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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 7 - Témoignages pour la séance du 5 mai 1998


OTTAWA, le mardi 5 mai 1998

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 18 h 55 pour étudier les questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.

Le sénateur Raymond J. Perrault (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: Il s'agit d'une réunion du comité sénatorial permanent des pêches. Le comité se réunit aujourd'hui pour poursuivre ses travaux relatifs à l'ordre de renvoi reçu du Sénat le 19 novembre 1997, aux fins d'une étude des questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.

Le premier témoin de Vancouver sera M. Peter Pearse. Expert-conseil renommé en aménagement forestier de l'Université de la Colombie-Britannique, économiste des ressources naturelles de réputation internationale, figure de proue du débat sur la pêche axée sur les droits et spécialiste de la gestion des pêches faisant autorité au Canada, M. Pearse a de plus contribué à la conception du système de QIT de la Nouvelle-Zélande dans les années 80.

Au début des années 80, M. Pearse a dirigé la commission fédérale sur la politique des pêches du Pacifique établie en janvier 1981, laquelle a, en 1982, produit l'une des études les plus détaillées jamais consacrées aux pêches canadiennes du Pacifique. Intitulé «Pour remonter le courant: une nouvelle politique des pêches canadiennes du Pacifique», le rapport proposait l'adoption de régimes de permis à quota pour toutes les pêcheries de la Colombie-Britannique, majeures et mineures, à l'exception de celles du saumon et du hareng rogué.

En 1988, M. Pearse a également dirigé une enquête poussée sur les pêches en eaux douces. Son rapport, intitulé: «Relever le défi: une nouvelle politique de la pêche en eau douce au Canada», a été publié par la Fédération canadienne de la faune.

Plus récemment, M. Pearse a signé «Allocating the Catch Among Fishermen: Perspective on Opportunities for Fisheries Reform», publié par l'Atlantic Institute for Market Studies.

Monsieur Pearse, nous avons prévu un maximum de 30 minutes pour votre déclaration préliminaire. Si vous parlez pendant 20 minutes seulement, nous aurons l'occasion de vous poser un plus grand nombre de questions. Je demande aux membres du comité d'observer la règle selon laquelle les questions adressées à M. Pearse ne devraient pas prendre plus que cinq minutes.

Monsieur, Pearse, nous vous souhaitons la bienvenue à Ottawa, par la voie électronique.

M. Peter H. Pearse, à titre individuel: Merci, sénateur Perrault. Je dois d'abord dire que je suis honoré d'avoir été invité à participer aux audiences du comité du Sénat. Je tiens également à dire que je suis ravi d'apprendre que votre comité enquête sur toute la question des droits quantitatifs des pêcheurs, dans le cadre de la politique des pêches.

D'entrée de jeu, je devrais mentionner que je suis en quelque sorte le parrain de cette idée, dans le monde de la recherche. À la lumière des applications que j'ai observées, au Canada et dans d'autres pays, je suis un ardent partisan de ce principe.

En guise d'introduction à mes propos, j'aimerais d'abord formuler une évidence, à savoir que nos régimes traditionnels de gestion des pêches ont échoué. Aujourd'hui, il s'agit d'un point de vue populaire, et il est évident que nous sommes confrontés à de graves problèmes d'effondrement des stocks, sur la côte de l'Atlantique aussi bien que sur celle du Pacifique. En raison de cette situation, des milliers de personnes sont aujourd'hui déplacées et sans travail. Il ne s'agit de rien de moins que d'une catastrophe économique, sociale et, en vérité, environnementale.

J'aimerais aussi mentionner que le système ne fonctionnait pas bien même avant l'effondrement des stocks. Sur les deux côtes, le rendement de l'industrie de la pêche était nettement inférieur à son potentiel, de sorte qu'il serait irresponsable de reconduire les modes traditionnels de gestion de nos pêcheries. Nous avons besoin d'une approche fondamentalement nouvelle.

Deuxièmement, la politique des pêches, partout dans le monde, fait l'objet d'une transformation fondamentale. Ces changements sont motivés par les percées technologiques, qui, de toute évidence, ont dépassé notre cadre stratégique et nos institutions traditionnelles de gestion. Dans le domaine de la politique, nous vivons une crise, et qui dit crise dit tournant. En ce sens, notre politique des pêches en est à un tournant. Manifestement, la situation doit changer. Partout dans le monde, les pêcheries matures sont aujourd'hui ou bien en crise ou en déclin. Nous devons regarder autour de nous et tirer des leçons des expériences menées partout dans le monde pour déterminer où nous allons et éviter de commettre les erreurs qui ont été commises ailleurs et, bien entendu, celles qui ont été commises ici au Canada.

Au risque de paraître un peu pédant, j'aimerais commencer par tracer très brièvement le portrait de l'évolution de notre politique des pêches, particulièrement la nature des droits de pêche, parce que c'est ce qui est au coeur de la nature d'un QIT ou d'un argument de droits quantitatifs.

Nous savons probablement tous que, il y a quelques centaines d'années, s'est établie la doctrine selon laquelle le poisson de la mer n'appartenait à personne: tout un chacun avait donc le droit de capturer les poissons. Si on remonte à l'époque du droit romain, l'idée était que la propriété ne pouvait exister que si l'objet visé par les droits de propriété pouvait être possédé. Comme les poissons de la mer ne pouvaient être possédés, ils ne pouvaient être considérés comme une propriété. Le roi Jean d'Angleterre, lorsque, en 1215 il a signé la Grande Charte, a également renoncé au droit de la Couronne d'accorder des droits de pêche privée, enchâssant du même coup l'idée de pêche publique. Quatre siècles plus tard, le juriste hollandais Hugo Grotius a établi la célèbre doctrine de la «liberté de la mer» et le point de vue afférent selon lequel la notion de propriété ne s'applique pas en haute mer. Ainsi, les droits de pêcher et tout ce qui vit dans la mer étaient le bien commun de tous. Chacun avait un droit égal de pêcher.

Pendant des siècles, cette idée n'a pas posé de problème, et elle s'est enracinée profondément. En fait, elle se justifiait parfaitement dans la mesure où, tant et aussi longtemps que la ressource était abondante au point d'être supérieure à la demande, il ne servait à rien d'assujettir le poisson à une forme quelconque de droit de propriété. Les poissons n'étaient pas rares, et on n'a pas eu à les répartir ni à les rationner. Au fil des ans, avec l'expansion des industries et l'évolution de la technologie de la pêche, les stocks les plus précieux et les plus vulnérables, par exemple les baleines, certains coquillages, le saumon, ont commencé à décliner en raison de la surpêche. Parfois, les gouvernements tentaient de les protéger en imposant divers types de restrictions, mais, pendant des années, le droit fondamental de pêche est demeuré foncièrement le même.

Il y a environ 40 ans, on a commencé à craindre que le système ne comporte des failles fondamentales. Tant et aussi longtemps que la pêche serait une activité rentable, elle allait continuer d'attirer des pêcheurs. Même si les flottilles de pêche étaient déjà excessives, des personnes continueraient de venir grossir les rangs des pêcheurs pour tirer avantage de la rentabilité de l'activité. Certains économistes étaient d'avis que les pêches étaient en quelque sorte condamnées à une sorte d'équilibre malthusien, en vertu duquel tous les profits seraient dissipés, après quoi on se retrouverait aux prises avec ce qu'on appelle la «tragédie des ressources d'usage commun». La preuve en est le revenu presque universellement bas des pêcheurs. Lorsque la demande dont fait l'objet une ressource excède la disponibilité de cette dernière, on se retrouve, a-t-on expliqué, face à deux problèmes: d'une part, la surcapacité de pêche, l'appauvrissement des stocks et le problème de conservation qui en résulte et, d'autre part, le fait que les profits sont dissipés et qu'on se retrouve aux prises avec un problème économique. Au fil du temps, même les pêcheries potentiellement très riches, par exemple celle du saumon sur la côte Ouest, généreront des revenus faibles, les rentes économiques potentielles sur la pêche tendant à être dissipées.

Ces deux tendances, la surpêche et la dissipation des rentes économiques, sont, dans la deuxième moitié du siècle, devenus des phénomènes mondiaux. À cela, on pourrait ajouter un troisième problème, c'est-à-dire un problème de réglementation: comme les pêcheurs ont continué de donner suite aux incitatifs visant à améliorer la technologie de pêche alors même que les pêcheries étaient exploitées à capacité, les gouvernements ont dû réagir en alourdissant de plus en plus la réglementation.

En 1960, le gouvernement du Canada a tenté d'apporter une innovation majeure dans le domaine des droits de pêche. Le tout a débuté par le plan Davis, qui visait les pêches du Pacifique. En vertu du plan, on a limité le nombre de navires. En d'autres termes, on a délivré un permis à chacun des navires en activité, puis on a cessé d'en délivrer. Les pêcheurs se sont adaptés à cette politique de limitation du nombre de permis avec une rapidité remarquable. Après 15 ans seulement, elle s'appliquait à toutes les pêcheries majeures des côtes du Pacifique et de l'Atlantique. Elle a aussi été adoptée par de nombreux autres pays pêcheurs.

Du point de vue des droits des pêcheurs, cette politique de limitation du nombre de permis a entraîné une transformation radicale. Auparavant, tous bénéficiaient d'un droit égal de pêcher de sorte que, sur le plan juridique, le droit de pêche était dépourvu d'une caractéristique essentielle de la propriété: le droit d'exclure autrui. Les limitations ont modifié la situation puisque, même si les pêcheries demeuraient un bien commun, le droit d'y accéder était désormais limité. Les personnes non titulaires d'un permis étaient désormais exclues. Elles ne pouvaient accéder à la pêche qu'en achetant le permis d'un titulaire et en le remplaçant.

Dans une pêcherie surexploitée, le fait de restreindre le nombre de navires paraît une solution qui va de soi, mais il a malgré tout fait face à une très vive opposition. Aujourd'hui, cette politique est acceptée de façon si générale qu'on a tendance à l'oublier, mais un très grand nombre de pêcheurs s'y sont opposés. Ils n'en voyaient pas la nécessité. À leurs yeux, le gouvernement avait pour rôle de préserver les stocks. Il n'avait qu'à les laisser tranquilles. Si le nombre de pêcheurs était trop élevé, certains feraient faillite, mais le gouvernement n'avait pas à s'ingérer.

Quoi qu'il en soit, la limitation du nombre de permis n'a pas été une mesure aussi efficace que bon nombre de personnes l'avaient espéré. En fait, elle a incité les pêcheurs à construire des navires plus gros et plus perfectionnés sur le plan technologique de même qu'à continuer d'investir dans la pêche. La capacité de pêche des flottilles a eu tendance à continuer de croître, même si le nombre de navires n'augmentait pas. Les gouvernements du Canada ont eu tendance à aggraver le problème en subventionnant le secteur, à la fois la main-d'oeuvre et les immobilisations nouvelles.

Pour freiner ces tendances, les gouvernements ont imposé de plus en plus de restrictions aux navires, en limitant leur capacité de cale, leur longueur, et cetera. Ces mesures n'ont pas donné de très bons résultats, puisque, le moment venu de contourner ces règlements, les pêcheurs sont très ingénieux, tout comme les architectes navals, de sorte que les flottilles ont continué à croître. Les gouvernements ont protégé les stocks en réduisant sans cesse la longueur des saisons et en imposant des restrictions de pêche de plus en plus nombreuses.

Dans les années 1970, certains chercheurs ont commencé à évoquer la possibilité de répartir la ressource, c'est-à-dire de diviser les prises disponibles entre les pêcheurs titulaires d'un permis. L'idée était que les pêcheurs, s'ils avaient tous le droit de pêcher une quantité donnée de poisson et que la somme de ces quotas correspondait à la récolte viable, n'allaient plus se faire concurrence pour obtenir leur part de prise, de préférence aux dépens d'autres pêcheurs. Si les quotas étaient transférables, ils allaient de plus pouvoir les acheter et les vendre, ce qui leur permettrait de rajuster leurs activités et d'améliorer leur efficience, tout en rationalisant la flotte physique. Comme le sénateur Perrault l'a mentionné, cette approche axée sur les quotas individuels a été recommandée dans le rapport que j'ai présenté en 1982 à la Commission royale sur les pêches canadiennes du Pacifique. Cette approche a aussi été adoptée par le groupe de travail Kirby dans ses propositions relatives aux allocations aux entreprises sur la côte de l'Atlantique. Dans un laps de temps remarquablement bref, les permis à quota, qu'on appelle aussi QIT, ou QI ou quota individuel de navire, allocations aux entreprises et contingents de capture, ont été introduits dans quelques pays, y compris le Canada. L'évolution du régime au Canada a été relativement lente, par rapport à celle d'autres pays.

Les quotas individuels ont entraîné une autre modification fondamentale de la nature des droits de pêche. Ils ont ajouté une dimension de propriété aux droits des titulaires, en raison de la définition quantitative des parts des captures totales qui reviennent à chacun. Un tel système a permis de surmonter en partie le problème de conservation et le problème économique auquel j'ai fait allusion plus tôt. On a éliminé le gaspillage découlant du jeu à somme nulle qui consiste à faire concurrence à d'autres pêcheurs pour la ressource. On a aussi éliminé la tendance à l'accroissement de la flottille alors même que cette dernière est déjà excessive. À certaines conditions, du moins, le système permet aussi de simplifier la tâche qui consiste à protéger les stocks contre la surpêche.

Aux quatre coins du monde, les quotas individuels ont aujourd'hui fait l'objet d'un grand nombre d'expériences. Les diverses pêcheries ont été analysées, et les résultats ont été publiés. On est ainsi à même d'ajouter un certain nombre d'observations empiriques aux prévisions des théoriciens qui avaient fait la promotion de l'idée de quotas individuels. De façon générale, la preuve est fort impressionnante. Là où des régimes de quotas individuels complets ont été adoptés, notamment en Nouvelle-Zélande et en Islande, il n'est pas exagéré de dire que les pêches ont été révolutionnées. De façon générale, le rendement économique des pêches s'est amélioré de façon énorme. Les revenus des pêcheurs ont augmenté; la qualité du produit s'est améliorée; les prix obtenus par les pêcheurs se sont redressés; et, enfin, la tâche des organismes de réglementation qui ont pour mandat de protéger les stocks contre la surpêche a été allégée de façon considérable.

Ce sont là des généralisations. Les quotas individuels ont pour avantage de réaligner les incitatifs économiques des pêcheurs de manière à optimiser la valeur de leur part des captures totales. Ainsi, chaque titulaire de quota déploie des efforts continus pour tirer le meilleur rendement possible de sa part des captures, en augmentant la valeur de ses débarquements, en réduisant ses coûts et, de préférence, en coopérant avec d'autres pour accroître l'assiette totale. Ces incitatifs correspondent de beaucoup plus près aux facteurs dont dépendent les industries d'une économie de marché, à savoir faire en sorte que les producteurs soient efficients et qu'ils agissent dans l'intérêt public.

J'aimerais attirer votre attention sur deux effets particulièrement bénéfiques des quotas individuels auxquels nous n'avions pas pensé lorsque, il y a une vingtaine d'années, nous avons commencé à réfléchir à leur organisation. Premièrement, nous pensions que les QIT allaient améliorer le rendement économique des pêches principalement en encourageant les pêcheurs à rationaliser la flottille, au moyen de l'achat de quotas et, donc, de la réduction volontaire de la flottille, ainsi que de la réduction du coût total de la pêche et, donc, de l'amélioration du rendement net de la pêche dans son ensemble.

L'expérience montre qu'un autre effet se produit, à savoir que la valeur des captures s'accroît. L'un des meilleurs exemples est la pêche au flétan du Pacifique, où un régime de quotas est maintenant en place depuis un certain nombre d'années. Là, les pêcheurs ont constaté que, une fois assurée leur part des captures totales, ils pouvaient améliorer leur rendement en capturant le poisson au moment de l'année où il génère le rendement le plus élevé, celui où ils peuvent vendre leurs produits sur le marché du frais plutôt que sur le marché du congelé. Ce faisant, ils obtiennent un meilleur prix. Ils peuvent aussi prendre leur temps pour manipuler et nettoyer le poisson de manière à préserver au mieux sa valeur. Cela vaut mieux que la pratique débridée et anarchique qui était auparavant la norme, à savoir attraper tout le poisson possible en quelques jours pour être ensuite tenu de le vendre sur le marché du congelé. Les meilleurs prix obtenus par les pêcheurs sont l'un des principaux facteurs qui expliquent l'amélioration du rendement de la pêche au flétan. Comme vous le savez probablement, le rendement de la pêche au flétan s'est révélé si remarquable que les États-Unis, en Alaska -- où on retrouve une pêche au flétan beaucoup plus importante que la nôtre --, ont aujourd'hui opté pour le modèle canadien. Ils ont constaté que les Canadiens vendaient du poisson canadien sur les marchés américains, là où les Américains ne pouvaient pas le faire; et ils obtenaient aussi un prix beaucoup plus élevé sur les marchés du frais de la côte du Pacifique.

On a constaté un autre effet inattendu, ou tout au moins sous-estimé. Une fois que les pêcheurs ont réalisé leurs quotas, ils se retrouvent avec quelque chose de précieux, et une richesse considérable naît du fait d'être titulaire de quotas. L'expérience de la Nouvelle-Zélande et d'autres pays montre que les titulaires de quotas, dès lors qu'ils bénéficient d'actifs nouveaux et substantiels découlant des droits de pêche, se montrent très sensibles aux actions d'autres pêcheurs ou de braconniers qui empiètent sur leurs droits, ou à tout ce que quiconque peut faire pour porter atteinte à ces actifs ou diminuer la valeur de ces droits, y compris les gouvernements. Ils deviennent réceptifs à toute mesure de nature à accroître la valeur de ces droits. En rétrospective, cela apparaît évident, mais on ne s'y attendait pas. Les pêcheurs commencent à exercer des pressions pour obtenir une sécurité juridique plus grande à l'égard de ces droits et pour faire en sorte qu'on fasse preuve de vigilance pour empêcher le braconnage et le non-respect des règles. Ils commencent à coopérer avec les gouvernements pour améliorer les pratiques de gestion, mettre en valeur les stocks, et cetera. Voilà autant d'ingrédients de l'auto-réglementation. Ainsi, les quotas individuels permettent de faire passer la responsabilité de la gestion des gouvernements aux pêcheurs. Voilà un autre effet des quotas individuels qui se fait de plus en plus sentir. Or, à mon avis, ces effets revêtent une importance capitale dans le contexte de l'évolution à long terme de la politique des pêches.

Naturellement, on ne doit pas en conclure que les quotas sont une panacée. On a beaucoup écrit sur les problèmes associés aux quotas individuels. Je suis certain que vous avez entendu parler des problèmes découlant de la mise en oeuvre, du contrôle et de l'application dans certaines pêcheries, de la sous-déclaration, de l'écrémage et des rejets à la mer.

J'ai deux commentaires à formuler à propos de ces problèmes. Premièrement, ces problèmes, dans la mesure où ils existent, sont relativement petits lorsqu'on les compare à ceux des pêcheries à accès libre ou même des pêcheries à permis restreint. Le rendement économique des pêcheries régies par un régime de quotas s'est révélé si bénéfique qu'il surpasse aisément ces difficultés.

Le deuxième point que je tiens à soulever, c'est qu'on ne peut établir de généralisation à partir de ces difficultés: on doit examiner la situation pêcherie par pêcherie. Lorsqu'on généralise ces problèmes, on passe à côté du fait que, dans de nombreuses régions du monde, tous ces problèmes ont été réglés. Même si les intéressés ont des préoccupations compréhensibles à leur sujet, on doit examiner la situation de chacune des pêcheries. On exagère souvent les difficultés pratiques associées aux quotas individuels. Je ne dis pas que ces difficultés ne sont pas importantes dans certaines pêcheries, mais nous devons mettre en particulier l'accent sur le caractère de chacune des pêcheries.

Je suis certain qu'on vous a dit qu'il faut éviter de procurer aux pêcheurs titulaires de permis un gain fortuit prenant la forme de droits sur une ressource publique. En ce qui concerne cette préoccupation, il faut d'abord et avant tout préciser que l'appréciation de la valeur n'est pas propre aux droits relatifs aux quotas individuels. Elle s'applique également aux permis d'accès limité et elle a très fortement marqué certaines pêcheries du Canada.

La valeur accrue de ces droits témoigne du rendement économique amélioré de la pêche. À cet égard, on devrait y voir un signe salutaire qui atteste le bon fonctionnement du système.

Si on ne veut pas que les bénéfices tirés des ressources profitent aux particuliers titulaires de droits de pêche, on peut assez facilement mettre au point des dispositions stratégiques, soit des mesures fiscales visant à annuler ces avantages ou toute autre mesure qu'on jugera bon d'adopter. On peut facilement annuler ces avantages au moyen de droits de débarquement, de droits de permis, de baux ou d'autres mesures du genre. Du point de vue du gouvernement, il s'agit d'un problème relativement facile à régler.

En conclusion, j'aimerais souligner que, lorsque ceux qui ont le droit de pêcher dans une pêcherie sont identifiés et que leurs parts sont également déterminées, la table est mise pour la coopération. Les données relatives aux régimes de quotas individuels établis au quatre coins du monde montrent que les titulaires de quotas considèrent qu'il est dans leur intérêt commun de prendre des mesures de conservation, par exemple, adopter des maillages plus grands et coopérer pour assurer la surveillance et l'exécution. Sur la côte du Pacifique, par exemple, des pêcheurs se sont volontairement imposés une taxe pour améliorer le contrôle de la pêche et l'exécution. Les groupes de pêcheurs qui auparavant luttaient contre le gouvernement considèrent aujourd'hui qu'il est dans leur intérêt de coopérer, de cogérer et d'autoréglementer. À long terme, il s'agit, à mon avis, de la conséquence la plus profonde des régimes de quotas individuels.

Sénateur Perrault, je crois que le temps qui m'a été alloué est expiré. Je devrais donc peut-être m'interrompre ici. Je serai heureux de répondre à vos questions et à celles de vos collègues.

Le vice-président: Merci beaucoup, monsieur Pearse. Votre exposé est très utile. Je vais maintenant présenter les personnes qui poseront des questions: le sénateur Comeau, qui préside notre comité, vient de la Nouvelle-Écosse. Il y a aussi le sénateur Meighen de l'Ontario, le sénateur Cook de Terre-Neuve, le sénateur Robichaud du Nouveau-Brunswick, le sénateur Jessiman du Manitoba et, de l'autre côté, le sénateur Stewart de la Nouvelle-Écosse et soeur Butts, également de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Stewart: J'ai deux questions. Je sais qu'il s'agit d'une question délicate dans certaines régions des États-Unis. Je croyais qu'elle l'était tout autant en Colombie-Britannique.

Monsieur Pearse, vous avez dit que la question de l'application du régime de quotas individuels devait être abordée pêcherie par pêcherie. Dans le document intitulé: «Pour remonter le courant», auquel notre vice-président a fait allusion plus tôt, je note qu'on propose l'adoption de régimes de permis à quotas pour toutes les pêches majeures et mineures de la Colombie-Britannique, à l'exception de celles au saumon et au hareng rogué.

En vertu de quelles caractéristiques particulières a-t-on choisi d'exclure ces deux pêches du régime de permis à quotas?

M. Pearse: Merci, sénateur Stewart. Il s'agit d'une question importante parce que ce sont là les deux pêches les plus importantes de la côte du Pacifique.

Pour gérer facilement une pêche au moyen d'un régime de quotas individuels, les organismes de réglementation doivent être en mesure de déterminer ou d'estimer le total des prises admissibles (TPA) pour la pêche. Par la suite, on peut procéder à une répartition. Dans la plupart de ces régimes, on accorde aux pêcheurs un pourcentage du total des prises. On peut le faire pour la quasi-totalité des pêches de la côte du Pacifique, à l'exception de celles au saumon et au hareng rogué. Il est impossible de prédire combien de poissons pourront être capturés ni même le stock total, jusqu'à ce qu'un bon nombre des poissons aient déjà été capturés. En effet, il s'agit de poissons migrateurs à l'égard desquels il est très difficile de faire des prédictions. Les pêcheurs eux-mêmes ne peuvent savoir combien de poissons ils pourront capturer jusqu'à ce que la pêche soit pratiquement terminée.

Pour répondre à votre question, le problème tient à la volatilité des prises. Comme il est difficile de prévoir le total des prises, il est difficile de les répartir et de donner aux pêcheurs une quelconque certitude quant aux prises possibles.

En ce qui concerne le cas particulier de la pêche au saumon, j'ajoute que nous avons affaire à six espèces différentes, qui possèdent toutes des caractéristiques très différentes. Il existe quelques centaines de stocks pour chacune de ces espèces, et tous doivent être gérés de façon distincte. La pêche commerciale comporte trois importants secteurs, qui doivent faire l'objet d'accords distincts. Dans chacun des cas, il y a la pêche autochtone, la pêche commerciale et la pêche sportive, ce qui, du point de vue de l'administration, représente un formidable problème.

J'espère que vous comprenez pourquoi ces deux pêches sont si complexes. Il faut véritablement prendre des mesures distinctes à leur sujet.

Le sénateur Stewart: Dans la région de la Nouvelle-Écosse d'où je viens, la pêche au homard est très importante. Monsieur le président, la saison débute le 1er mai et, dans cette région de la province, elle demeurera ouverte jusqu'à la fin de juin environ. Bon nombre de pêcheurs au homard que je connais éprouvent un malaise à l'idée de l'adoption d'un régime de quotas individuels dans ce secteur. Connaissez-vous assez bien la pêche au homard pour formuler des commentaires utiles sur ce point?

M. Pearse: En guise de réponse à votre question, permettez-moi de dire que tous les pêcheurs, sans exception, redoutent la mise en place d'un tel régime jusqu'à ce qu'ils en aient fait l'essai. C'est un phénomène universel. Par rapport aux traditions de pêche, il s'agit d'une rupture fondamentale. Je suis certain que vous connaissez les pêcheurs assez bien pour savoir que bon nombre d'entre eux sont profondément attachés à l'idée de capturer du poisson en concurrence avec tous les autres pêcheurs, dans une pêche ouverte et libre. De nombreux pêcheurs voient dans les quotas individuels une autre forme de restriction, et ils se montrent réticents à cette idée. À ma connaissance, le problème s'est posé partout où le régime a été mis à l'essai. Les pêcheurs ne l'apprécient qu'après y avoir été confrontés. Partout où un tel régime a été mis en place, les pêcheurs, à ma connaissance, ne voudraient jamais revenir à une pêche à accès libre et ouvert.

Le sénateur Stewart: Vous répondez en termes plutôt généraux, mais il ressort de ce que vous dites que vous n'excluriez pas la possibilité d'assujettir la pêche au homard à un régime de quotas individuels.

M. Pearse: Non, je ne l'exclurais pas. Je pense que c'est tout à fait faisable. On ne doit pas conclure de mon enthousiasme pour les quotas que j'y vois la solution pour toutes les pêches. Il est possible que certaines pêches puissent être mieux administrées d'autres façons. D'après ce que je sais de la pêche au homard, je ne vois toutefois pas pourquoi un tel régime ne pourrait pas s'y appliquer parfaitement.

Les pêcheurs sont toujours nerveux à l'idée de l'allocation initiale; il s'agit d'un problème omniprésent. Pour les gouvernements, il est très difficile de déterminer l'allocation. Habituellement, on a recours à un mécanisme quelconque axé sur les droits acquis, compte tenu des prises des années antérieures ou d'autres indicateurs du genre, mais il s'agit toujours d'une question très litigieuse. À mon avis, ce sont les pêcheurs eux-mêmes qui devraient régler ce problème. Les gouvernements ne devraient pas avoir à s'en soucier.

Le sénateur Jessiman: Monsieur Pearse, j'aimerais revenir sur la première question. Vous avez expliqué pourquoi les pêches au saumon et au hareng rogué ont été laissées de côté et qu'il existe de nombreux types de saumon. Ces deux types de pêche pourraient-ils être mieux administrés en vertu d'un régime différent? Il y a maintenant 16 ans que vous avez rédigé votre rapport. Croyez-vous qu'on pourrait aujourd'hui appliquer ce régime aux pêches au saumon et au hareng rogué dans l'Ouest?

M. Pearse: Eh bien, oui. En 1982, j'avais le sentiment qu'il s'agirait d'une tâche formidable et colossale, étant donné que, à l'époque, les quotas individuels n'avaient jamais été mis à l'essai. Si le gouvernement avait adopté toutes mes autres recommandations, nous compterions maintenant toutefois 15 années d'expérience relatives aux régimes de quotas. À la lumière d'expérience d'autres pêches, les pêcheurs de saumon et de hareng rogué seraient aujourd'hui beaucoup mieux disposés à l'endroit du régime. Je suis certain que nous aurions trouvé le moyen d'y parvenir. Cependant, notre expérience demeure plutôt limitée, de sorte que nous ne serions pas en mesure de mettre en place un tel régime.

Permettez-moi de dire que certains pêcheurs de saumon, à la lumière de l'expérience de la pêche au flétan, sont aujourd'hui très impatients de faire l'essai d'un régime de quotas individuels dans le secteur de la pêche à la traîne. Dans ce secteur, on capture le poisson à l'aide d'hameçons et de lignes, comme vous le savez probablement, et il s'agit d'une pêche plutôt graduelle, qui est plus lente et qui se déroule sur une saison plus longue. Je ne vois pas pourquoi le régime ne pourrait pas s'y appliquer. Les pêcheurs concernés ont pressé le gouvernement d'en faire l'essai, et, à mon avis, on devrait assurément donner suite à leurs revendications. Nous en tirerons des leçons.

La pêche au hareng rogué est particulièrement difficile à administrer. Vous savez peut-être que, parfois, la saison de la pêche au hareng rogué ne dure que quelques minutes. La capacité de pêche est telle qu'il est parfois dangereux d'ouvrir ces pêcheries -- au risque tout simplement de dévaster les stocks. Dans ce genre de pêche tout à fait débridée, il est difficile d'allouer des quotas.

Pour ces deux pêches, je crois qu'un régime différent s'impose. On doit mettre au point un régime en vertu duquel les pêcheurs, pour obtenir une part des prises, doivent coopérer, mais où ils n'ont pas tous à pêcher eux-mêmes. En d'autres termes, on peut allouer des parts de la capture totale sans nécessairement obliger chacun des pêcheurs à capturer sa part. Les pêcheurs devraient coopérer pour capturer les poissons disponibles d'une façon efficiente quelconque -- ce qui signifierait probablement avec une fraction de la flottille -- et répartir les bénéfices tirés de ces captures selon les parts qui reviennent à chacun. Il y a diverses solutions.

Incidemment, une autre solution que l'on fait aujourd'hui valoir avec force en Colombie-Britannique a trait à l'idée d'allouer des droits aux collectivités situées le long du littoral. Pour ma part, j'ai des doutes à ce sujet, mais vous entendrez probablement des personnes faire la promotion de cette idée.

Le sénateur Jessiman: Qu'en est-il de la côte Est et de la morue? On ne peut pas faire revenir les morues. Si elles revenaient, croyez-vous qu'on devrait utiliser un tel régime sur la côte Est?

M. Pearse: Absolument. La pêche à la morue s'y prêterait très bien. En fait, nous appliquons déjà un tel régime à la flottille hauturière, en vertu du régime d'allocations aux entreprises. Je pense que plus de la moitié du poisson capturé dans l'Atlantique l'est aujourd'hui en vertu d'une forme ou d'une autre d'allocation aux entreprises ou de quota.

Contrairement à la situation qu'on observe en Nouvelle-Zélande et en Islande, le problème que posent jusqu'ici les quotas au Canada tient au fait qu'il s'agit de droits très fragiles. Les pêcheurs n'ont aucune garantie. Du point de vue juridique, leurs droits leur assurent une sécurité très limitée. On ne peut donner les quotas en garantie pour obtenir un prêt bancaire; on ne peut les transférer sans se heurter à des règles rigides. On ne peut subdiviser. Les quotas sont des droits très fragiles et vagues.

Pour améliorer le rendement de la pêche, on doit resserrer la définition de ces droits et leur conférer une sécurité plus grande: ils deviendront ainsi plus précieux, et les pêcheurs pourront mieux les utiliser.

Le sénateur Jessiman: Retrouve-t-on des droits de ce genre en Nouvelle-Zélande et en Islande?

M. Pearse: Absolument.

Le vice-président: Le sénateur Comeau, Acadien de la Nouvelle-Écosse, préside le comité.

Le sénateur Comeau: Merci beaucoup, monsieur le président. Je tiens également à vous remercier, monsieur Pearse, de votre comparution. Votre témoignage nous sera utile dans les mois à venir.

J'aimerais revenir à la question posée par le sénateur Jessiman à propos de la côte Est et de l'effondrement des stocks de morue charbonnière. Comme nous le savons tous, les allocations aux entreprises ont vu le jour au début des années 80, et les QIT, à la fin des années 80. Depuis les années 80, plus de la moitié des stocks de poissons de fond de la côte Est sont régis par une forme d'entreprise privée. En vertu de cette entreprise pour l'essentiel privée, nous avons pourtant été témoins du plus important effondrement de stocks de poissons de l'histoire du monde, celui de la morue charbonnière. Mais il n'y a pas que ces stocks de morues qui ont été touchés. Dans les années qui ont suivi, on enregistrait des pertes dans les populations de goberges et d'aiglefins.

Les résultats de la privatisation de la pêche ne sont guère concluants, si on en juge par l'expérience canadienne. Le phénomène s'explique peut-être entre autres par le fait que le statut juridique des droits de propriété est très douteux. Il est donc possible que les intéressés n'assurent pas le genre d'intendance qu'ils assureraient si les droits de propriété étaient beaucoup plus solides.

J'aimerais donc vous poser la question suivante: Dans votre article, vous dites qu'un bon régime de QIT comporte trois éléments de base: un droit juridique plus solide, un statut juridique; une déclaration du gouvernement selon laquelle l'ancien régime est révolu; et, enfin, un organisme de consultation composé de pêcheurs et dans lequel les pêcheurs ont confiance.

Je suis surtout intéressé par la question des droits de propriété. Devrait-on pouvoir posséder et échanger les QIT comme s'il s'agissait d'autres formes de droit de propriété, comme ceux qui s'appliquent aux terrains, aux immeubles ou que sais-je encore?

M. Pearse: Pour répondre à votre question directement, un régime de quotas individuels fonctionnera d'autant mieux que les droits relatifs aux quotas posséderont un caractère juridique affirmé. Pourtant, je dois avouer éprouver un certain malaise à l'endroit du terme «privatisation» que vous avez utilisé. Je sais qu'on utilise ce terme en rapport avec les quotas individuels, mais il me semble inapproprié dans la mesure où nous ne faisons que modifier la nature des droits que possèdent les pêcheurs de capturer nos ressources appartenant au bien commun. Il n'est pas question de modifier la propriété des poissons de la mer. Il s'agit simplement de modifier le droit qu'ont les pêcheurs de les capturer. Nous ne cherchons pas à faire en sorte que la propriété des poissons passe du domaine public au domaine privé.

En ce qui concerne l'effondrement des stocks de morues, je sais que chacun a une explication différente -- en fait, un certain nombre de raisons ont été invoquées --, mais l'une des choses qui demeurent parfaitement claires est que, lorsque le gouvernement a enfin été mis au courant de la situation des stocks de morues, il était déjà trop tard. Le problème tient au fait qu'on a éprouvé de la difficulté à estimer l'abondance des stocks, que la technologie a devancé les données dont on disposait, et cetera, jusqu'à ce qu'il soit trop tard.

Dans les régimes de quotas individuels, rien ne permettra d'atténuer le problème que pose la détermination de l'abondance des poissons de la mer. En fait, le régime de quotas individuels incite les pêcheurs à aider les gouvernements à aboutir à des estimations justes, de sorte qu'ils ont à cet égard un effet limité. S'ils exercent des droits sur une ressource qui se maintiendra dans un avenir éloigné, les pêcheurs verront à ce que la valeur de ces droits soit maintenue en évitant qu'ils ne soient diminués. Par conséquent, ils seront beaucoup plus intéressés à ce qu'on obtienne de bonnes données scientifiques pour estimer l'abondance des stocks.

Cela mis à part, rien dans les systèmes de quotas individuels ne permettra de résoudre le problème lié à l'estimation de l'abondance des stocks. J'ai bien peur qu'il s'agisse d'un problème distinct. Le lien entre les régimes de quotas individuels et l'effondrement des stocks de morues est ténu. Le problème se serait presque certainement posé, avec ou sans quota.

Le sénateur Comeau: Monsieur Pearse, je ne voudrais surtout pas donner l'impression que je suis d'accord avec vous pour dire que les pêcheurs qui participent à la «pêche commune» ne manifestent aucun intérêt pour l'avenir des stocks de poissons. Je pense qu'il est très injuste de dépeindre en ces termes les personnes qui n'ont pas de QIT, mais je n'en ferais pas un sujet de dispute.

Voici le deuxième point que j'aimerais souligner: depuis l'introduction des QIT et des allocations aux entreprises, de tels régimes, à ma connaissance, n'ont au Canada fait l'objet ni d'un débat public officiel ni d'une évaluation objective.

De temps à autre, Jeffrey Simpson du Globe and Mail ou un journaliste du Ottawa Citizen expliquera les grands bienfaits des QIT. Sinon, cette question fait l'objet d'un débat public très limité, et, de part et d'autres, nous n'entendons que les extrêmes. Je pense d'ailleurs que telle est la mission du comité: examiner les deux côtés de la médaille, sans exagération.

J'aimerais vous demander de dire pourquoi le ministère n'a pas entrepris une certaine forme de débat public sur la question, plutôt que d'imposer le régime par la porte arrière, comme il l'a fait.

M. Pearse: D'abord, permettez-moi de dire que je ne suis pas au fait du traitement que le ministère des Pêches et des Océans a réservé récemment à cette question sur la côte de l'Atlantique. Toutefois, je puis vous dire que nous disposons aujourd'hui d'une documentation considérable sur le rendement des régimes de quotas individuels, non seulement dans d'autres pays comme la Nouvelle-Zélande, l'Islande, la Norvège et ailleurs, mais aussi au Canada. Le ministère des Pêches et des Océans a procédé à une très bonne évaluation du rendement du régime de QIT dans la pêche au flétan, et je pense qu'on a peut-être aussi réalisé une étude sur la pêche au poisson de fond. Je crois que Bruce Turris, qui travaille pour le compte du ministère des Pêches et des Océans dans la région du Pacifique, témoignera. Il est un spécialiste. En fait, je pense qu'il a été mêlé à la rédaction de l'évaluation de la pêche au flétan, qui constitue -- et de loin -- le meilleur exemple que nous ayons jusqu'ici sur la côte du Pacifique.

En ce qui concerne le rendement de ces pêcheries sur la côte de l'Atlantique, un certain nombre d'articles ont été consacrés à la question. L'année dernière, j'ai assisté à une conférence organisée à St. John's, à Terre-Neuve, par l'Atlantic Institute of Market Studies (AIMS). À cette occasion, on a présenté un certain nombre de rapports sur les pêches de la côte de l'Atlantique régies par des quotas individuels. L'un d'eux a particulièrement retenu mon attention, et je vous en recommande la lecture. Il s'agit d'un rapport préparé par un pêcheur de Pubnico, sur la rive-sud de la Nouvelle-Écosse. Il s'agit d'un pêcheur qui s'adonne à la pêche au poisson de fond, une pêcherie semi-hauturière. Il s'agit du témoignage -- excellent -- d'un pêcheur qui, il y a quelques années, faisait preuve d'un profond cynisme à l'endroit de toute cette approche, mais qui, après avoir fait l'expérience d'un régime de quotas, est aujourd'hui à même d'en apprécier les avantages. Il a consacré un merveilleux article à cette question.

Le sénateur Comeau: Le pêcheur auquel vous faites allusion est M. d'Entrement, d'Inshore Fisheries. J'ai lu les articles qu'il a préparés et les exposés qu'il a présentés à l'occasion de la conférence de l'AIMS. Dans l'un des articles présentés à cette occasion, on compare la pêche à la morue, ou la pêche au poisson de fond de l'Atlantique, au dernier jour du régime soviétique. «The Cod Carp» a été rédigé par deux fonctionnaires du MPO. Je vous en recommande la lecture.

Oui, nous avons entendu M. Turris. La semaine dernière, il a longuement évoqué la question de la pêche à la morue charbonnière.

Ma dernière question, monsieur Pearse, a trait aux groupements de sociétés. Dans l'industrie de la pêche, on craint que les permis ne puissent être achetés et concentrés dans les mains d'un nombre de moins en moins grand d'intervenants, au point où ils pourraient être détenus par un, deux ou trois particuliers, qui seraient alors en mesure de se déplacer. Si les débarquements sont déplacés vers d'autres collectivités, qu'arrive-t-il à celles qui dépendent de ces stocks? Le gouvernement doit-il alors intervenir et replacer tous les intéressés dans la collectivité? Ou faut-il simplement les oublier? Voilà l'un des problèmes qui ont été portés à notre attention. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

Le vice-président: Il nous reste moins de 15 minutes, et trois sénateurs ont signifié leur volonté de poser des questions. Peut-être pourrions-nous maintenant passer à soeur Butts, après quoi nous entendrons le sénateur Meighen et le sénateur Stewart.

Le sénateur Butts: Merci, monsieur le président. Monsieur Pearse, votre hésitation à utiliser l'expression «propriété privée» à propos des pêches me fascine, mais me plonge aussi dans la confusion. Dans une déclaration antérieure, dans un autre article, vous avez affirmé que la notion de propriété privée est contraire aux principes de l'économie de marché, n'est-ce pas?

M. Pearse: Oui.

Le sénateur Butts: Dans le contexte de l'économie de marché, la notion de ressources appartenant au bien commun disparaîtra, mais vous refusez de parler de propriété privée. Y a-t-il quelque chose entre les deux?

M. Pearse: Le bien unique est l'antithèse du bien commun. Mais il ne s'agit pas forcément du gouvernement. En d'autres termes, il suffit d'examiner la façon dont nous administrons nos forêts, nos minéraux ou nos ressources en eau, ou toute autre ressource naturelle au Canada; souvent, sinon habituellement, il s'agit de propriétés de la Couronne. Toutefois, cette dernière n'invite personne à venir couper des arbres à loisir. En fait, elle accorde des droits exclusifs à des particuliers, pour éviter les ingérences des uns dans les affaires des autres. Voilà ce dont je parle. Il n'est pas nécessaire de recourir à la privatisation. On évite simplement le laisser-aller qui est à l'origine de la «tragédie des ressources d'usage commun», et nous pouvons le faire avec la plupart des autres ressources.

Ici, dans l'Ouest, on accorde à des particuliers des droits sur les pâturages, le bois d'oeuvre ou les ressources en eau. Définis en termes quantitatifs, ces droits sont à l'abri des ingérences d'autrui. Je propose qu'on fasse la même chose dans le secteur des pêches.

Le sénateur Butts: Vous alloueriez donc des droits à une seule personne?

M. Pearse: Ou à une entreprise.

Le sénateur Butts: Ou à une société?

M. Pearse: Ou à une bande indienne. Ou encore à une société, oui.

Le sénateur Butts: Ces droits excluent-ils d'autres personnes? Ou les autres personnes sont-elles exclues de ces droits?

M. Pearse: Absolument. Mais cela n'est pas nouveau puisque même une pêcherie à accès limité s'assortit d'une telle caractéristique, qui est acceptée dans la totalité des pêcheries majeures.

Le sénateur Butts: J'y vois une forme de progression dans l'histoire de la pêche. À une époque, il s'agissait d'un bien privé, puis on a ajouté la notion d'exclusivité, puis celle de durabilité, puis celle de transférabilité, puis encore celle de sécurité. Que reste-il à ajouter pour qu'on aboutisse à une notion de propriété privée?

M. Pearse: On doit ajouter un titre de propriété.

Le sénateur Butts: Je pense que les permis sont une sorte de titre de propriété. Ils sont un droit de pêcher.

M. Pearse: Comprenez-moi bien, je vous prie. On peut accorder un droit de pêche. Si, par exemple, vous allez en Angleterre -- ou même en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick ou au Québec -- et que vous pêchez dans une pêcherie, vous pourrez trouver des pêcheries privées. Habituellement, elles sont plutôt bien gérées. En Angleterre, les pêcheries privées sont extraordinairement bien administrées, cela ne fait aucun doute. On peut certes avoir un bien privé dans une pêcherie. La différence est simplement que, en droit, une pêcherie peut relever du bien privé, au contraire du poisson de la mer, du poisson lui-même.

Le sénateur Butts: Vous avez affirmé que, dans les temps anciens, la pêche n'appartenait à personne. Faut-il en conclure qu'elle appartenait à tous?

M. Pearse: Oui.

Le sénateur Butts: Alors, il n'y a aucune différence entre «personne» et «tous». Laissez-vous entendre que, dans l'hypothèse où nous adopterions votre plan, les ressources halieutiques ne seraient plus une propriété publique? Permettez-moi de poser le problème de cette façon: si seuls des élus qui obtiennent un permis, ou des entreprises, ont le droit de capturer du poisson, la pêche est-elle toujours propriété publique?

M. Pearse: Oui, bien entendu, comme c'est le cas pour la plupart de nos autres ressources naturelles. La Couronne les possède et les alloue à certains particuliers, à l'exclusion des autres.

Le sénateur Butts: Continueriez-vous d'empêcher le gouvernement de fixer le TPA?

M. Pearse: Non, non. Au Canada, en vertu de la Constitution, la responsabilité majeure, qui incombe au gouvernement fédéral, consiste à assurer la conservation des stocks. En vertu de nos structures actuelles, personne d'autre que le gouvernement ne peut le faire.

Cela dit, rien n'empêcherait que les pêcheurs eux-mêmes le fassent, en vertu de solides droits de propriété privée. Si, par exemple, on alloue à un particulier un droit exclusif sur un banc de mollusques, rien n'empêche le titulaire de ce droit de gérer et de préserver les ressources de la même façon qu'un agriculteur préserve ses terres agricoles.

Le vice-président: Il reste huit minutes à la partie du temps par satellite qui nous a été alloué. Sénateur Meighen, aviez-vous une question?

Le sénateur Meighen: Merci, monsieur le président. Peut-être le moment est-il venu de revenir à ceux qui sont issus d'ailleurs que du centre-ville de Toronto, où la pêche n'est peut-être pas aussi vitale -- du moins pas directement, bien entendu. En revanche, elle est directement vitale pour la population qui consomme le produit.

Monsieur Pearse, il s'agit d'une question très fondamentale: étant donné l'expérience récente, je dois avouer nourrir un certain scepticisme à ce chapitre, mais avez-vous le sentiment que nous sommes en mesure de fournir une évaluation exacte des stocks? Sinon, comment diable peut-on procéder à une répartition? Dans l'estimation des stocks, qu'il s'agisse des stocks de morue charbonnière ou de homards, notre dossier n'est pas exactement reluisant, n'est-ce pas? Je ne connais pas la situation sur la côte Ouest, mais je suppose qu'on a dû aussi y commettre des erreurs.

M. Pearse: Je pense que c'est une très bonne question. L'expérience a certes eu des résultats mitigés. La responsabilité la plus fondamentale du gouvernement consiste à faire en sorte qu'on ne surexploite pas les stocks, et pourtant nous l'avons fait à répétition. Je vois ce que vous voulez dire.

Je tiens à ajouter que, souvent, le problème n'a pas été imputable à une défaillance scientifique. Certains de nos stocks sont extraordinairement difficiles à évaluer, y compris les stocks de saumons que nous avons ici. Le problème, c'est que le gouvernement a souvent éprouvé de la difficulté à limiter la pêche aux captures disponibles. La croissance excessive des flottilles sur les deux côtes a énormément contribué à aggraver le problème. La taille des flottilles est devenue telle qu'il est presque impossible de gérer la pêche de manière à ce qu'on s'en tienne aux quotas autorisés de captures. C'est très, très difficile.

En ce qui concerne notre compétence, le ministère des Pêches et des Océans, en dépit des attaques dont il est l'objet, possède une très bonne capacité scientifique. Cependant, nous avons affaire à certains stocks très difficiles et à une pêche qui est difficile à administrer, la politique gouvernementale ayant permis aux flottilles d'échapper à tout contrôle.

Le sénateur Meighen: Je vois ce que vous voulez dire: de plus, on est toujours tenu de réagir après coup, n'est-ce pas?

M. Pearse: Oui.

Le sénateur Meighen: On n'a une idée de la situation qu'après la pêche.

M. Pearse: Puis-je ajouter un mot à ce sujet, au risque de donner dans l'ésotérisme? L'un des problèmes tient au fait que les gouvernements ont tenté d'évaluer les stocks plus ou moins par leurs propres moyens, en interprétant divers types d'informations dont ils disposaient, qu'ils pouvaient obtenir au moyen de navires de recherche océanographique, qu'ils pouvaient inférer à partir des données sur les prises, et cetera.

Ils ont besoin de la coopération des pêcheurs. Les pêcheurs sont présents par centaines dans les lieux de pêche et sont au courant de la situation. En vertu de nos modes traditionnels de gestion, les pêcheurs n'avaient aucun intérêt à coopérer avec le gouvernement, ni à coopérer entre eux. En fait, ils se livraient concurrence.

Le régime de quotas individuels incite tous les intervenants à commencer à coopérer entre eux, parce qu'ils ont intérêt à accroître la taille du stock, et non simplement à obtenir une part plus grande d'un gâteau forcément limité. Ils sont beaucoup plus fortement incités à coopérer. Voilà qui facilitera certes la gestion de la pêche.

Le sénateur Meighen: Je suis plutôt d'accord avec vous. Je n'ai ni connaissance ni engagement antérieur -- dans un sens ou dans l'autre -- de nature à altérer mon objectivité. D'après tout ce que nous avons entendu, il me semble que nous n'avons pas très bien fait connaître les avantages des QIT, tels que vous les avez présentés.

Si les informations dont je dispose sont justes, les États-Unis viennent tout juste d'imposer un moratoire de quatre ans sur l'octroi de nouveaux QIT. Il me semble que le même problème de communication s'y pose. Ai-je raison d'en venir à une telle conclusion?

M. Pearse: Oui, vous avez raison, les États-Unis ont imposé un moratoire sur les QIT en réaction aux pressions exercées par certains groupes de pêcheurs et d'environnementalistes qui nourrissent des inquiétudes à propos du régime. Toutefois, ils n'ont pas renoncé à l'idée. La semaine dernière, incidemment, j'ai, à New York, pris la parole devant un groupe à propos de la pêche à la mactre d'Amérique. Les pêcheurs eux-mêmes exercent de fortes pressions sur le gouvernement de l'État pour qu'il introduise un régime de QIT pour la mactre d'Amérique dans l'État de New York. De l'autre côté de la frontière, soit dans le New Jersey, on applique un tel régime, et les pêcheurs ont conscience d'être désavantagés par rapport à leurs homologues du New Jersey. Ils ont très hâte d'être associés au régime. C'est un peu comme la question qu'on retrouve en Alaska et en Colombie-Britannique dans le dossier de la pêche au flétan. Dans ce cas également, les pêcheurs souhaitent être associés au régime.

Je pense qu'il vaut mieux que je m'arrête là. Mes réponses deviennent un peu trop longues.

Le sénateur Meighen: Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Docteur Pearse, vous avez mentionné différentes formes de contingents et vous avez brièvement parlé d'un contingent de communautés. Cependant, vous sembliez avoir des hésitations à ce niveau. J'attire votre attention sur le fait qu'au sud-est du Nouveau Brunswick...

[Traduction]

M. Pearse: Il y a un solide mouvement, dans certains cercles, et particulièrement en Colombie-Britannique, visant à promouvoir le précepte selon lequel des quotas devraient être affectés aux collectivités de pêche locales. On vise par là à tenter de stabiliser l'économie des collectivités locales pour les empêcher de décliner. C'est une question importante ici en Colombie-Britannique parce que le gouvernement fédéral s'occupe activement à réduire la flotte.

Même si la plus grande part de la flotte de la côte Ouest est rattachée aux grandes villes, il existe néanmoins un certain nombre de collectivités côtières qui dépendent énormément de la pêche, et même une petite réduction des pêches aura pour effet de réduire gravement leurs débouchés économiques. Par conséquent, le principe est le suivant: plutôt que d'accorder les quotas aux pêcheurs, vous pourriez en quelque sorte les accorder à ces localités.

Mon argument est le suivant: sur le plan de la gestion de la pêche, qui est la responsabilité première du gouvernement fédéral, je ne crois pas que le comportement des pêcheurs se modifiera beaucoup selon le port auquel ils sont rattachés, que ce soit Vancouver ou Bamfield ou encore une partie éloignée de la côte ouest de l'île de Vancouver. Ça peut faire une certaine différence pour la collectivité. Dans ce cas, si le gouvernement s'est mis en tête de réduire la flotte, comme c'est le cas actuellement, il doit réfléchir soigneusement aux effets de la modification abrupte de la base économique de ces collectivités. On dit qu'il faut faire quelque chose pour les collectivités locales, et cela ne fait aucun doute. J'appuie fermement l'idée que le gouvernement offre un soutien aux pêcheurs qui ont perdu leur emploi en raison des réductions de la flotte.

Cependant, l'octroi des quotas aux localités ne modifiera pas énormément le comportement des pêcheurs. En d'autres termes, s'il est vrai que la gestion des pêches est facilitée par l'allocation de quotas individuels, elle ne l'est pas beaucoup par l'affectation des quotas aux localités plutôt qu'aux pêcheurs proprement dits. Me fais-je bien comprendre?

Le sénateur Robichaud: Oui, mais dans le sud-ouest du Nouveau-Brunswick, nous avons fait une expérience avec le crabe commun -- le petit crabe qui vit près de la rive. Une localité a reçu un quota, qui a été divisé également entre tous les pêcheurs de la localité. Seules quelques personnes ont pu atteindre le quota, mais le rendement de la pêche a été divisé en parts égales. C'était une très bonne expérience, parce que, dans cette partie du pays, les stocks de homard diminuent -- le homard était le principal gagne-pain des autres pêcheurs -- et il fallait se tourner vers d'autres espèces pour combler cette perte. L'expérience en question s'est révélée avantageuse pour la localité.

M. Pearse: Voilà un argument très important. J'aimerais être tout à fait clair: je suis favorable à l'idée de répartir les quotas entre les pêcheurs. S'il est économique et faisable de les répartir dans leur localité, je n'ai pas d'objection. À vrai dire, quand il y a des modifications réglementaires locales dans d'autres parties du monde, elles fonctionnent très bien. Il y a aussi des associations anciennes comme la prud'homie en France, sur la côte de la Méditerranée, où, depuis le Moyen-<#00C2>ge, les pêcheurs se sont réglementés par l'entremise d'organisations fraternelles très fermées. En Espagne, on retrouve des organisations semblables, appelées confradias. Il s'agit d'organisations communautaires qui accordent les droits de pêche dans chaque localité.

Nous retrouvons aussi des droits de pêche locaux ailleurs; par exemple, pour la pêche en eau douce au Québec, un système connu sous le nom de zec fonctionne très bien.

Sur cette côte, si nous parlons d'affecter des quotas, ce qui m'inquiète, c'est le mécanisme qu'on utiliserait pour les lier à la localité. Pour faire ce que vous avez dit, c'est-à-dire pour faire ce qui s'est fait sur la côte sud du Nouveau-Brunswick, faudrait-il que le gouvernement interdise à un pêcheur de céder son quota à quelqu'un qui ne vit pas dans la localité? Je m'y oppose, parce que je ne pense pas que ce soit le rôle du gouvernement, en définitive, de recourir à des moyens artificiels pour soutenir les localités.

L'histoire de la Colombie-Britannique -- et, à vrai dire, celle du Canada tout entier -- en est une de gens qui vont s'établir ailleurs. Les agriculteurs ont quitté les Prairies, les bûcherons ont quitté les camps forestiers tout le long de la côte de la Colombie-Britannique -- et les camps de pêche. Cela a fait que le monde s'en porte mieux; les gens ont déménagé à des endroits où leur situation s'améliorait. Je ne vois pas d'un très bon oeil que les gouvernements puissent adopter des politiques pour empêcher ce genre d'adaptation.

Le vice-président: Monsieur Pearse, votre exposé a été très intéressant. Votre contribution aux travaux du comité est remarquable. Je suis désolé de ne pouvoir vous accorder une heure de plus, mais nous sommes contraints par l'horaire d'un satellite à respecter certaines échéances. Si vous avez d'autres idées qui pourraient nous aider, n'hésitez pas à nous en faire part. Encore une fois, merci, au nom de tous les membres du comité, de votre présentation exceptionnelle.

Le sénateur Carney m'a prié de vous faire part de ses excuses, car elle ne peut venir ce soir. Elle a délégué quelqu'un pour la remplacer et examinera les transcriptions demain matin.

M. Pearse: Merci, sénateur Perrault. Je remercie également vos collègues de leur attention soutenue. Merci.

Le vice-président: Notre prochain témoin est M. John Radosevic, président de la United Fishermen and Allied Workers Union. M. Radosevic est très connu, particulièrement sur la côte Ouest du Canada. Il a apporté une énorme contribution à notre société.

La United Fishermen and Allied Workers Union et ses 8 000 membres représentent le plus grand nombre de propriétaires-exploitants de navires de pêche -- fileyeurs et chalutiers -- en Colombie-Britannique. Outre les manoeuvres sur les gros navires, le syndicat représente le secteur de l'industrie où il se gagne les plus gros salaires et négocie le prix minimum annuel du saumon et du hareng capturé au filet avec les principaux transformateurs de poisson de la province. De plus, le syndicat est membre fondateur du Conseil canadien des pêcheurs professionnels. Nous avons bien hâte de voir ce que vous avez à nous dire.

La formule que nous avons adoptée est celle-ci: le témoin présente un exposé d'au plus 30 minutes, après quoi nous passons aux questions. Si votre exposé ne fait que 20 minutes, nous consacrons plus de temps aux questions.

Veuillez commencer, monsieur Radosevic.

M. Radosevic, président, United Fishermen and Allied Workers Union: Sénateur, je vous remercie de vos bienveillants commentaires. Je dois vous dire que nous ne comptons plus 8 000 membres. En effet, nous avons maintenant environ 5 500 membres, mais nous sommes toujours la plus importante organisation de propriétaires de bateau détenteurs d'un permis, puisque nous avons près de deux fois plus de membres que toutes les autres organisations réunies. Nous représentons aussi les manoeuvres et les gens de l'industrie, comme vous l'avez mentionné.

Tout d'abord, je commencerai mon témoignage par quelques observations préliminaires, si vous le voulez bien. Premièrement, je veux m'excuser de ne pas vous avoir remis une copie de mon mémoire; ensuite, je vais devoir lire mes commentaires, parce que j'ai dû veiller très tard hier soir pour préparer ce que j'allais dire ici -- nous avons été très occupés ici sur la côte, sénateurs.

Je crois aussi savoir que les sénateurs ont réuni beaucoup d'information importante sur ce sujet, car celui-ci nous occupe depuis déjà un certain temps; je tiens à vous remercier de votre intérêt et du temps que vous avez consacré à réunir ces informations et à faire le travail que vous faites. Je pense qu'il arrive bien à propos.

Dans le mémoire que vous aurez entre les mains dès demain, on parle aussi abondamment de permis de zone, ainsi que de QIT, c'est-à-dire de quotas transférables, ou de privatisation. Il y a une raison à cela: Don Cruikshank, le commissaire à qui on a confié le soin de s'occuper de bon nombre des questions relatives à la privatisation, aux quotas, et ainsi de suite en 1991, mentionne que les permis de zone et les quotas sont, en fait, une seule et même chose, puisqu'il s'agit de fonctions du ministère des Pêches.

Notre objection préliminaire aux quotas transférables et aux permis de zone tient essentiellement à un argument: ces permis peuvent être loués ou achetés aux seules fins de concentrer la propriété ou l'accès à la ressource, qui sont exactement les enjeux de la privatisation auxquels vous vous attachez. Par conséquent, nous nous opposons en réalité à ce droit de quasi-propriété. S'il y avait des dispositions pour empêcher la cession, s'il y avait des dispositions concernant les propriétaires-exploitants, les permis de zone et les mécanismes relatifs aux propriétaires-exploitants pourraient être de bons outils de gestion.

Je commencerai par m'attacher à ce qu'on pourrait qualifier de «cumul» de permis. Nous faisons cela, parce que le MPO utilise actuellement cette méthode de taux d'accès pour faire, dans les pêcheries qui fonctionnent selon un régime de permis de zone sur la côte de Colombie-Britannique, ce que les quotas individuels transférables font pour nombre des pêches avec lesquelles vous êtes familiarisés.

Les pêches de la côte ouest ont traversé une période marquée par les rationalisations et les bouleversements. Les politiques qui ont régi la pêche au Canada durant des décennies sont aujourd'hui refondues, et les pêches proprement dites ont été restructurées par les autorités fédérales dès les années 80, et ça n'est pas fini. Si l'on pouvait obtenir un instantané de ce qu'était l'industrie de la pêche sur la côte du Pacifique à cette époque, l'image serait bien différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Le gouvernement fédéral de l'époque s'était engagé à faire des pêches une ressource commune; la mise en valeur du saumon et les programmes de rétablissement des stocks ont été financés; il n'était pas rare qu'on rencontre des patrouilles de pêche et des garde-pêche, et le MPO avait des bureaux dans des localités situées tout le long de la côte. Il y avait une flotte diversifiée de bateaux de propriétaires-exploitants indépendants, qui fournissaient une partie substantielle du revenu de bien des localités.

Nous soulignons cela non pas pour donner une image idyllique du passé, mais bien pour souligner que ce sont là les antécédents sur lesquels nous voulons bâtir, les mêmes que nous pensions que le ministère des Pêches allait maintenir. Au lieu de cela, le MPO et le gouvernement fédéral ont entrepris d'abandonner les pêches communes et commencent à répartir les ressources selon des intérêts économiques particuliers. Nous observons des modifications profondes du régime d'octroi de permis, qui déciment la flotte de petits navires et nombre des localités côtières qui en dépendent. En même temps, le ministère des Pêches démantèle l'infrastructure traditionnelle de soutien des pêches en refilant le coût de l'entretien de ce qui reste aux pêcheurs, dont bon nombre deviennent les nouveaux propriétaires d'une ressource de plus en plus privatisée.

En fait, il y a deux visions: ou bien, à l'aube de l'an 2000, la côte Ouest peut espérer voir le renouvellement et la revitalisation de l'industrie traditionnelle de la pêche, qui soutient les pêcheurs, les travailleurs à terre et les localités de l'avenir, ou nous adoptons la vision d'entreprise, que semble favoriser Ottawa, et selon laquelle il y aura moins de pêcheurs, les bateaux pourront pêcher plus de poisson, la transformation se fera dans des usines centralisées dans les grands centres, et où la pêche est administrée par le marché, le gouvernement se contentant d'un rôle réduit, celui d'un entremetteur qui établit les partenariats des intérêts privés.

L'indice le plus révélateur de la position du gouvernement est probablement la nouvelle Loi sur les pêches qui est proposée, et particulièrement les modifications enchâssées dans les articles 17 à 22, qui concernent les accords de partenariat -- je suis convaincu que vous savez de quoi je parle. Les diverses organisations de la pêche de partout au pays se sont massivement opposées au projet de loi. Je ne vais pas aborder des questions qu'on vous a déjà soumises; je me contenterai de reprendre un commentaire à ce sujet préparé par Chris Harvey, c.r., avocat reconnu de Vancouver. Il a dit que les députés pouvaient choisir deux voies sur la question des modifications de la Loi sur les pêches.

L'une consiste à adopter le projet de loi du gouvernement, qui permettra à celui-ci d'accorder un droit exclusif de pêche à un groupe déterminé; ce serait alors abandonner une liberté fondamentale retirée à la Couronne par la signature forcée de la Grande Charte en 1215. L'autre façon consisterait, évidemment, à faire en sorte que la pêche demeure une ressource publique en éliminant les articles 17 à 22. C'est ce que nous recommandons.

Le problème de mauvaise gestion généralisée remet, d'une façon importante, toute la question des privatisations et des QIT en contexte. Il est important de souligner que le MPO n'a pas réussi à réaliser ses promesses et ses objectifs en matière de politique et de gestion. Qu'il se soit agi de privatisation, des objectifs relatifs aux QIT, d'octroi de permis de zone ou de dispositions législatives prévoyant de fait des droits de propriété, l'échec qu'a connu le gouvernement à réaliser ses promesses a été, c'est le moins qu'on puisse dire, retentissant.

Si vous examinez ce que décrivait le document stratégique du MPO, vous y constaterez que ces objectifs étaient les suivants: taux d'exploitation durable optimaux; consultation de l'industrie de la pêche; entente équitable concernant les allocations, dans le sens où les participants devaient retirer une part optimale des avantages; stabilité accrue de l'industrie commerciale de la pêche; plus grande viabilité économique et sociale des localités côtières et uniformité des principes du développement durable. La vérité crue sur cette question, c'est que le ministère connaît un échec dans tous ces domaines. Il ne parvient pas à obtenir un taux optimal d'exploitation durable, qu'il s'agisse des pêches sur le territoire canadien -- par exemple, la pêche au saumon sockeye de la rivière Skeena -- ou de pêche d'interception dans les eaux internationales, si l'on en juge par le conflit qui nous oppose à l'Alaska concernant le saumon coho canadien.

Loin de l'élargir, le ministère des Pêches a réduit son processus de consultation; les consultations se font maintenant sous le signe du volet économique plutôt que d'être véritablement consultatives. Les ententes d'affectation équitable sont devenues parfaitement ridicules, comme en témoigne le plan Mifflin. Le ministère a perturbé la stabilité des pêches commerciales. Je pense que vous en savez beaucoup là-dessus. Il a compromis la viabilité économique et sociale des localités côtières, opinion que partagent largement les habitants de ces localités, leur maire et leurs conseillers, entre autres, et ils ont raison. C'est malheureux, mais c'est ainsi. Le ministère a compromis plus de pêche sur le plan biologique que tout autre régime de gestion qui l'a précédé, et c'est là une question à laquelle nous devons nous attacher.

Sur les deux côtes, les localités et les gens qui dépendent de la pêche en ont ras le bol de ce qu'ils considèrent comme des théories d'octroi de permis et de gestion politiquement orientées, qu'ils ont rejetées à maintes reprises. Le rapport Cruikshank de 1991 le constatait, comme l'a fait le comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes. Plus récemment encore, Parzival Copes l'a souligné dans le cadre d'une enquête commandée par la province de la Colombie-Britannique en avril 1998.

Le MPO refuse de voir quoi que ce soit. Il refuse d'écouter les conseils ou les préoccupations de personnes indépendantes dans les localités côtières; il refuse tout autant les conseils d'experts reconnus des pêches comme M. Copes et même des propres représentants du Parti libéral au comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes. Nous souhaitons que le Sénat ait plus de chance.

J'espère que vous ne penserez pas que mes commentaires ne sont que des jérémiades d'ordre théorique. Le coût d'une mauvaise gestion continuelle des ressources humaines et halieutiques est trop grand pour qu'on ferme les yeux. Nous considérons que la crise de la morue à Terre-Neuve est un exemple tragique de ce qui se produira ailleurs si nous ne pouvons persuader Ottawa de changer de direction, et au plus vite. La condamnation des personnes qui vivent sur la côte Est du Canada ne peut être plus acerbe. En plus, Ottawa ne peut continuer de faire fi des répercussions négatives d'une mauvaise gestion de la pêche sur l'ensemble du pays.

Un témoin de Terre-Neuve, qui comparaissait devant le comité permanent de l'autre endroit, a déclaré que la pêche dans sa province a toujours été utilisée par le gouvernement fédéral comme une monnaie d'échange pour promouvoir la politique étrangère. D'autres témoins se demandent s'il est toujours utile d'adhérer à la Confédération. J'ai voyagé tout le long de la côte Ouest, et je puis vous dire que des sentiments semblables commencent à se manifester dans la plupart des localités côtières de la Colombie-Britannique. Avec son insensibilité aux besoins des localités côtières du Canada, Ottawa court au désastre.

Vous pouvez vous demander pourquoi le Canada privatise ses pêches communes. Vous savez que, devant presque chaque critique dont il est l'objet, le gouvernement brandit l'argument de la conservation. Cependant, le dossier des pêches privatisées à cet égard, c'est-à-dire celui des pêches soumises à des quotas individuels transférables ou à un cumul de permis de zone transférables -- est pitoyable. On n'a qu'à voir ce qui s'est produit dans le cas de la pêche à l'ormeau, première pêcherie à quotas de la Colombie-Britannique: elle s'est totalement effondrée. Elle a été fermée pour des motifs de conservation. On commence maintenant à s'inquiéter pour la morue charbonnière, une pêche régie depuis un certain temps par des quotas. En ce qui concerne le hareng, je crois que vous avez beaucoup entendu parler dans les médias des problèmes de conservation de cette ressource. Ou bien les mesures appliquées ne fonctionnent pas comme promis, ou elles n'ont jamais été conçues pour privilégier la conservation, et c'est justement cela que nous croyons.

Nous craignons que le MPO soit aveuglé par les réductions des coûts, au point où il ne tient plus compte du poisson, des gens, de la qualité du produit ou des besoins des localités côtières. Je crois que les véritables visées du MPO sont fort bien décrites dans son document stratégique sur l'an 2000, où l'on dit que le coût de la gestion des pêches du Pacifique sera totalement récupérable auprès de l'industrie au moyen d'une augmentation des tarifs et des redevances, de l'adoption d'autres types de frais d'utilisation ou encore d'ententes de délégation de pouvoirs d'ici l'an 2010.

Dans son rapport du mois dernier, M. Copes fait remarquer que les quotas transférables et le cumul des permis de zone étaient les moyens que privilégiait le MPO pour atteindre ses objectifs. Nous sommes bien d'accord, mais nous tenons à souligner que les ressources halieutiques et les permis qui s'y rattachent n'appartiennent pas à des intérêts privés. Il y a bien des choses que nous remettons en question en ce qui concerne la capacité du MPO de juger des répercussions de ses politiques. Les gens qui participent activement à l'industrie ont maintenant des revenus moindres que ceux qu'ils touchaient il y a dix ans. Je tiens à souligner que rien dans le marché ne justifie une réduction aussi marquée du revenu que celle que nous observons dans la plupart des pêcheries. Les coûts liés aux permis sont l'une des principales causes de la réduction des revenus des pêcheurs, même si le ministère des Pêches continue d'affirmer à tort que les pêcheurs ont une meilleure situation économique grâce au programme de réduction des flottes qui accompagne les QIT ou le cumul des permis de zone.

Les véritables résultats de ces programmes, ce sont d'énormes pertes d'emploi et un abus généralisé des privilèges liés à l'octroi de permis. Dans certaines pêches, il y a probablement 70 p. 100 des propriétaires de navires qui versent en droits de location le prix de leurs prises débarquées avant même que la saison ne commence. Les réductions massives de la paye nette de la plupart des pêcheurs actifs et le transfert de la richesse des producteurs actifs à des spéculateurs qui détiennent un permis mais ne pêchent pas et à des sociétés sont des réalités concrètes.

L'article 7 de la Loi sur les pêches affirme qu'un permis de pêche est simplement un permis visant la pêche d'une espèce de poisson désignée à l'aide d'un engin déterminé. Ursell Baker, sous-ministre adjoint des Pêches, a déclaré récemment qu'un permis de pêche est un privilège, qu'il n'appartient pas personnellement à son titulaire, et que le ministère ne reconnaît pas le droit au détenteur de permis de vendre ou de louer les privilèges auxquels le permis lui donne accès. Pourtant, c'est exactement ce qui se produit; c'est précisément ce qui se produit.

Je peux vous donner bien des exemples. La location des permis de pêche au hareng. Encore une fois, j'utilise la location des permis conjuguée à la location des quotas, parce qu'il s'agit de fonctions que le ministère des Pêches utilise; ce sont des droits de quasi-propriété, et ils fonctionnent de la même façon que les QIT pour d'autres pêches. Je ne pense pas que nous puissions distinguer la façon dont chacune fonctionne, quoiqu'elles soient très semblables.

Je ne prendrai pas le temps de lire mon mémoire tout entier, mais je vous recommande de lire les sections qui concernent la location des permis de pêche au hareng si vous voulez obtenir un exemple de politiques corrompues en ce qui concerne les permis. Il y a des gens qui font littéralement des millions de dollars avec les droits de permis, ce qui est un abus du privilège rattaché au permis, selon la description qu'en fait le MPO; pourtant, il ne fait rien pour empêcher que cela se produise.

De plus, il est important de comprendre d'autres ramifications de cette approche, et l'octroi des permis pour la pêche au hareng en est un bon exemple. Ces permis avaient au départ comme condition que seul le titulaire puisse les utiliser, mais cette obligation a été éliminée en 1979, de sorte que la location des permis est devenue de plus en plus spéculative. Selon une enquête réalisée en 1988 par le MPO, 47 p. 100 des permis de pêche au hareng et 65 permis de pêche à la seine -- autrement dit, 65 p. 100 des permis octroyés aux fileyeurs -- ont été assujettis à ces ententes de location. La situation a empiré, mais on ne peut savoir à quel point parce que le MPO ne veut pas donner de version à jour de cette information.

Cependant, le commerce des permis a fait en sorte que des pêcheurs ont dû se défaire de leurs permis au profit d'entreprises, et l'enquête réalisée par le MPO en 1988 a constaté que les entreprises détenaient 31 p. 100 des permis de pêche à la seine à l'époque. Quand on sait que le MPO les a déjà limités à 9 p. 100, on peut dire que la concentration de ces permis dans les entreprises a connu une croissance exponentielle; depuis 1988, la situation s'est encore aggravée.

Il y a des pertes d'emploi, que ce soit en raison des quotas ou de la location des permis de zone. Le syndicat a souvent qualifié le système de location du MPO de programme de «destruction d'emploi». Encore une fois, vous me permettrez d'utiliser le hareng comme exemple. Sur les 250 titulaires de permis de pêche à la seine, seulement la moitié pratiquent effectivement la pêche. C'est donc dire qu'environ la moitié des manoeuvres des bateaux senneurs ont perdu leur emploi et ne reçoivent pas un sou du gouvernement fédéral pour se recycler ou trouver un autre emploi; ils ont tout simplement été relégués aux oubliettes. Plus d'une centaine de titulaires de permis de pêche à la seine sont devenus des spéculateurs qui restent chez eux et qui louent leurs permis plutôt que de les utiliser pour la pêche.

Non seulement la location de quotas entraîne-t-elle des pertes d'emploi, mais elle a aussi des répercussions négatives sur d'autres aspects de la pêche. Par exemple, lorsqu'un permis est loué, les équipages actifs ne peuvent plus toucher grand-chose en revenus. Environ 40 millions de dollars sont actuellement versés en droits de location des permis. Cet argent pourrait servir à des fins beaucoup plus productives s'il était utilisé par l'industrie et par les gens qui y oeuvrent activement.

Autre grave conséquence: les ententes de location de permis ou de quotas sont généralement conclus bien avant la pêche proprement dite. Si, par la suite, un équipage tente de négocier une juste part des revenus, il constatera généralement qu'une importante proportion de la valeur de la production prévue a déjà été engagée en droits de permis de zone ou de quotas. Les équipages n'ont plus les moyens de négocier des revenus décents. Ainsi, non seulement la moitié des pêcheurs ont-ils perdu leur emploi, mais ceux qui restent gagnent moins aujourd'hui qu'il y a dix ans. Quels avantages économiques cette situation peut-elle avoir pour les gens de l'industrie ou les localités côtières?

Le plan Mifflin est un autre exemple de la façon dont le cumul des permis de zone est en fait un droit de quasi-propriété. Selon nous, même si, à l'heure actuelle, les privilèges de cession sont réservés, si le cumul des permis est possible et qu'on peut les louer, ce qui se produira probablement dans un proche avenir sauf si nous pouvons empêcher que cela se produise pour la pêche au saumon, notre pêche la plus importante, les mêmes problèmes seront susceptibles de s'appliquer aux gens qui pratiquent cette pêche.

En 1997, pour la flotte de fileyeurs, par exemple -- pour vous donner un aperçu de l'effet du plan Mifflin --, le revenu moyen des pêcheurs de saumon rouge, exprimé sous forme d'un montant par permis, a diminué à 8 000 $ pour les pêcheurs du nord, à 15 000 $ pour les pêcheurs de la zone centrale et à 15 000 $ pour les pêcheurs du sud. En 1993, année de cycle comparable, il y avait 30 p. 100 de bateaux de plus. Tous avaient un permis pour pêcher sur la côte tout entière, et le prix des prises débarquées était à peu près le même qu'en 1997. En 1993, la valeur moyenne du sockeye obtenue grâce à un permis de pêche au filet maillant était de 23 000 $, comparativement aux 8 000 $, 15 000 $ et 15 000 $ dont je viens de parler. MM. Anderson ou Mifflin peuvent bien dire que les gens s'en tirent mieux, cet exemple montre que ce n'est pas vrai.

Je dirai maintenant quelques mots à propos des localités côtières et de la concentration des entreprises. Le contrôle des navires et des permis par des entreprises a aussi des répercussions négatives sur les localités côtières éloignées. Il y a un certain nombre de raisons à cela. Les propriétaires de flottes préfèrent que leurs navires mouillent dans des zones métropolitaines. Les villages dont la viabilité économique et sociale dépend des navires de pêche sont privés d'un accès à des emplois hors saison et de leur seul moyen de transport vers les centres régionaux ou les localités où il est possible d'avoir des relations sociales. Ainsi donc, les pêcheurs novices sont privés de l'occasion d'acquérir une expérience précieuse, et les pêcheurs ont tendance à emmener leurs familles dans les zones urbaines si les navires sur lesquels ils travaillent y sont envoyés, sauf pour la durée, très courte, de la saison de pêche active. Par conséquent, il y a moins de permis de pêche auxiliaires -- pour la pêche, par exemple, à la morue, à la crevette, au crabe ou autres -- qui sont conservés dans la localité. Lorsque les navires s'en vont, les gens s'en vont aussi. Le déclin de ces petits ports isolés devient donc presque inévitable.

Il y a des solutions viables. Si vous pensez que le problème tient à la politique et aux modifications administratives qu'on pourrait appliquer pour éliminer la location des permis et mettre un terme à la concentration de ceux-ci aux mains de détenteurs de permis multiples -- et quand je dis «détenteurs de permis», je parle bien sûr également des «détenteurs de quotas» --, alors nous recommanderions l'introduction des dispositions concernant le propriétaire-exploitant. Nous proposons de maintenir les privilèges de pêche des pêcheurs commerciaux autonomes actifs. Ensuite, nous recommanderions l'élimination d'une dépense injustifiée: les loyers versés pour les ressources à des spéculateurs de permis.

Nous avons une troisième recommandation: retirer aux équipages le fardeau que représentent les pratiques de location de permis et mettre au point une réglementation et (ou) des procédures arbitrales viables pour s'assurer que l'intention de cet objectif est respectée. Nous croyons que nous devons soulager l'industrie en général du coût énorme associé à la location de permis ou de quotas, en prévoyant une façon, pour les pêcheurs actifs, d'acheter des permis non destinés aux propriétaires exploitants, au taux du marché, et leur accorder le statut de propriétaire-exploitant. De plus, il nous faut continuer à contribuer à la structure économique et sociale des localités côtières et fournir une formation appropriée aux jeunes pêcheurs débutants.

On peut encore en dire beaucoup, et nous vous renvoyons au rapport Cruikshank, où vous trouverez un aperçu beaucoup plus complet de la question que vous étudiez ici aujourd'hui.

S'il faut établir des quotas individuels ou des permis de zone pour mieux gérer certaines pêches, ces quotas ne devraient pas pouvoir être cédés pour produire un cumul des droits d'accès aux pêches. Les permis de zone et les quotas ne devraient pas servir à réduire la flotte. Ottawa doit abandonner son obsession de réduction sauvage des coûts et considérer les dépenses dans le secteur de la pêche comme un investissement dans l'avenir et non comme un fardeau fiscal.

Les modifications de la Loi sur les pêches pourraient avoir de graves conséquences sur les droits d'accès publics; par conséquent, il faut empêcher tout changement qui aurait pour effet de privatiser une ressource commune. De plus, un examen de l'orientation adoptée par le MPO après le rapport Mifflin doit être effectué. Mifflin l'avait promis.

Dans l'intervalle, nous estimons que la transition et le renouvellement des pêches sont liés et devraient l'être. Nous avons ce dont tous les Terre-Neuviens rêvent, c'est-à-dire un habitat et une ressource qui peuvent être renouvelés; contrairement à celui de la morue de la côte Est, l'habitat du saumon peut être rebâti. Nous avons aussi des pêches sous-utilisées et autre chose qui doit être développé.

Nous avons inclus dans notre mémoire de nombreuses recommandations à l'intention des équipages, mais le principe fondamental est que les quotas et le cumul des permis ne devraient pas être assimilés à une autorisation de contourner les obligations syndicales de l'industrie, ce qui a été souvent le cas jusqu'ici.

Je vous ai donné beaucoup de détails et je m'arrêterai ici. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le sénateur Stewart: Le 28 avril dernier, M. Bruce Turris, de la Pacific Black Cod Fishermen's Association, est venu témoigner. Il nous a présenté ce qui nous a semblé un exposé très convaincant en faveur des quotas pour des navires de cette pêche particulière.

Êtes-vous familiarisé avec la pêche à la morue charbonnière? Diriez-vous, comme M. Turris, que le système de quotas des navires a été, de la façon dont il a été appliqué pour cette pêche, un succès?

M. Radosevic: Pas du tout. M. Turris est maintenant le porte-parole de la Black Cod Association, mais il était auparavant fonctionnaire au ministère des Pêches, et c'est lui qui a introduit le régime de quotas des navires. Il travaille maintenant pour les gens en faveur de qui il a appliqué le plan.

Si vous regardez ce qui s'est passé dans le secteur de la pêche à la morue charbonnière, vous remarquerez qu'environ 48 permis ont été émis, et qu'environ 18 à 20 bateaux pêchent effectivement. Les pertes d'emplois pour cette pêche ont été bien supérieures à 60 p. 100. Les pêcheurs ont perdu la plupart des conditions de travail qu'ils avaient acquises de haute lutte. Franchement, c'est une bien mauvaise façon pour le Canada d'administrer ses pêches.

Je vous donnerai un exemple, que j'aborde dans mon mémoire. Des 181 000 $ de stocks bruts récoltés dans un cas, 100 000 $ ont été versés au titulaire de permis absent, tandis que seulement 81 000 $ ont été versés à l'équipage. Toutes les dépenses de pêche ont été déduites des 81 000 $ versés à l'équipage. Les manoeuvres ont travaillé six semaines sur ce bateau pour environ 2 100 $. Le seul moment où le propriétaire de ce permis s'est manifesté, c'est lorsqu'il est venu chercher son affectation, pour une somme parfaitement ridicule, au ministère des Pêches.

Dans ce scénario, on observe un transfert massif de capitaux à une personne qui vient chercher un permis au ministère des Pêches pour le louer par la suite. Cette personne a deux navires, qui tombent en ruine, et deux équipages complets qui n'ont pas de travail. Elle ramène à la maison tout l'argent qu'elle aurait dû ramener, plus la part de ses hommes, et elle laisse aux pêcheurs actifs le soin d'assumer les coûts qui font en sorte que leurs activités de pêche sont marginales.

Alors, oui, le régime de quotas fonctionne bien pour ceux qui louent leur permis et pour ceux qui demeurent chez eux et conservent ce privilège, mais il ne fonctionne pas bien pour les gens qui produisent en fait la richesse. Je ne pense pas que c'était là l'intention du gouvernement du Canada.

Dans un commentaire, Ursell Baker affirme que le gouvernement n'a pas reconnu ces privilèges. Ce que je veux dire, c'est que le gouvernement ne fait rien pour corriger la situation, même s'il n'avait pas l'intention de la créer. En fait, c'est une bien mauvaise façon pour le Canada d'exploiter ses pêches, vraiment pas une bonne façon.

Le sénateur Stewart: C'est très intéressant.

M. Radosevic: Ce n'est là qu'un exemple.

Le sénateur Stewart: Je vais m'y tenir durant un moment. M. Turris nous a dit que le mode de gestion antérieur de cette pêche était véritablement néfaste pour la ressource. On n'avait rien de plus pressé que de capturer le poisson. Les bateaux utilisés ne convenaient pas vraiment. Je vais vous lire, si vous me le permettez, quelques phrases de son témoignage, et vous me direz si elles reflètent la réalité. Voici ce qu'il a dit, et je cite:

La qualité des prises a baissé rapidement. La rascasse noire est un poisson qui doit être traité très rapidement après la prise pour en maintenir la qualité, car il se détériore rapidement. L'éviscération, le nettoyage, la préparation de la glace, la congélation et l'entreposage doivent se faire avec soin. La qualité des prises a souffert, parce que les pêcheurs étaient plus intéressés à la course pour prendre le plus de poisson possible. L'éviscération et la congélation sont devenues secondaires.

Ainsi donc, en raison de ce qu'il appelait la «rationalisation», le nombre de navires actifs est moins élevé, ceux-ci sont mieux équipés pour s'occuper des prises et les prises se vendent plus cher sur le marché japonais.

Y a-t-il un élément de vérité dans cet énoncé?

M. Radosevic: Je ne pense pas que le ministère des Pêches soit totalement malhonnête, je ne pense pas non plus que Bruce Turris soit totalement malhonnête, pas plus que je pense que je tirerais un quelconque avantage à vous affirmer à tort qu'il y a des problèmes dans le secteur des pêches. Mon argument est le suivant: le ministère des Pêches ne fait pas ce qu'il y a de mieux pour préserver le poisson ou résoudre certains des problèmes que M. Turris a décrits. Il a mentionné que la qualité du poisson s'était détériorée et que les pêcheurs étaient plus intéressés à une course pour prendre le plus de poissons possible. Je pense que ce dernier commentaire est insultant pour les pêcheurs professionnels qui, j'en suis persuadé, vendent un produit de qualité.

Je suis convaincu qu'il y a des choses qui auraient pu être faites, tant avant qu'après l'introduction des quotas, pour améliorer la qualité du produit. Je suis absolument certain que la question de conservation n'a pas été abordée, et je crois savoir que cette question pose actuellement de graves problèmes -- qui nous sont rapportés de façon anecdotique, évidemment, mais les pêcheurs disent qu'il n'y a plus de morue. Que la taille du poisson diminue. Qu'il y a de véritables problèmes de conservation. Manifestement, ces problèmes n'ont pas été abordés, ni dans cette pêche, ni par des mesures comme l'introduction de quotas.

Il parle des considérations économiques et ainsi de suite, mais je me demande quelles réponses il donnerait aux questions que je pose. Quels genres de solutions proposons-nous si plus de 50 p. 100 de la valeur qui était là et qui était aux mains de pêcheurs actifs, qui fournissait des emplois -- et les pêcheurs faisaient un très bon revenu avant les QIT et les plans de M. Turris, et maintenant ils sont au chômage. Il y a moins de pêcheurs, et les gens gagnent beaucoup moins. Pourtant, ceux qui travaillent encore n'obtiennent pas plus de poisson et ne font pas plus d'argent. En fait, les équipages gagnent moins d'argent pour les raisons que je viens de vous donner, tandis que le détenteur de permis, qui ne fait rien, obtient son permis, ne va pas à la pêche, laisse son bateau à quai et facture à l'équipage actif 60 p. 100 ou à tout le moins 50 p. 100 de la valeur du produit.

Alors, pour répondre à votre question, certaines choses ont été résolues, mais pour les résoudre, on a, pour ainsi dire, donné un médicament pire que la maladie.

Le sénateur Stewart: Je peux donc conclure, d'après ce que vous avez dit, que vous vous opposez à l'octroi de quotas?

M. Radosevic: Nous nous opposons aux permis et aux quotas, de même qu'à la location et aux droits de quasi-propriété qui s'y rattachent. Nous pensons que, s'ils sont régis par des dispositions relatives à des propriétaires -- exploitants, qu'on se débarrasse des spéculateurs de permis, que la disposition est établie et que la transférabilité est contrôlée, les quotas peuvent devenir de très bons outils de gestion et pourraient servir à contrôler le rythme des pêches.

Le sénateur Stewart: Vous seriez d'accord pour octroyer les quotas de façon exclusive à un groupe, par exemple, les localités côtières?

M. Radosevic: Je pense que le temps est venu de nous poser la question. Il y a des avantages et des inconvénients à cela. Il y a des cas où le temps est venu de commencer à examiner davantage la possibilité d'accorder des permis de zone et des quotas en fonction de chaque localité. Je ne pense pas que les gens des localités soient totalement stupides ni qu'ils manquent d'esprit pratique; je ne pense pas non plus qu'ils ne chercheraient pas à trouver des solutions à certains des problèmes que M. Pearse et d'autres ont soulevés. Il y a également des avantages à en retirer. Il y a des problèmes, comme toujours, mais je pense qu'avec toute la bonne volonté voulue, les gens peuvent être amenés à négocier et que certains avantages en découleront. Dans l'ensemble, il y a des choses que nous devrions examiner pour ce qui touche la gestion par les localités.

Le sénateur Comeau: J'aimerais parler de la concentration des entreprises, de la concentration des propriétaires. Vous avez vraiment l'impression qu'on devrait éliminer la transférabilité des quotas. Si, par contre, on la maintient, où la concentration des entreprises pourrait-elle s'arrêter? Par exemple, s'arrêtera-t-elle à l'échelle de la localité, à Bay Street, à Wall Street? Si la concentration des entreprises n'est pas freinée, où se terminera-t-elle?

M. Radosevic: Je ne pense pas qu'il y ait de réponse à cette question. C'est pourquoi nous sommes si alarmés. Je ne pense pas qu'on puisse y mettre un terme, sauf si nous trouvons une bonne façon de le faire, à moins de dire que non seulement les intérêts des entreprises doivent être préservés, ce qui est le cas -- nos membres travaillent dans ces usines; nous devons les amener à faire les investissements et la transformation -- les intérêts des habitants des localités côtières, parmi lesquels se trouvent nos membres et des pêcheurs, des propriétaires-exploitants indépendants et ainsi de suite, doivent aussi être préservés. Il doit y avoir un mécanisme quelconque qui dit que les entreprises ne peuvent pas simplement s'emparer de la ressource et que nous, au Canada, allons laisser nos pêcheries être exploitées par ceux qui ont assez d'argent pour acheter les pêcheurs et qui ont le droit absolu de déterminer combien d'emplois il devrait y avoir dans une pêcherie qui appartient à tout le monde. Selon nous, certaines questions exigent une décision du gouvernement du Canada, pas des entreprises.

Nous savons qu'il nous faut changer. Nous savons que nous devons adapter notre industrie à la capacité de pêche et aux besoins biologiques du poisson. Cependant, cela dit, je pense qu'il appartient au gouvernement du Canada de décider de l'ampleur de la richesse que doit produire cette industrie et du nombre de personnes qu'elle doit employer. Après tout, il s'agit d'une ressource qui appartient à tout le monde -- elle appartient au peuple canadien -- et non pas de la propriété privée d'une entreprise. La réponse à cette question, c'est que personne ne le sait et c'est pourquoi nous sommes si alarmés.

Le sénateur Comeau: L'une des préoccupations qui ont été exprimées devant nous au sujet de la concentration, c'est qu'une fois que la pêche est l'affaire de seulement quelques intervenants, on risque de déplacer les stocks ou les prises débarquées d'une localité à l'autre, selon le bon vouloir du propriétaire, de sorte que certaines localités pourraient être complètement privées de revenus -- si ces quotas sont transférés d'une localité à la localité voisine. Êtes-vous d'accord pour dire que c'est un autre risque de la concentration?

M. Radosevic: Ce que vous dites n'est pas une théorie. Cela se produit. Cela est arrivé. Nous en avons des exemples. Ce n'est plus un phénomène auquel nous nous objectons parce qu'il pourrait théoriquement se produire; nous le voyons se produire chaque jour. Nous voyons des collectivités être plongées dans la misère en raison de certains des mécanismes imposés par le ministère des Pêches. Il ne s'est pas attaché aux besoins des habitants des localités côtières, il ne s'y intéresse même pas. Sa principale fonction -- et probablement la seule -- c'est de voir combien cela va coûter. Il s'agit d'une démarche à courte vue, parce qu'il ne pense pas plus loin et ne se demande pas: «Combien cela va coûter si les pêches ne prospèrent pas dans ces localités côtières?» Les répercussions sont énormes, et elles vont coûter cher. Je pense que vous n'avez pas besoin de vous poser la question: examinez simplement le dossier. Vous y trouverez votre réponse.

Le sénateur Comeau: Comment réagissez-vous au commentaire selon lequel la disposition de propriété des QIT et les quotas individuels pour chaque navire ont en quelque sorte pour effet d'amener les propriétaires de navire à se sentir propriétaires de la ressource, et, partant, à se sentir davantage responsables des stocks, à mieux mettre en pratique la conservation ou à être de meilleurs fiduciaires de la ressource, en tout cas bien davantage que la sordide course aux poissons que semblent dépeindre les opposants?

M. Radosevic: Je pense que, dans bien des cas, ces questions ont été des écrans de fumée. Certes, les mesures n'ont pas, comme promis, empêché certains des problèmes que vous avez décrits. Je pense que la principale raison des quotas transférables ou de l'octroi de permis de zone transférables n'a jamais été l'amélioration de la qualité ou quelque chose du genre. Ces mesures visaient à réduire la flotte, et à la réduire sans frais pour le gouvernement, et c'est exactement ce qu'elles font. En quelque sorte, des pêcheurs cannibalisent d'autres pêcheurs.

Il n'y a pas de plan, d'investissement ni de stratégie visant à améliorer la qualité et à veiller à ce que les pêcheries qui ont été privatisées au moyen des QIT ou du cumul des permis de zone soient solides sur le plan environnemental. Encore une fois, c'est à ses résultats qu'on juge une mesure. Regardez les résultats. Et, si ce qu'ils visaient, même si c'était totalement honnête, si ce qu'ils visaient, c'était de régler les préoccupations concernant la qualité et ainsi de suite, ce n'est qu'une partie de la vérité. Comme je l'ai dit, le remède était pire que la maladie.

Le sénateur Comeau: Le plan Mifflin tentait réellement de s'attaquer au problème de capacité, mais on m'a dit que le problème avait été résolu par la réduction du nombre de navires plutôt que par la réduction de la capacité. Ce qui s'est passé entre temps, c'est que ces petits navires, les navires les moins efficients, ceux qui, fondamentalement, ne représentaient pas une grosse menace pour le poisson, ont été bel et bien retirés, et que les navires les plus efficients ont pu poursuivre la pêche. Pensez-vous que ce soit le cas, ou est-ce que cela n'a rien à voir?

M. Radosevic: Non, c'est absolument vrai. C'est absolument vrai. Les chiffres sont là, vous n'avez pas à me croire sur parole. La pêche à la senne a été réduite de 9 p. 100. On a aussi réduit la pêche au filet maillant d'environ 18 ou 19 p. 100, car elle est beaucoup moins efficiente que la pêche à la senne. Enfin, on a réduit la pêche à la traîne d'environ 27 p. 100, parce qu'elle est, elle aussi, moins efficiente.

Si vous examinez la capacité de prise de la flotte de senneurs, qui se retrouve principalement entre les mains des grandes entreprises, vous constaterez qu'elle est pratiquement intacte. Nous souhaitons que l'espèce survive, mais, comme je l'ai dit, on l'a réduite de 9 p. 100, de sorte que le plan Mifflin n'a pas réglé le problème de capacité.

Ce qui s'est produit, par contre, c'est une réduction des revenus. Je vous ai donné les chiffres concernant le revenu que touchaient les gens avant le plan Mifflin, au cours d'une année où la production a été semblable et où les prix étaient eux aussi semblables. Lorsque M. Anderson parle du problème du prix, en 1993, même s'il y avait 30 p. 100 de navires de plus dans l'industrie, les gens faisaient pratiquement deux fois plus d'argent que ce qu'ils ont touché l'an dernier avec le plan Mifflin.

Le plan Mifflin a eu un effet certain, c'est de remettre le contrôle de la flotte entre les mains des entreprises, en leur accordant des droits d'accès dont ils ne pouvaient que rêver dans le passé. Rien de plus.

Le sénateur Butts: Je m'intéresse à un aspect particulier de ce que je pourrais appeler votre condamnation des politiques du MPO. Ai-je raison de les appeler ainsi? Est-ce que je vous cite correctement?

M. Radosevic: Non. Vous avez tout à fait raison. Nous sommes vraiment malheureux.

Le sénateur Butts: Vous avez parlé d'un partenariat. Qui sont les partenaires?

M. Radosevic: Je pense que les modifications qui ont été proposées permettraient au ministre de conclure un partenariat avec qui bon lui semble et de lui confier des fonctions dont le ministère des Pêches est en ce moment principalement responsable. Ce qui arriverait, c'est qu'il privatiserait certaines fonctions, des fonctions de science de la gestion, et nous nous opposons à cela. Nous parlons d'une ressource commune, nous parlons des pêches sur les deux côtes qui éprouvent des problèmes que nous connaissons tous, et le temps est venu pour le gouvernement du Canada d'améliorer sa capacité d'y réagir, plutôt que de privatiser ces fonctions et de les céder à contrat à des intérêts privés, quels qu'ils soient. Je ne sais pas si je réponds complètement à votre question.

Le sénateur Butts: Le ministre pourrait-il établir un partenariat avec une localité?

M. Radosevic: Le ministre pourrait établir un partenariat avec une localité, avec un particulier, avec une entreprise, avec n'importe qui, à ce que je sache. Je ne pense pas qu'il y ait de limites quant à l'entité avec laquelle il peut établir un partenariat.

Le sénateur Butts: Pensez-vous que cela serait faisable pour la collectivité à laquelle vous vous intéressez?

M. Radosevic: Je pense que le Ministère se trouverait à déléguer son pouvoir de gestion. Selon toute probabilité, cela réduirait la qualité de l'expertise de gestion qu'il a actuellement. Une de nos principales préoccupations tient au fait que le ministère des Pêches a une longue et fière histoire. Nous n'avons pas toujours été d'accord avec ce qu'il a fait dans le passé, mais nous avons toujours considéré qu'il agissait pour protéger le poisson et, si nous n'étions parfois pas d'accord avec ses politiques de gestion, nous pensions toujours qu'il le faisait pour le bien-être du poisson et des gens de l'industrie, qu'il avait certaines priorités à cet égard. Nous n'en sommes plus certains.

Nous pensons que la délégation générale des responsabilités du ministère des Pêches a mené le poisson au désastre. Il ne fait aucun doute qu'elle mène au désastre les habitants de diverses localités. Elle a à tout le moins ruiné les personnes que je représente. Nous sommes préoccupés par la délégation croissante des activités d'application de la loi, des activités scientifiques, que nous jugeons tous très importantes. Les fonctions de gestion de ce genre ne sont pas des choses que des entreprises privées ou des citoyens devraient reprendre du ministère des Pêches.

Le sénateur Butts: Lorsque vous parlez de ces quotas et du cumul des permis, particulièrement par des entreprises, incluez-vous dans ces entreprises les usines de transformation?

M. Radosevic: Excusez-moi. Je ne vous ai pas bien comprise.

Le sénateur Butts: Je parle des usines de transformation de ces localités.

M. Radosevic: Nous voulons poursuivre la transformation du poisson dans les diverses localités côtières. On avait déjà envisagé cela.

Nous sommes inquiets. Vous n'avez pas besoin de me croire sur parole. Nous pouvons vous poster un exemplaire de certains des énoncés de principes du Conseil canadien des pêches. Selon lui, nous avons deux grands bassins de production du saumon sockeye: la rivière Skeena et le fleuve Fraser. Sa vision était la suivante: établir une usine de transformation dans le nord, dans la région de la rivière Skeena, et en établir une autre dans le sud, aux alentours du fleuve Fraser, et c'est à peu près tout.

Sa vision ne comprenait pas de débouchés d'emploi pour les localités côtières. On n'y parle pas d'amélioration des stocks autres que le sockeye. Le conseil s'oppose aux travaux de mise en valeur et d'ensemencement de certaines pêches parce qu'ils ne s'inscrivent pas précisément dans sa vision selon laquelle seulement quelques pêcheurs devraient capturer plus de poisson pour chaque navire, être capables de le livrer aux entreprises pour beaucoup moins cher de sorte que celles-ci puissent faire des profits sans devoir changer la façon dont elles font les choses depuis des centaines d'années.

S'il y a une critique que nous pouvons formuler à l'endroit des grandes entreprises, c'est qu'elles n'ont pas fait grand-chose pour créer de nouveaux produits, pour ajouter de la valeur à leurs pêches. Nous pensons que leurs activités d'aquiculture les placent en situation de conflit d'intérêts. Les entreprises avec qui nous faisons affaire sur la côte Ouest sont parmi les plus impartantes. Je crois, par exemple, que Westons est l'une des trois ou quatre plus grandes entreprises d'aquiculture au monde. Il y a un conflit d'intérêts lorsque, d'une part, elles affirment ne pouvoir faire face à la concurrence en raison de la piètre valeur des stocks de poisson sauvage et que, d'autre part, elles se plaignent de ne pouvoir faire face à la concurrence en raison des bas prix du poisson d'aquiculture. Elles disent l'une ou l'autre de ces choses, selon la personne à qui elles parlent.

Nous craignons qu'il y ait concentration des entreprises pour l'accès aux pêches. Nous observons déjà une concentration des entreprises en ce qui concerne les emplacements, les grandes sociétés étant fondamentalement capables de s'approprier les quotas, de s'approprier la capacité de transformation des petites entreprises. Selon nous, les habitants des localités côtières pourraient devoir déménager dans les grands centres, au nord ou au sud, afin de se rapprocher des usines de transformation, des navires que possèdent les grandes sociétés. Nous voyons des gens au milieu, dans les petites villes et les petits villages, qui dépendaient naguère de navires privés, de navires de propriétaires-exploitants, des pêcheurs indépendants qui dépendaient des petites usines de transformation -- peut-être une quelconque capacité de transformer en créneaux de marché diverses espèces sous-utilisées -- disparaître un peu comme le dodo. Voilà les préoccupations que nous avons.

Cela dit, je ne sais pas si nous pourrions alléguer que les grandes entreprises doivent elles aussi survivre. Nous ne nous y opposerons pas, loin de là. Nous voulons qu'elles survivent. Nous voulons qu'elles soient saines. Nous voulons qu'elles investissent dans de nouvelles gammes de produits et qu'elles commencent à s'ouvrir à de nouvelles idées afin d'accéder à des marchés différents, si nous ne pouvons continuer comme auparavant.

Le sénateur Jessiman: Les permis sont-ils renouvelables chaque année?

M. Radosevic: Oui.

Le sénateur Jessiman: Y a-t-il quoi que ce soit sur le permis proprement dit -- je sais qu'ils sont transférables -- mais y a-t-il quoi que ce soit sur le permis qui affirme qu'il est transférable?

M. Radosevic: Non, je ne pense pas.

Le sénateur Jessiman: C'est donc tout simplement que cela s'est produit dans le passé, qu'ils ont été cédés.

M. Radosevic: C'est un droit de quasi-propriété, c'est ainsi que nous l'avons appelé. Si le gouvernement du Canada dit: «Vous n'en avez pas le droit cette année», je pense qu'il aurait le droit de le dire, mais je pense qu'il y aurait probablement une contestation devant les tribunaux.

Le sénateur Jessiman: En fait, les gens paient beaucoup depuis des années pour cela.

M. Radosevic: Absolument. C'est pourquoi beaucoup de travail a été fait, par Don Cruikshank et d'autres -- et nous y avons participé -- pour établir comment nous pouvions éviter ce qui nous menace maintenant, sans devoir faire face à une contestation juridique et sans léser les gens qui ont fait les investissements. Il nous faut trouver une façon, et nous avons décrit le problème très simplement dans notre mémoire, mais il peut se régler.

Le sénateur Jessiman: Ce que vous aimeriez, c'est une formule où seulement les utilisateurs auraient droit au permis, n'est-ce pas?

M. Radosevic: Nous voudrions que les transferts se limitent aux propriétaires-exploitants actifs. Alors, si vous vouliez utiliser des quotas ou des permis sectoriels comme outil de gestion -- et ils peuvent être utilisés très efficacement pour prolonger la saison ou procurer un accès égal ou d'autre chose du genre -- nous y serions favorables, mais pas s'ils deviennent des droits de propriété dont la capacité d'échange devient plus précieuse que le produit auquel ils doivent servir.

Le sénateur Jessiman: Vous êtes membre du Council of Professional Fish Harvesters, n'est-ce-pas?

M. Radosevic: Oui.

Le sénateur Jessiman: Le conseil partage-t-il vos opinions?

M. Radosevic: Je ne sais pas. Si les siennes sont différentes, je n'en ai pas eu connaissance.

Le sénateur Jessiman: Vous êtes membre du conseil?

M. Radosevic: Oui.

Le sénateur Jessiman: Connaissez-vous les opinions du conseil? Il a produit un énorme travail qui concernait en bonne partie la meilleure façon de gérer la pêche sur la côte Est.

M. Radosevic: Je ne connais pas toutes les nuances de la gestion des pêches sur la côte est. Peut-être que l'octroi de permis de zone et de quotas sur la côte Est est très utile; je ne veux pas dire qu'il ne l'est pas.

Je parle de la côte Ouest. Nos opinions ont été exprimées très clairement par la Professional Fish Harvesters Association. Elle appuie totalement ce que nous disons en ce qui concerne la côte Ouest. Elle est horrifiée, pas nécessairement par le concept de permis de zone ou de quotas, mais par le résultat des quotas transférables et du cumul des permis de zone pour la pêche sur la côte Ouest. Encore une fois, c'est le cumul et la transférabilité qui nous causent problème. Autrement, il y aurait probablement beaucoup d'acceptation et d'entente entre le ministère des Pêches, nous-mêmes et les gens, peu importe ce qu'ils font sur la côte Est.

Je le répète, ils appuient ce que je dis tant et aussi longtemps que cela concerne la gestion des pêches sur la côte Ouest.

Le vice-président: Monsieur Radosevic, au nom de tous les membres de notre comité, je tiens à vous remercier d'avoir pris le temps de venir nous parler, surtout par le magnifique après-midi que nous avons connu à Vancouver.

M. Radosevic: Vous êtes toujours aussi charmant, sénateur, et je l'apprécie. J'espère avoir pu vous être utile.

Le vice-président: Vous nous avez été très utile.

M. Radosevic: Merci beaucoup.

La séance est levée.


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