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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 25 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 26 novembre 1998

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 h 07 pour examiner l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada, et plus particulièrement l'effet des subventions internationales sur le revenu agricole.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, avant que nous entendions nos témoins de ce matin, nous avons une question à régler au sujet du budget du Sous-comité de la forêt boréale.

Sénatrice Spivak, voulez-vous nous en parler s'il vous plaît?

Le sénateur Spivak: Je serai brève. Presque tous les spécialistes que le sous-comité a entendus nous ont parlé de la Suède et de la Finlande, et des progrès que ces pays avaient réalisés dans la gestion de leurs forêts. C'est pourquoi nous avons pensé qu'il serait utile de nous rendre là-bas. Nous essayons donc de combiner ce voyage avec la mission commerciale du comité; autrement dit, après la mission, nous ferions un détour par ces deux pays. C'est la raison d'être de cette proposition budgétaire.

Cela dit, monsieur le président, à moins qu'il y ait des questions sur cet aspect-là, je suis prête à proposer l'approbation de ce budget.

Le président: Voulez-vous présenter la motion, s'il vous plaît?

Le sénateur Spivak: Je propose l'approbation du budget.

Le président: Est-ce que nous sommes tous d'accord, honorables sénateurs? Est-ce qu'il y en a parmi vous qui sont contre? La motion est adoptée.

Honorables sénateurs, pour en revenir à l'objet principal de notre séance de ce matin, à savoir l'étude de l'effet des subventions internationales sur le revenu agricole, je veux d'abord souhaiter la bienvenue à nos deux témoins du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire: M. Michael Gifford, qui est directeur général de la Direction des politiques de commerce international, et M. Steve Verheul, qui est directeur adjoint au commerce bilatéral (Canada-États-Unis), à la Division des politiques de commerce de l'hémisphère occidental de la Direction des politiques de commerce international.

Nous avons également avec nous, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, M. Jean Saint-Jacques, qui est directeur de la Direction des recours commerciaux, et M. Garry Moore, qui est conseiller principal en relations de commerce à la Direction de l'Union européenne.

Autrement dit, sénateurs, nous avons ici des spécialistes des questions commerciales et des subventions.

Messieurs, nous sommes très heureux de vous recevoir ce matin parce qu'une bonne partie de nos travaux ont porté jusqu'ici sur les pratiques commerciales à l'étranger, tant aux États-Unis que dans le Marché commun européen. Nous avons hâte d'entendre vos avis sur ces questions. On m'a dit que vous feriez une déclaration préliminaire, après quoi nous pourrons vous poser nos questions.

M. Michael N. Gifford, directeur général, Direction des politiques de commerce international, Agriculture et Agroalimentaire Canada: Je vais commencer, après quoi mon collègue des Affaires étrangères et du Commerce international, M. Saint-Jacques, pourra compléter mes propos.

Premièrement, je tiens à souligner que les liens commerciaux que nous entretenons avec l'Europe dans le domaine de l'agriculture sont presque aussi complexes que nos rapports avec les États-Unis. L'Union européenne est non seulement un gros exportateur de produits agricoles -- le deuxième au monde après les États-Unis --, mais elle demeure également le plus gros importateur de produits agricoles au monde. C'est aussi un important concurrent du Canada sur les marchés du tiers monde. En outre, c'est notre deuxième fournisseur sur notre propre marché, après les États-Unis, et notre deuxième marché d'exportation de produits agricoles, toujours après les États-Unis. Donc nous avons une relation très complexe avec les pays de l'Union européenne.

Nous avons eu dans le passé un certain nombre de différends commerciaux avec les Européens. À l'heure actuelle, notre principal sujet de discorde, c'est le système européen de réglementation des produits transgéniques; il est tellement lent et il est devenu tellement politisé que cela nous cause de sérieux problèmes sur le plan commercial, en ce sens que nous ne pouvons plus vendre notre canola en Europe. En gros, le système est tellement engorgé en Europe que nous sommes incapables de faire approuver notre canola amélioré génétiquement.

Il y a également plusieurs autres dossiers en suspens en ce qui concerne la pénétration de nos produits sur les marchés européens. Nous voudrions par exemple augmenter les ventes de vins canadiens en Europe, et nous sommes en train de négocier des accords bilatéraux à ce sujet-là.

Nous attendons le rapport d'un groupe spécial de l'OMC sur les hormones servant à la production bovine, c'est-à-dire sur l'interdiction décrétée par les Européens au sujet des importations de boeuf engraissé aux hormones de croissance, ce qui interdit à toutes fins utiles au Canada et aux États-Unis d'exporter leur boeuf là-bas. Il y a aussi un certain nombre de producteurs agricoles canadiens qui sont très inquiets des effets des programmes de subventions européens sur nos débouchés dans le tiers monde.

Par exemple, les producteurs d'avoine canadiens sont préoccupés par les subventions versées pour l'exportation d'avoine européenne aux États-Unis, où elle sert surtout à l'industrie des courses de chevaux. Et les entreprises canadiennes de déshydratation de la luzerne sont très inquiètes de l'émergence de surplus structurels de luzerne déshydratée en Europe. Les Européens vendent maintenant ce produit au niveau international, ce qui fait baisser les prix sur le marché japonais, notamment.

En bref, nous avons un certain nombre de problèmes qui découlent en réalité des politiques agricoles appliquées par les pays de l'Union européenne au fil des années. Quand les six premiers membres de l'Union européenne se sont regroupés à la fin des années 50, l'Europe était un importateur net d'à peu près tous les produits agricoles imaginables. Mais aujourd'hui, c'est un exportateur net d'à peu près tous les produits agricoles imaginables, du moins les produits des régions tempérées. Si les pays européens ont pu passer du statut d'importateurs nets à celui d'exportateurs nets, c'est parce qu'ils ont réussi à maintenir des prix très élevés grâce à diverses mesures de soutien et de protection aux frontières. Et, quand ils réalisent des surplus, ils peuvent généralement les écouler sur le marché international grâce à des subventions à l'exportation.

Avec le temps, depuis la mise en place du système au début des années 60, les Européens eux-mêmes ont fini par admettre qu'il fallait modifier la Politique agricole commune, la PAC, qui avait été adoptée essentiellement pour répondre aux besoins de l'après-guerre; la disette et le rationnement que les Européens ont connus pendant et après la Seconde Guerre mondiale ont fait place à une situation dans laquelle leurs politiques agricoles entraînent d'importants surplus structurels, de même que des problèmes majeurs avec leurs partenaires commerciaux. La réforme de la PAC est maintenant essentielle.

La première réforme importante a été apportée par M. MacSharry, au beau milieu des négociations de l'Uruguay Round. M. MacSharry, qui était à l'époque Commissaire européen pour l'agriculture, s'était rendu compte qu'il serait à peu près impossible de conclure les négociations de l'Uruguay Round tant que les Européens n'auraient pas modifié substantiellement leur régime de production céréalière. Par conséquent, en 1992-1993, les Européens ont abandonné pour la première fois leurs mesures de soutien des prix en faveur d'un système d'indemnisation partielle sous forme de paiements directs. C'est ainsi qu'ils ont réduit leur prix d'intervention dans le cas du blé et qu'ils ont indemnisé les producteurs en leur versant directement un revenu d'appoint.

Quant M. Fischler, l'actuel commissaire pour l'agriculture, a été nommé à ce poste il y a plusieurs années, il a commencé par dire pendant les six premiers mois que les modifications apportées par M. MacSharry étaient suffisantes et qu'il n'était pas nécessaire de modifier davantage la Politique agricole commune. Mais, après un an environ, il est devenu le plus ardent défenseur de la réforme de cette politique. Il a présenté en ce sens des propositions qui pourraient avoir des conséquences très importantes; les États membres vont les analyser et en discuter, et devraient en arriver à une conclusion d'ici le printemps.

Ce que M. Fischler propose aux 15 ministres de l'Agriculture, en quelques mots, c'est que le processus de réforme enclenché par M. MacSharry se poursuive, mais que les pays européens continuent en même temps de réduire leurs prix planchers pour les céréales, les produits laitiers et le boeuf, et d'indemniser les producteurs en leur versant des paiements directs.

D'après ce que nous pouvons voir, les propositions sur les céréales semblent avoir été assez bien accueillies en Europe. La France, par exemple, paraît très favorable à ces propositions de réforme sur les céréales, mais certaines autres propositions, en particulier celles qui portent sur le boeuf et les produits laitiers, n'ont pas suscité le même enthousiasme; en fait, elles ont été beaucoup critiquées, surtout par les leaders des milieux agricoles européens.

M. Fischler a cité deux raisons justifiant une réforme plus poussée de la Politique agricole commune. Premièrement, si l'Union européenne s'étend aux pays de l'Est -- et les négociations à ce sujet-là viennent de commencer ou sont déjà en cours --, elle comptera alors parmi ses membres des pays comme la Hongrie et la Pologne, qui présentent un énorme potentiel agricole. Il ne sera tout simplement plus possible alors de maintenir la Politique agricole commune telle qu'elle est structurée en ce moment. En gros, les mesures de soutien des prix vont devoir être réduites. Si l'Union européenne se contente d'ajouter les pays d'Europe de l'Est à ses 15 membres actuels, les problèmes qu'elle connaît aujourd'hui vont tout simplement se compliquer de plus en plus.

C'est la première raison invoquée par M. Fischler pour justifier une nouvelle réforme de la Politique agricole commune.

La deuxième raison, c'est la prochaine ronde de négociations de l'OMC. M. Fischler a dit: «Pendant la dernière ronde, nous nous sommes placés sur la défensive dès le départ, et nous sommes restés sur la défensive tout au long des négociations même si nous sommes le deuxième exportateur de produits agricoles au monde. Nous avons dû accepter des sanctions à cause de nos subventions aux exportations. Pour la prochaine ronde, nous devons adopter une position de négociation plus énergique, et la seule façon d'y arriver, c'est de continuer à modifier la Politique agricole commune.»

La communauté internationale se dirige vers des réductions de plus en plus marquées des subventions à l'exportation. C'est bien simple: la Politique agricole commune, telle qu'elle existe actuellement, ne peut pas survivre à de nouvelles baisses des subventions à l'exportation. Ce qui se passe en gros, monsieur le président, c'est que la Commission de l'Union européenne -- et plus précisément le Commissaire pour l'agriculture, M. Fischler -- a présenté des propositions très détaillées sur les nouvelles modifications à apporter à la PAC. Ces propositions devraient faire l'objet de discussions et déboucher sur quelque chose de précis au printemps 1999.

M. Fischler voudrait que sa réforme soit réalisée avant le début des négociations de l'OMC, à la fin de 1999, mais il y a des États membres, dont la France, qui disent: «Pourquoi ne pas attendre de voir ce qui se passera à l'OMC avant de décider s'il faut apporter de nouvelles modifications à la Politique agricole commune? Pourquoi faut-il le faire à l'avance? Est-ce que nous n'allons pas finir par payer deux fois?»

Voilà donc quelques-uns des sujets de réflexion actuels des Européens.

Pour conclure, monsieur le président, en ce qui a trait à l'OMC, il est clair que l'Union européenne est une superpuissance économique sur le plan du commerce agricole. Comme je l'ai déjà dit, les États-Unis sont le premier exportateur au monde, et le deuxième importateur. L'Union européenne est le premier importateur et le deuxième exportateur dans ce domaine. Par conséquent, la position que ces deux parties adopteront va influencer considérablement le résultat de la prochaine ronde de négociations à l'OMC.

Les Européens savent très bien que le reste du monde tient beaucoup à s'assurer un meilleur accès à leur marché, qui demeure extrêmement bien protégé. Il est certain que la plupart des autres pays vont faire des pressions dans le sens de la suppression graduelle et, pour finir, de l'interdiction des subventions à l'exportation.

Pour ce qui est des subventions intérieures, nous avons vu au cours des transactions de dernière minute entre les Européens et les Américains, dans le cadre de l'Uruguay Round, que l'approche des «feux de circulation» était un élément crucial de la réduction des mesures de soutien intérieures. Les subventions qui ne semblent pas fausser les échanges commerciaux étaient classées dans la «boîte verte» et n'avaient pas à être réduites; celles qui ont un effet de distorsion allaient dans la «boîte jaune» et devaient être réduites. Pendant les derniers jours de l'Uruguay Round, les Européens et les Américains ont concocté une espèce d'hybride de ces deux catégories; c'est ce qu'on a baptisé la «boîte bleue», et voici en gros ce que le Commissaire européen pour l'agriculture, M. MacSharry, en disait à l'époque: «Si je dois accepter de réduire mes subventions à l'exportation pour la première fois, et si je dois convertir mes prélèvements variables sur les importations en tarifs fixes, je dois pouvoir indemniser mes producteurs par des paiements directs de soutien du revenu.»

La méthode que les Européens ont choisie pour cette indemnisation, bien qu'elle ait moins d'effet de distorsion que le système qu'elle a remplacé, n'était pas parfaitement «verte»; ce que les Européens ont maintenant, pour leurs subventions intérieures, se classe dans ce qu'on a appelé la «boîte bleue».

Monsieur le président, nous nous attendons à ce que la prochaine ronde de négociations porte essentiellement sur trois grands points: de nouvelles réductions des obstacles à l'importation, de nouvelles réductions des subventions à l'exportation -- et, si possible, leur suppression complète -- et de nouvelles réductions des subventions qui faussent les échanges commerciaux.

En conclusion, monsieur le président, il y a eu tout un débat des deux côtés de l'Atlantique pour savoir qui subventionnait le plus ses producteurs; le problème, c'est que dans certains pays, les mesures de soutien comportaient surtout des paiements gouvernementaux, des paiements directs de soutien du revenu ou des paiements d'appoint, tandis que dans d'autres, il s'agissait surtout de ce que nous appelons des mesures de soutien des prix du marché, c'est-à-dire des programmes d'offres d'achat et de maintien de prix intérieurs élevés, soutenus essentiellement par des mesures de protection touchant les importations. Donc, nous avons toujours comparé des pommes avec des oranges.

En plein milieu de l'Uruguay Round, ou juste avant le début des pourparlers, l'OCDE à Paris avait mis au point une technique permettant de mesurer à la fois le soutien monétaire et le soutien offert par le biais des prix; c'est ce qu'on appelle l'équivalent subvention à la production, par lequel on tente de mesurer la valeur que représente, pour le producteur, le soutien gouvernemental à l'agriculture. C'est un outil de mesure qui existe déjà; personne ne prétend que c'est une science exacte, mais c'est le seul moyen que nous ayons. Quand on examine les chiffres à cet égard, on se rend compte que, en moyenne, dans les pays de l'OCDE, le soutien à l'agriculture est de l'ordre de 30 p. 100; en Europe, il se situe dans les 40 p. 100, et au Canada et aux États-Unis, il est un peu inférieur à 20 p. 100. Je vais vous fournir les chiffres plus tard, monsieur le président, en me servant des données de 1997 comme exemple. On peut donc dire que le soutien à l'agriculture, en 1997, était à peu près deux fois plus important en Europe qu'en Amérique du Nord. La réalité, c'est que certaines mesures de soutien visant l'agriculture en Europe ont favorisé une surproduction massive.

Les retombées de ce soutien se sont fait sentir surtout au niveau des immobilisations, c'est-à-dire des terres; quand on regarde les prix des terres dans le bassin parisien ou dans la région d'East Anglia, au Royaume-Uni, on constate qu'ils sont horriblement élevés; ils peuvent atteindre jusqu'à 7 000 $, 8 000 $, 9 000 $ ou 10 000 $ l'acre. Cela montre que les producteurs ont fait monter la valeur des terres parce que, depuis l'après-guerre, l'agriculture est extrêmement bien soutenue en Europe.

M. Jean Saint-Jacques, directeur, Direction des recours commerciaux, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Pour faire suite à ce qu'a dit M. Gifford, les négociations commerciales multilatérales ont permis de faire d'importants progrès en agriculture, de même qu'en ce qui concerne les recours commerciaux et -- ce qui intéressera tout particulièrement le comité -- les subventions et les mesures compensatoires. Pour la première fois, nous nous sommes entendus sur la définition des subventions et nous avons amélioré sensiblement, au cours des négociations, les règles relatives aux mesures touchant les droits compensateurs. Pendant la prochaine ronde, nous comptons certainement y apporter d'autres améliorations.

Nous avons à la fois ce que j'appelle des intérêts offensifs et des intérêts défensifs. L'industrie canadienne est un grand utilisateur de recours commerciaux, et c'est pourquoi nous voulons nous assurer que notre accès aux marchés étrangers n'est pas limité par un usage immodéré des lois sur les recours commerciaux. Nous voulons aussi améliorer le système commercial global de l'Organisation mondiale du commerce en examinant les définitions des subventions et en essayant d'améliorer le contexte général.

Pour nous préparer à la prochaine ronde, nous en sommes actuellement à l'étape des délibérations internes visant à définir nos objectifs et nos positions de négociation. Nous tiendrons ensuite des consultations avec les intéressés et les provinces, après quoi nous espérons pouvoir élaborer une stratégie de négociation globale au sujet des recours commerciaux.

Naturellement, nous serons constamment en contact avec nos collègues d'Agriculture et Agroalimentaire Canada pour nous assurer que l'intégration des divers types d'ententes représente et reflète les intérêts des producteurs et exportateurs canadiens.

Le président: Vous avez mentionné l'Organisation mondiale du commerce. Quand les rencontres vont-elles commencer? Quel est le calendrier prévu?

M. Gifford: Il y aura une rencontre ministérielle du 30 novembre au 3 décembre 1999, et il est déjà entendu que les négociations vont porter d'abord sur l'agriculture et les services. La grande question que les ministres devront régler à l'automne prochain, c'est celle des autres dossiers sur lesquels porteront les pourparlers, par exemple les mesures tarifaires industrielles et les règles générales relatives aux subventions et aux mesures compensatoires pour ce qui touche l'antidumping.

Ce sont les ministres qui devront décider, mais l'Uruguay Round avait ceci de particulier que l'accord sur l'agriculture prévoyait déjà que les négociations reprendraient à la fin de 1999. La rencontre ministérielle aura lieu aux États-Unis et, d'ici la fin de l'an prochain, les ministres vont confier à leurs négociateurs le mandat d'entamer les discussions sur l'agriculture.

Le président: Au Canada, nous tenons beaucoup à respecter le GATT; il me semble que nous avons trop essayé de nous faire le gardien de ces règles, comparativement à ce que d'autres pays ont fait. Comment les Américains s'y sont-ils pris pour les 6,7 milliards de dollars qu'ils ont déboursés? Est-ce qu'ils ont respecté le GATT, à votre avis? Comment expliquez-vous cela?

M. Gifford: Comme je l'ai dit tout à l'heure, il avait été décidé pendant l'Uruguay Round que les mesures de soutien qui ne faussent pas les échanges, celles de ce qu'on a appelé la «boîte verte», ne devaient pas être passibles de droits compensateurs. Quant au soutien que chaque pays veut accorder dans cette catégorie, c'est une question de politique intérieure; chaque gouvernement doit décider combien il est prêt à verser à son secteur rural, mais la communauté internationale s'est entendue pour dire que certaines formes de soutien à l'agriculture ont un effet de distorsion sur le commerce et devraient faire l'objet d'objectifs de réduction. Ce soutien n'a pas été identifié par produit; tout est aggloméré. Donc, il y a un engagement général à réduire les mesures de soutien faussant les échanges de 20 p. 100 en six ans, par rapport aux niveaux records du milieu des années 80, et c'est là qu'est le problème.

Les niveaux de soutien étaient en effet tellement élevés au milieu des années 80 que même une réduction de 20 p. 100 ne correspond pas à une baisse réelle dans le contexte actuel parce que, même avec les récentes subventions américaines, tous les grands pays sont encore bien en deçà du niveau critique.

Par exemple, dans le cas du Canada, nos mesures de soutien étaient à peu près de l'ordre de 5 milliards de dollars au milieu des années 80. Nous étions censés les réduire de 20 p. 100, pour les abaisser à environ 4 milliards, mais quand on additionne le soutien que versent actuellement les gouvernements fédéral et provinciaux à l'agriculture, on n'obtient que quelque 2 millions de dollars au total. Et c'est exactement la même chose pour les Européens et les Américains.

En théorie, ils respectent les engagements pris dans le cadre des négociations de l'OMC, mais je répète, monsieur le président, que dans le cas des mesures de soutien que nous qualifions de «vertes», c'est-à-dire celles qui n'ont pas d'effet de distorsion sur le commerce, il est très difficile de convaincre les gens à Genève ou -- ce qui est encore plus important -- les gouvernements des différentes capitales que le niveau de soutien qu'ils accordent à leur secteur rural concerne la communauté internationale, dans la mesure où ce soutien ne fausse pas les échanges commerciaux.

Les producteurs de la Saskatchewan ne se soucient pas de savoir si le soutien dont ils bénéficient est rose, violet ou vert; ils savent seulement que leurs collègues de l'autre côté de la frontière obtiennent cinq ou six fois plus d'aide du gouvernement américain qu'ils n'en reçoivent eux-mêmes du gouvernement canadien, et que c'est injuste. C'est le dilemme que les gouvernements vont devoir résoudre quand ils vont reprendre les négociations sur les subventions intérieures à la fin de l'an prochain.

Le président: C'est justement ce que je voulais faire remarquer. Je suis allé moi-même aux États-Unis et j'ai parlé à des fermiers qui avaient reçu leur paiement. Les producteurs du Dakota du Nord ont touché environ 700 millions de dollars. Il s'agissait en réalité de ce que j'appellerais un paiement à l'acre, d'après ce que ces agriculteurs m'ont dit. Je leur ai demandé comment ils avaient obtenu ça. Et ils m'ont répondu que c'était calculé selon une moyenne à long terme, sur 20 ans, pour chaque agriculteur. Un des fermiers à qui j'ai parlé m'a dit que sa moyenne était de 24 boisseaux de blé et de durum, et qu'il avait obtenu un paiement à l'acre à partir de ça, selon une formule fixe.

Mais si je soulève la question ici -- ce que j'ai fait --, on me dit que ça n'a rien à voir avec le GATT et que c'est une mesure spéciale. Pourquoi est-ce une mesure spéciale pour le Canada, et pas pour les États-Unis? C'est la question que je me pose. Quand on regarde les chiffres cités dans le rapport, dans le document, on voit que le ministre parle d'environ 400 millions de dollars. Si on répartit cette somme entre la moitié des agriculteurs du Canada, ceux qui ont des problèmes dans les domaines de la production de porc ou de céréales par exemple, si on la divise entre 100 000 agriculteurs, donc, on obtient un paiement de 4 000 $ par agriculteur. On ne va pas très loin avec ça.

Et puis, exactement comme vous l'avez dit, les agriculteurs de la Saskatchewan, du Manitoba et de l'Alberta comparent leur situation avec celle de leurs collègues de l'autre côté de la frontière. On dirait que nous avons réussi à défendre les Américains mieux que nos propres agriculteurs.

M. Gifford: Monsieur le président, je ne veux pas me mêler de la politique intérieure sur le soutien du revenu parce que ce n'est pas du tout mon domaine; comme vous le savez, M. Vanclief va présenter aujourd'hui au Cabinet un programme de soutien du revenu des agriculteurs sinistrés. Je voudrais simplement vous dire que la conception de ce programme est évidemment cruciale. Quand les gouvernements fournissent des mesures de soutien d'urgence, est-ce qu'ils le font dans le cadre de programmes généraux, de sorte que tous les fermiers puissent recevoir de l'aide quelle que soit leur situation financière personnelle, ou est-ce qu'ils ciblent cette aide pour qu'elle aille à ceux qui en ont le plus besoin et pour que ceux qui n'en ont pas autant besoin en reçoivent moins?

Bien franchement, monsieur le président, il me semble -- et je pense que la plupart des observateurs sont du même avis -- que le programme américain de soutien du revenu agricole, qui a été mis en place à la hâte juste avant les élections et qui repose surtout sur des considérations politiques, n'en reste pas moins extrêmement bien pensé. Cela dit, l'administration pressait le Congrès de faire quelque chose d'encore pire, c'est-à-dire de commencer à jouer avec les taux d'intérêt sur les prêts, ce qui aurait été encore plus désastreux du point de vue du Canada; mais le Congrès a décidé en définitive de conserver l'important programme de soutien du revenu agricole et de l'améliorer.

Encore une fois, monsieur le président, ce qu'il est essentiel de mentionner, c'est que ni les États-Unis ni les pays de l'Union européenne ne violent les engagements qu'ils ont pris devant l'OMC au sujet des réductions. Le soutien que chaque pays accorde à son secteur rural par la voie de mesures qui n'ont pas d'effet de distorsion sur le commerce est une question de politique intérieure, qui n'a rien à voir avec les décisions prises à Genève.

Le président: Donc, en ce qui concerne les subventions de la «boîte verte», le Canada a une marge de manoeuvre d'environ deux milliards de dollars.

M. Gifford: C'est exact.

Le président: Vous avez mentionné les variétés de canola améliorées génétiquement, et vous avez dit qu'elles n'étaient pas acceptées sur le marché de l'Union européenne à cause de ce qui se passe au Canada dans le domaine des améliorations génétiques. Mais le canola a été une bouée de sauvetage pour les agriculteurs de l'Ouest, ou du moins pour beaucoup d'entre eux.

Le marché a été incroyablement fort, malgré les baisses de prix de certaines autres céréales. Encore là, les compagnies s'intéressent de plus en plus aux améliorations génétiques. En fait, nous avons déjà le «Roundup». Je viens d'en faire l'essai sur ma propre ferme, et je me demande si les progrès technologiques que nous accomplissons dans ces domaines-là ne vont pas à l'encontre de nos intérêts commerciaux. Je veux parler de la diminution des superficies agricoles, ce que vous comprenez sûrement, et de ce qui se passe actuellement dans l'industrie du canola.

M. Gifford: Je pense que le problème, à l'heure actuelle, c'est qu'il y a un écart important entre l'Amérique du Nord et l'Europe en ce qui concerne la rapidité du processus de certification réglementaire. Tous les produits transgéniques mis au point en Amérique du Nord font l'objet de tests exhaustifs avant que leur reproduction soit autorisée sur notre continent. Le problème, c'est que les Européens ont été tellement échaudés par l'épisode de l'ESB que, bien franchement, la crédibilité de leurs scientifiques et de la science en général en a pris un coup. L'ensemble du processus de certification réglementaire est devenu tellement politisé que, même si la Commission européenne a en théorie un processus de certification, en réalité, ses États membres n'en tiennent pas compte ou s'y opposent à cause de perceptions qui ont plus à voir avec les préférences sociales qu'avec les sciences. La conséquence de cet état de choses, c'est que nous n'avons pas pu vendre de canola en Europe au cours des deux dernières campagnes agricoles.

Toutes choses étant égales par ailleurs, l'Europe a accès au canola en franchise, mais comme elle est elle-même un producteur majeur, nous ne sommes au mieux qu'un fournisseur d'appoint. Même quand il n'y a pas de problème, les quantités que nous exportons en une année dépendent beaucoup du volume des récoltes européennes de canola. Cela dit, nous avons déjà exporté là-bas jusqu'à 450 millions de dollars de canola. Heureusement, nos principaux marchés pour le canola et l'huile de canola sont le Japon, les États-Unis et, de plus en plus, les autres pays d'Asie. Nous ne réussissons pas à faire approuver en Europe les variétés de canola que nous cultivons aujourd'hui, et plus de 50 p. 100 de la production canadienne de canola va être cultivée avec des produits améliorés génétiquement. Cela commence à poser un problème.

Le cas de la graine de lin est un exemple classique de la situation que vous avez évoquée. Des scientifiques de l'Université de la Saskatchewan ont mis au point une variété transgénique de lin. Or, à peu près toute notre production de graine de lin est exportée en Europe. Quelqu'un s'est rendu compte que nous pouvions mettre ce produit sur le marché canadien, mais qu'il n'était pas encore approuvé pour l'Europe et que, si nous adoptions les variétés transgéniques, nous ne pourrions pas vendre nos récoltes. Le processus a donc été interrompu.

Ce n'est qu'un exemple des problèmes que nous allons connaître de plus en plus souvent parce que les scientifiques, plutôt que de mettre au point cinq variétés par année, vont en mettre au point 50, puis 500, et ensuite 5 000. Comme je l'ai déjà dit, le processus de certification en Europe ne semble tout simplement pas capable pour le moment de suivre le rythme des progrès accomplis à cet égard.

Le sénateur Hays: J'aimerais en savoir un peu plus long sur vos objectifs. Je pense les connaître à peu près; si je me fie à ce qui s'est passé lors de l'Uruguay Round et pendant les quatre années qui se sont écoulées depuis, et sachant d'où nous venons et où nous voulons aller, je suppose que ces objectifs sont assez simples.

Les gouvernements, au niveau international, ont décidé que les forces du marché étaient un excellent moyen de leur faciliter la vie. Les décisions sont prises par le marché, et il n'est pas nécessaire de s'en occuper outre mesure -- du moins, c'est le cas quand le marché fonctionne bien. C'est ce que semblaient viser les négociations de l'Uruguay Round. Quand on regarde en arrière, après quatre ans, on se rend compte que c'était peut-être le but recherché, et que c'est peut-être la raison pour laquelle nous avons fait ce que nous avons fait; mais ce qui s'est passé en réalité, pendant les négociations, c'est que chacun s'est occupé uniquement de ses propres affaires et que la performance canadienne dans certains secteurs, celui des céréales en particulier, a été décevante pour nous.

Les chiffres de la Commission canadienne du blé au sujet d'une augmentation de 10 à 15 p. 100 de la production de blé dans les pays de l'Union européenne et d'une diminution de 10 p. 100 au Canada montrent que les signaux du marché ont été faussés pour les producteurs européens de blé, du moins les signaux qu'ont perçus les producteurs canadiens, à cause de l'influence des subventions.

Vous dites que nous avons réussi lors de l'Uruguay Round à en arriver à une structure ou à un cadre d'action qui a moins d'effet de distorsion sur les échanges internationaux de produits agricoles. Vous avez dit aussi que vous n'étiez pas inquiet des politiques relatives au revenu. Mais vous devriez l'être parce que nous vivons dans un monde complexe, ce qui est particulièrement évident dans cette partie des négociations sur l'agriculture.

Je suppose que nous nous approchons de cet objectif; corrigez-moi si je me trompe. Les conclusions de l'Uruguay Round ont eu des effets différents sur des économies agricoles différentes, de sorte que nous amorçons la prochaine ronde de négociations un peu en retard sur d'autres économies comme celles de l'Union européenne et des États-Unis, qui ont gardé une certaine souplesse. Je ne sais pas si nous avions cette souplesse et que nous n'en avons pas profité, ou si nous n'en avons pas profité parce que nous ne l'avions pas.

Comment obtenir de bons résultats, comment aborder les négociations, en supposant que nous ayons toujours le même objectif? Je pense que les résultats que nous avons obtenus ont poussé bien des gens à remettre cet objectif en question. Nous l'avons toujours fait, mais c'est encore plus justifié maintenant. Nous allons bientôt entamer une nouvelle ronde de négociations, et tout cela signifie que, si nous atteignons l'objectif, il y aura une restructuration majeure de notre façon de produire des denrées agricoles à peu près partout dans le monde.

Certains vont en bénéficier, d'autres vont en souffrir. Nous sommes d'avis que, jusqu'ici, il y a beaucoup de gens qui en ont souffert. Vous n'êtes peut-être pas d'accord; si c'est le cas, vous devriez nous expliquer pourquoi. Le principal problème, c'est de savoir comment, à partir de la position dans laquelle nous nous trouvons actuellement, nous pouvons y arriver avec un programme de la «boîte verte», qui ne fausse pas le commerce. Je suppose que nous pourrions augmenter considérablement notre soutien à l'agriculture et amorcer les négociations avec un de ces programmes de la «boîte verte».

J'imagine que c'est déjà en train de se préparer. Nous pourrions aborder les pourparlers après avoir accordé un soutien beaucoup plus important à l'agriculture, quitte à le négocier ensuite, mais comment pouvons-nous nous lancer dans cette ronde en espérant en ressortir gagnants?

J'ai pris un peu de temps pour essayer de vous expliquer mon point de vue. Je suis profondément déçu du résultat que nous avons obtenu au sujet des céréales. Il nous a été utile d'avoir un meilleur accès, mais nous nous embarquons dans cette ronde avec une mentalité de boy-scouts, après avoir fait -- pour une raison ou pour une autre -- ce que nous étions censés faire. Nous avons des agriculteurs à défendre. Les négociations vont être très difficiles. Vous le savez déjà.

Alors, qu'est-ce que nous pouvons faire pour obtenir de bons résultats à la prochaine ronde?

M. Gifford: Premièrement, permettez-moi de préciser pourquoi je vous ai dit que je n'étais pas un spécialiste de la politique agricole intérieure. J'ai évidemment participé à l'élaboration du programme actuel de soutien du revenu des agriculteurs sinistrés, mais comme je m'occupe de la politique relative au commerce agricole depuis un certain nombre d'années, je suis tout à fait conscient du fait que la plupart des problèmes que nous connaissons dans ce domaine au niveau international sont directement attribuables aux politiques agricoles intérieures qu'ont adoptées la plupart des pays industrialisés.

Il ne faut pas exagérer les résultats de l'Uruguay Round, mais je suis le premier à reconnaître qu'il ne faut pas non plus les minimiser. Le commerce agricole est en plein chaos depuis la fondation du GATT en 1947, surtout parce que les gouvernements n'ont jamais voulu appliquer au secteur agricole les mêmes sanctions qu'au secteur industriel.

Par exemple, au milieu des années 50, les subventions à l'exportation ont été interdites par le GATT dans le secteur industriel, mais elles sont demeurées autorisées dans le secteur agricole. Quand de nouveaux pays se sont joints au GATT, ils ont réclamé des droits acquis sur certains programmes critiques, dont la plupart résultaient de la politique agricole intérieure ou de certains de ses aspects. Quand nous avons entamé les négociations de l'Uruguay Round, nous avions des règles générales qui étaient censées, en théorie, s'appliquer à tous; mais, en pratique, huit pays avaient soustrait complètement leur secteur agricole aux règles du GATT, comme la Suisse quand elle s'est jointe à l'organisation. Et les États-Unis, pour leur part, avaient obtenu une exemption aux règles du GATT grâce à laquelle ils pouvaient appliquer des quotas en vertu de l'article 22 à peu près à volonté si des importations menaçaient le programme américain de soutien des prix.

En gros, il y avait un système de droit qui se distinguait surtout sur les nombreuses entorses qui y étaient faites. Le principal progrès qu'a permis l'Uruguay Round, c'est qu'on a reconnu que, si on voulait que les pays et les gouvernements prennent l'OMC au sérieux, il fallait appliquer les mêmes règles à tout le monde. Et c'est ce qui s'est produit. Aujourd'hui, il n'y a pas d'exceptions accordées à certains pays en particulier.

Les Américains ont perdu l'article 22. S'ils pouvaient encore imposer des quotas en vertu de l'article 22, je vous garantis qu'il y en aurait aujourd'hui sur le blé. Mais les résultats de l'Uruguay Round ont empêché les États-Unis de prendre une foule de mesures unilatérales qu'ils auraient prises autrement, et c'est la même chose pour les autres grands pays commerçants.

Pour la première fois, la communauté internationale s'est entendue pour réduire les subventions à l'exportation. Évidemment, elles n'ont pas été complètement supprimées, mais c'était au moins un début. Et pour la première fois également, en ce qui concerne les subventions intérieures, les gouvernements étaient prêts à reconnaître que certaines mesures de soutien à l'agriculture faussent les échanges commerciaux plus que d'autres. L'idée d'établir des catégories à cet égard, c'est-à-dire les fameuses boîtes «verte» et «jaune», visait à encourager les gouvernements désireux d'appuyer leurs populations rurales à remplacer graduellement leurs programmes à l'ancienne mode, par exemple les mesures non limitatives de soutien des prix des produits de base et les programmes d'offres d'achat, par des mécanismes ayant moins d'effet de distorsion sur le commerce. Je pense que nous avons réussi. Mais nous avons échoué, par exemple, dans le cas de l'accès au marché.

Nous avons réussi à imposer certaines obligations et certaines réductions, mais il est clair que les règles du jeu n'étaient pas les mêmes pour tout le monde au départ. Par conséquent, il y encore d'énormes différences entre les pays en ce qui a trait à l'accès au marché.

L'Union européenne est aujourd'hui un exportateur net de produits agricoles vers le Canada. Pourquoi? Parce que les Européens ont accès au marché alimentaire canadien beaucoup plus facilement que nous au marché européen. Donc, au cours de la prochaine ronde, nous allons certainement chercher à uniformiser les règles du jeu, en ce qui concerne l'accès au marché, et à nous débarrasser des subventions à l'exportation. Toutes les consultations que le gouvernement a tenues jusqu'ici avec l'industrie montrent que ces objectifs recueillent de très nombreux appuis.

L'industrie ne nous a pas dit clairement comment elle voulait que le gouvernement aborde toute la question des subventions intérieures. Il y a des pays où le Trésor n'est pas aussi généreux qu'au Canada; l'Argentine, l'Australie et la Nouvelle-Zélande offrent tous des niveaux de soutien nettement inférieurs à ceux que nous offrons aujourd'hui.

Pendant l'Uruguay Round, les pays qui ne soutiennent pas beaucoup, ou pas du tout, leur secteur agricole disaient: «Cette idée de "feux de circulation" fonctionne peut-être bien pour les grands pays qui ont un Trésor bien garni, mais est-ce qu'il ne faudrait pas réduire toutes les mesures de soutien à l'agriculture?» Ce à quoi les grands pays ont répondu, évidemment: «La politique intérieure est telle que, même si nous serions peut-être prêts à accepter l'imposition de sanctions pour les subventions qui ont un effet de distorsion sur le commerce, la communauté internationale n'a pas à s'immiscer dans les autres formes de soutien que nous accordons.» C'est sur cette note que l'Uruguay Round a pris fin. Ce que vous voulez savoir, je suppose, c'est quelle devrait être la position de négociation initiale du Canada pour le début des négociations à la fin de l'an prochain, une fois que nous aurons terminé nos consultations avec l'industrie. Nous recevons déjà des signaux très clairs sur ce que les gens veulent au sujet des subventions à l'exportation: ils veulent s'en débarrasser. Et, bien qu'il y ait des divergences entre les divers groupes de producteurs au sujet de l'accès au marché, je pense que la plupart des gens reconnaissent que les barrières sont en train de tomber. Mais je ne discerne pour le moment aucune position commune sur ce que nous devrions essayer de faire au cours de la prochaine ronde au sujet des subventions intérieures.

Nous nous trouvons dans une situation un peu particulière parce que nous sommes juste à côté des États-Unis. Si nous mettons en place un programme de soutien à l'agriculture qui ne peut pas être classé dans la «boîte verte», nous risquons fort de faire l'objet de mesures compensatoires. C'est ce qui s'est passé il y a dix ans dans le cas du porc. Nous avions un programme classique de paiements d'appoint, mais tous les avantages de ce programme tripartite ont été plus qu'annulés par les mesures compensatoires adoptées par les Américains. Il est clair que, pour l'élaboration d'un programme de soutien intérieur, au Canada, nous devrons notamment nous demander comment concevoir un programme qui ne risque pas de nous attirer des mesures compensatoires de la part des États-Unis.

Encore une fois, il faut se demander combien d'argent les gouvernements sont prêts à investir, avec le moins d'effets de distorsion possible sur le commerce, pour soutenir leur agriculture, surtout par des mesures qui ne faussent pas les échanges commerciaux. En définitive, c'est une décision d'ordre intérieur, qui est prise dans le cadre du processus politique intérieur. Ce n'est pas une décision qui se prend à Genève.

Le sénateur Hays: Pendant que vous décriviez certains des aspects positifs -- et il y en a --, je me suis dit que tout ça était bien beau, mais qu'il y avait quelque chose qui clochait. L'article 22 n'existe plus, mais l'économie américaine est assez importante pour que les Américains puissent imposer facilement un quota sur le blé s'ils le désirent. Nous avons accepté ce quota, comme nous l'avons accepté bien sûr dans le cas du bois de résineux.

Je me rends compte que je confonds les accords trilatéraux et les accords multilatéraux, mais je pense que c'est la même chose sur les deux plans. De toute façon, pour dire les choses autrement, nous allons nous présenter à la table de négociations après avoir fait, pour une raison quelconque, une foule de choses que nous devions faire en vertu de l'accord de l'Uruguay Round.

Nous pourrions en faire beaucoup plus dès maintenant, et nous aurions pu en faire beaucoup plus depuis quatre ans, en ce qui concerne l'adoption de mesures de soutien du revenu qui ne seraient pas susceptibles de faire l'objet de mesures compensatoires. Mais nous ne l'avons pas fait, et les compromis sont l'essence même de la négociation. Il faut souvent céder certaines choses pour en obtenir d'autres en échange.

Or, nous n'avons pas grand-chose à céder comparativement aux autres grands pays présents à la table de négociations, pour ce qui est du soutien gouvernemental que nous avons accordé au cours des quatre dernières années. Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls dans ce cas-là. Vous avez mentionné que l'Australie et l'Argentine se trouvaient dans une situation similaire, ou même pire, mais est-ce qu'un pays comme le Canada peut se présenter à la table de négociations et y réaliser des progrès s'il n'a rien à céder?

M. Gifford: Le Canada a accepté l'imposition d'un quota sur le blé à une époque où les États-Unis pouvaient encore invoquer l'article 22. Ils ne peuvent plus le faire depuis la fin de l'Uruguay Round et, malgré d'énormes pressions politiques, ils ont respecté jusqu'ici les obligations internationales qu'ils ont contractées dans le cadre de l'OMC et de l'ALENA; ils n'ont plus adopté de quotas en vertu de l'article 22. Essentiellement, cela a permis d'avoir des règles uniformes, ce qui n'était pas le cas avant que les négociations de l'OMC donnent des résultats.

Les Américains bénéficiaient d'une exception; ils pouvaient invoquer l'article 22 dès le départ, s'ils le voulaient, et nous ne pouvions rien y faire en vertu des anciennes règles du GATT. Mais, selon les règles de l'OMC, ils ne peuvent plus imposer de quotas aux membres de l'OMC sous le régime de l'article 22.

Le sénateur Hays: Parlez-nous donc du bois de résineux comme exemple de ce que vous dites là.

M. Gifford: Le seul domaine que je connais bien, c'est celui du commerce agricole. Le ministère de l'Agriculture n'est pas responsable des forêts au Canada; je ne me sens donc pas qualifié pour parler du bois de résineux. Je ne veux même pas faire semblant de m'intéresser à ce gâchis.

Le sénateur Hays: Permettez-moi de faire une petite observation. Il semble que les États-Unis aient négocié avec succès, en dehors du cadre habituel, un accord de contingentement dans un autre secteur. Nous n'avons aucune raison de croire qu'ils ne pourraient pas faire la même chose dans le secteur agricole, étant donné la taille de leur économie et leur force sur le marché en tant qu'énorme importateur.

M. Gifford: Je devrais peut-être laisser M. Saint-Jacques vous parler du dossier du bois de résineux, mais je voudrais d'abord essayer de répondre à votre dernière question. Quand on entame des négociations, il est certainement préférable d'avoir une certaine marge de manoeuvre. Mais, comme vous le soulignez, il y a des pays comme l'Argentine, la Nouvelle-Zélande, le Brésil et l'Australie qui fournissent relativement peu de soutien à leur secteur rural; ils offrent des programmes de recherche et de vulgarisation, mais c'est à peu près tout. Il ne leur reste plus grand-chose en ce qui concerne les programmes de soutien des prix et du revenu.

Quand on se trouve dans une situation comme celle-là, on ne peut pas négocier en disant: «Si vous faites ceci, nous allons faire cela.» Il faut négocier en déterminant quelles seraient logiquement les règles que devraient suivre tous les pays qui font le commerce de produits agricoles. Et, pour jouer à ce jeu-là, il n'est pas nécessaire d'avoir des sous dans sa tirelire.

L'Uruguay Round a démontré que si un petit pays, ou un pays moyen, a de bonnes idées, il peut les faire accepter par les grands pays commerçants comme l'Union européenne et les États-Unis, à condition qu'elles soient sensées, qu'elles ne semblent pas inspirées par l'esprit de clocher et qu'elles paraissent viables et raisonnables.

Permettez-moi de vous dire que c'est une erreur, à mon avis, de croire qu'on ne peut pas jouer un rôle efficace dans des négociations si on n'a rien à céder. L'exemple des pays que je viens de vous énumérer montre -- de façon concluante, je pense -- qu'ils ont réussi à influencer les négociations même s'ils ne disposent pas des mêmes ressources financières que certains autres pays.

Le sénateur Hays: Je préférerais parler de monnaie d'échange plutôt que de choses à céder. Dans les dernières heures des négociations comme celles de l'Uruguay Round, il y a beaucoup de choses qui bougent. On peut dire -- même si vous soutenez que nous n'avons pas nécessairement raison de le dire -- que nous nous sentons plus vulnérables au sujet de ce qui nous reste, par exemple nos programmes de gestion de l'offre et nos autres programmes, ou encore de la possibilité d'entraîner nos partenaires commerciaux dans la direction que nous souhaitons, étant donné notre objectif commun. Nous nous sentons vulnérables. Je suppose que nous pourrions, dans un rapport au Parlement, augmenter votre prestige et celui de tous les gens qui négocient au nom du Canada en disant que, d'après nous, l'autorité morale -- étant donné les objectifs visés, et ainsi de suite -- est une très bonne position de négociation.

Vous avez respecté les règles, mais vous êtes vulnérables parce que vous n'avez pas grand-chose à utiliser comme monnaie d'échange, puisque je préfère ne pas employer le terme «céder». Il faut espérer que nous ne céderons rien. Je suis sûr que c'est ainsi que vous abordez les choses, mais en définitive, quand tout va se décider, l'expérience m'a appris qu'il est très utile d'avoir des choses à échanger -- pas à céder. Or, nous n'avons plus grand-chose comme monnaie d'échange. Ce que j'essaie de vous dire, je suppose, c'est que je ne trouve pas votre réponse très rassurante. Vous voudrez peut-être ajouter quelque chose pour me remonter le moral.

M. Gifford: Les petits pays, qui n'ont pas les mêmes ressources financières que l'Union européenne ou les États-Unis, sont nettement désavantagés dans ces négociations. C'est évidemment une des raisons pour lesquelles les pays de petite ou de moyenne envergure essaient, concrètement, de forger des alliances; c'est aussi une des raisons pour lesquelles, par exemple, le groupe de Cairns a été constitué.

À peu près tous les grands exportateurs de produits agricoles autres que les États-Unis et l'Europe sont membres du groupe de Cairns. Ils reconnaissent qu'ils n'ont pas tellement d'influence individuellement, mais qu'ils peuvent en avoir collectivement. Je dirais que le groupe de Cairns, surtout aux premières étapes de la dernière ronde de négociations, a effectivement exercé une grande influence, mais vous avez tout à fait raison de souligner qu'à la fin des pourparlers, il est à peu près inévitable que l'entente se conclue entre les deux principales parties en présence, soit les Européens et les Américains. La leçon à en tirer, c'est que si nous voulons influer sur le résultat des négociations, nous devons nous y prendre dès le départ, avant que les Américains et les Européens se soient fait une idée bien arrêtée et pendant qu'ils sont encore ouverts aux suggestions. Si nous attendons la fin des pourparlers, nous devrons nous contenter de ce qui aura été négocié et nous n'aurons pas grand-chose à dire. Je suppose que c'est la raison pour laquelle le gouvernement dit depuis un certain temps aux représentants de l'industrie: «Le Canada doit présenter dès le départ une position commune bien étayée. Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre la fin des négociations pour décider ce que nous voulons faire, parce qu'il sera tout simplement trop tard à ce moment-là.»

Le sénateur Hays: Qu'est-ce que c'est que ce Partenariat économique transatlantique, le PET, qui a succédé au NMT? Je pensais que nous faisions partie de l'économie transatlantique. Pourquoi ne sommes-nous pas membres de ce partenariat, et qu'est-ce qui s'y passe?

M. Saint-Jacques: Nous avons eu des entretiens avec les gens de l'Union européenne pour essayer de nouer des liens plus étroits avec eux et de régler des questions d'intérêt mutuel. Par exemple, nous allons essayer au cours de la prochaine ronde d'échanger des idées avec eux pour voir comment nous pourrions resserrer nos liens. Donc, nous participons certainement à ce qui se passe sur ce plan-là.

Le sénateur Hays: Nous essayons de nous faire accepter, mais nous n'y sommes pas encore parvenus.

M. Saint-Jacques: Nous discutons depuis pas mal de temps avec les Européens.

Le sénateur Hays: Mais en ce qui concerne plus précisément le PET, qui a succédé au NMT, est-ce que nous avons des chances de nous retrouver à cette tribune? D'après mes notes d'information -- qui viennent de vous, je pense --, nous sommes en quelque sorte en marge de ce partenariat; nous tenons des négociations bilatérales avec l'Union européenne et nous ne faisons pas partie du PET.

M. Saint-Jacques: Vous voulez dire que nous devrions participer au dialogue entre l'Union européenne et les États-Unis, dans le cadre de ce Partenariat économique transatlantique?

Le sénateur Hays: Oui. Comme son nom l'indique, nous devrions en faire partie puisque nous participons à l'économie transatlantique. Tous comme nous avons des liens économiques du côté du Pacifique.

M. Garry Moore, conseiller principal en relations de commerce, Direction de l'Union européenne (REU), ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Je pense qu'il faut revenir un peu en arrière. Tout dépend de la façon dont on envisage la question et l'ordre dans lequel les choses se sont déroulées. En 1997, le Canada et l'Union européenne se sont entendus sur un plan d'action de haut niveau, que nous suivons de très près. Les Américains n'avaient encore rien fait à ce moment-là. Donc, dans notre perspective, c'est eux qui nous suivent.

Pour ce qui est de nous joindre à eux, je pense que c'est peu probable pour le moment. Dans l'esprit des Américains, tout se joue entre eux et l'Union européenne. À mon avis, ils ont plus ou moins atteint un plateau, mais en tout cas, ils envisagent la chose. Il y a un certain nombre d'initiatives de haut niveau en cours entre l'Union européenne et les États-Unis. Nous suivons une trajectoire parallèle, mais pas sur une base trilatérale. Il y a certains avantages à travailler avec les Européens dans un cadre bilatéral.

Donc, c'est là qu'en sont les choses pour le moment. Nous avons commencé beaucoup plus tôt et, sur bien des plans, nous avons déjà conclu des ententes et nous en concluons de nouvelles chaque année. Nous ne sommes pas du tout laissés de côté; en fait, nous sommes en avance sur les Américains.

Le sénateur Hays: Peut-être, mais quand les négociateurs de l'Union européenne et des États-Unis se rencontrent -- étant donné la taille de leur économie respective -- et qu'ils concluent des ententes commerciales, nous nous retrouvons dans une position vulnérable, dans la mesure où les Américains peuvent obtenir de meilleures conditions que nous. C'est pour cela que je vous pose ma question. Vous nous dites que nous avons des entretiens bilatéraux avec l'Union européenne, que nous avons commencé plus tôt et que cela nous satisfait.

Il serait pourtant très utile que nous cherchions activement à participer aussi aux pourparlers entre l'Union européenne et les États-Unis. Il y aurait plus de transparence dans ces pourparlers, et moins de risques que nous soyons mis de côté.

Le président: Je voudrais poser une petite question pour compléter celles du sénateur Hays, qui étaient très intéressantes. Vous avez dit, monsieur Gifford, que vous vouliez mettre l'agriculture et le reste de l'industrie à peu près sur le même pied. Mais ce n'est pas du tout la même chose. En tant qu'agriculteurs -- je ne connais pas grand-chose au commerce, mais j'en sais très long sur l'agriculture --, nous ne fixons pas le prix du grain. Laissez-moi vous donner un exemple.

Aujourd'hui, le porc vaut littéralement 30 cents la livre, et même moins. On me dit que certains éleveurs gazent des porcelets pour ne pas avoir à les nourrir. Et pendant ce temps, les entreprises de transformation font plus d'argent que jamais. Il me semble que vous n'en avez pas tenu compte dans l'équation. Vous nous avez écartés pendant l'Uruguay Round, et je tiens à vous dire que nous n'avons rien à céder.

Quand les gens de General Motors essaient de vendre une auto, ils en connaissent le prix à l'avance. C'est eux qui fixent ce prix, et les clients le paient, ou alors ils n'achètent tout simplement pas l'auto. C'est la même chose pour tous les fabricants d'automobiles.

Mais dans le secteur agricole, c'est différent. Si je n'y prends pas garde, je vais me retrouver à défendre les offices de commercialisation. C'est un problème très sérieux. Quand vous entreprendrez la prochaine ronde, allez-vous brader encore autre chose?

On dirait que tous les pays du monde ont décidé de laisser tomber leurs agriculteurs et qu'ils vont supprimer les subventions. Nous avons certainement appris notre leçon: ça ne fonctionne pas. Mais pendant la prochaine ronde, allons-nous céder encore autre chose? Il ne restera plus rien. Nous devons peut-être regarder ce qui se passe chez Maple Leaf et dans les autres entreprises de transformation, et mettre ça dans l'équation, pour déterminer où vont les profits. Parce qu'ils ne vont certainement pas aux agriculteurs.

C'est une question fondamentale, mais je pense qu'il fallait la poser.

M. Gifford: J'admets que le secteur agricole présente des caractéristiques particulières. La nature cyclique de la production et la nécessité de réagir aux prix élevés encourage la production sur le marché gris, ce qui favorise les bas prix et oblige certains producteurs à abandonner. Le secteur industriel n'a pas à faire face à ces hauts et ces bas, du moins pas à ce point-là.

Tous les pays reconnaissent qu'il faut s'occuper de certains aspects de l'agriculture, et c'est pourquoi la plupart ont mis en place des programmes de stabilisation du revenu agricole et, là où c'était nécessaire, des programmes d'aide d'urgence.

Ce que nous disons aujourd'hui, c'est que nous avons des programmes permanents comme l'assurance-récolte et le CSRN, mais que, quand il y a un ralentissement important presque simultanément, comme c'est le cas actuellement dans les secteurs des céréales, du bétail et du porc, il est clair que même les programmes courants ne sont pas toujours suffisants. Si on accepte cette thèse, il faut alors se demander comment il est possible de concevoir un programme d'urgence qui aide effectivement les gens qui en ont besoin sans verser de l'argent à ceux qui sont moins désavantagés. Tout dépend de la conception du programme.

Les paiements à l'acre sont faciles à administrer. Mais il faut se demander s'ils représentent le meilleur moyen d'aider tout particulièrement ceux qui ont le plus besoin d'aide.

Le président: Je pense que oui. Si nous nous fondons sur l'impôt sur le revenu pour établir une moyenne sur trois ans, les jeunes agriculteurs vont tous être pénalisés. Ils doivent vendre leurs produits; ils n'ont pas le choix. Ils ont des comptes à payer. Les agriculteurs bien établis peuvent reporter leur revenu; d'ailleurs, je peux vous dire qu'ils le font couramment.

L'inconvénient que je vois à l'autre approche, c'est ceci: prenons par exemple un jeune agriculteur dont la récolte a été détruite par la grêle deux ans de suite. Premièrement, il n'a pas de moyenne; il n'a rien gagné. Il sera forcé d'abandonner l'agriculture.

Le sénateur Hays: Permettez-moi d'ajouter quelque chose, monsieur le président, au sujet de ce que nous avons constaté chez les Européens. Leurs paiements sont en fait une forme déguisée de paiements compensatoires axés sur les produits. Les pays comme le Canada devraient notamment chercher, au cours des négociations, à établir quels sont les programmes interdits présentés sous une autre forme.

M. Gifford: Les programmes européens ne sont pas vraiment à classer dans la «boîte verte», mais c'est mieux qu'avant. Ils répondent à la définition des programmes de la «boîte bleue», que les Américains ont concoctée avec les Européens. Je pense que tout le monde, à l'extérieur de l'Europe, est d'avis que les programmes de cette «boîte bleue» ont en réalité un effet de distorsion sur le commerce. Si la production -- et surtout la surface de production -- augmente en Europe alors que la surface d'emblavage diminue au Canada, c'est parce que ces programmes faussent les décisions des producteurs européens.

Le sénateur Stratton: Revenons à l'Uruguay Round. Combien de temps a-t-elle duré? Sept ans?

M. Gifford: De l'automne 1987 à décembre 1993.

Le sénateur Stratton: Le dénouement a été la création de la boîte bleue, n'est-ce pas?

M. Gifford: Non. En fin de compte, cela faisait partie d'un accord bilatéral entre les Américains et les Européens, mais à ce moment-là les grandes lignes de l'accord étaient déjà claires. On s'engageait à prendre des mesures de réduction et concernant les subventions à l'exportation; les mêmes règles s'appliqueraient à tous les pays, à savoir que les prélèvements variables à l'importation et les contingents d'importation seraient convertis en tarifs; les subventions faussant les échanges seraient réduites; et les subventions n'ayant aucun effet de distorsion sur les échanges ne feraient pas l'objet de droits compensateurs. La boîte bleue est la dernière chose qui est venue s'ajouter et visait précisément le genre de programme national que les Européens commençaient à adopter pour leurs récoltes.

Le sénateur Stratton: Vous avez donc l'impression que la boîte bleue a en quelque sorte été une concession faite pour que l'Uruguay Round aboutisse; il aura fallu sept ans.

J'ai lu dans les journaux que les États-Unis n'iront pas à la table des négociations parce qu'ils s'attendent à ce que les Européens fassent traîner les choses pour conserver leur boîte bleue. Est-ce vrai? Dans l'affirmative, serait-il possible d'établir un calendrier pour que les négociations durent beaucoup moins longtemps que sept ans?

M. Gifford: C'est précisément la question que les ministres devront aborder l'automne prochain à la réunion ministérielle de l'OMC. Un grand nombre de pays, dont les États-Unis, ont indiqué qu'ils ne sont pas prêts à négocier pendant sept ou huit ans encore. Il faudra que les négociations durent beaucoup moins longtemps. Ces derniers mois, un consensus semble s'être dégagé à Genève en faveur d'une procédure accélérée, pour l'agriculture et les services du moins et peut-être d'autres secteurs, afin que les négociations durent plutôt trois ans.

D'après ce que j'ai compris, certains groupes aux États-Unis -- par exemple le secteur des services -- seraient prêts à négocier à Genève. Cependant, ils ne veulent pas que les négociations portent en même temps sur huit autres sujets, parce que leur vitesse serait alors celle du navire le plus lent du convoi. Ils veulent donc négocier par secteur. Ce serait la pire chose qui pourrait arriver dans le secteur de l'agriculture, car les résultats risqueraient d'être médiocres. Si vous étiez le ministre de l'Agriculture du Japon ou de la Corée, vous n'auriez absolument aucun intérêt à faire quoi que ce soit au sujet de l'agriculture en raison de problèmes concernant la sensibilité aux importations et de l'absence d'une vocation exportatrice.

Il faut qu'il y ait une masse critique suffisante pour que l'agriculture puisse faire l'objet de négociations. Je pense que bien des gens partagent vos préoccupations; personne ne veut de nouvelles négociations qui dureraient sept ans encore.

Le sénateur Stratton: L'Annexe 1, «Producer Subsidy Equivalents for Canada, U.S. and EU, 1997», montre que la valeur dans le cas notamment du blé, du maïs et de l'orge est considérablement plus basse au Canada par comparaison aux États-Unis et à l'Union européenne. Par contre, nos chiffres sont beaucoup plus élevés pour le lait, le boeuf, le porc, la volaille et les oeufs.

Lorsque l'agriculteur de l'Ouest regarde ces chiffres, il a l'impression, à tort ou à raison, d'avoir été sacrifié lors de l'Uruguay Round pour protéger l'industrie laitière et le secteur avicole. Certains d'entre nous ont peur que ce soit vrai, parce que nos offices de commercialisation ont été protégés. Nous en payons le prix par ailleurs en ce qui concerne le blé, le maïs et les grains.

J'imagine que ces offices de commercialisation seront à la table des négociations la prochaine fois. Est-ce que j'ai raison?

M. Gifford: Les systèmes de commercialisation nationaux relèvent d'une décision souveraine des pays. C'est à chacun qu'il revient de décider comment il veut commercialiser son produit. La question ne prend une envergure internationale que lorsque des mesures à la frontière ou que des subventions à l'exportation viennent se greffer au programme. Libre à nous de commercialiser notre blé par l'entremise d'un comptoir unique comme la Commission canadienne du blé. Libre à nous également d'opter pour l'organisation méthodique des marchés des produits laitiers et de la volaille. Ce n'est donc pas le système de commercialisation lui-même qu'on va examiner à Genève. La question qui se posera sera la suivante: en quoi consiste la protection à la frontière et quels sont vos programmes d'aide à l'exportation?

Monsieur le président, le Canada n'est pas le seul pays dont certains secteurs sont plus sensibles aux importations que d'autres. L'industrie sucrière, l'industrie de l'arachide et l'industrie du tabac aux États-Unis sont toutes aussi sensibles aux importations que l'industrie laitière et l'industrie avicole au Canada. Presque chaque industrie en Europe est sensible aux importations et c'est la raison pour laquelle je pense que nous ne devrions pas nous dépeindre comme un pays unique, comme le seul pays qui soit vulnérable sur le plan des importations.

Ce que je pense, et je suis tout à fait d'accord avec vous, c'est que le niveau de protection offert à différents produits dans différents pays varie considérablement. Le producteur d'un pays qui jouit d'un faible niveau de protection, ou d'un faible niveau de soutien, voudrait que le niveau du soutien et de la protection dont un autre producteur bénéficie soit ramené plus près de ce à quoi il a droit. Ces chiffres montrent simplement qu'au cours des dernières années, dans le cas du Canada -- prenez le tableau du milieu, «Unit PSE» -- les niveaux de soutien, qui vers le milieu des années 80 étaient plus élevés qu'aux États-Unis pour le blé, ont baissé considérablement alors que les chiffres américains sont presque cinq fois plus élevés. Les chiffres demeurent élevés pour l'Europe. Dans d'autres secteurs, toutefois, celui de la volaille par exemple, les niveaux de soutien sont élevés au Canada et en Europe, mais faibles aux États-Unis. Les chiffres varient donc par produit et par pays.

Les producteurs de tous les pays vont leur dire qu'ils veulent des règles du jeu plus uniformes et qu'il faudrait réduire ces écarts énormes, qu'il s'agisse des niveaux de soutien ou de la protection.

Le dilemme, monsieur le président, c'est que même si les pays sont habituellement prêts à négocier la protection à la frontière et à reconnaître qu'il s'agit d'une préoccupation internationale légitime, ils ne sont pas prêts à renoncer à leur droit de déterminer unilatéralement combien d'argent ou quel soutien offrir à leurs secteurs agricoles. Si ce soutien n'a aucun effet de distorsion du commerce, s'il est accordé dans le cadre d'un programme qui ne fausse pas les échanges, il y aura quand même des disparités au niveau du soutien national, compte tenu du processus politique de chacun de ces pays.

Je ne pourrais pas trop insister sur ce point, monsieur le président. C'est une décision politique nationale et ce n'est que si tous les pays sont prêts à réduire les subventions qui n'ont aucun effet de distorsion du commerce que les règles du jeu seront plus uniformes en ce qui concerne le soutien national. La bataille sera difficile.

Le sénateur Stratton: Néanmoins, les États-Unis ont dit, du moins autant que je sache, qu'ils allaient viser l'élimination des offices de commercialisation et de la Commission canadienne du blé.

M. Gifford: Je ne pense pas avoir entendu un seul représentant américain dire que son objectif était «d'éliminer le commerce d'État». J'ai entendu un certain nombre d'entre eux dire que leur objectif était de renforcer les règles internationales de discipline qui s'appliquent à l'achat et à la vente à guichet unique. Dans le cas des produits laitiers et de la volaille, les Américains voudraient jouir d'un meilleur accès au marché canadien. Peu leur importe que la commercialisation soit ordonnée ou non. Ce qui les préoccupe, c'est le niveau de protection à la frontière, le niveau des tarifs. Donc, il est trompeur de dire que d'autres pays veulent s'en prendre à nos systèmes de commercialisation. Ils en ont soit contre le niveau de protection des importations soit contre le niveau de l'aide à l'exportation offerte dans les autres pays.

Le sénateur Stratton: Si j'étais agriculteur, je ne trouverais pas grand réconfort dans ce qui a été dit jusqu'à maintenant ici ce matin.

Le sénateur Whelan: Monsieur Gifford, avez-vous participé à l'Uruguay Round?

M. Gifford: Oui, monsieur le sénateur.

Le sénateur Whelan: Quel rôle avez-vous joué?

M. Gifford: J'étais le négociateur en chef pour l'agriculture.

Le sénateur Whelan: Vous avez probablement déjà entendu dire ceci auparavant: qu'aucun parti politique, aucune organisation agricole n'avait demandé qu'on fasse dans le cas des produits laitiers ce que vous et M. Mazenkowski, qui était à l'époque ministre de l'Agriculture, avez fait. Mel Clark, qui est négociateur en chef, continue à mettre en doute ce qui a été fait à ce moment-là. Il a dit que c'était le début de la fin de la gestion de l'offre. En quelle année a eu lieu l'Uruguay Round?

M. Gifford: Elle s'est terminée en décembre 1993.

Le sénateur Whelan: Vous n'avez pas obtenu pour nos produits laitiers l'exemption que les Américains ont obtenue pour les leurs, comme vous l'avez déjà indiqué.

M. Gifford: J'ai dit que les Américains jouissaient d'une exemption en vertu de l'ancien GATT, mais l'OMC a éliminé cette exemption.

Le sénateur Whelan: Nous aurions pu obtenir la même si nous avions essayé.

M. Gifford: Sénateur, vous parlez dans ce cas-ci des tarifs. Au cours des deux derniers mois des négociations, en novembre et décembre 1993, l'industrie agro-alimentaire canadienne a été très bien représentée à Genève dans le secteur des produits laitiers par le président des Producteurs laitiers du Canada et par le directeur exécutif du Conseil national de l'industrie laitière. Toutes les agences de gestion de l'offre, tant leur personnel que leurs dirigeants élus, y étaient également en force.

Nous avons été le dernier pays à accepter qu'il y ait des tarifs, après le Japon et après la Corée. Je dirais cependant que depuis la fin de l'Uruguay Round, la gestion de l'offre a continué à évoluer et à prospérer. Les contingents ont augmenté, ils n'ont pas diminué; le système fonctionne toujours. On semble cependant reconnaître de plus en plus que le marché national a atteint sa maturité, exception faite du secteur avicole qui est en pleine expansion, et on s'intéresse de plus en plus au marché des exportations.

Je ne pense pas que quiconque puisse dire aujourd'hui, monsieur le président, que la gestion de l'offre est moins favorable qu'elle l'était avant l'Uruguay Round. À mon avis, l'Uruguay Round n'a eu aucune incidence sur la gestion de l'offre si ce n'est de manière générale en ce sens qu'on semble maintenant reconnaître qu'il faudrait peut-être réexaminer l'idée de se concentrer exclusivement sur le marché national et de considérer le marché mondial uniquement comme un débouché pour l'élimination des surplus. Si j'ai bien compris, chacune des agences de gestion de l'offre essaie d'élaborer une politique sur les exportations.

Le sénateur Whelan: Elles devraient peut-être alors suivre l'exemple des producteurs de porc. Est-ce que vous voulez dire qu'il faudrait trouver des marchés d'exportation?

M. Gifford: Je reconnais, monsieur le président, que l'industrie du porc est aujourd'hui dans une situation désespérée en Europe et en Amérique du Nord. Les prix ont atteint des planchers records. Cela s'explique par un certain nombre de facteurs. Pensons à la perte du marché russe après qu'il y a eu dévaluation. Il y a aussi le fait qu'il y a eu surproduction en Europe au moment où le choléra porcin posait un problème aux Pays-Bas. Par conséquent, tous les autres États membres ont augmenté la production. Lorsque le marché néerlandais s'est rétabli, les prix ont chuté. Un troisième facteur est l'augmentation de la production du porc partout en Amérique du Nord. Ajoutez à cela l'affaiblissement de la demande en Asie et vous comprendrez pourquoi les prix sont aussi bas.

Par surcroît, les approvisionnements ont surpassé la capacité des usines de transformer le porc, surtout aux États-Unis. La production y est tellement élevée que les usines américaines ne parviennent pas à transformer tout le porc même à raison de deux quarts de travail par jour alors que nous n'avons qu'un seul quart de travail au Canada. La plupart des usines américaines fonctionnent à double quart. C'est la raison pour laquelle les prix chutent.

Le sénateur Whelan: Je suis certain que nous sommes tous au fait de la situation. Ce que j'essaie de vous dire, monsieur Gifford, c'est que je me souviens très bien de vous. Je me souviens de votre attitude face aux offices de commercialisation en ce qui concerne la gestion de l'offre. J'étais toujours obligé de vous dire: «Écoutez, monsieur Gifford: si vous voulez travailler ici, vous travaillez pour moi et vous faites ce que je vous dis, mais n'essayez pas de me convaincre, car ça n'a aucun sens sur le plan économique, que sans régulation on aurait un système commercial fantastique.»

L'absence de régulation de la structure financière a eu une incidence sur l'agriculture; elle a eu une incidence sur tout et elle a presque acculé nos producteurs à la faillite.

J'ai un voisin qui est éleveur de porcs et qui a 1 200 truies. Deux de ses fils travaillent avec lui et il emploie au total neuf personnes. Il perd actuellement 90 000 $ par mois. C'est ce qu'il s'est laissé dire par les économistes et par tout le monde -- vous auriez vous-même dit, d'après un des articles où vous êtes cité, que les agriculteurs devraient peut-être se diversifier. Que voulez-vous dire par «se diversifier»? Que peuvent-ils faire? Vont-ils se mettre à élever des lamas?

Lorsqu'on parle de tarifs de 400 p. 100 ou de 274 p. 100 pour les produits, les gens s'affolent. Prenez la manchette d'aujourd'hui: «Nous allons consacrer trois milliards de dollars en deux ans à l'agriculture au Canada.» Nous ne dépensons pas pour la volaille, nous ne dépensons pas pour les autres produits que j'ai mentionnés et vous parlez des programmes à l'intention des producteurs laitiers et d'autres choses du genre. Les Américains veulent notre programme avicole et nous parlons de mondialisation. Nous savons tous que le Canada est le seul endroit où les Américains peuvent vendre leurs poulets ou leurs produits laitiers. Et nous parlons de mondialisation. Il faudrait plutôt parler de «nord-américanisation», parce que les Américains veulent dominer le monde de l'alimentation. Ils veulent dominer l'Amérique du Nord et ils veulent ce marché.

Laissez-moi vous citer un chiffre. L'année dernière, par exemple, le prix spécial du beurre aux États-Unis était de 97 cents US la livre. Le beurre au Canada coûte 2,49 $; le beurre à Carmel, en Californie, en dollars canadiens, coûte 5,09 $. Pourquoi? Parce qu'ils ont Monsanto. Certains représentants de votre ministère sont tout à fait en faveur de cette hormone. Les vaches donnent plus de lait, mais il y a pénurie de gras de beurre. Pourquoi? Nous n'avons pas de pénurie de gras de beurre au Canada. Nous avons toujours un léger surplus.

Pouvez-vous me dire, monsieur Gifford, pourquoi nous suggérerions ce que nous avons fait lors de l'Uruguay Round pour nous débarrasser de ce pourquoi nous avions travaillé si fort, vu que cette étape a marqué le début de la fin?

M. Gifford: Monsieur le président, sans vouloir vous contredire, je dirais qu'en fait rien n'est arrivé à l'industrie de la gestion de l'offre par suite de l'Uruguay Round. Au contraire. Elle est de plus en plus forte.

Le sénateur Whelan: Différents magazines ont bien cité vos propos selon lesquels le problème du beurre serait attribuable à la gestion de l'offre.

M. Gifford: Non, monsieur le président. Comme vous le savez tous, il arrive souvent que les médias ne rapportent pas les faits exactement. Je faisais simplement allusion à une observation du Tribunal canadien du commerce extérieur selon laquelle certaines usines de crème glacée du centre du Canada étaient incapables d'obtenir assez de lait pour fabriquer de la crème glacée. J'ai simplement cité l'observation faite par le Tribunal canadien du commerce extérieur, monsieur le président.

Pour en revenir à votre première question, monsieur le sénateur, je vous dirais la même chose qu'aux Américains: nous sommes libres de commercialiser nos produits comme il nous plaît. Ce n'est l'affaire des Américains que lorsqu'ils peuvent prouver que notre façon de faire a un effet néfaste sur le commerce. Libre à nous de vendre notre blé à guichet unique et libre à nous également de vendre nos produits laitiers à guichet unique. Ce n'est pas aux Américains de décider de la façon dont nous organisons nos marchés.

Le sénateur Whelan: J'ai toujours pensé que cette décision nous regardait. Toutefois, l'Organisation mondiale du commerce et l'OCDE nous disent que nous devons participer à cette mondialisation, que le libre-échange va faire des merveilles et nous gobons tout ce qu'elles nous disent. Je n'ai jamais cru au commerce sans régulation. C'est comme conduire sur une route où il n'y aurait aucun règlement, où on pourrait aussi bien rouler à droite, dans le milieu ou où bon nous semble. C'est la même chose pour la mondialisation.

Regardez ce qui est arrivé dans le secteur bancaire. Le Japon était censé avoir le meilleur système bancaire au monde et il s'avère qu'il était le plus corrompu au monde. Souvenez-vous que c'était l'exemple à suivre, celui qu'il fallait surveiller et sur lequel il fallait se modeler.

Il est question ici d'un produit périssable, la nourriture, et des gens. Vous avez dit que vous n'êtes pas un expert de la politique agricole.

M. Gifford: J'ai dit que je n'avais rien à voir avec l'élaboration du programme national d'aide d'urgence à l'agriculteur auquel un de vos collègues a fait allusion, sénateur. Comme vous le savez, j'ai consacré toute ma carrière au commerce international des produits agricoles. Cependant, comme je l'ai dit aussi, si on veut réussir dans ce secteur, mieux vaut connaître les problèmes nationaux, parce que la plupart des problèmes commerciaux découlent des politiques agricoles nationales. De toute évidence, il faut donc savoir exactement ce que les Américains font, ce que les Européens font, ce que les Japonais font et ce que les Canadiens font pour être un négociateur efficace lorsqu'il est question de la politique agrocommerciale.

Le sénateur Whelan: Sur qui pouvons-nous compter alors? Quelqu'un des Affaires étrangères pourra-t-il nous servir d'expert en politique? Où trouver cet expert si ce n'est pas vous? J'aurais cru, monsieur Gifford, que vous possédiez cette connaissance nationale lorsque vous négociez. Comme le sénateur Hays l'a donné à entendre, vous faites des cadeaux sans obtenir grand-chose en échange.

Par exemple, le Secrétaire à l'Agriculture pour les États-Unis d'Amérique -- puisque le sénateur Hays parlait du contingent pour le bois d'oeuvre -- est responsable non seulement de l'agriculture, mais aussi de l'industrie forestière. Au Canada, nous avons cinq ministres qui s'occupent des affaires étrangères. Aux États-Unis, le Secrétaire à l'Agriculture est la seule personne qui s'occupe de l'aide étrangère, entre autres choses. Ce secrétaire jouit d'un pouvoir énorme.

J'ai eu affaire à trois secrétaires américains à l'agriculture et ils ne se sont presque jamais adressés aux Affaires étrangères; ils prenaient eux-mêmes les décisions. Je pense qu'il y a une trop grande ingérence des fonctionnaires des Affaires étrangères qui ne peuvent pas distinguer une truie d'une vache. Comme le président l'a dit tout à l'heure, il faut s'y connaître en agriculture, il faut savoir s'y prendre en agriculture pour faire ce métier.

Je m'interroge sur les gens qui s'occupent des négociations. Qui, à part Mike Gifford, a participé à l'Uruguay Round? Vous avez parlé de Genève, mais, d'après Mel Clark, il était déjà trop tard, une entente avait déjà été conclue. Il a dû se contenter d'un rôle de spectateur. J'ai essayé d'obtenir le procès-verbal de toutes les réunions, le compte rendu de toutes les conversations que vous avez eues, et on me les a refusés. On a refusé de me communiquer tout renseignement sur les réunions que vous avez tenues, sur ce que vous avez dit, et cetera. C'était un secret. Je peux vous montrer mes dossiers et les réponses que j'ai reçues. Je n'ai jamais rien pu savoir du négociateur en chef, Gerry Shannon.

Je connaissais Gerry Shannon lorsque j'étais votre ministre. Il n'a jamais aimé la gestion de l'offre et il n'a jamais aimé Canagrex. Comment aurais-je pu ou comment n'importe quel agriculteur qui connaissait cet homme, sa philosophie, sa façon de penser, aurait-il pu lui faire confiance? Lorsque je n'ai pas pu obtenir les procès-verbaux ni un compte rendu des négociations, je n'arrivais pas à croire que je vivais dans un pays démocratique.

M. Gifford: Sénateur, vous savez bien, puisque vous avez déjà été ministre, que les négociateurs suivent les instructions du Cabinet; ils ne travaillent pas en vase clos et doivent s'en tenir à la politique établie. Ils sont soumis à une surveillance très étroite, surtout les derniers jours des négociations, mais même dès le premier jour. Pour que le Canada puisse négocier efficacement au moment de la prochaine série de négociations, le ministre de l'Agriculture et le ministre du Commerce international devront, l'été prochain ou au début de l'automne, demander à leurs collègues du Cabinet d'approuver une position initiale de négociation pour l'agriculture. L'équipe de négociation devra s'en tenir aux instructions du Cabinet. Ses membres ne travaillent pas en vase clos, monsieur le président.

Le président: Je pense qu'il faut apporter une précision ici et je vais utiliser la Saskatchewan comme exemple. Soixante-dix producteurs font partie de l'Office de commercialisation du poulet de sorte qu'on ne peut pas comparer un produit d'exportation comme le blé, même si son commerce se fait par l'entremise de la Commission canadienne du blé, avec les produits mis en marché par les offices de commercialisation parce qu'il s'agit dans ce cas-ci d'un groupe de producteurs qui ne fait pas d'affaires sur le marché international. Les échanges sont limités au marché canadien. Si nous devions nous orienter dans la même voie en ce qui concerne la production du blé, nous finirions par nous retrouver avec 50 producteurs seulement pour l'ensemble du pays. C'est ce qui est arrivé à l'Office de commercialisation. Il ne faut pas se le cacher.

Je suis d'accord avec vous pour dire que cette solution a été avantageuse pour les producteurs laitiers. Ils forment un groupe, mais combien sont-ils? Combien d'aviculteurs reste-t-il? Ce sont maintenant de gros producteurs.

Le sénateur Whelan: Ce sont les plus gros acheteurs de grains fourragers au monde. Le marché des exportations n'est pas le plus important pour le grain fourrager.

Le président: Cela ne fait aucun doute, mais ils ne sont que 50. Nous devons être honnêtes lorsque nous regardons ce qui se passe dans le pays.

Le sénateur Spivak: Je trouve moi aussi que vos équations élégantes au sujet du commerce ne tiennent pas compte du contexte dans lequel les agriculteurs évoluent étant donné que le producteur n'a pas eu un rendement équitable depuis la grande crise alors que le transformateur et d'autres acteurs s'en tirent assez bien. Il n'est nulle part question dans ces négociations d'équité d'un pays à l'autre. Comme je l'ai dit au sujet de la culture, ce n'est pas une industrie comme les autres, parce qu'elle n'existerait pas sans les producteurs. C'est juste un commentaire.

Vous avez indiqué que les Européens sont passés du soutien des prix à l'indemnisation au moyen de paiements de revenu directs. Quelle marge avons-nous au Canada? Vous avez parlé de la différence entre deux milliards et quatre milliards de dollars. Avons-nous une marge de deux milliards de dollars avant d'éprouver des difficultés?

Ma deuxième question a trait aux obstacles à l'importation. J'aimerais connaître la position du Canada sur les obstacles à l'importation.

Vous m'avez décontenancée lorsque vous avez dit tout bonnement qu'il était dommage que l'Union européenne prenne tant de temps à adopter la biotechnologie. Regardez l'expérience des Européens. Les hormones dans le poulet ont causé de très graves problèmes chez les nourrissons italiens. Il faudra plusieurs générations pour se débarrasser de toutes ces hormones. Ce n'est pas un débat à sens unique. Prenons, par exemple, le gène terminateur que Monsanto veut utiliser pour le canola. Ces choses ont une incidence. Les experts en économie ont beau parler d'harmonie et de commerce, mais je ne pense pas que vous soyez des experts des questions scientifiques, à moins que je me trompe.

Ce chiffre de deux milliards de dollars se rapporte-t-il à une seule année?

M. Gifford: Vers le milieu des années 80, nos niveaux de soutien, soit sous la forme d'une aide monétaire soit sous la forme d'une aide indirecte par le biais du mécanisme des prix, s'élevaient à environ cinq milliards de dollars. Nous nous sommes engagés à les faire passer au cours de la période de transition de six ans de cinq milliards à quatre milliards de dollars. Cependant, ce chiffre englobe uniquement l'aide qui est réputée avoir un effet de distorsion sur les échanges. Nous ne sommes pas tenus de réduire les programmes de subventions de la boîte verte.

Dans la pratique, si j'additionne tous les programmes nationaux que nous avons, à l'échelle fédérale et provinciale, et le soutien des prix, j'obtiens un total d'environ deux milliards de dollars pour 1997. Si le Canada décidait d'augmenter les subventions qui faussent les échanges, ce moment pourrait passer de deux milliards à quatre milliards de dollars.

Il ne faut pas oublier, sénateur, que la totalité de cette somme de deux milliards de dollars n'a pas un effet de distorsion du commerce. Rien ne nous empêche de consacrer 10 milliards de dollars à des aides de la boîte verte. Je suis le premier à admettre et à soutenir que les réductions de la boîte jaune sur lesquelles l'Uruguay Round a débouché sont plutôt inefficaces. Cela, parce que la période de référence était tellement élevée au milieu des années 80 qu'une réduction de 20 p. 100 ne constitue pas vraiment une contrainte. Elle plafonne les niveaux de soutien, mais elle ne contribue pas à les faire baisser.

Le sénateur Spivak: Je ne comprends pas. Est-ce que ça veut dire que le gouvernement peut dépenser autant qu'il veut pour le soutien du revenu?

M. Gifford: Il doit s'assurer que les mesures prises entrent dans la boîte verte, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas un effet de distorsion du commerce.

Le sénateur Spivak: Le gouvernement doit s'assurer qu'elles entrent dans la boîte verte. Il n'a pas les mains liées. C'est un bon point.

Le président de la Commission canadienne du blé, M. Lorne Hehn, nous a dit qu'il y a un arriéré dans l'Union européenne. Est-ce que c'est vrai pour le Canada également?

M. Gifford: Vous voulez parler des subventions à l'exportation.

Le sénateur Spivak: Nous n'en avons pas.

M. Gifford: Non.

Pour ce qui est des obstacles à l'importation et de la position future du Canada, c'est ce que le gouvernement est en train d'élaborer actuellement. Il a entamé de vastes consultations avec l'industrie et tous les intervenants. Nous avons eu deux conférences couronnées de succès, une à Montréal et une à Red Deer, où tous les intervenants du secteur agro-alimentaire canadien, du producteur jusqu'au détaillant, ont échangé leurs vues sur ce que nous pouvons espérer obtenir des prochaines négociations de l'OMC. Où s'en va notre industrie et comment pouvons-nous utiliser ces négociations pour faire avancer nos intérêts économiques en matière d'agriculture?

Ces consultations se poursuivront tout au long des négociations, mais il y aura à la mi-avril l'an prochain à Ottawa une conférence importante à laquelle participeront les provinces, le gouvernement fédéral et tous les intervenants de l'industrie qui discuteront de la position que nous adopterons et des moyens de concilier les différents intérêts de groupements de producteurs spécialisés. Je ne serais pas prêt à dire que c'est l'Est contre l'Ouest. Je pense que certains groupes ont un point de vue et d'autres, un point de vue différent.

J'ai l'impression qu'on reconnaît de plus en plus que le secteur agro-alimentaire doit se reprendre en main et adopter une position unique, ferme et crédible à l'approche de ces négociations. Peu importe qu'on soit responsable de la gestion de l'offre, membre de l'une des associations d'éleveurs de bovins ou représentant d'un des comptes de mise en commun. Je pense que c'est un objectif que tous ont en commun.

En fin de compte, les négociateurs se fieront aux instructions qu'ils auront reçues des ministres. Nous nous attendons à recevoir ces instructions à l'automne 1999.

Le sénateur Spivak: Cette conférence va déboucher sur une décision. La position du Canada avant le début de ces négociations sera-t-elle transparente? Sera-t-elle rendue publique?

M. Gifford: Oui.

Le sénateur Spivak: Qui sera le ministre responsable? Est-ce que ce sera le ministre du Commerce international?

M. Gifford: Oui, le ministre du Commerce international.

Par le passé, dans le secteur de l'agriculture, deux ministres ou peut-être même trois ont signé le mémoire au Cabinet -- le ministre du Commerce et le ministre de l'Agriculture, et parfois le ministre du Commerce, le ministre de l'Agriculture et le ministre des Finances. La position à la table des négociations a toujours été définie par plusieurs ministères. Les trois ministres -- des Finances, de l'Agriculture et du Commerce -- travaillent en collaboration très étroite.

Pour en revenir aux observations de le sénateur au sujet du processus d'approbation réglementaire des stimulateurs de croissance en Europe, je suis au courant de la situation à laquelle elle faisait allusion. Il y a plusieurs années, parce que certains agriculteurs italiens ont abusé du diéthylstilbestrol, des enfants sont nés avec des malformations congénitales.

La réaction en Europe a été essentiellement d'interdire tous les stimulateurs de croissance. Cependant, la Commission du Codex Alimentarius et l'Organisation mondiale de la santé reconnaissent l'innocuité des stimulateurs de croissance s'ils sont utilisés sous surveillance.

Il va sans dire que ces stimulateurs de croissance sont approuvés aux fins d'utilisation au Canada et aux États-Unis, mais ils doivent être utilisés correctement et il ne faut pas en abuser. Aujourd'hui, en Europe, il y a bien des animaux qui voient le jour à l'aide de différents cocktails. Des stimulateurs de toutes sortes sont importés d'Europe de l'Est et entrent dans la fabrication de cocktails incroyables. Il n'y a pas de règlement.

Le problème tient à l'absence d'un système d'approbation adéquat. Nous reconnaissons volontiers que tout gouvernement a le droit et la responsabilité de veiller à la protection des humains, des végétaux et des animaux et il devrait pouvoir compter sur des systèmes d'approbation pour le faire.

En conclusion, ce que j'essaie de vous dire, monsieur le président, c'est que ces systèmes sont en place au Canada. En théorie, ils le sont aussi en Europe. Cependant, dans la pratique, ils ont été tellement politisés que rien ne bouge. C'est l'embâcle.

Le sénateur Spivak: Je comprends, mais un pays devrait avoir le droit d'agir à sa guise sans être accusé de faire obstacle au commerce. C'est comme l'étiquetage du lait. C'est un droit. Ce ne devrait pas être aux bureaucrates de dire que ce n'en est pas un, si vous voyez ce que je veux dire.

Des recherches scientifiques commencent à porter sur la manipulation des systèmes reproducteur et endocrinien. Elle peut ou non présenter un danger. Toutefois, nous devrions dans ces cas adopter le principe de la précaution, que le Canada et d'autres pays reconnaissent, mais ne mettent pas en pratique dans aucun autre domaine, dont les discussions commerciales.

Le sénateur Fairbairn: Nous avons touché un peu à tout ce matin et vous avez répondu à la plupart des questions que j'avais l'intention de poser.

Je vous écoute parler, monsieur Gifford, de l'élaboration d'un programme pour les négociations à venir en fonction de ce qui s'est passé lors de l'Uruguay Round et des négociations finales et je peux me faire une idée de l'état d'esprit des Européens. Étant donné ce qu'ils ont obtenu lors des dernières négociations, je ne pense pas qu'ils soient prêts à renoncer à grand-chose sous peu, du moins pas volontiers, ni aux avantages qu'ils ont réussi à obtenir.

Les États-Unis ne seraient pas prêts non plus à entamer de nouvelles négociations qui dureraient aussi longtemps que l'Uruguay Round. Je ne pense pas qu'on puisse parler de règles du jeu uniformes. À vous écouter parler, je me demande même s'il vaut la peine de discuter, parce que j'ai l'impression que les gens pensent qu'il faut essayer d'obtenir tout ce qu'on peut, parce que les règles du jeu ne seront peut-être jamais uniformes pour notre pays.

Avec les nouvelles négociations qui approchent, et l'état d'esprit étant différent en Europe et aux États-Unis, n'y a-t-il pas de bonnes chances pour qu'en fin de compte, dans le secteur de l'agriculture, quelque chose se passe comme dans le cas de l'Uruguay Round? Il pourrait y avoir une entente quelconque entre l'Europe et les États-Unis. Ils pourraient en arriver à un compromis et nous serions laissés pour compte de sorte qu'on ne pourra pas parler de règles du jeu équitables. Peu importe la politique qui sera adoptée, il ne devrait même pas être question de négocier quoi que ce soit.

À vous écouter parler aujourd'hui, je me dis que nous n'avons aucune marge de manoeuvre. Cela à un moment où notre communauté agricole, probablement pour toutes sortes de raisons internationales, fait face à l'une des pires crises depuis longtemps. Un des commentaires les plus tristes que nous ayons entendus d'autres témoins est que nous en sommes aujourd'hui à un point où les agriculteurs, malgré leur optimisme légendaire, ne se disent plus qu'ils vont tenir bon jusqu'à la dernière cent. Ils se disent maintenant, surtout les plus jeunes, qu'il vaut mieux laisser tomber pendant qu'ils ont encore un peu d'argent, parce qu'ils savent qu'ils n'en ont plus que pour un, deux ou trois ans.

Je me sens très pessimiste, sans blâmer qui que ce soit. Le fait est que nous sommes un grand pays peu peuplé qui s'apprête à entamer des discussions avec deux gros joueurs qui ont leurs intérêts propres. Pourquoi l'Europe serait-elle prête à se départir tranquillement de sa boîte bleue étant donné qu'elle a connu la guerre, la famine et toutes sortes de malheurs que nous n'avons jamais éprouvés? C'est presque une question philosophique par opposition à une question directe.

M. Gifford: Je comprends ce que vous voulez dire, sénateur. Je m'attends à ce que l'Europe continue à être plus sensible aux importations et moins orientée vers les exportations. C'est un fait.

Les Européens font la même distinction que celle que j'essaie de faire. Ils admettent que leurs mesures à la frontière, notamment leurs mesures d'aide à l'exportation, peuvent être très perturbatrices pour le commerce. Pour ce qui est des subventions à l'exportation, je pense qu'ils considèrent comme inévitable qu'à un moment la communauté internationale acceptera de bannir une fois pour toutes les subventions à l'exportation dans le secteur de l'agriculture. Ils doivent donc commencer à préparer leur secteur agricole à un monde où les subventions à l'exportation n'existeront plus.

S'ils le font, vous pouvez être certains qu'ils vont dire: «Si nous devons cesser de verser des subventions à l'exportation, ne vous attendez pas à ce que nous vous accordions un grand accès. Ne vous attendez pas non plus à ce que nous renoncions aux subventions intérieures. D'une façon ou d'une autre, nous continuerons à soutenir le secteur rural.»

Aux États-Unis, la situation est différente. Même si certains secteurs d'importation sont vulnérables, comme ceux du sucre et des arachides, il serait juste de dire que le gros des agriculteurs américains sont tout à fait en faveur d'un environnement commercial dans lequel les obstacles à l'importation seraient abolis et les subventions à l'exportation éliminées.

Franchement, madame le sénateur, sans le leadership des États-Unis pour la libéralisation des échanges de produits agricoles, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Brésil et l'Argentine ne parviendront à rien. Il est essentiel.

Comme vous le savez tous, la politique de l'agriculture est la même dans tous les pays développés. Nous avons donc besoin du leadership des Américains. Même si nous éprouvons à l'occasion des problèmes et des difficultés avec nos amis Américains, il faut bien l'admettre, sans le leadership des États-Unis au plan de la libéralisation du commerce des produits agricoles, les négociations à venir ne seront pas couronnées de succès.

Je ne sous-estime pas du tout les difficultés que suppose la prochaine série de négociations.

À mon avis, cependant, dans la mesure où le Commissaire européen Fischler pourra aller de l'avant avec sa réforme de la politique agricole commune qui lui permettra, entre autres, d'accepter de nouvelles réductions des subventions à l'exportation, voire leur élimination, et dans la mesure où l'Europe et les États-Unis délaisseront les programmes agricoles traditionnels en faveur d'un soutien plus direct du revenu ayant un moins grand effet de distorsion du commerce, je ne pense pas qu'il y a lieu d'être aussi pessimiste.

Comme vous le savez, il y a des progressions et des régressions cycliques en agriculture. Le ralentissement que nous connaissons actuellement est l'un des pires des dernières décennies, du moins depuis la guerre.

Les négociations débuteront à la fin de 1999. Si elles durent trois ans, elles prendront fin en 2002. Puis, il faudra à peu près un an pour apporter aux lois nationales les modifications qui s'imposeront. Aucun changement ne se produira donc avant l'an 2004, au plus tôt. Plus vulnérable est le secteur, plus délicate est la question, plus longue sera la période de transition -- elle pourrait durer de cinq à dix ans -- de sorte que nous sommes en train de parler ici des règles du commerce international à partir de 2004-2005.

Même si nous connaissons un ralentissement à court terme, les perspectives de croissance à long terme pour le secteur agro-alimentaire demeurent positives étant donné l'augmentation des revenus et l'accroissement démographique. Bien sûr, pour le moment, l'Asie fait du sur-place, mais nous nous attendons à ce qu'elle reprenne sa croissance économique. Dans un environnement où la population et, ce qui est plus important encore, les revenus augmentent dans une bonne partie du monde, les perspectives sont bonnes pour les secteurs agricoles qui sont concurrentiels, comme le secteur agro-alimentaire canadien.

Je ne suis peut-être pas aussi pessimiste que vous l'êtes, mais je suis d'accord avec vous pour dire qu'il ne faut rien tenir pour acquis. L'agriculture a toujours été une question difficile à négocier. Pendant 40 ans, les négociations dans le cadre du GATT en agriculture n'ont abouti à rien. La dernière fois, nous avons réalisé certains progrès. Nous en ferons plus encore cette fois-ci. Toutefois, vous avez raison, les règles du jeu ne seront pas tout à fait uniformes à la fin des prochaines négociations. Ce serait rêver en couleur que de croire le contraire.

Il y a d'autres pays qui ont des intérêts semblables aux nôtres et qui croient comme nous qu'il faut continuer à aller de l'avant, à amoindrir l'effet de distorsion du commerce; nous devons créer un environnement dans lequel le secteur agro-alimentaire canadien pourra croître et prospérer.

Nous ne pouvons pas abandonner la partie. Nous ne pouvons pas nous dire: «Maintenant que les barrières sont en train de tomber, les gens deviendront plus protectionnistes. Retranchons-nous sur le marché canadien.» Le marché canadien est composé de 30 millions de personnes. Autrement dit, 50 p. 100 de nos recettes monétaires agricoles proviennent des exportations. Si nous n'exportons pas, le secteur va dépérir.

Le sénateur Fairbairn: J'ai une dernière question. Vous avez indiqué que des pourparlers sont en cours avec divers éléments du secteur agricole au gouvernement et qu'il y aura une importante conférence en avril pour essayer d'en arriver à un consensus avant les négociations.

Étant donné que vous avez dit aussi que sans le leadership des États-Unis, nous ne réaliserons aucun gain, avant cette réunion d'avril, notre pays et d'autres pays qui sont au même niveau pour ce qui est des règles du jeu travaillent-ils en étroite collaboration en ce sens avec les États-Unis ou devons-nous attendre d'être parvenus à un consensus au Canada?

M. Gifford: Il est juste de dire que le groupe Cairns s'est efforcé au cours de la dernière année de rappeler aux gens que nous avons entrepris le processus de réforme, mais que nous avons cependant beaucoup de chemin à faire. Nous devons faire en sorte que la nécessité d'une réforme commerciale en agriculture demeure au programme à l'échelle internationale.

Peu importe que ce soit M. Vanclief qui fasse valoir cet argument à Washington ou à Bruxelles ou encore M. Goodale en Argentine ou en Indonésie. Notre message international, c'est qu'il est important que les prochaines négociations au sujet du commerce des produits agricoles partent du bon pied, qu'il faut que nous ayons des attentes ambitieuses.

De toute évidence, nous devons nous prendre en main. Tous les acteurs et les intervenants s'entendent pour dire que nous devons concilier nos intérêts et en arriver à une position commune. Nous ne pourrons rien attendre des négociations si la moitié de l'industrie dit une chose et l'autre moitié autre chose. Nous devons faire front commun. Cependant, nous travaillerons en même temps aux côtés de pays qui partagent les mêmes idées, dont les États-Unis. Il y a déjà un consensus qui se dégage au Canada selon lequel nous devrions essayer de nous débarrasser des subventions à l'exportation. C'est de toute évidence un point de vue que nous partageons avec les États-Unis.

Nous reconnaissons au Canada que, même s'il doit y avoir des processus d'approbation réglementaire adéquats, on ne peut pas simplement fermer les yeux sur les progrès de la science et dire qu'on ne peut pas utiliser la biotechnologie, que la biotechnologie sera une réalité de plus en plus importante du commerce des produits agricoles. Nous devons trouver un moyen, d'une part, de veiller à ce que les consommateurs soient protégés et, d'autre part, de nous assurer que ces processus ne sont pas des obstacles déguisés au commerce. C'est une préoccupation que nous partageons avec les États-Unis.

Nous avons certains intérêts en commun avec l'Europe. Nous n'aimons pas le fait que les Américains aient de très vastes programmes de crédits à l'exportation pour les produits agricoles qui, même s'ils n'ont pas un effet de distorsion aussi direct que les subventions à l'exportation, changent néanmoins les marchés au comptant en des marchés de crédits. Par conséquent, nous avons autant intérêt que l'Europe à assujettir les programmes de crédits agricoles à des règles de discipline internationales.

Nous avons de nombreuses alliances. Nous ne pourrons pas faire valoir notre point de vue aussi haut et fort que nous le voudrions tant que nous ne serons pas parvenus à un consensus au Canada quant à nos objectifs de négociation. C'est la première priorité.

Si l'histoire se répète, les Américains et les Européens concluront à un moment donné un accord bilatéral. Cependant, ce sera à la fin des négociations. Le groupe Cairns, y compris le Canada, pourra exercer son influence au départ, lorsque nous serons à peu près les seuls à exprimer des idées concrètes. Si nous avons de bonnes idées, elles seront acceptées. Nous devons être prêts à toute éventualité à la fin de l'année, avoir bien réfléchi à notre position et avoir certaines bonnes idées quant à la façon de faire avancer le processus.

À cet égard, nous devons appuyer les intérêts agricoles américains. L'argument que nous faisons valoir à l'administration, c'est qu'il faut pousser de l'avant le commerce des produits agricoles au cours des prochaines négociations. Nous ne pouvons pas revenir au bon vieux temps où les ministres du Commerce et de l'Agriculture des pays développés disaient: «L'agriculture est une question trop délicate du point de vue politique pour que nous y touchions. Nous allons la reléguer à l'arrière-plan où rien ne se fait et nous concentrer sur les secteurs où il est facile de réaliser des progrès; oubliez l'agriculture.»

Quarante années d'une telle politique à l'échelle internationale ont mené au chaos épouvantable dans lequel se trouve le commerce mondial des produits agricoles. Nous devons continuer à faire ce que nous avons commencé lors de l'Uruguay Round et orienter graduellement et progressivement l'environnement commercial dans la bonne voie. Nous ne pourrons pas régler tous les problèmes du jour au lendemain.

Même si les obstacles au commerce étaient considérablement réduits et les subventions à l'exportation éliminées, il y aurait quand même des progressions et des régressions cycliques dans le secteur de l'agriculture parce que c'est la nature de l'industrie. Le sénateur Whelan et ses collègues ont raison; l'agriculture ne se compare pas aux autres secteurs.

Les décideurs nationaux doivent reconnaître qu'il continuera à y avoir des fluctuations. Cependant, le défi pour eux consistera à concevoir des programmes de soutien agricole qui atteignent les buts visés tout en ayant une incidence néfaste minime sur le commerce. C'est le défi que tout ministre de l'Agriculture d'un pays développé doit relever aujourd'hui.

Le président: À cet égard, deux choses se produisent actuellement. Il y a tout d'abord l'octroi à contrat d'acres qui en est à ses débuts. Où cela mènera-t-il? J'ai étudié cette question la semaine dernière relativement au canola Roundup Ready, par exemple.

L'année dernière, 225 agriculteurs ont signé des contrats à 25 $ l'acre, contrats qui comportaient le droit d'ensemencer les terres en question. L'argent revient à la compagnie. Dans ce cas-ci, c'était Monsanto. Ils n'ont aucun choix. S'ils utilisaient cette semence, ils seraient devant les tribunaux aujourd'hui. Ils ne font pas beaucoup de bruit à ce sujet, mais la question à se poser est la suivante: où cela va-t-il nous mener?

La deuxième chose, c'est que les entreprises céréalières se fusionnent rapidement. Weyburn Terminal a actuellement une entente avec ADM ou United Grain Growers. Conagra paie le transport pour tout le grain acheminé vers ses terminaux à l'est de Moose Jaw. À cinq cents le boisseau, la compagnie est prête à payer le transport à partir de n'importe quel endroit en Saskatchewan. J'ai l'impression que tout va tellement vite que les ministères ne savent pas trop ce qui va arriver, comme vous l'avez indiqué. Il n'y a jamais eu autant de changements qu'aujourd'hui dans le secteur de l'agriculture, du moins dans l'industrie céréalière.

M. Gifford: C'est à l'échelle de l'industrie, monsieur le président. Vous avez tout à fait raison. La rationalisation et les fusions dans le secteur de la transformation des aliments ont pris une envergure beaucoup plus grande qu'au niveau des producteurs primaires.

Conclusion, le secteur de la transformation et le secteur de la production primaire doivent travailler ensemble. Ils ne peuvent pas travailler à contre-courant. Dans la région du sénateur Whelan, la réussite classique a été celle, je pense, des producteurs de tomates qui ont travaillé en collaboration avec les transformateurs. Ils ont aujourd'hui une industrie viable alors que certains s'attendaient à la voir disparaître par suite de l'accord de libre-échange. Cependant, parce que les producteurs et les transformateurs ont travaillé la main dans la main pour augmenter le rendement, ils ont réussi.

Il est normal que les producteurs primaires regardent les transformateurs de travers. Cependant, ils ont besoin les uns des autres.

Quant à votre allusion à la consolidation de la manutention du grain, monsieur le président, nos amis américains semblent un peu paranoïaques au sujet de la Commission canadienne du blé. Néanmoins, il est intéressant de signaler que si la fusion de Cargill et de Continental va de l'avant, Cargill interviendra pour plus du tiers des exportations totales de grains aux États-Unis. Il faut garder tout ça en perspective et on arrivera peut-être ainsi à détourner l'attention des Américains.

Le président: Le syndicat du blé de la Saskatchewan, de l'Alberta ou du Manitoba peut-il survivre dans cet environnement concurrentiel? C'est la question que se posent aujourd'hui bien des agriculteurs des Prairies, croyez-moi.

Le sénateur Hays: J'aimerais obtenir des éclaircissements au sujet d'une question que vous a posée le sénateur Stratton. Il s'agit du rapprochement et de l'opposition des groupes de produits. Pensez-vous que les résultats de l'Uruguay Round auraient été différents, il y a quatre ans, si nous avions abandonné la gestion de l'offre? Rétrospectivement, nous savons désormais que ce que nous voulions, ce n'était pas offrir une boîte bleue à l'Europe, car les Européens l'ont déjà utilisée pour maintenir leurs politiques antérieures. À mon avis, la boîte bleue est un programme de boîte rouge qui ne dit pas son nom. Nous ne voulions pas non plus du soutien américain à la boîte verte, ou soutien acquis, tel que, selon moi, se présente actuellement le soutien spécifique que les États-Unis accordent à certains produits.

Si nous avions abandonné la gestion de l'offre, aurions-nous été en mesure de négocier un accord qui aurait permis d'éliminer ces dispositions? Après tout, ce sont les causes profondes des problèmes que connaît actuellement l'industrie céréalière.

M. Gifford: Monsieur le président, ce n'est pas la première fois que je fais cette remarque, car certains prétendent que le Canada a sacrifié son secteur d'activités à l'exportation afin de protéger le secteur de la gestion de l'offre. À cela, j'ai toujours répondu catégoriquement que c'était faux.

Dans le cas de l'industrie laitière et de la volaille, nous avions une position défendable et crédible, puisque nous réclamions l'éclaircissement de l'article 11. Nous proposions un meilleur accès. Nous proposions de limiter les exportations. Nous avions une position crédible. C'est parce que notre position était crédible que nous avons pu la conserver si longtemps. Nous sommes parvenus à maintenir la crédibilité de notre position jusqu'à la fin des négociations, même si nous faisions face au barrage combiné des États-Unis et de l'Union européenne. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui prétendent que nos exportateurs ont souffert de notre prise de position ferme et pendant si longtemps, en faveur de la gestion de l'offre.

Je dirais même que nous avons réussi, au cours de ces négociations à obtenir le beurre et l'argent du beurre, puisque l'article 11 existait à l'époque et qu'il nous permettait, en vertu du GATT, de maintenir des contingents à l'importation afin d'appuyer une gestion efficace de l'offre. Nous offrions un accès amélioré. Nous étions prêts à accepter l'imposition de limites à notre capacité à exporter. Par conséquent, nous avions une position crédible et nous n'avions pas à sacrifier les visées de nos exportateurs en maintenant cette position.

Au cours de la prochaine négociation, toute la difficulté et l'incertitude viendront du fait que l'article 11 n'existe plus. Tout le monde se moque que nous appliquions des mesures de gestion de l'offre ou que nous ne puissions justifier les tarifs élevés, ces tarifs élevés existent désormais. La question ne porte pas sur la gestion de l'offre, elle consiste à savoir dans quelle mesure les barrières canadiennes aux importations devront tomber.

Le défi qui se pose à l'industrie et aux deux paliers de gouvernement est le suivant: si le seul obstacle aux importations à l'avenir sera le tarif et que certains pays imposent des contingents tarifaires et des tarifs élevés applicables à la production excédentaire pour des produits de certains pays, comment allons-nous satisfaire nos exportateurs qui voudront bien entendu réduire au maximum ces barrières tarifaires étrangères en tenant compte du fait que si nous souhaitons abaisser ces barrières dans les pays étrangers, nous serons invités nous-mêmes à réduire les nôtres?

Nous devons réfléchir à tout cela. Personne ne propose le moindrement de mettre brutalement fin à la gestion de l'offre. Ce système sera maintenu tant que les producteurs canadiens de ces secteurs spécialisés l'appuieront. Le problème est de savoir ce que nous ferons des tarifs applicables à la production excédentaire, du volume fixé aux contingents tarifaires et du tarif applicable à la production intérieure aux contingents. Voilà les problèmes auxquels doit réfléchir l'industrie.

Le sénateur Hays: C'est justement un problème extraordinairement complexe pour nous, puisque la gestion de l'offre est un système fermé qui comprend un prélèvement visant à réduire les excédents sur le marché, qui inclut des contingents qui s'appliquent à une part importante de la balance agricole, et je pense que les responsables doivent en prendre conscience au moment des négociations car sinon, il sera impossible de trouver une solution adéquate à ce problème complexe.

Il est dangereux de morceler les choses et de les faire étudier séparément par différentes personnes, étant donné que tous ces aspects sont reliés d'une manière qui n'a pas été pleinement comprise en 1994 et auparavant.

M. Gifford: Sénateur, je ne peux qu'être d'accord avec votre dernier commentaire. Toutes ces questions sont intimement liées. La différence entre l'Uruguay Round et les autres négociations commerciales c'est que l'on a pris conscience qu'il faut non seulement tenir compte des mesures appliquées à la frontière, c'est-à-dire les mesures concernant les importations et l'aide à l'exportation, mais qu'il faut également considérer l'effet de distorsion commerciale que peuvent produire ces aides intérieures. C'est le premier mouvement esquissé par les gouvernements en vue de reconnaître cette réalité.

Je reconnais qu'avant l'Uruguay Round, ces liens n'étaient pas reconnus, mais j'affirme que c'est parce que nous en avons pris conscience que l'Uruguay Round a adopté une réglementation des mesures de soutien intérieures.

Le sénateur Hays: Quel que soit l'objectif -- idéologique, économique ou autre -- le secteur agricole devra se restructurer. Les agriculteurs aimeraient que ce processus soit partagé par l'ensemble des agriculteurs du pays et par ceux du monde entier. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Pensez-vous que ce serait là un objectif de négociation que vous pourriez mettre à l'ordre du jour de la prochaine négociation?

M. Gifford: Tous les négociateurs y penseront à coup sûr. Il est clair que certains résultats des prochaines négociations causeront des problèmes. Le partage équitable de ce qu'il est convenu d'appeler «le fardeau de l'ajustement» sera certainement une préoccupation. C'est pourquoi il est difficile de rechercher une libéralisation maximale des exportations tout en maintenant le statu quo pour les importations. Le Canada n'est pas le seul pays à connaître cette situation. L'Europe a le même problème, ainsi que les Américains et les Australiens. Leur industrie du porc est inefficace et a sérieusement besoin d'une restructuration pour être concurrentielle.

Nous avons tous les mêmes problèmes. Dans le secteur du commerce agricole, la situation n'est pas clairement tranchée, nous sommes tous dans le flou. Le mieux que nous puissions faire est d'opter pour une orientation qui, à long terme, produira moins de distorsions commerciales et entraînera une réduction des disparités. Nous n'obtiendrons jamais des règles du jeu entièrement égales, mais nous pouvons prendre des mesures pour aplanir la situation.

Le sénateur Fairbairn: Le sénateur Hays a parlé de la gestion de l'offre et de la position que nous avons adoptée à l'occasion des dernières négociations. Il a évoqué également le fait qu'actuellement personne ne se soucie que nous pratiquions la gestion de l'offre. Ma question est la suivante: dans quelle mesure les barrières commerciales seront-elles éliminées? N'est-il pas vrai, monsieur Saint-Jacques, que la politique des prix pratiquée par le Canada pour les exportations de produits laitiers a été contestée devant une commission de l'OMC par les États-Unis et d'autres pays comme la Nouvelle-Zélande? Est-ce que c'est un élément dont nous devons tenir compte au moment où nous nous présenterons à la nouvelle séance de négociation? Que se passera-t-il si la commission de l'OMC n'appuie pas la position du Canada en ce qui a trait à l'exportation de ces produits? Que pourrons-nous faire?

M. Saint-Jacques: Actuellement, nous sommes persuadés que nous pouvons présenter des arguments convaincants. Nous avons eu deux auditions devant la commission. D'après ce que j'en sais, tout s'est bien passé. La commission va se prononcer sur cette question à la fin du mois de mars. Il est possible de faire appel de la décision de la commission, mais, pour le moment, je ne veux pas spéculer sur ce que sera cette décision. Nous sommes plutôt convaincus que nos mesures sont défendables et qu'elles ont été bien défendues. Je devrais ajouter que la défense de notre programme ne s'est pas faite isolément, mais en consultation totale et en coordination avec toutes les parties concernées. Agriculture Canada n'était pas le seul organisme représenté, puisque le CBC et les producteurs laitiers ont participé à part entière aux négociations de Genève.

Quel que soit le résultat, je pense qu'il sera pris en considération. Toutefois, comme l'a souligné M. Gifford, les négociations portent sur les subventions et les mesures appliquées aux frontières. Les structures internes sont de notre ressort.

Le sénateur Whelan: Parlons des subventions. Je vous parle d'un temps révolu, mais autrefois, pour qu'une subvention soit considérée comme telle, il fallait qu'elle provienne du Trésor public d'une province, d'un État ou du gouvernement fédéral. Je crois qu'aujourd'hui les critères ont changé. Est-ce que cela ne relève pas désormais de l'Organisation mondiale du commerce? Sur ce tableau, on cite les «Équivalents subvention à la production au Canada».

M. Gifford: Cela comprend le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.

Le sénateur Whelan: Est-ce qu'il faut toujours qu'elle soit payée à partir des deniers des contribuables pour être considérée comme une subvention?

M. Gifford: Oui.

Le sénateur Whelan: Mais alors, je ne comprends pas vos chiffres dans la catégorie «équivalents subvention à la production». Qu'est-ce que cela veut dire?

M. Gifford: C'est une méthode qui, dans une certaine mesure, permet de comparer des pommes et des oranges. Si l'on mesure l'argent consacré par le Trésor public aux subventions agricoles, on obtient un seul chiffre. En revanche, ces chiffres incluent ce que nous appelons un calcul de l'effet des mesures de soutien des prix. La différence entre le prix intérieur et le prix mondial est considérée comme l'effet des mesures de soutien des prix. Il faut combiner les deux. En tenant compte uniquement des versements effectués par le Trésor, on obtient une image déformée de l'aide réelle dont bénéficie chaque secteur agricole.

Dans le cas du Canada, la majeure partie des subventions sont consacrées aux secteurs de la gestion de l'offre. Cela tient au fait que l'OCDE prend en compte, dans ses calculs, la différence entre le prix intérieur et le prix mondial.

Pour revenir au commentaire de le sénateur Fairbairn, l'Europe pratique désormais la gestion de l'offre dans le secteur du lait, comme nous le faisons nous-mêmes. Les Européens imposent des contingents, comme nous le faisons nous-mêmes. Ils auront les mêmes problèmes que nous en ce qui a trait à la réduction des tarifs à l'importation.

Le sénateur Whelan: Monsieur Gifford, vous dites que les producteurs laitiers sont dans la même situation que nous. Au Canada, l'alimentaire n'est pas subventionné. L'argent des contribuables ne sert pas à soutenir le secteur alimentaire. Cependant, le Canada consacre une partie des impôts au conditionnement industriel du lait. Est-ce que c'est la même chose en Europe?

M. Gifford: En plus des montants consacrés au Canada à l'industrie du lait dans le cadre de l'ancien système de paiements compensatoires, les calculs prennent en compte la différence entre le prix mondial des produits laitiers et le prix canadien. Les chiffres européens sont calculés selon la même méthode.

Le sénateur Whelan: C'est du jargon économique. Les économistes changent les termes pour montrer quels progrès nous avons accomplis, et pourtant, le consommateur canadien consacre à la nourriture une partie moins grande de son revenu disponible qu'ailleurs dans le monde. En mettant sur le marché un produit plus cher, nous subventionnons ces gens-là.

Vous avez parlé de la tomate. J'ai moi-même été un producteur de tomates. À l'époque, nous avions cinq grandes usines de conditionnement des tomates dans notre région. Maintenant, il en reste peut-être deux. Une à Dresden et une à Leamington. Elles sont relativement petites. Nous avons perdu quatre grandes usines, en l'occurrence celles de Libby's, Campbell Soup, Hunts et Del Monte, à cause du libre-échange. La superficie que nous consacrons à la culture de la tomate n'est pas aussi grande que lorsque j'en faisais moi-même la culture.

Heinz a décidé de relocaliser une partie de ses activités aux États-Unis, mais l'entreprise a dû revenir, à cause des conditions climatiques et du sol dans le sud-ouest de l'Ontario. À Leamington, notre récolte a battu tous les records, puisqu'environ 269 000 tonnes de tomates ont été conditionnées. La saison dernière, le temps a été idéal. Tous les stocks de tomates ont été écoulés, parce qu'en Californie, le mauvais temps a causé beaucoup de pertes.

J'ai de sérieuses réserves au sujet des commentaires formulés par d'autres sénateurs aujourd'hui pour expliquer que nous n'ayons pas agi plus rapidement pour venir en aide à nos agriculteurs qui traversent cette situation difficile. Le Québec a pris les devants en mettant sur pied un programme spécial d'aide à ses producteurs de porcs, alors que nous faisons rien pendant que la situation économique s'aggrave.

Je connais un producteur de porcs qui perd 90 000 $ par mois. Comme il n'est pas jeune, il ne veut pas refinancer son exploitation et il ne sait pas quoi faire.

Le directeur de la Banque Canadienne Impériale de Commerce affirme que les agriculteurs devraient essayer de diversifier leurs activités. Ils devraient peut-être s'orienter vers le secteur bancaire où les denrées ne sont pas périssables et où il y a d'intéressants profits à faire.

Vous avez parlé d'une exemption des droits et vous avez dit que des pays comme la Suisse s'y sont opposés. Cette semaine, au Comité sénatorial des affaires étrangères, on a rapporté que le Japon avait manifesté son opposition dans le secteur des pêches et de l'agriculture.

Vous affirmez, monsieur Gifford, reprenant les paroles d'autres fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, que nous n'avions pas le choix. Cent trente et un pays dont certains sont incapables de mettre un poulet sur le marché, ont voté contre cette proposition.

Nous avons l'impression que nous n'avions pas le choix, et pourtant le Japon et la Suisse ont obtenu une exemption. Les États-Unis ont obtenu une exemption pour leurs produits laitiers, alors que nous n'avons pas pu en avoir.

Que pensez-vous de tout cela?

M. Gifford: Dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, les exemptions accordées aux pays n'existent plus. Elles existaient dans le GATT. Une des grandes réalisations de l'Uruguay Round a été de supprimer les exceptions et exemptions accordées à certains pays. Dans le cadre de l'OMC, les mêmes règles s'appliquent à tous les pays, grands ou petits.

L'APEC n'est pas une organisation contractuelle; c'est un regroupement sur une base volontaire. Les pays membres de l'APEC se sont demandés s'il serait utile de réduire unilatéralement leur protection, à l'extérieur de l'OMC. Le ministre japonais de l'Agriculture s'est opposé à réduire la protection dans le secteur de la forêt et celui des pêches. Cela étant dit, le Japon reconnaît que le secteur des pêches et celui de la forêt seront à l'ordre du jour des prochaines négociations de l'OMC. Ce sera une négociation contractuelle et aucune exemption ne sera accordée aux pays.

Le sénateur Whelan: Monsieur Gifford, certains témoins nous ont affirmé que c'est déjà appliqué au sein de l'Organisation mondiale du commerce.

M. Gifford: Vos témoins faisaient peut-être allusion à l'entente sur le riz. À la fin des négociations, tous les pays membres étaient censés formuler un tarif ou exercer une autre option. Les pays qui ne souhaitaient pas appliquer un tarif à leurs contingents d'importation devaient accorder un droit d'accès minimal très considérable qui s'appliquera jusqu'aux prochaines négociations et les demandes de renégociation ne seront pas gratuites.

Cette option a été proposée aux organismes canadiens de gestion de l'offre. Ils l'ont rejetée parce qu'ils ne voulaient pas que leur part passe de 8 à 4 ou 5 p. 100 du marché intérieur. Ils ont décidé d'adopter les règles générales de tarification.

Dans le cas du riz, les Japonais ont dû payer 3 p. 100 de plus pour maintenir le contingentement à l'importation qui s'appliquera jusqu'à la fin des prochaines négociations. S'ils veulent maintenir leur contingentement, ils devront verser beaucoup d'argent aux Américains, aux Thaïlandais et à tous les pays producteurs qui souhaitent augmenter leurs exportations de riz vers le Japon.

Le sénateur Whelan: Lorsque notre consommation d'oeufs augmentait de 2 p. 100, je me souviens très bien que les Américains avaient le droit d'augmenter leurs exportations chez nous de 2 p. 100, même s'ils ne participaient absolument pas à la publicité que nous faisions ici pour encourager les gens à manger des oeufs. C'est un système équitable, mais les Américains veulent envahir tout le marché. Ils ne veulent pas le partager de manière pratique, démocratique et économique.

Le président: Merci sénateur Whelan.

Je remercie les témoins pour cette matinée très intéressante et instructive. C'est un sujet très vaste qui touche aux divers secteurs de l'agriculture. C'est pourquoi il était si important que le comité se penche sur cette question.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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