Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 5 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 8 décembre 1999
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et le Code criminel, se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, avant d'entendre les témoins, j'ai ici des exemplaires d'un communiqué que j'ai publié hier au sujet de nos travaux sur le projet de loi C-7. On va vous en remettre copie.
Nous avons reçu une lettre du solliciteur général, dont je vais donner lecture.
Madame le sénateur,
C'est avec plaisir que j'ai comparu devant le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le 1er décembre 1999 pour traiter du projet de loi S-10 (Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et le Code criminel). Je suis reconnaissant au comité de l'excellent travail qu'il a fait en examinant ce projet de loi et les dispositions réglementaires provisoires.
Je suis heureux d'accepter la recommandation du comité visant à modifier le projet de règlement afin qu'il précise que le rapport annuel du commissaire de la GRC doit contenir un examen des analyses génétiques menées au cours de l'année précédente.
Vous trouverez aussi ci-joint une copie, dans les deux langues officielles, de deux motions du gouvernement dont le comité pourra tenir compte lors de son étude article par article du projet de loi S-10. Les motions visent à modifier la Loi sur la défense nationale et le Code criminel de manière à autoriser les agents de la paix ou les personnes agissant sous leur autorité à prendre des empreintes digitales au même moment où des substances corporelles sont prélevées pour la banque de données sur des personnes condamnées pour une infraction désignée. Cette modification a été recommandée dernièrement par les responsables des poursuites du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires et est jugée nécessaire dans le but de vérifier l'identité d'une personne visée par une ordonnance ou une autorisation pour la banque de données génétiques.
Je tiens à vous remercier, vous et les autres membres du comité, de l'excellent travail que vous avez fait en examinant avec promptitude le projet de loi S-10.
Je vais également lire le texte des amendements proposés, afin que les sénateurs en connaissent la teneur en vue de l'audition des témoins et de l'étude du projet de loi.
Que le projet de loi S-10, à l'article 1, soit modifié par adjonction, après la ligne 22, page 9, de ce qui suit:
Prise des empreintes digitales
(3) Dans le cas de l'ordonnance visée aux articles 196.14 ou 196.15 ou de l'autorisation visée à l'article 196.24, l'agent de la paix -- ou toute autre personne agissant sous son autorité -- peut également, aux fins de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, prendre les empreintes digitales de l'intéressé.
Le deuxième est le suivant:
Que le projet de loi S-10, à l'article 19, soit modifié:
a) par substitution, à la ligne 25, page 18, de ce qui suit:
19. (1) Le passage du paragraphe 487.06(1)
b) par adjonction, après la ligne 38, page 18, de ce qui suit:
(2) L'article 487.06 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (2), de ce qui suit:
Prise des empreintes digitales.
(3) Dans le cas de l'ordonnance visée aux articles 487.051 ou 487.052 ou de l'autorisation délivrée au titre des articles 487.055 ou 487.091, l'agent de la paix -- ou toute personne agissant sous son autorité -- peut également, aux fins de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, prendre les empreintes digitales de l'intéressé.
On vous distribue en ce moment même des exemplaires de ces propositions d'amendement.
Nous entendrons d'abord le lieutenant-colonel Couture.
Vous avez la parole.
Lieutenant-colonel Denis Couture, directeur du Service d'avocats de la Défense, Bureau du juge-avocat général adjoint/Opérations, ministère de la Défense nationale: Honorables sénateurs, en guise d'introduction, je signale que je travaille au Bureau du juge-avocat général depuis environ 23 ans. Je m'occupe du dossier des avocats de la défense dans les Forces armées canadiennes depuis une dizaine d'années.
J'occupe maintenant le nouveau poste de directeur du Service d'avocats de la défense, dont la création découle du projet de loi C-25. Les honorables sénateurs sont au courant de ce projet de loi. J'occupe ce poste depuis environ dix ans. Mon travail m'amène à m'occuper des intérêts des membres des Forces canadiennes, surtout ceux qui font face à des mesures disciplinaires ou qui sont visés par des enquêtes dans les Forces canadiennes.
J'ai deux fonctions principales. La première consiste à conseiller les genslors de rencontres en tête-à-tête ou au cours de consultations téléphoniques. À titre d'exemple, nous mettons les gens au courant de leur droit de retenir les services d'un avocat aux termes du paragraphe 10b) de la Charte.
La deuxième fonction consiste à représenter les personnes accusées devant la cour martiale, le cas échéant, au niveau de l'appel, des audiences de cautionnement et d'autres situations semblables qui exigent de comparaître devant un tribunal accompagné de son avocat.
Le projet de loi S-10 a des répercussions sur nos activités en ce sens que, dans le cadre de nos fonctions, nous devons tenir compte de cette nouvelle mesure législative et être pleinement informés des nouvelles lois applicables. Celle-ci s'appliquera dans une mesure limitée, d'après l'expérience passée. Il n'en demeure pas moins que les autres avocats et moi-même devons bien connaître les dispositions du projet de loi S-10 et en tenir compte quand nous conseillons et représentons des clients.
Je ne suis pas expert dans l'élaboration des politiques ni dans la rédaction des lois, mais je suis un avocat plaidant et je me ferai un plaisir d'essayer de vous aider. Je suis heureux que l'on ait invité les avocats de la défense des Forces canadiennes à témoigner devant le comité.
La présidente: Les Forces armées ont-elles de l'expérience pour ce qui est d'utiliser l'ADN pour prouver qui a commis un crime?
Lcol Couture: Pas à ma connaissance. J'en ai discuté avec des collègues avant la réunion. Que je sache, ni le SNE ni aucun autre service de la police militaire n'en a jamais fait l'expérience. Je ne me rappelle pas avoir jamais avisé qui que ce soit sur cette question. Par exemple, l'article 487 est en vigueur depuis 1985. Pendant cette période, j'ai occupé un poste semblable à celui que j'occupe actuellement. Je n'ai jamais avisé quiconque sur le prélèvement d'échantillons, et mes avocats ne l'ont pas fait non plus à ma connaissance. Par conséquent, notre expérience en la matière est limitée. Je ne saurais dire si nos employés ont reçu la formation voulue. Il se peut fort bien qu'ils l'aient reçue.
La présidente: Je poserai la question au témoin suivant.
Le sénateur Beaudoin: Vous faites partie de la magistrature des forces armées?
Lcol Couture: Je ne suis pas juge, mais je fais partie du système juridique à titre d'officier défenseur.
Le sénateur Beaudoin: On dit ici que vous êtes avocat de la défense; or, la défense est fondamentale en droit criminel.
Lcol Couture: En effet.
Le sénateur Beaudoin: Vous travaillez dans ce domaine.
Lcol Couture: Je fais les cours martiales en tant que cours criminelles ou bien au niveau de l'appel.
Le sénateur Beaudoin: Nous avons consacré beaucoup de temps à la cour martiale et je pense que nous avons considérablement amélioré le système. Je m'en réjouis.
Quel usage faites-vous actuellement de l'ADN? Est-ce entièrement nouveau, ou bien s'en servait-on auparavant?
Lcol Couture: À ma connaissance, on s'en est très peu servi. Je n'ai encore jamais participé à une affaire dans laquelle on a utilisé l'ADN.
Il y a de nombreuses années, j'ai été avocat de la défense en Allemagne dans une affaire où il y avait eu prélèvement d'échantillons, mais ce sont les autorités allemandes qui s'en étaient occupé. On n'a pas utilisé l'ADN à ce moment-là et, à ma connaissance, on ne l'a jamais fait non plus au cours des dix dernières années.
Le sénateur Beaudoin: À votre connaissance, votre système est-il très sûr? Je veux parler des données sur l'ADN et des échantillons qui sont présentés devant les cours martiales. Que faites-vous des pièces à conviction? Existe-t-il un système?
Lcol Couture: Il y a un système en place, mais pas pour l'ADN, parce que nous ne nous en sommes jamais servi. Pour ce qui est de la sécurité des pièces à conviction, nos juges de cours martiales se déplacent accompagnés de sténographes judiciaires, auxquelles on confie la garde des éléments de preuve, lesquels sont conservés à Ottawa, sous l'autorité des juges.
Le sénateur Beaudoin: La cour ne siège pas toujours à Ottawa.
Lcol Couture: Non.
Le sénateur Beaudoin: Elle peut siéger par exemple en Allemagne.
Lcol Couture: C'est exact. En général, une cour martiale tient audience là où le besoin s'en fait sentir. Une infraction peut être commise à Cold Lake, après quoi un procès peut avoir lieu en Bosnie, peut-être à la suite d'une infraction.
Le sénateur Beaudoin: Vous accompagnez la cour dans ses déplacements?
Lcol Couture: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Vous travaillez dans le domaine disciplinaire?
Lcol Couture: En effet.
Le sénateur Beaudoin: Est-ce que les Canadiens sont les seuls à pouvoir comparaître devant le tribunal?
Lcol Couture: Pas nécessairement. Il est possible qu'un étranger soit convoqué à titre de témoin. Par exemple, si un Croate en Bosnie ou un Allemand en Allemagne était témoin d'un incident, cette personne serait assignée à comparaître par la poursuite ou par la défense. Mais en général, tous les intéressés sont des Canadiens.
Le sénateur Beaudoin: Surtout l'accusé.
Lcol Couture: Surtout l'accusé.
Le sénateur Beaudoin: Vous avez dit que des personnes d'autres pays pouvaient comparaître à titre de témoins.
Lcol Couture: C'est juste. Nous n'avons pas juridiction sur ces gens-là.
Le sénateur Beaudoin: Vous n'avez pas juridiction sur une personne qui n'est pas un soldat canadien.
Lcol Couture: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Vous avez dit que le système d'ADN vient juste d'être mis en place à la Défense nationale.
Lcol Couture: Des amendements sont apportés au projet de loi S-10 pour faire en sorte que la Loi sur la défense nationale soit semblable à ce que l'on a proposé pour le Code criminel. Une disposition d'une portée limitée existe depuis 1995 aux termes de l'article 487, mais elle n'a pas été tellement utilisée, du moins à ma connaissance.
Il faut comprendre que nous avons affaire à un groupe restreint de personnes. Il semble que les activités criminelles soient quelque peu différentes et beaucoup plus limitées chez nous que parmi les civils.
Le sénateur Beaudoin: Combien d'affaires avez-vous par année?
Lcol Couture: Ces dernières années, nous en avons eu 40 en moyenne. Cette année, c'est plus près de 50. Je crois que nous en sommes probablement à 48 cas à ce jour. Je parle des affaires dont la cour martiale est saisie.
Le sénateur Beaudoin: Vous avez une cour de première instance, nommément la cour martiale, et aussi une cour d'appel?
Lcol Couture: En fait, il y a quatre catégories de cours martiales. Ce sont toutes des cours de premier niveau, de première instance, si vous voulez. À partir de là, on peut interjeter appel à la Cour d'appel de la cour martiale, qui est formée d'un certain nombre de juges de la Cour fédérale ou des cours supérieures de diverses instances. Ensuite, on peut faire appel devant la Cour suprême du Canada, si jamais le besoin s'en fait sentir -- c'est arrivé à quelques reprises au fil des ans.
Le sénateur Moore: Je veux donner suite à une question posée par le sénateur Beaudoin. Dans l'éventualité où l'échantillon d'ADN est prélevé dans une affaire en Bosnie, que pouvez-vous nous dire au sujet de la sécurité de cet échantillon dans ce cadre? Je peux comprendre que si l'affaire a lieu au Canada, l'échantillon est déposé dans un endroit sûr ici. Utilisez-vous à cette fin le même service que la GRC? Que feriez-vous dans le cas d'une affaire qui aurait lieu en terre étrangère?
Lcol Couture: J'ai une réponse assez simple à cela: je l'ignore. Je ne sais pas. Je suppose que ce serait établi par règlement. Je n'en suis pas sûr. Au bout du compte, les échantillons aboutiraient toutefois à la GRC, aux termes des dispositions du Code criminel, qui sont parallèles à celles de la LDN.
Le sénateur Moore: Nous avons d'autres témoins à qui nous pouvons poser cette question, je me demandais seulement si vous pouviez nous donner ce renseignement.
Lcol Couture: Je ne peux que faire des conjectures. Je suis certain que l'on pourrait établir une méthode quelconque. Nous avons du personnel médical, ce qui ouvre diverses possibilités. Toutefois, ce n'est pas moi qui serait chargé de m'en occuper.
La présidente: Peut-être bien qu'il ne convient pas de confier la garde de ce type particulier d'éléments de preuve aux sténographes judiciaires.
Le sénateur Fraser: Ce projet de loi, dans la mesure où il s'applique aux militaires, établit essentiellement le nouveau système de tenue de dossiers. Ce système sera administré par les autorités de la police civile. La banque de données génétiques sera administrée par la GRC. Je me demande dans quelle mesure le système de justice militaire est intégré ou fait appel aux dossiers civils pour mener à bien ses affaires? La mise en <#0139>uvre de cette mesure exigera-t-elle un changement administratif? En particulier, cela exigera-t-il que les militaires modifient leur culture pour collaborer aussi étroitement avec des civils?
Lcol Couture: Le Commander Price est responsable de la poursuite. Il fait actuellement la liaison avec les autorités civiles, c'est-à-dire les procureurs, les avocats de la poursuite ou la police civile. Je sais qu'il existe actuellement des rapports étroits entre les services juridiques des forces armées, des provinces et du fédéral. De plus, il y a une liaison avec la police, dans une certaine mesure.
Quant à savoir ce qui sera nécessaire, je ne me sens pas vraiment qualifié pour le dire. Mais je n'entrevois pas vraiment de problème de ce côté. Je sais qu'il y a échange de renseignements.
Le sénateur Fraser: Les dossiers peuvent aussi être utiles pour la défense. Nous savons par exemple que les affaires les plus médiatisées et mettant en cause l'ADN au Canada se sont terminées par des acquittements; en fait, on avait invalidé les verdicts de culpabilité rendus antérieurement et qui s'étaient révélés faux.
Entrevoyez-vous la possibilité que cet outil soit utilisé régulièrement quand vous défendez des clients impliqués dans des affaires graves?
Lcol Couture: Absolument. Dans cette mesure, la législation sur la divulgation qui s'applique aux procès criminels civils s'applique également dans le domaine miliaire. En tant qu'avocat de la défense, nous avons accès à cette information. Je crois que la mesure à l'étude stipule quelque part que, par exemple, l'on pourrait faire faire une analyse indépendante de l'échantillon de la personne accusée. En tant qu'avocat, nous aurions cette possibilité.
Pour ce qui est de l'accès à l'information du point de vue de la défense, nous serons exactement dans la même position que tout avocat civil qui défend un accusé dans un procès criminel très médiatisé.
Le sénateur Fraser: Vous avez dit qu'à votre connaissance, l'ADN n'a jamais été invoquée en preuve dans une seule affaire dans le système militaire.
Lcol Couture: En effet.
Le sénateur Fraser: Êtes-vous au courant de cas quelconques où un intimé peut avoir cherché à présenter un échantillon d'ADN en preuve, comme on l'a vu dans les affaires civiles auxquelles j'ai fait allusion?
Lcol Couture: Non. Je ne vois aucune affaire semblable à l'affaire Milgaard, par exemple. Il n'y a pas eu d'affaire de ce genre dans les forces armées. Ce sont des cas extrêmes. Je n'ai jamais entendu parler non plus d'une affaire où, par exemple, quelqu'un communiquerait avec la défense pour dire: «J'ai ici un élément de preuve qui pourrait être utile». Rien de tel n'est jamais arrivé.
Le sénateur Fraser: Autrement dit, vous n'êtes au courant d'aucune affaire qui pourrait être perçue comme un déni de justice parce que l'on aurait refusé le test de l'ADN?
Lcol Couture: Non. À ma connaissance, il n'y a eu aucune affaire faisant intervenir l'ADN, judicieusement ou non.
Le seul cas dont j'ai eu connaissance est celui dont j'ai parlé tout à l'heure. C'était il y a quelques années; on avait envisagé d'y avoir recours, mais les tests n'ont jamais été complétés.
Le sénateur Joyal: Je m'excuse auprès du témoin, madame la présidente, mais je voudrais signaler quelque chose.
Quand je suis arrivé à la réunion, j'ai lu la lettre que le ministre vous a envoyée, madame la présidente, à la suite de son témoignage devant le comité. Je constate une importante différence entre les versions française et anglaise, au paragraphe 2 de la lettre. Dans le texte anglais, qui semble toucher de très près le point que nous avons soulevé ici même -- j'ai été l'un des sénateurs qui ont soulevé la question à notre dernière réunion -- on lit ceci:
I am pleased to accept the Committee's recommendation to amend the draft regulations to specify that the RCMP Commissioner's Annual Report will provide a review of the DNA caselaw over the preceding year.
C'est un point très important. Par contre, la version française dit ceci:
[Français]
Je suis heureux d'accepter la recommandation du comité visant à modifier le projet de règlement afin qu'il précise que le rapport annuel du commissaire de la GRC doit contenir un examen des analyses génétiques menées au cours de l'année précédente.
Il ne s'agit pas d'un examen des analyses, mais d'un examen des causes impliquant la prise d'empreintes génétiques.
[Traduction]
Je pense que nous devrions communiquer avec le bureau du ministre pour tirer au clair ce petit problème de traduction, car c'est très important. C'est une question fondamentale que nous avons soulevée et le ministre a accepté de modifier le règlement. La lettre devrait refléter ses intentions.
Le sénateur Fraser: Je voudrais apporter une précision. Je soupçonne que c'est la version anglaise qui est la bonne. L'engagement que les fonctionnaires ont pris ici même portait sur la jurisprudence. Je ne crois pas que cela nous posera de problème.
La présidente: C'est le texte de la version anglaise que j'ai lu et qui est consigné au compte rendu. Nous obtiendrons des éclaircissements par écrit au sujet de la version française.
Le sénateur Joyal: Je vous en serais reconnaissant, madame la présidente.
La présidente: Ce projet de loi autorisera le prélèvement d'échantillons en vue de l'analyse génétique de personnes reconnues coupables d'infractions primaires et aussi, peut-être, d'infractions secondaires. Les infractions secondaires comprennent notamment les actes de violence envers un supérieur, les mauvais traitements imposés à un subalterne et la négligence dans la manutention de matières dangereuses. À votre avis, convient-il que ces infractions débouchent sur l'inclusion dans la banque de données génétiques?
Lcol Couture: Je les ai examinées attentivement et les ai comparées à celles prévues au Code criminel. L'intention déclarée est que, en plus des infractions prévues au Code criminel et qui sont visées par l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, il y a d'autres infractions qui sont d'égale gravité. J'ai examiné attentivement cette liste. À mon avis, c'est raisonnable. Ce sont des infractions qui sont dans la même ligue, si je peux me permettre cette expression, que celles qui sont qualifiées d'infractions secondaires.
J'ai lu quelque part que l'infraction aux termes de l'alinéa 107a) consiste à «mettre en danger un aéronef», ce qui n'est pas une bonne description. En fait, l'infraction aux termes de l'alinéa 107a) consiste à mettre en danger une personne à bord d'un aéronef. C'est le lien nécessaire qui m'avait échappé. Si jamais vous voyez cette description abrégée de cette disposition, sachez qu'elle n'est pas tout à fait exacte. Toutefois, à cette réserve près, je suis d'avis que ces infractions sont dans la même catégorie que celles prévues dans le Code criminel.
La présidente: Violence envers un supérieur?
Lcol Couture: C'est l'équivalent des voies de fait.
La présidente: Faudrait-il en ajouter d'autres, à votre avis?
Lcol Couture: Franchement, je n'ai jamais examiné la question dans l'optique d'ajouter des infractions. Je dirais toutefois, très sérieusement, que je connais très bien les diverses infractions pouvant donner lieu à l'analyse génétique. Je trouve que cela correspond bien. Dès que l'on accepte le principe des infractions primaires, secondaires, et cetera, je crois que c'est un équivalent juste.
Le sénateur Joyal: J'ai deux questions découlant de questions précédentes. Pour donner suite à votre question, madame la présidente, je me demande si le témoin peut nous dire combien de cas, du nombre total de cas qui passent par la justice militaire, d'après la définition de l'infraction qui figure dans ce projet de loi, feraient l'objet d'un prélèvement d'échantillon d'ADN. Autrement dit, de toutes les catégories d'infractions qui font normalement l'objet d'une procédure dans le système de justice militaire, combien donnent effectivement lieu au prélèvement d'échantillons d'ADN? Ce renseignement nous aiderait à jauger l'importance de cette mesure en termes de changement à la procédure.
Ma deuxième question fait suite à une question posée par le sénateur Moore au sujet de la sécurité de l'échantillon d'ADN. Je comprends que le témoin n'est probablement pas en mesure d'y répondre pleinement, ce qui ne veut pas dire que nous devrions laisser la question en suspens. Je me demande si le comité pourrait voir quel témoin pourrait être convoqué devant nous pour nous dire ce qu'il en est de l'échantillon prélevé à l'étranger et entreposé. Nous savons que des armes sont parfois saisies à l'étranger et sont ensuite perdues ou volées, surtout lorsqu'il y a des victimes en temps de guerre. Il faut se pencher sur la question de la sécurité de l'échantillon d'ADN. On ne peut plus éluder la question, il faut aller au fond des choses.
La présidente: C'est important. Le Grand prévôt comparait devant nous aujourd'hui à 18 heures. Je m'excuse auprès des sénateurs, mais elle ne pourra pas venir avant 18 heures. Elle pourra certainement répondre à certaines de ces questions. On suppose que c'est elle qui sera chargée de mettre le système sur pied.
Lcol Couture: Quand j'ai dit que je ne le savais pas, je voulais dire que je ne savais pas quelles procédures ont été mises en place. C'est une question de police, une procédure d'enquête.
Pour revenir à votre première question, je sais que le commander McGuire a fourni des renseignements au comité -- en tout cas, je crois qu'il l'a fait -- au sujet des affaires d'infractions primaires désignées entre 1995 et 1997. Le commander McGuire est responsable de la justice militaire et il est donc bien placé pour être au courant de la question. Je le serais aussi si j'avais fait la recherche.
Il y a deux cas d'exploitation sexuelle et huit cas d'agressions sexuelles. Pour les infractions secondaires désignées, il y a eu deux cas d'action indécente, et huit cas de voies de fait simples.
Dans un cas, une personne a été accusée à la fois d'une infraction primaire et d'une infraction secondaire désignée. L'affaire a été rangée seulement dans la catégorie des infractions primaires désignées.
La présidente: Il y a donc eu 20 cas, à moins que d'autres ne viennent s'y ajouter.
Lcol Couture: C'est bien cela -- sur la période de trois ans comprenant les années 1995, 1996 et 1997. J'ai peut-être dit une période de deux ans; je m'en excuse.
Je voudrais ajouter que cela s'applique seulement aux affaires qui auraient été admissibles, qui respectent le critère établi.
Je peux affirmer que, de ces affaires, un certain nombre -- bien qu'il soit difficile de faire des conjectures -- auraient fait l'objet d'une exemption, mais c'est difficile à dire.
La présidente: Nous avons donc au maximum 20 cas sur trois ans.
Lcol Couture: Oui, d'après ces chiffres qui me semblent très réalistes, et je suis la situation de près.
Le sénateur Ghitter: On vient de répondre à la première question que je voulais poser, et je vous en remercie.
Ma deuxième question découle en fait de mon ignorance, car j'ignore comment fonctionnent les tribunaux militaires et où résident les juges. Sont-ils en poste à Ottawa, d'où ils rayonnent, ou bien sont-ils répartis un peu partout au pays?
Lcol Couture: À l'heure actuelle -- que je sache, on ne prévoit pas de changement à cet égard -- il y a trois juges, tous nommés par décret du conseil. Ils habitent à Ottawa, mais se déplacent selon les besoins. Un juge peut se trouver à Halifax pendant une semaine pour présider un procès, après quoi il rentre à la maison pour une fin de semaine avant de repartir pour la Bosnie pour une semaine ou deux, ou bien il peut entendre une affaire à Ottawa.
Le sénateur Ghitter: S'il surgissait en Bosnie une situation donnant lieu à l'application de cette mesure et si l'on demandait alors un mandat pour prélever un échantillon, et si le juge se trouvait au Canada, comment ferait-on sur le plan de la procédure?
Lcol Couture: Vous soulevez une question de juridiction. Je pense que l'une des raisons pour lesquelles on cherche à établir des dispositions semblables dans la Loi sur la défense nationale est que les juges de cour provinciale, par exemple, n'ont pas de juridiction extraterritoriale, contrairement à ce qui se passe dans le cas de certaines affaires aux termes du Code criminel. Je crois que le problème des limites territoriales peut se poser. Aux termes de ce projet de loi, les juges auraient juridiction sur le soldat même à l'étranger et ce sont les juges militaires qui autoriseraient le mandat.
Le sénateur Ghitter: La demande de mandat pourrait-elle se faire par téléphone? Le juge n'aurait pas besoin d'aller en Bosnie simplement pour le mandat, n'est-ce pas?
Lcol Couture: Cela pourrait se faire par téléphone ou par télécopieur, comme il est précisé dans le code et dans la loi. On peut supposer que cela se ferait de vive voix, si l'enquêteur se trouvait au Canada, avant qu'il ne retourne à l'étranger ou qu'il y soit envoyé. On peut imaginer un certain nombre de scénarios, mais le juge militaire aurait cette juridiction extraterritoriale qui n'est pas conférée au juge d'une cour provinciale.
Le sénateur Ghitter: Tous les juges militaires ont une formation juridique? Ce sont des avocats?
Lcol Couture: Oui.
La présidente: A-t-on d'autres questions à poser à ce témoin?
Comme il n'y en a pas, je vous remercie pour votre témoignage d'aujourd'hui.
Notre témoin suivant est le commander James Price.
Le commander James Price, directeur adjoint des poursuites judiciaires militaires, Bureau du juge-avocat général adjoint/Opérations, ministère de la Défense nationale: Honorables sénateurs, je voudrais vous faire un bref historique de ma direction, qui est entrée en activité seulement le 1er septembre 1999. Notre direction a été créée par le projet de loi C-25.
Avant le 1er septembre, la convocation des cours martiales relevait de la chaîne de commandement. Les officiers supérieurs de la chaîne de commandement convoquaient les tribunaux et supervisaient techniquement les poursuites intentées contre des personnes. Le projet de loi C-25 a changé tout cela le 1er septembre, date à compter de laquelle les accusations devant être entendues par la cour martiale sont portées par la Direction des poursuites judiciaires militaires et la cour martiale relève entièrement de nous.
Nous avons donc fait un virage de quasiment 180 degrés, en ce sens que nous avons maintenant un processus de renvoi et la chaîne de commandement nous fait des recommandations sur les suites que nous devrions donner aux accusations qu'on nous envoie. Bien que nous ayons le dernier mot dans la décision d'intenter des poursuites dans un cas donné, nous prenons bien sûr très au sérieux les recommandations qui émanent de la chaîne de commandement, car notre objectif, après tout, est de faire régner la discipline dans les Forces canadiennes.
Notre service des poursuites comprend dix avocats de la force régulière et quatre réservistes. Nous avons un procureur régional à Halifax, un à Valcartier, un à Edmonton et deux à Ottawa, plus quelques remplaçants à Ottawa. La raison pour laquelle nous sommes aux endroits que je viens d'énumérer, c'est que nous voulions partager les locaux du Service national des enquêtes. Vous savez peut-être que ce service est en fait le service des enquêtes de la police militaire. Les membres de ce service sont différents du reste de la police militaire en ce sens qu'ils relèvent directement du Grand prévôt et, deuxièmement, contrairement aux autres agents de police militaire, ils sont habilités à porter des accusations, pouvoir qu'ils possèdent depuis septembre 1997.
En plus d'être des procureurs, nous sommes les conseillers juridiques du Service national des enquêtes. Ces derniers nous consultent habituellement au sujet des mandats, par exemple. Nous avons aussi mis en place un processus d'examen préalable à l'accusation. Ils sont tenus de nous soumettre les accusations qu'ils se proposent de porter et d'obtenir notre avis au moment de déterminer si la preuve peut étayer la conviction qu'une infraction a été commise. Cette responsabilité envers le SNE est importante pour nous en tant que procureurs, parce qu'ils sont eux-mêmes un service novice, ayant été créé dans la foulée du rapport de M. le juge Dickson, tout comme c'est le cas de notre service.
Pour ce qui est de ma participation au projet de loi sur la banque de données génétiques, je fais partie depuis quelques mois d'un comité mixte. M. Zigayer préside ce comité, qui est formé de représentants de chaque province et des ministères fédéraux intéressés. Je suis membre de ce groupe. Nous avons des conférences téléphoniques à peu près chaque mois ou tous les deux mois.
Nous examinons des lignes directrices en vue d'établir des politiques relatives aux poursuites éventuelles mettant en cause la banque de données génétiques. À l'occasion, nous chercherions à obtenir une ordonnance pour une infraction secondaire désignée, par exemple. M. Zigayer dirige le groupe, qui comprend aussi diverses personnes qui ont accepté de rédiger bénévolement des documents, etc. À l'instar des autres juridictions, nous nous doterons d'une politique sur l'utilisation de la banque de données. Dans la mesure du possible, nous avons l'intention d'établir un système parallèle à celui qui existe dans d'autres ressorts.
Le sénateur Beaudoin: J'ai deux questions. La première porte sur le rapport Dickson et la deuxième, sur les différents niveaux des cours militaires.
Il y a quelque temps, plusieurs témoins ont comparu devant nous et nous ont parlé du rapport Dickson et de ses recommandations sur le système militaire au Canada. Dois-je comprendre que presque tout ce que préconisait l'ancien juge en chef Dickson a été réalisé?
Cdr Price: À ma connaissance, presque toutes les recommandations ont été mises en oeuvre.
Le sénateur Beaudoin: C'est un très bon rapport. Vous dites que, de façon générale, il a été mis en oeuvre.
Cdr Price: Oui.
Le sénateur Beaudoin: J'ai demandé à M. Couture combien de niveaux il y a dans le système judiciaire militaire. Je me rappelle qu'il a dit que l'on peut faire appel à la Cour suprême du Canada. Est-ce direct? Il y a le premier niveau, puis la cour d'appel, et ensuite on en appelle directement à la Cour suprême ou à la Cour fédérale?
Cdr Price: Oui, et le colonel Couture se fondait sur une expérience récente puisqu'il vient de plaider devant la Cour suprême où il a eu gain de cause. Nous avons une Cour d'appel de la cour martiale et nous, la poursuite, ou bien une personne accusée ou reconnue coupable peut interjeter appel devant la Cour d'appel de la cour martiale. Elle est généralement formée de juges de ressort fédéral siégeant à la Cour fédérale et aux cours suprêmes des provinces. On peut interjeter appel des décisions de cette cour d'appel en s'adressant à la Cour suprême du Canada. En cas de dissidence, comme c'était le cas dans l'affaire dont s'occupait le colonel Couture, on a le droit d'en appeler directement à la Cour suprême du Canada.
Le sénateur Beaudoin: La première cour d'appel n'est pas la Cour suprême, mais plutôt une cour civile.
Cdr Price: C'est une cour qui est établie dans la loi qui nous régit, la Loi sur la défense nationale, mais les juges de cette cour sont des juges nommés par le fédéral tirés de la Cour fédérale de façon ponctuelle et aussi des cours suprêmes provinciales. Ils siègent habituellement à la Cour fédérale, soit à la Division de première instance, soit à la Division d'appel. Le juge Strayer peut convoquer un quorum de trois juges pour entendre nos appels. Il choisit parmi un groupe de 52 ou 53 juges.
Le sénateur Beaudoin: Après cette instance, on s'adresse à la Cour suprême du Canada.
Cdr Price: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Il faut obtenir l'autorisation pour en appeler à la Cour suprême du Canada.
Cdr Price: Non, le droit d'appel est automatique si l'un des trois juges est dissident.
Le sénateur Beaudoin: S'il y a dissidence à la cour d'appel, on peut en appeler directement à la Cour suprême, sans autorisation?
Cdr Price: Selon le système actuel, oui.
Le sénateur Cools: Combien d'affaires la Cour d'appel de la cour martiale, dont M. le juge Strayer est le chef, entend-elle par année?
Cdr Price: Je dirais entre 20 et 25, ce qui est très peu, compte tenu du nombre de cours martiales; il y en a eu 50 cette année. Je crois que nous avons probablement eu près d'une vingtaine d'appels.
Le sénateur Cools: Ce nombre est-il en hausse par rapport aux années précédentes? Il me semble que la dernière fois que j'ai examiné la question, nous étions saisis d'un projet de loi visant à créer un nouveau poste et à faire du juge en chef de la cour martiale un membre du conseil de la magistrature. C'était très compliqué. Il me semble qu'à ce moment-là, on nous a dit qu'il y en avait huit ou dix par année. C'était moins de dix.
Cdr Price: Je soupçonne que le nombre augmente. L'un des changements qui ont été apportés à l'équipe d'avocats de la défense dirigée par le colonel Couture est que ceux-ci interjettent maintenant appel devant la Cour d'appel de la cour martiale au nom des personnes accusées. Auparavant, les gens reconnus coupables devant la cour martiale et qui souhaitaient s'adresser à la Cour d'appel de la cour martiale devaient payer eux-mêmes leur avocat. L'équipe d'avocats de la défense dirigée par le colonel Couture a maintenant été renforcée, de sorte que les militaires peuvent obtenir gratuitement les services d'un avocat pour porter leur cause en appel.
Le sénateur Cools: Je m'étonne qu'il n'y en ait pas plus que 20.
Madame la présidente, la convocation de la réunion d'aujourd'hui indiquait que nous devons entendre des témoins du juge-avocat général adjoint, et je me suis gratté la tête en me demandant ce que pouvait bien être le «juge-avocat général adjoint». Notre aimable recherchiste a précisé que c'est une erreur, que l'avis devrait plutôt dire le «bureau du juge-avocat général».
La présidente: Nous avons mis le mot «adjoint» au mauvais endroit.
Le sénateur Cools: J'ai quelques questions au sujet des relations constitutionnelles entre le juge-avocat et le procureur général du Canada. Quelles sont ces relations?
Cdr Price: Madame le sénateur, je ne crois pas qu'il y en ait.
Le sénateur Cools: Je peux vous assurer qu'il y a une relation.
Cdr Price: Il est nommé par décret du Conseil. Le juge-avocat général relève du ministre de la Défense nationale. En un sens, il est comme qui dirait le procureur général de notre système judiciaire militaire.
Le sénateur Cools: D'après moi, il n'est pas «comme qui dirait le procureur général». Sauf erreur, le juge-avocat est bel et bien le procureur général des militaires. Si vous n'en êtes pas certain, vous pouvez nous faire parvenir des renseignements. Mais si je ne me trompe pas, le juge-avocat est bel et bien l'un des avocats de la Couronne, parallèlement au procureur général et au solliciteur général. Je suis curieuse de savoir comment ça fonctionne maintenant.
Cdr Price: C'est peut-être une façon de décrire son poste, de dire qu'il est procureur général, en ce sens qu'il supervise le système judiciaire militaire, mais cette description n'est pas utilisée dans la Loi sur la défense nationale.
Le sénateur Cools: Cela remonte presque aux origines de la Constitution. Les termes ne sont plus utilisés, et il est donc évident que le procureur général est sorti vainqueur des luttes de pouvoir qui se livrent dans ce domaine. D'après ce que je sais de l'histoire des relations constitutionnelles pour ce qui est de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'intenter des poursuites, le juge-avocat et, sauf erreur, le Grand prévôt, étaient autrefois des agents de la Couronne au même titre que les autres.
Cdr Price: Je n'ai pas les connaissances historiques qui me permettraient de vous dire quelle est l'origine du titre «juge-avocat général». Il est certain que cette fonction existe également dans d'autres pays. Comme vous le dites, les origines de tout cela sont probablement fascinantes.
À l'heure actuelle, notre loi stipule qu'il supervise le système judiciaire militaire. Quant à ses relations avec nous, les procureurs, il peut nous guider dans des affaires individuelles, mais les conseils qu'il nous donne doivent être rendus publics.
Le sénateur Cools: Par exemple, si le juge-avocat exerce son pouvoir discrétionnaire de poursuivre et décide d'intenter des poursuites contre un militaire, et si, pour quelque raison que ce soit, le procureur général du Canada décide qu'il n'y a pas lieu d'intenter des poursuites, quelle opinion l'emporterait? La question se poserait dans des affaires faisant l'objet d'une très grande notoriété ou bien mettant en cause des considérations de sécurité nationale de la plus haute importance. Je suis curieuse de voir quelle opinion l'emporterait.
Cdr Price: Je ne suis pas certain que le procureur général du Canada a des liens directs avec le juge-avocat général. Chose certaine, il pourrait s'adresser au ministre de la Défense nationale dans certains cas extrêmes, si l'on avait le sentiment que nous étions en train de commettre une grave erreur. Il pourrait sans doute tout au moins demander au juge-avocat général de nous donner l'ordre à nous, les procureurs, de ne pas intenter de poursuites dans une affaire en particulier. Cela peut se faire; l'avis doit toutefois être rendu public.
Le sénateur Cools: D'après moi, l'opinion du juge-avocat général l'emporterait. C'est un point intéressant.
La présidente: C'est peut-être intéressant pour vous, sénateur Cools, mais nous avons consacré pas mal de temps à l'histoire du bureau du juge-avocat général quand nous avons étudié le projet de loi C-25. Je vous invite donc à lire le compte rendu de nos délibérations à ce sujet.
Le sénateur Cools: Je suis tout à fait nouvelle à ce comité. Quelqu'un vient de me remettre copie du projet de loi C-25, qui modifiait la Loi sur la défense nationale. Le paragraphe 9.2(1) dit clairement que le juge-avocat général exerce son autorité sur tout ce qui touche à l'administration de la justice militaire au sein des Forces canadiennes. C'est donc dans la loi. On voit très clairement quelle opinion l'emporterait.
Le sénateur Fraser: Commander Price, je voudrais vous poser une question semblable à celle que j'ai posée à votre collègue, au sujet de la culture, des pratiques et des habitudes actuelles. Est-on maintenant raisonnablement habitués dans vos services à traiter avec le système des dossiers civils pour les empreintes digitales ou les casiers judiciaires ou quoi que ce soit?
Cdr Price: Non. L'une des initiatives que nous avons prises et qui est actuellement en cours vise à modifier la Loi sur l'identification des criminels. Cela permettrait d'inscrire les infractions aux lois militaires dans le système CIPC, car elles ne le sont pas actuellement et devraient l'être, à mon avis, dans certains cas. C'est une lacune qui nous nuit et à laquelle nous allons remédier.
Le sénateur Fraser: Cela fonctionnerait-il également dans l'autre sens, c'est-à-dire que quelqu'un qui a commis une infraction militaire ne réussirait pas à se faufiler une fois revenu à la vie civile?
Cdr Price: En effet.
Le sénateur Fraser: Et si quelqu'un, après avoir commis une infraction civile, s'enfuyait, pour ainsi dire, dans les forces armées? Iriez-vous automatiquement faire une recherche dans le CIPC?
Cdr Price: Oui.
Le sénateur Fraser: Vous pouvez le faire et vous le faites?
Cdr Price: Oui.
Le sénateur Fraser: Vous attendez-vous à ce que l'ajout de la banque de données génétiques soit un outil utile? Je sais bien que les cas ne sont pas nombreux, mais le cas échéant, prévoyez-vous utiliser beaucoup cet outil?
Cdr Price: C'est très utile d'y avoir accès et que des échantillons de l'ADN des délinquants soient déposés dans la banque, dans les cas pertinents. Nous sommes capables de mener des procès sur des infractions graves dans les forces armées. Pour la catégorie des infractions primaires, et peut-être aussi pour certaines infractions secondaires, il est tout à fait justifié de les inclure dans la banque de données.
Le sénateur Fraser: Êtes-vous satisfait de la liste des infractions primaires et secondaires? Y en a-t-il qui devraient à votre avis être ajoutées ou retranchées?
Cdr Price: Non. J'ai examiné la liste et elle me semble complète. Nous avons prévu toutes les infractions dans notre système qui sont analogues à celles prévues dans le Code criminel.
Le sénateur Fraser: En réponse à une question antérieure, on a laissé entendre que le fait de frapper un supérieur ou, je le suppose, un subordonné, serait à peu près l'équivalent des voies de fait. Je suppose que la raison pour laquelle cette infraction figure dans la liste, c'est que quelqu'un qui frapperait un supérieur serait poursuivi aux termes de cet article militaire plutôt qu'au titre de la catégorie générale des voies de fait?
Cdr Price: C'est bien cela. Dans notre contexte, frapper un supérieur est plus grave qu'une simple infraction de voies de fait. Si un simple soldat frappe un officier, il est habituellement accusé de violence envers un supérieur, mais c'est aussi une infraction de voies de fait.
Le sénateur Fraser: On a discuté tout à l'heure de l'étendue de la juridiction du Code de discipline militaire. Qu'en est-il des employés civils à l'étranger qui travaillent pour les Forces armées canadiennes mais qui ne sont pas canadiens?
Cdr Price: Nous n'avons pas juridiction sur ces gens-là.
Le sénateur Fraser: Par conséquent, si l'un de ces employés devenait fou furieux et tuait quelqu'un au bureau, c'est la police locale qui serait saisie de l'affaire?
Cdr Price: Oui.
Le sénateur Fraser: Je suppose que vous apporteriez votre collaboration en fournissant les dossiers et autres renseignements?
Cdr Price: Oui.
Le sénateur Cools: Je voudrais apporter une précision au sujet du projet de loi C-25, qui a été adopté par le comité il y a quelques mois. J'ai cité tout à l'heure le paragraphe 9.2(1).
L'article 9.1 de la Loi sur la défense nationale, qui a été ajouté à la loi en conséquence du projet de loi C-25, stipule clairement que:
Le juge-avocat général agit à titre de conseiller juridique du gouverneur général, du ministre, du ministère et des Forces canadiennes pour les questions de droit militaire.
Par ailleurs, la loi stipule aussi clairement que le juge-avocat général exerce son autorité sur tout ce qui touche à l'administration de la justice militaire.
Le sénateur Pearson: Ma question fait suite aux questions posées par le sénateur Fraser. Je m'intéresse à cette question parce que des soldats canadiens sont en poste à l'étranger; par conséquent, cela introduit une dimension complètement différente, par rapport à la législation canadienne. Cette dimension comprend notamment nos soldats qui sont en poste sous l'égide de l'ONU, et cetera.
Je suis curieuse de savoir comment votre juridiction s'applique. Prenons par exemple l'infraction de violence envers un supérieur. Supposons que l'infraction soit commise contre un officier supérieur d'un autre pays.
Cdr Price: Oui.
Le sénateur Pearson: Cela doit devenir très compliqué.
Cdr Price: Ce pourraient être des voies de fait simples, mais s'il s'agissait d'un officier d'un autre pays, ce pourrait être une circonstance aggravante.
Le sénateur Pearson: Je vois. C'est donc le crime qui détermine les poursuites, et non pas la personne contre laquelle le crime a été commis?
Cdr Price: Oui, mais ça dépend. Si l'un de nos soldats frappe un officier d'un autre pays, nous pourrions quand même porter contre lui des accusations de voies de fait simples.
Le sénateur Pearson: Je me reporte maintenant à l'affaire dans laquelle des soldats de maintien de la paix se sont livrés à des sévices sexuels contre des enfants dans le pays où ils étaient en poste. Je ne dis pas que des Canadiens ont fait cela, mais c'est toujours une possibilité, car nous savons que d'autres pays ont connu cette situation, notamment le Mozambique. Que ferions-nous en pareil cas? Là encore, la victime n'est pas citoyen canadien et le pays dans lequel l'infraction est perpétrée n'est pas le Canada.
Cdr Price: Nous avons quand même juridiction sur le soldat, et le Code criminel s'applique quand même à ce soldat. Une infraction au Code criminel est une infraction d'ordre militaire aux termes de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale. Nous intenterions certainement des poursuites contre une personne qui aurait commis un acte pareil.
Le sénateur Pearson: En pareil cas, auriez-vous besoin de la collaboration du pays où l'incident a eu lieu?
Cdr Price: C'est possible. Je dirige la poursuite le mois prochain en Allemagne dans une affaire où des ressortissants belges sont témoins. Je n'ai aucun moyen de forcer ces témoins à comparaître, je ne peux que leur demander dans l'intérêt de la justice d'être présents à notre audience. Je crois qu'ils seront présents, mais c'est parfois une difficulté à l'étranger.
Le sénateur Pearson: Si un soldat canadien, ou un membre des Forces canadiennes est en congé quelque part et commet un crime, que se passe-t-il alors? Je songe notamment au tourisme sexuel, lorsque des soldats en congé cherchent à se divertir, si l'on peut dire.
Cdr Price: Si l'affaire a lieu dans le théâtre d'opération, nous intenterons probablement des poursuites contre la personne en cause, parce qu'il est en congé et parce qu'il se trouve dans le théâtre d'opération. Mais cela dépend. Si un soldat du Canada se rend à Hawaii pendant qu'il est en congé, il n'y évidemment aucun lien militaire. Nous ne nous intéressons pas spécifiquement à ce qu'un soldat fait à titre de simple citoyen dans la collectivité; par conséquent, nous n'interviendrions probablement pas dans une affaire de ce genre.
Le sénateur Pearson: Cela s'applique seulement pendant que le soldat est en service?
Cdr Price: Oui, et cela s'applique quand il se trouve dans le théâtre d'opération.
Le sénateur Ghitter: Commander, simple curiosité, quelle enquête fait-on à l'égard d'une personne qui demande à entrer dans les forces armées? Vérifiez-vous automatiquement si la personne a un casier judiciaire?
Cdr Price: Je crois que oui. Le Grand prévôt pourra vous le dire avec plus d'assurance, mais je crois savoir que chaque candidat fait l'objet d'une vérification au CIPC.
Le sénateur Ghitter: Savez-vous si on prend ses empreintes digitales?
Cdr Price: On prend les empreintes digitales, mais pas aux fins du CIPC. Nous les prenons à nos propres fins. Nous ne faisons pas d'inscription au CIPC quand quelqu'un entre dans les forces, mais nous faisons une vérification au CIPC pour voir si la personne a un casier judiciaire.
Le sénateur Ghitter: On prend les empreintes digitales, mais on ne s'en sert absolument pas?
Cdr Price: Nous les versons au dossier interne du MDN. Nous n'avons pas le droit de nous en servir aux fins de l'identification des criminels.
Le sénateur Ghitter: Si un acte criminel est perpétré dans les forces, vous n'utilisez pas ses empreintes digitales prélevées au moment de la demande initiale pour éliminer les suspects?
Cdr Price: Non. C'est une question de respect de la vie privée. Ces empreintes n'ont pas été prises aux fins des dossiers criminels.
Le sénateur Ghitter: Est-ce parce qu'elles ne seraient pas admissibles en cour, ou bien vous abstenez-vous simplement de le faire?
Cdr Price: Nous ne le faisons pas, point. Nous ne pouvons pas les consulter, à moins d'avoir un mandat de perquisition. Habituellement, nous n'essayons même pas de vérifier les empreintes digitales qui ont été prises pour les fins de la Défense nationale.
Le sénateur Ghitter: Avez-vous déjà envisagé de prélever des échantillons d'ADN de la même manière?
Cdr Price: Nous ne l'avons pas fait jusqu'à maintenant. Franchement, je n'entrevois pas que l'on prélève de l'ADN de tous ceux qui demandent à entrer dans les forces. Je n'ai jamais envisagé cette possibilité.
La présidente: Cela pourrait être assez coûteux.
Le sénateur Poy: Commander, si un soldat canadien qui sert dans une mission de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU commet un crime dans un autre pays, pourrait-il être poursuivi aux termes de cette loi proposée, ou bien une autre loi s'appliquera-t-elle? L'ONU a-t-elle des lois qui pourraient s'appliquer?
Cdr Price: Non, c'est la Loi sur la défense nationale qui s'appliquerait.
La présidente: La Loi sur la défense nationale s'applique-t-elle à tous les soldats canadiens, peu importe qu'ils servent sous l'égide de l'ONU ou comme membres de nos propres forces armées, et peu importe à quel endroit?
Cdr Price: Oui. Dans la plupart des théâtres d'opération, nous avons des conventions sur le statut des forces qui nous permettent d'assumer la juridiction sur la personne en cause, peu importe quel crime a été commis. Si un crime est commis contre la société, par exemple des voies de fait sur un simple citoyen de ce pays, nous assumerons fort probablement la juridiction.
La présidente: Pour tirer les choses au clair, suite à la question du sénateur Fraser, il y aura échange de renseignements génétiques entre la GRC, la banque de données civile et la police militaire, le cas échéant et selon les besoins. Si un soldat est accusé d'une infraction qui relève de votre juridiction, alors vous prélèverez un échantillon d'ADN, le cas échéant, et communiquerez les renseignements ainsi obtenus à la police civile. Vous pouvez alors savoir si le soldat a un dossier au civil.
Cdr Price: Certainement. Le cas échéant, nous chercherons à obtenir un mandat pour le prélèvement d'ADN et ferons une vérification dans la banque de données génétiques.
La présidente: Nous accueillons maintenant le brigadier général Patricia Samson, qui a déjà comparu devant le comité au sujet du dernier projet de loi et qui avait fait une excellente présentation. Elle a le titre de Grand prévôt.
Le brigadier général Patricia Samson, Grand prévôt, Forces canadiennes, ministère de la Défense nationale: Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui. Je suis le Grand prévôt des Forces canadiennes. Mon rôle consiste à appliquer la loi, les politiques en matière de police et de sécurité, d'exercer le commandement et le contrôle du Service national des enquêtes des Forces canadiennes et de superviser les activités de la police militaire pour m'assurer que tous les critères sont respectés en ce qui a trait à la formation, au choix des candidats et au professionnalisme.
Compte tenu de mon rôle, je suis particulièrement contente d'être ici pour discuter du projet de loi S-10 et je me propose de passer en revue certains aspects du projet de loi qui ont trait à la police militaire. Je vais essayer de me limiter à environ cinq minutes.
Comme vous le savez, ces dernières années, le rôle de la police militaire et la structure de l'organisation policière militaire ont été examinés en profondeur et remaniés afin de rétablir la confiance en la compétence de la police militaire. L'un des principaux domaines qui ont été modifiés en profondeur est celui des enquêtes et de la tenue des enquêtes. En particulier, la formation donnée aux agents de la police militaire dans le domaine des enquêtes fait ressortir l'importance d'établir des liens entre les divers éléments: les lieux du crime, la victime, la preuve matérielle et le suspect.
L'une des hypothèses les plus fondamentales dans toute enquête est que le criminel peut avoir laissé derrière lui certains éléments de preuve matériels sur les lieux du crime. Pour aider les enquêteurs, on leur donne des outils pour faire leur travail. L'un de ces outils est l'utilisation des empreintes génétiques.
Le profil d'identification génétique, bien qu'il soit relativement nouveau dans le domaine policier, puisqu'il a été utilisé pour la première fois en Angleterre en 1985, s'est répandu de façon extrêmement rapide partout dans le monde, et a aussi été utilisé par la police militaire. En effet, la police militaire a obtenu et utilisé des mandats d'identification génétique à deux reprises. La première fois en 1996 dans une affaire d'agression sexuelle; et la deuxième fois, il y a à peu près un mois, dans une affaire d'incendie criminel. Ces deux affaires ont eu lieu ici au Canada et nous nous sommes adressés au juge civil, conformément aux procédures établies dans le Code criminel.
Si des cas semblables avaient lieu au Kosovo ou en Bosnie ou dans d'autres théâtres d'opération, et même dans certains endroits au Canada mettant en cause des personnes assujetties au Code de discipline militaire, la police militaire aurait de la difficulté à trouver quelqu'un qui délivrerait un mandat permettant d'obtenir les empreintes génétiques. Le projet de loi S-10 donne à la police militaire, surtout dans les théâtres d'opération, les mêmes capacités en matière d'enquête que possèdent tous les autres agents de police au Canada, ce qui aidera grandement la police militaire à résoudre les affaires criminelles.
Étant donné que la police militaire peut se trouver très éloignée des juges militaires, l'inclusion des télémandats dans le projet de loi S-10, à l'article 196.13, renforcera encore davantage la capacité de l'enquêteur de faire son travail.
Le projet de loi S-10 permet aussi aux Forces canadiennes de verser dans une banque de données les renseignements génétiques au moment de la condamnation. C'est important non seulement pour les Forces canadiennes, mais aussi pour la protection des autres Canadiens. Les renseignements versés dans la banque non seulement aideront la police militaire à identifier les personnes qui ont commis des infractions désignées, mais aideront aussi les autres corps policiers. Vous vous rendez certainement compte que les militaires ne restent pas tous dans les forces armées jusqu'à leur dernier souffle. Ils en sortent et mènent ensuite une autre vie et relèvent par la suite des autres services de police civils. Ce renseignement est important.
Si un mandat est obtenu, ou si la cour ordonne au moment de la condamnation le prélèvement d'un échantillon d'ADN, les mêmes procédures et processus établis pour les autres organismes civils seront suivis par la police militaire.
En fait, un membre de mon personnel a participé aujourd'hui à une réunion d'un groupe de travail dont il fait partie, aux côtés des membres d'autres corps de police, pour discuter de la mise en oeuvre, des procédures et des processus. La police militaire appliquera exactement les mêmes procédures que nos homologues civils. Si le processus donne lieu à des abus, nous serons aussi passibles des mêmes pénalités que ces derniers.
En fin de compte, les changements que j'ai mentionnés non seulement renforceront la police militaire, mais indiqueront au public canadien que la police militaire peut se prévaloir des mêmes outils d'enquête que les autres services de police. Au moment où nous atteignons une certaine maturité et indépendance, la crédibilité est la clé de notre succès.
Le sénateur Beaudoin: Dans quelle mesure votre système est-il différent du système de la GRC? J'ai l'impression que les deux sont semblables. Vous avez pourtant fait allusion au système civil et au système militaire. Y a-t-il des différences, si vous comparez votre système militaire au système civil, pour ce qui est de l'ADN, par exemple en ce qui a trait aux procédures d'application, à la sécurité? Suivez-vous les mêmes procédures que la Gendarmerie royale du Canada?
Bgén Samson: Nous suivons la même procédure que la GRC et que tout autre corps policier au Canada.
Le sénateur Beaudoin: Tous les autres corps policiers font la même chose?
Bgén Samson: Chaque service de police peut infléchir quelque peu les règles, mais nous devons suivre les mêmes règles. Mes agents reçoivent exactement la même formation que ceux de la GRC. Ils suivent pratiquement les mêmes cours. Ils vont parfois aux mêmes endroits. Ils doivent suivre les mêmes processus et procédures parce que, quand ils témoignent devant le tribunal, ils sont interrogés de la même façon que le sont les agents de la GRC ou de la police d'Ottawa-Carleton. Nous suivons donc les mêmes règles; les deux systèmes sont parallèles.
Le sénateur Beaudoin: Ils sont parallèles?
Bgén Samson: Absolument.
Le sénateur Beaudoin: Nous avons établi, en partie à notre comité, le système judiciaire militaire, la cour martiale. Les tribunaux ont déclaré qu'il existe un système judiciaire parallèle que l'on appelle le système militaire, ou le système de la cour martiale, lequel est quelque peu différent, mais offre la même protection. L'indépendance du judiciaire est la même dans votre système que dans le système civil.
Si je comprends bien, pour la question du droit pénal ou de la Loi sur la défense nationale, vous suivez, de façon générale, le même principe.
Bgén Samson: Exactement. Les mêmes lois, les mêmes principes, les mêmes techniques d'enquête et les mêmes responsabilités. Ce qui s'applique à la GRC s'applique aussi à nous. Nous pouvons être poursuivis si nous ne faisons pas correctement notre travail.
Le sénateur Beaudoin: Et quand vous êtes à l'étranger, vous suivez le même système?
Bgén Samson: Absolument.
Le sénateur Beaudoin: Quand vous demandez, disons, des mandats de perquisition ou de saisie, le cas échéant, suivez-vous les mêmes directives?
Bgén Samson: Nous le devons.
Le sénateur Beaudoin: Vous le devez?
Bgén Samson: Absolument.
Le sénateur Beaudoin: Au Canada ou ailleurs?
Bgén Samson: Oui. Nous ne pouvons pas improviser nos propres règles pour ce qui est de l'application de la loi et des normes policières. Nous devons respecter les normes relatives aux activités policières qui s'appliquent à tous les services de police au Canada. C'est absolument impératif.
Le sénateur Beaudoin: Disons que vous êtes en Bosnie ou quelque part en Europe et que vous entendez des témoins qui se trouvent à être européens, vous appliquez également les mêmes règles? Peut-être que pour obtenir un mandat, c'est différent.
Bgén Samson: Non, j'ai eu la bonne fortune, si l'on peut dire, de passer un an en Bosnie à titre de Grand prévôt, et quand nous devions traiter avec les Français, nous appliquions les lois françaises, surtout quand il s'agissait de faire comparaître des gens devant le tribunal ou s'il fallait obtenir des éléments de preuve pour le tribunal. Quand nous avions affaire à des Canadiens, nous appliquions alors les lois canadiennes.
Au Canada, quand nous avons affaire à des militaires, nous suivons les lois canadiennes. Au Kosovo, en Bosnie ou dans le Golfe, quand nous avons affaire à des Canadiens, nous suivons les lois canadiennes.
Le sénateur Beaudoin: Pourriez-vous nous définir le rôle et les fonctions du Grand prévôt?
Bgén Samson: Le rôle du Grand prévôt est d'établir toutes les politiques relatives à l'application de la loi, à la police et à la sécurité pour les Forces canadiennes et pour la police militaire.
Je suis aussi commandant du Service national des enquêtes des Forces canadiennes. C'est notre service des enquêtes qui se charge de toutes les enquêtes sur les infractions graves et critiques, les actes criminels.
Je suis aussi responsable de la supervision générale, des vérifications, et je dois veiller à ce que la police militaire respecte les politiques établies et respecte en tout temps les normes pour le choix et la formation des candidats et en matière de conduite professionnelle.
La présidente: Autrement dit, vous êtes le chef de police et tout est entre vos mains.
Bgén Samson: Plus ou moins, sauf que la police militaire dans les bases travaille pour le commandant de la base, mais doit respecter mes politiques.
Le sénateur Fraser: J'ai des questions dans deux domaines. Premièrement, vous avez dit que la police militaire a utilisé deux mandats d'identification génétique?
Bgén Samson: Oui.
Le sénateur Fraser: Nous avons entendu tout à l'heure des témoins représentant les services de la défense et de la poursuite qui ont dit que les empreintes génétiques n'ont jamais été utilisées dans aucune affaire. Que s'est-il passé?
Bgén Samson: Ce sont des affaires qui sont instruites au centre-ville, et non pas devant un tribunal militaire.
Le sénateur Fraser: Ces affaires ont été instruites par des tribunaux civils.
Bgén Samson: Nous n'avons jamais utilisé l'identification génétique au tribunal militaire. La première était en 1996, dans une affaire d'agression sexuelle. Nous sommes allés au centre-ville. La deuxième était un incendie criminel, et nous avons reçu le mandat il y a à peu près un mois.
Le sénateur Fraser: C'est une procédure devant un tribunal civil?
Bgén Samson: Oui.
Le sénateur Fraser: Si je comprends bien, le projet de règlement qu'on nous a remis s'applique au système militaire aussi bien que civil pour ce qui est de l'identification génétique.
Bgén Samson: Oui.
Le sénateur Fraser: Il y a un élément qui m'intéresse. J'ai sous les yeux le projet de règlement sur le prélèvement, l'interdiction d'accès, la transmission électronique, et cetera. C'est un règlement impressionnant quant aux détails, puisqu'il établit une foule d'exigences -- des formulaires pour l'identification et la signature d'un témoin qui était présent pendant la prise des empreintes digitales et le prélèvement d'échantillons si les deux n'ont pas été pris par la même personne. Il y a une foule de détails. On précise aussi que l'échantillon d'ADN destiné à la banque de données doit être emballé de façon sûre et sécuritaire, scellé, étiqueté et adressé pour être transporté à la banque de données génétiques. Mais on ne dit pas un mot sur le transport lui-même. Pourquoi?
Bgén Samson: On travaille encore là-dessus. J'ai ici une ébauche de manuel qui sera distribué. Je peux en remettre copie au greffier, si vous voulez.
Le sénateur Fraser: Oui, je vous prie.
Bgén Samson: Dans ce manuel, on dit que l'échantillon peut être transporté, peut-être envoyé par courrier, par service de messagerie ou par porteur. Quand on aura mis la dernière main à ces détails, tout sera précisé.
En fait, mon collaborateur qui participait aujourd'hui au groupe de travail avait un ordinogramme montrant exactement comment les choses vont se passer. Toutes ces questions relatives au prélèvement après la condamnation seront réglées.
Le sénateur Fraser: Dans un manuel plutôt que dans le règlement, c'est bien cela?
Bgén Samson: Pour le moment, il y a un manuel. Il y aura un ordinogramme. Quant à savoir si cela figurera dans le règlement, c'est justement là-dessus que le groupe de travail se penche en ce moment. Quoi qu'il en soit, il y a des étapes à suivre.
Le sénateur Fraser: Croyez-vous que le courrier soit suffisamment sûr?
Bgén Samson: Des éléments de preuve sont envoyés par courrier, habituellement par courrier recommandé.
Le sénateur Fraser: On ne se contente pas de les mettre dans la boîte aux lettres, n'est-ce pas?
Bgén Samson: Je suis certaine que certains l'ont essayé, mais ils ne le feront probablement pas deux fois. Pour chaque élément de preuve que l'on envoie au laboratoire, il doit exister une piste de vérification. Quand on fait une vérification, il doit y avoir des traces. Il n'y a pas de traces écrites si l'on se contente de mettre quelque chose dans la boîte aux lettres, sans aucune signature. Il faut une trace écrite.
Le sénateur Fraser: Ma question porte sur une procédure standard pour le transport des éléments de preuve. S'il y en a une, cela explique pourquoi il n'est pas nécessaire d'avoir un règlement portant spécifiquement sur l'ADN.
Bgén Samson: En effet. Je suppose que l'on a laissé la question ouverte parce qu'à mesure que la technologie changera, il pourra y avoir d'autres moyens d'envoyer des éléments de preuve. Je ne suis pas spécialiste. Je suis un simple agent de police.
Le sénateur Moore: Brigadier général, les questions que je m'apprête à poser, je les ai déjà posées à un autre témoin cet après-midi. Je suppose que vous êtes la personne toute désignée pour tenter d'y répondre. Disons qu'un militaire prélève un échantillon d'ADN d'une personne qui a été accusée d'un crime. Cet échantillon est-il stocké dans l'installation de la banque de données de la GRC dont on a parlé? Où entreposez-vous vos échantillons?
Bgén Samson: Quand un échantillon est prélevé, nous l'envoyons au laboratoire pour être testé. Le laboratoire nous dit si l'ADN correspond ou non à celui du suspect. Une fois le procès fini, l'échantillon est détruit, étant donné que nous nous en servons aux fins de l'identification. Il n'est pas versé dans la banque de données. Il l'est seulement si le juge dit: «Cette personne est maintenant reconnue coupable. Je veux que l'empreinte génétique soit versée dans la banque de données». De plus, pour les infractions secondaires, la poursuite peut demander au juge de rendre une telle décision.
Celui que nous utilisons comme outil d'enquête est complètement séparé de l'autre. Les deux ne peuvent pas être mélangés.
Le sénateur Moore: Que pouvez-vous nous dire au sujet de la sécurité du stockage de ces renseignements et de ces échantillons?
Bgén Samson: L'information est stockée comme tout autre élément de preuve. Elle est protégée. Il y a des règles et des règlements qui s'appliquent aux éléments de preuve. S'il y a le moindre abus, une disposition du Code criminel s'applique. Il est clair que si l'échantillon est utilisé à mauvais escient, l'agent de police ou de la police militaire peut être accusé d'un acte criminel. En pareil cas, il est passible d'une peine de prison de deux ans moins un jour, d'une amende de 2 000 $ sur déclaration sommaire de culpabilité, ou d'une peine de six mois. Aucun agent de police n'aime aller en prison. Pour quelque raison, l'idée ne leur sourit guère.
Le sénateur Moore: Ces règles de procédure qui s'appliquent au Canada sont également valables à toute action intentée en Bosnie, par exemple, ou dans tout autre théâtre d'activité de nos forces dans le monde?
Bgén Samson: Elles le sont, en effet.
Le sénateur Moore: Êtes-vous convaincue que l'on peut établir le même degré de sécurité à l'étranger, aussi bien qu'au Canada, pour ce qui est du stockage de l'information?
Bgén Samson: Oui. Je n'ai eu aucun problème de ce genre pendant l'année que j'ai passée en Bosnie. C'est l'une des premières choses qu'on examine quand nous faisons une vérification. Nous sommes très sévères là-dessus pour nos forces de police militaires. S'il y a le moindre doute quant à la sécurité de la preuve ou de la continuité de la preuve, on est aussi bien de mettre fin à l'enquête.
Le sénateur Beaudoin: Si l'accusé est déclaré non coupable, détruisez-vous l'échantillon?
Bgén Samson: L'échantillon prélevé aux fins de l'enquête est détruit une fois que le procès est fini, à moins, bien sûr, que le juge nous ordonne de ne pas le faire pour quelque raison. C'est de son ressort. J'ignore pourquoi il le ferait.
Le sénateur Beaudoin: Je suppose que le juge a un certain pouvoir discrétionnaire.
Bgén Samson: En effet. Il y a une exception permettant au juge de dire que, pour une raison quelconque, l'échantillon ne doit pas être détruit. C'est le paragraphe 196.23(2), qui stipule que le juge peut rendre cette décision s'il est convaincu que l'échantillon pourrait être nécessaire aux fins d'une enquête ou d'une poursuite relative à la personne visée pour une autre infraction désignée. S'il n'en est pas convaincu, l'échantillon disparaît. C'est un outil d'enquête. Une fois que l'enquête est terminée et que le juge a réglé l'affaire, il disparaît.
Le sénateur Beaudoin: Y a-t-il possibilité, dans certains cas, d'échanges de données génétiques entre la Défense nationale et la GRC? Ou bien est-ce secret?
Bgén Samson: Non. Nous faisons des enquêtes conjointes avec de nombreux services de police partout au Canada. Le service qui est le principal intéressé obtient probablement l'ADN. Si nous faisons enquête sur une affaire semblable, par exemple en cas de viols en série ou d'incendies criminels en série, nous nous réunissons et nous disons aux autres intéressés: «Voici ce que nous avons trouvé. Qu'avez-vous trouvé?» L'élimination de suspects est un outil d'enquête.
Le sénateur Beaudoin: C'est tout naturel.
Bgén Samson: Si nous voulons renforcer notre crédibilité, nous devons travailler de concert avec les autres services de police. Nous devons échanger des renseignements. Nous devons atteindre la maturité. C'est ce que nous essayons de faire.
Le sénateur Beaudoin: Si l'on va encore plus loin, qu'arriverait-il si l'autre partie intéressée est un pays étranger avec lequel nous avons un traité d'extradition ou un autre traité quelconque?
Bgén Samson: Je m'en remets habituellement à la GRC. Nous traitons seulement avec des forces militaires.
Le sénateur Beaudoin: Et la GRC?
Bgén Samson: Elle traite avec les autres services de police civils. Dans une telle éventualité, nous consulterons sans tarder nos avocats pour obtenir un avis juridique afin de nous assurer de n'enfreindre aucune loi. Nous faisons très attention dans ce domaine.
La présidente: Comme tout cela est également très nouveau pour les militaires et pour la police militaire, quelle formation donnez-vous à vos effectifs pour vous assurer que le prélèvement d'échantillons d'ADN est bien fait?
Bgén Samson: C'est une très bonne question, sénateur. Nous avons actuellement six personnes qui ont reçu la formation voulue. Elles ont reçu leur formation du Collège canadien de police. C'est la même formation que reçoivent les autres agents de police au Canada.
Le Groupe de travail compte avoir une trousse de formation prête pour le 1er mars 2000. Tous les agents de police et les agents de la paix au Canada suivront cette formation, de même que les agents de la police militaire. Nous ne ferons rien de différent. Nous n'allons pas réinventer quelque chose qui fonctionne bien. Pourquoi le ferions-nous?
La présidente: Merci beaucoup. Votre témoignage a été très clair pour nous tous, comme d'habitude.
La séance est levée.