Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 12 - Témoignages du 28 octobre


OTTAWA, le lundi 28 octobre 1996

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 17 h 05, en vue d'examiner l'état du système financier canadien (responsabilité professionnelle).

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Le thème, ce soir, est la responsabilité solidaire, une question à laquelle, vous vous en souviendrez, nous ne nous attendions pas à Calgary, il y a quelques mois. Les audiences d'aujourd'hui, de demain matin et de jeudi matin y seront consacrées.

Le premier témoin est M. John Campion, de l'étude d'avocats Faskin, Calvin, qui est venu nous en parler.

M. John Campion, avocat et procureur: Bonsoir. Je suis accompagné, ce soir, par Mme Victoria Stewart.

Le président: Comme une téléconférence avec un témoin de l'Australie est prévue dans une demi-heure, vous pourriez peut-être, monsieur Campion, en profiter pour nous donner un aperçu.

À la fin de la téléconférence, il se peut que nous reprenions, de façon officielle ou officieuse, nos discussions avec vous et Mme Stewart, évidemment si vous en avez le temps avant de prendre l'avion.

M. Campion: Sénateurs, il pourrait être utile de feuilleter le document à mesure que je vous décris brièvement son agencement.

A l'onglet 1, j'ai énoncé les principaux objectifs et les dix propositions dont il faudrait, selon moi, tenir compte pour bien comprendre la question. À l'arrière de cette partie, vous trouverez une série de rapports et un supplément de documentation sur lesquels reposent les propositions.

Comme vous pouvez le voir, la partie A porte sur la fonction et sur le rôle de vérificateur. Je tiens pour acquis, au départ, que ces deux points n'ont plus de secret pour vous, mais quand viendra le temps de prendre les décisions, cette partie pourrait vous être utile.

Dans la partie B, vous trouverez une description des problèmes avec lesquels est aux prises la profession de vérificateur. Comme vous en entendez parler depuis longtemps déjà, nous ne nous y arrêterons pas.

La partie C est plus importante parce qu'elle porte sur les facteurs qui contribuent au problème de la responsabilité. J'ai examiné le rapport de l'ex-juge Estey rédigé pour le compte de l'ICCA et, dans cette partie, je le commente en réalité. Cet examen m'a porté à conclure que la source du problème vient de la responsabilité solidaire. Toutefois, elle n'est qu'un facteur parmi tant d'autres.

La partie D décrit les principes comptables et les normes de vérification généralement reconnus.

Ces règles de comptabilité et de vérification délimitent en quelque sorte le champ d'exercice de la profession. Si les vérificateurs en respectent les limites, il est invraisemblable qu'ils seront jugés fautifs; par conséquent, les règles leur fournissent un moyen de défense dans la plupart des poursuites entamées contre eux, parce que les consignes écrites sont claires et connues de tous. J'y reviendrai plus tard.

À la partie E, vous pourrez vous familiariser avec le contexte au sein duquel il vous faudra comprendre l'urgence ou le manque d'urgence du problème. J'en parlerai assez longuement, mais comme il est résumé dans les propositions, je ne prévois pas le faire maintenant. Cette toile de fond complexe vous sera essentielle pour comprendre le problème de la responsabilité solidaire et le principe de la responsabilité proportionnelle qui représente un élément uniquement d'une question beaucoup plus générale.

La solution préconisée est décrite sous l'onglet F. Cette partie porte sur des problèmes théoriques dont je n'aurai pas le temps de vous parler.

Le sénateur Angus: Vous commentez la solution présentée par qui au juste? Il ne s'agit pas, si j'ai bien compris, de la vôtre.

M. Campion: Il s'agit de la proposition faite par le juge Estey. J'ai une recommandation à faire; par contre, je n'ai pas de solution à offrir. Quand je vous parlerai de la proposition 10, vous comprendrez mieux de quoi il s'agit.

La liste des facteurs dont il faut tenir compte si l'on veut adopter le principe de la responsabilité proportionnelle commence à la page 54. Suit une longue discussion de ces facteurs. Ils sont présentés de manière à pouvoir facilement les retrouver sous l'onglet F. On y trouve certaines des questions que pourrait susciter un régime de responsabilité proportionnelle. Il s'agit en fait d'une critique et d'un aperçu des avantages.

À la page 62, vous trouverez des variantes de la responsabilité proportionnelle qui vous intéresseront peut-être et qui pourraient vous causer certaines préoccupations. J'en traiterai dans les propositions.

Jusqu'ici, nous avons parlé de la responsabilité proportionnelle, de son contexte, de l'opportunité de la recommander et de certaines de ses variantes.

Aux onglets G, H et I, j'examine les solutions de rechange dont on pourrait traiter concurremment ou qui pourraient servir à remplacer la notion de responsabilité proportionnelle. Chacune de ces solutions est discutée et critiquée. Les options sont complexes; comme vous pourrez le constater, j'ai préféré vous en donner une idée générale, plutôt que d'essayer de décrire les circonstances particulières dans lesquelles elles ont été utilisées.

Les limites contractuelles de la responsabilité sont également abordées, de même que ce que signifie le concept. On discute ensuite de l'assurance des administrateurs et des dirigeants, bref, de la création d'une deuxième catégorie permanente de bien nantis dont, quelles que soient les circonstances personnelles de chacun ou de la société, on pourrait réclamer des dommages-intérêts si l'information financière au sujet d'une société particulière s'avérait erronée.

Voilà comment se présente le document.

Le président: Je tiens à vous remercier du remarquable travail que vous avez fait. Quelle que soit l'issue des audiences que nous tenons, cette question ne se réglera pas en un tournemain. Votre mémoire sera donc une documentation des plus utiles. Je vous remercie de vous en être donné la peine.

M. Campion: Je vous en suis reconnaissant, sénateur. Je tiens à mentionner, avant de passer à l'onglet 1, le nom de mes collaborateurs. Mme Victoria Stewart, qui m'accompagne ce soir, est avocate à l'étude Fasken Campbell Godfrey et elle a déjà travaillé comme clerc à la Cour suprême du Canada. Robin Roddey est avocat à la même étude et ex-clerc de la Cour d'appel de l'Ontario. Louise Greig est avocate inscrite au barreau et avocate-conseil de notre étude. Ils ont tous fait une excellente contribution, à divers degrés. Dans les annexes, les erreurs sont de moi et les bons passages, d'eux.

Le sénateur Angus: Je n'ai pas étudié votre document, mais je conviens qu'il a l'air des plus utiles. D'après ce que vous venez de dire, vous semblez vous concentrer sur la profession d'expert-comptable et sur la responsabilité quand il y a communication d'information financière erronée, par opposition à la responsabilité solidaire dans son sens le plus large, soit la responsabilité des ingénieurs, des architectes, des avocats en droit civil. Vous vous bornez à discuter de la modification particulière préconisée par l'ex-juge Estey lors de nos audiences de Calgary.

M. Campion: Effectivement.

Le sénateur Angus: L'angle est plutôt restreint. Nous avons essayé de l'élargir, mais j'estime qu'une grande partie de ce que vous dites aura des applications plus générales. Nous vous demanderons peut-être d'élargir votre champ d'examen.

M. Campion: Je comprends. Je suis disposé à en parler dans un contexte plus général. Certains des mêmes principes s'appliquent. Il existe des points centraux autour desquels, selon moi, devrait graviter votre analyse. Si la vue d'ensemble que nous vous donnerons au cours de la prochaine demi-heure a une quelconque utilité, c'est bien d'examiner ces points centraux et de décider s'ils conviennent à une vue plus générale. Selon moi, ils sont tout indiqués. Abordons-les dès maintenant.

Je parle des objectifs à la page 1 sous l'onglet 1. Je ne prévois pas en discuter. Je vous laisse en prendre connaissance par vous-mêmes.

Passons à la proposition 1, à mon avis importante.

Selon moi -- et j'y ai mûrement réfléchi --, l'ICCA a repéré un problème de taille affectant la position, en droit, des vérificateurs travaillant pour les sociétés commerciales au Canada. Par rapport aux membres d'autres professions libérales, leurs problèmes sont uniques, en ce sens qu'ils assument plus souvent des obligations illimitées à l'égard d'un nombre inconnu de personnes, et ce dans le cadre de leur pratique courante. Ils sont les intermédiaires entre les directeurs et administrateurs des sociétés et le public qui utilise les renseignements, qu'il s'agisse de prêteurs, d'actionnaires, d'investisseurs ou d'éventuels acheteurs d'entreprises.

Étant donné l'ampleur des capitaux investis dans ces entreprises, le fait que les vérificateurs sont la dernière chance véritable de communication entre un groupe et l'autre et qu'ils assument de si lourdes responsabilités lorsqu'ils émettent leur opinion, la profession de vérificateur est tout à fait différente des autres. Cela ne veut pas dire que les principes ne s'appliquent pas ailleurs, mais bien que les vérificateurs ont un problème unique. Tout ce que cela veut dire, selon moi, c'est que vous devriez le régler au moyen d'une solution intégrée, immédiate et permanente.

En ce qui concerne le rapport de l'ex-juge Estey, je dirai ceci: il ne caractérise pas le problème comme moi. J'estime que le problème est moins grave que ce que dit le juge à certains égards et que la solution réside dans une analyse et une proposition plus fouillées. Cela étant dit, les vérificateurs ont relevé le problème. Si vous en êtes capables -- et je fais une proposition à cette fin à la partie 10 --, vous devriez le régler. Je fais passer cette profession avant toutes les autres qui pourraient avoir des préoccupations analogues, parce que la fonction de vérification est si importante sur le plan commercial, d'une part, et qu'elle se trouve dans une position si précaire, d'autre part, depuis que la refonte de la loi. Comme vous le savez fort bien, j'en suis sûr, depuis 1964, on peut réclamer des dommages-intérêts pour les préjudices financiers causés par des déclarations inexactes faites avec négligence. J'y reviendrai dans un instant, mais, dans le cas des vérificateurs, cette question pose nettement problème au Canada, ce qui n'était pas le cas auparavant, lorsqu'on ne pouvait pas les poursuivre pour dommages-intérêts.

L'accumulation des problèmes est relativement récente, et le législateur a essayé d'y voir. Il faut maintenant se demander si nous avons atteint le sommet. Je vous laisse le soin d'en décider, mais il existe des points dont, selon moi, il faudrait tenir compte.

Je vous demande de passer à la proposition 2. La présumée crise de la responsabilité, sur laquelle repose le plaidoyer de l'ICCA, doit être vue dans un contexte historique, juridique et économique plus général. Le contexte influera sur l'urgence du problème et sur la portée de la solution; par contre, il n'enlève rien à la nécessité d'y voir dès maintenant.

Au Canada, il est très rare qu'un tribunal accorde des dommages-intérêts contre un vérificateur, contrairement aux États-Unis, où les cas sont beaucoup plus nombreux. De plus, il existe manifestement une différence fondamentale entre les deux régimes juridiques. Ce genre de procès ne se déroule pas en présence d'un jury au Canada. Comme nous le savons, le système de procès devant jury des États-Unis est un instrument d'oppression et représente un risque élevé que la plupart des sociétés bien nanties peuvent se permettre de courir. Ce n'est pas le cas au Canada. Un procès de cette complexité aurait habituellement lieu devant un seul juge qui, essentiellement, aurait une approche plus prudente et mieux équilibrée, surtout en ce qui concerne la responsabilité des portefeuilles bien garnis.

Je m'explique afin de bien faire comprendre la différence par rapport à la position de l'ICCA. La série actuelle de procès mentionnés par l'ICCA dans lesquels de très forts dommages-intérêts lui sont depuis peu réclamés, découle, à mon humble avis, dans une grande mesure, mais pas exclusivement d'un événement extraordinaire: l'effondrement sans précédent du marché de l'immobilier à l'échelle mondiale. Sur le plan économique, cet effondrement se rapproche, en termes de gravité, du South Sea Bubble, de la débâcle boursière de 1929 et de plusieurs autres échecs marqués survenus depuis l'avènement du véritable capitalisme au XVIIe siècle. Ces événements et d'autres, provoqués par une spéculation excessive, se produisent très rarement. Le fait a son importance. Par contre, même en l'absence de pareil effondrement, la crise relative à la responsabilité des vérificateurs continuerait d'être préoccupante, mais à plus long terme. Pour toutes sortes d'autres raisons que la simple situation des vérificateurs, il faudrait y voir de toute urgence. J'y reviens à la proposition 3.

Ensuite, à la page 3, il est question des principales doléances des vérificateurs, préoccupations selon légitimes, mais auxquelles se greffe un problème intermédiaire, soit les importants dommages-intérêts qui leur sont réclamés en raison de l'effondrement du marché immobilier.

Passons maintenant à la proposition 3, un des points centraux. Toute analyse que vous ferez devrait avoir comme point de départ la question suivante: quel intérêt public est en jeu ici et qu'est-ce qui en découle? Si vous le permettez, nous aborderons certains points, afin que vous les compreniez bien.

Dans les quatre premiers points, je traite incontestablement du rôle des vérificateurs et de son importance dans notre société. Dans les trois premiers points, elle est indéniable. Vous en avez tous entendu parler, de sorte que je ne la reprendrai pas.

En ce qui concerne le quatrième point, l'émission d'une opinion erronée est une fausse déclaration qui, si elle a été faite avec négligence, représente une déclaration inexacte faite avec négligence. Dès que ces facteurs sont réunis et qu'il y a préjudice financier, il est depuis longtemps reconnu, en fait depuis le tout début de ce genre de procès -- dès 1932 quand le juge Cardozo de la Cour d'appel de New York s'est prononcé -- que les pertes indéterminées représentaient un grand danger et faisaient courir un risque contre lequel il fallait se prémunir. La common law offre certaines protections. En fait, il en existe plusieurs formes, particulièrement en ce qui concerne la responsabilité et, dans une certaine mesure, la confiance et la causalité. Toutefois, le non-plafonnement des pertes, qui représente un risque élevé empêchant de se trouver de l'assurance, continue d'être préoccupant.

Parmi les autres éléments de l'intérêt public, il y a non seulement les vérificateurs que j'ai énumérés à la page 6 sous l'onglet 1, mais aussi les actionnaires, les prêteurs, les acheteurs et d'autres investisseurs -- c'était à prévoir -- de même que ceux qui réglementent les entreprises commerciales.

Je suis sûr que vous avez entendu parler des répercussions qu'ont les changements projetés sur d'autres éventuels défendeurs. Cependant, diverses autres personnes seront touchées, par exemple les administrateurs, les employeurs et les instances de réglementation.

Quand nous en viendrons à la partie B -- les actionnaires, les prêteurs et les acheteurs --, il faudra parler des attentes raisonnables de ces participants au marché. S'il s'avère qu'ils s'attendent, tel que cela semble être le cas actuellement, à avoir des recours contre les vérificateurs qui ont émis une opinion erronée et de l'aide pour défendre leur cause, alors ils partent, pourrait-on dire, du mauvais pied. La question de la responsabilité proportionnelle met en relief le besoin de faire en sorte que la population en comprenne la nature et l'utilité. Par exemple, si, en règle générale, les vérificateurs n'ont pas d'assurance et que leur auto-assurance est limitée, les dommages-intérêts sont de ce fait plafonnés. Dans le cas des grandes valeurs boursières, le prêteur, l'actionnaire ou l'investisseur en tiendra peut-être compte lorsqu'il prendra sa décision. Si cela se savait, le marché financier en souffrirait. Toutefois, les faits montrent bien que les vérificateurs n'ont pas d'assurance et que leur auto-assurance est limitée, ce qui explique leur présence ici. Débattre du principe de la responsabilité proportionnelle n'aidera pas seulement les vérificateurs; en réalité, le débat protégera un public qui ne saisit probablement pas très bien la véritable nature de ces questions.

Pour ce qui est de la proposition 4, à la partie C, je traite d'un certain nombre de facteurs dans le contexte des réalités commerciales auxquelles fait face le vérificateur et qui donnent lieu au problème. Je parle notamment d'un point extrêmement important. À la page 9, je cite le juge Estey, qui parle de la faillite de la BCC et de la Norbanque. Je traite en partie de son rapport où il est question des vérificateurs, au bas de la page 9. Il souligne le fait que les vérificateurs ont approuvé les décisions opérationnelles de la direction, conscients de l'usage répandu de certaines pratiques, mais qu'ils n'ont pas pris de recul et n'ont pas vérifié les affirmations des dirigeants.

Permettez-moi de vous expliquer pourquoi, à mon avis, cette situation s'est produite et pourquoi elle est si importante.

Les vérificateurs soulevaient parfois une question, mais n'insistaient jamais auprès de la direction, se contentant plutôt de dire: «Non, il n'y a pas de problème», ou «Ne changez pas cela» ou «Ne changez pas ceci». À la page 10, le juge Estey affirme que les vérificateurs:

...se sont croisé les bras en attendant les mesures que pourrait prendre l'organisme de réglementation ou le conseil d'administration. Cependant, la Loi sur les banques confère en quelque sorte aux vérificateurs le devoir de signaler les situations insatisfaisantes. Dans le cas qui nous occupe, ces derniers n'en ont rien fait. Ce silence, combiné à leur attestation des états financiers, a suscité, de l'avis des administrateurs, un faux sentiment de sécurité chez eux.

Plus loin, il ajoute:

Ainsi, le triangle était devenu un cycle d'amnistie réciproque au sein duquel chacun des trois membres du groupe pouvait manquer à certains aspects de son devoir, mais s'estimer néanmoins excusé par le fait que l'instance suivante du cycle avait commis un manquement consécutif peut-être encore plus grave à son devoir.

Si j'aborde cette question, c'est pour la raison suivante: comme je l'indique dans les propositions, l'analyse ponctuelle de certaines décisions judiciaires et des circonstances propres à chaque cas est très importante, non seulement parce qu'elle oblige les vérificateurs à se conformer aux normes établies, mais, plus important encore, parce que les vérificateurs souvent ne respectent pas ces normes lorsque la direction les contraint à prendre des décisions difficiles du fait de leur longue expérience. Ils entretiennent d'autres relations d'affaires, et ils doivent maintenant rendre un jugement. S'ils refusent de signer une attestation qui ne contient aucune réserve, l'entreprise est complètement laissée au dépourvue. La pression que subissent les vérificateurs est énorme. Le fait qu'ils puissent être tenus responsables constitue pour eux un moyen de défense. Il s'agit-là d'un facteur significatif, comme l'a indiqué le juge Estey, de sorte qu'il est absolument essentiel de maintenir certaines des formes de responsabilité dont il est question ici, même si elles font actuellement l'objet d'un examen.

J'aimerais maintenant passer à la proposition 5, où je traite de questions juridiques. J'y analyse -- et tout le chapitre E porte là-dessus -- les motifs de défense complexes que les vérificateurs peuvent invoquer. Ceux-ci se divisent en plusieurs catégories, et visent les réclamations pour préjudice financier qui résultent d'une déclaration faite avec négligence. Ces motifs de défense sont extrêmement puissants, ce qui rend toute action contre les vérificateurs extrêmement difficile.

D'abord, en ce qui concerne le degré de diligence, les vérificateurs doivent se conformer aux normes et aux principes comptables généralement reconnus. S'ils respectent ces normes et principes, ils ne peuvent pas être tenus responsables. S'ils s'en écartent, ils peuvent l'être. Toutefois, ces principes constituent pour eux un puissant moyen de défense. S'ils se conforment aux règles établies, ils ne peuvent être tenus responsables, même si les déclarations sont fausses.

Ensuite, il y a le devoir de diligence. L'ICCA soutient qu'on ne peut s'en remettre à la common law. C'est faux. La common law évolue et essaie de d'établir qui peut présenter une réclamation en vertu du devoir de diligence. Quelles sont les personnes qui peuvent intenter des poursuites? Le nombre de personnes pouvant le faire a été de plus en plus restreint dernièrement, en raison du non-plafonnement des dommages-intérêts devant être versés. La common law a évolué, mais peut-être pas assez en ce qui concerne les dommages-intérêts.

Il existe toute une série de lois puissantes. J'en parle de façon générale dans la proposition 5, et en termes plus précis à l'onglet E.

Les autres motifs de défense, en dehors du devoir de diligence et du degré de diligence, sont le lien de causalité et la confiance. Ce dernier principe a fait l'objet d'une révision judiciaire. On en a resserré la portée. Je l'explique de façon générale dans la proposition 5, et de façon plus détaillée à l'onglet E. Je n'entrerai pas dans les détails, bien qu'il soit important de bien connaître le contexte pour comprendre que la responsabilité proportionnelle constitue, entre autres, un moyen de réduire les risques courus par les personnes responsables d'un préjudice financier résultant de déclarations faites avec négligence.

J'aimerais maintenant vous parler de la solution que je propose et des facteurs qui doivent être pris en considération. Il s'agit ici de la proposition 6. Il est important de connaître ces facteurs. À la page 11, je propose qu'on remplace le régime de responsabilité solidaire par un régime de responsabilité proportionnelle. Il s'agit là d'un changement d'orientation majeur, puisque le risque qu'un défendeur soit insolvable se trouverait à retomber sur le plaignant plutôt que sur les autres défendeurs. Vous connaissez déjà ce principe. Vous devez vous demander, quels sont les intérêts qui risquent d'être touchés de manière négative par ce changement? Est-ce quelque chose que l'on souhaite recommander?

J'indique également à l'avant-dernier paragraphe de la page 11 qu'un régime de responsabilité proportionnelle, s'il est bien défini, comporte une série d'avantages. Il est simple à administrer; il est juste envers les vérificateurs et il peut être appliqué de façon ponctuelle, dans le respect de la common law, sans pour autant exclure le droit civil. Ce régime est équitable et flexible, car il peut être difficile pour un législateur d'envisager tous les faits qui entourent un cas. C'est l'évidence même.

Voilà pourquoi il est important de maintenir le système de responsabilité délictuelle, parce qu'il permet de considérer les faits qui sont nouveaux ainsi que les faits déjà existants, quoique de manière différente.

Au dernier paragraphe de la page 11, je précise que si l'on recommande que le gouvernement fédéral agisse seul, nous risquons de soulever des questions fort complexes sur le plan constitutionnel. Toutefois, malgré leur complexité et même si ce geste va à l'encontre du principe du fédéralisme coopératif, ces questions ne représentent pas un obstacle insurmontable. Mais il faut agir avec grande prudence. La solution que vous proposerez doit tenir compte de l'impact, par exemple, qu'un régime de responsabilité proportionnelle peut avoir sur la Loi sur les valeurs mobilières en Ontario et ailleurs, où la préparation de prospectus qui contiennent des renseignements financiers engage la responsabilité des vérificateurs.

Je fais également état, dans la proposition 6, de la responsabilité limitée. Le deuxième point que je soulève est très important, à savoir que la responsabilité proportionnelle risque de ne pas constituer une protection adéquate du fait qu'il peut-être difficile de fixer avec précision le montant des pertes.

Il ne faut pas oublier que l'examen des vérificateurs constitue «la dernière occasion» d'établir si les états financiers reflètent véritablement la situation financière de l'entreprise. Par conséquent, les vérificateurs pourraient être tenus responsables de 50 p. 100 ou plus des pertes. Le fait que la direction ait fraudé quelqu'un ne signifie pas que la dernière personne qui aurait dû fournir la protection sera jugée responsable à 100 p. 100. La responsabilité proportionnelle signifie que les juges rendent toute une série de décisions où la responsabilité proportionnelle est fixée chaque fois à 50 p. 100. Si vous réclamez des dommages-intérêts de 800 millions de dollars à des vérificateurs, que le montant soit fixé à 800 ou à 400 millions importe peu pour la solvabilité de la plupart des firmes d'experts-comptables au Canada, parce qu'elles ne peuvent être assurées au-delà de 150 millions de dollars, qu'elles s'assurent elles-mêmes ou non. Elles n'ont pas de biens mobiliers pour couvrir le reste. Si vous avez reçu seulement deux réclamations au cours de votre carrière et que vous vérifiez les états financiers de milliers d'entreprises, vous allez constater que la responsabilité proportionnelle ne constitue pas le seul moyen de se débarrasser de ces réclamations sans limites. Il s'agit d'un moyen parmi d'autres.

La règle «de la dernière chance» est analysée à l'alinéa b), page 10, de la proposition 6.

Lorsqu'un plaignant intente des poursuites en dommages-intérêts uniquement contre le vérificateur, cela soulève de nombreuses questions fort complexes. Doit-on attribuer une part de responsabilité aux personnes qui ne sont pas représentées? Est-ce qu'on intente d'abord une poursuite contre les vérificateurs, et ensuite contre les autres intervenants? Ces questions sont fort complexes et le vérificateur risque de se retrouver dans une situation délicate, selon le régime que vous adoptez.

Le libellé proposé -- vous le trouverez à la page 10 à la rubrique proposition 6 de la recommandation de l'ICCA -- comprend «des vérificateurs, des avocats, des dirigeants, des administrateurs, des comptables qui donnent des conseils fiscaux, des évaluateurs, des ingénieurs» -- ceux qui examinent les stocks -- «des courtiers» -- ceux qui fournissent l'information financière -- et des «conseillers fiscaux». Tout un tas de gens sont couverts par le principe général énoncé par l'ICCA.

L'ICCA aimerait que vous reconnaissiez un problème. Ses membres aimeraient que vous reconnaissiez qu'une solution doit être trouvée à court terme, pas à long terme. Je vous incite instamment à trouver une solution relativement à court terme, en ce qui concerne également un changement législatif. Cette solution doit être plus raffinée que celle présentée. Je ne veux pas dire que celle-ci ne l'est pas, mais le sujet est si vaste et comporte tant de répercussions qu'il faut se montrer très prudent avant d'adopter cette proposition. Je crois qu'ils vous feront savoir qu'ils désirent vous présenter une proposition beaucoup plus détaillée. Ils veulent que vous en acceptiez les principes, que vous y souscriviez moralement et, par après, que vous élaboriez une forme quelconque de solution. Je devrais peut-être leur laisser le soin de vous expliquer ce qu'ils veulent. Ce serait cependant un grand pas en avant que de reconnaître le problème et de commencer à chercher une solution.

La proposition 7 expose des variations à la proposition de responsabilité proportionnelle. J'en mentionne trois qui sont longues et complexes. L'une d'entre elles consiste à ne conserver la responsabilité solidaire que dans les cas où la négligence du plaignant a contribué au préjudice qu'il a subi.

Chacune de ces questions est extrêmement compliquée pour ce qui est des avantages et des inconvénients y afférents. Quand le plaignant est en partie négligent, on parle de responsabilité proportionnelle; s'il est en partie responsable, on tourne la question un peu différemment. C'est un peu simpliste, mais c'est une forme de responsabilité proportionnelle.

La deuxième proposition limiterait la responsabilité proportionnelle à un défendeur dit «marginal» ou à l'auteur du sinistre. Il y a lieu de se demander ce que cela signifie.

La troisième proposition s'apparente à celle adoptée aux États-Unis à l'égard des valeurs mobilières. C'est-à-dire qu'ils conserveraient la responsabilité solidaire pour les principaux fautifs et leurs complices au premier chef, ou ceux impliqués dans une fraude, ou pour certains genres de réclamations comme celles présentées par de petits investisseurs. Mais, autrement, la responsabilité proportionnelle remplacerait la responsabilité solidaire. Cependant, si un défendeur était dans l'incapacité de s'acquitter de sa part des dommages, ils prévoient une réattribution de la part non réclamée jusqu'à concurrence de 50 p. 100 de ce qu'il serait proportionnellement tenu de payer. C'est un régime très raffiné de responsabilité proportionnelle. Les choix qui s'offrent à vous en matière de politique gouvernementale sont innombrables. Qui allez-vous protéger? Qu'allez-vous essayer de faire?

La proposition 8 énumère les solutions de remplacement. Je ne vais pas en parler pour le moment; j'attendrai plutôt vos questions concernant le plafonnement légal, les limites et exclusions contractuelles à la responsabilité et l'assurance obligatoire.

Concernant la proposition 9, je tiens à souligner que nous devrions nous aligner sur ce que font nos principaux partenaires commerciaux, en particulier ceux qui ont légiféré en matière de valeurs mobilières. Je donne des exemples en Amérique du Nord, mais j'aurais pu mentionner d'autres régions. Nous devons considérer ce que font les États-Unis au niveau fédéral et les États du Delaware, de New York et de la Californie, en particulier, parce qu'un grand nombre d'entreprises américaines sont constituées en sociétés dans ces États. Ils ont envisagé un bon nombre de ces questions sous l'angle de la prospective, quoique dans un contexte juridique différent, à savoir le système de jury, et dans une atmosphère beaucoup moins détendue. Mais nous ne voulons pas être trop différents de crainte que les gens perdent confiance dans la vérification canadienne ou dans d'autres vérifications et que le Canada, ou l'Ontario, ou le Québec devient la compétence de choix, selon le cas. C'est un principe vaste, général, que vous pourriez étudier.

Permettez-moi maintenant de parler de mon résumé et de mes recommandations à la proposition 10. L'histoire nous l'a montré, les firmes de vérification comptable du Canada ne sont pas à l'abri d'un grave échec financier. L'existence de la responsabilité solidaire influe partiellement sur ce risque.

Le risque identifié -- c'est-à-dire l'indétermination -- a un effet sur l'accès à l'assurance et l'attrait qu'exerce la profession sur les nouveaux venus. C'est peut-être dû en partie à toute la publicité qui entoure ces questions. Ce risque s'atténuera peut-être avec le temps, mais il continuera à être véritablement préoccupant. Je ne pense pas que le risque soit élevé au point qu'on en vienne à cesser toute vérification ou qu'on vienne près de le faire mais la possibilité existe, et c'est pourquoi nous devons nous attaquer à ces questions de façon détaillée maintenant.

La vérification est une fonction essentielle dans le monde des affaires; je n'en dirai pas plus pour le moment.

L'objectif est de déterminer d'une certaine manière ces risques, tout en maintenant l'examen par les tribunaux de droit civil, de droit commun, au cas par cas.

Une solution se doit, entre autres, d'être souple, simple, juste, efficace, prévisible, en harmonie avec les politiques de nos principaux partenaires commerciaux du Canada et applicable au cas par cas.

Le point suivant porte sur la nature délicate et raffinée de ces questions, laquelle est évidente.

Je vous donne ensuite mes deux recommandations, c'est-à-dire dans la mesure où elles peuvent être d'une quelconque utilité, et sachant que vous pourriez arriver aux mêmes.

Tout d'abord, il importe, si possible, que le fédéral et les provinces s'efforcent conjointement de créer un régime complet unifié. S'il était possible d'en arriver à une approche unifiée, il faudrait tenir compte de la responsabilité limitée, des effets sur les règlements en matière de valeurs mobilières et la législation commerciale.

Par exemple, si vous donnez aux vérificateurs toute une série de nouvelles mesures de protection en matière de responsabilité limitée et proportionnelle, devriez-vous leur imposer de nouvelles normes plus sévères que les leurs? Devraient-ils tenir des audiences plus rapidement, plus tôt? Devraient-ils respecter des délais? Le public devrait-il participer à ces audiences, c'est-à-dire pour faire valoir ses critiques? Comment créent-ils des normes plus sévères? Perdent-ils une partie de leur pouvoir d'auto-réglementation en obtenant des protections supplémentaires? C'est une préoccupation. Je ne sais pas comment vous réglerez la question, mais c'est quelque chose que vous voudrez peut-être étudier.

Je recommande la constitution, si possible, d'un petit groupe spécial expérimenté, composé de volontaires -- afin que cela ne coûte pas une fortune -- représentant le fédéral, les provinces, la profession et l'industrie. Ce groupe devrait être placé sous l'autorité d'un ou plusieurs membres de ce comité pour fonctionner effectivement. Vous devriez vous fixer une date limite pour l'étude des problèmes. J'ai parlé du 31 décembre, mais c'est peut-être trop ambitieux. Vous devriez demander que vous soient soumises des présentations écrites précisément sur ces questions et dans l'ordre dans lequel elles ont été soulevées par ce comité de façon à obtenir une série de réponses.

Toutes les solutions existent quelque part. Il s'agit de les trouver et de choisir celles qui répondent aux considérations de politique gouvernementale qui permettront de les appliquer. Vous voulez un examen sérieux, méthodique, regroupant le plus d'intéressés possible. Je pense qu'un projet de recommandation résultant de ces présentations écrites devrait être remis dans un délai raisonnable. Je propose des dates dans mon rapport.

Comme dernière recommandation, je propose que ce comité se réunisse à nouveau pour étudier les choix présentés pour les raisons données et formule ses recommandations.

Voilà ce que j'avais à dire. Je vous suis très obligé.

Le président: Monsieur Campion, je vous remercie pour ce document très complet et cet examen très approfondi des problèmes.

Le sénateur Angus: C'était une excellente présentation, monsieur Campion. Je crois comprendre que vous n'êtes pas en faveur du statu quo.

M. Campion: En effet. La question doit être examinée. Cependant, une fois les choix faits, peut-être estimera-t-on que le statu quo était préférable, mais je ne le pense pas.

Le sénateur Angus: Monsieur Campion, même si vous êtes membre du Barreau, puis-je supposer que vous ne représentez aucun client ou des clients à cette audience particulière?

M. Campion: Ce comité m'a convoqué comme témoin, donc je présume que je suis votre témoin.

Le sénateur Angus: Je voulais seulement m'en assurer étant donné votre fort penchant pour les arguments des comptables par opposition à un domaine plus vaste de préoccupation.

M. Campion: C'est dû à mon mandat. Il consistait à formuler des commentaires sur le rapport Estey et non pas à traiter de la question dans le contexte général.

Le sénateur Angus: Cela dit, à votre avis, en matière de politique gouvernementale ou autrement, y a-t-il jamais eu de raison valable de disposer d'un régime de responsabilité solidaire?

M. Campion: Il existe des raisons. Dans une certaine mesure, c'est arrivé comme cela. Vous disposiez de la responsabilité solidaire. Puis on s'est débattu, au fur et à mesure que le monde devenait plus complexe sur le plan financier, avec cette notion d'octroi de dommages pour pertes économiques et de déclaration inexacte faite avec négligence à l'étranger, c'est cela qui vous a réellement amenés dans le secteur des pertes indéterminées pour un nombre indéterminé de gens.

Dès le départ, on a essayé de créer des barrières aux exceptions, différentes d'une perte sur un bien matériel ou d'un préjudice personnel où la responsabilité solidaire favorise beaucoup plus un plaignant étant donné qu'il est une victime innocente d'un événement, par exemple, alors que dans ce cas-ci, investir comporte un élément de risque et, si les vérificateurs étaient toujours obligés de tout rembourser, ils joueraient en fait dans le système le rôle d'assureur quand l'investisseur prend un risque. La question est de savoir s'il prend un risque seulement en fonction de ces états financiers ou en fonction d'autres facteurs, et c'est là qu'a toujours existé cette incroyable ambivalence sur le fait de l'avoir accordée puis, l'ayant accordée, de l'utiliser avec prudence. La question qui se pose est celle-ci: les dommages sont-ils maintenant si grands qu'il faille rafistoler l'indétermination?

Le sénateur Angus: Je vous ai demandé si vous estimiez que le statu quo, à savoir un régime grandement répandu de responsabilité solidaire pour la responsabilité civile, était justifié. Il est toujours très risqué, ce qui explique pourquoi nous étudions si attentivement cette question particulière, d'envisager une question du point de vue d'un groupe particulier. Je crois que vous serez d'accord avec cela. Les comptables ont fait un travail fantastique. Ils ont attiré l'attention de tous et chacun sur le fait qu'il existe peut-être un problème.

Je crains cependant qu'il y ait certains mythes et faussetés. Par exemple, je suis conscient de la grande injustice commise quand une firme de vérification comptable, responsable de 1 p. 100 du préjudice, peut se voir dans l'obligation de payer 100 p. 100 des dommages, alors qu'en fait, si je comprends la loi correctement, tous les défendeurs sous ce genre de régime de responsabilité civile sont 100 p. 100 responsables envers le plaignant. C'est rarement réglé à 1 p. 100.

Vivement qu'on en finisse avec cette réduction à l'absurde. Les gens sont désolés pour ces pauvres firmes comptables trouvées coupables de 1 p. 100 des dommages et qui doivent assumer cette énorme responsabilité. Cependant, si elles ont fait de fausses déclarations et n'ont pas respecté les normes de vérification généralement reconnues ou les principes comptables généralement reconnus, si elles n'ont pas fait leur travail correctement et que d'autres organisations financières ont fait banqueroute à cause de cette information, à mon avis, leur responsabilité devrait représenter plus de 1 p. 100.

La raison sous-jacente de la responsabilité solidaire est que le plaignant, la partie lésée, devrait avoir droit à une indemnisation complète.

Vous avez mentionné en passant le régime de négligence contributive. Je crois que nous pourrions peut-être y trouver notre solution. On a tendance à ne pas appliquer cette règle quand un plaignant, même s'il est responsable de 1 p. 100 du préjudice, n'obtient aucun remboursement. Pourquoi ne pas en faire autant pour les défendeurs?

M. Campion: À mon avis, c'est très important. J'en parle en connaissance de cause, ayant participé à des poursuites dans ce domaine, ayant réfléchi à la question et ayant écrit sur le sujet. Au départ, j'étais aussi sceptique que vous. Cependant, considérez la valeur et, en fait, les limites d'un système de responsabilité proportionnelle sous l'angle de la protection moindre qu'elle offre, pour la raison même que vous avez énoncée. S'ils sont responsables à 100 p. 100, le 1 p. 100 est facile. Normalement, ils seront responsables dans une proportion de 50 à 100 p. 100 dans ces circonstances. La responsabilité proportionnelle peut ne pas être si avantageuse. Elle rend cependant les risques plus déterminants, quoique pas totalement.

Ce n'est peut-être qu'une partie d'une solution, mais l'ayant considérée, j'estime qu'il y a un problème. Je crois que la responsabilité proportionnelle doit être sérieusement envisagée comme un des outils permettant de réduire le risque couru par les vérificateurs au titre de la responsabilité, et qu'il est urgent et équitable de le faire. Cependant, je me suis penché sur la question, comme vous l'avez fait.

Le sénateur Angus: Je voulais seulement suggérer qu'il n'y avait peut-être pas de problème. Je ne dis pas que c'est ce que je pense. S'il se produisait une grosse explosion, comme dans le cas de Tchernobyl, parce qu'une personne ou un groupe de personnes ont fait une erreur, dans notre système, c'est la personne ou les personnes responsables qui paieraient. Les dommages pourraient être énormes. Pour en rester avec l'analogie de Tchernobyl, Dow Chemicals et d'autres compagnies disposent de fortes assurances. Les grandes firmes comptables sont de vastes empires multinationaux et ils ont de l'assurance. Il est faux de prétendre qu'elles n'en ont pas.

Ce qui me préoccupe, c'est qu'on fonde un raisonnement sur des arguments qui ne sont pas solides. Je pourrais convoquer 10 témoins qui diront qu'ils peuvent obtenir tout plein d'assurances. Lire que Ernst & Young est condamné à verser 50 millions de dollars n'a rien de réjouissant. On voit ce genre de manchettes chaque jour aux États-Unis. Il devrait peut-être y avoir un plafond, ou il faudrait peut-être modifier le système de jury. C'est un problème grave dans les tribunaux américains, mais il ne semble pas se propager au Canada.

Je me fais l'avocat du diable.

M. Campion: L'exemple de Dow Chemical que vous utilisez n'est pas réaliste parce qu'ils ne dépendent pas à chaque jour d'un nombre indéterminé d'investisseurs réels et potentiels aux énormes capitaux.

Ils peuvent facilement prédire les pertes qu'ils encourront à la suite d'une explosion, si catastrophique et énorme soit-elle. Cependant, ils ne sont pas exposés à ce risque chaque jour alors que les vérificateurs pourraient l'être.

Le sénateur St. Germain: Pour faire suite aux questions du sénateur Angus, vous avez fait mention des principes et normes comptables généralement reconnus dans vos remarques initiales et dit que, souvent, on presse ces firmes de signer. Vous ai-je bien compris à cet égard?

M. Campion: Pas tout à fait.

Le sénateur St. Germain: Elles se retrouvent forcées de signer en raison de la taille de leurs clients, de la taille du compte, et cetera. Pour cette raison, devrions-nous apporter des changements? Je ne suis pas un avocat, à la différence de la plupart de ceux qui se trouvent à cette table. Vous ai-je bien compris à cet égard?

M. Campion: Permettez-moi de m'exprimer ainsi, sénateur: vous m'avez correctement compris, mais je ne l'aurais pas dit de cette manière. Permettez-moi de formuler ma réponse ainsi: Les vérificateurs sont soumis à une tension naturelle quand ils doivent donner leurs avis d'une façon pour laquelle ils ne n'estiment pas qualifiés. Quand on a une relation suivie avec un client, il arrive que les dirigeants et les vérificateurs discutent du jugement à rendre sur un point en particulier. Les dirigeants feront valoir leur point de vue de la manière ordinaire, qui est parfaitement légitime, et les vérificateurs énonceront leur avis.

Il arrive dans de rares cas qu'une telle tension soit poussée à l'extrême. C'est-à-dire que les vérificateurs perdent leur habituelle prudence professionnelle et adoptent l'avis de la direction, ce dont il a été question dans le commentaire formulé par M. le juge Estey concernant la BCC et la Norbanque. L'existence d'un régime délictueux donne aux vérificateurs une raison pour se soustraire à cette pression. C'est naturel et courant dans le monde des affaires. Il n'y a rien de mal à cela.

Des pressions doivent être exercées afin d'empêcher que la tension ne devienne trop forte du côté des vérificateurs, vu qu'il faut maintenir de bonnes relations. Ce n'est pas simplement une question d'opinion erronée, le problème c'est qu'il peut arriver qu'on les pousse plus loin qu'ils seraient peut-être allés autrement.

Le sénateur Angus: Je suis au courant de toute la recherche que vous avez faite, monsieur, et lorsque vous y ajoutez les travaux qu'a effectués notre attachée de recherche Margaret Smith vous obtenez de très bons documents. J'ai fait de mon mieux dans les trois derniers jours pour prendre connaissance de toute la documentation. J'ai lu entre autres le rapport du Royaume-Uni qui penche du côté du statu quo. Je suis convaincu que vous l'avez lu également. On y signale entre autres choses que, si l'on devait opter pour la responsabilité professionnelle, le risque serait alors que les juges, qui sont fondamentalement équitables, de par leur état, finissent par poursuivre le défendeur le mieux nanti. Avez-vous tenu compte de cet élément? Nous pourrions créer un monstre.

M. Campion: Je le concède, sénateur, et c'est la raison pour laquelle je dis que vous devriez demander au plus grand nombre possible de gens de proposer des solutions de façon méthodique. Vous serez ainsi en mesure d'évaluer la situation dans son ensemble. Premièrement, il s'agit de trouver des solutions et de choisir ensuite celles qui conviennent. Après avoir décidé de la marche à suivre, vous vous demandez alors: «Est-ce que la solution doit être très compliquée?»

Après avoir examiné la question de façon sage, ce que vous ferez je n'en doute pas, vous pouvez créer un système de responsabilité proportionnelle efficace. Vous risquez toujours d'obtenir des résultats inattendus. Cependant, je crois que c'est possible de le faire. Il se peut que le contexte au Canada soit différent du contexte britannique.

Le sénateur Hervieux-Payette: Monsieur le président, vous proposez entre autres que les provinces se penchent sur ce problème. Comme je viens du Québec, il s'agit pour moi d'une des recommandations les plus importantes. Si nous agissons seuls, nous nous retrouverons avec une situation insolite.

Les autres provinces disposent-elles d'organismes de réglementation comparables à ceux que nous avons au Québec pour régir les comptables, les ingénieurs, les avocats, et cetera? Nous devrons avoir quelque chose de comparable dans chacune des provinces. Nous ne pouvons avoir un régime sur mesure qui offrirait différents services. Si c'était le cas, les choses se passeraient comme dans le domaine de l'environnement, les gens sont tentés d'aller là où il y a moins de règlements.

Comment pourrions-nous appliquer cela à des cas comme Trust Royal et d'autres? Qu'arriverait-il sous un nouveau régime aux vérificateurs dans un cas semblable? Après tout, la chaîne de commandement est longue.

Bien sûr, le rapport des vérificateurs constituerait un élément clé pour les profanes et pour les initiés. Si vous occupez un poste de direction et recevez de la part des vérificateurs un rapport vous signalant des choses étranges au sein de votre société, vous pouvez au moins limiter les dégâts.

Cependant, dans mon cas, je n'avais pas confié beaucoup d'argent au Trust Royal. À un certain moment, j'avais l'impression que l'information qu'on me donnait n'était pas très rigoureuse. Qui d'autre que les vérificateurs peut donner de l'information exacte?

M. Campion: Vous avez tout à fait raison, qui d'autre pourrait le faire? C'est la raison pour laquelle ils se trouvent dans une position aussi cruciale et revêtent une importance aussi grande du point de vue commercial. C'est aussi la raison pour laquelle ils sont exposés à tant de risques. De toute évidence, la capitalisation de ces entreprises est beaucoup plus grande que le secours que pourrait jamais apporter n'importe quel régime d'assurance. Dans une certaine mesure, la population court des risques en n'étant pas au courant de l'existence de ces limites. Vous ne pouvez lire simplement les états financiers et vous dire: «Je pourrai récupérer auprès des vérificateurs s'ils se trompent». Si le cas du Trust Royal était associé à un ou deux autres, et qu'ils se trouvaient tous dans le même cabinet de vérificateurs, il ne resterait plus d'argent à réclamer.

Par conséquent, cela n'accomplira rien. Le grand public aura couru un risque en ne sachant pas ce qu'on aurait pu lui offrir.

La question est la suivante: voulez-vous au moins examiner ce problème de façon méthodique aux niveaux provincial et fédéral pour faire en sorte que le régime de la responsabilité soit non seulement en place, mais aussi raisonnablement financé? Les vérificateurs disent que, étant donné l'importance des risques et le nombre de réclamations, le régime n'est plus désormais raisonnablement financé. Cela risque d'avoir des répercussions sur le maintien de leurs activités de même que de décevoir le grand public à l'autre bout du spectre qui ne pourra récupérer son argent.

Le sénateur Hervieux-Payette: Ont-ils discuté de la situation avec d'autres professions? Nous ne pouvons mettre en place un régime qui ne protégerait qu'un seul groupe de professionnels. Il faudrait qu'il s'étende aux autres professionnels dont vous avez parlé, comme les ingénieurs, les architectes et les avocats.

Il y a un groupe qui estime être exposé à plus de risques que les autres. Comment réglons-nous ce problème alors que d'autres ne disent pas nécessairement la même chose? Au lieu de prendre des mesures pour l'ensemble des professions, ne pourrait-on pas procéder autrement et protéger exclusivement le groupe qui est aux prises avec des problèmes précis?

M. Campion: Comme les vérificateurs occupent une position aussi centrale au sein de l'économie, il faut régler ce problème avant qu'un cabinet d'experts-comptables ne dépose son bilan. Cela n'aiderait personne, soit dit en passant. L'effondrement d'un cabinet de ce genre ne ferait qu'ébranler la confiance dans le système. Je ne dis pas que cela va arriver. Là n'est pas la question.

Les vérificateurs n'occupent pas la même place que les autres professionnels. Cela ne veut pas dire que les autres n'ont pas une demande équitable; ils n'insistent tout simplement pas.

Le sénateur Oliver: Dans votre mémoire, vous parlez de l'affaire Donoghue c. Stevenson de 1932, et vous passez ensuite en 1964, avec l'affaire Hedley Byrne & Co. Ltd. c. Heller & Partners Ltd. Connaissez-vous des affaires en suspens à l'heure actuelle dans une cour supérieure, au Royaume-Uni, au Canada ou ailleurs, qui nous aideront à régler ces problèmes de déclaration trompeuse faite avec négligence et de responsabilité?

M. Campion: Oui, monsieur.

Le sénateur Oliver: Ces affaires aideront-elles ce comité à résoudre le problème que nous analysons? Le cas échéant, quelles sont-elles?

M. Campion: J'en donne la liste dans mon document. L'une de celles qui portent sur les vérificateurs est devant la Cour suprême du Canada. Il s'agit de causes qui portent sur les réclamations pour préjudice financier résultant d'une déclaration faite avec négligence. Vous avez constaté le conservatisme judiciaire protégeant les vérificateurs de cette incertitude, ne s'attachant pas à l'importance de la perte, mais à la question de savoir si quelqu'un a le droit de réclamer quelque chose. Qui fait partie du «cercle magique» des gens qui peuvent présenter sous le couvert du devoir de diligence?

Les affaires en suspens devant les tribunaux ne manquent pas, et certaines d'entre elles ont fait l'objet de requêtes préalables de jugement sommaire et de commentaire. J'en donne la liste ici.

Il y a une affaire au Manitoba qui sera entendue par la Cour suprême du Canada. Je crois que cela se fera au cours de l'année prochaine.

Il y a beaucoup d'actions en justice. Est-ce que cela suffit à régler tous les problèmes? Probablement pas.

Le président: J'ai beau vous écouter, je n'arrive pas à saisir le sérieux du problème. L'analogie qui me vient sans cesse à l'esprit, c'est que Vancouver semble construite sur une ligne de faille, et que malgré tout nous continuons de la développer et d'y construire.

Je suis un peu inquiet. D'une part, j'entends les arguments que vous avancez pour nous convaincre du sérieux du problème et, d'autre part, lorsque nous vous demandons de nous donner des exemples concrets et d'appuyer vos dires, ma perception change un peu. Les mêmes impressions se dégagent de votre document.

Existe-t-il un compendium des causes et jugements que le comité pourrait utiliser pour former son propre jugement face aux problèmes éventuels à régler? Cela me fait penser aux éventuels tremblements de terre à Vancouver qui sont fort peu probables, mais qui pourraient quand même se produire. Sinon, nous demande-t-on de réagir à un problème qui risque très probablement de se poser?

M. Campion: Une analogie avec d'éventuels tremblements de terre à Los Angeles serait meilleure. Il y en a eu.

Le président: Au Canada?

M. Campion: Vous m'avez demandé une interprétation. Vous avez raison, je pense, d'y voir une certaine ambiguïté. C'est ce que je voulais.

Le président: Vous y avez extrêmement bien réussi.

M. Campion: C'est ce que je voulais, car cette question est importante, mais l'interprétation n'est pas aussi importante ou urgente, contrairement à ce que l'ICCA voudrait nous faire croire. Un examen approfondi et coordonné s'impose. Ce ne devrait pas être une solution éthérée, à long terme.

Le sénateur Meighen: Savez-vous, monsieur Campion, s'il est impossible actuellement de souscrire une assurance, ainsi que les cabinets d'experts-comptables tendent à nous le faire croire?

M. Campion: J'insiste pour que vous appeliez un expert dans le domaine de l'assurance. C'est un domaine très spécialisé et je n'en suis pas expert. J'essaie de m'en tenir à mon champ de compétences. On m'a dit que c'est effectivement le cas, mais je ne peux pas en témoigner. Si vous voulez vous lancer dans le genre de recommandation que j'ai faite, vous devriez entendre le témoignage de tels experts.

Le président: Monsieur Campion, merci.

Mesdames et messieurs les sénateurs, grâce aux communications électroniques, nous pouvons voir M. Ian Govey, ainsi que M. Jim Davis, professeur à l'Université nationale de l'Australie.

Monsieur Govey et monsieur Davis, pouvez-vous nous dire comment le gouvernement en est arrivé à la conclusion qu'il fallait opter pour le concept de responsabilité proportionnelle? Où en êtes-vous actuellement en ce qui concerne cette politique d'application? Quelles autres options avez-vous rejetées et pourquoi?

M. Ian Govey, conseiller principal, Direction du droit des affaires, ministère du Trésor de l'Australie: Je peux essayer de vous expliquer comment le gouvernement du Commonwealth d'Australie, en particulier, mais aussi le gouvernement de la Nouvelle-Galles du Sud, en sont venus à s'intéresser à la réforme dans ce domaine et, j'espère pouvoir ainsi répondre aux questions que vous venez de poser. M. Davis parlera ensuite plus en détail du rapport et précisera ce qui a permis d'arriver aux conclusions figurant dans ce rapport.

Le gouvernement actuel, soit le gouvernement Howard qui a été élu en mars dernier, n'a pas pris position au sujet du rapport ou de la mise en oeuvre de ce rapport et n'a donc pas adopté de loi à cet égard. Le rapport a été soumis à l'examen du public en juillet. Je vais y revenir plus en détail dans un instant, mais je pense qu'il est important de commencer par expliquer clairement la situation.

Si le gouvernement du Commonwealth s'intéresse à la question, c'est à cause des inquiétudes qui se sont manifestées au cours des années 80 au sujet du nombre de poursuites contre des professionnels, intentées surtout à la suite de spectaculaires échecs d'entreprise. Beaucoup de ces poursuites ont été portées contre des vérificateurs et, si je comprends bien, la situation n'est pas vraiment différente ailleurs, comme au Canada sans doute.

Ces échecs ont en fait entraîné des procédures contre les vérificateurs qui ont été accusés de négligence dans la préparation de leur rapport annuel de vérification ou, dans plusieurs cas, dans la préparation de rapports financiers particuliers, lorsqu'une prise de contrôle s'annonçait, par exemple.

La plupart de ces causes ont été réglées à l'amiable, mais ces règlements ont représenté d'énormes sommes d'argent. L'assurance a joué un rôle essentiel et il suffit d'examiner les défendeurs potentiels pour s'apercevoir que les vérificateurs faisaient partie de ceux qui avaient souscrit de l'assurance. Ils étaient également très en vue, puisque très souvent ils étaient membres de grandes sociétés et que, par conséquent, leurs actifs personnels, comme ceux de leurs associés, étaient potentiellement menacés.

La couverture de l'assurance a toutefois entraîné des augmentations importantes des primes d'assurance, ce qui est également une source de préoccupation. En général, il me semble assez clair que ce sont les vérificateurs qui ont été visés, car ils ont toujours été bien nantis. Des défendeurs potentiels d'autres genres, notamment les directeurs de sociétés, n'ont pas été très souvent visés, parce qu'ils étaient impécunieux par suite de l'échec de leur entreprise.

La responsabilité solidaire fait bien entendu partie intégrante de ce processus, parce que même le défendeur qui est blâmable, dans une petite mesure seulement, va être tenu responsable de toutes les pertes; c'est la raison pour laquelle ce sont les vérificateurs qui se sont retrouvés visés.

Bien sûr, cet argument n'est pas à sens unique. Selon de nombreux Australiens, les vérificateurs se sont eux-mêmes attiré de tels problèmes en omettant d'exercer leurs fonctions professionnelles avec suffisamment de diligence; en général cependant, le problème qui se posait au gouvernement précédent et qui, je crois, se pose au gouvernement actuel, c'est de savoir si le régime actuel est juste ou non et si, en règle générale, les professionnels ont assumé la responsabilité de la plupart des pertes occasionnées par ces échecs d'entreprise. Bien sûr, les professionnels disent haut et fort depuis plusieurs années que le régime actuel n'est pas bon.

Je crois qu'il est important pour votre pays, comme pour le nôtre, de déterminer les responsabilités. Le gouvernement du Commonwealth s'est concentré sur deux mesures législatives. La première, la Corporations Law, prévoit un régime coopératif fédéral de règlements nationaux pour les sociétés et les valeurs mobilières. Cette loi est promulguée par le gouvernement du Commonwealth, mais prend effet à titre de loi d'État dans toutes les compétences australiennes.

La deuxième mesure législative, la Trade Practices Act, renferme les règles de la concurrence et aussi de la protection du consommateur. Au chapitre de la protection du consommateur, l'article 52 prévoit un recours civil dans le cas de pratiques commerciales fallacieuses, fausses ou trompeuses. Cette disposition a servi de fondement à plusieurs poursuites dans des cas de négligence, mais en réalité dans des cas où des renseignements fallacieux avaient été donnés dans le cadre de consultations professionnelles.

La Corporations Law renferme également une disposition semblable relative aux pratiques trompeuses et déloyales de ceux qui font le commerce de valeurs mobilières. La Corporations Law oblige également les sociétés ouvertes à faire l'objet d'une vérification annuelle et c'est cette vérification qui a servi de fondement à plusieurs des poursuites. Il s'agit de réclamations en responsabilité civile délictuelle ou de réclamations contractuelles.

Dans les États et les territoires, les préoccupations sont un peu plus vastes. En plus des questions reliées à la Corporations Law et à la protection du consommateur, des problèmes surgissent dans le domaine des poursuites, notamment dans le secteur de la construction, ainsi que dans celui de certaines fonctions des gouvernements locaux, comme la fourniture de piscines et de terrains de jeux municipaux. En Australie, en plus des comptables, les ingénieurs, les architectes, les avocats et les constructeurs font tous du lobbying pour que le régime actuel change.

Il vaut également la peine de noter que dans le secteur de la construction, trois des compétences, soit l'État de Victoria, l'Australie méridionale et le Territoire du Nord, ont déposé des lois ces dernières années prévoyant la responsabilité proportionnelle en ce qui concerne des poursuites pour travaux de construction mal faits. Si cela vous intéresse, je pourrais aborder cette question plus en détail.

Un plafonnement, soit une limite monétaire, visant à limiter la responsabilité, est une autre réforme-clé recherchée. Là encore, je pourrais aborder cette question plus en détail.

Les comptables cherchent également à obtenir l'autorisation de se constituer en société par actions. À l'heure actuelle, ils ne peuvent être enregistrés que comme vérificateurs de société s'ils exercent leurs fonctions à titre de particuliers ou d'associés. Ils voudraient se constituer en société par actions pour n'avoir qu'une responsabilité limitée.

Conjointement avec certains des gouvernements d'États, l'ancien gouvernement fédéral a examiné de très près la possibilité de présenter une loi sur le plafonnement. Toutefois, au palier fédéral à tout le moins, cette option n'a pas été appuyée. On a jugé, notamment, qu'un plafonnement aurait des résultats injustes et arbitraires, car il faudrait inévitablement fixer une limite arbitrairement.

Toutefois, une compétence australienne, la Nouvelle-Galles du Sud, a en fait adopté une loi prévoyant le plafonnement de la responsabilité professionnelle; elle prévoit un mécanisme permettant au procureur général de la Nouvelle-Galles du Sud d'approuver un régime de plafonnement mis au point par un conseil de normes professionnelles. Plusieurs professions travaillent activement à la mise au point d'un mécanisme ou d'un régime qui doit être approuvé, mais, en ce moment, aucune approbation de ce genre n'a été encore donnée et donc, à toutes fins pratiques, il n'y a pas de régime de plafonnement.

D'anciens gouvernements fédéraux ont été en faveur d'un examen de la réforme de la responsabilité solidaire, pensant que ce serait une option préférable à celle du plafonnement. Cette réforme n'est pas nécessairement une solution de rechange. La Nouvelle-Galles du Sud qui, ainsi que je l'ai dit, dispose de ce régime de plafonnement, examine également activement la réforme de responsabilité solidaire. D'après cet État, il s'agit d'une réforme qui s'ajouterait à un mécanisme de plafonnement, sans le remplacer.

C'est en raison de l'intérêt manifesté par les gouvernements de la Nouvelle-Galles du Sud et du Commonwealth que l'ancien procureur général de la Nouvelle-Galles du Sud et l'ancien procureur général fédéral ont commandé ce rapport à M. Davis. Le rapport a été préparé en deux étapes. La première étape examinait la faisabilité de modifier les règles relatives à la responsabilité solidaire. La deuxième étape, que j'espère, vous avez en main, examine les changements particuliers dans ce domaine.

Le rapport final renferme deux recommandations-clés. La première c'est que, dans les cas où la négligence ne cause que des dommages matériels ou des pertes financières, la responsabilité solidaire pour négligence soit remplacée par une règle de responsabilité selon laquelle les torts sont toujours répartis entre ceux qui sont responsables du dommage ou de la perte. C'est essentiellement l'aspect de common law de la réforme. La deuxième recommandation qui porte sur la réforme statutaire, c'est que la responsabilité des pertes découlant de pratiques trompeuses à l'encontre des dispositions de la Trade Practices Act et de la Corporation Law dont j'ai fait mention, soit répartie entre chaque défendeur, proportionnellement à leur degré de responsabilité.

Les États et territoires ont également des lois sur la protection du consommateur, équivalentes à la Trade Practices Act; M. Davis a recommandé qu'elles soient également visées par cette réforme de responsabilité proportionnelle.

À la suite de ce rapport, les ministres d'États et du Commonwealth ont convenu de passer à la rédaction du projet de loi. Là encore, la Nouvelle-Galles du Sud et le Commonwealth se sont chargés de ce travail.

Cela a abouti à la publication en juillet de cette année d'une ébauche de dispositions visant à mettre en application les principales recommandations du rapport Davis. Ces dispositions ont été soumises à un examen du public de trois mois. Cette période a pris fin vers le milieu du mois d'octobre de cette année. Nous avons reçu de 20 à 25 mémoires et continuons d'en recevoir. Ils proviennent de tout un éventail d'organisations dont, bien sûr, toutes celles qui représentent des groupes professionnels. Les organisations professionnelles ainsi que plusieurs autres organisations qui nous ont envoyé des mémoires, sont fortement en faveur des propositions de réforme. Tout l'exercice a été appuyé.

Il reste toutefois que l'avant-projet de loi soulève plusieurs questions techniques très difficiles. Divers points de vue sont exprimés dans certains des mémoires à propos des questions à retenir. À cette étape, nous en sommes toujours au début de l'exercice. Nous n'avons pas examiné en détail ces observations techniques.

Si elles sont mises en oeuvre, les dispositions prévues entraîneraient des modifications à la common law et également aux lois du Commonwealth, des États et des territoires. C'est pour cela que toute la question est à l'ordre du jour de notre comité permanent des procureurs généraux. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un comité regroupant tous les procureurs généraux des États, des territoires et du Commonwealth. Son rôle consiste généralement à promouvoir des réformes juridiques uniformes, notamment dans les domaines intéressant les procureurs généraux.

Après le changement de gouvernement en mars, la responsabilité du droit des sociétés et du droit des affaires a été transférée au ministère du Trésor. À l'heure actuelle, au palier du Commonwealth, c'est le ministre du Trésor qui est responsable de la réforme dans ce domaine.

Si le comité permanent convient qu'il est souhaitable en principe d'apporter ces changements, on pourrait alors s'attendre à ce qu'il tente d'adopter une loi uniforme qui serait soumise à l'examen des assemblées législatives du Commonwealth, des États et des territoires.

Il faudrait peut-être que je résume brièvement la manière dont la loi mettrait en oeuvre cette réforme. Essentiellement, les dispositions prévues limiteraient la responsabilité des défendeurs à la perte que le tribunal considérerait comme juste, eu égard à la perte dont le tribunal tient ces défendeurs responsables. Cela s'appliquerait à ce que l'on appelle les «dommages et intérêts répartissables» qui visent la perte causée par deux fautifs concurrents ou plus, c'est-à-dire ceux dont les actes ou omissions personnelles auraient causé la perte de manière indépendante.

Les dommages et intérêts répartissables sont ceux dont j'ai fait mention plus tôt et qui visent une perte économique ou un dommage matériel causé par un manque de diligence raisonnable. Ils visent donc les poursuites intentées en droit contractuel ou délictuel. Les poursuites pour préjudice personnel ne faisaient pas partie du mandat de M. Davis et ne sont donc pas visées par les réformes de l'avant-projet de loi.

Les autres dommages et intérêts répartissables sont ceux dont j'ai fait mention plus tôt et qui découlent de pratiques trompeuses ou mensongères selon la Corporations Law, la Trade Practices Act et les Fair Tradings Acts des États et des territoires, qui sont l'équivalent des dispositions relatives à la protection du consommateur de la Trade Practices Act.

Il y a des exceptions à la responsabilité proportionnelle. Notamment, elle ne s'appliquerait pas à la responsabilité vicariale. Elle ne s'appliquerait pas à la responsabilité découlant du fait qu'une personne était un associé ou d'une personne faisant l'objet d'une poursuite. De même, elle ne s'appliquerait pas à toute loi du Parlement ou contrat prévoyant la responsabilité solidaire d'une personne, responsabilité qui serait autrement répartissable.

En vertu du projet de loi, le tribunal pourrait prendre en compte la responsabilité comparative de tout fautif concurrent qui n'est pas partie à la procédure. Cette évaluation servirait alors à limiter la responsabilité du défendeur faisant l'objet de la poursuite. Le défendeur pourrait demander l'autorisation de faire venir une personne ou plus, à titre de codéfendeurs; ainsi, les défendeurs qui font l'objet de la poursuite initiale pourraient amener des codéfendeurs au tribunal pour arriver à une évaluation globale de la poursuite.

Les demandeurs pourraient intenter d'autres poursuites contre d'autres défendeurs qui ont contribué à leur perte de manière à obtenir un dédommagement complet. Si quelqu'un n'était pas disponible pour une raison ou une autre ou s'il se trouvait à l'extérieur de la compétence au moment de la poursuite initiale, il pourrait intenter des poursuites par la suite.

Enfin, les défendeurs qui n'obtiennent pas gain de cause ne pourraient pas demander à leur codéfendeurs des contributions dans le cadre des mêmes procédures ou de procédures subséquentes. Il s'agit ici de mettre un terme aux procédures.

Des questions importantes sont posées, à savoir notamment si les poursuites intentées par des consommateurs devaient être exclues ou non étant donné que les consommateurs méritent un traitement prioritaire en matière de dédommagement complet.

Autre point important, est-ce que ces dispositions devraient s'appliquer uniquement aux poursuites intentées une fois la loi mise en oeuvre ou rétrospectivement.

J'invite maintenant M. Davis à parler plus en détail du rapport.

M. Jim Davis, professeur, Université Nationale de l'Australie: Je vais essayer de tracer les grandes lignes du rapport.

Tout d'abord, à l'heure actuelle, tous les États et territoires d'Australie prévoient la responsabilité solidaire. Si deux personnes ou davantage sont ensemble responsables du même dommage, c'est au demandeur de décider qui poursuivre. Parmi ces défendeurs, si l'un est assuré et les autres non, il est évident que le demandeur choisira de poursuivre la personne assurée pour obtenir réparation du préjudice subi.

La responsabilité solidaire que prévoit actuellement la loi ici privilégie énormément la partie lésée afin de lui permettre de toujours obtenir pleine compensation.

Il n'est pas du tout question, dans notre rapport, du préjudice personnel. Dans de telles causes, on estime que la partie lésée a droit à des dommages-intérêts correspondant bien au tort subi.

Par contre, s'il ne s'agit que de préjudices financiers et de dommages aux biens, il doit y avoir un meilleur moyen. Il faut qu'il y ait moyen de répartir la responsabilité plutôt qu'en faire porter tout le fardeau à un seul défendeur. Il doit y avoir un meilleur moyen de répartir la responsabilité entre les divers fautifs.

La première fois que j'ai examiné cette question, j'ai vite constaté que plusieurs instances s'étaient déjà interrogées sur l'opportunité d'abolir la responsabilité solidaire. Ainsi, la commission de réforme du droit de l'Alberta et celle de l'Ontario se sont toutes deux posé la question.

Les deux ont rejeté l'idée, surtout parce que l'on ne faisait pas de distinction entre la négligence causant des préjudices strictement personnels et celle qui cause des préjudices uniquement financiers. Pour ma part, je suis tout à fait d'accord que, dans le cas d'un préjudice personnel, la partie lésée mérite qu'on lui accorde la priorité.

Il est intéressant de noter qu'en Colombie-Britannique, par exemple, nul ne s'est rendu compte jusqu'en 1986 environ que le cadre législatif était tel qu'un tribunal pouvait l'interpréter de manière à appliquer une forme de responsabilité proportionnelle. En effet, le tribunal pouvait décider que, si au moins deux personnes étaient responsables du préjudice personnel, du préjudice financier ou du dommage aux biens et si la partie lésée avait aussi commis une faute contributive -- c'est-à-dire qu'elle était aussi à blâmer, en partie -- la responsabilité pouvait être répartie entre les divers fautifs.

La commission de réforme du droit de la Colombie-Britannique a recommandé que cette interprétation judiciaire soit renversée. Toutefois, le gouvernement de la Colombie-Britannique n'y a pas donné suite. De toute évidence, il estime que la première interprétation cadre avec les circonstances.

L'Irlande a, elle aussi, un régime de responsabilité proportionnelle. Encore une fois, je précise qu'il ne s'applique que lorsque la partie lésée est dans une certaine mesure fautive. Il s'applique tout autant aux cas de préjudices personnels qu'aux cas de préjudices financiers et de dommages aux biens.

En Australie, la commission de réforme du droit de Nouvelle-Galles du Sud a examiné la possibilité de s'écarter du principe de la responsabilité solidaire en répartissant de manière plus équitable entre tous les fautifs la responsabilité des préjudices. Toutefois, tout comme les commissions de l'Alberta et de l'Ontario, celle de la Nouvelle-Galles du Sud s'est prononcée en faveur du maintien de la loi existante, du fait surtout que les rôles qui s'appliquaient aux préjudices physique et personnel de même qu'au préjudice financier la préoccupaient également.

Dans notre rapport, nous avons confiné l'étude de la question au strict préjudice financier et aux dommages aux biens. Nous estimons que, lorsqu'il est question des agissements de deux ou trois personnes qui ne causent que des préjudices financiers, il n'existe pas de solution forcément équitable qui donne tous les droits à la partie lésée et fait peser la responsabilité sur seulement un des nombreux codéfendeurs pour la simple raison qu'il a de l'assurance. C'est bien là la conséquence de la responsabilité solidaire. Selon nous, il devrait y avoir moyen de répartir cette responsabilité entre les diverses personnes en cause.

Une solution avancée était de dire que, si la partie lésée est dans une certaine mesure fautive, c'est là une raison suffisante pour répartir la responsabilité de la faute entre tous. Toutefois, quelqu'un a alors demandé pourquoi il faudrait permettre la répartition de la responsabilité uniquement lorsque la partie lésée est fautive? Pourquoi ne pas la permettre chaque fois qu'il y a plusieurs fautifs? Pourquoi ne pas proposer, comme nous l'avons fait, que si plus d'une personne est responsable d'un préjudice financier ou d'un dommage aux biens particulier, il faut d'abord décider quelle proportion de blâme attribuer à chacun? A ce moment-là, chacun assume la partie des dommages-intérêts pour laquelle il est responsable.

Dans le cas de la société qui fait faillite parce que, d'une part, les vérificateurs n'ont pas vu ce que faisaient les administrateurs et que, d'autre part, les administrateurs n'ont pas surveillé comme ils le devaient les activités d'un autre employé, si vous décidez que 80 p. 100 du blâme revient aux administrateurs et 20 p. 100, aux vérificateurs, les administrateurs sont alors responsables de 80 p. 100 du préjudice, qu'ils soient assurés ou pas, et les vérificateurs sont responsables de 20 p. 100 du préjudice même si, selon toute probabilité, ils sont les seuls défendeurs assurés. Dans ce genre de cause, la partie lésée -- habituellement, le séquestre -- ne pourra peut-être pas récupérer 80 p. 100 des dommages-intérêts qui représentent la part des administrateurs de la société.

Il n'y a qu'une solution à ce genre de situation: s'il n'y a qu'un seul fautif à blâmer pour un préjudice particulier et que cette personne n'est pas assurée, la partie lésée doit absorber la perte. Elle peut poursuivre le défendeur devant les tribunaux, mais, s'il n'est pas assuré, il est peu probable qu'elle obtiendra un véritable dédommagement. Si c'est le cas lorsqu'il n'y a qu'un défendeur, pourquoi en serait-il autrement quand il y en a plusieurs? Pourquoi la partie lésée aurait-elle tous les avantages du simple fait qu'il y a plus d'un défendeur, dont un est par hasard assuré? Il est donc proposé de répartir la responsabilité. La première tâche du tribunal serait de décider dans quelle proportion chaque partie à la poursuite est responsable du préjudice total, puis de répartir les dommages-intérêts à verser selon cette répartition et, de ce fait, de limiter la responsabilité de chaque défendeur.

Je suis maintenant à votre disposition pour répondre aux questions.

Le président: Avant de céder la parole au sénateur Angus, j'aurais une brève question. Que chacun d'entre vous se sente libre d'y répondre même si la question ne lui a pas été adressée directement.

En fonction de ce que vous avez tous deux dit, ma question s'adresse à M. Govey. J'en aurai d'autres plus tard.

Lorsque vous avez parlé du processus, vous avez dit que 20 ou 25 personnes vous avaient fait connaître leurs réactions à la loi projetée. Dans quelle mesure votre processus permet-il à d'éventuelles parties lésées d'émettre une opinion? Instinctivement, je dirais que ces 25 mémoires vous ont été envoyés par des parties qui ont carrément intérêt à ce que la responsabilité solidaire soit abolie. Existe-t-il un moyen de mieux équilibrer la participation au processus ou la participation favorisera-t-elle vraisemblablement un camp?

M. Govey: De toute évidence, vous touchez-là à une question importante qui se pose souvent dans le cadre de nos travaux sur la réforme du droit. Ceux qui ont un intérêt particulier présentent des mémoires et d'autres qui seraient touchés en tant que consommateurs ou investisseurs, mais qui sont moins bien organisés participent moins. Dans une certaine mesure, ce fut certes le cas dans ce domaine. Par contre, des organismes de défense des intérêts des consommateurs ont eu la possibilité d'exprimer leurs opinions. Des organismes de protection des consommateurs ou du commerce des États et du Commonwealth ont aussi pu faire connaître leurs réactions. Enfin, des professionnels, particulièrement des avocats, ont souvent quelque chose à dire dans l'intérêt public au sujet de la réforme du droit et présentent des mémoires en ce sens.

Je ne pourrais vous dire avec précision à quel point ce fut le cas dans de dossier-ci, mais je sais que l'autre camp a pu se faire entendre à des étapes antérieures. Ainsi, aux diverses étapes de préparation du rapport de M. Davis, nous avons entendu des arguments contraires. On peut dire que M. Davis en a tenu compte dans la rédaction de son rapport. Certes, quand les élus seront saisis du dossier, les fonctionnaires désireux d'informer les ministres en tiendront compte.

Le président: J'ai une question à poser à M. Davis. J'ai toujours estimé que le fait de ne pas être avocat me réchappait. Néanmoins, je suis de toute évidence l'évolution des questions juridiques. Le système juridique australien est beaucoup plus proche du système canadien que le nôtre ou le vôtre ne l'est du système américain.

Pouvez-vous nous donner une idée de la gravité de cette question de la responsabilité solidaire? J'essaie de comprendre s'il s'agit d'un problème théorique qui a peu de chances de se produire et de causer de graves difficultés à une firme de vérification ou s'il s'agit en fait d'un problème dont il faudrait vraiment s'inquiéter.

Je vous pose la question parce que, si l'on examine les jugements rendus aux États-Unis et les dommages-intérêts accordés par les jurys américains, on pourrait en venir à une toute autre conclusion aux États-Unis qu'au Canada ou en Australie.

Avez-vous une idée de la gravité du problème?

M. Davis: La seule idée que j'ai pu m'en faire vient de mes entretiens avec des cabinets d'experts-comptables. Quand le rapport de première étape a été publié et que l'on a au moins discuté des possibilités de changement, ces cabinets ont certes dit qu'il était extrêmement important de modifier le principe de la responsabilité solidaire.

Plusieurs grands cabinets internationaux de vérification m'ont approché pour faire remarquer que leur assurance n'était que de quelque 20 ou 30 millions de dollars alors qu'on leur réclamait de 100 à 200 millions de dollars du simple fait qu'ils étaient les seuls assurés.

Assurément, il y a eu de nombreuses débâcles financières en Australie vers la fin des années 80. On ne fait que commencer à trouver d'éventuelles solutions juridiques à ces débâcles, et les séquestres des sociétés en faillite commencent à entamer des poursuites non seulement contre les vérificateurs, mais aussi contre les avocats.

Les membres de professions libérales estiment, en règle générale, que ce genre de question importe au plus haut point et qu'il est essentiel d'envisager des réformes.

Le sénateur Angus: Messieurs, je vous remercie beaucoup d'avoir participé à nos audiences, ce soir. C'était un véritable exploit de la technologie.

Je suis fort étonné de l'étendue de votre connaissance du droit canadien. Vous avez mentionné les commissions de réforme du droit de l'Alberta, de l'Ontario et de la Colombie-Britannique.

Avez-vous l'impression que nos deux régimes et nos deux cadres législatifs sont plutôt analogues?

M. Davis: Ils sont effectivement très similaires. Nous, de l'Université nationale d'Australie, sommes choyés d'avoir une si riche collection de textes juridiques en provenance du Canada. Nous nous faisons certes un point d'honneur de bien nous documenter avant d'entreprendre de telles études.

J'ajouterais aussi que la Haute Cour, c'est-à-dire le pendant australien de la Cour suprême du Canada, se tourne de plus en plus vers le Canada, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande comme sources d'inspiration.

Il existe effectivement beaucoup de points communs, selon moi, entre le droit canadien et le droit australien, exception faite du Québec dont le régime est fondé sur le droit civil plutôt que sur la common law.

Ainsi, nos juges suivent la situation au Canada pour voir comment évolue le droit. De plus, pour les théoriciens, la jurisprudence canadienne représente une source très riche d'exemples de la façon dont pourrait évoluer le droit chez nous.

Le sénateur Angus: Je suis associé à un cabinet d'avocats du Québec qui ouvrira un bureau à Sydney, en Australie, le 2 janvier prochain. Je me demande à quel point les poursuites entamées contre les avocats sont importantes en Australie.

M. Govey: Si cela peut vous réconforter, il semblerait jusqu'ici que les poursuites en dommages-intérêts entamées contre les avocats en Australie sont plus fréquentes que celles qui sont entamées contre des vérificateurs; par contre, les sommes réclamées sont bien moindres. En contrepartie, la profession comptable est moins souvent poursuivie devant les tribunaux, mais on lui réclame de plus forts montants qui peuvent, en fait, atteindre jusqu'à 1 milliard de dollars en Australie.

Le sénateur Angus: En réalité, sur la scène internationale, il n'existe que six à neuf grands cabinets d'experts-comptables, alors qu'il y a des milliers de cabinets d'avocats.

Récemment, une importante poursuite a été entamée contre Clifford Chance, un des importants cabinets d'avocats du monde. Le montant des dommages-intérêts réclamés se rapproche des montants réclamés des cabinets d'experts-comptables.

Avez-vous tenu compte du fait que tout est, en réalité, une question de degré?

M. Govey: C'est effectivement une question de degré, dans une certaine mesure. Bien sûr, il y existe aussi de nombreux petits cabinets d'experts-comptables. Toutefois, en Australie, les avocats sont typiquement poursuivis pour avoir, par exemple, préparé des documents avec négligence, avoir par négligence oublié de tenir compte de la loi sur la prescription dans le cas des dommages réclamés à la suite d'un accident de la route, et ainsi de suite. Habituellement, ce sont des avocats de banlieue qui font l'objet de pareilles poursuites. Les dommages-intérêts accordés ne sont pas aussi élevés que ceux que doivent assumer les vérificateurs qui, de par la simple nature des sociétés avec lesquelles ils font affaire, peuvent être appelés à verser des centaines de millions de dollars, lorsqu'il y a une faillite spectaculaire.

M. Davis: Si vous le permettez, j'ajouterai que, dans une certaine mesure, les cabinets d'avocats d'Australie et du monde entier cherchent à fusionner comme les cabinets d'experts-comptables. En Australie, on compte une douzaine environ de grands cabinets d'avocats qui ont des bureaux dans chaque capitale. Certains d'entre eux sont la filiale australienne d'un cabinet international.

Bien que bon nombre des poursuites entamées contre des avocats portent sur des fautes comme oublier de tenir compte de la loi sur la prescription, des collègues qui pratiquent le droit m'ont dit que les avocats s'inquiètent de plus en plus de leur éventuelle responsabilité s'ils conseillent une société dans la préparation d'un prospectus, s'ils prodiguent des conseils pour la négociation d'une mainmise et pour toutes sortes d'importantes transactions financières. En effet, on fait de plus en plus appel à des avocats dans ce genre de transactions, et les sommes d'argent en jeu peuvent être faramineuses, si l'affaire tourne mal.

Je crains que les comptables et avocats australiens ne connaissent peut-être le même sort que leurs collègues des États-Unis, en ce sens qu'ils deviendront les défendeurs dans des poursuites mettant en jeu des millions de dollars.

M. Govey: Je suis entièrement d'accord avec ce qu'a dit M. Davis au sujet d'éventuelles grandes poursuites entamées contre des cabinets d'avocats. En fait, plusieurs causes sont actuellement pendantes en Australie et mettent en cause des avocats, particulièrement des codéfendeurs, où la responsabilité éventuelle est effectivement très lourde.

Le sénateur Angus: Si la tendance actuelle se maintient, la profession d'avocat courra tout autant de risques que les vérificateurs et d'autres.

Après avoir entendu vos exposés, ce soir, et avoir lu votre rapport, je constate que l'un de vos principaux arguments à l'appui d'une refonte de l'actuel droit de responsabilité solidaire est l'élément d'équité. Si c'est effectivement le cas, seriez-vous d'accord avec moi pour dire qu'il ne serait peut-être pas équitable de modifier la loi actuelle pour ne soulager qu'une profession, soit celle des experts-comptables?

M. Govey: C'était certes une des préoccupations centrales de l'ancien gouvernement au sujet d'un régime de plafonnement. Inévitablement, le régime de plafonnement impose une limite à la quantité d'argent qui peut être réclamée par profession, et c'est là que l'élément d'iniquité était considéré comme très grand.

M. Davis: Il faut tenir compte de la façon dont les principes juridiques serviront à répartir la responsabilité. Peu importe que l'un des défendeurs soit un constructeur, un avocat ou un comptable. Chaque fois, le constructeur est responsable en partie, tout comme l'avocat et l'expert-comptable. Si, chaque fois, le défendeur particulier n'est responsable qu'en partie, pourquoi faudrait-il que sa compagnie d'assurance verse tous les dommages-intérêts du simple fait que son client est assuré? C'est pourquoi nous avons préféré ne pas en traiter par profession. Si l'on examine la question sous l'angle du principe, il est difficile d'expliquer pourquoi une profession devrait être traitée plus équitablement que d'autres.

Le sénateur Angus: Cette notion de responsabilité proportionnelle me pose un peu de difficulté. Vous êtes sans doute bien au courant des arguments qui existent à cet égard. N'est-ce pas la raison pour laquelle vous avez envisagé d'autres solutions dans votre projet de loi et recommandé entre autres le plafonnement de la responsabilité légale des professionnels?

Je ne suis pas sûr que c'est ce que vous recommandez. Je me demande toutefois dans quelle mesure il est possible d'éviter et d'atténuer les problèmes en autorisant les professions à se constituer en société de personne à responsabilité limitée.

M. Govey: La constitution en personne morale permettrait jusqu'à un certain point d'apaiser ces préoccupations mais c'est une mesure assez extrême, en ce sens que cette responsabilité limitée laisse supposer en fait que la société devra subir des procédures d'insolvabilité et être liquidée. Manifestement, pour une association professionnelle, c'est un résultat extrême qu'elle préfère éviter. Cela pourrait également l'inciter à ne pas souscrire une assurance aussi importante qu'en cas de responsabilité illimitée, même avec la responsabilité proportionnelle. Certains prétendent que ce n'est pas une solution en ce qui concerne la responsabilité proportionnelle parce que le niveau de protection n'est pas le même.

En ce qui concerne le plafonnement, il y a quelques années j'ai participé à un groupe de travail qui a examiné en détail les divers arguments pour et contre le plafonnement. Au niveau au moins du Commonwealth, nous sommes arrivés à la conclusion que le plafonnement serait une option injuste et arbitraire.

En particulier, comment fait-on pour établir un plafond? S'il est établi à cinq millions de dollars par exemple, une personne qui subit une perte de 10 millions de dollars ne récupérera donc que 50 cents pour chaque dollar tandis qu'une personne qui a subi une perte de quatre millions de dollars récupérera la totalité de son argent. Il semblait n'exister aucun principe permettant d'établir un plafond ou de l'appliquer dans la pratique.

Un autre problème important, c'est qu'il y a souvent deux défendeurs, c'est-à-dire un administrateur et un vérificateur et il est tout à fait possible que seul le vérificateur bénéficie d'un plafond. Le système se trouvera alors à défavoriser l'autre défendeur dont la responsabilité n'est pas plafonnée.

M. Davis: J'aimerais faire des commentaires sur les sociétés de personne à responsabilité limitée. Il ne fait aucun doute qu'un certain nombre des professions susceptibles de bénéficier de la responsabilité proportionnelle se constituent effectivement en sociétés. Cependant, pour l'instant, en ce qui concerne la responsabilité solidaire, un architecte pourrait être tout autant responsable que le constructeur et l'instance locale. C'est l'un des exemples que nous avons utilisés dans le rapport. C'est un domaine où la législation à Victoria, en Australie-Méridionale et dans le Territoire du Nord a déjà opté pour la responsabilité proportionnelle. Si un architecte ne fait pas partie d'une société de personne, il ne peut pas bénéficier de cette responsabilité limitée tandis qu'un autre architecte qui est peut-être tout aussi négligeant ou tout aussi prudent mais qui fait partie de la société en question, pourra lui, en bénéficier. Ici encore, cela ne semble pas forcément juste. Je suppose que si vous prenez l'exemple de la maison qui s'écroule huit ou neuf ans après avoir été construite à cause de la négligence de l'architecte, du constructeur et de l'instance, et que l'instance locale et le constructeur n'ont pas une responsabilité limitée, pourquoi l'architecte en tant qu'unique professionnel faisant partie d'une société à responsabilité limitée devrait-il pouvoir en bénéficier?

Le sénateur Angus: Pourquoi dites-vous qu'il est plus juste pour un défendeur dans une cause de préjudice personnel d'avoir une responsabilité solidaire alors que dans une affaire commerciale, il bénéficierait d'une responsabilité proportionnelle?

M. Davis: C'est parce que la loi doit accorder beaucoup plus d'importance au préjudice personnel, à l'intégrité corporelle, qu'au préjudice strictement économique.

Je n'ai pas d'objection à ce que l'on continue à recourir à la responsabilité solidaire en cas de préjudice personnel. En tant qu'avocat spécialisé en droit de la responsabilité délictuelle, je suis très conscient que le droit de la responsabilité délictuelle est un mécanisme très inadéquat pour indemniser les gens qui ont été blessés dans des accidents de la route ou du travail.

En ce qui concerne les pertes strictement financières, je crois que toute personne qui subit une perte financière -- que ce soit parce qu'une entreprise fait faillite ou doit liquider ses actifs -- court le risque supplémentaire d'avoir affaire à des défendeurs qui ne sont pas assurés. Tout bien pesé, je considère cela acceptable. Mais personne ne devrait courir le risque d'être heurté par un automobiliste sans assurance.

Le sénateur Angus: Vous savez sans doute que certains membres de la Lloyd's ont subi des pertes financières tellement épouvantables qu'ils se sont suicidés sans compter ceux qui ont subi des préjudices personnels incroyables.

Le président: Donc, si je vous comprends bien, lorsque vous dites qu'il faut faire la distinction entre les cas où la responsabilité doit être solidaire et ceux où elle doit être proportionnelle, vous vous fondez sur un jugement de valeur, à savoir qu'un plaignant qui a subi un préjudice personnel doit être traité différemment d'un plaignant qui a simplement perdu de l'argent? Ce jugement de valeur constitue intrinsèquement une hypothèse dont tout le reste découle.

M. Davis: Oui, effectivement, c'est tout à fait exact. Je considère que le préjudice personnel est quelque chose de tout à fait différent.

Le droit de la responsabilité délictuelle ne permet pas vraiment une indemnisation adéquate dans les cas de préjudice personnel grave tandis que les pertes strictement financières se situent à un niveau différent. Je suis d'accord, il s'agit d'un jugement de valeur. Il n'existe aucun principe juridique, juste pouvant être invoqué. C'est ce jugement de valeur qui sous-tend la totalité de notre rapport.

Le sénateur St. Germain: Ma question porte sur les vérificateurs. Il semble que l'Institut canadien des comptables agréés, ainsi que les comptables de votre pays, ont pris l'initiative des études en train d'être faites sur les changements proposés à la loi.

A-t-on fait des études au cours des années 80 sur le niveau de diligence des vérificateurs? Ces vérificateurs ont-ils assoupli leurs normes pour satisfaire leurs clients importants en s'exposant ainsi à ce genre de poursuites? Autrement dit, ont-ils dérogé à ce qui est considéré comme des normes de vérification ou des principes comptables généralement acceptés? Avez-vous des renseignements à ce sujet, messieurs?

M. Davis: Je n'ai malheureusement pas de données empiriques à ce sujet. Selon certaines données non scientifiques, pendant la dernière moitié des années 80, le boom économique était tel que les auditeurs ont été submergés de travail et que certains travaux de vérification ont sans doute été confiés à des associés ou à des employés subalternes. Il y a peut-être eu un léger relâchement des normes.

Peut-être par votre question voulez-vous laisser entendre qu'il suffit, pour éviter les risques, que les vérificateurs ou les avocats soient prudents.

Je ne crois pas que ce soit un point de vue réaliste. Le problème, c'est qu'en cas de faillite, lorsque quelqu'un subit de graves pertes financières et envisage d'intenter des poursuites, on est toujours porté à faire des jugements après coup sur ce que le comptable ou l'avocat aurait pu faire et bien entendu, comme tout le monde sait, après coup, on ne se trompe jamais. Il est beaucoup trop facile de dire qu'il aurait fallu faire ceci ou cela alors qu'à l'époque, des échéances serrées ont pu causer des erreurs qui n'ont pas été remarquées et qui ne se seraient peut-être pas produites dans un monde idéal.

À ma connaissance, il n'existe aucune donnée empirique permettant de déterminer si les cabinets d'experts-comptables ont maintenu les normes. Dans tous les cas de faillite, le liquidateur se tournera toujours vers le vérificateur et examinera à la loupe le comportement du cabinet de vérificateurs pour essayer de trouver des preuves de négligence.

Même si un auditeur est trouvé coupable de négligence ou tenu responsable en vertu de notre loi de protection du consommateur, cela ne veut pas forcément dire qu'il y a eu un relâchement des normes.

M. Govey: J'ignore s'il existe des études empiriques à ce sujet. Je crois que les comptables chevronnés n'hésiteront pas à reconnaître qu'une bonne partie des problèmes qui ont surgi au cours des années 80, comme l'indiquent les cas auxquels j'ai fait allusion, témoignent assez clairement d'une défaillance dans les normes de vérification pour les deux raisons mentionnées par le professeur Davis: l'insuffisance des ressources et l'inexpérience des personnes auxquelles ce travail avait été confié.

Les jugements rendus ont effectivement fait état de cas assez graves de négligence de la part des comptables en question.

Il est également clair que les vérificateurs n'étaient pas les seules parties fautives. Les entrepreneurs, entre autres, étaient tout autant, sinon plus, responsables que les vérificateurs des pertes financières subies par les investisseurs et les créanciers. Or, d'après les règlements et les jugements prononcés à l'issue des procès intentés par suite de ces faillites, ce sont les vérificateurs et leurs assureurs qui ont été tenus responsables de la grande majorité des pertes.

Le sénateur St. Germain: Pour résumer, ne croyez-vous pas que nous devrions revoir les normes et les principes au lieu de modifier nos lois pour répondre aux exigences? Je comprends ce que vous dites. Souvent, il est impossible de poursuivre l'entrepreneur.

J'insiste toujours sur les normes et les principes lorsque je siège au comité de vérification d'un conseil. C'est une zone grise jusqu'à un certain point. Je crois en tant qu'homme d'affaires, et non en tant qu'avocat, que c'est un aspect dont il faut s'occuper.

M. Govey: C'est une observation juste. Cependant, ce n'est pas au Parlement d'établir ces normes. Je sais toutefois que les comptables et les deux organismes de comptables professionnels ont accordé énormément d'importance au relèvement des normes professionnelles.

Ils se sont attachés à relever les normes professionnelles en insistant davantage sur la formation professionnelle. Des mesures disciplinaires ont été prises par les organisations professionnelles elles-mêmes et par notre organisme chargé d'entendre les cas de grave inconduite de la part des vérificateurs et des liquidateurs, qui lui sont soumis par leur organisme de réglementation. Nous avons entendu dire que ces normes se sont nettement améliorées.

En ce qui concerne votre point sous-jacent, je crois que les vérificateurs considèrent que les risques de poursuites et le système de responsabilité peuvent inciter jusqu'à un certain point seulement à l'adoption de règles de conduite appropriées. Je ne suis pas nécessairement d'accord avec cette affirmation. Il n'en reste pas moins que si vous êtes responsable d'une perte de 50 millions de dollars, c'est sans doute le meilleur moyen qui soit pour vous inciter à respecter les normes professionnelles. Il n'est pas évident qu'une responsabilité professionnelle de 150 millions de dollars incite tellement plus à l'adoption de règles de conduite appropriées.

M. Davis: Il ne fait aucun doute qu'il faut relever les normes.

Un autre problème, c'est que le système légal a toujours cinq, six, sept et peut-être même dix années de retard. En Australie, on commence tout juste à entendre certaines causes qui remontent au milieu des années 80 et qui exposent les manoeuvres utilisées par des entrepreneurs pour faire rapidement de l'argent aux dépens des investisseurs. C'est uniquement maintenant que ces questions sont portées devant les tribunaux.

C'est donc seulement maintenant que l'on peut étudier ces questions de responsabilité proportionnelle.

Il faudra cinq à dix ans avant que les effets d'un relèvement des normes, aussi admirable soit-il, commence à se faire sentir sur le plan de la responsabilité légale. Comme M. Govey l'a indiqué, entre-temps, il faut compter sur le système légal comme mesure supplémentaire d'incitation au relèvement des normes.

Le sénateur Oliver: J'ai trouvé intéressant ce que vous avez dit à propos de la Cour suprême de l'Australie et de la façon dont elle se tourne vers le Canada pour y observer l'évolution de la loi.

Dans vos réponses précédentes, vous aviez déjà mentionné qu'il faut du temps avant que certaines de ces questions soient portées devant les tribunaux.

Pouvez-vous nous indiquer le genre de causes dont ont été saisis les tribunaux australiens en 1996 et s'ils ont effectivement tâché d'établir une certaine ligne de démarcation entre la responsabilité proportionnelle des vérificateurs et celle des autres professions dans certaines de ces causes?

M. Davis: Aucune cause n'a été portée devant la Cour suprême et très peu de causes soulevant la question de la responsabilité d'un certain nombre de défendeurs différents ont été portées devant les tribunaux.

À l'heure actuelle, du moins, si les tribunaux entendent des causes impliquant un certain nombre de défendeurs différents, ils doivent appliquer le principe juridique en vigueur de la responsabilité solidaire. Si certaines des personnes qui étaient effectivement responsables de la perte ne sont pas poursuivies ni convoquées devant les tribunaux, le tribunal ne peut pas exiger qu'elles figurent sur la liste des défendeurs et ce sont les quelques défendeurs qui sont poursuivis qui doivent assumer la totalité de la perte.

Le sénateur Meighen: Je dois avouer, messieurs, qu'en tant qu'avocat, je vois les deux côtés de la médaille et je ne sais pas lequel appuyer. Ils ont tous deux beaucoup de mérite.

Pour revenir à la question posée par le président, je suppose que ceux d'entre nous qui connaissent un peu la politique constatent avec étonnement ce que peut accomplir un lobby bien organisé et éloquent.

Êtes-vous entièrement convaincus, messieurs, que le maintien de la responsabilité solidaire entraînera une crise financière ou compromettra le principe de l'équité? Ou, en l'absence de jugements et de preuves concrètes, êtes-vous en train de faire ce dont vous parliez il y a quelques instants, c'est-à-dire adapter la loi à ce que vous percevez être la tendance actuelle?

Je sais que nous avons six ou sept cabinets internationaux d'experts-comptables. Risquent-ils à votre avis la faillite et existe-t-il des preuves qui confirment cette opinion?

M. Davis: Rien n'indique que les six ou sept cabinets internationaux d'experts-comptables sont sur le point de disparaître.

Je ne dirais pas que le maintien de la responsabilité solidaire est en train de compromettre l'équité. Je me suis rendu compte lorsque j'écrivais le rapport que la réforme du droit est un processus long et ardu. Même si un rapport a été rédigé, un projet de loi a été préparé, des témoins ont été entendus, en bout de ligne, je suis tout à fait conscient que ce sont les gouvernements qui décideront.

Tout ce qu'un universitaire peut faire, c'est signaler les aspects inéquitables de la loi et proposer un système pour assurer l'équité dans le domaine restreint visé.

Même si aucun changement n'est apporté pour l'instant, il existe un rapport et un projet de loi. Au moins, cette question existe et peut être débattue et examinée. Elle ne disparaîtra pas tout simplement.

Vous demandiez si les six ou sept grands cabinets d'experts-comptables risquent de disparaître. Il y a également lieu de se demander s'ils quitteront l'Australie parce que l'Australie maintient la responsabilité solidaire. La réponse à cette question doit être non, pour la raison suivante: au milieu des années 70, la Cour d'appel de la Nouvelle-Zélande a rendu un jugement qui a étendu assez considérablement la responsabilité des vérificateurs. Le tribunal a jugé que le vérificateur avait un devoir de diligence non seulement envers ses clients mais également envers toute personne qui lance une offre publique d'achat en fonction des renseignements contenus dans les rapports annuels.

De nombreux économistes soutiennent que cette décision incitera tout vérificateur sensé à quitter promptement la profession parce que la seule personne qui paie le vérificateur, c'est le client. Or, le vérificateur, lui, devra dédommager un grand nombre de personnes, en plus du client. Si tel était le cas, alors la profession en Nouvelle-Zélande aurait dû disparaître au cours des 20 dernières années. J'ai déjà habité en Nouvelle-Zélande et j'y retourne régulièrement pour visiter ma famille. Je peux vous dire que la profession s'y porte très bien et qu'aucun vérificateur n'a prêté attention aux propos de ces économistes.

Je sais que mon raisonnement est plutôt long. Il n'y a pas de crise dans ce pays. Les cabinets de vérificateurs ne disparaîtront pas en Australie. Du moins, si l'on peut trouver une formule qui permet de répartir la responsabilité de façon plus équitable, alors il faut l'exploiter à fond, dans la mesure où c'est possible pour un avocat de le faire.

M. Govey: Je préfère éviter le fond de votre question parce que, comme je l'ai déjà dit, le gouvernement n'a pas pris position là-dessus. Toutefois, en ce qui concerne les vérificateurs et les services de vérification, ils vont vous dire qu'il y a une crise, et que celle-ci se manifeste sous deux rapports. Il y a d'abord l'importance des réclamations, dont certaines ne sont toujours pas réglées. S'ils étaient poursuivis en justice, les associés de ces firmes seraient obligés de déclarer faillite, ce qui entraînerait leur exclusion de la profession, même s'ils n'ont joué aucun rôle dans ce dossier. Il s'agit ici, en partie, d'une question d'équité.

Ensuite, les primes d'assurance ont beaucoup augmenté. Je ne me souviens pas des chiffres exacts, mais elles auraient quadruplé ou même quintuplé sur cinq à dix ans. Évidemment, ces hausses ont été refilées aux clients.

Si le principe sur lequel repose le rapport de M. Davis est exact, à savoir que l'actuel régime de responsabilité est injuste et que certaines professions versent une part excessive de dommages-intérêts, alors la structure des coûts des services de vérification est, elle aussi, injuste.

L'autre point qu'il convient de souligner, c'est que la vaste majorité des réclamations se règlent comme tout le monde s'attend à ce qu'elles le soient. Le régime de responsabilité proportionnelle permettrait aux vérificateurs et aux autres professionnels de négocier une entente moins élevée que ce qui ne serait le cas autrement.

Les incertitudes entourant la loi ne font que compliquer le processus; de plus, elles ont tendance à avoir un impact sur l'entente de règlement. Une fois que la responsabilité d'un des groupes professionnels a été établie, celui-ci devra assumer la responsabilité de tous les autres groupes. Ce qui aura pour effet d'accroître le montant des dommages-intérêts qui seront versés. Le régime de responsabilité proportionnelle aurait un effet tout à fait contraire.

Le sénateur Meighen: J'ai trouvé fort intéressant le rapport de M. Davis sur la Nouvelle-Zélande.

Monsieur Govey, si un territoire décide d'appliquer le régime de responsabilité solidaire, un autre, de ne pas en appliquer du tout, et un autre encore, de plafonner la responsabilité, ainsi de suite, ne croyez-vous pas que cela va inciter les gens à intenter des poursuites là où ils sont les plus susceptibles d'obtenir un jugement favorable? Nous sommes obligés de tenir compte, encore plus que vous, de ce qui se fait au sud du 49e parallèle. Les États-Unis semblent pencher en faveur du régime de responsabilité proportionnelle depuis l'adoption, en 1995, d'une loi sur les valeurs mobilières. Je crois que 48 États ont souscrit à la loi de 1995. Si tous les États appliquent ce régime, il nous sera très difficile de ne pas faire la même chose. Est-ce que le régime qu'adopte votre principal partenaire commercial a de l'importance pour vous?

M. Govey: Il est plus important de voir à ce que tous les États australiens appliquent les mêmes règles. Les ministres des États, des territoires et du Commonwealth ont déjà tenu des discussions à ce sujet. Le dossier a été confié au comité permanent des procureurs généraux dans le but, entre autres, d'uniformiser les règles. Cela dit, seul un État cherche pour l'instant à introduire un système de plafonnement. Il est vrai qu'une des questions qui revient le plus souvent concernant cette loi, c'est précisément celle que vous soulevez, soit la probabilité qu'on assiste à une certaine forme de marchandage.

Les craintes exprimées en Australie ne concernent pas tant ce qui risque de se produire à l'étranger, mais plutôt ce qui risque de se produire à l'interne.

M. Davis: Nous sommes avantagés par le fait que notre île est très grande, même si la Nouvelle-Zélande est très proche, à bien des égards, de l'Australie et que ses lois ressemblent beaucoup aux nôtres. Les liens juridiques entre les deux pays s'intensifient. En effet, la Commission de réforme du droit de la Nouvelle-Zélande a été tenue au courant de l'évolution du rapport et de ce qui se passe ici.

Je ne vois pas quel impact cela pourrait avoir sur la Nouvelle-Zélande si tous les États et territoires en Australie appliquent le régime de responsabilité proportionnelle. De la même façon, si la Nouvelle-Zélande et la plupart des États en Australie adoptaient le principe de la responsabilité proportionnelle, nous n'assisterions pas, à mon avis, à un de transfert de services comptables ou juridiques de l'autre côté de la mer de Tasman.

Nous nous préoccupons peu des régimes juridiques qui existent dans les autres pays, sauf que, comme vous l'avez mentionné, les États-Unis sont en train d'instituer sur leur territoire un régime de responsabilité proportionnelle. Comme les Républicains détiennent actuellement la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants, les projets de loi sur la responsabilité proportionnelle sont beaucoup plus susceptibles d'être bien accueillis.

Donc, je ne crois pas que cela aurait un grand impact sur notre pays. Sauf que, comme les grandes firmes comptables en Australie sont des filiales de sociétés américaines, elles vont peut-être se servir de cet argument pour encourager les gouvernements à modifier leurs lois.

Le sénateur Meighen: En fait, il y a trois jours, un associé d'une de ces grandes firmes m'a dit que si le Royaume-Uni adoptait le régime de responsabilité proportionnelle, ces firmes, à son avis, auraient l'autorisation légale de s'implanter là-bas et d'ouvrir tout simplement une filiale au Canada, ce qui leur permettrait de tirer partie du régime en vigueur au Royaume-Uni.

Si vous trouvez le moyen d'amener tous les États en Australie à collaborer ensemble, n'hésitez pas à partager votre secret avec nous. Si l'Île-du-Prince-Édouard, qui est plus petite que la vôtre, décidait d'établir un régime de responsabilité proportionnelle, on trouverait plus de comptables que de vaches dans cette île.

Le président: Monsieur Govey, j'aimerais vous poser deux questions au sujet de votre analyse. Vous avez dit que les primes ont quadruplé et même quintuplé sur dix ans. Dans quelle mesure le marché de l'assurance est-il responsable de cette hausse? Il est vrai qu'on peut avoir recours à l'assurance-responsabilité. Nous avons discuté de cette question lors d'audiences qui ont eu lieu il y a quelques mois. Est-ce que la hausse des primes témoigne de l'existence d'un problème qui doit être réglé, ou est-ce le marché de l'assurance qui en est responsable?

Vous avez également parlé des avantages que comporte la responsabilité promotionnelle par rapport à la responsabilité solidaire. Bien entendu, si, en vertu du régime de responsabilité solidaire, vous risquez d'être tenu responsable de toutes les pertes subies, vous serez beaucoup plus enclin à conclure une entente hors cours si le montant des dommages-intérêts que vous devez verser ne représente que 5 p. 100 des coûts. L'introduction d'un régime de responsabilité proportionnelle peut donc nuire au plaignant de deux façons: d'abord, il ne se fera pas rembourser la totalité des dommages, ou il n'obtiendra pas un dédommagement important s'il règle hors cours; ensuite, s'il n'y a qu'un seul groupe d'assurés et que son degré de responsabilité est minime, il sera moins enclin à régler hors cour. En fait, le plaignant perdrait sur les deux fronts. Est-ce une situation qui pourrait se produire? En avez-vous tenu compte dans vos discussions?

M. Govey: En ce qui concerne votre deuxième point, vous avez raison de dire que les parties seraient moins portées à régler hors cours parce que les dommages-intérêts seraient, au bout du compte, moins élevés. Toutefois, selon si l'on se fie à notre expérience, il y a tellement d'incertitude entourant ces poursuites -- y compris la question de savoir si vous serez tenu responsable d'une part infime ou importante des pertes --, que les parties concernées continueront de vouloir trouver une entente hors cour, en partie à cause des frais que doit assumer le défendeur, y compris les honoraires d'avocat, surtout à l'étape du procès.

Il y a une autre raison pour laquelle les professionnels, notamment, préfèrent éviter les poursuites. Premièrement, cette démarche attire de la publicité négative et non désirée et, deuxièmement, elle nuit à leur travail. Elle les empêche d'être productifs.

En ce qui concerne les primes d'assurance, je ne suis pas un expert en la matière. Toutefois, nous avons participé à un projet de recherche, il y a quelques années, avec des compagnies d'assurance et des vérificateurs. Ils ont fourni des chiffres sur l'ampleur des réclamations et les primes d'assurance qui, du moins à leurs yeux, montrent qu'il existe un lien très étroit entre la hausse des dommages-intérêts versés et l'augmentation des primes d'assurance.

Il convient également de mentionner -- et je crois que cela vaut pour tous les pays --, qu'une partie importante de l'assurance à laquelle souscrivent les cabinets de vérificateurs et d'experts-comptables provient d'un fonds d'assurance mutuelle auquel contribuent les firmes elles-mêmes.

Il me semble que -- et encore une fois, je ne suis pas un expert en la matière --, dans un cas comme celui-là, il est beaucoup plus difficile d'imputer la responsabilité au marché parce que les primes sont payées en partie par les firmes, et que cet argent est compris dans les dommages-intérêts qui sont versés. Une fois le versement effectué, il faudrait renflouer le fonds.

M. Davis: Lorsque nous avons préparé ce rapport, certaines grandes sociétés internationales nous ont dit qu'elles ne pouvaient plus trouver de compagnies d'assurance qui acceptaient de les protéger pour les montants requis. Les grandes sociétés ont donc été obligées de se constituer un fonds d'assurance mutuelle.

Je suis d'accord avec M. Govey. On ne peut pas blâmer le marché de l'assurance. La question de l'assurance-responsabilité posera toujours un problème. Peu importe qui fournit cette assurance, il sera toujours difficile d'établir une année à l'avance quelle sera la responsabilité d'une firme. La compagnie d'assurance devra effectuer une estimation approximative, y ajouter 20 pour cent de plus au cas où elle se serait trompée dans ses calculs, et fixer le montant de la prime.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous semblez pencher en faveur de la responsabilité proportionnelle. Il est question ici de compagnies qui présentent des risques élevés. Avez-vous envisagé une formule qui tiendrait compte de ce facteur? Ce régime semble surtout favoriser les vérificateurs et les avocats. Vous proposez une solution globale pour toutes les professions, alors que seulement 5 p. 100 des compagnies sont responsables des risques d'endettement encourus par ces groupes. N'y a-t-il pas d'autres mécanismes qui seraient mieux adaptés à la situation?

M. Davis: Ce sont les vérificateurs et les experts-comptables notamment qui ont réclamé des changements. Ce besoin apparent de changement a été provoqué par une crise financière en particulier. Les dommages-intérêts que le gouvernement a été appelé à verser m'ont fait réaliser que les mêmes principes s'appliquent si c'est un avocat, ainsi que deux ou trois autres personnes, qui est tenu responsable d'un préjudice en particulier -- c'est-à-dire, un architecte, un entrepreneur et un conseiller local, comme je l'ai déjà mentionné.

Dans chacun des cas, des groupes de professionnels sont habituellement visés parce qu'il est uniquement question ici de préjudices financiers, et non pas de préjudices personnels. Toutefois, il faut voir si cela a un impact sur les vérificateurs, les avocats, les ingénieurs, les architectes, et d'autres, et si l'on peut arriver à une certaine équité à l'égard de tous ces groupes.

M. Govey: Nous avons surtout parlé des vérificateurs et des experts-comptables, mais est-il vrai que ces préoccupations ont été exprimées de manière générale -- du moins en Australie --, par tous les groupes? Nous avons reçu des mémoires d'ingénieurs, d'architectes, d'un organisme appelé le «Conseil des membres des professions libérales», d'actuaires, d'avocats et de comptables. Nous en avons également reçu de directeurs et de secrétaires d'entreprise. L'intérêt que suscitait cette question a amené le gouvernement à se pencher sur ce dossier, même si ce sont les vérificateurs qui ont été les principaux catalyseurs de ce mouvement.

Le sénateur Hervieux-Payette: Même si toutes les options ont été envisagées, on aurait pu, par exemple, instituer un régime de responsabilité solidaire pour chacun des groupes, de sorte qu'on aurait eu un régime d'assurance à deux paliers. Il serait possible d'appliquer une telle formule, puisqu'il y a un grand nombre de joueurs. J'ai l'impression que nous ne limitons pas les dommages, que nous nous contentons tout simplement de les redistribuer, ce qui complique les choses. Nous protégeons le défendeur, mais pas le plaignant. Pour créer un système plus équilibré, il faut trouver des moyens de faire en sorte que le plaignant touche la totalité des dommages-intérêts qu'il réclame, pas seulement 5 p. 100 de ceux-ci. Quels avantages ce régime procurera-t-il aux plaignants? À mon avis, cette formule n'est pas équilibrée.

M. Davis: Je ne suis pas nécessairement d'accord avec vous sur ce point, mais je conviens que le régime de responsabilité proportionnelle favorise les défendeurs; le régime de responsabilité solidaire, lui, favorise les plaignants.

On pourrait, pour régler le problème, instituer un régime d'assurance obligatoire. C'est une des solutions qui a été envisagée et qui a été appliquée à l'industrie de la construction. L'État de Victoria a adopté une loi qui impose la responsabilité proportionnelle à tous les membres de l'industrie de la construction.

Au même moment, les entrepreneurs, les autorités locales et, je présume, les groupes concernés -- c'est-à-dire les architectes et les ingénieurs --, ont été obligés de souscrire à une assurance pour que la responsabilité soit proportionnelle à la faute de chaque partie. Or, le plaignant a obtenu la totalité des dommages-intérêts réclamés. Même si toutes les personnes responsables ont fait l'objet de poursuites, elles étaient toutes assurées et ont toutes été en mesure de verser les dommages-intérêts.

Le fait d'insister auprès des vérificateurs ou des avocats pour qu'ils souscrivent obligatoirement à une assurance a aussi un côté pratique. La question qu'on se poserait ensuite serait la suivante: quels sont les autres groupes ou personnes qui pourraient être des défendeurs dans un cas comme celui-ci, et quelle autre part de responsabilité pourrait s'appliquer.

La solution, comme l'avocat-sénateur de l'Île-du-Prince-Édouard l'a indiqué, serait de parvenir à un équilibre. Comme nous le mentionnons dans le mémoire, s'il y a préjudice financier, cela veut dire que le plaignant a déjà pris un risque. Dans presque tous les cas, le plaignant a pris un risque en concluant une transaction qui a mal tourné.

Comme le plaignant a déjà pris un risque puisqu'on ne sait pas comment ce qui va se produire sur le plan économique, il ne fait qu'accroître son fardeau. Le coût est donc partagé équitablement entre les diverses personnes qui ont causé ce préjudice.

Le président: Monsieur Davis, je ne comprends pas pourquoi vous rejetez le principe de l'assurance obligatoire. Si je dis cela, c'est parce que, au Canada, vous ne pouvez pas faire immatriculer votre véhicule si vous n'avez pas une assurance. De cette façon, s'il y a un accident, le plaignant sait qu'il sera protégé par la compagnie d'assurance de l'autre conducteur, en partant du principe que c'est l'autre conducteur qui a causé l'accident.

Je trouve intéressant que nous soyons prêts dans ce pays à appliquer ce principe aux automobilistes. L'argument que vous avez invoqué pour arriver à la conclusion opposée en ce qui concerne les groupes de professionnels est le même que celui qu'on a utilisé ici pour instituer un régime d'assurance obligatoire pour les automobilistes.

Voulez-vous reprendre vos explications?

M. Davis: Concrètement, il n'est pas difficile de s'assurer que chaque automobiliste qui circule sur les routes est assuré et, s'il ne l'est pas, d'instituer un système, comme celui qui existe dans ce pays, où les compagnies d'assurance s'engagent à fournir des dédommagements.

Au Canada, vous avez un produit concret, l'automobile, et avant qu'elle ne puisse circuler sur les routes, ou avant que le conducteur ne puisse prendre le volant, il doit souscrire à une assurance. Je ne peux pas vous dire dans quelle mesure, si le régime de responsabilité proportionnelle est adopté, un défendeur aura recours à celui-ci.

Si l'on veut prévoir, pour les préjudices financiers, le même genre de protection que pour les accidents d'automobile, il faut alors adopter une loi qui obligerait chaque personne à souscrire à une assurance obligatoire. Quel genre de compagnie d'assurance sera en mesure d'évaluer les risques que cela présente? En ce qui concerne l'assurance contre les accidents causés à des tiers, il suffit de calculer le montant des réclamations qui ont été versées dans le passé, de répartir cela entre le nombre d'automobiles ou de conducteurs qui ont leur permis, et d'imposer ce coût soit aux conducteurs, soit aux automobiles.

Je ne vois pas comment on pourrait appliquer cet argument à la responsabilité relative aux préjudices financiers.

M. Govey: Compte tenu de l'importance qu'ils accordent à la responsabilité solidaire pour les lésions corporelles, du moins en Australie, les parlements considèrent qu'il est tout aussi important de souscrire à une assurance obligatoire contre les blessures subies lors d'accidents. Toutefois, dans le secteur commercial, on s'est opposé à ce que l'assemblée législative intervienne et exigé qu'on impose un régime d'assurance obligatoire pour les transactions commerciales, même si, dans la pratique, un tel régime existe déjà. Par exemple, les comptables et les avocats souscrivent à un régime d'assurance, sauf que ce régime découle essentiellement des normes qui ont été établies par les organismes professionnels par l'entremise de leur système d'autoréglementation et non pas par le biais d'un système imposé par le Parlement.

Le sénateur Kelleher: J'aimerais revenir à la question que le sénateur Meighen a posée concernant les accords commerciaux et l'impact, s'il en est, que les changements législatifs pourraient avoir sur ceux-ci. Nous avons conclu un accord commercial global avec les États-Unis et le Mexique. Bien entendu, 80 p. 100 de nos produits sont exportés vers les États-Unis, de sorte que notre prospérité dépend beaucoup des rapports que nous entretenons avec ce pays. Nous devons essayer d'éviter tout conflit dans ce domaine avec eux.

J'espérais que vous alliez aborder cette question. Je dois avouer que je suis un peu déçu, parce qu'au moment de jeter les bases de l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, nous nous sommes inspirés, entre autres, de l'entente conclue entre la Nouvelle-Zélande et l'Australie, parce que votre situation est comparable à la nôtre. Un des pays compte une superficie, un PIB et une population 10 fois plus élevés que l'autre. Cela ressemble beaucoup à notre situation. Or, vous dites que vous n'avez pas vraiment tenu compte de ce facteur, et que vous ne pensez pas que cela va poser trop de problèmes parce que la Nouvelle-Zélande ressemble beaucoup à votre pays.

Toutefois, est-ce que quelqu'un a songé à évaluer l'impact que toute modification à votre loi entraînerait? C'est un facteur que nous devons prendre en considération. À votre avis, est-ce que cette question est importante et est-ce que notre gouvernement devrait en tenir compte?

M. Davis: Cette question est fascinante. Elle couvre le droit international privé, le conflit de lois, un sujet sur lequel, il me fait plaisir de vous le dire, je donne des cours.

Si l'Australie adoptait la responsabilité proportionnelle, mais que la Nouvelle-Zélande maintenait la responsabilité solidaire, je ne vois pas comment un plaignant qui a subi un préjudice en Australie par suite de la négligence d'une société comptable internationale pourrait intenter des poursuites en Nouvelle-Zélande et essayer d'obtenir des dommages-intérêts sous le principe de la responsabilité solidaire. En Nouvelle-Zélande et en Australie, et maintenant au Canada par suite de la décision rendue l'année dernière par la Cour suprême du Canada, dans toute réclamation inter-états ou internationale en responsabilité délictuelle, c'est la loi en vigueur dans le pays où le délit a été commis qui prévaut. Dans l'exemple que j'ai donné, le délit a été commis quelque part en Australie. Même si des poursuites ont été intentées en Nouvelle-Zélande, je doute que le régime de responsabilité solidaire en vigueur en Nouvelle-Zélande puisse être appliqué.

Ce n'est qu'une opinion. Cette question est fort intéressante.

Ce facteur n'a pas été pris en considération. Toutefois, nous avons tenu compte des liens possibles qui existent entre la loi en vigueur en Australie et celle en vigueur en Nouvelle-Zélande puisque, au fur et à mesure que l'enquête progressait, la Commission de réforme du droit de la Nouvelle-Zélande était informée de l'évolution du dossier. En fait, je me trouvais en Nouvelle-Zélande lorsque la deuxième étape du rapport a été publiée, et j'en ai discuté pendant quelques heures avec la Commission de réforme du droit de la Nouvelle-Zélande. Donc, l'impact que ces propositions pourraient avoir à l'échelle internationale a été analysé.

Le président: Avez-vous envisagé le scénario suivant, du point de vue de l'intérêt public? Supposons que vous décidez de réduire la responsabilité des vérificateurs, sous le régime de la responsabilité proportionnelle. On pourrait soutenir, du moins en théorie, que puisque leur degré de responsabilité a été réduit, ils vont accorder moins d'attention aux détails, étant donné que les risques auxquels ils sont exposés sont moins grands. Par conséquent, l'adoption de la responsabilité proportionnelle pourrait entraîner l'imposition de règlements plus sévères à l'égard de la profession. J'essaie de voir si vous tentez de parvenir à un équilibre entre les deux.

M. Govey: Encore une fois, votre question est fort pertinente. Je ne crois pas qu'il y a un lien entre les deux. Toutefois, il est vrai que les professions elles-mêmes, tout comme l'organisme de réglementation des entreprises, ont, avant même que des discussions à ce sujet n'aient lieu et que des changements ne soient introduits, resserré considérablement les règlements et les normes professionnelles dans ce domaine. Ils se sont inspirés de l'expérience vécue dans les années 80 et des situations insatisfaisantes qui en ont résulté.

Donc, dans une large mesure, des démarches en ce sens ont déjà été prises. Pour ce qui est de savoir s'il faut entreprendre des réformes plus poussées, je ne suis pas bien placé pour vous le dire.

En ce qui concerne les incitatifs, je reviens à ce que j'ai dit plus tôt. Je ne sais pas si la perspective d'être tenu responsable en vertu du principe de responsabilité solidaire, plutôt que d'avoir à verser des dommages-intérêts en fonction de son degré de responsabilité, incite à une plus grande prudence.

Il me semble que les risques que courent les professionnels d'être tenus responsables pour leurs gestes constituent un important incitatif, tout comme les procédures judiciaires et le système de responsabilité. Toutefois, cet argument est discutable. C'est quelque chose qui est évidemment très difficile à quantifier.

Le président: Vous avez utilisé l'expression «organisme de réglementation des entreprises». C'est une expression que je ne connais pas et qui n'est pas, à ma connaissance, utilisée au Canada. Qu'est-ce que vous entendez par cela?

M. Govey: L'organisme de réglementation des entreprises, c'est la Commission des valeurs mobilières de l'Australie, qui a été créée en 1991 lorsque nous avons institué un régime national de réglementation. C'est l'équivalent de vos commissions des valeurs mobilières.

Le sénateur Angus: Je me suis souvent posé des questions au sujet de la pratique qui consiste à se dégager, par contrat, d'une responsabilité. Autrement dit, un cabinet de comptables agréés peut accepter un mandat, émettre le certificat habituel conformément aux normes et aux principes comptables généralement reconnus, ainsi de suite, mais, en même temps, se dégager par contrat de toute responsabilité. Est-ce que cette pratique est autorisée en vertu de la loi australienne? On ne peut pas, au Canada, se dégager par contrat de toute responsabilité à l'égard de ce qu'on appelle une «faute lourde», mais on peut le faire à l'égard d'une «simple négligence».

M. Govey: Je vais d'abord commencer par vous parler du droit des sociétés. Ce droit impose des restrictions au vérificateur qui cherche à se dégager par contrat d'une responsabilité. Concrètement, le vérificateur n'a pas le droit de recourir à une telle pratique. On impose des restrictions dans les cas où la responsabilité est essentiellement délictuelle et non pas simplement contractuelle.

M. Davis: Vous pouvez vous dégager par contrat de toute responsabilité délictuelle. Le système propre au Commonwealth ne fait aucune distinction entre la «négligence» et la «faute lourde». Donc, on peut se dégager par contrat de toute responsabilité s'il y a eu négligence. Le seul cas où on ne peut pas le faire, c'est s'il y a eu fraude.

Cela n'aide pas nécessairement les vérificateurs, parce qu'ils ont conclu un contrat avec l'entreprise. Si un tiers prend des décisions en se fondant sur le rapport des vérificateurs, par exemple, il n'est pas partie au contrat. Toutefois, rien n'empêche cette tierce personne d'intenter des poursuites contre le vérificateur; elle n'est absolument pas limitée dans ses gestes par le contrat que le vérificateur a conclu.

Le sénateur Angus: C'est ce que je pensais. À propos, est-ce que les affaires de responsabilité civile ou les affaires visant les transactions commerciales font l'objet d'un procès devant jury?

M. Davis: Non. Les procès devant jury sont limités aux cas de diffamation et aux préjudices personnels dans certains États. Dans les cas qui nous intéressent, le procès se déroulerait uniquement devant un juge.

Le sénateur Angus: Est-ce que l'Australie attribue des dommages punitifs comme le font les États-Unis? Avez-vous une loi équivalente à la loi Rico?

M. Davis: Elle attribue des dommages-intérêts exemplaires, ou des dommages punitifs, tout comme le font les provinces au Canada. Ces dommages-intérêts ne sont pas plafonnés et visent tout simplement à donner l'exemple aux défendeurs afin qu'ils se rendent compte qu'il y a un prix à payer lorsqu'on pose des gestes illégaux.

Habituellement, on ne verse pas de dommages-intérêts exemplaires s'il s'agit d'une simple réclamation pour négligence. Il y a déjà eu un ou deux cas où les tribunaux l'ont fait, mais habituellement, les dommages-intérêts exemplaires sont alloués dans les cas de diffamation ou de violation du droit de propriété.

M. Govey: En ce qui concerne les dommages punitifs, le système en Australie est très différent de celui des États-Unis. Nous n'avons pas l'équivalent de la loi Rico.

Le sénateur Angus: Les ententes auxquelles vous avez fait allusion et dont nous entendons rarement parler, où des cabinets d'experts-comptables sont contraints de verser des millions de dollars en dédommagement, sont souvent très élevées à cause de la loi Rico ou des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs qui sont imposés. Nous n'avons pas encore assisté à ce genre d'escalade, du moins jusqu'ici, dans votre pays et dans le nôtre. Cette situation pourrait toutefois changer, compte tenu de ce qui passe dans nos tribunaux. Toutefois, le problème n'est pas le même ici. Êtes-vous d'accord avec cela?

M. Govey: Oui, sauf que toutes les réclamations importantes dont il a été question ici étaient fondées sur le préjudice réellement subi. Comme nous l'avons mentionné, la réclamation la plus élevée était de un milliard de dollars, mais il y a eu plusieurs réclamations et ententes de plus de 50 millions de dollars australiens. L'entente la plus élevée dépassait les 100 millions de dollars. Il y en a eu un grand nombre qui s'élevaient dans les millions de dollars. Comme je l'ai dit, elles sont calculées en fonction du préjudice réellement subi et ne prévoient pas le versement de dommages-intérêts punitifs.

Le président: Au nom du comité sénatorial des banques et du Sénat, je tiens à vous remercier pour les deux heures que vous nous avez consacrées. Votre témoignage nous a été fort utile. Il se peut que nous fassions de nouveau appel à vos services.

La séance est levée.


Haut de page