'envisage pas actuellement de faire des tournées à l'étranger dans le but précis de faire valoir les droits de la personne. Cependant, je rappellerai à mon honorable collègue que, chaque fois que le premier ministre se rend dans des pays étrangers où les droits de la personne sont violés, il aborde la question avec leurs dirigeants.

Le sénateur Oliver: Honorables sénateurs, le Gouverneur général est accompagné au cours de son voyage en Inde et au Pakistan par le ministre Herb Dhaliwal et le secrétaire d'État pour l'Asie, M. Raymond Chan. Compte tenu de la gravité de la situation en Inde et au Pakistan, je pense par exemple au génocide islamique au Cachemire et à la complète soumission des femmes dans le système juridique pakistanais, le sénateur Graham sait-il si ses collègues de la Chambre des communes se pencheront sur ces questions des droits de la personne au cours de leur voyage?

(1420)

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je ne saurais vous dire précisément ce que mes collègues du Cabinet qui participeront à cette mission avec le Gouverneur général pourront dire, mais je serai heureux de vous en faire rapport dès leur retour.

Les relations fédérales-provinciales

Les chances de financement du nettoyage du port de Halifax-La position du gouvernement.

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Le premier ministre élu de la Nouvelle-Écosse, M. Hamm, m'a demandé de me renseigner en son nom pour qu'il puisse se mettre au travail dès demain en rapport avec divers projets, dont le nettoyage du port de Halifax entrepris il y a de ça maintenant huit à dix ans.

Le ministre pourrait-il nous dire si le gouvernement s'est déjà entretenu avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, sous la direction de l'un ou l'autre des premiers ministres en poste au cours des dernières années, en rapport avec l'octroi de fonds supplémentaires pour terminer les travaux entrepris il y a plusieurs années?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, comme le sénateur le sait bien, ce problème ne date pas d'hier et plusieurs gouvernements de diverses allégeances politiques, tant au niveau provincial que fédéral, en ont été saisis. Des démarches ont été faites auprès de moi ainsi que d'autres en rapport avec ce problème en cours. Toutefois, je ne suis au courant d'aucune mesure précise envisagée à l'heure actuelle.

Le sénateur Forrestall: Honorables sénateurs, dois-je donc en conclure que ni M. Savage, ni le premier ministre MacLellan n'ont approché directement le leader du gouvernement à ce sujet au cours des derniers mois ou des dernières semaines?

Le sénateur Graham: Ni M. Hamm.

Le sénateur Forrestall: Je sais que des instances lui ont été présentées. En tant que ministre chargé de promouvoir les intérêts de la Nouvelle-Écosse devant le Cabinet fédéral, pourrait-il appuyer une telle initiative? On parle d'un montant de 71 millions de dollars pour lancer une partie de ces travaux. Le ministre pourrait-il nous dire s'il appuierait cette initiative?

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, il s'agit là d'un dossier important, non seulement pour les riverains du port de Halifax, mais également pour les touristes qui visitent les villes magnifiques de Halifax et de Dartmouth, connues désormais sous le nom de Super-Halifax. C'est un problème dont tous les Néo-Écossais sont au courant.

Je serais heureux d'examiner la situation et de faire le point pour déterminer si des mesures appropriées peuvent être maintenant prises, étant donné les circonstances.

Les droits de la personne

L'Organisation des États américains-L'opportunité de ratifier la Convention interaméricaine des droits de la personne-La position du gouvernement

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint suppléant de l'opposition): Honorables sénateurs, j'ai une question à poser au leader du gouvernement au Sénat.

Les honorables sénateurs se rappelleront que, lorsque le gouvernement progressiste-conservateur de l'ancien premier ministre Brian Mulroney était au pouvoir, le Canada est devenu membre de l'Organisation des États américains. Il y a la question des textes de cette organisation sur les droits de la personne, notamment la Convention interaméricaine des droits de la personne. Il y a sept ou huit ans, des fonctionnaires canadiens ont mené une étude aux paliers fédéral, provincial et territorial sur l'opportunité pour le Canada de ratifier cette convention.

Quel est l'état de nos négociations avec les provinces? Quand pouvons-nous espérer que le Canada ratifiera la Convention interaméricaine des droits de la personne, pour qu'il puisse devenir un partenaire à part entière dans la protection des droits de la personne et dans la promotion des efforts de l'OEA?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je serais heureux de rendre compte au Sénat de l'état d'avancement de ce dossier également.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie

Deuxième lecture-Ajournement du débat

L'honorable Jean B. Forest propose: Que le projet de loi C-6, Loi constituant certains offices en vue de la mise en place d'un système unifié de gestion des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie et modifiant certaines lois en conséquence, soit lu une deuxième fois.

- Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion de deuxième lecture du projet de loi C-6, Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, que nous étudions aujourd'hui.

Je signale au départ que je porte un intérêt particulier et personnel à ce projet de loi parce que, pendant de nombreuses années, j'ai été membre du conseil d'administration des Transports du Nord. C'était avant que cette société d'État ne soit privatisée et cédée à deux groupes d'autochtones des Territoires du Nord-Ouest.

Certains d'entre nous savent peut-être que le fleuve Mackenzie est le troisième cours d'eau en importance en Amérique du Nord, après le Mississippi et le Saint-Laurent et qu'il est également le plus important cours d'eau du continent à couler vers le nord. Depuis les tout débuts de notre histoire, ce fleuve a été la principale route d'approvisionnement de l'Arctique de l'Ouest.

J'ai pu mesurer sur place l'importance de ce cours d'eau. Après avoir traversé le Grand lac des Esclaves et navigué sur toute la longueur du fleuve Mackenzie dans un bateau remorque qui traînait deux acres de barges chargées de nourriture pour les collectivités du Nord, que nous desservions en route, nous avons franchi plusieurs rapides pour aboutir à Tuktoyaktuk, dix jours plus tard. Ce voyage et de nombreuses autres expériences vécues dans le Nord m'ont permis de prendre conscience de la valeur de la vallée du Mackenzie, non seulement du point de vue économique mais aussi, et peut-être même surtout en raison de la valeur de son environnement, où vivent de nombreux peuples autochtones et la faune nordique dont ils dépendent encore en grande partie.

Le projet de loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie est le fruit de plus de cinq ans de consultations et de négociations. C'est un projet de loi complexe et technique, mais qui a un objectif clair, celui de protéger un écosystème nordique important et fragile tout en respectant les engagements territoriaux pris à l'endroit des peuples autochtones.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-6 met sur pied un système unifié et coordonné de gestion des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie, dans les Territoires du Nord-Ouest. Il s'agit d'une obligation constitutionnelle du gouvernement du Canada découlant des accords sur le règlement des revendications territoriales conclus avec les Gwich'in, les Déné du Sahtu et les Métis. En tant que législateurs, il nous incombe de veiller à ce que le Canada respecte les engagements pris envers les peuples autochtones.

Nous avons une autre raison importante d'appuyer ce projet de loi, soit la nécessité d'assurer l'uniformité, la certitude et l'efficacité des processus de gestion des ressources et d'évaluation environnementale à la grandeur de la vallée du Mackenzie. Le projet de loi C-6 nous permettra d'y arriver par la mise en place d'un régime unique et intégré qui fonctionnera de façon efficace, efficiente et abordable. La mise en place du régime à la grandeur de la vallée permettra d'appliquer les mêmes règles, règlements et processus aux terres qui sont visées par des traités aussi bien qu'à celles qui ne le sont pas, du nord au sud de la vallée.

(1430)

De cette façon, le processus décisionnel tiendra compte de ce qui est bon pour tout l'écosystème de la vallée du Mackenzie et pour toutes ses collectivités et ses habitants, et pas seulement pour une région en particulier.

Le projet de loi est essentiel pour la préservation et la protection de l'environnement, honorables sénateurs, mais il est aussi important pour l'économie. Les industries primaires ont besoin d'uniformité et de certitude pour investir dans des projets de développement, des projets très prometteurs de création d'emplois, de croissance économique et d'un meilleur niveau de vie dans la vallée du Mackenzie.

L'uniformité sera assurée par la constitution de deux institutions du gouvernement, c'est-à-dire l'Office des terres et des eaux, et l'Office d'examen des répercussions environnementales, dont la compétence sera reconnue dans toute la vallée du Mackenzie.

Le projet de loi C-6 prévoit aussi la mise en place de quatre institutions régionales qui seront chargées de planifier l'utilisation des terres et de régler les questions concernant les terres et les eaux dans les régions désignées. D'autres offices régionaux seront établis par décret à mesure que des accords sur des revendications territoriales seront conclus avec divers groupes autochtones de la vallée.

Comme les honorables sénateurs le savent peut-être, certaines Premières nations qui n'ont pas encore signé d'accords sur des revendications territoriales s'opposent à l'application du projet de loi C-6 dans toute la vallée du Mackenzie. Cette opposition vient surtout de la crainte que la mesure entre en vigueur à un moment inopportun plutôt que du principe voulant que la mesure régisse la gestion des ressources et l'évaluation environnementale dans toute la vallée. Sauf erreur, ces Premières nations préfèrent que le projet de loi ne s'applique pas à leurs régions avant que les accords soient conclus sur leurs revendications territoriales.

Je puis assurer les honorables sénateurs que le projet de loi C-6 n'est imposé à aucun groupe autochtone. Le nouveau régime ne nuira pas à la négociation de futurs accords sur des revendications territoriales ou sur l'autonomie gouvernementale. Il n'abrogera et ne contredira aucunement les droits des peuples autochtones ou les droits issus de traités protégés par l'article 35 de la Constitution. Des garanties à cet effet sont inscrites dans le projet de loi. En fait, grâce au nouveau régime, les Premières nations seront désormais mieux représentées et participeront davantage au processus décisionnel qu'elles ne le font actuellement.

Le projet de loi C-6 garantira aux Premières nations une représentation égale au sein des deux offices pour la vallée du Mackenzie, y compris celles qui n'ont pas encore conclu d'accord de revendication. Cela permettra aux autochtones de la vallée du Mackenzie de protéger leurs activités traditionnelles tout en soutenant d'autres formes de développement économique et en bénéficiant de ce développement. En même temps, le projet de loi C-6 assure que les voix des habitants non autochtones seront entendues, au moyen de leurs représentants au sein des offices de la vallée du Mackenzie et au moyen des audiences publiques et des consultations prévues dans le projet de loi C-6.

Honorables sénateurs, nous espérons voir à cet égard un exemple concret de cogestion des ressources et de bonne administration publique dans le Nord. Cela montre également comment le gouvernement actuel remplit les objectifs de son document de politique «Rassembler nos forces: le plan d'action du Canada pour les questions autochtones.» Ce document constitue l'une des réponses du gouvernement à la Commission royale sur les peuples autochtones, qui a recommandé un régime de cogestion dans la vallée du Mackenzie. Le projet de loi est également en accord avec les efforts actuels du gouvernement pour confier au Nord la capacité de prise de décision et la responsabilité politique.

Comme je l'ai fait remarquer au début, honorables sénateurs, le projet de loi a fait l'objet d'un vaste processus de consultation. Trente-cinq versions du projet de loi ont été élaborées et distribuées pour solliciter des commentaires. On a tenu des dizaines de réunions avec les dirigeants autochtones, les représentants du gouvernement territorial, les entreprises du secteur des ressources et le public. Ces consultations ont donné lieu à un certain nombre de modifications qui ont renforcé le projet de loi et accru la participation des autochtones dans le régime de cogestion des ressources.

Un tel processus n'aurait pas été possible sans la coopération et le dévouement de beaucoup de gens. Je voudrais mentionner certains des principaux intervenants qui ont travaillé de concert pour faire aboutir le projet de loi C-6. Je mentionnerai d'abord les dirigeants des Gwich'in et des Dénés et des Métis du Sahtu, qui ont conclu leurs accords de revendication en 1992 et en 1994 respectivement. Ces dirigeants ont travaillé en étroite collaboration avec le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et avec les fonctionnaires fédéraux pour mettre en oeuvre l'esprit et la lettre de ces accords.

Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a également joué un rôle central dans l'élaboration d'un régime de cogestion des ressources solide mais souple dans la vallée du Mackenzie. Son objectif était d'adopter une approche adaptée aux besoins et à la situation d'aujourd'hui, notamment à la nécessité d'une participation autochtone entière et efficace à la prise de décisions.

Les sociétés et les associations de l'industrie primaire ont contribué aussi au projet de loi C-6. Le nouveau régime leur semble juste, responsable et applicable et, après de longues années de discussions et de débats, elles souhaitent maintenant que nous passions rapidement à la mise en oeuvre. Madame la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien mérite une mention spéciale, car elle a réussi à concilier les intérêts des nombreux intéressés sans sacrifier l'efficacité ni la souplesse du nouveau régime.

Enfin, je tiens à féliciter le comité permanent des affaires autochtones et du Nord canadien. Après avoir tenu des audiences publiques sur le projet de loi C-6 en décembre dernier, il a proposé plusieurs amendements qui ont amélioré le projet de loi.

Honorables sénateurs, les divers groupes intéressés ont travaillé de concert à l'élaboration d'un projet de loi qui me paraît équilibré, pratique et efficace. Compte tenu du temps et des efforts exigés par ce travail, nous avons dépassé de deux ans le délai qui avait été prévu pour faire adopter le projet de loi. Nous croyons cependant que cela a valu la peine, puisque le projet de loi C-6 est maintenant largement reconnu comme une réponse équitable et applicable au problème complexe de la protection de l'environnement, du développement économique et du respect des droits et traditions des autochtones.

C'est pourquoi j'invite les honorables sénateurs à appuyer le projet de loi pour que nous puissions le renvoyer au comité pour étude et lui faire passer rapidement l'étape de la troisième et dernière lecture.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, au nom du sénateur St. Germain, le débat est ajourné.)

Projet de loi maritime du Canada

Deuxième lecture-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable Pierre De Bané, appuyé par l'honorable sénateur Lucier, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-9, Loi favorisant la compétitivité du réseau portuaire canadien par une rationalisation de sa gestion, prévoyant la création des administrations portuaires et l'aliénation de certains ports, régissant la commercialisation de la Voie maritime du Saint-Laurent et des traversiers et des questions connexes liées au commerce et au transport maritime, modifiant la Loi sur le pilotage et abrogeant et modifiant certaines lois en conséquence.

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour participer au débat à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-9. Auparavant, je tiens à remercier sincèrement les leaders des deux côtés du Sénat qui ont pris les arrangements nécessaires et ont prolongé l'étude de cette mesure législative jusqu'à aujourd'hui, afin que je puisse y prendre part.

Honorables sénateurs, comme bon nombre d'entre vous le savent, un sous-comité du comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel siègent cinq sénateurs, y compris le président du comité permanent, a voyagé pendant deux ou trois semaines dans le cadre d'une mission d'observation de l'état actuel des transports et des perspectives d'avenir de ce secteur au cours des prochaines années et à l'horizon 2020 ou 2025. Vous entendrez sûrement parler davantage de ce rapport à mesure que la date de son dépôt au Sénat approchera.

(1440)

Aujourd'hui, nous sommes saisis du projet de loi C-9, la Loi maritime du Canada. À quelques modifications près, il s'agit essentiellement du projet de loi C-44 qui est mort au Feuilleton du Sénat au déclenchement des dernières élections fédérales.

Nous savons que le comité permanent des transports de la Chambre des communes a examiné le projet de loi C-44 pendant un certain temps et que les sénateurs de ce côté-ci ont vivement reproché au gouvernement, en avril dernier, de tenter de faire adopter la mesure législative à toute vapeur au Sénat, avec le minimum d'audiences, de consultations et d'études possible.

Ce que nous reprochions au projet de loi C-44, et ce que nous reprochons au projet de loi C-9 dont nous sommes saisis aujourd'hui, c'est la façon dont sont traités un groupe de ports qu'on appelle de plus en plus les ports régionaux importants, ports qui seront cédés au cours des six prochaines années.

Le projet de loi aura d'énormes répercussions sur les localités où sont situés les ports de même que sur les collectivités environnantes. Les collectivités régionales touchées par les ports et les activités portuaires n'ont pas été consultées au sujet des changements envisagés.

Le sénateur Cochrane a soulevé la question de l'absence de consultation au printemps dernier. Le député de Cumberland-Colchester, Bill Casey, a fait de même à l'autre endroit. Il n'y a toujours pas de consultation.

Le gouvernement a refusé que le comité des transports de l'autre endroit convoque d'autres témoins que des hauts fonctionnaires fédéraux. Cela semble plutôt étrange. Honorables sénateurs, j'espère que la situation sera quelque peu différente au Sénat. Cette affaire est trop importante pour qu'on l'expédie. Il ne faut pas entendre les seuls témoignages des employés du soutien structuré du ministère des Transports.

J'ose croire que le comité sénatorial permanent des transports et des communications - auquel ce projet de loi sera vite envoyé, je l'espère - prendra le temps d'entendre les personnes qui sont le plus touchées par le projet de loi C-9.

La Loi maritime du Canada qui est proposée est un projet de loi compliqué qui traite de nombreux aspects de la vie maritime au Canada. Nous en sommes saisis à un moment où bien des grands ports du Canada sont assiégés. Des questions sont posées presque tous les jours au sujet de nos ports, de la gestion de nos ports et des autorités policières de nos ports.

Par exemple, y a-t-il quelqu'un ici qui n'a jamais reçu un appel à propos de la police des ports et de sa lutte contre le crime organisé? Le crime organisé est chaque jour plus raffiné. Même si les dispositions de ce projet de loi confèrent aux nouvelles autorités de police, quelles qu'elles soient, les pouvoirs dont elles ont besoin pour s'occuper des expéditions inférieures aux normes, je ne crois qu'il soit sage de démanteler les forces policières des ports à l'heure actuelle.

Pour ceux que cela intéresse, je dirai que nous avons maintenant une structure policière centrale dans les principaux ports du Canada, c'est-à-dire une organisation nationale. Le démantèlement de ce système se trouve à laisser les activités policières aux forces policières municipales ou, le cas échéant, à la GRC ou à d'autres forces policières provinciales. Cela signifie que les ports seront assujettis à différents ensembles de lois en ce qui a trait à la lutte interminable contre le crime organisé. Ce que les criminels ne peuvent pas faire dans un port, ils trouveront peut-être le moyen de le faire plus facilement dans un autre, alors que, dans le système actuel, ils sont tous confrontés aux mêmes lois, aux mêmes règlements et à des forces policières ayant toutes la même formation. Cette formation a été donnée de concert avec nos forces policières nationales, municipales ou provinciales, selon le cas.

Le comité souhaite réexaminer toute cette question. Nous voulons convoquer des témoins. Nous souhaitons entendre ceux qui ont servi au sein des services de police des ports aux niveaux national et local au cours des dernières années.

Un autre objectif important du projet de loi est la classification de nos ports. Le gouvernement divise tous les ports en trois catégories: les principaux ports commerciaux qui sont financièrement viables; les ports régionaux, dont j'ai parlé plus tôt, qui sont censés être cédés au cours des cinq ou six prochaines années; et les ports éloignés pour lesquels on n'envisage aucun changement et qui continueront d'être soutenus par le gouvernement fédéral.

Honorables sénateurs, le titre intégral du projet de loi C-9 dit notamment ce qui suit: «Loi favorisant la compétitivité du réseau portuaire canadien par une rationalisation de sa gestion...». Même si c'est peut-être un objectif admirable pour les ports de Vancouver, Halifax ou Montréal, cela ne donne pas aux autres ports les moyens nécessaires, y compris les pouvoirs légaux, pour agir afin d'envisager d'être rentables ou efficients et toutes les autres choses que la loi juge souhaitables et avec lesquelles, j'en suis persuadé, nous sommes tous d'accord.

Même si le gouvernement prétend qu'il établit un système pour se départir de certains ports, il le fait d'une façon qui lui laisse encore un rôle important à jouer et limite la viabilité financière, à l'avenir, des grands ports eux-mêmes.

Le paragraphe 28(1) du projet de loi C-9 dit:

Une administration portuaire [...] a la capacité d'une personne physique.

Cependant, on a limité les pouvoirs du port eux-mêmes. Les administrateurs des ports sont tous ou presque nommés par le gouverneur en conseil. Aucune consultation n'est nécessaire, et même si on établit des critères pour le choix des administrateurs, il incombe au gouverneur en conseil de déterminer si oui ou non on respecte ces critères.

Là encore, aux termes de l'article 39:

Les administrations portuaires présentent, tous les ans, au ministre un plan quinquennal d'activités [...] renfermant les renseignements que celui-ci peut exiger...

Le paragraphe 37(5) prévoit que les états financiers doivent inclure:

 

... les renseignements relatifs à leurs éventuels éléments de passif ou à ceux de leurs filiales à cent pour cent, le cas échéant.
Aux termes du paragraphe 41(2), des examens spéciaux peuvent avoir lieu en tout temps, à la demande du ministre.

L'administration portuaire peut établir les frais d'utilisation, mais il y a une procédure d'appel si un utilisateur s'oppose aux droits exigés et la Couronne elle-même peut soumettre une objection.

Ce sont les restrictions à la capacité de l'administration portuaire de fonctionner comme une personne physique. En fait, ce sont des restrictions qu'on ne peut imposer à une personne physique. Je le répète, nous voulons examiner de très près ces questions.

Honorables sénateurs, ces restrictions pourraient être considérées comme plus acceptables. L'administration portuaire pouvait emprunter au Trésor public ou obtenir des prêts garantis par le gouvernement. Cependant, ces deux modes de financement sont expressément interdits par le projet de loi. Ainsi, nous prétendons que ces dispositions sont restrictives.

Aux termes du paragraphe 31(3), la seule façon pour une administration portuaire de garantir l'argent emprunté, est de donner en gage une somme égale au revenu tiré des immeubles qu'elle occupe. Aux termes de cette disposition, l'administration portuaire ne peut grever les immeubles fédéraux qu'elle gère ou détient d'une sûreté, notamment d'une hypothèque. On doit se demander quel genre de collaboration il y a eu entre les comités qui ont rédigé cette phrase pour en arriver à un tel libellé.

(1450)

Ces restrictions, honorables sénateurs, nuiront sérieusement aux ports qui désirent agrandir ou moderniser leurs installations. Dans ce projet de loi, le gouvernement fédéral rend l'accès au capital plus difficile pour les ports et s'empêche de devenir partenaire ou investisseur dans l'expansion des ports. Cette mesure nuira particulièrement au port de Halifax, qui projette d'agrandir ses installations.

Une expansion est nécessaire si le port de Halifax doit jouer son rôle - et c'est un rôle important - dans l'expédition des marchandises du coeur de l'Europe jusqu'aux zones de consommation du coeur de l'Amérique du Nord, ou encore des marchandises qui se rendent jusqu'en Asie en passant par l'Amérique du Nord. Cela s'applique aussi aux mouvements de marchandises en sens inverse. Il y a beaucoup à faire pour que cela devienne possible.

Le comité sénatorial permanent des transports et des communications doit passer du temps à essayer de déterminer l'effet de ce projet de loi sur les ports régionaux qui sont directement touchés par la mesure législative proposée. Encore une fois, ce groupe n'a pas été consulté avant la rédaction du projet de loi. Ces ports n'ont pas été consultés non plus pendant la période qui s'est écoulée entre le moment où le projet de loi antérieur est mort au Feuilleton en avril 1997 et maintenant.

Même si le projet de loi vise à permettre que ces ports soient cédés ou vendus à des intérêts privés, le ministre se réserve le droit de nommer qui il veut au poste de directeur de port ou de gardien de quai aux termes de l'article 69. On aurait pensé, à l'approche du nouveau millénaire, que les directeurs de port et les gardiens de quai auraient trouvé une autre façon de rester actifs.

Nous connaissons tous l'histoire du gardien de quai à Lunenburg et de Lloyd Crouse. J'aimerais bien avoir le temps de la raconter parce qu'elle concerne le pouvoir et l'incapacité des gens qui ont des pouvoirs à savoir comment les utiliser. Le sénateur Moore a entendu cette histoire. Il a dit: «Lloyd, vous avez peut-être le pouvoir de nommer ce gardien de quai pour me remplacer, mais vous êtes trop stupide pour savoir comment faire.» Cela doit changer. C'était au siècle dernier, au dernier millénaire. Ce sont des choses que nous devrions étudier.

En outre, le projet de loi ne prévoit aucun mécanisme de consultation permettant des discussions publiques sur des choses comme les droits portuaires, les droits de quaiage et les frais de port en général.

Je crois, honorables sénateurs - et j'ai l'impression que beaucoup d'entre vous pensent aussi comme moi - que les répercussions de ces modifications sur les ports régionaux de taille moyenne doivent être examinées en détail. Les changements apportés au mode d'administration des ports locaux se répercuteront sur pratiquement tout le monde dans les municipalités environnantes. Nous devons au moins étudier à fond les répercussions économiques des changements proposés.

Le projet de loi porte également sur la commercialisation de la Voie maritime du Saint-Laurent. Il autorise essentiellement le ministre à conclure des ententes d'administration avec des organismes sans but lucratif. Le ministre se voit également confier un vaste pouvoir de réglementation qui inclut notamment un droit d'aliénation. Nous aurons une organisation sans but lucratif, mais le ministre conservera le droit de lui retirer ses fonctions pour les exercer lui-même.

Cela nous amène évidemment à la question de l'égalité des chances. Si les exploitants de la Voie maritime ont accès aux fonds du Trésor, pourquoi, par exemple, le port de Halifax n'obtiendrait-il pas au moins la garantie des prêts dont il a besoin pour s'étendre et croître? Il ne s'agit d'ailleurs pas uniquement du port de Halifax, mais de tous les ports de la même catégorie au Canada - 15 ou 16.

Je voudrais également avoir l'assurance que les propositions concernant la Voie maritime ne vont à l'encontre d'aucune obligation internationale du Canada. À cet égard, l'article 100 me préoccupe tout particulièrement. On y lit ceci:

L'autorité des États-Unis qui a compétence à l'égard de la Voie maritime est investie de la capacité nécessaire pour agir conjointement ou en liaison, au Canada, avec le ministre ou la personne qui a conclu une entente avec lui en vertu du paragraphe 80(5).

Je crois que nous devrions obtenir confirmation de cette affirmation directement des fonctionnaires des États-Unis pour être absolument convaincus que la formulation de la disposition est bien claire et qu'elle est acceptable pour nos partenaires dans la gestion de la Voie maritime.

Le projet de loi traite aussi du pilotage. Le sous-comité de la sécurité des transports a entendu des représentants de presque toutes les administrations de pilotage au Canada et de certains grands services maritimes de notre pays. Je crois pouvoir dire sans me tromper que la plupart sont satisfaits des services de pilotage offerts au Canada. Je comprends que le gouvernement ne veut pas que ce projet de loi occasionne des pertes financières, mais je pense que nous devrions nous montrer très prudents par rapport à toute modification proposée au système.

Enfin, honorables sénateurs, je reviens à la question de la police portuaire. Le projet de loi propose son démantèlement, mais ne prévoit toutefois aucune solution de rechange. Il propose de laisser les responsabilités de cette police à la merci de différents organismes chargés de l'application de la loi dans notre pays. Nous devrions envisager prudemment tous les changements proposés à cet égard.

Honorables sénateurs, j'attends avec impatience de discuter en profondeur de cette question au sein du comité. Nous avons, envers le milieu portuaire, l'obligation de veiller à faire maintenant ce qui n'a pas été fait il y a environ un an, pour éviter d'avoir encore à apporter des modifications majeures en 2001 ou 2002 faute d'avoir tenu assez de consultations.

Nous, de ce côté-ci, espérons que le projet de loi sera renvoyé au comité compétent, soit le comité sénatorial permanent des transports et des communications.

L'honorable John G. Bryden: Honorables sénateurs, comme le sénateur De Bané a décrit de manière claire, concise et exhaustive la teneur et les principes du projet de loi C-9, il est inutile que je revienne là-dessus.

Je tiens aussi à dire, avant de revenir à mon texte, que je partage certaines des préoccupations soulevées par le sénateur Forrestall et que j'attends aussi avec impatience la comparution de témoins devant notre comité.

En général, je me réjouis des mesures gouvernementales qui visent à améliorer notre système de transport maritime. D'après ce que je lis, le projet de loi a pour principal objectif de permettre la création d'administrations portuaires canadiennes ou APC qui seraient gérées de façon indépendante et qui s'occuperaient de l'administration de nos ports canadiens les plus importants et les plus achalandés.

Les dispositions du projet de loi qui concernent les APC ont été élaborées à la suite de nombreuses consultations et d'une mûre réflexion. D'après ce que j'ai lu jusqu'à maintenant - et je suis impatient d'en apprendre plus lors des audiences du comité - pareil changement constitue un pas dans la bonne direction pour ces ports. Par contre, le traitement que le projet de loi propose de réserver aux petits ports locaux et régionaux ainsi que la politique maritime nationale qu'il propose de mettre en oeuvre suscitent certaines inquiétudes. D'après ce que j'ai pu déterminer, cette partie du projet de loi et de la politique a fait l'objet d'une moindre grande attention que les autres éléments de l'initiative maritime. On a peu analysé, voire pas du tout, les effets du projet de loi et de la politique sur le développement socio-économique des agglomérations et des régions qui ont besoin de ces ports commerciaux locaux et régionaux. Très peu de longs témoignages au comité de l'autre endroit ont porté sur les ports locaux et régionaux. J'espère que le Sénat et son comité examineront ces questions de façon plus approfondie et avec grand soin.

(1500)

Ayant vécu dans le Canada atlantique presque toute ma vie, je suis très conscient du rôle central que jouent les ports dans les diverses localités de la région. Ils sont bien plus qu'un plan d'eau et un ou plusieurs quais. Dans bien des cas, ils sont le coeur économique de la localité, voire de la région tout entière. Notre région s'appelle les Maritimes et le Canada atlantique pour une bonne raison. Nous avons toujours eu des liens étroits avec l'océan, et ces liens se maintiennent aujourd'hui.

Le projet de loi C-9 et la politique maritime nationale qu'il met en oeuvre marqueraient l'avènement d'un nouveau régime où presque tous les ports, à l'exception des plus grands et des plus achalandés, seraient transférés du gouvernement fédéral à des intérêts locaux ou risqueraient la fermeture. Nombre de gens s'inquiètent de ce que, même avec le fonds d'aide des ports créé pour favoriser le transfert, nombre de ports ne puissent atteindre l'auto-suffisance, ce qui aboutirait à leur fermeture. C'est un changement radical pour ma région, honorables sénateurs. Je suis d'avis que cela modifiera fondamentalement la vie de nombre d'agglomérations du Canada atlantique.

J'admets que le changement n'est pas toujours une mauvaise chose. Le fait que, durant toute notre histoire, nombre de nos agglomérations ont expédié et reçu des marchandises par la mer ne signifie pas qu'elles doivent continuer de le faire pour toujours. Si le temps du changement est venu et si ce changement est de nature à stimuler la vitalité économique des régions et des agglomérations, ce pourrait bien être la meilleure politique, et le projet de loi C-9 pourrait bien constituer le meilleur moyen de mettre en oeuvre cette politique.

J'ai très hâte d'entendre les témoins au sujet de ce projet de loi, afin d'être convaincu que c'est effectivement la chose à faire pour les collectivités de la région atlantique. Actuellement, honorables sénateurs, il y a un certain nombre de questions auxquelles nous aimerions avoir des réponses. Je vais en mentionner quelques-unes.

Il y a moins de deux ans, nous avons adopté la Loi sur les transports au Canada. L'article 5 de cette loi est une déclaration de politique nationale des transports; elle contient les principes que nous avons adoptés comme caractéristiques définissant notre politique nationale des transports par air, rail ou eau. L'alinéa d) dit:

 

[Que] les transports soient reconnus comme un facteur primordial du développement économique régional et que soit maintenu un équilibre entre les objectifs de rentabilité des liaisons de transport et ceux de développement économique régional en vue de la réalisation du potentiel économique de chaque région;
Ce n'était pas une nouvelle disposition. C'était dans la déclaration de politique nationale contenue dans l'ancienne Loi sur les transports nationaux. Autrement dit, honorables sénateurs, c'est un objectif de longue date de la politique canadienne en matière de transport et c'est toujours valable de nos jours. Rien dans le projet de loi C-9 ne vient abroger ou modifier cet article. Une partie de notre travail est donc de faire en sorte que la politique maritime nationale, et le projet de loi C-9 en particulier, soient conformes à la politique nationale des transports.

Actuellement, il est loin d'être clair que le projet de loi C-9 et en particulier la politique que le projet de loi C-9 mettrait en oeuvre préservent «l'équilibre entre les objectifs de rentabilité des liaisons ... et ceux du développement économique régional en vue de la réalisation du potentiel économique de chaque région.» Je crains que le projet de loi et la politique ne soient trop fortement en faveur de la rentabilité, négligeant les objectifs de développement régional, avec pour résultat que le potentiel économique de certaines régions - la région atlantique en particulier - ne pourra se réaliser.

Autant que je sache, la politique de cession des ports régionaux mentionnée à l'alinéa 4g) a été adoptée sans étude des conséquences sociales et économiques de cette politique sur les collectivités où se trouvent ces ports. Nous ne savons tout simplement pas ce qui se produira. Nous ignorons combien de ports seront obligés de fermer à cause de cette politique et nous ignorons ce que deviendront les entreprises qui reçoivent ou expédient des marchandises depuis ces ports. Nous ne savons pas quelles entreprises connexes subiront les contrecoups du déménagement des entreprises qui seront forcées de s'installer plus près des ports restés ouverts ou d'autres moyens de transport abordables. Nous ne savons pas combien d'emplois seront perdus, ni même quand les ports qui doivent être cédés le seront, de manière que les entreprises et les collectivités puissent s'y préparer. Je ne suis pas certain que nous sachions dans quoi nous engage cette politique concernant les ports commerciaux, régionaux et locaux.

Honorables sénateurs, j'espère me tromper. J'espère que lorsque les fonctionnaires qui ont rédigé le projet de loi et qui sont responsables de la politique comparaîtront devant le comité sénatorial, ils pourront produire des études sérieuses qui écarteront mes inquiétudes. Autant que je sache cependant, aucune étude semblable n'a encore été présentée.

Il existe également d'autres sujets d'inquiétude. Le projet de loi semble instituer une double politique, en imposant une norme rigoureuse qui oblige la plupart des ports à être financièrement autonomes et à se tirer d'affaire sans subvention gouvernementale, ou à cesser leurs activités; d'autre part, en institue à l'intention de la Voie maritime du Saint-Laurent une politique différente qui incite cette dernière, sans l'y obliger, à pratiquer une gestion de type commercial, tout en pouvant continuer de compter sur le soutien financier du gouvernement.

Honorables sénateurs, le projet de loi contient deux groupes très différents d'objectifs: l'un, énoncé à l'article 4 du projet de loi, est celui de la politique maritime nationale; les autres objectifs sont énoncés à l'article 78. J'ai constaté avec étonnement que plusieurs objectifs concernant la Voie maritime ne visent pas le reste de l'infrastructure maritime du Canada. L'alinéa 78(c) du projet de loi dispose que l'un des objectifs est de «protéger les droits et les intérêts des collectivités voisines de la Voie maritime». Il s'agit là d'un excellent objectif, mais qui devrait s'appliquer également aux collectivités voisines des ports ailleurs au Canada. Au nom de quoi peut-on appliquer à certaines collectivités un traitement différent de celui qui est réservé à d'autres collectivités qui sont également visées par la nouvelle politique portuaire? Quelle protection particulière le projet de loi accorde-t-il à certaines communautés, et pour quelle raison?

L'article 78 énonce un autre objectif:

 

d) protéger le fonctionnement à long terme et la viabilité de la Voie maritime à titre d'élément constitutif de l'infrastructure nationale des transports au Canada.
Là encore, honorables sénateurs, pourquoi la Voie maritime est-elle un «élément constitutif de l'infrastructure nationale des transports au Canada» plus que d'autres ports situés dans la région de l'Atlantique ou en Colombie-Britannique? Est-il juste de privilégier un élément de l'infrastructure nationale des transports en lui accordant une plus grande protection qu'aux autres? Peut-on affirmer avec certitude que la Voie maritime est tellement indispensable à l'ensemble du Canada qu'elle mérite et nécessite un traitement particulier?

En fait, dans un article paru récemment dans le Wall Street Journal et repris dans The Globe and Mail, on pouvait lire que la Voie maritime du Saint-Laurent, longtemps saluée comme une merveille d'ingénierie, s'était avérée une terrible déception. L'article notait que:

 

Au cours des deux dernières décennies, le trafic avait connu une baisse de 45 p. 100. À présent, la Voie maritime sert au transport d'environ moitié moins de céréales qu'au début des années 80, principalement parce que la demande de céréales d'Amérique du Nord s'est déplacée vers l'Asie, ce qui favorise les ports de la côte Ouest.
En outre, les bateaux que l'on construit et que l'on utilise aujourd'hui ne passent pas dans la Voie maritime. Ils sont trop gros. L'article poursuit:

 

L'administration de la Voie maritime estime qu'il faudrait entre 4 et 5 milliards de dollars américains pour élargir la voie afin qu'elle puisse accueillir la nouvelle génération de cargos qui naviguent maintenant sur les océans. Mais les pessimistes notent que ni les États-Unis ni le Canada ne se montrent désireux de fournir les fonds nécessaires à l'agrandissement des écluses et des canaux de la Voie maritime.
Si nous voulons veiller à ce que nos services de transport maritime soient plus rentables, plus compétitifs et financièrement autonomes, pourquoi vouloir si rapidement accorder un traitement spécial à la Voie maritime?

Le projet de loi conférerait à la Voie maritime un certain nombre de privilèges auxquels nulle autre entité n'a droit au Canada. Par exemple, l'article 25 interdirait expressément d'accorder à une administration portuaire - la nouvelle structure des principaux ports - une somme par voie de crédit affecté par le Parlement pour lui permettre d'exécuter ses obligations. En revanche, les articles 80 et 81 autoriseraient le ministre des Transports à accepter de verser des contributions, des subventions ou toute autre forme d'aide financière pour l'exploitation de la totalité ou d'une partie de la Voie maritime, ces sommes étant prélevées sur le Trésor.

Honorables sénateurs, il se peut que l'approche préconisée dans le projet de loi soit la bonne. Notre infrastructure maritime nationale, qui est une composante essentielle de notre pays, devrait sans doute être aidée et soutenue davantage, y compris sur le plan financier, par le gouvernement fédéral. Dans ce cas, il nous faut néanmoins le faire de façon équitable et juste. Ceux d'entre nous qui sont originaires des provinces de l'Atlantique savent parfaitement combien nos ports constituent une composante essentielle de notre région et, partant, du pays. Ils sont à notre région ce que la Voie maritime est au Canada central. Si une politique à deux niveaux est acceptable, n'y a-t-il pas lieu d'appliquer les politiques en matière de développement communautaire et régional qui assureront la viabilité des collectivités voisines de la Voie maritime aux ports locaux et régionaux de l'Atlantique afin de contribuer à la viabilité économique de ces collectivités locales et régionales?

Son Honneur le Président suppléant: Honorables sénateurs, je suis désolé de devoir intervenir, mais le temps de parole de l'honorable sénateur est écoulé.

Permission est-elle accordée à l'honorable sénateur Bryden de poursuivre?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Bryden: Honorables sénateurs, je vais tâcher d'être le plus bref possible. À la catégorie des grands ports commerciaux tels que Montréal, Vancouver et Halifax - il y en a 15 en tout - qui seront des administrations portuaires canadiennes et qui sauront devenir concurrentiels et rentables sur le marché mondial, et à une grande catégorie de très petits quais et ports dont on pourrait se dessaisir sans que les collectivités environnantes en souffrent trop - plusieurs d'entre eux ont déjà été transférés au ministère des Pêches et des Océans -, devrait s'ajouter une catégorie de ports commerciaux locaux et régionaux qui ne pourront jamais être autonomes financièrement, c'est-à-dire rentables, mais qui apportent une contribution si inestimable à l'économie de leurs collectivités ou régions qu'ils devraient bénéficier des mêmes protections et des mêmes appuis financiers que la Voie maritime du Saint-Laurent, et ce, tout à fait pour le même objectif, soit «protéger les droits et les intérêts des collectivités voisines».

Et puis je me pose un certain nombre de questions d'ordre technique à propos de ce projet de loi. On m'a dit que la mise en oeuvre de la politique de dessaisissement a déjà été amorcée et que l'adoption du projet de loi C-9 n'est pas indispensable.

Le sénateur Forrestall: Ils disent toujours cela.

Le sénateur Bryden: Je sais. J'aimerais en entendre davantage sur cet aspect pour mieux comprendre le contexte dans lequel cette politique s'applique.

En lisant les lois actuellement en vigueur, je me suis rendu compte que l'autorisation de désaffecter les ports et installations portuaires publics avait une portée très restreinte. Je crois que c'est le paragraphe 8(2) de la Loi sur les ports et installations portuaires publics qui s'applique. Ce paragraphe autorise le gouverneur en conseil à «soustraire à l'application de la présente loi tous ports ou installations portuaires publics, s'il estime que cette mesure est de nature à en améliorer l'administration».

Honorables sénateurs, comment cela peut-il autoriser la cession d'un port à quiconque le détruira ou le convertira en quelque chose d'autre? Comment cela peut-il autoriser la fermeture d'un port, alors que cette mesure ne doit être utilisée que pour en améliorer l'administration?

J'aimerais parler du Fonds d'aide aux ports de 125 millions de dollars. J'aimerais savoir s'il aidera réellement nos ports à atteindre un niveau d'indépendance qui leur permettra de survivre seuls. J'attends avec impatience de recevoir les faits et les chiffres qui ont servi aux fonctionnaires du ministère des Transports pour arriver à ces données, pour vérifier si ce fonds va donner de bons résultats.

Jusqu'à présent, le gouvernement dépensait environ 40 millions de dollars par année pour les ports locaux et régionaux, et cela n'a pas suffi pour les garder en bon état. Ce montant de 125 millions de dollars sur six ans équivaut à moins de la moitié de cette somme, et elle ne sera versée que pendant six ans. Comment est-ce que cela peut suffire pour permettre aux ports de se remettre sur pied et de devenir autonomes?

Je me pose toutes sortes de questions sur la sécurité et la protection de l'environnement dans nos ports après la cession. S'il n'y a plus de fonctionnaires fédéraux dans nos ports et nos installations portuaires, comment pourrons-nous faire appliquer nos lois et garantir la sécurité des ports et le respect de l'environnement?

En 1990, le rapport Brander-Smith nous a avertis des risques de catastrophe environnementale dans nos ports et a souligné que c'est dans l'Est du Canada que les risques de déversement étaient les plus élevés. Le rapport poursuit en disant:

 

La grande majorité des accidents de navires-citernes sont dus à l'erreur humaine. En dépit de cela, la pression de la concurrence au sein de l'industrie à a entraîné une réduction de la taille des équipages de navires à un niveau dangereux et une politique faisant de la réduction du temps consacré au chargement et au déchargement une priorité croissante.
Honorables sénateurs, avec cette nouvelle politique maritime, la pression concurrentielle ne fera qu'augmenter. Toutefois, nous aurons maintenant non seulement un nombre insuffisant de membres d'équipage sur les navires, mais aussi un nombre insuffisant d'employés dans les ports. À quelles contraintes les transporteurs maritimes seront-ils soumis? S'il y a un problème, qui sera sur les lieux pour empêcher les bateaux de simplement quitter le port et de sortir de notre territoire?

Honorables sénateurs, j'ai beaucoup d'autres questions et inquiétudes au sujet de ce projet de loi, y compris en ce qui concerne l'application des lois et le trafic de la drogue, mais je vais les garder pour les audiences du comité. Comme chacun d'entre nous, je cherche à m'assurer que nous ayons la meilleure politique maritime possible.

J'ai grandi sur une ferme près de la mer, et c'est là que je vis aujourd'hui. La mer revêt une importance vitale pour tous les habitants des Maritimes, et les ports sont le coeur de beaucoup de nos collectivités. Ce n'est pas une question de sentiment ou de nostalgie. Nos ports sont encore un élément critique de notre infrastructure économique.

Notre région a beaucoup souffert ces dernières années, non seulement à cause de l'effondrement des pêches, mais aussi à cause de l'impact disproportionné de la restructuration gouvernementale. Nous avons travaillé fort pour établir nos entreprises des secteurs agricole, forestier et manufacturier et autres entreprises exportatrices, dont un grand nombre dépendent de nos ports.

(1520)

Avec cette politique ou cette absence de politique pour les ports commerciaux locaux, sommes-nous persuadés que nous savons ce que nous faisons, que les entreprises et les collectivités qui les ont bâtis et qui en dépendent pourront continuer de survivre et d'être florissantes? Jusqu'à maintenant, je n'ai reçu aucune réponse positive à cette question.

En l'absence de ces réponses, j'ai une suggestion: on devrait songer à prévoir dans le projet de loi C-9 que les ports commerciaux locaux et régionaux de l'Atlantique et d'autres régions du Canada aient des objectifs et un appui identiques ou comparables à ce qui se fait dans le cas de la Voie maritime, dans le centre du pays. Plus précisément, il faut que la politique relative à ces ports protège les droits et intérêts des collectivités voisines comme le prévoit l'article 78 du projet de loi et permette au ministère des Transports de verser des subventions et des contributions et d'apporter toute autre forme d'aide financière en se servant du Trésor public, conformément aux articles 80 et 81. Une telle approche est non seulement cohérente, mais elle est peut-être rendue nécessaire par la Loi sur les transports au Canada, qui établit notre politique nationale des transports.

Je voudrais vous citer à nouveau l'alinéa 5d) qui dit que:

 

[Que] les transports soient reconnus comme un facteur primordial du développement économique régional et que soit maintenu un équilibre entre les objectifs de rentabilité des liaisons de transport et ceux de développement économique régional en vue de la réalisation du potentiel économique de chaque région.
L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint suppléant de l'opposition): L'honorable sénateur répondrait-il à deux ou trois questions?

Le sénateur Bryden: Oui.

Le sénateur Kinsella: Le sénateur Bryden pourrait-il appliquer certains des principes dont il parle dans le discours excellent et très important qu'il vient de faire?

Par exemple, prenons le port de Saint John, au Nouveau-Brunswick, et le port de Digby, en Nouvelle-Écosse. Le premier, si je comprends bien le projet de loi, est un des 18 dont il est question et le second est une administration locale. Étant donné que l'une des grandes activités entre ces deux ports est reliée directement au transport, non seulement de marchandises, mais également de voyageurs, le sénateur pourrait-il appliquer à ces deux ports certains des principes dont il a parlé et nous expliquer davantage certains des problèmes qui pourraient se poser ou qu'il envisage?

Le sénateur Bryden: Je vais essayer. Ils sont tous deux traités de la même façon d'une certaine façon, aux termes de ce projet de loi, en ce sens que les ports non viables sur le plan commercial sont soit privatisés, soit fermés. Le port de Saint John se porte très bien. Il a fait d'excellents profits l'année dernière. Il a même battu celui de Halifax. Il devrait pouvoir être autonome. Il n'en va pas de même de l'autre. Cet autre port est soumis aux mêmes règles, cependant. Il n'a pas accès à des fonds supplémentaires ni à un soutien accru.

L'honorable sénateur a parlé d'un service de traversiers. J'ignore la réponse à cette situation. Je sais que selon certaines hypothèses, et c'est certes une chose qu'on devrait déterminer, il est probable que, à cause de la situation à Digby, le service de traversiers soit privatisé. Je ne crois pas que ce soit le cas en ce moment.

Le sénateur Forestall: Ils sont privés.

Le sénateur Bryden: Ils le sont?

Je ne sais comment vous vous y prendriez pour financer le port de Digby. Il est vraisemblablement financé par quelque chose. Ce que je tiens à dire, c'est que, dans le cas des petits ports, on n'a pas mis autant de soin à déterminer les répercussions qu'aura cette politique qu'on en a mis à analyser en profondeur, pendant les audiences, les conséquences sur les grands ports et même sur la situation le long de la Voie maritime du Saint-Laurent. C'est peut-être de là que vient le problème. On n'a tout simplement pas assez de renseignements.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, le sénateur Bryden a soulevé des questions très importantes. Je me reporte en particulier à l'analyse du projet de loi qu'il a faite. Nous voulons déterminer le genre d'analyse économique qui a été effectuée dans le cas des petits ports, notamment le port de Bayside ou le port de St. Andrews, au Nouveau-Brunswick, ou encore le port de Yarmouth, en Nouvelle-Écosse, ou même les nombreux ports situés autour de Terre-Neuve.

Ai-je bien compris le sénateur lorsqu'il a attiré notre attention sur l'article du projet de loi qui porte sur la Voie maritime du Saint-Laurent et sur le fait qu'on ait bien tenu compte, en vue de la rédaction de cette disposition, de certains facteurs économiques, mais pas autant des répercussions sur les petits ports, comme ceux que j'ai mentionnés? Le sénateur peut-il décrire les répercussions de nature pratique que pourrait avoir la politique qui sous-tend ce projet de loi, les répercussions négatives qu'elle pourrait avoir sur les ports de Bayside ou de Yarmouth, par exemple, ou sur de petits ports?

Le sénateur Bryden: Je serai bref, car je sais que j'ai dépassé depuis longtemps le temps qui m'était accordé. Sans parler des ports que le sénateur a mentionnés, je peux donner d'autres exemples comparables. Prenons le cas des deux ports situés le long de la rivière Miramichi, Newcastle et Chatham. À l'heure actuelle, l'argile qu'utilise l'usine de papier couché Repap est transportée par bateau jusqu'au port de Newcastle. Une partie de l'huile et de l'essence consommées dans cette région est transportée jusqu'au port de Chatham par la société Ultramar et d'autres fournisseurs.

Pour l'instant, il semble que ces ports seront fermés et que ces produits, pour peu que l'on continue à les acheminer là-bas, devront être transportés autrement. S'ils sont transportés par la route, il faudra des camions-citernes à 18 roues, et nous savons tous quel effet ces camions peuvent avoir sur la route, surtout à cette époque-ci de l'année. Les conséquences sont considérables.

Le grand facteur dont il faut tenir compte, ce sont les effets sur les localités environnantes. Un port qui n'est pas financièrement autonome ou qui est simplement un point d'expédition de bois d'oeuvre ou d'autres produits ne va pas pouvoir se rentabiliser. Il est toutefois le point d'aboutissement d'une énorme activité économique dans toute la région. Que va-t-il se passer?

Le pire exemple est celui de l'Île-du-Prince-Édouard. Cette province n'aura plus de port. Les représentants de Transports Canada nient aussitôt, disant qu'elle aura des ports, mais qu'ils ne seront pas gérés par Transports Canada. Ainsi que je vois les choses, les ports de Charlottetown, de Summerside, de Souris et de Georgetown sont quatre ports de trop. Au nom du ciel, il est sûrement sensé d'en maintenir un ou deux.

Les représentants de Transports Canada diront que l'argent viendra du fonds d'aide de 125 millions de dollars. Ce que nous sommes nombreux à craindre, et le sénateur Callbeck pourra donner son opinion, c'est que ce soit sans doute le point final. La meilleure comparaison que je puisse donner aux habitants des Maritimes, c'est le rachat des permis de pêche. Un versement, et c'est terminé. Le gouvernement fédéral paie 2 millions de dollars pour Summerside, et il renonce à toutes ses responsabilités. Ce qui nous inquiète, c'est de savoir si le port sera rentable par la suite.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, au nom du sénateur Angus, le débat est ajourné.)

Enseignement postsecondaire

Étude du rapport final du comité spécial-Fin du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur le rapport final du comité sénatorial spécial de l'enseignement postsecondaire, présenté au Sénat le 16 décembre 1997.-(L'honorable sénateur Forest).

L'honorable Jean B. Forest: Honorables sénateurs, je suis heureuse d'avoir aujourd'hui l'occasion de parler de la question de l'enseignement postsecondaire au Canada et, plus particulièrement, du rapport déposé au Sénat pendant la dernière session. Vous vous en souviendrez, c'est le sénateur Lorne Bonnell qui, en juin 1996, tout juste un mois après que j'aie été nommée au Sénat, a lancé l'idée de cette étude sur la gravité de la situation dans l'enseignement postsecondaire au Canada.

(1530)

Le sénateur Bonnell m'a alors invitée à siéger au sous-comité qui devait se pencher sur le sujet et, étant donné mon intérêt pour l'enseignement postsecondaire et mes longues années d'expérience dans le domaine, j'ai accepté avec plaisir.

Quand le comité a été constitué, les personnes dans le milieu de l'enseignement postsecondaire étaient extrêmement inquiètes de ce que la diminution du financement entraînait ce qu'elles percevaient être une baisse de qualité de l'enseignement dans le secteur postsecondaire. Par ailleurs, cette inquiétude ne semblait pas se retrouver à une grande échelle au sein de la population. Toutefois, au cours des mois qui ont suivi, cette inquiétude a atteint des proportions que même le sénateur Bonnell n'avait probablement pas prévues. Je le félicite d'avoir prévu l'émergence de ce problème et d'avoir pris l'initiative de constituer ce comité et d'organiser des audiences pan-canadiennes qui ont permis d'attirer une participation généralisée ainsi que l'attention du public canadien et, j'irais même jusqu'à dire, du gouvernement.

Puisque le sénateur Bonnell et plusieurs membres du comité ont déjà fait d'excellents exposés sur les divers aspects du rapport du comité, je vais me contenter de donner mes impressions personnelles des travaux de ce dernier, de faire état des données et des renseignements les plus importants qui ont été présentés pendant les audiences publiques, et de parler des rencontres qu'il m'a été donné de faire ainsi que des réactions suscitées par les recommandations que nous avons faites.

En tant que nouveau sénateur, il s'agissait là de ma première expérience au sein d'un comité qui tenait des audiences publiques à l'extérieur d'Ottawa, et je désire signaler qu'elle a été fort positive. J'ai été impressionnée par les arrangements de voyage qui ont été faits pour nous et par la recherche préparatoire qu'ont effectuée le greffier et d'autres membres du personnel pour nous faciliter la tâche. J'ai été impressionnée par les connaissances et le dévouement de mes collègues du Sénat et par les relations de travail positives qui ont été établies pendant que nous avons siégé ensemble au comité. J'ai été particulièrement impressionnée par la qualité des exposés qu'ont présentés les membres des groupes nombreux et divers qui ont participé aux audiences publiques.

À mon avis, un des aspects les plus intéressants de ces audiences publiques, c'est que pratiquement tous les intervenants du secteur de l'enseignement postsecondaire, ainsi que les établissements qui accordent les prêts étudiants, ont semblé être unanimes au sujet des problèmes qu'ils rencontraient et des changements qu'ils jugeaient nécessaires pour améliorer la situation de l'enseignement postsecondaire au Canada. Pendant toutes les années que j'ai passées dans ce domaine, je n'ai pas été témoin d'une telle entente entre les étudiants, les professeurs, les employés, les administrateurs, les établissements de crédit et le ministère des Ressources humaines, non seulement au sujet des problèmes de l'enseignement postsecondaire, mais également sur ses solutions.

La deuxième chose qui m'a intéressée, voire intriguée, c'est que les intervenants de toutes les provinces, à l'exception du Québec, ont réclamé une présence nationale plus forte dans le secteur de l'enseignement postsecondaire. Cela s'est produit même si, au début de chaque séance, le président soulignait que les membres du comité étaient parfaitement conscients du fait que l'enseignement relevait des provinces et que nous ne voulions pas nous arroger ce pouvoir.

Cependant, préoccupés par l'absence de normes et d'objectifs nationaux et par les problèmes de mobilité et d'accessibilité des étudiants, les intervenants ont réclamé à maintes reprises des moyens différents pour renforcer la présence du gouvernement fédéral dans le secteur de l'enseignement postsecondaire. Même ceux du Québec, qui s'opposaient généralement à toute intervention du gouvernement fédéral, ont convenu que ce dernier pouvait peut-être jouer un rôle dans les domaines de la facilitation et de la coordination, à condition, bien sûr, que les ministres des provinces s'entendent.

De nombreux témoins ont fait remarquer qu'il y avait peu de pays qui n'avaient pas de principes nationaux et de buts en matière d'éducation, et que, dans le contexte d'une société fondée sur le savoir et ouverte sur le monde, le Canada ne pourrait pas rester concurrentiel s'il n'avait pas de tels principes et de tels buts au départ pour planifier un régime d'études postsecondaires pouvant lui servir de navire amiral dans le nouveau millénaire.

Certains ont cité la liste des cinq principes qui sous-tendent le régime d'assurance-maladie pour illustrer le genre de signal national qu'il fallait au Canada, pour axer notre régime d'études postsecondaires sur le niveau d'excellence nécessaire pour permettre notre entrée dans le prochain siècle.

Même si j'ai trouvé intéressant le consensus national sur cette question, j'ai ressenti autant d'intérêt en constatant la grande diversité qui existe à l'intérieur du système, parmi les universités, les collèges et les écoles techniques partout au Canada - chacun poursuivant sa mission unique, s'acquittant de son mandat et répondant aux besoins particuliers de sa collectivité - qui travaillent ensemble pour fournir un enseignement postsecondaire de première qualité.

Nous avons appris que, au Canada, nous avons le taux le plus élevé de scolarisation postsecondaire. Nous avons été encouragés d'apprendre les possibilités plus grandes qui sont offertes aux francophones, aux autochtones et aux handicapés de poursuivre des études postsecondaires. Nous avons été heureux aussi d'apprendre les progrès de l'éducation à l'étranger et de la technologie pédagogique.

Nous avons également trouvé gratifiant de connaître les nouvelles initiatives qui sont mises en oeuvre, grâce à des partenariats conclus entre les établissements d'enseignement et le secteur privé, pour améliorer les possibilités d'apprentissage sur le tas et pour évaluer et reconnaître les acquis, afin d'aider les travailleurs qui ont appris sur le tas à bâtir leur carrière.

Cela dit, même si la structure d'un tel système est maintenant en place et se perfectionne, le niveau de financement nécessaire pour le soutenir n'a pas suivi la demande croissante des divers services d'enseignement. En fait, le financement a diminué et a donné lieu à une grande inquiétude, voire à une alarme concernant le déclin de la qualité de l'enseignement donné aux étudiants.

À chaque audience, on nous a aussi parlé des graves difficultés financières auxquelles se heurtaient un nombre croissant d'étudiants qui, à cause de la hausse des frais de scolarité et du manque d'emplois d'été ou à temps partiel, étaient si lourdement endettés qu'ils se décourageaient de poursuivre leurs études et, dans certains cas, de s'inscrire.

Au cours de nos déplacements partout au Canada, de nombreux témoins nous ont dit qu'il fallait améliorer le système de prêts et bourses pour les étudiants financièrement dans le besoin. Bon nombre se sont plaints des graves répercussions des compressions financières que le gouvernement fédéral et les provinces ont imposées aux secteurs de l'enseignement et de la recherche, ainsi que de l'infrastructure nécessaire pour mener à bien ces activités. Bon nombre nous ont mis en garde; ils nous ont dit que le manque de ressources financières compromettait notre niveau de scolarisation, nos recherches et, partant, notre compétitivité à l'échelle mondiale, ce qui entraînait un exode de nos universitaires et de nos chercheurs les plus brillants chez nos voisins du sud et dans d'autres pays.

Nous terminions nos audiences à Halifax lorsque le budget de l'an dernier a été déposé et nous nous sommes réjouis qu'il prévoie un certain nombre de changements qui avaient été préconisés au cours des audiences de notre comité. Nous avons été très heureux d'apprendre que le gouvernement voulait régler les problèmes financiers des étudiants et créer la Fondation canadienne pour l'innovation, une fondation de 800 millions de dollars principalement destinée à financer la recherche universitaire, notamment dans les secteurs de la santé, de l'environnement, des sciences et du génie.

Nous avions des raisons de croire que la publicité qui a suivi les audiences publiques d'un bout à l'autre du pays avait dans une certaine mesure relevé le niveau d'intérêt du public pour cette question, et cela n'est pas passé inaperçu auprès du secteur privé qui s'est montré disposé à conclure des partenariats avec des institutions de haut savoir, et cela n'est pas passé inaperçu non plus auprès du gouvernement.

Les mesures annoncées dans le tout dernier budget ont relevé le sentiment d'optimisme des membres du comité à l'égard de la situation de l'enseignement postsecondaire au Canada. Mentionnons au nombre de ces mesures: un allégement fiscal applicable au paiement des intérêts sur les prêts étudiants; une prolongation de la période de remboursement pour ceux qui en ont besoin; des subventions canadiennes pour études d'un montant pouvant atteindre 3 000 $ par année pour aider les étudiants qui ont des personnes à charge et qui ont des difficultés financières; la nouvelle subvention canadienne pour l'épargne-études qui sera octroyée aux familles qui épargnent en vue des études de leurs enfants en cotisant à un régime enregistré d'épargne-études, des hausses de financement pour les trois conseils subventionnaires en vue d'aider la recherche de pointe et les étudiants diplômés; et la création d'un Fonds des bourses d'études du millénaire, qui accroîtra l'accès à l'enseignement postsecondaire pour les étudiants à faible et moyen revenus et les étudiants de tous âges. Ces bourses seront disponibles pour les études à plein temps aussi bien que pour les études à temps partiel.

Honorables sénateurs, si, comme nous le croyons, les audiences publiques que nous avons menées et les recommandations qu'a faites le comité sénatorial spécial sur l'enseignement postsecondaire ont contribué, même modestement, à alerter l'opinion publique sur la gravité de la situation existant dans ce secteur, et si nous avons contribué, même modestement, à persuader les établissements d'enseignement, le secteur privé et le gouvernement de remédier aux problèmes signalés, le comité aura rempli sa fonction.

À propos d'un exemplaire du rapport du comité sénatorial qui lui avait été envoyé, Mme Martha Piper, la présidente de la deuxième université en importance au Canada, écrivait:

J'ai lu attentivement le rapport et j'ai trouvé qu'il constituait un excellent résumé des problèmes et des défis auxquels nous faisons face. Je crois que vous avez vraiment bien décrit le système et ce que nous devons faire pour en perpétuer le succès. Le budget répond clairement à plusieurs des problèmes évoqués dans le rapport. Bravo!

Honorables sénateurs, en tout temps, et spécialement quand le Sénat est en butte aux critiques - comme il l'a été récemment - il est important de faire le point sur les ressources du Sénat et de réfléchir sur la force qu'on peut en tirer en assumant les nombreuses tâches variées que l'on peut exercer au service des Canadiens. Le travail du comité sénatorial spécial de l'enseignement postsecondaire n'est qu'un des nombreux exemples de ce service qu'il rend en attirant l'attention sur des questions qui préoccupent les Canadiens et auxquelles il faut nous attaquer.

En tant que relativement nouvelle venue, je suis très fière du travail que nous faisons ici. J'espère que les sénateurs ayant de plus longs états de service, peut-être un peu blasés par la mauvaise presse que nous avons reçue dernièrement, se sentiront également fiers des précieuses contributions qu'ils ont apportées au fil des années.

Son Honneur le Président: Si aucun autre honorable sénateur ne souhaite intervenir, nous considérerons ce sujet débattu.

[Français]

Examen de la réglementation

Étude du deuxième rapport du comité mixte permanent-retrait de l'ordre du jour

Le Sénat passe à l'étude du deuxième rapport du comité mixte permanent d'examen de la réglementation (Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988)), présenté au Sénat le 26 février 1998.

L'honorable Céline Hervieux-Payette: Honorables sénateurs, je demande que l'étude de ce rapport soit retirée de l'ordre du jour puisqu'il n'a été déposé qu'à des fins de consultation et non de discussion.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, est-ce que vous êtes d'accord?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est retiré.)

[Traduction]

Le Sénat

Les préoccupations des Albertains-Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Ghitter, attirant l'attention du Sénat sur les préoccupations des Albertains à l'égard du Sénat en tant qu'institution, à savoir: son efficacité, son utilité et sa pérennité; d'autres modes de sélection de ses membres; la nature de sa représentation régionale et, plus particulièrement, le désir que toutes les provinces soient représentées par un nombre égal de sénateurs; la durée du mandat de sénateur; le rôle qu'un Sénat réformé pourrait jouer au plan national; les pouvoirs qu'il conviendrait qu'il exerce, en harmonie avec la Chambre des communes.-(L'honorable sénateur Lucier).

L'honorable Paul Lucier: Honorables sénateurs, je tiens tout d'abord à remercier le sénateur Ghitter d'avoir présenté cette interpellation au Sénat. Je n'approuve peut-être pas les conclusions du sénateur Ghitter, mais je conviens avec lui que les sénateurs devraient faire connaître officiellement leur position à ce moment-ci. À des intervalles convenables, il faut faire l'examen critique de notre rôle sur la scène publique et au gouvernement, tant pour voir comment nous travaillons aujourd'hui qu'en prévision d'une véritable réforme à long terme.

Honorables sénateurs, j'ai ici un exemplaire du rapport du comité mixte spécial sur la réforme du Sénat, qui a été déposé en 1984 dans les deux Chambres du Parlement, même si la plupart des audiences du comité ont eu lieu en 1983, soit il y a 15 ans. Le comité mixte spécial était coprésidé avec compétence par notre collègue et actuel Président, le sénateur Gildas Molgat, et par Paul Cosgrove, un ancien député devenu juge et la personne la plus aimable qui soit.

Je suis fier de dire que j'ai fait partie de ce comité dès le début. Avec ce magnifique comité, nous avons parcouru le Canada d'un océan aux autres. Nous avons entendu des Canadiens de tous les horizons. Nous avons même réussi à tenir une audience publique à Whitehorse. À Whitehorse, j'ai pu recevoir les membres du comité chez moi, à un dîner de crabe royal.

Le rapport commence comme ceci:

Nous en sommes venus à la conclusion que le Sénat du Canada devrait être élu directement par les Canadiens.

Je n'essaie pas de m'attribuer le mérite de bien des choses qui ont cours ici, mais j'ai lutté pour que ces mots non seulement figurent dans le rapport, mais qu'ils y figurent au tout début. Quinze ans plus tard, je pense toujours la même chose et ma conviction n'a jamais vacillé.

Est-ce que cela signifie que le Sénat, dans sa structure actuelle, n'est pas capable de fonctionner au nom des Canadiens? Certes pas. Cela a été un véritable honneur pour moi de collaborer avec autant de grands Canadiens au cours de mes 22 années au Sénat, y compris, entre autres, des anciens premiers ministres, des anciens maires, des professeurs, des médecins et même un singulier sapeur-pompier du Yukon. À mon avis, le Sénat du Canada a été servi par le plus beau groupe de Canadiens que la société pouvait produire, dont beaucoup sont encore ici aujourd'hui. Je suis honoré d'être ici avec vous.

Honorables sénateurs, avec nos familles, nous avons traversé une période difficile depuis que l'absentéisme du sénateur Thompson est devenu la cible des critiques de la presse et de ce groupe de clowns superficiels et indisciplinés qui s'appellent l'opposition officielle à l'autre endroit. Quelle bande pathétique.

Les honorables sénateurs peuvent-ils imaginer, même dans leurs rêves les plus fous, que cette bande de politiciens cyniques, antiparlementaires, incontrôlés et mordus de sensationnalisme aspire à former le prochain gouvernement? Il est difficile de croire que ce parti est dirigé par le fils de l'un de nos plus distingués anciens collègues, le sénateur Ernest Manning.

Le sénateur Ernest Manning a passé de nombreuses années à l'Assemblée législative de l'Alberta et a même été premier ministre de cette province. A-t-on mis en doute son intégrité ou l'a-t-on accusé de quoi que ce soit de répréhensible quand il a accepté sa nomination au Sénat par le premier ministre Trudeau? Où étaient la bande de chanteurs mexicains et les bouffons du Parti réformiste se promenant à bord d'une décapotable et brandissant des drapeaux quand le sénateur Manning est entré au Sénat?

Le sénateur Manning a passé 13 ans dans cette enceinte et s'asseyait souvent à notre table au restaurant du Sénat. C'est avec plaisir que j'ai partagé maints repas avec lui et que j'ai écouté son point de vue sur un certain nombre de sujets portant sur la population de l'Alberta.

Le sénateur Manning était un vrai gentilhomme et un homme d'État. Il a apporté sa contribution à la vie publique canadienne tant à titre de député de l'Assemblée législative de l'Alberta, qu'à titre de premier ministre de cette province et de sénateur. Que son fils, qui aspire à devenir premier ministre du pays, dirige une telle attaque personnelle et vicieuse contre cette institution et les gens qui sont nommés au Sénat, comme les sénateurs Fitzpatrick et Johnstone, n'est rien d'autre qu'un geste hypocrite, à mon avis.

(1550)

Beaucoup d'entre nous ont siégé comme politiciens élus pendant des années. Les sénateurs Doody, Berntson, Prud'homme, Corbin, Louis et Fernand Robichaud, St. Germain et Buchanan, pour ne nommer que ceux-là, n'ont rien à apprendre du Parti réformiste sur la participation à des élections ou sur le service au sein de conseils municipaux, d'assemblées législatives provinciales ou à la Chambre des communes.

Dans leur sagesse, et après de longues délibérations, les pères de la Confédération ont opté pour un Sénat nommé. Ils ont décidé que le Parlement du Canada serait constitué d'une Chambre élue, d'un Sénat nommé et d'un Gouverneur général. Ce qui était probablement la seule solution acceptable à l'époque, devrait, à mon avis, être réétudié. La réforme du Sénat est l'objectif premier de bien des gens depuis peu de temps après la Confédération. Le Sénat a été le bouc émissaire préféré de bien des politiciens de l'autre endroit, et pourtant, il n'y a jamais eu de réforme majeure du Sénat.

Le 18 mars 1998, le premier ministre a déclaré à la Chambre qu'il était en faveur d'un Sénat triple E. Les Canadiens ne devraient rien accepter de moins et devraient exiger un Sénat élu directement par les électeurs de cinq régions. Selon moi, les seules personnes qui s'opposent à un Sénat élu sont les premiers ministres des provinces. C'est étrange puisque ce sont eux qui pourraient modifier la Constitution et faire du Sénat une Chambre élue. Évidemment, leur crainte, c'est qu'un Sénat élu les remplacerait automatiquement comme représentants régionaux à Ottawa. Ils veulent être les seuls à parler au nom de leur province et de leur région du Canada. Ils protègent les assises de leur pouvoir.

Le modèle proposé par le Parti réformiste et le premier ministre de l'Alberta serait un véritable désastre. Le choix d'une liste de noms de candidats au Sénat lors d'élections municipales serait le meilleur moyen de faire en sorte que l'Alberta n'ait jamais un Sénat élu et que les 2,7 millions d'Albertains n'aient jamais plus de six sénateurs tandis que les 2,4 millions de Canadiens des provinces atlantiques en conserveraient 30. Le deuxième et plus grave défaut de la course à six en Alberta serait que le gagnant pourrait être âgé de 32 ans et remporter son siège avec 22 p. 100 des voix, ce qui forcerait le premier ministre à nommer cette personne pour un mandat de 43 ans. Le nouveau sénateur n'aurait pas de comptes à rendre aux gens qui l'auraient élu, il ne serait même pas tenu de leur parler à nouveau - pour quelque raison que ce soit -, il ne pourrait pas être rappelé à l'ordre parce qu'il ne fait pas valoir les vues des Albertains et il pourrait conserver son poste jusqu'à 75 ans, comme nous tous.

Jetons ce plan au panier et passons à un Sénat réellement élu. Remplaçons le veto absolu actuel par un veto suspensif, confions aux sénateurs un mandat de neuf ans, faisons-les élire sur une base régionale, et arrêtons de nous faire des illusions à propos d'un Sénat non partisan. Pourquoi voudriez-vous qu'un groupe de non-partisans - quelle que soit la signification de ce terme - soit élu à une Chambre partisane? La politique, c'est la façon dont nous agissons dans le monde réel. Avez-vous jamais entendu parler d'un système d'enseignement non partisan, d'une organisation de la santé ou d'une organisation sportive non partisane? Les Jeux olympiques, les ordres des avocats, les cabinets d'experts-comptables, toutes ces organisations sont-elles non partisanes? Vouloir faire en sorte que l'organe politique le plus important au Canada soit apolitique serait une sacrée blague. Le hockey et la religion m'en ont appris plus sur la politique que le Sénat. La politique, c'est la façon dont nous procédons.

Ma vision du nouveau Sénat serait un groupe de sénateurs élus, membres du parti de leur choix, qui se mettraient d'accord sur les questions régionales. Ce concept n'est pas nouveau, honorables sénateurs. Les gouvernements municipaux l'appliquent depuis des années. Et donc, une réforme du Sénat qui aboutirait à un Sénat réellement élu, efficace et égal est souhaitable. Elle est faisable et elle est possible si, en tant que politiciens et en tant que Canadiens en général, nous voulons faire en sorte qu'elle se fasse.

Le statu quo - principalement le fait que nous soyons nommés et non pas élus - tout en étant un organe totalement légitime, fera toujours que nous ne serons pas acceptés par les gens que nous servons, qu'importe les efforts que nous faisons, qu'importe la qualité du travail que nous accomplissons, qu'importe que nous soyons présents ou absents.

Un Sénat élu permettra-t-il de régler tous nos problèmes politiques et constitutionnels? Pas la moindre chance. Cela ne plaira pas non plus à tout le monde. Néanmoins, je crois vraiment que cette Chambre a un rôle important à jouer.

Mais laissons de côté la réforme du Sénat et voyons maintenant ce que nous pouvons faire pour que notre rôle soit plus significatif - comme le sénateur Ghitter l'a dit, plus efficace, plus utile et plus viable. L'Ontario a 124 parlementaires, dont 24 sénateurs. Le Yukon en a deux, dont un sénateur. Jusqu'à ma nomination en 1975, le Yukon n'avait jamais été représenté dans cette Chambre. Je suis honoré d'être le premier sénateur à représenter le Yukon. Je suis heureux que, en 1975, nous ayons doublé la représentation du Yukon à Ottawa.

J'ai eu l'honneur de me faire le porte-parole d'un grand nombre de Yukonnais qui n'ont jamais eu voix au chapitre à Ottawa. À titre de vice-président pendant quatre ans du caucus national libéral qui est présidé par mon bon ami Gib Parent, Président de la Chambre des communes, j'avais accès toutes les semaines au premier ministre, aux ministres du Cabinet et aux présidents des divers comités. Je me suis longtemps battu pour le Yukon en ce qui a trait aux Accords du lac Meech et de Charlottetown. Grâce à mes interventions ainsi qu'à la compréhension et à l'appui de notre Président, le sénateur Molgat, les seules audiences publiques sur l'Accord du lac Meech tenues à l'extérieur d'Ottawa ont eu lieu au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest.

Depuis ma nomination, tous les honorables sénateurs ont entendu mes appels et ont fait des efforts particuliers pour faire siéger les comités sénatoriaux dans les territoires. Honorables sénateurs, j'aimerais souligner un point qui me semble important. Quand je parle de «tous les honorables sénateurs», j'inclus les sénateurs des deux côtés de la Chambre. Les autochtones du Yukon qui ont reçu l'aide du Sénat m'ont fait part des bons souvenirs qu'ils conservent de la façon dont les sénateurs les ont toujours traités, tout particulièrement au moment de l'adoption des projets de loi sur l'autonomie gouvernementale et les revendications territoriales. J'ai lutté avec ardeur pour les Yukonnais dans le projet de loi C-68 sur le contrôle des armes à feu. Les gens de mon bureau ont pu venir en aide à M. Doug Phillips, alors ministre de la Justice du Yukon, en arrangeant des réunions pour lui lorsqu'il était venu ici s'opposer au projet de loi C-68. Nous avons également pu fournir des rapports d'audiences de comités et de nombreuses autres pages de textes à des habitants du Yukon et de la partie nord de la Colombie-Britannique. Nous n'avons pas gagné la bataille, mais les Yukonnais ont réussi à se faire entendre et je crois que nous avons réussi à améliorer une mauvaise mesure législative en faisant part de nos commentaires et suggestions.

J'ai siégé au premier comité sénatorial de l'énergie, créé par le sénateur Bud Olson dans le but d'aider le Sénat à faire face aux défis des vingt dernières années en matière de politique énergétique. J'ai participé aux négociations du gazoduc de Foothills pour défendre les intérêts du Yukon et de ses habitants.

J'ai eu la chance d'être le premier sénateur du Yukon. Je suis arrivé au Yukon en 1949 et j'y ai vécu et travaillé pendant plusieurs décennies. J'ai été conseiller municipal et maire de Whitehorse pendant huit ans. J'y ai élevé mes enfants et la plupart de mes amis et de mes parents s'y trouvent maintenant. Je me suis servi de cette connaissance des gens du Yukon, de leur histoire et de leur mode de vie unique et j'ai tenté de reproduire tout cela dans les délibérations que j'avais à Ottawa. J'ai tenté d'influencer certaines décisions prises à Ottawa qui pourraient avoir des répercussions sur le Yukon. Les déplacements entre Ottawa et le Yukon et le décalage horaire entre les deux endroits n'ont pas toujours été faciles, mais j'ai beaucoup aimé rencontrer un aussi grand nombre de personnes et traiter de questions aussi diverses.

Au cours des dernières années, des problèmes de santé m'ont parfois empêché d'être présent, mais comme les sénateurs le savent bien, une bonne partie de notre travail se fait à l'extérieur de la Chambre. Tout ce débat a été entrepris à cause de l'absentéisme du sénateur Thompson. Je déplore ses absences chroniques ainsi que la honte qu'il a jetée sur notre institution et ses membres. Je dirais que, dans une certaine mesure, ce n'est pas un sénateur typique.

Nous savons tous que la présence signifie être là, ne serait-ce que brièvement, et être inscrit présent. Nous savons tous que le travail d'un sénateur est bien plus important et exigeant que cela. J'ai vu des sénateurs au travail. Je peux travailler une journée entière pour des gens du Yukon sans me présenter à Ottawa. J'ai des téléphones, des télécopieurs et d'autres appareils modernes qui m'aident à représenter le Yukon. Je sais que mes collègues travaillent dur et que nous faisons bien notre travail.

Son Honneur le Président: Je regrette d'interrompre le sénateur Lucier, mais ses 15 minutes sont terminées. Est-ce que le sénateur Lucier a l'autorisation de continuer?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Lucier: Nous ne cherchons pas à nous mettre en valeur. On ne nous remarque pas toujours, mais nous sommes utiles et efficaces. Nous formons la Chambre de réflexion. Nous améliorons les projets de loi que l'autre endroit nous envoie. Nous constituons un autre mode de représentation des habitants des régions. Nous faisons de bonnes études et nous ajoutons à la qualité des programmes et services du gouvernement.

Le sénateur Thompson mérite d'être critiqué. Je suis heureux qu'il ait pris la décision honorable de démissionner. Cependant, nous ne méritons pas tous d'être dénigrés de la même façon. Je suis fier d'avoir travaillé 27 ans pour les habitants du Yukon à Ottawa et dans le territoire. je suis fier d'être sénateur et d'être entouré d'aussi distingués collègues. Je travaillerai aussi fort demain que je travaillais hier pour améliorer la qualité de vie des Canadiens. Je continuerai ainsi jusqu'à ce que des réformes soient mises en place.

En conclusion, je dirais qu'un Sénat réformé, efficace, élu et égal par région est possible. Certains s'enorgueillissent de trouver un problème pour chaque solution. Mon opinion a toujours été que si les Canadiens veulent un Sénat réformé, ils devraient le dire haut et fort, particulièrement aux premiers ministres provinciaux. C'est de cette façon qu'une vraie réforme du Sénat deviendra réalité.

Je désire ajouter que si un siège de sénateur élu s'ouvre au Yukon, je laisserai ma place, et je serai là pour féliciter l'heureux élu.

(Sur la motion du sénateur Di Nino, le débat est ajourné.)

[Français]

La Journée internationale de la Francophonie

Interpellation-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Gauthier, attirant l'attention du Sénat sur la Journée internationale de la Francophonie qui aura lieu le vendredi 20 mars 1998.-(L'honorable sénateur Gigantès).

L'honorable Philippe Deane Gigantès: Honorables sénateurs, c'est un honneur de parler de ce sujet important que notre collègue, le sénateur Gauthier, a soulevé. Le Canada a une chance inouïe d'être un des centres de la Francophonie en ayant cette composante inestimable: la culture et la civilisation françaises. Les civilisations ne sont pas pure laine. Ce sont des tapisseries qui ont été tissées avec des fils provenant de d'autres cultures. Les moyens de communication ont toujours permis aux civilisations de puiser l'une dans l'autre et de trouver de beaux fils pour leur tapisserie.

Cela a commencé avec l'écriture en Chine, et au Moyen-Orient par la suite, puis en Égypte avec l'invention du papyrus, puis les Grecs ont inventé la voyelle, qui leur permettait d'apprendre des langues étrangères, de transcrire les idées des autres et de les rapporter chez eux. C'est d'ailleurs l'explication de la domination du commerce de la Méditerranée de l'est par la monnaie grecque: les Grecs étaient de grands commerçants qui pouvaient parler avec les gens des autres pays parce qu'ils avaient inventé la voyelle.

Ensuite, on a eu d'autres moyens de communication, les plus récents sont extraordinaires, mais foncièrement, ils nous ont tous permis d'aller puiser ailleurs et d'enrichir nos connaissances. C'est ce que nous donne notre composante francophone dans ce pays. Elle nous donne un meilleur outil que n'ont pas d'autres pays pour puiser dans une des très grandes civilisations de ce monde, la civilisation française. Elle nous enrichit et les francophones de ce pays nous enrichissent.

Le sénateur Gauthier a beaucoup travaillé dans ce domaine et nous lui devons tous un très grand merci. Il est un de ceux qui a participé à la protection du fait français, une composante dont le Canada ne voudrait pas se départir.

Son Honneur le Président: Si aucun autre sénateur ne désire prendre la parole, cette interpellation sera considérée comme débattue.

(Sur la motion du sénateur Murray, le débat est ajourné.)

[Traduction]

La sécurité et les services de renseignement

La création d'un comité spécial-La modification de la motion-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Kelly, appuyé par l'honorable sénateur Prud'homme, c.p.:

Qu'un comité spécial du Sénat soit créé pour entendre des témoignages et étudier certaines questions concernant les opérations de renseignement de sécurité du gouvernement du Canada;

Que le comité examine dans quelle mesure les recommandations du rapport du comité spécial sur le terrorisme et la sécurité publique (juin 1987) et le rapport du comité spécial sur le terrorisme et la sécurité publique (juin 1989) ont été mises en oeuvre par le gouvernement du Canada, et fasse rapport à ce sujet;

Que le comité examine la valeur de l'examen ou du contrôle exercé par le gouvernement du Canada sur l'appareil de sécurité et de renseignement, y compris sur chacune des structures des ministères qui effectuent des opérations de sécurité et de renseignement ou qui en ont le mandat, et présente des recommandations à ce sujet;

Que le comité examine la coordination intragouvernementale et intergouvernementale liée au mandat du gouvernement du Canada en matière de renseignement et de sécurité, et présente des recommandations à ce sujet;

Que le comité examine le mandat général et la capacité générale d'évaluer les menaces de l'appareil de sécurité et de renseignement du gouvernement du Canada et des divers éléments qui le composent, et présente des recommandations à ce sujet;

Que le comité soit composé de sept sénateurs, devant être désignés à une date ultérieure;

Que le comité ait le pouvoir de faire rapport de temps à autre, de convoquer des personnes, d'exiger la production de documents et pièces, et de faire imprimer au jour le jour les documents et témoignages qu'il juge à propos; et

Que le comité présente son rapport final au plus tard le 15 avril 1998.-(L'honorable sénateur Carstairs).

L'honorable William M. Kelly: Honorables sénateurs, je demande au Sénat, conformément à l'article 30 du Règlement, l'autorisation de modifier la motion dont nous sommes actuellement saisis.

Son Honneur le Président: Permission accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Kelly: Je vous remercie, honorables sénateurs. Les modifications sont relativement mineures. Elles sont le résultat de conversations que j'ai eues avec des fonctionnaires supérieurs du Bureau du Conseil privé, du ministère du Solliciteur général et avec le solliciteur général lui-même. Je propose que la motion soit modifiée comme suit:

Qu'un comité spécial du Sénat soit créé pour recueillir des témoignages et étudier certaines questions concernant la menace du terrorisme pour le Canada et les activités antiterroristes du gouvernement du Canada;

Que le comité examine l'étendue des menaces à l'échelle internationale, et plus particulièrement la menace du terrorisme pour le Canada, et fasse rapport à ce sujet;

Que le comité examine dans quelle mesure le gouvernement du Canada a donné suite aux recommandations du rapport du comité spécial sur le terrorisme et la sécurité publique (juin 1987) et du rapport du comité spécial sur le terrorisme et la sécurité publique (juin 1989), et fasse rapport à ce sujet;

Que le comité examine la capacité du gouvernement du Canada d'évaluer les menaces en ce qui concerne le terrorisme, et présente des recommandations à ce sujet;

Que le comité examine le rôle directeur des ministères et organismes du gouvernement du Canada qui ont des responsabilités antiterroristes, leur état de préparation et le contrôle dont ils font l'objet;

Que le comité examine et évalue le niveau de la coopération internationale entre le Canada et ses alliés relativement à la nature évolutive de la menace terroriste.

Que le comité soit composé de sept sénateurs, devant être désignés à une date ultérieure;

Que le comité ait le pouvoir de faire rapport de temps à autre, de convoquer des personnes, d'exiger la production de documents et pièces, et de faire imprimer au jour le jour les documents et témoignages qu'il juge à propos; et

Que le comité présente son rapport final au plus tard le 29 septembre 1998.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la motion originale avait été proposée par le sénateur Kelly, appuyé par le sénateur Prud'homme. Êtes-vous d'accord pour dire que le texte révisé a été présenté en bonne et due forme?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Kelly: Honorables sénateurs, j'aimerais attendre jeudi pour commenter la motion afin de donner aux sénateurs le temps de comparer les deux versions et de voir s'ils ont des objections ou des préoccupations.

Son Honneur le Président: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs, pour que la motion soit inscrite au nom de l'honorable sénateur Kelly?

Des voix: D'accord.

(Sur la motion du sénateur Kelly, le débat est ajourné.)

La Loi de l'impôt sur le revenu

l'augmentation de la proportion de biens étrangers des régimes de revenu différé-Motion d'amendement-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Meighen, appuyé par l'honorable sénateur Kirby:

Que le Sénat presse le gouvernement de proposer, dans le budget de février 1998, une modification à la Loi de l'impôt sur le revenu, tendant à porter à 30 p. 100, par augmentations de 2 p. 100 par année sur cinq ans, le plafond de la proportion de biens étrangers des régimes de revenu différé (régimes de pension, régimes enregistrés d'épargne retraite, régimes de pension agréés) comme cela a été fait entre 1990 et 1995, alors que le plafond de biens étrangers des régimes de revenu différé a été porté de 10 p. 100 à 20 p. 100:

 

a) parce que les Canadiens devraient avoir la possibilité de tirer avantage de meilleurs rendements sur leurs investissements dans d'autres marchés, ce qui aurait pour effet d'augmenter la valeur des avoirs financiers qu'ils détiennent en prévision de la retraite, de réduire le montant de supplément du revenu de sources gouvernementales dont les Canadiens pourraient avoir besoin et d'augmenter les recettes fiscales que le gouvernement tire des revenus de retraite;
b) parce que les Canadiens devraient avoir plus de flexibilité au moment d'investir les épargnes qu'ils accumulent en prévision de leur retraite tout en réduisant les risques que comportent ces placements grâce à la diversification;
c) parce qu'une amélioration de l'accès aux marchés boursiers mondiaux permettrait aux Canadiens de participer tant aux économies qu'aux secteurs industriels à plus forte croissance;
d) parce que le plafond actuel de 20 p. 100 est devenu artificiel depuis que les particuliers et les régimes de pension disposant de grandes ressources peuvent le contourner en ayant recours, par exemple, à des décisions stratégiques en matière d'investissement et à des produits dérivés;
e) parce que les problèmes de liquidité des gestionnaires de fonds de pension, qui constatent maintenant qu'ils doivent acquérir une participation significative dans une seule société pour satisfaire à l'obligation de détenir 80 p. 100 de biens canadiens, se trouveraient atténués.-(L'honorable sénateur Gigantès).
L'honorable Philippe Deane Gigantès: Honorables sénateurs, le sénateur Oliver a dit certaines choses qui m'ont donné à réfléchir. Il a parlé de l'économie mondiale et il a dit que le fait que nous nous orientons vers ce genre d'économie justifiait en quelque sorte ce qu'il préconise - c'est-à-dire un accroissement de la part d'investissements étrangers que les Canadiens peuvent faire, par le biais de leur REER ou autrement.

L'autre chose qui m'a dérangé, c'est qu'il semble laisser entendre qu'il vaut mieux laisser pareilles décisions à des spécialistes en matière d'investissement, à des spécialistes de la question. J'imagine que ce sont ces spécialistes de l'investissement qui ont investi des fonds canadiens en Amérique latine il n'y a pas si longtemps.

Le sénateur Di Nino: En Asie.

Le sénateur Gigantès: C'était en Amérique Latine au début.

Ils y ont laissé leur chemise - pardon, ils y ont laissé notre chemise. Ayant laissé l'Amérique latine crouler sous un fardeau de dettes à des taux d'intérêt élevés, ils ont commencé à faire la même chose avec l'Afrique. Voilà les investisseurs sophistiqués et compétents à qui nous devrions confier ces transactions.

Dans quel état se trouve l'Afrique? Elle croule sous un fardeau de dettes étrangères. Beaucoup de nos banques ont des problèmes avec ces dettes. Le FMI a dû intervenir et rendre les Africains plus pauvres, plus affamés et plus misérables qu'ils ne l'étaient.

Ayant accompli ce splendide exploit, ils sont allés en Asie. Qu'ont-ils fait en Asie? Ils ont investi notre argent pour renforcer et multiplier des installations de fabrication de produits d'exportation qui nous étaient destinés. Étant donné que notre argent était investi là-bas, nous n'en avons pas investi suffisamment au Canada pour créer des emplois ici. Notre taux de croissance a été plus lent que prévu, car ces fabricants asiatiques n'étaient pas en mesure d'exporter conformément aux objectifs qu'ils s'étaient fixés, d'où la crise financière asiatique.

Ces investisseurs sophistiqués et compétents sont-ils malveillants? Non, mais ils gèrent quelque chose que nous ne comprenons pas. Ils gèrent un changement dont l'ampleur et les conséquences imprévues ressemblent à la révolution industrielle, à la mécanisation de l'agriculture, à l'invention de l'automobile, à la fabrication de la bombe atomique et, aujourd'hui, aux techniques sophistiquées de communication qui ont transformé le monde en un seul marché monétaire et un seul marché boursier que personne ne comprend, mais que beaucoup de gens peuvent manipuler.

Devrions-nous permettre que le montant pouvant être investi en franchise d'impôts dans des REER et dans notre fonds de pension passe de 20 p. 100 à 30 p. 100? J'aimerais avoir un peu plus de certitude que ces investisseurs sophistiqués savent ce qu'ils font dans un monde de très grande incertitude.

(Sur la motion du sénateur Carstairs, le débat est ajourné.)

Les rapports concernant le développement social et économique

Interpellation-Fin du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Kinsella, attirant l'attention du Sénat sur les rapports concernant le développement social et économique.-(L'honorable sénateur Carstairs).

L'honorable Sharon Carstairs (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui parce que je suis d'accord avec le sénateur Kinsella. Cela n'arrive pas souvent, même si lui et moi utilisons un vocabulaire intéressant à la suite de notre voyage au Royaume-Uni. Vous avez peut-être remarqué l'autre jour qu'il a parlé d'art et qu'il parle maintenant des voies normales, tout cela étant relié à notre voyage. Cependant, je parlerai davantage de cela à une autre occasion.

Dans son discours du 10 février, le sénateur Kinsella a signalé, et je suis parfaitement d'accord avec lui là-dessus, que nous devons consacrer beaucoup plus de temps et d'attention aux rapports que le Canada soumet aux Nations Unies.

Comme vous le savez, le Canada fait la promotion des droits de l'homme depuis la création des Nations Unies. Le rôle des conventions des Nations Unies est de reconnaître et d'élargir des droits, en utilisant fondamentalement la persuasion morale, l'éducation et l'opinion publique.

À l'heure actuelle, le Canada est signataire des six principales conventions des Nations Unies sur les droits de l'homme, c'est-à-dire la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, que le Canada a ratifiée en 1970, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié en 1976, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié en 1976, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, ratifiée en 1981, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ratifiée en 1987, et la Convention relative aux droits de l'enfant, ratifiée par le Canada en mai 1990.

Chaque fois qu'il a ratifié ces conventions, le Canada a accepté de mettre en oeuvre la convention, de surveiller sa mise en oeuvre et de faire rapport périodiquement aux Nations Unies. Les rapports soumis aux Nations Unies signalent les mesures prises par le gouvernement canadien, les provinces et les territoires pour aider à promouvoir les droits sociaux. Il incombe au gouvernement fédéral de présenter ces rapports. Cependant, chaque gouvernement provincial ou territorial a également le droit de préparer son propre rapport sur ses activités en matière de droits de l'homme. Ces rapports équivalent à un «bulletin» pour le Canada ou, comme le sénateur Kinsella l'a dit, à une «vérification sociale».

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles on devrait accorder plus d'attention à ces rapports. Comme le sénateur Kinsella l'a laissé entendre, la sensibilisation peut stimuler le débat à la Chambre des communes et au Sénat et faire davantage comprendre aux Canadiens le fonctionnement des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Honorables sénateurs, c'est de cette dernière question que je vais parler.

Selon moi, la première raison pour laquelle le Canada et les Canadiens devraient être informés des rapports que le Canada a soumis, c'est qu'ils peuvent préciser de façon détaillée aux Canadiens le fonctionnement du gouvernement. Dans le rapport dont le sénateur Kinsella a parlé, on dit précisément qu'il a pour objectif de donner aux Canadiens la possibilité d'être mieux informés des obligations contractées par notre pays à la suite de la ratification du pacte et de leur faire connaître les mesures prises par les gouvernements compétents.

Prenons, par exemple, la Convention internationale relative aux droits de l'enfant. En 1995, dans ses conclusions sur le rapport de 1989 du Canada, le comité des droits de l'enfant des Nations Unies a recommandé qu'on lance des campagnes de sensibilisation afin de modifier les attitudes dans la société sur le recours aux châtiments corporels dans la famille et de faire accepter une interdiction juridique. Le comité a recommandé d'interdire toutes les formes de châtiments corporels et de mauvais traitements infligés aux enfants à la maison ou ailleurs, et il a demandé que le Canada reconsidère l'article 43 à la lumière de cette recommandation.

Depuis 1989, où il est devenu signataire de la Convention des Nations Unies relative aux droits des enfants, le Canada fait l'objet de critiques internationales - et ces critiques sont justifiées, à mon avis - pour ne pas avoir abrogé l'article 43 du code, qui entre en conflit avec l'article 19 de la convention des Nations Unies. D'autres pays signataires de la même convention, comme la Suède, la Finlande, le Danemark, la Norvège, l'Autriche et Chypre, ont interdit les punitions corporelles infligées aux enfants. J'estime que le gouvernement canadien a l'obligation d'informer le public qu'il ne s'est pas conformé à cette exigence.

Une deuxième raison pour laquelle le public canadien devrait être informé de ces rapports, honorables sénateurs, c'est que ceux-ci peuvent contribuer à sensibiliser davantage le public au dossier méritoire du pays en matière de développement social et économique. Les rapports fournis par le Canada et décrivant ces mesures sont, à bien des égards, louables. Le fait d'informer les Canadiens au sujet des réalisations de leurs gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux est de nature à accroître la fierté et la confiance du public.

Une illustration du dossier louable du Canada nous est donnée par les mesures que le gouvernement du Canada a prises sur les plans constitutionnel, législatif, administratif et autres pour mettre en oeuvre les droits énoncés dans la Convention relative aux droits des enfants. Par exemple, le rapport souligne que quelques ministères fédéraux ont collaboré à la production et au lancement du film de l'Office national du film Droits au coeur ainsi que d'une série de films d'animation sur les droits des enfants pour ces derniers.

Les mesures préventives du gouvernement fédéral destinées aux enfants risquant de souffrir de la pauvreté, d'abus et de négligence en sont une autre illustration. Le même rapport donne de l'information sur l'Initiative pour le développement de l'enfant annoncée en mai 1992, une série de programmes de 500 millions de dollars, échelonnés sur cinq ans, qui se sont attaqués aux risques menaçant la santé et le bien-être des enfants.

Honorables sénateurs, il y a une troisième raison pour laquelle les rapports devraient être présentés à la population canadienne: ils indiquent de façon détaillée les consultations des organismes non gouvernementaux auxquels le gouvernement procède à intervalles réguliers. Ils montrent que la population est consultée au sujet du fonctionnement du gouvernement canadien. Le muselage de monsieur et madame tout le monde soulève toujours des inquiétudes. Les rapports peuvent contribuer à réduire le sentiment d'aliénation ou l'idée, dans la population, que les gens ne sont pas consultés.

Par exemple, le troisième rapport concernant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels fait référence à la création, en 1996, du groupe de travail fédéral concernant les personnes handicapées et décrit de façon détaillée les consultations que ce groupe a tenues auprès des personnes handicapées avant de recommander une politique. J'estime que puisque la communauté est consultée et que le rapport y fait référence, il n'est que juste que les rapports soient portés à sa connaissance.

Mon quatrième et dernier argument en faveur de la publication des rapports des Nations Unies est que ces rapports abordent et peuvent même contribuer à démystifier des choses que les Canadiens ont collectivement contestées, par exemple le programme d'assurance-emploi. Les rapports constituent pour le gouvernement un moyen de situer ses décisions dans un contexte. On sait que les médias, qui sont la première source d'opinion publique, présentent souvent l'information hors contexte et de façon morcelée.

Si l'on prend l'exemple du programme d'assurance-emploi, le rapport indique clairement que ce programme est la façon choisie par le Canada pour combattre la pauvreté et la faim. Le rapport explique que le nouveau système, fondé sur le nombre d'heures de travail effectuées, vise à aider les chômeurs canadiens à trouver de l'emploi et à protéger les prestataires à faible revenu, en particulier ceux qui ont des enfants, par l'intermédiaire du nouveau supplément de revenu familial. Combien de Canadiens savent que c'est une des raisons pour lesquelles des modifications ont été apportées à l'ancien système d'assurance-chômage?

Honorables sénateurs, il est important et dans l'intérêt de la société que nous communiquions aux Canadiens les renseignements importants contenus dans ces rapports, et qui font état des réalisations impressionnantes de leurs gouvernements dans le domaine du développement économique et social et des consultations continues que tiennent les gouvernements auprès des organismes non gouvernementaux. Ces rapports permettent également de situer dans son contexte l'opposition de l'opinion publique nationale et l'incapacité occasionnelle des gouvernements de satisfaire les attentes des Canadiens.

Les Canadiens n'approuveront évidemment pas tout ce que contient le rapport, mais cela aussi est important. Les faits doivent être rendus publics parce que nous savons que tout ce qui est présenté comme impeccable ne l'est habituellement pas.

Tous les rapports du Canada aux Nations Unies sont publiés dans les deux langues officielles, ils sont distribués partout au Canada et figurent dans le répertoire des publications du gouvernement canadien accessibles au public. Le dernier rapport auquel le sénateur Kinsella faisait référence, soit le troisième rapport du Canada sur le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ne fait pas exception et la population canadienne devrait, pour les raisons indiquées, en être informée.

Nous devons prendre des initiatives proactives pour informer les Canadiens du contrôle social de leur gouvernement. Honorables sénateurs, je vous encourage à jeter un coup d'oeil à ce tout récent rapport, si vous ne l'avez déjà fait. Je suis sûre que vous souscrirez à bon nombre de ses conclusions.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, si personne d'autre ne veut prendre la parole, le débat sur cette interpellation est considéré comme terminé.

L'énergie

Les projets gaziers de l'île de Sable-Motion autorisant le comité de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles à étudier la question-Report du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Simard, appuyé par l'honorable sénateur Kinsella:

Que le Sénat presse le gouverneur en conseil de ne pas donner l'approbation finale à la proposition soumise par le consortium qui a soumis le projet de Maritime and Northeast Pipeline jusqu'à ce que le gouvernement du Canada ait rempli son obligation de tenir des audiences complètes et équitables sur les propositions soumises par toutes les parties intéressées, notamment celle de TransMaritime Pipeline, attendu:

 

a) que les ressources naturelles du Canada appartiennent à tous les Canadiens;
b) qu'il y a lieu de tenir compte avant tout des besoins et des intérêts des Canadiens dans l'exploitation, le développement et l'utilisation des ressources naturelles qui leur appartiennent;
c) que la proposition retenue de Maritime and Northeast Pipeline place les intérêts des Américains loin devant ceux des Canadiens en dirigeant 83 p. 100 du gaz naturel tiré du projet Sable Offshore Energy vers les États-Unis, alors que seulement 17 p. 100 sera alloué a deux provinces canadiennes seulement, soit la Nouvelle-Écosse et le sud du Nouveau-Brunswick;
d) la proposition de TransMaritime donne priorité aux intérêts des Canadiens en distribuant 64 p. 100 du gaz naturel du projet Sable Offshore à quatre provinces canadiennes, dont 34 p. 100 à la Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, par opposition à un volume total de seulement 36 p. 100 au États-Unis;
e) que selon la proposition de TransMaritime, les provinces de l'Ontario et du Québec bénéficieront aussi du gaz naturel produit par le projet Sable Offshore Energy;
f) que la proposition TransMaritime encourage l'industrie canadienne, favorise la sécurité de l'approvisionnement d'énergie du centre du Canada et offre aux Canadiens un approvisionnement plus important de gaz naturel à un prix plus bas;
g) que la proposition de TransMaritime fournirait des meilleurs possibilités d'emplois et générerait des avantages à long terme plus importants pour le nord du Nouveau-Brunswick qui est désavantagé;
h) que la proposition TransMaritime favorise l'unité du Canada en envoyant aux Canadiens de quatre provinces, notamment les Acadiens, les Québécois et les Franco-Ontariens, un message positif d'inclusion, de sécurité, de perspective d'avenir et de partage au sein de la Confédération;
i) que le refus de la Commission d'examen publique conjointe des projets gaziers de l'Île de Sable et de l'Office nationale de l'énergie d'entendre la proposition de TransMaritime pourrait porter gravement atteinte aux droits des Canadiens au développement et à l'utilisation de leurs ressources énergétiques et miner la souveraineté du Canada sur ces ressources;
j) que le développement d'un pipeline plutôt que de l'autre n'amènera pas de gain important de temps;
k) que prendre une décision sur ce sujet sans examiner toutes les possibilités pourrait être plus dommageable que le retard relativement mineur qui résulterait d'une révision plus juste et plus complète;
Que la question de l'opération par laquelle la Commission d'examen publique conjointe des projets gaziers de l'Île de Sable et l'Office nationale de l'énergie sont arrivés à recommander que le projet Maritime and Northeast Pipeline soit autorisé à aller de l'avant, soit déférée au comité permanent du Sénat sur l'énergie, l'environnement et les ressources naturelles avec instructions pour ce comité d'examiner cette question et de faire rapport de cet examen;

Que le comité présente son rapport final au Sénat au plus tard le 28 février 1998.-(L'honorable sénateur Carstairs).

L'honorable Jean-Maurice Simard: Honorables sénateurs, pourrais-je poser une question au sénateur Carstairs? Il y a trois mois et une semaine que le sénateur Carstairs a ajourné le débat sur la motion. Pouvez-vous nous dire, sénateur Carstairs, si vous avez l'intention d'intervenir sur cette question?

L'honorable Sharon Carstairs (leader adjoint du gouvernement): Non, honorables sénateurs, je n'ai pas l'intention d'intervenir dans ce débat, mais absolument rien ne s'oppose à ceux qui veulent le faire.

(Le débat est reporté.)

Les droits de la personne en Asie

Interpellation-Ajournement du débat

L'honorable Consiglio Di Nino, ayant donné avis le 10 décembre 1997:

Qu'il attirera l'attention du Sénat sur la question des droits de la personne en Asie, en particulier en Chine et en Indonésie, et de la politique du gouvernement du Canada à ce sujet.

- Honorables sénateurs, ces dernières années, je me suis levé à l'occasion pour attirer l'attention sur la question des droits de la personne en Asie. Au cours de ces interventions, j'ai tenté non seulement d'informer, mais de mieux faire comprendre les problèmes que soulève cette question.

De nombreux sénateurs le savent, la répression que la Chine exerce au Tibet me va droit au coeur. J'y ai fait allusion en parlant du cauchemar du Tibet, un cauchemar d'invasion, de répression et de génocide culturel lent et inexorable. Il y a déjà quelques années de cela. Aujourd'hui, la situation n'est guère plus réjouissante. En fait, elle a empiré, puisque la Chine poursuit sa politique agressive visant à intégrer le Tibet économiquement et politiquement, au moyen de transferts de population massifs. Malheureusement, le Tibet n'est pas la seule victime. Dans de nombreux endroits en Asie, la persécution et les violations des droits de la personne persistent et sont trop courantes.

Malgré les situations pitoyables dans de nombreux endroits en Asie, il y a de l'espoir. Cet espoir est porté par un vent de démocratie, d'évolution et d'ouverture d'esprit qui a provoqué l'éclatement du Bloc soviétique en Europe et le démantèlement de l'apartheid en Afrique du Sud. Il faut espérer que le même vent soufflera sur l'Asie et apportera un changement en Chine, au Tibet et en Indonésie, entre autres.

L'espoir ne suffit pas toutefois. Il faut une action appuyée par un consensus. C'est là que les choses se gâtent. Même s'il semble y avoir un consensus pour reconnaître que la situation en Asie est mauvaise, pratiquement rien n'est fait pour qu'il y ait un changement. C'est le cas en particulier au Canada.

En 1994, j'avais déclaré que le Canada était à la croisée des chemins pour ce qui était de la promotion des droits de la personne. Nous courions le danger de nous éloigner de la route que nous suivions depuis longtemps. Malheureusement, c'est ce qui s'est passé. Nous nous sommes écartés de notre voie. Nous avons perdu de vue les valeurs qui nous guidaient, nous inspiraient et motivaient nos positions et nos politiques. Le respect des droits de la personne, la lutte pour les moins fortunés et la promotion de la démocratie et de la règle de droit ont été remplacés par de nouvelles vertus comme la cupidité, le pragmatisme et la realpolitik. Le responsable de cette dérive malheureuse, de l'égoïsme canadien, est clairement le gouvernement actuel, plus particulièrement le premier ministre.

Jusqu'à ce que le gouvernement libéral prenne le pouvoir, le Canada était reconnu mondialement pour ses positions sur les droits de la personne. Cela était un partie intégrante de notre politique étrangère. Cela nous différenciait des autres pays. Nous ne faisions pas la promotion des droits de la personne par des guerres ou des discours ronflants, mais par des moyens concrets comme l'aide bilatérale et, à l'occasion, par des sanctions contre des pays comme le Chili, l'Ouganda, l'ancienne Union soviétique, l'Afrique du Sud, la Chine et l'Indonésie.

Après les élections de 1993, cette politique a commencé à changer. Le premier ministre Chrétien et ses ministres des Affaires extérieures ont axé la politique extérieure sur le commerce. Les droits de la personne ont été relégués à l'arrière-plan, loin à l'arrière-plan. Tout à coup, le Canada s'est mis à vendre des millions de dollars de matériel militaire à des pays comme l'Indonésie et à contourner ses lois sur la protection de l'environnement pour vendre des réacteurs nucléaires à la Chine.

Naturellement, et cela se comprend, le gouvernement a été critiqué. Pour tenter de détourner un peu l'attention, il a pris une série de mesures contre les infractions aux droits de la personne dans des pays comme le Myanmar, Haïti et le Nigeria. Cela n'a toutefois pas apaisé le public. Si le gouvernement était prêt à adopter une position ferme à l'égard des violations des droits de la personne dans ces pays, pourquoi ne pas faire de même pour des pays comme la Chine et l'Indonésie? Pourquoi, dans le cas de ces pays, la position ferme adoptée par les libéraux auparavant devenait-elle soudainement embrouillée et confuse? Pourquoi?

(1630)

La réponse n'a pas été longue à venir. Selon le premier ministre, c'était là la façon dont les choses se passaient dans le monde. Le Canada, disait-il, était un pays beaucoup trop petit et sans importance. Il serait futile, et même stupide, de s'attendre à ce que des pays comme la Chine tiennent compte de nos préoccupations en ce qui concerne les droits de la personne.

Lorsque j'ai entendu cette explication surprenante de la part du premier ministre, je suis resté bouche bée. Je me suis demandé ce qui pouvait bien pousser M. Chrétien à dire une telle chose. Il sait certainement que les Canadiens ont des droits et libertés dont les habitants de certaines autres régions du monde ne peuvent que rêver. Le rôle de M. Chrétien est de promouvoir ces droits et libertés, et non pas de hausser les épaules en disant qu'il ne peut rien y faire. Quel genre de message cela envoie-t-il aux millions de gens pour qui le Canada est symbole d'espoir? Quel message cela envoie-t-il aux ONG qui travaillent avec acharnement pour améliorer les conditions et mettre fin aux abus dans bien des régions du monde et qui voient aussi le Canada comme une source d'inspiration et de leadership? Quel message cela envoie-t-il aux différents gouvernements coupables de violations des droits de la personne?

L'attitude du gouvernement actuel fait ressortir un point fondamental que peu de gens semblent avoir saisi, soit que les libéraux ne se préoccupent pas vraiment de la question des droits de la personne. Ils ne font que défendre en paroles des valeurs traditionnelles que nous avons déjà fièrement défendues de façon concrète.

Oui, je sais que le gouvernement peut nous renvoyer au livre rouge et aux diverses déclarations qu'a faites le premier ministre à l'effet que son gouvernement est déterminé à améliorer la situation relative aux droits de la personne partout dans le monde, mais je peux moi aussi - comme bien d'autres - mettre certains faits en relief. Nous pouvons mettre en relief le fait que, lorsqu'ils étaient dans l'opposition, les libéraux ont souvent réclamé qu'on prenne des mesures à l'égard de l'Indonésie, qui, selon eux, avait l'un des pires dossiers en ce concerne les droits de la personne en Asie. Nous pouvons aussi mettre en relief leur promesse de 1993 d'être au premier rang de la communauté internationale dans ce qu'ils ont appelé la revitalisation du concept des droits de la personne, ou encore leur promesse de publier un rapport annuel sur la situation relative aux droits de la personne dans tous les pays qui reçoivent de l'aide du Canada. Nul besoin de rappeler aux sénateurs qu'aucune de ces promesses n'a été respectée. Cela ne devrait surprendre personne. Le présent gouvernement est loin d'être un champion des promesses tenues.

La politique étrangère du gouvernement peut se résumer en un mot: le profit. C'est le seul dénominateur commun de la collection bizarre de prises de position et de mesures contradictoires que le Canada a présentée au monde depuis 1983. Le profit et la rentabilité sont les nouvelles valeurs canadiennes, l'autel sur lequel a été sacrifié l'historique de leadership moral du Canada en matière de droits humains.

Cela ne veut pas dire que le premier ministre reste silencieux. Ses ministres des Affaires étrangères et lui-même ne cessent de parler de «dialogue» M. Chrétien s'empresse de déployer toute son éloquence à propos de ses nombreux entretiens avec des dirigeants étrangers. Son service de presse soutient que le premier ministre parle constamment des atteintes aux droits de la personne. C'est dommage qu'il ne le fasse jamais publiquement pour que nous puissions en juger par nous-mêmes. M. Chrétien a raté une occasion en or de le faire au cours de la visite au Canada du président chinois, Jiang Zemin, en 1997. Encore là, on nous a dit qu'il avait «soulevé la question» au cours d'entretiens. Vous conviendrez avec moi, j'en suis sûr, que le verbe «soulever» est plutôt passif comparativement à «insister» ou «promouvoir».

Les libéraux nous disent que c'est bien simple, en fin de compte: ou nous faisons du commerce ou nous n'en faisons pas. Si nous critiquons les gens, nous les isolons. Il n'y a pas de milieu. Les points faibles de cette argumentation sont bien évidents. D'abord et avant tout, en déclarant qu'on ne parlera plus, on renonce à cette option. On donne foi à l'idée qu'il ne nous incombe pas de nous ingérer dans les affaires internes des autres pays, quelle que soit la question. Ensuite, cette argumentation suppose que toute critique est nécessairement brutale et source de confrontation, ce qui n'est manifestement pas le cas. Puis, elle écarte toute une gamme d'options auxquelles le Canada peut recourir pour encourager le changement et mettre fin aux violations des droits de la personne.

Contrairement à ce que prétend M. Chrétien, le Canada n'est pas un pays de peu d'importance. Nous ne sommes pas impuissants. Nous ne sommes pas des eunuques. Nous faisons partie des économies les plus avancées du monde. Nous occupons une place importante au sein du Commonwealth et de la Francophonie et, de plus en plus, au sein de l'Organisation des États américains. Nous faisons partie de la Banque mondiale, du FMI et de l'OMC. Nous avons accès à une multitude d'institutions puissantes et influentes, des institutions qui jouent un rôle dans les pays d'Asie. Nous pouvons utiliser notre position et notre influence au sein de ces organismes pour mettre les droits de la personne à l'ordre du jour international. Nous pouvons tâcher de bâtir un consensus pour changer.

Les possibilités de changement, les différentes options qui nous sont ouvertes, sont nombreuses. Il y a quelques années, mon collègue, le sénateur Ghitter, en a décrites quelques-unes. Il vaut la peine de les rappeler aujourd'hui. Le sénateur Ghitter a suggéré que nous commencions par dénoncer et critiquer les pays dont le dossier en matière de respect des droits de la personne est inacceptable. Nous pourrions également refuser d'acheter des produits fabriqués dans des conditions de travail d'esclavage et inviter nos alliés à suivre notre exemple. Nous pourrions également promouvoir l'édification et la mise en oeuvre d'organisations judiciaires non corrompues et y participer.

Il y a bien sûr de nombreuses autres possibilités, mais je veux surtout faire comprendre que nous devons faire quelque chose. Nous devons aller au-delà des beaux discours et du dialogue. Il est trop simpliste de dire que le commerce amènera la croissance économique qui finira un jour, espérons-le, par engendrer la réforme politique. Nous devons en revenir à la situation où notre politique étrangère a une certaine profondeur et de l'imagination. Nous avons besoin d'une politique étrangère qui allie un certain degré d'idéalisme à des propositions concrètes, pratiques, de changement et d'amélioration dans des domaines comme les droits de la personne. Plus important, nous avons besoin d'une politique étrangère qui reflète les valeurs fondamentales de notre société dans son ensemble, pas simplement celles du monde des affaires.

La politique étrangère du gouvernement actuel est fondée sur les clients. Cela doit changer. Il faut remettre les gens en ligne de compte. Le Canada doit être un flambeau d'espoir pour ceux qui souffrent d'abus aux mains de l'État. Il doit garder une lumière dans la fenêtre pour les pays qui ont quitté le droit chemin et ont commencé à exercer des abus contre leurs citoyens. En tant que pays, nous avons un engagement envers le progrès des droits de la personne, de la démocratie et de la primauté du droit. Nous ne pouvons pas renoncer à cet héritage. Pour des millions de gens dans le monde entier, nous constituons un modèle de paix, de tolérance et de respect de la diversité. Nous ne devons pas abandonner cela pour le profit. La question que l'on se pose est de savoir si le gouvernement actuel a la volonté politique de changer d'orientation, de revenir aux principes fondamentaux, de renouveler l'engagement du Canada en faveur des droits de la personne et de mettre en oeuvre des politiques énergiques pour leur promotion, malgré les coûts et les critiques inévitables. J'espère, et je ne suis pas le seul, qu'il le fera.

Au lieu de rester là à ne rien faire, le Canada devrait lancer un message très clair: le gens ont le droit de vivre libres, à l'abri de toute intimidation, de vivre selon leurs coutumes, leur culture et leur religion sans aucune contrainte, sans craindre les représailles. Dans le cas du Tibet, nous devons continuer de dénoncer la situation, de condamner les abus qui sont devenus chose courante dans ce pays et de réclamer des changements qui permettront à un peuple non violent de vivre sa vie comme il l'entend dans son coin du monde.

L'élément clé, ce sont les pressions internationales. Nous devons agir avec d'autres pays de façon concertée et coordonnée. Il ne suffit pas d'amasser de l'information sur ce qui se passe en Asie en matière de droits de la personne. Nous devons agir. Cela ne veut pas dire qu'il faut isoler des pays. Au contraire, nous devrions encourager les contacts, car c'est dans l'isolement, loin de l'opinion et de l'opprobre mondiales, que les atteintes aux droits de l'homme peuvent se perpétuer. En gardant les voies de communication ouvertes, en pratiquant une critique constructive et en liant le commerce au respect des droits de la personne, nous pouvons donner aux Asiatiques qui souffrent l'espoir que la paix reviendra dans leur pays.

Qu'on ne s'y trompe pas. Les sociétés où les droits de la personne sont bafoués, comme le Tibet, la Birmanie et l'Indonésie, ne vivent pas dans la paix. Ce sont des sociétés en guerre contre elles-mêmes, l'oppresseur se dressant contre les opprimés. Ce sont des sociétés où le viol, la torture, le meurtre, l'intimidation et le harcèlement sont chose courante, où l'État essaie de briser l'esprit et la volonté des citoyens. Faire du commerce sans aucune condition avec des pays coupables de pareilles pratiques, sans essayer d'améliorer la situation, c'est se faire complice de ces crimes et de cette oppression.

Honorables sénateurs, les droits de la personne sont un problème difficile, à la fois litigieux et complexe, que le gouvernement a cherché à éluder. Il ne me semble pas exagéré de dire que les mesures qu'il a prises dans ce domaine sont surtout passives et superficielles: beau spectacle, mais sans substance. Le problème, c'est que le gouvernement s'est soucié beaucoup plus de gagner l'approbation immédiate des médias en faisant dévier les critiques que d'essayer de faire des progrès réels. Le premier ministre se vante du succès et de la valeur monétaire de ses nombreux voyages à l'étranger, mais à quel prix pour l'amélioration des droits de la personne dans ces pays?

(1640)

Son Honneur le Président: Je regrette d'interrompre le sénateur, mais ses 15 minutes sont terminées. Demandez-vous l'autorisation de poursuivre?

Le sénateur Di Nino: Oui, je demande l'autorisation.

Son Honneur le Président: Autorisez-vous, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Di Nino: On a l'impression que, pour M. Chrétien, la campagne pour l'amélioration des droits de la personne est un peu comme se battre contre des moulins. Son gouvernement ignore systématiquement et délibérément les engagements internationaux du Canada en faveur de la promotion et de la protection des droits de la personne. Cela ne semble pas le déranger le moins du monde, pourtant, cela devrait le déranger.

La réputation du Canada en matière de respect des droits de la personne est un avantage pour nos entreprises commerciales dans bien des parties du monde. De plus, le lien que le Canada faisait précédemment entre les droits de la personne et l'aide à l'étranger est un outil important de politique étrangère. Aujourd'hui, le G-7 fait la loi. Ce ne sera pas toujours le cas. En Asie et en Afrique, des économies progressent et, seules ou en combinaison, elles viendront un jour défier l'hégémonie du G-7. Lorsque de nouvelles alliances se formeront en réaction à ces développements, le Canada sera bien placé pour profiter de son engagement à l'égard des droits de la personne et de son intérêt pour le bien-être des populations des nations émergentes. Le gouvernement actuel, en négligeant la longue tradition canadienne dans ce domaine, a une position à très courte vue. Il pense tactiquement alors que nous devrions penser stratégiquement.

Honorables sénateurs, la communauté internationale à laquelle le Canada appartient a l'obligation d'appuyer, moralement et politiquement, la démocratie, les droits de la personne et la règle du droit dans les pays où ils n'existent pas ou sont menacés. Notre devoir est d'appuyer ces supports de sociétés libres, progressistes et stables. Le présent gouvernement a, honteusement, renoncé à cette obligation.

Le recul du gouvernement sur la question des droits de la personne a été souligné par une série d'événements depuis le début de la nouvelle année. À la fin de janvier, la ministre de la Coopération internationale a annoncé avec éclat que le Canada appuyait, par l'intermédiaire de l'ACDI, un projet pilote pour venir en aide aux droits de la personne en Thaïlande, aux Philippines, en Malaisie et en Indonésie. Pour une raison ou une autre, la Chine ne faisait pas partie de la liste. En février, le premier ministre a refusé de prendre ne serait-ce que quelques minutes de son temps pour rencontrer, lors de son passage à Ottawa, Wei Jingsheng, candidat au prix Nobel et père du mouvement de la démocratie en Chine. Au début de mars, le ministre des affaires étrangères a parlé de ces qualités qui caractérisent le Canada et qui se reflètent dans notre politique étrangère. Il n'a pas parlé des droits de la personne.

Il y a un peu moins de deux semaines, au Congrès américain à Washington, le comité des relations internationales de la Chambre des représentants et le comité des relations étrangères du Sénat ont tous les deux approuvé une motion demandant à l'administration Clinton d'adopter une résolution condamnant la violation des droits de la personne en Chine à la prochaine réunion en Chine de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. Le lendemain, le Sénat des Étas-Unis a unanimement approuvé une motion du même genre. Au Canada, le gouvernement est resté silencieux. Les responsables des Affaires étrangères ont publié plus tard un court communiqué de presse qualifiant de pas en avant l'engagement annoncé par la Chine, à la réunion, de signer le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Honorables sénateurs, il serait grand temps que le gouvernement réinscrive les droits de la personne dans sa politique étrangère. Je conviens qu'il est parfois nécessaire de faire des affaires avec des gens que nous n'inviterions pas nécessairement à dîner chez nous, mais il ne faudrait pas croire que parce que nous acceptons de faire affaire avec eux, nous devons également accepter leurs opinions et leurs façons de se comporter. Juste parce que nous désirons faire affaire avec un pays ne signifie pas que nous devons oublier pour autant nos principes ou nos engagements et que nous devons ignorer des mauvais traitements qui ne seraient pas tolérés au Canada.

Le Canada avait autrefois la réputation de défendre ses convictions. Nous étions peut-être un peu vieux jeu, mais nous avions défini bien clairement qu'il y avait une façon correcte et acceptable de faire les choses. Je ne suis pas certain que ce soit encore vrai de nos jours. En l'espace de quelques brèves années, le gouvernement en place a ruiné la réputation que nous nous étions durement acquise. L'engagement a fait place aux hésitations, la politique aux platitudes. Nous avons abandonné les milliers, voire les millions de personnes, qui nous estimaient et comptaient sur nous pour faire preuve de leadership dans le domaine des droits de la personne. Tout ce que nous pouvons espérer, c'est que le cabinet se rendra compte de son erreur et persuadera le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères de remettre la question des droits humains au premier plan de la politique étrangère du Canada.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, pour commencer, je ne pense pas que quiconque ait quoi que ce soit à redire au sujet des objectifs du sénateur Di Nino en ce qui concerne les droits de la personne et la démocratie. Toutefois, certaines choses qu'il a dites me gênent.

Aujourd'hui, dans le New York Times, le dalaï-lama a fait savoir qu'il appuyait sans réserve le nouveau gouvernement en Chine et qu'il se réjouissait des changements. Le sénateur Di Nino semble vouloir dire qu'il n'y a apparemment aucun changement à cet égard. Le sénateur pourrait-il expliquer pourquoi la position qu'il a exprimée à la Chambre aujourd'hui diffère de celle exprimée par le dalaï-lama dans le New York Times?

Le sénateur Di Nino: Honorables sénateurs, je n'ai pas lu ce que le dalaï-lama a dit dans ce journal. Cependant, à trois reprises, j'ai eu des entretiens privés avec lui. Je connais ses préoccupation pour en avoir parlé directement avec lui.

Ces dernières années, cet homme de paix a dit au monde sa sincère frustration face à ses vaines tentatives en vue de trouver un terrain d'entente avec le gouvernement chinois. Je fais bien remarquer que le dalaï-lama n'a jamais émis de critique à l'endroit du peuple chinois, mais seulement à l'endroit du gouvernement chinois.

Le sénateur Grafstein: Honorables sénateurs, je ne veux pas citer des propos hors contexte, mais selon l'article du New York Times, le dalaï-lama se réjouissait du nouveau gouvernement chinois et espérait des changements positifs. C'était aujourd'hui.

Le sénateur Di Nino: Je n'ai pas lu l'article, mais je puis vous dire qu'il y a quatre ou cinq mois, alors que nous nous entretenions de cette question, la position du gouvernement tibétain en exil, y compris du dalaï-lama, était qu'il était terriblement frustré par ses vaines tentatives en vue d'amener les dirigeants de la Chine à la table des négociations afin d'entamer un dialogue raisonnable en vue de résoudre les problèmes.

Je ne peux pas commenter cet article. Je ne l'ai pas vu. J'ignore s'il est fondé. D'après mon expérience personnelle et des discussions avec le dalaï-lama et ses principaux ministres, je puis dire aux honorables sénateurs que l'article fait peut-être allusion à un sincère espoir de changement. Je l'espère certainement.

Le sénateur Grafstein: Nous pourrions peut-être relire l'article. Le sénateur pourra peut-être donner des précisions.

Le sénateur Di Nino a aussi parlé de manque de démocratie en Chine, et nous sommes nombreux, parmi ceux qui ont observé la politique chinoise, à être généralement d'accord avec lui. Mais le sénateur a négligé de dire qu'on assiste à une démocratisation à partir des villages, à partir de la base. Le sénateur renseignerait-il le Sénat à ce sujet? Il n'en a pas soufflé mot. Est-ce que cette démocratisation ne se produirait pas?

Le sénateur n'est pas sans savoir que, dans des milliers de villages de toute la Chine, les dirigeants sont maintenant élus après débats et échange de points de vue. Le fait a été documenté récemment.

Le sénateur Di Nino: Je me ferai un plaisir de m'engager dans un grand débat là-dessus, mais permettez-moi de dire ce que je sais.

Nous ne parlons de la Chine dans ce débat que dans la mesure où cela se rapporte au Tibet. Le dialogue entre l'oppresseur et les opprimés est une question qui a été soulevée de maintes façons, notamment au moyen d'une motion présentée au Sénat. Nombreux sont ceux qui ont demandé que les dirigeants chinois engagent des discussions sans conditions préalables avec le dalaï-lama en vue de sortir de l'impasse.

Il y a eu plusieurs rapports de l'ONU, d'Asia Watch et d'autres organisations respectées sur les abus commis en Chine. On doit se demander qui il faut croire. À mon avis, les dirigeants chinois n'ont fait aucun effort à ce sujet. Bien au contraire, ils ont bloqué toutes les tentatives de dialogue avec Sa Sainteté en vue de résoudre ce problème. Ce n'est pas ce que j'appelle faire preuve d'ouverture.

Le sénateur Grafstein: Honorables sénateurs, j'ai écouté les objectifs présentés par le sénateur Di Nino dans son discours, mais je demeure étonné qu'il n'ait pas fait mention des changements positifs en cours en Chine.

Un autre exemple est la primauté du droit. Pour ce qui a trait à l'expansion des échanges commerciaux, la primauté du droit, qui n'existait pas sous les anciens régimes, semble maintenant être florissante, du moins à la base. C'est comme ça qu'a commencé notre common law, avec la primauté du droit commercial. Nous voyons la même chose se passer en Chine. Le sénateur Di Nino n'en a rien dit.

Je ne reproche pas au sénateur de faire des remarques d'ordre général, mais j'aurais espéré que dans cette enceinte il aurait présenté des faits plus solides à partir desquels engager un dialogue pouvant contribuer de façon positive à notre politique et, peut-être, à éclairer le public.

Le sénateur Di Nino: Honorables sénateurs, ce ne sont pas des généralités, mais des arguments précis que je fais valoir. Des problèmes au sujet de la Chine ont été signalés par des organisations respectées, dont les Nations Unies, qui nous ont informés de violations très graves telles que des incarcérations, des interdictions du droit à sa religion et à sa culture, des stérilisations et des cas où des gens ont été forcés d'apprendre une langue contre leur gré. Ces commentaires ne sont pas de moi, mais bien d'organisations telles que les Nations Unies.

Plus précisément, je signale qu'il y a deux semaines, la Chambre des représentants et le Sénat des États-Unis d'Amérique ont adopté une résolution condamnant la Chine pour ses violations des droits de la personne.

Vous avez raison d'affirmer qu'il y a un mouvement vers un changement. Je m'en réjouis et j'applaudis, mais je suis d'avis que nous sommes encore loin de pouvoir dire que la Chine est un pays démocratique.

Le sénateur Grafstein: Le Canada n'a aucune leçon de morale à recevoir du Sénat ou du Congrès des États-Unis concernant nos relations avec la Chine. Nous avons été les premiers dans le monde à ouvrir la porte à la Chine. Les États-Unis nous ont suivis. Ils ne sont pas les leaders. Notre façon de procéder démontre une sensibilité et un esprit de leadership plus complexes, mais je réserve mes observations pour un autre jour.

L'honorable Philippe Deane Gigantès: Honorables sénateurs, je voudrais poser une question au sénateur Di Nino. J'ai été étonné d'entendre l'observation qu'il a faite en commençant son discours. Il a dit que le gouvernement canadien semblait agir uniquement en vue d'un profit. Compte tenu de la carrière du sénateur et de certains de ses collègues ainsi que du fait que de nombreux gens d'affaires qui appuient son parti font des échanges commerciaux avec l'Indonésie et la Chine, cette observation m'a étonné.

Le sénateur va-t-il conseiller aux gens d'affaires qui appuient son parti de ne pas commercer avec la Chine?

Le sénateur Di Nino: La réponse est simple: oui, et je l'ai d'ailleurs déjà fait.

(Sur la motion du sénateur Gigantès, le débat est ajourné.)

[Français]

Le Code civil du Québec

Difficultés et problèmes soulevés par l'article 35-Interpellation-Ajournement du débat

L'honorable Jacques Hébert, ayant donné avis le mardi 17 mars 1998:

Qu'il attirera l'attention du Sénat sur les difficultés et problèmes soulevés par l'article 35 du nouveau Code civil du Québec.

- Honorables sénateurs, le jeudi 26 février 1998, pendant la période consacrée aux déclarations de sénateurs, j'ai voulu commenter l'article 35 du nouveau Code civil du Québec. J'ai alors expliqué qu'à mon avis, cet article était rédigé et interprété de manière absurde. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps d'exprimer tout mon point de vue, n'ayant pu continuer au-delà des trois minutes attribuées aux déclarations de sénateurs.

L'article 35 du Code civil énonce clairement que chacun a droit au respect de sa réputation. Il affirme également qu'on ne peut porter atteinte à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l'autorise. Cette disposition relativement nouvelle a été adoptée dans le cadre de la révision du Code civil, en janvier 1994. Par ailleurs, l'article 35 est fondé sur certaines dispositions de la Charte des droits et libertés du Québec, qui reconnaît précisément le droit fondamental à la vie privée. Je vous cite ici textuellement ledit article 35:

Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée. Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l'y autorise.

De toute évidence, très peu de gens sont prêts à mettre en question la nécessité de protéger jusqu'à un certain point la vie privée. Toutefois, à défaut d'avoir obtenu la permission de tous les héritiers d'une personne en vue et décédée, il semble que l'article 35 puisse empêcher de publier la biographie même de personnages historiques. Si un auteur ne réussit pas à retracer tous les héritiers et à obtenir leur consentement, son livre ou son film ou son article ou sa pièce de théâtre risque d'être interdit de publication. Une telle exigence confine nettement à l'absurdité.

Il y a actuellement une affaire en instance devant les tribunaux où l'une des parties a invoqué l'article 35, et c'est cette affaire qui a attiré mon attention sur les problèmes qu'elle soulève. Elle oppose l'écrivain et historien renommé Pierre Turgeon, qui a remporté deux fois le prix du Gouverneur général, à la chaîne de quincailleries Réno-Dépôt et à son président, M. Pierre Michaud. Je ne désire point entrer dans les détails de ce litige au civil. Dieu m'en garde!

Cependant, pour illustrer mon propos, je me contenterai d'évoquer les grandes lignes de ce litige qui fait d'ailleurs la manchette des journaux depuis plus d'un an. Pierre Michaud tente d'obtenir, par voie d'injonction permanente, l'interdiction du livre que M. Turgeon a écrit sur son grand-oncle, Paul-Hervé Desrosiers, mort en 1969. Parmi les arguments que l'homme d'affaires invoque auprès de la Cour supérieure, il y a le désormais fameux article 35, adopté en 1994, qui subit donc ainsi son baptême du feu devant les tribunaux. Pierre Michaud allègue qu'en sa qualité de légataire universel de son grand-oncle, il est également propriétaire des faits qui entourent la vie de cet homme et qu'il peut en disposer à sa guise.

Plusieurs de mes collègues ont entendu parler de Paul-Hervé Desrosiers, ou P.H. pour les intimes. Certains d'ailleurs l'ont connu personnellement. Pour ceux qui ignorent tout de ce personnage haut en couleur de notre petite histoire, en voici une esquisse.

D'origine très modeste, P.H. Desrosiers est né en 1898 dans une petite ville du Québec. Simple ouvrier, il devint un des dirigeants d'entreprise les plus puissants des années Duplessis. P.H. côtoyait le pouvoir politique tout en prospérant. Ses sociétés connurent une telle croissance que Conrad Black, dans sa biographie de Duplessis, le désigna comme un entrepreneur très pittoresque qui avait profité de l'attribution de contrats gouvernementaux sous ce régime. Val-Royal, fondé en 1933, se hissa en quelques décennies au sommet des principaux employeurs québécois, fournissant des matériaux de construction aux quatre coins de la province. Pour bien consolider sa mainmise sur le domaine, P.H. siégea au conseil d'administration d'importantes sociétés d'exploitation minière et manufacturière. Bailleur de fonds du parti que dirigeait Maurice Duplessis, il exerça aussi une grande influence sur plusieurs premiers ministres. À sa mort, Paul-Hervé Desrosiers, demeuré sans enfant, légua Val-Royal à ses petits-neveux, Pierre et Claude Michaud, qui décidèrent de rebaptiser leur entreprise Réno-Dépôt.

Cette chaîne de quincailleries réalise à présent un chiffre d'affaires d'un demi-milliard de dollars par année, et c'est elle qui, de concert avec les frères Michaud, réclame l'interdiction de l'oeuvre de Pierre Turgeon.

(1700)

Le 3 février 1998, réagissant à l'article 35, l'Association des historiens a publié ce qui suit dans La Presse:

Un historien ne peut entreprendre une recherche sur «x» à partir d'un fonds d'archives aujourd'hui accessible sans chercher d'abord les descendants de Marie de l'Incarnation, de Wolfe, de Thérèse Casgrain, de Louis Riel ou de Jos Montferrand et sans obtenir leur accord [...] Dans un tel univers, l'Histoire pourra-t-elle être autre chose que complaisante et muette? La liberté d'expression est manifestement en jeu. De quoi veut-on se souvenir?

Un certain nombre d'autres organismes ont exprimé des préoccupations semblables, dont les suivants: l'Union des écrivains du Québec, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, la Ligue des droits et des libertés, la Société historique de Montréal, l'Institut d'histoire de l'Amérique française, la SARDEC - Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs - l'Union des artistes, l'Association des réalisateurs de films et de télévision, l'Association des producteurs de films et l'Association nationale des éditeurs de livres. Événement sans précédent: historiens, écrivains, journalistes et artistes s'allient à l'industrie culturelle pour réclamer l'abrogation d'une disposition du Code civil qui met en péril leur liberté et donc leur possibilité même de poursuivre leur oeuvre de créateurs et de chercheurs. Mais le tollé ne se limite pas au milieu culturel: il gagne le grand public lui-même, ainsi qu'en témoigne l'appui que la Fédération des travailleurs du Québec vient d'apporter à Pierre Turgeon par la voix de son président, Clément Godbout, qui affirme péremptoirement, et je cite:

Tout indique que l'on a affaire ici à un véritable acte de censure.

Signalons en passant que la FTQ représente tous les employés syndiqués de Réno-Dépôt, qui estiment posséder autant que leurs patrons le droit de connaître la véritable histoire de leur entreprise. Dans un éditorial du journal Le Devoir du samedi 14 mars dernier, Gilles Lesage affirmait, et je cite:

Ces limites inquiétantes affectent les chercheurs et les historiens, les généalogistes et les archivistes, les journalistes et finalement, nous tous comme citoyens.

Autre fait remarquable de cette affaire: elle réussit à réunir dans un même camp anglophones et francophones, Québécois et Ontariens. Ainsi, Pierre Turgeon a reçu le soutien de la Writers' Union of Canada et de la Canadian Historical Association, dont la présidente, Mme Judith Fingard, écrivait à l'auteur:

[Traduction]

Les historiens craignent forcément qu'on n'invoque les lois provinciales et fédérales pour bloquer l'accès à nos sources d'information.

[Français]

Par ailleurs, La Presse, Le Devoir et The Gazette ont réclamé d'une même voix une réforme complète du Code civil sur toute la question du droit à la vie privée. Dans un article du 5 mai dernier, consacré à l'affaire Pierre Turgeon, MacLean's a raconté comment l'auteur Lawrence Martin, alors qu'il faisait des recherches pour sa biographie de Lucien Bouchard, a reçu une lettre de menaces de Me Laprise, l'avocat de Jocelyne Côté, la première femme de M. Bouchard. Me Laprise, en invoquant l'article 35 et suivants du Code civil, exigeait que le biographe mette fin immédiatement à ses recherches. M. Martin, journaliste de MacLean's, déclarait:

[Traduction]

Jusqu'où cela peut-il aller? Peut-on être accusé d'infraction simplement pour avoir posé des questions? En ce qui concerne la liberté d'expression, c'est très menaçant et très absurde.

[Français]

Croire que les faits entourant une atteinte aussi grave à la liberté d'expression resteront encore longtemps confinés aux seuls médias d'information canadiens relèverait d'une grande naïveté.

Tous les juristes consultés s'entendent pour dire que, dans le monde entier, aucun autre pays démocratique ne s'est donné une disposition juridique semblable à l'article 35, qui lègue ainsi aux héritiers, et à l'arbitraire de leur jugement individuel, un droit de propriété sur la réputation même des morts, qu'ils aient été personnages historiques ou non, et ce, pour des siècles à venir, voire pour l'éternité.

Mais comment un article aussi injuste et ridicule a-t-il pu se glisser dans le Code civil sans que les savants juristes qui le rédigeaient ne s'en soient aperçus? Question d'autant plus pertinente que l'architecte de la révision du Code civil, Me Paul-André Crépeault, affirme que l'article 35 ne figurait nullement dans le projet de réforme qu'il a déposé en 1978, qu'il ignore la provenance de cet article et qu'il juge dénuée de sens une clause qui prétend léguer à des héritiers un bien extrapatrimonial, qui ne peut appartenir qu'à une personne vivante, à savoir le respect de la vie privée. Comment l'article 35 s'est-il glissé au coeur du nouveau Code civil, peu avant son adoption à l'unanimité par l'Assemblée nationale du Québec, en 1994?

Peut-être que les historiens de l'avenir pourront nous l'expliquer... si on leur laisse le droit de faire leur travail!

En terminant, je voudrais souligner que l'article 35 crée deux catégories de Canadiens: d'une part, ceux qui possèdent une véritable liberté d'expression, et qui donc ont le droit de raconter sans entraves leur histoire et celle de leurs ancêtres. D'autre part, les Canadiens soumis à l'article 35, ceux qui doivent obtenir la permission d'une myriade de descendants pour accéder à la vérité historique. Les historiens du Québec devront-ils émigrer en Ontario pour raconter l'histoire de leurs aïeux ou, plus ridicule encore, devront-ils laisser cette tâche à leurs collègues des autres provinces? Quant à moi, je suis d'avis que notre Constitution, à moins de perdre son sens, doit accorder les mêmes droits à tous les citoyens du Canada.

Je joins donc ma voix à celle de tous ces groupes et organismes qui s'efforcent de protéger la liberté d'expression de tous les Canadiens. Et je demande au Sénat de faire de même, car c'est une question qui touche finalement à l'esprit de notre Charte des droits et libertés et qui, par conséquent, aura des répercussions sur chacun des citoyens de notre pays.

[Traduction]

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Je voudrais poser une ou deux questions au sénateur Hébert. Tout d'abord, je ne m'étais pas penché sur ce dossier, mais il fait valoir un argument très convaincant. A-t-il vérifié si la Charte s'applique à cela? A-t-il vérifié si le droit fédéral de révocation s'applique à cette question?

Le sénateur Hébert: Non, sénateur Grafstein, je ne l'ai pas fait. Je comptais sur vous ou sur un juriste de votre calibre pour le faire.

Le sénateur Grafstein: Ce n'est pas une réponse positive, mais je me réjouis de pouvoir le faire. J'examinerai le dossier.

(Sur la motion du sénateur Prud'homme, le débat est ajourné.)

Le Sénat

La vacance du siège de l'Ontario-Interpellation-Ajournement du débat

L'honorable Lowell Murray, ayant donné avis le 18 mars 1998:

Qu'il attirera l'attention du Sénat sur la vacance au Sénat créée par le départ à la retraite de l'honorable Richard Doyle de l'Ontario; sur la longue tradition de nommer au Sénat un journaliste émérite de l'Ontario; et sur quelques suggestions utiles pour le premier ministre à cet égard.

- Honorables sénateurs, avant de parler de l'objet spécifique de mon interpellation, je me permets de dire un mot sur la tradition. Le grand George Brown, fondateur du Globe et père de la Confédération, a été sénateur jusqu'à ce qu'il soit assassiné par un employé mécontent. Je m'empresse d'ajouter qu'il s'agissait d'un employé du Globe, et non d'un employé du Sénat. À Dieu ne plaise! Les employés mécontents du Sénat étaient alors comme aujourd'hui des manifestants non violents qui exprimaient leur mécontentement en restant assis à la manière qu'a rendue plus tard célèbre le mahatma Gandhi. L'Empire britannique était aussi paralysé par cette résistance passive que l'est aujourd'hui notre comité de la régie interne, mais je m'éloigne du sujet.

En 1945, le premier ministre Mackenzie King nomma au Sénat son journaliste parlementaire favori. Il s'appelait Charles Bishop. Il était né en Nouvelle-Écosse et avait fait ses études à l'Université Acadia. Or, après 40 ans à la tribune de la presse, il a pu siéger, la conscience plus ou moins tranquille, comme sénateur représentant l'Ontario. Il n'a pas été le dernier habitant de la Nouvelle-Écosse à en faire autant. Le sénateur Bishop avait travaillé pour le Ottawa Citizen et pour la chaîne de journaux Southam. Inutile de vous dire que c'était un libéral.

L'attendait à son arrivée au Sénat le sénateur William Rupert Davies, qui avait été nommé par le premier ministre King en 1942. Le sénateur Davies était président du Whig Standard de Kingston. Comme de bien entendu, lui aussi était un libéral. Il était l'auteur d'un livre intitulé Pilgrims of the Press, qui raconte en quelque sorte comment lui et d'autres gens de la tribune sont passés au Sénat.

Lorsque les progressistes conservateurs sont arrivés au pouvoir en 1957, le candidat issu du monde du journalisme tout indiqué pour entrer au Sénat était Grattan O'Leary, le bien-aimé directeur du Journal d'Ottawa. Il a dû néammoins ronger son frein pendant cinq ans vu qu'il avait misé sur le mauvais cheval lors du congrès à la direction du Parti conservateur en 1956.

Le premier ministre Diefenbaker s'est enfin laissé fléchir en 1962. Grattan O'Leary, alors âgé de 74 ans, est entré au Sénat et a régalé le Parlement de son esprit, de sa sagesse et de son éloquence pendant encore 14 ans, soit jusqu'à sa mort en 1976 à l'âge de 88 ans.

En attirant votre attention sur la vacance survenue au Sénat à la suite de la retraite de l'ancien directeur en chef du Globe and Mail, l'honorable Richard J. Doyle, je ne voulais pas laisser entendre par là qu'il ne restait plus de journalistes ou d'anciens journalistes dans cette enceinte. Signalons que le sénateur a été journaliste, mais qu'il est venu au Sénat après un séjour de 16 ans à la Chambre des communes. Le sénateur Gigantès et le sénateur Fairbairn ont été journalistes, mais ils sont venu ici après une période d'endoctrinement politique au cabinet du premier ministre. Le sénateur Graham a d'abord gagné sa croûte en travaillant pour le Casket d'Antigonish qui payait alors en fonction de la surface de colonne, mais toute étincelle d'indépendance intellectuelle et, à un degré beaucoup moindre, d'expression de l'indépendance, a été éteinte sans ménagement lors de son passage au bureau ministériel de l'honorable Allan J. MacEachen. En proposant la nomination d'un autre sénateur au Sénat, je parle de quelqu'un qui est vraiment «du métier» et qui travaille à plein temps dans ce qu'on pourrait définir, au sens large, comme étant le monde du journalisme.

J'espère que les honorables sénateurs ne se bercent pas d'illusions et qu'ils ne pensent pas que je m'illusionne; la nomination d'un autre journaliste à cet endroit n'améliorera en rien la couverture de nos travaux dans les médias. Ce ne sera vraiment pas le cas. En fait, en choisissant un seul candidat parmi les nombreux journalistes qui aspirent à un siège au Sénat, on indispose les autres encore plus et ils se montrent encore plus amers et virulents dans la façon dont ils traitent nos activités. L'envie qui les tenaille n'est pas l'envie modérée que nous remarquons parfois parmi nos compatriotes lorsque nous faisons nos tournées au pays. Les aspirants sénateurs pleins de mépris qui prennent place à notre tribune sont tellement aveuglés par l'amertume et la jalousie qu'ils nourrissent à l'égard du Sénat que c'en est presque pathologique. Le sénateur Kinsella, qui a étudié la théologie et la morale, comprend mon propos lorsque je dis que pareille convoitise est, objectivement parlant, un péché.

Certains des pontifes qui meurent d'envie d'obtenir un siège au Sénat ont désespérément essayé d'attirer notre attention, et en particulier celle du premier ministre, sur leurs compétences, en pontifiant presque quotidiennement sur les questions importantes et compliquées au sujet desquelles le Sénat doit délibérer, dans l'intérêt du Canada. C'est comme s'ils étaient déjà au Sénat. C'est vraiment pathétique.

Non, ce n'est pas dans l'espoir que cet endroit ait droit à un meilleur traitement dans les médias que je souhaite la nomination d'un autre journaliste au Sénat. C'est plutôt parce que nous, sénateurs, respectons les traditions. Certains pourraient dire que c'est une mauvaise tradition, mais je pense qu'une mauvaise tradition vaut mieux que l'absence pure et simple de tradition.

Qui donc devrait combler le siège laissé vacant par notre collègue estimé et émérite, Richard J. Doyle?

Les magnats de la presse au Canada ne sont pas légion; un comité sénatorial sous la présidence de Keith Davey et une commission royale sous la direction de Tom Kent se sont d'ailleurs déjà penchés sur la question. Il y a Conrad Black, mais il semble avoir à coeur, pour peu qu'il en ait un, un siège à la Chambre des lords britannique et il considérerait probablement une nomination au Sénat du Canada comme un piètre prix de consolation; il y a aussi Kenneth Thompson, qui est déjà membre de la Chambre haute au Royaume-Uni, ayant hérité de la pairie de son défunt père.

Ce qui nous amène à l'actuel rédacteur en chef du Globe and Mail. Je ne prétends certes pas connaître M. Thorsell, mais on peut certainement dire que c'est un homme un tantinet ambitieux, voire vaniteux. Il y a quelques années, dans une de ces colonnes signées de sa main, à la page éditoriale de l'édition du samedi, M. Thorsell a écrit sur les années de son enfance où il travaillait au magasin général de son grand-père, quelque part en Alberta. Il n'a pas remercié la mystérieuse providence divine, mais en lisant ces mots, on sent qu'il avait la conviction profonde que son départ de la campagne albertaine et son accession au poste de rédacteur en chef du Globe and Mail avaient été essentiels à son propre épanouissement et un bienfait pour l'humanité en général.

Sauf tout le respect que je lui dois, j'estime qu'aucune de ces propositions ne peut être prouvée, de son vivant. Qui sait ce que M. Thorsell aurait accompli s'il était resté au magasin général. En tant que catholique, je puis dire, avec une certaine certitude, qu'il aurait sauvé autant d'âmes à titre de gestionnaire ou même d'assistant gestionnaire du magasin général qu'il ne l'a fait au Globe and Mail, la sienne y comprise sans doute. Il aurait peut-être eu plus de chance d'être nommé - ou élu, comme il le voudrait - au Sénat. Dans cette enceinte, il aurait pu acquérir le don de la pensée linéaire qui rend possible une perspective de la vie non seulement temporelle, mais éternelle.

Soit dit en passant, il neigera en enfer avant que Bill Thorsell soit nommé au Sénat par Jean Chrétien, à moins que ce dernier ne donne suite à l'avis de Preston Manning, ce qui est peu probable.

Si M. Chrétien est à la recherche d'un loyal libéral - et on peut dire qu'il l'est, sans risque de se tromper, d'après les nominations qu'il a faites jusqu'à maintenant -, il ne le trouvera pas dans les pages éditoriales du Globe and Mail, mais plutôt dans les colonnes des nouvelles. Le nom de Susan Delacourt vient à l'esprit. Cette dernière vient de passer des pages des nouvelles au personnel éditorial, et M. Chrétien pourrait l'y laisser, croyant qu'il a enfin droit à un répit de la part de ces gens-là. Mais je tiens à témoigner, au nom de Mme Delacourt, de son indéfectible loyauté envers la cause libérale dans les hauts comme dans les bas, et de son imperméabilité, dans ses reportages, à la mode du jour, à l'opinion publique et même aux faits peu agréables. Cette célibataire libérale, et j'emploie ici l'expression à la mode pour désigner une propagandiste et non pour faire référence à son état civil, dont je ne sais rien, ne devrait pas attendre trop longtemps sa récompense. Toutefois, mon souci d'honnêteté envers le premier ministre m'oblige à signaler une ou deux ombres au tableau d'une loyauté qui serait, autrement, sans reproche. Elle a été membre en règle du club et du comité d'organisation de la campagne au leadership d'Allan Rock. Par la suite, elle s'est jointe au fan club de Paul Martin et elle est maintenant membre honoraire du comité d'organisation de sa campagne. Tout le monde comprendrait sans doute que le premier ministre juge ces manifestations d'enthousiasmes quelque peu prématurées et cherche d'autres candidats possibles pour combler cette vacance au Sénat.

Heureusement, d'autres noms viennent à l'esprit. Il y a Graham Fraser, dont la famille milite depuis plusieurs générations dans les rangs libéraux de Cap-Breton. Il devait donc figurer sur la liste des candidats privilégiés du premier ministre mais, malheureusement, il semble avoir développé un penchant pour les analyses sérieuses durant les années où il a été correspondant à l'étranger. Le bureau du whip libéral n'apprécie pas beaucoup cette qualité et y voit plutôt l'indice d'un manque de fiabilité et peut-être même d'un penchant pour la mutinerie.

Les nominations faites par le premier ministre au Sénat depuis quatre ans indiquent une préférence manifeste pour les citoyens âgés méritoires. Le plus méritoire de tous et le plus fidèle à la cause libérale est certainement Hugh Windsor. M. Windsor manifeste cependant avec l'âge un goût pour la dolce vita, qui était sans doute demeuré latent et contenu jusqu'ici mais qui n'en est maintenant que plus évident. Dieu sait que nous n'avons pas besoin d'une autre personne de ce genre au Sénat.

Le premier ministre a peut-être malheureusement décidé, et peut-être à regret, qu'il n'y avait personne dans les rangs du personnel du Globe and Mail qui soit vraiment capable de succéder au sénateur Doyle. Et dans les autres milieux de la pensée journalistique? Il y a évidemment les Sun de Toronto, d'Ottawa et d'Edmonton. Douglas Fisher, leur rédacteur «de la nostalgie», y signe souvent des articles et il est d'ailleurs le doyen des pontifes à Ottawa. Il s'en prend souvent au Sénat, mais y aurait-il accepté un siège si on le lui avait offert? Ah! Il s'est récemment fait le défenseur d'un gel du traitement des sénateurs. Il convient de souligner cependant qu'il s'est sournoisement retenu de faire une proposition en ce sens tant qu'il n'a pas eu ses 75 ans, âge auquel il devenait inadmissible au Sénat. Il a nourri son ambition en secret durant toutes ces années, trop fier pour demander un siège. Maintenant qu'il nourrit sa peine et sa frustration, je suis certain que ce sénateur manqué parlera encore de nous, et ce ne sera pas en des termes élogieux. Il est sans doute tout aussi bien qu'il n'ait pas été nommé au Sénat. Ce n'est pas la place des gens pompeux et dogmatiques.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, le temps de parole alloué au sénateur est écoulé. Lui permettez-vous de continuer?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Murray: Je ne veux pas m'imposer, mais il s'agit d'un sujet important.

Finalement, il y a le Toronto Star. Comment les premiers ministres libéraux successifs ont-ils pu négliger le Star et sa loyauté à toutes épreuves envers le Parti libéral? Se pourrait-il que, comme des millions de personnes de l'extérieur de la région de Toronto, ils ne lisent pas ce journal? Ils manquent pourtant quelque chose.

Tout d'abord, ils manquent Richard Gwyn. M. Gwyn a fait partie de l'establishment d'Ottawa pendant si longtemps que les gens qui ne lisent pas le Star peuvent être pardonnés de penser qu'il est mort en même temps que Mackenzie King. Ceux qui lisent le Star peuvent être pardonnés de croire que ses chroniques sont des produits recyclés datant de l'époque de King. Gwyn est vivant et bien vivant. Il remanie ses chroniques d'un autre temps chaque semaine et, à mon humble avis, il serait le candidat idéal pour une sinécure s'il n'en avait pas déjà une.

Au Star, il y a aussi Dalton Camp. Comme M. Fisher, il a passé l'âge de l'admissibilité. En d'autres mots, il est trop vieux. Si je puis me permettre, en tant qu'ami dévoué et conseiller, il est trop à gauche pour le Parti libéral d'aujourd'hui et trop grincheux pour la Chambre sereine et sobre de deuxième réflexion que nous formons.

Dans le Star de dimanche, on peut lire une chronique qui peut porter à réflexion, quoi qu'elle soit parfois trop tourmentée et trop écrite, par Michelle Lansberg. Mme Lansberg est souvent un peu tendancieuse lorsqu'elle parle d'affaires sociales, mais tout à fait charmante lorsqu'elle décrit la vie de tous les jours. Une de ses chroniques parue il y a plusieurs années parlait de la stratégie qu'elle avait mise au point pour lutter contre les écureuils qui envahissaient les mangeoires à oiseaux de sa cour. Comme les invasions d'écureuils sont un phénomène que connaissent beaucoup d'habitants des villes comme des campagnes, sa chronique a certainement pu provoquer un certain sentiment d'empathie chez le lecteur. L'article révélait également chez Mme Lansberg un charmant instinct de tueuse de rongeurs, ce qui, dans certains circonstances, n'est pas tout à fait déplacé en politique, même au Sénat.

Mon beau-père, qui était gardien au parc national des Hautes-Terres du Cap-Breton, avait l'habitude de dire que l'écureuil était cousin germain du rat, et je crois qu'il avait raison. Mais je m'éloigne encore du sujet. Mme Lansberg ferait un excellent sénateur, mais il faudrait prévenir M. Chrétien qu'elle est probablement néo-démocrate. Cela n'a cependant pas empêché son conjoint, Stephen Lewis, d'accepter une nomination par favoritisme au poste d'ambassadeur aux Nations Unies lorsque l'ancien premier ministre, M. Mulroney, la lui a offerte. Il en a bien profité depuis ce temps. C'est-à-dire M. Lewis, pas M. Mulroney.

Tous ces candidats méritent d'être pris en considération, mais, comme les honorables sénateurs l'auront noté, aucun n'est sans défaut. Celui qui se rapprocherait le plus de la candidature sans défaut, du point de vue de M. Chrétien, c'est John Honderich, l'éditeur du Toronto Star. M. Honderich a tout pour lui. Sur le plan de la loyauté au parti, cet homme est un roc. À moins que ce soit un madrier? Je ne me rappelle jamais. Sur le plan de la tradition, il tient son libéralisme de son père, l'éminent Beland Honderich, qui en a hérité d'une longue lignée d'éditeurs du Star dont la dévotion à la cause n'a jamais chancelé. Peu après la Seconde Guerre mondiale, le Star décrivait une alliance politique entre le premier ministre conservateur de l'Ontario et le premier ministre de l'Union nationale du Québec en parlant d'un «axe», empruntant l'étiquette qui avait été attachée au front nazi établi en temps de guerre par Hitler et Mussolini. Vous pouvez être assurés que M. Honderich est de la même trempe, celle des anciens éditeurs du Star, pas celle d'Hitler et Mussolini, j'espère bien que non! M. Honderich était membre de la tribune de la presse parlementaire il y a quelques années et se distinguait même à l'époque comme un jeune homme prometteur. Il a en effet plus que réalisé ses premières promesses et il est allé loin dans la carrière qu'il a choisie. Il est le rêve d'un whip libéral et il est mûr pour le Sénat.

Si, pour une raison ou une autre, M. Honderich n'était pas disponible ou si le premier ministre le considérait indésirable, deux autres noms me viennent à l'esprit. D'abord un ancien éditeur du Globe and Mail, et aussi de la Gazette de Montréal, Norman Webster. M. Webster a eu deux grands-pères qui ont siégé au Sénat: un comme libéral et l'autre comme conservateur. On peut donc dire de M. Webster qu'il est doublement qualifié pour être nommé au Sénat. Après tout, le sénateur Meighen et le sénateur Lynch-Staunton n'avaient qu'un grand-père qui avait eu l'honneur de siéger au Sénat - un grand-père chacun, dois-je préciser. Je ne cherche pas à insinuer que le sénateur Meighen et le sénateur Lynch-Staunton avaient le même grand-père. Dans un tel cas, ils seraient cousins et, de toute évidence, ils ne le sont pas. Le bassin d'anglophones à Montréal s'est amenuisé quelque peu ces dernières années, mais jamais jusqu'à ce point, Dieu merci. Encore une fois, je digresse.

(1730)

En parlant de ceux qui s'amenuisent, on pourrait penser à M. Mike Duffy. Il semble que M. Duffy serait honoré de siéger au Sénat en tant que représentant de sa province natale, l'Île-du-Prince-Édouard, mais pas en tant que représentant de l'Ontario. Mais cela reste à confirmer.

En terminant, bien que mon candidat préféré demeure de toute évidence M. Honderich, j'ai cru pouvoir aider le premier ministre en lui brossant le portrait de certaines autres personnes qui pourraient se retrouver sur la liste des candidats libéraux au siège qui se libère au Sénat et qui est généralement occupé par un journaliste. La candidature d'autres journalistes pourrait être envisagée, mais ceux que j'ai nommés me semblent les plus qualifiés.

L'honorable Philippe Deane Gigantès: Honorables sénateurs, je voudrais demander à l'honorable sénateur comment il parvient à être si spirituel.

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, je désire intervenir à ce sujet, mais pas ce soir. Toutefois, j'ai une brève question à poser à mon honorable collègue.

Le sénateur a oublié de mentionner deux Torontoises. Premièrement, que pense-t-il de Mme Carol Goar? Je parlerai d'elle pendant mon discours demain. Deuxièmement, a-t-il oublié Barbara Amiel? Le sénateur pense-t-il que ces deux personnes devraient figurer ou non sur la liste courte des candidats?

Le sénateur Murray: Dans le dernier cas, son mari est un candidat à la Chambre des lords, en Grande-Bretagne. Je ne pense pas qu'il lui serait possible d'accepter une nomination au Sénat canadien.

En ce qui concerne Mme Goar, je dois admettre que je l'avais oubliée. Je l'ai déjà connue lorsqu'elle était à la tribune de la presse parlementaire. Elle écrivait des éditoriaux dans le Toronto Star.

Le premier ministre a montré qu'il préférait de beaucoup nommer des femmes au Sénat, et c'est tout à son honneur. Si M. Honderich est prêt à se retirer, Mme Goar pourrait être disponible. J'encourage mon collègue à soumettre ses compétences au Sénat à la première occasion.

Le sénateur Prud'homme: Le sénateur a signalé que le mari de Mme Amiel est un candidat à la Chambre des lords. Comment pouvons-nous concilier le fait qu'il puisse être un membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada et membre de la Chambre des lords britannique? J'ai été nommé par la reine le même jour que M. Black, en juillet 1992. Il siégeait avec moi et nous étions très heureux d'être membres du Conseil privé de la Reine Élizabeth II, reine du Canada. M. Black m'a dit qu'à l'époque, le libre-échange était la première étape. Il a affirmé que tout d'abord, il devrait y avoir une union économique et que, par la suite, il serait censé y avoir, en fin de compte, une union politique. Je ne sais trop que penser de l'avenir de M. Black. Le sénateur peut-il m'éclairer?

Le sénateur Murray: Naturellement, j'ai beaucoup réfléchi. L'honorable Conrad Black est, en fait, un membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada. La question est: pourrait-il également siéger à la Chambre des lords?

Mes recherchistes disent qu'il y a un précédent, en ce sens que le duc d'Édimbourg est membre du Conseil privé du Canada et également membre de la Chambre des lords.

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein: Honorables sénateurs, l'honorable sénateur fait allusion à sa recherche. Ses recherchistes sont-ils tombés sur une série d'articles ou d'observations sur un autre Ontarien qui mérite l'attention des médias, qui a demandé d'être membre du Sénat et qui voudrait bien profiter de cette occasion? Le sénateur est-il tombé sur ce type de recherches?

Le sénateur Murray: Je l'ignore.

Le sénateur Grafstein: Je viens de critiquer le sénateur Di Nino pour son manque de recherche et voilà que le sénateur Murray fait la même chose. S'il procédait à une analyse attentive de la recherche, il s'apercevrait que M. Larry Zolf a été candidat au Sénat du Canada à de nombreuses reprises.

Le sénateur Murray: M. Zolf est né au Manitoba, et je pense qu'on devrait regarder là en premier lieu.

Le sénateur Grafstein: Il est président du réseau anglais de la Société Radio-Canada en Ontario et il serait considéré comme un résident de cette province aux fins du Sénat.

(Sur la motion du sénateur Prud'homme, le débat est ajourné.)

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 25 mars 1998, à 13 h 30.)


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