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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 6 - Témoignages pour la séance du 28 avril 1998


OTTAWA, le mardi 28 avril 1998

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 16 h 20 pour examiner les questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Notre témoin aujourd'hui est M. Bruce Turris.

Soyez le bienvenu, monsieur Turris. Vous avez la parole.

M. Bruce Turris, directeur général, Pacific Black Cod Fishermen's Association: J'ai pensé commencer en vous racontant une blague sur les quotas individuels.

Le président: Est-elle de bon goût?

M. Turris: Absolument; toutefois, mes clients m'en voudront peut-être de la raconter.

C'est une blague qui m'est venue à l'époque où je travaillais au ministère des Pêches et des Océans (MPO):

Le gestionnaire des pêches est assis à son bureau. On vient d'instaurer pour la pêche du poisson de fond un nouveau régime de gestion appelé «quota individuel par navire» (QIN). Un des pêcheurs se présente devant lui et il est très mécontent. Il explique au gestionnaire pourquoi ce programme de quota individuel ne fonctionnera tout simplement pas. Le gestionnaire se met à lui énumérer tous les avantages du nouveau programme et tous les problèmes que présentait l'ancien -- de meilleurs prix et un meilleur approvisionnement, des conditions de pêche plus sûres et une réduction de la surcapacité. Plus il en parle, plus le pêcheur devient furieux; celui-ci finit par sortir en trombe en claquant la porte. Le gestionnaire le voit partir et se dit: «Ce type ne parvient tout simplement pas à comprendre; il n'est pas très brillant».

Un autre pêcheur se présente et exactement la même chose se produit. Le gestionnaire explique tout en long et en large. Le pêcheur sort en trombe. Un autre pêcheur encore vient le voir vers la fin de la journée: même scénario. En voyant chaque pêcheur partir, le gestionnaire se dit: «Enfin, il n'est pas très brillant. Il ne comprend tout simplement pas.»

Mais un autre pêcheur vient le voir et c'est encore le même scénario. Cette fois, le gestionnaire commence à se demander ce qui se passe. Il va voir son directeur et lui dit: «Nous avons ce nouveau programme de QI et il donne de très bons résultats. Les prix s'améliorent. L'approvisionnement est meilleur. Les conditions de pêche sont beaucoup plus sûres. Nous gérons bien le total des prises admissibles (TPA) qui nous est accordé. Tout va très bien, mais les pêcheurs sont mécontents. Quatre d'entre eux sont venus me voir aujourd'hui et ils sont fâchés contre nous. Ils sont tous vraiment stupides.»

«Non, non, répond le directeur, ils ne sont pas stupides. C'est que leur QI est peu élevé.»

C'était devenu un problème de répartition des quotas.

Honorables sénateurs, je vous remercie de cette occasion qui m'est offerte de parler de la question qui est à l'étude aujourd'hui. Je travaille pour la Pacific Black Cod Fishermen's Association. J'ai travaillé au MPO pendant 14 ans avant de me joindre à l'Association. Je gérais la pêche du poisson de fond sur la côte Ouest -- dont la pêche de la rascasse noire, soit dit en passant.

La Pacific Black Cod Fishermen's Association est un organisme légalement constitué représentant 48 titulaires de permis de pêche. L'Association a été formée en 1987 afin de protéger les investissements de ses membres dans la pêche. L'acte constitutif du groupe comprend la protection et la conservation de la pêche de la rascasse noire.

J'utiliserai indifféremment les termes «morue charbonnière» et «rascasse noire», car ils désignent le même poisson. Dans le marché, le terme «morue charbonnière» est généralement utilisé pour décrire le produit. Il se vend surtout au Japon. Dans les milieux administratifs et lorsqu'il est question des pêches en général, le terme «rascasse noire» est généralement utilisé. Je vais utiliser les deux expressions dans mon exposé.

La Black Cod Fishermen's Association a travaillé longtemps en étroite collaboration avec le MPO pour assurer la gestion, la recherche, la surveillance et la conservation de la pêche commerciale de la rascasse noire.

La pêche à la morue charbonnière se pratique depuis plus de 40 ans. La flottille de pêche hauturière japonaise a été la première à s'y intéresser au large de la côte ouest de la Colombie-Britannique. Ils ont pris des quantités considérables de ce qui était à l'époque une espèce dont les prises admissibles étaient inconnues ou indéterminées sur la côte Ouest.

La pêche de cette espèce par des flottilles étrangères a pris fin après une quinzaine d'années, en 1977, avec l'adoption par le Canada d'une zone économique élargie de 200 milles. Pendant quelques années par la suite, la rascasse noire a été une pêche accessoire dans certaines des autres pêcheries du poisson de fond ainsi que dans les pêches au chalut et avec ligne et hameçon.

Aux alentours de 1979, plusieurs pêcheurs canadiens ont tenté d'établir un marché pour la rascasse noire au Japon et dans d'autres pays et ont mis une nasse à l'essai comme moyen plus efficace et plus productif de pêcher ce poisson.

Leurs efforts ont été couronnés de succès dans les deux cas: les Canadiens ont réussi à pénétrer le marché japonais et la pêche à la nasse s'est avérée six à 10 fois plus productive que les méthodes traditionnelles de pêche de la rascasse noire.

Constatant cette situation, en 1981, le ministère a adopté des mesures visant à limiter l'accès à cette pêche par le recours à des permis d'accès limité. On s'inquiétait du fait qu'il devenait plus difficile de contrôler et de gérer la pêche par le biais du TPA, car le marché ne cessait de croître, de nouveaux engins étaient utilisés et la technologie progressait. On a essayé de limiter l'accès, comme on l'a fait à partir de 1969 dans le cas de plusieurs autres pêcheries.

C'est ainsi que 48 exploitants de navire de pêche ont obtenu un permis d'accès limité en 1981, et ce nombre est resté le même depuis. À l'époque, la méthode traditionnelle de gestion de la pêche consistait à simplement faire commencer la saison à une date précise, à calculer la durée de cette pêche à partir de la capacité de capture aux lieux de pêche ou dans la flotte, puis à mettre un terme à la pêche lorsque le ministère estimait que le TPA était atteint.

C'est ce que nous appelions dans les bureaux un système de gestion à l'aveugle, où l'on donne le signal de départ et tout le monde s'élance pour attraper le plus grand nombre de poissons possible. Quand on estime que le total des prises admissibles a été atteint, on ferme la pêche pour le reste de l'année.

Le ministère et l'industrie aussi se sont vite rendu compte que l'accès limité n'était pas une panacée aux problèmes entourant la gestion d'une ressource en copropriété que tout le monde s'arrachait.

Les permis pour la rascasse noire étant limités, leur valeur s'est accrue, car on y voyait un moyen de capturer des quantités considérables de poisson et de faire de l'argent. De plus, les pêcheurs ont fait le commerce de ces permis entre eux. Afin de justifier l'investissement pour leur permis, les acheteurs redoublaient d'effort par rapport à leurs prédécesseurs.

Ils ont investi également des sommes considérables pour leurs navires et leurs engins, pour les équipages et de la nouvelle technologie, toujours dans le but de faire mieux que les autres pêcheurs. En utilisant tous les moyens à leur disposition, ils se sont très bien tirés d'affaire. Ils employaient de plus gros bateaux et des équipages plus nombreux et ils pêchaient 24 heures sur 24. Ils recouraient à des chalands pour transporter des engins supplémentaires dans les zones de pêche, à des sondeurs, des sonars, des systèmes Loran améliorés, puis ils ont commencé à appâter davantage les nasses pour attirer encore plus de poisson. Ils prenaient toutes ces mesures simplement pour maintenir leur part de la récolte, sur laquelle ils comptaient chaque année, étant donné leurs investissements. Il en a résulté un cercle vicieux où l'effort et la capacité de pêche ne cessaient de croître.

En 1981, la durée de la pêche était de 245 jours. Elle a diminué au cours des années pour ne représenter que 14 jours en 1989. Parallèlement, la pêche a connu une augmentation de 42 p. 100 du total des prises admissibles, malgré une diminution considérable de la durée de la pêche.

La qualité des prises a baissé rapidement. La rascasse noire est un poisson qui doit être traité très rapidement après la prise pour en maintenir la qualité, car il se détériore rapidement. L'éviscération, le nettoyage, la préparation de la glace, la congélation et l'entreposage doivent se faire avec soin. La qualité des prises a souffert parce que les pêcheurs étaient plus intéressés à la course pour prendre le plus de poisson possible. L'éviscération et la congélation sont devenues secondaires. Le poisson gisait sur le pont car les pêcheurs consacraient plus de temps à remonter et à placer les engins de pêche, qui d'ailleurs étaient trop nombreux pour être utilisés efficacement. Au moment de la clôture de la saison de pêche, des millions de livres de poisson étaient débarquées en même temps. Il y avait du poisson qui demeurait sur les quais ou dans les bateaux pendant des jours avant d'être expédié sur le marché ou placé en entrepôt frigorifique.

La rente générée par la pêche était rapidement dissipée en frais de pêche et de récolte excessifs, par la moindre qualité et par des approvisionnements abondants.

De plus, comme la saison de pêche était de plus en plus courte, les pertes financières reliées aux pannes de navire, à la maladie, aux blessures et aux mauvaises conditions météorologiques ont augmenté. Avec une période de pêche de 14 jours seulement, vous pouvez imaginer qu'une défaillance de navire se traduisait presque assurément par l'incapacité de pêcher pendant toute la saison. Dans le cas d'une maladie ou d'une blessure, on doit parfois regagner le port et on peut perdre ainsi quatre ou cinq jours de pêche; lorsque la période de pêche ne comprend que 14 jours, il s'agit là d'une partie considérable du revenu annuel pouvant être tiré de la pêche. Les coûts de pêche augmentaient rapidement. Les prix du poisson débarqué diminuaient. Il n'y avait pas de marge de manoeuvre. Tout compte fait, la situation des pêcheurs de cette espèce n'était pas du tout rose.

La situation au MPO n'était guère mieux. Je tiens à rappeler que je parle ici uniquement de la pêche de la rascasse noire, pas d'autres pêches.

Au MPO, entre 1981 et 1990, la dernière année de la méthode de gestion à l'aveugle avant l'instauration des QIN, on avait de plus en plus de difficulté à gérer la pêche. Les prises avaient dépassé le TPA chaque année depuis 1981. Il n'était pas possible de maintenir la capacité de pêche en deçà du TPA attribué à la flotte, ou attribué à la pêche commerciale et enregistré par la flotte.

En effet, au cours des deux dernières années, à l'époque où la saison de pêche a été raccourcie, il est devenu encore plus difficile d'estimer la capacité et la durée de la saison. En 1988 et 1989, les prises ont dépassé le TPA de 26 p. 100 et de 18 p. 100, respectivement.

Je vais vous décrire plus en détail la rapidité de la décroissance de la période de pêche et les difficultés qu'ont eues les gestionnaires -- et je peux parler en connaissance de cause car j'en faisais partie -- au cours des trois années précédentes. En 1987, nous avons estimé qu'il faudrait 45 jours pour atteindre le total des prises admissibles, comparativement à 70 jours l'année précédente. Nous avons dépassé le quota. En 1988, nous avons ramené la période de pêche à 20 jours et nous avons dépassé le quota de 26 p. 100. Nous avons fixé la période à 14 jours et les pêcheurs nous ont dit qu'ils ne parviendraient jamais à atteindre le TPA en 14 jours. Nous avons dépassé le quota de 18 p. 100. Faute de l'adoption du programme QIN, nous envisagions une période de pêche de huit jours pour 1990.

Des changements importants s'amorçaient sur le plan de la structure financière et des ressources à la disposition du ministère. À cause des compressions budgétaires au MPO et des priorités dans la région du Pacifique, peu de ressources humaines et financières étaient consacrées au secteur de la pêche à la rascasse noire; ces ressources lui étaient indispensables pour lui permettre de s'autogérer à une époque où ce secteur devenait de plus en plus difficile à gérer. La priorité était généralement accordée au saumon et au hareng, et la pêche du poisson de fond était privée elle aussi de ressources.

En fait, il n'y avait aucun projet permettant la surveillance des débarquements de rascasse noire. Nous comptions sur la bonne foi des pêcheurs pour qu'ils nous communiquent les données de leurs journaux de pêche et de leurs ventes. Nous savions qu'il y avait beaucoup de problèmes de ce côté-là du point de vue des erreurs de déclaration et de la communication des données intégrales des reçus de caisse. Les règlements n'étaient pas appliqués. La rascasse noire ne faisait l'objet d'aucune mesure d'application particulière; en général, le poisson de fond était peu réglementé. La seule mesure d'application de la réglementation qui était consacrée à la rascasse noire consistait généralement à rajouter quelques patrouilles générales pour le poisson de fond ou quelques vols de surveillance. Pendant les années 80 et même jusqu'à 1989, on n'a jamais su dans quelle mesure les règlements applicables à la pêche à la rascasse noire étaient respectés.

En 1989, après la clôture de la saison de pêche, la Black Cod Fishermen's Association a entamé avec le MPO des discussions sur la réforme de la gestion de la pêche de la rascasse noire. Les discussions ont porté essentiellement sur les QIN. Après plusieurs mois de consultations entre le ministère et l'industrie, ils ont accepté de mettre en place un programme QIN à titre expérimental. Comme dans le cas des autres programmes de quota individuel que je connais, du moins au Canada, des parts du TPA annuel sont attribuées annuellement aux pêcheurs de ce poisson, c'est-à-dire aux exploitants de navire autorisés.

L'objectif était de surmonter les problèmes liés à la pêche d'une ressource en copropriété. Il s'agissait d'amener les pêcheurs à cesser de vouloir prendre le plus de poisson le plus rapidement possible et de se livrer concurrence. On cherchait à favoriser un esprit de conservation parmi les pêcheurs et à encourager le ministère à gérer la ressource en se fixant un objectif de conservation. Le principe de la conservation n'était plus respecté.

Je vous ai décrit rapidement l'évolution de ce secteur, comment on est passé de l'accès limité à des quotas individuels. J'aimerais maintenant aborder certaines des questions entourant les effets sociaux, économiques et biologiques des quotas individuels.

Quel a été l'impact sur la ressource halieutique? J'ai dit tout à l'heure que de 1981 à 1989, pendant que l'accès limité était en vigueur, le TPA a été dépassé pendant chacune de ces années, surtout en 1988 et 1989. Depuis l'entrée en vigueur des QIN, on a enregistré un dépassement uniquement au cours de la première année, de un demi de un pour cent. Au cours des sept années suivantes, la récolte du secteur commercial a été inférieure au TPA, en général de 1 à 5 p. 100.

Les nasses se sont avérées une méthode de capture du poisson qui fait beaucoup de place à la conservation. Elle est extrêmement sélective et les prises accessoires sont très peu nombreuses. Le plus souvent, le poisson est toujours vivant lorsqu'il arrive sur le pont. Jusqu'ici, cette méthode a été très efficace pour la remise en liberté des juvéniles ou des quelques prises accessoires. Dernièrement, on a aménagé des anneaux à l'intérieur des nasses, de sorte qu'il y a très très peu de juvéniles qui sont capturés.

Je ne prétends pas que la conservation est la première préoccupation de tous les pêcheurs. Ce sont plutôt les aspects économiques qui prédominent. Ceux-ci sont aujourd'hui au centre des activités des pêcheurs. S'ils dépassent les quotas qui leur sont attribués, la quantité est défalquée de leur quota individuel de l'année suivante. Un montant est versé indirectement par chaque bateau pour la surpêche.

Si les autres pêcheurs emploient des méthodes qui ne permettront au secteur d'assurer la viabilité de la pêche, les autres pêcheurs savent que leurs quotas individuels en souffriront, même si les conséquences de telles méthodes ne paraissent pas dans les prises débarquées, mais on verra ces conséquences à un moment donné en constatant les niveaux de rendement et les résultats des évaluations des populations et de leur viabilité. Il en résulte en général des mesures adoptées collectivement par le groupe.

De plus, avec l'ancien système qui encourageait la course au poisson, la valeur de l'investissement de chaque pêcheur dépendait davantage de leurs prises annuelles que de leurs investissements directs pour le navire et les engins. La situation est toute autre lorsque des quotas individuels sont attribués.

Ces investissements importants sont toujours là, surtout dans le cas de la rascasse noire, qui coûte très cher à pêcher à cause des investissements nécessaires pour capitaliser les activités et tirer son épingle du jeu, mais la valeur du bien réside surtout dans la valeur du QI. Et la valeur de ce bien, qui est considérable, dépend de la santé de la ressource. Donc, si la santé des populations diminue, il y aura une répercussion sur la valeur des biens. Nous sommes loin ici de la méthode de gestion à l'aveugle, où la santé de la ressource n'avait vraiment aucune importance pour le pêcheur.

De plus, l'association a joué un rôle très actif dans les activités scientifiques, l'évaluation des populations et les travaux de recherche sur ce secteur. Je tiens à préciser que ce rôle s'étend au financement intégral de tout le travail d'évaluation des populations effectué par le MPO, ce qui comprend le financement des salaires et des avantages sociaux, les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'immobilisations pour tout le personnel du MPO, le personnel scientifique et le personnel de recherche.

La PBFA a également retenu les services de scientifiques indépendants, M. Ray Hillborn et M. Carl Walters, pour travailler en étroite collaboration avec les scientifiques du MPO.

En fait, M. Hillborn a signé avec le MPO le rapport d'évaluation annuel. La PBFA a également recruté un technicien en biologie pour seconder le personnel scientifique du MPO relativement aux nombreuses activités de recherche entreprises chaque année, dont la location de bateaux et l'analyse et la collecte de données.

Il en coûte pour le personnel scientifique du MPO uniquement, environ 300 000 $ auxquels viennent s'ajouter 150 000 $ que dépense l'association chaque année pour le travail scientifique indépendant qu'elle effectue de concert avec le MPO.

Un comité des finances approuve le budget annuel pour l'évaluation des populations, les plans et les programmes de travail. En outre, l'association se charge de louer les bateaux nécessaires au programme scientifique et elle effectue le gros du travail de marquage. De 10 000 à 15 000 rascasses noires sont ainsi étiquetées chaque année. L'association finance également des travaux de recherche fondamentale effectués par le MPO sur la variation du régime de productivité.

On espère qu'avec le temps, en connaissant la productivité du milieu océanique, on pourra arriver à mieux prédire les déplacements à long terme des stocks et déterminer si le régime de productivité est à la hausse ou à la baisse. On pourra déterminer si on aura une bonne capture de rascasses noires juvéniles.

Plus directement et plus récemment, la PBFA a financé des travaux de recherche sur les anneaux de sortie des nasses qui ont donné des résultats très positifs et qui ont incité tous les exploitants de navires à ajouter de tels dispositifs dans les nasses en 1998 afin, encore une fois, comme je l'ai déjà mentionné, d'améliorer la sélectivité du poisson et d'accroître considérablement le temps de survie de rascasses noires juvéniles.

Une étude menée par le MPO a démontré que le programme des quotas individuels par navire (QIN) a nettement amélioré la rentabilité de l'exploitation des pêcheries de rascasse noire. Utilisant les données de l'Enquête sur les coûts et les gains à partir de 1988, soit deux ans avant l'adoption du QIN, et de 1991, soit les deux premières années du programme, l'analyse a montré que le revenu net tiré de la pêche de la rascasse noire s'est accru de 2,7 millions de dollars par année.

Je vous fais remarquer que leur propre rapport indique que ce chiffre ne tient pas compte des dépenses de recouvrement des coûts reliés à la recherche, à l'évaluation, à la surveillance, à l'application de la réglementation et à la gestion de la pêche, ni des frais fixes, des réparations et de l'entretien, des frais pour les filets et les engins de pêche, des frais d'intérêt et du rendement de l'avoir. Il montre malgré tout que le revenu net tiré de cette pêche a augmenté.

Les pêcheurs le reconnaissent eux-mêmes. Ils estiment que la situation est en grande partie attribuable à une augmentation de la qualité du produit, à la capacité de congeler du poisson en mer et à la capacité de répondre à la demande du marché et de pêcher pendant 12 mois. Depuis l'adoption du programme de quotas individuels par navire, la saison de pêche dure 12 mois, du 1er janvier au 31 décembre.

Pour ce qui est de l'accès à la ressource halieutique, 48 permis d'accès limité sont délivrés. Il y a cependant eu une rationalisation, ce qui était un des objectifs du MPO et de l'industrie elle-même. Avec 48 permis actifs, il y a eu réduction de 50 p. 100 de la flottille active. Tous les permis sont utilisés, ce qui signifie que la totalité du TPA est récoltée chaque année.

L'accès à la ressource halieutique n'a pas changé. Le milieu était très fermé dans les années 80 et il l'est encore dans les années 90 en raison de l'investissement considérable exigé. En moyenne, le navire de pêche de la rascasse noire mesure 75 pieds de longueur, compte un équipage de neuf personnes et pêche en bordure du plateau continental à l'aide de 500 à 600 nasses, à des profondeurs de 1 200 à 3 600 pieds. C'est une activité très capitalistique dont l'accès coûte très cher.

Bien que le droit de permis soit passé de 10 $ à 10 000 $, cela n'a pas vraiment posé de problème pour ce qui est de l'accès. Il y a eu une certaine rationalisation, mais ceux qui travaillaient dans l'industrie en 1981 y sont encore pour la plupart de nos jours, à titre de propriétaires-exploitants indépendants en majeure partie. Il n'y a pas à proprement parler d'exploitants étrangers. Aucune grande compagnie de transformation ne détient de permis de pêche à la rascasse noire.

Je vais maintenant parler des revenus, de l'emploi et des collectivités de pêcheurs. Les données de l'Enquête sur les coûts et les gains du MPO pour la fin des années 80 et le début des années 90 indiquent que le revenu des équipages s'est accru d'environ 2,7 millions de dollars depuis l'entrée en vigueur du QIN. L'emploi dans les pêcheries a diminué, principalement en raison de la rationalisation de la flottille. On s'y attendait, avec l'abandon d'un système qui favorisait un investissement excessif en capital et en main-d'oeuvre, avec des journées de pêche de 24 heures pendant 14 jours. C'était insoutenable du point de vue de la conservation, de l'économie ou de la rentabilité.

Le nombre d'emplois pour les membres d'équipage a diminué d'environ 40 p. 100, passant de 332 à 198 entre 1989 et 1997, mais ceux qui demeurent dans l'industrie ont aujourd'hui un emploi stable et à long terme et de bons revenus.

Il y a eu un important changement dans la répartition régionale des débarquements. Avant l'adoption du QIN, la région de Vancouver, soit la plus grande région métropolitaine en Colombie-Britannique, enregistrait 77 p. 100 des débarquements tandis que la côte sud-ouest de l'île de Vancouver, à partir généralement de Ucluelet-Tofino, en enregistrait 18 p. 100.

Cela a considérablement changé au cours des sept ou huit dernières années. En 1997, la part des débarquements enregistrés par la région du Lower Mainland-Vancouver, qui était de 70 p. 100, est tombée à 46 p. 100. À Prince Rupert, cette proportion est passée de 4 p. 100 avant le QIN à 29 p. 100 à l'heure actuelle, tandis que la part de la région nord de l'île de Vancouver, à savoir Port Hardy, Coal Harbour, Zeballos, Winter Harbour, est passée de 0 p. 100 à 20 p. 100. La part des débarquements de la région de la côte ouest de l'île de Vancouver, à savoir Ucluelet-Tofino et Port Alberni, a diminué, passant de 18 p. 100 avant le QIN à 5 p. 100 en 1997.

Je tiens à ajouter qu'en 1997, la valeur totale de la pêcherie s'est élevée à environ 30 millions de dollars. Nous estimons qu'elle sera d'environ 24 millions de dollars en 1998, en raison des crises économiques asiatiques et japonaises. La moyenne se situe autour de 24 à 30 millions de dollars; d'après les fluctuations observées au cours des quatre ou cinq dernières années. Il s'agit presque exclusivement de devises étrangères qui entrent au pays, étant donné que la quasi-totalité de la rascasse noire est exportée au Japon, en Corée et à Taïwan.

Pour ce qui est de l'effort de pêche global, j'ai fait remarquer plus tôt que nous sommes passés d'une saison de pêche de 245 jours à 14 jours. L'un des objectifs du ministère était d'éliminer une certaine capacité excédentaire de récolte, et il y est arrivé en supprimant des navires, des engins et de la main-d'oeuvre de la pêcherie annuelle.

La flottille active s'est rétréci de 50 p. 100, passant à 24 navires. La saison s'étale maintenant sur 12 mois et le nombre de jours de pêche a plus que quintuplé, passant de 672 en 1989 à 1 775 jours en 1997.

Les navires utilisent moins de nasses et cela fait partie de la réduction de l'effort de pêche. Auparavant, les navires en utilisaient de 800 à 1 000 comparativement à une moyenne d'environ 500 à 600 nasses aujourd'hui.

En ce qui concerne la structure de l'industrie et le degré de concentration de la propriété, j'ai indiqué plus tôt que l'industrie se compose de propriétaires-exploitants indépendants qui pratiquaient la pêche, ou qui ont commencé à la pratiquer, en 1981 ou avant. Ils la pratiquent encore et, il n'y a pas beaucoup de propriétaires étrangers.

Quant à la surveillance, au contrôle, à l'application et à la conformité, avant l'entrée en vigueur du programme, il n'y avait pas de surveillance du débarquement des prises, pas d'activités d'application ciblées et le niveau de conformité était généralement inconnu. Tout cela a changé radicalement avec la mise en oeuvre du Programme QIN. Aujourd'hui, toute la rascasse noire débarquée fait l'objet d'une vérification à quai indépendante, aux frais des pêcheurs, ce qui coûte environ 200 000 $ par année. Ce système permet de recueillir des renseignements sur la gestion des quotas individuels et l'évaluation des populations et permet de contrôler le degré de conformité au sein de la pêcherie.

Le programme comporte également une exigence d'arraisonnement des navires avant la pêche et avant le retour à quai, l'établissement de calendriers pour les observateurs, un programme informatique et un système d'ordinateur central. Toutes ces activités sont payées par l'association et permettent aux gestionnaires du MPO d'appeler des données à l'écran ou d'imprimer les rapports dont ils ont besoin pour gérer la pêcherie.

L'association et les titulaires de permis paient également en partie les salaires des six agents des pêches qui consacrent une partie de leur temps chaque année à des activités d'application de la réglementation à la pêche de la rascasse noire. Leurs salaires, les frais de fonctionnement et les avantages sociaux sont financés par le biais de notre programme de recouvrement des coûts.

Les pêcheurs de rascasse noire portent bien entendu un plus grand intérêt à l'ensemble des activités de conformité de la flottille de pêche et à celles d'autres flottilles commerciales qui pêchent la rascasse noire soit comme espèce dirigée ou comme espèce accessoire. Les pêcheurs ont travaillé avec le MPO au titre de l'application de la loi.

Pour ce qui est des activités financées par l'industrie et du recouvrement des coûts, l'attitude est plus responsable et les pêcheurs, plus motivés. Les activités d'application ciblées et la surveillance accrue dans la pêcherie ont entraîné une amélioration substantielle de la conformité, comme le montre le ministère lui-même dans un certain nombre de vérifications effectuées au cours des six ou sept dernières années.

Les frais de gestion de la pêcherie ont grimpé en flèche. Nous sommes partis d'un système où le ministère n'appliquait pas la réglementation, ne surveillait pas les activités ou ne se concentrait pas sur la gestion de la pêcherie. Il ouvrait la pêche, il la fermait, cela s'arrêtait là.

Comme la saison de pêche est étalée sur 12 mois, il faut maintenant beaucoup de ressources en gestion par navire et de processus administratifs. L'avantage, c'est que les coûts du travail en termes de consultation, de calcul du QIN et des transferts, de l'arraisonnement des navires avant la pêche et avant le retour à quai et des programmes de surveillance sont tous recouvrés. Cela ne coûte rien au gouvernement du Canada et aux contribuables.

Ces programmes sont tous financés soit directement soit par le biais d'un mécanisme de récupération des coûts, qui a été mis sur pied avec le Conseil du Trésor, et en vertu duquel l'association verse les fonds directement au ministère.

De plus, le ministère s'est dessaisi par contrat de certaines responsabilités en matière de gestion au profit de la PBFA. C'est ainsi que l'association est chargée de préparer les plans annuels à long terme de gestion de la pêche commerciale à la rascasse noire qui sont incorporés aux plans de gestion intégrée du ministère.

L'association consulte régulièrement le MPO et les intervenants de l'industrie commerciale concernant les objectifs du ministère et les exigences opérationnelles. Elle coordonne, surveille et exécute le programme de vérification à quai, le programme d'échantillonnage biologique, le programme d'étiquetage pour l'évaluation des populations et le programme de transfert des QIN pour la rascasse noire.

Nous coordonnons les réunions du comité des finances de la pêche à la rascasse noire chargé d'approuver les plans de travail et les budgets annuels pour la recherche, l'évaluation des populations, la surveillance, l'application de la réglementation et la gestion relativement à la rascasse noire. Nous finançons également tous les aspects de la pêcherie commerciale, y compris la recherche, l'évaluation des populations, la surveillance, l'application de la réglementation et la gestion associée à la pêche commerciale de la rascasse noire. Au total, ces activités coûtent annuellement environ 1,2 million de dollars.

Enfin, j'aimerais terminer mon exposé en évoquant la question de la privatisation de la ressource. Au cours des mois qui viennent, vous entendrez un certain nombre de personnes ou de groupes qui s'opposent au concept de quotas individuels par navire. Je ne veux aucunement laisser entendre que ces quotas sont une panacée. Ce sont un outil et ils ont leurs limites, comme toute mesure de gestion. Ces gens vous diront qu'ils estiment que le QIN constitue une privatisation de la ressource. Ce n'est certes pas la position de la Black Cod Fishermen's Association.

Nous sommes d'avis que les quotas individuels par navire ne privatisent pas la ressource. Ils en limitent l'accès, et sans cela, nous n'aurions pas une pêcherie qu'il est possible de gérer, qui génère des retombées économiques qui permettent de satisfaire les besoins de la pêcherie, qu'il s'agisse de la recherche ou de la gestion, ou de la viabilité du secteur commercial.

La décision de limiter l'accès à la pêcherie commerciale a été prise il y a longtemps, avant les QIN. L'accès restreint a commencé avec l'accès limité. Sur la côte Ouest du Canada, cela s'est produit en 1969 avec le plan Davis et l'adoption du permis d'accès limité pour le saumon, qui nécessitait un important investissement en capital.

L'accès limité a entraîné une augmentation de la valeur des permis de pêche commerciale. Le MPO le considérait comme une mesure nécessaire pour gérer la pêcherie de façon appropriée.

Personne ne proposera d'abandonner l'accès limité en faveur d'un accès libre généralisé à la pêche. La gestion de la ressource s'en trouverait bouleversée. D'un point de vue économique, les avantages générés par la pêcherie disparaîtraient rapidement.

L'accès limité n'a pas réglé le problème inhérent de «propriété commune», de la course au poisson. En fait, elle a montré que sans d'autres outils utilisés en parallèle, l'accès limité ne fait que précipiter la détérioration rapide de la pêcherie étant donné que la course au poisson s'intensifie.

Sans l'adoption du QIN, dans le cas de la rascasse noire, on aurait continué de dépasser le TPA, de perdre davantage de navires, d'engins et d'équipages lors d'accidents en haute mer étant donné que les pêcheurs auraient voulu compenser les jours de mauvais temps ou les bris de navires, compte tenu des énormes investissements et de la nécessité de continuer à pêcher.

Il y aurait eu un accroissement des activités de pêche illégale au fur et à mesure que des pêcheurs auraient désespérément cherché à maintenir leur part des prises. Au bout du compte, le secteur se serait effondré. D'un point de vue juridique, de la façon dont ils sont structurés dans le cadre du présent régime et de la loi en vigueur, et compte tenu de la façon dont le ministre a attribué les parts de TPA, les QIN ne constituent pas une privatisation de la ressource de propriété commune.

Les permis de pêche commerciale de la rascasse noire sont des privilèges, et ce statut est maintenu même en vertu des QIN. Ces permis sont accordés annuellement par le ministre et permettent aux pêcheurs de récolter un pourcentage donné du TPA annuel. On est loin de la course au poisson. Le fait d'attribuer une part du TPA total lui confère un caractère de quasi-propriété et engendre les retombées positives dont j'ai parlé dans mon exposé. On ne cherche plus à faire la course au poisson, mais plutôt à maximiser la part à laquelle on a droit.

Les efforts de gestion traditionnelle pour contrôler les intrants à la pêche comme les engins, les navires, les périodes de pêche et le nombre d'équipages ont toujours représenté un pas ou deux en arrière face à l'ingéniosité incroyable des pêcheurs en cause. La gestion du QIN permet de contrôler le produit de la pêche: les pêcheurs cherchent à maximiser la part à laquelle ils ont droit, pas à pêcher davantage.

Ils concentrent leur créativité, leur ingéniosité, à la part qui leur a été attribuée. Cela a donné lieu à une amélioration de la qualité du produit, à un meilleur approvisionnement, à des pratiques de pêche plus sûres, à des prix débarqués plus élevés, à des activités plus efficientes sur le plan économique, à une meilleure gestion du TPA et à des communications et une coopération améliorées entre les participants de l'industrie et les gestionnaires du MPO.

Chose plus importante encore, en vertu de ce système, chaque pêcheur comprend mieux l'importance que le MPO accorde à l'aspect scientifique, à la recherche et à la gestion pour la viabilité à long terme de la pêche.

Les QIN sont un outil précieux, mais ils restent un outil. Ils doivent être utilisés adéquatement en combinaison avec divers autres documents statutaires et de politiques élaborés pour l'industrie. Il doit y avoir véritablement consultation avec les participants de l'industrie commerciale, ce que la Black Cod Association tente de faire en collaboration avec le ministère des Pêches et des Océans depuis un certain temps.

Les QIN ont complètement changé la situation de la pêche à la rascasse noire. On a pu corriger un cas classique comportant tous les problèmes associés à une ressource «en copropriété». Aujourd'hui, je crois que beaucoup de gens au ministère concéderaient que cette pêche est l'une des mieux gérées sur la côte ouest du Canada, si ce n'est dans le monde.

La BPFA et les pêcheurs de rascasse noire ont constamment lutté pour que des changements progressistes soient apportés comme le QIN, la vérification à quai, le recouvrement des coûts, le financement par l'industrie et la cogestion. Nous croyons avoir de nouveau manifesté notre capacité de travailler en collaboration avec le MPO et d'agir de manière responsable au nom du secteur commercial en tant que gestionnaires de la ressource de rascasse noire.

Je vous remercie encore, et je répondrai volontiers à vos questions.

Le président: Merci beaucoup pour votre exposé, monsieur Turris; nous allons certainement vous poser des questions. Le premier à le faire sera le sénateur Stewart.

Le sénateur Stewart: Merci, monsieur le président.

Si je comprends bien, il y avait tout d'abord 48 permis, puis après l'introduction du système de quotas le nombre de navires a diminué. Permettez-moi de citer votre mémoire:

Bien que 48 permis d'accès limité soient toujours délivrés chaque année, la flottille active s'est rétrécie de 50 p. 100, passant de 48 navires en 1989 (année qui a précédé l'adoption du QIN) à 24 navires en 1997.

Cela signifie-t-il que le nombre de personnes à qui ces permis sont délivrés est passé de 48 à 24? Et je parle de personnes au sens juridique du terme.

M. Turris: Non, monsieur.

Permettez-moi de revenir en arrière. La bureaucratie, les règles du ministère, voilà ce qui crée la différence entre le nombre de navires et le nombre de permis.

Une règle établie avant le QIN et qui est resté en vigueur depuis lors n'autorise qu'un seul permis de pêche à la morue charbonnière par navire. Maintenant, même avant le QIN, il y avait 48 permis, mais il ne s'agissait pas là de 48 personnes différentes au sens juridique du terme: 39 ou 40 personnes morales jouissaient des privilèges.

Le QIN a permis de transférer et de regrouper les quotas pour un moins grand nombre de navires, de rationaliser la flottille. Le ministère a maintenu deux choses: il ne pourrait y avoir qu'un seul permis de pêche à la morue charbonnière par navire; et deuxièmement les transferts ne pourraient être que temporaires, pour un an.

Vous pourriez transférer le quota d'un permis à un autre pour l'année, mais non pas en permanence. À la fin de l'année il doit retourner au permis original, et ce permis doit être détenu par un navire séparé, car il y a un permis par navire.

Malgré les objections de l'association, qui demandait qu'on autorise les transferts permanents de quotas ou de permis, cela ne s'est pas fait. Vous devez toujours avoir 48 permis pour 48 navires différents, mais ces permis sont transférés annuellement en vertu des règles qui l'autorisent, de sorte que vous avez moins de 48 navires en activité. Ainsi, il y a 24 de ces navires qui pêchent. Aujourd'hui, je crois qu'il y a à peu près 33 personnes morales qui détiennent ces 48 permis.

Le sénateur Stewart: Êtes-vous en train de nous dire qu'il y a des navires symboliques?

M. Turris: Oui.

Le sénateur Stewart: Il y a des navires fictifs.

M. Turris: Ce ne sont pas des navires fictifs, car ils sont probablement actifs dans d'autres pêches. Ils peuvent détenir plus d'un permis. Ils peuvent détenir un permis de pêche au chalut, un permis de pêche au saumon, un permis de pêche à la morue charbonnière, mais ils ne pêchent pas la morue charbonnière.

Le sénateur Stewart: De toute façon, pour ce qui est des navires en activité, leur nombre a diminué, de même que le nombre des personnes morales qui détiennent des permis, n'est-ce pas?

M. Turris: En effet.

Le sénateur Stewart: Vous comprenez pourquoi je pose cette question. Vous recommandez le système et vous avez invoqué diverses raisons pour lesquelles vous croyez que c'est un très bon système. Je viens de la côte Est, de la Nouvelle-Écosse, et les gens là-bas craignent qu'il n'y ait une concentration de la propriété des permis d'accès. Bien entendu, vous savez que les grosses entreprises, pour une raison ou pour une autre, n'ont pas très bonne réputation. On prétend qu'elles ont pillé les pêches, notamment les pêches au poisson de fond.

On craint que ces entreprises n'accumulent les permis. Le résultat de cette rationalisation -- et je pèse mes mots. Quand vous entendez un fonctionnaire parler de rationalisation, méfiez-vous -- ce sera qu'un nombre relativement petit de personnes morales vont contrôler la pêche. Les gens qui sont à l'heure actuelle des entrepreneurs indépendants ne seront plus que des hommes de pont. Voilà ce qu'on craint. Maintenant, étant donné l'expérience que vous avez de cette pêche, qui, j'en suis conscient, est un cas très spécial, car les nombres y sont relativement petits, y a-t-il selon vous une bonne raison qui nous permettrait de dire que cette crainte n'est pas fondée?

M. Turris: Bonne question, sénateur Stewart.

J'ai beaucoup d'expérience dans le domaine des pêches QIN. J'ai participé à la mise en oeuvre des programmes QIN concernant le flétan, la panope, la pêche du poisson de fond au chalut, tous sur la côte Ouest. Je les ai administrés pendant un certain nombre d'années. Quand les programmes sont discutés et définis, c'est toujours là la crainte qui prédomine chez les pêcheurs.

Je crois que le point de départ est très important, et j'en ai pour preuve les recherches que j'ai faites au sujet de plusieurs pêches qui avaient le même genre de préoccupations. Sur la côte Ouest, les pêches qui appartenaient d'abord surtout à leurs exploitants ont adopté le QIN. La pêche au flétan est le meilleur exemple. Il y avait 435 détenteurs de permis, exploitants de petits chalutiers. Ils étaient très indépendants, et il s'agissait souvent d'entreprises familiales. Ce qu'ils craignaient surtout au sujet des quotas individuels, c'était d'être achetés par BC Packers ou par les grosses entreprises de pêche qui achetaient leur flétan.

Ils voulaient contrôler la concentration des quotas; par conséquent, ils ont contrôlé le nombre de quotas pouvant être regroupés. De fait, il ne peut pas y avoir plus de deux quotas par navire, et celui-ci doit avoir un permis.

Les craintes que les pêcheurs avaient au sujet de cette pêche ne se sont pas concrétisées. Les grandes entreprises de transformation ne détenaient alors que 5 p. 100 environ des permis. Elles s'en sont elles-mêmes départies pour la plupart.

Mon explication pour cela, c'est qu'il était devenu trop onéreux pour ces entreprises de prendre le contrôle de la pêche, étant donné qu'elles partaient pratiquement de zéro, l'industrie appartenant surtout à ses exploitants.

Le secteur de la transformation a beaucoup investi dans la pêche du poisson de fond au chalut sur la côte Ouest. Je pense que c'est une pêche qui est susceptible d'être davantage contrôlée par les entreprises de transformation après l'application du QIN. Le regroupement de quotas est beaucoup plus grand qu'avant la mise en vigueur du QIN.

On a pris des mesures pour tenter de restreindre cela. Seul le temps dira si elles auront été efficaces, car le QIN n'en est qu'à sa deuxième année. En Nouvelle-Zélande, les entreprises ont accru considérablement leurs quotas. Ce fut d'abord l'affaire de gros holdings, et dès la première répartition Fletcher Challenge et d'autres entreprises ont reçu d'énormes quotas. Tout dépend du point de départ.

Dans le cas de la morue charbonnière et du flétan, il y a des systèmes de propriétaires-exploitants indépendants. La morue charbonnière est une pêche très spécialisée, qui exige d'importants investissements au départ. Ceux qui travaillent déjà dans ce secteur possèdent un avantage naturel. Si les grosses entreprises de transformation ne font pas d'importants investissements dès le début, elles ne vont pas pouvoir avoir accès à cette pêche.

En 1989 ou 1990, une entreprise de transformation aurait pu acheter les permis de toute la flottille de pêche au flétan pour beaucoup moins que ce qu'il lui en coûterait aujourd'hui pour acheter 20 p. 100 du quota.

Le sénateur Butts: Est-ce que je pourrais acheter un bateau et obtenir le QIN?

M. Turris: Les permis pour toutes les pêches se négocient indépendamment. Le propriétaire d'un navire peut vous vendre son navire et le permis avec le quota, ou vous pouvez acheter le navire séparément.

Le sénateur Butts: Est-il transférable?

M. Turris: Oui, le permis est transférable.

Le sénateur Butts: Pourquoi ne parle-t-on pas de QIT comme dans le reste du monde?

M. Turris: Il y a une raison à cela. En 1988, j'ai présenté le programme de la panope, qui était une proposition QIT, au directeur des opérations. À l'époque, ce sigle avait une connotation négative, et le directeur régional ne voulait pas du «t». Afin d'en exclure la notion de propriété, on a décidé de parler de «quota individuel par navire». Depuis, chaque programme est accompagné du sigle QIN.

Le sénateur Butts: L'un des problèmes qui se posent, c'est que si le navire se déplace, le quota le suit.

M. Turris: Je crois que votre préoccupation pose un plus gros problème sur la côte Est que sur la côte Ouest.

Le sénateur Butts: Vous pouvez vous permettre d'avoir des normes éthiques sur la côte Ouest, n'est-ce pas?

M. Turris: L'économie est une question importante pour les membres, et leur éthique peut être contestée, tout comme celle de n'importe qui d'autre.

Le sénateur Butts: Nous donnez-vous cela comme modèle?

M. Turris: C'est un modèle qui a très bien fonctionné pour la morue charbonnière. Il y a certainement des exemples de programmes de quotas individuels qui ont échoué. La pêche à l'ormeau a échoué sur la côte Ouest parce que, après avoir créé un système, on ne l'a pas appliqué, ce qui a donné lieu à une mauvaise gestion et à un mauvais contrôle des prises, de même qu'à une mauvaise évaluation des stocks et à une surpêche. Le QIN est un outil important, mais ce n'est qu'un des outils essentiels à la gestion de la pêche.

Le sénateur Butts: Vous avez parlé de l'arrivée de nouveaux participants, et je me demande combien il y en a. Achètent-ils des permis, ou des permis sont-ils retirés?

M. Turris: Ils achètent des permis.

Le ministère reconnaît le transfert de propriété du navire et même le transfert du privilège que constitue le permis. Sur le marché, il s'agit vraiment d'un achat de permis.

Le sénateur Butts: Tous les problèmes dont vous parlez sont attribuables à la notion de bien commun.

M. Turris: Oui.

Le sénateur Butts: Le seul problème que vous n'avez pas réglé, c'est le chômage.

M. Turris: Il y a encore beaucoup de problèmes dans la pêche.

Le sénateur Butts: Le système réalise peut-être des choses merveilleuses, mais il supprime des emplois.

M. Turris: La gestion des pêches pose toujours des problèmes, et je ne prétends pas qu'il s'agit là d'une panacée.

Le sénateur Butts: Ce n'est pas une panacée, mais on remplace le bien commun par la propriété privée.

M. Turris: Sans imposer la propriété privée, on essaie de fournir les outils que la propriété privée fournirait -- les ressources de gestion -- si elle était mise en oeuvre. C'est quasi-propriété.

Le sénateur Butts: Ces gens se disciplinent-ils eux-mêmes?

M. Turris: Non. Ils embauchent 30 ou 40 contrôleurs indépendants le long de la côte. Ils financent aussi l'application de certaines décisions par le ministère.

Le sénateur Butts: Qui est responsable des pénalités quand les quotas sont dépassés?

M. Turris: Il s'agit d'un processus administratif.

Le sénateur Butts: C'est votre tâche alors.

M. Turris: En collaboration avec le ministère, bien entendu. Le ministre délivre les permis chaque année. Si un navire devait dépasser de 2 000 livres son quota, je préparerais la documentation, et le quota pour l'année suivante serait réduit de 2 000 livres. Le ministre délivrerait alors le permis comportant un quota réduit.

Le sénateur Butts: Vous avez parlé de l'étendue de la région, qui va de Prince Rupert, au nord, jusque dans le sud. Pour une aussi petite pêche, c'est toute une tâche que de surveiller ce territoire.

M. Turris: Oui, et c'est l'industrie qui paye.

Le sénateur Butts: Peuvent-ils gagner assez d'argent en 14 jours, ou dans le cas de l'autre chiffre, en 74 jours?

M. Turris: Oui. La situation économique de la pêche s'est grandement améliorée, et il n'y a que 24 navires en activité.

Le sénateur Butts: C'est formidable de pouvoir gagner suffisamment d'argent en 14 jours.

M. Turris: Ils ne l'ont pas fait en 14 jours. La pêche était sur le point de s'effondrer.

Le sénateur Butts: Ils le font en 74 jours?

M. Turris: C'est la moyenne par navire. Selon le quota qu'ils essaient de pêcher dans l'année, certains navires pêchent pendant bien plus que 150 jours. Toutefois, la moyenne de la flottille en activité est de 74 jours de pêche.

Le sénateur Butts: Quel est le rôle du MPO dans tout cela? C'est lui qui a manifestement fait des erreurs auparavant.

M. Turris: Je ne voulais pas donner cette impression. Je ne veux pas dire qu'il y a eu des erreurs. Les gestionnaires des pêches et le MPO ont fait tout leur possible pour bien gérer la pêche. La gestion de la pêche suit une progression logique.

Le rôle du MPO est une question compliquée. Le ministère a pour tâche de préserver la ressource; la conservation est à l'avant-plan. Toutefois, son rôle ne s'arrête pas là, loin de là. S'il ne s'agissait que de conservation, le ministère n'aurait pas de pêche commerciale; il laisserait tout le poisson dans l'eau.

Le ministère doit aussi manifestement créer des débouchés économiques. Il essaie de créer de la richesse pour les participants, et de redistribuer aux Canadiens une partie des bénéfices tirés de cette ressource publique. Avec le temps on espère pouvoir prendre des mesures qui vont permettre à la pêche de se passer de subventions et de devenir autosuffisante. Cela dépasse clairement la conservation.

Le sénateur Stewart: Nous sommes passés de 48 navires de pêche à 24. L'équipage d'un navire compte en moyenne neuf membres; par conséquent, la flottille compte 216 personnes. Y avait-il 432 personnes à bord des 48 navires?

M. Turris: Non. Ces navires ne comptaient pas chacun neuf membres d'équipage. Le poisson n'était ni congelé, ni étêté et éviscéré à bord; on se contentait de le capturer.

Le sénateur Stewart: J'essaie de voir quel impact ce changement a eu sur l'emploi. Combien d'hommes d'équipage y avait-il à bord de ces 48 navires?

M. Turris: Leur nombre est passé de 332 à 198.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Je comprends que votre système a beaucoup de mérite. Vous avez un bon contrôle sur qui va pêcher, à quel moment et sur les prises. Ce système fonctionne assez bien pour la conservation de la ressource, mais aussi pour les intérêts des propriétaires de bateaux et de licences, n'est-ce pas?Vous dites qu'on est rendu à 24 bateaux et que les revenus étaient de 24 à 30 millions, ce qui veut dire que chacune de ces opérations varie entre un million et 1,2 million par année?

[Traduction]

M. Turris: Si l'on parle de valeur brute, oui.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Oui.

M. Turris: Oui.

Le sénateur Robichaud: Maintenant, si le ministre disait à votre association: «On a des problèmes. Certains pêcheurs sont dans des secteurs où le poisson n'est pas aussi abondant et on aimerait ajouter de nouvelles licences.» Combien pourrait-on en ajouter tout en gardant la rentabilité des pêcheurs au-dessus d'un certain seuil?

[Traduction]

M. Turris: Je ne le suis évidemment pas.

Le sénateur Robichaud: Je sais que c'est une question piégée.

M. Turris: Sénateur Robichaud, les membres de la Black Cod Association n'hésiteraient pas à contester cela.

Le sénateur Robichaud: Ils résisteraient.

M. Turris: Oui, ils résisteraient. Ils refuseraient énergiquement qu'on accroisse le nombre de participants à la pêche. Ils ont beaucoup investi pour améliorer la gestion de la pêche et pour rationaliser la flottille. Ils refuseraient qu'on accroisse le nombre de participants à cause des problèmes que pose la gestion d'autres secteurs de la pêche commerciale.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Le poisson appartient à toutes les communautés de la côte, n'est-ce pas?

[Traduction]

M. Turris: Il s'agit d'une ressource publique qui appartient aux contribuables canadiens. Le gouvernement canadien a bien des moyens de redistribuer les bénéfices aux Canadiens. Ces bénéfices ne devraient pas nécessairement être réservés uniquement aux collectivités qui profitent déjà de leur association avec la pêche, et des quantités de poisson débarquées. Le gouvernement canadien devrait adopter des politiques sur des questions comme les bénéfices tirés de la ressource, et l'attribution de ces bénéfices.

À ma connaissance, la pêche à la morue charbonnière est la seule au Canada qui rapporte vraiment de l'argent. Autrement dit, elle rembourse tous les frais de gestion de la pêche. Les droits de permis produiraient des bénéfices supérieurs au coût de la pêche.

Le sénateur Robichaud: Je ne veux pas toucher des bénéfices. Ce que je veux, c'est qu'on redistribue cette ressource de façon à ce que davantage de gens y participent et en tirent un revenu décent. Je ne veux pas causer de problèmes aux gens qui sont actuellement dans les pêches, mais quand je vois le gouvernement canadien protéger des millionnaires, cela me pose un problème. J'utilise ce terme très librement, mais vous pouvez voir quel est mon problème.

M. Turris: Si le gouvernement veut réaffecter la ressource à 50 participants de plus, il peut le faire.

Le sénateur Robichaud: J'en suis conscient. Je ne voudrais pas qu'on agisse imprudemment, mais on pourrait accueillir davantage de gens dans le secteur de la pêche.

M. Turris: Si le gouvernement canadien devait envisager un jour d'y admettre davantage de gens, il aurait à mesurer les conséquences de cette décision. Il devrait alors tenir des consultations et des discussions pour voir si cette décision détruirait le bon équilibre actuel du secteur des pêches.

Le sénateur Robichaud: À vous entendre on dirait presque un pêcheur de crabe des neiges.

M. Turris: Ce débat n'a pas encore eu lieu même s'il s'agit d'un de ceux que le gouvernement et mon association devront engager. Vous savez ce qui va se passer tout comme vous savez ce qui s'est passé pour la pêche du crabe des neiges.

Le sénateur Robichaud: Je connais la réponse, mais il arrive parfois que les réponses ne soient pas applicables à moins qu'il y ait une certaine coopération au sein de l'industrie de même que de la part des gens qui bénéficient du privilège. Il arrive que la cupidité intervienne et que le gouvernement est obligé de reculer.

J'essaie de trouver un moyen de redistribuer cette richesse, parce qu'il s'agit de richesse. Les gouvernements ont du mal à trouver des moyens pour offrir aux gens des emplois productifs. Le problème existe à coup sûr à Terre-Neuve. Vous avez entendu George Baker dire que des gens surveillaient de la rive tous ces bateaux qui pêchaient leur poisson. Ils ne pouvaient rien faire.

M. Turris: La Pacific Black Cod Fishermen Association a été très coopérative et travaille en étroite collaboration avec le MPO depuis plus d'une décennie. Qu'il se soit agit de récupération des coûts, de techniques de gestion différentes ou de financement des travaux des scientifiques ou des ressources humaines affectées à l'application des règlements, nous avons toujours pu trouver ensemble une solution acceptable.

Le sénateur Robichaud: Devrais-je suggérer au ministre qu'il étudie la possibilité d'accroître le nombre de pêcheurs?

M. Turris: Je ne vais pas répondre parce que je ne veux pas influencer les recommandations que vous lui ferez.

Le sénateur Adams: Vous avez parlé de quotas pour les pêcheurs qui sont membres de votre association. Comment le système fonctionne-t-il? Est-ce que chaque navire, chaque bateau, est autorisé à pêcher une certaine part du quota?

M. Turris: En 1989, le ministère et l'industrie se sont entendus sur une formule. Elle s'applique à l'égard de la part commerciale du TPA: 70 p. 100 est fonction des prises historiques pendant la période 1988-1989 et 30 p. 100, de la longueur du navire.

Cette formule s'applique à la part annuelle que la flotte de pêcheurs de morue charbonnière obtient. On la répartit ensuite entre les navires. Le montant figure sur le permis du navire qui doit respecter ce quota de même que les conditions inhérentes au permis. Ces conditions stipuleront que les prises doivent faire l'objet d'une vérification à quai. Le navire doit faire des rapports radio et doit marquer le produit d'une certaine façon. Le poisson doit être débarqué d'une certaine manière et des renseignements comme le lieu des prises doit être fourni au ministère lorsque le quota a été récolté et débarqué. Il doit aussi fournir de l'information scientifique ainsi que d'autres renseignements qui serviront à l'évaluation des stocks.

Le sénateur Adams: Vous avez parlé des Japonais. Est-ce que l'ordre était maintenu dans la zone de 200 milles des eaux territoriales? Est-ce que les Japonais la franchissaient? Comment le système fonctionne-t-il à l'heure actuelle? Vous avez parlé des chalutiers japonais qui franchissaient la limite.

M. Turris: À l'époque, nous n'avions pas de zone de 200 miles des eaux territoriales. Les Japonais pêchaient le long du plateau continental avec des palangriers spécialisés de 250 pieds de longueur. D'aucuns estiment qu'ils pêchaient certaines années jusqu'à 20 000 tonnes de poissons qu'ils transformaient et gelaient sur place et qu'ils ramenaient ensuite au Japon. Cette année le quota annuel est d'environ 4 500 tonnes. Il y avait très peu de règlements qui étaient très peu appliqués. Les données sur les prises qu'exigeait le Canada étaient éparses et incomplètes. À l'époque où des bateaux étrangers pêchaient au large de la côte Ouest, ils y avaient très peu d'activités de surveillance et d'application de la réglementation. Une gestion améliorée de la pêche commerciale depuis 1981 a permis de changer considérablement la situation.

Le sénateur Adams: Il s'agissait seulement des Japonais?

M. Turris: C'était la seule flotte étrangère qui pêchait la rascasse noire. Un certain nombre de flottes étrangères sont venues dans la zone à l'époque, y compris des Américains, des Russes et des Polonais. Elles pêchaient constamment au large de nos côtes diverses espèces.

Le sénateur Butts: Est-ce qu'il existe des zones de pêche pour les navires?

M. Turris: Non. La rascasse noire est en général considérée comme un stock et elle peut être récoltée n'importe où à partir de la frontière qui sépare l'État de Washington de la Colombie-Britannique jusqu'à l'entrée Dixon.

Le sénateur Butts: Une fois que vous détenez un permis vous pouvez aller n'importe où?

M. Turris: Vous pouvez trouver la rascasse noire tout le long de la côte Ouest à une profondeur d'au moins 200 brasses. Elle s'y trouve en quantité suffisante pour la pêche commerciale.

Le sénateur Butts: Est-ce que ces poissons migrent dans d'autres zones?

M. Turris: Oui. On s'interroge sur l'importance de la migration entre le Canada et les États-Unis, à la fois entre l'Alaska et la partie nord de la Colombie-Britannique et entre la partie sud de la Colombie-Britannique et l'État de Washington.

Le sénateur Butts: Je peux poursuivre le poisson n'importe où?

M. Turris: Vous ne pouvez franchir la frontière.

Le sénateur Robichaud: Ce quota a été réparti en fonction de la prise historique et de la longueur du bateau. Certains pêcheurs en obtiennent de toute évidence une certaine quantité et d'autres davantage. Quelles seraient les recettes brutes d'un petit exploitant par rapport à un participant plus important?

M. Turris: La plus petite allocation de pêche est d'environ 100 000 livres de rascasse noire. En 1998, les recettes brutes pour 100 000 livres se situeraient entre 450 000 $ et 500 000 $. L'allocation la plus importante est d'environ 700 000 livres ce qui correspondrait à des recettes brutes de 2,8 à 3 millions de dollars.

Le sénateur Robichaud: Combien de ces exploitants pêchent aussi d'autres espèces?

M. Turris: Sur les 24 permis en vigueur, environ 14 seraient consacrés à la rascasse noire. Les 10 autres détenteurs de permis pêcheraient activement d'autres espèces, habituellement du flétan et du saumon et quelques-uns pratiqueraient la pêche au chalut du poisson de fond.

Le sénateur Robichaud: Les affaires vont très bien pour eux.

M. Turris: Beaucoup mieux qu'en 1989.

Le sénateur Stewart: Où sont vendus le gros des prises transformées? Où est le marché?

M. Turris: Environ 80 p. 100 du produit est destiné au Japon. Certaines années ce pourcentage pourrait être encore plus élevé.

Le sénateur Stewart: Est-ce que la situation financière et économique du Japon a un impact sur la demande de poisson?

M. Turris: Elle a déjà un impact. Le prix a baissé de presque 20 p. 100 déjà suite au ralentissement que connaît l'économie japonaise depuis deux ou trois ans. Nous n'avons pas encore ressenti les effets de la récente crise en Asie parce que les prises de cette année n'ont pas encore atteint ce marché. Nous nous attendons toutefois à ce qu'il y ait bel et bien des répercussions sans en connaître toutefois l'importance.

Le président: J'ai ici un article tiré du National Fishermen de 1998 et intitulé: «The Sable Fish: Hungry Japanese Market Keeps Demand and Prices High for Alaska Product». Je pense que cela s'applique aussi au produit canadien.

M. Turris: Je ne suis pas sûr qu'il est question dans cet article de la baisse de l'approvisionnement en Alaska et dans l'État de Washington.

Le président: Oui.

M. Turris: Il y est probablement question de l'amorce d'une baisse de l'approvisionnement provenant de l'Alaska.

Le président: Il en est question.

Vous avez présenté de très bons arguments en faveur du système qui a été mis en place pour la rascasse noire. Ce que ce comité essaie de faire, toutefois, c'est de se servir de l'expérience de certaines pêches pour ces autres pêches. Nous voulons être en mesure de déterminer si la privatisation est la voie à suivre.

Vous avez dit que l'élimination de la mentalité de la «course au poisson» est l'une des principales réussites du QIN. Cependant, un des problèmes que peut poser ce programme, c'est qu'une fois le TPA fixé pour la saison à l'égard d'une pêche en particulier, on risquerait de causer toutes sortes de dommages en le modifiant. Les avantages découlant de l'élimination de la mentalité de la «course au poisson» disparaissent alors.

Les gestionnaires de MPO se voient ainsi empêchés d'effectuer, au milieu ou à la fin de la saison, n'importe quel changement auquel de nouvelles données pourraient donner lieu.

Ensuite, un changement du TPA en fin de saison serait contesté par les titulaires de permis parce qu'il aurait une incidence sur la valeur de leurs quotas. Je parle ici du pêcheur de salon qui peut vouloir vendre son quota à ses collègues. Une modification du TPA au milieu de la saison fera baisser la valeur de ses quotas.

La pêche de la rascasse noire est-elle à l'abri de ces changements en fin de saison?

M. Turris: Vous parlez peut-être de ce qui est arrivé sur la côte Est quand il y a eu fermeture en saison d'une pêche assujettie au système de QIN.

La gestion des ressources de certaines pêches, comme celle de la rascasse noire, est bonne, et il n'y a pas lieu dans leur cas de modifier le TPA en cours de saison. Le TPA est une estimation et on récolte seulement 5 à 10 p. 100 de la biomasse estimée. La morue charbonnière étant une espèce très résistante, il faudrait des circonstances exceptionnelles pour envisager la fermeture de la pêche de cette espèce.

Le président: Je ne parle pas de fermeture, mais de la modification du TPA en cours de saison.

M. Turris: La réaction à un changement de cette nature serait comparable à celle que provoquerait la fermeture de la pêche. Il n'y a pas lieu de prévoir réduire le TPA pour la pêche de la rascasse noire. Et même si on avait vraiment surestimé le TPA, le taux d'exploitation est tellement bas qu'il pourrait être rajusté l'année suivante pour compenser l'erreur. Pour certaines pêches, le taux d'exploitation est trop élevé et une mauvaise évaluation du TPA suppose que des mesures draconiennes doivent être prises.

Le président: Il y a beaucoup de travail de transformation effectué sur le bateau -- éviscération, filetage et réfrigération dans la glace. Nous n'avons pas du tout parlé du traitement effectué à terre. Une fois le poisson débarqué, y a-t-il d'autre travail de transformation à effectuer?

M. Turris: En 1989, le poisson débarqué était pratiquement toujours frais; il était étêté et coupé sur le bateau, mais on le traitait et on le congelait une fois débarqué. Depuis que le poisson est congelé en mer, certains emplois à terre ont disparu. Maintenant, une fois débarqué, le poisson congelé est regivré, mis en caisse et expédié.

Le président: Le poisson débarqué ne nécessite presque pas de préparation?

M. Turris: La seule autre préparation nécessaire aurait été la congélation.

Le président: Le poisson pourrait être débarqué à Vancouver, puis expédié. Il n'y aurait pas d'impact réel sur les communautés côtières qui dépendaient autrefois de cette pêche?

M. Turris: Pas comme dans le cas du saumon ou d'autres poissons.

Le président: D'après l'article dont je vous ai parlé plus tôt, les Américains ont réduit leurs quotas du tiers en Alaska parce que le poisson est difficile à trouver, alors que le Canada les a augmentés.

Dans l'ensemble, les États-Unis n'ont pas manifesté autant d'intérêt que le Canada pour la conservation du poisson. Pourtant, les Américains réduisent leurs quotas et nous augmentons les nôtres. Cela m'apparaît difficile à concevoir, mais vous ne semblez pas aussi préoccupés que les Américains.

M. Turris: Ce serait bien mal interprété cet article. D'abord, vos informations ne sont pas tout à fait exactes. Le TPA de cette année est identique à celui de l'an dernier.

Le président: Vous voulez dire au Canada?

M. Turris: Au Canada. Il a diminué en Alaska, dans l'État de Washington et en Oregon.

Le président: Il a été ramené de 78 000 tonnes à 5 200 tonnes.

M. Turris: Oui. Les scientifiques du MPO seraient mieux placés pour vous répondre, mais je vais essayer de le faire. Le TPA fixé pour la rascasse noire permet une gestion prudente de la pêche depuis dix ans et les scientifiques fixent toujours un TPA raisonnable. Notre taux d'exploitation est inférieur à d'autres pêches et nos prévisions annuelles pour l'évaluation des stocks sont en général plus prudentes.

Au Canada, nous évaluons nos stocks à partir de données complètement différentes de celles utilisées aux États-Unis. Depuis 15 ou 20 ans, les stocks de poissons autres que le saumon sont évalués d'après les prises par unité d'effort, c'est-à-dire qu'on détermine l'abondance de la ressource en fonction de la capture commerciale, de l'effort requis pour arriver à cette capture et de l'efficience de la capture. Le problème de la morue sur la côte Est a récemment permis au Canada de constater que ce mode d'évaluation est très imparfait.

Depuis cinq ou six ans, le TPA n'est plus établi à partir des prises par unité d'effort mais grâce au marquage. Chaque année, on procède au marquage de 10 000 à 15 000 rascasses noires, et la récupération des étiquettes sert à évaluer les populations de poisson. Cette méthode s'est avérée donner de meilleurs résultats.

Les États de l'Alaska, de Washington et de l'Oregon continuent d'évaluer les populations à partir du nombre de prises par unité d'effort. J'ai lu leurs études et les Américains constatent que leur mode d'évaluation comporte beaucoup de lacunes parce qu'il ne correspond pas à la réalité.

Leurs données sur les prises par unité d'effort augmentent sans cesse, mais les pêcheurs ont de plus en plus de mal à trouver le poisson. Les chiffres ne correspondent pas à la réalité parce que les pêcheurs peuvent augmenter leur effort et leurs prises grâce aux progrès technologiques. Leurs études n'en tiennent pas compte.

À mon avis, les scientifiques de la Station biologique du Pacifique vont défendre leurs résultats. Ils les estiment raisonnables et représentatifs et ils les obtiennent à l'aide d'une technique différente.

Le président: J'aimerais revenir à la concentration des quotas.

Vous dites dans votre mémoire que l'industrie est surtout constituée de propriétaires de navire indépendants. Qui sont donc les autres membres de l'industrie?

M. Turris: Je pense que ce sont tous des personnes morales quoiqu'il y a peut-être aussi un ou deux particuliers. Deux permis appartiennent à B.C. Packers. C'est le résultat de la concentration dont j'ai parlé. Le permis de pêche est accordé au bateau et le quota est attribué dans le cadre de l'utilisation du bateau. Il y a des ententes entre B.C. Packers et d'autres membres de l'industrie sur les acheteurs de quotas, mais le permis reste accordé à un bateau appartenant à une grande entreprise de transformation.

Il y a un propriétaire indépendant qui s'est lancé en affaires. Ses activités ont pris de l'expansion et il a mis sur pied sa propre entreprise de chalutiers de poisson de fond. Il possède aussi trois ou quatre permis de pêche pour la rascasse noire.

Le président: Dans ce contexte, rien n'empêche la concentration des quotas parmi un nombre de plus en plus restreint de joueurs?

M. Turris: Non.

Le président: En fait, un très riche entrepreneur pourrait racheter des quotas et embaucher du personnel pour travailler sur chacun des bateaux?

M. Turris: Oui.

Le président: Il pourrait accoster où il veut et faire ce qu'il veut du poisson?

M. Turris: Il pourrait le faire pour n'importe quelle pêche de la côte Ouest.

Le sénateur Robichaud: Selon vous, est-ce une bonne chose que n'importe qui puisse acheter des quotas?

M. Turris: Non, ça ne l'est pas.

Le président: Vous avez répondu un moment donné qu'il n'y avait à peu près pas d'exploitants étrangers. J'avais l'impression qu'il n'était pas censé y en avoir du tout.

M. Turris: Je parle de la participation étrangère dans son sens très large. Les permis et les bateaux appartiennent à des entreprises dont la participation canadienne doit être majoritaire, mais il peut y avoir une participation minoritaire qui n'est pas canadienne. Dans de grandes entreprises de transformation comme B.C. Packers, J.S. McMillan ou Ocean Fisheries, il y a des actionnaires étrangers.

Le président: Leur participation doit toutefois être minoritaire.

M. Turris: Oui. Pour le ministère, le permis doit appartenir à une entreprise canadienne ou à un citoyen canadien.

Le président: Cette question de «propriété» me donne du fil à retordre. Si vous possédez quelque chose, vous en êtes le propriétaire majoritaire. Vous en avez le contrôle.

M. Turris: La propriété vise le bateau, pas le permis. Il y a 64 parts dans l'immatriculation d'un bateau, et la participation majoritaire est de 33 parts. Autant que je sache, pour la pêche de la rascasse noire, les bateaux appartiennent tous majoritairement à des entreprises canadiennes ou à des particuliers canadiens. Par conséquent, le permis est attribué au bateau.

Le sénateur Robichaud: Pourrions-nous refuser de délivrer des permis si des intérêts américains devaient être majoritaires dans une entreprise? Ne faudrait-il pas tenir compte des dispositions sur le libre-échange?

M. Turris: je ne peux répondre à cette question.

Le président: Actuellement, un propriétaire étranger ne peut détenir plus de 49 p. 100 des parts d'un permis de pêche.

M. Turris: Il y a deux genres de permis sur la côte Ouest. Certains sont délivrés à des particuliers, comme pour la pêche au hareng. Ce n'est pas le cas pour la pêche de la rascasse noire. La majorité des permis sont attribués aux bateaux. Les règles dont vous parlez s'appliquent peut-être aux permis qui peuvent être délivrés à un particulier ou à une entreprise appartenant à un particulier.

Le président: Nous allons poursuivre nos travaux à huis clos.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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