Délibérations du comité sénatorial permanent
des
affaires étrangères
Fascicule 2 - Témoignages
Ottawa, le mercredi 28 février 1996
[Traduction]
Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour organiser ses activités.
M. Serge Pelletier, greffier du comité: Honorables sénateurs, je suis chargé de présider la présentation des motions portant élection du président du comité. Je suis prêt à recevoir des motions à cet effet.
Le sénateur Grafstein: Je propose que l'honorable sénateur Stewart occupe le fauteuil en tant que président.
M. Pelletier: Y a-t-il d'autres motions?
Nous en resterons là en ce qui concerne les mises en candidature.
Je déclare l'honorable Stewart président du comité.
Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.
Le président: Honorables sénateurs, notre second point à l'ordre du jour consiste en l'élection d'un vice-président.
Le sénateur Ottenheimer: J'ai le très grand honneur de proposer le sénateur Pat Carney.
Le président: Y a-t-il d'autres mises en candidature?
Le sénateur Corbin: Je propose d'en rester là avec les mises en candidature.
Le président: Les sénateurs sont-ils d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Je déclare le sénateur Pat Carney vice-présidente du comité.
Le sénateur Carney: Dans mon discours inaugural, j'aimerais préciser que mon avion à destination de Vancouver part dans 50 minutes. Avec votre permission, je quitterai donc les lieux.
Le président: Il nous faut une motion en ce qui a trait à la composition du sous-comité du programme et de la procédure:
QUE le sous-comité du programme et de la procédure se compose du président, du vice-président et d'un autre membre du comité que le président désignera après les consultations d'usage; que le sous-comité soit autorisé à prendre des décisions au nom du comité; que le sous-comité soit autorisé à inviter les témoins et à établir l'horaire des audiences; et que le sous-comité fasse rapport de ses décisions au comité.
Le sénateur Grafstein: Je le propose.
Le président: Les honorables sénateurs sont-ils d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: La question, mise aux voix, est adoptée.
La prochaine motion porte sur le nombre d'exemplaires que nous ferons imprimer de nos délibérations. La motion proposée est la suivante:
QUE le comité fasse imprimer 500 exemplaires de ses Délibérations.
Le sénateur Grafstein: Cette dépense cadre-t-elle dans notre budget?
Le président: Je crois que oui.
Le sénateur Grafstein: Alors je le propose.
Le président: Les honorables sénateurs sont-ils d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Nous avons un projet de motion concernant l'autorisation à tenir des réunions et à imprimer des témoignages en l'absence de quorum.
QUE, conformément à l'article 90 du Règlement, le président soit autorisé à tenir des réunions pour entendre des témoignages et à en permettre la publication en l'absence de quorum.
Le sénateur Ottenheimer: Je le propose.
Le président: Les honorables sénateurs sont-ils d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: La prochaine motion habituelle porte sur l'autorisation de faire rapport des dépenses:
QUE, conformément à l'article 105 du Règlement, le président soit autorisé à faire rapport des dépenses faites au cours de la dernière session.
Le sénateur Grafstein: Je le propose.
Le président: Les honorables sénateurs sont-ils d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: La prochaine motion habituelle se lit comme suit:
QUE, conformément à l'article 32 de la Loi sur la gestion des finances publiques, l'autorisation d'engager les fonds du comité soit conférée au président, ou en son absence, au vice-président; et que, conformément à l'article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques, et à la directive 3:05 de l'Annexe II du Règlement du Sénat, l'autorisation d'approuver les comptes à payer du comité soit conféré au président et au vice-président, et au greffier du comité.
Quelqu'un est-il prêt à proposer cette motion?
Le sénateur Ottenheimer: Je propose cette motion.
Le président: Les honorables sénateurs sont-ils d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
Nous avons une autre motion:
QUE, conformément à l'article 103 du Règlement, une indemnité raisonnable pour frais de déplacement et de séjour soit versée à tout témoin invité à comparaître devant le comité et que ces frais soient payés à la discrétion du comité jusqu'à concurrence de deux (2) représentants par organisation.
Le sénateur Ottenheimer: Je me rappelle que la dernière fois que nous avons présenté cette motion, quelqu'un a fait remarquer que certains témoins ne semblent pas vouloir qu'on leur rembourse ces frais. De toute évidence, ils peuvent être remboursés, mais l'expression «à la discrétion» permettait peut-être de faire face à des situations de ce genre. Certains témoins qui représentent des sociétés ne veulent pas qu'on leur rembourse leurs frais. De toute évidence, il n'y aurait aucune obligation à le faire.
Le président: Sénateur, j'aurais insisté davantage sur le mot «invité». Ce n'est pas simplement que le comité se met à la disposition des gens qui veulent être entendus mais qu'il choisit un témoin éventuel et l'invite à comparaître.
Quelqu'un a-t-il autre chose à dire? Quelqu'un veut-il proposer la motion?
Le sénateur Bacon: Je propose la motion.
Le sénateur Corbin: Existe-t-il des lignes directrices régissant le remboursement des dépenses des témoins? Y a-t-il un seuil et un plafond?
M. Pelletier: Oui. Par exemple, nous payons la classe économique pour les billets d'avion. En ce qui concerne les hôtels, les repas et les dépenses quotidiennes, nous appliquons les directives du Conseil du Trésor.
Le président: Cette motion est-elle acceptable pour les membres du comité?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté. Je dois dire maintenant aux membres du comité que la personne assise ici à côté de M. Chapman est M. Galpin que le ministère des Affaires extérieures a mis à la disposition du comité comme personne-ressource pour nos déplacements en Europe.
Honorables sénateurs, nous avions espéré entendre deux témoins du ministère des Affaires étrangères cet après-midi mais, étant donné le temps pris à la Chambre, j'ai pris l'initiative d'avertir les témoins qu'il serait inutile de commencer aussi tard dans la journée. Nous avons une autre question à examiner cet après-midi et certains points risquent d'exiger une longue discussion.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.
Ottawa, le mercredi 6 mars 1996
[Traduction]
Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui, à 11 heures, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les répercussions de l'intégration économique de l'Union européenne sur la conduite des affaires publiques nationales des États membres et les répercussions de l'émergence de l'Union européenne sur les relations économiques, politiques et militaires entre le Canada et l'Europe.
Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.
Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international M. Jean-Pierre Juneau, sous-ministre adjoint, Secteur de l'Europe, et M. Gordon Venner, directeur adjoint, Direction de l'Union européenne.
Messieurs, vous connaissez les paramètres de l'étude. Il serait utile d'entendre ce que vous avez à dire à ce sujet.
M. Jean-Pierre Juneau, sous-ministre adjoint, Secteur de l'Europe, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Monsieur le président et honorables sénateurs, je suis heureux d'être ici ce matin pour discuter avec vous des relations politiques et économiques qu'entretient le Canada avec ses partenaires transatlantiques.
Mon exposé aujourd'hui comporte quatre volets. Premièrement, je compte vous décrire brièvement les événements et les circonstances qui ont mené aux négociations que nous sommes sur le point d'entreprendre avec l'Union européenne en vue de conclure une nouvelle entente sur l'avenir de nos relations bilatérales. Deuxièmement, j'ai l'intention de vous parler brièvement de l'entente UE-États-Unis qu'ont signée en décembre dernier, à Madrid, le président Clinton et M. Gonzales, le premier ministre de l'Espagne. Troisièmement, je discuterai de l'impact de la libéralisation du commerce transatlantique. Enfin, je vous informerai des progrès réalisés dans nos relations commerciales avec l'UE depuis novembre dernier, c'est-à-dire depuis la dernière présentation faite par un de mes collègues devant votre comité.
Depuis la fin de la Guerre froide, le visage de l'Europe a changé de façon radicale. En six ans seulement, nous avons été témoins de la chute du mur de Berlin, de la dissolution de l'Union soviétique, de la réunification de l'Allemagne et de son émergence comme puissance économique continentale dominante, du renforcement de l'intégration de l'Union européenne, de l'introduction généralisée d'économies de marché en Europe centrale et orientale, de la promotion de la démocratie et du respect des droits de la personne, et du conflit bosniaque.
Ces événements, considérés conjointement, nous ont obligés à réévaluer nos intérêts et nos priorités en Europe. Les objectifs de sécurité collective qui lient de façon si étroite l'Amérique du Nord et l'Europe de l'Ouest depuis plus de 40 ans ont perdu de leur importance. Les États membres de l'Union européenne sont plus que jamais préoccupés par les changements qu'entraîne l'approfondissement de l'intégration, allant de la création d'une monnaie unique à l'élaboration graduelle d'une politique étrangère et de sécurité commune. Une conférence intergouvernementale de l'UE visant à tracer les grandes lignes de la prochaine phase de ce processus évolutif se tiendra à Turin, en Italie, à la fin de ce mois-ci.
Sur le plan économique, le PIB de l'Union européenne, qui atteint sept billions de dollars, est maintenant aussi important que le PIB américain. L'Union européenne exerce une influence énorme au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Si elle constitue déjà une superpuissance économique, son poids et son influence politiques à l'échelle planétaire s'affirment progressivement. Par exemple, au sein d'organismes comme les Nations Unies, les États membres de l'UE s'efforcent de parler d'une seule voix dans la plupart des dossiers. Cette influence ne peut que croître au fur et à mesure que se consolide l'intégration de l'UE.
Compte tenu de ce qui précède, dans quelle mesure les intérêts du Canada en Europe, et surtout au sein de l'Union européenne, ont-ils évolué? D'abord, la préoccupation dominante dans le passé était de contenir efficacement toute agression de la part des pays membres du Pacte de Varsovie. La fin de la Guerre froide a eu pour effet de modifier les rapports entre le Canada et l'UE, la priorité étant désormais accordée à la création d'emplois, à la croissance économique et à la prospérité à long terme. Nos échanges bilatéraux avec l'Union européenne atteignaient 32 milliards de dollars en 1994, tandis que ses investissements au Canada totalisaient 33 milliards de dollars, soit trois fois plus que les investissements provenant de la région Asie-Pacifique. L'Union européenne constitue le deuxième partenaire en importance du Canada au chapitre des échanges et des investissements. L'amélioration de l'intégration économique et l'élimination des irritants commerciaux pourraient favoriser la croissance de l'emploi des deux côtés de l'Atlantique.
Sur le plan politique, nous devons insister sur le fait que nous sommes les partenaires de l'Union européenne, non pas ses rivaux. Nous devons accroître la coopération pour lutter contre la criminalité transnationale, l'immigration illégale, la contrebande, le terrorisme et autres fléaux mondiaux. Compte tenu de l'influence politique grandissante de l'Europe, le Canada doit veiller à ce que les relations transatlantiques ne soient pas dominées par un dialogue qui se fait exclusivement entre l'UE et les États-Unis. Sur le plan de la sécurité, notre participation soutenue aux activités de l'OTAN et de l'OSCE montre que nous continuons de nous intéresser de près à la paix et à la stabilité en Europe.
Comment poursuivre ce nouvel objectif transatlantique? Dans un premier temps, nous avons cru bon encourager le dialogue entre le Canada, l'Union européenne et les États-Unis. Pourquoi? Parce que sur le plan économique, l'intégration des économies canadienne et américaine passe par le maintien, dans la mesure du possible, de règles du jeu équitables en matière de commerce et d'investissement entre l'Union européenne et l'Amérique du Nord. La conclusion de nouveaux accords commerciaux ou d'investissements transatlantiques qui excluent le Canada pourrait avoir un impact négatif sur la situation de l'emploi et la croissance économique au Canada.
En décembre 1994, dans un discours prononcé devant le Sénat français, le premier ministre a encouragé les Européens à envisager la possibilité de conclure un accord de libre-échange transatlantique liant l'Union européenne et les pays membres de l'ALÉNA. Dans les mois qui ont suivi, le ministre des Affaires étrangères et le ministre du Commerce international ont répété ce message à Washington et en Europe. La démarche du Canada en faveur de la libéralisation du commerce transatlantique a été appuyée par l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie, la Suède et les Pays-Bas. D'autres pays, comme la France et les États-Unis, y ont réservé un accueil mitigé.
À peu près au même moment, l'Union européenne et les États-Unis ont commencé à discuter de la possibilité d'élaborer un plan d'action commun pour relancer leurs relations transatlantiques. Nous étions impatients de nous joindre à ce processus pour les raisons que j'ai déjà mentionnées. Toutefois, le différend sur la pêche qui a opposé le Canada et l'Union européenne en mars dernier, conjugué au fait que c'était au tour de l'Espagne d'assumer la présidence en juillet, ont eu pour effet de contrecarrer nos efforts. Néanmoins, nous avons continué de faire valoir que l'initiative transatlantique devait englober tous les partenaires, et qu'elle ne devrait pas être perçue comme un processus bilatéral impliquant uniquement l'Union européenne et les États-Unis.
En octobre, nous avons, de concert avec l'Allemagne, créé un groupe de travail chargé d'élaborer un plan d'action Canada-UE. Le rapport a été déposé en novembre et envoyé à tous les partenaires transatlantiques. Il recommandait entre autres la tenue, si besoin est, de discussions trilatérales.
Le 3 décembre, l'Union européenne et les États-Unis ont tenu une réunion au sommet à Madrid, où ils ont émis une déclaration commune et un plan d'action prônant le renforcement de leurs relations. Des copies du document ont été distribuées aux membres du comité.
En janvier, nous avons présenté à la Commission européenne et à la présidence italienne un document de travail décrivant le plan d'action Canada-UE proposé par le Canada. Ce document, dont j'ai des copies avec moi, est beaucoup plus concis que le plan d'action UE-États-Unis, et ce, pour deux raisons: premièrement, le Canada entretient avec l'Union européenne des relations beaucoup plus étroites que les États-Unis. Par exemple, en 1976, le Canada est devenu le premier pays à signer une entente cadre économique avec l'Union européenne. Cette entente prévoit la tenue de consultations annuelles sur des questions d'intérêt commun. En 1990, nous avons signé une déclaration transatlantique prévoyant la tenue de réunions annuelles entre le premier ministre et le président actuel de l'Union européenne. En outre, nous avons conclu d'importantes ententes bilatérales avec l'Union européenne dans les domaines de l'éducation, des sciences et la technologie, ententes qui profiteront directement au secteur privé canadien. Deuxièmement, la proposition canadienne est plus focalisée que le plan UE-États-Unis. La proposition canadienne s'attaque à nos intérêts prioritaires. Parmi ceux-ci figurent l'économie et les échanges commerciaux.
Nos objectifs économiques à court terme comprennent le règlement des différends commerciaux bilatéraux, l'accélération des réductions tarifaires prévues par l'OMC, la conclusion d'une série d'ententes bilatérales en voie de négociation, une coopération accrue au sein de l'OMC et l'intensification du dialogue transatlantique.
Nos objectifs à long terme comprennent, entre autres, la réduction et, si possible, l'élimination éventuelle des obstacles au commerce et aux investissements transatlantiques. La proposition recommande la réalisation d'une étude trilatérale pour déterminer le meilleur moyen d'y parvenir.
Nous souhaitons également accroître la coopération dans les domaines de la sécurité, des affaires étrangères, de la justice et des politiques internes. Nous nous attendons à ce que le Conseil des ministres de l'UE donne très bientôt le feu vert à l'ouverture de négociations avec le Canada en vue d'élaborer un plan d'action commun. Advenant que ces négociations se déroulent rapidement, les Italiens ont manifesté l'intérêt de tenir un sommet Canada-UE réunissant le premier ministre et son homologue italien, au cours duquel un document serait signé. Cette rencontre pourrait avoir lieu en juin, avant ou après la tenue du sommet du G-7 à Lyon.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, le document Union européenne-États-Unis est assez volumineux. Bien que la liste des questions visées par ce dernier soit exhaustive, les nouveaux domaines de coopération sont plutôt rares. À cet égard, le plan d'action décrit essentiellement l'orientation des relations futures de l'Union européenne et des États-Unis.
Il y a toutefois deux sujets sur lesquels j'aimerais brièvement m'attarder: l'étude transatlantique sur le commerce et l'accroissement de la coopération en vue de faire face aux défis mondiaux. Le plan d'action propose la création d'un «nouveau marché transatlantique», un euphémisme qui signifie la libéralisation des échanges et le flux transfrontalier de biens, de services et de capitaux. La notion d'un accord de libre-échange transatlantique, ou ALÉTA, a été soigneusement évitée.
Cette notion a été rejetée par les pays membres de l'Union européenne qui craignent les conséquences négatives d'une telle initiative sur la politique agricole commune de l'UE. Les Américains, qui souhaitent protéger certaines industries, comme celle du textile, des importations européennes moins coûteuses, ont également manifesté peu d'intérêt pour ce concept. On s'est donc tout simplement entendu pour examiner la question. Comme cette idée est reprise dans la proposition canadienne, nous avons demandé, par conséquent, que l'étude se déroule selon une formule trilatérale.
Le plan d'action UE-États-Unis recommande également la tenue de négociations pour la conclusion d'ententes particulières qui faciliteraient le commerce. À ce chapitre, le Canada devance les Américains. Nous avons déjà conclu avec l'Union européenne des accords dans les domaines des sciences, de la technologie et de l'éducation. Nous sommes sur le point de conclure des ententes additionnelles sur la reconnaissance réciproque des normes de produits, des méthodes d'essais et des normes vétérinaires, la coopération douanière, la coopération entre les organismes responsables de la concurrence commerciale. Ces ententes seront d'une grande utilité aux exportateurs canadiens qui essaient de vendre leurs produits sur le marché de l'Union européenne.
La plupart des éléments qui figurent sous la rubrique «Défis mondiaux» du plan d'action UE-États-Unis se retrouvent également dans la proposition canadienne. Mentionnons la lutte contre le crime organisé, le terrorisme, la contrebande et l'immigration illégale, la protection de l'environnement, ainsi de suite. Pour venir à bout de ces problèmes, les partenaires transatlantiques doivent collaborer ensemble à l'élaboration de stratégies communes. C'est pourquoi nous avons insisté, dans notre proposition, sur la nécessité d'instituer une coopération trilatérale dans ces domaines.
Pour ce qui est des répercussions du libre-échange transatlantique sur le Canada, il convient de mentionner que, puisque plus de 80 p. 100 de nos échanges se font avec les États-Unis, toute entente visant à libéraliser le commerce avec d'autres pays ou régions aura, au mieux, un impact positif modeste sur la croissance économique du Canada. Néanmoins, le gouvernement estime que les échanges et les investissements bilatéraux entre le Canada et l'Union européenne sont importants et qu'ils doivent faire l'objet d'une entente commerciale globale. Il s'agit là d'un objectif légitime de la politique gouvernementale.
Il est difficile d'effectuer une analyse quantitative des répercussions du libre-échange transatlantique puisqu'on ne peut mesurer efficacement les avantages qu'entraînerait la réduction ou l'élimination des barrières non tarifaires par opposition à la réduction ou à l'élimination des quotas tarifaires ou d'importation. Autrement dit, les analyse statistiques sous-estimeront toujours les avantages éventuels d'une telle initiative. Il convient de souligner que bon nombre de nos principaux produits sont déjà exportés en franchise de droits sur le marché de l'Union européenne, de sorte que les bienfaits économiques directs qui découleraient d'un accord de libre-échange transatlantique resteraient secondaires.
Cela dit, trois grandes conclusions se dégagent des analyses ministérielles préliminaires: premièrement, un accord de libre-échange transatlantique qui exclut le secteur agricole n'aurait qu'un impact négligeable sur la croissance économique du Canada. Comme vous le savez, tout changement apporté à la politique agricole commune constitue, sur le plan politique, un sujet très délicat au sein de l'Union européenne. Bien que nous ayons réalisé des progrès récemment, notre accès au marché agricole de l'UE demeure très restreint, en raison principalement des quotas d'importation. Deuxièmement, l'inclusion du secteur agricole dans l'accord de libre-échange transatlantique aurait un impact positif sur la croissance économique du Canada. Encore une fois, on ne tient pas compte dans ce calcul des gains qui résulteraient de la réduction ou de l'élimination des barrières non tarifaires.
Troisièmement, la conclusion d'un accord de libre-échange transatlantique s'avérerait positive pour le Canada en ce sens qu'il stimulerait les investissements européens au Canada. À l'heure actuelle, l'UE constitue la deuxième source d'investissement en importance du Canada, après les États-Unis. En 1994, les investissements européens directs au Canada totalisaient 33 milliards de dollars, contre 10 milliards pour la région Asie-Pacifique. Toutefois, cette comparaison ne rend pas compte, à elle seule, de l'importance réelle des investissements européens au Canada.
Les investissements européens et américains ont tendance à se manifester sous forme d'équipements et d'installations nouvelles. Ce qui implique un transfert de technologies qui améliore la compétitivité à long terme de l'économie canadienne. Par conséquent, le fait de transformer le Canada en destination attractive pour les investissements européens, gråce à une libéralisation des échanges transatlantiques, ne peut que contribuer à favoriser la croissance économique du Canada.
[Français]
Considérant le large volume de nos échanges commerciaux avec l'Union européenne, seulement un faible pourcentage est sujet à discorde. Je tiens à souligner que nos exportations de marchandises vers l'Union européenne ont augmenté de 39 p. 100 de janvier à novembre 1995, par rapport à la même période de l'année précédente.
Bien que les problèmes commerciaux entre le Canada et l'Union européenne soient relativement limités en nombre, il n'en demeure pas moins qu'ils ont tendance à perdurer sur de longues périodes. La nature de ces exportations a également changé au cours des ans. La proportion des produits finis exportés vers l'Union européenne est passée de 12 p. 100 en 1978 à 25 p. 100 en 1994, alors que celle des produits transformés s'est maintenue à 46 p. 100 du total de nos exportations, vers cette région.
Nous avons fait des progrès énormes dans nos relations commerciales avec l'Union européenne, en solutionnant également une série de problèmes qui duraient depuis longtemps et en négociant une juste compensation, à la suite du récent élargissement de l'Union européenne à l'Autriche, la Finlande et la Suède. Le communiqué de presse et un document d'informations sont d'ailleurs disponibles pour plus de renseignements.
Finalement, les nouvelles règles de l'Organisation mondiale du commerce concernant le règlement des disputes - notamment en rendant l'arbitrage obligatoire et en accélérant le processus de résolution des conflits - devraient bien servir le Canada dans ses problèmes commerciaux avec l'Union européenne.
[Traduction]
En conclusion, je tiens à vous annoncer que Sir Leon Brittan, de la Commission européenne, sera au Canada le 18 mars. Il rencontrera le premier ministre ainsi que les ministres des Affaires étrangères et du Commerce international en vue de lancer le processus de négociation du plan d'action Canada-Union européenne. Si vous avez des questions à ce sujet, je me ferai un plaisir d'y répondre.
Le sénateur Ottenheimer: J'ai deux questions, et je crois qu'elles sont liées: d'abord, ai-je raison de conclure, d'après vos commentaires, que les intérêts du Canada seraient mieux servis dans le cadre d'une entente économique Canada-UE que dans le cadre d'une entente de libre-échange Canada-États-Unis-UE? Ensuite, est-ce que cette entente serait assujettie à des restrictions? Est-ce qu'un accord bilatéral Canada-UE serait moins libéralisé qu'un régime ALÉ-UE? Autrement dit, est-ce que la participation du Canada à l'ALÉ ou à l'ALÉNA créerait des restrictions si ce bloc commercial visé par l'ALÉ ou l'ALÉNA n'était pas partie aux négociations avec l'Union européenne?
M. Juneau: Nous préférerions négocier une entente entre les pays membres de l'ALÉNA et l'Union européenne, et ce, pour diverses raisons. D'abord, nous ne voulons pas que les Américains négocient des accords bilatéraux de libre-échange d'autres partenaires sans la participation du Canada. Dans nos négociations avec le Chili, par exemple, nous avons appuyé l'idée d'élargir l'ALÉNA parce que nous ne voulions pas que les Américains concluent toutes sortes d'ententes bilatérales de libre-échange. Nous avons dit, dès le départ, que nous préférerions négocier un accord de libre-échange entre les partenaires de l'ALÉNA et l'Union européenne.
Le discours a changé avec le temps parce que le concept de libre-échange ne suscite plus autant d'enthousiasme aux États-Unis, ce pays se dirigeant vers des élections présidentielles. Les mots «libre-échange» ont presque disparu du vocabulaire. De plus, ce concept ne figure plus dans le vocabulaire de l'Union européenne parce que certains membres-clés, comme la France, s'opposent à la négociation d'ententes de libre-échange avec d'autres partenaires. Par exemple, la France, la semaine dernière, a rejeté l'idée de négocier un accord de libre-échange avec l'Afrique du Sud. Son opposition au libre-échange a été constante.
Nous parlons de mesures destinées à réduire les obstacles tarifaires et non tarifaires d'une manière qui sera conforme à nos obligations dans le cadre de l'OMC. Tout ce dont nous discuterons avec nos partenaires européens sera conforme aux politiques que nous suivons avec l'OMC, ce qui est notre grande priorité en matière de politique commerciale. Nous voulons nous assurer que les deux régimes de l'OMC fonctionnent bien. Comme vous le savez, monsieur le sénateur, notre première conférence se tiendra à Singapour et portera précisément sur cette question.
J'ignore si l'on peut dire qu'un accord de libre-échange bilatéral entre le Canada et l'Union européenne serait moins restrictif qu'un accord entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne. Personnellement, je crois qu'un accord entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne serait moins restrictif. Ce serait préférable sur le plan des investissements car si nous négocions un accord bilatéral entre le Canada et l'Union européenne par exemple, nous devrons nous assurer que les investisseurs qui viennent au Canada ont accès au marché américain pour leurs produits. La plupart des investisseurs qui sont venus d'Europe au Canada ces dernières années y sont venus avec l'idée d'accéder à l'ensemble du marché nord-américain. C'est pourquoi nous sommes plutôt partisans d'un accord entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne.
Le libre-échange n'est pas un aspect très actif à l'heure actuelle mais nous n'y sommes pour rien. Cette situation est plutôt attribuable à la résistance et à l'hésitation des États-Unis ainsi qu'à une certaine résistance de la part de l'Europe. Je pense que c'est un aspect qui pourra être abordé à nouveau une fois que les membres de l'Union européenne auront assisté à leur fameuse conférence intergouvernementale. Ils doivent redéfinir la façon dont ils travaillent ensemble avant d'élargir l'Union européenne. Jusqu'à ce qu'ils le fassent, ils ignoreront en fonction de quels paramètres aborder cette question de politique commerciale avec leurs principaux partenaires, tels que leurs partenaires nord-américains.
Le président: Compte tenu de la différence qui existe entre l'économie canadienne et l'économie américaine, est-il possible qu'un accord conclu entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne soit plus restrictif qu'un accord conclu entre le Canada et l'Europe?
M. Juneau: Je ne crois pas que l'on puisse dire qu'un accord entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne serait plus restrictif. Évidemment, il s'agirait d'un accord qui engloberait l'ensemble du marché nord-américain. Ce serait dans notre intérêt car ce type d'accord nous offrirait un mécanisme supplémentaire pour attirer des investissements européens au Canada. Nous avons eu de très bons résultats avec les investissements provenant d'Europe. Ce sont de bons investisseurs. Cependant, de plus en plus, ils viennent au Canada avec l'intention de cibler l'ensemble du marché nord-américain.
La conclusion d'un accord de libre-échange uniquement entre l'Europe et le Canada ne signifie pas que tous les aspects de cet accord seront forcément acceptables pour les Américains. Par exemple, nous pourrions vouloir théoriquement être plus généreux dans le cadre d'un accord bilatéral mais si cela n'est pas compatible avec les modalités que nous avons négociées avec les Américains, nous ne le pourrons pas. C'est pourquoi nous avons toujours cru préférable, sur le plan intellectuel, d'envisager un accord entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne, compte tenu du principal objectif que nous visons gråce à ce type d'accord, c'est-à-dire favoriser un accroissement des investissements en provenance de l'Europe.
Comme je l'ai dit plus tôt, la plupart des produits que nous exportons vers l'Europe sont déjà exportés en franchise. Il n'y a pas grand-chose de plus à accomplir sur ce plan. Parfois, nous débattons de cette question entre nous. Si nous mettions l'accent sur l'OMC, nous pourrions peut-être progresser plus rapidement par le biais de l'OMC qu'en optant pour ce type d'accord.
Quoi qu'il en soit, les investisseurs continuent à être très intéressés par le Canada. Lorsque j'étais en Espagne, par exemple, nous avons négocié et conclu une entente qui a entraîné un important investissement de 150 millions de dollars au Québec.
L'entreprise en question n'est pas venue au Canada uniquement pour le marché canadien. Elle exporte déjà 90 p. 100 de son produit aux États-Unis. Elle est venue ici en raison des conditions. Elle estimait qu'il était plus facile pour elle de faire des affaires ici sur ce marché, mais elle ciblera l'ensemble de l'Amérique du Nord.
[Français]
Le sénateur Bacon: J'ai une toute petite question suite aux questions qui ont déjà été posées.
L'Union européenne est quand même absorbée en ce moment par le resserrement de ses liens, par ses propres affaires ainsi que par l'élargissement de ses liens. Est-ce que vous pensez que l'Union européenne est vraiment prête en ce moment à prendre des mesures pour libéraliser les échanges avec le Canada et les États-Unis? Est-ce qu'ils sont vraiments prêts à le faire en ce moment?
M. Juneau: Pour libéraliser les échanges, non. D'ailleurs, c'est pour cela que l'on a dû modifier notre vocabulaire au cours des derniers mois. Ils ne sont pas prêts parce qu'ils ne sont pas encore prêts à modifier leur politique agricole commune.
Ils seront obligés de modifier la politique agricole commune. Lorsque l'Union européenne va s'élargir aux partenaires de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est, la chose qu'il sera important de suivre, en ce qui nous concerne, c'est la période de transition que les pays de l'Union européenne imposeront aux pays de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est avant qu'ils puissent devenir membres à part entière.
On s'attend à ce que la période de transition soit plutôt longue. Cela veut dire un minimum de 10 ans, peut-être même 15 ans, comme cela a été le cas lorsque les Espagnols et les Portugais se sont joints à l'Union européenne. Donc, cela prendrait une période de temps assez importante avant qu'ils soient en mesure de modifier leur politique agricole commune.
Dans ce contexte, on ne peut pas s'attendre à ce qu'un accord de libre-échange traditionnel soit disponible entre les Nord- américains et les Européens. D'ailleurs, quand les Américains ont commencé à discuter avec les Européens, dès que le mot libre-échange a été prononcé, les Américains ont tout de suite mis sur la table la réforme de la politique agricole commune. Donc, c'était tout de suite un obstacle majeur et important pour certains pays.
On parle toujours de la France parce que c'est le pays qui est le plus vocal sur les questions des politiques agricoles. Mais il y a aussi l'Allemagne qui tire un certain bénéfice de la politique agricole européenne telle qu'elle existe actuellement.
Le sénateur Bacon: M. Chirac a quand même parlé d'alliance transatlantique avec les Américains lors de son dernier voyage.
M. Juneau: Oui, mais pas dans le cadre du libre-échange.
Le sénateur Bacon: Pas dans ce cadre-là.
M. Juneau: Lors de notre sommet transatlantique avec la présidence française au sommet d'Halifax, M. Chirac a mentionné que tout renouvellement de la relation transatlantique se ferait avec une participation active du Canada et qu'il n'était pas question, pour lui, que des choses se fassent de façon bilatérale entre les États-Unis et l'Europe, sans que le Canada y participe.
Mais dans son esprit, c'était plutôt parler en termes de réforme des relations dans le domaine de la sécurité et de la défense. C'était, par exemple, accroître la coopération dans des secteurs comme la science et la technologie. Par exemple, nous avons signé notre accord sur la science et la technologie lors de cette rencontre transatlantique avec M. Chirac.
C'est Léon Brittan qui a signé pour la partie européenne, en dépit du fait qu'il y avait encore, à ce moment-là, certaines objections du côté de l'Union européenne à cause du problème que nous avions eu dans le domaine de la pêche. Mais le président Chirac a souhaité que cet accord soit signé pour démontrer que l'Union européenne était bien intéressée à poursuivre le développement et accroître ses relations avec le Canada.
[Traduction]
Le sénateur Stollery: Ma première question est d'ordre technique. Vous avez indiqué que nous sommes, dans de nombreux domaines, assez en avance par rapport aux Américains dans nos relations avec la Communauté européenne. Vous avez mentionné une série d'initiatives, et j'en reconnais certaines. Cependant, vous dites que nous avons conclu un accord dans le domaine de l'éducation. De quoi s'agit-il au juste?
M. Juneau: Nous avons signé un accord il y a quelques mois pour promouvoir les échanges entre des établissements d'enseignement supérieur, comme des universités, au Canada et en Europe. Ce projet est financé essentiellement par le ministère des Ressources humaines et dispose d'un budget d'un million de dollars. Nous avons organisé des colloques à Montréal, à Toronto et à Vancouver pour promouvoir cet accord en matière d'éducation. Jusqu'à présent, les universités canadiennes se sont montrées très intéressées par cette initiative.
Le président: S'agirait-il d'un échange de professeurs?
M. Juneau: Non, il s'agit d'un programme destiné aux étudiants.
Le sénateur Stollery: En ce qui concerne ma deuxième question, il est intéressant de constater l'opposition très forte que les Américains manifestent, à cette étape de leur campagne électorale, à tout ce qui touche au libre-échange. Comme vous l'avez signalé, ils invoquent immédiatement la question agricole.
Je me souviens de la déception de l'Allemagne concernant le sauvetage du Mexique, il y a un an et demi. Nous étions en train de discuter de l'ALÉNA et de l'ALÉTA et de l'Union européenne, et non de l'ALÉ. Les manigances financières du Mexique auront-elles des répercussions sur les discussions sur le libre-échange? Est-ce que cela risque d'avoir une influence quelconque?
M. Juneau: Oui, une très grande influence. Pendant que nous discutions d'un accord de libre-échange entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne, l'Union européenne n'a jamais laissé entendre qu'il l'intéresserait de conclure un accord de libre-échange auquel participerait également le Mexique. Dans son esprit, il s'agissait toujours d'un accord avec les États-Unis et le Canada.
Au cours de la dernière présidence, on a lancé l'idée de négocier un accord spécial entre l'Union européenne et le Mexique, qui serait analogue à celui signé entre l'Union européenne et les pays du MERCOSUR. On s'y est opposé car les Européens craignaient que les Mexicains augmentent leurs exportations de produits agricoles. On en revient toujours à la question des produits agricoles avec l'Union européenne. Ce n'est donc pas une initiative envisagée de quelque façon que ce soit par l'Union européenne.
J'ai mentionné au début que la terminologie avait changé. Il ne faut surtout pas oublier que nous avons été parmi les premiers à parler de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne. Le premier ministre a alors voulu en élargir la portée pour y inclure les États-Unis et l'Union européenne. Cette idée a ensuite été reprise par d'autres, comme les Allemands et Sir Leon Brittan, puis a été abandonnée par suite du différend sur la pêche il y a un an. Aujourd'hui, nous sommes les seuls à parler de libre-échange. Nous continuons à parler de libre-échange parce que pour nous c'est un objectif à long terme. Cependant, d'après la terminologie utilisée par la plupart des gens, cette notion désigne essentiellement un moyen de réduire les obstacles tarifaires et non tarifaires.
Le sénateur Stollery: Et le Mexique, c'est une autre histoire?
M. Juneau: Oui, c'est une autre histoire.
M. Gordon Venner, directeur adjoint, Direction de l'Union européenne, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Les Mexicains n'ont pas manifesté tellement d'intérêt, pour trois raisons: la première, c'est que les Mexicains ont déjà un accès préférentiel au marché de l'Union européenne, plus marqué que celui dont jouissent le Canada ou les États-Unis. Par conséquent, la conclusion d'un accord entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne signifierait que les produits mexicains se heurteraient à une plus grande concurrence de la part des États-Unis et du Canada sur le marché de l'Union européenne, ce que le Mexique pourrait ne pas considérer souhaitable.
La deuxième raison, c'est qu'un seul produit, le pétrole, représente une part énorme des exportations mexicaines à destination de l'Union européenne. Le pétrole représente plus d'un tiers de ses exportations totales et est déjà exporté en franchise.
La troisième raison, c'est que même si les investissements de l'Union européenne sont très importants pour le Canada, ils le sont beaucoup plus pour le Mexique. L'une des raisons pour lesquelles le Mexique attire les investissements, c'est qu'il bénéficie d'un accès préférentiel. Par exemple, les fabricants européens de pièces d'auto sont plus portés à s'installer au Mexique parce qu'ils savent qu'ils peuvent renvoyer les pièces en Europe à un tarif inférieur que s'ils le faisaient à partir des États-Unis ou du Canada.
Le sénateur Stollery: Comme vous l'avez dit, la terminologie a changé. Lorsque nous parlons de l'ALÉTA ou de l'ALÉNA, nous parlons en fait de l'ancien ALÉ et de l'Union européenne.
Le sénateur Grafstein: Pour revenir à cette même question, je ne comprends toujours pas bien votre observation précédente selon laquelle le gouvernement canadien se serait donné comme objectif stratégique d'obtenir un accord, conjointement avec les États-Unis, pour toutes les raisons que vous avez mentionnées. Or, j'ai l'impression que c'est pratiquement la situation inverse compte tenu du climat politique qui règne aux États-Unis. Les Européens auraient de vives objections à une approche de plein front par les Américains. Nous aurions peut-être l'occasion, avant que les Américains se décident d'ici un an ou deux, de bénéficier d'un régime préférentiel plus marqué que si nous emboîtions le pas aux États-Unis. Est-ce une observation valable?
M. Juneau: Oui. Nous nous trouverons à faire nos propres démarches auprès de l'Union européenne. Les Américains ont leur document, leur plan d'action, qui a été approuvé par les Européens en décembre. Il nous faudra notre propre document, notre propre plan d'action.
Le problème auquel nous nous heurtons parfois, lorsque nous discutons de ces questions avec l'Union européenne, c'est que nous serions disposés à en faire beaucoup plus avec l'Union européenne que les États-Unis. Parfois, l'Union européenne hésite à en faire plus parce qu'elle ne veut pas se voir obligée d'accorder aux États-Unis le même type de coopération qu'elle a établie avec le Canada.
Dans le domaine économique, par exemple, certains pays européens nous ont dit de temps à autre qu'ils seraient tout à fait heureux d'avoir un accord de libre-échange avec le Canada. Ce serait un accord relativement facile à négocier. Cependant, il faudrait que cet accord soit compatible avec nos obligations dans le cadre de l'ALÉNA, et sur cet aspect en particulier, nous serions en mesure d'atteindre notre objectif plus rapidement par le biais de l'OMC, plutôt qu'en optant pour un accord bilatéral avec l'Union européenne, qui risque de ne pas nous permettre d'aller aussi loin que nous le voulions à cause de la question des États-Unis.
C'est une question valable, sénateur. Nous sommes en train de proposer à l'Union européenne une série d'objectifs qui, à bien des égards - par exemple, sur le plan économique - sont très intéressants et assez avancés, mais nous devons attendre de voir ce que les Européens nous proposeront.
J'ai parlé d'un document de travail que nous avons préparé en collaboration avec l'Allemagne. Nous avons distribué ce document à chaque pays européen, mais nous n'en sommes qu'à la première étape, c'est-à-dire connaître l'intention de l'Union européenne à notre égard. Elle a demandé l'autorisation d'établir un plan d'action pour nous. Sir Leon Brittan sera ici le 18 mars. Il semble que la proposition de négocier un plan d'action avec le Canada sera examinée par le Conseil européen des ministres aux alentours du 26 mars. Il est possible théoriquement que le Conseil européen des ministres décide de ne pas entreprendre ce genre de négociations avec le Canada à ce stade. Cela m'étonnerait toutefois beaucoup car si c'était le cas, Leon Brittan ne viendrait pas ici le 18 mars. Il vient ici uniquement pour présenter cette proposition.
Nous discuterons d'une coopération accrue dans quatre secteurs: le premier pilier est celui de la coopération économique, domaine qui relève d'ailleurs de la Commission européenne. Le deuxième pilier est celui de la défense et de la politique étrangère. Le troisième pilier est celui de la justice et des affaires intérieures. Ces deux piliers portent sur des questions régies par la coopération intergouvernementale, en ce sens que la Commission européenne n'a pas à proprement parler de rôle précis dans ces domaines.
Puis, il y a un quatrième pilier axé surtout sur les affaires internationales. Nous y discuterons du développement de contacts plus systématiques entre les gens d'affaires et entre les jeunes. Nous sommes même en train d'envisager de favoriser des contacts plus réguliers entre les législateurs de l'Europe et du Canada.
Le sénateur Grafstein: J'aimerais mettre l'accent sur les liens économiques et commerciaux ainsi que sur les liens d'investissement. La défense, la justice et les autres domaines comportent des aspects beaucoup plus complexes, tandis que les domaines qui nous intéressent surtout sont le commerce et l'investissement. Je déduis deux choses de ce que vous venez de dire: premièrement, si nous avions notre propre programme, nous pourrions tåcher d'établir un accord semblable avec l'Europe, comme l'a fait le Mexique, en fonction de ces paramètres. Cependant, ce qui nous retient peut-être, ce sont les Européens d'une part et la nécessité de nous protéger de nos collègues américains, d'autre part. Ce serait un problème mineur pour les Américains si la situation était inversée. Ils parleraient d'harmonisation et trouveraient une solution quelconque, même au risque qu'elle déplaise. C'est un aspect dont nous semblons nous soucier davantage.
À l'heure actuelle aux États-Unis, il existe trois opinions différentes au sein de la structure du pouvoir qui, à mon avis, devraient nous inciter à donner suite très rapidement à notre plan d'action en vue d'établir des liens bilatéraux solides avec l'Union européenne. Il y a une division au sein du Congrès, une division entre le Congrès et la présidence, et une division entre la présidence, le Congrès et la bureaucratie à propos des initiatives de libre-échange ou de libéralisation du commerce. Il faudra au moins deux ans avant qu'ils arrivent à se sortir de cette situation. Selon le programme prévu, le prochain président entrera en fonction en janvier prochain. Il faudra compter six mois avant qu'il se familiarise avec ses dossiers. Il ne se passera rien à cet égard pendant au moins deux ans. Entre-temps, les Européens sont impatients de voir les choses progresser.
Le président: Êtes-vous en train d'exclure M. Clinton?
Le sénateur Grafstein: C'est simplement mon interprétation de la question, monsieur le président. Mon impression, de ce côté-ci, c'est que nous ne profitons pas de cette occasion unique d'agir aussi rapidement et adroitement que possible et de dire au département d'État américain: «Vous savez qu'il vous est impossible d'agir, mais nous le pouvons. Par conséquent, agissons rapidement.» Nous devrions également assurer le département d'État que nous ferons de notre mieux pour préparer le terrain et que nous ne prendrons aucune mesure incompatible avec nos obligations dans le cadre de l'ALÉNA. Pourquoi n'adoptons-nous pas cette stratégie?
M. Juneau: La question que vous posez est très importante. C'était la stratégie que nous avions adoptée au départ mais nous avons dû la modifier pour trois raisons: premièrement, il y a eu le différend à propos de la pêche au flétan noir, que nous le voulions ou non, dont les répercussions se font encore sentir parfois. Deuxièmement, l'opinion des Américains au sujet du soi-disant «libre-échange» change tellement rapidement qu'il suffit d'utiliser l'expression «libre-échange» ces jours-ci à Washington pour être considéré comme un pestiféré.
Le sénateur Grafstein: Ou un libéral.
M. Juneau: Oui. En Europe, d'ailleurs, l'appui en faveur du libre-échange n'a pas augmenté. Il existe certains pays d'Europe qui dans l'ensemble sont davantage partisans du libre-échange, comme la Grande-Bretagne et l'Allemagne. En France, toutefois, c'est l'inverse. Par ailleurs, des pays plus petits comme la Grèce ou les pays du Benelux sont plus prudents. Ils ignorent encore quelles seront les véritables répercussions de l'élargissement de l'Union européenne aux pays de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est. Tant qu'ils n'en connaîtront pas les répercussions exactes, ils hésiteront à se lancer dans une succession de négociations de libre-échange avec les principaux pays de l'Amérique du Nord. Ils ont encore l'impression - et c'est une impression que l'on ressent très fort en France - qu'ils devront d'abord absorber le choc de l'Accord de l'OMC avant de se lancer dans une autre entreprise de taille.
Nous avons fait tout ce que nous pouvions, dans les circonstances. Par exemple, ce n'est pas un hasard si le premier ministre en a mentionné l'idée officiellement en Europe, lors de son passage en France. En ce qui concerne le libre-échange, nous savions que la France était le pays le plus difficile à convaincre. À ce stade-ci, comme l'éventualité de négociations de libre-échange ne soulève pas l'enthousiasme au sein de l'Union européenne et comme les Américains ne veulent même pas en entendre, je serai ravi, sénateur, d'entendre les conseils que vous pourriez me donner quant à la façon dont nous devrions nous y prendre. Comme on dit, il faut être deux pour négocier.
M. Venner: Il faut aussi se demander, entre autres, quel pouvoir de négociation nous aurions si nous négociions seuls avec les Européens par opposition à des négociations menées de concert avec les États-Unis. De toute évidence, nous aurions beaucoup plus de pouvoir en tant que bloc.
Que nous négocions le libre-échange avec les États-Unis ou avec l'Europe, dans un cas comme dans l'autre, nous cherchons à conclure un accord avec un partenaire dix fois plus important que nous. Dans nos négociations avec les États-Unis, nous avions l'avantage d'être leur plus important partenaire commercial, alors que nous absorbons moins de 1 p. 100 des exportations de l'Union européenne. Cela ne nous donne pas un très grand pouvoir de négociation en matière commerciale.
Le sénateur MacEachen: Après avoir entendu tout cela, je peux comprendre pourquoi notre principal témoin a dit que nous devrions nous intéresser avant tout à l'Organisation mondiale du commerce. En effet, il ne faudrait pas fonder trop d'espoir sur l'obtention de résultats concrets dans des négociations entre les États-Unis, le Canada et l'Union européenne. De ce que M. Juneau a dit, je conclus que, si le Canada et l'Union européenne passaient un accord ou étaient capables de le faire en dépit des obstacles ou des difficultés, les gains, pour le Canada, seraient modestes en termes de croissance économique. Le Canada aurait donc avantage à envisager l'approche multilatérale. Pourquoi ne pas en faire notre voie d'avenir?
Le comité possède une bonne expérience en matière de commerce. Nous avons étudié l'Accord de libre-échange passé avec les États-Unis. Puis, nous avons étudié l'ALÉNA. Ensuite, nous nous sommes penchés sur l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce. L'examen de l'Accord de libre-échange a fait ressortir un élément en faveur de l'approche multilatérale, de préférence à l'approche régionale. Quand nous avons étudié l'Organisation mondiale du commerce, les témoins nous ont dit que le Canada aurait obtenu autant de réductions tarifaires dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce que dans le cadre de l'Accord de libre-échange. La stratégie me semble bonne, mais ce n'est peut-être pas la seule.
Je suppose que, dans le cadre de toute nouvelle négociation amorcée avec l'Union européenne, le Canada pourrait bonifier les modalités de base de l'Organisation mondiale du commerce. Je tiens pour acquis, également, que nous pourrions nous montrer plus généreux à l'égard de l'Union européenne, si nous le voulions, que nous ne l'avons fait avec les États-Unis et le Mexique, dans ces accords commerciaux. En d'autres mots, est-il vrai que nos obligations en vertu de l'Accord de libre-échange et de l'ALÉNA ne nous limitent pas dans nos négociations avec l'Union européenne? Sommes-nous aussi libres d'agir que si ces accords n'existaient pas?
En tant que membre du comité, si j'étudie la situation en termes réalistes, selon votre témoignage, nous aurions les pieds bien fragiles dans de telles négociations. On nous assure que l'appui des Allemands nous est acquis, et le fait a son importance pour l'avenir, mais il n'existe pas beaucoup d'objectifs immédiats que nous pouvons appuyer. Le Royaume-Uni et l'Allemagne seraient sympathiques à notre position, effectivement, mais cela ne nous donne rien de concret pour l'avenir. Ai-je raison?
M. Juneau: Sénateur, nous vous distribuerons des documents qui, essentiellement, décrivent la proposition de renouvellement des relations transatlantiques et font état de la communication émanant de l'Union européenne concernant l'idée d'un plan d'action concertée avec le Canada. Vous pourrez y lire que, bien que la dimension économique soit la préoccupation première dans cet exercice, il existe trois autres secteurs d'une très grande importance pour nous; c'est d'ailleurs pourquoi j'ai parlé de politique étrangère, de sécurité et de défis mondiaux. La dimension économique est maintenant l'un des quatre grands objectifs poursuivis de concert avec l'Union européenne. En ce sens, lorsque vous visiterez la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et Bruxelles, vous connaîtrez au moins les objectifs fondamentaux visés par l'Union européenne et par le Canada.
À quel point sommes-nous libres de négocier à notre guise avec l'Union européenne? Vous savez mieux que moi, sénateur, que nous n'aurons jamais les coudées franches parce que nous avons d'autres obligations. Nous devons respecter les obligations que nous avons contractées dans le cadre du GATT, maintenant transposées dans l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce. Comme je l'ai mentionné plus tôt, il ne faut pas oublier, non plus, nos obligations dans le cadre de l'ALÉNA. Par conséquent, nous ne pouvons négocier avec l'Union européenne un accord qui ne cadrerait pas avec nos autres obligations internationales.
Le sénateur MacEachen: Consentons-nous, dans un accord avec l'Union européenne, des avantages que nous n'avons pas conférés à d'autres pays, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce?
M. Juneau: Oui, en matière d'investissement.
Le sénateur MacEachen: Seulement en matière d'investissement?
M. Juneau: C'est l'un des secteurs. Je le mentionne parce qu'il est le plus évident et que, si nous oublions les États-Unis, il est clairement notre principal avantage dans nos relations avec l'Europe, par rapport à d'autres régions du monde. Les Européens sont d'importants investisseurs ici, et ce sont de bons investisseurs.
Pour ce qui est d'accroître le commerce, nos échanges avec l'Europe de produits manufacturés sont plus élevés que dans toute autre région du monde, exception faite des États-Unis. Il est beaucoup question de coopération scientifique et technologique dans ce domaine. Les États-Unis n'entrent jamais en ligne de compte, dans notre travail au sein de la Division de l'Union européenne, parce qu'ils ne représentent pas, pour nous, un point de référence.
L'Europe est un groupe de pays que nous comprenons. Nous parlons leur langue, ils parlent la nôtre, et l'entreprise privée canadienne s'intéresse beaucoup à la promotion d'échanges avec cette partie du monde. En ce moment, nous ne sommes pas en train de négocier un accord de libre-échange avec l'Union européenne. Nous examinons plutôt les moyens de réduire davantage les barrières tarifaires et non tarifaires qui affectent nos relations.
Le sénateur MacEachen: Pour ajouter à ce que vous avez dit, si nous étions en train de négocier avec l'Union européenne l'ouverture de ses marchés à nos produits et si nous promettions d'élargir l'accès aux nôtres afin d'accroître l'investissement ici et ainsi de suite, serions-nous obligés d'accorder le même accès à nos autres partenaires de l'Organisation mondiale du commerce?
M. Venner: Je vous répondrai par la négative, à condition que l'accord global respecte l'article 24 du GATT. Pour la même raison, nous ne sommes pas obligés d'accorder à tous nos autres partenaires commerciaux les avantages que nous consentons aux États-Unis. L'article 24 du GATT exige, pour qu'il soit compatible avec le GATT, que tout autre accord de libre-échange s'applique à presque tout ce qui est échangé entre les deux pays. Ce critère est un peu subjectif. Cependant, si vous y satisfaites, vous pourrez consentir à un partenaire commercial des privilèges que vous n'êtes pas obligé de consentir à vos autres partenaires commerciaux.
Le sénateur MacEachen: Cette disposition s'appliquerait au Mexique et aux autres partenaires de l'Organisation mondiale du commerce, ainsi qu'aux États-Unis?
M. Venner: Elle s'applique à tous les membres. Tout accord de libre-échange passé entre membres de l'Organisation mondiale du commerce serait visé. Cependant, des dispositions permettent aussi aux pays en voie de développement de jouir d'un accès privilégié, d'où les arrangements que j'ai mentionnés plus tôt pris entre le Mexique et l'Union européenne.
Le sénateur MacEachen: Nous n'essayons pas de négocier un accord de libre-échange. L'article 24 s'appliquerait uniquement s'il y avait accord de libre-échange.
M. Venner: Pour que ce soit un accord de libre-échange, il faudrait qu'il respecte les dispositions de l'article 24.
Le sénateur MacEachen: Il faudrait qu'il prévoie une libéralisation générale et s'applique à une très vaste gamme de produits, n'est-ce pas?
M. Venner: C'est exact. On ne peut libéraliser seulement certains échanges. On ne peut dire: «Vos textiles entreront en franchise, mais pas les autres marchandises». On est plus ou moins obligé d'abolir les tarifs sur tout.
Le sénateur MacEachen: Un tel accord avec les Européens est exclu actuellement, n'est-ce pas?
M. Venner: Il serait extrêmement difficile d'envisager la possibilité d'un accord dans le cadre duquel l'Union européenne permettrait l'entrée en franchise de tous les produits agricoles.
Le sénateur MacEachen: J'essaie de comprendre la stratégie. M. Juneau a dit que nous n'essayons pas, pour l'instant, de conclure un accord de libre-échange avec les Européens.
M. Venner: Je crois que M. Juneau essayait de faire une distinction entre nos objectifs à court terme et nos objectifs à long terme. Le gouvernement a bien précisé qu'à long terme, nous avons tout à gagner d'un accord de libre-échange transatlantique. Cependant, le document que l'on vient de faire circuler n'exige pas la passation, d'ici juin, d'un accord qui serait signé au sommet du G-7.
Le sénateur MacEachen: Le document prévoit-il une réduction des tarifs prélevés sur certains produits?
M. Venner: Il propose une étude pour voir si c'est réalisable.
Le sénateur MacEachen: Quelle position faudrait-il adopter en Europe, à cet égard?
M. Juneau: L'objectif à long terme poursuivi est un accord de libre-échange. Nous nous contenterons, au cours des quatre prochains mois, de négocier une déclaration politique et un plan d'action commun avec l'Union européenne. Dans ce contexte, les Européens refusent de discuter avec nous de libre-échange. L'accord de libre-échange est un objectif à long terme dont ni les Européens, ni les Américains ne veulent entendre parler.
Durant votre voyage, vous pourrez dire que l'objectif du gouvernement canadien demeure la négociation éventuelle d'un accord de libre-échange entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne. Cependant, dans l'état actuel des choses, il est fort possible que la libéralisation plus poussée des échanges passe par l'Organisation mondiale du commerce plutôt que par un accord bilatéral, si les Européens ne sont pas disposés à négocier un accord de libre-échange avant d'avoir élargi l'Union européenne pour y inclure de nouveaux membres d'Europe centrale et d'Europe de l'Est. La phase de transition pourrait être de dix à 15 années, voire davantage, parfois. L'objectif demeure mais, à court terme, il ne semble pas réalisable.
Le sénateur MacEachen: Vous faites valoir un très bon point lorsque vous parlez d'investissement accru au Canada résultant de l'accès actuel du Canada au marché américain. Je comprends que la partie la plus encourageante soit le tableau des investissements, c'est-à-dire des investissements européens au Canada. Nous n'avons besoin de rien de plus pour vendre cette idée. Cet avantage est concret.
M. Juneau: À un moment donné, nous laissions entendre que nous aimerions participer à une étude menée de concert avec les États-Unis et l'Union européenne, soit à une étude trilatérale en vue de trouver le meilleur moyen d'accroître la libéralisation du commerce entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne. Pour l'instant, pareille étude est exclue. Je ne m'attends pas que sir Leon Brittan, lorsqu'il sera ici, nous annonce qu'ils seraient heureux de le faire à trois. Au contraire, il nous dira, selon moi, qu'ils sont disposés à participer à une étude de concert avec nous, comme ils le font avec les Américains. Il y aurait donc deux études parallèles.
L'une des raisons pour lesquelles ils ne veulent pas mener une étude trilatérale avec nous, c'est qu'ils nous craignent. Nous avons avoué trop franchement notre objectif de libéralisation du commerce. On ne veut pas en entendre parler aux États-Unis. Au sein de l'Union européenne, il y a encore beaucoup de dissidence à ce sujet.
Nous prendrons part à l'étude. Nous préférerions qu'il s'agisse d'une étude trilatérale, mais nous participerons tout de même à une étude bilatérale. Nous sommes convaincus que, tôt ou tard, il faudra que les études convergent, en raison de la nature de l'économie nord-américaine et de la nature de nos rapports économiques avec les Américains. De toute évidence, nous en discuterons également avec nos amis américains.
Tant que cette étude n'est pas annulée, je ne puis vous préciser par quel moyen nous ferons progresser la réalisation de notre objectif, qui est une libéralisation accrue du commerce entre l'Amérique du Nord, le Canada et l'Union européenne, et, à court terme, les moyens adoptés pour réduire davantage les barrières tarifaires et autres.
J'ai mentionné plus tôt, dans mon exposé, que nous jouions avec les mots. Nous avons dû adapter notre vocabulaire au paysage politique de l'Europe et des États-Unis.
Le sénateur MacEachen: L'idée de parler de libre-échange avec l'Union européenne est utile et intéressante car, à long terme, elle fait état de notre intérêt soutenu pour l'Europe et pour l'Union européenne. Elle manifeste notre éventuelle ouverture quand, eux, seront prêts à négocier.
M. Juneau: Oui.
Le sénateur MacEachen: C'est un énoncé politique. Je suppose que des études menées de concert par le Canada et l'Union européenne, d'une part, et par l'Union européenne et les États-Unis, d'autre part, sont aussi plus des énoncés politiques que des conditions préalables à l'examen des listes tarifaires, et ainsi de suite. Assurément, tout ce travail a déjà été fait en rapport avec l'Organisation mondiale du commerce. Nous avons dû faire l'objet de tant d'évaluations qu'il suffirait de tout colliger, non?
M. Juneau: Tout dépend des objectifs de la commission qui seront annoncés en même temps que l'étude. Notre première proposition était de faire une étude trilatérale du libre-échange entre l'Amérique du Nord et l'Union européenne. Cette idée a été rejetée. Les Européens ont décidé d'aller de l'avant en effectuant une étude avec les États-Unis. C'est alors que l'expression «libre-échange» a complètement disparu du paysage. Vous avez mentionné l'ALÉTA. Ces expressions, que nous retrouvions couramment dans la presse il y a quelques mois seulement, ont complètement disparu du vocabulaire de l'Union européenne, de la Commission européenne et des Américains.
Je répète donc à nouveau que l'étude continuera d'avoir pour objectif de trouver les moyens d'accroître l'investissement européen ici. Cette question n'a pas forcément été examinée à fond dans les études que nous pourrions avoir effectuées en vue d'une libéralisation accrue des échanges au sein de l'Organisation mondiale du commerce.
Nous devons être patients. L'Union européenne ne nous avait pas fait part de sa réaction officielle jusqu'à la publication de ce document en Europe, la semaine dernière. Les Européens ne nous ont jamais communiqué officiellement leur réaction à nos diverses propositions visant à intensifier les liens commerciaux et économiques entre le Canada et l'Union européenne. À cet égard, nous attendons tous, avec impatience, la visite de sir Leon Brittan. Nous espérons pouvoir en arriver à un accord rapidement sur la façon de faire avancer le dossier.
Au risque de me répéter encore une fois, je comprends que vous vous intéressiez surtout aux rapports commerciaux et économiques. Toutefois, le plan d'action que nous étudierons de concert avec l'Union européenne et la Commission européenne est beaucoup plus vaste.
Le sénateur MacEachen: Il est intéressant également de noter que l'expression «libre-échange» ne cadre plus avec le courant de rectitude politique aux États-Unis et au sein de l'Union européenne. Il y a des raisons à cela, et elles toucheront peut-être aussi le Canada, en bout de ligne.
Le président: Nous rencontrerons, en Europe, les cadres de diverses entreprises canadiennes brassant des affaires là-bas. Ces Canadiens sont-ils susceptibles de nous entretenir de changements particuliers survenus dans les tarifs ou les programmes européens en ce qui concerne l'investissement? Que pouvez-vous nous dire à l'avance? Quelles sont vos prévisions dans ce domaine?
M. Venner: Les seules questions qui me viennent à l'esprit à cet égard, sénateur, sont les propositions imminentes de législation européenne en vue de protéger les données et la vie privée. Ces propositions sont la source de certaines inquiétudes dans le milieu des services financiers.
Comme moyen de protéger la communication de renseignements personnels réunis par les entreprises et des institutions financières en Europe, l'Union européenne envisage d'adopter une loi qui, bien qu'elle en soit à l'étape embryonnaire, rendrait très difficile l'échange d'information entre institutions financières de part et d'autre de l'Atlantique. Cette question pourrait préoccuper des institutions financières canadiennes, si vous prévoyez rencontrer certains de leurs dirigeants.
Le président: Et au sujet des tarifs? Qu'en est-il de l'aluminium, par exemple? Le seuil prévu nous satisfait-il?
M. Venner: Nous avons essayé, dans le cadre des négociations de l'Uruguay Round, de faire abaisser les droits relatifs à certains produits. Nous avons échoué dans certains secteurs remarquables, par exemple dans celui de l'aluminium, des produits de la pêche transformés et certains produits forestiers à valeur ajoutée. Nous avons discuté de produits de haute technologie, mais cette question englobait aussi certaines pratiques de passation des marchés publics. Vous pourriez entendre des plaintes à ce sujet. Cependant, les négociations de l'Uruguay Round ne s'étant terminées que tout récemment, la plupart des industries canadiennes comprennent qu'il y a peu de chance que ces tarifs soient réduits dans un proche avenir.
Le président: A-t-on modifié le tarif sur le matériel de communication auquel les Canadiens s'intéresseraient?
M. Venner: C'est toujours un secteur où les tarifs sont très élevés.
Le président: Y a-t-il eu changement à la hausse ou à la baisse?
M. Venner: Si des changements ont été apportés dans le cadre de l'Uruguay Round, ils ont été très marginaux. Il faudrait que je vérifie.
Le président: J'ai une autre question d'une toute autre nature. Nous avons beaucoup entendu parler de la possibilité d'une union monétaire en Europe. Il m'arrive parfois de penser que c'est la question principale. Ne nous interrogeons pas pour savoir ce qui se passera, supposons plutôt que l'union européenne se concrétisera.
Je pense en outre - et il se peut que je fasse erreur - qu'une union monétaire de ce genre se répercuterait sur les économies de certains pays, des pays avec lesquels nous faisons affaire. Je me demande ensuite ce qui suit: cette union monétaire aura-t-elle une influence sur le Canada, qu'il s'agisse de ses importations ou de l'investissement au Canada indirectement, étant donné l'influence de celle-ci sur certains pays en Europe?
M. Juneau: C'est une vaste question à laquelle il n'est pas facile de répondre, monsieur le président. Nous ne savons pas exactement quelle forme revêtira finalement l'union monétaire. Les membres discutent encore entre eux des politiques qu'il faudra élaborer à cet égard. De toute évidence, le Canada en ressentira les effets dont l'un d'entre eux, à mon avis, le taux du change, ce qui pourrait se répercuter sur l'exportation de nos produits.
Je ne suis pas encore à l'aise avec le sujet vu que nous n'avons pas encore eu le genre avec l'Union européenne les discussions que nous voulons avant qu'elle amorce sa conférence intergouvernementale. Il s'agit d'un des sujets qui y sera abordé. Il nous faudra discuter avec eux afin de mieux en saisir les répercussions.
M. Venner: En ce qui concerne un impact direct sur le Canada, il faut tenir compte de la concurrence des investissements provenant de tiers. Je veux parler des investissements japonais et autres. Si plusieurs pays de l'Union européenne se réunissent pour stabiliser le taux du change, ils deviendraient ainsi une cible attrayante pour les investisseurs. Nous soutiendrions alors la concurrence de l'Union européenne.
Il y a ensuite nos exportations. L'utilisation d'un seul taux de change et la capacité d'opérer avec une seule devise facilitent un peu les choses. Cela pourrait être un effet positif.
La troisième question, à laquelle il est plus difficile de répondre, est celle de la coordination de la politique économique au sein de tribunes comme le G-7. Si les membres du G-7 se réunissent et que seules quatre devises y sont représentées, c'est-à-dire la monnaie européenne, le dollar américain et le yen, il est difficile de voir quelle place le Canada occuperait dans l'équation. Si l'union monétaire européenne voit le jour, le Canada risque d'être marginalisé dans des discussions de ce genre.
Le président: Vous en avez assez dit pour me convaincre que cette question revêt de l'importance pour le Canada.
Honorables sénateurs, cela met fin à cette partie de nos travaux pour aujourd'hui. Nous remercions les témoins d'être venus.
Le comité suspend ses travaux.