Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 4 - Témoignages du 16 décembre 1999
OTTAWA, le jeudi 16 décembre 1999
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 h 10 pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international (l'impôt sur les gains en capital).
Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous allons poursuivre ce matin notre étude des avantages et inconvénients de l'impôt sur les gains en capital et examiner l'orientation à prendre à cet égard. Nous accueillons aujourd'hui Mme Margo Thorning, de l'American Council for Capital Formation. Mme Thorning est titulaire d'un doctorat en économie de l'Université de la Georgie. Elle rédige des articles et donne des conférences sur les politiques fiscales et l'économie, et elle est fréquemment citée dans la presse nationale et locale. Mme Thorning a eu l'occasion de témoigner aux États-Unis devant divers comités de la Chambre des représentants et du Sénat. Je suis un avide lecteur de ses écrits. C'est sa première visite à Ottawa. Bienvenue, madame Thorning. Je vous cède la parole.
Mme Margo Thorning, première vice-présidente et économiste en chef, American Council for Capital Foundation: Merci beaucoup de cette occasion que vous me donnez d'examiner avec vous la question de l'impôt sur les gains en capital et de la réforme fiscale. C'est pour moi un grand honneur de comparaître devant vous. J'aimerais que le texte de ma déclaration soit consigné au compte rendu, car, dans mon exposé, j'ai l'intention de faire référence à quelques-uns des tableaux qui s'y trouvent.
J'aimerais d'abord vous dire quelques mots de l'American Council for Capital Formation. Le conseil a été créé en 1975 par un groupe de dirigeants d'entreprises, de présidents directeurs généraux de sociétés comme Warehouser et Motorola, et par un secrétaire adjoint au Trésor, Charles Walker, pour qui il s'imposait de créer aux États-Unis un groupe dont la préoccupation principale serait de trouver des moyens d'encourager l'épargne-investissement, la formation de capital et la croissance économique. Nous nous sommes donné dès le début comme objectif principal d'examiner des questions comme l'impôt sur les gains en capital, qui était très élevé chez nous au milieu des années 70.
Le tableau 2 montre qu'aux États-Unis, le taux marginal maximal d'imposition des gains en capital des particuliers a oscillé au fil des ans entre environ 35 p. 100 et 20 p. 100, son taux actuel. Toutefois, si l'on remonte à 1975, au moment de la création du conseil, le taux d'imposition des gains en capital était de 35 p. 100 dans le cas des particuliers et de 30 p. 100 dans celui des sociétés. La préoccupation centrale de l'American Council for Capital Formation a donc été au départ l'amélioration du taux d'imposition des gains en capital, qui était alors très élevé.
Par la suite, nous avons élargi notre champ d'intérêt. Nous effectuons actuellement beaucoup de recherches sur diverses questions fiscales, dont celles relatives à l'impôt des sociétés, aux impôts étrangers, à l'environnement -- par exemple au changement climatique --, ainsi que sur d'autres questions d'intérêt public touchant le commerce, mais les premières années, nous nous sommes principalement penchés sur l'épargne et l'impôt sur les gains en capital. Nous sommes une organisation sans but lucratif et bipartite. Au sein de notre conseil d'administration, on trouve des républicains aussi bien que des démocrates. Nous jouissons du soutien d'un large éventail d'industries: finances, assurances, banques, entreprises de fabrication, services publics. Nous comptons parmi nos membres quelques 25 associations professionnelles représentant toutes les sphères de l'industrie américaine, de même que de nombreux particuliers qui ont à coeur des questions comme celle de l'impôt au décès, une question à l'examen de laquelle nous accordons aussi beaucoup d'attention.
Nous avons un centre de recherche stratégique, qui est composé d'éminents représentants du milieu universitaire, comme Dale Jorgenson d'Harvard, qui est le président nouvellement élu de l'American Economics Association, ainsi que de gens du MIT et de Stanford -- des spécialistes parmi les plus prestigieux. J'ai l'insigne honneur de pouvoir profiter de leur expérience lorsque j'essaie d'élaborer les politiques sur lesquelles le conseil axera ses efforts.
Avant d'aborder la question de l'impôt sur les gains en capital aux États-Unis, permettez-moi de vous situer un peu et de vous expliquer pourquoi la réforme de l'impôt sur les gains en capital fait partie de la solution à l'un des problèmes à long terme qui se posent aux États-Unis. À lire les journaux, vous vous dites probablement que tout va bien actuellement aux États-Unis. Vous n'avez pas tort; notre économie se porte relativement bien à l'heure actuelle, avec un taux de croissance des plus enviables et une faiblesse record de notre taux de chômage. Vous vous demandez peut-être alors pourquoi le conseil s'emploierait à préconiser de nouveaux changements à la politique fiscale. C'est que, dans 15 ans environ, les États-Unis seront confrontés à certains problèmes graves, car au moment où la génération du baby-boom s'en ira à la retraite, il n'y aura que deux travailleurs pour soutenir chaque retraité, contre trois à l'heure actuelle. Il nous faudra alors soit pratiquer d'importantes coupes dans les prestations de sécurité sociale, soit hausser considérablement les impôts. Nous traversons actuellement une période idéale, mais rien ne nous garantit que dans 10 ou 15 ans nous n'aurons pas à affronter de graves problèmes sociaux et fiscaux.
En outre, notre taux d'épargne et d'investissement est faible comparé à celui qu'on peut observer ailleurs dans le monde. Nous épargnons moins que tous les autres pays, et nos investissements représentent une proportion relativement faible de notre PIB en regard de ce qu'il en est chez nos concurrents internationaux et de ce qu'il en a été chez nous dans le passé, c'est-à-dire dans les années 60 et au début des années 70.
Je me propose de vous entretenir notamment de la façon dont nous voyons la réforme du régime d'imposition des gains en capital et les allégements fiscaux qu'il nous faudra apporter si nous entendons nous doter d'un régime fiscal moderne propre à nous permettre de relever les défis du XXIe siècle et de stimuler l'épargne et l'investissement.
En 1997, notre Joint Committee on Taxation a demandé à 10 de nos plus prestigieux spécialistes et modélisateurs des finances publiques de comparer l'impact économique respectif d'une pure taxe de consommation et d'un pur impôt sur le revenu. Adopter un régime de pur impôt sur le revenu suppose une élimination complète de toute forme de déduction ou d'exemption personnelle. Les revenus de travail et les gains en capital sont imposés à un taux uniforme; autrement dit, dans un tel régime, les gains en capital seraient fort probablement imposés en fonction de la comptabilité d'exercice plutôt qu'en fonction de leur valeur de réalisation.
Avec une pure taxe de consommation, les particuliers verraient toutes leurs épargnes, y compris leurs gains en capital, exonérées d'impôt. Le contribuable n'aurait pas à payer d'impôt sur ses économies. Tout investissement serait porté aux dépenses -- sorti du bilan dès la première année -- ce qui, naturellement, aurait pour effet de réduire le coût du capital aux États-Unis. Ce faisant, on diminuerait de 25 à 30 p. 100 le coût du capital requis pour les nouveaux investissements.
Les modélisateurs auxquels le Joint Committee on Taxation a fait appel ont examiné l'impact économique à long terme de ces deux hypothèses. Le tableau 1 montre les différents résultats que les modélisateurs ont obtenus en ce qui a trait à l'impact de ces hypothèses sur le produit intérieur brut réel, le PIB réel, et sur le capital-actions. Dans la majorité des cas, la taxe de consommation génère une croissance beaucoup plus importante du PIB et du capital-actions que l'impôt sur le revenu. Les résultats qu'a obtenus Dale Jorgenson montrent par exemple qu'à long terme, après 2010, la croissance annuelle du PIB augmenterait de 3,3 p. 100. Ce n'est pas peu. C'est donc dire que, dans les conditions actuelles, nous disposerions ainsi de quelque 300 milliards de dollars de plus annuellement si nous adoptions une pure taxe de consommation.
Jorgenson note que le capital-actions augmenterait d'environ 0,3 p. 100 si nous adoptions une taxe de consommation, alors que, d'après ses calculs, il diminuerait de 2,6 p. 100 avec un impôt sur le revenu unifié. Naturellement, la croissance du PIB serait dans ce dernier cas également beaucoup plus faible. Je vous présente ces données pour vous illustrer le genre de travail qu'ont effectué des spécialistes parmi les plus éminents des États-Unis pour chercher à établir quel régime fiscal pourrait contribuer le plus à stimuler la croissance économique. On constate donc que ce qui ressort par-dessus tout des recherches de ces spécialistes, c'est que nous obtiendrions de bien meilleurs résultats avec une taxe de consommation.
Quelques propositions ont été avancées en faveur d'une taxe de consommation. Par exemple, le président de notre comité du budget a à plusieurs reprises proposé une pure taxe de consommation qui cadrerait parfaitement avec les modèles envisagés par le Joint Committee on Taxation. Steve Forbes, l'un de nos candidats à la présidence des États-Unis, a également proposé l'imposition d'une pure taxe de consommation. Ce genre de proposition fait donc actuellement partie de notre paysage politique. C'est dans l'air.
Nous considérons une éventuelle réduction de l'impôt sur les gains en capital, du genre de celles que nous avons appliquées en 1997, comme une façon d'orienter le régime fiscal américain vers l'imposition d'une taxe de consommation qui frapperait moins lourdement l'épargne. Nous croyons que moins vous taxez une chose, plus elle vous rapporte, et nous sommes d'avis qu'à cet égard les modifications qu'on a apportées à notre régime fiscal en 1997 et 1998 ont été positives.
Le tableau 2 présente une comparaison du taux maximal d'imposition du revenu des particuliers et du taux maximal d'imposition des gains en capital. Par exemple, on note qu'en 1942, le taux maximal d'imposition du revenu ordinaire des particuliers était de 88 p. 100. Le taux d'imposition des gains en capital était alors de 25 p. 100. Je vous présente ces données simplement pour que vous puissiez constater les énormes fluctuations qu'ont connues dans le passé les taux d'imposition des gains en capital aux États-Unis. Ces taux ont été modifiés à 11 reprises au cours des 58 années qui se sont écoulées depuis 1942.
À l'heure actuelle, nous avons un taux fédéral marginal maximal de 20 p. 100 dans le cas des particuliers et de 35 p. 100 dans celui des sociétés. Beaucoup d'États américains imposent également les gains en capital, mais à des taux de loin inférieurs à ceux qu'appliquent les provinces canadiennes à cet égard. Chez nous, ces taux ont été très fluctuants, et nous sommes à même de constater qu'au cours des périodes où ils étaient plus faibles, nous avons enregistré des résultats fort positifs.
Cet été, David Wyss de Standard & Poor's DRI, McGraw-Hill, a entrepris de se pencher sur les répercussions macroéconomiques des changements du taux d'imposition des gains en capital que nous avons connus en 1997, alors que nous avons abaissé de 28 à 20 p. 100 le taux marginal d'imposition des gains en capital des particuliers. Wyss se fonde sur un vaste modèle général équilibré qui tient compte de l'impact différentiel des changements de prix dans l'ensemble du système. Ses résultats sont résumés dans le tableau 3.
Ces chiffres montrent que les allégements fiscaux de 1997, où nous avons fait passer de 28 à 20 p. 100 le taux d'imposition des gains en capital, ont une incidence positive sur le PIB réel, le faisant croître de 0,4 p. 100 au cours de la période allant de 1998 à 2009. Parallèlement, on observe un accroissement de l'investissement, accroissement qui se maintiendra aux alentours de 1,5 p. 100 par an. Le capital-actions est plus élevé, la productivité s'améliore et le coût du capital requis pour les nouveaux investissements baisse de quelque 3 p. 100. Les estimations de Wyss montrent également que les recettes fiscales fédérales augmentent d'environ 5 milliards de dollars au cours de cette période. Ainsi, non seulement l'allégement fiscal a pour effet d'accroître l'investissement, le PIB, etc., mais il s'autofinance.
Les recettes fiscales au titre des gains en capital représentent une part assez importante de l'ensemble des recettes fiscales américaines. Quelque 8 p. 100 des recettes provenant de l'ensemble des impôts sur le revenu découlent de l'imposition des gains en capital des particuliers. En 1996, l'impôt sur les gains en capital a rapporté au Trésor fédéral américain des recettes de l'ordre de 62 milliards de dollars. En 1997, au moment où le taux d'imposition a été abaissé, ce montant a grimpé à 80 milliards de dollars. Le Trésor prévoit tirer pour 1998 84,6 milliards de dollars de l'imposition des gains en capital des particuliers. C'est donc dire que, malgré la baisse des taux d'imposition, les recettes fiscales de l'État augmentent.
Les résultats obtenus par David Wyss montrent que peut-être le quart de l'augmentation de la valeur des actions est attribuable à l'abaissement du taux d'imposition en 1997. On peut voir dans le graphique 2 qu'environ le quart de l'augmentation est attribuable aux changements dans les prix des actifs grâce à la baisse de l'impôt sur l'investissement.
J'ai eu la chance de prendre connaissance de certains des témoignages que vous avez entendus. Vos préoccupations portent en partie sur l'impact que pourrait avoir un éventuel changement du taux d'imposition des gains en capital sur l'esprit d'initiative et sur le lancement de nouvelles entreprises. Cela fait maintenant 12 ou 15 ans que nous, du Conseil, réunissons des données et effectuons des recherches à cet égard. L'examen de cette question a constitué l'une des priorités du Conseil depuis que j'en fais partie. C'est un aspect difficile à documenter. Le professeur Wetzel de l'Université du New Hampshire n'en a pas moins réalisé de nombreuses études sur cette question, dont certaines ont porté sur l'analyse de la provenance des capitaux de démarrage des nouvelles sociétés de haute technologie. Le résultat de ses recherches donne à penser qu'une partie importante du capital de départ provient des particuliers imposables.
L'un des arguments qu'on nous oppose aux États-Unis lorsque nous essayons de faire valoir que l'esprit d'entreprise et les fonds de démarrage viennent vraiment de particuliers imposables que le taux d'imposition des gains en capital ne laisse pas indifférents, c'est qu'une grande partie des fonds de capital-risque proviennent de sources non assujetties à l'impôt, de caisses de retraite, etc. C'est juste. Le réseau officiel de constitution des fonds de capital-risque obtient en effet énormément de fonds de sources non assujetties à l'impôt, peut-être à hauteur de 60 p. 100 selon les plus récentes estimations de la National Venture Capital Association. Néanmoins, même ce réseau officiel obtient 15 ou 20 p. 100 de ses fonds auprès de particuliers imposables. La plupart des démarrages d'entreprise ne se financent pas à même le réseau officiel de fonds de capital-risque. Habituellement, un entrepreneur s'adressera d'abord à des amis ou à des membres de sa famille lorsqu'il veut créer une nouvelle entreprise. Ensuite, il pourra tenter d'intéresser de riches particuliers à acquérir une participation dans son entreprise, et c'est là qu'interviennent les investisseurs providentiels.
Les investisseurs providentiels attachent beaucoup d'importance aux taux d'imposition, compte tenu que les entreprises qui démarrent présentent un très grand risque et que deux sur trois sont vouées à l'échec. Divers témoignages non scientifiques conjugués aux conclusions d'enquêtes menées par le professeur Wetzel donnent à croire que les investisseurs providentiels sont très sensibles aux impôts et que plus le taux d'imposition est faible, plus ils sont portés à fournir des capitaux de départ.
Stephen Prowse, un économiste du Federal Reserve Board de Dallas, a effectué une enquête auprès d'entreprises de haute technologie et a constaté que plus de la moitié d'entre elles avaient obtenu une partie de leur capital de départ auprès d'investisseurs providentiels, simplement pour assurer leur décollage. Aux États-Unis, les sociétés de haute technologie doivent effectivement compter au départ sur l'apport de contribuables imposables. Pour ce type d'investisseurs, la différence entre un taux de 28 p. 100 et un taux de 20 p. 100 est capitale.
Par ailleurs, pour s'être penché sur la question, David Wyss est arrivé à la conclusion que le code des impôts devait vraiment faciliter les choses à ceux qui veulent faire des placements à risque. Les investisseurs ayant naturellement en aversion les impôts et les risques, la société y gagnerait avec l'adoption de dispositions fiscales souples à cet égard. Si une nouvelle entreprise sur trois est une grande réussite, son succès compensera amplement les pertes des deux qui auront échoué. La société y gagne quand une entreprise comme Microsoft ou Apple prend son envol. Il faut encourager par une politique fiscale incitatrice le lancement de telles entreprises.
Aux États-Unis, nous nous sommes également interrogés sur l'équitabilité d'une réduction des taux d'imposition des gains en capital. Dans quelle mesure une telle réduction profite-t-elle aux contribuables à revenu moyen? Ne s'agit-il que d'un cadeau fait aux riches? Il apparaît toutefois évident, d'après les données recueillies, que la réduction des taux d'imposition des gains en capital n'est pas uniquement une concession faite aux riches.
Une récente étude montre que les trois quarts des ménages américains ont des immobilisations et que 30 p. 100 de la valeur totale des immobilisations est détenue par des familles ayant un revenu de 50 000 $ ou moins. Ce dernier chiffre nous vient de Leonard Burman, qui est sous-secrétaire adjoint à la politique fiscale au Trésor américain. Il soutient, documents à l'appui, que la propriété des immobilisations est très diffuse. Les données les plus récentes que nous avons pu obtenir de la Security Industries Association montrent que près de la moitié des ménages américains détiennent des actions de sociétés. Aux États-Unis, la possession d'actions est en progression. La détention d'autres types d'immobilisations y est également très largement répandue; donc, une réduction des taux d'imposition des gains en capital ne peut que profiter à tout le monde.
De plus, de nouveaux travaux de recherche effectués par le Service de recherche du Congrès, un organe du Congrès américain, montrent que notre régime actuel d'imposition des gains en capital, où le taux marginal maximal est de 20 p. 100 et où ce taux est de 10 p. 100 dans le cas des particuliers imposables à un taux de 15 p. 100, contribue à la progressivité de notre régime fiscal actuel. En effet, un chercheur économiste du CRS est arrivé à la conclusion que notre régime actuel d'imposition des gains en capital est un facteur de progressivité fiscale et favorise la redistribution des revenus. L'argument voulant qu'une réduction des taux d'imposition des gains en capital ne soit qu'une faveur aux gens des classes les plus favorisées, aux gros chats, ne tient donc pas.
Comment les autres pays imposent-ils les gains en capital? Il y a environ un an, nous avons chargé Arthur Andersen d'examiner la situation dans 24 pays, dont le Canada, pour voir à quels taux les particuliers et les sociétés y sont imposables sur leurs gains en capital. Les tableaux 4 et 5 présentent les taux moyens en vigueur dans les 24 pays en question. Comme on ne fait état dans ces tableaux que des impôts perçus par le gouvernement central, je sais que votre taux y semble artificiellement bas, 23,5 p. 100, vu que vos impôts provinciaux ne sont pas pris en compte. Dans le cas de l'Ontario, l'ajout du taux provincial porte le taux global à 40 p. 100, je crois. Est-ce bien le cas?
La plupart des pays du monde imposent les gains en capital à long terme sur la vente d'actifs à un taux qui se situe en moyenne un peu en bas de 15 p. 100. Le taux marginal américain, qui est de 20 p. 100, demeure donc supérieur à la moyenne internationale. Évidemment, nous exigeons encore une période de retenue d'un an pour que le gain en capital puisse être traité comme un gain à long terme. La plupart des autres pays n'ont pas de telle exigence.
L'Australie vient tout juste de réduire son taux d'impôt sur les gains en capital. Ainsi le taux d'imposition des gains en capital à long terme y est passé de 48,5 p. 100, compte tenu de l'indexation, à 24 p. 100. Je ne suis pas trop sûre de la date d'entrée en vigueur de cette mesure, car le site Web de l'Australie n'est pas opérationnel. On a convenu dans ce pays de faire passer le taux d'imposition des gains à long terme des particuliers de 48 à 24 p. 100, et celui des sociétés, de 36 à 30 p. 100.
Ce tableau montre que nombre de pays ne prélèvent aucun impôt sur les gains en capital. Ainsi, à Hong Kong et en Allemagne, les gains en capital à long terme sont exonérés d'impôt. Les Pays-Bas, le Mexique et Singapour ont des taux de croissance très élevés. Il en est de même des gains en capital des sociétés. Il semble bien que, compte tenu de la singulière faiblesse de notre taux d'épargne, notre pays devrait envisager la possibilité de réduire davantage l'impôt sur les gains en capital. La plupart des analystes estiment qu'une réduction des taux d'impôt sur les gains en capital a un impact positif sur l'épargne.
Permettez-moi de vous dire quelques mots de ce qui se dessine et de certaines des propositions qui sont mises de l'avant concernant la réduction des taux d'imposition des gains en capital. Il y a eu de vifs affrontements au Congrès américain cette année à propos de la réforme fiscale. Dans la proposition qui avait été approuvée par les républicains et qui a été soumise au président Clinton en septembre, il était question de faire passer de 20 à 18 p. 100 le taux maximal d'imposition des gains en capital des particuliers et d'abaisser à 8 p. 100 celui des contribuables assujettis à un taux d'imposition de 15 p. 100. Le président Clinton y a apposé son veto. L'idée, c'est qu'à l'instar de nombreux chercheurs qui font autorité en matière de politique fiscale, les républicains sont d'avis que, compte tenu de la nécessité de consolider notre position sur le chapitre de l'épargne et de l'investissement, nous devrions aller plus loin dans cette direction.
Nous avons demandé à Allen Sinai d'établir quelles auraient été les conséquences macroéconomiques d'une telle proposition si elle avait reçu l'aval du président Clinton. Le tableau 6 présente quelques chiffres préliminaires que la société d'Allen Sinai, Primark Decision Economics, a produits. Même si la réduction d'impôt proposée était minime -- une réduction de 20 à 18 p. 100 n'a rien d'énorme --, elle aurait eu des impacts positifs, mesurables, quantifiables sur l'économie américaine.
M. Sinai montre qu'au cours des cinq prochaines années, notre PIB réel se serait accru de 65 milliards de dollars supplémentaires. Nous aurions également connu une croissance de l'emploi. Ces 112 000 nouveaux emplois auraient résulté de la création de nouvelles entreprises. M. Sinai a pu, à l'aide de son modèle, examiner l'impact qu'aurait eu cette mesure sur le lancement d'entreprises. Il est arrivé à la conclusion que le nombre de nouvelles sociétés d'affaires aurait augmenté de 200 000 -- à propos, il y a ici une erreur typographique dans le texte que je vous ai remis; il faudrait lire 200 000, car il manque un zéro. M. Sinai a également inclus des données sur l'impact qu'auraient eu ces changements sur l'empressement des gens à financer le lancement d'entreprises et à prendre des risques, et il en a conclu que nous aurions assisté à la création de 200 000 nouvelles entreprises au cours de la période de référence. Le nombre d'emplois aurait augmenté. Les dépenses d'investissement dans l'achat d'équipement et de bâtiments se seraient accrues de 18 milliards de dollars, et le coût du capital aurait diminué de 0,13 p. 100. Ce dernier chiffre n'est pas énorme, mais tout changement à la baisse sur ce chapitre contribue à inciter les gens à investir.
L'indice boursier aurait enregistré une hausse supplémentaire d'environ 0,8 p. 100 chaque année. Les épargnes nationales, c'est-à-dire les épargnes combinées des entreprises, des particuliers et des gouvernements, se seraient accrues d'environ 84 milliards de dollars par an. Même si le changement proposé était relativement minime, il aurait donc eu des effets positifs quantifiables sur l'économie. En fait, c'était du tout cuit.
Il me semble que les États-Unis doivent continuer d'examiner diverses options en vue d'accroître nos taux de croissance et d'épargne. Une réduction judicieuse de l'impôt sur les gains en capital tant des sociétés que des particuliers devrait vraiment faire partie du programme du prochain président des États-Unis. Nous, du conseil, ne ménageons aucun effort pour nous assurer que ce sera le cas. Nous travaillons en collaboration avec des gens qui appuient le gouverneur George Bush. Nous exerçons également des pressions sur certains des autres candidats à la présidence afin de nous assurer que, quel que soit celui qui sera élu, il n'oublie pas la nécessité de stimuler l'épargne, d'accroître les investissements dans les entreprises et de doter les États-Unis d'un code des impôts qui tienne compte des défis que nous réserve le XXIe siècle.
Nous sommes en mesure de faire la preuve qu'une telle orientation serait bénéfique. Il ne nous en coûterait vraiment rien. J'espère que le bref exposé que je vous ai fait de la situation telle qu'elle se présente aux États-Unis à cet égard vous sera de quelque utilité dans votre débat sur la restructuration de votre régime fiscal.
Le président: Ce fut un privilège d'entendre votre exposé. Qui sera votre prochain président?
Mme Thorning: Aux États-Unis, presque tout le monde pense que le gouverneur Bush sera probablement le candidat choisi, mais John McCain gagne de plus en plus en popularité; c'est donc difficile à dire. Les deux sont d'excellents candidats. La plupart des gens estiment que c'est l'un de ces deux-là qui l'emportera. Qui sait? C'est dans une large mesure l'état dans lequel se trouvera l'économie américaine en novembre prochain qui déterminera l'issue de ce scrutin.
Le sénateur Angus: Toutes mes félicitations, non seulement pour l'excellent exposé que vous nous avez fait, mais également pour cette réponse fort diplomatique. Nous sommes des passionnés de la politique ici, et nous nous intéressons tous à ce qui se passe chez vous.
Vous avez décrit succinctement les divers effets de la réduction de votre taux d'imposition des gains en capital des particuliers, qui est passé de 28 à 20 p. 100 en 1997. Vous avez dit que, dès l'exercice suivant, les recettes fiscales nettes étaient passées de 62 à 80 milliards de dollars, pour ensuite progresser de 4,6 milliards supplémentaires.
C'est ce que nous essayons de faire valoir chez nous. À propos, j'ai ici un article qui est paru hier dans le Montreal Gazette et dans lequel on rapporte les résultats d'une étude qui montre qu'une réduction des impôts sur les gains en capital se traduirait par une augmentation des revenus de l'État. Le titre de l'article en question fait référence à certains écrits d'un témoin que nous avons eu l'occasion d'accueillir dans le cadre de la présente série d'audiences. C'est un message qu'il est difficile de véhiculer avec crédibilité.
Pourquoi, à votre avis, une réduction du taux d'imposition des gains en capital entraîne-t-elle une augmentation des recettes fiscales?
Mme Thorning: On doit se garder de ne considérer que l'impact d'une telle réduction sur les recettes provenant directement de l'imposition des gains en capital; il faut également tenir compte de l'ensemble des conséquences macroéconomiques du changement de taux en question. Voyons d'abord quelle est l'incidence d'une telle mesure au regard des recettes provenant directement de l'imposition des gains en capital. La réduction du taux produit un effet de déblocage. Parmi ceux qui, à un taux d'imposition de 28 p. 100, ne voulaient pas réaliser un gain en capital sur la vente d'actifs immobiliers, certains peuvent, à un taux de 20 p. 100, se résigner à encaisser le coup et à payer cet impôt pour pouvoir libérer leur capital et en disposer d'une manière à leurs yeux plus productive. L'effet de déblocage en question réside dans le fait qu'avec l'adoption d'une telle mesure, les gens sont davantage portés à vendre certains de leurs biens pour pouvoir investir le produit de cette vente dans quelque chose d'autre.
En plus de l'effet de déblocage, qui au départ vient gonfler les revenus de l'État -- comme l'illustre aux États-Unis l'évolution des recettes fiscales par suite de la réduction des taux d'imposition des gains en capital --, on obtient également, grâce aux effets de second ordre observés par David Wyss, Allen Sinai et d'autres, une croissance économique plus prononcée. Un plus grand nombre de personnes étant au travail, l'État perçoit davantage de recettes provenant de l'impôt sur le revenu et des charges salariales. Les entreprises augmentent en nombre et elles encaissent de plus gros profits, ce qui se traduit par un accroissement des rentrées fiscales provenant de l'impôt des sociétés. Il n'est donc certes pas correct de ne regarder l'incidence d'un changement de taux que sur les recettes fiscales provenant du secteur touché par ce changement. Il faut considérer l'impact économique global de la mesure.
Notre Joint Committee on Taxation ne partage pas cette vision. Il s'en tient à l'observation des seules incidences statiques de premier ordre plutôt que de chercher à évaluer l'impact dynamique d'une telle mesure sur l'ensemble de l'activité macroéconomique. Par contre, quiconque utilise un modèle d'équilibre général, comme l'ont fait Allen Sinai ou David Wyss, est à même d'observer les répercussions qu'une réduction de ce taux peut avoir sur les autres revenus de l'État. C'est pourquoi il faut prendre en considération l'objectif de la politique fiscale et ses effets macroéconomiques globaux à long terme.
Le sénateur Angus: Pouvoir affirmer avec assurance et établir qu'en réalité les recettes fiscales globales de l'État augmentent quand on abaisse le taux d'imposition des gains en capital est très positif. Vous nous avez fourni une explication détaillée de ce qu'il en est, ce qui me rend un peu inquiet, car lorsqu'on demande de tels chiffres aux représentants de notre ministère des Finances, on nous laisse sous l'impression que les effets potentiels d'une réduction du taux d'imposition des gains en capital sont très difficiles à mesurer. Or, ce n'est pas forcément le cas, semble-t-il. Pouvons-nous nous réclamer de votre opinion, à vous qui, en tant qu'économiste, vous êtes penchée sur cette question, pour affirmer avec assurance qu'invariablement, et sans l'ombre d'un doute dans un cas comme celui de l'économie canadienne, une réduction des taux d'imposition des gains en capital se traduirait par une augmentation des revenus de l'État?
Mme Thorning: À longue échéance, vous augmenteriez certainement vos recettes fiscales globales, et ce, même si vous abolissiez totalement l'impôt sur les gains en capital. Naturellement, si les gains en capital n'étaient pas assujettis à l'impôt au Canada, vous ne tireriez aucun revenu direct de la vente d'actifs immobiliers, mais si vous regardiez vos recettes fiscales sur une période de 10 ou 15 ans, vous constateriez, je crois, que même une très importante réduction de ce taux s'autofinancerait probablement.
Parfois, quand nous modélisons un changement minime de taux aux États-Unis, nous constatons que l'accroissement qui s'ensuit sur les plans de la productivité et de l'emploi ne suffit pas à court terme à compenser la réduction d'impôt. Par ailleurs, en situation d'excédent budgétaire, vous pourriez réduire les impôts suffisamment pour stimuler la création d'emploi, la croissance du PIB et le lancement de nouvelles entreprises, et vous pourriez financer cette réduction d'impôt à même l'excédent budgétaire. C'est certes une option que vous pourriez vouloir retenir, car elle contribuerait à accélérer la croissance de votre économie.
Le sénateur Angus: D'autres témoins nous ont également fait remarquer qu'un certain nombre de pays, par exemple Hong Kong, Singapour, la Belgique et le Mexique, ne prélèvent aucun impôt sur les gains en capital et ont des économies en croissance. Ce qui me rend un peu perplexe à cet égard, c'est que je remarque que, dans tous les cas, il s'agit de petits pays. Ce ne sont pas d'importants acteurs de l'OCDE ou du G-7, par exemple. J'essaie de prévoir à quels types d'arguments il nous faudrait répliquer si nous nous servions de ces exemples pour justifier une réduction de l'impôt sur les gains en capital. Nous pourrions dire que c'est là une possibilité qui s'offre à l'économie canadienne, qui n'a pas particulièrement été en mode de croissance comparée à celle de votre pays. Pourquoi ne le ferions-nous pas? Comment expliquer que tous les grands pays ont un impôt sur les gains en capital, alors que les petits pays n'en ont pas? J'ai même entendu dire que Singapour et Hong Kong étaient de véritables paradis fiscaux.
Mme Thorning: Voyez où s'observe la croissance. Singapour et Taiwan ont connu une forte croissance économique et enregistré des taux élevés d'épargne. Ce sont les tigres du Pacifique. Ils ont une population active intelligente et instruite et un code des impôts avantageux. À longue échéance, ils seront drôlement gagnants du fait qu'ils imposent très peu l'épargne et l'investissement.
Certains des pays industrialisés, dont les Pays-Bas, ne prélèvent aucun impôt sur les gains en capital des particuliers. Dans certains pays européens, comme l'Allemagne, l'impôt sur les gains en capital est moins lourd qu'ici. Toutefois, si j'étais à la recherche du code des impôts idéal, je ne me tournerais certes pas à tous égards vers les modèles européens. Sur certains points, les pays européens sont plus avancés que nous -- par exemple pour ce qui est de la façon dont ils imposent les revenus gagnés à l'étranger --, mais je ne suis pas sûre que je les prendrais comme modèle en matière d'impôt sur le revenu.
Nous devrions nous inspirer de ce qui donne des résultats. Le Conseil dépense énormément d'argent pour des évaluations macroéconomiques, et, si j'ai inclus dans mon exposé les travaux du Joint Committee on Taxation, c'est que je voulais vous faire part de l'opinion d'experts en finances publiques des plus prestigieuses universités sur la meilleure façon de favoriser la croissance économique aux États-Unis. On pourrait à juste titre avancer que si une taxe de consommation comportant une exonération de l'épargne et de l'investissement peut favoriser une accélération de la croissance de l'économie américaine, elle pourrait probablement le faire également pour l'économie canadienne ou suisse.
Je ne m'inquiéterais pas du fait que bon nombre de grands pays industrialisés ont à cet égard des taux plus élevés que le nôtre. L'Australie vient juste de réduire le sien à 24 p. 100. La tendance dans le monde est donc à l'allégement de l'impôt sur les gains en capital et sur les autres formes d'épargne.
Le sénateur Angus: Nous ne prélevions pas d'impôt sur les gains en capital avant 1971. Vos études démontrent-elles que le Canada avait un taux de croissance économique supérieur avant l'institution de cet impôt draconien?
Mme Thorning: Non, je crains de ne pas pouvoir vous répondre sur ce point.
Le sénateur Angus: Ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas de telles études.
Mme Thorning: J'imagine qu'avant que les gains en capital soient imposés aussi lourdement en Canada, on investissait davantage dans de nouvelles entreprises à risque, mais vous êtes sûrement mieux placé que moi pour le savoir.
Le sénateur Hervieux-Payette: Qu'entendez-vous par impôt sur le revenu unifié? Si je le savais, je pourrais plus facilement comprendre le tableau 1.
Mme Thorning: Un impôt sur le revenu pur ou unifié est un régime qui exclut toute forme de déduction -- pas de déduction pour l'hypothèque ni d'exemption de base. Le contribuable paie un taux uniforme sur tous ses revenus d'une année donnée et ne bénéficie d'aucune déduction pour épargne ou pour un REER. Tous les revenus des sociétés sont imposés et leurs gains en capitaux le sont au moment où ils sont réalisés, que la vente de l'élément d'actif en question soit imputée ou non à l'exercice; le revenu de la société est transféré au particulier et est imposé au taux auquel est assujetti le particulier. Dans un tel régime, les sociétés n'imputent pas leurs dépenses à l'exercice. Elles bénéficient de déductions pour amortissement annuelles qu'on tente de faire correspondre le mieux possible avec la durée de vie du bien en question. En gros, aucune déduction n'est permise pour l'épargne.
Le sénateur Hervieux-Payette: C'est presque un synonyme de pur impôt sur le revenu.
Le président: C'est un taux d'imposition uniforme.
Le sénateur Hervieux-Payette: Y a-t-il une période de retenue optimale pour profiter du taux d'imposition le plus avantageux en matière de gains en capital -- six mois, un an, 18 mois? On fait état ici de diverses périodes. Laquelle est associée au meilleur taux?
Mme Thorning: De nombreux économistes diraient qu'il ne devrait pas y avoir de période de retenue dans le cas des immobilisations. En prévoyant une période de retenue, on freine la mobilité du capital et on rend plus onéreuses les opérations financières. La période de retenue d'un an que nous avons actuellement accroît le coût du capital. La plupart des autres pays n'ont pas de période de retenue. C'est une mesure à caractère politique visant à limiter la spéculation. Je n'en pense pas moins qu'il serait économiquement profitable qu'on abandonne cette restriction. Cette fois encore, il s'agit d'un compromis politique.
La période de retenue de 18 mois qu'on a appliquée aux États-Unis pendant quelque temps était un compromis politique. Pour obtenir qu'on abaisse les taux, il a fallu accepter un allongement de la période de retenue. Il s'est agi de concessions mutuelles entre républicains et démocrates. Cette mesure, qui allait semer la pagaille dans les milieux concernés, s'est révélée si impopulaire qu'on a été contraint de la révoquer en 1998.
Le président: Vous devez savoir que, si au Canada nous n'avons pas de période de retenue, un spéculateur, en revanche, ne peut profiter chez nous des taux d'imposition applicables aux gains en capital. Je ne sais trop quel régime est le plus avantageux à cet égard.
Le sénateur Hervieux-Payette: La plupart des pays du G-7 prélèvent une taxe de consommation assez substantielle sur de très nombreux produits. Quand nous considérons l'impôt sur les gains en capital, nous faisons abstraction des taxes de consommation et de l'impôt sur le revenu, mais je crois que nous devons regarder le tableau dans son ensemble. Diriez-vous que si l'Allemagne et la France exonèrent les gains en capital à plus ou moins court terme, c'est que ces pays ont par ailleurs de très lourds impôts sur le revenu et des taxes de consommation passablement salées?
Avez-vous évalué l'impact sur l'économie du fait d'exonérer d'impôt les placements dans des fonds de démarrage pour aider les entrepreneurs? Je ne vois pas qu'une telle mesure ait forcément pour effet d'accélérer la croissance, et nous devons être sûrs de prendre la bonne décision, car ce n'est là qu'un d'au moins trois facteurs importants à prendre en considération.
Mme Thorning: J'aimerais bien croire que les pays européens ont réfléchi à leur politique fiscale autant que vous tenez à réfléchir à la vôtre. Les choix qu'on y a fait sur ce chapitre ont plutôt résulté de contingences historiques -- des motivations des gens au pouvoir, du poids relatif des personnes qui favorisaient telle ou telle politique.
Un défaut que nous avons aux États-Unis en matière de politique fiscale, c'est que nous omettons de prendre un peu de recul pour mieux jauger les divers aspects de la question. Les décisions se prennent plutôt par opportunisme politique. En 1997, nous avons obtenu qu'on abaisse les taux d'imposition des gains en capital. Je me plais à croire que cette politique a été adoptée parce que les membres du Congrès se sont rendu compte que cette réduction compenserait l'impôt très lourd dont on frappe l'épargne aux États-Unis. Nous n'avons pas d'exemption sur les dividendes, ni aucun autre adoucissement. Cette réduction se voulait un baume sur la plaie que représente le dur traitement fiscal qu'on réserve chez nous aux épargnants.
J'ai le sentiment que la plupart des pays de l'OCDE décident eux aussi de leurs mesures fiscales à la pièce, sans prendre soin de se donner du recul pour se demander comment ils feront pour atteindre leurs grands objectifs. Les impôts sont très élevés en Allemagne -- ils représentent 50 p. 100 du PIB. La politique d'impôt zéro sur les gains réalisés à long terme lors de la vente d'actions compense évidemment en partie le lourd fardeau fiscal imposé par ailleurs aux contribuables, notamment les taxes de consommation très élevées. Une taxe de consommation aussi lourde a tendance à vous pousser à épargner. Tout compte fait, le taux d'épargne est supérieur en Allemagne à ce qu'il est aux États-Unis.
Le sénateur Oliver: Des auteurs ont soutenu que nous perdons une bonne part de nos meilleurs effectifs au profit des États-Unis et d'autres pays du fait que nos impôts sur les revenus et sur les gains en capital sont trop élevés. Nous dépensons chaque année des millions de dollars pour former, en particulier dans le domaine de la haute technologie, des spécialistes qui, après avoir reçu leur diplôme et avoir acquis un an d'expérience, sont recrutés par des sociétés américaines comme Microsoft. Dans quelle mesure, selon vous, une réduction de l'impôt sur les gains en capital contribuerait-elle à endiguer ce fléau?
Peut-être est-ce là une partie de la solution. Dans le dernier paragraphe de votre exposé, vous affirmez:
Une réduction bien planifiée et généralisée des taux d'impôt sur les gains en capital des particuliers et des sociétés bénéficierait considérablement à tous les contribuables. En atténuant le coût du capital, une telle mesure encouragerait le genre d'investissement commercial productif qui favorise la croissance de la production et la création d'emplois rémunérateurs.
Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par «emplois rémunérateurs»? Est-ce là une partie de la solution?
Mme Thorning: Tout à fait. J'imagine que si vous réduisiez sensiblement vos taux d'impôt sur les gains en capital de manière à ramener vos taux combinés fédéraux et provinciaux aux alentours de 20 à 25 p. 100, vous observeriez un bien moindre exode de vos cerveaux.
Évidemment, aux États-Unis, les gens qui lancent des sociétés de haute technologie sont payés en options sur actions. Ils espèrent réaliser finalement des gains en capital. En ramenant le taux à 20 p. 100, ou un peu plus pour permettre aux provinces de prélever elles aussi un impôt minime, cela représenterait une bonne baisse. Je crois que si votre taux était sensiblement plus bas, vous assisteriez à une croissance de l'activité entrepreneuriale et à la création d'un plus grand nombre d'emplois rémunérateurs dans des secteurs de pointe. Sans être une panacée, les gains en capital ont un effet non négligeable, surtout qu'avec le temps, cet effet est exponentiel. Les emplois et la croissance supplémentaires qu'ils génèrent ont réellement un impact matériel important sur la santé économique d'un pays.
Le sénateur Oliver: Comment quantifieriez-vous l'influence de votre institut sur la formation du capital, et comment vous y prenez-vous pour influencer les bureaucrates? Comme vous avez sans doute pu le constater en lisant nos comptes rendus, bien qu'un certain nombre de chercheurs universitaires, de gens d'affaires et de groupes d'entreprises s'accordent à dire que notre impôt sur les gains en capital est trop élevé, il reste à en convaincre la population. Comment votre institut est-il parvenu à le faire?
Mme Thorning: Je fais partie du conseil depuis 18 ans. La qualité des travaux de recherche compte beaucoup, mais il peut falloir effectuer plus d'une étude. C'est en 1986, par suite du dépôt cette année-là d'un projet de loi portant augmentation des taux d'imposition des gains en capital, que nous avons entrepris de financer des chercheurs universitaires qui font autorité en la matière. Nous avons d'abord essayé de convaincre les gens de Hill de réaliser des études sur cette question en collaboration avec des membres du Congrès qui étaient sympathiques à notre cause. Nous avons commencé à travailler de concert avec des prévisionnistes macroéconomiques dignes de foi, comme Allen Sinai, à qui nous avons demandé d'analyser la question de l'imposition des gains en capital. Armés des résultats de leurs travaux, ils iraient devant le Congrès et donneraient des entrevues à des journalistes. De notre côté, nous nous réclamerions de leurs travaux pour appuyer notre position.
Nous publions un bulletin et maintenons un site Web, ce qui nous permet de diffuser toutes ces analyses. Nous avons un atout que bien des groupes de réflexion n'ont pas: nous tenons chaque mois, à la maison de notre président, un déjeuner auquel nous invitons environ huit membres du Congrès, sénateurs ou représentants, quelque 10 ou 12 dirigeants d'entreprises provenant d'un peu partout aux États-Unis et 8 ou 10 représentants de la presse nationale.
Le sénateur Oliver: Y a-t-il un conférencier invité?
Mme Thorning: Non, tout se passe de manière informelle. Nous faisons cela depuis 1982, et jusqu'à ce jour nous avons organisé quelque 95 de ces déjeuners. Nous avons ce que certains appellent le dernier salon économique de Washington. Nous nous assoyons pour bavarder devant un verre. Nous faisons parvenir à l'avance à nos invités un petit bulletin préparatoire à notre rencontre dans lequel nous traitons d'un aspect particulier de la politique fiscale, environnementale ou commerciale. Puis, nous nous réunissons, peut-être 25 ou 30 d'entre nous, et cogitons sur la question. C'est un déjeuner assis. La presse y est vraiment présente. C'est une chance que de pouvoir obtenir une oreille attentive de personnes comme Alan Murray, le rédacteur en chef du Wall Street Journal, ou Rick Stevens, du New York Times.
Nous utilisons tous les outils imaginables pour exercer une influence sur les journalistes et sur les membres du Congrès, mais il nous faut pour cela des travaux de bonne qualité et une crédibilité à toute épreuve. On ne peut jouer avec les chiffres. Il nous faut être absolument impeccables. C'est ce que nous faisons.
Pas question de noyautage ou de dons d'argent. Par exemple, nous ne payons personne pour assister à nos déjeuners. Je remarque que le niveau intellectuel des membres du Congrès s'améliore. Les membres du Congrès tiennent vraiment à l'adoption de politiques judicieuses. Il est agréable de travailler avec des gens de cette mentalité.
Le sénateur Oliver: Tout cela est fort intéressant.
Le sénateur Meighen: Vous avez dit tout à l'heure qu'aux États-Unis, les impôts sur les gains en capital représentent une importante proportion de l'ensemble des revenus de l'État.
Mme Thorning: Des recettes provenant de l'impôt des particuliers.
Le sénateur Meighen: Je suppose que nous comparons des pommes avec des oranges. Au Canada, cette proportion serait de 0,3 p. 100 de l'ensemble des recettes fiscales. Je présume que c'est moins qu'aux États-Unis, si nous comparons des pommes avec des pommes. C'est peut-être à cause de l'effet de blocage. Quand on risque de payer un gros impôt sur un gain en capital, il est évident qu'on sera porté à s'abstenir de réaliser ce gain. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Par ailleurs, aux États-Unis, l'impôt sur les gains en capital est, si j'ai bien compris, plus faible voire nul dans certains cas prévus dans la loi, lors d'un roulement. Par exemple, des témoins nous ont mentionné que, dans le secteur de la haute technologie, un contribuable peut rouler certains actifs, c'est-à-dire les aliéner en franchise d'impôt, pourvu que ces actifs demeurent dans le même secteur.
Mme Thorning: Nous avons certaines dispositions concernant la proportion d'impôt sur les gains en capital. Cette proportion représente environ 8 ou 9 p. 100 des impôts totaux payés par les particuliers. Comme notre taux d'impôt sur les gains en capital est relativement bas, nous n'observons pas d'effet de blocage au même titre que chez vous. À moins de pouvoir espérer conclure un marché drôlement avantageux, qui voudrait payer 40 p. 100 d'impôt en vendant un bien? C'est certes l'effet de blocage qui explique que cette proportion soit si faible dans votre pays.
Notre code des impôts comporte une disposition qui permet aux entreprises dont l'actif s'élève à 100 millions de dollars ou moins de rouler une partie de cet actif en franchise d'impôt. Cette disposition a été quelque peu élargie dans la loi de 1997. Les gens avec qui je me suis entretenue dans le milieu du capital-risque affirment que cette disposition est d'application si étroite et si restrictive que la plupart des entreprises ne cherchent même pas à s'en prévaloir. Nous devrions peut-être considérer de plus près l'option de roulement, et si les contribuables américains disposaient d'une telle option plutôt que d'avoir à payer l'impôt sur les gains en capital, comme c'est le cas actuellement, nous constaterions probablement une bien plus grande mobilité du capital et une croissance accélérée, vu que nous aurions alors un régime d'imposition basé sur le revenu dépensé. Pouvoir rouler un gain en capital en franchise d'impôt, c'est comme être soumis à un régime où toutes les épargnes sont exonérées d'impôt et où l'on ne paie l'impôt que sur la portion de revenu qu'on dépense. Il vaudrait la peine que nous envisagions cette option. On s'y est beaucoup intéressé aux États-Unis, mais nous n'avons jamais fait plus que de soustraire une petite portion des gains en capital d'entreprises relativement petites et uniquement dans des circonstances très particulières.
Le sénateur Meighen: Auriez-vous un mot à nous dire concernant les coûts de perception de l'impôt sur les gains en capital comparés à d'autres formes d'imposition? Ai-je raison de croire que plus on ajoute d'éléments à la loi, comme des dispositions de roulement ou des taux différents selon la durée de la période de retenue, plus les coûts de perception sont élevés?
Mme Thorning: La perception s'en trouve certes plus compliquée. Cette complexité accrue vaut-elle la peine en regard des épargnes ou de la croissance économique supplémentaires qu'elle permet? Nos dispositions touchant l'impôt sur les gains en capital compliquent énormément notre code fiscal. C'est évidemment une opération complexe, mais avec l'informatisation croissante, il est un peu plus facile pour l'IRS et les fonds communs de placements, etc. de déterminer quels sont vos gains en capital. Compte tenu du fait que la technologie a contribué à réduire le coût de la perception des impôts, si la complexité est le prix à payer pour bénéficier de taux d'impôt sur les gains en capital plus avantageux que celui qui s'applique au revenu ordinaire, nous devons consentir à payer ce prix.
Le plus simple serait d'opter pour une pure taxe de consommation. En 1984, le Trésor a publié une étude sur la façon d'amener les États-Unis à adopter une taxe de consommation et sur les moyens qu'on pourrait utiliser pour suivre les comptes de banque personnels et pouvoir ainsi établir combien chacun dépense et épargne. On pourrait assez facilement effectuer un tel suivi.
Le sénateur Meighen: Avez-vous de l'information à nous donner ou des commentaires à formuler sur les mesures d'encouragement offertes dans votre pays à ceux qui, en franchise d'impôt, font don de biens à des fondations ou à des oeuvres de bienfaisance? J'ignore depuis combien de temps de telles mesures sont en vigueur aux États-Unis. Elles ne le sont que depuis tout récemment au Canada. Il y a deux ans, le ministre des Finances a réduit le taux d'imposition des gains en capital sur les dons à des oeuvres de bienfaisance de valeurs cotées en bourse. On entend très fréquemment dire que cette mesure a permis de mettre d'énormes fonds à la disposition de ce genre d'organisme. Êtes-vous en mesure de nous renseigner sur ce qui se fait dans votre pays à cet égard?
Mme Thorning: Je vais devoir m'abstenir de répondre à cette question, car je ne suis pas experte en la matière.
Le sénateur Meighen: Les taux d'impôt sur les gains en capital des particuliers et des sociétés devraient-ils être relativement similaires, ou l'un devrait-il être plus élevé que l'autre?
Mme Thorning: La plupart des travaux de recherche dont il nous a été donné de prendre connaissance indiquent qu'il serait préférable qu'il n'y ait pas d'écart aussi considérable entre le taux de 35 p. 100 applicable aux gains en capital des sociétés et celui de 20 p. 100 sur les gains des particuliers; cet écart a tendance à fausser la manière dont les gens gèrent leurs affaires. Il les amène à emprunter toutes sortes de détours et à prendre des décisions uniquement pour des motifs d'ordre fiscal. Certaines industries sont plus touchées que d'autres par ce problème. Par ailleurs, ce taux de 35 p. 100 ajoute au coût de lancement des nouvelles entreprises, à ce qu'il en coûte pour consentir à faire des investissements risqués. Le fait de devoir potentiellement payer un impôt de 35 p. 100 au sortir d'une aventure qui risque par ailleurs de ne rien rapporter peut avoir un effet dissuasif. Nous constatons de plus en plus que ce taux de 35 p. 100 a effectivement un effet dissuasif chez les dirigeants d'entreprise lorsque vient le temps pour eux de décider de la répartition de leurs placements et de choisir entre des investissements qui présentent relativement peu de risque et des avenues plus risquées.
Vous pouvez soutenir que nos taux sont réellement hors de proportion et que nous devrions les réduire dans le cas des sociétés. Au conseil, nous essayons depuis des années de faire valoir le bien-fondé de cette position. Nous y avons mis d'énormes efforts, mais cette option est politiquement très impopulaire. On la perçoit comme une mesure d'allégement fiscal favorisant les sociétés. Les gens ne se rendent pas compte que le revenu des sociétés est transféré à des individus qui sont les actionnaires de ces sociétés et que lorsqu'on fait du tort à une société, c'est en réalité à ses actionnaires qu'on s'attaque. C'est une mesure difficile à faire accepter. Nous n'abandonnons toutefois pas la partie.
Le sénateur Kroft: J'aimerais simplement que vous me précisiez une chose. Quand vous parlez de pure taxe de consommation, vous voulez parler d'une taxe fondée sur quels types de dépenses?
Mme Thorning: Sur les dépenses annuelles. Tout montant épargné à même le revenu annuel serait exonéré d'impôt, automatiquement. Toute dépense de consommation serait taxée à un taux quelconque, qui pourrait être progressif. David Bradford de l'Université de Princeton a conçu un régime fiscal qui comporterait une taxe de consommation à taux progressif.
Le sénateur Kroft: Vous avez fait remarquer que vos autorités fiscales sont réticentes à prendre en considération autre chose que l'impact direct de la perte de revenus, n'est-ce pas?
Mme Thorning: Elles ne vont pas plus loin.
Le sénateur Kroft: En ce cas, la difficulté que nous avons à obtenir qu'on tienne compte des diverses répercussions économiques qu'auraient certains changements proposés n'est pas particulière au Canada; elle tient à l'attitude des bureaucrates ici comme chez vous.
Mme Thorning: Vous avez raison. Pour être juste envers les bureaucrates, il nous faut toutefois reconnaître que si on devait adopter d'un seul coup trois ou quatre mesures venant modifier notre régime fiscal, il ne serait pas facile de mesurer l'impact respectif, sur le plan macroéconomique, de chacune de ces mesures. Les bureaucrates estiment, à juste titre, que leur tâche de produire un estimé de l'incidence de chacune de ces mesures sur les recettes fiscales s'en trouverait plus compliquée, voire impossible.
Un argument que nous leur opposons, c'est qu'ils devraient au moins tenter d'établir quelles seraient les répercussions macroéconomiques de l'ensemble de ces mesures. Des gens comme Martin Feldstein, président du National Bureau of Economic Research et ancien directeur du Council of Economic Advisors sous l'administration Reagan, répètent depuis longtemps que nous devrions avoir une vision à long terme. Pour ce faire, il nous faudrait connaître les conséquences macroéconomiques globales des mesures que nous songeons à adopter. Ce principe devrait guider les fonctionnaires du Trésor aussi bien que les membres du Congrès. Il ne suffit pas de se pencher sur un projet de loi pris isolément.
Le sénateur Kroft: Donc, la bataille se poursuit?
Mme Thorning: Exactement.
Le sénateur Kroft: Un de nos plus éminents experts en fiscalité soutient fermement qu'un problème réel, c'est que plus on crée de taux d'imposition différents pour les divers types de revenu, plus on ouvre la porte à un genre de planification coûteuse qui n'est pas vraiment productive économiquement. Qu'en pensez-vous?
Mme Thorning: Nous avons été confrontés à ce problème en 1986 et nous avons essayé de le régler en adoptant nos dispositions législatives sur les pertes passives, qui étaient incluses dans le projet de loi présenté cette année-là. Cet abus potentiel a été en grande partie éliminé de notre code des impôts. Je crois qu'à l'heure actuelle, grâce à cette loi, la plupart des gens ne considèrent pas qu'il s'agit là d'un problème majeur aux États-Unis.
Par ailleurs, quand on voit les fonds qu'on investit à flots dans les valeurs boursières et quand on constate que de plus en plus de jeunes encore adolescents ou dans la vingtaine achètent des actions en songeant à leur avenir, on s'aperçoit que notre taux relativement faible d'imposition des gains en capital comparé à celui qu'on applique ailleurs dans le monde a probablement eu un impact positif. À ma connaissance, on ne voit plus tellement de contribuables essayer d'exploiter indûment le système aux États-Unis.
Le sénateur Kelleher: Le tableau 6 présente schématiquement l'effet cumulatif de la réduction des taux d'imposition des gains en capital. Vous avez mentionné que ce modèle avait été conçu par le professeur Sinai. Le ministère canadien des Finances pourrait-il se procurer ces modèles? Nos chercheurs y ont-ils accès? Pourrions-nous prendre les données canadiennes et les incorporer dans son modèle?
Mme Thorning: Il pourrait le faire pour vous. Il lui faudrait diriger l'utilisation de son modèle et probablement recueillir en outre certaines données particulières au Canada, s'il ne les a pas déjà dans ses dossiers. Mais il pourrait certes se charger de ce travail, tout comme pourraient le faire aussi David Wyss ou d'autres modélisateurs macroéconomiques. Vous pourriez sans aucun doute procéder à une simulation macroéconomique à partir de vos données. Une telle étude en vaudrait probablement la peine.
Le sénateur Kelleher: Naturellement, m'y connaissant très peu dans ce domaine, j'ignore combien de modèles nous avons au Canada. Vous me semblez être en avance sur nous avec vos modèles. Celui-ci fait état de rapports et de résultats clairs et concluants. Il serait peut-être utile que certains de nos chercheurs ou de nos fonctionnaires du ministère des Finances jettent un coup d'oeil sur ces modèles et les utilisent. Vos modèles se sont pas mal raffinés ces dernières années, n'est-ce pas?
Mme Thorning: Oui, tout particulièrement celui d'Allen Sinai, qui inclut un très grand nombre de variables financières. Ce modèle compte quelque 500 équations. L'aide que nous avons apportée au professeur Sinai au fil des ans lui a permis d'étoffer son volet gains en capital. Il peut maintenant mieux analyser les modifications qui pourraient être apportées aux dispositions législatives touchant les gains en capital. Il s'agit probablement des modèles les plus perfectionnés qui soient au monde, et ce, grâce au fait que nous avons pu mobiliser les ressources voulues pour faire appel à des gens comme MM. Sinai et David Wyss.
Dans le courant des années 80, j'ai demandé à un chercheur de Stanford d'étudier l'impact sur le coût du capital de l'augmentation des impôts sur les gains en capital. Son modèle a permis de constater que lorsque nous avons fait passer le taux d'imposition de 20 à 28 p. 100 en 1986, le coût du capital s'est accru de 6 à 8 p. 100. J'ai également demandé à un chercheur de l'Université d'État de l'Ohio de faire une étude similaire. Ses résultats ont également permis d'observer une hausse de 6 à 8 p. 100 du coût du capital. J'ai aussi fait faire l'analyse par un autre groupe de réflexion. J'ai commandé cette analyse au DRI.
Tous ces chercheurs universitaires et groupes de réflexion en sont arrivés essentiellement aux mêmes chiffres à propos de l'impact sur le coût du capital d'une augmentation des impôts sur les gains en capital. Les chercheurs et les groupes de réflexion à qui nous avions demandé d'analyser l'impact de la réduction du taux sont également arrivés à des conclusions comparables. Bien qu'ils aient utilisé des modèles macroéconomiques légèrement différents, ils sont arrivés aux mêmes résultats. Cela m'apparaît comme un gage de la fiabilité de ces études. Nous n'avons pas fait appel à une seule personne.
Le sénateur Kelleher: Savez-vous s'il existe des modèles canadiens portant sur la question de l'impôt sur les gains en capital?
Mme Thorning: Non, à vrai dire je ne le sais pas.
Le président: Le professeur Sinai témoignera devant nous le 24 février. Nous allons communiquer avec lui et, grâce à l'excellente question qu'a posée le sénateur Kelleher, nous allons lui demander s'il lui serait possible d'utiliser un de ses modèles en y intégrant des données canadiennes. Peut-être que je m'illusionne, mais voyons au moins quelle sera sa réponse.
Le sénateur Tkachuk: Vous nous avez fait un exposé des plus intéressants. Je sais que les gens ont besoin de modèles. Étant personnellement d'avis que moins il y a d'impôt, mieux c'est, j'attache plus ou moins d'importance à ces modèles. On prévoit que le gouvernement du Canada disposera d'un excédent budgétaire de l'ordre de 7 à 10 milliards de dollars. Certains d'entre nous appréhendent vraiment que le gouvernement n'utilise cet excédent pour augmenter ses dépenses.
Mme Thorning: J'ai lu un article à ce sujet dans le journal d'aujourd'hui.
Le sénateur Tkachuk: D'autres soutiennent que le gouvernement devrait peut-être se mettre à rembourser la dette, ou qu'il devrait à tout le moins consacrer un certain pourcentage de son excédent à la réduction des impôts des entreprises et des contribuables canadiens. Ce qu'il faut viser, c'est que nos dépenses soient efficientes. Où serait-il préférable de dépenser cet excédent? À mon avis, nous aurions avantage à cet égard à nous en remettre aux particuliers et aux entreprises plutôt que de nous fier au gouvernement.
Notre taux d'imposition du revenu des particuliers est très élevé. Celui qui gagne 45 000 $ doit verser 45 p. 100 de son revenu en impôts fédéral et provincial combinés et payer de surcroît des taxes sur ce qu'il consomme. Une personne qui est dans la tranche supérieure de revenu, tranche qui, sauf erreur, se situe aux environs de 65 000 $, verse probablement au total, en taxes de consommation et en impôts sur le revenu, de 60 à 65 p. 100 de son revenu.
Si vous aviez à conseiller nos autorités gouvernementales, leur diriez-vous qu'il serait selon vous préférable de réduire à la fois l'impôt sur les gains en capital et l'impôt sur le revenu, ou seulement l'un des deux? Où situeriez-vous les priorités, connaissant le taux élevé d'imposition dans notre pays?
Mme Thorning: J'essaierais probablement de faire les deux. Je réduirais peut-être davantage le taux d'impôt sur les gains en capital. Je vois mal qu'une telle mesure puisse coûter très cher à l'État. Après tout, cet impôt ne lui rapporte pas grand'chose à l'heure actuelle.
Le sénateur Tkachuk: Vous avez bien raison.
Mme Thorning: Étant donné que le Canada souhaite stimuler l'investissement productif, particulièrement dans les secteurs des nouvelles technologies et des technologies de pointe, et que vous entendez être compétitifs vis-à-vis du reste du monde et garder vos talents chez vous, il me semble qu'il serait très important que vous abaissiez votre taux d'impôt fédéral-provincial combiné sur les gains en capital à un niveau comparable, voire inférieur, à celui que nous appliquons aux États-Unis.
Le sénateur Kroft: Nous arrivons maintenant au moment ultime de vérité -- à la question des impôts au décès, à cette dernière intervention du fisc. Comme vous le savez peut-être, nous n'avons pas d'impôt successoral au Canada, mais, au moment de son décès, le contribuable est réputé avoir réalisé tous ses gains en capital. C'est le dernier coup qu'on nous assène. Dans le cours de notre vie, nous sommes libres de nous transférer des biens et des actifs, à la condition de respecter les règles d'attribution. Aux États-Unis, l'impôt sur les successions a-t-il constitué une concession en échange d'une réduction des taux d'imposition des gains en capital? A-t-on tenu compte de cet élément dans les calculs qu'on a alors faits?
Mme Thorning: On aimerait bien croire que les gens se penchent d'aussi près que vous le faites sur les éventuelles interactions des différentes dispositions fiscales, mais je ne vois pas que ce soit le cas aux États-Unis. Je ne crois pas que nous ayons cette sagesse. Par ailleurs, le fait que vous n'ayez pas un impôt successoral aussi lourd que le nôtre et que vous puissiez faire des dons à l'abri de l'impôt n'a toutefois pas du tout le même effet qu'une réduction de l'impôt sur les gains en capital liés à la création de nouvelles entreprises. Votre régime ne comporte pas de mesures incitatives pour encourager les gens à faire des placements à risque. C'est bien de pouvoir faire des dons, mais cela ne vous donne pas le genre de mesure incitative que notre taux de 20 p. 100 procure à ceux qui veulent faire des placements plus risqués.
Peut-être suivez-vous les débats qui ont actuellement cours aux États-Unis à propos de l'impôt au décès. Il y a un puissant mouvement, que nous appuyons, en faveur soit de l'abolition pure et simple de l'impôt au décès, soit d'une réduction importante de cet impôt, car certaines de nos études démontrent que notre impôt au décès retarde l'investissement et ralentit la croissance. C'est un impôt sur l'épargne.
Le président: N'avez-vous pas également la possibilité de reporter le paiement de cet impôt au moyen d'une série de fiducies?
Mme Thorning: Pourvu qu'elles aient une bonne planification successorale, certaines personnes parviennent à se soustraire en partie au paiement de cet impôt, mais pas totalement. Même si vous avez une société en commandite familiale, comme c'est le cas d'une foule de riches, quand vos enfants vendront les actifs, ils devront payer un certain impôt, mais selon leur propre taux d'imposition, et non au taux marginal de 55 p. 100 de l'impôt successoral. Encore là, je crois que l'impôt au décès est une autre question qui n'a pas vraiment quelque chose à voir avec la façon dont on devrait imposer les investissements et les gains réalisés lors de la disposition de certains actifs risqués.
Le sénateur Kroft: Vous nous avez dit déplorer que personne n'ait une vision globale de la question. La seule fois que nous avons eu une telle vision, c'est vers la fin des années 60 et au début des années 70. Cet examen holistique et global nous a valu la création de notre fameux impôt sur les gains en capital. À regarder la question dans son ensemble, on n'obtient pas forcément la bonne réponse.
Le président: Nous avons eu l'idée géniale de considérer qu'une piastre est une piastre. Merci d'avoir accepté notre invitation. Vos propos ont été on ne peut plus captivants, et peut-être essaierons-nous de vous avoir de nouveau parmi nous.
La séance est levée.