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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

3e Session, 40e Législature,
Volume 147, Numéro 57

Le mercredi 20 octobre 2010
L'honorable Donald H. Oliver, Président intérimaire


LE SÉNAT

Le mercredi 20 octobre 2010

La séance est ouverte à 13 h 30, le Président intérimaire étant au fauteuil.

Prière.

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Les Prix du Duc d'Édimbourg

Les Lauréats de l'Île-du-Prince-Édouard

L'honorable Elizabeth Hubley : Honorables sénateurs, chaque année, environ 37 000 jeunes Canadiens participent au programme des Prix du Duc d'Édimbourg. Fondés en 1956 par Son Altesse Royale le prince Philip, duc d'Édimbourg, ces prix encouragent les jeunes à être actifs et à s'accomplir dans quatre secteurs différents : service à la collectivité, habileté, loisirs sportifs et voyages d'aventure. En se fixant un objectif personnel et en travaillant à l'atteindre, les participants peuvent gagner des prix correspondant à trois niveaux de mérite, à savoir bronze, argent et or.

Cette année, pour la première fois, 13 jeunes Autochtones de l'Île-du-Prince-Édouard ont participé au programme.

Je félicite donc Amethyst Knockwood, Alisha Knockwood, Dion Bernard, Melissa Peter Paul et Joseph Schurman Peters, de la Première nation Abegweit; Denise Bernard, Dustin Bernard et Brett Bernard, de la Première nation de Lennox Island, et Ebony Larkin, Bradley Cooper, Dana Panchuk et Chance Banks, du Conseil des Indiens de l'Île-du-Prince-Édouard, qui ont remporté des prix de niveau bronze.

Ces jeunes ont remporté ces prix en participant au programme Mawita'jik. Un projet de l'Aboriginal Women's Association of PEI, ce programme travaille avec les jeunes Autochtones, à l'intérieur et à l'extérieur des réserves, afin de les aider à découvrir leur potentiel.

Dans le cadre du programme des Prix du Duc d'Édimbourg, ces jeunes ont eu l'occasion de relever des défis personnels. Je leur souhaite la meilleure des chances pour décrocher le niveau argent.

Le questionnaire détaillé de recensement

L'honorable Stephen Greene : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour faire l'éloge de la position du gouvernement dans le dossier du questionnaire détaillé de recensement. Je me félicite de la politique du gouvernement, car je suis moi-même une victime de la police du recensement.

Premièrement, je ne suis jamais enthousiaste à l'idée de remplir des formulaires. Par conséquent, lorsque j'ai reçu le dernier questionnaire détaillé de recensement, je l'ai mis de côté. Ce formulaire n'a échappé à la poubelle que parce qu'il s'agissait d'un recensement organisé par le gouvernement.

J'ai ensuite oublié le formulaire pendant deux, quatre ou six semaines. Je ne sais plus. J'ai fini par recevoir une lettre me rappelant de remplir le questionnaire de recensement. Le recensement? Où avais-je bien pu mettre ce formulaire? J'en ai parcouru les deux ou trois premières pages en devenant de plus en plus surpris et préoccupé par le genre de questions qu'on me posait et de détails qu'on me demandait. L'idée m'est venue de le balancer à la poubelle, mais j'ai fini par le mettre de côté encore une fois.

Quelques semaines plus tard, j'ai reçu un coup de fil de Statistique Canada. On voulait me rafraîchir la mémoire au sujet du recensement et m'informer que je risquais la prison si je ne remplissais pas le questionnaire. J'ai pensé que la personne était timbrée ou qu'elle n'était pas dans son assiette ce jour-là, mais que, de toute évidence, elle abusait de son pouvoir. Quoi qu'il en soit, je me suis montré indulgent face à son attitude et je me suis remis à remplir le questionnaire.

Après avoir examiné de nouveau le formulaire, j'ai décidé de ne pas répondre à toutes les questions. J'estimais que certaines d'entre elles étaient trop personnelles ou que, à tout le moins, le gouvernement n'avait pas à me les poser. J'ai donc apposé ma signature au bas du formulaire et je l'ai renvoyé au gouvernement.

Quelques semaines plus tard, j'ai reçu un avis m'indiquant qu'une lettre recommandée m'attendait au bureau de poste. Je n'avais aucune idée des raisons pour lesquelles on m'envoyait une lettre recommandée, mais, comme c'est toujours pour annoncer des mauvaises nouvelles, je me suis rongé les sangs. La lettre était rédigée en termes bien sentis et m'informait que j'étais passible d'emprisonnement si je ne retournais pas le formulaire de recensement dûment rempli. À l'intérieur de l'enveloppe se trouvait le formulaire que j'en avais rempli qu'en partie.

Honorables sénateurs, j'étais en colère. Quel était donc ce pays dans lequel je vivais et qui était prêt à faire de moi un criminel si je refusais de remplir un formulaire du gouvernement? Honnêtement, le seul fait de penser à cette lettre me rend encore furieux. Cette lettre signifiait-elle que le gouvernement était autorisé à me poser toutes les questions qu'il voulait et qu'il pourrait me jeter en prison si je décidais de ne pas y répondre? Pour moi, c'était clair : il n'était absolument pas question que je remplisse ce formulaire.

À mon retour à la maison, j'ai demandé à ma fille — qui était adolescente à l'époque — de remplir le formulaire comme s'il s'agissait d'un jeu ou d'un projet. Elle n'avait qu'à inventer les réponses qu'elle ignorait. C'est ce qu'elle a fait. J'ai retourné le formulaire et je n'ai plus jamais entendu parler de la police du recensement.

La nouvelle politique du gouvernement sur le formulaire détaillé de recensement me réjouit au plus haut point. Les droits individuels des Canadiens sont plus importants que le besoin du gouvernement de recueillir de l'information.

La diversité

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j'aimerais parler aujourd'hui de l'importance d'embrasser la différence. Le vendredi 15 octobre, j'ai eu le privilège d'assister au 10e symposium annuel La Fontaine-Baldwin. Cet événement a été institué par notre ancienne gouverneure générale, la très honorable Adrienne Clarkson, et est coprésidé par M. John Ralston Saul.

Cette année, les participants au symposium ont accueilli chaleureusement Son Altesse le prince Karim Aga Khan, qui a prononcé un discours inspirant sur le thème du pluralisme. Au cours de son exposé, Son Altesse a parlé du Centre mondial du pluralisme, qui a été mis sur pied en partenariat avec le gouvernement du Canada. Il a expliqué que ce centre est l'une des premières institutions vouées aux questions de la diversité et du pluralisme dans notre monde.

L'Aga Khan a ajouté que le Canada est un endroit tout indiqué pour accueillir cette institution, car celui-ci sait très bien à quel point il est important d'embrasser la différence et est reconnu sur la scène internationale en tant que pays pour lequel la diversité est une force plutôt qu'une faiblesse.

Honorables sénateurs, j'ai appris ici, au Canada, qu'il importe peu qu'on soit Noir ou Blanc, qu'on parle anglais, italien ou pendjabi, et qu'on aille à l'église, à la mosquée ou à la synagogue. Au Canada, le fait d'être différent n'empêche pas de s'épanouir.

Je n'ai jamais été aussi fière d'être Canadienne que vendredi soir dernier. Les propos suivants de l'Aga Khan m'ont particulièrement inspirée :

L'expérience canadienne me fait comprendre que l'identité peut être plurielle. Célébrer une identité ne signifie pas qu'on rejette les autres. On peut tout aussi bien se reconnaître dans une tradition ethnique ou religieuse et éprouver de la fierté pour sa région ou son pays.

Ces mots sont d'un grand réconfort pour moi, qui suis une femme d'origine indienne et de foi musulmane ismaélienne, qui suis née en Afrique, qui ai grandi là-bas, puis qui ai trouvé refuge au Canada. Malgré mon identité complexe, j'ai l'honneur non seulement de me définir comme Canadienne, mais également de pouvoir profiter du privilège de m'adresser à vous aujourd'hui, honorables sénateurs, et de représenter ma collectivité ainsi que ma province, la Colombie-Britannique.

Honorables sénateurs, l'Aga Khan a dit ceci dans son discours :

Le pluralisme est un processus, non un résultat. C'est une mentalité, une façon d'envisager la transformation du monde et sa diversité.

(1340)

Il est important que les Canadiens reconnaissent que, bien que ce soit un honneur d'être le foyer du Centre mondial du pluralisme, cela entraîne également une grande responsabilité. Nous avons maintenant l'obligation de montrer au reste du monde que le fait d'accepter la différence peut aider à créer une meilleure vie pour chacun.

Je félicite la très honorable Adrienne Clarkson et M. John Ralston Saul d'avoir assuré le franc succès du symposium de cette année. Toutefois, je tiens surtout à féliciter l'ensemble des Canadiens d'avoir montré au reste du monde que, comme l'Aga Khan l'a dit dans son discours, « la diversité a la capacité d'inspirer ».

La Semaine de la citoyenneté

L'honorable Yonah Martin : Honorables sénateurs, cette semaine, nous célébrons la Semaine de la citoyenneté du Canada. Notre pays est un lieu unique, non seulement en raison de la beauté de ses attraits naturels, mais aussi de la diversité de ses collectivités et citoyens. Grâce à cette diversité, nous apprenons ce que c'est que d'être Canadien. Ce n'est pas seulement un droit, mais un privilège de dire : « Je suis Canadien. » Certains tiennent peut-être ce privilège pour acquis, mais la plupart des gens sont fiers de détenir un passeport canadien et éprouvent beaucoup de respect pour ce dernier.

Les Canadiens sont reconnus dans le monde entier pour leur tolérance et leur ouverture et le Canada fait figure de modèle de multiculturalisme. Plusieurs Canadiens ont de la famille et des amis dans d'autres pays. Il nous arrive peut-être de voyager et de vivre à l'étranger pendant un certain temps, mais une chose est sûre : il n'y a rien de mieux que d'être chez soi, au Canada.

[Français]

Je suis fière de détenir un passeport canadien et d'être citoyenne de notre grand pays.

[Traduction]

Les gens qui ont eu la chance de naître et d'être élevés au Canada, et qui ont vécu toute leur vie ici, ne se rendent peut-être pas toujours compte de toute la beauté et de la splendeur du Canada. Toutefois, les néo-Canadiens qui sont venus ici pour fuir des régimes tyranniques ou qui, comme mes parents, sont venus au Canada afin de trouver une société plus juste et d'offrir une meilleure vie à leurs enfants, chérissent leur nouveau pays et leur nouvelle citoyenneté. Ils savent que ce privilège s'accompagne de responsabilités et de libertés dont ils ne bénéficiaient pas dans leur pays d'origine.

[Français]

Comment pouvons-nous apprécier le fait d'être Canadiens? Comment pouvons-nous raffermir notre citoyenneté?

[Traduction]

Honorables sénateurs, que pouvons-nous faire cette semaine et à l'avenir? Cette semaine, nous pouvons participer à une cérémonie de la citoyenneté dans notre collectivité ou peut-être organiser une cérémonie de réaffirmation. J'encourage les sénateurs à se procurer une copie du livret intitulé Découvrir le Canada : Les droits et responsabilités liés à la citoyenneté, ou à le lire en ligne, s'ils ne l'ont pas déjà fait. C'est un document utile pour les personnes qui se préparent à devenir des citoyens canadiens, voire pour tous les Canadiens.

Les sénateurs pourraient pratiquer l'hospitalité canadienne en accueillant de nouveaux arrivants ou des visiteurs dans notre pays. Ils pourraient se joindre à un programme d'accueil communautaire, servir de guide local et exprimer ce que signifie pour eux le fait d'être Canadiens. Ce ne sont là que quelques idées.

En participant à cette semaine et en faisant preuve d'ouverture et de générosité, les gens apprendront et comprendront davantage ce que signifie le fait d'être Canadien. Cet événement ne se terminera pas à la fin de la semaine, mais se poursuivra toute l'année. En effet, la citoyenneté canadienne est un privilège et une responsabilité qui durent toute l'année. Cette semaine vise à nous rappeler de ne pas oublier nos droits, nos responsabilités, nos libertés et nos privilèges en tant que Canadiens.

L'enseignement postsecondaire

L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour attirer votre attention sur les préoccupations des étudiants en ce qui concerne l'enseignement postsecondaire au Canada.

Le 6 octobre, j'ai eu le privilège de rencontrer deux représentants de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, Michael Olsen, de la Colombie-Britannique et Katie Haig-Anderson, du Manitoba.

Lors de notre rencontre, les étudiants m'ont parlé du contenu de leur rapport intitulé L'éducation publique pour le bien commun.

Le rapport porte essentiellement sur des questions relatives à l'éducation postsecondaire au Canada, comme l'endettement croissant des étudiants, l'absence d'une stratégie nationale en matière d'éducation et la nécessité pour le gouvernement fédéral de faire preuve d'un leadership fort et de prendre des engagements.

Dans son rapport, la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants présente aussi dans le détail cinq recommandations clés au gouvernement actuel. Ce sont les suivantes : élaborer et mettre en œuvre un plan national pour un système d'éducation postsecondaire d'excellente qualité et financièrement abordable; se donner les moyens d'évaluer les résultats et le succès du plan en augmentant de 10 millions de dollars les fonds octroyés à Statistique Canada pour collecter et analyser les statistiques relatives à l'éducation postsecondaire; réduire la dette des étudiants en augmentant le montant et le nombre de bourses non remboursables offertes aux étudiants et en redirigeant les fonds destinés aux mécanismes de crédit d'impôts et d'épargne relatifs à l'éducation vers le Programme canadien de bourses aux étudiants, et autoriser les étudiants de troisième cycle à recevoir des bourses dans le cadre de ce programme; respecter les obligations qu'a le Canada de financer l'éducation des Autochtones en supprimant le plafond de financement qui existe dans le cadre du Programme de soutien aux étudiants du niveau postsecondaire et en faisant en sorte que tous les étudiants membres des Premières nations ou inuits admissibles bénéficient des fonds nécessaires pour recevoir une éducation postsecondaire; et encourager l'innovation en faisant passer à 3 000 le nombre de bourses accordées dans le cadre du Programme de bourses d'études supérieures du Canada et en répartissant les fonds de manière proportionnelle entre les conseils de recherche en fonction des effectifs.

Honorables sénateurs, je crois que nous devrions vraiment prendre en considération les recommandations de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants afin de renforcer l'éducation postsecondaire au Canada, et ce, afin de répondre aux besoins des étudiants et d'être plus concurrentiels sur la scène mondiale.

Le boycott des produits dérivés du phoque par l'Union européenne

L'honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour attirer votre attention sur les progrès réalisés par les Inuits du Canada dans la foulée de la poursuite qu'ils ont intentée devant un tribunal de l'Union européenne. En août dernier, au moment où le Sénat ne siégeait pas, les Inuits ont salué la décision rendue par la Cour européenne le 19 août, soit la suspension du boycott, qui devait entrer en vigueur le lendemain, sur l'importation des produits du phoque par l'Union européenne.

Honorables sénateurs, les Inuits — une coalition d'Inuits et de défenseurs de la chasse au phoque de la côte Est — s'attaquent à l'Union européenne et ils ont bien l'intention de prouver que le boycott viole les lois européennes, comme le leur ont indiqué leurs conseillers juridiques.

Le 19 août, lorsque le tribunal de l'Union européenne a rendu sa décision, Mary Simon, la chef nationale des Inuits, a dit ceci :

J'espère que le Parlement européen jugera approprié de faire ce qui est juste et de retirer cette loi.

Le boycott européen ne repose pas sur des faits, des mesures législatives ou la raison. Il exploite un mythe et des demi-vérités et il illustre on ne peut mieux l'hypocrisie et le cynisme politiques.

Par la dérogation qu'ils offrent aux Inuits, les fonctionnaires de l'Union européenne tentent de donner bonne conscience aux Européens, sans vraiment tenir compte des réalités socioéconomiques et culturelles des Inuits. La dérogation est basée sur des antécédents et les apparences — une boîte vide.

Je tiens à signaler que le gouvernement du Canada a déjà contesté le boycott en vertu des règles de l'Organisation mondiale du commerce. La poursuite intentée par les Inuits et la contestation du gouvernement fédéral auprès de l'OMC sont tout à fait compatibles et elles sont également complémentaires et positives.

N'oublions pas que l'Union européenne exerce des pressions auprès des États arctiques, dont le Canada, afin de rehausser son influence dans l'Arctique circumpolaire. Selon moi, honorables sénateurs, tant que le Parlement européen jugera approprié d'interdire le commerce des produits du phoque et, ce faisant, de détruire ce qui constitue un mode de vie et un moyen de subsistance pour un grand nombre d'Inuits, le gouvernement du Canada et le Sénat devraient résister aux pressions qu'exerce l'Union européenne pour intervenir dans les affaires de l'Arctique canadien. J'exhorte les sénateurs, les autres parlementaires et le gouvernement du Canada à offrir un appui sans réserve à la position audacieuse des Inuits du Canada.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

La Commission de la santé mentale du Canada

Dépôt du rapport annuel de 2009-2010

L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel de 2009-2010 de la Commission de la santé mentale du Canada, intitulé Sur la bonne voie.

L'étude des responsabilités du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis

Troisième rapport du Comité des peuples autochtones—Dépôt de la réponse du gouvernement

L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, la réponse du gouvernement au troisième rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, intitulé Élections chez les Premières nations : une question de choix fondamental.

(1350)

Projet de loi d'harmonisation no 3 du droit fédéral avec le droit civil

Première lecture

L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) présente le projet de loi S-12, Loi no 3 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Comeau, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)

[Traduction]

L'Association parlementaire canadienne de l'OTAN

La Visite de la Commission des sciences et des technologies, du 3 au 6 mai 2010—Dépôt du rapport

L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation parlementaire canadienne de l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN concernant sa participation à la visite de la Commission des sciences et des technologies, qui a eu lieu à New York, à Norfolk et à Washington, D.C., aux États-Unis, du 3 au 6 mai 2010.

La Session du printemps 2010, tenue du 28 mai au 1er juin 2010—Dépôt du rapport

L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation parlementaire canadienne de l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN concernant sa participation à la session du printemps 2010, qui a eu lieu à Riga, en Lettonie, du 28 mai au 1er juin 2010.

La Commission sur la dimension civile de la sécurité et la sous-commission sur les relations transatlantiques, tenue du 9 au 14 juillet 2010—Dépôt du rapport

L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation parlementaire canadienne de l'Association parlementaire canadienne de l'OTAN concernant sa participation à la Commission sur la dimension civile de la sécurité et à la sous-commission sur les relations transatlantiques, qui a eu lieu au Missouri et à Washington, D.C., aux États-Unis, du 9 au 14 juillet 2010.

[Français]

L'Union interparlementaire

La Conférence parlementaire sur l'Organisation mondiale du commerce, tenue du 24 au 25 juin 2010—Dépôt du rapport

L'honorable Mac Harb : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation canadienne de l'Union interparlementaire concernant sa participation à la 21e session du Comité de pilotage de la Conférence parlementaire sur l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, tenue à Genève, en Suisse, du 24 au 25 juin 2010.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

L'industrie

Le recensement de 2011

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, aujourd'hui, c'est la Journée mondiale de la statistique, proclamée par l'Assemblée générale des Nations Unies pour souligner l'importance des statistiques qui, en permettant aux gouvernements, aux entreprises et aux collectivités de prendre de bonnes décisions et d'élaborer de bonnes politiques pour leurs citoyens, contribuent à façonner la société.

Le secrétaire des Nations Unies dit des statistiques qu'elles sont indispensables au développement économique et social. Or, les Canadiens se retrouvent encore une fois exclus de la communauté internationale. Plutôt que d'appuyer l'utilisation de statistiques fiables pour les Canadiens, le gouvernement Harper a laissé tomber statisticiens et responsables des politiques en prenant la décision insensée d'éliminer le formulaire détaillé de recensement.

De fait, à l'occasion de la Journée mondiale de la statistique, la Société statistique du Canada a mis en ligne une vidéo montrant un simulacre d'enterrement du questionnaire détaillé de recensement.

L'importance des statistiques pour l'élaboration des politiques étant reconnue internationalement, madame le leader admettra-t-elle une fois pour toutes que cette décision n'a pas été prise dans l'intérêt des Canadiens et que ce n'est qu'une mauvaise décision, et conviendra-t-elle de la nécessité de rétablir l'usage du questionnaire détaillé obligatoire pour le recensement?

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Je remercie le sénateur de sa question. Je ne souscris absolument pas à ce qu'il vient de dire. Comme je l'ai signalé au Sénat à plusieurs reprises en répondant à des questions au cours des dernières semaines, Statistique Canada fait de l'excellent travail, recueillant de l'information dans maints domaines. Je pense que cet organisme réalise 80 enquêtes à participation volontaire. Rien ne prouve — bien au contraire — que cette information, du fait qu'elle a été donnée volontairement, est pour une raison ou une autre moins valable.

Nous avons un questionnaire de recensement obligatoire qui sera distribué. Trois questions y ont été ajoutées pour répondre aux exigences de la Loi sur les langues officielles. Rien d'autre n'a changé. Le questionnaire détaillé, contenant le même nombre de questions, sera distribué à des Canadiens.

Il y a deux différences. Le questionnaire sera distribué à plus de répondants et nous demandons aux Canadiens de le remplir dans le but d'obtenir des données compatibles avec les autres données de Statistique Canada. La seule autre différence est que nous leur demandons gentiment de remplir le questionnaire. Tout porte à croire que les Canadiens le rempliront, car nous ne leur demandons pas de le remplir sous la menace de leur envoyer une lettre recommandée, de les harceler, comme mon collègue l'a déclaré il y a quelques minutes, ou de les emprisonner.

Le sénateur Cowan : Statistique Canada, que le leader a mentionné en réponse à ma dernière question, a publié plusieurs avertissements au cours des derniers jours au sujet de la distorsion et des erreurs d'échantillonnage qui résulteraient de ce questionnaire si le gouvernement insistait pour aller de l'avant avec l'abolition du questionnaire détaillé obligatoire de recensement.

La semaine dernière, Statistique Canada avertissait sur son site web que, au lieu d'obtenir un taux de réponse de 94 p. 100, comme ce fut le cas en 2006, il s'attendait à avoir un taux de réponse de 50 p. 100 à la nouvelle Enquête facultative auprès des ménages. Cet ajustement de 94 à 50 p. 100 tient compte de l'augmentation prévue du nombre de répondants, de la taille de l'échantillonnage et des 30 millions de dollars que le gouvernement a engagés pour annoncer sa nouvelle version de l'Enquête auprès des ménages. L'ajustement en tient compte.

Statistique Canada nous dit que cela entraînera un grand risque de ce qu'il appelle un biais de non-réponse, c'est-à-dire une situation où « les résultats ne sont pas représentatifs de la population réelle. »

Il en résultera ce contre quoi les experts mettent le gouvernement en garde depuis des mois, soit que cette nouvelle enquête auprès des ménages produira des données faussées et non fiables ou moins fiables qu'avant. Madame le leader nous a répété, et m'a dit à plusieurs reprises, qu'elle n'a aucun doute que les Canadiens rempliront volontairement le questionnaire, et même que plus de gens répondront qu'en 2006.

Madame le leader est la seule à croire cela. Les experts — les employés de Statistique Canada et les gens qui travaillent pour le compte des gouvernements provinciaux et des administrations municipales, des organisations non gouvernementales et des organismes de bienfaisance partout au pays — n'abondent pas dans le même sens qu'elle. Il est évident qu'ils ne partagent pas sa confiance.

Pour la première fois, Statistique Canada prend le parti des gens qui critiquent la décision prise par le gouvernement, et non celui de madame le leader et de son gouvernement. Admettra-t-elle enfin qu'il y a eu erreur et qu'il faut rétablir le formulaire détaillé de recensement dont nous avons tant besoin?

Le sénateur LeBreton : Je crois profondément que les gens ont droit à leur opinion, mais je ne partage pas le point de vue du sénateur.

(1400)

Je répète — et je crois parler au nom de bien des gens — que je suis persuadée que, lorsque les Canadiens recevront le formulaire de l'Enquête nationale auprès des ménages, ils y répondront de façon honnête et juste, contrairement à l'exemple mentionné par le sénateur ou à ma propre expérience. Je fais pleinement confiance au civisme et aux bonnes intentions de nos concitoyens.

En lisant le journal, ce matin, j'ai vu ce dont parlaient les sénateurs. Faisons confiance au peuple canadien et écoutons ce qu'il a à dire avant de tirer des conclusions hâtives ou d'anticiper des résultats qui ne sont pour l'instant que des suppositions. Je continue de faire confiance aux Canadiens. Je crois qu'ils sont nombreux à appuyer la décision de notre gouvernement, car nous avons agi dans un esprit d'équité et d'équilibre. Je le répète, j'ai pleinement confiance en l'honnêteté et en l'intégrité de mes concitoyens.

Le sénateur Cowan : Honorables sénateurs, poussons la question un peu plus loin. Supposons que Statistique Canada ait raison. Supposons que l'optimisme du leader du gouvernement ne soit pas fondé. Supposons, une fois cet exercice terminé, que le taux de participation ne dépasse pas 94 p.100, comme le prévoit l'honorable sénateur, mais qu'il soit plutôt d'environ 50 p. 100, comme le prévoit Statistique Canada. Que fera alors le leader du gouvernement?

Le sénateur LeBreton : Je fais partie de ceux qui disaient à ses collègues de travail de ne jamais présumer quoi que ce soit. Ceux qui présument ont souvent tort. Je préfère ne pas répondre à une question fondée sur des suppositions.

Visiteur de marque à la tribune

Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de notre éminente ancienne collègue, madame le sénateur Trenholme Counsell.

Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat.

Des voix : Bravo!

[Français]

L'industrie

Le recensement de 2011

L'honorable Marie-P. Poulin : Honorables sénateurs, j'aimerais poursuivre dans la même veine que le sénateur Cowan.

La distinguée leader du gouvernement au Sénat vient de nous dire qu'elle est d'avis que les Canadiens et les Canadiennes rempliront volontairement le long questionnaire soumis par Statistique Canada.

Nous connaissons l'importance de l'information objective, factuelle et à jour pour les hommes et les femmes qui ont de grandes décisions à prendre, décisions qui ont un impact non seulement sur la législation, mais aussi sur les grandes entreprises canadiennes et sur les petites et moyennes entreprises.

J'aimerais savoir ceci : quelle a été la réaction du gouvernement lorsque l'ancien gouverneur de la Banque du Canada, David Dodge, et quatre anciens greffiers du gouvernement du Canada ont exhorté le premier ministre et le gouvernement conservateur à changer d'idée, car cette information est une clé pour l'avenir du pays, son avenir économique, social et culturel?

[Traduction]

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, comme je l'ai déjà indiqué au Sénat, le gouverneur de la Banque du Canada a rencontré l'honorable Tony Clement, le ministre de l'Industrie, qui est persuadé qu'ils peuvent collaborer en ce qui concerne les préoccupations exprimées par le gouverneur de la Banque du Canada.

Je répète et je continuerai à répéter que le gouvernement ne croit pas que les Canadiens devraient être menacés d'amende, d'emprisonnement et de mises en demeure s'ils estiment que ce formulaire constitue une immixtion dans leur vie privée parce que les questions qu'il contient sont trop intrusives. Voilà pourquoi il y aura toujours un long questionnaire détaillé qui s'appellera Enquête nationale auprès des ménages. Ce questionnaire contiendra le même nombre de questions et sera distribué plus largement. Nous estimons qu'il s'agit d'une approche juste et raisonnable pour trouver un meilleur équilibre entre la collecte de renseignements et la protection de la vie privée des Canadiens. Seront également utiles les renseignements recueillis sur le formulaire abrégé, qui sera obligatoire, notamment les questions relatives à la Loi sur les langues officielles. Comme le sénateur l'a indiqué, d'autres organismes et entités comptent sur ces renseignements et ce matériel ainsi que sur des données et du matériel provenant d'autres sources, notamment les 80 ou 90 enquêtes à participation volontaire menées par Statistique Canada.

[Français]

L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, nous avons appris, la semaine dernière, que des questionnaires longs et courts ont été distribués à environ 110 000 foyers en banlieue de Montréal, Québec et Red Deer, en mai 2009. Cet exercice, qui a coûté plus d'un million de dollars, visait à tester le mécanisme du recensement de 2011. En effet, tout était en place un mois seulement avant que le gouvernement conservateur décide d'abandonner le caractère obligatoire du questionnaire long.

Madame le leader du gouvernement au Sénat peut-elle partager avec nous les données et résultats de ce test, qui a coûté plus d'un million de dollars?

[Traduction]

Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, je n'ai pas cette information, comme madame le sénateur le sait fort bien. Le gouvernement estime que le long questionnaire détaillé constituait une immixtion dans la vie privée des Canadiens. On y posait des questions personnelles trop intrusives. Statistique Canada est libre de poser ces questions aux Canadiens, mais le gouvernement est d'avis que les Canadiens devraient y répondre uniquement s'ils le souhaitent, non parce qu'ils sont menacés de représailles par le gouvernement pour avoir refusé de répondre à des questions trop personnelles qu'ils considèrent comme une intrusion dans leur vie privée.

Comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, l'Enquête nationale auprès des ménages comporte le même nombre de questions. Les sénateurs peuvent être rassurés parce qu'ils savent qu'il y a toujours un long questionnaire. La seule différence, c'est que nous faisons confiance aux Canadiens pour ce qui est de remplir les questionnaires correctement. Nous n'exigeons plus qu'ils les remplissent. Comme de nombreux exemples nous ont permis de le constater, les Canadiens utilisaient d'autres moyens pour répondre lorsqu'ils étaient menacés.

[Français]

L'honorable Jean-Claude Rivest : Honorables sénateurs, vous savez que Statistique Canada a des relations depuis toujours avec les bureaux de statistiques des diverses juridictions, entre autres, provinciales et territoriales. Avant de prendre cette décision, que j'estime tout à fait malheureuse, le gouvernement canadien a-t-il consulté les gouvernements provinciaux, qui ont des bureaux de statistiques, pour bien évaluer les conséquences de sa décision, non seulement au niveau fédéral, pour ce qui est de la qualité des recherches et des résultats qui seront obtenus, mais également sur l'ensemble des bureaux de statistiques d'autres juridictions au Canada?

[Traduction]

Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, Statistique Canada est un organisme relevant du gouvernement fédéral et la décision appartient au gouvernement fédéral. Les gens peuvent s'élever contre cette décision, mais le gouvernement est parfaitement dans son droit et a le pouvoir légal de fixer une politique.

L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Est-ce que le gouvernement abolira la peine d'emprisonnement à laquelle s'exposeraient ceux qui ne rempliraient pas le formulaire abrégé?

Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, rien n'a changé au sujet du formulaire abrégé obligatoire de recensement parce qu'il est envoyé à tous les ménages du Canada. Le formulaire long ne sert pas à faire un recensement, il a toujours servi à faire une enquête. Parler de recensement dans ce cas est une impropriété parce que seulement 20 p. 100 environ des ménages canadiens le recevaient.

(1410)

Nous appuyons le formulaire abrégé obligatoire de recensement. Ce qu'on appelait le formulaire détaillé obligatoire était mal nommé; c'était une enquête.

La population canadienne conservera le droit de remplir le formulaire détaillé de recensement, les 60 et quelques pages de questions intrusives sur la vie privée, mais nous demandons aux Canadiens de le faire parce que nous comptons sur eux pour le remplir honnêtement. Nous n'exigeons pas qu'ils le remplissent, comme le faisait le gouvernement précédent.

Le sénateur Cordy : Est-ce que les Canadiens qui ne rempliront pas le formulaire abrégé seront toujours menacés d'une peine d'emprisonnement?

Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, nous n'avons modifié aucune obligation en ce qui concerne le formulaire abrégé de recensement, qu'il est obligatoire de remplir. La question est complètement différente. Le sénateur Greene parlait du formulaire détaillé de recensement. Comme le sait le sénateur, ce sont deux choses complètement différentes.

Le sénateur Comeau : C'est comme l'impôt sur le revenu.

Le sénateur LeBreton : C'est exact. C'est comme l'impôt sur le revenu.

Le formulaire abrégé, qu'il est obligatoire de remplir pour le recensement, est envoyé à tous les ménages. On y recueille des renseignements sur la langue, la croissance de la population et l'origine, qui sont très utiles au gouvernement.

Le sénateur Mitchell : Oh, oh!

Le sénateur LeBreton : Sénateur Mitchell, le formulaire abrégé, qu'il est obligatoire de remplir, permet de faire un recensement. Le formulaire long ne sert pas à faire un recensement, mais une enquête, et nous appelons les choses par leur nom.

[Français]

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, j'aimerais faire une suggestion à madame le leader, qui pourrait être utile et qui respecte tous les droits des individus. Régulièrement, je remplis des questionnaires qui me prennent beaucoup de temps. Je le fais pour m'assurer qu'on achète des produits de bonne qualité. En général, on m'offre des prix.

Quel prix votre gouvernement devrait-il offrir pour que les Canadiens participent de façon volontaire et massive? Je suggérerais un séjour au bord de la piscine que vous avez fait construire lors du sommet du G20, pour s'y promener en bateau ou y passer une fin de semaine avec le leader de l'opposition, mais il faut trouver un incitatif.

Nous devons faire confiance aux Canadiens. Je peux vous dire une chose : c'est un devoir public des Canadiens, ce n'est pas une faveur qu'ils nous font. Ils le font pour les autres citoyens. Je le fais de façon volontaire et je reçois quelquefois des échantillons de savon. Tout cela pour vous dire que le mot « volontaire », que vous utilisez pour parler du choix des gens, signifie que vous ne croyez pas que les Canadiens vont remplir un devoir public qui sert à l'ensemble de la population et qui va nous permettre d'élaborer toutes les politiques des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux.

À partir de là, madame le leader, le recensement court pourrait autant violer la vie privée, il pourrait effectivement forcer l'individu à remplir ce questionnaire. Donc, on n'achète pas cette théorie. J'essaie de vous aider avec votre théorie du volontariat. Est-ce que madame le leader accepterait de trouver un incitatif pour que les volontaires deviennent plus volontaires?

[Traduction]

Le sénateur LeBreton : Madame le sénateur vient de prouver ce que je disais. Le sénateur Hervieux-Payette remplit régulièrement des questionnaires sur une base volontaire. Cela prend bien une libérale pour chercher un incitatif comme motif d'action.

Nous avons tous déjà rempli le questionnaire de recensement abrégé obligatoire, qui permet de recueillir d'importantes données statistiques sur les lieux de résidence de la population canadienne, la croissance démographique, les questions linguistiques, et ainsi de suite. Je ne crois pas que les Canadiens aient besoin d'un incitatif pour remplir un questionnaire. Comme je l'ai dit à maintes reprises, je suis persuadée que les Canadiens rempliront le formulaire d'enquête sur les ménages lorsque celui-ci sera distribué à plus grande échelle. Il contient le même nombre de questions que l'ancien questionnaire de recensement complet obligatoire, lequel n'aurait pas dû s'appeler un recensement.

Le sénateur Hervieux-Payette a prouvé ce que je disais. Les Canadiens sont parfaitement disposés à répondre aux sondages et ils le seront encore plus, j'en suis sûre, si on leur demande gentiment de le faire, au lieu d'exiger qu'ils le fassent.

Les affaires indiennes et le Nord canadien

Les femmes et les jeunes filles autochtones portées disparues et assassinées

L'honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Le 4 mars 2010, le ministre des Finances, Jim Flaherty, annonçait que le gouvernement du Canada s'engageait à investir 10 millions de dollars pour aider à faire face à la crise humanitaire qui sévit au Canada en ce qui concerne les femmes autochtones portées disparues ou assassinées. Honorables sénateurs, sept mois se sont écoulés depuis, et les sénateurs seront sans doute consternés d'apprendre que pas un cent des fonds promis pour venir à bout de ce problème d'envergure nationale n'a été versé. Les familles des femmes autochtones portées disparues attendent toujours, vivant douleur et beaucoup de chagrin. Cela fait beaucoup trop longtemps qu'elles attendent que le gouvernement agisse.

Madame le leader du gouvernement au Sénat peut-elle nous dire quand les fonds promis au chapitre des femmes autochtones portées disparues ou assassinées seront enfin versés, afin que les familles et les collectivités autochtones n'aient plus à souffrir en silence?

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, le sénateur Dyck a tout à fait raison; ces circonstances sont très tristes. C'est pourquoi le budget de 2010 prévoit un investissement de 10 millions de dollars pour s'attaquer à ce problème. Je crois que jamais auparavant un gouvernement n'avait pris un tel engagement; c'est une première.

Le ministre de la Justice a rencontré les responsables de bon nombre de secteurs au pays, y compris ceux des systèmes juridiques des provinces et des territoires, ainsi que des membres d'organismes de sécurité publique et des groupes de policiers, de femmes et d'Autochtones.

Je me ferai un plaisir de demander au ministre de la Justice et au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de nous faire connaître les derniers développements dans ce dossier fort important.

Le sénateur Dyck : Je remercie madame le leader de sa réponse.

Les organisations de femmes autochtones craignent d'être injustement lancées dans une course contre la montre lorsqu'elles recevront finalement les fonds puisque l'exercice financier est commencé depuis sept mois déjà. Elles craignent de devoir remettre au gouvernement les sommes qu'elles n'auront pas dépensées avant la fin du présent exercice.

Madame le leader du gouvernement au Sénat peut-elle nous garantir que les délais seront raisonnables, afin que les organismes et les collectivités puissent continuer de faire leur important travail sans craindre qu'on qu'on les prive de leur financement?

Le sénateur LeBreton : Je tiens à rassurer madame le sénateur en lui disant que ces craintes ne sont nullement justifiées. Tout cela est prévu dans le budget. Le gouvernement respecte ses engagements.

Il est intéressant de constater que le budget a essuyé une forte opposition à l'autre endroit et qu'il a également fallu du temps pour le faire adopter ici également.

Lorsque madame le sénateur Dyck parlera de cette question avec les groupes de femmes autochtones, j'aimerais qu'elle leur fasse savoir que le gouvernement est déterminé à débloquer cet argent pour les aider à résoudre ce grave problème.

Le sénateur Dyck : Le 21 avril dernier, le sénateur Lovelace Nicholas a demandé au leader du gouvernement s'il serait possible d'octroyer des fonds à l'Association des femmes autochtones du Canada pour financer l'initiative les Sœurs par l'esprit, qui mène des recherches sur les femmes autochtones portées disparues ou assassinées. Madame le leader avait alors répondu ce qui suit :

L'approche prudente consiste à utiliser une partie de cette somme dans les collectivités et de collaborer avec nos partenaires autochtones pour résoudre ces dossiers, au lieu de mener une étude sur cette terrible tragédie.

(1420)

En d'autres mots, le leader a déclaré que le gouvernement en avait assez des travaux de recherche et qu'il souhaitait maintenant passer à l'action. Pourtant, sept mois se sont écoulés, et il ne s'est encore rien passé.

Quelles collectivités aidera-t-on en leur versant les fonds promis? En passant, je ne cherche nullement à attiser les craintes au sein de ces organisations; je tente tout simplement d'obtenir des réponses.

Le sénateur LeBreton : Je comprends très bien les intentions de madame le sénateur et je ne les remets absolument pas en question, car elle travaille extrêmement fort sur ces problèmes graves.

Ce que j'ai dit au sénateur Lovelace Nicholas tient toujours. Je conviens qu'un problème ne peut être étudié éternellement. Il faut que des fonds soient dépensés pour qu'on parvienne à régler certains des problèmes cernés.

Dans ma dernière réponse, je me suis engagée auprès du sénateur à obtenir des renseignements à jour, car je sais que mes collègues travaillent à ce grave problème sur plusieurs fronts. J'ai indiqué au sénateur Dyck que je serais heureuse de faire le point au sujet des mesures qui ont été prises dans les diverses collectivités et de ce que les provinces et les territoires se sont engagés à faire. Je lui communiquerai cette mise à jour sous forme de réponse écrite.

[Français]

La condition féminine

La violence faite aux femmes

L'honorable Rose-Marie Losier-Cool : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Il y a des statistiques qui nous dérangent tous et toutes. Il ne se passe pas une semaine sans que les médias nous donnent des exemples de violence à l'endroit des femmes : des viols, de la violence conjugale, des meurtres, des histoires macabres.

Pourtant, le 25 novembre 2008, l'autre endroit a adopté, à l'unanimité, une motion visant l'élaboration d'une stratégie de prévention de la violence envers les femmes.

Madame le leader pourrait-elle nous dire si son gouvernement a respecté cette motion et élaboré cette stratégie?

[Traduction]

L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, il est évident que la violence envers les femmes ne devrait jamais être tolérée. Comme je l'ai dit en réponse à la question précédente, tout ce que je peux dire, c'est que le gouvernement, en augmentant le financement destiné à la lutte contre la violence envers les femmes dans les collectivités autochtones, a augmenté d'une proportion considérable les sommes accordées par Condition féminine Canada, sommes qui sont réparties dans les collectivités.

De toute évidence, à la lumière des nouvelles que nous avons entendues depuis un certain temps, aucune personne sensée n'affirmerait ne pas appuyer toutes les mesures possibles pour mettre fin au fléau qu'est la violence contre les femmes.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune des participants au huitième Colloque parlementaire canadien.

Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


ORDRE DU JOUR

Projet de loi concernant la sélection des sénateurs

Deuxième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Brown, appuyée par l'honorable sénateur Runciman, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-8, Loi concernant la sélection des sénateurs.

L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, au cours des quatre dernières années, le gouvernement a présenté, au Sénat et à l'autre endroit, quatre projets de loi distincts sur la réforme du Sénat portant soit sur la durée du mandat des sénateurs, soit sur l'élection de ceux-ci : les projets de loi S-4 et C-43 en 2006; le projet de loi C-19 en 2007; et le projet de loi S-7 en 2009. Toutes ces mesures sont mortes au Feuilleton.

Un cinquième projet de loi sur le mandat des sénateurs, le projet de loi C-10, a été présenté à la Chambre des communes le 29 mars et en est actuellement à l'étape de la deuxième lecture à cet endroit. Et voilà qu'une sixième mesure, le projet de loi S-8, a été présentée au Sénat le 27 avril et propose un mécanisme afin d'élire les sénateurs. La constitutionnalité de ces six projets de loi, à la lumière de l'article 44 de la Constitution, a été remise en question par d'importants groupes de constitutionnalistes et d'universitaires se spécialisant en la matière dans l'ensemble du pays.

Au moins quatre provinces — l'Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador — ont envoyé au Sénat de longs mémoires à l'appui de leur position commune, à savoir que toute modification qui changerait la nature fondamentale du Sénat et menacerait l'indépendance de son rôle de Chambre de second examen objectif des mesures législatives présentées au Parlement constitue en fait une modification constitutionnelle qui nécessite l'approbation officielle des provinces conformément à la formule 7/ 50, comme on l'appelle.

Compte tenu de ce témoignage éloquent, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a recommandé, dans le cas du projet de loi S-4, en 2007, que la question soit renvoyée à la Cour suprême pour que celle-ci détermine le droit constitutionnel du Parlement du Canada à l'égard d'une modification de cette envergure. Le gouvernement a refusé d'aller de l'avant. Pourtant, il a décidé récemment de renvoyer à la Cour suprême la question relative à sa capacité de créer une commission pancanadienne des valeurs mobilières, en raison de l'opposition sans équivoque du Québec et de l'Alberta et des réserves du Manitoba et de la Colombie-Britannique dans ce dossier. Le gouvernement semble trouver qu'il est important, voire essentiel, de clarifier la question des compétences en ce qui concerne la stabilité du marché des valeurs mobilières, mais il ne croit pas qu'il y a lieu de garantir que le processus législatif dans lequel le Sénat joue un rôle à part entière, un rôle essentiel, soit bien suivi. La question n'est pas futile. Si on modifiait le rôle du Sénat sans suivre le processus juridique approprié, toute loi qu'adopterait ce nouveau Sénat serait nulle et non avenue. Ce n'est pas rien.

Le gouvernement du Canada a choisi de présenter ce projet de loi sans étude approfondie ni réflexion. Chacun des projets de loi présentés successivement par le gouvernement du Canada a fait l'objet d'amendements ne s'appuyant sur aucun document explicatif qui aurait été la preuve d'une réflexion convaincante sur le rôle du Parlement et de ses éléments.

Le projet de loi S-8, dont nous sommes saisis, est une créature législative étrange, pour ne pas dire bizarre. À mon avis, le projet de loi S-8 est totalement ultra vires et invalide pour au moins trois raisons.

Premièrement, le projet de loi S-8 va à l'encontre de l'article 42 de la Constitution, qui précise que « le mode de sélection des sénateurs » est assujetti à la formule de modification 7/50. Autrement dit, le Parlement du Canada ne peut pas, à lui seul, adopter des changements qui touchent « le mode de sélection des sénateurs ».

Le deuxième motif d'invalidité relève du principe constitutionnel établi selon lequel le Parlement fédéral ne peut pas déléguer de pouvoirs aux provinces. Chaque gouvernement est souverain pour ce qui relève de sa compétence. En fait, ce principe est l'un des fondements de notre structure gouvernementale fédérale.

Le troisième motif d'invalidité tient au fait que l'assemblée législative d'une province ne peut pas usurper des pouvoirs qu'elle n'a pas, ou adopter des lois dans un domaine qui ne relève pas de sa compétence. Autrement dit, une assemblée législative ne peut pas agir dans des domaines qui relèvent clairement de la compétence du gouvernement fédéral ou du Parlement.

Chacun de ces trois motifs d'invalidité est majeur, et chacun d'eux exige des explications plus approfondies.

La première objection, c'est que le projet de loi S-8 vise à modifier « le mode de sélection des sénateurs » dans le cadre d'élections provinciales. Le projet de loi S-8 ne propose pas, comme le faisait son prédécesseur, le projet de loi C-43, que les sénateurs soient choisis après des élections fédérales, sous la surveillance et la responsabilité du directeur général des élections, en respectant des règles de financement semblables à celles qui s'appliquent à l'élection des députés. Au lieu de miser sur une procédure électorale fédérale, le projet de loi S-8 a inversé les règles. Toute la procédure électorale relèverait maintenant de l'assemblée législative provinciale et du lieutenant-gouverneur.

Le projet de loi S-8 contient un préambule de trois paragraphes et trois autres courtes dispositions qui ont trait au gouvernement fédéral. Cela ne fait pas plus d'une page. La plus grande partie de ses 51 articles décrit la procédure électorale que les provinces devraient adopter pour l'élection des candidats aux sièges du Sénat. Ces dispositions sont intitulées « Cadre du processus de sélection des sénateurs ».

(1430)

Or, avant d'étudier en détail le cadre qui régirait l'élection des sénateurs, on doit d'abord se demander si le Parlement a le pouvoir d'adopter un cadre comme celui-là, qui mènerait à l'élection des sénateurs.

La Constitution donne une réponse claire à cette question, tout comme la Cour suprême dans sa décision de 1979, mieux connue sous le nom de Renvoi sur le Sénat.

Honorables sénateurs, il est clairement énoncé à l'article 42 de la Constitution que les pouvoirs du Sénat et le mode de sélection des sénateurs ne peuvent être modifiés qu'en appliquant la formule dite du 7/50.

Le titre du projet de loi S-8 est on ne peut plus clair, en français : « Loi concernant la sélection des sénateurs », comme en anglais : « An Act respecting the selection of senators ».

On ne cherche d'ailleurs pas à cacher l'objet du projet de loi, qui est de remplacer le processus de sélection des sénateurs. Comme le précise le sommaire, le projet de loi « [...] établit le cadre de l'élection des candidats sénatoriaux [...] ». Si le projet de loi était adopté, le premier ministre serait en fait tenu de prendre en compte les candidats élus. Voici exactement ce que dit le sommaire :

[...] le premier ministre serait tenu, lors de la recommandation de candidats sénatoriaux [...], de prendre en compte des noms figurant sur la liste des candidats présentée par le gouvernement de la province ou du territoire [...]

Le dernier article de l'introduction, l'article 3, va encore plus loin :

[...] le premier ministre tient compte [...] des personnes dont le nom figure sur la plus récente liste des candidats sénatoriaux choisis pour cette province [...]

Le premier ministre ne pourrait pas décider de faire fi de cette liste et choisir qui lui plaît. Aux termes du projet de loi S-8, si le cadre électoral qui y est prévu est appliqué par une province ou un territoire donné, le premier ministre devra se conformer à l'obligation que lui confère la loi et prendre en compte les noms figurant sur la liste fournie par la province ou le territoire en question. Les tribunaux ont déjà défini la façon dont les lois expriment l'obligation. Si les mesures figurant dans une loi donnée sont suivies à la lettre, l'obligation qui s'ensuit est exécutoire. De l'avis des tribunaux, l'obligation peut prendre la forme d'un commandement, d'un devoir, d'une nécessité ou d'une inévitabilité.

Il ne fait aucun doute que le projet de loi S-8 s'éloigne radicalement des façons de faire actuelles, selon lesquelles le premier ministre décide seul des noms qu'il soumettra au gouverneur général, pourvu que les conditions d'admissibilité énumérées dans la Constitution soient remplies. Personne ne songerait à contester ce fait.

L'objet du projet de loi est défini comme suit dans son premier « attendu », que je cite :

Attendu :

qu'en 1987 les premiers ministres du Canada ont convenu, à titre de mesure provisoire jusqu'à ce que la réforme du Sénat soit réalisée, que les sièges vacants au Sénat soient comblés au moyen d'une liste de candidats sénatoriaux présentée par le gouvernement de la province ou du territoire visés.

Le libellé de cette disposition préambulaire a une histoire constitutionnelle bien connue. Il découle en effet de l'échec de l'Accord du lac Meech de juin 1987. Comme tous les sénateurs le savent, deux gouvernements provinciaux n'ont pas adopté l'accord dans leur assemblée législative dans le délai prescrit de trois ans. Malgré les efforts sincères de ses partisans, l'accord a finalement avorté lorsque le Manitoba et Terre-Neuve ont refusé d'y adhérer. Le paragraphe 4 de l'Accord du lac Meech proposait notamment que, pendant la période intérimaire de trois ans, de 1987 à 1990, pour combler les sièges vacants au Sénat, le premier ministre choisisse parmi les candidatures proposées par le gouvernement de la province à représenter à condition, et cette condition est incontournable, qu'elles soient agrées par le Conseil privé de la Reine pour le Canada.

Encore une fois, tous les sénateurs savent que l'Accord du lac Meech a avorté le 23 juin 1990 et qu'il n'a jamais été proclamé en tant que nouvelle constitution. Il n'a ni valeur ni conséquence en droit.

Le premier ministre de l'Alberta de l'époque, Don Getty, l'a reconnu avec tristesse dans une déclaration officielle qu'il a prononcée le 25 juin 1990 : « Les gains importants que nous aurions réalisés grâce à l'Accord du lac Meech se sont volatilisés et c'est une perte énorme pour cette province. » Il ajoutait, au sujet de la réforme du Sénat : « Nous ne disposons ni des outils ni de l'engagement nécessaires. »

Deux ans plus tard, le gouvernement fédéral a proposé par voie de référendum national un nouvel accord à tous les Canadiens, l'Accord de Charlottetown. Celui-ci prévoyait un Sénat élu et égal et, aux termes des articles 7 et 8 :

que les sénateurs soient élus, soit par la population [...], soit par les députés des assemblées législatives des provinces et territoires;

il conviendrait que les élections au Sénat soient régies par la législation fédérale;

les élections au Sénat devraient avoir lieu le plus tôt possible [...] au même moment que les prochaines élections à la Chambre des communes.

Cependant, l'Accord de Charlottetown a avorté, du fait que six provinces ont refusé d'y adhérer. Même l'Alberta, qui voulait absolument réformer le Sénat, a voté à 60,2 p. 100 contre l'accord, tout comme trois des autres provinces de l'Ouest. C'est en Colombie-Britannique que l'opposition était la plus forte, à 68,3 p. 100. Par conséquent, comme l'Accord du lac Meech, l'Accord de Charlottetown a avorté et ne possède ni valeur ni conséquence en droit.

Revenons au projet de loi S-8. Que prévoit le premier paragraphe du préambule? Il dispose notamment :

[...] que les sièges vacants au Sénat soient comblés au moyen d'une liste de candidats sénatoriaux présentée par le gouvernement de la province ou du territoire visés;

Le deuxième paragraphe établit que les personnes dont la candidature est proposée par le gouvernement provincial soient choisies par voie d'une élection démocratique.

Autrement dit, le premier paragraphe du préambule du projet de loi S-8 réaffirme le principe de l'Accord du lac Meech et le second, le principe de l'Accord de Charlottetown.

L'intention de ce projet de loi est claire. Il repose sur les mêmes principes constitutionnels que les modifications contenues dans les Accords du lac Meech et de Charlottetown. Les deux premiers paragraphes du préambule mettent en lumière la compréhension de l'obligation imposée par l'article 3 du préambule, qui dispose que le premier ministre doit tenir compte des personnes dont le nom figure sur la plus récente liste de candidats choisis dans le cadre d'une élection dans la province ou le territoire visé.

Peut-on conclure alors que le principe qui sous-tend le projet de loi S-8 est identique en substance à celui des modifications envisagées dans les accords constitutionnels de 1987 et de 1992 et qu'il constitue, en fait, un changement fondamental dans le mode de sélection des sénateurs?

Quelle opinion la Cour suprême a-t-elle exprimée au sujet de ces changements? L'analyse des changements contenus dans le projet de loi S-8 a fait l'objet d'un arrêt de la Cour suprême du Canada concernant le renvoi de 1979 relatif au Sénat. À la suite de la contestation par certaines provinces de la capacité du Parlement du Canada de mettre en œuvre les changements prévus dans le projet de loi C-60, le gouvernement du Canada de l'époque a posé la question suivante à la Cour suprême :

Ressort-il de la compétence législative du Parlement du Canada de promulguer des lois visant à modifier les dispositions relatives à la Chambre haute du Parlement, notamment à modifier le processus de nomination des membres de cette Chambre, en prévoyant l'élection directe, par la population, d'une partie ou de la totalité des membres de la Chambre haute?

Voici une partie de la réponse unanime de la Cour suprême à cette question :

Le choix de sénateurs par une législature provinciale ou par le lieutenant-gouverneur d'une province impliquerait une participation indirecte des provinces à l'adoption des lois fédérales [...]

La cour a déclaré ceci :

La substitution d'un système d'élection à un système de nomination implique un changement radical dans la nature d'un des organes du Parlement. Comme on l'a vu, le préambule de l'Acte parle d'«une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni», où la Chambre haute n'est pas élective. En créant le Sénat de la manière prévue à l'Acte, il est évident qu'on voulait en faire un organisme tout à fait indépendant qui pourrait revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des Communes. On y est arrivé en disposant que les membres du Sénat seraient nommés à vie. Si l'on faisait du Sénat un organisme entièrement ou partiellement électif, on en modifierait un trait fondamental.

La Cour suprême a été claire. La nomination des sénateurs, qui est actuellement une fonction du gouverneur général. La nomination de quelques sénateurs choisis par un autre organisme, par exemple, un lieutenant gouverneur en conseil, ou choisis à l'issue d'élections publiques, n'est pas la pérogative du Parlement fédéral. D'où l'ajout, en 1982, de l'alinéa 42e) à la nouvelle Constitution, où il est dit que « le mode de sélection des sénateurs », le Parlement fédéral n'agit pas unilatéralement.

Puisque les modifications proposées dans le projet de loi S-8 ont à toutes fins utiles le même caractère qu'une modification constitutionnelle, elles ne peuvent pas être promulguées par le Parlement agissant seul aux termes de l'article 4 de la Constitution. Ces modifications sont visées par l'article 42 et nécessitent l'approbation de sept provinces totalisant 50 p. 100 de la population du Canada. Si le gouvernement veut modifier ainsi la Constitution, il n'a qu'une possibilité et ce n'est pas le projet de loi S-8. Il doit présenter une résolution constitutionnelle formelle à la Chambre des communes ou au Sénat et demander l'approbation des provinces, comme le prévoit l'article 38 de la Constitution.

Notre conclusion sur l'inconstitutionnalité du projet de loi est claire. Par le fond et la forme, le projet de loi S-8 est ultra vires et outrepasse les pouvoirs du Parlement fédéral.

La deuxième raison qui fait que le projet de loi S-8 est constitutionnellement invalide tient au principe constitutionnel reconnu depuis longtemps dans notre système fédéral et selon lequel le Parlement ne peut pas déléguer ses responsabilités à l'assemblée législative d'une province.

Quel est l'objectif du projet de loi S-8? Ce projet de loi n'établit pas un processus de sélection des sénateurs dans un processus contrôlé par le Parlement fédéral comme celui qui était proposé dans le projet de loi C-43, présenté en 2006.

(1440)

Le défaut fondamental du projet de loi S-8 est que celui-ci n'est pas un projet de loi fédéral prévoyant un processus fédéral relevant d'autorités fédérales. Le projet de loi S-8 vise à établir un cadre à l'intention des assemblées législatives des provinces et des territoires. Autrement dit, le Parlement fédéral se sert de son pouvoir législatif pour promulguer une loi provinciale. Le troisième paragraphe du préambule explique cet objectif :

[...] qu'il est indiqué d'établir un cadre pour guider les provinces et les territoires en ce qui touche la législation régissant la tenue de ces élections,

Il n'y a rien de caché ou de furtif quant au sens de l'objectif. Le Parlement fédéral a l'intention d'adopter une loi qui définit clairement, jusque dans les moindres détails, le genre de loi que les assemblées législatives provinciales et territoriales doivent adopter en ce qui concerne l'élection des sénateurs. Pareil transfert de responsabilité du fédéral aux assemblées législatives provinciales est inconstitutionnel, comme les tribunaux le soutiennent depuis plus de 130 ans.

L'arrêt faisant autorité à ce sujet est l'arrêt Lord Nelson Hotel, affaire sur laquelle la Cour suprême a statué en 1950. Les points en litige dans cette affaire célèbre sont analogues aux questions en cause dans le projet de loi S-8. Le Parlement du Canada avait ensuite promulgué une loi habilitant l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse à adopter des mesures législatives concernant des questions dont la responsabilité ne lui avait pas été attribués. La Cour suprême a clairement affirmé ceci :

Le Parlement du Canada et les parlements des provinces sont souverains dans leur sphère telle que définie par [...]

— la Constitution —

Ils peuvent seulement exercer les pouvoirs législatifs respectifs qui leur ont été conférés par les articles 91 et 92 de l'Acte, et ces pouvoirs doivent être présents dans ces sections [...] En vertu de [...]

— la Constitution —,

il devait y avoir [...] des compartiments étanches comme composante essentielle de la structure originale.

Cette interprétation de la compétence exclusive de chacun des ordres de gouvernement, que ce soit le fédéral ou le provincial, est presque aussi vieille que notre fédération. En 1880, le juge Taschereau a statué, dans l'affaire Citizen's Insurance Co. v. Parsons, ce qui suit :

[...] le Parlement fédéral ne peut [...] accorder aux assemblées législatives locales, que ce soit de façon explicite ou implicite, un pouvoir que la Loi impériale ne leur accorde pas. C'est clair, et cette cour en a toujours jugé ainsi [...]

En 1899, dans l'affaire C.P.R. c. Notre Dame de Bonsecours, la cour a déclaré ceci :

Je crois qu'il faut se débarrasser de l'idée que l'une ou l'autre partie puisse étendre le champ de compétence de l'autre ou lui céder le sien.

Dans l'affaire Lord Nelson, le juge Kerwin a déclaré ceci :

La Constitution répartit les compétences législatives du Parlement du Canada et des provinces et il est impossible que ces entités s'entendent au sujet d'une répartition différente [...] Permettre une telle entente reviendrait à introduire dans la loi un pouvoir qui n'est certainement pas mentionné et dont on ne saurait supposer qu'il existe.

Le projet de loi S-8 vise à transférer aux provinces et aux lieutenants-gouverneurs la responsabilité d'élire les candidats sénatoriaux, leur confiant ainsi l'entière responsabilité de la supervision et du financement du processus.

Le projet de loi S-8 prévoit « la législation régissant la tenue de ces élections ». C'est ainsi qu'est libellé le projet de loi. Cette technique de délégation de pouvoirs législatifs porte atteinte aux fondements mêmes de notre structure fédérale de gouvernement. Les tribunaux ont compris depuis longtemps qu'une telle approche entraînerait l'élimination de la répartition des pouvoirs entre les deux ordres d'autorité législative :

Car s'il fait partie des pouvoirs du Parlement et des assemblées législatives de s'attribuer par consentement un pouvoir législatif qu'ils ne possèdent pas autrement, [...] les mêmes pouvoirs existeraient naturellement pour adopter des lois visant tous les domaines énumérés aux articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

Le juge Taschereau a ajouté ceci :

C'est un principe de droit bien établi que la compétence ne peut être conférée par consentement.

Autrement dit, le projet de loi S-8 propose une « législation » régissant l'élection des candidats sénatoriaux que les provinces devront promulguer même si ce principe est contraire à l'interprétation de longue date des cours selon laquelle chaque ordre de gouvernement est tenu de respecter les limites de ses domaines de compétence exclusifs, conformément aux articles 91 et 92.

Dans l'ouvrage intitulé The Law of the Canadian Constitution, troisième édition, l'éminent constitutionnaliste W.H.P. Clement souligne ceci :

Les lois provinciales qui, ex hypothesi, doivent s'appuyer sur des lois fédérales, ne sont pas des lois du tout.

Le corollaire est également vrai, comme le juge Taschereau l'a conclu dans l'affaire Parsons :

Les pouvoirs de l'autorité fédérale ne peuvent dépendre dans une telle proportion du consentement et de la bonne volonté des autorités provinciales.

Autrement dit, le Parlement fédéral ne peut déléguer son pouvoir législatif à l'assemblée législative provinciale, même si cette dernière acceptait d'adopter le « texte législatif », tout comme le Parlement fédéral ne peut dépendre du consentement et de la bonne volonté des autorités provinciales pour combler les sièges du Sénat de la façon qu'il juge appropriée.

Toutefois, le projet de loi S-8 va plus loin. Il propose de faire élire les personnes nommées en vertu de la compétence législative des provinces. Il faut toutefois se demander ceci : le Parlement fédéral a-t-il le pouvoir de légiférer à l'égard de l'établissement d'un processus électoral visant à choisir les candidats sénatoriaux? Comme je l'ai souligné précédemment, une telle proposition équivaut à un changement fondamental dans la méthode de sélection des sénateurs et elle dépasse clairement les pouvoirs du Parlement fédéral.

L'astuce est donc la suivante. Si le Parlement fédéral ne peut décider par lui-même de mettre sur pied un tel stratagème électoral, ne peut-il pas confier aux provinces le mandat de le faire en offrant de nommer les candidats élus dans le cadre d'un processus que le Parlement fédéral tente de mettre sur pied par le projet de loi S-8? Ce stratagème est comme un jeu de gobelet dans lequel on cache un pois sous différents gobelets. C'est le même principe qui sous-tend le projet de loi S-8.

Le Parlement fédéral ne peut pas forcer ou inviter les provinces à agir en son nom ou à ses fins alors que la Constitution ne l'autorise pas à le faire directement. Les tribunaux se sont déjà penchés sur ce dispositif et ils l'ont rejeté.

En 1936, la Cour d'appel du Manitoba a soutenu ceci :

Ni le Dominion, ni la province ne peut déléguer à l'autre partie des pouvoirs que ni l'un ni l'autre ne détient précisément en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

Autrement dit, le Parlement fédéral ne peut légiférer sur un tel programme visant l'élection de sénateurs et il ne peut confier cette tâche aux assemblées législatives provinciales ou les inciter à le faire en s'engageant à nommer les candidats qu'elles auront élus selon un processus électoral que le Parlement fédéral aura déjà défini et que les provinces devront par la suite édicter.

Le projet de loi S-8 établit une procédure électorale que les provinces devront adopter. D'un point de vue législatif, cette mesure s'appuie sur des fondements étranges. Le Parlement fédéral, qui représente la reine qui agit suivant l'avis du Sénat et de la Chambre des communes, promulguerait un texte de loi prévoyant une loi à l'intention des provinces et des territoires, celle-ci devant ensuite être adoptée par un autre pouvoir législatif ayant une existence constitutionnelle distincte, soit le lieutenant-gouverneur, avec le consentement de l'assemblée législative.

Avec un tel stratagème, une loi fédérale devient une loi provinciale, et elle est adoptée par un pouvoir législatif différent. Dans l'affaire Nelson, la cour a été catégorique à cet égard :

L'exercice de la délégation d'un État à un autre serait une incongruité

...dans l'organisation fédérale...

car les lois adoptées par un État doivent être les siennes et non celles d'un autre.

Autrement dit, la délégation de responsabilités suppose que celui qui délègue est capable de déléguer et que celui à qui l'on délègue est capable d'accepter. La Cour suprême a clairement et absolument affirmé que le Parlement fédéral ne peut pas déléguer une responsabilité législative à une assemblée législative provinciale, pas davantage que celle-ci ne pourrait accepter la délégation de ce pouvoir législatif. Cette jurisprudence canadienne étaye pleinement le deuxième motif d'invalidité constitutionnelle du projet de loi S-8.

La troisième objection constitutionnelle que j'oppose au projet de loi S-8, c'est que l'assemblée législative d'une province ne peut pas adopter une loi relevant d'un domaine de compétence qui ne lui est pas clairement attribué ou qui est précisé dans l'un ou l'autre des paragraphes de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. En clair, sans modification officielle de la Constitution, les assemblées législatives provinciales n'ont pas le pouvoir d'adopter une loi établissant la formule électorale pour l'élection des candidats au poste de sénateur.

Je veux être bien clair. La loi albertaine sur la sélection des sénateurs, adoptée pour la première fois en 1989 et modifiée en 2000, et le projet de loi 60 de la Saskatchewan, dont l'objectif était semblable et qui a été adopté en 2009 mais n'a pas encore été promulgué, n'ont aucune validité constitutionnelle, parce qu'ils sont ultra vires dans le contexte des pouvoirs des assemblées législatives provinciales.

Le projet de loi S-8 s'appuie sur le fait que l'Assemblée législative de l'Alberta a promulgué une loi concernant l'élection des sénateurs en 1989, en vue de combler un siège vacant pour cette province. Une fois élus, les candidats choisis en vertu de cette loi deviennent des sénateurs en puissance.

La loi albertaine tire ses racines de l'Accord du lac Meech de 1987. Souvenons-nous qu'au moment de sa signature, il a été précisé que, jusqu'à l'entrée en vigueur de l'accord trois ans plus tard, c'est-à-dire jusqu'à son incorporation dans la Constitution du Canada, le gouvernement d'une province pouvait proposer les personnes qui combleraient les sièges vacants, et les personnes nommées seraient choisies parmi celles qui auraient été proposées.

Les provinces ne sont donc pas obligées de proposer qui que ce soit. Cependant, après avoir été proposée, la personne à nommer serait recommandée au gouverneur général, à condition d'avoir été « agréée par le Conseil privé de la Reine pour le Canada ».

C'est tiré du paragraphe 4 de l'Accord du lac Meech. Il n'est nullement question d'élire les personnes susceptibles de combler les sièges vacants, et aux termes de l'accord, il revient toujours au Conseil privé de la Reine de décider si la personne est acceptable. L'accord ne mentionne aucun critère permettant de déterminer si quelqu'un est acceptable. C'est entièrement laissé au bon jugement du Conseil privé de la Reine. Cet article de l'Accord du lac Meech était censé entrer en vigueur durant la période de ratification de trois ans prenant fin le 23 juin 1990.

(1450)

Avant que l'accord n'entre en vigueur, le gouvernement de l'Alberta de l'époque a présenté un projet de loi intitulé « Senatorial Selection Act », ou Loi sur la sélection des sénateurs, qui a été adopté en août 1989, un an avant que l'Accord du lac Meech devienne caduc. La loi de l'Alberta contenait trois dispositions préambulaires, qui indiquent l'objet général de la mesure législative.

La première disposition rappelle la position de l'Alberta relativement au Sénat triple E.

La deuxième disposition mentionne expressément l'Accord du lac Meech et la possibilité pour le gouvernement provincial de soumettre le nom de personnes pour combler les sièges vacants. Toutefois, il convient de souligner que le pouvoir discrétionnaire donné au Conseil privé de la Reine dans l'accord a été omis dans cette disposition. Il n'est mentionné nulle part dans la loi de l'Alberta.

La troisième disposition va bien au-delà du texte de l'Accord du lac Meech en prévoyant l'élection des sénateurs, laquelle n'est même pas mentionnée dans le texte de l'Accord du lac Meech.

La loi de l'Alberta établit ensuite un mode d'élection des sénateurs parmi les candidats sous la responsabilité exclusive de l'assemblée législative provinciale. Ces dispositions ont été reprises dans le nouveau projet loi de l'Alberta, qui a été adopté en 2000 et, dans la Senate Nominee Election Act de la Saskatchewan, ou Loi sur l'élection des candidats au Sénat, qui a été adoptée en 2009, mais qui n'a pas encore été promulguée. On retrouve le même objet dans les deux premières dispositions préambulaires de ces lois.

Comme le montre le contexte historique de ces deux lois, il n'y a jamais eu dans l'Accord du lac Meech d'engagement à transférer à l'assemblée législative provinciale la responsabilité de veiller à l'élection des sénateurs. Il en a peut-être été question, mais le texte de l'accord ne mentionne nulle part une telle modification constitutionnelle. Qui plus est, l'engagement du gouvernement fédéral à nommer au Sénat des personnes dont le nom aurait été proposé par les gouvernements provinciaux n'a duré que les trois années du délai de ratification de l'accord, jusqu'à ce qu'il tombe à l'eau en juin 1990.

Après juin 1990, aucun gouvernement provincial ne pouvait alléguer s'attendre à ce que les personnes qu'il proposerait devraient être nommées. Il aurait beau s'objecter publiquement, multiplier les déclarations, faire du lobbying ou exercer d'autres formes de pressions, de telles allégations étaient dénuées de tout fondement juridique.

En outre, la Senatorial Selection Act, ou Loi sur la sélection des sénateurs, adoptée en Alberta en 1989 et en Saskatchewan en 2009, ne trouvait aucun fondement juridique dans l'Accord du lac Meech et n'avait donc aucun effet.

La preuve en est qu'il a fallu tout renégocier dans l'Accord de Charlottetown de 1992, mais cet accord a aussi été rejeté par une majorité de Canadiens lors d'un référendum national tenu le 26 octobre 1992, y compris en Alberta par 60,2 p. 100 des voix, et en Saskatchewan, par 55,3 p. 100 des voix. Tout engagement que le gouvernement fédéral aurait pu prendre dans ces deux accords a été frappé de nullité et n'a aucune valeur juridique.

Posons-nous une autre question : comme l'échec de ces deux accords a fait en sorte qu'aucun pouvoir constitutionnel n'a été transféré aux provinces, l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 leur confère-t-il le pouvoir d'adopter des lois régissant l'élection de candidats sénatoriaux? Nous voici au cœur du débat.

Posons la question plus simplement. En rédigeant l'article 92, les Pères de la Confédération souhaitaient-ils donner aux provinces le pouvoir d'adopter des lois régissant l'élection des sénateurs? Parmi tous ceux et celles qui s'intéressent le moindrement au débat constitutionnel, je suis convaincu que personne n'irait remettre en doute l'intention des Pères de la Confédération quant à la nature du Sénat. Voulaient-ils d'un Sénat nommé ou élu? La réponse à cette question ne fait pas l'ombre d'un doute. Les Pères de la Confédération voulaient que les sénateurs soient nommés, pas élus. En fait, il a été décidé en 1856, c'est-à-dire bien avant la Confédération, que les membres de notre prédécesseur institutionnel, le Conseil législatif du Parlement du Canada-Uni, seraient élus. Les problèmes qui ont éclaté entre les deux Chambres élues étaient bien connus des Pères de la Confédération. Ils ne voulaient pas qu'un tel système perdure au sein du nouveau Parlement fédéral.

Les Pères de la Confédération auraient-ils été imprudents et négligents au point de permettre aux provinces de rétablir un Sénat élu par voie détournée?

La Cour suprême s'est penchée sur la nature du Sénat et son caractère essentiel en tant qu'assemblée nommée. Dans le renvoi sur le Sénat de 1979, la Cour suprême a statué ce qui suit :

En créant le Sénat de la manière prévue à l'Acte, il est évident qu'on voulait en faire un organisme tout à fait indépendant qui pourrait revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des Communes. On y est arrivé en disposant que les membres du Sénat seraient nommés.

Compte tenu de l'intention des Pères de la Confédération et de ce que la Cour suprême a statué au sujet du Sénat nommé, est-ce que l'une des catégories prévues à l'article 92 de la Loi constitutionnelle accorde aux provinces le pouvoir législatif d'adopter des mécanismes d'élection permettant d'élire des candidats pour occuper un siège au Sénat? Eu égard aux 18 catégories de l'article 92 et à leur incidence sur les décisions rendues par les tribunaux, les provinces n'ont pas la moindre autorité pour adopter une telle mesure législative.

Il est impossible qu'une province exerce un pouvoir constitutionnel sur le Sénat. Aucune disposition de la Loi constitutionnelle de 1867 ne permet de conclure que les assemblées provinciales ont le pouvoir d'adopter une mesure législative relative à une élection sénatoriale.

Prenons un autre exemple, la nomination des juges. L'article 96 de la Loi constitutionnelle s'intitule « Nomination des juges ». Il stipule que :

96. Le gouverneur-général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province [...]

Pourrions-nous faire un raisonnement parallèle et partir du principe qu'une assemblée provinciale puisse adopter un projet de loi conférant au gouvernement fédéral le mandat de nommer des candidats à la magistrature pour ladite province? Cette hypothèse illustre ce qui pourrait se produire si une loi provinciale s'ingérait dans un champ de compétence fédérale.

L'article 24 de la Loi constitutionnelle de 1867, intitulé « Nomination des sénateurs », stipule que :

24. Le gouverneur-général mandera de temps à autre au Sénat, au nom de la Reine et par instrument sous le grand sceau du Canada, des personnes ayant les qualifications voulues; [...]

En légiférant pour élire des aspirants sénateurs pour occuper un siège au Sénat, l'Assemblée législative de l'Alberta et celle de la Saskatchewan ont essayé de promulguer des lois pour légiférer une compétence « qui relève exclusivement du Parlement ou du gouvernement du Canada et non de leur assemblée provinciale ».

À plusieurs reprises, la Cour suprême a fixé les limites du pouvoir d'initiative en matière législative de chaque ordre de gouvernement de notre fédération. En 1998, dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, la cour a défini à l'unanimité la portée du principe du constitutionnalisme de la manière suivante :

Cet objectif ne pourrait pas être atteint si un de ces niveaux de gouvernement démocratiquement élus pouvait usurper les pouvoirs de l'autre en exerçant simplement son pouvoir législatif pour s'attribuer à lui-même, unilatéralement, des pouvoirs politiques supplémentaires.

Le sens est clair. Une assemblée législative provinciale ne peut usurper les pouvoirs du Parlement ou du gouvernement fédéral en adoptant des lois dans le but de s'attribuer des pouvoirs supplémentaires qu'elle ne détient pas aux termes de la Constitution.

Une conséquence troublante de la loi albertaine sur la sélection des sénateurs a été la décision unilatérale du premier ministre Stelmach, le 29 avril 2010, de reporter les prochaines élections des aspirants sénateurs, ce qui a pris par surprise tous les partisans d'un Sénat élu dans la province. En vertu d'un décret du Cabinet, le premier ministre de l'Alberta a prolongé de trois ans, soit jusqu'en 2013, le mandat des sénateurs aspirants lorsque leur mandat actuel prendra fin au mois de décembre. La presse albertaine a beaucoup critiqué et dénoncé cette décision, disant que cela montrait que le gouvernement de l'Alberta avait peur que le Wildrose Alliance Party remporte les élections. Dans un article de l'Edmonton Journal, on lit ce qui suit : « En reportant ces élections, on aggravera le déficit démocratique au lieu de le supprimer. Le report des élections fournit aux Canadiens une preuve de plus que, pour beaucoup trop de politiciens conservateurs, il y a ``déficit démocratique'' lorsqu'ils n'obtiennent pas ce qu'ils veulent. »

Des voix : Bravo!

Le sénateur Joyal : Honorables sénateurs, est-ce là le genre de raisonnement que le projet de loi S-8 incite les provinces à adopter en cherchant à proposer de nouvelles idées et à moderniser l'institution du Sénat du Canada, pour citer l'ancien projet de loi S-4?

L'argument avancé par la marraine du projet de loi S-8, à savoir que la mesure législative de l'Alberta n'a pas encore été contestée devant les tribunaux canadiens, ne lui donne pas plus de validité. Ce n'est pas en nommant un aspirant sénateur pour représenter l'Alberta au Sénat que le gouvernement fédéral a corrigé les lacunes fondamentales de la loi albertaine de sélection des sénateurs. L'existence de précédents ne parviendra pas à corriger l'invalidité de cette loi. En effet, même si nous avions nommé 10 ou 20 aspirants sénateurs par le passé, cela n'aurait pas rendu leur élection valide. On n'a qu'à se rappeler la décision de la Cour suprême du Canada de 1985 qui, après presque 100 ans, a déclaré nulles et non avenues toutes les activités de l'Assemblée législative du Manitoba en ce qui a trait à l'utilisation des langues officielles. Le temps et les nombres ne changent rien. Ce qui est nul et non avenu n'aura jamais aucun effet et créera seulement des incertitudes et de fausses illusions au bout du compte.

(1500)

Ce n'est pas en invitant les provinces à contourner la Constitution qu'on parviendra à atteindre l'objectif d'un Sénat élu. La Constitution fédérale délimite clairement les compétences législatives. On ne peut pas élire des sénateurs en ignorant le cadre législatif qui définit la nature de notre système politique. La Constitution assure la certitude, la fiabilité et la confiance dont les Canadiens bénéficient en vertu de notre régime de primauté du droit. On pourrait s'attendre à ce qu'une approche axée sur le bon sens politique et sur la transparence soit utilisée pour transformer le Parlement d'une manière aussi fondamentale. D'un point de vue constitutionnel, l'approche actuelle est vouée à l'échec.

Honorables sénateurs, je n'ai pas abordé l'aspect institutionnel de cette question, à savoir la transformation du Sénat du Canada en Chambre provinciale élue, tel qu'il est prévu dans le projet de loi S-8. J'aurais besoin de beaucoup de temps pour examiner les répercussions globales d'une transformation aussi importante du Parlement canadien.

Qu'on ne se leurre pas : le fait d'avoir deux Chambres élues dans un même organe législatif aurait des conséquences nombreuses et profondes. J'énumère donc cinq éléments préoccupants pour vous persuader qu'une telle proposition mérite un second examen objectif. Premièrement, en vertu du projet de loi S-8, le Sénat accueillerait de nouveaux membres qui pourraient, dans une grande mesure, être des élus issus de partis provinciaux plutôt que fédéraux. Autrement dit, la composition du Sénat s'apparenterait à celle de 10 assemblées législatives provinciales. Les sénateurs exprimeraient alors leur allégeance politique à leur propre parti politique provincial. Dans un débat sur une mesure législative fédérale, sur des amendements ou lors d'un vote concernant celle-ci, les sénateurs élus adopteraient la position de leur parti à l'assemblée législative provinciale, que ce soit le gouvernement ou l'opposition officielle. Cela renforcerait-il l'efficacité du Parlement et l'unité des Canadiens? Cette question en soulève d'innombrables autres qui doivent être examinées attentivement.

Deuxièmement, si le Sénat devient une Chambre où siègent des représentants de partis provinciaux, devrait-il avoir des pouvoirs législatifs équivalents à ceux de la Chambre des communes, mis à part les projets de loi budgétaires et les changements constitutionnels?

Troisièmement, une telle Chambre pourrait-elle être aisément divisée et sans majorité et devenir l'instrument de groupes d'intérêts ne se préoccupant pas du sort du Canada dans son ensemble?

Quatrièmement, comment pourrait-on faire des ajustements entre les partis fédéraux représentés à la Chambre des communes et les partis provinciaux représentés au Sénat alors que ces groupes fonctionnement indépendamment les uns des autres et que les lois électorales provinciales diffèrent? Par exemple, les contributions financières sont de 9 300 $ en Ontario, les dons d'entreprises étant admissibles, de 3 000 $ au Québec, les dons d'entreprises étant inadmissibles; de 15 000 $ en Alberta, en période non électorale, mais de 30 000 $ l'année des élections; et illimités en Saskatchewan et au Nouveau-Brunswick.

Allons-nous rendre le Sénat plus efficace et plus représentatif d'un État fédéral ou sommes-nous en train de laisser entrer le renard dans le poulailler?

Une telle initiative entraînerait un changement radical dans la structure, la dynamique et le partage du pouvoir entre les deux Chambres du Parlement. Le projet de loi S-8 est-il si anodin et d'une portée si restreinte que ces changements peuvent être apportés sans qu'il soit nécessaire de modifier la Constitution?

Ce n'est certes pas le point de vue de plusieurs provinces. À la demande du leader de l'opposition, trois provinces ont clairement exprimé leur position. Puis, le 9 avril 2010, le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Shawn Graham, a écrit ce qui suit au leader de l'opposition au Sénat en ce qui concerne le projet de loi S-8 :

Notre gouvernement persiste à penser qu'élire des sénateurs et adapter le mandat du Sénat, sans se préoccuper d'autres sujets plus pressants concernant la nature de cette institution, notamment sa taille, sa composition et les pouvoirs dont elle jouirait par rapport à la Chambre des communes ne ferait que donner l'illusion d'une réforme démocratique alors que, dans le fond, il n'en serait rien.

La ministre des Affaires intergouvernementales de l'Ontario, Monique S. Smith, a écrit au printemps dernier, le 20 avril 2010, ce qui suit relativement au projet de loi S-8 :

Comme vous le savez, pour véritablement réformer le Sénat, il faut modifier la Constitution. Et nous ne pensons pas que déclencher des discussions sur la réforme du Sénat pouvant résulter en de vastes négociations constitutionnelles potentiellement sources de divisions profiterait à l'Ontario et au Canada. Nous pensons néanmoins qu'il faut l'Accord des provinces pour apporter des changements au Sénat et qu'il est inconstitutionnel de la part du gouvernement fédéral d'agir unilatéralement.

[Français]

Le ministre des Affaires intergouvernementales du Québec, Robert Dutil, écrivait, le 31 mars 2010, au sujet du projet de loi S-8, que la réforme du Sénat, telle qu'elle est proposée par le gouvernement fédéral, viendrait modifier les caractéristiques essentielles de l'institution. Une telle modification échappe, par conséquent, à la compétence unilatérale du Parlement fédéral. À nos yeux, il est primordial qu'une réforme du Sénat, ainsi que les enjeux qu'elle sous-tend pour l'ensemble des institutions fédérales et l'équilibre des rapports fédératifs, puissent être débattus dans le cadre constitutionnel approprié.

[Traduction]

On le voit bien : comme le montrent les propos de l'ancien sénateur Michael Pitfield, rapportés dans l'avant-propos du livre Protéger la démocratie canadienne, les initiatives envisagées dans le projet de loi S-8 ont des conséquences inconnues à ce jour. Le sénateur Pitfield a dit ce qui suit :

On ne saurait ignorer qu'en matière constitutionnelle, le premier pas vers une réforme est rarement le dernier.

Il poursuit par ces mots :

Un gouvernement est un vaste système doté de son propre équilibre interne, et toute modification de l'un de ses éléments ne peut qu'avoir des répercussions sur les autres, parfois sur des éléments qui au départ semblent totalement étrangers à la question, même des répercussions profondes et parfois contradictoires.

Honorables sénateurs, nous ne pouvons poursuivre le débat sur le projet de loi S-8 sans nous assurer qu'il respecte la Constitution. Qui plus est, les modifications que le projet de loi S-8 contribuerait à mettre en œuvre ne peuvent être adoptées par cette Chambre sans une étude complète de leur substance, de leurs répercussions sur notre système fédéral et des conséquences générales qu'elles auraient sur la qualité des relations entre le gouvernement fédéral et les provinces dans notre pays.

L'honorable Hugh Segal : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Joyal : Avec plaisir.

Le sénateur Segal : Je l'en remercie.

Honorables sénateurs, en guise de préambule, je dois dire que j'ai été frappé, si je puis m'exprimer ainsi, par trois éléments de l'argumentation du sénateur que j'ai trouvés profondément inquiétants. Je me demande si, après réflexion, le sénateur Joyal ne les trouve pas profondément inquiétants lui aussi.

Ma question se divise en trois parties. Premièrement, même si nous sommes la seule fédération au monde qui possède son propre tribunal constitutionnel, à savoir la Cour suprême du Canada, et que les membres de notre seconde Chambre ne sont nommés que par un seul niveau de gouvernement, le sénateur Joyal ne croit-il pas que tout effort constructif et constitutionnel visant à améliorer le système pourrait être dans le meilleur intérêt de la fédération à long terme et de la survie de ce pays? D'autres fédérations en sont venues à prendre des décisions similaires.

La deuxième partie de ma question concerne la loi sur la sélection des sénateurs en vigueur en Alberta, une des mesures législatives qui ont mené à la nomination à titre de sénateur de mon voisin de banquette, la seule personne qui a reçu plusieurs centaines de milliers de votes et dont la candidature a ainsi pu être envisagée par le premier ministre. La constitutionnalité de cette loi n'a fait l'objet d'aucune contestation, en dépit de son caractère prétendument controversé, comme notre bon collègue l'a souligné dans son analyse. Le sénateur Joyal n'est-il pas d'avis que le fardeau de la preuve concernant la constitutionnalité de cette loi devrait reposer sur ceux qui pourraient la contester devant les tribunaux? Le fait que cette loi n'a jamais été contestée, même s'il aurait été possible pour un gouvernement de le faire, montre que, dans les faits, on a considéré qu'elle est applicable et appropriée sur le plan démocratique.

Troisièmement, à diverses occasions dans son analyse et son intervention très réfléchie, le sénateur a affirmé que le projet de loi S-8 modifierait les modalités prévues dans notre Constitution relativement à la nomination des sénateurs. Je crois qu'il devrait envisager le renvoi de ce projet de loi au comité afin qu'il soit examiné en profondeur et interprété, notamment parce que nous sommes nombreux à penser que le droit qu'a le premier ministre de nommer un sénateur, par voie de recommandation à Son Excellence, n'est en rien dilué, diminué ni détourné par ce projet de loi. Tout ce que fait ce projet de loi, c'est de donner la possibilité aux habitants d'une province de donner démocratiquement leur avis — une idée folle et radicale — quant aux personnes qui figureraient dans la liste à partir de laquelle le premier ministre ferait sa recommandation à Son Excellence.

(1510)

À la lumière de ces divergences d'opinion, le sénateur n'est-il pas d'avis que le grand Parti libéral, qui se soucie depuis toujours de l'avenir du Canada — pas de la façon que je préconise, mais tout de même de façon sincère —, gagnerait à renvoyer le projet de loi au comité pour que les Canadiens puissent prendre connaissance des arguments du sénateur et des arguments adverses, et profiter de l'analyse réfléchie dont le pays serait privé si on refusait d'approuver le principe du projet de loi?

Ne s'inquiète-t-il pas un tant soit peu que les nombreux efforts visant à réformer cet endroit — efforts auxquels il a fait gracieusement référence au début de son intervention —, qui ont été freinés, mis de côté, dispersés, négligés ou renvoyés de façon quelque peu spirituelle à la Cour suprême pour qu'elle étudie la question en détail, bref que tous ces efforts pourraient donner l'impression, peut-être fausse, que le Parti libéral, s'il suit le conseil du sénateur, n'est qu'une institution centraliste et antidémocratique qui s'oppose au changement, au gouvernement fédéral et au fédéralisme coopératif, et qui va à l'encontre de la survie du Canada?

Son Honneur le Président intérimaire : J'ai le regret d'informer l'honorable sénateur Joyal que son temps de parole est écoulé. Demande-t-il plus de temps à la Chambre?

Le sénateur Joyal : Oui.

L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Cinq minutes.

Son Honneur le Président intérimaire : Acceptez-vous, honorables sénateurs, d'accorder cinq minutes supplémentaires au sénateur Joyal?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Dallaire : De combien de temps peut-il disposer? Personne n'a proposé que ce soit cinq minutes. Ce pourrait être 10 minutes.

Son Honneur le Président intérimaire : Sénateur Comeau, avez-vous bien dit « cinq minutes »?

Le sénateur Comeau : Oui.

Le sénateur Joyal : Je tiens à remercier le sénateur Segal de ses trois questions. J'espère que je répondrai à toutes.

D'abord, n'est-il pas étrange que nous soyons l'une des seules fédérations au monde où la nomination à la Cour suprême et à la Chambre haute incombe à un seul ordre de gouvernement? L'histoire constitutionnelle du Canada regorge de propositions de modifications de la Cour suprême du Canada. Mon collègue se souviendra des cinq propositions soumises par le Québec dans le cadre de l'Accord du lac Meech afin de changer le processus de nomination à la Cour suprême et ainsi donner au Québec certaines des garanties qu'il cherchait à obtenir. L'Accord de Charlottetown contenait également des dispositions à cet effet.

Le problème, ce n'est pas que le Parlement actuel, ou un autre Parlement, n'ait pas voulu aller de l'avant. En réalité, à l'époque, un consensus existait au sein du Parlement en faveur de l'Accord du lac Meech et de l'Accord de Charlottetown. Le problème, c'est que les Canadiens ont rejeté ces accords pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec cette modification précise, mais le résultat final est qu'ils ont été abandonnés. Comme je l'ai déjà dit, ils n'ont pas été abandonnés parce que seulement le Québec ou l'Ontario ont refusé d'y adhérer. Six provinces ont voté en faveur de l'inclusion de cette modification dans la Loi sur la clarté.

En ce qui concerne la deuxième question, il faut réfléchir sérieusement à ces changements. Il y a une chose que je trouve curieuse à propos des six projets de loi sur la réforme du Sénat que nous avons vus passer à toute vitesse au cours des quatre dernières années. En Grande-Bretagne, lorsque le gouvernement Blair a voulu réformer la Chambre des lords, il a nommé la Commission royale Wakeham. Selon certains, les commissions royales prennent une éternité avant de présenter des recommandations, mais ce n'est pas vrai. En effet, un an et demi après sa création, la Commission Wakeham a présenté des recommandations en faveur d'une réforme en profondeur.

Sous la direction éclairée de lord Wakeham, il a été possible de présenter des propositions en vue d'un débat sérieux et rationnel sur les changements à apporter. En outre, au cours des trois années qui ont suivi le dépôt du rapport Wakeham, le gouvernement de l'époque a publié trois livres blancs sur différents aspects de la réforme de la Chambre des lords. En fin de compte, il a pu réaliser une partie de la réforme envisagée.

Au moins, il existe maintenant, en vertu de la loi, une commission chargée des nominations.

On peut se demander comment cela fonctionne dans le contexte changeant que ce Parlement connaît, mais je ne veux pas en parler ici. Ceux que cela intéresse sont certainement au courant. Au moins, il y a maintenant un organisme chargé des nominations qui semble avoir conféré une plus grande légitimité à la Chambre des lords par rapport à l'époque où ces nominations étaient la seule prérogative du premier ministre.

Il est possible d'avancer si l'on prend les bons moyens pour favoriser un débat intelligent — et je ne parle pas du dessein intelligent —, mais je pense qu'on a mis la charrue devant les bœufs. Nous avons été saisis de six projets de loi au cours des quatre dernières années, tous différents, chacun modifiant des éléments différents, mais l'explication qui sous-tend tout cela reste floue et il ne semble pas y avoir de réelle réflexion. À mon avis, nous devrions réfléchir à cette question des deux côtés du Sénat.

Enfin, comme je l'ai dit dans mon introduction, au moins quatre provinces doutent de la constitutionnalité d'une telle mesure. Il n'est pas question de moi, ni du sénateur Fairbairn, ni du sénateur Fraser ni d'aucun autre sénateur. Parmi ces provinces, il y a la mienne, Terre-Neuve-et-Labrador, et le Nouveau-Brunswick. Si, en 2008, le gouvernement avait soulevé la question de la constitutionnalité de la loi albertaine sur la sélection des sénateurs, nous aurions aujourd'hui un cadre de discussion qui nous permettrait de progresser. Tant que nous resterons dans le noir, nous devrons avancer à tâtons et nous ne serons pas sûrs d'arriver quelque part. C'est ce qui m'inquiète.

L'honorable Bert Brown : Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Joyal de son long discours.

Son Honneur le Président intérimaire : Le temps accordé au sénateur Joyal est écoulé. Il n'est donc plus possible de poser d'autre question. Si le sénateur Brown prend la parole maintenant, cela aura pour effet de clore le débat.

(Sur la motion du sénateur Cowan, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la salubrité de l'eau potable des Premières Nations

Deuxième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Brazeau, appuyée par l'honorable sénateur Lang, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-11, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières Nations.

L'honorable Charlie Watt :

[Le sénateur Watt s'exprime en inuktitut.]

Honorables sénateurs, je remercie le gouvernement d'avoir fait de la salubrité de l'eau pour les membres des Premières nations une priorité. Nous convenons tous du fait que le droit de boire de l'eau potable est d'une grande importance pour tous les Canadiens et nous voulons qu'une mesure législative à ce sujet soit adoptée.

Ce qui me préoccupe dans le projet de loi S-11, c'est l'incidence de l'alinéa 4(1)r) sur les droits des peuples autochtones du Canada. Plus particulièrement, les règlements pris en vertu de cette loi abrogeraient nos droits garantis par la Constitution en vertu de l'article 35 de la Charte.

(1520)

C'est mon rôle, en tant que sénateur autochtone, d'attirer l'attention des sénateurs sur ces aspects dans le cadre de notre étude de ce projet de loi.

La relation de confiance particulière entre le gouvernement et les peuples autochtones ainsi que la responsabilité du gouvernement à leur endroit doivent être les considérations primordiales quand il s'agit de déterminer si la mesure législative est justifiée. Il faut veiller à ce que des ressources suffisantes soient allouées et que les nations autochtones visées soient consultées convenablement le plus tôt possible dans le cadre du processus.

La question de la relation de confiance est délicate. En surface, cette mesure législative amène les dirigeants autochtones à s'interroger sur sa raison d'être. Elle semble avoir trait à la qualité de l'eau, mais son libellé porte bien des membres de la collectivité autochtone à se demander s'il n'y a pas anguille sous roche.

Des dirigeants autochtones m'ont demandé ce qui justifiait la présentation de ce projet de loi. Le libellé du projet de loi nous préoccupe parce que la position qui y est énoncée est très différente de ce qui se trouve dans les recommandations que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles avait formulées en 2007 dans son rapport intitulé Prendre au sérieux les droits confirmés à l'article 35 : Dispositions de non-dérogation visant les droits ancestraux et issus de traités.

Ce rapport nous rappelle l'étendue des droits définis à l'article 35, comme d'ailleurs le jugement Sparrow, rendu par la Cour suprême du Canada. Ce rapport donne un excellent aperçu de la responsabilité de la Couronne.

Je suis également préoccupé par le fait que ce projet de loi semble contredire les recommandations du rapport de 2007 du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur la question de la salubrité de l'eau potable dans les collectivités des Premières nations. Dans ce rapport sur la question de l'allocation des ressources, M. Harry Swain, président du groupe d'experts sur la salubrité de l'eau potable dans les collectivités des Premières nations, a conclu à titre personnel que si nous voulons qu'aboutissent les efforts nationaux considérables qui ont été déployés pour fournir de l'eau salubre dans les réserves indiennes, nous devrions nous préoccuper d'abord des ressources essentielles et ensuite seulement de l'élaboration d'un régime réglementaire.

Sur la question des consultations, la Cour suprême du Canada a élaboré sur les exigences juridiques de cette étude. Il semble que l'alinéa 4(1)r) du projet de loi S-11 que nous étudions actuellement laisse entendre que la Couronne ait envisagé la possibilité que les nouvelles dispositions réglementaires aient un impact négatif ou néfaste sur les droits des Autochtones ou les titres protégés en vertu de l'article 35.

Honorables sénateurs, le précédent que nous sommes en train de créer me dérange. À mon avis, avec ce projet de loi, le gouvernement est en train de s'aventurer dans des champs de compétences provinciaux et de se soustraire à l'examen du Parlement. Au sujet de la question des droits visés à l'article 35, je renvoie encore une fois les sénateurs au rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, où il est écrit que :

Cette approche semble établir un précédent pour ce qui est de traiter la non-dérogation aux droits ancestraux ou issus de traités comme une question de réglementation plutôt que d'aborder la question de façon explicite dans la législation, ce qui a des conséquences évidentes pour l'examen parlementaire.

Sur cette note, j'aimerais déclarer que j'ai rencontré des représentants de l'Assemblée des Premières Nations et que j'ai reçu des lettres d'intervenants qui sont alarmés par les initiatives du gouvernement qui semble vouloir les forcer à contracter un accord sérieux avec une tierce partie encore inconnue sans consultation préalable adéquate.

Je rappelle aux nouveaux sénateurs que les peuples autochtones luttent depuis des générations pour obtenir leur légitimité à la table de négociation. Nous prenons au sérieux la consultation et le respect.

Bien que je ne soulève pas souvent cette question, honorables sénateurs, je tiens à souligner que les dirigeants autochtones portent un lourd fardeau. Leurs collectivités et leurs familles ont payé très cher notre participation à la vie politique. Ma participation au rapatriement de la Constitution est l'un des deux hauts faits de ma carrière, l'autre étant la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Dans les deux cas, ce fut un honneur pour moi de négocier au nom de mon peuple, mais ce fut également au prix de lourds sacrifices personnels.

Honorables sénateurs, si ces questions n'ont rien de bien nouveau pour certains, les tisons ardents allumés au cours de ces batailles politiques continuent de brûler dans le cœur de ceux qui ont négocié avec le gouvernement. Certains d'entre nous se souviennent des jours sombres de ces négociations qui ont suscité beaucoup de violence. Nous avons fait des progrès pour notre peuple, mais nous en avons payé le prix.

Bien que nous ayons gagné beaucoup de terrain, il semble que les Autochtones obtiennent toujours moins de respect de la part du gouvernement. Nous ne jouissons toujours pas de l'égalité avec les autres Canadiens. Le fait que ce projet de loi prévoie abolir les droits des Autochtones par un règlement qui ne sera pas soumis à l'examen du Parlement est embarrassant pour les Canadiens et offensant pour les dirigeants autochtones. Encore une fois, il semble que le gouvernement essaie de nous écraser publiquement de façon très humiliante.

Honorables sénateurs, pour conclure, j'aimerais souligner que sous sa forme actuelle, le projet de loi risque de causer des problèmes. Nous ne travaillons pas en situation de confiance, nous n'avons entendu aucun argument solide à l'égard de ce projet de loi dans les divers rapports du gouvernement, le projet de loi ne contient aucune disposition portant sur les ressources et les consultations menées auprès des Premières nations étaient faibles, vraiment faibles.

Honorables sénateurs, nous avons le devoir d'assurer la protection des Autochtones et de leurs droits issus de traités. Nous devons insister sur l'établissement d'un cadre de coopération entre le gouvernement du Canada et les Premières nations parce que c'est ainsi que fonctionne la Constitution qui nous régit actuellement.

(Sur la motion du sénateur Mitchell, le débat est ajourné.)

(1530)

[Français]

Projet de loi d'urgence de 2010 sur la gestion interne des entreprises commerciales canadiennes

Deuxième lecture—Suite du débat

Permission ayant été accordée de revenir aux projets de loi d'intérêt public du Sénat, l'article no 8 :

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Hervieux-Payette, C.P., appuyée par l'honorable sénateur Tardif, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-205, Loi prévoyant des moyens pour rationaliser la gestion interne des entreprises commerciales canadiennes durant la période d'urgence nationale résultant de la crise financière mondiale qui porte atteinte à la stabilité économique du Canada.

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, je prends la parole, à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi S-205, pour rétablir la confiance des Canadiennes et des Canadiens dans les entreprises aidées, renflouées ou appuyées par le gouvernement et qui leur donnera l'assurance que les administrateurs vont agir exclusivement dans l'intérêt des contribuables qui ont contribué financièrement pour sauver ces sociétés en difficulté.

Le projet de loi S-205, Loi prévoyant des moyens pour rationaliser la gestion interne des entreprises commerciales canadiennes durant la période d'urgence nationale résultant de la crise financière mondiale qui porte atteinte à la stabilité économique du Canada, limitera d'abord à 500 000 $ la rémunération des dirigeants des entreprises qui bénéficient de prêts fédéraux.

La crise financière qui a commencé en 2008 a pris les gens au dépourvu en dépit de tous les signes évidents de danger qui s'étaient manifestés. Elle a montré au monde un certain nombre de choses. La première est l'interdépendance de notre économie avec celle du monde; deuxièmement, l'irresponsabilité et la cupidité de certains ont laissé à certains individus toute latitude pour profiter du fait que des centaines de millions de personnes ont perdu leur maison, leurs économies et leur emploi. Le gouvernement doit donc prendre ses responsabilités et aider ces personnes et les entreprises à conserver les emplois. Les Canadiens ne doivent pas, en fin de compte, avoir à payer pour les erreurs commises par des profiteurs.

À un moment où les Canadiennes et les Canadiens en veulent à leurs dirigeants parce qu'ils n'ont pas fait assez pour prévenir la crise, à un moment où ils exigent, avec une insistance croissante, davantage de transparence et de responsabilité de la part du gouvernement et du secteur privé, ils méritent de recevoir l'assurance que leur argent durement gagné sera utilisé à bon escient et profitera au Canada dans son ensemble.

[Traduction]

La responsabilité et la transparence sont deux concepts souvent évoqués en cette période difficile; ils représentent le genre de valeurs que nous devons adopter dans toutes les sphères de notre vie, que ce soit ici, au gouvernement, dans nos institutions ou dans le secteur privé. Le projet de loi S-205 vise à réformer la gestion interne des entreprises afin de rétablir la confiance tant des entreprises que des consommateurs dans l'économie. Beaucoup d'organisations internationales importantes ont parlé du lien qui existe entre la gestion interne de l'entreprise et son rendement. En 2005, au cours du 6e Forum mondial Réinventer l'État organisé par les Nations Unies, M. Chul-kyu Kang, alors président de la Commission sud-coréenne du libre-échange, avait dit ceci, dans une communication intitulée Économie de marché et gouvernance de l'entreprise : l'équité et la transparence en faveur d'une croissance durable :

D'après diverses études expérimentales, une gestion éthique a une influence positive sur le rendement de l'entreprise. Les sociétés qui accordent une grande importance au traitement éthique ont vu leur productivité et leurs bénéfices augmenter parce que leurs employés sont plus motivés et ont davantage de raisons de travailler plus fort.

Honorables collègues, nous nous devons de combattre les impressions négatives que suscitent les interventions de l'État destinées à imposer des changements positifs dans le secteur privé. Notre gouvernement, à l'instar des gouvernements des États-Unis et des pays européens, peut et doit prendre toutes les mesures possibles pour favoriser une gestion interne éthique des entreprises. Des entreprises socialement responsables peuvent jouer un rôle important dans notre société et notre économie. Nous devons définir les conditions dans lesquelles elles doivent se conformer à certaines normes morales et donner l'exemple aussi bien dans les années d'abondance que dans les périodes difficiles.

[Français]

Selon Mats Isaksson, chef de la Direction des affaires financières et des entreprises de l'OCDE :

[...] quand le lien entre la rémunération et le rendement est très faible, c'est de toute évidence attribuable à une mauvaise gouvernance.

On a vu des gens qui avaient perdu des milliards de dollars et qui ont été récompensés avec des salaires de plus de 20 millions de dollars par année. Il ajoute ceci :

Lors de l'examen de différents modèles de rémunération, les conseils d'administration devraient se demander explicitement si le modèle de rémunération adopté correspond à une gestion prudente et aux objectifs à long terme de l'entreprise.

Comme certains de ses partenaires du G8, le Canada devrait prendre des mesures pour créer un climat de plus grande responsabilité financière. Nous devons suivre l'exemple des États-Unis et de l'Allemagne, qui ont pris des mesures pour plafonner les traitements des dirigeants des entreprises renflouées avec l'argent des contribuables, respectivement à 500 000 $ US ou à 500 000 euros. C'est dans cet esprit que le projet de loi S-205 va limiter à 500 000 $ le traitement des dirigeants des sociétés sauvées, renflouées ou aidées au Canada.

Notre santé économique est étroitement liée à celle des États-Unis. Nous ne devrions pas craindre d'imposer ces règles aux entreprises qui reçoivent des fonds publics. Ce projet de loi est un engagement à remédier aux problèmes moraux qui sont à l'origine du gâchis dans lequel nous nous sommes retrouvés et où des fonds de pension ont payé la note. Une forte gouvernance d'entreprise doit devenir une priorité pour nous. D'autres pays l'ont compris et il est temps que nous le comprenions aussi.

J'entends déjà certains de mes collègues crier au scandale en s'interrogeant sur le sort des pauvres dirigeants, qui gèrent bien leur entreprise et respectent les délais prévus pour le remboursement de leur dette envers les contribuables canadiens. Le projet de loi S-205 propose de limiter également les bonis des dirigeants à un tiers de leur salaire ou des options de stock, ce qui permet de récompenser raisonnablement un bon rendement. De plus, en interdisant les bonis excessifs, on contribuera à rétablir la confiance du public et on fera bien comprendre à tout le monde que les bonis et les options de stock sont un privilège et non un droit, qui doit être mérité et qui ne doit pas nuire aux vrais propriétaires qui sont, d'une part, les actionnaires et, d'autre part, ceux qui ont permis de renflouer les entreprises en difficulté.

[Traduction]

La crise économique a durement touché les pays européens, les obligeant à s'interroger, comme nous, sur le bien-fondé du modèle actuel de capitalisme. La Commission européenne a été chargée d'examiner les moyens de réformer le système financier de façon à éviter les crises futures. Nous n'avons certainement pas besoin d'une autre crise. Permettez-moi de vous lire deux passages tirés de l'un des livres verts de la commission, intitulé Le gouvernement d'entreprise dans les établissements financiers et les politiques de rémunération :

Le renforcement du gouvernement d'entreprise est au cœur du programme de réforme des marchés financiers et de la prévention des crises engagé par la Commission. La croissance durable ne peut se concevoir sans une prise de conscience et une gestion saine des risques au sein d'une entreprise.

Le document poursuit en ces mots :

Même si le gouvernement d'entreprise n'est pas directement responsable de la crise, l'absence de mécanismes de contrôle effectifs a largement contribué à la prise excessive de risques par les établissements financiers.

Une gestion interne solide et une politique de rémunération correspondant à la situation financière réelle de l'entreprise peuvent prévenir la prise de risques excessifs. Le projet de loi S-205 impose la création de comités de rémunération chargés de veiller à ce que la rémunération ne dépasse pas 20 fois le salaire industriel moyen par année calculé par une institution renommée, Statistique Canada, et de tenir compte de la valeur comptable de la société dans l'exercice courant par rapport à l'exercice précédent.

(1540)

Honorables sénateurs, ces 20 dernières années, l'écart salarial entre les travailleurs et les gestionnaires a augmenté de façon exponentielle. Dans certaines entreprises, le salaire des gestionnaires peut en effet être 240 fois supérieur à celui des employés.

Ces précautions sont exactement ce qu'il nous faut. Elles sont bonnes pour les affaires et bonnes pour les Canadiens. Elles confirmeront que les sociétés ayant une dette envers le gouvernement fédéral doivent agir dans l'intérêt de leurs opérations, de leurs employés, de leurs actionnaires et de l'ensemble des Canadiens.

[Français]

Depuis que la crise a commencé, les dirigeants du monde se sont réunis dans le cadre du G8, du G20 et du Forum économique mondial pour instaurer une plus grande coopération visant à stabiliser le système financier. Le Canada a participé à ces rencontres, mais n'a pas encore fait tous ses devoirs et montré une preuve de leadership dans la réforme du secteur financier. Une chose est claire : les Canadiens veulent que l'économie recommence à croître, que l'argent qu'ils ont prêté aux entreprises en difficulté leur soit restitué et que, partout dans le monde, la culture d'entreprises favorise plus de responsabilité et de transparence et, surtout, plus de justice entre les travailleurs et la direction.

Honorables sénateurs, nous avons peut-être mieux supporté que d'autres la crise économique, du moins sous certains angles, mais cela ne signifie pas que nous sommes moins vulnérables aux abus commis partout dans le monde. Plus nous tarderons à remédier aux problèmes endémiques au système financier, plus longtemps ils persisteront. Les sociétés canadiennes cotées en bourse doivent rendre des comptes aux Canadiens. À cause d'une population vieillissante, les Canadiens ont besoin de la sécurité d'emploi qu'assurent de saines pratiques de gestion. Nous avons vu, dans le cas de Nortel, les dégâts qu'une entreprise mal gérée peut créer. Ceux d'entre eux qui ont choisi d'investir une partie de leurs économies dans les valeurs mobilières en vue de leur retraite veulent avoir la certitude qu'aucune société cotée en bourse n'agira de manière irresponsable.

[Traduction]

Les contribuables canadiens ont investi plus de 70 milliards de dollars dans des fonds de sauvetage et ils ont besoin d'obtenir l'assurance que les sociétés qui ont reçu une partie de cet argent sont astreintes à une réglementation. Le projet de loi S-205 propose des règlements réalistes et réalisables qui favoriseront une meilleure gestion interne des entreprises, rétabliront la confiance à l'égard du secteur privé et assureront une reprise économique stable.

Certains de mes collègues d'en face pensent peut-être que le Canada ne doit pas imposer de règlements au secteur financier et au secteur privé, car cela risque d'étouffer toute forme de reprise économique, au pays et à l'étranger. Honorables sénateurs, je serai claire. Le projet de loi S-205 ne vise pas à réduire la capacité du secteur privé à créer des emplois, à stimuler l'innovation et à améliorer la vie des collectivités. Il vise à faire savoir que l'incompétence et la cupidité dont nous avons été témoins ne seront récompensées ni par le gouvernement actuel, ni par un autre gouvernement, ni par les contribuables canadiens.

[Français]

La réglementation que je propose d'imposer aux entreprises, qui reçoivent de l'argent du gouvernement fédéral, a pour but de limiter le salaire des dirigeants à 500 000 $, soit à peu près 20 fois plus que le travailleur moyen au Canada, d'interdire les bonis ou les options de stock supérieurs à un tiers du salaire, donc un tiers de 500 000 $ et d'empêcher les administrateurs, — ceux qui siègent aux conseils d'administration et qui, à l'heure actuelle, ont le droit de siéger à plus d'un — de siéger à plus de quatre conseils d'administration et de les obliger à investir dans les sociétés qu'ils dirigent. Ces règles changeront la culture d'irresponsabilité et de cupidité qui a secoué l'économie mondiale, ruiné des familles et réduit au chômage des milliers de travailleurs.

Permettez-moi de citer les propos d'une personne qui a parlé de la nécessité pour les pays d'agir en vue de réformer le secteur financier au lieu de se limiter à en parler. Cette personne a dit ceci :

[...] une entente sur la façon d'agir n'est qu'un début. Ce sont les actes qui comptent.

Ces propos ont été tenus par nul autre que le premier ministre du Canada, M. Harper, qui s'adressait, en janvier dernier, au Forum économique mondial à Davos, en Suisse.

Le projet de loi S-205 forcera les sociétés canadiennes qui ont obtenu des prêts du gouvernement fédéral à donner l'exemple. Les Canadiens méritent de savoir si leurs investissements ont donné de bons résultats et si l'argent qu'ils ont prêté est utilisé à bon escient. Le projet de loi S-205 imposera à ces sociétés de rendre compte des avantages dont leurs dirigeants ont bénéficié, qu'il s'agisse de frais de déplacement, de divertissement ou de subsistance ou encore d'avantages personnels comme l'assurance-santé et, dans certains cas, de voyages exotiques pour tenir des réunions de conseils d'administration dans des lieux généralement plus chauds que notre pays. Cette mesure a pour objet de dissuader les dirigeants d'abuser de leurs privilèges et de mettre fin aux agissements hypocrites au détriment des travailleurs à qui on impose des réductions des heures de travail, du salaire et des avantages, quand on ne les renvoie pas purement et simplement.

[Traduction]

Les affaires ne peuvent plus être conduites de la même façon. La main invisible du marché nous a carrément giflés. Les fonds publics ne peuvent pas et ne doivent pas servir à enrichir des administrateurs de sociétés qui se remplissent les poches alors que leur société continue de sombrer dans l'abîme.

Je pense principalement à Nortel, un ancien joyau canadien, dont les anciens employés se retrouvent sans rien. Les pensions se sont envolées, de même que l'assurance invalidité, les emplois et, bien entendu, tout l'argent des actionnaires. Pendant ce temps, les dirigeants s'en tiraient avec des primes de plusieurs millions de dollars et des parachutes dorés.

Honorables sénateurs, ma propre coiffeuse a perdu la moitié de sa pension en l'investissant dans Nortel. Cette situation ne peut plus continuer et les familles canadiennes ne devraient jamais avoir à traverser de pareilles épreuves. Il faut établir clairement les responsabilités des membres et des dirigeants des conseils d'administration, surtout lorsque le gouvernement fédéral devient un créancier principal.

[Français]

Honorables sénateurs, en appuyant ce projet de loi, vous appuierez le rôle du secteur privé dans notre économie. En même temps, lorsque des deniers publics sont en jeu, il y aura un élément de responsabilité, des comptes à rendre et des économies à réaliser afin d'aider les entreprises à se restructurer efficacement pour survivre, et surtout pour passer à une phase successive de progrès et rembourser leurs dettes monétaires et morales.

[Traduction]

Honorables sénateurs, le Canada peut aujourd'hui servir d'exemple pour le reste du monde et contribuer à réformer le système financier mondial de manière à favoriser la croissance tout en incitant à la responsabilité financière. La plume est peut-être plus puissante que l'épée, mais les gestes sont plus éloquents que les paroles. Nous avons le devoir moral d'appuyer ce projet de loi, parce que l'économie est l'affaire de tous les Canadiens, et que nous le leur devons bien.

L'honorable Hugh Segal : Ma collègue accepterait-elle de répondre à une question?

Le sénateur Hervieux-Payette : Avec plaisir.

Le sénateur Segal : Je me demande si le sénateur Hervieux-Payette pourrait nous dire quels sont les instruments qui, à son avis, réussiront le mieux à faire appliquer cette loi, si elle est adoptée.

Par exemple, si le gouvernement au pouvoir offre un programme d'octroi de prêts et de soutien financier à la recherche et au développement, ou encore à l'innovation dans le domaine de l'environnement, enfin peu importe, et que l'on incite les sociétés cotées en bourse qui sont de compétence fédérale à poser leur candidature et qu'elles le font, devraient-elles, que ce soit au moment où elles touchent le prêt qui leur est octroyé ou avant, obtenir une attestation ou conclure une entente contractuelle attestant qu'elles remplissaient, avant même de toucher la moindre somme d'argent, toutes les conditions prévues dans la mesure législative défendue par le sénateur?

Le gouvernement fédéral devra-t-il se doter d'une capacité de vérification particulière pour déterminer si la situation a changé et déterminer si la situation telle que l'a présentée la société visée répond toujours aux exigences de la loi?

(1550)

Enfin, il y a des entreprises qui connaissent des difficultés financières, en agissant de bonne foi ou en raison d'un revers de fortune, par exemple. Je crois que notre collègue reconnaîtra que beaucoup d'entreprises connaissent des difficultés parce que leurs lignes de crédit se sont volatilisées en 2008; ce n'est pas nécessairement parce qu'elles ont fait quelque chose de mal, mais parce que d'autres ont traficoté le système de façon nuisible et inappropriée, comme notre collègue l'a décrit. Ma collègue insérerait-elle ces entreprises confrontées à cette situation dans cette catégorie?

J'essaie juste de comprendre parce que, au bout du compte, si le projet de loi est adopté, il faudra rédiger un règlement. Ce règlement devra être réaliste et gérable. Pour ceux d'entre nous qui tentent de comprendre le projet de loi dans tous ses détails, tout renseignement que le sénateur peut nous donner sur le processus de mise en œuvre serait très utile.

Le sénateur Hervieux-Payette : Je remercie le sénateur de sa question. Je dirai tout d'abord que je viens du secteur des télécommunications et c'est donc le secteur que je connais le mieux. Beaucoup d'argent a été investi dans les entreprises de télécommunications. Je peux citer le cas désastreux de Nortel parce que cette entreprise avait reçu des millions de dollars pour mettre au point de nouveaux produits. La plupart de ces nouveaux produits n'ont jamais été mis en marché.

Je me souviens d'avoir entendu le PDG de Nortel affirmer que le gouvernement fédéral était très mal administré. Puis, nous avons appris un jour que l'entreprise avait soumis des états financiers trafiqués aux actionnaires et probablement au gouvernement. Pendant trois années consécutives, les états financiers n'ont pas reflété la situation de l'entreprise.

Lorsque le sénateur parle des généreux fonds que le gouvernement fédéral accorde au secteur privé pour innover, j'affirme, en me fondant sur ma propre expérience, que la reddition de comptes sur l'utilisation de ces fonds peut être améliorée. Je constate que nous accordons beaucoup d'argent pour la recherche de base mais, que très souvent nous ne revoyons jamais cet argent et que l'argent investi ne produit rien de concret.

Je parle de l'argent des contribuables canadiens par opposition aux personnes qui travaillent pour une entreprise cotée en bourse. Nous avons vu la bulle éclater dans les années 1980, lorsque tout s'en est allé à vau-l'eau dans le secteur de la haute technologie. Je ne veux pas de troisième épisode parce que je ne pense pas que l'économie pourrait le supporter.

Je dis que si les sociétés font tout sans l'aide de l'État — sans la BDC, sans EDC et sans le Fonds d'aide à l'innovation — et qu'elles se débrouillent avec le secteur privé, elles peuvent payer leurs dirigeants les sommes qu'elles veulent. Cependant, nous devons également nous rappeler que la plupart des sociétés cotées en bourse sont financées par les fonds de retraite. Tous ces fonds de retraite ont des réserves. Je pense qu'un grand nombre d'administrateurs n'ont pas fait leur travail. Je veux donc qu'ils soient plus responsables auprès du comité de rémunération. Je veux réduire l'écart.

Nous avons vu des pays comme l'Argentine aller dans la même direction que le Canada. Là-bas, il y a des gens très pauvres et d'autres très riches et très peu de gens de la classe moyenne. Si nous voulons que la classe moyenne continue d'investir dans des actions et des fonds de retraite et qu'elle continue d'investir sur le marché, nous devons protéger ses investissements et faire en sorte que les gestionnaires aient des comptes à rendre.

La limite de 500 000 $ dont j'ai parlé est une proposition pour la discussion. C'est le plafond qu'ont fixé la chancelière Merkel et le président Obama et, bien sûr, je m'inspire d'eux. Si le salaire des dirigeants représentait 40 fois le salaire moyen d'un employé en 1980 et qu'il représente 240 fois ce salaire en 2010, il faut que nous nous penchions sur la question et que nous trouvions une façon de limiter ce type d'augmentation.

Le sénateur Segal : Madame le sénateur accepterait-elle de répondre à une autre question?

Le sénateur Hervieux-Payette : Oui.

Le sénateur Segal : À l'instar de madame le sénateur je suis troublé par l'écart entre le niveau des salaires relativement bons des employés ordinaires des entreprises et le niveau de rémunération des cadres qui occupent des postes de direction. Un tel écart menace la santé du capitalisme.

J'aimerais que madame le sénateur indique si elle parlait des mesures que la chancelière Merkel et le président Obama ont prises pour venir en aide aux compagnies en difficulté et de l'intervention de leur gouvernement pour les renflouer, à court terme, on l'espère. Madame le sénateur parlait-elle des compagnies qui se sont prévalues des programmes gouvernementaux en vigueur, de subventions et de prêts alors que leur santé financière était bonne?

Madame le sénateur propose-t-elle qu'on impose les mêmes restrictions, qui étaient très sensées dans l'exemple que je viens de donner, à d'autres sociétés? Je pense par exemple à un fleuron de l'industrie au Québec et au Canada, la société Bombardier. Afin de pouvoir affronter la concurrence de l'industrie aérospatiale aux quatre coins de la planète, elle devrait normalement obtenir du financement de la Banque de développement du Canada et d'Exportation et développement Canada, et je suis ravi de voir que c'est le cas, vraiment.

Êtes-vous d'avis que si cette société bénéficiait de ce type de programme, sa façon de gérer ses affaires, tant qu'elle n'aurait pas remboursé les fonds, devrait être assujettie aux dispositions de votre mesure, même dans le contexte où elle doit avoir les meilleurs dirigeants et ingénieurs en conception au monde pour continuer de produire l'excellent produit qu'elle vend aux quatre coins de la planète?

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Effectivement, ce que je propose est plus large que seulement les compagnies que nous avons sauvées de la faillite. On peut parler du secteur automobile, dans lequel notre gouvernement n'avait pas le choix d'investir. Que ce soit CAA-Québec ou d'autres entreprises au Canada, lorsque l'argent des contribuables est investi, je ne vois pas pourquoi la haute direction irait au-delà des normes que j'ai énoncées pour la simple raison que les personnes qui font ces dons, nos présidents de sociétés comme BDC, EDC et compagnie, gagnent à peu près ces salaires. Ils sont eux aussi des exécutifs compétents. Je suis certaine que ces derniers ne doivent pas tellement trouver agréable d'aider une entreprise à croître et de faire affaire avec un homme d'affaires qui vient chercher X millions de dollars pour progresser, mais qui, en même temps, se paie 10, 15 ou 50 fois son salaire.

Je dis simplement ceci : si les compagnies ne reçoivent pas des fonds publics, elles pourront continuer à se payer les 20 millions de dollars par année qu'elles veulent, mais lorsque le gouvernement intervient et met des sous dans ces entreprises, je pense que nous sommes redevables aux contribuables et aux fonds de pension. C'est le gouvernement qui édicte les règles. Je crois que nous serions plus responsables si cela s'appliquait à toutes les compagnies publiques. J'exclus les compagnies privées parce qu'elles se financent autrement.

Toutefois, dans ce cas-ci, qu'il s'agisse d'innovation, de modernisation ou de fonds pour le secteur, par exemple, dans le cas de la foresterie qui a traversé des difficultés, nous pensons amener une entreprise à une autre étape pour qu'elle soit plus concurrentielle. Je crois que ce projet de loi rassurerait les travailleurs canadiens qui paient des impôts et, en même temps, assurerait que ces gens travaillent dans l'intérêt de l'entreprise et non seulement dans leur intérêt personnel.

(Sur la motion du sénateur Comeau, au nom du sénateur Gerstein, le débat est ajourné.)

(Le Sénat s'ajourne au jeudi 21 octobre 2010, à 13 h 30.)


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