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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 10 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 2 mai 2001

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, à qui a été confiée l'étude du projet de loi C-8, Loi constituant l'Agence de la consommation en matière financière du Canada et modifiant certaines lois relatives aux institutions financières, se réunit aujourd'hui à 16 heures pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, je constate que nous avons le quorum. Nous sommes réunis ici aujourd'hui pour examiner le projet de loi C-8. Je vais maintenant demander à notre premier témoin de prendre la parole.

M. Gary Seveny, président et chef de la direction, CS CO-OP, Services financiers communautaires: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de nous avoir invités, moi et ma collègue, Mme Gallant, à comparaître devant vous pour discuter du projet de loi C-8.

CS CO-OP souscrit fermement aux objectifs énoncés dans ce projet de loi, à savoir de favoriser une plus grande efficacité et la croissance du secteur des services financiers, d'encourager la concurrence à l'intérieur du pays, de responsabiliser et de protéger les consommateurs et d'améliorer le cadre de réglementation.

Mes remarques porteront aujourd'hui sur ce qui m'apparaît être une omission importante dans le projet de loi C-8, à savoir l'absence de dispositions permettant la propriété coopérative des banques. Nous estimons que de telles dispositions faciliteraient l'atteinte des objectifs énoncés dans le projet de loi.

Nous reconnaissons qu'il est important qu'on adopte cette mesure législative dans les plus brefs délais. C'est pourquoi nous ne demandons pas à votre comité de recommander qu'on apporte des amendements au projet de loi C-8 pour permettre la création de banques constituées suivant les principes coopératifs. Nous lui demandons plutôt de faire savoir énergiquement au gouvernement que vous demeurez convaincus qu'il devrait considérer comme prioritaire l'adoption d'une loi autorisant la constitution de banques coopératives et qu'en conséquence, il devrait déposer un projet de loi en ce sens le plus tôt possible.

Permettez-moi de rappeler aux sénateurs certaines des raisons pour lesquelles votre comité a vigoureusement appuyé l'idée des banques coopératives dans le passé. Cela vous aidera à comprendre pourquoi je souhaiterais que le gouvernement s'empresse de présenter un projet de loi permettant leur création.

À l'issue de ses travaux qu'il avait amorcés en 1996, et à la suite de vastes consultations et d'un examen approfondi des informations qu'il avait recueillies concernant l'avenir du secteur des services financiers, notamment à propos de la création d'éventuelles banques coopératives, le groupe de travail MacKay a formulé, dans son rapport publié en septembre 1998, la recommandation suivante:

La législation fédérale devrait permettre la constitution de banques coopératives et d'autres institutions financières dont la propriété et la régie seraient fondées sur les principes coopératifs.

Cette recommandation n'a pas été faite à la légère. Avant d'en arriver à cette conclusion, le groupe de travail avait en effet effectué une étude approfondie de la question de la création de banques coopératives.

Dans son rapport de décembre 1998 intitulé «Plan directeur de changements», votre comité a fermement appuyé la recommanda tion du groupe de travail MacKay en ces termes:

Le comité est tout à fait d'accord avec les recommandations du groupe de travail concernant le secteur coopératif. Il est d'avis que ces recommandations sont essentielles pour accroître la concurrence et encourager le développement de compétiteurs nationaux dans le secteur des services finan ciers.

Votre comité estimait d'ailleurs qu'il était en quelque sorte urgent que le gouvernement donne suite aux recommandations du groupe de travail, notamment en proposant l'adoption d'une loi qui permettrait la propriété coopérative des banques.

Il mentionnait dans son rapport:

Le comité croit que si les caisses d'épargne et de crédit doivent devenir des concurrents solides, il est important que les recommandations du groupe de travail soient mises en oeuvre rapidement.

C'était il y a plus de deux ans.

J'aimerais rappeler au comité certaines des raisons pour lesquelles il avait recommandé des mesures visant à permettre la création de banques coopératives en 1998. J'ajouterai que rien n'a changé depuis lors qui puisse nous mener à conclure qu'il serait moins important aujourd'hui qu'à l'époque d'offrir cette option.

Au cours de leur examen approfondi du secteur des services financiers, le groupe de travail MacKay et les deux comités parlementaires ont entendu de toutes parts qu'il serait bon d'avoir une seconde catégorie d'institutions financières pour accroître la concurrence et en particulier pour mieux répondre aux besoins des petites entreprises et des consommateurs.

Étant étroitement liées à leur clientèle locale, les banques coopératives offriraient une importante solution de rechange aux grandes banques. La souplesse qui caractérise ce type de propriété permettrait aux coopératives de maintenir leur principe coopératif, qui donne à chacun de leurs sociétaires une voix, et une seule, et auquel ceux-ci tiennent tant, et ce, tout en leur ouvrant de nouvelles possibilités d'étendre leur réseau sur le plan national.

Les banques coopératives responsabiliseraient les consomma teurs en leur donnant davantage voix au chapitre dans la gestion de leurs banques. Elles seraient en mesure d'offrir un meilleur service à leurs sociétaires dans tout le pays, d'attirer davantage de nouveaux sociétaires et de se mette au service des entreprises de nombreuses localités rurales et isolées où les grandes banques ferment leurs succursales.

Monsieur le président, je crois qu'il règne une certaine confusion à propos de la distinction qui existe entre une caisse d'épargne et de crédit sous réglementation provinciale qui contrôle une banque, ce qui est actuellement autorisé par la loi, et la conversion d'une telle caisse en banque contrôlée de façon coopérative, ce qui ne l'est pas.

Les caisses d'épargne et de crédit ont actuellement le droit d'être propriétaire d'une banque. Elles ne peuvent toutefois pas y appliquer leurs principes coopératifs, car le client d'une banque n'est pas sociétaire ou «propriétaire» de celle-ci. Permettez-moi de vous illustrer cela à l'aide d'un exemple: récemment, CS CO-OP est devenue seule propriétaire de la CS Alterna Bank, une banque à charte fédérale. Malheureusement, en l'absence de dispositions législatives permettant la propriété coopérative des banques, les clients de notre banque, la CS Alterna Bank, n'ont pas l'avantage d'être propriétaires de cette banque, d'en être sociétaires et d'avoir voix au chapitre concernant sa gestion.

Qui plus est, une caisse d'épargne et de crédit d'une autre province ne peut s'allier à CS CO-OP ou à la CS Alterna Bank tout en permettant à ses sociétaires de conserver leur droit de propriété qui est fondé sur le principe de «un vote par sociétaire».

Monsieur le président, nous espérions qu'avec le déclenche ment des élections l'an dernier, les fonctionnaires du ministère des Finances disposeraient de tout le temps voulu pour élaborer les modifications législatives requises pour permettre la propriété coopérative des banques. Malheureusement, parce qu'on a tout fait pour que le projet de loi C-8 ne comporte aucun changement d'orientation par rapport au projet de loi C-38, le projet de loi C-8 ne comporte aucune disposition visant à permettre la création de banques coopératives, même si les comités de la Chambre des communes et du Sénat avaient expressément souscrit aux recommandations qu'avait formulées en ce sens le groupe de travail. En dépit de ce revers, la déclaration qu'a faite le secrétaire d'État, M. Peterson, à la Chambre des communes plus tôt cette année nous a encouragés. Il s'est exprimé en ces termes:

Nous avons collaboré avec le mouvement des coopératives de crédit pour définir avec précision les dispositions législatives les concernant, qu'il conviendrait de proposer [...] nous avons continué à étudier la question et nous continuerons à le faire en conjonction avec le projet de loi C-8. Quand le modèle aura été établi, nous le rendrons public, [...]

Il nous semble donc qu'avant de déposer un projet de loi permettant la création de banques coopératives, le gouvernement a l'intention, vraisemblablement au moyen d'un document de consultation, de demander l'avis des parties intéressées à propos du modèle à adopter et des exigences à prévoir. CS-CO-OP a clairement indiqué qu'elle est prête et déterminée à collaborer avec le gouvernement pour que ce projet puisse se matérialiser aussi rapidement que possible. Le processus de consultation doit viser l'élaboration de mesures législatives dans les plus brefs délais.

La situation évolue très rapidement dans le secteur des services financiers, et le projet C-8 ne fera qu'accélérer les choses. Nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre que soit indûment retardé le processus d'adoption d'une mesure législative visant à autoriser la création de banques coopératives dont on a tant besoin.

Pour conclure, je tiens à vous redire que la création et le développement d'un réseau bancaire coopératif seraient bénéfi ques aux Canadiens et au secteur des services financiers. Je prie donc le comité de faire savoir énergiquement au gouvernement qu'on s'attend à ce qu'il fasse en sorte d'être à même de proposer sous peu cette mesure législative qui s'impose.

Je termine sur ce mon exposé, monsieur le président. Je serai maintenant heureux de répondre aux questions qu'on voudra bien me poser.

Le sénateur Tkachuk: Comme les membres du comité le savent sans doute, j'appuie sans réserve votre position, monsieur. Quand vous demandez que le gouvernement intervienne rapide ment, voulez-vous dire dès cet automne? J'aimerais bien qu'un tel projet de loi soit déposé cet automne, mais vous en savez sans doute un peu plus que moi à propos de l'état d'avancement du processus de consultation qui est en cours. Combien faudra-t-il de temps, à votre avis, pour consulter les intéressés? Avez-vous une idée du moment où le rapport sur ces consultations sera déposé et où on commencera à préparer la présentation d'un éventuel projet de loi?

M. Seveny: Moi aussi, j'aimerais bien qu'un projet de loi soit déposé dès cet automne. D'après ce que nous avons appris en en discutant avec les fonctionnaires du ministère des Finances, ce processus pourrait accaparer la plus grande partie de l'année.

Cela nous contrarie qu'on n'ait pas encore établi d'échéancier. Après tout, nos discussions sur cette question remontent à la dernière campagne électorale fédérale. Nous nous attendions à ce qu'on dresse un échéancier.

Aucune date limite n'a encore été fixée pour la matérialisation de ce projet. Sans date d'échéance, il risque de ne jamais se réaliser. C'est bien ce qui m'inquiète.

Le sénateur Tkachuk: Quand vous nous demandez de «faire savoir énergiquement au gouvernement», qu'entendez-vous par là?

M. Seveny: Pour nous encourager dans la poursuite de nos efforts, M. Peterson nous a donné l'assurance que la préparation du dépôt de cette mesure législative fera l'objet d'une démarche parallèle. Il nous a informé que le ministère des Finances affecterait des ressources expressément pour que le travail s'amorce immédiatement.

Concernant cette démarche parallèle, le projet de loi C-8 et cette autre mesure législative devraient cheminer presque en même temps. Nous n'en demeurons pas moins conscients que cette modification législative devra quand même franchir toutes les étapes du processus d'examen parlementaire, et nous ne sommes pas sans savoir qu'il y aura forcément décalage à un moment donné. Tout ne saurait s'accomplir exactement au même rythme.

Nous y perdrons sur le plan de la compétitivité. Nous le savons. Cependant, nous ne voudrions pas être désavantagés trop longtemps.

Nous pouvons difficilement prévoir un échéancier. J'aurais espéré que tout soit réglé avant la fin de l'année. On m'a informé que le processus actuellement en cours prendrait à lui seul toute l'année. Suivra ensuite l'examen par la Chambre et le Sénat.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: J'avais l'impression que vous aviez obtenu une bonne partie de ce que vous demandiez dans le contexte de la loi,

Sur le plan technique, c'est plus difficile pour nous à comprendre parce que certains - dont moi, personnellement - n'avons pas suivi le mouvement coopératif en détail. À l'heure actuelle, la loi ne permettrait aucune opération. Ces opérations sont limitées et ne satisfont pas la philosophie des membres des coopératives.

Je croyais qu'on avait fait un pas de géant, toutefois vous nous demandez, à toutes fins pratiques, de légiférer de nouveau afin de vous donner ce que vous avez demandé originalement, il y a quand même un bon moment.

Mme Gallant: Les articles contenus dans le projet de loi C-8 s'adressent davantage aux besoins de la Centrale des caisses du Canada. La loi actuelle ne permet pas aux banques d'opérer de façon coopérative. C'est surtout une façon pour eux d'avoir une d'association professionnelle pour les caisses canadiennes et non pour une banque coopérative.

Le sénateur Hervieux-Payette: Le concept d'une banque coopérative n'est donc pas reflété dans le contenu du projet de loi. Originalement, j'avais compris que vous nous demandiez de faire en sorte que vous deveniez une banque coopéative, mais le projet de loi ne vous permet pas d'aller aussi loin.

Mme Gallant: Effectivement.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk: Je ne crois pas que vous ayez répondu à ma dernière question. Je veux savoir ce que vous attendez de nous. J'ai plusieurs idées à propos de ce que nous pouvons faire, mais je veux vous entendre dire ce que vous en pensez.

M. Seveny: De la façon dont, pour l'essentiel, nous percevons le fonctionnement de ce processus, nous voudrions que vous appuyiez davantage notre projet auprès du gouvernement afin de l'inciter à accélérer les choses, si, naturellement, votre comité croit toujours qu'il est important de véhiculer un tant soit peu le point de vue de CS CO-OP.

Nous ne sommes qu'une caisse d'épargne et de crédit qui aimerait bien devenir une banque. Nous y travaillons depuis le milieu des années 60, depuis le moment où le gouvernement fédéral a entrepris la décentralisation. Nous n'avons cessé, depuis ce temps, de réclamer du gouvernement fédéral qu'il nous octroie une charte nationale. En 1974, nous étions sur le point d'obtenir certains accommodements, mais des élections ont été déclen chées, je crois, à peu près au même moment.

Nous avons fait preuve de patience et de sérieux. Au fil des ans, nous avons exposé notre point de vue devant divers comités, et nous ne saurions, je crois être plus près du but que nous ne le sommes actuellement. Compte tenu des changements qui s'opè rent dans notre secteur d'activité et de la volonté exprimée du gouvernement de faire évoluer les choses dans cette direction, il nous faut battre le fer pendant qu'il est chaud.

Le sénateur Kroft: Je vous prie de m'excuser de faire précéder ma question d'un préambule, mais il est très simple. Depuis trois ans, nous avons été témoins, dans le secteur des services financiers, du dépôt du rapport MacKay, du déroulement du processus d'adoption de nouvelles mesures législatives, de la poursuite des efforts en vue de revoir et de moderniser la structure de nos institutions financières ainsi que d'illustrations éloquentes de l'impérieuse nécessité d'accroître la concurrence. Nous nous sommes également sans cesse tournés vers le mouvement des caisses d'épargne et de crédit - avec l'espoir qu'on permette enfin la création de banques coopératives - comme source de véritable concurrence dans le système bancaire, une vision que partagent la grande majorité d'entre nous autour de cette table.

Ma question m'est inspirée surtout par mon vécu en tant que manitobain. J'ai été élevé dans un milieu où les caisses d'épargne et de crédit occupaient une place importante et représentaient une force positive. J'ai également grandi dans une région productrice de céréales, et le concept général de coopération était pour moi fortement associé au bon fonctionnement de l'économie des Prairies. J'ai une certaine idée des facteurs qui ont été à la base du bon fonctionnement des caisses d'épargne et du fait que le mouvement coopératif a été une telle réussite.

Êtes-vous toujours confiant que l'esprit et la dynamique qui caractérisent l'entité coopérative ainsi que le sentiment d'apparte nance qui habite chacun de ses sociétaires peuvent se transmettre à une institution financière qui n'a peut-être pas ce coeur et cette âme qui donnent tout son sens à votre mouvement?

C'est là la question que je ne cesse de me poser. Cet esprit et ce dynamisme peuvent-ils se transmettre et se perpétuer dans le monde concurrentiel des banques?

M. Seveny: Je vous remercie d'avoir posé cette question. CS CO-OP est peut-être unique comparée aux caisses d'épargne et de crédit au Canada, ne serait-ce qu'à cause de sa raison sociale qui l'identifie comme «coopérative».

À l'origine, nous nous appelions la Coopérative de crédit du service civil Limitée. Lors de sa création, notre organisme était une coopérative financière. Les caisses d'épargne et de crédit n'existaient pas encore à cette époque. Nous avons conservé notre identité comme coopérative. Nous sommes, par nécessité, régis par une loi qui a été conçue près de 30 ans après notre fondation, la Credit Union Act.

C'est pourquoi l'expression «credit union» n'apparaît pas dans notre raison sociale. On nous perçoit toujours à juste titre comme une coopérative, quand on s'arrête à faire la distinction entre les deux.

Ce que nous demandons, c'est de pouvoir devenir une banque coopérative, car seule la structure bancaire nous permettra d'avoir un rayonnement vraiment national. Une banque coopérative qui fonctionnerait sur la base des mêmes principes que CS CO-OP aurait le même esprit et la même âme. Il n'y aurait pas de différence à cet égard.

Le fait de prendre de l'expansion compromettrait-il ces particularités? C'est là la vraie question, à mon sens. Perd-on de son identité en devenant plus gros? La sauvegarde de ce genre d'identité demande un effort. Il existe au Canada et aux États-Unis de grosses caisses d'épargne et de crédit qui tiennent à préserver leur identité en tant que propriété coopérative. J'insiste délibérément sur l'emploi du mot «coopérative» plutôt que de l'appellation «caisse d'épargne et de crédit», car nos 145 000 membres comprennent bien ce qu'est une coopérative. Ils sont conscients de la passion qui anime une coopérative. Quand nous travaillons en collaboration avec des caisses d'épargne et de crédit d'autres régions du pays, les sociétaires de ces institutions sont familiers avec la notion de coopératives, car les caisses d'épargne et de crédit sont elles aussi associées à d'autres coopératives souvent implantées depuis un bon moment, par exemple avec des syndicats du blé, certaines sociétés d'assurance, et cetera.

Je ne crois pas que nous risquions de perdre notre esprit et notre âme en devenant une banque, pourvu que nous puissions reconnaître, en tout premier lieu, dans cette banque sa structure coopérative. Elle serait contrôlée et exploitée de manière coopérative et tous ses sociétaires auraient au même titre voix au chapitre dans sa gestion, comme c'est déjà le cas chez CS CO-OP.

Mme José Gallant, vice-présidente aux finances et directri ce financière: Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter que nous avons récemment mené un sondage auprès de nos marchés cibles pour savoir dans quelle mesure les jeunes Canadiens - ceux de la génération «nexus», comme nous l'appelons -, s'intéressaient au concept de banque coopérative et aux principes qui seraient à la base de son fonctionnement. Leur niveau d'intérêt est apparu très élevé. Je ne suis pas en mesure de vous fournir le pourcentage exact, mais il était supérieur à 40 p. 100. Aux fins de ce sondage, nous avions dressé une liste de différents principes coopératifs, et les réponses se sont révélées fort positives. Ces jeunes n'étaient pas nécessairement sociétaires de notre coopérative, mais ils étaient des clients potentiels pour la banque ou pour une éventuelle banque coopérative.

Le sénateur Kroft: Je vous remercie de votre réponse. J'aurais peut-être mieux fait de poser ma question beaucoup plus directement et vous demander si toute cette orientation est dictée d'en haut ou si elle vient vraiment de ce que nous appelons dans notre milieu la «base».

M. Seveny: Nous avons consulté nos membres lors d'assem blées publiques et d'assemblées annuelles pour connaître leur opinion sur cette question et pour nous assurer que l'idée ne venait pas uniquement d'en haut. Notre proposition a reçu un appui formidable. Ce que nous ne pouvons toutefois pas faire, c'est de demander à nos membres de se prononcer sur cette option avant de pouvoir la leur offrir en toute légalité. Nous leur avons parlé du concept, et il semble que ce soit sur cette base qu'ils nous ont donné leur opinion. La conclusion que nous en avons tirée, c'est qu'ils souhaitent que nous devenions une banque coopérati ve.

Nous avons parlé de la possibilité de créer une autre forme d'entité coopérative à l'échelle nationale. Mais, en fin de compte, ils ont reconnu que, pour pouvoir afficher une bannière nationale en tant que banque coopérative, il devait s'agir d'une entité sous le régime de la loi fédérale.

Le président: Nous vous remercions d'avoir accepté de comparaître devant notre comité. Vos observations seront consi gnées au compte rendu. Nous ferons de notre mieux pour vous être utiles.

Je vais maintenant demander à nos témoins suivants de prendre la parole.

M. Said Zafar, président, Committee on Islamic Financial Institutions, Canada: Monsieur le président, je tiens à exprimer mes remerciements et mon appréciation pour l'occasion qui nous est offerte de vous faire part de notre déception devant l'absence au Canada de mesures législatives ou de lignes directrices qui permettraient l'existence dans notre pays d'institutions financières islamiques offrant, en plus des services bancaires islamiques, les mêmes produits que les banques occidentales. Je voudrais d'abord vous transmettre les regrets sincères de mon collègue, Saleem Ansari, qui a été dans l'impossibilité de m'accompagner ici aujourd'hui.

Le monde est en pleine évolution sur les plans politique, économique et culturel. Il y a environ 30 ans, quand j'ai émigré au Canada, des produits comme le yogourt et la salsa n'étaient pas faciles à obtenir ici. Aujourd'hui, il se consomme tellement de ces deux produits au Canada qu'on peut s'en procurer dans tous les dépanneurs.

Ce qu'il faut en conclure bien simplement, c'est que les besoins de la population évoluent et qu'il nous faut faire tout en notre pouvoir, dans un pays démocratique comme le Canada, pour les satisfaire. Chaque communauté a ses besoins propres. Au sein de la communauté islamique, le besoin actuellement le plus pressant est qu'on permette l'existence au Canada d'institutions financières qui puissent garder et gérer des fonds selon les principes financiers islamiques et offrir l'éventail complet des services bancaires personnels et commerciaux disponibles dans les autres institutions bancaires.

Il existe de par le monde plus de 150 banques islamiques, qui gèrent plus de 200 milliards de dollars américains de fonds. Les institutions financières islamiques ne sont pas répandues unique ment dans les pays islamiques, mais elles gagnent rapidement du terrain en Europe, où les banques traditionnelles disposent maintenant de guichets et de comptoirs où l'on offre des produits financiers islamiques. Mentionnons entre autres à cet égard la Banque ABN Amro, la Banque commerciale nationale d'Arabie saoudite, la Banque d'Égypte, la Banque Nationale de Paris, Kleinwort Benson, ANZ Grindlays PLC et Citibank. D'ailleurs, vous serez peut-être étonnés d'apprendre que Londres pourrait à juste titre être décrite comme le centre bancaire islamique du monde occidental.

Qu'est-ce qui rend nécessaire l'existence de services bancaires islamiques au Canada? Compte tenu de l'importante population musulmane que compte notre pays - nous sommes environ 600 000 -, des montants considérables d'épargnes demeurent inexploités et dorment en attendant d'être canalisés dans des produits financiers islamiques. Ce réservoir inutilisé d'épargnes qu'ont en main les musulmans devrait être mis à la disposition des petites et moyennes entreprises canadiennes comme source de fonds de roulement et de capital de risque, ce qui ne pourrait que stimuler l'économie canadienne. Les petites et moyennes entrepri ses canadiennes ne demanderaient pas mieux que d'avoir un meilleur accès à du capital de risque et à des fonds de roulement.

L'économie canadienne repose sur la libre entreprise. Les grandes décisions économiques sont dictées par les forces économiques de l'offre et de la demande, ainsi que par les profits, les marchés et la concurrence.

Qu'entend-on par services bancaires islamiques? Ont-ils un rapport avec l'argent ou la religion, ou encore avec la religion de l'argent? La réponse, c'est ni l'un ni l'autre. «L'argent n'a pas de religion», comme l'a fait remarquer un des plus importants banquiers du Moyen-Orient.

Bref, au-delà des considérations religieuses, l'approche bancai re islamique repose sur une optique conceptuelle différente quoique réaliste et équilibrée de la relation entre la finance et l'activité économique: le lien entre le prêteur et l'emprunteur est remplacé par le partage du risque financier entre le pourvoyeur de fonds et l'entrepreneur.

Les principes financiers islamiques, qui s'apparentent aux principes judéo-chrétiens, interdisent le versement ou la percep tion d'intérêts. Cela s'appelle «riba». Le «riba» s'entend non seulement de l'intérêt bancaire classique mais également de tout avantage financier octroyé en échange de la réception d'une somme d'argent lorsque le marché est assorti de l'obligation inconditionnelle de rembourser ladite somme.

En conséquence, les opérations financières d'une institution financière islamique ne portent pas intérêt et possèdent, en peu de mots, les caractéristiques suivantes.

Premièrement, le «morabaha» s'entend du financement de biens destinés à la revente. L'islam n'interdit pas le commerce. Au moyen de l'opération financière de la forme morabaha, la banque achète des biens d'un tiers à la demande d'un client auquel elle fournit les biens en question en vertu d'un contrat assorti de modalités de paiement différé; ce dernier s'engage inconditionnellement à lui rembourser le prix convenu à une date ultérieure déterminée. La banque peut exiger de son client une sûreté réelle pour garantir le remboursement de sa créance.

Deuxièmement, le «modaraba» s'entend du financement fiduciaire. Dans ce cas, la banque fournit des fonds à des fins expressément définies en échange d'un pourcentage donné de revenus provenant d'une source précise. La banque n'exige pas du client un engagement inconditionnel à lui rembourser le capital investi avec profit garanti, mais elle surveille de près l'utilisation des fonds. Pour son travail de gestion et son expertise, le client touche un pourcentage convenu des profits réalisés.

Troisièmement, le «musharaka» s'entend d'un prêt participatif. Ce type d'opération est identique au «modaraba», sauf que, en plus de se charger de la gestion et d'assurer d'autres services, le client partage le risque avec la banque en fournissant une part des capitaux investis. Les risques et le rendement de l'investissement sont partagés entre le client et la banque au prorata de leur participation financière respective.

Quatrièmement, l'«ijara» s'entend du crédit-bail. Ce type d'entente permet à l'institution islamique de financer, contre paiement d'un loyer convenu, de l'équipement, des bâtiments ou d'autres installations que désire acquérir le client.

Le Committee on Islamic Financial Institutions in Canada suggère qu'on autorise l'établissement au Canada d'institutions financières islamiques qui soient reconnues comme étant des institutions financières réglementées. Nous sommes conscients que, dans l'état actuel des choses, cette autorisation serait très difficile à obtenir vu l'existence du régime obligatoire d'intérêt.

Nous demandons donc que les lignes directrices législatives voulues soient incorporées dans le projet de loi C-8 de manière à permettre aux banques canadiennes de répondre aux besoins de ce créneau de marché et d'offrir des produits financiers islamiques à des guichets spéciaux de leurs succursales au Canada.

Nous proposons en outre que le gouvernement du Canada fasse le nécessaire pour obtenir un statut d'observateur auprès de la Banque islamique de développement à Jedda, en Arabie saoudite.

Le sénateur Kelleher: Aux termes de l'actuelle Loi sur les banques, qu'est-ce qui empêche une banque à charte, qu'elle soit de l'Annexe A ou de l'Annexe B, d'ouvrir, comme vous dites, un guichet islamique dans leurs succursales? Y a-t-il dans la loi une disposition qui l'interdit?

M. Zafar: J'ignore ce qu'il en est. Depuis maintenant deux ans, nous nous tenons en communication et avons des discussions à ce sujet avec les représentants de deux banques, la HSBC et la Banque de Nouvelle-Écosse. Ces gens nous ont dit que, tant que des modifications ne seront pas apportées à la Loi à cet égard, il ne leur sera pas permis d'offrir des services bancaires sans intérêt dans de tels guichets tout en poursuivant leurs activités bancaires porteuses d'intérêt. Il leur faudrait pour cela maintenir deux systèmes distincts. Les gens qui désireraient effectuer des opérations bancaires sans intérêt se présenteraient au guichet spécialement conçu à cette fin. Ceux qui voudraient payer des intérêts pourraient continuer de le faire. Comme vous le savez, nous aimons tous les intérêts.

Le sénateur Kelleher: Chose certaine, les banques les aiment.

M. Zafar: C'est pourquoi elles ne veulent s'engager dans cette voie qu'à la condition que la loi les y autorise explicitement.

Le sénateur Kelleher: Sauf votre respect, vous n'avez vraiment pas répondu à ma question. Vous a-t-on affirmé clairement que la loi actuelle interdit expressément l'offre de tels services?

M. Zafar: Oui. Nous n'avons pas obtenu cette confirmation par écrit. Toutefois, je me suis entretenu à ce sujet avec des représentants de l'Association des banquiers canadiens, qui parraine toutes les banques. Ils m'ont dit qu'en vertu des dispositions de la loi qui régit la Société d'assurance-dépôts du Canada, il leur est interdit d'offrir des produits bancaires sans intérêt.

Le président: Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous parlez d'opérations sans intérêt? Quiconque ouvre une banque doit verser des salaires, avoir des locaux qu'il loue ou qui lui appartiennent, réaliser des profits quelque part.

M. Zafar: Oui. Vous voulez savoir comment nous faisons des profits?

Le président: Vous n'appelez pas ça de l'intérêt, mais c'est simplement une autre forme de revenu.

M. Zafar: Oui.

Le président: Pourquoi n'importe quelle banque ne pourrait- elle pas le faire? Je ne crois pas que vous ayez répondu à la question du sénateur. Il ne faudrait quand même pas jouer sur les mots. Vous ne voulez pas parler d'intérêt, mais il me semble que ce soit du pareil au même.

M. Zafar: Dans la terminologie judéo-chrétienne, intérêt veut dire intérêt fixe, qui ne peut être modifié. Votre taux d'intérêt est fixé par la Banque du Canada et vous l'acceptez comme tel. Vous ne pouvez ni l'abaisser ni le relever.

Le président: Les banques offrent à leurs clients toutes sortes de produits financiers assortis de taux d'intérêt variables.

M. Zafar: Oui, mais les taux d'intérêt variables ne peuvent changer quotidiennement.

Le président: Ils le peuvent. Pourquoi pas?

M. Zafar: Vraiment?

Le président: Nous ne cherchons pas à vous contredire, mais à vous comprendre.

M. Zafar: Dans notre régime, nous ne permettrions pas l'imposition de taux fixes.

Le sénateur Setlakwe: Votre revenu proviendrait-il du partage des profits?

M. Zafar: Oui, mais je m'exposerais également à partager les pertes.

Le sénateur Setlakwe: Dans ce cas, vous êtes un actionnaire.

Le président: Je comprends, mais votre pourcentage des profits est-il fixe?

M. Zafar: Non. Disons, monsieur le sénateur Kolber, que je suis un banquier et que vous me dites que vous avez besoin de 100 000 $. Si vous me dites que vous voulez vous porter acquéreur d'une franchise Tim Hortons et qu'il vous faut à cette fin 100 000 $, je vais vous dire que je suis disposé à conclure avec vous un marché pourvu que nous nous entendions sur le partage des profits et des pertes. Peut-être me direz-vous alors qu'étant donné que je fournis 100 000 $ et que vous en avez fourni 150 000 $, vous seriez prêt à m'accorder 25 p. 100 de vos profits ou de vos pertes.

Le président: À moi, ça m'apparaît fixe.

Le sénateur Tkachuk: Il s'agit d'investissement.

M. Zafar: Non, il s'agit de profits ou de pertes.

Le président: Je veux bien, mais ça demeure un montant fixe.

M. Zafar: Il y aura toujours un montant fixe. Il faut payer des salaires fixes. Il faut payer le concierge.

Le sénateur Meighen: Le montant est préétabli plutôt que variable.

Le sénateur Kroft: Votre type d'institution nous apparaît davantage comme une institution de placement. Plutôt que de prêter de l'argent, vous voulez l'investir conjointement avec un partenaire.

M. Zafar: Oui. C'est une forme de marchandisage.

Le sénateur Kroft: Cela revient à dire que vous prenez une participation et que vous partagez les profits comme les risques.

M. Zafar: Tout à fait.

Le sénateur Kroft: Serait-ce simplifier à outrance que de dire que c'est en réalité de cela que vous voulez parler? Vous voulez une institution qui pourrait prendre, peut-être, la forme d'une banque d'investissement. Essentiellement, vous y allez d'une participation financière plutôt que d'un prêt; est-ce au fond vraiment de cela qu'il s'agit?

M. Zafar: Oui.

Le sénateur Kroft: La notion de participation financière, par opposition à celle de prêt, n'est pas prévue dans les définitions figurant dans la Loi sur les banques parce que, par exemple, la Société d'assurance-dépôts ne saurait pas comment en traiter. Essentiellement, une banque a pour fonction de prendre l'argent de ses clients et de le prêter. Les opérations que vous nous décrivez ne s'inscrivent pas du tout dans un tel processus. Il s'agit plutôt d'une série d'opérations individuelles dans le cadre desquelles vous y allez de participation financière dans des projets. Le type de banque que vous avez à l'esprit ne recevrait pas l'argent des clients en dépôt pour ensuite le prêter à des tiers, est-ce exact?

M. Zafar: Non, monsieur.

Le sénateur Kroft: Comment pouvez-vous considérer qu'il s'agit d'une banque si vous avez bien compris la définition canadienne de ce qu'on entend par opérations bancaires?

M. Zafar: Comme je l'ai expliqué, nous avons un concept que nous appelons modaraba, qui signifie financement fiduciaire. Une personne s'amène à nous avec 100 000 $ qu'elle nous dit vouloir déposer dans notre institution pour trois ans. Elle nous demande d'investir cet argent dans une entreprise commerciale, mais qu'elle exige un rendement de 10 p. 100. Ce pourrait être 11, 12 ou 5 p. 100. Ce taux ne serait pas fixé pour trois ans, mais mensuellement.

Le sénateur Furey: La banque retient-elle quelque chose? Les 90 p. 100 qui restent vont-ils au client qui a déposé les fonds?

M. Zafar: Non, le client vient me confier 100 000 $ en fidéicommis.

Le sénateur Furey: Investissez-vous cet argent quelque part?

M. Zafar: Oui, et le profit réalisé, le cas échéant, est partagé entre le déposant et la banque.

Le sénateur Furey: C'est donc dire que la banque fait de l'argent avec ce dépôt, qu'elle en obtient un certain taux de rendement.

M. Zafar: Bien sûr.

Le sénateur Furey: Parce que ce taux n'est pas fixe, il n'est pas de type classique; est-ce là ce que vous voulez dire?

M. Zafar: Oui.

Le président: Monsieur Zafar, notre comité devra vérifier et établir s'il y a quelque chose que nous pouvons faire pour vous et si ce que vous proposez a vraiment quelque chose à voir avec le projet de loi C-8. J'ai l'impression que cette question outrepasse les limites de ce sur quoi on nous a demandé de nous pencher. Vous voudriez que nous insérions dans la loi un volet tout à fait nouveau.

M. Zafar: Je me réjouis de ce que vous ayez soulevé cet aspect, monsieur le président, car je me suis préparé à répondre à cette objection. Le projet de loi C-8 vise à favoriser la concurrence chez les Canadiens. Vous devriez inclure dans la loi une disposition stipulant que les banques de type classique ont droit d'avoir des guichets d'opérations bancaires islamiques.

Le président: Nous ne saurions le faire, car nous ne sommes pas un organisme de réglementation. Soit dit en passant, le projet de loi prévoit permettre à quiconque dispose d'un million de dollars de fonder une banque. Si vous pouvez satisfaire aux critères imposés, fondez-en une.

M. Zafar: Merci beaucoup. Je vais suivre votre conseil et fonder une banque. Je vais le faire. J'ai le million de dollars requis.

Le président: Eh bien, que Dieu vous garde. Mais à moins que mes collègues du comité ne soient pas d'accord avec moi là-dessus, je crois que cette question est étrangère à notre étude.

Le sénateur Furey: Cela nous ramène à la question initiale du sénateur Kelleher. Qu'est-ce qui vous empêche de le faire actuellement?

Le sénateur Kelleher: Si les banques veulent offrir ces services, comme l'ont fait d'autres banques dans le monde, je ne crois qu'il y ait quoi que ce soit qui les en empêche. Le témoin nous a fourni des noms de banques qui le font ailleurs et qui semblent être à même d'offrir aux clients un guichet spécial pour les services bancaires islamiques. Je ne vois rien dans notre loi qui empêcherait une banque de le faire. Je ne suis pas convaincu que le témoin ait obtenu à ce sujet une opinion qui fasse autorité.

Le sénateur Hervieux-Payette: Notre système financier s'apparente de près à celui de l'Angleterre. Peu de choses distinguent nos deux systèmes. Vous dites que Londres est pratiquement la capitale de ces banques. Je suis portée à être d'accord avec mes collègues à ce sujet. Y a-t-il en Angleterre une mesure législative spéciale autorisant les banques islamiques, ou celles-ci sont-elles régies par la loi ordinaire sur les banques?

M. Zafar: Je n'en suis pas sûr. Je ne saurais répondre à cette question.

Le sénateur Hervieux-Payette: Il me semble que cette comparaison pourrait répondre à la question que nous nous posons.

Le président: Cela vous apparaît-il logique? Si la Banque Royale, par exemple, pouvait offrir des services bancaires islamiques correspondant à 2 ou 5 p. 100 de ses actifs, qui pourrait l'en empêcher? Tant que de telles activités n'échappe raient pas à tout contrôle, le législateur, selon moi, observerait la situation sans sourciller. Si je ne m'abuse, vous n'en seriez pas moins admissible à l'assurance-dépôts.

M. Zafar: Nous ne saurions payer un taux d'intérêt fixe pour satisfaire aux exigences relatives à l'assurance-dépôts.

Le président: Il vous faudrait produire un document distinct pour les créanciers et les débiteurs islamiques.

Merci d'avoir comparu devant nous. Il nous faudra nous enquérir de ce que nous pouvons faire, si tant est qu'il nous soit possible de faire quelque chose. Je ne saurais vous promettre quoi que ce soit. J'ai le sentiment que cette question outrepasse notre mandat.

M. Zafar: Merci de m'avoir donné la possibilité de vous exposer mes vues.

Le sénateur Meighen: Peut-être pourrions-nous effectuer une recherche, avec l'aide de l'équipe de la Bibliothèque du Parlement ou autrement, auprès de l'une de ces institutions financières londoniennes sur la façon dont on s'y prend pour pouvoir fournir des services bancaires islamiques.

Le président: Nous tenterons d'obtenir des renseignements plus précis pour pouvoir cerner le problème. Pour l'instant, tout ce que nous pouvons vous fournir, ce sont des réponses instinctives et improvisées.

J'inviterais maintenant notre témoin suivant à nous faire son exposé.

M. Duff Conacher, coordonnateur, Coalition canadienne pour le réinvestissement communautaire: Honorables séna teurs, vous devriez normalement avoir en main un résumé de nos principales préoccupations concernant le projet de loi C-8.

Nous vous remercions de l'occasion que vous nous offrez de comparaître de nouveau devant votre comité et de lui faire part des inquiétudes de la Coalition canadienne pour le réinvestisse ment communautaire. La Coalition est formée d'au-delà d'une centaine d'organisations de citoyens vouées à la lutte contre la pauvreté, à la promotion du développement économique commu nautaire et à la défense des intérêts des consommateurs, des travailleurs et de la petite entreprise. Au total, nos organisations membres représentent plus de 3 millions de Canadiens de toutes les provinces et des Territoires du Nord-Ouest. Nous participons activement à ce processus d'élaboration des politiques depuis la création de la Coalition vers la fin de 1996.

Nos inquiétudes découlent du sentiment que nous avons que le projet de loi C-8 laisse subsister des échappatoires qui soustraient les institutions financières, notamment les banques, à l'obligation de rendre des comptes quand, leur service à la clientèle est inadéquat et inéquitable.

Une de nos principales préoccupations - qui se reflètent d'ailleurs dans notre nom inspiré de la loi américaine sur le réinvestissement communautaire - a trait aux rapports de reddition de comptes à la collectivité. Nous estimons que ces rapports ne sont pas aussi détaillés qu'ils devraient l'être. Nous croyons par ailleurs qu'en plus d'être plus détaillés, ils devraient faire l'objet d'un examen et d'une notation, comme c'est le cas aux États-Unis. Ces opérations devraient faire partie de l'ensem ble du processus de reddition de comptes à la collectivité.

Dans son rapport de décembre 1998, en réponse au rapport du groupe de travail MacKay, votre comité disait craindre que ces rapports ne soient pas suffisamment détaillés et qu'ils se limitent essentiellement à des opérations de relations publiques plutôt que de reddition de comptes à la collectivité.

Nous partageons votre inquiétude à cet égard. D'après ce que nous avons entendu de la part des représentants du ministère des Finances, les rapports en question comporteront une analyse d'exemples de situations où les banques et les autres institutions financières interviennent activement dans la collectivité et dans l'économie.

Selon nous, une simple analyse d'exemples risque d'être par trop vague et de permettre aux banques et aux autres institutions financières de faire ressortir leurs points forts tout en escamotant leurs points faibles. Avec une telle approche, il sera en outre très difficile de faire des comparaisons entre les diverses institutions financières, étant donné que la formule ne sera pas uniforme. Je le répète, le fait de n'exiger qu'une simple analyse d'exemples ne permettra pas une comparaison détaillée entre institutions. Nous croyons qu'une telle comparaison est nécessaire pour pouvoir demander des comptes aux institutions.

Pourvu qu'ils soient plus détaillés et soumis à un système d'examen et de notation analogue à celui qu'on utilise aux États-Unis, ces rapports constitueront, selon nous, un mécanisme complet de reddition de comptes. La loi américaine sur le réinvestissement communautaire, qui a été adoptée il y a vingt ans, a donné jusqu'à maintenant de bons résultats.

En ce qui a trait à l'accès aux services bancaires de base, si nous passons maintenant à la question de la protection des consommateurs, nous croyons que le droit d'ouvrir un compte devrait être clairement défini dans la loi plutôt que de n'être abordé que dans les règlements. Ce droit devrait être élargi. Il devrait s'appliquer à un plus grand nombre de filiales et à toutes les institutions financières, y compris aux sociétés de fiducie qui, en vertu du projet de loi C-8, ne sont pas tenues d'ouvrir un compte à quiconque présente une des pièces d'identité figurant sur une liste à être établie dans les règlements.

De même, sur le chapitre de l'encaissement et de la rétention des chèques - notamment sur celui de la rétention des chèques -, nous croyons que la loi devrait établir clairement le droit du client d'accéder à ses fonds une fois qu'il les a déposés. Aux États-Unis, ce droit est expressément prévu dans la loi. Nous sommes d'avis que la durée de rétention d'un chèque devrait être limitée par la loi. Ce projet de loi ne fait rien pour remédier à cet état de choses. Nous croyons que les pratiques actuelles à cet égard posent gravement problème aux personnes à faible revenu et que les banques les utilisent pour empêcher les gagne-petit de s'ouvrir un compte.

Au printemps de 1999, nous avons effectué une enquête auprès de 103 succursales bancaires dans 11 villes canadiennes. Nous avons constaté que nombre d'entre elles se servaient de la rétention des chèques pour exclure les gens à faible revenu. Par exemple, on leur dira qu'au cours des six premiers mois après l'ouverture de leur compte, tous les chèques qu'ils déposeront seront retenus pendant 30 jours. Pourtant, selon l'Association canadienne des paiements, plus de 98 p. 100 des chèques déposés sont compensés le soir même. Nous demandons que le projet de loi prévoie une durée limite pour la rétention des chèques.

À propos des fermetures de succursales, nous croyons que chaque retrait de services devrait faire l'objet d'un examen approfondi, y compris d'un examen du dossier des profits et pertes de la succursale en question. Souvent, les banques invoquent l'absence de rentabilité comme motif de fermeture, mais on ne les oblige jamais à fournir la preuve que la succursale en question est effectivement déficitaire et que, par conséquent, elles ont un motif valable de décider de la fermer.

En ce qui touche la création d'un poste d'ombudsman des services financiers et de l'Agence de la consommation en matière financière, ce sont là des pas dans la bonne direction, mais nous sommes d'avis que ces mesures devraient être complétées par la création d'une association de consommateurs de services finan ciers, en utilisant, pour le recrutement, la méthode que j'ai décrite devant votre comité à plusieurs reprises par le passé. Les institutions financières seraient tenues de joindre aux missives qu'elles font parvenir à leurs clients par la poste - états de compte, factures de cartes de crédit ou autres - un feuillet d'une page les renseignant sur l'existence d'une association de consommateurs de services financiers et les invitant à en faire partie.

Votre comité, le groupe de travail MacKay et le Comité des finances de la Chambre des communes ont tous les trois recommandé que le gouvernement et les institutions financières facilitent la création d'une telle association. Malheureusement, le ministre des Finances et le ministère n'ont tenu compte ni de cette recommandation ni du fait qu'une majorité de Canadiens appuient la création, à l'aide de ce moyen, d'une association de consommateurs de services financiers.

Il s'agit là d'une autre lacune majeure qui existe dans ce secteur. Malgré l'importance de notre coalition et l'ampleur de nos efforts pour représenter les intérêts des consommateurs de services financiers, nous - les quelque 100 groupes de la Coalition - croyons que ce serait là une bien meilleure façon de mettre sur pied une organisation permanente, autonome et soutenue et dirigée par les consommateurs de services financiers eux-mêmes. Une telle organisation serait indépendante de l'industrie des services financiers et du gouvernement et procurerait aux consommateurs de services financiers la tribune qu'il faudrait tant leur donner.

Même si l'on entend créer un poste d'ombudsman et une agence pour protéger les consommateurs de services financiers, ceux-ci seront encore laissés à eux-mêmes quand viendra le temps de porter plainte à cet ombudsman ou à cette agence, tandis que les banques et les autres institutions financières disposent, de leur côté, d'énormes ressources pour faire valoir leur point de vue dans tous les cas. Les consommateurs de services financiers devraient avoir un endroit où appeler pour se plaindre, et le moyen que nous suggérons serait très peu coûteux et efficace pour créer une telle organisation.

Concernant les questions de propriété et de fusion des banques, nous sommes d'avis que les dispositions du projet de loi prévoyant le relèvement des niveaux et des limites admissibles de participation financière dans une banque auront essentiellement pour effet de permettre la mainmise réelle d'intérêts étrangers sur nos banques canadiennes, et ce, malgré les déclarations du gouvernement nous garantissant le contraire.

Nous croyons que les structures des sociétés de portefeuille faciliteront également cette mainmise et nous compliqueront la tâche de réglementer nos banques et autres institutions financiè res. Nous estimons qu'il est très important et dans l'intérêt public que nos principales institutions financières demeurent sous contrôle canadien.

Enfin, concernant les fusions bancaires, nous avons demandé que le processus d'examen des projets de fusion s'applique à tous les projets de fusion et de rachat par des banques ou autres institutions financières comme c'est le cas aux États-Unis.

Je sais que votre comité a réussi à obtenir d'avoir voix au chapitre dans le processus d'examen des projets de fusion bancaire. Nous croyons qu'il est important que les comités compétents tant de la Chambre des communes que du Sénat interviennent dans l'examen de tout projet de fusion. Malheureu sement, vous n'aurez à participer à un tel exercice qu'à une ou deux occasions.

Nous estimons que, comme aux États-Unis, ce processus de révision devrait s'appliquer à tous les projets de fusion et de rachat. En outre, cet examen devrait, selon nous, comporter une étude du dossier commercial récent des banques ou autres institutions financières concernées.

C'est ce qu'on fait aux États-Unis depuis nombre d'années. Essentiellement, la règle qui s'y applique, c'est qu'une institution financière qui ne sert pas ses clients adéquatement doit se voir privée du droit de prendre de l'expansion de manière à ce qu'on ne lui permette pas de servir un plus grand nombre de gens de manière insatisfaisante. Cela fait nombre d'années que la loi américaine sur le réinvestissement communautaire impose le respect de cette norme. Nous croyons qu'il y va de l'intérêt public qu'on étende le processus d'examen à tous les projets de prise de contrôle et de fusion de banques ou d'autres institutions financières.

En terminant, je vais aborder une question dont il n'est pas fait mention dans ce projet de loi, celle de savoir si le niveau des taux d'intérêt sur les cartes de crédit et des tarifs bancaires sont justifiables ou frisent l'escroquerie. Il n'en est nullement question dans ce projet de loi et personne au gouvernement ne s'est interrogé à ce sujet depuis les audiences du Comité de l'industrie de la Chambre des communes en février 1997. En raison du déclenchement d'élections générales, ces audiences n'ont pas été menées à terme et n'ont pas donné lieu à la production d'un rapport.

Nous demandons à votre comité de se pencher sur cette question et de presser le gouvernement de prendre à cet égard les mesures qui s'imposent. Je me rends compte qu'on attache beaucoup d'importance à ce que l'adoption de ce projet de loi ne soit pas retardée, qu'il s'exerce beaucoup de pressions en ce sens et que vous estimez peut-être qu'il est dans l'intérêt public de continuer à faire cheminer rapidement ce projet de loi vers l'étape de la sanction royale. Il n'en demeure pas moins que certains sujets de préoccupation que vous avez vous-mêmes soulevés dans votre rapport de décembre 1998 n'y sont pas abordés.

Selon nous, si l'on prenait quelques mois de plus pour mettre au monde ce projet de loi, il pourrait bien mieux donner suite aux recommandations formulées par votre comité dans son rapport de décembre 1998, ce qui serait dans l'intérêt public.

Si vous décidez quand même d'aller de l'avant avec ce projet de loi maintenant, j'espère que vous allez prendre bonne note des lacunes, problèmes et échappatoires que j'ai tenté de mettre en lumière et continuer de recommander que le gouvernement remédie à ces lacunes le plus tôt possible par voie législative.

Nous nous engagerons sous peu dans la prochaine étape de cette révision législative qui devrait être achevée en 2002. Ce processus remonte à la publication du rapport de vos audiences au printemps de 1995. Tout fusionne. Nous espérons vivement qu'on s'attaquera à ces problèmes, sinon en apportant des amendements au projet de loi C-8, du moins très bientôt dans l'avenir.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je ne vais parler que d'une institution à propos de laquelle vous avez formulé des observa tions dans votre mémoire. Le mandat de l'ombudsman des services financiers canadiens ne devrait pas englober que les banques, mais toutes les institutions financières qui relèvent du gouvernement fédéral. Pourquoi n'avez-vous pas mentionné le fait que les opérations des entreprises de courtage d'assurance et de fiducie ainsi que des coopératives ne feront pas partie de celles susceptibles d'être soumises à l'examen de l'ombudsman? Nous pourrions songer à un ombudsman dont le mandat engloberait tous les services, qu'ils relèvent de la compétence provinciale ou fédérale. Du moment que nous parlons d'un mandat fédéral, il va de soi que celui-ci se limitera aux activités des institutions financières qui relèvent de la compétence fédérale.

Nous avons deux types d'institutions financières. Dans votre réflexion sur ce sujet, pourquoi avez-vous dit que le mandat de l'ombudsman ne devrait porter que sur les institutions de compétence fédérale et non sur toutes les institutions financières?

M. Conacher: Notre mémoire porte sur le projet de loi C-8, qui ne vise que les institutions financières fédérales. Suivant notre analyse de la façon dont le bureau de l'OSFC sera constitué - étant donné qu'après que les membres du premier conseil de l'Agence auront été nommés, celui-ci assurera lui-même sa relève par la suite et choisira l'ombudsman -, cette structure permettra aux institutions financières relevant de la compétence provinciale de s'y joindre ou encore aux gouvernements provinciaux d'adopter une loi obligeant les institutions qui relèvent d'eux à le faire.

J'espère que les gouvernements provinciaux feront le nécessai re pour que nous ayons un «guichet unique» qui recevra les plaintes, car autrement, les consommateurs de services financiers auront du mal à s'y retrouver. Voilà pourquoi nous estimons que, comme complément, il faudrait créer une association de consom mateurs de services financiers. D'ailleurs, même si nous avions un guichet unique pour le dépôt des plaintes, les consommateurs de services financiers auraient quand même besoin d'un endroit auquel s'adresser. C'est pourquoi nous recommandons la création d'une association de consommateurs de services financiers. Une telle organisation pourrait aider grandement les gens à trouver le bon endroit où porter plainte.

D'après notre analyse, il nous semble que l'Agence sera établie d'une manière qui permettra aux institutions financières qui relèvent de la compétence provinciale d'y adhérer, car le ministre des Finances ne sera pas habilité à exercer un contrôle sur cet organisme après qu'il aura procédé aux nominations initiales de son conseil d'administration. Les gouvernements provinciaux seront dès lors en mesure d'exiger la participation des institutions financières qui relèvent de leur compétence.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'aimerais qu'on me confirme qu'il en sera ainsi, mais je crains que ça ne s'avère pas.

M. Conacher: Nous avons ce problème. Ce sont les mêmes obstacles qui, sauf erreur, font en sorte que le projet de la Commission nationale des valeurs mobilières ne se soit pas encore concrétisé.

Le sénateur Hervieux-Payette: Le poste d'ombudsman qui existe actuellement dans ce secteur a été créé par les banques elles-mêmes et son titulaire agit en toute indépendance. Êtes-vous satisfaits de la façon dont cette institution fonctionne actuelle ment?

M. Conacher: Non, pas du tout. L'ombudsman est choisi, payé et dirigé par les banques, bien que celles-ci aient pris certaines mesures pour structurer le bureau de manière à ce qu'il ait l'air plus indépendant. Il n'en est pas moins contrôlé par les banques. Nous avons en dossier de nombreuses plaintes à son sujet. Certaines personnes ont dû attendre jusqu'à trois ans pour obtenir une réponse de l'ombudsman. À nos yeux, c'est un bilan horrible.

Le sénateur Hervieux-Payette: C'est donc dire que vous avez davantage confiance au gouvernement qu'aux banques? Ça fait plaisir à entendre.

M. Conacher: Je suis coordonnateur de Democracy Watch. Nous ne croyons pas que tous les éléments nécessaires à l'existence d'une société vraiment démocratique soient en place au Canada, mais nous avons au moins des élections. Si les actionnaires des banques pouvaient y jouer un rôle un tant soit peu démocratique, je pourrais dès lors être davantage confiant que les consommateurs de services financiers et les actionnaires des banques pourront avoir un peu plus d'emprise sur les dirigeants de ces institutions. Par exemple, les actionnaires n'ont pas été consultés concernant la façon dont le bureau de l'ombudsman des services financiers devrait être constitué. Ce n'est là qu'un exemple. Le gouvernement, lui, nous a au moins consulté sur la façon dont cette institution devrait être conçue.

Le président: Vous dites que vous avez des dossiers sur des gens qui ont attendu trois ans pour être entendus. Pourriez-vous m'en faire parvenir un, comportant le nom de la personne qui a porté plainte et en quoi consistait le problème? J'aimerais prendre connaissance d'un tel dossier.

M. Conacher: Volontiers.

Le sénateur Furey: Monsieur Conacher, j'ai une brève question à vous poser. Concernant les rapports de reddition de comptes à la collectivité, vous avez indiqué que les banques et les autres institutions financières devraient être tenues de divulguer des renseignements détaillés à propos de leur rendement en matière de service à la clientèle. Est-ce exact?

M. Conacher: Oui.

Le sénateur Furey: Quels renseignements, selon vous, devraient être inclus dans ces rapports et à qui cette information devrait-elle être divulguée?

M. Conacher: Aux États-Unis, on exige des renseignements détaillés concernant les prêts, les investissements et le service à la clientèle. Vous interrogez-vous particulièrement sur ce qui concerne le service?

Le sénateur Furey: Vous avez parlé de dossiers sur le rendement en matière de service à tous les clients.

M. Conacher: D'abord, en ce qui touche les prêts, on devrait, comme aux États-Unis, retracer le nombre de demandes de prêt reçues, approuvées et refusées selon la catégorie de prêt. Aux États-Unis, pour certaines catégories de prêt, on ventile la compilation par race, sexe, niveau de revenu et quartier, de manière à pouvoir détecter toute pratique discriminatoire. De notre côté, nous avons proposé une ventilation par sexe et par quartier et, dans le cas des entreprises, uniquement par taille et type d'entreprise.

En ce qui a trait aux investissements, nous nous intéressons particulièrement au financement des projets de développement communautaire, notamment aux projets de logements à loyer modique. Là encore, nous recommandons qu'on retrace le nombre de demandes de prêt reçues, approuvées et refusées selon la taille, le type et l'emplacement de l'entreprise de développement communautaire.

Le sénateur Furey: Croyez-vous qu'il plaira aux clients que les banques divulguent ces renseignements?

M. Conacher: Il ne s'agit pas de renseignements confidentiels, si c'est là la question que vous soulevez. Tout se ferait dans le respect des règles de Statistique Canada. On procède de cette façon aux États-Unis depuis maintenant 20 ans.

Il y a une chose qui se fait aux États-Unis et qui oblige les institutions financières à fournir des données qui, selon nous, devraient figurer dans les rapports sur la reddition de comptes à la collectivité - du moins d'après ce qu'on nous a dit au ministère des Finances. Il s'agit du dossier de chaque institution en ce qui a trait à l'ouverture et à la fermeture de succursales. Aux États-Unis, on tient un dossier à cet égard, mais on retrace également le rendement des institutions en matière de service à la clientèle, notamment aux personnes à faible revenu. Nous croyons que la façon la plus utile de tenir des statistiques à cet égard, c'est succursale par succursale. On devrait compiler des données sur chaque plainte reçue et sur la façon dont elle a été traitée ainsi que sur le nombre de poursuites entamées contre les banques et sur leur aboutissement. Ces deux types de données devraient figurer dans les rapports.

À qui ces données devraient-elles être divulguées? Elles devraient être rendues publiques. Aux États-Unis, ces rapports aux termes de la loi sur le réinvestissement communautaire doivent être disponibles dans chaque succursale. Les groupes communautaires peuvent les utiliser pour demander des comptes aux succursales locales et pour établir si celles-ci servent la collectivité locale adéquatement et équitablement et répondent aux besoins des débiteurs solvables.

Le sénateur Furey: Si je vous ai bien compris, vous voulez dire que ces statistiques devraient être rendues publiques, mais non les renseignements personnels concernant les clients? C'est bien ce que vous voulez dire, n'est-ce pas?

M. Conacher: Tout à fait. Aux États-Unis, on ne tient pas de données personnelles sur les clients. Il s'agit simplement d'observer les constantes. Si vous n'avez pas déjà jeté un coup d'oeil au système en vigueur aux États-Unis en vertu de la loi sur le réinvestissement communautaire, je vous incite fortement à le faire.

Le sénateur Furey: Je n'ai vraiment que faire ici de ce qui ne figure pas dans votre mémoire. Ce qui m'intéresse, c'est ce que vous avez vous-même écrit dans ce document. Cela prête quelque peu à confusion d'affirmer que l'information devrait être divulguée concernant les dossiers des banques en matière de services à tous leurs clients. Je voulais mesurer la portée de cette affirmation, et vous m'avez répondu. Je vous en remercie beaucoup.

Le sénateur Meighen: Pour mon instruction, monsieur Conacher, j'aimerais que vous m'éclairiez sur un point. À la section E de votre mémoire, où il est question des caisses d'épargne et de crédit, je constate que vous ne formulez aucune critique constructive en cette matière. Dois-je en déduire que vous souscrivez aux dispositions du projet de loi concernant ces institutions, comme vous le mentionnez dans votre section sur les caisses d'épargne et de crédit, et que seriez en faveur notamment de la création d'une banque coopérative nationale?

M. Conacher: C'est exact. Nous ne voyons aucun problème à ce qu'on favorise l'apparition de nouveaux concurrents. Nous doutons fort qu'on le fera, mais nous n'y voyons aucune objection. Une des choses qui nous apparaissent intéressantes à ce sujet, c'est que, s'il y a une demande de soumise pour la création d'une nouvelle banque, le dossier du demandeur fera l'objet d'un examen. Cependant, si des banques désirent fusionner, le ministre a le pouvoir de se pencher sur le dossier des parties à la transaction, soit, mais les lignes directrices qui devront être suivies pour assurer la protection du public dans le cadre de l'examen du projet de fusion en question ne prévoient pas qu'on doit alors prendre en compte le dossier du rendement récent des banques concernées.

Aux États-Unis, cela fait 20 ans qu'on prend de telles précautions, et on y a effectivement, de ce fait, rejeté des demandes. Par exemple, une demande soumise par la Harris Bank de Chicago, une filiale de la Banque de Montréal, en vue du rachat d'une banque de l'Illinois, il y a sept ans, a été rejetée en raison du fait que le dossier de cette banque montrait qu'elle avait eu un rendement insatisfaisant dans le passé récent en matière de prêts, d'investissements et de service à sa clientèle. La Harris Bank a été tenue de présenter un plan détaillé et précis de redressement de la situation. C'est là le genre de mesure qui, selon nous, devrait être prévue dans la loi canadienne.

Vous entendez n'accepter de nouveaux concurrents sur le marché qu'à condition de soumettre à un processus d'examen le dossier de leur rendement récent, mais vous permettez à des banques de procéder à toutes sortes de fusions et de prises de contrôle dans divers secteurs sans jamais vous pencher sur leur dossier récent en matière de rendement.

Le sénateur Meighen: Votre grief concernant de telles pratiques vaut également pour les caisses d'épargne et de crédit, n'est-ce pas?

M. Conacher: Oui, tout à fait. On est témoin de fusions et de prises de contrôle dans l'ensemble du secteur.

Le sénateur Meighen: Entre caisses d'épargne et de crédit?

M. Conacher: Absolument.

Le sénateur Meighen: Et vous préconisez qu'elles soient assujetties à cette même condition?

M. Conacher: Tout à fait. On a essayé de faire de même aux Étas-Unis, mais, malheureusement, les caisses d'épargne et de crédit s'y sont opposées. Les opinions étaient partagées à cet égard au sein du lobby des caisses d'épargne et de crédit, mais, pour une bonne part, les représentants de ces organisations s'y sont opposés. Nous sommes d'avis que nous ne devrions pas permettre à des institutions de prendre de l'expansion si leur dossier montrent qu'elles ont un rendement insatisfaisant en matière de prêts, d'investissements et de service à la clientèle. Il s'agit là d'une règle valable qui sert l'intérêt public. C'est ce qu'on fait aux États-Unis depuis des années, et nous devrions faire de même ici - non seulement dans le cas d'une ou deux fusions bancaires qui peuvent survenir, mais dans tous les cas de prise de contrôle, y compris dans le secteur des assurances. Nous allons assister à une vague de mainmises et, dans aucun cas, elles ne feront l'objet d'un examen permettant de vérifier si elles servent l'intérêt public.

Le sénateur Meighen: Êtes-vous convaincu qu'il soit possible d'établir objectivement, au moyen d'une évaluation, un dossier de rendement quand celui-ci est insatisfaisant?

M. Conacher: On y est parvenu aux États-Unis.

Le sénateur Meighen: C'est fantastique tout ce qu'on parvient à faire aux États-Unis. J'aimerais qu'on m'en donne d'autres exemples.

Le président: Il nous faudrait accélérer nos travaux. Nous devrons avoir terminé à 17 h 30.

Notre témoin suivant est prêt à nous faire son exposé.

M. Peter R. Downing, président, TG International Ltd.: Merci de la possibilité que vous me fournissez de m'adresser à vous. J'ai tout un bagage d'expérience de travail dans les domaines des affaires, universitaire, gouvernemental et du développement international. Depuis le milieu des années 90, j'ai cherché à concevoir, en matière de rapports sur le rendement social des entreprises - ce qui, dans les termes qu'on utilise en ce XXIe siècle, s'appelle «rapport sur la responsabilité sociale de l'entreprise» -, une approche comportant trois volets essentiels.

Un rapport à trois volets essentiels sur la responsabilité sociale de l'entreprise est un rapport annuel dans lequel une société rend compte de son rendement sur les plans économique, environne mental et social - ce qui correspond aux objectifs de base énoncés dans le projet de loi C-8 relativement à la production de rapports de reddition de comptes à la collectivité.

Comme vous le savez fort bien, aux termes du projet de loi C-8, toute institution financière qui relève de la compétence fédérale et qui dispose de capitaux propres de plus d'un milliard de dollars sera tenue de produire annuellement un rapport de reddition de comptes à la collectivité. Un tel rapport devra décrire la contribution de l'institution financière à l'économie et à la société canadienne et satisfaire à neuf exigences explicites en matière de déclaration. Les institutions financières seront tenues de rendre ces rapports disponibles au public par l'intermédiaire de leurs succursales et de leur site Internet.

Le motif de ma présence ici aujourd'hui, c'est de demander à votre comité de recommander au ministre des Finances de faire en sorte que les dispositions du projet de loi C-8 relatives à cette obligation de produire des rapports de reddition de comptes à la collectivité soient adoptées et que le règlement d'application de ces dispositions précise les exigences minimales en matière de divulgation et de transparence dans les pratiques relatives à la production des rapports en question.

Les exigences relatives à la divulgation établiraient quelle information minimale devrait être fournie dans les rapports de reddition de comptes à la collectivité. Les exigences en matière de transparence définiraient des normes concernant la clarté de cette information afin que celle-ci soit facile à comprendre pour les gens qui prendront connaissance de ces rapports.

L'analyse des résultats des recherches effectuées par TG International montre pourquoi le règlement relatif aux rapports de reddition de comptes à la collectivité doivent préciser les exigences minimales en matière de divulgation et de transparence.

Notre tableau 1, qui porte sur ce qui se fait de mieux en matière d'engagement communautaire, montre que ce qui est divulgué sur le site Web des 11 institutions financières assujetties à l'obligation de produire un rapport de reddition de comptes à la collectivité en vertu du projet de loi C-8. Or, les résultats des recherches effectuées par TG International révèlent qu'au 29 mars de cette année, on notait une grave absence d'uniformité de l'information fournie par ces 11 institutions financières sur leurs sites Web respectifs concernant leur engagement communautaire.

Dans notre tableau 2, qui porte sur le contenu des rapports de deux entreprises concernant leur engagement social, l'analyse de TG International montre qu'il y a de graves distorsions entre le rapport de la société VanCity pour 1998-1999 et celui de la Banque Royale pour l'an 2000. Notre analyse fait voir qu'une approche de laissez-faire concernant la production des rapports de reddition de comptes à la collectivité risque de compromettre sérieusement l'atteinte des objectifs que poursuit le projet de loi C-8.

J'aimerais montrer aux membres de votre comité de quoi pourrait avoir l'air un rapport transparent de reddition de comptes à la collectivité. Dans la figure 1, intitulée Ébauche préparée par TGI d'un rapport sur le rendement social de la Banque Royale, nous avons comparé les données statistiques essentielles que la Banque Royale a divulguées dans son rapport de 1999-2000 sur son engagement social. Cette analyse illustre que, sans obligation réglementaire de divulguer les données relatives aux années antérieures et sans une déclaration sommaire de transparence, les intéressés qui prendront connaissance du rapport en question ne seront pas à même d'évaluer le rendement de la Banque Royale en matière d'engagement social ni pour l'année visée ni sur une période plus longue.

Notre figure 2, intitulée «Rapport de deux sociétés sur leur rendement social», permet aux intéressés de comparer le rapport de 1998-1999 de la société VanCity sur son rendement en matière d'engagement social avec celui de la Banque Royale. Le modèle analytique de TG International Ltd montre que cette comparaison serait impossible à faire sans uniformisation des exigences en matière de divulgation et de transparence dans la production des rapports en question.

On peut donc en conclure que des rapports normalisés sur la responsabilité sociale des entreprises, comme, par exemple, les rapports de reddition de comptes à la collectivité que propose le projet de loi C-8, constitueront au XXIe siècle une pratique généralement acceptée dans le milieu des affaires.

Dans la figure 2, intitulée «Rapports de deux sociétés sur leur rendement social», nous avons fait le lien entre chaque élément du rapport à l'aide d'un indicateur de rendement établi par un organisme de Boston du nom de Global Reporting Initiative, ou GRI. Cet organisme prévoit que les rapports sur la responsabilité sociale deviendront d'ici 2010 une pratique répandue mondiale ment dans les milieux d'affaires. GRI tente d'établir une norme internationale en matière de pratiques relatives à la production de rapports sur la responsabilité sociale des entreprises. En février de l'année en cours, 35 sociétés de 11 pays avaient adhéré au modèle de GRI en matière de rapports sur la responsabilité sociale:8 sociétés des États-Unis, 6 du Japon, 7 du Royaume-Uni, 9 de six autres pays européens, 2 du Canada - VanCity et Suncor Industries -, une de Colombie, une d'Afrique du Sud et une de l'Inde.

En novembre dernier, 39 investisseurs financiers des États- Unis, responsables de la gestion d'investissements d'une valeur d'au-delà de 140 milliards de dollars, ont pressé les 500 sociétés les plus importantes des États-Unis d'adopter des critères uniformisés en matière de production de rapports sur le rendement sur les plans économique, environnemental et social. Le 2 mars de cette année, l'Institut canadien des comptables agréés, qui joue également un rôle au sein du comité de direction de GRI, s'est déclaré résolument favorable à l'adoption généralisée du modèle de GRI.

Notre annexe 2 reproduit le texte d'un courriel que TGI a reçu le 2 avril dernier d'un étudiant de quatrième année à la faculté de commerce d'une université australienne. Ce témoignage illustre que le concept de rapports en trois volets essentiels, qu'on pourrait tout aussi bien appeler rapport de reddition de comptes à la collectivité, intéresse déjà les étudiants universitaires qui formeront éventuellement les futures générations de gens d'affai res du monde entier.

Les dispositions du projet de loi C-8 relatives à l'obligation de produire des rapports de reddition de comptes à la collectivité, assorties d'une obligation réglementaire de respecter des exigen ces minimales en matière de divulgation et de transparence, constitueront des mesures législatives sages qui seront reprises probablement dans le monde entier.

Le sénateur Hervieux-Payette: Avez-vous soumis ces propo sitions au ministère? Quiconque veut faire des comparaisons doit comparer des pommes avec des pommes et des oranges avec des oranges. Il nous faut pouvoir constater ce qui se fait effectivement dans la collectivité. Nous avons également besoin de définitions claires. Même Revenu Canada a du mal à établir ce qu'on doit entendre par organisme de bienfaisance.

Vos propositions m'apparaissent logiques, mais quelle est la réaction des fonctionnaires à leur sujet?

M. Downing: En réalité, je les ai fait parvenir au ministère des Finances, et on s'est contenté de m'envoyer un accusé de réception.

J'ai approché à ce sujet quatre banques. Dans un cas, on s'est montré déplaisant envers moi parce qu'on se sentait attaqué. Dans un autre cas, on m'a dit qu'on suivrait le courant si les choses évoluaient dans ce sens. Dans les deux autres cas, je n'ai eu aucune réponse.

Cette pratique en matière de production de rapports ne s'impose pas encore, mais elle est de plus en plus répandue dans le milieu des affaires. Ce que nous recommandons d'inclure dans ces rapports de reddition de comptes à la collectivité est en voie de devenir pratique courante dans les entreprises, et, bien que les banques n'en soient pas encore conscientes, cette pratique sera une bonne chose pour elles.

Le sénateur Hervieux-Payette: Ce concept devrait-il faire l'objet d'une obligation réglementaire?

M. Downing: Oui. Les règlements devraient exiger un minimum à cet égard. Ils n'ont pas forcément à le faire de la façon que je propose, mais si on n'exige pas un minimum uniforme d'information, si on laisse ces choses à la discrétion de chacun, je crains fort que la loi n'ait pas l'effet escompté.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je tiens à vous remercier pour vos excellentes idées et propositions. À mes yeux, comme consommatrice, je les trouve sensées, et elles devraient permettre aux autres Canadiens d'être en mesure de comparer les rôles que nos banques jouent dans la collectivité.

M. Downing: C'est en plein ça.

Le sénateur Hervieux-Payette: En outre, je fais personnelle ment beaucoup de bénévolat au sein d'oeuvres de bienfaisance. Comme je me charge surtout de recueillir des fonds, cela me permettra de savoir à quelles portes frapper.

Le président: Merci, monsieur Downing.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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