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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 16 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 10 décembre 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine marchande du Canada, s'est réuni ce jour à 9 h 05 pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Mabel M. DeWare (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous examinons aujourd'hui le projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur le divorce.

Sont présents aujourd'hui parmi nous Greg Kershaw, président de Fathers are Capable Too, et Nardina Grande, du Second Spouses Group. Nous accueillons également un enfant, ce qui nous redonnera à tous le sens des réalités.

Je vous demanderai de bien vouloir commencer votre exposé, et le comité aura ensuite le temps de vous poser des questions.

M. Greg Kershaw, président, Fathers Are Capable Too: Je vous remercie d'avoir bien voulu nous recevoir. Je m'appelle Greg Kershaw et je dirige un groupe de Toronto qui s'appelle Fathers Are Capable Too et qui représente plus d'une centaine de familles. Nous existons maintenant depuis plus de quatre ans.

Notre groupe se compose de parents qui n'ont pas obtenu la garde de leurs enfants. Les gens nous demandent pourquoi le mot «fathers» (pères) figure dans notre dénomination: cela s'explique par le fait que la plupart des parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants sont en réalité des pères. Tout le monde peut toutefois adhérer à notre groupe, qui compte un grand nombre de femmes. Il y a aussi des grands-parents. Et voici le plus jeune membre de notre groupe: il s'appelle Terran, et je suis sûr qu'il enrichira notre présentation de quelques-unes de ses idées.

La présidente: J'aimerais, avant que vous ne commenciez, que vous le placiez de l'autre côté de Mme Grande car on peut l'entendre à cause du micro. Merci.

M. Kershaw: La transcription risque de s'avérer relativement difficile car il ne parle couramment aucune autre langue que celle qui lui est propre.

J'aimerais commencer la présentation par la lecture de trois documents. Mme Grande a un court discours qu'elle aimerait vous lire, et nous pourrons ensuite répondre à vos questions.

Quand ils discutent du projet de loi C-41, les gens ne se rendent pas compte de ce qui se passe dans les tranchées, dans les tribunaux de la famille. Bien avant d'en arriver à la question de la pension alimentaire pour enfants et de déterminer qui va payer quoi, il faut résoudre le problème de la garde et du droit de visite. J'ai ici une phrase que j'aimerais vous citer: elle a été prononcée par un juge et elle est typique de ce que l'on entend dans les tribunaux de la famille. Le juge Richard Huttner déclare:

Il n'y a pas pire emmerdeur qu'un père divorcé qui est décidé à s'occuper de son enfant. Il veut le voir après l'école, l'amener manger, l'avoir avec lui le jour de son propre anniversaire, lui parler tous les soirs au téléphone, être présent à toutes les soirées porte ouverte de l'école, passer avec l'enfant tout un week-end. [Il veut vivre avec l'enfant, pas seulement lui rendre visite!] Une telle implication de la part d'un père est pathologique.

Le sénateur Jessiman: Cette déclaration remonte à quand?

M. Kershaw: Elle date de la fin des années 80. La source est le système judiciaire de New York. On peut trouver quantité d'informations; malheureusement la source est en général américaine. Pour une raison ou pour une autre, nous ne disposons pas de ce genre d'information au Canada. La majeure partie est extrapolée des États-Unis.

La déclaration que je vous ai lue illustre une attitude tout à fait caractéristique. En tant que père, vous vous retrouvez devant quelqu'un qui ne vous connaît même pas pour lui demander la permission de voir votre propre enfant. Si l'on vous accorde ce qui est considéré comme un droit de visite équitable, généreux et libéral, cela signifie quatre jours par mois. C'est généreux; c'est libéral; c'est juste. On peut ne pas vous en accorder autant. Vous vous retrouvez dans l'obligation de quémander.

Ce que je vais vous lire maintenant est aussi de source américaine. Cela vient d'Oklahoma City et c'est tiré du Christian Science Monitor. C'est important car il existe là-bas une législation très semblable aux lignes directrices envisagées dans le cadre du projet de loi. L'auteur de cet article est coordonnateur exécutif au bureau du procureur de la ville d'Oklahoma City. L'article est intitulé «Pères mauvais payeurs? Voyons-voir!»

Les pères mauvais payeurs sont les cibles privilégiées des politiciens à la recherche du parfait bouc émissaire. Il faut que l'exécution des pensions alimentaires pour enfants soit de plus en plus rigoureuse jusqu'à ce que tous ces pères mauvais payeurs tâtent du fouet; ensuite, tout ira bien.

J'ai mis ces pères mauvais payeurs en prison par centaines et j'ai obligé des dizaines de milliers d'entre eux à payer les pensions qu'ils devaient. J'étais le principal ou le seul avocat à plaider dans trois bureaux de recouvrement des pensions alimentaires pour enfants pendant huit ans; ensuite, j'ai dirigé à Oklahoma le programme d'exécution des pensions alimentaires pour enfants pendant trois ans.

Cet homme sait donc de quoi il parle quand il dit:

Le père mauvais payeur est rarement un citoyen modèle, mais il est encore plus rarement le monstre mythique décrit par les politiciens. La plupart des pères mauvais payeurs sont des hommes apeurés, en colère et déprimés qui tombent dans plusieurs catégories indistinctes.

Le soutien de famille remarié:

Un fort pourcentage des pères mauvais payeurs sont remariés et élèvent les enfants d'un autre lit ou leurs enfants biologiques issus d'un second mariage. Souvent, cette famille est plus pauvre que celle à laquelle appartient son ex-femme remariée à un homme qui gagne mieux sa vie. Il arrive fréquemment aussi que l'ex-femme d'un père mauvais payeur se remarie avec un autre père mauvais payeur, qui la fait vivre, elle et ses enfants.

Les hommes pauvres:

Un grand nombre de pères mauvais payeurs sont des sans-abri, et un pourcentage encore plus élevé sont pauvres. Comme la formule utilisée pour le calcul du revenu d'une femme exclut un grand nombre des allocations sociales qu'elle perçoit, les statistiques concernant les femmes dans la pauvreté sont très fallacieuses. Non seulement beaucoup de pères mauvais payeurs sont dans la misère, mais c'est souvent leur échec, en tant que soutien de famille, qui a poussé leur ex-femme à divorcer. J'ai représenté la partie civile contre un père mauvais payeur qui avait été hospitalisé pour malnutrition, et un autre qui avait élu domicile sur le plateau d'une camionnette. J'ai souvent poursuivi des hommes très pauvres à l'instigation d'ex-épouses remariées avec des hommes qui avaient réussi et vivant très confortablement.

Les pères qui aident les mères:

Les hommes qui apportent un soutien non monétaire sont considérés comme des pères mauvais payeurs par le système. Les mères et les pères en arrivent parfois à des ententes concernant le soutien des enfants, ententes qui peuvent prévoir que le père se charge de réparer la voiture, d'acheter l'épicerie, de garder les enfants, ou de les habiller. Il arrive que ces hommes soient au chômage, mais ils tiennent à aider leurs enfants. Parfois, ils craignent que leur soutien financier ne profite pas aux enfants, mais au plus récent petit ami de la mère... ou que cet argent serve à acheter de la drogue ou de l'alcool. Aucune des formes de soutien non monétaire n'est reconnue, même si la mère et le père veulent qu'il en soit tenu compte, et même s'ils le déclarent par écrit.

Les pères qui paient une pension alimentaire pour enfants:

La pension alimentaire pour enfants n'est «payée» que lorsqu'elle est versée sous une forme bureaucratiquement acceptable. Pour reprendre le jargon en usage dans tout programme de pension alimentaire pour enfants, les autres formes de paiement sont une «boîte à chaussure pleine de reçus»... c'est-à-dire que le père paie la pension mais autrement que dans le cadre de l'ordonnance du tribunal ou d'un programme. J'ai vu des milliers de ce genre. Une fois, la mère avait signé une déclaration attestant que le père n'avait jamais rien payé. Mais quand on a produit les reçus, elle a reconnu qu'il avait toujours versé la pension. Pourquoi avait-elle agi de la sorte? Elle vivait de l'aide sociale, et la pension alimentaire pour enfants devenait la propriété de l'État et du gouvernement fédéral. En gardant cette pension, elle fraudait l'aide sociale.

Pourquoi les pères préoccupés par la question devraient-ils verser la pension alimentaire directement à la mère? La comptabilité, dans les bureaux responsables de l'entretien des enfants, est épouvantable. On peut confondre la mère avec une autre femme ou le père qui verse la pension avec un autre homme.

Les hommes qui ont la garde en pratique:

Oui, même les hommes qui élèvent chez eux les enfants pour lesquels on réclame une pension alimentaire peuvent être des pères mauvais payeurs. Si l'ordonnance d'un tribunal stipule que la mère a la garde et qu'elle a droit à une pension alimentaire pour enfants et que la mère confie les enfants au père car elle n'arrive pas à les contrôler ou qu'elle a d'autres problèmes, le père continue quand même d'être responsable de la pension alimentaire.

Il y a des gens dans mon groupe qui se retrouvent dans une telle situation.

La plupart des pères contre qui j'ai représenté la partie civile déclaraient qu'ils étaient prêts à élever leurs enfants sans aucune aide du gouvernement ni de la mère, si on leur en donnait la possibilité.

Les hommes qui ne peuvent pas trouver leurs enfants:

Même l'impossibilité de localiser les enfants qu'il faut entretenir ne constitue pas une excuse. La mère peut très bien avoir quitté l'État avec ses jeunes enfants et ne pas avoir dit au père où elle se trouve depuis cinq ans. Le système peut recouvrir, et recouvre effectivement, la pension alimentaire pour enfants qui, en l'occurrence, n'a pas été versée depuis cinq ans par ce père mauvais payeur. Dans certains cas, naturellement, la mère a une très bonne raison, la violence familiale, mais parfois, ce sont les allégations du père concernant les mauvais traitements qu'elle fait subir aux enfants qui l'ont poussée à se sauver.

Les pères qui aiment leurs enfants, mais qui ne veulent pas travailler pour eux:

C'est une situation différente, bien sûr, de celle des mères qui vivent de l'aide sociale et qui ne veulent pas entretenir leurs enfants. Les pères sont des «pauvres types» alors que les mères sont des «victimes de la société». La triste réalité toutefois est que les enfants n'ont qu'un père et qu'une mère, et si les parents peuvent leur apporter un soutien émotif, c'est au moins aussi important que le soutien économique. Un grand nombre de pères mauvais payeurs aiment autant leurs enfants que les mères qui vivent de l'assistance sociale et qui n'entretiennent pas leurs enfants non plus. Les coûts sociaux de la fuite d'un père dans un autre État ou de son incarcération sont rarement pris en compte dans le calcul des avantages découlant de l'exécution du versement de la pension alimentaire.

Les réfractaires au versement de pensions alimentaires pour enfants:

Prenons le cas du «pire père mauvais payeur du pays». Il n'entre dans aucune des catégories ci-dessus. Il avait de l'argent; il savait où se trouvaient ses enfants; il n'avait aucune excuse. Et il devait presque un demi-million de dollars en arriérés de pension alimentaire.

Mais à combien s'élevait la pension alimentaire pour enfants que l'on demandait à cet homme de verser tous les mois? Cinq milles dollars? Dix milles dollars?

Il s'agissait en fait de 9 000 $.

Dans cette catégorie, on trouve des hommes qui font partie de la classe moyenne et qui sont obligés de verser la moitié de leur salaire net en pension alimentaire. Les lignes directrices relatives au versement obligatoire d'une pension alimentaire pour enfants enlèvent aux parties, et même aux tribunaux, le pouvoir de déterminer ce qui constitue une pension juste et raisonnable.

Les lignes directrices sont fondées sur un modèle de «partage du revenu» qui établit les besoins des enfants en théorie (et non ce qu'ils sont en réalité). Résultat? Un nombre grandissant d'hommes qui -- par principe -- préfèrent aller en prison que de verser une pension alimentaire.

L'article présente ensuite quelques solutions. Un grand nombre de ceux dont il est question ressemblent aux gens qui font partie de mon groupe, par exemple, ceux qui exercent la garde effective de leurs enfants alors que la mère conserve la garde légale, si bien qu'elle continue d'avoir droit aux allocations et autres avantages destinés aux mères.

Le dernier document que je veux vous lire est une lettre qui m'a été faxée, et qui est assez alarmante. Elle vient d'un homme qui s'appelle A. T. Renouf. Voici ce qu'il dit:

Monsieur,

Vendredi dernier (le 13 octobre) mon compte en banque a fait l'objet d'une saisie-arrêt et je me suis retrouvé avec un total de 43c. en banque.

À l'heure actuelle, je dois payer un loyer et des factures dont le total se situe entre 1 500 et 1 800 $.

Comme ma dernière paie a également été déposée directement vendredi, je n'ai plus rien pour subvenir à mes propres besoins, pour manger, ou pour payer l'essence que je dois mettre dans ma voiture car j'en ai besoin pour travailler. De plus, mon employeur m'ayant dit qu'il ne me paiera que par dépôt direct, je n'ai plus d'emploi vu que l'argent ne me parviendrait pas.

J'ai tenté de discuter avec les responsables de l'Aide à la famille, au 1916 est rue Dundas; ils m'ont répondu: «Nous avons une ordonnance du tribunal» et ils l'ont répété plusieurs fois.

Je me suis adressé au responsable de l'aide sociale à Markham, mais vu que j'ai gagné plus que 520 $ au cours du dernier mois, je n'ai droit à aucune aide.

Je n'ai eu aucun contact avec ma fille depuis environ 4 ans. Je ne sais même pas si elle est vivante et en bonne santé. Je l'ai toujours informée de mon numéro de téléphone, mais elle ne s'est jamais donnée la peine d'appeler.

Je n'ai ni famille, ni amis, j'ai très peu de nourriture, aucun emploi valable et de très médiocres perspectives d'avenir. J'ai par conséquent décidé qu'il ne valait plus la peine de continuer à vivre. J'ai l'intention de me rendre avec ma voiture dans un coin tranquille près de chez moi, d'introduire le tuyau d'échappement à l'intérieur, d'avaler des somnifères et d'utiliser ce qui me reste d'essence dans le réservoir pour en finir avec ma vie.

J'aurais préféré une mort plus digne.

Ma dernière volonté et mon testament est que cette lettre soit rendue publique pour que tout le monde puisse la lire.

Voilà le genre de choses qui aboutissent sur mon télécopieur. J'en ai terminé avec la lecture de mon mémoire. Je pourrais répondre à vos questions dans quelques instants. Permettez-moi, pour le moment, de m'occuper de mon fils pendant que Mme Grande vous présente son exposé.

Mme Nardina Grande, Second Spouses Group: Je constate souvent que la vérité se cache dans le non-dit et je pense que c'est effectivement le cas du projet de loi C-41. Ainsi, on n'y mentionne pas un groupe qui, selon moi, représente un grand nombre de gens, c'est-à-dire les deuxièmes familles.

J'ai assisté aux audiences Finestone d'il y a trois ans. Il y avait une dame qui appartenait à un groupe appelé MAFIA, Mothers Against Fathers in Arrears. Elle m'a dit en pleine face, à moi et à une autre seconde épouse, que nous n'avions pas le droit d'exister. C'est l'attitude la plus répandue.

J'ai rencontré une autre dame, il y a environ six mois, à une réunion du groupe FAD, Families Against Deadbeats. Elle m'a répété la même chose, que je n'avais pas le droit d'exister. Je tenais mon fils dans mes bras; je suppose que mon fils n'a pas le droit d'exister non plus. Eh bien, j'existe et mon fils existe aussi, et je n'ai pas l'intention de continuer à être traitée comme une citoyenne de deuxième classe.

J'aimerais me présenter: je m'appelle Nardina Grande. Je suis la fondatrice de l'association Second Families of Canada. Je fais également partie des parents fondateurs de FACT -- Fathers Are Capable Too -- un groupe créé il y a environ trois ans et demi pour s'occuper de questions cruciales se rapportant au divorce, au droit de visite, aux pensions alimentaires, et tout ce qui s'ensuit.

Quand on compare les problèmes qui se posaient il y a 10 ans et auxquels on fait face aujourd'hui, on se rend compte que ce ne sont pas les mêmes. Les choses ont changé radicalement. Alors, ne parlons pas des pensions alimentaires versées il y a 10 ans. J'ai parlé à des femmes qui recevaient une pension alimentaire pour enfants il y a 10 ans, et elle était loin d'atteindre les niveaux prescrits aujourd'hui. Cela prend des proportions de crise et les montants adjugés par les tribunaux sont déraisonnables.

Mon mari doit payer, pour un enfant, 1 300 $ par mois. Il reçoit actuellement des prestations d'invalidité et on lui saisit plus de la moitié de ses gains.

Pour l'instant, on ne peut lui prendre que la moitié de ses gains, à moins d'ordonner une saisie-arrêt familiale. Je l'aide donc à couvrir ses dépenses, en le nourrissant et en m'assurant qu'il a un toit, en plus d'entretenir mon propre fils. Je ne demande pas la charité, je veux simplement un système équitable.

Les secondes épouses sont présentées dans les médias de deux façons. La première -- et c'est là l'ironie -- c'est en brillant par notre absence. Souvent, on ne parle pas du tout de nous dans les médias. Nous n'existons pas. C'est l'opinion dominante actuelle. La deuxième façon dont on nous dépeint dans les médias, les revues, la culture populaire et dans Ms. Magazine, c'est en tant que membre d'une famille prospère qui réduit la première famille à la misère en menant grand train.

Qu'on me présente donc quelqu'un qui vit comme ça. Si vous trouvez une famille qui vit sur ce pied-là, vous constaterez le plus souvent que la deuxième épouse travaille comme une bête de somme. Je devrais m'occuper de mon entreprise aujourd'hui. Je suis venue en voiture de Toronto pour vous dire notre détresse et celle des autres familles reconstituées.

J'aimerais vous dresser ce que je crois être un portrait réaliste des secondes épouses, celles qui se sont mariées avec des hommes divorcés ayant des enfants de leur premier mariage. Je ne parle pas des hommes qui sont simplement divorcés, mais des hommes qui sont divorcés, qui ont des enfants et qui versent une pension alimentaire. Dans la plupart des cas, nous les sauvons du suicide. Nous leur apportons un soutien émotif. Quand j'ai rencontré mon mari, il était sur le point de se suicider et c'est moi qui l'ai aidé à recoller les morceaux.

Vous pouvez me traiter de martyre. Vous pouvez dire que je savais dans quoi je m'engageais. Non, je ne savais pas ce qui m'attendait. J'ignorais qu'on allait élaborer le projet de loi C-41. Qui pouvait prévoir qu'un procureur général du Canada proposerait de miner les droits fondamentaux d'un pays démocratique et d'instaurer une sorte d'état socialiste? Voici comment se traduit le projet de loi: prenons tout cet argent, extorquons-le à une partie de la population pour le donner à une autre. Dévalisons les gens dynamiques et les entrepreneurs et donnons l'argent aux profiteurs.

C'est un état socialiste, et je n'ai plus peur de le dire maintenant car, en toute franchise, je n'ai plus envie de voyager en deuxième classe.

Je suis née ici. Je suis Canadienne de première génération. Mes parents étaient immigrants; ils sont venus d'Italie pour habiter dans un pays où l'on vivait mieux. Mais voilà, le pays où j'ai grandi a changé. Je suis vraiment déçue de ce qui est arrivé au Canada. Je suis vraiment gênée et, pour parler franchement, ce genre de lois, des lois qui risquent de jeter mon mari en prison, me font peur.

J'ai rencontré une seconde épouse qui a dû faire appel à tous ses amis et à sa famille afin de recueillir assez d'argent pour faire sortir son mari de prison. Une autre compense ce qu'il en coûte à son mari pour payer la pension alimentaire versée à son ex-épouse. Le juge a déclaré qu'ayant une nouvelle épouse dont l'emploi était bien rémunéré, il devait continuer à verser la pension alimentaire. Cela n'avait rien à voir avec le fait que son ex-épouse était en mesure de subvenir à ses propres besoins, mais plutôt avec le fait qu'il y avait maintenant une autre femme qui avait de l'argent. Conclusion: il doit continuer à verser une pension alimentaire à sa première épouse.

Cela n'a aucun sens. J'ai été élevée en féministe, j'ai étudié à l'Université de Toronto, et l'on m'a enseigné ce qu'est le féminisme. Le type de féminisme duquel découlent aujourd'hui les façons de penser qui se reflètent dans cette mesure législative est un féminisme de victime. Ce n'est pas le genre de féminisme que l'on m'a enseigné. J'ai appris que les femmes étaient censées être autonomes, comme les hommes, d'ailleurs. Oui, on a effectivement l'obligation d'entretenir ses enfants, mais quand la pension alimentaire ne parvient pas jusqu'à eux et qu'elle se chiffre à des sommes que les parents ne sont pas en mesure de verser, au point qu'ils sont tellement dévastés qu'ils ne sont même plus en mesure de fonctionner au jour le jour, c'est absurde.

Je le répète, les secondes épouses apportent aussi un soutien émotif aux enfants du divorce. Cela fait trois ans et demi que je joue ce rôle auprès de ma belle-fille. Quand je l'ai connue, elle avait huit mois. Elle m'aime et je l'aime beaucoup. Pour son quatrième anniversaire, au mois d'août, nous avons organisé une magnifique fête dans notre cour. Nous avons imploré la mère pour qu'elle puisse rester un peu plus longtemps, et la mère l'a très mal pris. Elle a menti à un juge de paix et obtenu une ordonnance d'un tribunal; nous ne pouvons plus voir la petite. D'un seul coup, les ponts sont coupés. Il se peut que vous n'éprouviez pas de compassion pour nous, mais il y a une enfant dont les relations avec son père, son demi-frère qu'elle aime beaucoup et sa belle-mère ont été coupées. Nous n'avons aucun droit.

Les secondes épouses contribuent indirectement à l'entretien d'un enfant en aidant leurs maris, en leur offrant un toit et de la nourriture, en versant une caution pour les faire sortir de prison. Je prétends qu'ils sont injustement emprisonnés. Nous avons ressuscité la prison pour dettes. Les gens n'étaient plus emprisonnés pour dettes pratiquement depuis le début du siècle. Aujourd'hui, on revient à cette pratique. Nous ressuscitons la vieille tradition de la prison pour dettes.

Les secondes épouses sont des femmes dynamiques, des soutiens de famille, des entrepreneurs. Si l'on commence à chambarder leur vie, qui est productive, ce n'est pas étonnant que l'économie soit dans l'état où elle est. Je ne pense pas que nous sortirons de cette récession. Cela affecte beaucoup trop de gens. Cela affecte les familles. Le système est axé sur l'antagonisme. C'est là-dessus que se fonde le système judiciaire. Je m'excuse si j'offusque ceux et celles d'entre vous qui sont avocats ou qui ont des amis qui sont avocats, mais le droit de la famille repose sur un système qui ne fonctionne tout simplement pas. On ne peut pas prendre une famille, c'est-à-dire l'institution fondamentale d'un pays, dont les membres sont liés émotivement, et la déchirer pour des considérations monétaires. Les enfants, les parents, tout le monde est déchiré.

Je n'ai pas peur d'affirmer que la pension alimentaire qui a été versée jusqu'à présent pour ma belle-fille est allée à son avocat, non à elle. L'argent qu'elle a touché en pension alimentaire est allé à son avocat. C'est malheureux car le montant de la pension est astronomique et l'enfant n'en a pas profité.

J'ai avec moi un communiqué de presse que j'ai publié il y a deux ou trois ans. Croyez-le ou non, il est encore pertinent aujourd'hui. Je l'ai envoyé à Allan Rock et il a été publié par le Toronto Sun. Il est intitulé: «Un pays au bord du suicide». Je m'excuse de me montrer si morbide aujourd'hui.

Suicide financier, suicide politique, suicide au sens propre... vous sentez-vous toujours chez vous dans votre pays? Est-on en train de vous priver de votre droit de jouir de vos biens et de votre famille? Bienvenue au Canada... le pays qui est gouverné avec compassion.

Votre gouvernement fédéral est en train de promouvoir des lignes directrices minimales en matière de pension alimentaire pour enfants que même les familles intactes ne peuvent se permettre de financer. Le gouvernement espère abolir la pauvreté chez les enfants et combler le déficit plus rapidement. Il ne pourrait pas se tromper davantage. En vertu des lignes directrices minimales envisagées la pension alimentaire pour enfants, ainsi que les impôts fédéraux et pourraient absorber jusqu'à 75 p. 100 du revenu de la personne versant la pension. N'oubliez pas qu'il s'agit de lignes directrices minimales, en vertu de quoi une personne qui doit verser une pension et dont le revenu brut total est de 50 000 $ serait forcée de payer 38 000 $ en pension alimentaire pour enfants et en impôt, et se retrouverait avec 12 000 $ pour s'habiller, se nourrir et se loger. Et que Dieu la préserve d'avoir une seconde famille, de souhaiter se montrer responsable et de vouloir économiser pour sa retraite de manière à ne pas être à la charge du gouvernement dans sa vieillesse.

Le gouvernement fédéral, sous la direction du ministre de la Justice, M. Allan Rock, n'atteindra pas ses objectifs qui sont d'éliminer la pauvreté des enfants et de réduire le déficit. En fait, cette initiative aurait précisément l'effet contraire. Les débiteurs alimentaires ne seront pas en mesure de respecter un tel barème. Ils perdront leurs entreprises, ils tomberont malades à cause du stress dont ils seront victimes parce qu'ils n'auront pas les moyens de payer les intérêts sur les arriérés qu'accumuleront les organismes provinciaux d'exécution d'aliments pour enfants, et certains d'entre eux seront même emprisonnés ou, pire encore, se suicideront. Le gouvernement contribue donc ainsi à un repli de l'économie, à une hémorragie des coûts de notre système de soins de santé et de notre système carcéral, et multiplié le nombre des enfants qui grandissent sans l'un de leurs parents, sans parler des suicides parmi les adolescents et les parents qui n'ont pas la garde.

Savez-vous que le Canada se place en troisième position, parmi tous les pays du monde, pour ce qui est du taux de suicide chez les adolescents?

Le Dr Hazel McBride, spécialiste nord-américaine réputée de la psychologie de l'enfant, a fait des recherches dans le domaine du droit de la famille et de ses effets sur les enfants et les parents non chargés de leur garde; elle est arrivée aux conclusions suivantes: l'étude de 1 018 paires de jumelles adultes a fait ressortir que les femmes qui avaient été séparées d'un parent avant l'âge de 17 ans étaient plus susceptibles de souffrir de grave dépression et de troubles anxieux généralisés. (Kendler, Neale, Kessler et al., 1992, Archives of General Psychiatry).

Une étude allemande effectuée en 1991

...a permis de constater une forte incidence des tentatives de suicide chez les patients qui avaient subi une perte pendant leur enfance, à cause de la séparation de leurs parents ou de leur mort. La plus forte tendance suicidaire a été principalement attribuée à la perte du père. (Journal of Affective Disorders). En Scandinavie, des recherches ont montré que parmi les adultes qui tentaient de se suicider, le nombre de ceux qui avaient perdu un parent à la suite d'un divorce pendant leur enfance était nettement plus élevé (Acta Psychiatrica Scandinavia, 1990, 1993).

La présidente: Cela a l'air d'être un long document. Vous pourriez peut-être le déposer pour qu'il soit versé au dossier car nous aimerions pouvoir vous poser quelques questions.

Mme Grande: C'est très court, seulement deux ou trois paragraphes. Je vais résumer.

Le Dr McBride a trouvé que les facteurs de stress chez les parents qui ne sont pas chargés de la garde sont, entre autres, les honoraires d'avocat, des allocations de pension alimentaire irréalistes, le harcèlement des responsables des Programmes gouvernementaux d'exécution d'ordonnances alimentaires et de garde, la perte des enfants due au refus du droit de visite et à de fausses allégations de mauvais traitement, l'absence de contrôle sur la façon dont l'argent des pensions est dépensé, la perte du droit des parents de prendre des décisions concernant leurs enfants, etc.

Parmi ses recommandations figurent la garde conjointe, la médiation obligatoire, l'inscription à un cours sur le divorce et la séparation en vertu d'une ordonnance du tribunal (ce qui a donné de très bons résultats aux États-Unis), une aide psychologique pour les enfants dont les parents divorcent, le partage de l'éducation, etc.

Les lignes directrices de M. Rock redéfinissent la pension alimentaire pour enfants, vont à l'encontre de la Loi sur le droit de famille et sont en fait une façon sournoise de redistribuer le revenu au détriment de tous les membres des familles concernées.

C'est-à-dire les premières et les secondes familles.

M. Rock... a voulu faire des vagues et le résultat est que nos enfants se noient dans les eaux de programmes politiques à courte vue qui témoignent d'un manque total de prévoyance.

La présidente: Monsieur Kershaw, pourrais-je vous demander d'où vient l'expression que vous avez utilisée pour qualifier les pères qui ne paient pas leur pension alimentaire?

M. Kershaw: On ne m'a jamais posé la question. Il s'agit d'une expression qui semble très populaire dans les médias. Chaque fois qu'il est question de pères divorcés, on parle de «pères mauvais payeurs».

La présidente: Je pensais que vous aviez utilisé un autre terme.

M. Kershaw: Non j'ai parlé de «père mauvais payeur».

La présidente: Merci.

Le sénateur Forest: Monsieur Kershaw, vous nous avez fait part dans votre exposé d'anecdotes et d'histoires qui nous ont touchés.

J'ai oeuvré dans le domaine des droits de la personne et je me suis rendu compte il y a plusieurs années que les pères avaient des problèmes en ce qui concernait la garde des enfants. À l'époque, on ne la leur octroyait jamais, je le reconnais.

Je crains que dans le projet de loi qui nous occupe, nous n'envisagions les choses que dans la perspective monétaire plutôt que sous l'angle de la garde des enfants. Je sais que les deux choses sont liées; toutefois, nous sommes dans une situation très difficile du fait que nous entendons un son de cloche un jour et un autre le lendemain en ce qui concerne l'aspect monétaire. On nous donne des statistiques à l'appui d'un point de vue et d'autres chiffres qui prouvent le contraire.

Vous avez déclaré qu'il y a des gens qui refusent, par principe, de verser une pension alimentaire. C'est une position que j'accepte difficilement car il y a aussi le principe qui veut que les enfants reçoivent ce dont ils ont besoin.

M. Kershaw: C'est vrai. Je vais vous citer l'exemple d'une personne qui fait partie de mon groupe et qui refuse de verser quoi que ce soit.

L'ex-femme de l'homme en question l'a empêché de voir son enfant pendant quatre ans. L'enfant a maintenant six ans, et sa mère lui fait suivre une thérapie depuis l'âge de deux ans et demi. Cette femme s'est remariée. L'enfant porte maintenant le nom du nouveau mari, de manière à ce que celui-ci puisse profiter de tous les avantages dont bénéficie un père qui porte le même nom que son enfant, mais il n'a pas été adopté, afin que l'ex-époux continue d'être tenu de verser une pension alimentaire.

En l'occurrence, la femme n'a pas besoin de cet argent; sa famille est aisée, de même que son nouveau mari. Ils sont toutefois bien contents qu'il y ait une pension, et des arriérés, car chaque fois que le père s'adresse au tribunal pour dire qu'il aimerait voir sa fille -- même si le versement d'une pension alimentaire pour enfants et le droit de visite ne sont pas censés être liés -- on commence toujours par lui demander: Monsieur, versez-vous la pension alimentaire? Et il est forcé de répondre: en fait, non. Ensuite, la discussion ne porte plus que sur la pension alimentaire.

Il a jusqu'ici dépensé 80 000 $ pour obtenir le droit de voir son enfant, et cela lui a toujours été refusé par son ex-femme, sans qu'elle en soit aucunement pénalisée. Il y a une ordonnance du tribunal qui stipule qu'elle doit le laisser voir son enfant. Toutefois, elle n'amène même pas l'enfant au centre où peuvent avoir lieu des visites supervisées.

Je vois beaucoup de gens dans ce genre de situation et je comprends que l'on a parfois de bonnes raisons de ne pas payer une pension, notamment quand le ménage de la mère jouit de revenus plus élevés. La mère a pris l'enfant et complètement ostracisé le père.

Ces pères sont très déprimés car les seules fois où on les considère comme des «pères», c'est quand on leur demande de l'argent. Cependant, pour le reste de leurs jours, ils ne sont rien pour leurs enfants. Ils changent parfois de nom ou ils déménagent dans une autre province ou dans un autre pays.

Ces hommes-là n'ont pas l'impression d'être des pères. Ils ont l'impression, quand ils envoient l'argent, de payer une rançon. C'est comme si quelqu'un avait kidnappé leur enfant et leur avait dit: «Si vous ne versez pas 1 000 $, on ne répond pas de ce qui pourrait arriver à votre enfant. On ne tient vraiment pas à lui faire de mal, mais tout sera de votre faute. Continuez d'envoyer de l'argent et on vous dira que l'enfant va bien».

Le sénateur Forest: Recommanderiez-vous que le versement de la pension soit lié à la garde?

M. Kershaw: La garde est liée au droit de visite. Dans les régions des États-Unis où la garde de l'enfant est liée à la pension alimentaire, les obligations sont remplies dans 92 p. 100 des cas. Quand il y a des ordonnances attributives de droit de visite protégée, et que les pères voient effectivement leurs enfants, le pourcentage est de 79 p. 100. Toutefois, quand le père n'a ni la garde ni un droit de visite, l'observation des ordonnances tombe à 45 p. 100.

Le sénateur Forest: Est-ce supérieur aux statistiques concernant le Canada?

M. Kershaw: Les statistiques sont difficiles à interpréter. Je suis en relation avec le bureau du Régime des obligations alimentaires envers la famille de l'Ontario. Leur comptabilité est épouvantable.

Est-ce que tout le monde sait ce qu'est le Régime des obligations alimentaires envers la famille?

Le sénateur Cools: Expliquez-nous de quoi il s'agit.

M. Kershaw: En Ontario, quand il y a divorce et détermination d'une pension alimentaire, copie de l'ordonnance est transmise au Régime des obligations alimentaires envers la famille qui envoie ensuite une lettre à l'employeur de la personne concernée, et le montant de la pension est prélevé sur le salaire à la source. Une fois embarqué dans le Régime, il est impossible d'en sortir, même si les deux parties sont d'accord. C'est un problème.

Le Régime des obligations alimentaires envers la famille suit tous ces dossiers. Au départ, il jouait essentiellement le rôle d'organisme de recouvrement; on lui signalait les débiteurs et il tentait de percevoir les sommes dues.

Un grand nombre d'entreprises ont proposé des logiciels de recouvrement de dettes au Régime des obligations alimentaires envers la famille, mais cet organisme a préféré réaliser son propre logiciel. Le résultat est tellement médiocre que si vous avez des arriérés d'un centime ou d'un million de dollars, le système ne fait pas la différence. Si vous êtes payé deux fois par mois, vous allez avoir des arriérés quatre fois par an uniquement à cause d'erreurs comptables. Ce logiciel n'effectue pas de «contrôle de vraisemblance» comme les logiciels classiques de recouvrement qui classent les dettes par ordre ascendant, de 0 à 30 000 $ et ainsi de suite. Ils ne font pas cela.

En outre, quand le Régime des obligations alimentaires envers la famille a été créé, il a enregistré des arriérés de longue date qui correspondaient à des ordonnances que l'on ne pouvait retrouver. Il a débuté avec cette dette qui n'a jamais été éliminée.

Les chiffres avancés par le Régime sont très suspects. Quand les responsables veulent orienter les choses dans une certaine direction, ils vous déclareront: «Vous rendez-vous compte que seulement 24 p. 100 des ordonnances sont intégralement respectées?» Cela fait que 76 p. 100 ne le sont pas et ils attribuent cela entièrement aux «pères mauvais payeurs». C'est ainsi qu'ils procèdent quand ils veulent mousser la gravité du problème.

Mais quand ils veulent montrer qu'ils font du bon travail, ils disent que dans plus de 75 p. 100 des cas, les fonds rentrent. Étant donné qu'ils peuvent prélever 50 p. 100 du revenu à la source et que la majorité des gens qui sont tenus de verser une pension alimentaire travaillent, même s'ils choisissaient de ne pas payer, ces hommes n'auraient aucun moyen de s'en tirer. Toutefois, leur nombre augmente ou diminue en fonction de ce que les responsables du Régime cherchent à démontrer. Ils obtiennent des résultats relativement bons dans le cas d'environ 25 p. 100 des ordonnances.

Mais eux-mêmes reconnaissent qu'il y a des problèmes. Certains des pères en question sont peut-être décédés. Aux États-Unis, les Health and Human Services ont découvert que 14 p. 100 des «pères mauvais payeurs» étaient morts; mais personne ne s'était donné la peine d'en informer ces bureaux.

La présidente: Il ne faut pas oublier que certains de ces cas entrent dans le champ des compétences provinciales.

M. Kershaw: Une fois le projet de loi C-41 adopté, c'est vrai, il sera mis en oeuvre par les autorités provinciales.

Le sénateur Bosa: Vous nous avez donné plusieurs exemples des difficultés que rencontrent les pères tenus de verser une pension alimentaire pour enfants. Toutefois, ces cas ne découlent pas de l'entrée en vigueur de ce projet de loi. Vous ne nous avez pas parlé de ses dispositions et certaines des questions que vous évoquiez il y a quelques instants relèvent des provinces, comme l'a souligné madame la présidente, et n'ont rien à voir avec le projet de loi C-41.

M. Kershaw: Mais c'est le projet de loi C-41 qui va fixer des lignes directrices minimales. J'ai examiné ce document de bout en bout, et l'un des problèmes qu'il me pose est son inflexibilité. Il y a des gens qui viennent nous voir mais qui n'ont pas vraiment de problème; l'homme et la femme discutent et trouvent une solution; ils se débrouillent. Une des inquiétudes que fait naître ce projet de loi se rapporte aux cas que l'on peut qualifier de «divorces d'enfer», où les parties se battent depuis quatre ans, mais où les choses commencent à se calmer. Le projet de loi forcera les juges à dire: «Voilà le montant que vous devez obligatoirement verser». Cela risque de réouvrir de vieilles blessures et de changer beaucoup de choses. Une mère pourrait décider qu'elle devrait recevoir 1 000 $ plutôt que le montant qu'elle avait précédemment accepté.

Laissez-moi vous donner un exemple. Une dame m'appelle au téléphone et nous discutons de son ancien mari. Elle me dit: «Je le laisse voir l'enfant, mais il n'a pas versé de pension alimentaire depuis quatre ans». Nous continuons à discuter et j'apprends qu'il paie pour que son fils puisse faire du hockey, équipement compris, qu'il paie aussi le ski, des vêtements, une bicyclette et tout un tas d'autres choses. Alors, je dis: «Il me semble qu'il participe à l'entretien de l'enfant».

En vertu du projet de loi C-41, le père ne pourra pas faire valoir cette contribution. Tout cela est bien beau, mais qu'est-ce que cela fait? Il est dans l'obligation de verser 1 000 $ à son ex-femme et s'il lui reste de l'argent, rien ne l'empêche de faire tout cela par-dessus le marché.

La présidente: Mille dollars? Je pense que ça se discute. Selon le barème, il faut gagner 137 000 $ par an pour verser une telle somme.

M. Kershaw: Plusieurs personnes qui travaillent dans les milieux juridiques et qui se préparent à aller en cour m'ont expliqué ce qui va se passer. Bien que le juge prenne en compte le nombre d'enfants et que montant correspondant soit indiqué sur le barème, je peux vous garantir que ce n'est pas la somme que le père devra payer; elle sera plus élevée. Celle qui figure sur le barème est un montant minimal et s'il reste de l'argent, on pourra y ajouter une pension alimentaire à verser à l'ex-conjoint.

Le sénateur Bosa: Madame Grande, vous avez mentionné que vos parents avaient émigré au Canada et que vous avez l'impression qu'il ne s'agit plus de la terre promise à laquelle ils s'attendaient. Je ne vous poserais pas ma question si vous n'aviez pas abordé le sujet. Toutefois, je suis né, moi aussi, en Italie et je suppose que vos parents sont venus au Canada à la fin des années 40 ou au début des années 50.

Mme Grande: Dans les années 50.

Le sénateur Bosa: D'une région rurale?

Mme Grande: Oui.

Le sénateur Bosa: Le divorce était alors inconnu dans ces régions rurales. Toutefois, je retourne fréquemment en Italie, et je peux vous assurer que le taux de divorce est tout aussi élevé en Italie qu'au Canada ou aux États-Unis. Vous auriez les mêmes problèmes en Italie aujourd'hui.

Mme Grande: Je sais que le divorce existe en Italie. Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je voulais dire que mes parents sont venus au Canada pour avoir une vie meilleure.

Le sénateur Bosa: Cela a été le cas, manifestement, puisqu'ils ont pu vous envoyer à l'université.

Mme Grande: C'est vrai. Toutefois, quand je vois ce genre de mesure législative, j'ai peur car elle mine les droits fondamentaux dont on devrait, je pense, pouvoir jouir dans un pays démocratique. Quand on peut refuser de délivrer des passeports et des permis de conduire, on restreint la liberté de mouvement des gens et on les empêche de gagner leur vie. Que va-t-il y avoir ensuite, des bracelets de cheville électroniques?

Le sénateur Bosa: Laissez-moi vous poser une dernière question: pourquoi pensez-vous que le projet de loi C-41 permettra de mettre les gens en prison?

Mme Grande: Cela se produit déjà.

Le sénateur Bosa: Cela se produit alors que ce projet de loi n'est pas en vigueur.

M. Kershaw: Une des raisons pour lesquelles nous en arrivons à cette conclusion, c'est qu'aujourd'hui, on peut se retrouver en prison à cause d'arriérés de pension alimentaire. Cela s'appelle outrage au tribunal. Si l'on augmente les montants qui devront être versés alors que les sommes actuelles ne peuvent déjà pas être acquittées, il s'ensuit qu'un plus grand nombre de gens se retrouveront en prison.

Le sénateur Bosa: N'existe-t-il pas une procédure qui permet d'en appeler de ces ordonnances des tribunaux de la famille?

Mme Grande: Si vous avez l'argent pour le faire. Toutefois, quand on est déjà endetté, c'est contreproductif.

M. Kershaw: Vous parlez des ordonnances modificatives suite à un changement des conditions matérielles de l'intéressé. Vous pensez que vous allez pouvoir faire baisser le montant de votre pension alimentaire, n'est-ce pas? Eh bien non. D'abord, l'Aide juridique ne couvre pas un homme qui tente de faire réduire la pension alimentaire pour enfants qu'il doit verser, même s'il est dans la misère. Même si vous avez droit à l'aide juridique, on ne s'occupera pas de vous.

Vous avez alors deux options: vous pouvez emprunter de l'argent et embaucher un avocat, ou vous pouvez tenter de vous défendre vous-même. Si vous optez pour un avocat, vous devez vous attendre à payer 2 000 $ par comparution, et ne pas compter sur une décision dès la première. Et ça n'est pas bon pour votre image: voilà un homme qui préfère utiliser son argent pour payer un avocat plutôt que pour entretenir ses enfants. Les juges n'aiment pas cela. Si vous décidez de vous défendre vous-même, vous risquez de vous faire tailler en pièces car il s'agit de questions très techniques et l'avocat de l'autre partie ne vous fera aucun cadeau. Vous vous retrouvez donc dans la misère et la seule solution serait d'embaucher un avocat. Mais vous ne pouvez pas vous permettre de prouver que vous n'avez pas d'argent.

Dans le projet de loi C-41, il y a l'article sur les difficultés excessives. Après avoir consulté plusieurs avocats à ce sujet, je me suis fait dire que la seule façon dont on pouvait plaider sa cause en invoquant cet article, c'était en recourant à un logiciel de modélisation vu la difficulté des calculs à effectuer. On estime que pour prouver les difficultés excessives, il faut dépenser entre 5 et 10 000 $ pour qu'un avocat monte un dossier, tout en sachant que même si un juge reconnaît que vous faites peut-être face à des difficultés excessives, il ou elle n'est pas tenu par ce projet de loi de prendre à cet égard une initiative quelconque. Il faut avoir entre 5 et 10 000 $ à dépenser pour prouver qu'on n'a pas d'argent; bonne chance. Cela va à l'encontre du but recherché. Il y a sans doute beaucoup de gens qui font face à des difficultés excessives. Mais il est impossible de faire les calculs sur le coin d'une table.

Le sénateur Cohen: Merci d'avoir exposé votre opinion et d'avoir pris l'initiative de créer Second Families of Canada. Je n'aurais jamais pensé que j'en arriverais un jour à dire merci pour cela car pendant la majeure partie de ma vie d'adulte, j'ai représenté des femmes qui essayaient d'obtenir la garde de leurs enfants et de toucher une pension alimentaire. Ce que vous décrivez ressemble à ce que traverse en ce moment un membre de ma famille: un mari en invalidité et une seconde famille avec des enfants, où la femme entretient le ménage et où tout l'argent sert à se battre devant les tribunaux. Ce qui saute aux yeux, c'est que l'argent est consacré à cette bataille et non aux enfants. Je vous remercie de m'avoir fait comprendre cela.

Qu'est-ce que vous proposez ou qu'est-ce que vous aimeriez voir dans ce projet de loi qui pourrait permettre la reconnaissance des secondes familles et des difficultés qu'elles traversent?

Mme Grande: Premièrement, j'aimerais que ce soit mentionné dans le projet de loi. Qu'on parle de nous. Deuxièmement, si vous me permettez de revenir aux propos du sénateur Bosa, le divorce est un phénomène relativement récent quand on se place dans une perspective historique, et il a pris des formes diverses. Cela ne s'appelait pas divorce avant, mais pour ce qui est du divorce légal, il existe depuis une cinquantaine d'années.

Quelle que soit la législation que l'on adopte aujourd'hui, elle établira un précédent pour le prochain demi-siècle, voire pour plus longtemps. J'ignore ce qu'il adviendra de la structure familiale. Les secondes épouses doivent être prises en compte par la loi car les remariages sont fréquents. La structure familiale a évolué. Vous devez aussi vous rappeler que la législation sur le divorce qui existait il y a une dizaine d'années n'est plus totalement pertinente actuellement. Les choses ont changé radicalement. Je dirais que cette évolution s'est faite à l'avantage des avocats spécialisés dans le droit de la famille, de l'industrie du droit de la famille, et également, dans une certaine mesure, à l'avantage des premières familles. Toutefois, selon moi, les premières familles se font complètement dépouiller par leur avocat. Je plains la première femme de mon mari. Elle m'a fait beaucoup de misères, des choses dont je ne veux pas parler -- des atrocités -- et elle nous a fait beaucoup de mal. Toutefois, elle en a souffert car tout l'argent de la pension alimentaire est allé à son avocat. Elle ne pensait pas qu'elle devrait le payer, mais elle n'a pas pu s'en tirer autrement. Quelle douche froide quand son avocat s'est présenté chez elle pour lui dire qu'elle lui devait 80 000 $. Cet argent n'a pas profité à l'enfant.

J'aimerais aussi aborder la question de la moralité en général. Il me semble que c'est une denrée rare de nos jours. Ce qui me chiffonne, c'est que vous êtes en train de mettre en place une législation qui n'encourage pas les gens à se marier par amour, ni pour satisfaire leur besoin de stabilité ou de compagnie. Elle incite les gens à se marier pour le profit, par opportunité. Qu'est-ce qui empêche quelqu'un de se marier, de divorcer six mois plus tard et de plumer son conjoint?

Le sénateur Bosa: C'est vraiment une exagération. Hautement spéculatif.

Mme Grande: C'est ce qui est arrivé à mon mari. Cette législation encourage les opportunistes, et ouvre la porte aux abus.

La pire chose que l'on puisse faire est de donner une valeur monétaire à un enfant. Un enfant n'a pas de prix. Un enfant a besoin de soutien émotif, de compassion et d'aide financière. Toutefois, si vous donnez une valeur monétaire à un enfant, et si vous déclarez qu'étant donné qu'une personne gagne tant, sa présence ne se justifie pas par la joie qu'il vous procure; il devient un ticket alimentaire. Je vais le dire parce que les féministes ne le diront pas, mais il y en a beaucoup qui s'accroche à leurs enfants parce qu'ils sont des tickets alimentaires. Ces femmes encouragent l'aliénation du père pour pouvoir prouver qu'elles ont besoin de tout l'argent du fait qu'elles s'occupent de l'enfant en permanence. C'est une forme d'enlèvement et de chantage légal. Le parent en question aime peut-être l'enfant, mais c'est le genre de comportement qu'encourage ce projet de loi.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous, l'un ou l'autre ou tous deux, comparu devant le comité de la Chambre des communes lorsque ce projet de loi a été étudié?

M. Kershaw: Non.

Le sénateur Jessiman: Est-ce que l'un ou l'autre d'entre vous convient, ou convenez-vous tous deux, que ce que nous devons prendre en considération c'est l'enfant et l'enfant avant les parents? La loi stipule actuellement que les deux époux ont une obligation financière commune à l'égard de l'entretien de l'enfant.

M. Kershaw: C'est exact.

Le sénateur Jessiman: Êtes-vous d'accord avec ce principe?

M. Kershaw: Je crois que les deux parents devraient contribuer à l'entretien de l'enfant. C'est ce qui manque dans le nouveau projet de loi.

Le sénateur Jessiman: C'est ce que l'on est en train de supprimer.

M. Kershaw: Le soutien financier du parent qui a la garde de l'enfant est sous-entendu. L'autre problème que me pose le projet de loi à cet égard, c'est qu'il ne contient aucune mesure d'exécution pour assurer que cet argent, qui est censé revenir à l'enfant, lui revient effectivement.

Le sénateur Jessiman: Je suis d'accord sur ce point. Où je ne suis plus d'accord avec vous, cependant, c'est qu'à un moment ou à un autre il faut payer, que vous soyez ou non un père mauvais payeur. Vous avez mentionné quelqu'un qui devait 80 000 $. À 1 000 $ par mois, cela représente cinq ans. Plutôt que de payer son avocat, il aurait dû verser sa pension alimentaire.

M. Kershaw: Son point de vue est le suivant: Il voulait voir son enfant et rétablir le contact. Leur relation était très étroite avant la rupture du mariage. Il ne s'est pas lancé dans ces démarches juridiques dans le but de dépenser 80 000 $, mais son avocat lui disait: «On est presque au bout de nos peines, encore 5 000 $, encore 2 000 $. Tout sera terminé quand la décision sera rendue ou lors de la prochaine comparution en cour». Et tout d'un coup, il a dépensé tout ce qu'il avait, une partie de ce que possédaient ses parents, de l'argent prêté par ses amis. Au départ, il n'avait pas prévu de dépenser 80 000 $. Il n'a pas l'impression d'avoir fait quelque chose de mal. Il n'a jamais été accusé d'un acte criminel quelconque. Il se demande pourquoi il n'a pas le droit de voir son enfant. Il a même une ordonnance d'un tribunal disant qu'il peut le voir. Il n'a pas d'argent. Il est désespéré et déprimé. En plus des 80 000 $ qu'il a dépensés, son ancienne femme a dépensé 120 000 $. On parle donc, en tout, de 200 000 $. Les avocats sont heureux, car leurs enfants vont pouvoir aller à l'université avec tout cet argent.

Le sénateur Jessiman: Je suis avocat et notre cabinet compte des avocats du droit de la famille; ils m'ont dit qu'effectivement, au Manitoba, le montant des pensions alimentaires indiqué dans les lignes directrices est en fait inférieur à celui qui est adjugé par les tribunaux. Il y a cet autre article où il est question des dépenses spéciales extraordinaires et dans ce cas, les autorités prennent en considération le revenu des deux ex-époux, mais tiennent également compte des seconds mariages puisqu'on se base sur le revenu du ménage.

M. Kershaw: C'est vrai, en effet, si vous invoquez les dispositions sur les difficultés excessives qui exigent des calculs à n'en plus finir. C'est vraiment dur. Supposons que vous soyez parvenu à prouver le bien-fondé de votre cause et qu'avec le logiciel, vous avez tout passé au crible. Qu'arrive-t-il six mois ou six ans plus tard? Les circonstances évoluent. Il faut beaucoup de temps pour tout mettre en place, et puis quelqu'un gagne à la loterie ou perd son emploi ou en trouve un autre. Les difficultés connaîtront des hauts et des bas. Les choses évoluent.

La présidente: Je m'excuse, mais il ne reste plus de temps. Je vous remercie. Vos déclarations font maintenant partie de nos dossiers. Je vous remercie d'être venus ce matin nous faire part de votre point de vue.

Mme Grande: Je voudrais faire un dernier commentaire. Les enfants devraient être entretenus qu'ils soient issus du premier, du deuxième ou du troisième mariage. Ils devraient pouvoir compter sur une pension alimentaire raisonnable et sur des visites. Le projet de loi C-41 ne devrait pas être adopté à moins qu'il y ait un projet de loi équivalent se rapportant à l'exécution des droits de visite.

La présidente: Ce projet de loi ne porte pas sur les droits de visite.

Les témoins suivants représentent la National Alliance for the Advancement of Non-Custodial Parents. Nous accueillons M. Jason Bouchard et M. Glenn Cheriton. Ils nous ont remis un mémoire, mais on a semble-t-il quelque difficulté à le photocopier et il y a des pages qui manquent. J'espère que vous en avez fait un résumé à notre intention.

M. W. Glenn Cheriton, agent de recherche principal, National Alliance for the Advancement of Non-Custodial Parents: Oui.

La présidente: Merci. Vous avez la parole.

M. L. Jason Bouchard, coordonnateur, National Alliance for the Advancement of Non-Custodial Parents: J'aimerais commencer en vous expliquant le but de l'organisme que nous avons fondé à Ottawa. Nous essayons d'aider les associations de parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants à entrer en relations car, naturellement, elles ne bénéficient d'aucun crédit ni d'aucun soutien. Contrairement à ce que j'ai vu dans le Globe and Mail, il n'existe pas de groupe bien financé qui ferait du lobbying en faveur des pères. Un grand nombre des parents qui n'ont pas la garde des enfants sont des femmes, et elles sont encore plus marginalisées à cet égard.

M. Cheriton va vous résumer les principaux arguments que nous aimerions avancer et j'explorerai ensuite certains points particuliers.

M. Cheriton: Notre organisme s'appelle la National Alliance for the Advancement of Non-Custodial Parents. Je travaille depuis plusieurs années avec des pères qui ont obtenu la garde et qui vivent seuls. Ils m'ont raconté beaucoup de choses que, franchement, je ne croyais pas et je me suis mis à faire mes propres recherches pour voir quelle information existait sur les pensions alimentaires pour enfants.

Je vais probablement en choquer beaucoup parmi vous car j'ai découvert que pratiquement tout ce que le gouvernement racontait aux Canadiens contredisait ses propres statistiques relatives aux pensions alimentaires pour enfants. Cela remet en question l'idée que le projet de loi C-41 va permettre effectivement d'atteindre l'objectif fixé en matière de pauvreté des enfants ou d'exécution des pensions alimentaires pour enfants, ou que les montants prescrits améliorent effectivement la situation matérielle des enfants.

En gros, mon mémoire reprend les données que j'ai pu recueillir auprès des banques d'information du gouvernement, du ministère de la Justice, de Revenu Canada, des organismes de recouvrement provinciaux de l'Ontario et de l'Alberta, et de l'Institut Vanier de la famille.

J'aimerais faire une première observation: on présume généralement qu'un grand nombre de pères ne versent pas la pension alimentaire pour enfants. Je me suis livré à quelques calculs qui montrent que leur nombre correspond à environ 9 p. 100. J'ai vu que l'on cite parfois des chiffres allant jusqu'à 75 p. 100. On entend aussi dire que 75 p. 100 du montant des pensions ne seraient pas versés. Toutefois, les données que j'ai recueillies pour l'année 1991 montrent que les tribunaux fixent en moyenne la pension à 4 411 $. Le montant moyen versé par les pères pendant la même année s'élevait à 4 883 $, soit 11 p. 100 de plus que le montant moyen fixé par les tribunaux.

On présume aussi que le nombre des pères chefs de famille monoparentale est relativement peu élevé. Or, environ 22 p. 100 des pères sont dans cette situation.

Le sénateur Jessiman: De ceux qui ont la garde?

M. Cheriton: Oui, 22 p. 100 de ceux qui ont la garde. Or, ils reçoivent environ un pour cent des pensions alimentaires pour enfants. La chose est importante lorsqu'on se demande si le projet de loi C-41 est dans le meilleur intérêt des enfants. Quand on examine le système, où aboutit la pension alimentaire pour enfants et ce qui fonctionne, on en arrive à l'étonnante conclusion que ce qui constitue le meilleur intérêt des enfants n'a rien à voir avec le versement de la pension alimentaire pour enfants. En fait, les statistiques américaines montrent que les États où les pensions alimentaires pour enfants et l'aide sociale à l'enfance sont le plus élevées se classent parmi les derniers en ce qui concerne la santé des enfants et leur bien-être.

En revanche, si l'on examine quels sont les meilleurs intérêts de l'enfant, les statistiques montrent de manière écrasante que les enfants fonctionnent beaucoup mieux dans le milieu familial après un divorce quand les deux parents s'impliquent. Et ce sont aussi des familles où le niveau des pensions alimentaires est le moins élevé.

Le problème que pose le projet de loi C-41 vient du fait qu'il se fonde sur des recherches qui ont écarté tous les cas où le rôle parental était partagé pour en arriver à cette formule de pension alimentaire pour enfants. Tous les cas où les pères et les mères collaboraient à l'éducation de leurs enfants ont été écartés.

Deuxièmement, pour en arriver à fixer cette pension alimentaire pour enfants -- je n'emploierai pas le mot formule car il s'agit de lignes directrices, ce qui pose un autre problème -- on a fait abstraction des 70 p. 100 de pères qui ont obtenu la garde et qui sont chefs de famille monoparentale afin de constituer une base de données qui représente presque exclusivement la famille gynoparentale.

Les données fournies dans mon mémoire montrent qu'après un divorce, ce type de famille est celui qui rencontre le plus de problèmes. Selon un récent rapport de Statistique Canada, l'argent ne règle pas ces problèmes. Même quand les revenus sont élevés, la famille monoparentale fait face à un grand nombre des problèmes que rencontrent aussi les familles pauvres qui se séparent. Ces problèmes viennent de l'absence de l'autre parent; et non du manque d'argent.

Un des éléments d'information les plus étonnants de ce rapport, sur lequel repose le projet de loi C-41, fait ressortir que, si le revenu du père qui n'a pas la garde, atteint un certain niveau, plus le revenu de la mère est élevé, plus le montant de la pension alimentaire pour enfants qu'elle reçoit est important, et donc plus large est l'écart entre le niveau de vie dont l'enfant peut bénéficier quand il est avec un de ses parents par rapport à l'autre. C'est exactement l'opposé de ce que j'ai pu constater à propos des pères chefs de famille monoparentale. Plus le revenu du père qui a la garde est élevé, plus basse est la pension alimentaire pour enfants qu'il touche de la mère.

Le problème que pose le projet de loi C-41 vient du fait qu'il ajoute essentiellement un autre dispositif au système qui se traduit par des désavantages considérables pour les enfants après un divorce. Ce dispositif aggravera toutes les inégalités actuelles entre les sexes. Toutes les règles du jeu sont faussées.

Ce ne sont pas les femmes qui sont responsables de ces problèmes; ils s'expliquent par la présence d'un seul parent. Si vous faites pencher la balance de façon telle que, pour obtenir les ressources nécessaires, un seul parent est obligé d'assurer virtuellement toute l'éducation des enfants, il n'est pas surprenant que le parent en question se retrouvera face à tous les problèmes sans bénéficier d'aucune aide.

Le projet de loi C-41 pose plusieurs problèmes. D'abord, reste à savoir si ce projet de loi s'appuie sur un modèle qui fonctionnera. Selon moi, ce n'est pas le cas. Le partage des responsabilités parentales est le modèle le plus satisfaisant. Le projet de loi C-41 repose sur le modèle d'une famille monoparentale. Il part également du principe que l'on peut remplacer un parent par de l'argent.

Le gouvernement a essayé cette formule avec les pensionnats autochtones. On a remplacé les parents par une organisation dotée d'importantes ressources monétaires. Ce fut un échec total. La réalité est que les enfants de notre pays n'ont pas besoin de l'argent du projet de loi C-41. Ce dont ils ont besoin, c'est de parents. Lors d'un divorce, ce que ressent le plus un enfant, c'est la perte du père. Voilà le défaut du projet de loi C-41, il aggrave le problème.

Dans le système judiciaire, quand il faut résoudre la question de la garde, les juges décident souvent en fonction d'un préjugé sexuel plutôt qu'en fonction du meilleur intérêt des enfants. Quand on en arrive à la question de la pension alimentaire pour enfants, le système judiciaire décide en fonction de l'argent plutôt que du meilleur intérêt des enfants.

Parlons de l'exécution de la pension alimentaire. C'est scandaleux. On cite des chiffres farfelus concernant ce qui n'est pas versé. En fait, la province de l'Ontario recueille environ 25 p. 100 de plus par an. Plus précisément, c'est 33 p. 100, 34 p. 100 et 23 p. 100 pour les quatre années que j'ai pu documenter. Les autorités prétendent que sur quatre ans, les arriérés ont doublé. En vertu de ce projet de loi, le montant que le gouvernement provincial de l'Ontario peut s'attendre à tirer des pensions alimentaires pour enfants augmentera de 40 à 50 p. 100. Le revenu des hommes augmente d'environ 3 p. 100 par an, ce qui est inférieur au taux d'inflation. Je ne vois pas comment on peut s'attendre à une augmentation d'une telle ampleur. En fait, les sommes que les femmes reçoivent de Revenu Canada augmentent d'environ 7 p. 100 par an, c'est-à-dire environ deux fois le taux d'augmentation du revenu des hommes. Si vous examinez les chiffres se rapportant à la dernière année pour laquelle j'ai réussi à obtenir des statistiques, vous constaterez que les montants perçus par les pères chefs de famille monoparentale ont connu une chute prodigieuse de 17,2 p. 100. Les deux systèmes évoluent dans des directions totalement opposées. Il y a un système pour les pères chefs de famille monoparentale et ceux qui partagent la responsabilité de l'éducation des enfants, et un système pour les mères, mais les systèmes qui fonctionnent ne sont pas ceux où va l'argent. À cet égard, le projet de loi C-41 n'a tout simplement pas de sens.

Il faut se demander si ce projet de loi réduira effectivement la pauvreté des enfants. Quand on examine les statistiques du ministère du Développement des ressources humaines, on s'aperçoit que la pauvreté parmi les enfants diminue en fait quand le chef de la famille monoparentale est le père, malgré la réduction de la pension alimentaire pour enfants et des programmes gouvernementaux, et en dépit de l'hostilité implacable du système juridique à l'égard des pères chefs de famille monoparentale et de ceux qui partagent les responsabilités parentales. De l'autre côté, en dépit des augmentations massives des programmes gouvernementaux, des pensions alimentaires pour enfants et de l'attention du gouvernement, le taux de pauvreté des enfants dans les familles monoparentales dont la mère est le chef de famille a effectivement augmenté. Pour moi, ce fut une révélation étonnante. Ces statistiques proviennent des organismes que je cite dans mon mémoire.

M. Bouchard: Vous pourriez peut-être parler brièvement des montants consacrés aux familles gynoparentales par tous les niveaux de gouvernement.

M. Cheriton: Si vous voulez. Voici une estimation du Caledon Institute of Social Policy. Apparemment, les trois niveaux de gouvernement consacrent 6,1 milliards de dollars par an aux familles gynoparentales, soit approximativement 10 p. 100 des familles. Si le nombre de divorces double, le nombre des parents uniques, des familles dont le chef est la mère doublera aussi et on doublera ce montant qui atteindra 12 milliards de dollars. Tel est le problème auquel devra face le gouvernement. Plus on rend la situation problématique, plus le gouvernement aura des difficultés à la résoudre. Le gouvernement ne peut tout simplement pas remplacer deux parents par de l'argent. Non seulement les gouvernements n'ont-ils pas d'argent, mais ils n'ont pas non plus les compétences voulues. Les gouvernements n'élèvent pas les enfants. Les gouvernements augmentent les impôts; les parents élèvent les enfants. Telle est la réalité.

La présidente: Ces 6,1 milliards de dollars, est-ce pour tout le Canada?

M. Cheriton: Au niveau fédéral, provincial et municipal.

La présidente: Il s'agit du total annuel pour les familles gynoparentales?

M. Cheriton: Oui.

M. Bouchard: On entend sans arrêt parler du «meilleur intérêt de l'enfant». Cela semble être la formule favorite de la décennie pour traduire «donnez-moi ce que je demande car c'est dans le meilleur intérêt de l'enfant». Le projet de loi C-41 parle d'argent, mais il ne parle de rien d'autre.

Une commission a siégé pendant cinq ans pour examiner les trois aspects de ce problème, entre autres, la pension alimentaire pour enfants et le droit de visite. On ne peut pas tout réduire à une question d'argent.

M. Cheriton a parlé des mères qui ont la garde des enfants. Une des raisons pour lesquelles nous devons examiner les choses sous deux angles différents, c'est que la situation des pères et des mères qui ont la garde des enfants n'est pas la même. Elle n'est pas traitée de la même façon par le système. Nous craignons notamment que si l'on compare ce qui est versé actuellement en espèces sonnantes et trébuchantes par les mères qui n'ont pas la garde des enfants et tout ce dont peuvent bénéficier les enfants et qui ne prend pas la forme d'un chèque -- s'en occuper quand on n'en a pas la garde, financer les visites, tout ce genre de choses -- la différence entre la contribution financière requise aujourd'hui et celle qui serait exigée selon les lignes directrices pourrait se solder dans certains cas par des augmentations d'environ 2 000 p. 100. On parle ici de sommes multipliées par 20, et le gouvernement n'a effectué aucune recherche sur les raisons de cet écart.

Quels que soient les chiffres que l'on utilise, que les pères représentent un quart ou un cinquième des parents ayant la garde, il y a évidemment un nombre équivalent de mères qui n'ont pas la garde et qui seront frappées de plein fouet par ces directives sans que l'on ait étudié le pourquoi de cet écart. On présume entre autres que dans de nombreux cas, elles n'ont pas le revenu nécessaire. Eh bien, avec des lignes directrices qui fixent le taux de base à 7 000 $, elles n'auront pas beaucoup plus. Le gouvernement a délibérément ignoré les ressources qui permettraient d'obtenir ces données. Ne sachant pas ce qu'il en est, on ne peut que supposer que l'impact sur ces importants segments de la population sera désastreux. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je présume que la plupart des parents pauvres qui n'ont pas la garde des enfants et qui auraient à verser des pensions alimentaires pour enfants multipliées par 20, auraient un problème. Cela me semble une supposition raisonnable. Et c'est la situation dans laquelle se retrouveront la plupart des mères qui n'ont pas la garde des enfants.

Là encore, cela transforme la question de la garde en problème financier. Je n'ai jamais vu de définition de «partage des responsabilités parentales», mais il semble que ce soit strictement moitié-moitié. Si les responsabilités sont partagées dans une proportion de 60-40 -- selon ce que les gens peuvent faire, ce que leur travail leur permet de faire et pour tenir compte des contraintes scolaires des enfants -- d'un seul coup, vous vous retrouvez à payer une pension alimentaire pour enfants de cet ordre. Toutefois, dans les cas où il y a un partage moitié-moitié, on fait alors ce qui semble avoir plus de sens, on examine le revenu des deux parents. Passer d'un partage à 45 p. 100 à un partage à 50 p. 100 pourrait se traduire par un doublement de la pension alimentaire pour enfants. Vous avez en fait pratiquement éliminé l'étroite marge de négociation qui existait quand on arrivait près du partage moitié-moitié... tout ce qui permettait une négociation du droit de visite axée sur la coopération. Si le parent chargé de la garde se laisse un peu entraîner, il risque de voir sa pension alimentaire disparaître. Ou les choses pourraient aller dans l'autre sens. Le parent en question pourrait en fait devenir celui qui verse la pension alimentaire pour enfants. Si le parent qui a la garde a un revenu plus élevé et qu'il reçoit une pension alimentaire pour enfants dans le cadre d'un partage dans une proportion de 60-40, pour passer à moitié-moitié, on parle de prendre en compte le revenu des deux parents pour calculer le coût d'entretien de l'enfant. Quelle belle idée! Mais cela ne se traduit pas dans les lignes directrices. Toutefois, si vous vous montrez raisonnable et que vous tenez compte du revenu des deux parents, d'un seul coup le parent qui a la garde doit verser une pension alimentaire en guise de compensation. Cela a du sens. Le principe est d'égaliser le revenu qui sert à l'entretien de l'enfant; ce n'est pas censé être une façon de faire de l'argent. C'est censé être dans le meilleur intérêt de l'enfant.

Le partage des responsabilités parentales, qui est un mode de fonctionnement de plus en plus fréquent au sein des familles divorcées, disparaîtra complètement. En acceptant de partager les responsabilités parentales, on perdra beaucoup d'argent. Concrètement, que ferez-vous? Vous êtes parent d'un enfant et vous tenez les cordons de la bourse. Cela ne veut pas dire que vous agissez ainsi pour faire de l'argent, mais que si vous avez les enfants avec vous, vous souhaitez le meilleur arrangement possible de manière à avoir le plus de ressources possibles pour vous en occuper. Vous ferez tout le nécessaire pour obtenir plus d'argent. Si cela signifie passer de 20 à 50 p. 100 pour ce qui est du temps alloué aux visites, vous le ferez. De votre point de vue, cela va dans le sens du meilleur intérêt des enfants. Toutefois, le meilleur «intérêt» d'un enfant ne se réduit pas à l'argent, c'est d'avoir ses deux parents... c'est-à-dire ce qui ressemble le plus à un modèle de famille intacte qui se poursuivrait après le divorce.

Les mères n'ayant pas la garde font du droit de visite une question d'argent, ce qui n'est pas bon pour les enfants. Les taux énoncés dans le cadre de ces lignes directrices sont intéressants car ils sont à l'inverse des taux d'imposition des revenus. Plus vous gagnez, plus votre pourcentage de revenu imposable augmente. C'est la taxation progressive; elle existe depuis longtemps. Ici, on a l'inverse. Les gens qui gagnent moins de 20 000 $ paient un pourcentage plus élevé. Les gens n'arrêtent pas d'avancer des chiffres au sujet de la pauvreté des enfants, mais 7 000 $ est loin de ce qui est généralement considéré comme le seuil de pauvreté. Dans certains cas, le taux des pensions alimentaires pour un revenu supérieur à ce montant sera de 40 ou 50 p. 100.

Prenons l'exemple de quelqu'un qui ne touche pas de prestations de l'aide sociale. L'homme a un emploi mais on le considère comme un travailleur à faible revenu... tout comme une grande partie de la population de ce pays. Il gagne 8 000 $ par an. Supposons qu'il verse, à son ex-femme qui bénéficie de l'aide sociale, une pension alimentaire pour un enfant. Au bas mot, avec un enfant, cette femme reçoit des prestations de 14 000 $, nettes d'impôt. En Ontario, les prestations familiales commencent à environ 14 000 $ lorsqu'on a un enfant. Dites-moi où est la logique. Les gens disent: «On devrait toujours verser un minimum», mais cela ne se justifie pas vraiment car cet argent ne reviendra pas à la personne qui reçoit des prestations de 14 000 $. Où ira-t-il? À la province, car le gouvernement réduira le montant des prestations familiales.

On rend ainsi plus pauvre une personne qui l'est déjà. Lorsque cet homme aura la visite de ses enfants, la seule chose qu'il pourra se permettre de leur donner à manger, c'est du macaroni au fromage. On a vidé ses poches pour donner l'argent au gouvernement. Cet argent ne revient jamais à la personne qui perçoit des prestations familiales et dont le revenu est de 14 000 $. Quel que soit l'angle sous lequel on envisage la chose, ne pensez-vous pas qu'il s'agit de difficultés excessives.

J'espère que les avocats feront bien leur travail.

Le sénateur Bosa: Vous avez dit 40 000 ou 14 000 $?

M. Bouchard: J'ai dit 14 000 $. Nous parlons d'une somme nette d'impôt. Si la personne en question ne paie pas d'impôt, la valeur de cette somme augmente.

Le sénateur Cools: Vous pourriez peut-être expliquer au sénateur Bosa ce que l'on entend par «prestations familiales».

M. Bouchard: Si vous êtes célibataire, vous bénéficiez de l'aide sociale; une personne qui a un enfant reçoit des prestations familiales. En gros, quand on a un enfant, elles doublent.

Si les avocats font leur travail correctement, quelqu'un qui gagne 8 000 $ par an va pouvoir demander au tribunal d'être exemptée du paiement d'une pension alimentaire pour enfants parce que cela entraînerait des difficultés excessives. Une disposition à cet effet est incluse dans le projet de loi car ceux qui l'ont élaboré ont vu ce qui faussait leurs calculs. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, tous ceux qui gagnent moins de 20 000 $ se retrouveront exemptés du paiement d'une pension alimentaire pour enfants en vertu de la disposition portant sur les difficultés excessives, tant et si bien que les lignes directrices ne serviront strictement à rien.

Le sénateur Bosa: Avez-vous pu comparaître devant le comité de la Chambre des communes?

M. Bouchard: Oui.

M. Cheriton: Oui.

Le sénateur Bosa: Quel accueil vous a-t-on réservé?

M. Cheriton: Ça ne s'est pas bien passé. Nous avons eu continuellement des problèmes avec les employés du ministère de la Justice. Or, lorsque nous avons comparu devant le comité, certains employés du ministère de la Justice se sont mis à ricaner et à lever les yeux au ciel. Cette réaction, extrêmement hostile, nous empêchait de nous concentrer. Cela m'a choqué car ces gens-là sont des avocats. S'ils se comportaient ainsi en cour, ils seraient reconnus coupable d'outrage au tribunal.

Je me suis laissé dire par des fonctionnaires du ministère de la Justice qu'étant donné que les pères de famille ne versent pas les pensions alimentaires, cela prouve qu'ils se moquent de ce qui arrive à leurs enfants.

Le sénateur Cools: C'est toujours ce qu'on entend dire. C'est un point de vue très répandu.

M. Cheriton: Si le système en place repose sur la conviction que les pères n'ont aucune considération pour leurs enfants parce qu'ils ne paient pas de pension alimentaire pour eux, mais que les chiffres démontrent le contraire, il y a un problème. Prenez les pères qui sont chefs de famille; ils font beaucoup plus pour l'éducation de leurs enfants. Prenez les pères qui n'ont pas obtenu la garde, et qui vivent seuls; ils sont beaucoup plus nombreux à payer une pension alimentaire. Prenez les familles intactes; c'est grâce aux pères que les enfants ne vivent pas dans la misère.

Si le système judiciaire -- les avocats et les juges -- est convaincu qu'en écartant les pères des familles on améliorera la situation des enfants, leur donner une autre arme par le biais du projet de loi C-41 n'aboutira qu'à créer de nouveaux problèmes.

La réaction des membres du comité de la Chambre des communes, à quelques intéressantes exceptions près, a été assez hostile.

Le sénateur Bosa: La table d'équivalence utilisée dans les lignes directrices a été établie par Statistique Canada, et recommandée par divers économistes. Est-ce que le calcul des dépenses moyennes attribuables aux enfants vous pose un problème?

M. Cheriton: Le calcul des dépenses moyennes attribuables aux enfants ne pose aucun problème. De fait, on utilise quatre formules différentes dans ce document.

Il y une norme qui s'applique aux dépenses en espèces, fixées à 683 $ par an pour les menues dépenses réelles. En moyenne, la somme que reçoit un père qui a la garde de ses enfants s'élève à environ 100 $ par enfant. Cela représente un sixième de ses menues dépenses. La somme moyenne que reçoit une mère qui a la garde de ses enfants s'élève à 4 883 $, c'est-à-dire huit fois le montant de ses dépenses en espèce. Si l'on compare ces montants à ceux qui sont attribués par le gouvernement aux familles d'accueil, ou à celles qui touchent l'aide sociale, on peut voir que les normes sont différentes.

Globalement, la formule proposée dans le projet de loi C-41 représente une augmentation. Les économistes ont adopté quatre approches distinctes pour calculer la formule. Dans chaque cas, cela représente une augmentation.

Le sénateur Bosa: Mais quels sont, plus précisément, les problèmes que pose ce projet de loi?

M. Cheriton: Premièrement, rien ne garantit que ces dispositions seront appliquées équitablement aux deux types de familles.

Deuxièmement, le projet de loi traite des pensions alimentaires pour enfants séparément, alors que l'on devrait prendre en considération à la fois la garde, le droit de visite, les aliments et l'application de la loi.

Le sénateur Bosa: Mais il a fallu cinq ans pour en arriver où nous en sommes. On a consulté Pierre, Paul et Jacques.

M. Bouchard: Tout le problème est là. Ce n'est pas ainsi que l'on a procédé.

Le sénateur Cools: On n'a pas consulté Pierre, Paul et Jacques, mais plutôt Juliette, Françoise et Simone, sans doute.

M. Bouchard: Si l'on examine la liste des témoins qui se sont présentés devant le comité, il n'y a que deux organismes qui ne représentaient pas les mères qui ont la garde de leurs enfants. Presque tous ces organismes sont financés par le gouvernement. Donc, ce n'est pas vrai, on n'a pas consulté Pierre, Paul et Jacques.

Les lignes directrices qui ont été proposées par des économistes fixaient les versements à un niveau beaucoup plus bas que celui qu'on envisage actuellement. On n'en a pas tenu compte, il a été jugé que ces recommandations n'étaient pas politiquement correctes.

Le sénateur Bosa: Vous avez cité un cas où l'un des conjoints gagne 8 000 $ et l'autre, qui a la garde des enfants, perçoit 14 000 $ en prestations familiales.

Cet argent est versé par la province. Or la province n'a pas à financer ces coûts. C'est aux parents que revient l'obligation d'assurer la subsistance de leurs enfants.

M. Bouchard: Ce que vous me dites, c'est que quelqu'un qui gagne 8 000 $ par an n'a pas le droit de garder l'argent nécessaire pour nourrir les enfants lorsqu'ils sont avec lui.

Rappelez-vous que ces enfants ne vivent pas tout le temps avec celui des conjoints qui en a la garde. Dans le cas où le cadre familial reste intact, les enfants passent un tiers de leur temps avec l'un des parents, et les deux tiers avec l'autre. Selon ces lignes directrices, à partir du moment où les enfants passent moins de la moitié de leur temps avec l'un de leurs parents, on considère que cette personne n'en a pas la garde. Or, les enfants peuvent fort bien passer 40 p. 100 de leur temps avec leur père, et vous me dites qu'il n'a pas le droit d'avoir l'argent nécessaire pour leur donner à manger.

Le sénateur Bosa: Alors, selon vous, l'échelle que l'on trouve dans ces lignes directrices est complètement illogique?

M. Bouchard: Au bas de l'échelle, c'est ridicule... particulièrement lorsqu'on prend en compte le fait que les taux qui s'appliquent aux personnes pauvres sont plus élevés. Est-ce qu'on impose les gens de cette façon? Je ne pense pas. Il y a une raison à cela: il faut que ces gens-là puissent nourrir leurs enfants eux-mêmes.

Le sénateur Bosa: Les lignes directrices n'ont pas encore été déposées. Nous les appelons lignes directrices, mais elles n'ont pas été approuvées.

M. Bouchard: Mais dans chaque version que nous avons vue, les taux ne cessaient d'augmenter.

Le sénateur Bosa: Les experts en la matière me disent qu'il s'agit de normes minimales.

Le sénateur Cools: Mais les autorités peuvent fort bien ne pas tenir compte de ces normes.

M. Bouchard: Oui, à leur gré.

Le sénateur Losier-Cool: J'ai parcouru votre mémoire. Il traite surtout du divorce et des pensions alimentaires pour enfants. Vous savez que cela entre dans le champ des compétences des provinces, n'est-ce pas?

Le sénateur Cools: Ce n'est pas exact.

Le sénateur Losier-Cool: Je parle des pensions alimentaires pour enfants.

Le sénateur Cools: Non, les aliments pour enfants tombent sous le coup de cette loi.

Le sénateur Losier-Cool: Vous avez dit à plusieurs reprises que cette formule n'aurait pas de bons résultats. Vous avez également déclaré que le projet de loi aboutit à couper les pères de leur famille.

J'ai sous les yeux l'article 15, où l'on parle des conjoints et de leurs enfants. Pourriez-vous me dire ce qui, dans ce texte, aboutit à couper les pères de leur famille et où l'on dit: «Les mères ont ceci, les pères n'y ont pas droit» ou «C'est aux pères que revient ceci, pas aux mères»? Tout le projet de loi est consacré à des questions qui intéressent les deux conjoints, à titre personnel et à titre de parent.

M. Cheriton: C'est vrai en ce qui concerne la loi actuellement en vigueur. Si vous mettez en place un système en vertu duquel les gens qui travaillent à plein temps pour le gouvernement fédéral gagnent 100 000 $ par an, alors que ceux qui travaillent à mi-temps -- c'est-à-dire, selon la définition établie, moins de 37,5 heures par semaine -- gagnent 5 000 $, et si vous faites appliquer ce système par des gestionnaires qui ne croient pas que les gens qui appartiennent aux minorités visibles ou qui sont Autochtones peuvent travailler à plein temps, il ne serait pas étonnant de voir des Autochtones -- ou des employés appartenant aux minorités visibles -- gagner 5 000 $ tout en travaillant 37 heures par semaine, alors que les travailleurs qui n'entrent pas dans une catégorie «à part» sont payés 100 000 $ tout simplement parce qu'ils travaillent une demi-heure de plus.

C'est ce qui se produit avec les pensions alimentaires pour enfants. Il y a des pères qui assument 22 p. 100 des charges qui reviennent au parent qui a la garde des enfants, et qui reçoivent un pour cent des aliments. C'est un rapport de 20 à 1. Bref, la loi peut fort bien être appliquée de façon discriminatoire sans pour autant être énoncée de cette façon.

Le sénateur Losier-Cool: Lorsque vous dites que «la formule n'a pas de bons résultats», vous semblez dire que les charges parentales devraient être assumées à parts égales.

Le sénateur Jessiman: En se fondant sur le revenu combiné des deux conjoints?

Le sénateur Losier-Cool: Oui; moitié-moitié. Quel est le pourcentage des familles monoparentales? Qui a la garde de l'enfant? Le savez-vous?

M. Cheriton: En général, deux situations se présentent. Si l'on examine les jugements rendus par les tribunaux, dans environ 11 à 12 p. 100 des cas, c'est le père qui obtient la garde des enfants. Elle est accordée à la mère dans environ 75 p. 100 des cas. Le reste du temps, c'est une décision de garde partagée.

Il est intéressant de noter, toutefois, que ce type de garde devient de plus en plus fréquent. On accorde de moins en moins la garde des enfants uniquement à la mère ou uniquement au père. Cela est dû au fait que les parents réalisent que leurs enfants ont autant besoin d'un père que d'une mère. À cause des dispositions du projet de loi C-41, il est pratiquement inévitable qu'il y ait un renversement de tendance qui ira à l'encontre de ce que veulent les pères, les mères et les enfants.

Vous vous demandez pourquoi, si les hommes n'obtiennent la garde que dans 11 p. 100 des cas, on compte 22 p. 100 de pères chefs de famille? Au fur et à mesure que les enfants grandissent, ils ont davantage besoin de leur père. Graduellement, surtout au moment de l'adolescence, les femmes demandent au père de se charger des enfants. Si la pension alimentaire pour enfants que vous versez est tellement élevée que vous ne pouvez pas vous le permettre, cette tendance va s'arrêter net.

Les familles reconnaissent que les enfants ont besoins de leur père. Il n'y a aucune ruse là-dessous. C'est en toute liberté que ce choix est fait. Le projet de loi C-41 privera les enfants de soutien au moment où ils en ont le plus besoin.

Le sénateur Losier-Cool: Nous sommes tous en faveur de la garde partagée.

Quel genre de modification suggéreriez-vous si vous deviez, comme nous, voter pour ou contre le projet de loi C-41? Que feriez-vous de ce projet de loi?

M. Cheriton: Premièrement, je ferais dépendre ces dispositions de la capacité de payer. Si tel n'est pas le cas, ces dispositions n'ont aucun sens.

Deuxièmement, je rappellerais aux députés qui siègent à la Chambre des communes qu'ils se sont engagés à mettre fin à la pauvreté des enfants, et je leur demanderais de me faire voir en quoi ces taux de pension alimentaire contribueront effectivement à faire disparaître plus rapidement la pauvreté chez les enfants. Selon moi, il n'y a rien dans ce texte qui le laisse présager.

Le sénateur Bosa: Pourriez-vous répéter?

M. Cheriton: La Chambre des communes s'est engagée à faire disparaître la pauvreté chez les enfants d'ici à l'an 2000. Demandez aux députés de la Chambre des communes de vous démontrer que le projet de loi C-41 -- avec les taux de pension alimentaire qu'il institue -- contribue à réduire la pauvreté chez les enfants. Selon moi, il n'y a rien dans ce texte qui le laisse présager.

La troisième mesure que l'on pourrait prendre, c'est d'utiliser comme base du projet de loi C-41 la garde partagée et non le cas où c'est un seul des conjoints qui a la garde; comme le signalait M. Bouchard, la situation ne changerait pas de façon aussi absolue dès que l'on approche du niveau de 50 p. 100. Selon le responsable des recherches en droit de la famille qui travaille pour Allan Rock, ces lignes directrices s'appliquent dès que la garde n'est pas partagée moitié-moitié, ce qui va vraiment très loin.

On pourrait également envisager de traiter en dehors des tribunaux toute la question du divorce, de la garde et du droit de visite et de l'application de la loi; et avoir recours à un processus qui relève essentiellement de la médiation. La famille est une institution unique. C'est la seule qui ne soit pas dirigée par une seule personne. Quand tout est dit, ce qui constitue une famille, ce sont deux personnes placées sur un pied d'égalité. Aucune autre institution ne fonctionne sur la base d'un tel partenariat. C'est dans ce cadre que les enfants apprennent à faire la part des choses, à négocier et à résoudre les problèmes. En fait, le tribunal est l'institution qui est le moins indiqué pour s'occuper de la famille. Il faut quelque chose qui s'inspire du modèle familial.

Ce qui s'en rapproche le plus, à mon avis, ce sont les cercles de vie autochtones. Je suis en contacts fréquents avec des hommes de diverses origines culturelles; dans toutes les cultures, il semble qu'il y ait un processus semblable. Lorsqu'un problème surgit au sein d'une famille et que l'on envisage un divorce, les aînés du village -- y compris les grands-parents d'un côté comme de l'autre -- se réunissent et tentent de trouver une solution. Le village tout entier pousse les intéressés à se réunir pour défendre les intérêts des enfants. Les tribunaux sont précisément l'endroit le moins indiqué pour parvenir à ce résultat. Il faudrait enlever cette responsabilité aux tribunaux et instituer un processus qui aboutit à de bons résultats... comme les cercles de vie autochtones.

M. Bouchard: À cet égard, ce qui se fait au Québec, par exemple, le recours plus fréquent à la médiation et la prise en considération du revenu des deux conjoints dans les lignes directrices, représente un progrès. Peut-être pourrions-nous nous en inspirer?

Le sénateur Forest: Je suis tout à fait d'accord: la garde partagée est une bien meilleure solution. Nous en avons fait l'expérience dans notre propre famille. Je pense également que la médiation est préférable à une approche antagoniste.

Vous avez mentionné la capacité de payer. Je crois qu'il y a dans ce texte un article qui porte précisément sur la capacité de payer. Cela sera pris en considération dans les lignes directrices.

Même si les pères paient davantage, je pense que les statistiques montreraient également que la plupart du temps, les pères disposent d'un revenu plus élevé. C'est ce que font ressortir les statistiques, et peut en est-il tenu compte?

M. Cheriton: D'après les informations dont je dispose, la différence entre ce que paient les pères et ce que paient les mères, quand les rôles inversés, est si énorme -- de l'ordre de 20 fois plus -- que cela n'a aucun rapport avec les différences de revenu. Il est d'ailleurs intéressant de noter que, sur le plan pratique, un conjoint qui n'a pas la garde de ses enfants se retrouve dans la même position qu'une personne qui vit seule. Les célibataires -- hommes ou femmes -- gagnent pratiquement la même chose. D'après Statistique Canada, l'écart entre les hommes et les femmes qui vivent seuls, et qui n'ont jamais été mariés, est de l'ordre de 5 p. 100. Cela ne devrait pas se traduire, en ce qui concerne le montant des pensions alimentaires pour enfants, par une différence de l'ordre de un à 20.

Le sénateur Forest: On nous abreuve de statistiques d'un côté comme de l'autre, et il devient très difficile de faire des rapprochements.

Le sénateur Bosa: Vous avez dit que la Chambre des communes s'était déclarée en faveur de l'élimination de la pauvreté d'ici à l'an 2000. Dites-nous précisément qui a fait cette déclaration à la Chambre des communes?

M. Cheriton: Il s'agit d'un vote par le biais duquel les députés se sont engagés, à l'unanimité, à éliminer la pauvreté chez les enfants d'ici l'an 2000. Si l'on situe le projet de loi C-41 dans ce contexte, je pense que, dans sa mouture actuelle, il représente une mesure rétrograde. Le gouvernement fédéral, comme les gouvernements provinciaux, s'est engagé aussi bien à garder les enfants en contact...

Le sénateur Bosa: Ce projet de loi ne porte pas sur l'aide sociale. Il n'a pas pour objet de réduire la pauvreté des enfants. Il concerne les pensions alimentaires pour enfants.

M. Bouchard: Mais les pensions alimentaires servent à réduire la pauvreté des enfants, n'est-ce pas?

Le sénateur Bosa: Pas dans le contexte dans lequel M. Cheriton l'inscrit. Il a déclaré que l'on devait éliminer la pauvreté des enfants d'ici à l'an 2000.

M. Cheriton: C'était une simple suggestion pour essayer d'améliorer le projet de loi C-41.

Le sénateur Jessiman: Vous dites qu'au Québec, les lignes directrices tiennent compte du revenu des deux conjoints. Par conséquent, chaque province pourrait faire la même chose si elle le souhaitait.

M. Bouchard: Si elle disposait de l'argent nécessaire pour financer les coûts que cela entraîne, oui. Combien de temps a-t-il fallu au gouvernement fédéral pour élaborer ces lignes directrices? Combien cela a-t-il coûté? De quelles sommes les provinces peuvent-elles librement disposer? Dans quel sens va-t-on naturellement évoluer, à votre avis?

Le sénateur Jessiman: Je présume, d'après ce que vous avez dit, qu'à votre avis les dispositions prises au Québec sont plus équitables; je reconnais que l'on devrait prendre en compte le revenu des deux conjoints. On peut le faire par le biais des lignes directrices. Le gouvernement fédéral va adopter ces lignes directrices qui s'appliquent au Québec, mais ce n'est pas la même chose que les lignes directrices élaborées par le Québec, n'est-ce pas?

M. Bouchard: Exactement. Si les provinces élaborent leurs propres lignes directrices, elles auront effectivement préséance. Toutefois, dans la plupart des cas, quand on a le choix entre recourir à des lignes directrices déjà élaborées et qui, théoriquement, ont fait l'objet des recherches appropriées, et dépenser de l'argent pour produire ses propres lignes directrices, la plupart des provinces concluront qu'elles n'ont pas l'argent nécessaire et elles se fieront au document produit par le gouvernement fédéral.

Le sénateur Jessiman: Ne pourraient-elles pas en faire autant avec les lignes directrices du Québec?

M. Bouchard: Toutes les provinces peuvent élaborer leurs propres lignes directrices.

Le sénateur Jessiman: Vous dites que les lignes directrices de Québec sont plus équitables -- et je suis d'accord avec vous -- parce qu'elles prennent en compte le revenu des deux conjoints -- de celui qui a la garde et de l'autre. Selon moi, c'est une des faiblesses fondamentales des lignes directrices fédérales. Si le Québec peut le faire -- et il l'a fait -- pourquoi les autres provinces ne pourraient-elles pas utiliser ces lignes directrices, et simplement les adapter afin de refléter les variations du coût de la vie d'une province à l'autre?

M. Bouchard: Elles le pourraient certainement. Il semble bizarre que le gouvernement fédéral adopte un texte législatif que chaque province est obligée d'ajuster. C'est une drôle de façon de procéder. L'on n'irait pas loin dans l'industrie privée si l'on fonctionnait de cette façon.

Le sénateur Jessiman: L'article 17(8), qui est celui où l'on reconnaît l'obligation financière commune des ex-époux de subvenir aux besoins de l'enfant, et qui répartit cette obligation entre eux en proportion de leurs ressources, est supprimée dans le texte de loi proposé. Ne pensez-vous pas que cette disposition devrait être conservée?

M. Bouchard: Il semble que ce soit la disposition qui rétablisse quelque peu l'équilibre. Malheureusement, ce n'est pas d'équilibre que l'on se soucie. Voilà la raison pour laquelle on veut supprimer cet article. Cette décision vous en dit plus n'importe quel commentaire à propos de ce texte législatif.

M. Cheriton: Ce principe est au coeur du partage des responsabilités entre les parents, au coeur de toute famille intacte.

La présidente: Merci, messieurs de nous avoir fait cet exposé. Nous vous remercions d'être venus comparaître devant le comité.

Nous accueillons maintenant M. Patrick Mullin.

M. Patrick Mullin, directeur, Canadian Council for Co-Parenting: Merci, madame la présidente. J'ai l'intention de commencer par soulever une question à propos du projet de loi C-41 et de développer, ensuite, l'argument que je souhaite faire valoir.

Vous devriez avoir entre les mains un document de cinq pages intitulé Presentation to Standing Senate Committee...Divorce vs Justice: C-41 -- A Missed Opportunity.

Il comporte deux annexes: copie d'une page tirée d'un document publié par le Bureau de la statistique américain, et un extrait d'un document intitulé Dissolution of Marriage; Support; Custody, qui sont les statuts de l'État de la Floride. C'est tout ce que vous devriez avoir en main. Nous allons nous concentrer là-dessus.

Je crois comprendre que ces débats font l'objet d'une interprétation simultanée. Je m'excuse de n'avoir pu faire traduire ce document. Le Council for Co-Parenting ne reçoit aucune aide financière; nous sommes tous bénévoles. Notre budget indique que nous devons 52 $ à Bell Canada.

Le sénateur Lavoie-Roux: C'est au Parlement que revient la responsabilité de faire traduire ces documents. Vous n'avez pas à vous excuser.

M. Mullin: Lorsqu'on m'a appelé pour me demander de faire cet exposé, un certain nombre de choses me sont venues à l'esprit. Je mène, depuis plusieurs années, une action politique. Je voudrais poser la question suivante: est-ce possible? Pensez-vous vraiment que -- si j'ose m'exprimer ainsi -- on puisse ajouter un wagon au train, ou est-ce que je me trompe et suis-je en rade sur le quai?

Ensuite, j'ai pensé à une citation attribuée à Winston Churchill, quelque chose comme: la démocratie est le plus mauvais système qui existe, mais montrez m'en un qui soit meilleur.

Dans ce contexte -- et aussi parce que c'est Noël -- permettez-moi de vous dire que le projet de loi C-41 est, à mes yeux, un document qui touche à des sentiments vrais. Je parie que la plupart des gens qui sont ici aujourd'hui ont des petits-enfants, ou des enfants. Je n'en dirai pas plus.

Bref, j'ai personnellement fait l'expérience de la séparation et du divorce. J'ai été le débiteur alimentaire qui n'avait pas la garde de son enfant. Actuellement, c'est moi qui ai la garde et qui reçoit une pension alimentaire. Je vis au sein d'une famille reconstituée et suis accompagné de ma nouvelle épouse, Carol, et de ma fille, Lucy, qui va observer les débats et dira ensuite ce qu'elle pense de mon exposé.

L'adoption, par la Chambre des communes, le 18 décembre 1996, du projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur les divorces, démontre la volonté de contrôler les systèmes de plus près pour en garantir l'équité et l'impartialité. Même s'il est louable de chercher à régler, par le biais de ce projet de loi, le problème de la pauvreté des enfants, on peut se rendre compte que ce texte perpétuera et accroîtra peut-être les ravages dus à la nature antagoniste du droit de la famille au Canada... ravages que subiront les parents, les grands-parents et toute la famille -- sans oublier les employeurs --, mais avant tout, les enfants.

En vertu du projet de loi C-41, des lignes directrices seront établies, on fixera les montants à payer ainsi que les règles d'application de la loi afin d'assurer que les intéressés se déchargent de leurs responsabilités en matière d'aliments pour enfants. On entend rarement dire qu'un parent devrait volontairement renoncer à cette responsabilité. C'est une possibilité que je n'aborderai pas dans mon exposé. Je ne la prends pas en considération. Personne ne songe à faire cela. C'est parce qu'il y a des gens qui, en toute connaissance de cause, deviennent des débiteurs défaillants que des mesures doivent être prises pour faire respecter la loi. Cela fait longtemps que l'on aurait dû améliorer la cohérence de la législation en publiant des lignes directrices uniformisées; la question n'est pas là.

Toutefois, comme le savent beaucoup de Canadiens, il y a beaucoup de parents compétents qui aiment leurs enfants et qui veulent s'en occuper, mais qui sont ostracisés et dévastés par le processus. Je vais vous en donner un exemple récent; et il y en a beaucoup du même genre. À titre de président du Canadian Council for Co-Parenting, je vois des pères se mettre à pleurer au cours de nos réunions; je vois des mères se mettent à pleurer au cours de nos réunions. Pourquoi?

«The Divorce from Hell», un article publié en février 1996 dans Toronto Life, illustre bien les lacunes du droit familial.

Les nouvelles mesures ne garantissent pas que des parents compétents, mais qui traversent une période marquée par la colère et un grand désarroi, seront traités en toute équité. À cause du projet de loi C-41, il devient plus facile pour un seul gagnant de remporter la mise... les enfants, l'aide financière et la possibilité de continuer à jouer son rôle de parent. En outre, tout le poids que représente le soutien des pouvoirs publics fait pencher la balance.

C'est simple, ni le ministre de la Justice, M. Rock, ni son ministère n'appuient de quelque façon que ce soit la notion du partage des responsabilités parentales après un divorce. À mon avis, le projet de loi C-41 est, malheureusement, une occasion perdue.

Déjà en 1970, la Commission de réforme du droit du Canada avait entrepris une étude approfondie du droit de la famille au Canada.

Sur le sujet des procédures, la commission avait conclu qu'il fallait trouver une solution pour atténuer l'amertume des actions en divorce, notamment parce que cela avait des conséquences néfastes pour les enfants. Selon la commission, les batailles acrimonieuses devant les tribunaux ne se justifiaient d'aucune façon.

Les initiatives prises depuis par le gouvernement et les tribunaux n'ont guère entraîné d'améliorations. Les décisions rendues par les tribunaux de la famille ont au contraire continuellement aggravé la situation. Si l'on passe rapidement en revue les décisions concernant la garde en consultant les données produites par Statistique Canada, on constate un déséquilibre au plan du rôle que peuvent jouer les parents après un divorce.

On serait autorisé à conclure que la multiplication des familles monoparentales est due en grande partie aux décisions prises par les tribunaux de la famille, et à leurs pratiques en la matière. Il est amplement prouvé aussi que ces décisions ont parfois un impact négatif sur les enfants qui requièrent des ajustements tout au long de leur vie. Nombreux sont ceux qui estiment depuis longtemps que, en se fondant sur les théories relatives au développement et à l'établissement de relations, on aurait dû voir les éventuelles répercussions immédiates et à long terme que peuvent avoir sur la santé mentale d'un enfant le fait de ne voir un de ses parents que quatre jours par mois. Tout en prétendant agir «dans le meilleur intérêt des enfants», le ministère de la Justice n'a pas pris en compte cet élément crucial du soutien dont un enfant doit bénéficier. Le ministère s'attend également à ce que le conjoint qui disparaît de la vie de ses enfants accepte tout, sans mot dire, jusqu'à ce que toutes les ressources dont il dispose aient été épuisées.

Les lacunes des recherches qui ont été faites en préparation du projet de loi C-41 sautent aux yeux. Le ministère de la Justice lui-même admet ne pas avoir fait de recherches ni recueilli de données sur les problèmes auxquels font face les Canadiens qui n'ont pas la garde de leurs enfants après le divorce.

Le projet de loi C-41 aura d'énormes conséquences sur ces parents. Je le sais personnellement. Ce qui est surprenant, c'est qu'en annonçant la nouvelle législation, le gouvernement a déclaré que l'on avait tenu compte des préoccupations de tous les intéressés.

J'ai communiqué avec l'Institut de recherche politique de Montréal à ce propos, avec l'Association de l'Université Carleton, au niveau local, avec la Fondation du droit de l'Ontario, avec le procureur général, avec les responsables du Régime des obligations alimentaires envers la famille, avec le ministère de la Justice, avec M. Finnie, avec M. Payne. Je les ai tous mis au défi de me fournir ce genre de renseignement. Je mets le Sénat au défi de m'en donner quelques-uns et je n'hésiterai pas à dire -- puisque cela est impossible -- que ce n'est pas la bonne façon de procéder.

Un des principaux objectifs de cette vaste opération, c'est d'assurer que les enfants bénéficient du soutien de celui de ses parents qui n'est plus présent. Ce nouveau texte législatif sera mis en application par le biais de mesures punitives comme le refus d'autorisation, la suspension de passeports, et cetera. Vous le savez.

Déjà en mars 1993, le ministère de la Justice avait rendu public un document de travail sur la question du droit de visite et de la garde. J'en ai une copie avec moi. Au cours du débat concernant le projet de loi C-41, de nombreux groupes ont essayé de convaincre M. Rock de l'importance et de l'équité des questions soulevées dans ce document dans le contexte des pensions alimentaires pour enfants.

Le Bureau de la statistique américain a publié une étude en août 1995. On en trouve une page à la fin du mémoire. Ces statistiques se fondent sur des données datant de l'année 1991, mais qui ont été rendues publiques en août 1995. Elles démontrent que dans les cas où les parents partagent la garde des enfants et-ou les pères sont assurés de voir respecter leur droit de visite, les pensions alimentaires sont versées dans 79 à 85 p. 100 des cas. Lorsqu'il n'y a pas de garde partagée ni de droit de visite, le pourcentage tombe à 56 p. 100.

D'autre part, 65 p. 100 des mères qui ont un droit de visite ou qui partagent la garde des enfants versent régulièrement la pension alimentaire. Aucun chiffre n'a été publié concernant les mères qui n'ont pas de droit de visite, ou qui ne partagent pas la garde.

J'aimerais que vous compreniez pour quelle raison d'un côté, la pension est versée dans 79 à 85 p. 100 des cas et que de l'autre, on dépasse à peine les 50 p. 100. En prétendant que faire le lien entre, d'une part, la garde et le droit de visite et, d'autre part, les paiements d'aliment poserait des problèmes, le ministre de la Justice, M. Rock, et son ministère ont choisi d'ignorer ce genre de données lors de la préparation du projet de loi C-41... même si cela aurait permis au gouvernement de franchir un tiers de la distance qui le sépare de son objectif déclaré. Il faudrait prendre cela en considération. Aucune recherche de ce genre n'a été faite au Canada, mais c'est l'étude la plus récente que j'ai pu trouver. En prenant des mesures en faveur du droit de visite et de la garde, on résoudrait le tiers du problème.

Il existe également, dans certains États américains, des lois qui n'établissent pas de liens de cause à effet entre les deux, mais qui traite des deux questions parallèlement -- il n'y a pas de lien, on en traite seulement en parallèle -- ce qui assure à celui des parents qui n'est plus présent au sein de la famille d'être traité de façon plus équitable.

Les parents à qui l'on n'a pas confié la garde de leurs enfants devraient noter que le projet de loi C-41 comporte des dispositions qui appuient l'idée qu'il n'y a qu'un seul gagnant. Quelques exemples suffisent pour voir que celui des parents qui n'a pas la garde va maintenant avoir à craindre autre chose que Revenu Canada. Il suffira que leur ex-époux en décide soudainement ainsi pour qu'il soit obligé de lui fournir leurs déclarations de revenu des trois dernières années, même s'ils se sont religieusement acquittés de leurs obligations en matière de pension alimentaire.

Je peux maintenant dire à ma fille qu'une fois le projet de loi C-41 adopté, j'aurai le droit de me mêler de la vie privée de mon ex-femme, et de lui demander de me fournir ses états financiers... même si elle me verse les aliments qu'elle est censée me payer. Réfléchissez-y un instant. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la Loi sur le divorce au Canada comprendra bientôt une disposition qui permettra de harceler continuellement son ex-conjoint.

Il n'y a aucune disposition qui délimite directement les dépenses consacrées à ses enfants par celui des parents qui n'en a pas la garde. Cela signifie qu'un homme ou une femme qui ignore totalement son enfant, qui ne le voit jamais et qui n'a donc aucune dépense liée au droit de visite, sera traité de la même façon que celui ou celle qui s'occupe de son enfant et qui passe avec lui, disons, 30 p. 100 du temps. Le projet de loi C-41 décourage toute tentative allant dans le sens de l'exercice de responsabilités parentales ou de leur partage. S'il en est autrement, prouvez-le-moi.

Dans les cas de garde partagée, selon l'approche adoptée dans le projet de loi C-41 pour déterminer les paiements en fonction du niveau de vie, le nouveau partenaire d'un ex-conjoint sera responsable d'assurer les aliments des enfants nés du précédent mariage. En partant de cette notion pour établir les ordonnances modificatives à partir des tables que l'on trouve dans les lignes directrices -- difficultés excessives --, le ministère de la Justice rejette l'idée que l'équité en matière de pension alimentaire pour enfants devrait être une question qui ne concerne strictement que les parents de l'enfant. Pour les couples qui entament une nouvelle et saine relation, une telle attitude est lourde de conséquences extrêmement néfastes et fâcheuses.

Nous invitons des spécialistes à venir d'exprimer dans le cadre de réunions consacrées au partage des responsabilités parentales. Ils nous disent que c'est comme une relation d'affaire, et qu'il nous faut tourner la page. Dites-moi, est-ce que le projet de loi C-41 permet d'agir de la sorte?

M. Ross Finnie, professeur à l'École d'administration de l'Université Carleton -- un expert en la matière -- qui a contribué à l'élaboration des premières lignes directrices, demande que le projet de loi C-41 soit revu par le ministère de la Justice. Dans son étude intitulée «Good Idea, Bad Execution», M. Finnie fait le commentaire suivant:

En résumé, l'iniquité fondamentale des lignes directrices que l'on se propose actuellement d'appliquer pourrait faire échouer toute l'entreprise dont l'objectif premier ne sera pas atteint.

Il explique que, dans l'ensemble, les dispositions du projet de loi vont sans doute aggraver plutôt que résoudre les problèmes qui se posent au Canada en matière de pension alimentaire pour enfants.

M. Finnie formule d'autres critiques à propos de la législation; notamment qu'à cause du projet de loi C-41, les deux parents seront victimes d'une ponction fiscale de la part du gouvernement.

Passons. D'autres autorités, aux États-Unis, ont joué un rôle plus humain et plus proactif pour assurer que des dispositions équitables et équilibrées sont prises dans une situation qui, par ailleurs, est toujours complexe et chargée d'émotivité. Nous reconnaissons tous cela. Si vous me demandiez -- c'est une hypothèse -- de vous dire ce qui pour moi est le moins pénible, la mort de ma mère ou ma séparation et mon divorce, je vous dirais la mort de ma mère. Et je suis sincère.

L'État de Washington a adopté une approche progressiste en matière de responsabilités parentales à la suite d'un divorce. Par le biais d'un principe enchâssé dans le droit de la famille, l'État reconnaît l'importance fondamentale de la relation parent-enfant pour assurer le bien-être de l'enfant, et le fait que la relation entre l'enfant et chacun de ses parents devrait être facilitée à moins que cela n'aille à l'encontre de son meilleur intérêt. Les parents sont tous deux tenus, en vertu de la loi, de déposer un plan ou ils décrivent le rôle qu'ils entendent jouer en tant que parent.

Les meilleurs intérêts de l'enfant sont clairement définis dans le droit de la famille en vigueur dans l'État de la Floride. Reconnaissant que l'on doit épargner aux enfants toute peine et bouleversement indus, l'État avertit les parents que, même si des procédures ont été engagées pour mettre fin à leur mariage, cela ne met pas un terme à leur relation respective avec leurs enfants.

La Floride, semble-t-il, reconnaît la brutalité du système antagoniste. Cet État attache beaucoup d'importance au rôle des parents après un divorce. Il ne s'agit pas d'une idée révolutionnaire. C'est simplement mettre l'accent sur autre chose, et c'est ce que doit retenir le comité. En faisant du partage des responsabilités parentales la solution à laquelle on accorde la préférence, la Floride a mis l'accent sur une autre option en cas de conflit familial. Ce partage des responsabilités fait l'objet d'une ordonnance de la cour et a pour but de protéger le droit des enfants à entretenir une relation avec l'un et l'autre parent.

Il est également intéressant de noter -- et je suis certain que c'est un sujet qui vous touche -- qu'en Floride, on s'intéresse aussi au droit de visite des grands-parents.

Au Canada, les juges qui siègent à la Cour suprême, tout comme M. Rock et les fonctionnaires du ministère de la Justice, n'ont pas encore compris que cette nouvelle interprétation plus progressiste va dans le sens des meilleurs intérêts des enfants.

Il ne fait aucun doute que nous qui vivons au sein d'une société plus modérée et plus bienveillante devrions nous concentrer en priorité sur les besoins des enfants. C'est une question de justice sociale. Cela est particulièrement vrai en cas de divorce. Il est évident que les coûts, sur le plan émotif et financier, sont élevés. Mis à part l'industrie qui vit des séparations et des divorces, personne n'y gagne rien... ni les enfants, ni les parents, ni les grands-parents, ni la communauté, ni le gouvernement.

M. Julien Payne, professeur à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa a fait une étude très approfondie des crises qu'entraîne l'échec d'un mariage sur le plan économique et affectif et du point de vue des responsabilités parentales. Voici comment M. Payne envisage notre système antagoniste:

Dans la mesure où nos tribunaux continuent de résoudre les conflits en matière de responsabilités parentales en partant du principe que l'on est en présence d'individus qui font valoir des privilèges quasi-exclusifs divergents, l'idée du «meilleur intérêt», qui est censée dicter les décisions en matière de garde, restera davantage du domaine du mythe que de celui de la réalité.

Ce n'est pas moi qui le dit. M. Payne a consacré sa vie à cette étude.

Les professionnels vous diront que vous ne pouvez pas obliger deux personnes à avoir recours à la médiation, à exercer conjointement les responsabilités parentales. Dans les réunions consacrées à cette question, nous avons entendu des spécialistes nous dire que l'on ne peut pas obliger les gens à procéder ainsi. Nous sommes d'accord. Toutefois, ils ajoutent: mettez l'accent sur autre chose. Ils vous diront également que dans 80 p. 100 des cas, la médiation permet finalement à deux personnes qui sont envahies par la colère et qui ont perdu toute illusion de parvenir à un accord au bout d'un certain temps, lorsqu'ils comprennent les conséquences de leurs actes.

Malheureusement, les mesures introduites par le biais du projet de loi C-41 maintiennent et confirment le statu quo. Pas un mot de la médiation. Étant donné que, si l'on n'obtient pas la garde, on risque de perdre encore plus gros, les luttes farouches que cela entraîne pourraient fort bien devenir encore plus acrimonieuses et dévastatrices.

C'est maintenant le Sénat qui a la possibilité de faire en sorte que les gens changent d'attitude et que l'on mette l'accent sur autre chose dans la Loi sur le divorce. Les Canadiens qui ont traversé un divorce, qui connaissent des membres de leur famille, des parents et des enfants qui ont subi les ravages que provoque le processus antagoniste du droit de la famille au Canada, espèrent sincèrement que le projet de loi C-41 va faire l'objet d'un réexamen sérieux.

Prétendre qu'en droit de la famille, prendre des initiatives qui touchent les responsabilités parentales est source de problèmes, c'est ignorer toute la documentation qui réfute sans contredit cette prise de position. Le temps nous dira si les sénateurs vont avoir l'audace de relever le gant et de modifier le projet de loi C-41.

La plupart des Canadiens se rendent compte que des lignes directrices et des mesures coercitives sont parfois nécessaires, lorsqu'on a affaire à un débiteur qui refuse délibérément de remplir ses obligations. Encore une fois, ce n'est pas de cela que nous parlons.

Il est clair que les pensions alimentaires pour enfants ne soulèvent pas que des préoccupations d'ordre financier. La plupart des Canadiens pourraient sans doute vous citer des cas où les décisions qui viennent d'être rendues par les tribunaux de la famille se sont soldées par des iniquités flagrantes et cruelles, un sentiment d'impuissance et parfois, ont débouché sur la violence et le suicide.

On amende la Loi sur le divorce, c'est l'occasion d'ordonner aux tribunaux d'inciter les parents compétents qui entourent leurs enfants de beaucoup d'affection à partager les responsabilités parentales après un divorce. Ce serait transmettre un message fort et opportun. Et cela peut être fait sans diluer le projet de loi C-41. Je dirais que, dans le meilleur intérêt des enfants, il est temps de le faire.

J'aimerais maintenant demander aux honorables sénateurs de se référer au document qui est joint à mon mémoire et qui est intitulé «U.S. Bureau of Statistics, August 1995».

Le sénateur Bonnell: Avez-vous des copies de la déclaration que vous allez faire?

M. Mullin: Non, je n'en ai pas, toutefois, le document est joint en annexe au mémoire.

Le sénateur Bonnell: Ce n'est pas ce que vous allez nous recommander. Avez-vous une modification à nous proposer?

M. Mullin: Non. Mais, si vous le souhaitez, je pourrais vous la faire parvenir.

Le document dont je parle est la preuve que je n'invente pas ces chiffres.

On ne parle pas de droit de visite ni de garde dans le projet de loi C-41. Sur quel raisonnement s'appuie-t-on? Aucune recherche comparable à l'étude de Washington n'a été effectuée au Canada. S'il en existe une, je reconnaîtrai volontiers que j'ai tort.

Pour mieux faire valoir mon argument, je souligne que lorsque vous recevez un acte de divorce ou de séparation, il y a un article où l'on dit: Vous devez payer tant en pension alimentaire. Mais au bas de la page, il y a aussi un article où l'on dit: Vous avez droit à tant d'heures de visite. N'est-il pas injuste que les pouvoirs publics cherchent à faire respecter l'une des conditions mais pas l'autre? Établir un lien entre elles est très mal vu et M. Rock a déclaré: je ne veux pas que l'on fasse le lien. Ne me dites pas que ce lien n'est pas fait en cour.

Avez-vous des petits-enfants?

Le sénateur Cohen: Oui.

M. Mullin: Et si je vous disais que, même à cette époque de l'année, vous ne pourrez les voir que pendant quatre heures, un samedi, et que ce sera tout pour un mois? Pensez-y.

Il se peut qu'il y ait de bonnes raisons pour procéder ainsi et nous pourrions tous en citer. Toutefois, peut-on dire que la colère ou le désir de se venger de son ex-conjoint sont des raisons que l'on peut justifier?

J'aimerais vous lire un passage d'un document de travail sur la garde et le droit de visite que le ministère de la Justice a publié en mars 1993.

Il faut lutter contre le fait que, pour arriver à contrôler la situation, un des parents n'hésite pas à se servir des enfants comme s'il s'agissait de pions sur un échiquier.

Qu'est-ce que cela a donné?

J'aimerais également m'adresser à vous en tant que grands-parents, car je travaille en collaboration avec Lillian George, qui fait partie de l'association nommée GRAND.

Tout le monde veut que l'on garde la tête froide au cours de cette discussion. Je ne sais pas comment. Si vous renvoyez le projet de loi C-41 sans l'avoir modifié, le message que vous transmettez aux parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants est celui-ci: payez, rendez visite à vos enfants, mais ne venez pas nous embêter si c'est impossible.

Pourriez-vous passer au deuxième document que je vous ai distribué. Il s'intitule: «Dissolution of Marriage; Support; Custody». Je m'excuse d'avoir griffonné sur ce document pendant que je faisais des recherches.

Il y a un paragraphe sur lequel j'attire votre attention, c'est le paragraphe b)(1) devant lequel j'ai inscrit la mention «note».

Les décisions concernant la famille qui sont rendues en cour contribuent au fait qu'il existe des familles monoparentales au Canada.

Le sénateur Jessiman: Est-ce que ce texte fait partie d'une loi?

M. Mullin: Il est tiré des actes législatifs de l'État de la Floride qui portent sur la dissolution des liens matrimoniaux, les aliments et la garde. Ce document vient du bureau du Procureur général situé à Tallahassee.

La présidente: Le mot «Floride» est écrit au bas de la page, sénateur Jessiman.

M. Mullin: J'aimerais lire cette partie, car dès que l'on aborde la question du sexe, on perd de vue ce qui est fondamental.

Je vous suggère de considérer ce texte en pensant à vos propres petits-enfants et en imaginant que l'on vous dise: «Désolé, vous ne pouvez pas voir ces enfants.» Imaginez que ce sont vos enfants; vous êtes devant la porte, vous versez la pension alimentaire, mais on vous dit: «Désolé, vous ne pouvez avoir les enfants aujourd'hui».

Le message que transmet le projet de loi C-41 est celui-ci: payez, mais ne venez pas vous plaindre si vous ne voyez pas vos enfants.

Au Canada, on avait le coeur plutôt porté à la justice sociale. Est-ce que ce coeur a cessé de battre? Je ne sais pas.

Voici les actes législatifs de la Floride. Je vous mets au défi de transmettre quelque chose de semblable à la Chambre des communes:

La politique publique de cet État est d'assurer que chaque enfant mineur a des contacts fréquents et continus avec chacun de ses parents après qu'ils se sont séparés ou que les liens du mariage ont été dissous, et de veiller à ce que les parents partagent les droits et les responsabilités inhérents à l'éducation des enfants. Après avoir pris en considération tous les faits pertinents, on accordera au père comme à la mère la même considération pour déterminer le lieu de résidence principal d'un enfant, quel que soit son âge ou son sexe.

Je voudrais signaler deux choses à propos de ce texte législatif. Premièrement, vous devriez dire: «Transmettons ce texte à la Chambre des communes.»

En 1977, la Commission de réforme du droit a recommandé que le Parlement reconnaisse légalement le principe selon lequel on ne doit accorder aucune préférence liée au sexe lorsqu'on décide qui va avoir la garde des enfants. La garde d'un enfant doit être confiée à une personne donnée, et non à quelqu'un qui représente l'idée que l'on se fait généralement de ce qu'un homme ou une femme peut ou doit faire. Les stéréotypes sexuels ne doivent pas entrer en ligne de compte lorsqu'il s'agit de déterminer si un individu est capable, à titre de parent, d'aimer un enfant, de s'en occuper et de l'élever.

Deuxièmement, et cela est lié au texte tiré des actes législatifs de la Floride que je viens de vous lire, j'aimerais paraphraser un dépliant publicitaire émis par le Bureau de la situation de la femme sur l'analyse selon le sexe, qui est censé faciliter l'élaboration et l'évaluation de politiques et de textes législatifs en prenant en compte le point de vue des deux sexes, et se traduire par des mesures délibérément équitables pour les hommes, les femmes, les garçons et les filles.

Ma question est la suivante: est-ce que le projet de loi C-41 est conforme à la propre politique du gouvernement?

Enfin, j'attire votre attention sur la question des grands-parents; cela peut vous concerner. Si on ne l'aborde pas dans le projet de loi C-41, on ne réglera pas le problème des nombreux grands-parents qui ne peuvent voir leurs petits-enfants. Pensez-y, surtout au moment de Noël.

En ce qui a trait aux articles (4)a) et (4)b) que l'on trouve à la page 515, le ministre Rock a déclaré que le gouvernement ne souhaitait pas lier les deux choses. Je vais lire ces deux articles aux fins du compte rendu:

(4)a) Lorsque le conjoint qui n'a pas la garde et qui, par ordonnance du tribunal, doit verser des aliments pour enfants ou une pension alimentaire et bénéficie de droits de visite ne paie pas les aliments ni la pension alimentaire en question, le conjoint qui a la garde ne refusera pas de respecter le droit de visite du conjoint qui n'a pas la garde.

C'est un des côtés du problème. Voici l'autre:

b) Lorsque le conjoint qui a la garde refuse de respecter le droit de visite de l'autre conjoint, le conjoint qui n'a pas la garde ne manquera pas de verser tous aliments pour enfants ou pension alimentaire qu'il doit payer en vertu d'une ordonnance du tribunal.

On traite donc tout simplement les deux aspects du problème parallèlement. On n'établit pas de lien mais, en toute équité, on évoque les deux situations.

Je sais que c'est une question qui n'est pas encore réglée. Je fais appel à vous pour prendre une initiative. Ces actes législatifs peuvent être exploités. Ils pourraient être intégrés au projet de loi C-41. En quoi cela diluerait-il le projet de loi? Faisons respecter la loi; élaborons des lignes directrices; mais que cela soit fait en toute équité.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je vous remercie de votre mémoire et de votre témoignage. C'était très intéressant. À la page 2 de votre document, vous écrivez:

L'un des principaux objectifs de toute cette opération a été d'assurer que les enfants profitent des aliments versés par celui de leurs parents qui est absent. Cette nouvelle législation obligera les gens à respecter les ordonnances qui sont rendues par le biais de mesures punitives... le refus d'autorisations, de passeports, et cetera.

De votre point de vue, qu'est-ce qui devrait remplacer ce que vous appelez des mesures punitives dans les cas où les ordonnances concernant le versement de pensions alimentaires pour enfants ne sont pas respectées?

M. Mullin: Si vous parlez de débiteurs qui sont délibérément en défaut, des gens qui vont en Floride, par exemple, parce qu'ils ne veulent plus s'occuper de quoi que ce soit, je n'ai aucune objection à ce que l'on fasse respecter la loi. Toutefois, si vous considérez ce que j'ai déclaré dans mon exposé, comment peut-on dire, en toute équité, avant de chercher une solution à tous les autres problèmes qui peuvent surgir: «Payez, mais ne venez pas vous plaindre si vous ne voyez pas vos enfants»?

Je sais que cet appel a un caractère émotif, mais pour les parents et les grands-parents, la question des enfants est chargée d'émotion.

Lorsque des enfants sont tués dans un accident de voiture, toute la communauté est en deuil. Lorsque les tribunaux ostracisent un des parents en le privant de ses enfants, on s'en moque.

La réponse à votre question est non, mais ce qui est essentiel, c'est d'assurer que l'on donne aux parents toute latitude pour jouer leur rôle. C'est comme cela que l'on va renverser la tendance. Nous ne voulons pas d'un processus antagoniste qui ressemble à un match de boxe. Ne serait-il pas préférable de faciliter le partage des responsabilités parentales pour le bien de la société... pour réduire la délinquance, pour améliorer l'état dans lequel se trouvent les parents sur le plan psychologique, pour limiter les frais de justice? Et pour commencer à instaurer des règles du jeu équitables, on devrait donner aux parents la possibilité d'expliquer pourquoi ces mesures ne devraient pas être prises.

Des lignes directrices sur les moyens de faire respecter la loi sont peut-être nécessaires dans le cas des débiteurs qui sont délibérément en défaut.

Le sénateur Bosa: Le refus d'autorisations et de passeports est une mesure à laquelle on a recours uniquement en dernier ressort lorsque le parent qui n'a pas la garde ne respecte pas ses obligations; c'est bien cela?

M. Mullin: D'après ce que je comprends, après trois mois, la sentence tombe. Je crois comprendre que, dans certains cas, les parents concernés prétendent faussement être au chômage. Mais de nos jours, il n'est pas rare de perdre son emploi. Être au chômage implique évidemment qu'au bout de trois mois, vous ne pouvez plus respecter vos obligations financières et vous devez donc obtenir une ordonnance modificative.

Pour lancer la procédure nécessaire, un avocat demande, au minimum, 2 500 $. Quand on est au chômage, c'est une chose qu'on ne peut se permettre. C'est ainsi que l'on met le doigt dans l'engrenage. On doit payer une pension alimentaire pour enfants et l'on est sans travail. Les arriérés s'accumulent. On peut seulement saisir les tribunaux du problème par le biais d'une procédure que l'on ne peut se permettre de financer. L'engrenage de l'injustice est lancé.

Le sénateur Lavoie-Roux: En haut de la page 3, vous écrivez:

Il n'existe aucune disposition concernant les dépenses directes, l'argent que dépense celui des parents qui n'a pas la garde quand il s'occupe de ses enfants.

En conséquence, que l'on s'occupe ou non de ses enfants ne fait aucune différence. On décourage toute initiative allant dans le sens d'un partage des responsabilités parentales.

Comment pourrions-nous faire valoir cela dans la loi? D'un certain point de vue, cela semble contradictoire. Vous ne voulez pas que les dispositions soient trop précises car elles ont trait à des comportements humains qui sont souvent complexes; je suis d'accord avec cela. Mais dans ce cas précis, vous semblez déplorer le fait qu'il n'y ait dans la loi aucune disposition relative aux dépenses directes des parents qui n'ont pas la garde, et que l'on décourage ainsi toute initiative de partage des responsabilités parentales.

Comment pourrions-nous faire état de cela dans la loi?

M. Mullin: Si l'on mettait l'accent sur d'autres solutions et si l'idée du partage des responsabilités parentales était le principe de base, vous seriez surpris de voir combien de pères feraient plus d'efforts à cet égard. Ma fille vivait auparavant à Owen Sound, Ontario, c'est-à-dire à 540 kilomètres d'ici. D'après les lignes directrices qui sont proposées, il y a «garde partagée» lorsque les époux se partagent la garde physique d'un enfant en proportion sensiblement égale; ce qui signifie, moitié-moitié. Pour des raisons de logistique, il se peut que les parents soient obligés de partager la garde dans une proportion différente: 80 p. 100 d'un côté et 20 p. 100 de l'autre. Toutefois, les lignes directrices devraient prendre en compte les frais de transport des enfants qui doivent parfois, comme dans mon cas, parcourir de grandes distances pour passer du temps avec l'autre parent.

Lorsque ma femme et moi vivions ensemble, nous gagnions chacun 35 000 $. Avec un revenu combiné de 70 000 $, on n'a pas de problème. Toutefois, après que nous nous sommes séparés, il fallait faire marcher deux ménages. Ma femme disposait de 43 000 $ alors que moi, je n'avais que 17 000 $ pour couvrir mes dépenses. Est-ce juste?

Pour répondre à votre question, il n'est pas nécessaire d'entrer dans les détails, il faut plutôt mettre l'accent sur le partage des responsabilités parentales -- comme on le souhaite au Canada -- ce qui inciterait les juges à prendre en considération le temps passé par les enfants avec celui des parents qui n'a pas la garde et à rendre une ordonnance alimentaire plus équitable.

Le sénateur Lavoie-Roux: Les lignes directrices sont muettes à ce propos?

M. Mullin: Oui. Quel que soit celui des conjoints qui a la garde des enfants, il a la part belle. Il obtient le droit de jouer son rôle de parent ainsi qu'une aide financière.

Le sénateur Lavoie-Roux: Vous parlez de M. Finnie, qui est professeur à l'Université Carleton. Vous dites que, selon lui, le projet de loi C-41 autorise essentiellement le gouvernement à grever davantage d'impôts l'un et l'autre parent.

Comment peut-on dire que demander aux parents de faire face à leurs obligations et de pourvoir aux besoins de leurs enfants c'est les grever d'impôts? En quoi est-ce une ponction fiscale? Je ne comprends pas.

M. Mullin: Comme je l'ai signalé, je ne suis pas spécialiste des questions financières. Je vous recommande de lire l'étude de M. Finnie et, le cas échéant, de lui parler. Il prétend que le gouvernement recevra plus d'argent si le projet de loi C-41 est adopté.

Le sénateur Lavoie-Roux: Nous devons examiner cela de très près.

La présidente: Honorables sénateurs, M. Finnie va comparaître devant ce comité jeudi matin.

Le sénateur Bosa: Vous avez cité votre propre cas pour illustrer l'iniquité du système. Vous avez dit que vous gagniez 35 000 $, comme votre épouse, mais qu'après votre séparation, vous aviez 17 000 $ pour vivre alors qu'elle en avait 43 000 avec l'argent que vous lui versiez pour pourvoir aux besoins de votre enfant.

M. Mullin: Je gagnais toujours la même chose, mais une fois mes impôts et la pension alimentaire payés, c'est ce qui me restait.

Le sénateur Bosa: Maintenant que vous êtes dans la situation inverse et que c'est vous qui avez la garde, est-ce que les conditions sont demeurées les mêmes?

M. Mullin: Oui.

Le sénateur Bosa: Vous disposez donc de 43 000 $?

M. Mullin: En théorie, c'est ce qui devrait se passer. Toutefois, je préfère ne pas en parler.

Le sénateur Bosa: Je ne veux pas m'immiscer dans votre vie privée. Vous avez mentionné ce détail et c'est la raison pour laquelle je pose la question.

M. Mullin: En théorie, c'est ce qui devrait arriver, mais ce n'est pas le cas depuis février. Je contacte régulièrement les responsables du Régime des obligations alimentaires envers la famille -- ce qui se révèle absolument désastreux -- pour essayer de remettre les choses en place.

Le sénateur Losier-Cool: En ce qui a trait aux pénalités, c'est seulement lorsqu'il y a des arriérés qui s'élèvent à 3 000 $ ou après trois mois de retard ou encore après de multiples avis que des sanctions seraient prises.

La somme des pensions alimentaires pour enfants qui n'ont pas été payées représente des milliards de dollars. Ce projet de loi va peut-être faire entendre raison aux débiteurs défaillants... mais il ne vise pas les gens ordinaires et certainement pas les gens comme vous. Nous avons dans notre documentation un article du Globe and Mail qui renferme des statistiques à ce sujet.

Vous avez parlé d'analyse selon le sexe. Où que ce soit au Canada, les comités consultatifs sont en faveur du projet de loi C-41. Les recherchistes, les consultants ont comparu devant le comité de la Chambre des communes et ont donné un avis favorable. Une analyse selon le sexe de ce projet de loi a été faite. Vous avez lu un extrait d'un document. Pourrions-nous en obtenir une copie pour la verser à nos dossiers?

M. Mullin: Certainement.

La présidente: J'ai une question concernant les tables. Il semble que les montants doublent lorsqu'il y a deux enfants et qu'ils triplent presque lorsqu'il y en a trois. Pensez-vous que cela soit juste? Est-ce que cela coûte trois fois plus cher d'élever trois enfants?

M. Mullin: Permettez-moi de ne pas vous répondre tout de suite. Je n'ai pas examiné les dispositions financières du projet de loi. Je vous suggère d'en parler à M. Finnie.

Le sénateur Jessiman: Est-ce que vous connaissez bien les articles 15(8) et 17(8) de la Loi sur le divorce actuellement en vigueur, en vertu desquels les tribunaux doivent reconnaître que les époux ont des obligations financières conjointes pour ce qui est de subvenir aux besoins de leurs enfants?

M. Mullin: J'ai un exemplaire de la loi chez moi. J'en connais les dispositions pour les avoir lues.

Le sénateur Jessiman: Il est maintenant prévu de supprimer cette disposition. Vous préféreriez sans doute que ces articles demeurent dans la Loi sur le divorce? Est-ce que je me trompe?

M. Mullin: Il faudrait que je les aie sous les yeux. Encore une fois, permettez-moi de ne pas répondre tout de suite car je n'ai pas réfléchi à cela.

Le sénateur Jessiman: Comme vous le savez, les lignes directrices ne prennent pas en compte le revenu de l'un et l'autre parent. Vous avez dit que si le parent qui n'a pas officiellement la garde assume toutefois en partie cette responsabilité, il ou elle devrait pouvoir bénéficier d'une certaine reconnaissance. Vous pensez également que les tribunaux devraient tenir compte du revenu du parent n'ayant pas la garde aussi bien que du parent qui a la garde lorsqu'il y a séparation?

M. Mullin: Bien sûr.

Le sénateur Jessiman: Au dernier paragraphe de la page 2 vous déclarez:

Celui des parents qui n'a pas la garde va maintenant avoir à craindre autre chose que Revenu Canada. Il suffira que son ex-conjoint en décide soudainement ainsi pour qu'il soit obligé de lui fournir sa déclaration de revenu pour les trois dernières années...

Ne pensez-vous pas cependant que même s'il s'agit d'un coup de tête, si le parent qui a la garde venait à penser que le revenu de l'autre parent a changé -- il paie toujours la pension mais il est devenu très prospère et par conséquent, dispose d'un revenu plus important -- il devrait pouvoir mettre son nez dans les affaires de l'autre? Cette information pourrait l'aider à décider s'il doit demander une modification de la pension. Je ne vois pas ce qu'il peut y avoir de mal là-dedans. Votre crainte est-elle uniquement due au fait qu'il s'agirait d'un «coup de tête»?

M. Mullin: Oui.

Le sénateur Jessiman: Il me semble qu'il serait juste de pouvoir connaître la situation financière même si les versements prévus par les ordonnances précédentes sont faits.

M. Mullin: Je suis arbitre de soccer et je donnerais un carton jaune dans ce cas. J'aimerais que vous écoutiez le professeur Finnie car son idée est intéressante. Il suggère de recourir aux déductions à la source. Autrement dit, le processus serait automatique: une fois que Revenu Canada saurait qu'une personne qui verse une pension alimentaire a obtenu une augmentation de salaire, le montant de la pension serait automatiquement ajusté. L'ex-conjoint n'aurait pas besoin de téléphoner ni de prendre un avocat.

Le sénateur Jessiman: S'agirait-il d'un pourcentage du total?

M. Mullin: Parlez-en au professeur Finnie. Je crois que l'expression est «déduction à la source». Cela éviterait que deux ou trois ans plus tard, les tiraillements reprennent: «As-tu eu une augmentation?» «Non». «Très bien je vais voir un avocat et tu seras obligé de me montrer tes papiers».

J'accepte votre argument si vous acceptez le principe de la pension alimentaire pour enfants. Toutefois, parlez au professeur Finnie de son idée, car je pense qu'elle est non intrusive et qu'elle répondrait à un besoin.

Le sénateur Jessiman: Si l'on parle d'un pourcentage du revenu ou du revenu brut.

M. Mullin: Je sais qu'il appelle cela une déduction à la source, et selon moi, il s'agit d'une solution pratique qui laisse les gens vivre leur vie sans être dérangés. J'espère que vous parlerez de ça avec lui.

La présidente: Je vous remercie de vous être déplacé.

M. Mullin: Puis-je encore ajouter quelque chose? Honorables sénateurs, personne ne prétend que les gens ne devraient pas respecter leurs obligations en matière de pension alimentaire, mais je vous mets au défi de me dire que les lois de la Floride ou un texte quelconque sur ce modèle affaibliraient le projet de loi.

La présidente: Honorables sénateurs, le groupe parlementaire du Parti libéral se réunit à midi.

Le sénateur Cools: Pourquoi précipitons-nous les choses? Il y a ici des gens qui sont venus de très loin. On devrait leur laisser la possibilité de faire leurs exposés.

La présidente: M. Hall est ici depuis ce matin. Je vous souhaite la bienvenue et je vous donne la parole.

M. Tony Hall, Ph.D.: Je vous remercie de votre invitation. Je suis venu sans avoir beaucoup de temps pour me préparer car je n'ai été averti qu'hier après-midi à 16 heures. J'ai fait 2 000 milles, mais j'ai entendu des exposés très intéressants ce matin. Un des témoins a amené son fils avec lui et il me semble qu'il était tout à fait approprié de lui donner la parole car le bébé faisait une poussée dentaire.

Le projet de loi C-41 traite de choses très abstraites, et j'ai trouvé intéressant d'observer la réaction des gens devant un enfant qui est amené au Sénat et qui pleure. Quelqu'un a paniqué et les gardes de sécurité se sont présentés. Je dis cela parce que, quand je lis le projet de loi C-41, il semble très loin de la réalité dont nous avons été témoins ce matin.

Quand je lis le projet de loi, je trouve que le vocabulaire est assez spécial. Je vais commencer par vous mentionner trois expressions importantes que j'ai prises dans ce texte et ensuite, je ferais mon exposé sur les expressions que je n'ai pas trouvées.

Le mot «époux» est mentionné, tout comme «enfant à charge» et «débiteur». Il s'agit de trois des concepts qu'avance le projet de loi. Je ne vois nulle part dans le projet de loi le mot «parent». Cette loi ne semble pas tenir compte de la réalité voulant que les enfants aient des parents.

Pour des enfants issus d'un mariage qui n'existe plus, les décrire dans le texte anglais de la loi comme des «enfants issus du mariage» revient à dire qu'ils font partie de quelque chose qui n'existe plus, qui est de l'histoire ancienne. Ils continuent toutefois d'être les enfants de leurs parents. Honorables sénateurs, je voudrais vous faire remarquer que non seulement cette loi ne démontre aucun respect pour les concepts de paternité et de maternité, mais qu'elle ne les reconnaît même pas. Les mots ne sont même pas utilisés.

Je suggère que vous reconnaissiez l'existence de ces concepts, le fait que les enfants ont des parents. Il y a deux parents. Le principe de base est perdu de vue... il s'agit d'un droit fondamental, inhérent, des enfants d'avoir deux parents, un père et une mère. Il peut y avoir des raisons, dans de très rares circonstances, pour priver les enfants de ce droit fondamental, mais cette loi consacre une approche qui prive les enfants de leur droit d'avoir un père et une mère. Cela reflète la position d'un gouvernement qui impose son autorité, son pouvoir, et se place entre les parents et les enfants.

Je soutiens que cette loi est foncièrement odieuse dans la façon dont elle s'attaque au droit fondamental des enfants d'avoir deux parents, droit reconnu par la Convention des Nations Unies à laquelle le Canada prétend adhérer. Naturellement, quand cela concerne sa propre vie, il ne s'agit pas d'une abstraction... la chose est un peu plus réelle.

Dans la grande majorité des cas, on prive les enfants du droit d'avoir un père. À cause d'une telle approche, mes propres enfants, je crois, se retrouvent dans un état de pauvreté. Il n'est pourtant pas nécessaire qu'il en soit ainsi.

Je ne suis pas vraiment sûr d'où vient l'expression «parent n'ayant pas la garde». Cela vient-il d'un quelconque règlement de tribunal? Je le soupçonne. Je vous défie de m'expliquer ce qu'est un parent n'ayant pas la garde. Expliquez-moi ce que cela veut dire. Expliquez-moi comment il est possible d'être un parent n'ayant pas la garde et d'être en même temps responsable.

Un autre terme que je ne vois pas dans ce texte est le mot «famille». Les enfants ont des cousins et des grands-parents. Ce sont les nièces et les neveux de leurs oncles et tantes. Cette mesure législative est loin de tenir compte de cette réalité.

À Lethbridge, il y a un très puissant groupe de grands-parents que l'on pourrait qualifier, selon l'approche perverse de cette loi, de grands-parents n'ayant pas la garde.

Dans le cadre de mon examen du concept de «non-garde», permettez-moi d'introduire un autre concept ou un autre terme dans le vocabulaire se référant à cette question. Une fois que l'État intervient pour désigner l'un des parents comme le parent n'ayant pas la garde, le droit de l'enfant à la maternité ou à la paternité ni carnée par cette personne s'éteint. Je suggère que ce concept représente l'extinction légale d'une relation.

Cette phrase est au coeur de mes travaux sur les Autochtones américains à l'Université de Lethbridge. Il s'agit d'un concept que la Commission royale sur les peuples autochtones a essayé d'examiner par anticipation. Le silence du gouvernement à propos de ce concept et de la Commission royale sur les peuples autochtones est frappant.

Permettez-moi de situer ce concept d'extinction dans un contexte historique et de procéder à quelques comparaisons afin de décrire une condition ou une circonstance légale exprimée par une négation.

Il y avait et il y a encore au Canada des gens qui sont qualifiés par le gouvernement «d'Indiens non inscrits». Quelle drôle de façon de qualifier une personne, que de décrire ce qu'elle est sous une forme négative.

La Déclaration Balfour, en 1917, décrivait les Palestiniens comme une «population non juive». On ne voulait pas légitimer le concept de «Palestinianité», lequel touche, même de nos jours, directement la fierté du peuple palestinien.

La Commission royale s'est intéressée aux pensionnats réservés aux Indiens. La mère de mes enfants en a fait l'expérience. C'est un épisode de l'histoire canadienne au cours duquel le gouvernement pensait être meilleur juge de ce qui était dans l'intérêt des enfants et a étouffé, à toutes fins pratiques, les relations parentales des hommes et des femmes qui étaient des Indiens inscrits... des pères et des mères avec leurs enfants. Je prétends que cette extinction du statut parental est une question très grave, et qu'à la limite, c'est illégal.

Sous la réalité que nous sommes en train de consacrer et de promouvoir par l'intermédiaire de cette mesure législative, il y en a une autre: tous les parents sont des hommes et des femmes. La Charte des droits et libertés garantit un traitement égal aux hommes et aux femmes. La Charte déclare implicitement que les hommes et les femmes, en tant que parents, doivent être traités en toute équité.

Seuls les hommes peuvent être pères; seules les femmes peuvent être mères. Je ne peux pas devenir une mère. Je ne peux être qu'un père. Les statistiques montrent que, dans une aussi vaste pluralité de cas, le parent n'ayant pas la garde est le père dans 80 à 90 p. 100 des cas. J'ai l'impression qu'il existe une discrimination profonde, systématique, et que le ministère de la Justice favorise une violation de la loi suprême du Canada. Cela dénote l'insouciance que j'ai déjà pu constater de la part de ce ministère et de ce ministre de la Justice à l'égard de la primauté du droit.

Je vous renvoie à un document intitulé «Abuse Is Wrong In Any Language», qui constitue une forme de discrimination sexuelle de première grandeur.

Je n'entrerai pas dans les dimensions personnelles de cette question, mais, après tout, nous venons de l'arrière-pays, et c'est l'occasion de s'inspirer d'expériences vécues.

Mes enfants ont été témoins de l'agression dont j'ai été l'objet. Mon ex-partenaire a été accusée d'agressions à mon égard et condamnée à plusieurs reprises. Cet été, elle a agressé mon épouse actuelle. J'ai vu mes enfants se rendre avec leur mère au poste de police. J'ai essayé d'obtenir que mes enfants bénéficient de counseling, car je crois que ce dont ils ont été témoins a été très dur pour eux.

J'ai avec moi une lettre de mon avocat, Brad Smith, de Thunder Bay, datée du 25 novembre 1996. Les tribunaux m'ont refusé le counseling que je demandais. Le juge Maloney est d'avis qu'une ordonnance générale demandant des services de counseling est inapplicable, et il a refusé de m'en accorder une.

M. Smith écrit:

Une autre raison pour laquelle le juge Maloney a hésité à émettre une ordonnance de counseling, c'est que la demande venait de vous en tant que parent ayant un droit de visite et que les parents ayant un droit de visite n'ont habituellement pas le droit d'obtenir du counseling ou un traitement médical pour leurs enfants ni d'y consentir.

Si mon enfant est malade, cela veut-il dire que je n'ai pas le droit de l'emmener moi-même à l'hôpital? Si mon enfant ne bénéficie pas de counseling à ce moment-ci et que plus tard, elle agresse mon épouse actuelle car elle n'a pas surmonté certains de ses problèmes, qui est responsable? Et que dire de cette décision qui rejette spécifiquement ma demande que mon enfant puisse bénéficier de counseling? L'extinction de la paternité est quelque chose d'extrêmement grave.

Je voudrais lancer une autre expression dans le cadre de cette discussion. Je veux parler de ce que l'on appelle «l'industrie du droit de la famille». L'industrie du droit de la famille, selon moi, doit être l'une des activités les plus lucratives du pays. C'est une industrie qui possède ses propres lobbyistes et ses propres représentants auprès du gouvernement. Il semble que le ministre de la Justice leur prête une oreille très attentive. Il me serait même possible d'envisager, que d'une certaine façon, le ministre Allan Rock est le lobbyiste en chef de cette industrie. Je prétends que cette industrie est totalement irresponsable. Elle prend les décisions les plus graves et les plus fondamentales concernant l'avenir de notre pays. Que peut-il y avoir de plus profondément essentiel pour l'avenir du pays que la façon dont nous socialisons et élevons nos enfants?

Essentiellement, cette industrie fait sa propre police. Je trouve lamentable que le Barreau du Haut-Canada ou le Conseil canadien de la magistrature semblent être incapables d'assurer convenablement leur propre police. Je ne constate rien qui permette de conclure que l'on applique le principe de la revue par les pairs dans cette industrie qui ne rend de comptes à personne.

J'accuse cette industrie d'exploiter nos enfants. Je suis le père de mes enfants, et je suis ici devant vous pour défendre leurs droits. Le ministre de la Justice, M. Rock, et plusieurs associations prétendent parler dans le meilleur intérêt de mes enfants. En tant que père, il est très libérateur de mettre de côté l'expression «parent n'ayant pas la garde» et de dire que c'est mon droit inhérent et en vérité, ma responsabilité de défendre mes enfants de l'exploitation qu'ils subissent de la part de l'industrie du droit de la famille. Cette loi promulgue une approche qui fait essentiellement de nos enfants des armes pour une industrie qui fonctionne à coup de procédures antagonistes qui exploitent et accroissent la tension et le ressentiment qui existent entre les parents au moment du divorce. En fait, le système exploite ce sentiment.

Si le gouvernement du Canada mettait fin d'un seul coup à la relation entre des centaines de milliers de mères et leurs enfants, quelle serait la réaction? Je pense que l'on considérerait instantanément à travers le monde que le Canada commet une énorme violation des droits de l'homme. Pourtant, tranquillement, le Canada et tous les organismes de l'État ainsi que les tribunaux ont mis fin aux relations entre des centaines de milliers de pères et leurs enfants. Deux millions d'enfants sont concernés.

L'éclatement d'une famille est une situation extrêmement pénible, et malheureusement, ce n'est plus une aberration. La dure réalité est que cela est en train de devenir courant au Canada. Je vous suggère qu'il s'agit d'une violation des droits de la personne de première grandeur.

Quand je pense à l'industrie du droit de la famille, je voudrais essayer de la rendre un peu responsable et faire en sorte que le gouvernement du Canada n'agisse pas comme un gouvernement irresponsable, mais respecte les principes fondamentaux suivis par tout gouvernement responsable. Ces principes remontent aux années 1840. Ils sont importants pour assurer le bon fonctionnement de notre constitution. Toutefois, nous nous retrouvons avec un gouvernement qui agit d'une manière irresponsable, qui remet essentiellement ses responsabilités entre les mains des avocats et des juges de l'industrie du droit de la famille.

À une époque, l'esclavage était constitutionnellement justifié. Il y a eu des pensionnats et l'extinction des relations entre les enfants indiens et leurs parents pour lesquels le gouvernement fédéral n'a pas accepté de responsabilité fiduciaire. Le ministère de la Justice joue à cache-cache et tente de nier encore et toujours jusqu'à ce que tous les gens qui ont été affectés soient morts. Je vous suggère que l'on devrait se pencher sur cette situation.

Nardina Grande, selon moi, a fait un exposé très important et très fort. Elle s'est fait véritablement l'écho de ce que j'entends à Lethbridge, histoire après histoire.

Elle a déclaré qu'elle croyait auparavant que le Canada était un bon pays. C'est une remarque que j'ai entendue tellement de fois dans la bouche des hommes que je rencontre à ces réunions et dans celle de leurs femmes et de leurs grands-parents. Je pense que celui qui dit «Je ne peux voir mes enfants que le matin en montant en haut du silo-élévateur. Je peux les voir monter dans le car scolaire. Je peux aussi les apercevoir quand ils jouent au hockey.» Il peut aller à la patinoire regarder ses enfants. Je ne peux pas vous décrire combien cela influe sur l'image que je me fais de ce pays et de son gouvernement fédéral.

J'ai entendu quelqu'un qui disait que l'on nous demande toujours de monter dans le train quand il est parti. Allan Rock est venu dans l'Ouest. J'ai tenté de le rencontrer; notre groupe a essayé de le rencontrer. Il doit être clair que les groupes que vous rencontrez ce matin n'ont aucune relation avec le ministère de la Justice et qu'ils ont été insultés par ce ministère.

Pendant qu'on parlait ce matin du retour en vogue de la prison pour dettes, j'en ai entendu qui s'amusaient à faire des jeux de mots en anglais. Je trouve cela tout à fait déplacé.

Je vous remercie de m'avoir permis de m'exprimer ainsi aujourd'hui. Si vous trouvez que mes émotions transparaissent trop, essayez de comprendre que bien que je sache qu'on est plus crédible en tant qu'universitaire si on parvient à cacher ses sentiments, il s'agit d'une question on ne peut plus essentielle. Il est extrêmement dur d'en parler. Même pour les fameux parents n'ayant pas la garde, il est difficile de parvenir à en parler et de faire face à tous les stéréotypes sexuels qui semblent entourer cette question et nous empêcher d'agir de manière rationnelle.

Le sénateur Bosa: Je regrette, monsieur Hall, mais je ne suis pas du tout d'accord avec votre définition de parent n'ayant pas la garde. L'anglais est ma troisième langue et c'est peut-être pourquoi j'en ai perdu dans la traduction.

Le sénateur Cools: Voilà un échange intéressant, sénateur Bosa. Vous perdez une partie du discours dans la traduction; il perd en partie ses enfants.

Le sénateur Bosa: La façon dont je comprends cette expression et dont les autres membres qui ont lu la définition et avec qui j'en ai parlé, la comprenne, c'est que l'expression «parent n'ayant pas la garde» veut dire exactement cela... à savoir, qu'il s'agit du parent qui ne vit pas avec l'enfant. Cela ne nie aucunement les droits parentaux. Cela ne prive pas du droit de visite ni des droits qui reviennent à un parent. C'est simplement un moyen de différencier qui habite avec l'enfant et qui n'y habite pas.

Quand on essaie de faire un rapport entre la Loi sur les Indiens et la situation en Palestine, on aborde un concept totalement différent. Je ne suis pas de votre avis, ce n'est pas la même chose.

M. Hall: Il semble évident que vous n'avez pas fait l'expérience de la réalité humaine de ce problème.

Par exemple, j'ai un droit de visite pendant six semaines en été. La seule relation que j'ai avec mes enfants, c'est pendant ces six semaines. J'essaie d'aller les chercher, mais même avec trois agents de police cela ne m'est pas possible. C'est l'expérience que j'ai vécue l'été dernier et l'on me dit que, bien que j'aie une ordonnance du tribunal et qu'il m'ait fallu dépenser plusieurs milliers de dollars pour ces six semaines, la police ne fera pas respecter cette ordonnance. Il me faut obtenir une autre ordonnance du tribunal pour faire exécuter l'ordonnance originale. Je dois payer 200 $ de l'heure pour obtenir une ordonnance du tribunal. J'habite à l'autre bout du pays et il n'y a pas d'endroit où je peux rester.

La réalité concrète est qu'une fois que vous avez été qualifié de parent n'ayant pas la garde, on laisse entièrement au pseudo-conjoint ayant la garde la liberté de décider si l'autre parent peut ou non voir les enfants. Ce que vous me dites n'a rien à voir avec la réalité et l'on voit bien que vous n'avez aucune expérience personnelle de la question.

Vous dites que je n'ai pas le droit de faire une comparaison entre la Loi sur les Indiens et la Palestine. Je suis professeur au département des Affaires indiennes. Mes enfants sont des Indiens inscrits; leur mère est allée dans un pensionnat. Il ne s'agit pas, en ce qui me concerne, de choses à prendre à la légère. La mère de mes enfants a sans doute été violentée au pensionnat. Je suis confronté aux conséquences de l'action du gouvernement fédéral dans ce domaine. Je suis confronté à la violence et à la possibilité que mes enfants subiront les répercussions de la situation qui existait au pensionnat.

Je vous demanderais de ne pas banaliser les comparaisons que je fais ni de les considérer comme marginales.

Le sénateur Bosa: Je regrette que vous le preniez de cette façon. Je regrette moi aussi la situation dans laquelle vous vous trouvez. Vous avez personnalisé la question, en nous parlant de votre propre situation. Je regrette que l'on vous empêche de voir vos deux enfants et que vous ayez besoin de deux ordonnances pour y parvenir.

M. Hall: Des dizaines de milliers d'autres parents qui n'ayant pas la garde se trouvent dans ma situation. Ma situation n'est pas une exception; c'est la règle.

Le sénateur Bosa: Mais vous devez reconnaître que ce n'est pas vraiment la règle et que telle n'est pas la situation, en général.

Le sénateur Cools: Si, telle est la situation en général.

Le sénateur Bosa: Il y a eu de nombreux cas...

M. Hall: Qu'en savez-vous? Quelles recherches avez-vous faites?

Le sénateur Bosa: En me fiant aux témoignages que nous avons entendus ici...

M. Hall: Quelles sont les recherches qui ont été faites par le ministère de la Justice?

Le sénateur Bosa: Vous m'amenez à soulever un autre point.

La présidente: À l'ordre, s'il vous plaît! On ne peut plus s'entendre.

Le sénateur Bosa: Je n'ai pas l'intention de discuter.

M. Hall: Quelles recherches avez-vous faites sur le suicide?

Le sénateur Bosa: Nous en avons entendu parler ce matin. Il est également injuste que vous preniez à partie le ministre de la Justice, M. Rock, en disant qu'il défend les intérêts de vos adversaires. Je connais personnellement M. Rock. Il est très compréhensif et très sensible. C'est très injuste de votre part de dire cela.

Le sénateur Cools: Je suggère que nous passions à autre chose.

Le sénateur Bosa: Si vous avez des faits à rapporter, ne vous gênez pas, mais ne vous laissez pas aller à des attaques personnelles car ce n'est pas juste.

La présidente: Avez-vous une expression à nous suggérer pour remplacer l'expression «n'ayant pas la garde»?

Le sénateur Lavoie-Roux: J'aimerais savoir comment on traduit «non-custodial parent» en français. Je n'ai jamais entendu une telle expression.

Le sénateur Cools: Elle aurait du être enlevée de la loi il y a des années.

Le sénateur Lavoie-Roux: Cela ne se traduit pas bien.

La présidente: C'est une expression bizarre.

Le sénateur Cools: Tout d'abord, selon moi, nous procédons beaucoup trop rapidement. Ce monsieur qui vient de Lethbridge a fait beaucoup de chemin. Je vais être en retard à la réunion de mon groupe parlementaire. Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas accorder à cette question le temps qu'elle mérite. Je n'ai pas été en mesure de poser une seule question ce matin. Pourquoi toute cette précipitation?

La présidente: Je n'ai pas remarqué que vous demandiez la parole.

Le sénateur Cools: Chaque fois que j'ai levé la main ce matin et indiqué que je voulais poser des questions, il ne restait pas de temps pour poser des questions aux témoins.

La présidente: Je m'excuse. Je n'avais pas remarqué que vous aviez levé la main ce matin.

J'aimerais que M. Hall nous dise s'il a une expression qui pourrait remplacer «n'ayant pas la garde».

M. Hall: Pour commencer, j'aimerais répondre aux commentaires concernant Allan Rock.

On a parlé du suicide. De fait, une lettre de suicide a été lue ce matin. Si la personne en question se suicide, quelqu'un ici aura-t-il sa mort sur la conscience? Je ne mâche pas mes mots. Nous en avons entendu parler mais nous n'avons pas de statistiques.

Tout d'abord, je dirais que les expressions «époux», «enfant à charge» et «débiteur» sont trop déshumanisés par rapport à ce dont il est question ici. Si vous essayez simplement d'inclure dans cette loi le mot «parent», le simple fait de vouloir rapprocher le mot et sa signification vous forcerait à traiter de la chose non pas à l'aide de concepts abstraits, mais en fonction de situations humaines concrètes qu'on laisse pourrir et qui s'aggravent.

On est à une audience du Sénat. Où sont les élus? Si Allan Rock est si sensible à la question, pourquoi est-ce le Sénat que l'on charge de s'en occuper? Pourquoi est-ce que cela n'a pas été examiné par le ministre de la Justice, dont les initiatives à propos de la Loi sur les juges sont discutables et qui sans vouloir y toucher, veut modifier la constitution et y intégrer un droit de veto.

Selon moi, ce ministère de la Justice fait peu de cas du principe de légalité. J'aimerais avoir la possibilité de vous donner plus d'information et de justifier ce que je dis d'une façon aussi érudite et objective que possible.

Le sénateur Cools: J'aimerais aborder la question du temps de parole adéquat qui devrait être accordé aux témoins pour discuter de ces questions. Je devais être à ma réunion à 11 h 45. Nous connaissons l'horaire, nous avons entendu quatre témoins ce matin. Où est le problème?

Nous dépensons l'argent des contribuables pour faire venir des gens de Lethbridge ou d'ailleurs. Où est le problème? J'aimerais poser plusieurs questions. Ces témoins ont soulevé des points que je considère, avec tout le respect que je vous dois, à la fois extrêmement intéressants et compliqués.

Il y a environ 10 ans, nous pensions que des expressions comme «garde» disparaîtraient. On devait faire disparaître ce genre de vocabulaire de la législation car des expressions comme «garde» nous renvoyaient à des époques antérieures au cours desquelles les enfants et même les femmes étaient considérés comme des biens meubles.

Des questions très importantes ont été soulevées. Je regrette de me montrer un peu impatiente, mais j'ai moi aussi des contraintes de temps. J'étais censée passer à mon bureau pour téléphoner. J'aimerais, si possible, que l'on envisage la possibilité de le faire revenir monsieur. Il pourrait peut-être revenir demain. Êtes-vous disponible demain?

M. Hall: Oui.

Le sénateur Cohen: Je souhaite appuyer le sénateur sur ce point. C'est le gouvernement qui nous pousse. C'est la raison pour laquelle nous pressons les témoins. Nous devons examiner soigneusement les cas qui nous sont présentés pour pouvoir traiter d'un projet de loi qui est loin d'être parfait.

Le sénateur Bosa: Cela n'empêche pas le sénateur Cools de poser des questions maintenant.

Le sénateur Cools: J'ai d'autres engagements.

Le sénateur Bosa: J'ai d'autres engagements également, mais cette affaire est prioritaire.

Le sénateur Cools: Pourquoi? Nous avons réservé du temps pour les réunions du comité. Nous en avons; utilisons-le.

Le sénateur Bosa: Mais nous avons un témoin qui vient de Lethbridge. Ce n'est pas à côté.

Le sénateur Cools: Dans ce cas, il sera à l'ordre du jour de demain.

Je suis désolée de me montrer aussi impatiente, mais nous avons pressé les témoins toute la matinée. Nous siégeons ici, et c'est notre devoir de les écouter.

Le sénateur Bosa: Ce n'est pas vrai du tout. Tous les témoins ont eu 45 minutes pour présenter leur cas. C'est la règle qui a toujours prévalu.

Le sénateur Cools: Quelle règle?

Le sénateur Bosa: Nous accordons toujours 45 minutes aux témoins. Aujourd'hui, chaque témoin a disposé de 45 minutes.

Le sénateur Cools: Êtes-vous le président?

Le sénateur Bosa: Non je ne suis pas le président.

La présidente: Sénateur, nous nous sommes montrés plutôt compréhensifs sur ce point ce matin. J'ai essayé d'être aussi équitable que possible.

Le sénateur Cools: On ne m'a permis de poser aucune question.

La présidente: Quel juge a traité votre affaire, monsieur Hall?

M. Hall: Le juge Maloney.

La présidente: J'ai déjà eu affaire à lui dans le cadre de dossiers juridiques et constitutionnels. Nous avons toujours trouvé ses jugements équitables. Pourquoi votre demande était-elle inapplicable?

M. Hall: Parce que je suis ce qu'on appelle un parent ayant droit de visite. Le juge se fonde probablement sur la jurisprudence en la matière. Il n'est pas en mesure de faire la loi, il ne peut que l'interpréter. Selon son interprétation, le parent qui n'a pas la garde n'a pas le droit d'emmener ses enfants à l'hôpital ou de s'occuper de counseling.

La présidente: Par contre, dans le projet de loi C-41, on parle des dépenses extraordinaires dont est responsable l'époux qui n'a pas la garde.

M. Hall: Qu'est-ce qu'un époux qui n'a pas la garde?

La présidente: C'est vous monsieur.

M. Hall: Ce concept n'existe pas.

La présidente: On énumère les dépenses médicales; cela fera partie des nouvelles lignes directrices.

Cela ne veut-il pas dire que vous aurez le droit de vous occuper de vos enfants si vous estimez qu'ils ont besoin de soins médicaux supplémentaires?

M. Hall: Graves questions. Quelqu'un a proposé que l'on s'attarde sur cette question. Je vois des gens qui se lèvent et qui veulent partir. Je pourrais changer mon emploi du temps à Lethbridge et être disponible demain.

La présidente: Si je pouvais obtenir la permission de la Chambre de siéger aujourd'hui à 15 h pendant la séance du Sénat, M. Hall pourrait poursuivre son témoignage aujourd'hui même.

Sommes-nous d'accord?

Le sénateur Cools: Je suis censée m'exprimer cet après-midi sur le projet de loi C-45 qui passe en troisième lecture. Il y a également des débats sur d'autres projets de loi. Certains d'entre nous avons des choses à faire.

Le sénateur Bosa: Je suis censé faire la même chose.

La présidente: Nous nous réunirons à 16 h dans ce cas. Nous communiquerons avec vous pour vous dire dans quelle salle.

Est-ce entendu?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Lavoie-Roux: Notre témoin a parlé de «parent ayant droit de visite». Cette expression figure-t-elle dans le projet de loi?

M. Hall: Le mot «parent» ne figure pas dans le projet de loi.

La présidente: Le droit de visite n'est abordé dans ce projet de loi, mais les témoins nous disent qu'il le devrait.

La séance est suspendue.


La séance reprendra à 16 h.

La présidente: Honorables sénateurs, je constate qu'il y a quorum.

J'aimerais accueillir à nouveau M. Tony Hall.

M. Hall: Je vous remercie de prolonger cette audience. J'espère que l'atmosphère sera plus agréable et plus sereine afin que nous puissions accorder à ces questions l'attention qu'elles méritent.

En lisant le projet de loi C-41, j'ai été frappé par le langage et les concepts désuets auxquels il a recours. J'ai essayé d'introduire dans la discussion quelques termes susceptibles de nous aviver l'esprit et de nous amener à une réflexion et à une évaluation de la formulation de ce projet de loi qui soit plus conforme aux expériences concrètes de ceux d'entre nous qui rencontrons ces problèmes.

L'idée de mettre fin à la relation légale entre l'enfant et ce qu'on appelle le parent n'ayant pas la garde est bonne.

Examinons un autre terme que l'on retrouve dans tout le projet de loi, à savoir le mot «garde». Il s'agit, selon moi, d'un terme qui date d'une époque où l'on pensait plus en terme de «biens meubles». Il n'y a pas si longtemps que les humains étaient considérés comme du bétail, que l'on pouvait acheter ou vendre. Il n'y a pas si longtemps que les femmes sont reconnues comme citoyennes à part entière, ayant droit de vote.

Nous ne sommes pas encore prêts à envisager la question des droits des enfants. Les enfants en sont peut-être là où les femmes en étaient il y a 100 ans. Le mot «garde» correspond en fait au concept de propriété; une sorte de titre de propriété sur une personne.

Quand je lis un dictionnaire de droit, le mot «garde» est défini par le fait de détenir une personne en vertu d'une ordonnance ou d'une autorité légale. Ce terme est très élastique; il peut signifier autant un emprisonnement qu'une détention physique ou le simple pouvoir -- légal ou physique -- d'emprisonner ou de posséder.

Nous utilisons un mot, «garde», que nous appliquons souvent à l'incarcération d'un prisonnier dans le système judiciaire pénal. Nous parlons des enfants et de la garde d'enfants de la même façon que nous parlons de la garde des criminels par le gouvernement.

Ce concept de garde devient de plus en plus pesant et pénible lorsqu'on l'étend à ce qu'on appelle le parent n'ayant pas la garde. Cela devient une véritable énigme lorsqu'un tribunal vous dit que vous êtes quelque chose appelé un parent n'ayant pas la garde.

J'ai lu récemment une lettre d'un avocat décrivant la procédure judiciaire par laquelle j'essayais d'obtenir que mes enfants aient la possibilité de bénéficier de services de counseling. Ils avaient été témoins de violence familiale, avaient vu leur mère passer par le système de justice pénal pour m'avoir agressé, ainsi que ma femme actuelle. Il y avait eu deux accusations différentes de voie de fait, et deux déclarations de culpabilité à différentes occasions.

Il existe des stéréotypes qui tendent à imprégner et occulter toute cette question, et qui nous empêchent de voir les réalités humaines. Supposons que l'agression ait été dans l'autre sens. Cela n'aurait-il pas été un facteur que les tribunaux auraient pris très au sérieux pour décider de la garde? Mais je m'éloigne un peu du sujet.

Les parents ayant droit de visite n'ont généralement ni le droit ni l'autorisation légale d'obtenir des services de counseling ou un traitement médical pour leurs enfants. Lorsque je lis «traitement médical», je ne peux m'empêcher d'imaginer une situation où mon fils se serait blessé et aurait besoin d'aller à l'hôpital. Est-ce que j'enfreindrais la loi en emmenant mon fils à l'hôpital? Sommes-nous en train d'alourdir les choses par une formulation bizarre et des termes désuets qui empêchent les parents d'assumer leurs responsabilités?

Par ma présence ici aujourd'hui, et en abandonnant toutes mes activités sans préavis pour me rendre à l'autre bout du pays afin de profiter de l'occasion qui m'est offerte de m'exprimer devant vous, je crois agir en père responsable. Je dois regarder au-delà des circonstances immédiates de ma relation avec mes enfants. Je me suis rendu compte que j'avais les mains complètement liées, au point où je me sens incapable d'agir comme un parent utile à mes enfants. Je paie 1 000 $ de pension alimentaire pour enfants par mois.

Mon ex-femme ne travaillant pas, mes enfants et leur mère vivent avec 12 000 $ par an... ce qui je crois est bien au-dessous du seuil de la pauvreté. Je suis professeur. Je gagne 60 000 $ par an, mais lorsque j'ai payé mes impôts et la pension alimentaire pour enfants, il ne me reste plus que 24 000 $.

Mes enfants ont connu la violence familiale. Il n'y a aucune raison que mes enfants vivent dans la pauvreté. Lorsque j'entends des déclarations sur la nécessité de prendre la pauvreté des enfants au sérieux, cela me fait mal car mes enfants vivent cette situation. Je crois qu'ils y ont été mis dans cette situation par un régime de lois et de jurisprudence qui, je le constate maintenant, n'a pas été examiné de façon détaillée et attentive. On s'est plutôt saisi de quelques idées -- père mauvais payeur; homme agresseur et irresponsable qui doit être soumis à toute la rigueur de l'État -- c'est ainsi dans l'ensemble qu'ils doivent être traités.

Il y a dans tout cela une volonté de criminaliser la paternité. Par le fait même d'essayer d'être un père, on est soupçonné d'être criminel.

Lorsque le sénateur Bosa m'a dit plus tôt que ma situation était certainement extrême, une aberration, je dois lui répondre que, d'après mon expérience, ce n'est pas le cas. J'habite à Lethbridge. J'assiste chaque mois aux réunions d'un groupe appelé Equitable Child Maintenance and Access Society. Lethbridge n'est pas une grande ville. J'y rencontre des dizaines et des dizaines de personnes, surtout des hommes. Franchement, lorsque j'entends leur histoire, j'estime avoir de la chance à côté d'eux.

Le sénateur Bosa: Mais ce projet de loi ne vous touche pas puisque vous respectez vos engagements. Vous n'êtes pas en défaut de paiement.

M. Hall: La réalité me touche puisqu'elle légitime, consacre et actualise le principe selon lequel il y a un parent qui a la garde et un parent qui ne l'a pas. L'argument principal de ma présentation, c'est que cela représente une violation évidente des droits des enfants.

Le droit fondamental d'un enfant est d'avoir deux parents. L'expression «les enfants à charge», d'après moi, rend un mauvais service aux enfants dont les parents ne sont plus mariés. Le mariage d'où sont issus ces enfants, n'existe plus; mais ils ont quand même deux parents. Dans bien des cas, deux parents qui les aiment. Ce n'est qu'un des aspects du déclin du taux de natalité et de la croissance démographique négative. Chaque couple au Canada donne naissance en moyenne à 1,7 enfant.

Lorsque j'assiste à ces rencontres ou que je me rends au tribunal et que j'entends les histoires des gens, je constate que la joie d'avoir des enfants est en train de disparaître. C'est une des expériences fondamentales de la vie qui nous donne le sens de la continuité avec le passé et une projection dans l'avenir. La société reconnaît que nous manquons d'enfants. Cela touche non seulement les mères et les pères, mais les grands-parents, les oncles, les cousins et les soeurs. Le fait de désigner un des parents comme un parent n'ayant pas la garde stigmatise la famille du parent qui n'a pas la garde -- c'est-à-dire essentiellement les hommes et les pères -- met fin à la relation et rend pratiquement impossible la poursuite de cette relation.

Ce matin, nous avons entendu Mme Grande exprimer le point de vue d'une femme qui a fait cette expérience. Ses enfants en font l'expérience. Il s'agit d'hommes et de femmes qui souffrent.

Sénateur, il n'est pas juste de dire que cela n'a pas de conséquences. Lorsqu'on utilise des termes comme «garde» ou «enfant à charge», on prend un concept du passé et on lui donne une signification contemporaine. Si vous me suggérez d'attendre simplement parce que nos problèmes sont secondaires et d'avoir confiance dans le système qui finira par s'occuper de nous, excusez-moi de me montrer quelque peu cynique. Je n'ai pas vraiment l'impression qu'une fois ce projet de loi adopté à la hâte, le ministre de la Justice aura la volonté politique de réouvrir ce dossier.

À mesure que je me rends compte de la complexité des choses et des énormes intérêts en jeu, et que je m'aperçois de l'ampleur de l'industrie du droit de la famille, il me semble que ces problèmes devraient sans doute faire l'objet d'une enquête par une commission royale. Ce genre d'audiences ne commence même pas à avoir la capacité d'aborder la question. Je répète que cela est fondamentalement important pour l'avenir du pays.

Je suis intervenu à plusieurs reprises sur des questions constitutionnelles devant plusieurs comités du Sénat, de la Chambre des communes et des comités mixtes. Je suis intervenu sur les questions autochtones. Je prends la Constitution très au sérieux. Pourtant, en étudiant ce dossier à fond et en constatant l'importance des injustices, de la parodie de justice, de l'exploitation de nos enfants et de l'insensibilité avec laquelle on sacrifie leurs droits sur le champ de bataille que constitue, pour cette industrie, le droit de la famille, il me paraît évident que cette question est plus importante que la Constitution.

Elle va au coeur même de notre société, c'est-à-dire de l'usage que nous nous faisons de nous-mêmes sur le plan culturel et social. Cela met en cause nos relations les plus fondamentales; nos relations avec les provinces, les tribunaux; les relations fédérales-provinciales, les sociétés distinctes, les droits des Autochtones issus de traités. Tout cela est fondé sur ces relations profondes.

Je m'arrête. J'aimerais cependant faire deux ou trois recommandations précises concernant des amendements possibles.

La présidente: Que nous proposez-vous de faire de ce document?

M. Hall: Après notre séance de ce matin, j'ai entendu deux femmes du ministère de la Justice dire que l'on n'avait pas présenté d'amendements précis.

Nous devrions supprimer les articles 15.8 et 17.8. Les circonstances financières des deux parents doivent être prises en compte. Voilà l'exemple évident d'une situation tout à fait anormale. Cela donne l'impression que la situation d'une femme qui gagne au 6/49 et qui devient millionnaire ne sera pas bouleversée.

La présidente: Plutôt que d'abroger ces deux articles, vous proposez que nous les laissions intacts?

M. Hall: Oui. C'est une proposition précise.

Je propose également que l'âge de la majorité reste fixé à 16 ans. L'ajout du terme «poursuivre des études raisonnables» inquiète beaucoup de monde. Cela donne à penser que si un enfant poursuit des études postsecondaires ou postuniversitaires, il continuera de recevoir une pension alimentaire. Cette pension alimentaire pour enfants pourrait éventuellement continuer d'être versée jusqu'à ce qu'il ait 30 ou 40 ans.

Le sénateur Bosa: Jusqu'à 40 ans?

M. Hall: Les études universitaires peuvent se poursuivre éternellement.

Le sénateur Cools: Peut-être pourrais-je contribuer à cet article en particulier. Il y a tellement d'articles de ce projet de loi que nous n'avons pas examinés. Je suis heureuse que M. Hall ait attiré notre attention sur la définition de «enfant à charge». Je vous en remercie car nous ne l'avons pas du tout étudiée.

Dans la Loi sur le divorce, l'alinéa 2a) donne la définition suivante de «enfant à charge»:

a) il a moins de seize ans;

b) il a au moins seize ans et est à leur charge, sans pouvoir, pour cause de maladie ou d'invalidité ou pour toute autre cause, cesser d'être à leur charge ou subvenir à ses propres besoins;

À la page 2 du projet de loi C-41, en haut de la page, il est dit:

1.(2) Les alinéas a) et b) de la définition de «enfant à charge»... sont remplacés par ce qui suit...

Il y a toutes sortes d'articles merveilleux du projet de loi que nous n'avons pas encore étudiés. On dit ensuite:

a) il n'est pas majeur...

Nous sommes passés de la norme provinciale, qui est 16 ans, à ce mystérieux «majeur». À l'alinéa b) du projet de loi C-41, la formulation est presque la même, mais au lieu de 16 ans, on dit «majeur». Parmi les motifs qui interdisent de cesser de verser une pension, comme l'invalidité et la maladie, quelqu'un qui se croit très intelligent, a glissé subrepticement une clause appelée «études raisonnables». J'essaie de vous montrer comment quelqu'un a introduit cela subrepticement en pensant que la plupart d'entre nous ne le verrions pas.

Lorsqu'on dépasse un certain âge, on ne peut plus obtenir une pension alimentaire pour enfants. Ross Finnie s'attaque à cette question. Il a témoigné devant nous et je vous renvoie aux notes de bas de page du document du Caledon Institute of Social Policy intitulé «Good Idea, Bad Execution».

Il traite du programme gouvernemental des pensions alimentaires pour enfants. Plus précisément, il prétend que lorsqu'il est temps de consacrer de l'argent aux études postsecondaires, la pension alimentaire pour enfants n'est plus appropriée et que d'autres dispositions doivent être prises.

Il est intéressant de voir que cette phrase a été conservée dans cet article car en 1985-1986, le comité en avait beaucoup discuté. On a toujours pensé que la pension alimentaire pour enfants devait aller, en fait, aux enfants jusqu'à l'âge de 16 ans. Ensuite, il faudrait négocier d'autres arrangements.

Monsieur Hall, je vous suis reconnaissant d'avoir attiré l'attention du comité sur ce point.

M. Hall: Il me semble que cela soulèverait des questions constitutionnelles fondamentales. Bien entendu, les parents devraient essayer d'aider leurs enfants pour qu'ils puissent poursuivre leurs études aussi loin que possible, mais les parents mariés normaux -- si je puis dire -- ne sont pas obligés légalement de payer les études de leurs enfants après de l'âge de 18 ans, ou même de 16 ans. Pourquoi, une fois que les parents sont séparés et divorcés, des règles différentes devraient-elles s'appliquer?

On a là l'exemple parfait d'une cause susceptible d'être portée devant la Cour suprême, pour des raisons de discrimination.

Le sénateur Cools: Je voulais montrer aux sénateurs comment tout cela est manipulé. Essentiellement, l'article concerne les cas de maladie; les enfants atteints de spina-bifida. Des enfants qui, pour des raisons physiques très graves, ne peuvent pas subvenir à leurs besoins. Cela ne vise pas les jeunes gens sains qui vont suivre des études postsecondaires; pourtant, cela a été ajouté.

Le projet de loi est farci de «rajouts furtifs». Je suis en faveur d'un retour à l'actuelle Loi sur le divorce, qui est explicite dans ses définitions de «enfant à charge». Elles sont toutes aussi valables aujourd'hui qu'elles l'étaient il y a quelques années.

La présidente: Il faudra que nous le signalions au ministre jeudi, et demander aux responsables ce qu'ils entendent par «raisonnables».

M. Hall: Dans ce document intitulé «Ébauche -- Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants», vous avez attiré l'attention sur le fait que le parent n'ayant pas la garde est responsable des dépenses médicales ou de santé extraordinaires. Vous avez vu un rapport entre cette phrase de l'alinéa 4b) et la décision du juge Maloney selon laquelle le droit légal de consentir ou d'obtenir des services de counseling ou un traitement médical pour les enfants ne s'applique pas au principe du droit de visite du parent ou des parents.

C'est un des cas où le parent qui n'a pas la garde n'a pas son mot à dire sur le traitement médical de l'enfant alors que l'on s'attend à ce qu'il paie. C'est le genre de choses que l'on retrouve dans tout le projet de loi, à savoir que le parent n'ayant pas la garde ne contribue pas à la prise de décisions tout en étant financièrement responsable.

La présidente: Si vous lisez le préambule, le paragraphe 4(1) vise les dépenses ou une partie des dépenses que le tribunal juge appropriées. En cas d'exagération, il faut repasser devant un tribunal.

M. Hall: Mais si on s'attend à ce que vous payez la totalité ou une partie de ces dépenses, ne devriez-vous pas contribuer à décider de la nature de ces services médicaux?

La présidente: C'est ce que j'aurais pensé.

Le sénateur Cools: L'expression «n'ayant pas la garde» me chagrine. Le mot «garde» me chagrine beaucoup. Je parle à de nombreux parents qui n'ont pas la garde et qui ne peuvent pas obtenir les dossiers, les bulletins scolaires des enfants en âge scolaire, ni de renseignements sur leurs activités, ou sur ce que fait leur enfant à l'école. Ils n'ont pas vraiment droit à ce genre de choses. Quand il s'agit d'accorder la permission pour une opération chirurgicale ou des traitements médicaux d'urgence, ils ont d'énormes problèmes. Notre comité devrait peut-être soumettre des questions spécifiques au ministre ou à quelqu'un d'autre. Dans de telles circonstances, quels sont les droits de l'autre parent?

M. Hall: Bien entendu, l'autre question importante est celle des droits des enfants.

Le sénateur Cools: Question essentielle. Je pense que nous sommes convaincus pour ce qui est de la question des droits des enfants.

Le sénateur Forest: Je reconnais qu'il est préférable que les enfants aient deux parents. Nous avons eu deux divorces dans notre famille, et lorsque je vois comment les choses se sont passées et que j'entends ces histoires d'horreur à cette table, je pense que nous avons eu beaucoup de chance car la garde n'a pas posé de problème. Il n'y a pas eu non plus de problème de droits de visite et de pension alimentaire pour enfants. Dans un cas, il s'agissait d'une fille et dans l'autre d'un garçon. Je voulais que cela soit dit.

En travaillant pour les droits de la personne pendant de nombreuses années, j'ai appris à reconnaître l'importance des mots que nous utilisons. Nous nous sommes battus pour faire prévaloir le langage inclusif et toutes sortes d'autres choses qui éveillent une résonnance chez les gens. Vous avez parlé du sens péjoratif des expressions «garde», «ayant la garde» et «n'ayant pas la garde». Avez-vous des recommandations à cet égard?

M. Hall: J'aimerais proposer que l'on remplace le terme «parent ayant a la garde» par «parent à domicile».

Selon les sociologues et d'autres, il est préférable pour les enfants d'avoir un degré relatif de continuité dans leur vie, par exemple avoir leur propre chambre; cela me paraît très logique. Mais il me semble qu'à partir de là, nous pensons que le parent qui est dans ce domicile avec cet enfant va prendre toutes les décisions et sera essentiellement le seul parent. L'autre devient le non-parent, d'une certaine façon, car la relation est légalement éteinte. Pourrions-nous commencer à penser en termes de parent à domicile? On part du principe que dans la plupart des cas, après le divorce, la situation idéale est le partage de la responsabilité parentale.

Dans certains cas très graves, l'État pourrait avoir à prendre une décision. Toutefois, pourquoi en faire une pratique courante? Pourquoi devrait-il à chaque fois décider qui est le meilleur parent? La plupart des juges supposent que ce sera la mère.

Bien entendu, je suis aussi frappé par le fait que nous avons fait de nombreux progrès dans le milieu de travail; il reste toutefois encore beaucoup à faire. L'idée est de respecter davantage les autres au travail. Nous devons partager les avantages de bons salaires et le privilège des prises de décisions. Mais nous ne sommes pas allés aussi loin que nous le devrions à cet égard. Certains y travaillent.

On se retrouve ensuite dans cette situation et, d'un seul coup, c'est le retour au bon vieux temps. On présume que la mère joue le rôle d'une nourricière et le père celui de pourvoyeur. Il semble que la plupart des juges se laissent guider par cette façon d'appréhender la réalité. Bien entendu, si vous lisez le projet de loi, vous verrez que cela n'est pas spécifique à un sexe. Voyons ce qu'il en résulte.

La présidente: Proposez-vous que nous appelions le parent qui a la garde «parent à domicile»?

M. Hall: Je propose non seulement que l'on change le nom mais que l'on en modifie le concept.

La présidente: Si vous avez un parent à domicile qui s'occupe de vos enfants, comment allons-nous vous appeler?

M. Hall: «Parent» sera très bien. «Père» serait très bien aussi.

Le sénateur Forest: Mais vous ne pourriez pas l'appeler «sans domicile». En tant que catholique, je suis consciente de tous les non-catholiques qui sont ici... quelle façon terrible de décrire une personne.

Le sénateur Cools: Cela vient d'une période antérieure où il y avait des non-Juifs, des non-catholiques, les sans statut. C'est un terme profondément discriminatoire mais il signifie «non-propriétaire de l'enfant».

M. Hall: Vous avez perdu votre titre. Il est supprimé.

Le sénateur Cools: Je crois comprendre que vous n'avez pas nécessairement un terme à suggérer mais que la question du domicile ne rejoint pas nécessairement la question de la garde. Il me semble que vous dites que la garde et le domicile sont traités de façon inséparable.

Pour aller dans le sens d'argument, je rappellerai qu'il y a deux jours, lorsque les avocats du ministère ont témoigné, nous leur avons posé des questions sur la garde partagée. Ils nous ont répondu que l'on ne pouvait pas véritablement définir la garde partagée. Il semble que «garde» soit un terme très clair à définir lorsqu'elle appartient à l'un ou à l'autre, mais que la définition de «garde partagée» change selon les circonstances, selon l'entente conclue.

Nous comprenons bien votre argument car certains des pères qui ont comparu ce matin ont parlé de cas où l'un des parents avait la garde mais où l'enfant passait 40 ou 50 p. 100 de son temps avec l'autre parent.

Je ne sais pas vraiment comment faire, madame la présidente, mais peut-être pourrions-nous faire une recherche pour retrouver les textes où les termes sont utilisés. J'ai essayé de trouver le terme «parent n'ayant pas la garde» dans le projet de loi, mais je ne le trouve pas. Je trouve seulement le terme «garde» mais pas «n'ayant pas la garde». Je le trouve pourtant dans les lignes directrices. Vous avez peut-être raison.

M. Hall: Imaginez les enfants face à ce terme de «n'ayant pas la garde». Qu'entendent-ils lorsqu'on leur explique que le juge décide que papa est le parent n'ayant pas la garde, mais que maman est le parent?

Que se passe-t-il lorsque vous avez connu la violence et que vous essayez de convaincre vos enfants que vous ne les abandonnez pas, mais qu'au contraire, vous essayez de les aider? Pourtant, vous savez que le parent qui a la garde a été défini comme tel, et qu'il est chargé d'interpréter cette définition pour les enfants. Que pensent les enfants de leur père qui, la plupart du temps, a été désigné par le gouvernement comme celui qui n'a pas la garde?

La présidente: Si vous étiez un époux, d'après ce projet de loi, nous vous appellerions «l'ex-époux».

Le sénateur Bosa: Les enfants ont-ils besoin de connaître le sens du terme «parent n'ayant pas la garde» pour savoir que leur père n'habite pas avec eux?

M. Hall: Il ne peut pas venir à la maison non plus. Il peut venir uniquement pendant des périodes limitées.

Le sénateur Bosa: Proposez-vous que le terme «parent qui a la garde» soit remplacé par «parent à domicile»?

M. Hall: «Domicile» est défini dans le projet de loi comme étant le foyer légal de la personne. N'est-ce pas un terme beaucoup plus descriptif? Nous n'utilisons pas la langue des prisonniers.

Le sénateur Bosa: Je comprends le sens de domicile. Mais si vous parlez de «parent à domicile», cela pourrait aussi bien être le parent qui n'habite pas avec l'enfant. Le parent est domicilié quelque part. Cela ne veut pas dire que l'enfant, ou les enfants en question, vivent avec l'un ou l'autre. Il faudrait ajouter quelque chose pour donner tout son sens à ce terme.

Le sénateur Cools: Non, nous n'avons pas besoin d'ajouter quoi que ce soit. Ce qu'il faut, c'est que le ministère trouve un moyen d'exprimer, en langage juridique, le concept réel.

Le sénateur Bosa: Sénateur Cools, à votre avis, si le ministère y parvient, ce ne sera pas un ajout?

Le sénateur Cools: Sénateur, je ne pense pas que ces questions soient des ajouts. Le témoin nous communique des impressions et des suggestions. C'est notre travail de trouver la formulation législative appropriée...

Le sénateur Bosa: Je ne le condamne pas. Je ne fais que commenter les questions. Je vais simplement un peu plus loin.

Le sénateur Cools: Bien des couples en sont arrivés à des arrangements très satisfaisants. On utilise le terme «garde» pour signifier «domicile».

La présidente: «Garde» est déjà dans la loi.

Le sénateur Cools: «Garde» est dans la loi; «n'ayant pas la garde» ne l'est pas. Je vais vérifier à nouveau les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants afin de me rendre compte si le terme y est. Je l'ai parcouru rapidement et je ne l'ai pas vu.

À long terme, tout cela devra être déterminé dans des circonstances particulières. La loi peut servir de guide. En 1985 et en 1986, j'ai tenté de changer la présomption légale de responsabilité parentale partagée. Certains des nouveaux textes de loi de certains États américains abandonnent totalement le concept de garde, et ils adoptent des expressions comme «rôle parental».

Je ne pense pas que vous ayez beaucoup réfléchi à la formulation appropriée, et nous sommes là pour le faire. Le ministère de la Justice dispose de 1 200 avocats. Nous pouvons regrouper ses ressources pour trouver une bonne expression du concept.

Le sénateur Forest: Le sénateur Bosa faisait simplement remarquer que les deux parents pourraient être qualifiés de parents à domicile car ils occupent tous les deux un logement.

M. Hall: Mais la question concerne le logement des enfants.

Le sénateur Cools: Je pourrais peut-être poser au témoin davantage de questions sur la politique sociale. Dans votre présentation, vous avez parlé de la Convention des Nations Unies sur les droits des enfants.

M. Hall: Oui.

Le sénateur Cools: Je réfère les recherchistes du comité à ce document publié par Mark MacGuigan lorsqu'il était ministre de la Justice, il y a de nombreuses années. Comme ils ont été battus en 1984, ce document a probablement été produit en 1983 ou au début de 1984.

Le ministre de la Justice d'alors pensait qu'il ouvrait de nouvelles perspectives en matière de divorce. Dans le document, Mark MacGuigan abordait la question des droits des enfants. Un article tout entier leur est consacré. Le projet de loi C-41, d'une certaine façon, va en sens contraire; vers la disposition des droits des enfants.

À l'époque, en 1983 ou 1984, ces changements ont été apportés par M. MacGuigan; le projet de loi a ensuite été proposé par le nouveau ministre, M. John Crosbie, pour être finalement adopté en 1986. Le projet de loi C-41 tente d'en abroger de nombreux articles.

Une partie de document est intitulée «Le droit du divorce au Canada: propositions de changement». Une bonne partie de la documentation proposée par Mark MacGuigan s'appuyait sur le principe que le mariage est un partenariat équitable. Vous vous rappellerez peut-être que chaque province avait ouvert le dossier du droit de la famille; il s'agissait de confirmer l'égalité des responsabilités au sein du mariage. Bon nombre des principes qui figurent dans ce document découlaient directement du principe voulant que la qualité du mariage est liée au degré de partenariat. On ne faisait que transférer ces principes au contexte du divorce, en confirmant simultanément les droits de l'enfant.

Il est dit ici notamment que, compte tenu de l'impact du divorce sur les intérêts et le bien-être des enfants, la Loi sur le divorce doit faire en sorte que les droits des enfants sont protégés. Il n'est pas question de lignes directrices ni de règlements sur le divorce, mais de loi.

Le sénateur Bosa: Excusez-moi de vous interrompre. Ne devrions-nous pas continuer de poser les questions au témoin. Ensuite, si vous avez quelque chose à dire pour le compte rendu, nous pourrons peut-être en discuter entre nous.

Le sénateur Cools: Monsieur Bosa, je m'en remets à la présidente.

La présidente: Nous sommes ici pour entendre les préoccupations et les suggestions de M. Hall.

Le sénateur Cools: Je lui demandais de me dire pourquoi, à son avis, la politique sociale a évolué depuis l'époque de Mark MacGuigan et la Loi sur le divorce jusqu'à notre projet de loi C-41. C'est une question sociale importante. M. Hall est un théoricien social et je crois que la politique sociale est son domaine. Je suis un peu fatiguée de tout cela vous savez.

La présidente: Ne nous quittez pas, sénateur.

M. Hall: Sénateur, j'aimerais dire que...

La présidente: Sénateur, il s'adresse à vous.

Le sénateur Cools: Oui.

M. Hall: Lorsque vous vivez cette expérience, où trouvez-vous des experts dans ce domaine? Cela me fascine de voir que...

Le sénateur Cools: Je voulais qu'il soit dit, aux fins du compte rendu, qu'il commente...

M. Hall: Je vois que le sénateur Cools est la mémoire de ce Parlement, de l'autorité fédérale dans ce domaine. C'est une pionnière pour ce qui concerne un bon nombre de ces questions. J'ai été tout à fait fasciné d'apprendre, en tant qu'historien, l'historique de ces questions qui ont été soulevées dans d'autres contextes. Où pouvons-nous trouver des renseignements à ce sujet?

Le sénateur Cools: Ce n'est même pas de l'histoire. Il s'agit de la Loi actuelle sur le divorce; on nous demande d'en abroger des articles entiers. Ce n'est pas aussi historique que vous le pensez.

Le sénateur Bosa continue de m'interrompre et je trouve cela fatiguant. Puis-je continuer, madame la présidente?

La présidente: Oui.

Le sénateur Cools: Ce document contient ensuite une liste:

1) Dans la mesure du possible, un enfant doit accéder au maximum aux deux parents.

2) Les deux parents doivent partager la responsabilité du soin des enfants.

3) Le tribunal peut accorder la garde ou le droit de visite ... en particulier dans l'intérêt de l'enfant à avoir un accès maximal aux deux parents.

4) Avec l'autorisation du tribunal, quiconque manifeste un intérêt sincère pour l'enfant, comme un grand-parent, peut demander un droit de visite ou la garde de l'enfant.

5) Si le tribunal décide qu'une représentation est souhaitable ou nécessaire, un enfant doit se voir accorder une représentation indépendante devant le tribunal...

Ces thèmes sont repris maintes fois dans cet article intitulé «Les droits des enfants». Ces questions sont reprises en différents endroits.

En tant que théoricien social et en tant que personne qui, de toute évidence, analyse la politique sociale et sa conception, qu'est-il arrivé à la politique sociale de notre pays pour que nous passions de la Loi sur le divorce au projet de loi C-41? Avez-vous des observations à ce sujet? Cela constitue pour moi un énorme puzzle.

M. Hall: Je crois que nous avons permis l'émergence de stéréotypes. Dans les années 90, on avait tendance à préférer les slogans à l'analyse. Les gens aiment les explications simples. Ils aiment pouvoir généraliser et savoir qui est la victime et qui est le bourreau.

Selon moi, «féminisme» est un bon mot. J'aimerais me qualifier moi-même de «féministe». Je constate des inégalités énormes dans certains milieux de travail, mais il y a eu une branche du féminisme, dans un monde très complexe, qui a joui d'une influence démesurée pour donner des conseils au ministre de la Justice, à son ministère et aux juges.

Notre petit groupe se réunit à Lethbridge et les gens que vous avez vus ce matin se rencontrent là où ils habitent. Nos organisations ne sont pas reconnues par le fédéral. Elles sont issues des réalités de l'injustice.

Lorsque nous venons présenter nos petits exposés et montrer que nous essayons de payer notre pension alimentaire pour enfants et de faire ce que l'on attend de nous, nous faisons face à la situation suivante: lorsque nous arrivons ici, d'autres organisations, qui sont financées par le fédéral, qui ont du personnel, qui ont des porte-parole, qui ont l'oreille du ministre, sont déjà présentes. À mon avis, cela représente une iniquité.

Il y a également un phénomène sociologique. Les hommes sont socialisés de façon à penser qu'ils doivent pouvoir tout supporter et qu'appeler au secours n'est pas macho ni masculin.

Dans la société, soulever ces questions, parler de soi en tant qu'un homme battu, dire que l'on est frustré par l'expression «parent n'ayant pas la garde» et crier: «Je ne suis pas un parent n'ayant pas la garde; je suis un père» nous renvoie directement à toute la question de la socialisation et des stéréotypes généralisés qui touchent autant les hommes que les femmes.

Il est très intéressant d'assister à des réunions où les hommes et les grands-parents viennent raconter leurs terribles histoires. Mais, lorsque vous allez plus loin et que vous brandissez une pancarte ou que vous parlez de vos souffrances et des injustices que vous avez subies, les gens ont le sentiment qu'il s'agit de problèmes personnels que l'on ne devrait peut-être pas connaître dans votre communauté ou votre voisinage.

Il y a là un phénomène, qui imprègne la façon dont les hommes et les femmes sont socialisés et qui pousse les médias et la société à appliquer des stéréotypes à ces questions de pension alimentaire pour enfants, de garde d'enfant et de violence familiale. Je crois que le projet de loi C-41 est une manifestation de ces tendances fort déplorables de notre société qui nous affaiblissent et nous enlèvent notre capacité de faire face à nos problèmes très réels.

La présidente: Comme on l'a dit souvent, il ne faut pas toucher à ce qui va bien.

Le sénateur Cools: J'ai d'autres observations à faire si le sénateur Bosa promet de ne pas m'interrompre. Cela commence à me fatiguer.

Le projet de loi comporte des éléments tout à fait extraordinaires. Vous n'êtes peut-être pas la personne à qui poser ces questions. Connaissez-vous l'expression «indépendance judiciaire»?

M. Hall: Oui.

Le sénateur Cools: Et ce que l'on appelle la discrétion judiciaire? Ce projet de loi permet des choses tout à fait extraordinaires. C'est ce que nous appelons de la «législation par délégation» ou de la «législation subordonnée», c'est-à-dire des règlements. Ce projet de loi place des pouvoirs énormes entre les mains du gouverneur en conseil qui est chargé d'émettre des règlements.

Ces pouvoirs sont plus forts que d'habitude, mais la différence tient au fait que ces règlements sont en fait des lignes directrices. Ce ne sont pas du tout des règlements.

Avez-vous des idées là-dessus? Ce ne sont pas des règlements. Par règlements, on entend des règles, des procédures, des questions réglementaires et administratives. Ces lignes directrices sont des instructions destinées à aider le juge à prendre sa décision.

En ce qui me concerne, c'est la première fois que je vois le gouverneur en conseil utiliser des règlements pour donner des instructions à un juge sur la nature de ses décisions -- par opposition aux instructions sur la façon d'en arriver à une décision -- comme cela se fait dans les règles de procédure civile ou toutes autres règles du système.

Il s'agit d'une violation incroyable de l'indépendance judiciaire de la part du gouverneur en conseil. On dit au juge comment décider et on en est fier; on parle de limiter la discrétion judiciaire.

Très peu de gens s'en sont encore préoccupés. Avez-vous réfléchi à ce concept très nouveau qui consiste à influencer la décision des juges par le biais de règlements?

C'est une décision judiciaire que l'on demande au juge de rendre. Il doit décider ceci ou faire cela. Il ne s'agit pas de le guider; on lui dit quelles décisions il doit rendre.

M. Hall: Sénateur, mon instinct me dit de ne pas vous répondre longuement. Si je devais le faire, à titre d'analyste de la société, ma réflexion m'amènerait à tout ce dont j'ai parlé ce matin, c'est-à-dire le respect de la règle de droit et la relation entre le ministre de la Justice et cette règle de droit.

Sénateur, je suis d'accord avec vous sur le fait que le message transmis par le ministre de la Justice est consternant et laisse à penser que les choses ne vont pas du tout; que l'on ne comprend pas, ou même que l'on ne respecte pas cette relation délicate entre le Parlement et le système judiciaire.

Si je devais m'attaquer à ce sujet, j'aurais tendance à examiner toute une série de projets de loi et d'initiatives. Ne nous leurrons pas. Cette approche est maintenant utilisée pour envisager la plus grande question politique qui soit, l'avenir constitutionnel du Québec. Le genre de questions et de préoccupations qui sont soulevées ici sont potentiellement dangereusement explosives si on applique cette même approche à la situation très délicate du Québec.

Je vais en rester là, sénateur, mais j'apprécie votre analyse de ce sujet.

Le sénateur Cools: C'est certainement une question que je veux poser à quelqu'un.

La présidente: La personne à qui la poser est le ministre. Vous aurez sa réponse.

Il y a d'autres réunions de prévues. Nous avons accordé à ce témoin pas mal de temps par rapport aux autres. Je propose donc environ dix minutes de plus, c'est tout.

Le sénateur Cools: J'ai quelques autres questions à poser. Nous éprouvons beaucoup de répugnance envers ceux qui ne veulent pas soutenir leurs enfants. Cela ne fait aucun doute. Je vois que le sénateur Jessiman réagit.

Il y a quelque chose de répugnant chez des gens qui mettent des enfants au monde et ne veulent pas en prendre soin. Ce qui me préoccupe, c'est l'utilisation des pouvoirs fédéraux dans le cas des permis de navigation et des passeports. Nous sommes confrontés à des problèmes de plus en plus graves en ce qui concerne la règle de droit.

Plusieurs articles de ce projet de loi ont trait à la prérogative. Le ministre de la Justice exerce ses pouvoirs de deux façons: au moyen des lois et de ce que nous appelons la prérogative royale.

Avez-vous déjà réfléchi à l'utilisation généralisée de ce genre de pouvoirs et aux possibilités d'abus? Les vrais pères mauvais payeurs ne me posent pas de problème, mais tous ceux que je connais du danger d'utiliser ce genre de pouvoir pour faire rentrer les gens dans le rang. Les dommages risquent d'être considérables.

M. Hall: J'ai été frappé par l'importance que ce projet de loi accorde à l'accès à l'information et à l'accès aux bases de données. Cela m'a fait penser au débat qui se déroule actuellement en Ontario au sujet des renseignements personnels, de l'utilisation des factures des médecins dans le conflit qui les oppose au gouvernement de l'Ontario.

Lorsque je lis le projet de loi C-41, je vois qu'une bonne partie porte sur la promesse d'utiliser tous les moyens extraordinaires possibles pour obtenir toutes sortes d'informations. En revanche, les dispositions limitant la façon dont cette information sera utilisée sont bien minces.

À titre de professeur et de militant en faveur des droits des Autochtones, j'assiste à des réunions où je rencontre toutes sortes de gens, surtout des hommes. Ce sont des vendeurs de voiture, des menuisiers, des camionneurs et des dirigeants de petites entreprises. Lorsque je lis ce projet de loi, je pense à eux: ils ne peuvent pas payer leur pension alimentaire pour enfants, encore moins les factures de leur entreprise.

Le fait est que nous avons une économie très incertaine. Ce projet de loi contient des mesures coercitives et punitives. Je pense, par exemple, au propriétaire d'une petite entreprise qui perdra sa licence, qui ne pourra plus gagner d'argent et qui sera happé dans un cycle d'endettement toujours plus infernal.

Les termes essentiels de ce document sont «époux», «enfant à charge» et «débiteur». On ne sait trop comment, cet époux se transforme en parent n'ayant pas la garde et en débiteur. Cela traduit une indifférence certaine.

Il me semble qu'il y a quelque chose de profondément troublant dans la façon dont la paternité a été à ce point attaquée et caricaturée. Tant de pères essaient d'être de bons pères. Mais cela devient tellement pénible de faire face à tous les problèmes juridiques et à la police que, dans l'intérêt de leurs enfants, ils décident simplement qu'il est préférable de ne plus essayer de les voir.

Le sénateur Cools: C'est le résultat recherché.

M. Hall: Le sénateur fait là une déclaration qui va loin. Mais il y a quelque chose dans tout cela qui, à mon avis, amène à presque sanctifier les mères chefs de famille.

Il est lamentable de voir autant d'enfants dans notre société qui n'ont pas d'autres choix que d'être élevés par des familles monoparentales, surtout des familles gynoparentales, mais il y a également de nombreux enfants dans notre société qui ont deux parents qui les aiment et qui veulent les voir grandir, contribuer à leur développement et leur donner le soutien dont ils ont besoin, de la part de leur mère et de leur père.

Il semble y avoir un tel mépris pour cet aspect spirituel de la vie. La vie vient de deux forces: l'homme et la femme. Cela ne se produit pas seulement au moment de la conception. Cela contribue à une croissance et à une socialisation bien équilibrées pendant toute la vie.

Où est ce respect? Où est l'appréciation de cet équilibre, de cette harmonie, que la nature nous a donnés, et que nous en sommes arrivés à mépriser, semble-t-il?

La présidente: Les rédacteurs des projets de loi devraient peut-être recevoir une bonne leçon d'humanité afin de faire leur travail en gardant toujours la société à l'esprit.

Le sénateur Forest: Je suis certaine que ce projet de loi peut être amélioré, mais je ne suis pas prête à dire que ceux qui l'ont rédigé ont des préjugés et n'ont pas fait preuve d'impartialité.

La présidente: Ce n'est pas ce que je voulais dire, sénateur Forest.

Le sénateur Forest: Je ne parle pas de ce que vous avez dit. Je ne pense pas que c'était votre intention. Si le projet de loi doit être amélioré, c'est à nous de le faire.

J'ai de la sympathie pour vous, monsieur Hall, quand je vois tout ce que vous avez traversé. Nous avons entendu le témoignage d'un certain nombre de pères. Nous avons également entendu le témoignage des mères -- et de certains pères aussi -- qui font de leur mieux pour survivre en dessous du seuil de la pauvreté. Il faut un certain équilibre. L'enfant doit avoir la priorité.

Je suis bien d'accord, les deux parents doivent y travailler, car ils ont également une responsabilité en la matière. Certains couples réussissent à le faire. Je ne dis pas que c'est donné à tout le monde, mais certains y arrivent. Nous devons leur faciliter la tâche.

On nous a dit que l'on peut modifier les lignes directrices, ce qui est très dangereux. D'autres prétendent que ces dispositions ne devraient pas être incluses dans les règlements. Nous devons étudier la question. Mais nous ne devons pas prêter de mauvaises intentions aux gens.

Le sénateur Cools: Quelle est notre échéance pour ce projet de loi? Je suis d'accord avec le sénateur Forest: nous devons l'examiner sérieusement.

La présidente: Le gouvernement aimerait que le projet de loi soit adopté avant Noël.

Le sénateur Cools: Avant jeudi de cette semaine ou jeudi prochain?

La présidente: Le gouvernement décidera à partir de quand le Parlement sera en congé. Si le gouvernement souhaite que le projet de loi fasse l'objet d'un nouveau rapport, il y aura une motion à cet effet.

On ne rédige pas de projets de loi si l'on n'en voit pas le besoin. Le gouvernement a fait l'objet de nombreuses pressions pour régler la question des personnes qui ne paient pas leur pension alimentaire pour enfants. Le gouvernement est-il allé un peu trop loin avec ce projet de loi, cela reste à voir. Mais il est certain que le gouvernement a estimé qu'il y avait lieu de rédiger ce texte législatif.

Le sénateur Lavoie-Roux: Madame la présidente, on nous a dit que le gouvernement travaille sur ce projet de loi depuis cinq ans et, soudain, nous devons en finir en deux semaines. Nous ne devons pas retarder l'adoption d'un projet de loi qui améliorera les choses à moins d'avoir une bonne raison; mais je ne pense pas que les enfants, ni les parents d'ailleurs, pâtiront d'un examen plus approfondi du projet de loi et de son adoption en février par exemple. Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête.

L'examen de ce projet de loi ne va pas empêcher le gouvernement de fonctionner. Il vise les enfants et les familles, et je pense que nous devons faire rapport du meilleur projet de loi possible.

Le sénateur Cools: Absolument.

Le sénateur Lavoie-Roux: C'est ma principale préoccupation.

La présidente: Je suis d'accord avec vous, sénateur.

Merci beaucoup, monsieur Hall. Nous vous remercions de vos remarques et de vos préoccupations.

Le sénateur Lavoie-Roux: Au début, vous avez attiré notre attention sur le fait qu'en anglais, on parle des enfants issus du mariage plutôt que de leurs parents et que les termes simples que nous utilisions autrefois disparaissent.

Cela n'est-il pas lié à l'évolution, bonne ou mauvaise, de notre société? Les générations plus jeunes que la nôtre n'attachent pas autant d'importance aux mots «parent», «époux» et «mariage».

Madame la présidente, vous vous rappellerez que lorsque nous travaillions sur le dossier de l'euthanasie, on parlait en anglais de «partner» et de «conjoint» en français. J'avais dit alors que les mots «mari», «femme» et «époux» existaient encore. On a finalement accepté de remplacer le mot «conjoint» pour «époux».

Il me semble que nous abandonnons tous ces mots parce qu'ils se rapportent à des concepts ou des valeurs vieux jeu. Je pense que c'est une des raisons du changement de vocabulaire.

Qu'en pensez-vous, monsieur Hall?

M. Hall: Je suis en faveur d'un langage clair. Nous devrions conserver le mot. Il s'agit d'employer le mot «parent». «Parent» est un mot clair et simple. Il n'apparaît pas dans le projet de loi C-41. Il se pourrait que l'incorporation de ce mot soulève de nombreuses questions. Je soupçonne les rédacteurs de ce projet de loi de ne pas vouloir que ces questions soient traitées.

Lorsqu'on parle des bonnes intentions des rédacteurs, je suis prêt à donner aux gens le bénéfice du doute, mais lorsque je constate que le mot «parent» ne figure pas dans le projet de loi, j'ai le même sentiment que vous à propos du mot «conjoint» que l'on devrait continuer d'appeler «époux». Pourquoi ne pouvons-nous pas utiliser le mot «parent»? Quand l'utilisons-nous? Vous dites que cela ne fonctionne pas en français.

Le sénateur Lavoie-Roux: Cela mène à une expression bizarre.

M. Hall: Je ne m'en prends pas particulièrement à la langue moderne. Je veux simplement que les mots «mère», «père» et «parent» soient utilisés clairement pour ce qu'ils sont et qu'on ne les contourne pas pour utiliser des mots ambigus qui permettent d'éviter ces questions.

La présidente: Merci. Je rappelle au comité que nous nous réunissons à nouveau demain à 15 h 15.

La séance est levée.


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