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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 20 - Témoignages du 20 septembre 2000


OTTAWA, le mercredi 20 septembre 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-16, Loi concernant la citoyenneté canadienne, se réunit aujourd'hui, à 15 h 50, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Gérald-A. Beaudoin (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: Honorables sénateurs, étant donné que la présidente du comité, le sénateur Milne, est absente, j'ai été invité à présider cette réunion à sa place.

Nous siégerons cette semaine et la semaine prochaine. Elle sera de retour la semaine suivante.

[Français]

Honorables sénateurs, nous sommes aujourd'hui réunis pour commencer l'étude du projet de loi C-16, Loi concernant la citoyenneté canadienne.

[Traduction]

Nous recevons aujourd'hui l'honorable Elinor Caplan, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. Avant de lui donner la parole, je tiens à signaler aux membres du comité que, au moins pour cette semaine et la semaine prochaine, nous nous intéresserons surtout au projet de loi C-16. Pour aider les membres et les autres sénateurs intéressés à organiser leur horaire, je précise que le comité se réunira certainement la semaine prochaine pour traiter de ce projet de loi. Les détails quant à l'horaire des réunions et à l'identité des témoins seront précisés en fonction du calendrier du Sénat.

Deuxièmement, je signale que le projet de loi suscite un très grand intérêt. Par conséquent, de nombreux organismes nous ont demandé de comparaître, et nous tenterons, dans les limites du raisonnable, de satisfaire à leurs demandes.

À cette fin, je propose que le comité accepte officiellement de ne recevoir aucune motion et de ne tenir aucun vote sur le projet de loi tant que nous n'aurons pas entendu tous les témoins. Il s'agit d'une méthode que nous avons utilisée avec grand succès dans le passé pour que les sénateurs sachent que, lorsque la comparution de témoins est prévue, nous ne prendrons pas soudain la décision de modifier un projet de loi ou d'en faire rapport au Sénat.

Y a-t-il donc un honorable sénateur qui soit prêt à présenter cette motion?

Le sénateur Pearson: Je propose:

Que, pendant les délibérations du comité sur le projet de loi C-16, l'étude des motions et les votes sur ces motions n'aient pas lieu tant que tous les témoins n'auront pas été entendus.

Le sénateur Cools: Pourquoi fait-on cela? Le vote ne peut avoir lieu qu'à la fin.

Le vice-président: Non. Nous allons...

Le sénateur Cools: Ma question est la suivante: quand aura lieu la fin? Comment prendrons-nous cette décision?

Le vice-président: La fin survient lorsque tous les témoins ont été entendus. Après cela, il y aura une étude du projet de loi article par article. Ensuite, nous traiterons de la question des amendements éventuels.

Le sénateur Cools: La décision importante, c'est celle de savoir pendant combien de temps nous entendrons des témoins. Combien de témoins sommes-nous prêts à recevoir? Ensuite, l'autre question importante, c'est de savoir combien de temps nous consacrerons au projet de loi.

Le vice-président: Nous avons déjà la calendrier de comparution de tous les témoins. Nous allons les entendre au cours des deux semaines à venir.

Le sénateur Grafstein: Dans la motion, on dit «tous les témoins.» Qu'entend-on par «tous»? Je suppose que l'on veut dire «tous les témoins prévus». Par conséquent, si l'honorable sénateur nous permet de modifier sa motion en disant «tous les témoins prévus au calendrier», je crois que les limites seraient mieux établies.

Le vice-président: Êtes-vous d'accord, sénateur Pearson?

Le sénateur Pearson: Très bien.

Le vice-président: Je répète donc cela en français. Toutefois, je cherche maintenant la modification apportée à votre motion.

Le sénateur Pearson: Je propose que la motion soit modifiée par l'inclusion des mots «tous les témoins prévus au calendrier».

[Français]

En français, il est mentionné:

Que tout examen ou vote de toute motion traitant du règlement du projet de loi C-16 par le comité n'ait pas lieu avant qu'aient été entendus tous les témoins prévus à la liste.

[Traduction]

Le vice-président: Les sénateurs ont la liste de tous les témoins qui doivent comparaître.

Le sénateur Cools: Supposons que l'on veuille entendre d'autres témoins. Pourquoi faisons-nous cela? Je trouve cela très bizarre. Il me semble qu'il vaudrait mieux, tout d'abord, entendre la ministre. Ensuite, le comité pourrait décider de la durée de l'étude du projet de loi et envisager éventuellement d'ajouter des témoins à ceux que le comité prévoit convoquer.

Le vice-président: Sénateur, nous nous sommes servis d'une mesure semblable lorsque nous traitions du projet de loi sur le contrôle des armes à feu. Nous nous en sommes également servis à plusieurs reprises depuis. C'est une mesure qui a été adoptée par le comité directeur.

Le sénateur Cools: Nous devrions peut-être nous demander pourquoi nous avons fait cela et temporiser un peu. Comme je l'ai déjà dit, nous avons un temps très précieux que la ministre nous accorde. Nous avons tous hâte de l'entendre. Je pense que nous devrions passer d'abord au témoignage de la ministre.

Le vice-président: Si le temps est si précieux, il serait peut-être temps d'adopter cette motion.

Le sénateur Cools: Non. Nous devrions alors en débattre. Il n'existe absolument aucune raison de précipiter les choses ainsi. Je voudrais délibérer de cette motion. Je suis sûre que d'autres collègues aimeraient dire leurs opinions. Je ne comprends pas cela du tout.

Le vice-président: Selon moi, il s'agit d'une pure question de procédure.

Le sénateur Cools: Je ne trouve pas qu'il s'agit d'une simple question de procédure.

Le président suppléant: Je crois que nous devrions écouter la ministre. Si vous voulez que nous revenions à cette question ultérieurement, nous le ferons.

Le sénateur Cools: Je crois que nous devrions y revenir plus tard.

Le vice-président: La motion est-elle adoptée?

Le sénateur Cools: Non. Elle n'est pas adoptée.

Le sénateur Kinsella: Je propose que l'étude de la motion soit reportée.

Le vice-président: Madame la ministre, nous vous souhaitons la bienvenue. À vous la parole.

[Français]

L'honorable Elinor Caplan, c.p., députée, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration: Honorables sénateurs, je suis heureuse de me présenter devant ce comité du Sénat chargé d'examiner le projet de loi concernant la citoyenneté au Canada.

[Traduction]

Je sais que vous comprenez parfaitement l'objet de ce projet de loi. Vous êtes au courant des améliorations qu'il apporte à nos procédures touchant les questions de citoyenneté. Aussi, je serai brève en ce qui concerne ces observations préliminaires. Toutefois, je prendrai probablement plus de temps que vous ne le souhaiteriez. Cela étant dit, j'aimerais en arriver le plus rapidement possible à vos questions.

Sous un certain angle, ce projet de loi n'est pas différent des autres qui vous sont soumis. Il s'agit d'un cadre législatif général qui prévoit les principes et les procédures touchant les questions pertinentes à la citoyenneté. Ainsi, il prévoit les règles générales en vertu desquelles une personne peut devenir un citoyen du Canada.

Au fond, toutefois, ce projet de loi est beaucoup plus qu'un ensemble de règles administratives. Le projet de loi C-16 exprime essentiellement un ensemble de valeurs. Il témoigne de la valeur qu'accordent les Canadiens à leur citoyenneté. Il parle des valeurs que les Canadiens estiment partager et respecter par tous leurs concitoyens. Il confirme nos engagements à l'égard de la tolérance de la diversité et des responsabilités à assumer, pour nous-mêmes et pour les autres.

Le projet de loi C-16 véhicule les valeurs que nous désirons voir transmettre par nos procédures administratives relatives à la citoyenneté. Ces valeurs, vous pouvez en constater l'existence lorsque vous assistez à une cérémonie de citoyenneté canadienne. Après avoir participé à de nombreuses cérémonies au cours de l'année, je peux affirmer qu'aucune autre de mes fonctions ne m'apporte autant de satisfaction. On y voit des dizaines, souvent des centaines, de personnes des quatre coins du monde, des personnes de tous âges et de toutes les origines culturelles, des personnes qui sont venues au Canada à différents moments, pour différentes raisons, poursuivant de vieux rêves et cherchant de nouvelles possibilités. Ce que ces personnes ont en commun, ce qui les unies dans ces cérémonies et qui les unira à l'avenir, c'est qu'elles se joignent toutes à la grande famille canadienne. Et cela est vrai, peu importe leurs différences.

Cette cérémonie constitue vraiment un moment de fierté, non seulement pour nos nouveaux citoyens et les membres de leurs familles, mais aussi pour l'ensemble du Canada. Il s'agit d'un événement marquant dans la vie de ces personnes et de leurs familles, mais aussi d'une grande signification pour l'avenir de notre pays.

Le projet de loi C-16 se veut le reflet de ce sentiment de fierté et de ce moment de célébration. Il rendra encore plus précieuse la citoyenneté canadienne tout en protégeant sa valeur.

Par ailleurs, bon nombre de principes fondamentaux de l'ancienne loi demeurent inchangés. Par exemple, un enfant qui naîtra au Canada ou à l'étranger d'un père ou d'une mère ayant la citoyenneté sera encore canadien. Nous continuerons également d'exiger que les immigrants qui demandent la citoyenneté connaissent le Canada et au moins l'une de ses deux langues officielles.

Il faut toutefois préciser que la loi actuelle est en vigueur depuis 1977, soit depuis près de 25 ans. Beaucoup de choses se sont produites depuis 1977. Notre expérience de l'application de la loi actuelle nous a servi et le contexte juridique a beaucoup évolué. Le projet de loi C-16 tient compte de tous ces changements. Examinons, par exemple, une des leçons tirées de l'application de la loi actuelle. Au cours des années, de nombreuses personnes ont fait observer que la période de résidence exigée est interprétée de façons différentes et que cette interprétation donne lieu à un traitement inéquitable. Certaines personnes ont pu ainsi obtenir la citoyenneté en ne passant que quelques jours au Canada, alors que d'autres ont vu leur demande rejetée parce qu'elles avaient résidé au pays tout juste un peu moins de trois ans complets. Il y a là incohérence et manque d'équité. Cela n'est pas conforme aux valeurs canadiennes.

C'est pourquoi le projet de loi C-16 établit clairement et fermement qu'il faut accumuler 1 095 jours de présence effective au Canada pour acquérir la citoyenneté. Une autre leçon tirée de l'application de la présente loi concerne l'incidence de la Charte canadienne des droits et libertés. Au cours des dernières années, nos tribunaux et la Commission canadienne des droits de la personne ont rendu de nombreux jugements concernant la loi actuelle et ils ont formulé des observations et des avis relatifs aux changements souhaitables. Le projet de loi apporte ces changements. Les modifications que nous proposons pour les enfants adoptés par des Canadiens dans d'autres pays en sont un bon exemple.

À l'heure actuelle, les enfants adoptés par les Canadiens dans d'autres pays doivent entrer au Canada en qualité de résidents permanents aux termes de la Loi sur l'immigration. Les tribunaux nous ont recommandé de laisser ces enfants venir au Canada en qualité de citoyens. Je suis d'accord avec eux. Et le projet de loi C-16 l'autorisera. Bien entendu, l'adoption est un domaine de compétence provinciale. Nous collaborons étroitement avec les provinces pour que la mise en place de ce changement se fasse sans heurts et en conformité avec les lois pertinentes de toutes les administrations concernées.

En plus de ces changements, le projet de loi C-16 aura pour effet de rendre plus efficace et plus efficiente l'administration publique de nos procédés en matière de citoyenneté. Le gouvernement a examiné attentivement son fonctionnement, dans tous les domaines, dans le but d'éliminer la paperasse et les procédures inutiles. Nous avons ainsi découvert qu'environ 80 p. 100 des cas de citoyenneté sont clairs et nets. Cela veut dire que pour plus de 100 000 personnes, au cours d'une année normale, la période de résidence au Canada ne pose aucun problème. La connaissance du Canada et de l'une des deux langues officielles ne pose pas de problème non plus. Environ 80 p. 100 des demandeurs sont des gens qui ont travaillé fort, qui ont respecté nos lois et qui sont préparés à devenir des citoyens. Pour cette raison, le projet de loi C-16 remplace le système d'évaluation actuel par un nouveau système, plus simple et fondé sur des critères objectifs.

Mais les cas ne sont pas tous faciles à régler. Il arrivera souvent que certaines personnes soient en désaccord avec les décisions prises. Cela se comprend, toutes les décisions ne peuvent être parfaites. C'est pourquoi il importe d'avoir un processus d'appel simple et clair. Le projet de loi C-16 répond aux préoccupations soulevées au sujet du processus actuel tout en respectant le droit de tous les demandeurs à l'application régulière de la loi.

Je répondrai volontiers à vos questions dans quelques instants, monsieur le président, mais je voudrais d'abord souligner encore une fois que de nombreux points de la loi actuelle demeurent inchangés dans le projet de loi C-16.

Un de ces éléments concerne le processus de révocation de la citoyenneté. Le projet de loi C-16 maintient le processus juridique qui est en place depuis plus de 20 ans. C'est un processus équitable qui garantit un recours aux personnes dont la citoyenneté pourrait être révoquée, tout en veillant à ce qu'une mesure aussi sévère ne s'appuie pas uniquement sur une question de droit. La décision en matière de révocation incombera, en dernier lieu, au Cabinet, qui détient l'autorité pour examiner les considérations humanitaires de même que toutes les questions de droit.

Comme il se doit, ce procédé est conforme au principe de gouvernement responsable sur lequel s'appuie notre tradition parlementaire, le Cabinet étant redevable envers la population canadienne, par l'entremise du Parlement.

Il est clair que la décision de révoquer la citoyenneté ne doit jamais être prise à la légère. Mais si le Canada veut continuer d'accueillir des nouveaux arrivants, en plus grand nombre même, nous devons nous doter de moyens de régler les cas de ceux qui acquièrent la citoyenneté de manière frauduleuse, de ceux à qui la citoyenneté n'aurait jamais été attribuée s'ils n'avaient pas caché leur identité réelle.

Les procédures de révocation doivent viser les personnes qui, au départ, n'étaient pas admissibles ou n'avaient pas droit à la citoyenneté canadienne. Je pense surtout aux criminels, aux terroristes et aux auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité.

Permettez-moi de conclure en rappelant que, fondamentalement, le projet de loi C-16 concerne des valeurs. Durant mes voyages, notamment à l'étranger, je suis toujours impressionnée de voir que les gens sont surpris d'apprendre que la citoyenneté canadienne ne remonte qu'à 1947. Ils sont étonnés d'apprendre que, dans la majorité des cas, les immigrants acquièrent la citoyenneté relativement rapidement après leur arrivée au Canada et s'intègrent facilement dans la société canadienne. En examinant ces questions de plus près, la plupart des gens en viennent graduellement à comprendre que cet accès rapide à la citoyenneté a grandement contribué à l'édification de notre pays. Ils comprennent que notre ouverture traditionnelle à l'égard des nouveaux arrivants et notre désir d'accueillir ceux qui partagent nos valeurs font partie intégrante de notre définition comme peuple.

Et cela n'est nulle part plus évident que dans nos cérémonies de citoyenneté. Ces cérémonies illustrent bien que la citoyenneté signifie beaucoup plus qu'un simple papier officiel et des procédures. Aux cérémonies, les personnes sont accueillies au Canada, leur nouvelle patrie. Et le Canada, accueillant ses nouveaux citoyens, jette la base d'un avenir commun.

Chers collègues, je crois que la citoyenneté canadienne est l'une des raisons pour lesquelles le Canada suscite l'admiration du monde entier, et je suis convaincue que, grâce au projet de loi C-16, la citoyenneté canadienne sera encore plus précieuse et que la fierté et le sentiment d'appartenance qu'elle entraîne en seront accrus. Je vous incite donc fortement à adopter ce projet de loi rapidement.

Le vice-président: Merci, madame la ministre. Pourriez-vous nous dire qui sont les personnes qui vous accompagnent aujourd'hui?

Mme Caplan: Certainement. Ma sous-ministre est Janice Cochrane. Ma sous-ministre adjointe qui est responsable des politiques est Joan Atkinson. Rosalind Frith est la directrice générale de l'intégration. Normand Sabourin est le greffier de la citoyenneté. Je suis contente de l'équipe qui m'accompagne aujourd'hui, et nous sommes prêts à répondre aux questions que vous voudriez poser.

Le sénateur Kinsella: Si je ne m'abuse, madame la ministre, je crois qu'il s'agit de la troisième fois dans notre histoire que le Parlement est saisi d'un projet de loi d'envergure sur la citoyenneté canadienne.

Mme Caplan: Je crois que c'était 1947 et 1977, et le projet de loi dont vous êtes saisis est le dernier en ligne d'une série de versions différentes qui sont à l'étude depuis déjà un certain temps.

Le sénateur Kinsella: Je m'intéresse aux principes qui guident l'action gouvernementale. Si je comprends bien l'histoire de la citoyenneté canadienne, en 1947, le gouvernement de l'époque cherchait à répondre au besoin qu'avait le Canada d'avoir sa propre Loi sur la citoyenneté; c'était là l'objet essentiel de la loi. À l'époque, il fallait répondre aux questions qui se posaient relativement à la naturalisation. En 1977, quand on a entrepris cette première réforme en profondeur de la Loi canadienne sur la citoyenneté, si je me souviens bien, on avait voulu reconnaître la pertinence de la citoyenneté pour tous ceux qui vivent au Canada, mais malheureusement cette loi de 1977, qui a toujours cours aujourd'hui, s'intéresse davantage à l'acquisition de la citoyenneté ou à la naturalisation. Je crois que les honorables sénateurs aimeraient savoir pourquoi le gouvernement n'a pas changé d'optique en présentant le projet de loi à l'étude et pourquoi nous nous retrouvons encore une fois avec un projet de loi axé sur la naturalisation.

Il ne fait aucun doute que nous avons besoin de ce qui se trouve dans ce projet de loi. Ce qui m'inquiète toutefois, c'est que nous sommes maintenant entrés dans un nouveau siècle, que notre pays a maintenant 133 ans et que nous n'avons toujours pas de Loi sur la citoyenneté qui s'adresse aux 31 millions de Canadiens. Je me demande quel est le raisonnement qui explique cette politique gouvernementale. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas opté pour un projet de loi qui s'adresse à tous ceux qui vivent au Canada? Il a plutôt opté pour le projet de loi dont nous sommes saisis qui maintient l'optique de la naturalisation.

Mme Caplan: Je crois que le projet de loi s'adresse bel et bien à tous les Canadiens.

À vrai dire, le problème que nous avons eu jusqu'à maintenant tient au mécanisme prévu à cette fin. Les commissaires n'auront pas à exercer la fonction administrative, qui, à l'heure actuelle, est quasi judiciaire. Le rôle que les nouveaux commissaires seront appelés à jouer leur donnera le temps de se faire les ambassadeurs de la citoyenneté auprès des collectivités et des écoles, d'aller parler des droits et obligations qu'entraîne la citoyenneté canadienne et de faire la promotion de la citoyenneté de façon plus active, chose que nous n'avons pas beaucoup fait jusqu'à maintenant, j'en conviens. J'estime que le nouveau rôle qui est dévolu aux commissaires à la citoyenneté aux termes de la nouvelle loi nous permettra justement de nous engager dans la voie de la promotion de la citoyenneté canadienne.

Les raisons qui militent en faveur d'une modification de la loi sont évidentes. Il y a, entre autres, les décisions contradictoires des tribunaux, les décisions des commissions des droits de la personne, le fait que la loi de 1977 est antérieure à l'adoption de la Charte canadienne et le fait que le grand nombre de demandes exige la modernisation de nos systèmes et procédures. Le projet de loi vise à régler un certain nombre de problèmes particuliers qui se posent et, partant, moderniser la loi en vue des besoins du nouveau millénaire, si vous voulez.

Le sénateur Kinsella: Si vous me permettez de revenir à ce que vous disiez au sujet du droit à la citoyenneté et des droits découlant de la citoyenneté, avez-vous été surprise d'apprendre, quand vous êtes devenue ministre, que trois seulement des droits qui sont garantis par notre Charte canadienne des droits et libertés sont associés à la qualité de citoyen canadien?

Mme Caplan: Le droit de vote, le droit aux services consulaires et le droit de ne pas être expulsé du Canada.

Le sénateur Kinsella: Exactement. Du point de vue de la politique gouvernementale, êtes-vous d'avis que la Loi canadienne sur la citoyenneté devrait préciser un peu plus sur le plan juridique ce que sont les droits et responsabilités des citoyens canadiens?

Mme Caplan: Quoi que dise la loi, il est important d'agir sur ce front. Je ne pense pas que la codification dans la loi soit le moyen d'obtenir des résultats à ce chapitre. La dimension importante du rôle des commissaires à la citoyenneté sera la discussion et la promotion de la citoyenneté. Nous célébrons chaque année pendant une semaine en octobre la Semaine de la citoyenneté, et nous préparons à cette fin une foule d'activités destinées à éduquer et à sensibiliser la population. Vous avez de meilleures chances d'obtenir ce que vous voulez si le projet de loi est adopté et que nous pouvons mettre à profit les talents des nouveaux commissaires. Nous faisons également appel aux nouvelles technologies. Si vous vous donnez la peine de visiter notre nouveau site Web Citzine, vous y trouverez une description de divers moyens que nous mettons en oeuvre pour faire la promotion de la citoyenneté.

Le sénateur Kinsella: C'est un bon site, que je n'hésite pas à recommander à d'autres.

Mme Caplan: Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Kinsella: L'article 44, à la page 23 du projet de loi, où il est question de la délégation des pouvoirs du ministre, impose une condition à l'accession au poste de greffier de la citoyenneté canadienne. On y précise que seule une personne ayant qualité de citoyen est habilitée à occuper les fonctions de greffier de la citoyenneté canadienne. Pensez-vous que cette disposition résisterait à un examen au regard de la Charte, étant donné que l'article 15 de la Charte dispose que la loi s'applique également à tous et que tous ont droit aux mêmes bénéfices de la loi indépendamment de toute discrimination?

Mme Caplan: J'ai justement demandé à mes collaborateurs si le projet de loi avait été étudié par le ministère de la Justice et si, de l'avis du ministère, il respectait les obligations de la Charte. On m'a répondu que «oui».

Le sénateur Kinsella: Les avez-vous interrogés plus particulièrement au sujet du paragraphe 44(3)?

Mme Caplan: Je n'ai pas demandé des assurances pour chaque article. Je leur ai simplement demandé si le projet de loi avait été étudié par le ministère de la Justice et si, de l'avis du ministère, il respecterait les obligations en vertu de la Charte. La réponse a été affirmative.

Le sénateur Kinsella: J'ai une dernière observation de nature générale, monsieur le président, qui concerne l'objectif en matière d'intérêt public. Quel est l'objectif en matière d'intérêt public qu'on visait avec ce projet de loi, sous sa forme actuelle, en limitant dans la pratique le droit d'en appeler d'une décision du ministre retirant à quelqu'un la citoyenneté, autrement dit, limitant la procédure d'appel à une procédure administrative et excluant de ce fait les questions de fond comme motif d'appel?

Mme Caplan: À ma connaissance, toutes les décisions prévues dans ce projet de loi peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire et toutes les décisions judiciaires sont susceptibles d'appel jusqu'à la Cour suprême.

Le sénateur Kinsella: Il y a une question d'intérêt public à laquelle seul un ministre peut répondre. Il s'agit de l'objectif que vous voulez proposer aux Canadiens ou à ceux qui vont en justice en invoquant cette loi, et qui doivent pouvoir obtenir un contrôle judiciaire aussi bien sur le fond que sur la forme.

Mme Caplan: La norme, c'est le contrôle judiciaire. Ce contrôle porte sur toutes les décisions ministérielles.

Le vice-président: Pour le compte rendu, je signale que trois articles de la Charte concernent directement la citoyenneté: l'article 3 concerne le droit de vote, l'article 6, le droit à la mobilité et l'article 23, les droits linguistiques et la scolarisation. Il y a donc au moins trois articles à ce sujet dans la Charte même.

Le sénateur Andreychuk: Je vous remercie d'être venue aujourd'hui nous expliquer certains articles, car bon nombre d'entre eux m'ont semblé très inquiétants du point de vue de l'intérêt public. Je voudrais commencer par votre affirmation selon laquelle la nouvelle Loi sur la citoyenneté porte sur les valeurs de la citoyenneté. Je m'interroge sur les valeurs véhiculées par ce projet de loi. Quelles sont ces valeurs concernant la citoyenneté canadienne? Comment les commissaires peuvent-ils traduire fidèlement les valeurs canadiennes? Que répondez-vous à ceux qui dénoncent le fait que les commissaires vont être nommés par le gouvernement, et non pas par un processus de sélection indépendant qui serait plus souhaitable? Certaines nominations seront faites en vertu d'une procédure semblable à celle de la fonction publique et d'autres seront, à mon avis, des nominations politiques. Avez-vous veillez à ce nos valeurs, c'est-à-dire ce que nous chérissons en tant que Canadiens, seront respectées?

Mme Caplan: Je vais commencer par le dernier élément qui concerne les titres de compétence exigés. C'est ce qu'on trouve à la page 16, au paragraphe 31(6), qui est le suivant:

Les commissaires doivent être citoyens, être sensibles aux valeurs qui animent la citoyenneté et être reconnus pour avoir apporté une contribution civique importante.

Nous sommes en train de mettre au point un mécanisme qui garantira le respect de ces obligations de façon que les nouveaux ambassadeurs, c'est-à-dire les commissaires à la citoyenneté, commencent à s'acquitter de leurs fonctions avec le même souci de fierté et d'engagement dans la communauté que les actuels juges de la Cour de la citoyenneté.

Le sénateur Andreychuk: Est-ce que cela va se faire par voie de règlement ou par voie de ligne directrice?

Mme Caplan: Par voie de ligne directrice, mais on y indiquera de façon claire et transparente la procédure à suivre et les exigences imposées au candidat.

Sur la deuxième partie de votre question, il y a, à mon avis, un certain nombre de valeurs qui apparaissent de façon intrinsèque dans le projet de loi. Je vous renvoie à l'article 33, page 17, où il est question des objectifs de la cérémonie. Il s'agit de promouvoir le sens civique, notamment le respect de la loi, l'exercice du droit de vote, la participation aux affaires de la collectivité et la compréhension respectueuse entre Canadiens. Par ailleurs, il faut avoir été physiquement présent au Canada pendant trois années sur six, soit pendant 1 095 jours. Nous affirmons que les candidats à la citoyenneté doivent avoir un lien réel avec le Canada.

En exigeant un test de connaissance, nous affirmons que nous voulons qu'ils connaissent leur pays. De plus, le serment de citoyenneté est un serment envers le Canada et une reconnaissance de notre place au sein du Commonwealth britannique.

Le sénateur Andreychuk: Ce qui m'inquiète, c'est que tant qu'on ne connaîtra pas cette politique...

Mme Caplan: De quelle politique parlez-vous, sénateur?

Le sénateur Andreychuk: Je veux dire que ces valeurs vont se traduire en termes concrets. La façon dont je pourrais en parler moi-même risque d'être bien différente de ce que les autres peuvent en dire. Nos valeurs sont tout à fait tributaires de nos antécédents, de notre expérience, et cetera. Ne va-t-on pas constater que les valeurs diffèrent d'une région à l'autre du pays, ou d'un groupe de Canadiens à un autre?

Mme Caplan: C'est pourquoi l'article que j'ai lu est si important. Il renseigne les commissaires sur ce que doivent comprendre les cérémonies de la citoyenneté et sur ce qu'on attend d'eux lorsqu'ils vont parler de citoyenneté auprès d'une communauté ou dans une école.

Nous tenons à ce que les candidats à la citoyenneté aient un lien avec le Canada, et c'est pourquoi l'ancienne règle de résidence, qui avait donné lieu à des interprétations judiciaires disparates, a été remplacée par l'exigence de la présence physique. Nous avons maintenu un test de connaissance, auquel les candidats sont autorisés à se présenter avec l'aide d'un interprète. On reconnaît ainsi qu'il est souvent difficile de répondre à certaines questions dans une langue seconde. Quelqu'un qui parle assez bien pour réussir le test linguistique peut néanmoins demander l'assistance d'un interprète, de façon à mieux comprendre le pays.

Nous avons aussi un guide pour les enfants. Mme Frith pourrait peut-être nous parler de la façon dont nous défendons les valeurs de la citoyenneté.

Mme Rosaline Frith, directrice générale, Intégration, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration: Tous les sénateurs vont prochainement recevoir une lettre de la ministre à propos de la Semaine de la citoyenneté. Nous avons joint à cette lettre un guide destiné aux enfants d'âge scolaire du Canada. Nous avons déjà reçu près de 12 000 demandes concernant ce guide. Il y est question de notre sentiment d'appartenance, des valeurs intrinsèques auxquelles ont adhère quand on est Canadien et de la façon dont il faut accueillir les nouveaux Canadiens. Voilà le genre de message que nous essayons de diffuser directement dans les écoles et par l'intermédiaire des commissaires.

Mme Caplan: Ce qui m'impressionne -- et je le dis très souvent quand j'assiste à une cérémonie de la citoyenneté -- c'est le slogan de la Semaine de la citoyenneté de cette année. J'espère qu'il restera de façon définitive dans le vocabulaire de la citoyenneté. C'est «Bienvenue chez vous.» Le message qu'on adresse à tous ces gens, c'est «Le Canada, c'est chez vous. Nous vous souhaitons la bienvenue chez vous.»

Il y a aussi des messages sur la cohésion sociale et la cohabitation dans une société cosmopolite et tolérante. C'est toute l'histoire du Canada. Nous savons que certains sont prêts à attiser les flammes de l'intolérance; cependant, nos messages entourant la citoyenneté parlent de respect, de cohabitation, de célébration de la diversité, du respect de la différence et de la possibilité, dans une société civile, de participer à un débat animé sans outrepasser certaines règles. Pour moi, voilà ce que l'on retrouve dans ce projet de loi.

Le sénateur Andreychuk: Je me demande pourquoi on n'a pas jugé plus opportun de faire figurer ces valeurs dans un préambule, par exemple, ou sous une autre forme qui aurait permis de mieux les faire comprendre. Les valeurs dont vous parlez, madame la ministre, ne me posent aucun problème. L'attachement au pays et la primauté du droit sont des valeurs évidentes. Mais la notion de valeurs est très subjective. C'est pourquoi ce projet de loi me pose un problème. Qui va parler de quoi et où? Je n'en ai aucune idée. J'aurais préféré que tout cela figure dans le projet de loi.

Mme Caplan: Je vous répondrais que c'est le ministère, par l'intermédiaire de la direction générale de Mme Frith, qui est chargé de l'intégration et de la préparation de tous les outils qui seront mis à la disposition des commissaires. C'est du domaine public, cela figure sur notre site Web. Les documents ont été distribués aux parlementaires et dans le public. Chacun peut les étudier et les critiquer. Je suis fière de dire qu'à mon avis, ils sont excellents et qu'ils ont été bien accueillis. Cependant, je m'empresse de dire que toutes les idées sont les bienvenues, et c'est pour cela que les documents ont été largement diffusés.

Nous sommes toujours à la recherche de ces valeurs communes. Mais je ne pense pas qu'il soit possible de les codifier. Le projet de loi contient tous les messages pertinents concernant l'essence de ces valeurs.

Le sénateur Andreychuk: D'après un article, le Cabinet aura le droit de dépouiller une personne de sa citoyenneté dans l'intérêt public.

Mme Caplan: Non, ce n'est pas exact. Selon cet article, le Cabinet peut refuser la citoyenneté dans l'intérêt public, ce qui est différent.

Le sénateur Andreychuk: Pourquoi a-t-on jugé cette disposition nécessaire? Il doit bien y avoir les dispositions habituelles applicables à ceux qui ont commis des crimes graves, crimes de trahison, de terrorisme, crimes contre l'humanité ou crimes semblables. Pourquoi a-t-on éprouvé le besoin de rajouter cet article? Qui essaie-t-on de viser ainsi?

Mme Caplan: C'est une disposition exceptionnelle applicable dans des cas exceptionnels, lorsqu'on ne veut pas être tenu d'accorder la citoyenneté à quelqu'un qui fait de la propagande haineuse ou à quelqu'un qu'on ne serait pas fier d'avoir comme concitoyen. Dans un tel cas, même si le candidat répond aux exigences de résidence, parle couramment les deux langues officielles et a réussi tous les tests de connaissance concernant le Canada, le Cabinet est tenu de décider s'il n'y a pas lieu, dans l'intérêt public, de lui dire qu'il n'apporterait aucune fierté au Canada. Dans l'intérêt public, le Cabinet peut lui refuser la citoyenneté, auquel cas le gouvernement doit rendre compte de sa décision.

Le sénateur Andreychuk: Dans un tel cas, aucun des autres critères ne s'applique. La décision sera prise au Cabinet, la plupart du temps en secret. Le candidat peut-il se défendre? Il me semble que le ministère doit produire un rapport. Pourtant, les décisions ne seront pas transparentes. Aujourd'hui, dans notre société, de telles accusations ne devraient-elles pas être soumises à un critère objectif sous forme par exemple d'une audience, où il faut s'expliquer et se justifier? Pourquoi a-t-on jugé nécessaire d'ajouter cette disposition? Pouvez-vous donner un exemple concret de situation où elle s'applique?

Mme Caplan: Je ne veux pas évoquer de cas personnel. Ce serait inopportun. Je peux cependant vous dire que ces décisions ne seront pas prises à la légère. À mon avis, elles ne seront pas prises sans appliquer le genre de critère dont vous parlez, sénateur. Il est prévu dans la loi que la personne concernée doit être avisée, qu'elle doit pouvoir intervenir par écrit auprès du ministre et interjeter appel par écrit, évidemment, auprès du Cabinet, puisqu'il s'agit d'une décision du Cabinet. Celui-ci devra rendre compte de sa décision de ne pas accorder la citoyenneté dans l'intérêt public à quelqu'un qui risquerait de déshonorer le Canada. Si l'on estime que le Cabinet a mal agi, je suis certaine qu'il en sera question à la Chambre des communes. C'est pourquoi les décisions prises par le conseil exécutif font quotidiennement l'objet de ce genre de contrôle à la période des questions.

Le sénateur Maheu: Soyez la bienvenue, madame la ministre. J'aimerais parler de la question du Québec, en particulier de l'article 8 du projet de loi. Le Québec a-t-il évoqué des questions particulières concernant les adoptions internationales dans le contexte du projet de loi C-16? Dans l'affirmative, quelles mesures avez-vous prises pour y répondre?

Mme Caplan: J'en ai parlé dans mon exposé. Comme vous le savez, l'adoption relève de la compétence provinciale. Par conséquent, l'octroi de la citoyenneté aux enfants qui arrivent au Canada et qui doivent devenir citoyens canadiens aussi vite que possible dépend de la participation des provinces. Les formalités de l'adoption sont différentes au Québec, qui applique un code civil différent des lois en vigueur dans les provinces du Canada. Nous travaillons avec la province de Québec pour faciliter l'arrivée de ces enfants grâce à un permis ministériel spécial, afin que l'adoption soit réalisée et la citoyenneté octroyée dans les plus brefs délais. Pour que les enfants arrivent au Canada avec la citoyenneté lorsque l'adoption est réalisée au Québec, il faudrait modifier le Code civil du Québec, mais c'est au gouvernement du Québec d'en décider.

Le sénateur Maheu: Je suppose que l'exigence voulant que le ministre soit convaincu que l'adoption est conforme aux intérêts supérieurs de l'enfant a suscité certaines critiques; on insiste beaucoup sur cette formule. Qu'est-ce qui garantit que c'est toujours l'intérêt supérieur de l'enfant qui prime?

Mme Caplan: Nous avons jugé très important de le stipuler dans la loi, car nous avons signé la convention de La Haye. Nous avons tenu à préciser que les décisions concernant la citoyenneté des enfants qui arrivent au Canada sont fondées sur l'intérêt supérieur des enfants. Nous reconnaissons cependant que l'adoption relève de la compétence provinciale et que les formalités imposées par les provinces doivent prévaloir.

Le sénateur Maheu: Comment les commissaires déterminent-ils l'intérêt supérieur de l'enfant? Qui prend la décision et celle-ci est-elle motivée?

Mme Caplan: Les provinces prennent quotidiennement des décisions sur le bien-fondé des adoptions, qu'elles décident ou non d'approuver. Elles font enquête elles-mêmes. Elles se préoccupent du respect des lois internationales, qui posent des défis. Actuellement, l'enfant arrive avec le statut d'immigrant reçu et doit être examiné par un médecin. Dans la nouvelle loi, l'examen médical reste obligatoire mais il ne vise qu'à informer les parents adoptifs qui auront ainsi tous les renseignements nécessaires sur l'état de santé de l'enfant.

Voilà les mesures que nous avons prises pour nous conformer à nos obligations internationales découlant de la Convention sur les droits de l'enfant, tout en collaborant avec les provinces afin de faciliter l'arrivée des enfants une fois que leur adoption a été approuvée -- ou finalisée dans le cas du Québec -- de façon que les enfants aient la citoyenneté canadienne lorsqu'ils arrivent, ou qu'ils l'obtiennent le plus tôt possible.

Le sénateur Maheu: C'est donc à vous qu'appartient la décision ultime sur la citoyenneté?

Mme Caplan: Évidemment.

Le sénateur Grafstein: Voilà une définition fascinante et importante de la canadienneté. Je ne sais pas quelles en sont les limites.

Je voudrais maintenant aborder deux petits points. Je voudrais parler des appels et de la révocation une fois que nous aurons entendu les autres témoins, de façon à ne pas vous imposer cela; cependant, je m'intéresse à la question et j'ai l'intention de l'étudier soigneusement. Une fois que nous aurons entendu les témoins, nous pourrons y revenir et vous permettre d'y répondre. Je réserve donc mon tour.

Il y a par ailleurs deux principes secondaires qui me tarabustent. Je ne suis pas certain de bien en comprendre le fondement. Tout d'abord, la définition de la citoyenneté tourne en rond. On dit qu'un citoyen a tous les droits, devoirs et obligations d'un citoyen. Je ne sais pas quoi en faire.

Mme Caplan: C'est pour cela que les précisions apportées par le sénateur sont très utiles, car la Charte garantit certains droits de citoyenneté.

Le sénateur Grafstein: J'y reviendrai tout à l'heure, mais il me semble que la définition tourne en rond. Je n'en ferai pas une affaire, pourvu que l'on puisse faire référence à d'autres lois pour s'y retrouver.

Voici l'alinéa 6(1)c):

(c) a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada [...].

Je sais que le ministre peut écarter cette exigence pour des raisons d'ordre humanitaire. Je connais personnellement un bon nombre de familles qui sont arrivées dans ce pays et dont les parents n'avaient pas une connaissance suffisante d'une des deux langues officielles, alors qu'ils parlaient cinq autres langues par ailleurs. L'un des parents a pu par la suite apprendre une langue officielle, même s'il n'en a pas «une connaissance suffisante».

Pourquoi est-ce qu'on remonte maintenant la barre, après en avoir fait l'une des règles fondamentales de l'obtention de la citoyenneté canadienne?

Mme Caplan: Je ne pense pas que nous ayons haussé la barre. La politique actuelle n'impose aucun test linguistique aux personnes de plus de 60 ans et elle va rester en vigueur.

Le sénateur Grafstein: Est-ce prévu dans la loi?

Mme Caplan: C'est à la discrétion du ministre.

Le sénateur Grafstein: Nous parlons ici de la loi.

Mme Caplan: Dans la nouvelle loi, il n'y a aucun changement concernant les exigences linguistiques. Actuellement, les juges appliquent un test linguistique. C'est au juge de la Cour de la citoyenneté de décider si le candidat a une connaissance suffisante d'une langue officielle.

Le sénateur Grafstein: Où est-ce que cela se trouve dans le projet de loi? J'ai l'alinéa 6(1)c) sous les yeux. Où donne-t-on des détails sur l'exercice légal de ce pouvoir, si ce n'est que l'on parle d'une dispense pour des raisons d'ordre humanitaire?

Mme Caplan: Le paragraphe 6(2) précise:

Pour des raisons d'ordre humanitaire, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de dispenser le demandeur:

a) dans tous les cas, des conditions prévues aux alinéas (1)c) ou d):

b) dans le cas d'un mineur, des conditions [...].

Le sénateur Grafstein: Oui, j'ai déjà cela sous les yeux. Ce n'est pas ce que je veux dire. Ce que je veux dire, c'est ceci: pourquoi en fait-on l'objet d'un «pouvoir discrétionnaire», plutôt que d'inscrire cela tout simplement dans la loi? Autrement dit, pourquoi établit-on d'abord un régime général sur le plan de la loi, pour passer ensuite à l'exception où le ministre a un pouvoir discrétionnaire? Il se pourrait que celui-ci se trouve inondé de demandes de ce type. Je ne comprends pas. Est-ce une question de politique: veut-on d'abord établir un principe général, et ensuite une exception qui permet d'y déroger?

Moi je peux penser à des tas de familles d'origine russe, ukrainienne ou juive, ou même chinoise et italienne, pour lesquelles on ne peut pas parler d'une connaissance «suffisante» de l'une ou l'autre des langues officielles du Canada, mais qui sont d'excellents citoyens de ce pays. Madame la ministre, vous en connaissez également.

Mme Caplan: C'est exactement pour cela que j'ai fait la différence entre l'examen des connaissances du pays, pour lequel on a le droit à un interprète, et l'examen des connaissances linguistiques. Pour ce dernier il s'agit simplement de s'assurer d'une connaissance de base de l'une ou l'autre des deux langues officielles. Selon les critères établis, l'examen revient à démontrer une connaissance de base permettant de participer à une petite conversation d'un niveau simple. Je dis bien des connaissances de base. Il s'agit simplement de s'assurer que ces nouveaux citoyens puissent voter, et participer à des activités auxquelles tout citoyen doit pouvoir participer.

Pour ce qui est de l'examen des connaissances du pays, il est important de bien faire remarquer, et c'est déjà le cas, que nous permettons à des gens d'avoir un interprète auprès d'eux, car il ne s'agit pas ici d'avoir une discussion de fond faisant intervenir une connaissance approfondie du Canada. Il y a donc là quelques nuances, il s'agit de bien savoir ce que l'on attend, et je pense que les demandes adressées au ministre seront peu nombreuses.

Je voudrais aussi faire remarquer que dans l'état actuel des choses, toutes ces décisions relèvent des juges de la Cour de la citoyenneté, et toute décision négative d'une juge peut faire l'objet d'un appel auprès de la Cour fédérale. Ces nouvelles dispositions administratives, où l'on peut faire appel auprès du ministre, lequel a le pouvoir de faire accélérer l'examen du dossier, ne devraient normalement pas poser de problèmes.

Le sénateur Grafstein: Il serait peut-être utile de voir si l'on a des statistiques qui justifient l'existence de cet alinéa c). C'est-à-dire des statistiques qui montrent qu'il y a effectivement là un problème à prendre en considération. Il serait bien d'avoir une base de données qui nous permettent un petit peu de voir ce que cette barrière signifie, et quelles en sont les conséquences. Je pense que ça pourrait être intéressant.

Mme Caplan: Il est aussi important de bien reconnaître que nous voulons des nouveaux citoyens qui soient capables de participer à la vie de notre société, et s'ils sont pleinement citoyens, nous voulons qu'ils soient capables de voter, et d'apprendre l'une de nos langues officielles pour qu'ils puissent faire ce que normalement tout citoyen peut faire, mais là encore, il s'agit de connaissances de base. Il s'agit bien de connaissances linguistiques de base, qui permettent de communiquer à un niveau élémentaire.

Le sénateur Grafstein: Madame la ministre, je pense que des statistiques seraient utiles mais je ne veux pas que ce débat s'éternise. Vous savez qu'à Toronto on n'a des problèmes graves de crédits à l'enseignement de la première ou de la seconde langue pour les immigrants. Nous savons que des tensions énormes s'exercent sur les budgets, et même si en principe donc, nous en avons la possibilité, si concrètement on a pas l'argent pour permettre à ces gens d'apprendre une des langues officielles, cette disposition est nulle et non avenue.

Mme Caplan: Je vais quand même tirer cela au clair, pour qu'il n'y ait pas de malentendu.

Le sénateur Grafstein: Venez-nous en aide.

Mme Caplan: Pour le moment, mon ministère dispose pour les services d'aide à l'établissement des immigrants d'environ 273 millions de dollars, dont 80 p. 100 pour l'enseignement d'une langue, et dans la plupart des cas il y de la place dans ces classes pour ceux qui ne relèvent pas de la catégorie économique. Ceux qui sont dans cette catégorie ont en général déjà une bonne connaissance du pays. Dans la catégorie regroupement familial, les parents ou grands-parents que l'on fait venir au Canada sont en général très proches de cette limite des 60 ans, pour le test de langue.

Vous demandez des statistiques, je vous explique, quant à moi, que nous avons des cours de langue dans tout le pays, et qu'ils sont ouverts à tous ceux qui arrivent ici dans la catégorie du regroupement familial, et cetera. Ce que nous constatons aujourd'hui c'est que moins de 5 p. 100 échouent à cet examen de langue.

Le sénateur Grafstein: Ça fait combien par an, 7 000 ou 8 000?

Mme Caplan: Il y a eu l'an dernier 200 000 demandes. Moins de 5 p. 100 de celles-ci correspondaient à un échec à l'examen de langue.

Le sénateur Grafstein: Cela fait donc moins de 10 000. Nous y reviendrons peut-être avec les autres témoins.

Je vais passer maintenant à une autre question. C'est un petit peu une de mes vieilles marottes, et si les sénateur s'endorment je ne leur en voudrai pas. Ils m'ont déjà entendu prendre la parole là-dessus par le passé, mais j'aimerais encore y revenir. Je trouve en effet qu'il y a quelques contradictions entre l'alinéa 33(2)d), dans sa portée générale, et notamment à propos de l'exercice du droit de vote, et l'accord des Nisga'as passé au Parlement l'an dernier. La pierre d'angle de la participation à la vie du pays est effectivement le droit de votre. C'est un droit de la Charte. C'est essentiel, je suis d'accord, et je suis plus que ravi que l'on parle de ce droit ici, et même d'en faire la promotion, non seulement de ce droit, mais de l'exercice concret de ce droit de vote, ce qui est encore mieux.

Cela dit, le Sénat a découvert lors de son examen de ce traité nisga'a, qu'il y a ici une espèce de principe de primauté accordé à la bande, qui peut décider qui peut être citoyen, sur le territoire fédéral et qui a maintenant été octroyé aux Nisga'as, et rien ne garantit qu'une personne qui y aurait résidé plus de six ans puisse devenir effectivement citoyen nisga'a, avec donc le droit de vote. Et pour me faire l'avocat du diable, je rappellerais que M. Williamson, juge de la cour de première instance de Colombie-Britannique, avait déjà d'une certaine manière donné son aval au gouvernement, en rendant une décision où il laisse en quelque sorte complètement tombé tout cet aspect citoyenneté et droit de vote. Il prétendait que cela n'était pas vraiment important, que ça n'était pas un argument pertinent, et que dans beaucoup de municipalités il n'en était pas ainsi, et cetera.

Y aurait-il donc contradiction entre le droit fédéral de la citoyenneté qui garantit le droit de vote, et d'autres lois fédérales s'appliquant à des terres fédérales qui ont maintenant été transférées aux Autochtones, et où le droit de vote ne serait pas garanti, et où le droit d'obtenir la citoyenneté, un droit qui implique le droit de vote, ne serait pas garanti, et où existerait en quelque sorte une espèce de statut de citoyen de deuxième classe? Cela ne vous inquiète-t-il pas?

Mme Caplan: Sauf votre respect, sénateur, je suis prête aujourd'hui à discuter de tout ce qui entoure le projet de loi C-16.

Le sénateur Grafstein: C'est une question que je posais. Je suis sûr que vos hauts fonctionnaires savent de quoi je parle. Je me demande simplement pourquoi au Cabinet on invoque une notion de citoyenneté qui est la pierre d'angle de notre société, mais nous ne défendons pas les mêmes principes ailleurs. Ce n'est pas du ressort de votre ministère, mais plutôt d'un ministère connexe.

Mme Caplan: Veuillez m'excuser, sénateur, y a-t-il quelqu'un ici qui puisse répondre à la question?

Le sénateur Grafstein: Sans doute pas. J'aimerais cependant que vous y réfléchissiez, et que vous me transmettiez votre réponse. Madame la ministre, vous représentez le gouvernement. J'ai posé la même question à votre collègue M. Nault. À son avis ce n'était pas très important. Le droit de voter ne lui semblait pas si important que cela. J'aimerais en savoir un petit peu plus là-dessus.

Mme Caplan: Je ne peux que répéter ce que j'ai déjà dit: je suis prête à répondre à toute question concernant le projet de loi C-16.

Le sénateur Grafstein: Peut-être que vos hauts fonctionnaires pourront revenir témoigner au comité. Vous pourrez peut-être, tout à la fin, nous expliquer cette incohérence, s'il y en a une.

Mme Caplan: J'en prends note.

Le vice-président: Nous reviendrons de toute évidence sur cette question, puisque chaque loi doit respecter la Charte des droits et libertés, et en l'occurrence les trois articles correspondants.

Mme Caplan: Voilà une bonne réponse, merci sénateur. Cela me convient. Est-ce que je peux moi aussi répondre de cette façon?

Le sénateur Grafstein: Comme il n'est pas ici pour témoigner, je m'abstiendrai.

Mme Caplan: Je m'en tiens à la réponse du sénateur.

Le vice-président: Nous reviendrons bien sûr sur cette question.

[Français]

Le sénateur Nolin: Ma première question vise purement à nous assurer devant le comité que nous aurons le loisir de questionner vos fonctionnaires à la toute fin du processus d'examen de ce projet de loi et que des gens demeureront disponibles afin de répondre à nos questions.

Des fonctionnaires du ministère de la Justice vous assistent-ils tout au long de ces travaux?

Mme Caplan: Oui.

Le sénateur Nolin: Et ces personnes seront disponibles tout au long des travaux?

Mme Caplan: Oui.

Le sénateur Nolin: Vous avez répondu au sénateur Andreychuk quant à l'article 21. Sans préciser de qui vous parlez, pouvez-vous nous donner un exemple auquel pourrait s'appliquer l'article 21?

Mme Caplan: Pour les deux questions, la réponse est oui.

[Traduction]

Mes hauts fonctionnaires seront à votre disposition, et j'espère moi-même pouvoir recomparaître au comité à la fin du débat. Pour ce qui est de l'autre question, lorsque le sénateur Andreychuk a posé la sienne, j'ai dit que le Cabinet pouvait refuser, dans l'intérêt public, d'accorder la citoyenneté à quelqu'un qui déshonorerait le Canada, quelqu'un dont nous ne serions pas fiers de dire: «Il est Canadien». Ça pourrait être quelqu'un, par exemple, qui se livre à des campagnes d'incitation à la haine. Nous en avons un exemple, et je n'ai pas besoin de citer de nom, l'exemple de quelqu'un qui techniquement satisfait à toutes les conditions de résidence, qui a été présent physiquement au Canada pendant un total de trois années sur six, qui connaît bien le pays, et qui parlait les deux langues officielles parfaitement. Il s'agirait donc de façon général de situations extrêmes, où la cohésion et l'harmonie sociales pourraient être menacées. Dans ce genre de situation, la décision pourrait en revenir au conseil exécutif.

Selon nous, il était important que toute la procédure d'octroi de la citoyenneté se fasse dans le respect de nos valeurs. C'était d'autant plus important que la Constitution ne prévoit pas de droit à la citoyenneté. Cette citoyenneté, en quelque sorte, est octroyée par le peuple canadien. Si l'on doit craindre que tel ou tel individu déshonore le pays, le Cabinet a l'obligation, au nom des Canadiens, de déclarer qu'il y va de l'intérêt public de refuser la citoyenneté.

[Français]

Le sénateur Nolin: Ce que vous nous demandez est un pouvoir extraordinaire. C'est sur ce point que je voudrais me concentrer lors de mon examen de la semaine prochaine. J'ai lu beaucoup de publications de votre ministère. Dans le projet de loi, il est question des valeurs canadiennes. Ce propos se retrouve partout dans le texte et je suis entièrement d'accord avec vous, mais en ce moment, vous nous demandez un pouvoir extraordinaire qui va au-delà, d'ailleurs. Vous dites aux nouveaux arrivants désirant la citoyenneté canadienne: «Voici la série de valeurs auxquelles nous croyons. Elles sont tellement importantes que vous devez passer des examens pour être sûr de vous en souvenir». Et même si le droit de vote n'est pas obligatoire au Canada, vous leur dites qu'il est important de voter.

[Traduction]

Mme Caplan: Soyons clairs. Je pense que c'est important. L'examen des connaissances fait appel à toute une série de questions. On a le choix entre plusieurs questions. Tout le monde sait que celles-ci sont choisies parmi une liste de 200 questions possibles que l'on peut se procurer. Ce sont donc des questions de portée générale, et de nature historique, concernant le Canada.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je ne conteste pas cela, au contraire, je suis d'accord avec les questions que vous posez. Ce qui me préoccupe est l'importance que vous accordez aux valeurs canadiennes. Je reconnais cette importance qui fait que les Canadiens se reconnaissent en tant que population. Mais en même temps, vous nous demandez, dans ce projet de loi, de mettre de côté d'autres valeurs tout aussi importantes pour nous que la règle de droit.

Je suis prêt à accorder cette discrétion à l'exécutif, mais vous allez devoir nous convaincre de ce qu'est le déshonneur du Canada. Si un requérant à la citoyenneté commet un geste illégal, une section de la loi vous donne toute autorité de ne pas lui accorder sa citoyenneté. S'il s'agit d'un requérant qui a menti, la loi vous accorde également toute autorité de lui retirer sa citoyenneté.

J'essaie de cerner la raison de cette autorité que vous nous demandez aujourd'hui, tout en gardant en tête que la Charte des droits et libertés s'applique à tout le monde au Canada, citoyen ou non.

[Traduction]

Mme Caplan: Sénateur, cette disposition serait utilisée dans des circonstances précises et exceptionnelles. Je pense par exemple à quelqu'un qui se livrerait à des campagnes d'incitation à la haine raciale.

Le sénateur Nolin: Mais ce genre de comportement est déjà une infraction.

Mme Caplan: Je comprends. C'est précisément la raison pour laquelle il faut pouvoir rendre des comptes lorsqu'une telle décision a été prise dans ce genre de situation exceptionnelle. Si je me reporte à mon expérience, et sans entrer dans le détail de cas particuliers, je dirai que cette disposition est une sûreté. De façon générale on tombe sous le coup de la loi, mais mon expérience passée me montre que l'on avait ici besoin de se prémunir en cas de situations exceptionnelles, où nous voulons conserver par-devers nous la possibilité de refuser la citoyenneté à quelqu'un qui se livrerait à des activités que la plupart des Canadiens estimeraient condamnables.

[Français]

Le sénateur Nolin: Êtes-vous en train de nous dire qu'il existe actuellement des gens au Canada qui, ayant reçu la citoyenneté, ont posé des gestes ou pris des positions déshonorantes pour le Canada et que vous n'avez aucun pouvoir d'empêcher cela?

[Traduction]

Le sénateur Maheu: Oui.

Mme Caplan: C'est exactement ce que nous disons.

[Français]

Le sénateur Nolin: Sans nommer personne, pourriez-vous m'expliquer ce qu'ils ont fait?

[Traduction]

Mme Caplan: J'ai été très claire là-dessus, et j'ai parlé d'incitation à la haine raciale. J'ai parlé de campagne d'incitation à la haine. Je ne veux pas citer de noms particuliers. C'est une situation exceptionnelle, rare, mais il nous est arrivé parfois, par le passé, de nous sentir dans l'incapacité de refuser la citoyenneté. Il s'agit donc ici d'une mesure de sécurité, qui est un élément important de ce projet de loi. C'est dans l'intérêt de tous les Canadiens. Ce qui est par ailleurs important c'est que l'on doit justifier, en ces situations exceptionnelles, le recours à cette disposition.

Le sénateur Nolin: Mais au Canada, c'est la justice qui est notre précaution et sûreté essentielles.

Mme Caplan: Moi je crois, dans l'esprit de la tradition parlementaire, que les débats de la Chambre des communes sont le meilleur lieu où rendre des comptes.

Le sénateur Moore: Il y a aussi le Sénat.

Mme Caplan: Oui. Le débat parlementaire des deux chambres. Il faut aussi bien faire remarquer que ce refus de citoyenneté, fondé sur l'intérêt général, est limité dans le temps. Il s'agit d'une période de cinq ans après laquelle la mesure doit être réexaminée. Ça n'est donc pas une décision définitive, même s'il s'agit d'une situation tout à fait exceptionnelle. Tout cela est conforme à la tradition parlementaire britannique et du Commonwealth: c'est au nom du peuple canadien que le gouvernement fixe les règles de l'octroi de la citoyenneté. C'est ensuite le gouvernement qui est comptable de ces décisions, et notamment lorsqu'on décide de ne pas accorder la citoyenneté ou de la révoquer.

Le vice-président: Quelqu'un a cité l'avocat du ministère de la Justice, tout à l'heure. De toute évidence, nous voulons poser la question de l'intérêt public de l'article 21, mais il s'agissait du cas Morales dont est saisie la Cour suprême du Canada. Nous y reviendrons puisque la Cour suprême a estimé que l'expression était trop vague. L'intérêt public, c'est quoi? Si l'expression reste vague, ce sera au tribunal de lui donner plus de contenu.

Mme Caplan: Je pourrais répondre à cela.

Le vice-président: Allez-y.

Mme Caplan: En 1996, la Cour suprême du Canada a débattu de cette question. Elle a constaté que l'intérêt supérieur de l'enfant restait quelque chose d'indéfini, et a conclu que c'était plus un idéal juridique qu'un outil concret d'analyse. Lorsqu'il s'agit de l'intérêt supérieur de l'enfant, il y a une multitude de facteurs qui peuvent entrer en ligne de compte, et cette notion doit rester a priori dans une certaine indétermination.

Il arrive que la loi comporte des vides. Parfois on a besoin de cette indétermination.

Le vice-président: Mais moi je parlais de l'intérêt public.

Mme Caplan: J'ai alors mal compris votre question, excusez-moi.

Le vice-président: Je parle de «l'intérêt public» à l'article 21, dont il a déjà été question dans l'affaire Morales, où la cour a conclu que cette notion restait vague. Mais nous ne pouvons pas débattre de tout en même temps. Nous y reviendrons plus tard, lorsque l'avocat du ministère de la Justice comparaîtra.

Mme Caplan: Certes on a estimé que sur le plan constitutionnel cela restait vague, mais dans sa décision la cour a estimé que la Constitution ne fixait pas de droit à la citoyenneté.

Le vice-président: Je suis d'accord, mais c'est encore autre chose.

Le sénateur Cools: Je souhaite la bienvenue au ministre. Est-ce que c'est votre première comparution?

Mme Caplan: Oui, et je suis ravie d'être ici.

Le sénateur Cools: Est-ce que je peux rappeler aux honorables sénateurs que la ministre vient de ma merveilleuse ville de Toronto. Vive Toronto!

Moi je voudrais parler du serment de citoyenneté. Article 34: «Le serment de citoyenneté prêté dans les termes prévus à l'annexe». Le serment de citoyenneté, au Canada, était traditionnellement un serment d'allégeance. Si je me reporte à ce serment dont on propose le texte, je vois qu'il a été radicalement remanié.

J'ai donc deux questions à poser à la ministre. Sur le plan législatif, et sur le plan de la politique sociale, quelles étaient les intentions du gouvernement lorsqu'il a modifié le serment, et notamment supprimé le serment d'allégeance, notamment à la Reine Elizabeth II, reine du Canada et ses héritiers et successeurs.

Deuxièmement, cette question d'allégeance n'est pas nouvelle. On prête allégeance à un souverain, cette allégeance et cette loyauté définissent la personne, ou expriment le fait que le souverain a le droit d'exiger cette loyauté des citoyens... pour pouvoir, par exemple, les envoyer à la guerre. Le souverain avait ce droit de conscription. Quelle est donc l'intention stratégique ou législative de cette modification du serment, et d'une disposition qui demande désormais aux citoyens de prêter serment au Canada? Qu'est-ce que cela signifie?

Mme Caplan: Sur cette question du serment on a beaucoup consulté. On peut dire également qu'il n'y avait pas unanimité, et que le consensus était rare. Le serment était resté tel quel pendant 50 ans. Le nouveau serment est concis, et s'exprime dans un langage simple. L'allégeance à la reine est conservée puisque celle-ci est le chef d'État au Canada. On peut dire que les citoyens ont encore un devoir d'allégeance envers Sa Majesté, ses héritiers et successeurs, même si ces termes ont été exclus du texte, pour plus de concision. Le serment de citoyenneté proposé peut être fait devant Dieu, ou sous forme de déclaration solennelle, selon les préférences du candidat. Nous voulions aussi nous assurer que l'on mentionne bien le Canada, et que le serment ait un sens pour ceux qui participent à la cérémonie.

Le sénateur Cools: Vous avez dit quelque chose que j'ai du mal à comprendre.

Mme Caplan: C'est toujours possible.

Le sénateur Cools: Vous dites que le serment n'a pas changé, d'une façon qui laisserait entendre qu'il faudrait le modifier. À mon avis l'allégeance est quelque chose d'inconditionnel, quelque chose qu'on ne change pas. Ma question est donc celle-ci: Pourquoi le gouvernement a-t-il estimé nécessaire de reformuler le serment? J'aimais bien le fait que ce serment soit resté le même pendant des dizaines d'années. C'est d'ailleurs ce que vous avez dit.

Mme Caplan: Au cour des consultations, les Canadiens nous ont fait savoir qu'ils voulaient un serment renouvelé, conforme aux valeurs contemporaines et à la notion de loyauté envers le Canada. Ce nouveau serment correspond donc à une réalité du Canada plus moderne. Les Canadiens ont clairement exprimé le désir de mettre l'accent sur le pays, et sur les valeurs communes plutôt que les institutions de gouvernement. Le gouvernement a donc entendu, et le nouveau serment permettra à tous les Canadiens, de toutes origines et confessions, de célébrer ce que nous avons en commun dans ce pays.

Il n'y a sans doute pas unanimité, mais on peut parler d'un consensus raisonnable qui reflète ce que nous avons pu entendre au cours des consultations.

Le sénateur Cools: Comme d'autres, je serais plutôt choquée qu'un immigrant ou une personne voulant s'installer en Israël déclare qu'elle n'aime pas l'Étoile de David, que c'est un symbole suranné, qu'il faudrait le moderniser et qu'il est gênant. Or, ce serment est quelque chose qui renvoie à l'existence du Canada, à cet ensemble d'un seul tenant, et qui se trouve être une monarchie constitutionnelle, que nous devons nous attacher à préserver, à défendre et à promouvoir.

Mme Caplan: Il est bien question de la reine dans le serment, nous avons donc tenu compte de vos préoccupations. Beaucoup de gens étaient d'ailleurs avec vous. Il peut être intéressant d'indiquer ici, pour information, que d'autres pays du Commonwealth sont également en train de moderniser et de revoir leur serment de citoyenneté. L'Australie en est un exemple, où l'on a précisément adopté un nouveau serment de citoyenneté.

Le sénateur Cools: Vous avez dit que vous avez supprimé les termes «héritiers et successeurs», bien que l'allégeance soit toujours envers Sa Majesté ainsi que ses héritiers et successeurs. Mais si vous dites juste -- je ne suis pas en train ici d'exprimer une opinion personnelle -- et s'il y a toujours allégeance envers les héritiers et successeurs de Sa Majesté, quel est l'objectif stratégique, de votre point de vue, de la suppression de ces termes?

Mme Caplan: Nous voulions surtout être concis. En supprimant ce passage on rendait le texte plus léger. Mais ça n'a finalement aucune effet sur ce serment d'allégeance pour ce qui est des successeurs. Il est bien clair, dans la common law, que l'on a un devoir de loyauté envers le souverain, quel qu'il soit. Il n'était donc pas nécessaire d'être plus précis dans le serment. Je crois que tout cela est inclus.

Le sénateur Moore: Mais si ça n'est pas inclus, c'est exclu. Et ça n'est pas pris en compte.

Mme Caplan: On en tient compte dans le principe de la common law.

Le sénateur Moore: On ne peut pas s'attendre à ce qu'un citoyen fasse des recherches dans la common law et dans la Loi d'interprétation pour savoir ce que cela signifie.

Mme Caplan: Je pense que le nouveau serment est plus facile à comprendre et plus facile à lire.

Le vice-président: Il y a pour cela toute une jurisprudence. Puisque nous sommes un pays du Commonwealth, lorsque nous parlons de la reine il s'agit de la reine du chef du Canada. Ne l'oublions pas. Il y a une reine, à la tête du Commonwealth, mais il y a aussi la reine du chef du Canada, la reine du chef d'Australie, et chaque pays adapte ensuite son serment d'allégeance aux valeurs qui lui sont propres. Voilà un débat fascinant, mais je ne pense pas qu'il faille s'y attarder. Il s'agit d'un projet de loi sur la citoyenneté.

Le sénateur Cools: Certains d'entre nous se sentent très liés à la monarchie constitutionnelle du Canada, et le serment d'allégeance est un excellent symbole.

Le vice-président: Nous sommes tous d'accord là-dessus.

Mme Caplan: J'aimerais ajouter, sénateur, que pendant les consultations tout le monde n'était pas d'accord là-dessus. Certains estimaient même qu'il ne fallait pas du tout parler de la reine dans le serment, et cela a donné lieu à beaucoup de débats et discussions. Il n'y avait donc certainement pas l'unanimité. Je pense que le serment que nous proposons est raisonnable, dans sa forme actuelle; tout débat sur le rôle de la monarchie au Canada devrait être reporté à une autre discussion, en un autre endroit car c'est un autre débat. Pour ce qui est du serment de citoyenneté, nous voulions tenir compte des réalités d'aujourd'hui, à savoir que la reine a un rôle de monarque constitutionnel du Canada et que nous voulons insister sur l'allégeance et la loyauté envers le Canada. Je répète il n'y avait pas unanimité ni consensus.

Le sénateur Cools: J'ai du mal à accepter cela, étant donné qu'il s'agit ici de cohésion sociale. Un élément de cette cohésion sociale et unité nationale serait que chaque immigrant, au moment de devenir citoyen, prête le même serment d'allégeance qui est demandé au Sénat, aux parlementaires, aux juges et autres titulaires de charge publique. J'estime que jusqu'ici ce serment d'allégeance a été un élément d'unité puissant pour le pays. Et si nous voulons simplifier les choses pour nos futurs citoyens, la solution la plus évidente serait de s'assurer que nous pouvons prononcer tous les mêmes paroles, et que ce serment d'allégeance est le même pour tous dans tout le pays. La ministre pourrait peut-être alors envisager un amendement que nous lui soumettrions, visant à rétablir le serment dans son ancienne version. Ça a très bien marché pendant tout ce temps-là, et vous savez que, très souvent, selon l'adage, «le mieux est l'ennemi du bien».

Mme Caplan: Comme je l'ai dit, sénateur, cela fait 12 ans que la loi fait l'objet d'une révision. Il y a eu de larges discussions, il a été difficile de s'entendre sur cette question, mais il ressort de cette consultation élargie que certains désirent voir le serment être plus sous la forme d'une allégeance au Canada. C'est ce que propose cette version, dans la mesure du possible. Puisqu'il n'y a pas unanimité, c'est ce qu'il y a de plus proche du consensus.

Le sénateur Cools: Monsieur le président, nous devrions peut-être rediscuter de cela et, si vous le permettez, nous pourrions peut-être entendre quelques témoins qui nous exposeraient la situation du droit en matière d'allégeance et de souveraineté, et de devoir d'allégeance. On parlait si je ne me trompe de «droit d'allégeance». Nous pourrions peut-être entendre des témoins.

Le sénateur Taylor: Madame la ministre, j'aurais trois questions à poser, qui sont liées. Il s'agit d'abord de la notion d'intérêt public, lorsque l'on refuse la citoyenneté, ensuite d'annulation et, enfin, de révocation. Étant donné que les candidats à la citoyenneté sont déjà des immigrants reçus, et ont déjà eu la possibilité d'entrer au Canada, en cas de révocation de cette citoyenneté, la personne en question est encore un immigrant reçu. Si on annule cette citoyenneté, on a encore affaire à un immigrant reçu. Vous dites qu'il peut être contraire à l'intérêt public que d'accorder la citoyenneté à quelqu'un, et vous citez quelques exemples. Mais moi je vous réponds que cette personne continue à circuler au Canada, comme immigrant reçu. Est-ce que je me trompe, ou est-il possible dans certains cas que l'individu en question soit reconduit à la frontière?

Mme Caplan: Cela dépend dans chaque cas si la personne en question ferait l'objet d'une enquête qui entraînerait des procédures d'expulsion.

En ce qui concerne votre premier point, l'intérêt public que présente le refus d'accorder la citoyenneté, l'intention ici c'est de prévoir une soupape de sécurité. En d'autres mots, lorsque le Cabinet est clairement d'avis qu'il est dans l'intérêt public de ne pas accorder la citoyenneté à quelqu'un, il est possible de refuser de lui attribuer la citoyenneté. Comme je l'ai dit, cette mesure fait suite à un arrêt de la Cour suprême qui déclare que la citoyenneté n'est pas un droit constitutionnel et que par conséquent nous devons pouvoir refuser d'accorder la citoyenneté.

En ce qui concerne l'annulation, cela se fait dans les cas les plus nets, lorsque, dans les cinq ans qui suivent l'attribution de la citoyenneté, il peut être prouvé clairement qu'un individu a menti, a fait de fausses déclarations ou a obtenu la citoyenneté de façon frauduleuse. Un avis est donné à l'individu et on lui offre l'occasion de se défendre, et la décision du ministre fait l'objet d'un examen judiciaire pour assurer l'application régulière de la loi et l'équité. La personne redevient alors un résident permanent à titre d'immigrant reçu. Une enquête peut être faite en fonction du cas et on déterminera alors s'il y a lieu d'essayer de révoquer le statut de résident permanent.

Les cas de révocation sont des cas qui prennent plus de temps et pour lesquels la barre est beaucoup plus haute car il ne s'agit pas de cas clairs et nets. Par conséquent il faut d'abord faire valoir ses arguments devant un juge de la Cour fédérale. Une fois que le ministère de la Justice et le ministre ont réussi à faire valoir leurs arguments devant la Cour fédérale, il est alors possible de procéder à un contrôle judiciaire à chaque étape du processus jusqu'à ce qu'enfin le Cabinet décide de révoquer ou non la citoyenneté.

Je tiens à signaler que les procédures de révocation prévues au projet de loi C-16 sont identiques aux procédures de révocation en vigueur depuis 1977. Le projet de loi C-16 ne propose aucun changement aux méthodes de révocation. Ce projet de loi ne renferme aucune nouvelle disposition en ce qui concerne la révocation de la citoyenneté.

Le sénateur Taylor: Je suis d'accord avec vous au sujet de la révocation. La révocation est sans doute préférable. Il y a quelques améliorations. Je pense que la norme de preuve doit être la prépondérance des probabilités.

Mme Caplan: Cela a toujours été le cas. C'est le critère dont se servent les tribunaux dans les affaires au civil. Dans les affaires criminelles, le critère est différent mais ici encore, aucun changement n'est apporté aux dispositions concernant l'application régulière de la loi ni au processus de révocation en vigueur dans ce pays depuis 1977.

Je tiens à signaler que depuis 1977 il y a eu moins de 40 cas de révocation au pays.

Le sénateur Taylor: Cela m'amène à ma question supplémentaire, qui concerne l'annulation. Je pense que cela pourrait devenir le moyen détourné dont se serviraient les ministres. Je sais que vous ne vous en serviriez pas, madame la ministre. Cependant on pourrait se trouver à utiliser ce moyen détourné plutôt que les dispositions relatives à la révocation. Dans les dispositions relatives à l'annulation, l'appel est interjeté auprès de la Cour fédérale. Cependant, comme la Cour fédérale ne détermine que les faits et que le ministre indiquera ensuite qu'un fait s'est produit, c'est-à-dire que la personne a menti par exemple, alors l'appel auprès de la Cour fédérale est vain. Je dis cela parce que la Cour fédérale couvre la procédure mais pas les faits. Par conséquent, on pourrait encourager le recours à l'annulation. Cette disposition ne prévoit rien à propos du doute raisonnable; elle parle uniquement de «motifs raisonnables». Je crains qu'il s'agisse d'un moyen détourné de contourner la révocation. Un autre ministre qui ne serait pas aussi efficace ni aussi scrupuleux que vous, madame la ministre, pourrait s'en servir.

Mme Caplan: Tout d'abord, ce sont les tribunaux qui ont déclaré que la norme appropriée est la prépondérance des probabilités, étant donné que la révocation ne relève pas d'une poursuite au criminel mais d'une poursuite au civil, et traite de questions du fardeau de la preuve. Il existe des différences très nettes entre les procédures d'annulation et de révocation. La décision d'annuler repose sur des faits objectifs. Par exemple, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration examinera les dossiers du tribunal ou de la police pour déterminer si une personne était sous le coup d'une interdiction au criminel. La citoyenneté ne sera annulée que dans des cas nets où les faits sont clairs. La loi exige qu'il faut en aviser l'intéressé. Une fois que la citoyenneté est annulée, la personne réintègre le statut de résident permanent et peut rester au Canada et présenter une nouvelle demande de citoyenneté cinq ans plus tard, étant donné que l'annulation ne reste en vigueur que pendant cinq ans.

En ce qui concerne la révocation, la décision de révoquer comporte des critères plus subjectifs. Une personne doit avoir délibérément commis un acte frauduleux pour entrer au Canada et obtenir la citoyenneté. L'annulation est très subjective. Il faut qu'il y ait des documents qui établissent, par exemple, qu'une personne a coché la case indiquant qu'elle a ou n'a pas de casier judiciaire alors qu'en fait, il existe un casier judiciaire et les dossiers du tribunal le prouvent. Le critère de révocation, c'est d'avoir délibérément commis un acte frauduleux.

Les cas de citoyenneté seront révoqués pour des motifs plus complexes au niveau des faits. Ils sont alors présentés à la Section de première instance de la Cour fédérale afin que le juge puisse décider si le ministère et le ministre ont établi le bien-fondé des arguments en faveur de la révocation. On prend cela très au sérieux. Cependant, la personne demeure résidente permanente et peut présenter une nouvelle demande de citoyenneté dans cinq ans à moins qu'il ait été décidé que la personne fasse l'objet d'une enquête destinée à lui retirer son statut de résident permanent.

Dans les deux cas, la personne réintègre le statut de résident permanent et il faut alors établir que cette personne n'aurait jamais dû recevoir le statut de résident permanent. C'est donc ici encore la norme.

En ce qui concerne l'annulation et la révocation, il est important de savoir que nous avons affaire à des personnes qui n'avaient jamais été admissibles à la citoyenneté canadienne. Nous avons affaire à des individus qui ne se seraient jamais vus attribuer la citoyenneté si nous avions disposé des faits. Ils ont reçu la citoyenneté par fraude, ou au moyen d'une fausse déclaration ou, dans le cas de la révocation, au moyen de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels qui les auraient empêchés de recevoir la citoyenneté canadienne.

En ce qui concerne l'annulation, si la personne au départ n'était pas admissible, il est important de pouvoir présenter des arguments à cet effet. Cela fait l'objet d'un contrôle judiciaire. Dans le cas du contrôle judiciaire, comme pour toutes les décisions ministérielles, les procédures ne peuvent pas continuer si le tribunal déclare que l'individu n'a pas respecté ses obligations. Dans ce cas, la décision doit alors être revue. Il s'agit des mécanismes de protection de l'application régulière de la loi qu'assure le contrôle judiciaire des décisions ministérielles.

Le sénateur Taylor: L'annulation semble laisser au ministre un important pouvoir discrétionnaire quant à savoir si la personne a commis, selon des motifs raisonnables, une telle infraction.

Mme Caplan: Je tiens à être claire, sénateur. La subjectivité n'entre absolument pas en ligne de compte en ce qui concerne l'annulation. On se base sur des faits objectifs et des preuves documentaires. Les procédures d'annulation exigent des faits objectifs et des preuves car autrement, le contrôle judiciaire serait voué à l'échec.

Le sénateur Taylor: J'ai aussi lu dans le projet de loi qu'une annulation pourrait avoir lieu cinq ans après la demande de citoyenneté. Cela signifie que si la personne est un immigrant reçu et présente une demande cinq ans plus tard, elle a été au Canada pendant huit ans.

Mme Caplan: Les cas qui font l'objet d'annulation sont traités de manière objective. Le Canada est généreux en attribuant la citoyenneté dans les 1 095 jours de statut légal au Canada. Si quelqu'un dissimule de l'information ou fait de fausses déclarations lorsqu'il remplit sa demande et que l'on s'en rend compte dans les cinq ans qui suivent l'attribution de la citoyenneté, les dispositions relatives à l'annulation s'appliquent alors, sous réserve d'un contrôle judiciaire. Cela fait partie de l'intégrité de la citoyenneté canadienne.

Je vois très bien ce que vous voulez dire. Nous prévoyons assurément que les cinq ans seraient l'exception et que la majorité de ces cas seraient portés à notre attention au bout d'un an ou deux.

Le sénateur Pearson: Ma question concerne le problème des enfants mais pas au niveau de l'adoption. Ce n'est pas le problème qui me préoccupe. Ce qui me préoccupe, c'est le droit de l'enfant en vertu de la Convention sur les droits de l'enfant à un nom et à une nationalité. Je suis au courant de cas où des enfants, en bas âge, sont venus au Canada avec leurs parents en tant qu'apatrides. J'ai de la difficulté à voir comment les mesures du projet de loi s'appliquent aux enfants, mise à part la question de l'adoption. Une disposition prévoit que si un enfant de moins de 7 ans est abandonné, alors on considérera que cet enfant est né ici. Dans le cas de mineurs non accompagnés et de ceux qui viennent ici en vertu d'un permis parce qu'ils sont apatrides, y a-t-il des dispositions dans ce projet de loi qui s'appliquent à ce genre de cas? Le droit à un nom et à une nationalité signifie en fait le droit à la citoyenneté.

Mme Caplan: Vous avez posé une question technique, sénateur, et je vais demander à mes collaborateurs d'y répondre. Tout d'abord, j'aimerais dire que j'assiste aux cérémonies de citoyenneté où des enfants reçoivent la citoyenneté, et c'est un beau moment. Si vous n'avez pas eu l'occasion d'assister à une telle cérémonie, c'est une chose que je recommande à tout le monde. Il est particulièrement merveilleux de voir les enfants recevoir la citoyenneté en même temps que leurs parents. On dit souvent qu'il s'agit d'un des événements marquants de la vie d'une famille. Je sais que certaines familles choisissent de recevoir la citoyenneté ensemble puis de célébrer chaque année le jour où ils ont reçu leur citoyenneté. C'est merveilleux. C'est d'abord ce que je voulais dire à propos des enfants.

Deuxièmement, le Canada est signataire de la Convention internationale sur l'apatridie. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour nous assurer de ne pas causer d'apatridie, et si nous constatons que quelqu'un est apatride, nous tâchons de remédier à la situation.

Cela dit, je cède la parole au spécialiste.

M. Normand Sabourin, greffier de la citoyenneté, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration: Pour répondre à votre question, il faut examiner les dispositions générales du projet de loi concernant l'attribution de la citoyenneté aux enfants. Quiconque est né ici sera citoyen du Canada. Tout enfant d'un parent canadien sera un citoyen du Canada. Vous avez parlé des dispositions concernant les enfants trouvés. Si nous trouvons un enfant ici et que nous ignorons quel est son pays d'origine, cet enfant deviendra un citoyen. Enfin, si un enfant est apatride et n'a pas de parents ni d'affiliation qui puisse être établie, le ministre a alors le pouvoir discrétionnaire d'autoriser cet enfant à présenter une demande en tant qu'adulte. Autrement dit, il n'est pas nécessaire qu'il ait un parent qui soit citoyen canadien pour se voir accorder la citoyenneté.

Enfin, en ce qui concerne la question de l'apatridie, si l'enfant est né à l'étranger d'un parent canadien, en 2020 au plus tard, en tant qu'enfant de la deuxième génération d'un Canadien, il n'y aurait pas d'admissibilité à la nationalité pour cet enfant. L'article 11 du projet de loi autoriserait l'enfant à recevoir la citoyenneté si, sans cela, il serait apatride.

Le sénateur Joyal: Ma première question concerne le paragraphe 24(1), qui prévoit que le gouverneur en conseil peut nommer un juge à la retraite pour qu'il remplisse les fonctions d'un comité de surveillance. Cette disposition limite les consultations uniquement à la Chambre des communes. À mon avis, cela ne reflète pas la composition de notre Parlement étant donné que par le passé il est arrivé qu'un parti comptant moins de 12 députés à la Chambre des communes se retrouve le parti d'opposition au Sénat. Cette disposition devrait refléter la véritable nature de notre Parlement. En vertu du système de partis politiques du Canada, nous avons à l'heure actuelle un nombre sans précédent de partis qui siègent à la Chambre des communes. Il pourrait arriver que le principal parti de l'opposition au Sénat ne soit pas consulté parce qu'il n'a réussi qu'à faire élire 11 députés à la Chambre des communes.

Si nous voulons maintenir le principe de la consultation des partis qui, à mon avis, est un principe valable, nous devrions rendre compte de la représentation des partis au Sénat.

Mme Caplan: Je vous remercie, sénateur. J'aimerais expliquer l'objet de cette disposition et la raison pour laquelle elle a été formulée de cette façon.

Notre ministère a appris, d'après son expérience, que lorsque l'on traite de questions ayant des incidences au niveau de la sécurité nationale, on constatait que la Cour fédérale dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire était partiale, ou lorsque la Cour fédérale a constaté que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité était partial, il était nécessaire de nommer un juge qui prendrait la place du CSARS. Cette disposition permet d'effectuer une nomination à l'aide des critères identiques à ceux utilisés pour nommer les membres du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.

La loi qui a établi le CSARS nous oblige, pour des raisons de sécurité nationale, à utiliser un processus identique pour nommer un juge -- probablement un juge à la retraite -- qui remplacera le CSARS. Le ministère considère que pour apporter ce changement, il faudrait modifier la loi qui établit le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.

Mon explication a-t-elle été claire?

Le sénateur Joyal: Oh, oui. Ne vous inquiétez pas. Je comprends cela très clairement. Je suis au Parlement depuis de nombreuses années.

Nous avions un comité au Sénat présidé par le sénateur Kelly, qui a pris sa retraite cet été. Les membres de ce comité ont tous été assermentés pour s'acquitter de leurs fonctions très délicates étant donné qu'ils ont accès à des renseignements de nature délicate. Je crois que le chef de la loyale opposition de Sa Majesté au Sénat jouit de la même confiance que le chef de n'importe quel parti de la Chambre des communes, surtout compte tenu du fait qu'en matière de sécurité le Sénat possède des règles et des procédures qu'il a révisées très récemment. Je crois que la consultation du chef de ce parti au Sénat offrirait les mêmes garanties d'équité. Nous ne demandons pas que le chef qui est consulté ait directement accès à des renseignements de nature délicate. Nous ne proposons pas que le chef détermine si une personne doit recevoir la citoyenneté si cette personne a fait partie, par exemple, d'un réseau international d'espions ou a commis des infractions criminelles de ce genre. Nous consultons essentiellement le chef en fonction de l'expérience que lui confère le fait d'être à la tête d'un groupe de législateurs. C'est essentiellement à ce titre qu'il agirait. Nous ne lui donnerions pas accès à de l'information de nature délicate.

Bien que je comprenne l'argument que vous faites valoir, les membres du présent comité reviendront sans doute sur cette question en fonction du statut du Sénat. Si le statut du Sénat est défini par la loi en fonction des partis représentés, je crois que, étant donné que les deux Chambres fonctionnent selon le système de partis, qu'elles devraient toutes deux posséder le même privilège d'être consultées. Il est établi ici qu'il s'agit d'un privilège pour le chef des partis représentés à la Chambre des communes.

Mme Caplan: Je comprends votre argument, sénateur. Cette disposition traite des cas où le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité n'est pas en mesure de s'acquitter de ses fonctions et où un juge à la retraite est nommé à sa place. Comme il s'agit de questions de sécurité nationale, il est important d'assurer une certaine cohérence sur le plan administratif, à savoir que la personne nommée pour remplacer le CSARS soit nommée de la même façon que les membres du CSARS.

Si par la suite des changements sont apportés à la Loi sur le SCRS, je crois comprendre que des modifications connexes seront apportées à la Loi sur la citoyenneté pour que ces deux lois soient compatibles. Cette cohérence est importante pour permettre de s'assurer que quiconque assume les responsabilités du CSARS ait accès à toute l'information à laquelle le CSARS est autorisé à avoir accès. Par conséquent, cette disposition reprend exactement les dispositions prévues par la Loi sur le SCRS.

Le sénateur Joyal: Je sais.

Ma prochaine question concerne l'article 4 du projet de loi. L'alinéa 4(1)a) prévoit que la citoyenneté s'obtient dès la naissance. Une personne née au Canada obtient la citoyenneté dès la naissance. Il y a deux façons d'obtenir la citoyenneté: soit du fait de la naissance, soit en attribuant la citoyenneté à une personne qui en fait la demande selon des conditions précises prévues par le projet de loi. Lorsque nous disons qu'il n'existe pas de droit constitutionnel à la citoyenneté, je soutiendrais qu'il n'existe pas de droit constitutionnel à la citoyenneté obtenue sur demande, mais qu'il en existe un pour ceux qui sont nés au Canada. Un citoyen né au Canada peut-il voir sa citoyenneté révoquée, annulée, suspendue ou modifiée? Existent-ils des dispositions dans ce projet de loi qui se trouveraient à priver de sa citoyenneté un Canadien qui a qualité de citoyen du fait de sa naissance?

Mme Caplan: Il s'agit d'un aspect important. La Charte des droits et libertés accorde certains droits. Le droit que le sénateur Joyal vient de souligner est un droit prévu par la loi, pas un droit constitutionnel.

Le vice-président: Il est constitutionnel dans la Charte.

Mme Caplan: Oui, mais pas dans la loi.

Je vous remercie de cet éclaircissement. Il est tout à fait exact que quiconque est né au Canada devient automatiquement citoyen canadien. De plus, quiconque est admissible en vertu de la loi et en vertu de ce nouveau projet de loi à la citoyenneté canadienne, ne peut pas voir sa citoyenneté annulée ou révoquée à moins que cette citoyenneté ait été attribuée à quelqu'un qui n'y était pas admissible -- à savoir qu'elle a été accordée à quelqu'un qui a menti ou qui a obtenu la citoyenneté par des moyens frauduleux, par de fausses représentations, ou dans le cas de la révocation, en dissimulant de façon intentionnelle des faits essentiels. Quiconque a reçu à juste titre la citoyenneté conformément à la loi ou du fait de sa naissance ne peut se la voir retirée. On ne peut la retirer à quiconque ayant obtenu la citoyenneté du fait de sa naissance ou conformément à la présente loi. Cependant, l'article 15.1 autorise la répudiation de la citoyenneté de la part de ceux qui sont nés au pays.

Le sénateur Joyal: C'est une autre question.

Mme Caplan: Il est important de souligner que ceux qui sont nés ici et ceux qui obtiennent légalement et légitimement la citoyenneté en vertu de la loi ne peuvent se faire enlever leur citoyenneté.

Le sénateur Buchanan: N'est-ce pas de cela qu'il est question au paragraphe 4(2)? Il s'agit du seul cas où quelqu'un qui est né au Canada ne devient pas automatiquement citoyen canadien.

Mme Caplan: Il s'agit des enfants de diplomates étrangers, qui ne résident pas au Canada, strictement parlant.

Le sénateur Prud'homme: Oui, ou encore les personnes qui sont à leur service.

Mme Caplan: C'est exact. Merci de cette précision.

Le sénateur Joyal: Je veux continuer de parler de cette question car elle est importante. Il y a des éléments constitutionnels dont on ne tient pas compte à première vue dans la loi. Je veux vous expliquer la façon dont j'interprète le projet de loi.

La reconnaissance de la citoyenneté au Canada est le résultat d'une longue évolution. Auparavant, nous étions sujets britanniques. Mon premier passeport, en 1967, portait la mention suivante: «Un citoyen canadien est un sujet britannique». La notion de «citoyenneté» et la notion de «sujet» sont des concepts différents. Les deux sont importants et il existe des différences fondamentales entre eux. La «citoyenneté» signifie essentiellement qu'une personne appartient à une nation reconnue qui possède une identité et une souveraineté dans le monde des démocraties et parmi les pays du monde. Lorsque nous prêtons le serment d'allégeance envers le Canada, nous le faisons envers un territoire qui possède la souveraineté et qui garantit à ses ressortissants -- pas à la famille canadienne, parce que ce concept n'existe pas en termes politiques. Il existe dans le droit privé et nous l'utilisons en termes politiques, mais je m'embrouille dans tout cela. Nous appartenons à une nation et parce que nous appartenons à cette nation, nous avons des droits et des libertés. Les valeurs dont vous parlez sont essentiellement les droits et libertés. Je veux qu'on me garantisse, ainsi qu'aux autres Canadiens, les droits et libertés enchâssés dans la Charte canadienne des droits et libertés. Ce sont des éléments fondamentaux de l'identité canadienne et donc de la citoyenneté du Canada. Si l'on veut parler plutôt de valeurs, la définition que j'ai de mes valeurs ne correspond peut-être pas à celle du nouveau chef de l'opposition à l'autre endroit. Je respecte les lois en vigueur au Canada, mais mes valeurs ne sont pas les mêmes. Ce que partagent les Canadiens, ce sont des droits et des libertés. Nous avons enchâssé une charte qui est au-dessus du Parlement, des gouvernements et des valeurs des personnes, parce que nous voulions définir ce qui fait notre pays.

J'ai lu la troisième loi qui enchâsse la citoyenneté dans nos textes législatifs et j'ai lu également le texte du serment. Je suis au courant du débat portant sur le serment. Nous sommes tous au courant. Le principal sujet de discussion est le suivant: devons-nous mentionner Sa Majesté ou non? C'est une question extrêmement délicate et qui suscite beaucoup d'émotion. Nous savons que les Canadiens sont divisés là-dessus. Nous sommes les législateurs et il nous incombe d'en tenir compte. En outre, il y a ce qui unit les Canadiens et ce que partagent les Canadiens. Ce que partagent les Canadiens, ce sont les droits et libertés tels que les interprètent les tribunaux. Ce sont les valeurs que nous partageons. Le reste est de nature personnelle. C'est ma famille, c'est privé. Les autres valeurs auxquelles je tiens, je les partage avec les membres de ma propre église, de ma profession, ou encore avec mes voisins, les membres de ma collectivité, et ainsi de suite. Le fait que je sois citoyen canadien est le résultat d'une longue évolution aboutissant à ce pays souverain, et cela doit se refléter quelque part dans cette loi. J'ai l'impression que ce qui y est reflété ne tient pas compte des éléments essentiels de notre nation, de ce qui nous distingue comme citoyens canadiens. On dirait que nous avons peur de quelque chose. Nous voulons un serment qui soit absolument le résultat d'un compromis, au point d'être ambigu. Je vais le lire en anglais et ensuite en français. On nous dit: «Je m'engage à respecter les droits et libertés de notre pays.» S'agit-il des droits du pays ou des droits à l'intégrité territoriale ou des droits à la souveraineté, ou encore des droits de la Charte des droits et libertés tels qu'enchâssés dans la Constitution? Ce n'est pas clair. En français, on dit ce qui suit:

[Français]

Le sénateur Joyal: «Je m'engage à respecter les droits et libertés de notre pays.»

[Traduction]

De quels droits s'agit-il: le droit de voter lors d'une élection municipale? Toute municipalité ou plutôt toute province peut adopter des lois qui seront différentes d'une province à l'autre. Ce n'est pas ce qu'est notre pays. Notre pays, c'est essentiellement la Charte canadienne des droits et libertés. Pourquoi ne pas dire:

[Français]

«Je m'engage à respecter les droits et libertés de la Charte canadienne des droits et libertés.»

[Traduction]

C'est clair. Tout le monde saura ce que c'est. Les droits et libertés en général n'existent pas en tant que concept constitutionnel juridique et précis. J'ai l'impression en lisant le projet de loi qu'il ne reflète pas le degré de maturité que nous avons atteint en tant que nation.

Ce n'est pas une critique que je vous adresse personnellement, madame la ministre -- j'ai trop de respect pour votre fonction -- mais dans la définition générale, comme le sénateur Andreychuk l'a dit, je m'attendais à un préambule où l'on dirait: «Nous avons quelque chose en commun. C'est ce que nous avons en commun et c'est cela qui nous définit comme Canadien.»

Le sénateur Prud'homme: Nous ne nous mettrons jamais d'accord.

Le sénateur Joyal: Oui, nous le pouvons.

Le sénateur Grafstein: Le respect de la primauté du droit.

Le vice-président: En d'autres mots, les définitions sont très générales.

Le sénateur Joyal: Il me semble qu'il faudrait au moins un préambule où l'on affirmerait ce que cela signifie d'être citoyen canadien. Sommes-nous si peu sûrs de nous, en tant que nation, que nous ne sommes pas capables de définir ce qu'on entend par citoyenneté? Avons-nous tellement peur de discuter de ces termes que nous ne voulons pas reconnaître que le Canada est une nation souveraine et que quiconque en fait partie jouit des droits et libertés enchâssés dans la Charte canadienne des droits et libertés?

Cela me semble assez simple. Je ne cherche pas à trouver la petite bête dans le projet de loi. J'essaie seulement de comprendre le concept constitutionnel que ce projet de loi est censé refléter, parce qu'il s'agit d'un projet de loi très fondamental. Il concerne l'essence même de ce que cela signifie d'être Canadien. Tout le reste, les valeurs familiales, la famille canadienne et les beaux discours à ce sujet, c'est bien bon pour le moral, mais ce n'est pas cela la citoyenneté. Nous discutons ici des droits et libertés des citoyens. Un citoyen est une personne qui a droit au système de soins de santé parce qu'il faut être citoyen canadien pour bénéficier de l'assurance-maladie, par exemple. La citoyenneté a bien des conséquences.

Le vice-président: Je crois savoir, madame la ministre, que vous devez partir pour Toronto.

Mme Caplan: Je suis heureuse de rester, sénateur, pour répondre à vos questions.

Je comprends ce que vous dites, sénateur, et je vous réponds avec le plus profond respect. Il a fallu 12 ans de débats et de discussions pour en arriver à l'absence d'unanimité au sujet du serment que nous avons inclus dans le projet de loi. Je crains qu'il faille une autre douzaine d'années avant de pouvoir en arriver à ce genre de consensus.

Cela reflète peut-être une maturité encore plus grande. Je pense être une personne qui a atteint la maturité, car je suis née avant l'adoption de la première Loi sur la citoyenneté en 1947.

Des voix: Non!

Mme Caplan: Vous faites allusion à la Charte des droits et libertés et je pense que la plupart des Canadiens la considèrent comme une merveilleuse réalisation. Mais il y en a plusieurs autres: notre Déclaration des droits, notre Loi sur les droits de la personne, notre Loi sur le multiculturalisme. Je peux vous mentionner plusieurs de ces lois qui nous aident à définir qui nous sommes. Il y a également de nombreuses conventions internationales que nous pourrions inclure dans une affirmation solennelle ou un serment d'allégeance. Je ne dis pas que ce sera impossible plus tard, mais je crois que le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui représente bien le consensus auquel nous sommes parvenus, et c'est cela qui est important. Les dispositions contenues dans ce projet de loi sont importantes aujourd'hui. Il est important de les adopter.

Comme vous le savez, aucune loi n'est éternelle. Je présume que dans quelques années, on discutera de nouveau de modifications proposées à la Loi sur la citoyenneté, mais cela pourrait se produire dans 25 ans, ou peut-être avant.

Le sénateur Joyal: Vous dites qu'aucune loi n'est éternelle, mais il faut exclure la Charte des droits et libertés. C'est la seule qui ne sera pas modifiée.

Le sénateur Cools: Non, celle-là aussi a besoin d'être modifiée.

Mme Caplan: J'espère que vous avez raison. Je suis d'accord avec vous pour dire que c'est une merveilleuse réalisation. J'espère qu'on n'y touchera jamais.

Le vice-président: C'est la première loi sur la citoyenneté, si je ne me trompe, depuis l'adoption de la Charte des droits et libertés.

Mme Caplan: Vous avez raison.

Le vice-président: Je répète que dans trois articles au moins dans la Charte des droits, qui est au coeur de la Constitution, on fait allusion à la citoyenneté. Ce n'est pas une loi ordinaire. C'est une loi organique. Nous utilisons le terme «organique» en français; c'est la même expression en anglais. Dans ce sens, il faudrait parler plus clairement de nos paramètres constitutionnels; mais c'est une autre question.

Le sénateur Cools: J'ai un renseignement à demander, si vous le permettez. C'est simplement par curiosité. Le sénateur Joyal nous a donné plusieurs éléments de réflexion. Le sénateur Kinsella a parlé encore tout à l'heure de l'idée de définir dans le projet de loi le concept même de la citoyenneté canadienne. Je me demande si la ministre ou ses adjoints pourraient me répondre, mais il me semble que les versions précédentes de la Loi sur la citoyenneté ne portaient pas simplement le titre de Loi sur la citoyenneté. Je crois qu'on incluait des expressions comme «naturalisation» et «aubain». Je n'en suis pas absolument sûre, mais il me semble que dans les lois précédentes on parlait dans le titre de la question de la naturalisation. Par exemple, quel était le titre intégral de la loi de 1946?

Le vice-président: On parlait de citoyenneté.

Le sénateur Cools: Je crois qu'il s'agissait de la Loi sur la naturalisation et les aubains. Était-ce bien le titre?

M. Sabourin: La loi qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1947 était intitulée Loi sur la citoyenneté canadienne, et c'était la toute première loi sur la citoyenneté.

Le sénateur Cools: Il existe une loi qui porte sur la naturalisation et les aubains.

Mme Caplan: Faites-vous allusion à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique?

Le sénateur Cools: Non. L'une des lois précédentes avait un long titre. Est-ce cela? Oui, en effet: la loi adoptée en 1946 était une loi concernant la citoyenneté, la nationalité, la naturalisation et le statut d'aubain. Ma mémoire n'est pas si mauvaise, pour un sénateur d'un âge avancé. En ce qui concerne le titre abrégé, on dit que la loi peut être citée en utilisant son titre abrégé, soit la Loi de 1946 sur la citoyenneté canadienne.

Je demande à la ministre de nous donner son avis, car même dans la terminologie de cette loi, on montre très nettement les différences entre la citoyenneté obtenue par naturalisation et la citoyenneté de naissance. Le comité devrait, peut-être avec la coopération de la ministre, voir à ce que le projet de loi reflète d'une manière ou d'une autre toute la valeur qu'on accorde aujourd'hui à la citoyenneté canadienne. C'est seulement une idée, mais je pense que nous devrions y réfléchir.

Le vice-président: Pour les fins du compte rendu, je précise que dans le libellé de la Constitution de 1867, on a utilisé les mots «naturalisation» et «aubains». Ces termes figurent dans la Constitution depuis plus d'un siècle, mais le mot «citoyenneté» n'y est pas. Le mot «citoyenneté» a un sens plus large, parce que le Canada n'était pas un pays indépendant dans le concert des nations en 1867. Nous ne devons pas l'oublier.

La loi dont vous parlez a été adoptée en 1947; nous sommes maintenant en l'an 2000. Notre pays est très différent aujourd'hui. Dans ce sens, les choses évoluent. Il s'agit d'un autre débat.

Mme Caplan: C'est un argument important, parce que c'est seulement en 1947 que la citoyenneté est devenue une réalité pour les résidents du Canada. Jusque-là, nous étions en effet sujets britanniques.

Le sénateur Cools: Nous étions toujours des Canadiens.

Mme Caplan: Je ne dis pas que je ne suis pas d'accord avec vous, sénateur, mais il n'y avait pas de mécanisme permettant à quelqu'un de devenir Canadien en vertu de la loi. C'est en 1947 que la première Loi sur la citoyenneté canadienne a donné aux gens une base juridique pour devenir citoyen canadien.

Le vice-président: Au moment de la Confédération, il était question de naturalisation et d'aubains. Après l'adoption du Statut de Westminster, il est devenu possible d'adopter une loi concernant la citoyenneté. C'est très clair. Il n'y a pas de problème.

Mme Caplan: Sénateur, j'ai bien voulu admettre être née avant 1947, mais je n'étais tout de même pas encore née en 1867. Je pense que nous pouvons tous dire la même chose.

Le vice-président: La Constitution existe quand même, qu'on soit né au XXe siècle ou non.

Le sénateur Buchanan: La mention faite par le sénateur Joyal de la Charte des droits est très importante. Si je me souviens bien, la citoyenneté est mentionnée à de nombreuses reprises dans la Charte. Il faut se rappeler que la Charte des droits a été adoptée par un premier ministre fédéral et 10 premiers ministres provinciaux, tous très efficaces, très intelligents et très beaux -- et j'étais l'un d'entre eux.

Le sénateur Prud'homme: J'ai beaucoup de questions à vous poser, madame. Mon intérêt pour la question de la citoyenneté remonte à 40 ans. Je révèle ainsi mon âge, moi aussi, car j'ai eu le privilège d'être responsable de la réduction de la période d'attente de cinq ans à trois ans. C'est au moins l'une des choses que je peux affirmer avoir accompli au cours de mes 30 années à la Chambre des communes. On avait entendu bien des protestations au cours du débat qui a eu lieu à ce moment-là. Certains voulaient qu'on impose une période de huit ans ou même de neuf ans. Ils n'ont pas accepté de céder facilement. Après bien des années, j'ai présenté un projet de loi d'initiative parlementaire et nous avons obtenu la période de trois ans. Les gens ont actuellement l'impression qu'ils peuvent présenter une demande après trois ans seulement et qu'il faut ensuite attendre encore assez longtemps à certains endroits, de sorte qu'on est presque revenu à la période d'attente de cinq ans. Il faut bien d'autres mois pour traiter les demandes. Je ne veux pas dire que les gens devraient avoir le privilège de présenter une demande après deux ans et demi, afin que le traitement de leur demande soit terminé au bout de la période de trois ans. Je ne veux pas nécessairement entamer un débat là-dessus, mais pourriez-vous examiner la question?

Je constate qu'on a modifié le texte du serment de citoyenneté. Le nouveau texte me pose un problème parce qu'on y utilise le mot «dorénavant». On n'utilisait pas ce mot dans l'ancienne version. On prêtait immédiatement le serment d'allégeance ou l'on faisait une affirmation solennelle, selon nos croyances ou notre religion. Dans le texte proposé pour le serment, on ne parle pas de prêter serment ou d'affirmer solennellement. On dit simplement: «Je promets».

Il semble qu'on veuille faire deux choses à la fois. Il y a un nombre grandissant de personnes, y compris parmi votre personnel, qui auraient aimé remplacer le serment d'allégeance à la Reine Elizabeth par un serment d'allégeance uniquement envers le Canada. Ma soeur est juge de la citoyenneté. Elle adore son travail et elle serait prête à le faire sept jours par semaine, sans aucune hésitation. Elle dit qu'il y a énormément d'émotion lors de ces cérémonies. Je pense que tous les membres du comité devraient y assister au moins une fois dans leur vie. On avait l'habitude de dire: «Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs». Maintenant, il n'est plus question de «ses héritiers et successeurs», de sorte qu'on jure allégeance seulement à la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada. Je ne veux pas jurer trop souvent allégeance. Je l'ai déjà fait à 15 reprises dans ma vie, notamment dans l'armée, à la Chambre des communes, au Sénat, et je dis donc Vive la reine. Cependant, quand elle décédera, elle sera remplacée par ses héritiers. Pourquoi l'expression «ses héritiers et successeurs» est-elle disparue? Certains peuvent trouver la chose bizarre. On mentionne maintenant seulement la Reine Elizabeth. Quand elle ne sera plus là, que se passera-t-il?

Mme Caplan: J'en ai déjà parlé, mais je serai heureuse de le répéter. Dans la nouvelle version du serment, on recherchait la concision et la clarté. Il reste quand même une obligation envers les héritiers et successeurs du monarque. C'est nécessaire en vertu de la common law, et il est entendu qu'il s'agit de la Reine en tant que chef d'État du Canada, ainsi que toute personne qui lui succédera. C'est un principe reconnu dans la common law. Je vous suggère de poser la question aux représentants du ministère de la Justice lorsqu'ils comparaîtront la semaine prochaine et ils pourront vous donner de plus amples explications.

Le premier point que vous avez soulevé, sénateur, est important et il n'avait pas encore été soulevé aujourd'hui. Dans le projet de loi, on parle de trois ans sur six, ou 1 095 jours. Il y a cependant une disposition pour ceux qui ont un statut juridique au Canada avant d'obtenir celui de résident permanent. Cette période compte seulement à 50 p. 100, jusqu'à concurrence d'une année complète, alors on reconnaît cette période, et c'est important à mon avis.

Vous avez mentionné également qu'il faut du temps pour traiter les demandes, en particulier dans les endroits où il y en a un grand nombre. Je pense que toutes les demandes sont acheminées à Sydney pour y être traitées, peu importe d'où elles proviennent dans le pays. Je vais demander à Mme Frith de vous donner une réponse plus complète, mais je tiens à vous dire quel est l'objectif visé en ce qui concerne la durée du traitement des demandes d'ici la fin de l'année.

Mme Frith: À l'heure actuelle, Sydney fait sa part du traitement des demandes plus rapidement que nous pouvons y donner suite ici. Essentiellement, lorsque quelqu'un envoie une demande, elle est traitée dans les jours qui suivent son arrivée à Sydney. Nous avons institué une procédure visant à nous assurer que s'il manque quelque chose dans une demande, nous en informons immédiatement la personne concernée, afin que tout puisse se dérouler sans interruption. Nous avons des arriérés très minimes.

Des problèmes peuvent se présenter lorsqu'il s'agit d'organiser les cérémonies le plus rapidement possible dans certaines parties du Canada. Il s'agit simplement d'organiser nos ressources le plus rapidement possible de manière à répondre immédiatement aux besoins. Cependant, nous sommes en mesure de traiter la plupart des demandes dans un délai de huit mois. Certaines prennent moins de temps. Tout dépend des complications qui surviennent.

Le sénateur Buchanan: Je tiens à préciser, au cas où d'autres ne le sauraient pas, que vous ne parlez pas de Sydney en Colombie-Britannique. Vous parlez de Sydney au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.

Mme Caplan: En effet.

Le sénateur Buchanan: C'est pourquoi le processus fonctionne très rapidement.

Mme Caplan: C'est à Sydney, au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, qu'est situé le centre de traitement des demandes de citoyenneté, mais en toute justice, sénateur, je dois dire qu'à un moment donné le temps de traitement des demandes à Sydney était plus lent qu'on l'aurait voulu. C'est pourquoi j'ai demandé à Mme Frith de vous faire savoir que tout va très bien actuellement. Notre objectif est d'essayer de ramener la durée du traitement à moins de six mois de la date de réception des demandes, afin que la personne en question puisse obtenir sa citoyenneté dans ce délai. C'est un objectif. De temps à autre, étant donné le volume de demandes, le ministère n'a pas été capable d'atteindre cet objectif, mais tout va extrêmement bien présentement et je tenais à vous dire que nous en sommes très heureux.

Le vice-président: Pour ce qui est de la question de la Reine et de ses successeurs, vous n'avez qu'à consulter la Loi d'interprétation. Les successeurs sont inclus. Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Prud'homme: Sauf le respect que je vous dois, vous savez que si Sa Majesté décède, le Conseil privé décidera si le titre du roi ou de la reine sera Roi du Canada ou Reine du Canada. On aurait pu le faire lorsque George VI est décédé. On s'est demandé si la Reine Elizabeth serait connue sous le titre de Reine Elizabeth I ou de Reine Elizabeth II, en ce qui concerne le Canada. Je soulève la question pour m'assurer qu'il n'y ait pas de confusion.

Le vice-président: J'ai le texte en main.

[Français]

Le sénateur Beaudoin:

[...] au décès de la reine, toute mention de la Reine Elizabeth s'interpréterait comme désignant son successeur.

[Traduction]

C'est absolument clair dans la loi.

[Français]

Le roi est mort, vive le roi! C'est vieux comme la monarchie. On n'a pas besoin de dire «les successeurs». Si on réfère à la reine dans un texte juridique, d'après la loi d'interprétation, cela comprend ses successeurs. Il y a deux personnes qui veulent prendre la parole en deuxième tour de table.

[Traduction]

Je ne vois pas d'objection à ce que l'on prolonge la réunion de quelques minutes encore parce que le sénateur Grafstein et le sénateur Andreychuk veulent encore poser des questions dans le cadre du deuxième tour. Je crois cependant que nous devrons nous arrêter à un moment donné. Nous avons discuté suffisamment de cette question.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur le président, certains n'ont pas fait preuve de beaucoup de discipline dans leurs questions, tandis que je me suis limitée. Il y a des politiques fondamentales dont nous devons parler. J'ai gardé pour le deuxième tour de questions un sujet d'intérêt public, mais vous vous êtes montré plutôt libéral en permettant des questions sur des sujets dont il aurait été préférable de parler avec d'autres témoins, et je demande donc votre indulgence.

Le vice-président: J'ai accepté d'accorder un deuxième tour de questions et vous êtes la première à obtenir la parole, tandis que le sénateur Grafstein sera le deuxième.

Le sénateur Andreychuk: Je promets de m'en tenir à une seule question, si vous me permettez un préambule.

Le Canada est fondé sur le pluralisme, et ce n'est pas le seul pays dans cette situation, et ceux d'entre nous dont l'ascendance n'est ni anglophone ni francophone ont trouvé une place au Canada. Je suis née ici et je n'ai donc pas eu de difficulté. Ce qui me préoccupe le plus au sujet de la question d'intérêt public en jeu ici, c'est qu'un article dit que quelqu'un qui est né ici devient citoyen très rapidement. Par conséquent, je suis rassurée, car ma citoyenneté ne peut pas m'être enlevée. C'est une interprétation très simple de cet article.

Ceux qui sont venus ici voient cette loi d'un oeil très différent. Premièrement, il y a la question des valeurs. La primauté du droit est très importante. Dans un grand nombre de pays d'où nos immigrants viennent, la primauté du droit n'existe pas. Elle est toujours assujettie au pouvoir exécutif. Des dictateurs et des dirigeants communistes avaient l'habitude de priver les gens de leur citoyenneté, de sorte que le jugement de valeur que peut porter l'exécutif est un élément très inquiétant.

Je crains que nous ayons lesté ce projet de loi, en disant qu'il porte sur la citoyenneté, l'annulation de la naturalisation ou la perfection de la citoyenneté. Si certaines personnes se trouvent au Canada alors qu'elles ne devraient pas y être et n'auraient pas dû recevoir la citoyenneté, ce n'est pas à cause de lacunes dans la Loi sur la citoyenneté, mais plutôt de lacunes dans la procédure relative à l'immigration. J'ai hâte de lire ce que la Loi sur l'immigration dira à ce sujet, afin que nous n'aggravions pas nos problèmes plus tard.

Pourquoi donner à l'exécutif, dans une politique gouvernementale, le droit de porter un tel jugement de valeur et de donner des instructions à l'administration, à la bureaucratie, alors que nous essayons de respecter la nature multiculturelle de notre pays, la diversité de notre pays, et la nature pluraliste de notre pays? Des valeurs seront définies à un moment donné. Nous avons renoncé à ce que je qualifierais de recours judiciaire complet. Je comprends bien qu'il ne s'agit pas de droit pénal, mais les tribunaux ont souvent affirmé qu'étant donné l'importance de la citoyenneté, il faudrait utiliser des critères plus élevés que la simple prépondérance des probabilités. Nous avons cette voie qui est possible.

Il faut agir en fonction de l'intérêt public. Je n'ai pas le temps de passer en revue les articles du projet de loi, parce que le président veut mettre fin à la réunion bientôt. En fin de compte, le pouvoir discrétionnaire appartient à l'exécutif, et il y aura donc un élément de subjectivité. N'aurait-il pas été préférable de renforcer la procédure de recours, pour ajouter un élément d'objectivité? Si nous devons priver quelqu'un de sa citoyenneté, ne faudrait-il pas s'en remettre à un processus ou à un examen judiciaire complet?

J'espère que nous aurons la possibilité de poser des questions à des représentants du ministère de la Justice et à d'autres. L'examen judiciaire n'est pas la même chose que l'application régulière de la loi, et c'est ce que j'aimerais voir. Mes craintes découlent du fait que ce pouvoir sera octroyé à l'exécutif, qui tranchera en fonction de rapports provenant des ministères ou d'ailleurs. Il y aura alors des citoyens qui essayeront de se défendre et vous dites que ceux qui sont venus légalement et légitimement dans notre pays n'ont pas à s'inquiéter. Qu'en est-il des autres?

Comment pouvez-vous déterminer si j'ai menti en remplissant un formulaire? J'ai peut-être menti parce que je n'ai pas compris, ou parce que je viens d'un pays où l'on était encore plus sévère quand quelqu'un disait la vérité. Il me semble donc que vous laissez place à l'incertitude pour des personnes qui seront venues dans ce pays parce que des membres de l'exécutif pourraient commettre une erreur momentanée -- car on ne sait pas qui fera partie de l'exécutif dans l'avenir -- et certaines personnes pourraient être incertaines au sujet de leur citoyenneté, ce qui nuira à l'édification de notre pays, à mon avis.

Je ne dis pas que l'exécutif le fera délibérément et à tort, mais les gens se demandent déjà s'ils répondront aux exigences de la loi ou si deux ou trois personnes ne pourront pas fournir au gouvernement des renseignements qu'ils auront du mal à réfuter faute de temps ou en raison des circonstances. Comment quelqu'un pourra-t-il se défendre et produire des documents provenant du Rwanda? Je crains donc que ce soit donner inutilement un pouvoir discrétionnaire alors qu'il aurait mieux valu renforcer la primauté du droit. C'est ce qui distinguait le Canada de l'Angleterre, du Rwanda, de la Russie ou de l'ex-Union soviétique. Voilà ce qui m'ennuie.

Mme Caplan: Je voudrais en parler, car je crois que vous partez d'une idée fausse. Ce projet de loi ne change rien aux dispositions qui étaient en vigueur depuis 1977. Il ne confère aucun pouvoir supplémentaire en ce qui concerne la révocation de la citoyenneté et ne change rien à l'application régulière de la loi. Vous avez, en fait, fait valoir un bon argument en faveur de la possibilité, pour le conseil exécutif, de prendre des décisions et de faire la part des choses. Si le ministère se trouve devant le cas d'une personne qui a menti, pour une raison quelconque, sur sa demande d'immigration et que le dossier se retrouve devant le Cabinet, ce dernier ne sera pas simplement obligé d'appliquer la Loi sur la citoyenneté du fait que cette personne aura menti, même pour des raisons compréhensibles. Les tribunaux n'auraient d'autre choix que de révoquer sa citoyenneté alors que, comme c'est le cas depuis 1977, le conseil exécutif peut entendre les raisons de l'intéressé et baser sa décision sur des considérations humanitaires, précisément comme vous venez de le souligner.

Vous venez de démontrer pourquoi il est important que le gouvernement continue de rendre des comptes au sujet de cette disposition. Cette dernière n'a été invoquée qu'à 37 reprises depuis 1977. Elle a été utilisée de façon très limitée et a assuré l'application régulière de la loi. Ce projet de loi ne change rien à ces dispositions. Un appel peut aller jusqu'à la Cour suprême du Canada. Certains estiment que la procédure prend trop de temps tandis que d'autres affirmeront le contraire.

Je tiens seulement à dire que cette disposition existe depuis 1977. Elle a été évaluée par les tribunaux. Des jugements de la Cour d'appel fédérale attestent que cette procédure est conforme à la Charte des droits et des libertés de même qu'aux critères d'équité et d'application régulière de la loi énoncés dans la Charte. La garantie qui protège contre une décision arbitraire d'un ministre ou d'un ministère ou contre les caprices de quiconque qui intenterait une action devant les tribunaux, est que, si l'on décide de révoquer la citoyenneté d'une personne, le Cabinet devra en rendre compte. Si, comme certains le suggèrent, vous confiez cette responsabilité aux juges, ces derniers n'auront d'autre choix que d'appliquer la loi. Si une loi prévoit la révocation de la citoyenneté pour ceux qui l'ont obtenue par fraude, au moyen d'une fausse déclaration ou en dissimulant intentionnellement des faits essentiels, les juges n'auront d'autre choix que de la révoquer. Le conseil exécutif peut, quant à lui, examiner tous les faits et donner à l'intéressé la possibilité de défendre sa cause. Les ministres qui siègent au Cabinet doivent rendre compte de leur décision.

Certains vous diront -- sans vouloir être simpliste -- que, comme pour la partie de cache-cache de votre enfance, une fois que vous avez obtenu la citoyenneté, même si c'était par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, même si vous saviez que vous n'aviez pas le droit d'immigrer au Canada ou d'obtenir la citoyenneté canadienne, personne ne devrait pouvoir vous l'enlever. Autrement dit, ni le Cabinet ni les Canadiens n'en ont le droit.

Si vous voulez préserver l'intégrité de la citoyenneté canadienne et bien montrer votre détermination, comme le gouvernement l'a fait, le gouvernement peut décider de révoquer la citoyenneté. Nous ne serons pas considérés comme un refuge pour ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité, pour les criminels de guerre et pour les terroristes. Notre loi doit prévoir une disposition indiquant à ceux qui ont obtenu la citoyenneté alors qu'ils n'y avaient pas droit qu'une procédure permettra d'assurer l'équité et l'application régulière de la loi et cela, au nom de la population canadienne.

Toute personne qui a obtenu la citoyenneté en toute légitimité possède exactement les mêmes privilèges que les Canadiens de naissance. Personne ne peut lui enlever sa citoyenneté. Nous ne faisons pas la différence au Canada.

Le sénateur Andreychuk: Vous nous avez donné une excellente raison de réexaminer notre procédure d'immigration. Vous dites que certaines personnes mentent, trichent et volent. Il faudrait intégrer des garanties dans la procédure d'immigration.

Mme Caplan: Elle sont déjà là.

Le sénateur Andreychuk: Je ne m'oppose pas à ce qu'on examine de près le cas des individus qui n'auraient pas dû pouvoir s'établir chez nous. Si vous avez menti et triché, votre place n'est pas ici. Je ne pense pas que la loi précédente se soit révélée satisfaisante. J'espérais qu'à notre époque, nous n'aurions plus de citoyens de naissance et des citoyens naturalisés. J'aurais voulu une plus grande égalité. Je crois que nous aurons l'occasion de revenir plus longuement sur cette question au cours de nos audiences. J'espère que vous les suivrez.

La procédure judiciaire aurait pu faire plus. Un contrôle judiciaire ne remplace pas la procédure équitable que nous aurions pu avoir. Cela aurait évité la nécessité de s'en remettre au pouvoir exécutif. Je me demande pourquoi nous n'avons pas profité des changements apportés à la procédure judiciaire pour renforcer la procédure d'audiences et d'appels afin que ceux dont la place n'est pas chez nous ne s'y trouvent pas.

Mme Caplan: Je suis certaine que nous discuterons plus à fond de cette question. Rien dans le projet de loi C-16 ne modifie la procédure en place depuis 1977, tant en ce qui concerne l'application régulière de la loi que les pouvoirs conférés aux autorités. Les dispositions concernant la révocation existent déjà. Le projet de loi C-16 ne change rien aux conditions qui prévalent depuis 1977. Le pouvoir exécutif est là depuis 1977. La procédure est là également depuis 1977. Il n'y a aucun changement à cet égard.

Par ailleurs, sénateur, les Canadiens n'ont pas été consultés à propos de changement éventuel étant donné que le système a bien fonctionné. Il n'y a pas eu de discussion quant au changement possible. Comme j'ai suivi les audiences du comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration sur le projet de loi C-63 et le projet de loi C-16, je sais que certains souhaiteraient une procédure entièrement différente. Il n'en a pas été question parce que le gouvernement estime que la procédure qui existe depuis 1977 a bien servi les intérêts des Canadiens.

Malheureusement, depuis 1977, il y a eu davantage de terrorisme dans le monde. Vous avez mentionné le Rwanda. Nous avons été témoins du genre de crimes contre l'humanité dont j'ai parlé. Les services d'immigration doivent faire preuve de la plus grande vigilance pour découvrir quel a été le passé d'une personne avant qu'elle n'obtienne la résidence permanente au Canada. Certains arrivent à cacher leur passé.

Un résident de ma circonscription m'a dit qu'un jour, dans un restaurant d'une de nos grandes villes, il a vu à une autre table un homme qui l'avait torturé en prison. Nous devons certainement prendre des mesures pour bien faire savoir, au nom de tous les Canadiens, que si nous avons des preuves, nous devons pouvoir intervenir contre les individus qui sont entrés au Canada et ont obtenu la citoyenneté en mentant, en faisant de fausses déclarations ou par des moyens frauduleux.

C'est un aspect fondamental de l'intégrité de la citoyenneté canadienne et de la valeur que nous lui accordons. Nous ne faisons aucune distinction entre celui qui acquiert la citoyenneté du fait de sa naissance et celui qui se voit légalement accorder la citoyenneté en vertu des diverses lois canadiennes sur la citoyenneté de 1947, 1977 et, espérons-le, 2000. Les seules personnes qui nous préoccupent sont celles qui n'avaient pas au départ droit à la citoyenneté canadienne. J'imagine que les Canadiens s'attendent à ce que nous agissions en ce sens et que les Canadiens d'aujourd'hui et de demain jugeront qu'il est de notre devoir de protéger par cette loi-ci l'intégrité de la citoyenneté canadienne.

Le sénateur Grafstein: S'agissant de l'article 14, j'essaie de mieux comprendre le mécanisme relatif à la révocation ou à la perte de la citoyenneté. Il est évident que ce qui nous préoccupe, c'est la façon dont on perd la citoyenneté et la façon dont on l'acquiert. Si je comprends bien, l'article 14 stipule qu'une personne peut avoir la citoyenneté parce qu'elle est née à l'extérieur du Canada d'un parent ayant qualité de citoyen du fait de sa propre naissance à l'extérieur du Canada, c'est-à-dire deux générations plus tôt. Or, cette personne perdrait sa citoyenneté sans aucun préavis.

M. Sabourin: C'est exact. Il n'y aurait pas de préavis, en grande partie parce qu'il serait difficile de retrouver de par le monde toutes les personnes nées d'un parent canadien.

Le sénateur Grafstein: Laissez-moi vous expliquer ce que je pense. Nous nous inquiétons de la perte des droits et du maintien de ces mêmes droits. Prenons l'exemple d'un travailleur du domaine de la santé qui est missionnaire en Chine. Supposons que cette personne-ci soit un Canadien de deuxième génération dont les parents se considèrent toujours comme Canadiens. Ils reviennent donc périodiquement tout en restant des missionnaires toute leur vie. L'enfant de ce missionnaire, s'il naît à l'extérieur du Canada, devient lui aussi un missionnaire de troisième génération. Il existe beaucoup de ces familles à Toronto et ailleurs au Canada. C'est d'ailleurs le cas de l'ancien premier ministre du Canada. Or, le petit-enfant du missionnaire qui a cru toute sa vie qu'il était citoyen canadien, bien que vivant en Chine, perdra sa citoyenneté. Pourquoi? Tout simplement parce qu'il n'a pas résidé au Canada pendant trois ans. Il pourrait donc automatiquement perdre sa citoyenneté à son insu. Il pourrait donc continuer à se croire citoyen canadien. Il n'aurait commis aucun méfait, sauf qu'il aura voulu suivre sa vocation de missionnaire. Je suis sûr qu'il y a des médecins et beaucoup d'autres professionnels qui se retrouvent dans la même situation. Il doit y en avoir beaucoup qui correspondent à cette catégorie. Comment peut-on alors parler d'intérêt public?

Mme Caplan: Il serait peut-être important de savoir combien de personnes exactement se rendent dans nos ambassades, hauts-commissariats et consulats à l'étranger pour demander la citoyenneté canadienne pour leurs enfants.

Le sénateur Grafstein: Mais ils ne sont pas obligés de le faire.

Mme Caplan: La loi prévoit qu'en ce qui concerne un Canadien de deuxième génération, il lui faudra avoir résidé au Canada pendant trois ans avant l'âge de 28 ans pour garder sa citoyenneté.

Le sénateur Grafstein: Je comprends. Je vous ai donné l'exemple du petit-enfant d'un citoyen canadien qui a toujours vécu à l'extérieur du Canada. Cette personne a toujours été convaincue qu'elle était de citoyenneté canadienne et pourrait vouloir revenir au Canada de temps à autre. L'histoire des missionnaires de Toronto est probante. Le mouvement des missionnaires en Chine était très fort, et c'est pour cela que je l'ai cité en exemple. Comment parler d'intérêt public lorsque le petit-enfant qui voudrait bien Canadien a vu sa citoyenneté révoquée à son insu et sans préavis?

Mme Caplan: Il ne s'agit pas d'une révocation.

Le sénateur Grafstein: Mais il la perd d'office. Il n'a pas le droit d'en appeler et il ne reçoit aucun préavis, si ce n'est que cette loi-ci existe. Des médecins ou toutes sortes d'autres personnes pourraient se trouver dans le même genre de situation. Lorsque j'étais au Brésil, j'ai rencontré les petits-enfants de Canadiens qui avaient fondé une entreprise là-bas et qui se considèrent comme Canadiens. Ils arborent le drapeau canadien chez eux et ont visité le Canada de temps à autre. Ils sont convaincus de leur droit à la double citoyenneté, qu'ils chérissent.

Mme Caplan: Il se peut qu'ils l'aient eut en se rendant au consulat ou à l'ambassade et qu'ils détiennent leur document de citoyenneté. Je demanderai à M. Sabourin de vous répondre de façon plus détaillée, mais la décision d'intérêt public qui se trouve dans le projet de loi vise à exiger des gens qu'ils prouvent qu'ils ont des liens avec le Canada.

Le sénateur Grafstein: Le seul lien qui existe ici, madame la ministre, tient au fait que sans préavis, ils sont censés avoir vécu au Canada pendant trois des six dernières années avant l'âge de 28 ans. Cette obligation de séjour est inscrite dans le projet de loi pour permettre le retrait de la citoyenneté sans préavis. Les intéressés ne savent même pas qu'ils perdent leurs droits.

M. Sabourin: Je peux peut-être répondre à votre question de deux façons. D'abord, je vous parlerai du procédé et le replacerai dans son contexte. Nous ne faisons ici que reprendre une disposition qui existe déjà aujourd'hui. Au Canada -- et cela a toujours été le cas -- si vous êtes né à l'étranger d'une personne née elle-même à l'étranger, vous ne pouvez simplement perpétuer votre citoyenneté jusqu'à la fin des temps sans établir un lien avec le Canada. Il y a des gens qui habitent aujourd'hui à l'étranger et qui sont nés alors que cette loi s'appliquait.

Le sénateur Grafstein: En quoi le projet de loi diffère-t-il?

M. Sabourin: La loi actuelle ne définit pas ce que doit faire une personne pour démontrer ses liens avec le Canada. Par conséquent, elle était inéquitable à l'égard de certaines personnes, car l'interprétation de ce que l'on entend par maintenir des liens substantiels avec le Canada est tout à fait discrétionnaire. Ce projet de loi-ci affirme au contraire que les intéressés doivent venir habiter au Canada pour trois ans, ce qui servira à démontrer leur attachement à notre pays. Il existe des gens qui, en vertu de la loi actuelle, peuvent d'ores et déjà perdre leur citoyenneté à l'âge de 28 ans. Cela correspond à un principe bien établi dans la plupart des pays qui accordent la citoyenneté du simple fait de la naissance d'un parent déjà canadien. Cette restriction existe pour des fins d'intérêt public, comme l'a mentionné la ministre.

Dans le cas de ceux qui sont nés à l'étranger et ont très peu de liens avec le Canada, le problème commence à en être un d'immigration potentielle au Canada plutôt que de véritable lien avec notre pays. Celui dont le parent est né au Canada a droit d'office à la citoyenneté canadienne même s'il est né à l'étranger, et ne perdra jamais ce droit. Toutefois, l'enfant de parents qui vivent à l'étranger et ne reviennent pas au Canada peut perdre sa citoyenneté, faute d'avoir démontré le lien dont nous avons parlé.

Le sénateur Grafstein: Comment cette disposition se compare-t-elle à celle qui se trouve dans la loi britannique?

M. Sabourin: Je vous donnerai avec plaisir une description complète de la loi britannique lorsque nous étudierons un à un les articles du projet de loi.

Le sénateur Grafstein: Ce serait très utile. Je crois savoir que celui qui est citoyen britannique un jour le sera toujours. Cela remonte à l'époque de l'Empire britannique et à l'époque où un petit-enfant pouvait être britannique tout en demeurant en Inde. Vous hochez la tête, mais ce n'est pas à vous que je le demande. J'ai toujours cru que l'on continuait à être sujet britannique. C'est une question qui m'intéresse.

Mme Caplan: D'après la note que j'ai ici, on parle d'enfants nés à l'extérieur du Royaume-Uni d'un citoyen britannique qui n'avaient pas acquis la citoyenneté britannique du fait qu'ils étaient ses descendants. Il faudra obtenir des précisions.

Le sénateur Grafstein: Ce qui me préoccupe, c'est le sort de ces gens qui ont tous les motifs de croire qu'ils sont des citoyens canadiens et qu'ils ont encore des droits canadiens, mais qui se les voient retirer sans préavis. J'ai pris comme exemple celui des missionnaires, car c'en est un que je connais bien, et je connais bien ce qui est arrivé aux missionnaires de Toronto qui ont oeuvré en Chine. Il s'agissait de Canadiens de deuxième et de troisième génération et de petits-enfants de Canadiens qui ont fini par revenir au Canada et qui faisaient partie de ce qui constituait le premier ministère des Affaires étrangères.

Mme Caplan: Cela vous rassurera peut-être, monsieur le sénateur, de savoir que dans des cas exceptionnels, l'article 9 prévoit que ces personnes peuvent déposer une pétition auprès du Cabinet. Celui qui se sent lésé peut donc envoyer une demande au conseil des ministres, exposer son cas et demander qu'on lui redonne sa citoyenneté ou que celle-ci lui soit accordée.

Le sénateur Grafstein: Je demeure préoccupé.

Mme Caplan: Il existe cependant une mesure de protection.

Le sénateur Grafstein: Je suis préoccupé par la perte de la citoyenneté sans préavis.

Mme Caplan: Je suis sensible à votre argument. Cela dit, à mon avis, les gens ont l'obligation d'entrer en contact avec nos ambassades, nos hauts-commissariats ou nos consulats pour s'y inscrire avant d'atteindre l'âge de 28 ans. On peut alors leur dire ce qu'il faut faire pour conserver leur citoyenneté. Dans des cas exceptionnels, on peut faire appel au Cabinet. Toutefois, l'objectif qui sous-tend le projet de loi, c'est-à-dire établir l'existence d'un lien avec le Canada, s'inscrit dans les orientations législatives en matière d'intérêt public.

M. Sabourin: Je vois. Cela dit, je ne cherchais pas à sous-estimer l'importance de ces gens que nous ne connaissons pas nécessairement, et de toute façon, nous avons des liens avec les groupes communautaires. À titre d'exemple, je peux parler du Comité mennonite du Canada central. Nous travaillons en collaboration très étroite avec ce dernier parce que nous savons que bon nombre de ses membres vivent à l'étranger et sont même nés à l'extérieur du Canada. Nous faisons la même chose avec d'autres groupes ethnoculturels.

Peut-être pourrions-nous améliorer la façon dont les agents consulaires conseillent les gens qui veulent obtenir un passeport. À cet égard, nous prenons acte de vos propos. Il faudra que nous améliorions nos liens avec le public.

Le sénateur Grafstein: J'ai toujours estimé que la perte de droits doit absolument être justifiée par des d'intérêt public. Par conséquent, s'il y avait un léger problème, alors je serais plus enclin à faire preuve de générosité plutôt que de rigueur.

Mme Caplan: Si une personne née à l'étranger d'un parent canadien s'est inscrite auprès d'une ambassade, d'un haut-commissariat ou d'un consulat, alors elle sera avisée à la fois de ses droits et de ses obligations pour conserver sa citoyenneté.

Le sénateur Grafstein: Je préfère me fier à la loi plutôt qu'à des renseignements fournis par un agent consulaire travaillant à l'extérieur du Canada. J'ai déjà connu cette dernière situation comme la plupart d'entre nous d'ailleurs.

Le sénateur Moore: Madame la ministre, vous avez précisé que dans des circonstances difficiles, la personne peut faire appel au Cabinet. La loi lui permet en effet de s'adresser à vous pour qu'ensuite vous soumettiez son cas au Cabinet.

Mme Caplan: C'est exact.

Le sénateur Moore: La personne ne peut cependant pas plaider sa cause.

Mme Caplan: Elle peut plaider sa cause auprès du ministre, qui s'occupe ensuite de la soumettre au Cabinet. Il s'agit d'un appel au Cabinet.

Le sénateur Prud'homme: C'est précisément sur ce point qu'il y a débat.

Mme Caplan: On fait une demande auprès du ministre. Le ministre en saisit le Cabinet. Aussi, dans le cas où le ministre déciderait de ne pas soumettre la cause au Cabinet, il est prévu qu'il y ait révision judiciaire.

Le sénateur Moore: À l'article 34, on lit ce qui suit:

Le serment de citoyenneté est prêté dans les termes prévus à l'annexe.

Aujourd'hui on nous a parlé du contenu du serment. En outre, ce serment est une part très importante du projet de loi. Pourquoi dans la version anglaise utilise-t-on l'expression «the form of»? Pourquoi ne disons-nous tout simplement pas «le serment de citoyenneté figure dans l'annexe»? Peut-on modifier la formule? Je n'aime pas les règlements. J'aime les lois que tout le monde peut comprendre.

Mme Caplan: Lorsque les fonctionnaires du ministère de la Justice témoigneront, vous pourrez demander aux rédacteurs législatifs pourquoi ils ont utilisé un tel libellé. Cela dit, on me dit que le serment figure dans la loi et ne peut être modifié que par le biais d'un amendement législatif.

Le sénateur Grafstein: Il serait très utile qu'on nous explique le sens de termes comme «respect», «maintenir» et «observer».

Mme Caplan: Les représentants du ministère de la Justice témoigneront devant vous et je suis sûre qu'ils se feront un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Grafstein: Vous vous efforcez de resserrer les dispositions de la loi et il y a un serment dans tout cela. Nous aimerions donc savoir ce qu'il signifie sur le plan juridique.

Le sénateur Prud'homme: Cela fait 30 ans que je cherche partout la définition de deux termes qu'on utilise très souvent, à savoir «terroriste» et «terrorisme». Je vais citer le cas de Nelson Mandela comme exemple. S'il faisait une demande de citoyenneté canadienne aujourd'hui, je crois qu'on lui ferait des difficultés. On utilise parfois des termes très dangereux. Je sais qu'il y a des gens très connus ici au Parlement qui se font encore refuser la citoyenneté canadienne, même s'ils peuvent jouir de tous les autres avantages à part celui-là. On ne leur a même pas dit pourquoi on leur refuse la citoyenneté. Ils vivent ici en tant que résidents permanents. Cela me préoccupe. Je ne tiens pas à savoir ce qu'ils ont fait, mais peut-être qu'eux aimeraient savoir pourquoi on leur refuse la citoyenneté. Lorsque l'on sait pourquoi une chose nous est refusée, on peut au moins se défendre.

Mme Caplan: Vous soulevez là un point important. Certaines personnes sont tenues pour non admissibles au Canada, et cette décision fait l'objet d'un réexamen par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité du SCRS, qui doit ensuite confirmer la décision initiale auprès du ministère. Il s'agit de cas en suspens. Il est toujours malheureux que des gens se retrouvent dans une telle situation. Nous aimons que les choses soient tirées au clair dans les plus brefs délais, et le SCRS réexamine les dossiers des personnes qui n'ont pas obtenu le statut de résident permanent au Canada. La loi est très claire à cet égard, et les discussions entourant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés nous donneront l'occasion d'étudier les dispositions relatives au refus de la citoyenneté.

Encore une fois, l'un des impératifs d'intérêt public de ce gouvernement est d'émettre un message très clair à l'intention de ceux qui s'adonnent aux activités que vous venez de décrire, à savoir qu'ils ne pourront trouver refuge au Canada s'ils ont participé à des actes de terrorisme ou ont commis des crimes contre l'humanité ou d'autres crimes graves. Nous savons que certains d'entre eux font appel, et il existe d'ailleurs des dispositions d'exonération et de réinsertion sociale dans le cas de certains crimes.

Toutefois, le gouvernement a pour politique d'être vigilant afin que les personnes jugées indésirables au Canada n'obtiennent pas la résidence permanente, car cela leur permettrait de devenir citoyen canadien un jour, et une fois la naturalisation obtenue, il est beaucoup plus difficile de leur faire comprendre qu'elles ne sont pas les bienvenues.

Le président: Je tiens à vous remercier vivement de votre collaboration et de votre patience.

La séance est levée.


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