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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 40 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 4 novembre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été déféré le projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 35 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Nous accueillons aujourd'hui le colonel Fenske, le lieutenant- colonel Weatherston et le commandant John Maguire.

Le colonel Allan Fenske, juge-avocat général adjoint, Consultation et lois, Forces canadiennes, équipe chargée de la modification de la Loi sur la défense nationale: Honorables sénateurs, je suis heureux d'être ici pour examiner le projet de loi C-25 plus en détail.

Lors des deux ou trois dernières séances, vous avez soulevé un certain nombre de questions dans le cadre de vos délibérations. Nous vous avons fourni certains renseignements et nous nous sommes engagés à vous faire, verbalement, d'autres commentaires au sujet de ces questions.

Cela dit, je suis disposé à faire quelques brèves observations sur diverses questions qui semblent avoir retenu votre intérêt au cours des deux ou trois dernières séances. Je vais tenter de consacrer quelques minutes de ces observations à chacun des points pour vous situer le contexte et préciser la pensée de l'équipe ainsi que la structure qui sous-tend le projet de loi. Cela vous aidera peut-être dans votre discussion du projet de loi à l'étude.

Nous avons remis dernièrement à votre greffière certains documents qui portent sur deux questions. La première concerne les données statistiques sur la durée des mandats de divers postes au sein du système de justice militaire. Ces renseignements nous ont été demandés à la dernière séance. Les documents qui vous ont été remis renferment un résumé des diverses nominations concernant les juges militaires, les officiers chargés de la poursuite et de la défense au cours des dix dernières années.

Nous avons également fait profiter votre comité des fruits de notre recherche sur les dix dernières années concernant le délai imparti pour entendre une cause à la cour martiale. Notre analyse porte sur plus de 550 affaires entendues dans ce système. Nous avons examiné le délai moyen de la mise en accusation jusqu'à la décision de la cour de première instance et avons pu déterminer qu'il était d'environ 3,5 mois, ce qui est peut-être la première indication que le système de justice militaire est différent du système civil.

Sans contredit, personne ne ressent plus durement que moi la perte de Brian Dickson. Le juge en chef Dickson avait témoigné devant le comité permanent de la Chambre des communes de la défense nationale et des affaires des anciens combattants. Nous avons avec nous la transcription des délibérations de la séance du 11 mai au cours de laquelle il a comparu.

Je vous invite à étudier le compte rendu de cette séance et je vous renvoie à une partie seulement de la transcription, soit à la page 10 des 26 pages qu'elle contient. M. George Proud a posé la question suivante au juge en chef Dickson:

J'aimerais savoir si vous estimez que le projet de loi reflète bien vos recommandations. En effet, il arrive souvent qu'une bonne idée soit diluée dans le libellé d'une loi et que le résultat ne corresponde pas très bien à l'intention. Y a-t-il donc dans le projet de loi des dispositions qui ne reflètent pas vraiment vos intentions?

Je ne cite pas cet extrait pour nous «congratuler». Je le fais pour votre information parce que je trouve que c'est à cet endroit précis que le juge en chef Dickson donne vraiment son opinion de façon générale. Voici ce qu'il répond:

Je crois devoir répondre par l'affirmative. J'ai de l'admiration pour le travail effectué depuis le 25 juillet, date de présentation de notre deuxième rapport, et le 4 décembre, je crois, date du dépôt du projet de loi C-25. Je crois que l'avocat-juge général et son personnel ont fait un excellent travail de préparation.

Ce que je veux ici, c'est vous faire comprendre clairement que nous sommes déterminés à suivre les recommandations du juge Dickson et à vous faire voir qu'il estimait que nous avions respecté notre engagement.

Je fais ici un commentaire général. Je vous recommande de consulter la transcription pour obtenir des points plus détaillés parce que le juge Dickson et le général Belzile avaient quand même beaucoup à dire au nom du groupe consultatif spécial.

J'aimerais faire une autre observation préliminaire concernant le contexte avant d'aborder les questions comme telles.

Le rapport du comité de la défense nationale et des affaires des anciens combattants intitulé: «Pour aller de l'avant -- Plan stratégique pour l'amélioration de la qualité de la vie dans les Forces canadiennes» précise ceci:

En revenant sur le travail que nous avons réalisé au cours des derniers mois et sur le nombre de témoignages que nous avons entendus, il ne fait aucun doute que les Forces canadiennes sont une institution qui a des besoins particuliers et qui a d'énormes défis à relever. Il n'y a rien d'équivalent dans la société civile. La responsabilité illimitée qui est assumée par les membres dès qu'ils sont enrôlés les place immédiatement à part.

Je tiens à aborder cette question de contexte parce que le projet de loi tente de faire en sorte que le code de discipline et la justice militaire reflètent adéquatement les valeurs et les traditions juridiques canadiennes. Ce faisant, le projet de loi fait en sorte que le code corresponde davantage aux processus du système civil de justice pénale. Cependant, du même souffle, le projet de loi tente de continuer de répondre aux besoins des militaires.

C'est un lieu commun de dire que la cour martiale est une institution unique. Elle s'est développée à partir de nos traditions et de notre histoire. Elle est acceptée dans la jurisprudence d'appel en matière de justice militaire.

La Cour suprême du Canada a pris la question du contexte assez au sérieux. Je vais vous citer un extrait de la note principale de la décision majoritaire rendue dans R. c. Généreux, rédigée par le juge en chef Lamer, et les juges Sopinka, Gonthier et Iacobucci qui étaient d'accord. Il est question du système de justice militaire:

L'existence d'un tel système pour le maintien de la discipline dans les forces armées est profondément enracinée dans notre histoire et est justifiée par des principes impérieux. Le droit de l'accusé d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial doit être interprété dans ce contexte et dans celui de l'alinéa 11f) de la Charte, qui prévoit l'existence d'un système de tribunaux militaires ayant compétence sur les affaires régies par le droit militaire. Compte tenu de l'alinéa 11f), le contenu de la garantie constitutionnelle d'un tribunal indépendant et impartial peut très bien différer selon qu'il s'agit du contexte militaire ou de celui d'un procès criminel ordinaire.

Je vous cite un autre extrait de la décision:

Toutefois, il ne serait pas raisonnable, dans ce contexte, d'exiger un système dans lequel les juges militaires seraient nommés jusqu'à l'âge de la retraite. Les exigences de l'alinéa 11d) tiennent compte du contexte dans lequel la charge décisionnelle est exercée.

Dans son jugement dissident, Mme la juge L'Heureux-Dubé insiste encore davantage sur la question du contexte.

La présente affaire se situe dans le contexte d'un tribunal militaire et, en interprétant l'alinéa 11d) de la Charte, il faut accorder suffisamment d'importance à ce contexte. L'approche ou méthode contextuelle est un principe d'interprétation constitutionnelle d'une importance capitale.

Je ne veux pas insister davantage. J'ai l'impression que certains membres veulent avoir des points de repère pour mieux comprendre certaines des propositions. Certaines des explications que nous offrons concernent une organisation qui n'a pas d'équivalent.

La première question qui a suscité passablement de discussions portait sur le mandat fixe des juges militaires. Les commentaires que nous vous donnerons se rapportent à la théorie qui sous-tend le projet de loi. La Charte n'exige pas que les juges restent en poste leur vie durant. La nomination des juges militaires pour des mandats fixes est une exception convenue à la norme. La norme veut que, en matière criminelle, la plupart de nos juges soient nommés pour la vie.

Dans la décision Généreux et dans la décision précédente, appelée la décision MacKay, à laquelle a participé le juge en chef Dickson, on a accordé passablement d'importance au contexte dans lequel le droit militaire a évolué au cours des siècles. On a également tenu compte des besoins actuels du système de justice militaire aujourd'hui.

Dans une autre affaire concernant la Charte, le juge en chef Lamer a signalé que chaque système a sa propre justification. Traditionnellement, le système évolue selon des principes de viabilité et d'acceptabilité pratique.

On retrouve ce genre de garantie constitutionnelle dans d'autres pays. Il faut prévoir des normes adéquates assurant l'indépendance et l'impartialité des personnes qui exercent les fonctions -- et je n'insisterai pas suffisamment là-dessus -- tout en préservant les caractéristiques essentielles des systèmes en cause. Je soulève à votre intention la question de l'équilibre que ce projet de loi tente d'atteindre.

Cela dit, la nomination des juges militaires pour un mandat fixe a été entérinée en 1992 par la Cour d'appel de la cour martiale du Canada et dans l'affaire Généreux. Deux éléments ressortent de ces jugements et j'ai déjà discuté d'un de ces points plus ou moins en détail.

Le premier est que la Charte n'exige pas de normes uniformes pour tous les tribunaux et ne prévoit pas non plus qu'il serait adéquat d'en imposer.

Deuxièmement, et c'est là une citation directe du jugement Lamer dans l'affaire Généreux:

Toutefois, il ne serait pas raisonnable, dans ce contexte, d'exiger un système dans lequel les juges militaires seraient nommés jusqu'à l'âge de la retraite.

En résumé, cela veut dire que la structure législative et réglementaire protège ces juges contre toute interférence discrétionnaire ou arbitraire des autorités.

Le groupe consultatif spécial a noté que la formule du mandat d'une durée fixe était entérinée dans l'affaire Généreux. Je crois que vous l'avez fait remarquer à la dernière séance. On n'a pas proposé de modifier la formule du mandat fixe.

Récemment, devant la Cour d'appel de la cour martiale, le juge Létourneau dans l'affaire Lauzon a clairement établi que la Cour d'appel de la cour martiale était nettement en faveur de mandats fixes.

À ce sujet, le projet de loi C-25 amène une part de certitude considérablement plus grande en ce qui concerne la nomination et la durée de la nomination pour des mandats fixes. Il offre des garanties importantes qui n'existent pas maintenant. J'aimerais vous les résumer.

Premièrement, dans le système actuel, celui au sujet duquel le tribunal a fait des commentaires favorables dans l'affaire Généreux, le mandat est normalement de quatre ans et d'un minimum de deux ans. C'est le ministre qui procède aux nominations. D'après le projet de loi à l'étude, ce sera le gouverneur en conseil qui fera les nominations comme il le fait pour tous les juges fédéraux.

Deuxièmement, le mandat est d'une durée fixe de cinq ans, ce qui représente une importante amélioration. Nous parlons ici de jurisprudence concernant la Charte, mais c'est là un thème sur lequel je vous invite à réfléchir.

La jurisprudence de la Charte en matière d'indépendance est en pleine évolution et selon une structure assez complexe. Lorsque le projet de loi a été rédigé l'été et l'automne derniers, il a été tenu compte de la décision qui serait rendue dans le Renvoi de l'Î.-P.-É., décision qui a été effectivement rendue avant que nous terminions la rédaction de ce projet de loi. Bien sûr, nous avons analysé en détail cette série de jugements très longs et très compliqués.

Honorables sénateurs, je vous avoue que nous sommes encore en train d'analyser ce jugement qui est très complexe et qui ne s'adresse pas spécifiquement aux juges militaires. Cependant, nous croyons que les principes qu'il recèle sont des principes auxquels nous devons accorder de l'importance.

De par sa complexité, de par son caractère de nouveauté et parce que le domaine du droit évolue constamment, nous voulons nous assurer de bien comprendre. Il nous faudra peut-être plus d'un exercice pour y arriver. Pour cette raison, nous n'avons pas essayé de trouver quelque chose de plus ambitieux en ce qui concerne la question suivante qui, à mon avis, est considérablement importante pour nombre d'entre vous, à savoir le renouvellement des mandats.

S'agissant du renouvellement des mandats, je pense qu'il serait utile -- et je suis sûr que vous me le direz dans le cas contraire -- que vous soyez en mesure d'évaluer la situation actuelle, le problème récurrent des mandats, l'effet des amendements qui nécessitent la mise sur pied d'un comité sur le renouvellement des mandats, comment le comité est composé, quel processus doit-il utiliser pour s'assurer qu'il n'y a pas d'interférence arbitraire des autorités. De plus, en réponse à une ou deux questions qu'on nous a posées, le genre de critère objectif dont il faudrait tenir compte.

Depuis que l'on a adopté des mandats fixes en 1991, la question du renouvellement de ces mandats revient sur le tapis. Il n'y avait pas de mandats fixes avant 1991. La norme consistait à confier des charges décisionnelles précises à des juges sans pour autant leur donner de mandat.

C'est dans l'affaire Généreux que cette question a été contestée. En attendant le jugement de la Cour d'appel de la cour martiale et la décision dans l'affaire Généreux, nous avons changé nos règlements pour respecter, c'est ce que nous espérions, les principes que nous estimions devoir découler de l'affaire Généreux. Nous avons eu la chance d'avoir les commentaires de la cour sur les dispositions que nous avons mises en place.

Ces dispositions -- c'est-à-dire des mandats de quatre ans et normalement d'un minimum de deux ans renouvelables -- ont été adoptées à ce moment-là et sont en place depuis.

Le changement que le projet de loi C-25 apportera ne consiste pas à implanter le renouvellement. Il vise à fournir un processus de renouvellement, dans la réglementation, exigeant la recommandation d'un comité. Pour l'instant, une telle exigence n'existe pas, les mandats sont simplement renouvelés.

Nous tentons d'utiliser le processus qui a fait l'objet de discussions dans le Renvoi de l'Î.-P.-É. en ce qui concerne l'indemnisation des juges. Nous espérons pouvoir tirer profit d'un processus structuré mis en place par un comité spécialement créé à cette fin, processus qui fonctionne -- et je reprends ici les propos du juge en chef Lamer dans le Renvoi de l'Î.-P.-É. -- et en faire un filtre pour éliminer toute possibilité d'interférence arbitraire des autorités. En bout de piste, ce processus donnera lieu à une recommandation. Le comité n'a qu'une seule fonction. Il s'agit d'un comité indépendant qui n'a, dis-je bien, qu'une seule fonction, à savoir formuler une recommandation au gouverneur en conseil.

Le premier point est que le comité du renouvellement des mandats est pour nous une façon de nous assurer que les décisions prises au renouvellement des mandats ne sont pas prises à l'aveuglette, ne sont pas prises strictement par les autorités militaires ou autres. Dans le cas qui nous intéresse, nous tentons d'utiliser quelque chose qui a été appliqué à d'autres tribunaux judiciaires et, en réalité, à la plupart des tribunaux judiciaires du Canada.

Voilà un point très important que nous tenons à vous communiquer. J'ai l'impression que certains d'entre vous ont peut-être perçu cette question comme une possibilité pour les autorités d'intervenir et ce, peut-être, de façon arbitraire. C'est exactement le contraire que nous souhaitons.

Je devrais vous expliquer ce que nous voulons faire en matière de renouvellement des mandats. Vous avez les dates de nomination de tous les juges militaires. Le premier comité de renouvellement des mandats ne peut tenir d'audience avant 2005. Pour l'instant, tous nos juges militaires entreprennent un nouveau mandat. Bien sûr, nous ne savions pas cela lorsque nous avons rédigé le projet de loi l'an dernier et nous essayions alors de tenir compte de tout ce qui pouvait se produire.

Cependant, il est important que vous sachiez que certaines des considérations dont nous avons tenu compte dans notre travail ont effectivement à voir avec le temps et dans une bonne partie, avec la complexité de la question. Je vous signale que l'examen quinquennal se fera probablement avant que nous en arrivions là, et vous pouvez faire ce que vous voulez de ce fait particulier.

En prenant du recul et en appliquant les principes que nous avons pu tirer du Renvoi de l'Î.-P.-É., le comité de renouvellement des mandats sera capable d'agir de façon indépendante et ses membres ne seront pas dominés par les autorités. Il pourra formuler une recommandation non exécutoire au gouverneur en conseil.

Je vous signale que tout cela n'a rien à voir avec la hiérarchie militaire. Par conséquent, je suppose que si je devais examiner la question sous cet angle, je me poserais la question suivante: dans quelle mesure les autorités ont-elles la possibilité d'intervenir arbitrairement? En bout de piste, ce sont les autorités qui doivent prendre une décision. On peut supposer que cela est défendable ou non en invoquant la rationalité, et peut-être aussi que la décision peut être revue. Cependant, une décision doit être prise en bout de ligne et il serait difficile de voir, si le processus établi dans le Renvoi de l'Î.-P.-É. ou un processus semblable est suivi, comment il pourrait être arbitraire. Cela serait ma première préoccupation.

Le sénateur Fraser a posé à deux reprises au moins des questions sur les critères objectifs. J'aimerais lui donner une réponse qui, je l'avoue à l'avance, est incomplète et doit être prise à un niveau relativement élevé d'abstraction, mais j'espère faire comprendre aux sénateurs les objectifs de notre travail et comment nous essayons de les atteindre.

Mais avant, j'aimerais vous demander ceci: quel est le problème constant qui revient en ce qui concerne les mandats? Ce problème -- que ce soit celui du mandat du commissaire aux langues officielles ou d'un juge militaire -- est qu'à la fin du mandat, le titulaire peut être reconfirmé dans ses fonctions, ce qui soulève une question. Au gouvernement canadien, il y a beaucoup de mandats qui peuvent être renouvelés, et c'est souvent aussi la pratique chez nos alliés. Pourtant, il y a toujours cette difficulté, cette interrogation qui nous reste à l'esprit, et parfois qui se pose directement, quant à savoir si le juge qui rend une décision ne tiendra pas compte d'éléments favorables pouvant susciter la reconfirmation de ses fonctions.

Dans le système de justice militaire, le renouvellement des mandats ne nous pose pas de problème pour l'instant. Nous ne forçons pas les juges à travailler contre leur gré. Nombre d'entre eux sont heureux de cesser leur travail. Certains sont heureux de continuer. Nous avons eu la chance de ne pas avoir trop de cas de désaccord.

Quel est l'avantage d'avoir ce comité? Si l'on devait appliquer le genre de principe pris en compte dans le Renvoi de l'Î.-P.-É., le seul fait de renvoyer la question à un comité soulèverait un certain nombre de points importants. Premièrement, quel serait le rôle de l'un de ces comités? Ce serait de protéger les tribunaux de toute ingérence politique en confiant à cet organisme indépendant un travail -- formuler une recommandation à l'intention du judiciaire et des autres branches du gouvernement.

Le juge en chef Lamer a noté avec difficulté dans le Renvoi de l'Î.-P.-É. que, en bout de ligne, la rémunération est un acte politique inhérent. Alors, comment peut-on établir ces protections?

Honorables sénateurs, je vous dirais que la question que nous avons tenté d'aborder, en ce qui concerne le problème des mandats, est aussi une question politique et qu'elle est susceptible de faire l'objet du même genre de stratégie.

Quel serait l'objectif d'un comité de ce genre? Bien simplement, de dépolitiser le processus.

Et quelles en sont les modalités? Vous confiez à ce comité une tâche précise, qui est de publier un rapport à l'intention des autorités. En ce qui concerne la rémunération, ce rapport doit aussi être présenté à l'assemblée législative lorsqu'il est question des juges régis par la Loi sur les juges. Il n'en va pas nécessairement de même pour les militaires et les juges militaires.

Il est intéressant de voir que le juge en chef Lamer s'est aussi donné beaucoup de mal pour signaler qu'il valait mieux laisser aux autorités et à l'assemblée législative le soin d'établir en détail la structure de l'institution. Dans notre cas, ce soin devrait être confié à l'institution et peut-être à certains représentants du judiciaire. Il signale dans le Renvoi de l'Î.-P.-É. que des provinces différentes devraient être libres de choisir des procédures et des arrangements différents qui conviennent à leurs besoins. Puisque la norme de l'indépendance ne peut être uniforme, il doit y avoir place pour des choix à l'échelle locale.

J'ajouterais à cela tout le reste qui a déjà été discuté au sujet du renouvellement. À vrai dire, nous voulons atténuer notre dernière préoccupation concernant les mandats en utilisant un processus semblable à celui dont on discute dans le Renvoi de l'Î.-P.-É.

Permettez-moi de délaisser le volet processus pour l'instant. Nous essayons toujours de tirer le meilleur parti possible du jugement du Renvoi de l'Î.-P.-É. Nous songeons à impliquer les représentants de divers secteurs du gouvernement qui sont intéressés par cette question, y compris à tout le moins le judiciaire et l'administration.

La lecture que nous faisons du Renvoi de l'Î.-P.-É. indique qu'il est très délicat de proposer, même dans cette circonstance, que les autorités pourraient dominer le comité. Nous chercherons à voir s'il y a des modalités nous permettant de nous assurer que la composition et la structure du comité reflètent adéquatement les préoccupations des intervenants tout en demeurant indépendant de la chaîne de commandement militaire.

Nous avons eu la possibilité l'autre jour de citer une ligne du jugement Lauzon où on parle de normes objectives. Je crois qu'il est assez clair lorsqu'on regarde le jugement rendu dans le Renvoi de l'Î.-P.-É. que les normes objectives qui sont en jeu pourraient très bien impliquer la composition du comité, son processus ainsi que la structuration de la recommandation. Tout cela pourrait être des normes qui nous permettraient de savoir que la recommandation est objective.

Je me reporte ici à mes propres notes sur la décision concernant le Renvoi de l'Î.-P.-É., mais je tiens à préciser clairement que d'après ce que je comprends de cette décision, le juge en chef soutient que des critères objectifs sont souhaitables mais pas nécessairement dans tous les cas.

Cela dit, je dois préciser que notre théorie préliminaire est assujettie à la condition nécessaire que, puisqu'il s'agit d'un processus réglementaire, je ne peux garantir que le gouverneur en conseil prendra ce règlement. Toutefois, c'est notre but.

Il doit être évident maintenant que le principal problème en ce qui concerne le renouvellement des mandats est d'établir un équilibre entre les désirs de la personne qui veut voir son mandat renouvelé et les besoins de l'institution. L'objectif du comité de renouvellement et de son processus est de s'assurer que cette décision n'est pas prise du fait du seul exercice du pouvoir des autorités.

Il faut tenir compte de deux éléments, le premier étant les exigences systémiques des Forces canadiennes, y compris l'exigence concernant les juges militaires en général. Que se passe-t-il si nous avons douze juges militaires mais que pour une raison ou une autre, il y a seulement du travail pour huit? Que se passe-t-il s'il y a douze postes de juges militaires devant entendre des causes en anglais et en français et que seulement deux sont bilingues? On peut utiliser un certain nombre de critères objectifs pour examiner ce problème. Mais qu'advient-il si un certain nombre de juges militaires ayant exercé leur option de ne pas renouveler leur mandat comptent beaucoup d'expérience et siègent depuis longtemps?

Qu'advient-il si les autorités militaires exigent que l'on emploie un officier -- et j'insiste là-dessus -- une fois que cet officier a rempli son mandat dans un cadre non judiciaire? Question difficile à résoudre. Si les autorités militaires prennent cette décision et exercent ainsi leur pouvoir discrétionnaire, on ne peut pas expliquer comment on a tenu compte des éléments dans le renouvellement des mandats. Les choses ne se font pas ouvertement et c'est ce que nous essayons de changer.

Bien sûr, il y a des critères ordinaires comme le fait de savoir si une personne a atteint l'âge obligatoire de la retraite. Notre position n'est pas ferme pour l'instant et la pratique diffère au Canada dans des situations semblables, mais il est possible que l'on puisse tenir compte du fait que la personne aura atteint l'âge de la retraite durant son mandat.

On peut décider dans un sens ou dans l'autre, mais il serait équitable d'examiner la question. Actuellement, les personnes doivent remplir leur mandat jusqu'à ce qu'elles atteignent l'âge de la retraite, peu importe qu'elles aient été nommées pour un mandat qui dépasse cet âge. C'est le genre de critères que nous aimerions examiner.

Nous avons étudié très attentivement la question de savoir si le comité de renouvellement des mandats serait empêché d'examiner le dossier de décisions du juge en question. Je parle ici au nom de l'équipe qui essaie de concevoir ce mécanisme et de toute évidence pas au nom du gouverneur en conseil, mais les gens pensent que nous avons prévu une disposition sur le renvoi dans le projet de loi. Si l'on n'est pas satisfait d'un juge militaire à cause des décisions qu'il rend mais qu'on ne peut pas le renvoyer, c'est le genre de décisions que vous allez obtenir.

Nous espérons avoir respecté deux principes clés. Le premier est que l'intervention des autorités sera loin d'être arbitraire, qu'elle sera justifiée. Le deuxième est que l'intervention des autorités sur la question du renouvellement d'un mandat ne sera pas liée au dossier de décisions et que, pour cette raison, même si c'étaient les autorités militaires qui prenaient la décision, le juge de première instance ne pourrait pas faire en sorte que ses décisions soient prises de façon à influencer le renouvellement.

Cela peut sembler peut-être un peu compliqué, mais c'est ce problème que l'on essaie de régler.

En conclusion, je répète que ce ne seront pas les autorités militaires qui prendront cette décision mais bien plutôt le gouverneur en conseil sur recommandation du comité.

Je m'excuse d'avoir pris beaucoup de temps pour expliquer ce point, même si on en parle très peu dans le projet de loi, mais cela recouvre une vaste question. C'est une difficulté que nous essayons d'aplanir et qui semble préoccuper un certain nombre d'entre vous.

La question suivante a été soulevée par le sénateur Moore et peut-être reprise par quelques autres. Le sénateur Moore a fait état du manque de symétrie entre le directeur de la poursuite au militaire et le directeur des Services juridiques de la Défense.

Nous vous avons remis une analyse détaillée sur l'élaboration de notre position à cet égard. J'espère que vous avez eu la chance de l'examiner mais je vais la passer en revue brièvement au cas où vous ne l'auriez pas fait.

En parcourant le projet de loi, vous vous demanderez peut-être pourquoi les deux postes ne se ressemblent pas. D'après toutes nos consultations, nos études et notre expérience, ces postes ne sont pas semblables et les exigences du poste du directeur de la poursuite au militaire diffèrent grandement de celles du directeur des Services juridiques de la Défense.

Permettez-moi à nouveau de vous faire part de notre réflexion. Tout d'abord, ni pour l'un ni pour l'autre, il n'était question de protection assurée par le comité des renvois. On se disait qu'aucun procureur que nous connaissions, à part le directeur du ministère public en Nouvelle-Écosse, ne jouit de la protection d'un mandat et d'un renvoi motivé. Dans ce cas, cette protection exige l'adoption d'une résolution par l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse. Il est le seul. En ce qui concerne le poste de procureur, les universitaires ont, ces dernières années, insisté dans leurs textes sur les pressions contradictoires qui s'exercent sur ceux qui occupent ces fonctions.

Ces amendements avaient pour but, et cela est important, de soustraire le poste de procureur à la chaîne de commandement militaire. C'est ce genre de considérations qui nous a amenés à penser que dans le cas du directeur de la poursuite au militaire, il était prudent que nous ajoutions une étape.

Avant de faire les recommandations, nous avons effectué une recherche. Nous avons étendu notre recherche à tout le Canada, mais n'avons pas réussi à trouver une seule personne qui dirige un programme d'aide juridique et qui jouit de la protection que nous avons donnée au directeur de la poursuite au militaire. Cela aussi est entré en ligne de compte.

Je tiens à préciser que le projet de loi prévoit que le directeur des Services juridiques de la Défense doit offrir un programme optionnel d'aide juridique. Les membres des Forces canadiennes ne sont pas différents des autres Canadiens en ce qui concerne le code de service disciplinaire. Ils ont le droit à un avocat de leur choix. Cependant, nous envoyons des gens dans de curieux endroits et nous exploitons un système dont la rapidité est une caractéristique marquante.

Le processus n'est pas exactement le même que le processus criminel canadien. Compte tenu de toutes ces considérations, pour autant que je me souvienne, nous avons offert l'aide juridique aux personnes régies par le code de service disciplinaire en ne leur posant qu'une question, à savoir: êtes-vous assujetties au code de service disciplinaire? Il n'est pas question de critères financiers, rien de cela. Si vous êtes régies par le code de service disciplinaire, vous avez droit à l'aide juridique.

Le système que nous demandons au directeur des Services juridiques de la Défense d'exploiter est un peu plus simple que certains autres systèmes qui existent dans les provinces. Il a ses propres particularités, mais nous croyons que notre évaluation est à peu près correcte.

À notre avis, la portée des fonctions du directeur de la poursuite au militaire -- et nous vous l'avons fait remarquer -- est plus vaste. Les fonctions sont plus complexes. Les interrelations entre le directeur de la poursuite au militaire et le public, la chaîne de commandement, les militaires et les Canadiens que représente le procureur sont plus complexes et plus sujettes à conflits. Le directeur de la poursuite au militaire prend des décisions d'État eu égard aux pouvoirs intrusifs que celui-ci possède contre des individus.

Ces raisons nous portent croire que le fait d'accorder la protection du comité d'examen des renvois au directeur de la poursuite au militaire était une bonne idée et qu''il n'était nullement nécessaire d'aller aussi loin en ce qui concerne le directeur des Services juridiques de la Défense.

Bien que le libellé du projet de loi puisse laisser entrevoir une certaine symétrie, nous ne croyons pas qu'il y en ait une dans la pratique. Le directeur des Services juridiques de la Défense, comme vous le savez, jouit d'une certaine protection. Il est clair qu''il ne peut recevoir de quiconque des directives précises sur la façon de traiter une affaire individuelle. En cela, nous nous sommes inspirés de la loi de la Nouvelle-Écosse. Cela devrait être un inhibiteur puissant parce qu'il serait illégal d'intervenir. Nous espérons que ce sera suffisant.

La commission d'enquête sur la Somalie a examiné l'organisation qui appuie la justice militaire. Au chapitre 40 de son rapport, elle fait un certain nombre de recommandations, dont l'une dispose à ce que l'organisation juridique qui appuie la justice militaire devrait comporter un volet poursuite, un volet consultation et un volet défense. La commission n'a fait aucune recommandation en ce qui concerne les protections supplémentaires à accorder à l'un ou l'autre de ces volets.

Voilà pour toutes les considérations que nous estimons pertinentes pour évaluer cette question. Ainsi, l'équipe de travail était d'avis que cette protection ne serait pas nécessaire pour le directeur des Services juridiques de la Défense.

Je vais maintenant passer à la question suivante qui a été soulevée pour fins de discussion au comité, c'est-à-dire l'examen quinquennal. Nous nous sommes dit qu'il serait bon que vous connaissiez notre réflexion à ce sujet.

Le sénateur Grafstein a fait remarquer que le groupe de travail Dickson avait recommandé un examen quinquennal et que cette recommandation avait été acceptée. Le groupe Dickson n'a pas recommandé que nous modifiions la loi pour prévoir un examen quinquennal obligatoire. Cette idée, et cela est intéressant, trouve racine au Royaume-Uni qui est, pour autant que nous sachions, le seul endroit où on retrouve cet examen.

Les Anglais ont depuis longtemps très peu confiance en l'armée et ce manque de confiance remonte à l'ère de Cromwell. Depuis la Restauration, une convention veut qu'au Royaume-Uni, l'armée obtienne un nouveau souffle périodiquement. Le nombre d'années varie aussi. Actuellement, c'est tous les cinq ans.

Le ministre a indiqué qu'il appuie la recommandation du groupe consultatif Dickson. Le projet de loi indique on ne peut plus clairement que nous procéderons à cet examen dans cinq ans.

Nuance très importante à prendre en compte au sujet de la recommandation Dickson, c'est qu'elle ne lie pas les mains du gouvernement sur la façon de procéder pour effectuer cet examen. On veut que cet examen soit indépendant et cela, on l'a accepté.

On peut supposer sans risque de se tromper que lorsque cet examen aura lieu, la Défense devra revenir devant les deux Chambres. À ce moment-là, tout le monde sera mieux en mesure d'évaluer si la toute nouvelle procédure qui est utilisée en Grande-Bretagne -- et pas utilisée ailleurs d'après notre expérience -- est la procédure à suivre ou si on doit adopter un mécanisme différent.

C'est la position qui a été adoptée, c'est la position à partir de laquelle le projet de loi a été rédigé. Je dois m'assurer que vous comprenez clairement que l'on s'engage à effectuer un examen tous les cinq ans. Certains d'entre vous savent que cet examen se fait maintenant de façon continue à la Défense, et qu'il occupe une place très importante dans nos mécanismes de surveillance. Au moins six rapports seront présentés au Parlement tous les ans d'ici à ce que cet examen ait lieu, sans compter l'examen du fonctionnement du projet de loi.

Une autre question a été soulevée.

Sénateur Grafstein, si je vous ai mal compris, je suis sûr que vous allez me corriger.

J'ai lu le compte rendu de la dernière séance et j'ai constaté que vous étiez inquiet en ce qui concerne la protection des personnes qui déposent une plainte à la Commission d'examen des plaintes de la police militaire. Là encore, je voulais vous faire part de la réflexion qui sous-tend le projet de loi.

Commençons par le commencement: la Commission d'examen des plaintes de la police militaire revêt de nombreuses caractéristiques très originales mais, dans l'ensemble, elle ressemble assez à l'institution semblable que l'on trouve à la GRC et assez également à nombre des commissions d'examen chargées de surveiller les forces policières provinciales. Dans ce domaine, on ne retrouve pas ce que je pense que vous pourriez appeler, dans le jargon, de protections du dénonciateur.

Premièrement, cette préoccupation n'est pas unique à la Commission d'examen. Les analogies que nous avons tirées ne nous ont pas permis de croire que cela était nécessaire.

Selon notre expérience, cela n'est pas nécessaire, particulièrement dans le contexte de la Commission d'examen des plaintes de la police militaire. Nous n'avons pas besoin de protéger les membres du public qui n'ont rien à voir avec l'institution et les membres des Forces canadiennes sont obligés, aux termes de la loi, de signaler tout écart de conduite. Ce serait très peu logique de notre part de punir des gens qui font leur devoir.

En résumé, nous avons établi un parallèle avec ce qui s'est passé dans d'autres institutions et nous n'avons pas ressenti le besoin de franchir un pas de plus en ce qui concerne les lois de protection des dénonciateurs.

Voilà qui complète ce que j'estime être les questions que vous avez soulevées. J'espère que je les ai toutes abordées. Sinon, je suis certain que vous allez me le rappeler.

La présidente: Vous pouvez en être sûr, colonel Fenske.

Le sénateur Beaudoin: Je vous remercie de vos observations et, plus particulièrement, du document que vous avez remis.

Je vois exactement ce que je veux voir à la page 10. Je me suis toujours demandé si le projet de loi que nous étudions, le projet de loi C-25, est conforme aux recommandations de la commission Brian Dickson et du général Belzile, vient les compléter ou leur donner suite. Je vois ici que 99 p. 100 des recommandations du premier et du deuxième rapports se retrouvent maintenant dans le projet de loi C-25 et le terme «se retrouve» est important. Elles ne sont pas mises en oeuvre, mais se retrouvent dans le projet de loi.

Vous vous souviendrez peut-être du rapport que M. Young, le ministre de la Défense nationale de l'époque, avait fait parvenir au premier ministre dans lequel il recommandait que le premier rapport soit mis en oeuvre en totalité. Ce qui a été pratiquement fait.

Voilà qui répond à ma principale préoccupation au sujet du projet de loi. J'ai plusieurs questions à poser, mais je vous remercie vraiment du tableau qui explique clairement ce qui a été fait depuis le travail de Brian Dickson et de ses collègues.

Il est vrai qu'en vertu du paragraphe 11f) de la Charte canadienne des droits et libertés, notre pays a établi un système de justice civil et un système de justice militaire. Dans l'affaire Généreux, la Cour suprême du Canada l'a exprimé très clairement. Je suis tout à fait d'accord.

En ce qui concerne le renouvellement des mandats, ce qui me préoccupe et peut-être d'autres ici aussi, c'est que dans le milieu judiciaire, on ne voit pas souvent de renouvellement de mandat. Certaines provinces l'autorisent peut-être. J'aimerais que vous nous disiez ce que le juge en chef Brian Dickson en pensait. A-t-il mentionné quelque part qu'il était en faveur du renouvellement d'un mandat?

Col Fenske: Votre question est intéressante. Si vous lisez le compte rendu de la séance du 11 mai et plusieurs des éléments que l'on trouve dans les deux rapports, vous devriez être amené à conclure qu'il était sensible à la question et qu'il y avait réfléchi. À mon avis, ça devient une question d'argumentaire.

Comme certains d'entre vous le savent, j'ai été conseiller du juge-avocat général à la commission Dickson, j'ai donc une idée de ce qui s'y est dit. Cependant, compte tenu de mon poste actuel, je préfère adopter une position de neutralité, si vous me le permettez.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce que vous avez un document écrit comme votre citation précédente à la page 10?

Col Fenske: On peut dire un certain nombre de choses. Je n'ai pas la citation sous les yeux, mais dans la transcription de la séance du 11 mai du comité de la défense nationale et des affaires des anciens combattants, on demande au général Belzile ce qu'il pense des juges militaires, des nominations et pourquoi ces nominations ne devraient pas être accordées au civil.

Le général Belzile donne une réponse très à propos et l'on discute un peu de la question du renouvellement. Il semble que cet échange se retrouve aux pages 7 et 8 de la transcription.

Le sénateur Beaudoin: Il s'agit là d'une autre question. La première question qu'a posée Pierrette Venne portait sur la comparaison entre le système civil et le système militaire.

Je conviens, parce que c'est ce que prévoit notre Constitution, que rien n'empêche le Canada d'avoir un système judiciaire militaire différent. C'est évident.

Col Fenske: Lisez attentivement cet échange et vous verrez, à la page 8, que l'on parle de renouvellement. Bien sûr, on peut supposer à la lecture de l'ensemble de cette transcription que tant le juge en chef Dickson que le lieutenant-général Belzile ont comparu au nom de leur commission pour mieux expliquer leur travail; ils ont formé équipe pour venir comparaître devant le comité. Chacun est intervenu lorsqu'il le jugeait à propos.

Venant de quelqu'un qui était présent au moment même où les choses se déroulaient, je peux vous dire que le juge en chef Dickson n'était pas du genre à rester sagement assis lorsque quelqu'un parlait de l'indépendance judiciaire et qu'il n'était pas d'accord.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec vous.

Col Fenske: Ce que je veux dire, c'est que la question du renouvellement est discutée dans cet échange avec Pierrette Venne à la fin. On y retrouve un commentaire très révélateur du général Belzile. Je n'ai pas encore trouvé la citation.

Le sénateur Beaudoin: Le général Belzile nous en a parlé l'autre jour lorsqu'il a témoigné. Je n'y vois pas de problème.

Le sénateur Moore: À la page 8, il dit ceci:

J'ai l'impression que, dans la pratique, il y a quelque chose de très semblable qui va se passer parce qu'il n'est pas tellement avantageux, au niveau administratif, de changer les juges constamment.

Col Fenske: C'est au centre de la page 8, tout juste en dessous du bloc 1605.

Je crois que ce passage vous indique, vous pouvez le constater vous-même, qu'ils songeaient ici au renouvellement. Ils avaient évalué cette question.

Le sénateur Beaudoin: Je ne doute aucunement qu'il ait abordé la question du mécanisme de renouvellement.

Col Fenske: Moi je vous dirais que l'homme qui était assis juste à côté de lui, à deux pouces de lui, et qui témoignait également lors de cette séance et qui a coprésidé la commission avec lui ne se serait pas tu s'il n'avait pas été d'accord.

Le sénateur Beaudoin: S'il n'a pas réagi, il est évident qu'il était d'accord. Le renouvellement de l'article 96 est très clair.

La seule question qu'il me reste concerne les tests d'ADN. Au Sénat, nous avons adopté récemment l'amendement à cet égard. Il nous reste maintenant à déterminer si nous devons amender le projet de loi C-25 pour autoriser les juges de la cour martiale à délivrer des ordonnances relatives aux échantillons d'ADN ou si nous le ferons dans le projet de loi C-3 lorsqu'il nous sera renvoyé. Nous avons déjà autorisé les juges civils à délivrer des ordonnances relatives aux tests d'ADN.

La question est de savoir si nous devrions ou non donner le même pouvoir aux juges de la cour martiale en ce qui concerne les tests d'ADN qu'aux juges de la cour civile. S'il y a une raison pour laquelle nous n'avons pas parlé de cela, j'aimerais vous l'entendre dire.

La présidente: Sénateur Beaudoin, c'est là une question difficile parce que, bien sûr, nous n'avons pas discuté du projet de loi C-3 ici et qu'il n'a pas été non plus adopté par le Sénat. Il est Dieu sait où. Le seul projet de loi que nous avons à examiner pour l'instant est le projet de loi C-25, et il serait très difficile de l'amender pour être conforme à un projet de loi qui sera adopté ou non dans l'avenir.

Le sénateur Beaudoin: C'est là un autre argument qui peut se défendre. Si nous l'avons déjà fait pour les juges civils et que maintenant nous nous posons la question pour ce qui est des juges de la cour martiale, pourquoi ne rien dire? Autrement dit, si cela n'était pas le cas pour les juges civils, je serais tout à fait d'accord avec vous, mais nous avons réglé ce problème.

Maintenant, nous faisons face au problème des juges de la cour martiale et nous avons le choix d'y trouver une solution maintenant ou plus tard. N'est-il pas plus logique d'agir maintenant au moment où nous discutons des cours martiales? C'est ma question.

Le sénateur Bryden: Avant que vous ne répondiez, j'aimerais poser une question supplémentaire. Un juge de la cour martiale peut-il ordonner la prise d'un échantillon d'ADN? C'est la question à laquelle nous devons répondre. C'est la question que pose le sénateur Beaudoin.

Col Fenske: Nous vous avons remis un synopsis sur le projet de loi C-3. On nous a posé deux questions qui, fondamentalement, reviennent à savoir si le projet de loi s'appliquera aux militaires et si c'est la GRC ou la police militaire qui s'occupera de prendre et de conserver les échantillons d'ADN. Ce sont là des questions qu'on nous a posées.

Les réponses à ces questions sont que le projet de loi C-3 s'appliquera aux membres des Forces canadiennes. La question reste entière quant à savoir comment il sera appliqué et quelle portée il aura.

Deuxièmement, en vertu du Code criminel, un agent de la paix peut demander à un juge civil de délivrer un mandat d'ADN. Les enquêteurs de la police militaire sont des agents de la paix qui travaillent auprès de personnes régies par le Code de service disciplinaire et les personnes qui relèvent de la Défense. Par conséquent, ils peuvent actuellement demander des mandats d'échantillons d'ADN. Nous avons dit dans notre document de référence qu'un certain nombre de personnes dans notre service national d'enquête sont qualifiées pour le faire mais que pour l'instant, nos recherches indiquent que nous n'avons pas jugé nécessaire d'exécuter l'un de ces mandats, pas encore.

Le sénateur Balfour: Donc, la réponse à la question est oui?

Col Fenske: Nous avons répondu aux questions posées par votre comité la dernière fois. Lorsque nous vous avons donné l'information, nous croyions que vos questions portaient sur l'autre sujet qui est la question qui a été soulevée aujourd'hui. La réponse est qu'il y a un trou dans la loi. Les juges militaires ne peuvent répondre à ces questions.

Je ne suis pas là pour vous conseiller sur le processus, mais d'après ce que je comprends, le projet de loi ne porte pas sur l'ADN. Rien dans le projet de loi à l'étude aujourd'hui ne porte sur cette question.

Le sénateur Balfour: La réponse est non?

Col Fenske: Le ministre de la Défense nationale n'est pas responsable de l'ADN.

Le sénateur Beaudoin: Je comprends votre réponse. Autrement dit, nous discutons ici aujourd'hui du système de cour martiale dans notre pays à la suite de la publication d'un rapport très important de Brian Dickson et d'autres personnes. C'est quelque chose. Je suis impressionné par ce qui a été fait.

Certains de mes collègues ont proposé ceci: ou bien on amende le projet de loi tout de suite, ou bien on attend que le projet de loi C-3 nous soit renvoyé. Logiquement, je ne vois pas pourquoi nous devrions attendre si nous sommes certains qu'une mesure doit être prise dès maintenant.

Je suis sûr que quelqu'un va dire que l'amendement n'est pas conforme au principe du projet de loi en deuxième lecture, mais ce n'est pas ce que vous demandez de toute façon.

Col Fenske: Sénateur Beaudoin, dans la note que nous vous avons remise, nous avons indiqué clairement que nous travaillons actuellement avec les représentants du ministère du solliciteur général pour trouver une solution à ce problème.

Vous ne serez pas surpris d'apprendre que nous ne sommes pas spécialistes de la politique de l'ADN. Ce n'est pas une blague, c'est un aveu. Nous essayons de voir comment le projet de loi devrait être spécifiquement amendé. Il serait très difficile, à notre avis, de nous aventurer plus loin avec ce projet de loi.

En fait, nous ne savons véritablement pas de quoi aura l'air le projet de loi C-3 après votre analyse.

La présidente: Je me dois être d'accord avec vous, sénateur Beaudoin. Puisque notre comité n'a pas encore tenu d'audiences sur le projet de loi C-3 et n'a entendu aucun témoin à ce sujet, il serait très difficile d'amender le projet de loi dont nous sommes saisis en tenant compte de ce que l'on pourrait entendre et décider dans l'avenir au sujet du projet de loi C-3. Il se peut très bien que quelqu'un ait décelé cette lacune. Lorsque nous tiendrons nos audiences sur le projet de loi C-3, il conviendra peut-être de proposer que le gouvernement rédige un autre projet de loi -- et je pense que c'est ce qu'il faudra faire -- pour permettre à la cour martiale d'ordonner la prise d'échantillons comme ceci.

Le sénateur Beaudoin: Compte tenu de l'article 96, nous devrons peut-être aborder la question dans cinq ans, si vous n'êtes pas pressés. Vous n'avez pas l'air de l'être.

La présidente: Ce serait une autre possibilité.

Le sénateur Beaudoin: Oui, une autre possibilité.

Je soulève la question parce que c'est le seul problème qui m'inquiète maintenant que j'ai tout entendu et que j'ai lu ces merveilleuses phrases de l'ancien juge en chef Dickson.

Col Fenske: Le sénateur Beaudoin a dit que le délai ne semblait pas nous déranger. Je m'en voudrais de laisser passer cette observation sous silence.

Je vous ai dit que nous examinions la question. Il serait problématique pour nous d'envisager un scénario où nous devrions reporter des causes importantes sur lesquelles nous avons juridiction parce que notre cour martiale ne peut prendre l'ordonnance nécessaire à la fin du procès. C'est la raison pour laquelle nous travaillons avec le ministère du solliciteur général et ses fonctionnaires.

Je ne peux tout simplement pas vous aider en ce qui concerne le choix que vous avez à faire. À l'extérieur du comité, je fais de mon mieux pour nous assurer de trouver une solution à ce problème.

Le sénateur Beaudoin: Votre explication est claire.

Le sénateur Fraser: J'aimerais revenir à la question du renouvellement des mandats et des critères. Je vous remercie de l'explication très détaillée de la situation actuelle. Je comprends que vous parlez actuellement de votre réflexion et que rien encore n'a été adopté.

Cela dit, existe-t-il des critères standard écrits pour les comités de renouvellement des mandats?

Col Fenske: Vous vous souviendrez que j'ai mis un bémol à la réponse que je vous ai donnée en vous parlant de la difficulté que nous avons à analyser cette question.

Le sénateur Fraser: Je comprends, mais l'un des critères pourrait être manifestement -- «sujet aux exigences opérationnelles telles qu'établies par écrit par...», et ainsi de suite.

Col Fenske: Je vous ai donné trois exemples des critères dont nous discutons -- non-utilisation du dossier des décisions, compatibilité personnelle basée sur des critères objectifs et exigences institutionnelles basées sur des critères objectifs.

Le Renvoi de l'Î.-P.-É. indique que ces critères ne sont pas nécessaires mais souhaitables. Notre équipe de travail vise ce qu'il y a de mieux. Mais nous devons aplanir encore toutes les difficultés. Je crois que cela améliore l'argument d'indépendance si on peut avoir des critères directs -- peut-être pas exclusifs -- qui structureront de façon considérable le travail du comité.

Le sénateur Fraser: Je ne suis pas en train de rédiger les règles, mais vous pourriez au bas de votre liste avoir d'autres critères que les autorités peuvent porter à l'attention du comité, dans la mesure où le juge intéressé s'en verrait remettre un exemplaire.

Col Fenske: Dans les règlements, ce que nous voyons, c'est que nous savons à l'avance comment les membres du comité seront nommés. Les critères prévoiront leur nomination. Si j'ai bien compris le Renvoi de l'Î.-P.-É. en ce qui concerne l'indépendance, l'efficacité et l'objectivité, pour que ce comité soit indépendant, le comité même doit être nommé pour une certaine durée.

Nous allons concevoir les règlements de façon à savoir qui sont ces gens. Le processus de sélection sera établi et ensuite nous aurons un processus de secrétariat -- quelque chose d'assez informel, tout en pouvant être formel si nécessaire -- permettant aux membres du comité d'entendre les intervenants, d'obtenir leurs informations et de prendre leurs décisions.

Le sénateur Fraser: Je suppose qu'en règle générale, quelqu'un qui veut faire renouveler son mandat obtiendra gain de cause à moins qu'il y ait des contraintes institutionnelles. Comme l'un de vos collègues l'a dit, par défaut, on renouvellera le mandat à moins qu'il y ait une raison extraordinaire de ne pas le faire.

Col Fenske: Je pense que ça se passera comme ça. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai fait remarquer ce que j'estimais être une intervention très pertinente du général Belzile lors de l'audience du comité de la défense.

Au cours des années, on a renouvelé les mandats de nombreuses personnes. L'objectif est simplement d'exécuter ce processus de renouvellement au grand jour et d'être capable de mieux justifier la décision du comité.

Le sénateur Fraser: Les recommandations du comité seront-elles rendues publiques?

Col Fenske: Je ne sais pas. Je n'y ai pas réfléchi.

Le sénateur Fraser: À tout le moins, les recommandations du comité seront-elles remises au juge en question?

Col Fenske: Oui, tout à fait.

Le sénateur Fraser: Autrement, il ne fait aucun doute qu'il y a possibilité, au niveau ministériel, que quelqu'un court-circuite le processus indépendant.

Col Fenske: Les rapports devront être remis au juge, à titre de participant.

Le sénateur Fraser: Je vois.

Col Fenske: Il y a plusieurs possibilités. Il y aura peut-être des renseignements personnels de donnés, je ne suis pas sûr de ce que ces modalités impliqueraient.

Je pense qu'on pourrait envisager un certain nombre d'analogies. Certains d'entre vous savent qu'un certain nombre de cours provinciales renouvellent des mandats. Je ne sais pas s'ils sont rendus publics, mais avant de prendre cette décision, nous regarderons ce qui se fait en général.

La présidente: Honorables sénateurs, nous poursuivrons la séance demain matin à 10 h 45.

La séance est levée.


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