Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 28 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 11 décembre 2001
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce jour à 16 h 32 pour examiner le commerce international des produits agricoles et agro-alimentaires et les mesures à court et à long terme pour la santé du secteur agricole et agro-alimentaire dans toutes les régions du Canada.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, je constate que nous avons le quorum.
Nous avons devant nous cet après-midi M. Bruno Jean, président de la Fondation canadienne sur la revitalisation rurale.
La parole est à vous, monsieur.
[Français]
M. Bruno Jean, président, Fondation canadienne sur la revitalisation rurale: Je suis président de la Fondation canadienne pour la revitalisation rurale, et professeur à l'Université du Québec à Rimouski, où je m'intéresse aux questions de développement rural.
M'accompagnent Peter Apedaile, de l'Alberta, agriculteur et professeur émérite en économie agricole de l'Université de l'Alberta; David Bruce de l'Université Mount Allison, au Nouveau-Brunswick, responsable d'un programme de recherche intitulé «Rural and Small Town Program» et, de Diane Martz de l'Université de la Saskatchewan où elle travaille dans un centre de recherche rural basé au Collège St. Peter.
En plus de vous parler de la Fondation, je développerai trois ou quatre points. Rappelons tout d'abord que le développement des capacités des collectivités rurales est certainement une condition nécessaire au développement du Canada rural d'aujourd'hui, mais cette condition n'est peut-être pas suffisante.
Dans un deuxième temps, je suis d'avis que le processus de concentration dans l'agriculture fait en sorte que plusieurs collectivités rurales sont menacées de disparition au Canada et qu'il faut mettre en place de nouvelles approches économiques dans le but de revitaliser l'économie de ces territoires.
Ces approches doivent être basées sur la production de produits spécifiques à haute valeur ajoutée et non pas de produits génériques. Cela m'amènera à discuter de la question de la multifonctionnalité des territoires ruraux que le Canada devrait mettre de l'avant. Enfin, j'énoncerai quelques autres conditions gagnantes qu'il me semble important de développer. Je ferai une proposition qui veut, étant donné la structure actuelle de l'économie, que les activités rurales ne sont pas rémunérées adéquatement. Il faut envisager un système de taxation, notamment sur l'alimentation, pour retourner aux agriculteurs ces ressources.
La Fondation canadienne pour la revitalisation rurale est probablement la seule organisation nationale qui, depuis environ 14 ans, se dévoue pour promouvoir la recherche sur les questions rurales et la diffusion des activités de recherche auprès des milieux ruraux.
La Fondation est convaincue que des solutions originales peuvent émerger de la recherche et du partage des connaissances pour mettre fin à la longue série de crises économiques, sociales et environnementales qui affectent le Canada rural. La Fondation soutient que le développement de la compétitivité globale du Canada peut exister sans sacrifier le revenu des familles agricoles, la qualité de vie des ruraux, le patrimoine rural et la sécurité des populations.
En ce qui à trait aux activités, la Fondation offre, chaque automne, une conférence annuelle nationale. Au fil des ans on a parcouru plusieurs régions rurales du pays. Cette conférence est précédé, chaque printemps, par un séminaire plus restreint. Nous avons, grâce à du financement public du SCRH ou d'organismes semblables, lancé une initiative majeure de recherche sur la nouvelle économie rurale.
Cette initiative nous a permis d'observer ce qui se passe réellement au niveau local dans 32 communautés au Canada. Je retiens quelques défis de la Fondation qui me semblent importants de mentionner aujourd'hui. Nous nous sommes donné comme premier défi d'essayer de rendre intelligible les liens entre les changements technologiques, la mondialisation des marchés et les transformations des économies locales.
La Fondation pense que le succès ne tombe pas du ciel. Jusqu'à maintenant, le Canada rural a été généralement exclu de la prospérité générée par la performance globale de l'économie canadienne. Dans les régions les plus exposées à la mondialisation des marchés, la dépopulation a été plus grande encore. L'économie sociale a joué un rôle majeur pour permettre aux différentes générations vivant en milieu rural de s'adapter à la conjoncture économique.
Les investissements privés, les prix adaptés et une politique publique adéquate ne pourront pas remplacer la disparition des élévateurs à grain des Prairies et la consolidation des activités commerciales, financières et des services gouvernementaux dans des zones rurales.
Le deuxième défi auquel nous nous attaquons est le renforcement des capacités de développement des ruraux en concevant et en mettant en oeuvre des projets banquables. Les recherches que nous avons menées montrent que le niveau de capital social varie beaucoup au sein du Canada rural.
Pour résumer, l'objectif de notre organisation est de développer des connaissances sur les différentes dimensions de la restructuration en cours dans le Canada rural et faire en sorte que ces connaissances soient décimées auprès des leaders ruraux.
En ce qui a trait au développement des capacités, les chercheurs en développement rural et les décideurs publics sont confrontés à un constat.
Il y a des communautés rurales qui gagnent alors que d'autres perdent et semblent enfermées dans un cercle vicieux de dévitalisation. On se rend compte que pour expliquer ce phénomène, les facteurs traditionnels de développement tels la dotation en ressources et la localisation s'avèrent insuffisants ou insatisfaisants.
Certaines collectivités semblent dynamiques tandis que d'autres accusent un retard. Nous nous sommes efforcés de mieux comprendre le rôle de certains facteurs intangibles comme celui du capital social. Effectivement, suite aux enquêtes que nous avons menées, on a pu observer un plus fort capital social et une meilleure gouvernance régionale parmi les collectivités dynamiques. Cela se mesure par un certain nombres d'indicateurs qui touchent à l'ouverture de la population aux idées nouvelles, à la capacité de travailler ensemble, d'investir dans des projets collectifs de la communauté et à la capacité pour les leaders de la communauté d'établir des réseaux efficaces à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté.
Cela dit, si une bonne dynamique sociale est importante, plusieurs communautés rurales perdent leur base. Il faut voir quelles sont les solutions. Dans ces régions rurales en difficulté, la solution passe par la reconnaissance de la multifonctionnalité des territoires ruraux. Les zones rurales ne sont pas seulement des zones de production. C'est bien connu.Elles ont aussi une fonction territoriale. Les ruraux occupent le territoire, ils aménagent l'espace, ils préservent les paysages et font en sorte qu'on peut continuer à mettre en valeur les ressources naturelles. La fonction sociale contribue à l'emploi.
Tout le monde va être d'accord pour dire que l'approche qu'on doit développer aujourd'hui en est une de développement rural durable. Il faut harmoniser, le mot est très important, entre trois grandes dimensions: le respect de l'environnement est incontournable, la recherche d'une viabilité économique et la réponse aux attentes des populations rurales.
Je vais résumer la question. Lorsqu'on regarde le fonctionnement de l'économie rurale, on constate que dans l'économie canadienne, en gros, le prix payé pour les produits provenant des milieux ruraux est toujours en décroissance. Ceci veut dire que, par exemple, dans le secteur agricole, au début du siècle, les populations canadiennes devaient investir 40 à 50 p. 100 de leur revenu disponible pour l'alimentation. Aujourd'hui, la famille canadienne moyenne investit de 15 à 17 p. 100 de son revenu disponible pour l'alimentation. L'agriculture a été très compétitive et a transféré les gains de productivité d'une manière trop grande de sorte que les ruraux n'arrivent plus à vivre.
Il faut convenir et affirmer qu'on n'a pas le choix. Il faut une politique rurale forte nous donnant plusieurs moyens. Comme les ressources sont limitées, cela m'apparaît être une question d'équité sociale, qui ferait en sorte que les produits alimentaires, par exemple, seraient faiblement taxés. Le produit de cette taxe serait versé pour les actions menées par une politique rurale. Les urbains, à qui il faudrait bien expliquer cette taxe, pourraient être des défenseurs du monde rural. Il y a tout un travail à faire. C'est un peu notre mandat d'expliquer au monde urbain comment ils peuvent et doivent être solidaires des zones rurales et qu'une légère taxe va permettre de compenser et de rémunérer les ruraux pour l'ensemble des services qu'ils rendent à toute la société.
Dans le système marchand dans lequel nous sommes, on voit qu'il y a un certain nombre de services que les ruraux rendent à toute la société et qui ne sont pas rémunérés.
[Traduction]
Mme Diane Martz, directrice, Centre for Rural Studies and Enrichment, St. Peter's College: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier pour l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de vous entretenir sur le travail que nous avons réalisé au Centre for Rural Studies et en collaboration avec la Fondation canadienne sur la revitalisation rurale, sur les projets de recherche financés par la FCRR.
Nos travaux nous ont appris que les fermes, les familles agricoles et les collectivités rurales traversent une période d'incertitude épouvantable. Elles sont assujetties à des décisions prises par des gouvernements et des sociétés habituellement très éloignés d'elles. Ces décisions créent la nécessité, pour les familles agricoles, de prendre également des décisions. Une agricultrice m'a dit cet été qu'elle avait l'impression d'avoir à prendre des décisions importantes tous les jours. Cette situation provoquait un stress terrible dans sa famille.
Les ruraux se rendent compte qu'ils sont vulnérables et aussi qu'ils doivent s'adapter à un monde en pleine évolution. Bon nombre d'entre eux sont activement à la recherche d'un changement et ce changement pourrait signifier quitter la ferme et la collectivité rurale. Il pourrait signifier une diversification à l'intérieur de la ferme et, dans de nombreux cas, c'est ce qui est arrivé. Il pourrait également signifier devoir travailler à l'extérieur de la ferme, ce qui est très courant aujourd'hui dans la plupart des familles agricoles, ou essayer de convertir les atouts communautaires en de nouvelles fonctions économiques ou sociales.
La capacité des collectivités en vue de faire face au changement dépend de certaines de leurs caractéristiques qui les rendent plus ou moins aptes à s'adapter au changement, à gérer le changement ou même à créer un changement pour obtenir un résultat souhaité.
Pour certaines des recherches que le projet de nouvelle économie rurale (NER) effectue dans 32 endroits au Canada, il est crucial de comprendre pourquoi certaines collectivités sont capables de survivre ou même de prospérer tandis que d'autres sont sur le déclin.
Nous quatre, présents ici aujourd'hui, avons été impliqués dans une certaine mesure dans ce projet. Durant les quatre dernières années, une équipe de chercheurs a étudié divers aspects de ces endroits, incluant des petites et moyennes entreprises, des coopératives, le secteur bénévole et le potentiel de la collectivité. Cet été, nous avons réalisé près de 2 000 entrevues dans des ménages dans 20 des 32 endroits. Nous disposerons de beaucoup de données à examiner et nous aurons probablement de nombreuses choses intéressantes à dire à l'avenir.
Aujourd'hui, je me concentrerai sur nos réflexions récentes sur le potentiel de la collectivité. Nous avons une équipe qui cible le potentiel de la collectivité depuis plusieurs années. C'est le meilleur de notre connaissance actuelle. Je ferai également mention de mes autres projets de recherche pour illustrer certaines de ces idées.
Lorsque nous parlons de l'aptitude d'une collectivité en vue de s'adapter au changement, nous parlons du potentiel de la collectivité. En voici une définition officielle: c'est la capacité collective d'un groupe de combiner diverses formes de capital au sein de contextes institutionnels et relationnels pour produire des résultats souhaités. Je vais essayer d'éclaircir un peu cela.
Le premier élément de cette définition c'est que la collectivité doit avoir accès à un éventail de capitaux, d'actifs ou de ressources. Ces capitaux ou ces ressources doivent être mobilisés par le biais de différents types de relations ou de réseaux que la collectivité peut développer et ces efforts doivent donner des résultats spécifiques que la collectivité souhaite.
Les ressources en actifs et en capitaux comportent des éléments comme le capital économique - l'argent et l'infrastructure pour les routes, les systèmes de communications, les immeubles, les écoles, les systèmes d'adduction d'eau et de traitement des eaux usées, les budgets municipaux, les épargnes, la trésorerie pour les entreprises, et cetera, dans la collectivité.
Le deuxième type de capital est le capital social, que M. Jean a mentionné. Nous définissons le capital social comme les relations entre les individus. Ce type de capital est positif lorsqu'il y a des gens dans les collectivités qui peuvent travailler ensemble pour atteindre un résultat positif.
Le troisième capital est le capital naturel, qui comprend l'environnement naturel des atouts naturels traditionnels, comme les terres agricoles, le sol et l'eau, que nous avons tendance à combiner à d'autres capitaux pour créer des produits finis, intermédiaires ou primaires et qui englobe des environnements propres. C'est l'un des éléments de la vie rurale que de nombreux ruraux apprécient énormément.
Le quatrième capital est le capital humain, à savoir l'éducation, les compétences et la santé des gens. Le capital humain se développe grâce à une éducation formelle et informelle, à laquelle nous n'accordons parfois pas suffisamment de crédit.
Ces capitaux sont mis en jeu par le biais de divers types de relations et de réseaux. Les réseaux que nous estimons importants sont les relations avec le marché, qui regroupent le capital économique, naturel, humain et social dans la production de biens et de services. C'est une approche économique assez traditionnelle de la combinaison des terres, de la main-d'9uvre et du capital.
La deuxième de ces relations ce sont les relations bureaucratiques. Elles se concentrent sur les institutions publiques, comme les ministères, ou sur les compagnies. Il s'agit de réseaux plus officiels. Les collectivités essaient d'avoir accès à ces réseaux. Si elles essaient de fonctionner dans cette sphère, elles peuvent chercher à avoir accès à des ressources, à une expertise ou à des permis concernant des ressources particulières contrôlées par l'État.
La troisième relation, ce sont les relations associatives. Elles existent lorsque des gens se regroupent pour produire des résultats que le marché ou la bureaucratie ne fournissent pas. Il s'agit de groupes bénévoles, d'organisations paroissiales, de clubs récréatifs et de bien d'autres, dans lesquels des gens se rassemblent pour créer quelque chose qui n'existe pas dans leur collectivité.
La quatrième relation, ce sont les relations réciproques. Elles sont caractérisées par les relations de parenté ou les réseaux d'amis et de voisins. C'est un élément que nous ne jugeons pas souvent très important, mais la ferme familiale fonctionne avec des relations réciproques. L'une de nos études au Centre for Rural Studies vise à examiner le travail des familles agricoles et la façon dont tous les membres de la famille conjuguent leurs efforts de travail, officieux et officiels, pour faire fonctionner ces fermes. Dans ce contexte, les relations réciproques sont cruciales pour le succès des fermes familiales.
Ces quatre types de relations ne fonctionnent pas séparément. Ils ont tendance à se chevaucher. Une collectivité qui possède un grand potentiel parvient à réunir les différents capitaux et à accéder aux diverses relations pour atteindre un but souhaité ou pour réaliser un projet souhaité. Je vais en illustrer les deux premiers éléments avec l'exemple d'un projet que nous avons promu au Centre for Rural Studies.
Partners for Rural Family Support est un groupe qui a été mis sur pied à Humboldt par une travailleuse en santé mentale qui 9uvrait dans une bureaucratie ne dispensant pas un service adéquat aux victimes de violence familiale. Cette personne est sortie de son institution bureaucratique et a réuni un groupe, qui constituerait une relation associative, dont les membres comptaient des représentants de nombreux organismes différents prestataires de services, comme pour les femmes violentées, et cetera. Il s'agissait de gens qui s'intéressaient à la violence familiale. Les relations associatives ont tendance à se nouer autour d'un intérêt commun.
Au sein des relations associatives et réciproques, les gens pouvaient avoir accès à un certain nombre de capitaux différents grâce aux membres de ce groupe. Ils avaient du capital social parce qu'ils avaient une relation de travail qui pouvait s'orienter dans une direction positive; ils avaient un capital humain parce qu'il s'agissait de gens ayant différents types d'expertise, notamment en recherche, et ils pouvaient avoir accès à du capital financier grâce à une subvention de recherche. Tout cela a contribué à améliorer la connaissance sur la violence familiale et les moyens d'y répondre. À partir de là, nous avons appris qu'il est plus facile de réussir quand on peut avoir accès à plusieurs de ces différents capitaux et réseaux. Le potentiel de la collectivité implique l'accès à tous les capitaux et à toutes les relations.
Une autre chose que nous avons apprise à ce sujet c'est que la solution ne consiste pas forcément à créer le même type de capital ou de service qui est offert dans les centres urbains ou qui a été offert dans le passé. Les capacités doivent être novatrices. Nous devons arriver avec des idées qui s'appuient sur la force des collectivités rurales et nous devons nous appuyer sur les éléments qui existent déjà, comme le bénévolat, l'attachement à la collectivité et les compétences générales.
Dans cette situation, notre solution était un défenseur de la famille - une personne qui agit comme un intermédiaire très visible pour aider les femmes et les familles à accéder aux services nécessaires, indépendamment de leur emplacement. C'est une compétence générale et elle repose sur le bénévolat.
Après avoir mobilisé les capitaux par le biais de diverses relations, la troisième question qu'il faut se poser est la suivante: La capacité pour faire quoi? Pourquoi essayez-vous de mobiliser tous ces capitaux? Les collectivités cherchent à mobiliser des capitaux pour maintenir leur viabilité économique. Par le biais du processus de planification des collectivités écologiques que nous avons effectué en Saskatchewan, c'est la principale préoccupation des collectivités. C'est la tradition de l'orientation du développement communautaire de générer la richesse et de créer des emplois.
Une autre capacité pourrait consister à maintenir ou à créer une culture civique vitale, dans laquelle il y aurait une participation, au sein de la collectivité, de nombreuses personnes qui sont disposées à s'impliquer dans l'administration locale et lors des élections. C'est également très proche du capital social.
Il y a deux ou trois autres résultats que les gens peuvent chercher à obtenir. L'un d'entre eux vise à trouver un meilleur accès au financement et aux ressources de l'État et à chercher des gens qui peuvent rédiger des propositions de subvention pour vous afin d'avoir accès aux fonds publics destinés aux infrastructures et à d'autres programmes du genre.
La dernière de ces capacités, qui est probablement la moins souhaitable, consiste tout simplement à subsister ou à persister. Ce pourrait être le cas lorsqu'il y a des bouleversements spectaculaires dans la société ou des catastrophes naturelles, des guerres ou autres.
La capacité peut être bâtie, mais elle peut également être érodée. Nous pensons que la capacité peut être bâtie en créant un capital-actions supplémentaire, par exemple en améliorant l'accès au capital financier dans les régions rurales, par l'éducation, par le perfectionnement des compétences en leadership et par la facilitation de la création du capital social. La capacité peut être renforcée en améliorant ces relations et ces réseaux dont j'ai parlé.
La capacité peut également être érodée. C'est ce qui s'est passé dans de nombreuses collectivités rurales. Dans les Prairies, c'est ce qui est arrivé avec la perte de diverses formes de capital dans la collectivité - diminution des subventions municipales et consacrées aux infrastructures, suppression de services, fermeture d'écoles, d'hôpitaux et d'entreprises, dépopulation et bien d'autres choses. Cela peut également arriver lors de la rupture de relations. Parfois, lorsqu'il y a une collectivité en crise et que vous essayez de réagir face aux interventions extérieures, comme la fermeture d'hôpitaux et d'écoles, vous aboutissez avec des conflits au sein de la collectivité. Vous pouvez finir par avoir moins de bénévoles, parce qu'ils sont tout simplement épuisés - ils ont fait fonctionner pratiquement tout dans la collectivité.
La capacité est également cyclique. Un effet positif de la capacité peut générer de nouvelles formes de capital qui aboutissent à des résultats positifs supplémentaires. Le succès engendre le succès. Une collectivité qui réussit à générer un projet lui apportant des emplois envisagera vraisemblablement d'autres possibilités et d'autres projets.
D'un autre côté, un résultat négatif peut éroder le capital-actions ou les relations et peut aboutir à une diminution du potentiel de la collectivité. L'une de nos collectivités à nouvelle économie rurale (NER) a perdu à la fois son école et son hôpital. Même si la collectivité a été mobilisée - les gens se sont ralliés en un front commun pour combattre cette perte - cette collectivité a perdu un capital important par la fermeture de son école et de son hôpital et c'est également un potentiel important qui a été perdu: elle n'a pratiquement plus aucune personne intéressée à l'administration locale et les gens se satisfont de leur sort.
Pour maximiser la capacité d'adaptation des collectivités, nous avons besoin d'un solide potentiel de la collectivité. Un potentiel solide ne se résume pas à des compétences en leadership. Il implique les quatre capitaux: le capital social, le capital économique pour la collectivité, le capital humain par le biais de l'éducation et le capital naturel par des politiques environnementales propres et durables.
Un solide potentiel naîtra de niveaux élevés de capital économique, social, naturel et humain, alliés à des marchés solides dans les relations bureaucratiques, associatives et réciproques. Les régions rurales sont encore riches, dans bien des cas, en capital social et naturel. Les résidents ruraux vous diront qu'ils apprécient définitivement l'environnement naturel. Ils estiment vivre dans un environnement propre. Ils ont encore également des relations associatives et réciproques assez solides, mais elles subissent l'érosion par les tendances actuelles.
Notre objectif doit consister à stopper cette érosion et également à récupérer le capital économique et à améliorer le capital humain, tout en améliorant nos relations commerciales et bureaucratiques.
M. David Bruce, directeur, Programme des campagnes et des petites localités, Université Mount Allison: Merci beaucoup de me donner l'occasion d'être parmi vous cet après-midi.
J'aimerais commencer par vous donner mon point de vue sur un problème crucial auquel est confronté le Canada rural: De plus en plus de ruraux trouvent qu'il est plus difficile de vivre dans les collectivités où ils résident, en raison de l'érosion et de l'absence de structures économiques et communautaires.
L'auto-organisation est cruciale au niveau des collectivités, des régions, de la nation et sur la scène internationale. La capacité de s'auto-organiser repose largement sur le potentiel de la collectivité locale.
Je vais vous lancer trois idées ou concepts interreliés qui, à mon avis, pourraient mériter d'être pris en considération dans les discussions entourant de nouvelles politiques pour le Canada rural.
Très peu d'activités économiques se déroulent en l'absence d'un contexte communautaire, agrémenté d'un certain éventail d'infrastructures humaines et organisationnelles. L'auto-organisation ou les groupes communautaires auto-organisés ont besoin de suffisamment de capital et de fonds d'exploitation pour travailler dans ce contexte. Une façon de le faire consiste à accroître la disponibilité du capital et des fonds d'exploitation pour les organismes en place, comme les Sociétés d'aide au développement des collectivités (SADC) et leurs équivalents dans les provinces de l'Atlantique qui, à leur tour, génèrent un certain nombre d'activités et d'événements communautaires importants, investissent dans les entreprises locales et dans d'autres organismes communautaires.
La notion d'une identité collective en action, ou la notion de cohésion sociale, constitue également un facteur crucial sous-jacent dans le développement rural. Toutefois, elle a aussi été érodée par des actes posés par des particuliers, des collectivités et des gouvernements. La question est la suivante: Pouvons-nous rebâtir nos intérêts communautaires sous une certaine forme d'intendance partagée entre nos citoyens dans la collectivité rurale afin qu'ils éprouvent ce sentiment d'identité collective et de mesures collectives?
Une façon d'aborder cette situation consiste peut-être à envisager un ensemble plus attrayant de crédits d'impôt pour les particuliers et les organismes communautaires qui investissent dans les fonctions multiples assumées par les collectivités rurales, qu'il s'agisse de la création d'espaces d'agrément, par la protection de l'environnement, la mise en valeur ou la réhabilitation de zones polluées, et cetera.
Il faut également bâtir une certaine capacité dans nos collectivités pour participer plus efficacement au marché économique dans lequel nous nous retrouvons actuellement: l'économie mondiale. Un élément crucial consiste à appuyer les efforts d'entrepreneuriat déployés dans la collectivité par des particuliers et des organismes qui essaient de tirer profit des possibilités. Souvent, ils n'ont pas accès au capital financier.
Nous pourrions explorer la possibilité de retravailler la Loi sur le financement des petites entreprises du Canada, par exemple, pour la mettre davantage à la portée d'organismes communautaires sans but lucratif comme les Sociétés d'aide au développement des collectivités (SADC) qui sont actuellement exclues des avantages offerts par cette loi. Un exemple consisterait à examiner la Community Reinvestment Act des États-Unis pour déterminer la possibilité d'avoir une loi semblable au Canada. Nous devrions également nous pencher en partie sur la perte et l'exode de fonds tangibles de nos collectivités rurales en raison des fermetures de banques et de la consolidation des intérêts financiers.
Permettez-moi d'explorer chacun de ces thèmes plus en détail avant de faire une synthèse. Comme je l'ai mentionné, la majeure partie de l'activité économique se déroule dans un contexte communautaire. Les agriculteurs cultivent, les pêcheurs pêchent et les gens dispensent des services basés sur la TI pour les autres dans un cadre communautaire, généralement défini par une structure municipale dotée d'un certain niveau de services locaux et même provinciaux et fédéraux.
Pour bien des gens, les aspects non économiques du contexte communautaire sont extrêmement importants et englobent les institutions civiques et les organismes bénévoles communautaires, notamment le gouvernement local, l'éducation et les services de santé ainsi que les événements communautaires. Leur absence crée un trou ou un vide énorme dans nos collectivités rurales et empêche les gens de s'auto-organiser et de tirer avantage d'activités économiques qu'ils pourraient souhaiter réaliser.
Ces institutions jouent des rôles importants pour ce qui de bâtir le capital social et la cohésion sociale dans nos collectivités et fournissent les modules de base pour les processus de développement économique communautaire dans nos collectivités. Nos recherches ont révélé que les organismes bénévoles, en particulier, effectuent un travail considérable et important en offrant toute une gamme de services et de programmes et constituent des partenaires importants pour leurs institutions civiques, notamment les gouvernements locaux et les prestataires de services d'éducation et de soins de santé.
Toutefois, ils souffrent d'un manque de financement, des contestations formulées par les membres et de l'épuisement des bénévoles. Une fois de plus, cela dresse des obstacles majeurs à l'utilisation de ces importants organismes civiques et bénévoles comme outils de développement communautaire.
Les institutions civiques fournissent des services importants. Les administrations locales fournissent l'infrastructure nécessaire. Idéalement, dans le meilleur des mondes, vous planifiez effectivement pour le développement économique futur en partenariat avec les organismes de développement régional comme les SADC.
Les établissements d'éducation et de santé sont indispensables parce qu'ils offrent également des services directs aux citoyens individuels dans leurs collectivités. Ils font partie de l'actif de la collectivité qui est utilisé par tout le monde pour les réunions communautaires, des rencontres, des événements et d'autres activités.
Il existe un haut degré de réseautage et de partenariat au sein de nos collectivités rurales, en particulier entre les organismes bénévoles et les institutions civiques. Certains de ces partenariats sont en danger car les organismes bénévoles se débattent avec leurs contestations formulées par les membres, leurs problèmes de financement et le passage d'un projet à un autre au lieu d'envisager des activités à long terme. Les institutions elles-mêmes, les administrations locales et les organismes d'éducation et de soins de santé se débattent avec des problèmes de budget à la baisse, des défis en matière de dotation de personnel et bien d'autres éléments.
Enfin, les collectivités rurales bénéficient d'un niveau élevé d'approches informelles et collectives qui permettent de faire bouger des choses et d'atteindre des résultats. Même si le cercle de participation est parfois restreint, nous savons qu'il est caractérisé par une volonté individuelle de s'atteler au travail et de donner un coup de main en temps de crise et par un fort sentiment d'identité communautaire.
À l'Université Mount Allison, notre programme a examiné des ménages dans de petites collectivités et villes au fil des ans. Nous avons constaté que les gens ne choisissent pas de vivre dans ces régions en raison des avantages économiques particuliers qu'elles offrent, des impôts moins élevés ou de l'emplacement du travail. Les gens choisissent de vivre là en raison de la qualité de vie mise à leur disposition dans ce genre de cadre, notamment la sûreté et la sécurité, l'accès à des soins de santé de qualité, l'accès à une éducation de qualité pour les enfants, et cetera.
En outre, les gens vivent plus vraisemblablement dans ces collectivités et ces petites villes rurales en raison des liens familiaux et amicaux élargis disponibles: ce sont des éléments importants qui offrent aux gens des ressources non économiques pour fonctionner dans leurs collectivités.
La plupart de nos collectivités du Canada rural disposent d'un bon nombre de ressources, que nous parlions de l'assise territoriale physique, des activités économiques, des compétences individuelles au niveau humain et des relations sociétales. Le défi consiste évidemment à les amalgamer dans un contexte communautaire, de façon à travailler tous dans le même but.
Nos recherches ont révélé que nous semblons manquer de capital dans le domaine financier. Avec le retrait des banques de bon nombre de nos collectivités, nous avons perdu la capacité de réinvestissement à l'échelle locale. De nouveaux outils, comme ceux que j'ai mentionnés il y a quelques instants, doivent être mis au point pour répondre à cette situation. En l'absence de capital disponible pour des investissements locaux, nous trouvons souvent moins d'entreprises et moins d'entrepreneurs intéressés à faire des affaires dans les collectivités rurales. Nous nous tournons souvent vers le secteur bénévole, les organismes communautaires sans but lucratif, pour agir sur ce front en vue de profiter des occasions économiques qui pourraient exister.
Comme je l'ai mentionné, le secteur bénévole souffre d'épuisement. Les plus récentes pratiques fédérales et provinciales en matière de financement à court terme, dans le cadre de projets, posent des problèmes importants pour envisager d'offrir des services à la collectivité à plus de six mois ou d'un an. Nous perdons une certaine capacité chez ces particuliers et ces organismes qui deviennent frustrés par les processus et perdent de l'intérêt.
Les organismes bénévoles sont extrêmement importants, en particulier ceux qui ont démontré un esprit d'entreprise et fait preuve de valeurs entrepreneuriales. Ils les montrent souvent dans le domaine de la prestation de services aux particuliers sous la forme de services sociaux et autres. De nombreux autres organismes, en particulier ceux qui ont été parrainés par des Sociétés d'aide au développement des collectivités ou fonctionnent sous le couvert de leur structure, investissent dans d'importantes activités économiques au sein de leurs collectivités. Il faut les appuyer sérieusement.
Pour résumer, j'aimerais revenir aux trois points principaux que j'ai abordés au commencement: nous devons envisager la façon dont nous finançons nos économies rurales et dont nous offrons l'accès au capital. La politique que je suggère consisterait à examiner la Community Reinvestment Act aux États-Unis pour déterminer de quelle façon elle pourrait être réécrite dans le contexte canadien. Nous devrions jumeler cela à une refonte de l'actuelle Loi sur le financement des petites entreprises du Canada pour fournir un meilleur accès au secteur sans but lucratif.
Nous devons étudier la façon dont nous pouvons appuyer nos organismes sans but lucratif pour faire preuve d'esprit d'entreprise et de développement de l'entrepreneuriat. Nous pouvons le faire en appuyant les Sociétés d'aide au développement des collectivités en place et d'autres entités en leur offrant davantage de capital de financement et plus de fonds d'exploitation pour réaliser le bon travail qu'elles font.
Nous devons envisager des façons d'appuyer les particuliers et les organismes communautaires qui soutiennent et explorent des avenues afin d'examiner le fonctionnement de nos collectivités rurales d'une façon multiple, au-delà du simple rendement économique.
J'attire à nouveau votre attention sur la possibilité d'envisager des crédits d'impôt plus attrayants pour ces personnes et pour les entités enregistrées sans but lucratif en vue de récompenser leurs efforts visant à protéger l'environnement, à restaurer l'environnement et à offrir les espaces d'agrément nécessaires que les citadins, en particulier dans notre pays, jugent valables dans notre cadre rural.
M. Peter Apedaile, professeur émérite, Université de l'Alberta: Honorables sénateurs, merci de m'avoir invité et d'avoir pensé que nous pourrions avoir quelque chose d'utile à dire.
J'aimerais vous faire suivre une ligne de pensée partant d'un certain point vers une destination possible. C'est un chemin avec lequel vous n'êtes peut-être pas familier, bien qu'il soit continuel dans l'économie.
Le point de départ est notre politique économique actuelle, qui a été conçue pour ce qui est maintenant une économie industrielle vieillissante. Elle reposait sur un soi-disant concept des principales ressources, en vertu duquel les régions rurales produisaient les matières premières, les produits génériques, qui alimentaient le système de transformation industrielle, et ensuite, par le biais d'aliments et de fibres très économiques, favorisait la compétitivité du Canada sur toutes sortes de marchés, à l'heure actuelle surtout sur les marchés mondiaux.
D'après ce vieux modèle, la valeur ajoutée comprend une plus grande activité industrielle, une plus grande fabrication. Cependant, nous pouvons prédire d'après la théorie économique, et la théorie économique nous le dit, qu'avec ce genre d'approche stratégique nous obtenons de faibles valeurs pour les actifs ruraux. De fait, un membre de l'association immobilière du Lower Mainland de la Colombie-Britannique, présent à l'une de nos conférences à Nelson en Colombie-Britannique, préconisait en réalité une taxe sur les gains en capital applicable sur toutes les transactions immobilières effectuées dans le Lower Mainland. Il voulait consacrer ces revenus aux régions éloignées et rurales de la Colombie-Britannique. Dans cette province, le succès de l'économie rurale a provoqué une hausse de la valeur des terres dans le Lower Mainland.
Cette politique crée également des problèmes de revenus agricoles. Nous savons ce qu'il en est. Il n'est pas surprenant que nous ayons ces problèmes auxquels s'intéresse tout particulièrement votre comité. Nos responsables des politiques savent que c'est le genre de résultat que l'on obtient avec ce genre d'économie.
Là où j'aimerais vous conduire, c'est vers un domaine de recherche et de science économique en émergence rapide qui aborde les droits de propriété dans le contexte d'une économie du savoir. L'économie rurale serait une organisation économique et sociale qui réorganise et reconditionne constamment ses droits de propriété pour produire de la richesse et des revenus. Ceci repose sur des réflexions publiées par Peter Drucker sur l'économie du savoir et sur des documents tirés de la revue économique de l'OCDE ainsi que sur des recherches effectuées par notre fondation.
En suivant cette voie, je tiens à souligner que bien des gens que nous engageons dans nos ministères, comme le ministère de l'Agriculture et de l'Agro-alimentaire, estiment qu'il ne faudrait pas accroître le revenu agricole parce qu'il augmenterait la valeur des terres et que, ce faisant, cela ne profiterait qu'à la génération actuelle de propriétaires fonciers et constituerait une entrave pour les générations futures.
C'est une erreur parce qu'une meilleure situation nette dans notre économie rurale et dans nos entreprises rurales constitue l'assiette du financement. Dans la plupart des endroits au Canada rural, nous n'avons que la taxe foncière. Vous voulez avoir des fonds propres solides. C'est l'assise d'une économie rurale forte.
Continuons sur cette voie. Nous ne suggérons pas qu'il existe une seule option. Cette fondation ne préconise rien d'autre que l'idée d'une assise financière rurale plus solide. Nous sommes un organisme de recherche et d'éducation permanente. Nous envisageons les options et les choix pour que des gens comme vous y réfléchissent et les mettent en place.
Les quatre concepts sont énoncés dans ce document, dont vous pouvez obtenir un exemplaire. Il s'intitule: «New Paths for Agriculture and Rural Economies in Canada». C'est ma contribution à votre séance de cet après-midi. Je ne le lirai pas.
Il renferme quatre concepts. Le premier est que la réorganisation des droits de propriété constitue la façon d'améliorer l'efficience dans une économie comme l'agriculture qui a plusieurs fonctions. Elle n'a pas que la seule fonction de produire du blé, des produits laitiers, du canola, et cetera. Je produis du blé, du canola, de l'orge et des choses du genre. Cependant, en tant qu'agriculteur, j'ai d'autres fonctions que je vais aborder dans un instant.
La deuxième chose dont vous entendrez parler est l'idée d'une prime de risque sur les capitaux propres. C'est la majoration supplémentaire que les investisseurs ruraux doivent faire lorsqu'ils envisagent d'investir dans leurs propres avoirs, par opposition à un investissement quelque part comme dans un motel à Burnaby. Si un investisseur étranger ou un investisseur urbain souhaite investir dans une région rurale, il y a une prime de risque sur les capitaux propres. C'est le même genre de concept dont essaie de s'occuper le gouverneur de la Banque du Canada en abaissant successivement les taux d'intérêt.
Après le 11 septembre, il y a eu une prime énorme à payer pour emprunter de l'argent. Comme vous l'avez constaté, tous les fonds ont quitté les marchés boursiers pour se diriger vers des endroits sûrs comme les bonds du Trésor et autres. Les investisseurs ont rangé leur argent parce que le taux de rendement n'était pas là. Le même scénario est arrivé juste avant la Seconde Guerre mondiale. Nous avons un problème chronique de primes de risque sur les capitaux propres pour trouver de l'argent et lui trouver sa place dans le Canada rural.
Le troisième concept est la gouvernance rurale. Ce n'est pas seulement l'administration locale. Les marchés sont l'une des principales institutions d'orientation du Canada rural. Le système judiciaire en est une autre parce que nous devons traiter avec les droits de propriété et les problèmes de violence familiale dans le Canada rural. Il y a plusieurs jours, dans la collectivité rurale de M. Jean, un garçon de 15 ans venant d'une famille rurale tout à fait normale et à l'aise a décidé qu'il était temps de s'enlever la vie. C'était un ami proche de la fille de M. Jean. Non seulement sa fille est-elle complètement retournée par cette situation, mais la famille et l'école sont extrêmement bouleversées par tout cela. En 25 ans, j'ai eu un suicide à chaque ligne de clôture. Nous ne devrions pas oublier certains de ces problèmes.
La gouvernance rurale ce sont les marchés, les gouvernements, les capitaux sociaux et la justice. Je me réfère à tout cela comme étant le gouvernement local. Je m'excuse pour cette digression, mais il appert que certains de ces enjeux viennent tout juste d'émerger.
Le quatrième concept est «l'encadrement». C'est le syndrome du magasin de la compagnie, dans le cadre duquel vous faites affaire dans une collectivité et le magasin de la compagnie fournit vos intrants et achète également vos extrants. On assiste maintenant à cela par les fusions, les acquisitions, les alliances mondiales et les réseaux. Par exemple, dans les Prairies, nous avons une alliance entre Cargil et Monsanto. Ce sont des organisations plutôt efficientes. J'aime et j'utilise les produits Monsanto. Le fait est que ces organismes fournissent effectivement ces intrants, en établissent le prix, regroupent mes céréales, les manutentionnent, les donnent comme nourriture au bétail et abattent également le bétail - lorsqu'ils n'ont pas d'incendie majeur comme celui qui s'est déclenché au sud de Calgary il y a une nuit ou deux.
Je vais énoncer le principal objectif de politique parce que c'est une façon de nous amener sur la même longueur d'ondes à mesure que nous avançons vers les points principaux pour arriver à la conclusion. Le principal objectif de politique est une agriculture viable. Cela signifie que lorsque j'investis mes capitaux propres personnels, j'ai besoin d'un taux de rendement proche de celui du marché. En Alberta, sur 38 000 agriculteurs, nous n'en avons que 2 000 qui obtiennent au moins le taux de rendement du marché sur leur avoir propre. La ferme familiale dominante - celle qui a des ventes agricoles de l'ordre de 200 000 $ - gagne moins que le taux de rendement du marché. Cela signifie que si le mode de vie n'était pas important, vous n'auriez pas ces producteurs. Le mode de vie subventionne avant tout notre compétitivité. Ces gens obtiennent moins que le rendement du marché, alors pourquoi ne plient-ils pas bagage, ne vendent-ils pas tout et n'investissent-ils pas leur argent dans des capitaux propres, dans des obligations d'épargne du Canada ou dans des CPG? La viabilité est importante et cela signifie un rendement sur les capitaux propres qui est le taux de rendement du marché.
Le deuxième point est une diminution des dommages indirects. Nous voulons moins de dommages indirects causés par la politique publique, qui crée toujours des dommages indirects. Cependant, à un certain point, vous devez évaluer si les dommages indirects dépassent les limites déontologiques. Il ne devrait pas s'agir uniquement de dommages indirects gérables sur le plan politique; il devrait également s'agir de quelque chose qui est raisonnable dans une démocratie où l'un des principes fondamentaux est de ne pas commettre d'actes de violence à l'égard des citoyens de façon délibérée et consciente. Nous voulons moins de dommages indirects.
Le troisième point c'est que nous voulons que notre politique soit «verte» aux yeux de l'OMC. Nous estimons que la libéralisation des échanges commerciaux apporte de nombreux avantages à tous les Canadiens.
Le dernier objectif que j'aimerais suggérer est que nous voulons faire une contribution à la sécurité mondiale à long terme. Ces mots, «sécurité mondiale», font beaucoup la une ces derniers jours mais j'y pense en termes de sécurité alimentaire et de sécurité environnementale. C'est ma définition de la sécurité mondiale.
Comment tout cela fonctionne-t-il dans le cadre d'une économie du savoir, des organismes ruraux, des associations sans but lucratif, des petites entreprises, des sociétés et des gouvernements locaux? Nous voulons que toutes nos institutions des régions rurales puissent convertir le savoir en profit, en valeur nette réelle, en mode de vie, en environnement sûr et en tous les objectifs que je viens tout juste d'énumérer. Pour nous aider à suivre cette voie, nous devons penser en termes d'actifs du savoir, de biens durables et d'un cadre ordonné pour regrouper tout cela.
À propos des actifs du savoir, nous parlons de la propriété intellectuelle. C'est un enjeu fondamental. Nos entreprises rurales, en particulier nos fermes, sont des utilisateurs nets de la technologie. Cela ne devrait surprendre personne que la fixation du prix de cette technologie soutire les fermages associés à ces droits. Ce n'est pas une surprise. Lorsque je paie 15 $ l'acre à Monsanto dans le cadre d'une entente d'utilisation de la technologie, je sais que je paie pour cela. C'est leur technologie; je n'ai pas inventé cette méthode de culture du canola.
Si je suis un utilisateur net de la technologie qui provient du milieu mondial et du milieu urbain, je ne devrais pas être surpris d'entendre ce grand bruit d'aspiration, si vous voulez, lorsque les fermages et les revenus sortent de mon économie rurale et ne sont pas disponibles pour être réinvestis chez moi.
Les droits de propriété concernent tous des organismes. La raison pour laquelle nous avons si peu de sociétés de manutention des grains à l'échelle mondiale - seulement six ou sept - et la raison pour laquelle nous avons la Commission canadienne du blé et un débat sur l'existence de cette Commission canadienne du blé, c'est parce que la façon dont vous organisez la manutention et la commercialisation des produits de base devient un atout patrimonial. Il est tout simplement impossible de bien le faire avec un petit organisme. De grandes économies sont incorporées dans la technologie.
Ce avec quoi nous sommes familiers, ce sont évidemment les véritables propriétés. Ce sont les terres, les briques et le ciment et tout le reste. Entre parenthèses, les atouts patrimoniaux dont j'ai parlé il y a un instant englobent le capital social, dont a parlé Mme Martz. Enfin, nous avons un cadre pour la sécurité nationale et mondiale sur l'environnement, la nourriture et la justice, et cetera.
Je terminerai avec six points d'intervention qui seraient utiles comme pistes de réflexion. Premièrement, une loi habilitante pour déconcentrer la politique rurale en sociétés mixtes sans but lucratif de développement rural-métropolitain. Il y a un modèle dans la nouvelle fondation pour les infrastructures qui a été annoncée hier dans le budget. Cela engloberait tout le territoire du «paysage agricole», comme on l'appelle maintenant, au Canada. C'est 10 p. 100 de notre territoire. Par exemple, nous pourrions avoir une société de développement rural d'Edmonton et de la région, gérée conjointement par un conseil rural-urbain et tirant ses revenus d'activités sur le marché, et probablement de certaines activités d'agence, pour financer le capital en vue de maintenir les écoles menacées de fermeture faute de 100 000 $ supplémentaires, et en vue d'aborder les problèmes de revenus.
Le deuxième élément que je suggérerais comme option consiste à éliminer le ministère de l'Agriculture et de l'Agro-alimentaire, à éliminer le ministère des Ressources naturelles et à éliminer le ministère des Pêches et des Océans. Si vous effectuez des recherches sur la logique de cette mesure et si vous pensez à en présenter les arguments politiques, en fin de compte, envisagez également que c'est difficile pour les agriculteurs parce que nous pensons que le ministère de l'Agriculture et de l'Agro-alimentaire défend nos intérêts au sein du cabinet. Toutefois, je n'en suis pas si sûr que cela.
Si vous souhaitez voir les arguments, lisez la Revue économique de l'OCDE pour l'an 2000. Le Dr Mario Pezzini, qui est directeur du Service du développement territorial à l'OCDE, a mentionné clairement que ce sont des façons démodées de gouverner les enjeux auxquels fait face tout ce concept - à partir des paliers national et provinciaux. Ils font partie du problème, mais ne font plus partie de la solution.
Le troisième point d'intervention serait de passer le plus rapidement possible à une approche multifonctionnelle pour la politique rurale, dispensée à nouveau par le biais de ces sociétés de développement.
Ceci repose sur les principes d'une économie du savoir, d'une économie de produits jumelée et de l'organisation et de la gouvernance qui sont nécessaires pour administrer les droits de propriété et pour permettre aux propriétaires des droits de propriété de les réorganiser constamment et de les regrouper. Cela nous permet de réduire quelques-uns des dommages indirects qui surviennent lorsque nous avons une politique et tant de circonstances différentes dans le pays. Nous pouvons être plus adaptatifs.
Nous avons des produits de base, des agréments, une sécurité environnementale et alimentaire et l'habitat pour la croissance démographique. Les gens habitent dans les régions rurales à cause de l'habitat et du mode de vie qui offrent toutes sortes de caractéristiques magnifiques. Il est maintenant possible de le faire. Après le 11 septembre, nous avons entendu de nombreuses prédictions en faveur d'un déplacement des gens.
Le quatrième point est que nous devons renforcer notre politique de la concurrence. Conrad a besoin de plus de pouvoir pour travailler et il a besoin de plus d'emplois que de simplement travailler chez Air Canada. Nous devons travailler pour supprimer l'effet du magasin de compagnie pour le Canada rural, en particulier pour l'agriculture de niveau supérieur. Je parle des 2 000 agriculteurs qui réussissent en Alberta parce qu'ils sont les plus exposés au problème de l'encadrement. Nous avons besoin d'une plus grande concurrence dans les services transactionnels comme les chemins de fer, les télécommunications, les assurances ainsi que la manutention et le regroupement de nos produits de base.
Le cinquième point vise à poursuivre la fusion de nos filets de protection sociaux, ruraux et urbains. C'est ce qui s'est passé. Nous avons besoin d'un réseau de filets de protection. Nous n'avons pas besoin de filets de protection différents, un pour les agriculteurs et d'autres pour les forestiers, les pêcheurs, les Autochtones, et cetera. Nous devrions les fusionner encore davantage et cela devrait se faire en vertu de normes. C'est très important pour réduire l'incertitude.
Mon dernier point est que la R-D que nous finançons avec les deniers publics ne devrait pas se concentrer sur l'augmentation de la productivité pour le secteur privé mais plutôt sur des recherches portant sur les impacts environnementaux, écologiques et sociaux à long terme de la recherche sur la productivité dans le secteur privé. Par exemple, avec le clonage ou la manipulation génétique, Agriculture Canada devrait se pencher sur la façon dont tout cela touchera vraisemblablement l'écosphère sur nos fermes. Les chercheurs d'Agriculture Canada ne devraient pas être encore en train de chercher une meilleure variété de canola. Cela ne semble pas être la meilleure façon d'utiliser nos fonds publics pour la recherche.
Voici mes six points, sénateurs. Ayons une législation habilitante pour faire ce qui suit: premièrement, déconcentrer notre politique rurale; deuxièmement, restructurer certains de nos intérêts sectoriels à la table du cabinet; troisièmement, se diriger aussi rapidement que possible vers une approche multifonctionnelle de notre politique rurale qui reconnaît qu'une plus grande valeur est ajoutée là; quatrièmement, renforcer notre politique de la concurrence, cinquièmement, continuer de renforcer nos filets de protection en vertu de normes nationales plutôt que de normes sectorielles; et enfin axer notre R-D, financée par les deniers publics, vers certaines des conséquences à long terme de la technologie de la productivité que nous souhaitons aborder pour devenir plus compétitifs.
Le président: Merci pour votre excellente présentation, monsieur Apedaile, qui serait, je dois dire, assez draconienne à mettre en 9uvre. Je l'expliquerai de cette manière pour savoir si je vous ai bien compris: les industries rurales, comme l'eau, le pétrole et le gaz, le bois d'9uvre, les mines, les engrais, les produits agricoles, les pêches, la potasse et les parcs d'engraissement, concernent toutes les populations rurales situées dans les zones rurales. Les gouvernements sont confrontés au problème de veiller au fonctionnement des centres urbains et, pour ce faire, ils prélèvent de plus en plus dans les régions rurales. Vous avez également parlé des fabricants, des transformateurs et des Monsanto du monde.
Comment allez-vous modifier cela alors que vous ne représentez que 2 p. 100 de la population sur le plan politique? Comment ferez-vous pour que cela arrive? Notre comité se débat avec les problèmes de l'agriculture depuis environ cinq ans et nous n'avons pas réellement vu de changement. La situation s'aggraverait plutôt. Les sénateurs Sparrow, Wiebe et moi-même venons de la Saskatchewan. La situation est probablement plus critique là-bas que dans certaines autres régions du Canada. Mme Martz est originaire de Weyburn, d'où je viens.
Comment pouvons-nous faire en sorte que cela arrive? Si Agriculture Canada et la bureaucratie fédérale ont une idée sur la façon dont les fermes devraient être gérées, du nombre qui devrait subsister et de la solution la plus avantageuse pour la population du pays, et si chaque gouvernement provincial a la même idée, comment allons-nous changer cela?
M. Apedaile: Une partie du changement découlera des négociations actuelles effectuées dans le cadre de l'OMC. J'essayais d'énoncer de nouvelles façons de penser que nous devrions commencer à prendre en considération lorsque nous lisons au sujet du secteur agricole. Nous nous dirigeons de plus en plus vers une économie du savoir. Il ne s'agit pas simplement de la technologie de l'information; c'est le fait que nous apportons de la richesse dans nos collectivités lorsque nous sommes des apprenants actifs, lorsque nous regroupons les connaissances et lorsque nous pouvons les organiser pour réaliser des profits et attirer des emplois. Il est important, monsieur le président, de commencer à penser en termes nouveaux parce que nous réorganisons depuis longtemps les fauteuils de pont sur le Titanic. Je ne pense pas que cela continuera à marcher.
Il y a quelques années, la Direction des politiques d'Agriculture et Agro-alimentaire Canada a été démantelée, mais bon nombre des employés ont été réembauchés. Du point de vue du raisonnement idéologique, il y a trop de gens influents qui disent que les régions rurales devraient fournir les produits de base au coût le plus bas possible parce que c'est ainsi que le Canada sera compétitif. Vous ne pouvez pas argumenter contre cela si vous n'allez pas plus loin. Toutefois, l'OMC changera quelque peu cette vision.
Nous travaillons activement avec l'Institut pour la revitalisation rurale au XXIe siècle au Japon - on me dit que son nom est beaucoup plus court en japonais. Nous avons également noué des liens de recherche actifs en Europe et aux États-Unis. Il semble tout à fait clair que cette multifonctionnalité l'emportera dans quatre, cinq voire six ans lorsque le prochain accord commercial se réglera.
La multifonctionnalité signifie que l'agriculture est précieuse en raison des autres fonctions qu'elle exécute, pas seulement à cause des aliments qu'elle produit. La sécurité alimentaire ne devrait pas être considérée comme un équilibre comptable; à l'heure actuelle, par exemple, nous avons dix personnes ici et nous avons dix sacs de pommes de terre là. Ce n'est pas comme ça que les choses se passent. La sécurité alimentaire concerne le maintien de notre capacité future de produire des aliments, à l'échelle mondiale. Cela signifie que nous devons maintenir un secteur agricole très actif et viable. Même si nous avons peut-être une capacité excédentaire aujourd'hui, nous devons nous occuper de cette capacité afin qu'elle soit prête à être utilisée en cas de besoin. Le monde ne pourrait pas s'adapter à une crise alimentaire. La situation serait si explosive en termes de sécurité économique mondiale que les événements du 11 septembre paraîtraient insignifiants.
Le président: Êtes-vous en train de nous suggérer que nous devrions faire ce que les Américains ont fait il y a 20 ans? Devrions-nous mettre de côté des céréales afin d'avoir un excédent au cas où une situation chaotique surviendrait?
M. Apedaile: La politique américaine est centrée sur l'autonomie. À titre de puissance mondiale, l'Amérique ne peut pas avoir de pénurie alimentaire, manquer d'aliments. Par conséquent, elle produira ses aliments à l'intérieur de ses frontières. Elle ne peut même pas se fier, dans une large mesure, à notre grenier à céréales. C'est le contexte de notre politique commerciale. Assurément, nous devrions conserver des stocks. La principale chose consiste à maintenir une capacité de mise en production en cas de besoin.
Je vous rappelle que l'Europe de l'Est émerge maintenant. Le mur de Berlin est tombé en 1989. En 2001, la ceinture céréalière de l'Europe de l'Est a commencé à produire. Elle a une récolte formidable cette année. Elle redécouvre la capacité que chacun savait qu'elle avait toujours eue.
La capacité ne se mesure pas en acres, monsieur le président, comme vous le savez bien. Elle se mesure à la façon dont vous organisez votre entreprise agricole pour utiliser la nouvelle technologie disponible. C'est ce qui a pris plus de dix ans à l'Europe de l'Est.
Le sénateur Phalen: Monsieur Apedaile, sous la rubrique de la gouvernance rurale dans les points principaux, vous avez déclaré que la FCRR décrit trois Canada ruraux qui coexistent dans chaque collectivité rurale. Le Canada rural I compte peut-être 5 p. 100 de la population, est rentable sur le plan financier, compétitif à l'échelle mondiale, dispose d'appuis politiques et possède une carte or.
Le Canada rural II représente environ les deux tiers de la population, préfère le profit mais pas aux dépens du mode de vie et est orienté vers les marchés nationaux, s'implique activement dans les organisations au niveau des circonscriptions, fait du bénévolat et possède une carte de débit.
Le Canada rural III représente entre 15 et 30 p. 100 de la population, vit pauvrement, en marge des marchés et de la politique et n'a pas de crédit.
Ce que le ministère de l'Agriculture et de l'Agro-alimentaire dit diffère de ce que vous dites au niveau des chiffres. Il dit qu'un tiers des agriculteurs ont un revenu inférieur à 10 000 $, un tiers un revenu brut situé entre 10 000 $ et 100 000 $ et un tiers des revenus bruts supérieurs à 100 000 $ par an.
Le point saillant, c'est qu'il y a un groupe qui vit bien. Il y a un groupe qui y arrive et se débrouille pas mal, et un autre groupe qui n'y arrive pas.
Même si le tiers inférieur n'est peut-être pas important au niveau de la production agricole, est-il important pour maintenir une masse critique dans les collectivités rurales agricoles? Si tel est le cas, qu'arriverait-il aux collectivités rurales en termes d'infrastructures pour l'éducation et les soins de santé si un tiers des agriculteurs devaient cesser leurs activités?
M. Apedaile: Certains de mes collègues peuvent également répondre à cette question, alors je serai très bref. Le Canada rural III, comme je le souligne, est un poids mort qui pend au cou du Canada rural. Nous n'avons pas l'assise financière nécessaire pour assumer les coûts d'existence de ce groupe. Il est très important d'aborder les processus qui les marginalisent et qui les maintiennent dans la pauvreté. Ils provoquent énormément de difficultés en finissant de cette façon.
Les chiffres d'Agriculture et Agro-alimentaire Canada sont basés sur les ventes brutes, pas sur le nombre de fermes. Toutes les fermes ont un revenu provenant d'un emploi hors de la ferme dans des placements ou de la main-d'9uvre. Le groupe du Canada rural II, que nous avons étudié, en est le c9ur. C'est le courant principal, la rue principale, la ferme principale, la congrégation religieuse, l'organisation politique de circonscription, le groupe de bénévoles et le comité du rodéo.
Si vous n'avez pas le Canada rural II, vous n'avez plus le capital social et vous n'avez pas la gouvernance. Il est absolument impératif de se pencher sur cette situation.
Le Canada rural II est très ingénieux. Le mari, la femme et les enfants occupent des emplois multiples. Ils trouvent toutes sortes de façons de gagner de l'argent pour demeurer là. Cela se fait au détriment de la possibilité d'offrir vraiment le leadership au sein de nos organisations bénévoles parce que leurs emplois de nuit et leurs emplois de jour occupent tout leur temps. Autrefois, le travail de jour rapportait l'argent et le travail de nuit permettait de faire fonctionner les organismes bénévoles. Le travail de nuit est maintenant nécessaire également pour gagner de l'argent. C'est ma courte réponse à votre question.
Le sénateur Phalen: Voulez-vous dire que l'on devrait laisser la population qui gagne 10 000 $ ou moins partir à la dérive?
M. Apedaile: Je dirais que certains des membres de ce groupe appartiennent au Canada rural III. Ils deviennent actuellement des cas d'assistés sociaux chroniques. Ils font partie de la dégradation de nos collectivités. Ils sont si découragés et déçus d'être ignorés depuis plusieurs générations qu'ils ne font preuve d'aucune initiative. Ils se livrent à la toxicomanie. Essentiellement, ils sont presque annexés à certaines des populations autochtones où il y a tant de découragement qu'il ne subsiste que la toxicomanie et le suicide. C'est un problème grave. N'oublions pas que les peuples autochtones des Prairies constituent un fort pourcentage de notre population rurale.
M. Bruce: Pour enchaîner sur ce sujet, je ne pense pas que c'est une question de laisser partir un tas de gens à la dérive. C'est une question de réexaminer les politiques sociales et les changements aux politiques sociales qui ont provoqué cet amalgame de gens dans ces genres de circonstances et la mesure dans laquelle ces politiques pourraient être remaniées pour régler certains des problèmes.
Vous constatez l'existence d'une population équivalente en milieu urbain. Elle devient plus prononcée en milieu rural où la population totale est plus faible. Cette population est plus visible, en particulier dans certaines de nos collectivités rurales isolées. Ces gens sont plus visibles.
Le sénateur Tunney: Je dois avouer que je suis bouleversé par certains des propos que j'ai entendus. J'ai pris quelques notes au début de votre exposé au sujet du stress concernant les problèmes familiaux. Nous savons tous qu'il y a toutes sortes de familles éclatées, de stress mental et de suicides. Je comprends certains des facteurs qui ont provoqué cela. Cela s'appelle la mondialisation, mais ce n'est pas uniquement cela; c'est la nécessité d'adopter une attitude plus compétitive et une réduction substantielle de l'appui gouvernemental accordé à l'agriculture.
Je ne parle pas d'appui financier. Je parle d'appui au niveau des services. Je suis un producteur laitier de l'Ontario, situé entre Ottawa et Toronto. En Ontario, nous avons 54 comtés. Auparavant, il y avait 54 bureaux agricoles en Ontario. Notre gouvernement provincial a jugé bon de fermer la plupart d'entre eux et de laisser partir les bons employés qualifiés et dévoués qui étaient au service de notre industrie. Ils sont partis dans toutes les directions. Certains d'entre eux se sont mis à leur compte comme experts-conseils en gestion. Ils bataillent ferme pour continuer à vivre parce que la réponse n'est pas celle qu'ils espéraient.
La pression exercée sur les prix des denrées brutes est effroyable. Les transformateurs vivent très bien, de même que les détaillants. Dans tout cela, il y a un gros bénéfice, mais rien pour les producteurs agricoles. Il n'est pas là. Les transformateurs et les détaillants ne font pas en sorte qu'il y ait du bénéfice, sauf pour nous permettre de survivre et de continuer à produire. Les agriculteurs sont tels qu'ils veulent produire. Ils veulent cultiver et ils veulent produire. Ils essaient de s'améliorer et bon nombre d'entre eux le font et bon nombre d'entre eux ne le font pas.
Dans le secteur laitier, la rationalisation a été un phénomène. Lorsque j'ai commencé en 1968, il y avait 27 000 producteurs laitiers en Ontario. Actuellement, il y en a moins de 6 000 qui produisent davantage de lait. Ils savent qu'ils seront payés convenablement pour le lait qu'ils produisent. Ils ne seraient pas payés si les transformateurs et les détaillants décidaient à leur façon. Les transformateurs fonctionnent à leur façon dans la viande rouge, l'horticulture et les céréales que nous produisons.
Je ne le suis pas, mais de nombreux agriculteurs sont captifs des compagnies semblables à celle que vous appelez «Monsanto».
Le président: Sénateur, avez-vous une question?
Le sénateur Tunney: Oui, j'ai une question.
Ma question est la suivante: les agriculteurs peuvent-ils survivre s'ils ne bénéficient pas du même type de soutien uniforme au sein d'organismes qui les paieront convenablement pour leurs produits? Ils ne peuvent pas continuer à produire et à vendre au-dessous du coût de production. Lorsque vous avez parlé de Peter Drucker, j'ai été effrayé. Diane Francis en serait une autre. Si vous êtes nos économistes et si vous êtes nos planificateurs, vous devez arriver avec une proposition pour sauver ces producteurs. Autrement, nos aliments seront produits à l'étranger.
M. Apedaile: Je ne pense pas que nous pouvons parler de producteurs, en tant que tels, et surtout pas avec une politique agricole. Peut-être qu'une innovation technologico-industrielle au niveau de la politique commerciale pour les agriculteurs vraiment orientés vers les produits commerciaux serait plus appropriée. La meilleure option pour les producteurs laitiers, comme pour les autres agriculteurs, consiste à jeter des ponts vers les régions métropolitaines et à toucher le c9ur des citadins. Au Japon, c'est ce que fait activement l'institut avec lequel nous travaillons. Il effectue des recherches mais il se livre également à un travail de concurrence pour gagner le c9ur des citadins.
À Muenster, en Saskatchewan, j'ai suggéré l'autre jour à notre première université rurale, en réponse à une question, que les collectivités rurales devraient rechercher des partenariats avec les quartiers urbains. Cela pourrait se faire entre une association communautaire rurale et une ligue communautaire, par exemple à Edmonton, ou entre une paroisse catholique dans la ville ou un groupe pluri-confessionnel d'une collectivité rurale et un quartier dans la ville. Nous devrions commencer à collaborer étroitement avec ces gens, parce qu'ils détiennent le pouvoir politique. Ce sont également les consommateurs et ce sont également les contribuables dont nous avons besoin pour appuyer la sécurité environnementale. Je suis persuadé que tous les producteurs laitiers contribuent à cela et à la valeur des agréments qui fait, par exemple, ce que sont les Cantons-de-l'Est. Au Québec, les Cantons-de-l'Est ne seraient pas ce qu'ils sont, comparativement au nord de l'État de New York, sans l'industrie laitière.
Le président: Vous avez parlé des églises. C'est un bon exemple. J'ai parlé au pasteur de mon église à Calgary. La congrégation bâtit une nouvelle église au coût de 13 millions de dollars. Dans le Canada rural, nous avons beaucoup de difficultés à faire fonctionner une petite église communautaire. L'exode des capitaux vers les villes est incroyable. L'église n'en est qu'un exemple. Les banques sont également un indicateur de cet exode et il y a de nombreux autres exemples. Il y a de nombreux organismes du genre qui sont centralisés en milieu urbain. Comment pourriez-vous renverser cette tendance? Cela fait des générations que cela dure et il semble que nous soyons toujours de moins en moins nombreux. Je sais qu'il y a des exemples différents, mais ils sont peu nombreux.
M. Apedaile: J'entends les mêmes commentaires. Lorsque vous établissez un partenariat avec une collectivité urbaine, ou une église dans cet exemple, vous n'allez pas leur vendre vos salades sur vos belles qualités. Vous y allez pour recueillir des renseignements qui vous permettront de différencier vos produits par leur région d'origine ou par les pratiques environnementales que vous utilisez ou par un quelconque facteur d'identification qui rend votre produit attrayant et différent de celui des autres.
En travaillant avec et dans cette collectivité sur une base régulière, vous parviendrez à comprendre le volet de la demande. Vous devez vraiment aller aussi loin que possible avec les options du marché. C'est une opération d'information que vous voulez monter lorsque vous établissez un partenariat avec des citadins.
Le sénateur Hubley: On estime que 125 000 agriculteurs prendront leur retraite au cours de la prochaine décennie. Avec la présence de 280 000 agriculteurs au Canada à l'heure actuelle, ces départs en retraite pourraient avoir un important impact économique et social dans les collectivités rurales. Ils pourraient également créer un besoin pour des soins de santé spéciaux et d'autres services, si les retraités décident de demeurer dans les collectivités rurales. En bref, ces départs en retraite pourraient modifier considérablement le mode de vie dans de nombreuses collectivités rurales. Est-ce que vos organismes en ont tenu compte? Y a-t-il une pondération dans certaines de vos décisions? Alors, comment allez-vous examiner l'avenir de l'agriculture au Canada?
M. Bruce: Sur la deuxième question concernant l'impact potentiel qu'aurait le vieillissement de la population agricole rurale si elle choisissait de prendre sa retraite et de demeurer dans les collectivités rurales, à propos de l'éventail des services, des demandes de soins de santé et autres, nous pensons souvent au scénario alarmiste du fardeau excessif imposé à un système en particulier. Une autre façon d'envisager la situation est de se demander dans quelle mesure cela crée de nouveaux débouchés et de nouvelles demandes pour des possibilités d'emploi nouvelles et non inventées pour permettre à des jeunes d'offrir des services. Il existe une possibilité d'utiliser les actifs existants en matière de santé communautaire, qui sont actuellement sous-utilisés dans de nombreux milieux ruraux. Je ne vois pas cela comme un problème potentiel.
Il y aurait une possibilité de créer des emplois pour des jeunes afin d'offrir ces services et d'utiliser certains des actifs. Je ne suis pas certain de la façon dont cela se répercute dans les dépenses publiques réelles pour les soins de santé. Je ne me souviens pas d'études particulières ayant identifié ce problème.
Je ne sais pas si d'autres personnes veulent aborder la première partie de la question à propos de la régénération de la ferme lorsque ces gens partent en retraite.
Mme Martz: Sur votre deuxième point, lorsque nous avons effectué les entrevues dans les collectivités, nous avons constaté que nombre d'entre elles ne considèrent pas forcément les retraités comme un boulet pour une collectivité. Elles les considèrent plutôt comme un élément important de leur secteur bénévole parce que les gens vivent plus longtemps et sont donc actifs plus longtemps. À 65 ans, les gens peuvent encore apporter une contribution énorme aux collectivités.
Le sénateur Hubley: Estimez-vous qu'il y aura un impact suite à la perte probable de plus de 40 p. 100 de vos agriculteurs? Qui comblera ce vide? Sera-t-il comblé? Y a-t-il des éléments positifs que nous pourrions entendre sur ce sujet?
M. Apedaile: Vers le milieu des années 90, nous avons effectué un certain nombre de recherches avec l'USDA. En 1995, j'ai publié un article avec un collègue aux États-Unis. Dans cet article, je mentionnais que, d'ici cinq ans, dans les Prairies, nous perdrions 25 000 agriculteurs traditionnels. De fait, c'était la principale manchette plus tôt cette année.
Nous ne les avons pas perdus au sens qu'ils ont abandonné et déclaré faillite. Nous les avons perdus parce qu'ils sont dorénavant impliqués presque entièrement dans des activités non agricoles. Il s'agissait essentiellement de résidents ruraux. Ils ont loué leurs terres, ou en ont fait quelque chose d'autre, et ils sont allés travailler ailleurs ou ont fait autre chose.
Lorsque nous disons que nous perdrons 40 p. 100 de nos agriculteurs, cela pourrait se passer de bien des façons ne mettant pas vraiment en danger la collectivité. Ces gens deviennent urbanisés. Ils ne retourneront probablement pas à l'agriculture. Ils pourraient offrir le lien permettant à des entreprises de s'installer presque n'importe où. Cela ne doit plus être forcément dans ma ville natale. De fait, je préférerais que ce ne soit pas là. Je préférerais vivre dans ma ville natale et me déplacer vers une autre ville où il y a du travail.
Il y a là un problème confus et il n'est pas clair que la perte de 40 000 fermes soit forcément une situation de crise. Ce dernier stade de consolidation à partir de l'ère industrielle sera assurément l'un des plus difficiles à traverser pour nous au Canada. Nous devons présenter cette situation dans un forum public et débattre de ce que nous façonnons avec nos politiques.
Le sénateur Hubley: J'ai beaucoup de mal à imaginer que nous perdrions ce nombre d'agriculteurs et que, même s'ils sont intégrés dans la même collectivité, cela n'est pas considéré comme une perte.
Il est également important d'encourager les jeunes agriculteurs à envisager de faire carrière dans l'agriculture. La perte d'une telle expertise dans le milieu agricole au cours des 10 prochaines années aura un impact majeur, qui me semble constituer un changement assez draconien dans la structure de la collectivité agricole.
M. Apedaile: Pour vous donner un exemple, en réponse à votre question, dans notre région il y a une grosse ferme au nord de Vegreville. Cette année, elle a ensemencé 30 000 acres. Cette ferme s'est installée dans une région située juste de l'autre côté de la rivière par rapport à moi. Elle est allée de ferme en ferme et a loué des terres. Tous les agriculteurs actifs de taille moyenne ont soudain perdu les terres qu'ils louaient parce que ce gars offrait un prix supérieur et payait immédiatement en espèces. L'an dernier, lorsqu'il est allé acquitter sa facture d'engrais à Agricore, elle se montait à 750 000 $ et il a offert de leur donner 250 000 $ ou rien du tout. Il est si important pour Agricore que son offre a été acceptée. Je suis un actionnaire d'Agricore et je n'étais évidemment pas content de voir mes dividendes passer dans un compte à recevoir radié de cette façon.
Il y a vraiment des problèmes là. C'est la raison pour laquelle notre président préconise si fortement l'approche multifonctionnelle. Bon nombre des activités que nous exerçons dans les fermes font d'autres choses précieuses pour lesquelles elles ne sont pas rémunérées, et on leur demande tous les jours d'assumer de nouveaux coûts pour lesquels elles ne sont pas rémunérées.
Le président: Cette même approche fait boule de neige dans notre région. Au cours des deux dernières années environ, elle a essentiellement fait boule de neige avec des agriculteurs qui cultivent 100 quarts de section (de 160 acres) en louant au comptant. Ils louent à des agriculteurs qui prennent leur retraite ou abandonnent l'agriculture. La question consiste à savoir s'ils survivront. Cela exige beaucoup de matériel et engendre des coûts élevés pour exploiter une ferme du genre. Vous venez tout juste de le mentionner.
M. Apedaile: Je crois que l'agriculteur auquel je faisais allusion possède deux sections (de 640 acres) sur les 30 000 acres. Il ne possède ni matériel ni rien d'autre. Il n'a aucun actif qui peut être saisi ou servir de garantie.
Le président: Est-ce qu'il loue le matériel?
M. Apedaile: Oui.
Le président: Qu'arrivera-t-il s'il fait faillite? Cet agriculteur qui loue au comptant ses terres a du matériel qui est probablement désuet, il est probablement épuisé et il ne reviendra pas dans l'agriculture. Quelqu'un va-t-il combler ce vide?
M. Apedaile: C'est la raison pour laquelle nous demandons des activités de R-D - et de la recherche surtout avec des fonds publics - pour étudier ces circonstances à long terme. C'est ce qui se produit mais personne n'envisage ces conséquences. Je pense que c'est un phénomène temporaire. Je ne pense pas que c'est durable.
Le président: Il y aura des répercussions.
[Français]
M. Jean: Il faut bien comprendre que la politique agricole a été mise en place dans les pays occidentaux pour résoudre deux problèmes: la sécurité alimentaire - surtout en Europe après la Deuxième Guerre mondiale - et son accessibilité à des bas prix. La politique agricole n'est pas conçue pour régler les problèmes que madame le sénateur vient d'évoquer. Il s'agit d'une politique de développement urbain qui vise à augmenter la productivité et la sécurité des aliments, ainsi qu'à les maintenir à bas prix. La question posée démontre bien la nécessité d'une politique rurale qui considère l'ensemble de ces questions, lesquelles doivent être distinctes de la politique agricole.
J'aimerais revenir sur le point précédent. Si on change l'économie actuelle pour une économie agricole guidée par la structure de recherche et de développement telle qu'on l'avait auparavant, il est très important que chaque région agricole puisse faire elle-même sa recherche et son développement dans le domaine agroalimentaire avec les agriculteurs. Ce problème existe dans plusieurs régions du pays. Il y a beaucoup d'intérêt, mais il n'y a plus d'organisations qui font de la recherche et du développement comme par le passé.
[Traduction]
Le sénateur Oliver: J'ai l'impression que M. Apedaile faisait allusion à un comportement non compétitif lorsqu'il parlait de renforcer la politique de la concurrence. Il a déclaré: «Conrad a besoin de plus de pouvoir». Pensez-vous que, s'il y avait des changements à apporter à notre Loi sur la concurrence en vigueur, cela pourrait être l'une des façons par lesquelles nous pourrions laisser plus d'argent à la ferme et contribuer au renforcement économique des collectivités rurales? Si c'est le cas, quels changements en particulier aimeriez-vous apporter à cette loi?
Ma deuxième question s'adresse à M. Bruce, qui a parlé de la Community Reinvestment Act aux États-Unis. Si nous devions l'appliquer au Canada, qu'est-ce qu'elle ferait pour renforcer économiquement nos collectivités rurales? Mes questions concernent deux lois: l'une au Canada et l'autre aux États-Unis.
M. Apedaile: Je ne suis pas un expert en matière de concurrence, mais nous avons rédigé un document en rapport avec le processus de dialogue rural et le Secrétariat rural sur le degré de concentration en amont et en aval de la ferme. Ces taux de concentration sont élevés, mais ce n'est pas un phénomène nouveau.
Le sénateur Oliver: Pouvez-vous parler plus spécifiquement de la concentration de qui et de quoi?
M. Apedaile: Par exemple, les cinq plus gros producteurs d'engrais manipulent environ 90 p. 100 de l'offre d'engrais. Nous disons que la concentration commence à interférer avec les résultats compétitifs qui répartissent en réalité les revenus de façon équitable là où les coûts sont encourus. Dans la manutention des grains, le traitement des intrants et le matériel agricole, il ne reste que très peu d'acheteurs pour nos produits. C'est un peu le retour à l'époque des territoires où nous n'avions qu'une seule quincaillerie où faire nos achats parce que les routes étaient si mauvaises que nous ne pouvions aller nulle part ailleurs. Nous avions des monopoles territoriaux. Dès que nous pouvions acheter ailleurs, nous allions évidemment là où les prix étaient plus bas.
Le phénomène de la concurrence c'est qu'un très petit nombre d'entreprises représente la quasi-totalité des intrants de l'agriculture, et pratiquement tous les services de manutention, de transaction et de transformation sont en aval de l'agriculture, en particulier les alliances étrangères comme l'alliance Cargill-Monsanto. C'est quelque chose que le commissaire à la concurrence devrait examiner. Il m'a dit que n'importe qui peut lui écrire une lettre et il examinera toute situation qui est portée à son attention. Il m'a déclaré n'avoir pas reçu de lettre concernant la concentration rapide des installations de manutention des céréales dans l'ouest du Canada. Peut-être que quelqu'un devrait tout simplement lui écrire.
Le sénateur Oliver: La loi n'a peut-être pas besoin d'être renforcée car c'est un problème sur lequel certaines des personnes touchées pourraient écrire une lettre.
M. Apedaile: Le problème auquel nous faisons face c'est que l'agriculture, collectivement, est un peu comme un service d'utilité publique. Il y a tant d'économies de taille que, en termes techniques, vous n'obtenez jamais une courbe de l'offre à pente ascendante positive. Il est très difficile d'obtenir une fixation des prix lorsque l'offre et la demande ne se coupent pas. Si quelqu'un vous dit: «C'est une affaire d'offre et de demande, alors acceptez-le», vous pouvez demander où se trouve la courbe de l'offre car nous n'en avons pas à pente ascendante positive. Par conséquent, il ne peut pas y avoir d'intersection. C'est également souvent le cas que nos services globaux offerts à l'agriculture fonctionnent comme des services technologiques d'utilité publique. Ils se concentrent rapidement et forment des alliances pour regrouper leurs actifs patrimoniaux et ils peuvent fixer les prix des fermages de façon à vous obliger à quitter le milieu rural.
M. Bruce: Aux États-Unis, la Community Reinvestment Act, au cas où les honorables sénateurs ne seraient pas familiers avec elle, exige que les institutions financières prélèvent une partie de leurs profits annuels et s'en servent dans des quartiers affligés ou défavorisés - principalement urbains. Vous pouvez penser au quartier East Side du centre-ville de Chicago ou au quartier de Harlem à New York, par exemple, où cela est considéré comme un moyen, pour le secteur privé, d'assumer une part de la responsabilité pour quelques-uns des dommages dits indirects qui sont le fruit de certaines de nos pratiques commerciales. Bon nombre de ces fonds tendent à être utilisés pour construire des logements abordables ou pour fournir du capital de financement aux petits entrepreneurs, et cetera. C'est dans le contexte du modèle américain.
Comment cela fonctionnerait-il au Canada? Nous pourrions envisager tout un éventail d'options différentes, notamment de faire en sorte que les principales banques investissent dans certains secteurs des ressources. Par exemple, dans les régions où les succursales bancaires ont été fermées, on pourrait exiger que les banques continuent à fournir un certain montant de capital de financement à cette collectivité à des fins d'investissement ou à des fins de fourniture de capitaux propres pour que les organismes communautaires sans but lucratif et les entrepreneurs privés puissent y avoir accès.
Nous avons examiné certaines statistiques. Les citoyens ruraux fournissent une part équitable du volume des transactions des principales banques et des épargnes qu'elles détiennent. Cependant, quelle proportion des bénéfices et des activités commerciales retourne vraiment dans ces collectivités? C'est disproportionné. Il devrait peut-être y avoir un moyen de redresser cette situation par le biais d'un examen de quelque chose, comme la Community Reinvestment Act.
Le sénateur Wiebe: Monsieur Apedaile, vous avez parlé de l'importance de la sécurité alimentaire pour le Canada. Vous avez également mentionné le fait qu'il n'y a pas tellement besoin de dépenser plus d'argent en recherches pour trouver une meilleure variété de canola.
Pour ce qui est de produire des aliments, il n'y a aucun pays meilleur au monde que le Canada. Nous avons une capacité fantastique à produire des aliments. Permettez-moi de vous donner un exemple. Il y a quelques semaines, j'ai passé quelques jours dans le comté d'Essex. Ce comté a produit plus de denrées agricoles que toutes les provinces des Maritimes réunies, et davantage de denrées agricoles que toute la province de la Saskatchewan ou toute la province du Manitoba. Ce comté mesure 40 milles de large par 60 milles de long et il a cette capacité. L'assise territoriale est là et tout est là. Si nous devons produire des aliments, nous le pouvons.
Au lieu de voir le gouvernement dépenser de l'argent à faire des recherches pour la production d'aliments, où aimeriez-vous qu'il dépense ses fonds de recherche? Est-ce que chacun de vous pourrait faire des commentaires à ce sujet?
[Français]
M. Jean: Votre question est intéressante. Ce sont les personnes qui produisent la richesse. Un certain nombre de Canadiens vivent dans des régions rurales et ne sont pas en mesure de produire cette richesse. Il faut donc développer les capacités de ces individus et de leur communauté pour les rendre plus productives. Les dollars disponibles devraient être octroyés aux organisations qui peuvent faire ce travail. Ainsi, on aurait peut-être des propriétaires ruraux plus entreprenants dans divers domaines émergents, suite à l'apparition de nouveaux besoins.
Je travaille au Québec. Je sais qu'il y a des ressources financières énormes dans le système bancaire pour toutes sortes d'initiatives qui viennent des individus. Ces derniers ne sont pas assez organisés ou suffisamment formés. L'argent disponible devrait être dirigé vers ces individus.
[Traduction]
M. Apedaile: Je vais vous faire deux suggestions. La première et la plus importante consiste à travailler sur de nouvelles innovations commerciales afin que nous puissions tenir compte des questions de commodités rurales et d'environnement sur les marchés. Par exemple, nous faisons beaucoup de progrès sur les marchés pour la séquestration du carbone, en permettant aux agriculteurs de signer des contrats pour contribuer au carbone.
Nous avons des marchés pour l'énergie éolienne qui n'ont pas été ouverts aux agriculteurs jusqu'ici parce que les sociétés n'ont pas été aptes ou disposées à prendre l'énergie électrique qui provenait d'une ferme.
Le troisième est un placement initial de titres qui est survenu plus tôt cette année en Australie, où une société de gestion faunique a émis des actions pour préserver la faune qui était attrapée, me dit-on, par des citadins australiens. Pourquoi donc des gens achèteraient-ils des actions dans ce domaine? Il s'avère qu'ils achètent des actions pour le volet commercial de l'affaire mais ils en achètent également parce qu'ils aiment penser qu'ils participent au sauvetage d'espèces en voie de disparition. Il y a peut-être des moyens de s'occuper des agréments ruraux ou des questions environnementales en agriculture qui sont aussi innovateurs. Le fait est que nous devons effectuer la recherche.
Le deuxième point, c'est que j'aimerais voir davantage de recherches qui, en tant qu'agriculteur, me permettent d'être plus responsable sur les plans écologique et environnemental. J'utilise du canola Round-Up Ready mais je m'inquiète des répercussions à long terme de son utilisation et de la fréquence à laquelle je peux l'insérer dans ma rotation. Je ne suis pas préoccupé par la sécurité alimentaire; je suis préoccupé par la sécurité environnementale. Je n'ai pas suffisamment de renseignements à ce sujet.
Mon forfait avec la technologie Round-Up ne me dit même pas de faire attention à ne pas l'utiliser plus de deux fois sur la même parcelle de terre en deux ou cinq ans. J'ai parlé par hasard à un chercheur de Monsanto à ce sujet, assez étrangement lors d'un mariage, et il m'a dit: «Vous ne voudriez pas utiliser le Round-Up plus de deux fois en quatre ans sur la même parcelle.» C'était pour cette partie de la chose, sans parler de la question volontaire concernant le canola.
J'aimerais qu'un montant substantiel de fonds publics soit consacré à ces aspects de l'utilisation de la nouvelle technologie parce que, en tant qu'agriculteur, je souhaite être responsable de mon utilisation de la technologie, comme le font la plupart des agriculteurs que je connais. Nous n'avons aucune idée de la façon de le faire parce que personne ne nous dit rien. Cela ne figure pas dans le livret d'instructions de 50 pages intitulé «Comment laver vos mains» que vous recevez avec vos produits chimiques.
M. Bruce: M. Apedaile a abordé ma suggestion mais je vais la préciser. Il y a encore beaucoup de travail à faire sur les questions et les possibilités relatives à la diversification à la ferme. L'électricité est un exemple. Les possibilités de fournitures de loisirs en sont un autre. Il y a du travail à faire dans ce domaine. Il a également des répercussions sur la recherche en matière de faisabilité et de marketing qu'il faut effectuer pour profiter des possibilités inexploitées. C'est là qu'il faudrait orienter les fonds de recherche.
Mme Martz: Si vous regardez où sont allés les fonds de recherche dans le passé, ils ont tendance à être affectés de façon disproportionnée dans certaines régions. À l'université où j'ai travaillé, il n'y a qu'un seul sociologue rural. Nous avons eu tendance à injecter beaucoup de fonds de recherche dans les aspects de l'agriculture touchant la production et dans l'économie de l'agriculture. Cela ne veut pas dire que nous devrions retirer tous nos investissements d'un domaine pour les consacrer à un autre. Il faut une approche équilibrée. Nous devons examiner certains de ces autres aspects.
L'autre point, c'est qu'il faut déployer des efforts pour diffuser les résultats. Il est probable que des recherches ont été effectuées, mais nous ne faisons pas un très bon travail pour les transmettre aux gens sous une forme compréhensible.
Le sénateur Wiebe: Madame Martz, lorsque vous voyagez entre l'Université de la Saskatchewan et le St. Peter's College, vous traversez une collectivité qui s'appelle Humboldt. Je m'y suis rendu un certain nombre de fois. Humboldt et la région environnante étaient considérées comme le modèle pour essayer de bâtir notre collectivité rurale. La réussite a été telle que ce n'est plus un gros village mais c'est devenu une petite ville. J'ai eu le privilège d'assister à la conférence rurale à Muenster, il y a quelque temps, et de prendre le tour guidé cet après-midi-là. J'ai été passionné et impressionné par ce que j'ai vu dans certaines des petites collectivités avec des choses comme les parcs d'engraissement, les élevages de porc et les usines d'éthanol.
Il y a deux semaines, nous avons eu des représentants de Statistique Canada. Ce qui nous intéressait, c'était de savoir ce qu'il advenait de la population rurale dans l'ensemble du Canada. La Saskatchewan était malheureusement la seule province canadienne qui connaissait une baisse de sa population rurale. Dans les autres provinces, la population rurale était en hausse.
Les représentants de Statistique Canada nous ont montré une carte avec des couleurs différentes, selon le taux d'augmentation ou de diminution. La couleur rouge indiquait la région où il y avait la plus forte baisse de la population rurale. Humboldt et la région environnante étaient en rouge vif, ainsi que d'autres régions de la Saskatchewan et de quelques autres régions du Canada. Est-ce que les emplois que nous créons dans nos petites collectivités attirent les gens de collectivités plus petites pour devenir un peu plus grosses? Est-ce que nous créons des collectivités plus grosses en faisant cela au lieu de conserver les collectivités que nous avons à l'heure actuelle?
Mme Martz: La population d'Humboldt et des villages environnants n'est pas en baisse. En réalité, elle est en hausse. Peut-être que les représentants de Statistique Canada mettent en couleur une région beaucoup plus vaste que celle de Humboldt.
Le sénateur Wiebe: Quelle serait l'étendue de cette région?
Mme Martz: Je pense que cette carte va jusqu'à Yorkton.
Le sénateur Wiebe: Cela serait dans un rayon de 30 milles autour de Humboldt.
Mme Martz: Les endroits où il y a une baisse de la population c'est dans les municipalités rurales. Les gens déménagent vers les petites villes, en partie parce que les femmes travaillent. Les hommes peuvent faire le choix de voyager, tandis que les femmes ont leurs emplois en ville où leurs enfants vont éventuellement à l'école et d'autres éléments du genre. Lorsque les gens prennent leur retraite - nous avons également une population rurale vieillissante - ils déménagent aussi dans ces petites villes. La ville de Humboldt et les gros villages de cette région, à deux exceptions près, ne connaissent pas de baisse démographique.
Le sénateur Wiebe: Il y a cependant moins de gens dans les fermes.
Mme Martz: Oui.
Le sénateur Sparrow: Monsieur Apedaile, vous avez dit que le conseil que vous avez obtenu de Monsanto disait de ne pas cultiver du canola Round-Up Ready plus de deux années de suite. Cela n'a cependant rien à voir avec le Round-Up, n'est-ce pas? Vous ne cultivez pas du canola à cause de l'aspect des maladies. N'est-ce pas exact?
M. Apedaile: Le conseil donné par le chercheur de Monsanto consistait à ne pas utiliser du Round-Up plus souvent que deux années sur quatre sur la même parcelle, sur le même territoire. Il ne s'agissait pas du canola Round-Up Ready.
Le sénateur Sparrow: S'agit-il de nouveaux conseils concernant le Round-Up?
M. Apedaile: C'est ce que croient comprendre les chercheurs de Monsanto. J'ai lu la documentation sur l'utilisation du Round-Up que j'obtiens lorsque j'achète un bidon de 10 libres et je n'ai pas vu cela écrit sur le bidon. Cet avertissement est aussi important pour moi, en tant qu'utilisateur, que celui qui me dit quoi faire si je m'en mets sur les mains.
Le président: En réalité, c'est ce qui est fait. J'ai des voisins et nous le faisons nous-mêmes. Vous arrosez avec du Round-Up et vous sauvez la récolte. Ensuite, l'année suivante, vous arrosez avec du Round-Up et vous sauvez à nouveau la récolte. C'est ce qui se passe.
Le sénateur Sparrow: Vous parliez de canola et de Round-Up. Je ne suis pas au courant que l'on ne peut pas utiliser le Round-Up en permanence. C'est un problème secondaire intéressant. Il n'y a pas d'indications de ce genre nulle part sur l'information concernant le Round-Up. Vous nous donnez un témoignage, mais il y aurait peut-être très peu de preuves pour appuyer cette déclaration. S'agissait-il simplement d'un commentaire général?
M. Apedaile: Les recherches effectuées par la compagnie révèlent qu'il modifie la population de blé de la biodiversité sur cette parcelle si vous l'utilisez trop souvent.
Le sénateur Sparrow: Toutefois, vous dites que la compagnie ne distribue pas cette information de façon générale. Est-ce bien ce que vous dites?
M. Apedaile: Non, elle ne le fait pas. Je venais tout juste de terminer de l'utiliser trois fois sur la même récolte de canola et pour préparer cette terre pour la débarrasser de quelques carrés de chiendent. J'ai vraiment pris peur en entendant cela.
Le sénateur Sparrow: Il serait intéressant de savoir si cette compagnie fait ce genre d'observation. Il serait important pour notre milieu agricole de savoir, si cela est vrai, que Monsanto possède cette information et ne la diffuse pas au public.
Pour passer à l'aspect partenariat auquel vous avez fait mention, monsieur Apedaile, entre la collectivité urbaine et la collectivité rurale, la collectivité urbaine n'est pas intéressée à cultiver. Elle pourrait être intéressée à vivre dans un milieu rural pour une raison quelconque, mais cela n'aide pas le secteur agricole parce que, lorsque nous déménageons dans la collectivité rurale, nous détruisons beaucoup de terres agricoles et nous les remplaçons par le développement industriel, des constructions domiciliaires, de petites superficies, et cetera.
L'aspect de partenariat avec la collectivité urbaine me préoccupe parce que, de concert avec la collectivité agricole, la collectivité urbaine sortira toujours gagnante. Elle possède à la fois les fonds et les antécédents. Les fonds des gouvernements provinciaux et fédéral vont aux collectivités urbaines pour les universités, les écoles, les hôpitaux et les infrastructures. Par la même occasion, ce serait un concept intéressant d'avoir une répartition per capita de l'argent qui est dirigé vers les milieux ruraux comparativement aux milieux urbains. En l'absence d'une certaine équité dans ce domaine, il est évident que nos collectivités rurales disparaîtront en raison de la perte des écoles et des hôpitaux et du reste. Les gens ont tendance à déménager vers les régions urbaines.
J'aimerais que vous m'expliquiez davantage les partenariats. Quel avantage cela représente-t-il pour le milieu rural?
Dans le contexte agricole, nous avons besoin de quatre ou cinq politiques agricoles. Essentiellement, une politique n'est pas pratique. Si vous parlez des provinces de l'Atlantique, ou du milieu rural de l'Ontario, ou de la vallée de l'Okanagan, ou de la Saskatchewan et du blé, ou de l'Alberta, et cetera, nous ne pouvons pas avoir une seule politique pour tout couvrir. Nous devons pointer des régions individuelles.
Vous avez dit qu'environ un tiers de la population agricole vit dans la pauvreté. Cela pourrait bien être vrai dans les provinces de l'Atlantique, mais ce n'est pas vrai en Saskatchewan. En plaisantant, nous vivons tous dans la pauvreté à l'heure actuelle, mais c'est à cause de la situation là-bas. Nous avons perdu ce troisième niveau de pauvreté il y a quelques années. Notre agriculteur traditionnel de la Saskatchewan est efficace et peut produire et vivre sur sa ferme - c'est-à-dire son coût de production plus un petit quelque chose - si la valeur de son produit est maintenue et si les marchés mondiaux sont maintenus. Nous n'avons aucun autre problème, sauf la perte de la structure rurale elle-même.
Essentiellement, nous pouvons perdre tous nos agriculteurs. Nous en avons parlé précédemment. Nous pouvons perdre nos agriculteurs, mais la terre sera toujours là. De gros exploitants arriveront, comme vous l'avez mentionné, et ils cultiveront la terre. Lorsque le besoin s'en fait sentir, ils peuvent arriver rapidement et remettre toutes ces terres en production de blé en moins d'un an si le marché est propice. Cependant, dans l'intervalle, nous avons éliminé toute la structure agricole dans les collectivités rurales.
Avez-vous une réponse à la question que je viens tout juste de poser?
M. Apedaile: Sénateur Sparrow, me permettrez-vous de vous faire une réponse sélective? J'aimerais parler du partenariat. Vous avez soulevé cette question, et elle est importante.
Les régions rurales ont besoin d'alliés. Cela ne peut pas être une situation gagnant-perdant car les régions rurales perdront sur le plan politique. C'est le cas de ces sociétés de développement conjointes urbaines-rurales dont je vous parlais auparavant. La demande de sécurité environnementale est une demande des citoyens, pas une demande des contribuables. La plupart des citoyens se trouvent dans les régions métropolitaines. Nous voulons obtenir un traitement équitable en tant qu'agriculteurs. Les citoyens urbains exigent leurs droits de propriété pour la sécurité environnementale. Je ne pense pas que notre droit de polluer et de détruire le sol ait jamais été privatisé.
Ce genre de fonction conjointe - la structure métropolitaine-rurale - trouvera ce qui est important et la façon d'assumer les coûts pour réaliser la vision des citadins. Les moyens de financement découleront du fonctionnement de ce genre de structure. Chaque région doit faire face à un problème légèrement différent. Par exemple, Toronto et Montréal ont à faire face avec les économies rurales qui les entourent à des problèmes totalement différents par rapport à, disons, Edmonton ou Halifax. C'est pourquoi l'idée de déconcentration - pas de décentralisation - mais de déconcentration de la politique rurale est un principe important pour progresser dans la résolution de ces problèmes. Le fait est que les économies urbaines ne gagneront pas toujours. Si vous avez des alliés urbains, ils défendront votre cause pour vous et ils verront à ce que les choses soient faites convenablement parce que c'est dans leur intérêt que les choses soient faites correctement.
Il est très fâcheux de voir des enjeux urbains opposés à des enjeux ruraux. Certains ministères ont vraiment fait des sondages pour demander aux citadins s'ils sont encore en faveur de verser des subventions à l'agriculture. Si vous formulez la question de cette façon, les citadins de Toronto, en tant que contribuables, qui éprouvent des difficultés à payer leurs hypothèques, trouveront difficile d'accepter de continuer à verser des subventions en Saskatchewan. Nous devons structurer la question d'une façon différente afin qu'elle comporte quelque chose que les gens souhaitent atteindre en commun. C'est l'idée du partenariat, non seulement dans ce genre de structure sans but lucratif mais également sur la base de quartier à quartier, de paroisse à paroisse, d'école rurale à école urbaine. Vous le faites non pas parce que les citadins ou les enfants des villes voudront forcément cultiver, mais parce que vous avez besoin d'eux comme alliés en chemin. Ils aiment profiter des choses que le milieu rural offre encore. C'est la nature du partenariat que j'essayais d'expliquer.
Le président: Comment feriez-vous pour que cela arrive?
Le sénateur Sparrow: Vivrons-nous aussi longtemps?
Le président: De nos jours, les citadins moyens - et c'est également vrai même dans les régions rurales - veulent acheter des actions de haute technologie et des contrats à terme dans les communications. Cela importe peu s'ils perdent tout sur le marché boursier, c'est là que les citadins investiront. Ils ont perdu et très peu d'entre eux, chose étrange, disent quelque chose. Ils ont perdu la moitié de leurs économies et ils n'ont jamais dit un mot. Ils ont acheté des actions de Nortel qui sont descendues de 127 $ à 7 $. Comment ferez-vous pour qu'ils investissent dans une ferme qui est tout juste rentable?
M. Apedaile: Il y a une réponse à cette question. Au Québec, il y a beaucoup de choses nouvelles qui se passent avec les sociétés de développement locales, les organismes sans but lucratif et bénévoles pour résoudre les problèmes qui surgissent entre les régions rurales et urbaines. Cela implique ce que j'appelle «réorganiser les atouts patrimoniaux et les droits». Par exemple, une école rurale devait fermer à Baie St-Paul, près du lieu de résidence de M. Jean, parce qu'elle n'avait plus que 50 élèves. La population locale a formé une société de développement. Elle est allée voir le conseil scolaire et lui a demandé: «Pouvons-nous vous louer l'école pour un dollar? Autrement, elle sera tout simplement vide.» Le conseil scolaire a répondu: «Nous vous la louerons pour un dollar mais vous devez payer les services d'utilité publique et elle ne pourra servir que comme école.» Ils sont allés voir le ministère de l'Éducation à Québec et ont demandé la permission d'ouvrir une école là-bas. Le ministère de l'Éducation a répondu qu'il les autorisait à ouvrir une école mais qu'il faudrait suivre le programme provincial. Ils ont restructuré le programme autour des questions d'écologie et d'environnement pour les jeunes et bientôt les autobus scolaires sont revenus pleins - de Rimouski vers St-Paul, et non pas l'inverse. Cette petite école est une école viable et accueille des enfants citadins.
Vous pouvez avoir un entrepreneuriat organisé sur le plan social ainsi qu'un entrepreneuriat organisé sur le plan privé. Il faut vraiment les deux pour revitaliser une région.
M. Bruce: Pour renchérir, il y a deux autres aspects. Le premier consiste à bâtir un ensemble à long terme de ce que je n'appellerai pas des «oreilles sympathiques» mais une relation à long terme avec d'autres intervenants qui ont un intérêt direct dans ce que nous avons dans nos collectivités rurales et qui sont disposés à le faire, même s'ils n'y habitent pas. S'ils peuvent participer au processus pour aider à prendre des décisions qui sont dans le meilleur intérêt de la région ou de la nation et qu'ils se trouvent par hasard dans des régions urbaines, c'est formidable.
Un autre exemple fait suite à celui de M. Apedaile. Dans la vallée d'Annapolis, en Nouvelle-Écosse, il y a plusieurs régions où des agriculteurs vendent plus ou moins des actions coopératives, ou des actions dans leurs fermes, à des gens qui vivent dans des villes même aussi éloignées que Halifax. Les agriculteurs ont des revenus garantis au début de l'année et ces gens détiennent une action dans la ferme et obtiennent une partie des aliments qu'elle produit. Ces choses se passent sur une petite échelle locale. Certaines de ces relations sont en voie de construction.
Le président: Le point que soulève le sénateur Sparrow, c'est que la situation rurale varie dans les différentes régions du pays. Je ne pourrais pas envisager que cela fonctionnerait à Macoun, en Saskatchewan. Mon fils se plaignait: «Je vais à Regina. Les enfants ont tout. Ils ont des uniformes. Ils ont les meilleures installations pour jouer au basket-ball.» Il disait: «Dans notre petite école, nous avons beaucoup de mal à trouver un ballon de basket-ball.» Pourtant, les enfants provenant de cette école obtiennent, depuis un certain nombre d'années, les notes les plus élevées à l'école polyvalente d'Estevan et ont été repérés par l'Université de Saskatoon au niveau de l'éducation.
M. Apedaile: Sauf votre respect, cela peut arriver en Saskatchewan. La collectivité de Lessard, en Alberta, avait un problème avec son service bénévole des incendies. Il était presque moribond. La région a conclu une alliance avec une caserne de pompiers de Calgary et elle a régulièrement obtenu le matériel de Calgary à mesure que cette caserne se modernisait grâce à ses meilleures ressources financières et aux normes professionnelles en vigueur à Calgary. Maintenant, le service d'incendie de Lessard est très actif et enrôle des jeunes du secondaire comme cadets. Lorsqu'il y a des exercices d'incendie et des appels pour des sinistres, toute une bande de jeunes adolescents de l'école secondaire de Lessard y participent. Cela confère à ces adolescents une énorme dignité lorsqu'ils paradent sur le camion de pompiers le jour du rodéo. Ce genre d'alliance entre le service des incendies de Calgary et celui de Lessard est exactement le type de partenariat qui peut fonctionner, même dans nos collectivités éloignées des Prairies.
Le sénateur Wiebe: J'ai une requête. Monsieur Apedaile, elle vous est davantage adressée. J'aimerais avoir vos commentaires, ou ceux des autres témoins, si vous pouviez prendre le temps de m'écrire au sujet de l'article qui a été présenté par un collègue professeur à l'Université de Calgary. Je crois que le professeur Roger Gibbons est professeur de sciences politiques à l'université là-bas. Il a fait des commentaires, il y a environ deux semaines, lors de la conférence rurale à Regina. Je vous recommanderais assurément de lire cet article - non pas parce que c'est de la bonne lecture. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. Le temps ne le permet pas maintenant. Il adopte assurément une approche radicale face au Canada rural.
Le président: Il dit plus ou moins aux gens de se joindre au centre urbain le plus proche et de s'accrocher. Je l'ai entendu à la radio.
Je remercie nos témoins. Vous apportez des solutions positives. De nos jours, nous n'en entendons pas beaucoup du genre venant du Canada rural. Je ne suis pas certain d'être convaincu qu'elles fonctionneraient toutes, mais il est bon d'avoir le genre de discussions que nous avons eues et de collaborer à ces solutions. Je lirai vos documents avec intérêt. Merci d'être venus témoigner devant notre comité.
La séance est levée.