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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 8 - Témoignages pour la séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 29 octobre 2001

Le Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 13 h 30 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogue canadiennes.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Je déclare réouvertes les délibérations publiques du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites.

Dans un premier temps, nous entendrons cet après-midi, M. Guy Ati Dion. M. Dion s'intéresse à la problématique des drogues et de la toxicomanie depuis une quinzaine d'années. Après avoir été formé comme psychothérapeute spécialisé en toxicomanie et avoir oeuvré dans une communauté thérapeutique hollandaise au cours des années 80, il revient au Québec au début des années 90 ayant obtenu un baccalauréat en psychologie de la Humaniversity, une université internationale située en Hollande.

De retour au Québec, il a entamé des études universitaires en criminologie et en toxicomanie. Il a complété un baccalauréat multidisciplinaire en sciences humaines en 1994, une maîtrise en criminologie en 1996 et il termine actuellement un doctorat en criminologie à l'Université de Montréal sur les politiques canadiennes en matière de drogues. Il poursuit également des études de maîtrise en psychologie à la Humaniversity en Hollande. Il a publié diverses études sur les pratiques policières et judiciaires en matière de drogues pour le compte du Comité permanent de la lutte à la toxicomanie du Québec en 1997, 1999 et 2001, de même que pour la revue Psychotropes au printemps 2001. Il est également directeur et conseiller clinique d'un centre de formation en psychothérapie établi au Québec, la Humaniversi ty Québec, depuis 1999.

Monsieur Dion, les règles sont simples. Vous avez une période allouée à votre présentation qui sera suivie d'une période de questions. On a prévu une heure et demie pour votre témoignage, cependant, certains de mes collègues doivent quitter à 15 h 30. On va vous laisser faire votre présentation et commencer les questions, et si le deuxième témoin, M. Oscapella, arrive suffisamment tôt, on va lui permettre de faire sa présentation, et ensuite, on vous posera des questions. Même si les sujets sont différents, il y a tout de même un recoupement au niveau des intérêts.

M. Guy Ati Dion, docteur en criminologie, Université de Montréal: Merci de m'avoir invité, c'est un honneur pour moi d'être ici.

J'ai entamé des études de doctorat sur les pratiques policières en matière de drogues au Canada il y a quelques années. Une loi existe en matière de stupéfiants - auparavant il y en avait deux - et il me semblait qu'il devait exister une différence entre l'application de cette loi et l'esprit de la loi. C'est ce qui m'a inspiré à faire cette étude. En 1999, le rapport final de la commission Le Dain célébrait ses 25 ans. Je me suis posé la question à savoir ce qui s'était passé depuis 1974 en matière de répression des drogues au Canada.

Ma présentation comporte cinq points. Elle ne suivra pas mot pour mot ce qui est sur papier, mais elle reprend l'essentiel de mon mémoire. Au point 1, je vous parlerai des divers indicateurs du phénomène des drogues au sein de la société. Sur quoi se base-t-on pour dire que la drogue est un fléau? Au point 2, je dresserai un bref portrait de la répression des drogues au Canada de 1974 à 1999. J'expliquerai certains détails concernant 1974 parce qu'il y a eu des changements sur le plan des statistiques. Au point 3, j'aimerais vous parler de l'application différentielle de cette loi entre trois provinces au Canada. C'est sommaire mais cela donne un point de départ dans l'analyse. Au point 4, j'ai fait un exercice de comparaison des gens accusés de possession de cannabis contre ceux qui ont déclaré consommer du cannabis, pour voir dans quelle mesure la loi est appliquée. Ma conclusion sera une piste de réflexion parce que mon hypothèse est encore en progrès. Je ne m'avance pas avec des certitudes, même quand elle sera finie. J'imagine qu'en matière de drogues, on n'a jamais de certitudes.

Parlons d'abord des indicateurs du phénomène des drogues au sein de la société canadienne. On entend souvent que les drogues constituent un fléau. Entre vous et moi, on a différents repères qui sont souvent imprécis pour qualifier de fléau le phénomène des drogues. Certaines des sources sur lesquelles on se base sont souvent retransmises par les médias. Ces derniers ont un intérêt à vendre des journaux. Ils relayent donc ces informations avec une certaine dose de sensationnalisme.

Parmi les indicateurs sur la prévalence de la consommation, on a les enquêtes nationales. Au Canada, c'est relativement peu répandu. Il y a plusieurs enquêtes provinciales, mais souvent, la méthodologie diffère. Pour les comparer, il faut user de beaucoup de réserve. La plus récente enquête au Canada date de 1994. C'est celle-là qu'on va utiliser, entre autres pour apprendre que 7,4 p. 100 des Canadiens âgés de 15 ans et plus ont avoué avoir consommé du cannabis au cours de l'année précédente. Si on se base là-dessus pour dire que la drogue est un fléau, c'est plutôt faible. Mais on y reviendra au point 4.

Parlons maintenant du nombre d'infractions aux lois sur les drogues enregistrées par la police. C'est souvent un des indicateurs les plus lourds dans la balance quand on dit que les drogues sont un fléau. Au point suivant, on verra qu'il faut prendre ces données avec certaines réserves.

Parmi les divers autres indicateurs, il y a les saisies. Le nombre de saisies et les quantités de drogues saisies varient d'année en année, mais ce sont souvent des estimations. On a vu que les policiers font leur possible, mais on ne peut déterminer avec précision les quantités saisies ou du nombre de saisies effectuées.

Les admissions dans les centres de traitement constituent un autre indicateur. Plus il y a de gens qui vont se faire traiter pour la toxicomanie, plus on peut se rendre compte qu'il y a un problème de drogues au sein de la société. J'ai indiqué toxicomanie et méthadone parce qu'il y a aussi des programmes de traitement à la méthadone. Plus il y a de gens qui suivent ces traitements, plus on peut penser que le phénomène des drogues varie. Les morts par surdose et les hospitalisations sont d'autres indicateurs qui sont relativement peu précis parce que les données sont peu raffinées. Plus il y a de programmes de distribution du matériel d'injection pour les usagers de drogues intraveineuses, plus on peut penser que la consommation est répandue.

Quant à la visibilité des consommateurs, par exemple, je ne sais pas si c'est encore le cas, mais dans les années 70, c'était courant de voir des gens offrir des substances sans trop d'interceptions par les policiers sur la rue Saint-Denis à Montréal. On peut donc penser qu'il y a beaucoup de drogue qui circule. De plus, on entend beaucoup parler du contrôle de la drogue par les membres des Hells Angels, des Rock Machine et d'autres groupes de crime organisé. Plus on en entend parler, plus on croit que le problème est grand.

Le phénomène des drogues est tributaire du rapport de ces éléments. C'est pour cela que selon moi, le rôle des médias est crucial dans la transmission de toutes ces données. Ce sont eux qui nous alimentent autant sur plan des activités policières que des problèmes de consommation et du rôle du crime organisé.

J'ai choisi de me concentrer sur les activités policières parce qu'elles sont souvent les mieux documentées. Quand on parle d'arrestations relativement à la Loi sur les drogues, ce ne sont pas des estimations, même si on doit user de beaucoup de réserve. On a quand même des chiffres précis.

Et enfin, depuis le dépôt du rapport de la commission Le Dain il y a 25 ans, qu'est-il arrivé au Canada? La commission Le Dain - qui est un peu votre ancêtre - recommandait plusieurs mesures d'assouplissement, mais on verra ce qui est arrivé dans les faits.

Quant à la validité et la représentativité des statistiques criminelles, mon postulat de base est assez simple. Les statistiques policières sont construites. Elles ne sont pas un reflet du phénomène des drogues dans la société. Elles nous renseignent davantage sur les activités des corps policiers que sur la réalité du phénomène des drogues dans la société.

Il y a différents indicateurs, mais on va souvent se baser sur le nombre d'infractions rapportées pour dire qu'il y a une augmentation des activités reliées aux drogues. Je me suis questionné sur la pertinence de cet indicateur pour indiquer l'ampleur du phénomène des drogues au sein de la société.

Philippe Robert a apporté une notion de reportage en rapport avec les infractions criminelles en particulier et en ce qui me concerne, je l'ai appliquée aux lois sur les drogues. Ces trois éléments concernent la visibilité, le renvoi et la sélection. Je passe rapidement sur ces éléments pour vous donner une image de la construction des statistiques criminelles et plus précisément en matière de drogue.

Pour qu'une infraction soit rapportée, elle doit être visible et en matière de drogue il y a quatre familles d'infraction: la posession, le trafic, les importations et exportations qui sont classées sous le même article, et la culture ou la fabrication des drogues de synthèse.

On peut facilement penser que la possession est peu visible. Sauf pour les jeunes qui consomment dans des parcs, le trafic, s'il est fait sur la rue, a une visibilité accrue et l'enregistrement des infractions va varier. On peut facilement concevoir que l'importa tion et la culture se font le plus possible en cachette, et souvent ce type d'infraction résulte d'une enquête ou d'actions proactives de la part des policiers. La visibilité dépend des caractéristiques des individus et de l'endroit où les infractions se produisent.

Au Canada, la consommation n'est pas une infraction comme telle. En France il y a le délit d'usage et ici au Canada, il y a strictement l'infraction de possession. Si cela se produit dans une maison privée - sans que la musique soit trop forte pour alerter les voisins qui feraient venir la police - cela a relativement peu de chances d'être déclaré aux policiers et d'être enregistré comme infraction. La visibilité est donc faible.

Quant au deuxième élément, l'élément de renvoi, les infrac tions sur les drogues ont une faible probabilité de renvoi à cause de leur nature de crime consensuel ou crime sans victime. Lorsque quelqu'un achète de la drogue, tout se passe entre un vendeur et un acheteur, et aucun des deux n'a intérêt à alerter tout le monde. Du côté des crimes de prostitution, c'est un peu la même chose, ce sont des crimes dits sans victime.

Cela ne veut pas dire qu'indirectement il n'y a pas quelqu'un qui souffre en quelque part, mais directement, comme dans le cas d'un vol ou d'un meurtre, personne ne subit directement l'effet de l'infraction.

Certaines autres infractions, comme le trafic qui se fait à l'aide de téléavertisseurs, sont de plus en plus difficiles à détecter. La visibilité est faible, le renvoi sera faible et donc, il y aura peu de chances d'enregistrer l'infraction.

En ce qui a trait à la sélection, le troisième élément, il y a l'anticipation par la police de la réaction des niveaux supérieurs. Si un policier arrête quelqu'un, il ne va pas automatiquement inscrire cette infraction dans un rapport de police. La loi stipule que les policiers sont censés déclarer toute infraction, mais dans certains cas, la substance est saisie et on dit à la personne qu'elle peut s'en aller, mais on l'avertit que la prochaine fois des mesures seront prises. Cette sélection dépend de la qualité de la preuve.

Pour les infractions de possession et de trafic, c'est relative ment facile parce que d'habitude on intercepte quelqu'un en possession d'une substance, et si on peut au moins prouver le trafic, on peut prouver la possession assez facilement. L'identité de l'individu fautif peut également varier. La gravité de l'infraction peut aussi influencer la décision du policier d'inscrire une infraction ou non. En fait, l'importation de tonnes de cocaïne a un tout autre poids que l'interception d'une petite quantité de cannabis.

Concernant la nature des ressources disponibles, au cours des années 90, il y a eu des compressions budgétaires. On attribue entre autres une baisse de la criminalité générale à la baisse des effectifs policiers. Certaines théories prétendent qu'il y aurait eu baisse de la criminalité parce qu'il y aurait eu moins de policiers ou de personnel judiciaire pour procéder aux arrestations. Les policiers hésitent à remplir une fiche quand ils savent qu'il n'y aura pas de suite à l'infraction.

Ce sont ces trois éléments qui éclairent l'enregistrement des statistiques criminelles. Il est vrai qu'on peut faire dire n'importe quoi aux statistiques, mais en même temps, en ayant ces éléments en tête, on peut comprendre que l'enregistrement des infractions, entre autres les infractions aux lois sur les drogues, varie selon certains éléments.

Je vais maintenant vous présenter quelques tableaux de données en matière d'infraction sur les drogues. Ces données sont tirées du Centre canadien de la statistique juridique, rattaché à Statistique Canada - par le Programme de déclaration uniforme de la criminalité qui regroupe tous les corps policiers au pays. Ces policiers fournissent aux CCSJ une liste de toutes les infractions et c'est entre autres par ce programme que j'ai eu accès aux données pour la possession, le trafic, l'importation-exportation, et la culture ou la fabrication de la drogue. Ce sont des données de type secondaire. Ce n'est pas moi qui les ai recueillies mais je les compare et je les analyse.

J'ouvre une parenthèse en disant que je me suis dépêché à vous faire parvenir un document. Il n'est pas parfait mais je voulais que vous ayez au moins un document papier devant vous. J'ai remplacé un tableau parce qu'il y avait une erreur de compilation. Avant de regarder les drogues, il faut regarder l'enregistrement de la criminalité en général parce que si la criminalité en général diminue, il est normal que les infractions sur les drogues suivent cette tendance.

Au Canada depuis 1974, il y a eu hausse du nombre d'infractions rapportées. En 1991, on atteint un sommet et depuis 1991, il y a une baisse de la criminalité enregistrée. On note cela au Canada et dans la plupart des pays industrialisés.

Différentes théories peuvent expliquer cette baisse, mais ce sont surtout les vols avec effraction qui ont diminué et on verra que les infractions liées aux drogues ont connu une histoire différente. Il faut se souvenir que la criminalité générale a diminué au cours des années 90.

Je m'excuse de ne pas avoir eu le temps de mettre les données à jour pour l'année 2000 parce que les données sont disponibles pour la criminalité en général, mais en séparant chaque infraction liée à la drogue, c'était plus long d'avoir les données du Centre canadien de la statistique juridique. Je m'engage toutefois à fournir ces données lorsqu'elles seront disponibles.

Passons maintenant au nombre d'affaires liées à la drogue qui inclut toutes les substances et toutes les infractions. Je ne les ai pas séparées par classes. On remarque qu'annuellement les infractions sur les drogues varient. De 1981 à 1983, on note une importante baisse qui serait liée à l'entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés qui a restreint les pouvoirs de fouille et de perquisition des policiers.

On voit que le nombre annuel d'infractions liées aux drogues est en augmentation depuis 1990. En 2000, comparativement à 1999, il y a eu une hausse de 9 p. 100. On en arrive à quelque 88 000 infractions rapportées annuellement par les policiers. Il existe quand même une hausse des activités policières en matière de drogue.

Le prochain tableau illustre les infractions liées à la drogue par rapport au total des infractions au Code criminel. On se souvient qu'au cours des années 90, le taux de criminalité en général a baissé et le nombre d'infractions liées à la drogue a augmenté. En 1974, les infractions liées à la drogue représentaient 4 p. 100 du total des infractions au Code criminel. Il y a eu une baisse assez importante et on reconnaît encore, de 1981 à 1983, l'entrée en vigueur de la Charte. Il y a stabilisation dans les années 80, diminution à la fin des années 80 et une forte hausse est enregistrée depuis le début des années 90. Si on extrapolait cela pour 2000, la hausse se poursuivrait.

En 1974 les infractions liées à la drogue représentaient 4 p. 100 du total, en 1991 elles représentaient 2 p. 100, et probablement qu'en 2000, elles représenteraient au-delà de 3,5 p. 100 du total d'infractions. D'un côté, on voit une baisse de la criminalité générale, et d'un autre côté, on constate une hausse du pourcentage d'infractions liées à la drogue par rapport au total d'infractions. On peut voir qu'il y a un mouvement inverse.

Ce n'est pas parce qu'une infraction aux lois sur les drogues est enregistrée par les policiers qu'il y aura une mise en accusation. Les tribunaux ont un pouvoir limité de traitement. Ce n'est pas parce que les policiers du Canada disent qu'ils enregistrent toutes les infractions de possession de cannabis et toutes les infractions aux lois sur les drogues qu'elles sont automatiquement traitées et qu'elles résultent en des mises en accusation.

Ce tableau indique des données de 1974 à 1991. En 1991, quelque chose s'est produit et on peut voir sur tous les tableaux que c'était un point tournant. Environ 75 p. 100 de toutes les infractions rapportées se traduisaient par des mises en accusation. Peut-être chercherez-vous à en savoir davantage durant la période des questions. Il y a différentes raisons qui indiquent pourquoi une infraction est poursuivie ou non.

On note que depuis 1991, le pourcentage d'infractions qui se traduit par des mises en accusation est à la baisse et, à partir de 1997, moins de 75 p. 100 des infractions rapportées se traduisent par des mises en accusation.

Il faut que se souvenir que le taux de mises en accusation a surtout diminué au cours des années 1990. Et si on se souvient que le nombre d'infractions rapportées a augmenté au cours des années 1990, on en arrive à un nombre relativement constant d'affaires liées aux drogues qui sont traitées par les tribunaux.

Au prochain tableau, j'ai pris le total de toutes les infractions liées aux drogues et je les ai triées par types de substances. Parce que quand on parle de drogue, on met dans le même ensemble un tas de substances très différentes. Votre comité a comme mandat spécial d'analyser les affaires liées au cannabis; c'est donc important pour moi de les distinguer. Ce qu'on peut voir, c'est qu'une forte proportion des affaires liées à la drogue sont encore des affaires liées au cannabis.

J'ouvre une parenthèse pour mentionner que les tableaux précédents couvraient la période de 1974 à 1999. À partir de maintenant, il couvrent seulement la période de 1977 à 1999, parce qu'avant cette période, les infractions étaient compilées différemment. Ce n'était pas toujours possible d'extraire le type d'infractions liées au cannabis, à la cocaïne et aux autres substances. Ce n'était pas possible d'analyser le infractions, et c'est pour cela qu'à partir de maintenant, nous traiterons exclusivement des années 1977 à 1999.

Pour revenir au cannabis, on constate que de 90 p. 100 dans les années 70, cela a baissé à 60 p. 100 au début des années 90. On note une certaine stabilité par la suite, c'est-à-dire que 70 p. 100 à 72 p. 100 de toutes les infractions sont des infractions reliées au cannabis.

On voit que la deuxième substance la plus comptabilisée, indiquée par la ligne bleue, sont les affaires liées à la cocaïne. Il y a eu une forte croissance au cours des années 80 et, depuis les années 90, il y a une baisse de ces affaires face au total de toutes les infractions liées à la drogue. Elles sont quand même considérables. La catégorie « autres drogues » est un espèce de fourre-tout au niveau des statistiques parce qu'on y inclut toutes les substances autre que l'héroïne, la cocaïne et le cannabis. Cela regroupe donc plusieurs substances.

Il y a beaucoup de recherche à faire à l'intérieur de cette catégorie car on a vu ce matin que l'Ecstasy ou certaines substances chimiques connaissent un niveau d'usage plus impor tant et qu'elles occasionnent un plus grand nombre de saisies et d'arrestations. On peut donc penser que cet ensemble appelé «autres drogues» renferme des surprises ou à tous le moins serait source de découvertes si on se mettait à fouiller. C'est un des prochains volets de ma thèse. Cela représente autour de 10 p. 100 de toutes les substances enregistrées au niveau des infractions.

L'héroïne, qui est notre petit point noir au bas du tableau, cela représente 2 p. 100 de toutes les infractions de drogues. Les données sur l'héroïne, en 2000, qui ne sont pas incluses dans mes tableaux, indiquent que c'est la seule famille de substances où il y a eu une baisse.

Une hypothèse voudrait que, depuis l'avènement du program me de réduction des méfaits, on veuille rejoindre les usagers de drogue par voie intraveineuse. J'ai l'impression que les policiers ont sûrement une attitude différente vis-à-vis ces usagers, mais ce serait à confirmer.

Au prochain tableau, j'ai repris mon total des infractions aux lois sur les drogues, mais je l'ai trié cette fois par types d'infractions. On constate, encore une fois, que la possession est la principale infraction parmi les infractions aux lois sur les drogues.

À la fin des années 70, on en était autour de 80 p. 100. Il y a eu une baisse au cours des années 80, où on en était à environ 58 p. 100. Ce sont les infractions de trafic qui semblaient être la cible davantage privilégiée des policiers. On peut penser qu'il n'y avait pas nécessairement plus de trafic et moins de possession. On peut penser, dans la relation inverse entre les deux, que les policiers, au cours des années 80, avaient davantage comme objectif de cibler les trafiquants ou les gens qui vendaient la drogue plutôt que les gens qui en possédaient.

Par la suite, après 1991, on remarque qu'il y a une hausse et une stabilité au niveau de la possession. Cela représente toujours autour de 60 p. 100 du total des infractions. Le trafic a baissé à 25 p. 100 du total.

Je vous invite à regarder les petits points noirs qui sont les infractions de culture. Depuis le temps que vous entendez des spécialistes en matière de drogue, vous savez que la culture du cannabis au Canada, depuis les années 90, est une industrie florissante. Le Québec Gold et les produits de la Colombie- Britannique sont passablement en vogue.

C'est une industrie en pleine expansion. Cela se traduit par une hausse du nombre d'infractions rapportées liées à la culture. Quelle en serait la proportion du marché global? Il serait intéressant de le voir. On note que dans toutes les régions, de plus en plus de magasins se spécialisent dans la vente de matériel hydroponique. Ce n'est pas nécessairement pour faire pousser des tomates. Si Saint-Jovite compte deux de ces magasins, et que les adeptes de culture hydroponique de légumes et fines herbes se font relativement rare dans cette région, cela peut probablement indiquer quelque chose. C'est un autre indicateur, entre autres, en matière de cannabis. On note donc une augmentation assez importante des infractions liées à la culture au cours des années 90.

J'ai un tableau sur les infractions liées à la possession du cannabis. On peut penser que le taux de possession relativement faible du cannabis n'est pas si grave que cela. Le nombre d'infractions liées à la possession due cannabis par rapport au total de toutes les infractions liées à la drogue représentaient environ 75 p. 100 du total dans les années 70 et cette proportion a baissé jusqu'à 38 p. 100 en 1991.

Depuis 1991, encore une fois, on note une hausse et, autour de 1995, cela se stabilise à 50 p. 100. Donc, si je peux résumer ce tableau en une phrase, la moitié des infractions liées à la drogue sont des infractions reliées à la possession du cannabis. C'est relativement considérable à mes yeux.

J'ai voulu tracer le portrait de la répression en matière de drogues au Canada. Ensuite, j'ai cherché à voir si la loi fédérale était appliquée de façon similaire d'une province à l'autre au Canada.

Pour ce faire, je me suis procuré les données relatives à chaque province. Les législations sur les drogues sont de responsabilité fédérale. L'application de la loi relève des provinces, des ministères de la Justice et de la Sécurité publique de chaque province. Ils sont chargés d'appliquer la loi fédérale.

J'ai converti les nombres absolus, parce que ces nombres témoignent de l'ampleur d'un phénomène. Lorsqu'on veut comparer des populations différentes, cela devient un peu désuet parce qu'il est certain que l'Ontario, qui possède une population plus importante que les autres provinces, va certainement compter un nombre supérieur d'infractions.

J'ai pris, toujours à l'aide des statistiques du Centre canadien de la statistique juridique, les taux par 100 000 habitants. Cela nous permet de comparer les infractions au sein de populations différentes et aussi de tenir compte de la croissance de la population, parce que la population canadienne croît d'année en année. Il est donc normal que le nombre d'infractions rapportées ait tendance à croître aussi, mais on ne sait pas toujours dans quelle mesure ceci se produit. Le taux par 100 000 habitants nous permet de le calculer.

Pour les fins de comparaison, j'ai indiqué les chiffres annuels en une seule moyenne pour la période. J'étudie une période de 22 ans. Cela devient difficile de comparer trois provinces sur une période de 22 ans. J'ai fait des moyennes annuelles pour les 22 années pour tenter de déterminer s'il y avait des différences au niveau de l'application de la loi. Ma question demeure: l'application de la loi est-elle uniforme au pays?

On voit le taux par 100 000 habitants d'infractions aux lois sur les drogues. Au milieu, la ligne bleue plus épaisse représente la moyenne canadienne. Précédemment, je vous ai présenté le nombre d'infractions annuel, qui varie entre 50 000 et 80 000. On a maintenant ce même indicateur sous un taux d'infractions par 100 000 habitants. On constate qu'en tenant compte de la croissance de la population, le taux d'infractions liées aux substances et de toutes les infractions rassemblées est de 300 infractions à la fin des années 70. Le taux a baissé jusqu'à 200 infractions et remonte à 260 infractions par 100 000 habitants. À la fin des années 1990, il y a une hausse. J'ai indiqué ce même taux pour les trois provinces. On peut donc voir que le Québec, représenté par le petit carré rose, est en hausse. Le Québec était largement inférieur à la moyenne canadienne au cours des années 1970 et au cours des années 1980, mais ce taux a rejoint les taux des autres provinces et a même dépassé celui de l'Ontario. Proportionnellement, on rapporte maintenant plus d'infractions liées à la drogue au Québec qu'en Ontario. Avant, ce qui n'était pas le cas, le taux ontarien était presque trois fois supérieur au taux québécois. Le taux ontarien représente assez bien la tendance canadienne, parce que l'Ontario représente 37 p. 100 de la population canadienne. Le taux canadien et le taux ontarien ont tendance à être relativement semblables. Le taux québécois représente environ 25 p. 100 de la population canadienne. On voit en Colombie-Britannique un taux de 400 et plus d'infractions aux lois sur les drogues. C'est donc largement plus considérable que dans les autres provinces. C'est ce qui fait que la moyenne canadienne se situe au milieu. La Colombie-Britannique représen te environ 13 p. 100 de la population canadienne et ce pourcentage fait monter la moyenne canadienne.

Il y a des pratiques policières qui sont différentes en Colombie-Britannique, mais on y trouve peut-être une plus grande présence du cannabis. On ne peut pas strictement se fier au nombre d'infractions rapportées pour estimer le phénomène de la drogue au sein d'une province.

J'ai essayé simplifier les choses en faisant une moyenne des taux annuels. La colonne de gauche représente le taux moyen de toutes les drogues illicites au Canada. Précédemment, on a vu au tableau deux que la moyenne canadienne, représenté par la ligne bleue, est entre 200 et 300 infractions. Le taux moyen des infractions liées à toutes les drogues est de 235 infractions par 100 000 habitants. On voit que la majorité de ces infractions sont liées au cannabis, soit 177,8. Suivent la cocaïne, l'héroïne et les autres drogues. Ce sont des taux moyens. J'ai indiqué en rouge et en bleu les taux qui se démarquent de cette tendance canadienne.

Au Québec, on rapporte un taux en moyenne. On peut voir au tableau précédent que le Québec rejoint le taux du Canada. Sur la période de 22 ans, on notait proportionnellement deux fois moins d'infractions liées au cannabis au Québec qu'au Canada. On concentrait davantage la répression vers la cocaïne, et le taux global est de 144,9. Si on regarde toutes les substances, on a un taux largement inférieur au taux canadien. On voit qu'avec les années, le Québec se rapproche de plus en plus de la moyenne canadienne.

L'Ontario se rapproche passablement de la moyenne canadien ne. Toutefois, en Colombie-Britannique on peut voir qu'il existe des taux supérieurs à la moyenne canadienne, soit le double pour le total de toutes drogues, 429 infractions contre 234. On peut voir qu'encore une fois, c'est la proportion d'infractions liées au cannabis qui domine. La cocaïne y est aussi plus importante que dans le reste du Canada, et l'héroïne représente 15,8 p. 100 de la moyenne canadienne. Donc, contre 3,8 p. 100 au Canada, on a 15,8 p. 100 d'infractions en Colombie-Britannique. On peut voir qu'il y a une plus importante présence de l'héroïne, et cela se confirme dans les faits, surtout à Vancouver.

Au prochain tableau, j'ai repris le taux annuel et l'ai ramené à une moyenne et trié par type de substance. On peut voir qu'au Canada, le cannabis représente les trois quarts environ, soit 73,5 p. 100 de toutes les infractions liées à la drogue, la cocaïne représente 13,1 p. 100, les autres drogues 6,5 p. 100, et l'héroïne, 1,7 p. 100.

Si on regarde cette proportion en fonction de chaque substance au Québec, on se rend compte que le Québec démontre une présence moindre dans les infractions rapportées liées au cannabis. Six infractions sur 10 étaient liées au cannabis comparativement à 73,5 p. 100 au Canada. On peut aussi voir qu'au Québec, 23,4 p. 100 des infractions étaient liées à la cocaïne, ce qui est de beaucoup supérieur à la moyenne canadienne. C'est presque le double en ce qui a trait aux autres drogues aussi. Cela serait dû au fait qu'au Québec, le taux de production et de consommation du PCP est supérieur au reste du Canada, surtout dans la région de la ville de Québec, et c'est contrôlé en bonne partie par le crime organisé. Il y a de la documentation qui précise cela. Au niveau de l'héroïne, c'est sensiblement similaire. L'Ontario se rapproche passablement à la tendance canadienne. Pour ce qui est de la Colombie-Britannique, il est important de voir qu'il y a des variations où les autres drogues sont relativement peu importantes, soit 3,6 p. 100 du total, mais l'héroïne représente 3,7 p. 100 du total des infractions liées à la drogue, comparativement à 1,7 p. 100 au Canada dans son ensemble. On peut voir que la présence de l'héroïne se confirme ici également.

Au tableau trois, on reprend les mêmes données. Encore une fois, le taux annuel et la moyenne s'étendent sur 22 ans, mais en fonction de chaque type d'infraction. Au Canada, presque sept infractions sur dix sont liées à la possession de la drogue. Un quart des infractions, soit 26,3 p. 100, sont liées au trafic. L'importation et la culture sont relativement peu importantes. Au niveau de la culture, on voit qu'il y a eu une augmentation à partir des années 90, cela représente maintenant 12 p. 100. C'est ce que la moyenne sur 22 ans ne nous permet pas de voir. Enfin, on peut voir que la culture était relativement peu importante comparative ment à ce qu'elle est aujourd'hui.

Au bas du document, à titre informatif, j'ai mis une colonne et une ligne pour indiquer le taux de possession de cannabis sur le total des infractions. En moyenne, 56 p. 100 des infractions liées à la drogue au Canada étaient des infractions liées à la possession du cannabis.

Au Québec, on voit que l'importance de la possession est moins grande qu'ailleurs au Canada. On concentre donc davantage la répression vers le trafic, dans une proportion de 37,1 p. 100, comparativement à 26,3 pour le Canada. Il y a deux fois plus d'importation. Si on regarde le total de toutes les infractions, il y a proportionnellement plus de trafic et d'importa tion au Québec qu'ailleurs au Canada. En ce qui concerne uniquement la possession du cannabis, le taux est de 37,2 p. 100 du total de toutes les infractions en moyenne sur les 22 ans, comparativement au taux de 56 p. 100 au Canada. Proportionnel lement, c'est moins important.

Finalement, en Colombie-Britannique, on se rend compte que le trafic et l'importation sont moins importants en moyenne. La culture y est un peu plus importante, et ces chiffres s'éloignent moins de la tendance canadienne.

Je vous explique maintenant, colonne par colonne, un tableau maison que j'ai concocté. J'ai tenté de déterminer le nombre de personnes accusées de possession de cannabis contre celui des gens qui disent avoir consommé du cannabis, afin de mesurer l'efficacité de la Loi sur les drogues. Avec des données officielles, j'ai calculé la population des 15 ans et plus pour le Canada, le Québec, l'Ontario et la Colombie-Britannique. Les nombres figurent à la première colonne.

J'ai ensuite utilisé les données de l'enquête pancanadienne de 1994 sur la santé, où on découvre qu'au Canada 7,4 p. 100 des Canadiens âgés de 15 ans et plus ont avoué avoir consommé du cannabis au moins une fois dans l'année.

Ce sondage fait ressortir le même pourcentage pour les provinces, et on se rend compte qu'au Québec, le pourcentage s'élève à 8,6 p. 100, en Colombie-Britannique à 11,6 p. 100, et en Ontario à 5,1 p. 100.

J'ai appliqué ce pourcentage à la population des 15 ans et plus et c'est ce qu'on retrouve à la colonne du milieu. Les individus qui ont avoué avoir consommé du cannabis au moins une fois au cours de l'année précédente représentent 7,4 p. 100 des 22 millions de Canadiens. C'est le nombre potentiel de consomma teurs de cannabis. Et lorsqu'on dit une fois au moins dans l'année, cela n'en fait pas des consommateurs réguliers, et c'est une des limites de l'enquête.

Lorsqu'on demande à quelqu'un par téléphone s'ils ont consommé du cannabis au moins une fois dans l'année précédente, je ne suis pas sûr si la personne va dire oui, même si c'est vrai. Dans les faits, on peut voir que 7,4 p. 100 est tout de même une proportion assez élevée. C'est peut-être un peu plus élevé, mais on va se fier à ces données. À la quatrième colonne, on voit des données qui viennent du Centre canadien de la statistique juridique, et qui font état du nombre de personnes de 15 ans et plus accusées de possession de cannabis.

À la dernière colonne, on voit le pourcentage des personnes qui ont été accusées, non pas sur le total des personnes qui ont avoué avoir consommé, parce que l'échantillon nous indiquait 7,4 p. 100. Si on se fie à la validité de l'enquête, on peut transposer cela et on aurait quand même au Canada une personne sur 100 qui a avoué avoir consommé du cannabis et qui aurait été accusée de possession de cannabis. On ne parle pas d'arrestation, mais bien d'accusation.

Dans les faits, on peut penser que si une personne consomme une fois par jour elle commet, dans les faits, une infraction de possession à tous les jours. Le pourcentage de 7,4 p. 100 concerne ceux qui auraient consommé au moins une fois dans l'année, mais dans les faits, l'acte de possession de cannabis serait plus élevé que le nombre de 1 687 000, au Canada, parce que l'infraction aurait été commise plusieurs fois.

Cette moyenne de 1 p. 100 au Canada est semblable à celle de la Colombie-Britannique. On remarque qu'au Québec, cette proportion est de moitié moindre qu'au Canada dans son ensemble, mais qu'elle serait en Ontario 150 p. 100 plus élevée ou 1,5 p. 100 comparativement à 1 p. 100.

Je vous lis maintenant à une citation de la commission Le Dain en 1974:

Les inconvénients de l'application de la loi contre le délit de simple possession l'emporte sur les avantages. En raison des difficultés invoquées, cette loi est nécessairement appliquée un peu au hasard et frappe bien inégalement les usagers, suscitant un sentiment d'injustice bien compréhensi ble. La société ne peut s'offrir le personnel ni les méthodes pour appliquer résolument la loi contre le délit de simple possession.

Si c'était vrai dans les années 70, il y a de fortes chances que ce soit encore vrai aujourd'hui, sinon plus vrai encore. Je vous réfère au tableau précédent, aux pourcentages de la colonne de droite. Quand une loi s'applique à 1,5 p. 100 de la population, on peut douter de son effet de dissuasion.

Ceux qui consomment le cannabis aujourd'hui sont relative ment peu impressionnés par la rigueur de la loi. Ils s'interrogent à savoir s'ils devraient se priver de consommer le cannabis parce qu'ils vont être accusés de possession. Aujourd'hui, bon nombre de Canadiens peuvent fumer du cannabis sans nécessairement connaître de mesures judiciaires.

Je vous ai résumé en deux diapositives les tableaux précédents. D'abord, il s'agit d'une baisse de la criminalité enregistrée au Canada au cours des années 1990, après avoir connu une hausse au cours des années 1970 et 1980. On l'a vu, la criminalité enregistrée est en baisse.

Deuxièmement, à l'inverse, les infractions de drogue enregis trées par les corps policiers canadiens ont diminué au cours des années 1980, pour augmenter de nouveau au cours des années 1990, autant en nombre absolu qu'en taux par 100 000. Ainsi, le pourcentage des infractions liées à la drogue, qui comptait pour 4 p. 100 du total des infractions au Code criminel en 1977, a baissé jusqu'à 2 p. 100 de ce total en 1991, pour remonter à 3,4 p. 100.

Troisièmement, on peut noter que si le nombre des infractions aux lois sur les drogues a augmenté au cours des années 1990 - ce qu'on a vu - pour atteindre au-delà de 80 000 infractions rapportées, le taux de mises en accusation des infractions rapportées ne cesse de baisser sur une base annuelle depuis 1991, pour se situer à 57 p. 100 en 1999, comparativement à 81,3 p. 100 en 1977.

Quatrièmement, sur le total des infractions liées à la drogue enregistrées par les corps de police au pays, de 1977 à 1999, 73,5 p. 100 des infractions, en moyenne, concernent le cannabis, 13 p. 100 la cocaïne, 7 p. 100 les autres drogues dont il faudrait préciser la nature, et 2 p. 100 l'héroïne. Le reste est composé de drogues dont l'usage est restreint et de drogues contrôlées. Là aussi, jusqu'en 1997, il y avait deux lois qui se rapportaient à l'usage de la drogue, et maintenant, depuis 1997, il n'y en a qu'une. Au niveau de l'enregistrement des infractions, il n'y a pas eu de changement. Les autres drogues regroupent toutes les autres substances autres que l'héroïne, la cocaïne et le cannabis.

Le cinquième point fait état du total des infractions liées à la drogue enregistrées par les corps policiers. En moyenne, environ 70 p. 100 concernent la possession. C'est donc dire que cinq infractions sur dix sont des infractions liées à la possession; 26 p. 100 sont liées au trafic, 1,6 p. 100 à l'importation et 3,7 p. 100 à la culture.

Il faut noter que cette dernière infraction a connu une hausse considérable au cours des années 1990, pour constituer plus de 12 p. 100 du total en 1999. Ceci représente une hausse des infractions rapportées liées à la culture.

Le sixième point démontre que le nombre d'infractions liées à la possession du cannabis seulement, qui représentaient plus de 77 p. 100 du total en 1977, a diminué proportionnellement pour représenter 38 p. 100 des infractions en 1991 et remonter autour de 50 p. 100 par la suite.

Malgré la recommandation de la commission Le Dain qui suggérait l'abolition de cette infraction en 1974, les infractions liées à la possession du cannabis constituaient en 1999 encore la moitié de toutes les infractions liées à la drogue rapportées par les corps policiers au pays.

Finalement, le taux par 100 000 habitants des infractions aux lois sur les drogues a varié entre 200 et 300 entre 1977 et 1999, connaissant une baisse au cours des années 1980 et connaissant de nouveau une hausse dans les années 90, surtout concentrée entre 1995 et 2000 et même jusqu'à aujourd'hui.

En conclusion, même s'il y a une loi fédérale, il existe une variation dans l'application de la loi sur les drogues au Canada d'une province à l'autre. Il faudrait raffiner nos recherches pour essayer de distinguer si cela est dû à une présence davantage concentrée d'une substance ou de l'autre au sein de chaque province. C'est un des points à élaborer. La variation provinciale dépend de la situation du phénomène de la drogue dans chaque province, et donc des caractéristiques culturelles, démographi ques, géographiques et sociales.

J'aimerais insérer ici une parenthèse. Le nombre de gens âgés de 15 à 24 ans a diminué au cours des années 1990. La population vieillit. C'est ce qui pourrait aussi expliquer une baisse de la criminalité enregistrée, parce que les populations plus jeunes consomment davantage et sont souvent plus visibles. Ils ont moins à perdre socialement en fumant ou en vendant de la drogue en public. On peut donc penser que la hausse de l'âge moyen et l'attention amoindrie portée aux 15-24 ans a pu contribuer à la baisse de la criminalité.

Quelques questions pour terminer. La police possède-t-elle les effectifs nécessaires pour réprimer les infractions aux lois sur les drogues au Canada, et est-ce une priorité? Vous devinez que ma réponse est non. Je pense que ce matin, les policiers eux-mêmes avouaient qu'ils ne peuvent pas nécessairement intercepter toute la drogue qui circule.

Le fléau réside-t-il réellement dans la consommation de drogue? C'est ce qui est habituellement véhiculé, et ce qui est en général relativement modéré au sein de la population en général.

Différentes études démontrent qu'entre 10 et 15 p. 100 des gens qui consomment de la drogue ont des problèmes d'abus ou de dépendance, mais que la majorité des gens consomment de façon modérée. Est-ce que le fléau réside dans l'application arbitraire de la loi envers les usagers? À la lumière de mes études et de plusieurs analyses, c'est le point de vue que j'ai adopté.

Serait-il pertinent d'investir dans les programmes de traitement en toxicomanie? La possession du cannabis représente la moitié de toutes les infractions commises aux lois sur les drogues. Si une personne sur 100 est interceptée et accusée de possession de cannabis, on peut douter de l'applicabilité de cette loi.

Le président: Vous avez cerné les constats auxquels nous sommes parvenus au fil des témoignages que nous avons entendus. Nous avons sous les yeux une évaluation très rigoureuse de l'évolution de la situation au cours des 25 dernières années. Pour nous, c'est très valable. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Votre présentation et vos travaux nous seront fort utiles. Il est d'ailleurs intéressant d'ailleurs de voir le rôle des intervenants du monde de la santé dans l'évolution de la prohibition dès ses premières heures, tant sur le plan international que national. Sur ce, j'aimerais savoir ce qui s'est passé en 1991?

M. Dion: C'est la combinaison de plusieurs facteurs. Ce qui se passe aux États-Unis nous influence. Dans les années 80, nous avons vu l'apparition du crack aux Etats-Unis dont la consomma tion a pris des proportions épidémiques. Le traitement médiatique y a contribué. Par exemple, deux joueurs de basketball, morts d'une surdose de cocaïne à la fin des années 1980, ont fait les manchettes. Il y a eu mobilisation contre la drogue. Le président Reagan et sa femme ont déclaré que la cocaïne était un fléau qu'il fallait combattre. Ce mouvement coïncide avec la chute du mur de Berlin. Certains cyniques ont dit que, n'ayant plus d'ennemi, les Etats-Unis s'en sont trouvé un autre dans la luttre contre la drogue.

Depuis les événements du 11 septembre, les Américains ont à coeur la répression des terroristes de même que des grands producteurs d'héroïne. C'est une cause qui a du poids. On peut donc se voter des budgets considérables parce qu''il s'agit d'une cause morale à défendre. Ce qui se passe aux États-Unis vient nous rattraper.

L'année 1991 marque une autre époque. L'apparition de la culture hydroponique a également modifié les coutumes dans l'industrie de la drogue. Possiblement, une implication plus grande du crime organisé s'est systématisée. La présence de la cocaïne est moins importante. Dans les années 80, les statistiques indiquaient une consommation plus répandue de la cocaïne. Certaines personnes de la génération yuppie, pour lesquelles le rendement au travail était des plus important, percevaient la cocaïne comme un outil de travail et aussi comme une façon de se recréer. Dans les années 90, les statistiques indiquent que le taux de consommation de la cocaïne a baissé. Selon les statistiques, quand une substance perd de l'importance, automatiquement les autres en prennent. Il y a eu un usage accru du cannabis d'un côté et, en même temps, un marché qui s'est développé avec la culture hydroponique. On a vu une baisse des importations de cannabis, mais le développement d'un marché local. Quand on produit du cannabis au Canada, on peut le passer d'une province à l'autre. C'est relativement facile de ne pas se faire prendre.

Les agents de douanes disent qu'il est fréquent de voir les échanges de cocaïne du sud vers le Canada et les exportations de cannabis du Canada vers les États-Unis. Si j'étais un exportateur de cocaïne, je n'exporterais pas nécessairement vers le Canada, parce que le taux de change est moins bon. Probablement que le marché du cannabis est surtout dirigé vers les Etats-Unis, et quand les camions reviennent, il est possible qu'ils transportent de la cocaïne. Des voies ont été identifiées.

L'année 1991 coïncide aussi avec des compressions budgétaires dans divers organismes gouvernementaux et, de ce fait, avec une baisse dans le traitement des infractions rapportées. On note quelque chose à ce niveau. C'est une conjugaison de facteurs que je n'ai pas encore clarifiée. Selon les statistiques, l'année 1991 marque un changement dans la répression autant sur le plan de la possession que sur celui du trafic. Le trafic prenait plus d'importance dans les années 80. Le trafic était à la baisse dans les années 90, la possession remontait et la culture aussi. L'année 1991 marque le début d'une nouvelle période qu'il faudrait peut-être analyser plus en profondeur.

Le sénateur Maheu: Sur votre deuxième tableau, nous voyons que le total des infractions pour le Québec, avec les autres drogues, était presque deux fois plus élevé que les autres provinces et que la moyenne canadienne. Avez-vous compilé des statistiques sur l'ecstasy, cette drogue à la mode que le FBI et Interpol voient comme la drogue de l'avenir?

M. Dion: Cette drogue fait partie de la croissance des infractions reliées aux autres drogues. Elle n'est pas différenciée dans l'enregistrement des infractions. Dans un échantillonnage des dossiers policers, on pourrait voir quand il y a infraction pour possession de drogue. On pourrait voir dans le dossier quelles substances sont en cause. Il est clair que le taux de consommation avouée d'ecstasy a augmenté au cours des dernières années. C'est pour cela que si d'un côté on veut réprimer les drogues qui viennent du sud - parce que la répression en matière de drogues vise traditionnellement la cocaïne, l'héroïne et le cannabis qui sont cultivés dans les pays du sud - il est possible le marché changerait et que des drogues de synthèse pourraient facilement être fabriquées.

La solution n'est pas de mettre l'accent sur la répression de ces substances, parce que localement, de nouvelles substances pourraient voir le jour. Il s'agit de rumeurs seulement, mais plusieurs recettes sont déjà prêtes dans le cas où on manquerait d'héroïne, de cocaïne ou d'autres substances.

Ces substances sont chimiques et impliquent des risques accrus, car on ne connaît pas le mode d'absorption. On avale ces drogues en espérant qu'elles ne seront pas trop fortes. Les risques sont grands. Pour contrer la recrudescence de cette consommation, on pourrait suivre l'exemple des Pays-Bas. Le pays met à la disposition des jeunes des laboratoires où ils peuvent tester les substances avant de les consommer, afin de connaître la proportion des agents actifs qui peuvent être plus ou moins forts. La procédure est assez rapide.

J'ai travaillé en toxicomanie avec les jeunes, et ils consomment des substances chimiques comme le LSD, le PCP ou l'ecstasy sans savoir ce qu'ils consomment. Si, la première fois qu'ils en prennent, ce n'est pas très bon, et bien la fois suivante, ils en prendront deux pour obtenir un effet d'une qualité supérieure. C'est là qu'ils sont à risque, parce qu'il n'y a pas moyen de doser. Dans le cas du cannabis, on peut prendre une bouffée à la fois et doser. Ce mode d'absorption est dangereux, et les conséquences peuvent s'avérer néfastes pour les jeunes. Surtout pour eux, parce que souvent, ils s'approvisionnent de sources inconnues. Quand on est plus vieux et qu'on consomme de la drogue, on s'assure que le revendeur connaît sa marchandise. Les jeunes achètent cela dans les sous-sols d'école et les sources sont inconnues. Le risque est plus grand avec ce genre de substance qu'avec le cannabis.

[Traduction]

Le sénateur Banks: Je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd'hui. Vous avez affirmé qu'en Hollande, on fabrique certaines drogues mentionnées par l'honorable sénateur Maheu en milieu contrôlé. Est-ce qu'on offre ces produits de la même façon que le cannabis, c'est-à-dire plutôt en cachette, sous le manteau?

M. Dion: Non. J'étais à Amsterdam il y a quelques semaines. On vend maintenant des champignons magiques ouvertement car la chose est tolérée. Pour ce qui est de l'Ecstasy, certains laboratoires envoient des représentants dans des bars afin d'offrir à leurs clients de faire l'essai de leurs comprimés ou de leurs capsules.

Le sénateur Banks: Ils se trouvent ainsi à vérifier l'innocuité de la drogue, c'est bien cela?

M. Dion: Oui, on réduit les préjudices. Les représentants disent qu'ils n'empêcheront pas les consommateurs de drogue d'en prendre mais qu'ils leur diront ce qu'ils vont consommer. Rappelons que lorsqu'on prend les médicaments prescrits par un médecin, on ne sait pas toujours ce qu'ils contiennent. Le gouvernement de la Hollande reconnaît que cela se produit et essaie donc d'en limiter les conséquences.

Le sénateur Banks: Le travail que vous avez effectué nous est très utile. À partir d'une série de données, vous avez établi diverses comparaisons qui nous seront certainement utiles. Par ailleurs, lorsque vous parlez d'infractions, s'agit-il d'accusations ou de condamnations?

M. Dion: Il s'agit d'arrestations, c'est-à-dire de la première étape. La police arrête quelqu'un puis rédige un rapport. Après, le dossier est transmis au procureur. Je me reportais donc à la proportion d'accusations. Ce n'est pas 100 p. 100 des infractions.

Le sénateur Banks: Vous dites que ce ne sont pas des condamnations?

M. Dion: Oui. Depuis 1997, on a dépénalisé certaines accusations. En conséquence, la proportion des accusés a diminué de façon constante. On préfère s'occuper du cas des personnes arrêtées autrement qu'en les traduisant devant les tribunaux.

Le sénateur Banks: Je ne suis pas statisticien. Vous avez parlé de la dichotomie entre la baisse de la criminalité et la hausse des crimes liés à la consommation de drogue. Statistiquement, je me disais que le rapport était inversé. Pour les besoins des calculs, si la criminalité connaît une baisse générale et que les crimes liés à la consommation de drogue demeurent au même niveau, alors le pourcentage de ces derniers va augmenter. C'est bien cela?

M. Dion: Oui, mais dans une proportion plus faible.

Le sénateur Banks: La criminalité liée à la consommation de la drogue augmenterait en pourcentage mais le nombre d'incidents, lui, pourrait ne pas augmenter.

M. Dion: Oui.

Le sénateur Banks: J'aimerais savoir ce que vous pensez de certains propos que nous a tenus la GRC ce matin. Vous avez mentionné le fait que nous sommes peut-être devenus habitués à voir consommer ou vendre de la drogue rue Saint-Denis, par exemple. La GRC nous a dit que c'est ainsi partout et que chaque ville a ce genre de rue. Que ce soit à tort ou à raison, en général, on estime maintenant que le cannabis en particulier est une drogue beaucoup moins nocive qu'on le pensait. Est-ce que cette perception rendrait les jeunes plus enclins à consommer cette drogue?

Par ailleurs, vous avez parlé des recherches, et à cet égard, je crois que celle à laquelle vous participez n'est pas de nature précisément médicale. Cependant, presque tous les témoins que nous avons entendus ont estimé qu'entre autres choses, il faut qu'on effectue davantage de recherches médicales, particulièrement sur le cannabis. Êtes-vous d'accord avec cela ou pensez-vous qu'on en sait déjà assez là-dessus? En savons-nous déjà assez pour tirer certaines conclusions pratiques ou faudrait-il faire effectuer encore d'autres recherches?

M. Dion: On a observé que les gens ont maintenant moins peur de la répression des drogues. En fait, beaucoup de gens pensent maintenant qu'il est légal de posséder moins de 30 grammes de cannabis. Cela tient au fait que la nouvelle loi comporte une catégorie différente. Les jeunes ne connaissent pas la loi, mais ils savent que les conséquences de la consommation ne sont pas très graves. Après une première infraction, ils seront dirigés vers un centre pour toxicomanes ou quelque chose d'approchant.

Oui, les gens craignent moins d'en fumer en public. Des gens ont fumé du cannabis sans se cacher à de nombreuses manifestations pour la légalisation des drogues et c'est toléré.

Dans les grandes villes, c'est différent que dans les régions rurales. Dans les grandes villes, où de nombreuses personnes consomment de l'héroïne et de la cocaïne, la répression de l'usage du cannabis n'est pas une priorité. Cependant, dans les zones rurales où il ne se passe pas grand-chose, si quelqu'un fume un joint dans la rue, la réaction peut être différente.

J'aimerais comparer la répression dans les villes à celle dans les campagnes. En un sens, ce sont deux univers différents. Le dimanche après-midi, à Montréal, sur la montagne, il y a de grandes réunions d'improvisation au tambour. On y fume ouvertement. Les policiers qui patrouillent peuvent facilement repérer les odeurs de cannabis. Ils ne pourraient pas arrêter tout le monde.

En ce sens, de part et d'autre, on se montre plus tolérant et l'on se dit: «Si vous restez tranquille, nous vous laisserons faire.» Le problème, c'est que si les policiers ne vous aiment pas à cause de vos vêtements ou de la couleur de votre peau, alors ils peuvent vous emmener. C'est le 1 p. 100 que j'ai mentionné - ce n'est pas juste. Si je suis arrêté, je dois subir tout le processus judiciaire dont sont exemptés les 99 autres qui fumaient avec moi. En ce sens, la loi n'est plus vraiment respectée.

On a déjà fait beaucoup de recherche. Aux États-Unis, il semblerait que lorsque les résultats ne confortaient pas la position du gouvernement, on ne les publiait pas. Ils commencent maintenant à être publiés. Dans The Lancet, il y a quelques années, on a publié un article au sujet des États-Unis qui, de concert avec les Nations Unies, avaient essayé de camoufler des travaux de recherche.

Pendant de nombreuses années, des gens ont dit qu'ils consommaient du cannabis pour des raisons médicales. Pourtant, nous entamons encore de nouvelles recherches. Nous pourrions écouter ce que ces gens ont à dire. Si le cannabis soulage leur douleur, pourquoi ne pas s'en tenir à leur expérience plutôt que de tout reprendre à zéro avec des produits cultivés par le gouvernement et de grands projets de recherche? Bien sûr, on peut toujours peaufiner la recherche, mais nous pourrions aussi écouter les gens qui consomment du cannabis pour des raisons médicales. Ils pourraient nous en apprendre beaucoup.

Le sénateur Banks: Devrions-nous aussi écouter ceux qui consomment du cannabis pour le plaisir plutôt que pour des raisons médicales?

M. Dion: Oui. Je le pense. Des millions de gens fument du cannabis, et parfois nous voulons décider pour eux que la drogue est nocive. Toutefois, si des millions de gens consomment du cannabis, il doit bien y avoir une raison.

Peut-être pensons-nous qu'en augmentant les fonds destinés à la répression, nous pourrons supprimer tout usage du cannabis. C'est impossible, parce qu'on se tournera alors vers d'autres drogues. Depuis des milliers d'années, l'homme expérimente différents états de conscience.

Pour ce qui est du cannabis, ce n'est pas si dangereux. Je préférerais que mes enfants essaient cette drogue plutôt que de prendre de l'ecstasy ou du LSD sans savoir ce que ces produits contiennent.

J'aimerais aussi qu'on écoute les gens nous dire pourquoi ils en consomment. J'écouterais encore plus attentivement ceux qui en consomment de façon modérée. Nous écoutons toujours ceux qui abusent des drogues, et nous les entendons dire qu'ils en consomment pour faire face au stress ou pour rehausser la piètre estime de soi qu'ils ont. Ça, nous le savons. Cependant, nous ne demandons jamais aux consommateurs modérés pourquoi ils en prennent, alors que nous pourrions à partir de là concevoir de véritables programmes d'information et d'éducation.

[Français]

Le président: Monsieur Dion, au tout début de votre présentation, vous nous avez expliqué la fragilité des statistiques. Vous avez énuméré trois éléments importants. Je voudrais m'attarder au troisième élément, la sélection.

Je crois comprendre que certains de vos collègues examinent, entre autres, l'attitude policière face à la criminalité ayant trait aux drogues. Les items qui entrent sous cet élément de sélection sont: la qualité de la preuve, l'identité de l'individu fautif, la gravité de l'infraction, - on a vu quatre grandes familles -, et la nature des ressources disponibles. Cet item est plus subjectif.

Je crois savoir que certains de vos collègues de recherche ont examiné l'attitude des policiers face à une infraction similaire. Pourriez-vous élaborer sur ce sujet? Pourquoi certains policiers décident-ils de rapporter l'infraction et que d'autres décident de ne pas le faire?

M. Dion: Ce n'est pas mon champ de spécialisation.

Le sénateur Nolin: Si vous avez accès à de l'information ou à un rapport écrit, pour soutenir ce que vous allez nous dire, n'hésitez pas à nous les faire parvenir.

M. Dion: Je pourrai transmettre votre demande à Nicolas Gagné. Il vous fera parvenir son mémoire de maîtrise avec plaisir. Il est difficile de se prononcer et je neveux pas généraliser. Chaque policier a ses propres valeurs, ses propres attentes et ses propres intérêts. Dans la recherche que Nicolas a faite auprès de certains patrouilleurs du SPCUM, entre autres, il y a des gens qui voulaient se spécialiser dans la brigade des stupéfiants. C'était pour eux une façon, en arrêtant des petits consommateurs, des petits trafiquants, de se monter une banque de données pour pouvoir infiltrer un milieu. Quand ils étaient en possession de cette information, ils pouvaient plus facilement avancer au sein de la brigade des stupéfiants, qui a des budgets importants et des méthodes d'enquêtes un peu plus sophistiquées. C'est une des avenues qu'il a trouvées.

La présence des policiers communautaires est un élément important. Le policier de type communautaire s'investit dans un quartier et il veut entretenir des liens avec les gens. S'il arrête un individu dès qu'il le voit consommer, ou s'il arrête tout le monde pour possession de cannabis, cela ne créera pas de bonnes relations. La prsence de ce type de police au sein des quartiers va aussi changer la nature de la répression surtout en ce qui a trait à la possession. Si le policier arrête un individu, ce dernier peut se retrouver avec un dossier criminel et une amende de 100 $. Le policier s'est quand même mis à dos une partie du quartier où il aurait pu entretenir des relations. C'est un élément qui entraînera des brigades de stupéfiants spécialisées dans le trafic et les réseaux. Ce sera un autre type de rapport. On va pouvoir faire cette distinction au fur et à mesure que le système de police de quartier va se développer. Ces policiers pensent peut-être que s'ils arrêtent quelqu'un pour possession de cannabis, et que la personne est en possession d'un gramme, il va encore se faire dire: «Pourquoi m'embêtes-tu avec ces histoires? » Les policiers n'ont pas tous cette attitude. Ils se rendent compte des conséquences de remplir le dossier pour un gramme de cannabis, quand, dans certains cas ou dans la plupart des cas, il n'y aura pas suite.

Un policier de Montréal rappelait qu'il avait fait la patrouille avec des policiers à Vancouver, et lors de la patrouille il s'est rendu compte que lors des saisies de drogue, les policiers mettaient la drogue dans un gros sac sans ouvrir de dossier. Le policier de Montréal leur a demandé pourquoi. Ils ont répondu que s'ils ouvriraient un dossier chaque fois qu'ils saisissaient de la drogue, ils n'en finiraient pas.

Au cours de nos recherches, nous avons découvert qu'à Vancouver, le taux d'infractions rapportées est très élevé. Pour la possession de cannabis, 20 p. 100 de ces causes se traduisent par des mises en accusation. Il y a tellement d'infractions rapportées par les policiers que les tribunaux sont saturés et les policiers se disent: «Pourquoi ouvrir un dossier et entamer des poursuites si c'est pour tomber?» Avec un taux d'infractions rapportées très élevé, le pourcentage de mise en accusation ne suivra pas automatiquement. Quand les tribunaux sont débordés, on ferme des prisons, il y a moins de procureurs ainsi de suite. Il y a aussi une certaine sélection dans les affaires. C'est ce qui explique cette baisse des années 1990.

Le président: N'hésitez pas à de demander à M. Carrier de nous faire parvenir les résultats de ses recherches.

Vous avez soutenu que la motivation, à une époque, de la consommation de la cocaïne était la période yuppie où l'avance ment de la carrière était important. Aujourd'hui, on a l'ecstasy. Quelle est la vraie motivation sociologique de l'usage du cannabis ?

M. Dion: On vit dans une période stressante. C'est un anxiolytique naturel dont l'usage remonte à des milliers d'années. Les Amérindiens consommaient du cannabis de façon sacrée. C'est très convivial que de partager une cigarette de cannabis. La consommation de cannabis est la plus élevée chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans. Il y a un désir de partager. Il y a un besoin de socialiser. Le cannabis répond en partie à ces besoins.

D'autre part, l'ecstasy dans les «raves» se situe à un autre niveau. Il s'agit de faire disparaître son ego pour se fondre à une masse de gens qui dansent toute la nuit. Quand on regarde ce besoin, on peut retrouver des traces de cela dans les grands rassemblements sacrés chez les peuples indigènes de plusieurs continents. Si on remet cela dans un cadre plus large, il y a des motivations spécifiques à chaque substance, et même à chaque mode de consommation. Entre autres, pour les gens qui s'injectent de la drogue, c'est quelque chose qui est complètement individuel.

Donc c'est très différent d'un groupe de jeunes qui vont partager une cigarette de cannabis. C'est très culturel. Je séparerais cela en sous-groupes, et il faudrait étudier chaque substance et chaque mode de consommation. Selon moi, les recherches pourraient nous en apprendre - et cela se fait déjà en bonne partie - sur chaque type d'usage et chaque type de substance. S'il y a des milliers ou des millions de personnes qui utilisent ces drogues, il ne faudrait pas sous-estimer leur motivation. Les gens ne sont pas des abrutis. Ils consomment cette substance parce que cela leur apporte quelque chose. D'un côté, il y a des dangers, des risques, mais en même temps, il y a des avantages. Quand les bénéfices sont plus grands que les désavantages, la consommation se poursuit, et quand les désavantages l'emportent sur les bénéfices, l'usager va être motivé à changer. Aucun être humain ne va continuer pendant plusieurs années un usage de drogue qui ne lui apporte que des conséquences négatives. Il faut tenir compte de cet équilibre.

On a beau vouloir bannir des substances, les gens vont toujours vouloir en consommer. Si on leur enlève l'accès au cannabis ou à d'autres substances, ils vont toujours trouver autre chose. On le voit dans le Nord avec les Inuits, où l'essence et le liquide correcteur sont devenus des substances dont on abuse parce que les gens ont cette espèce de mal à l'âme auquel ils veulent échapper par n'importe quel moyen.

Le président: Monsieur Dion, merci d'avoir accepté notre invitation. Comme je l'ai dit aux autres témoins, il est certain qu'après avoir lu votre témoignage, certaines questions vont ressurgir. Je vous enverrai alors ces questions par écrit dans l'espoir de vous lire.

[Traduction]

Notre dernier témoin cet après-midi est bien connu du comité. Eugene Oscapella est le directeur exécutif de la Fondation canadienne pour une politique sur les drogues. Il a déjà comparu deux fois au comité. Il a déjà comparu au cours de la précédente législature, il a comparu une deuxième fois le premier jour des audiences de l'actuelle législature. M. Oscapella nous parlera aujourd'hui du terrorisme et des drogues.

M. Eugene Oscapella, directeur exécutif, Fondation canadienne pour une politique sur les drogues: Je vous remercie de m'avoir permis de revenir à nouveau vous parler de cette question. Quand j'ai comparu ici le 16 octobre 2000, j'avais brièvement parlé de la façon dont la prohibition des stupéfiants contribuait au financement du terrorisme, mais je ne pense pas qu'à ce moment-là la question ait été aussi brûlante d'actualité qu'elle l'est aujourd'hui. Je vous suis donc très reconnaissant de me permettre de revenir comparaître.

Nous reconnaissons tous la nécessité de tarir la source de financement des groupes terroristes. Le magazine Economist rapportait que même les terroristes avaient besoin d'argent. Le mois dernier, le 19 septembre, la ministre de la Justice a dit que le terrorisme avait un point en commun avec le crime organisé, soit que c'est l'argent qui l'alimente. Par conséquent, nous devons nous en prendre à la capacité qu'ont les organisations terroristes de réunir des fonds.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, j'aimerais vous parler aujourd'hui de la capacité qu'ont les organisations terroristes de réunir des fonds, en l'occurrence, grâce à la prohibition des drogues. Les médias rapportent abondamment comment le trafic des stupéfiants finance les talibans, les guérillas gauchistes et les paramilitaires de droite en Colombie.

J'ai un message très simple à vous livrer aujourd'hui. Le trafic des stupéfiants suffit à lui seul; c'est l'interdiction par le droit pénal qui fait que les drogues sont un marché aussi lucratif pour le crime organisé et les terroristes. C'est l'essentiel de mon propos. S'il y a une chose à retenir de mon exposé d'aujourd'hui, c'est celle-là que je souhaite vous voir retenir.

Nous savons tous que certains actes terroristes ne coûtent pas bien cher à exécuter. Selon des estimations, les attaques du 11 septembre ont pu coûter entre 100 000 $ et quelques millions de dollars. On n'a certainement pas eu besoin de sommes très considérables pour mener ces attaques aux États-Unis.

Cependant, bon nombre des formes de terrorisme les plus redoutées, celles où l'on fait appel à des armes biologiques, chimiques et nucléaires - les armes dites de destruction massive - sont beaucoup plus coûteuses à réaliser. Dans ces cas-là, les montants recueillis grâce au trafic des stupéfiants encouragé par la prohibition peuvent s'avérer très importants.

Les gouvernements ont essentiellement pris deux mesures pour contrer le financement du terrorisme. L'une consiste à supprimer les sources de financement et l'autre à réduire la capacité des terroristes à conserver leur argent et à le transférer ailleurs dans le monde. Par conséquent, nous avons une législation contre le blanchiment d'argent ainsi que des exigences de déclaration et des mesures de ce genre pour essayer de régler ces problèmes.

Je vais traiter de la première question, soit la suppression de toutes les sources de financement. Le document que j'ai rédigé à l'intention du comité explique précisément comment la prohibition des stupéfiants apporte de l'eau au moulin des terroristes. Je rappelle que le trafic des stupéfiants dans un système d'interdiction criminelle est devenu une grande - sinon la plus grande - source de financement de nombreux groupes de terroristes partout dans le monde.

Je parlerai d'abord de l'importance des drogues illégales pour les terroristes et des organisations criminelles. La GRC, dans ses rapports de renseignements criminels, a dit que la plupart des organisations criminelles au Canada tirent la majeure partie de leur financement du trafic des stupéfiants. On n'y dit pas qu'il s'agit du trafic des stupéfiants créé et nourri par la prohibition, mais nous savons certainement que le trafic de stupéfiants est une grande source de revenu pour le crime organisé au Canada.

En mai dernier, M. Alain Labrousse a comparu au comité, comme s'en souviennent les membres du comité. Il travaille à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies à Paris. Il a expliqué les liens qui existent entre les stupéfiants et le terrorisme. M. Labrousse a fait savoir au comité que dans une trentaine de pays il y a maintenant des terroristes qui financent leurs activités avec le trafic des stupéfiants. Il a expliqué comment ce dernier était devenu une source particulièrement importante de financement depuis la fin de la guerre froide en raison de la baisse du niveau de terrorisme parrainé par les États.

Compte tenu de cette baisse, les terroristes ont dû trouver d'autres sources de financement. Quelle grande source ont-ils trouvée? Les stupéfiants.

J'ai cité à plus d'une reprise M. Labrousse dans mon mémoire. Je voudrais signaler la déclaration particulièrement saillante faite par l'agent principal chargé des drogues à Interpol en 1994: d'après lui, les stupéfiants sont devenus le moyen principal de financement du terrorisme.

M. John Thompson, de l'Institut McKenzie - l'usine à penser canadienne sur le crime organisé et le terrorisme - a laissé entendre que la mesure dans laquelle les groupes terroristes se financent par le trafic des stupéfiants varie considérablement. Cela me semble évident, puisque certains groupes terroristes ont plus facilement accès aux drogues que d'autres. D'après M. Thompson, de 25 à 30 p. 100 du financement des extrémistes islamiques pourrait provenir du trafic des stupéfiants et celui-ci constituerait probablement leur source de financement la plus importante.

Un représentant d'Interpol a comparu en décembre 2000 devant un comité judiciaire de la Chambre des représentants qui essayait de déterminer les liens qui existaient entre le crime organisé et le terrorisme, d'une part, et le commerce de la drogue, d'autre part. Ce témoin a expliqué que les groupes terroristes dépendaient de plus en plus des profits que leur rapportait le commerce de la drogue. Il a affirmé qu'une part importante de tout le trafic des stupéfiants en Asie centrale était reliée à l'activité terroriste.

Nous sommes en train de mieux cerner jusqu'à quel point le terrorisme dépend pour son financement du commerce de la drogue. C'est d'ailleurs ce qu'a confirmé un autre témoin du Service de recherche du Congrès au sujet de la Colombie; d'après lui, le FARC en Colombie, groupe de guérilleros de gauche, fait des profits annuels à hauteur de 400 à 600 millions de dollars américains libres d'impôt grâce au commerce de la drogue, soit en taxant le commerce de la cocaïne en Colombie ou en protégeant celui-ci.

Le problème ne concerne pas que les talibans, puisque vous voyez que de nombreux groupes d'insurgés et de terroristes de beaucoup de pays se financent grâce au commerce de la drogue.

Le représentant du Service de recherche du Congrès a dit dans son témoignage - ce qui est important - que les organisations financées par le trafic de la drogue peuvent développer les ressources, les racines et le réseautage nécessaires pour s'engager dans toute une série d'autres formes d'activité criminelle, notamment le trafic des armes illicites et la prolifération possible d'armes chimiques et nucléaires. J'en reviens à la question principale, à savoir comment les groupes terroristes en sont venus à dépendre de plus en plus du commerce de la drogue pour se financer.

Penchons-nous maintenant sur l'ampleur du commerce des drogues illicites. D'après les Nations Unies, il équivaut à 400 milliards de dollars américains. Je vous donne évidemment les chiffres en dollars américains, étant donné que la plus grande partie de la recherche sur ce sujet mentionne cette devise et non la devise canadienne. La revue Economist laisse entendre que ce chiffre est sans doute gonflé et que le commerce pourrait ne représenter que 150 milliards de dollars par année environ. Par comparaison, sachez que le budget de la défense des États-Unis correspond à un peu moins de 300 milliards de dollars par année. Par conséquent, le commerce mondial des drogues illicites équivaut probablement plus ou moins à la totalité du budget de la défense annuel des États-Unis.

Un des numéros récents de la revue Economist mentionne l'énormité des profits découlant de cette interdiction. D'après la revue, les représentants de l'ONU croient que quelque 2 800 tonnes d'opium - c'est-à-dire 280 tonnes d'héroïne environ - seraient entre les mains des talibans, d'al-Qaïda et d'autres barons de la drogue de l'Afghanistan et du Pakistan. D'après eux, le marché de gros représente quelque 1,4 milliard de dollars américains, alors que la valeur totale au détail va chercher entre 40 et 80 milliards de dollars. Bien sûr, ce n'est pas tout cet argent qui retournera dans les poches des talibans, d'al-Quaïda et d'autres groupes pakistanais, car il y aura des commissions à verser tout au long de la filière. Toutefois, vous pouvez constater à quel point c'est une source de financement extrêmement lucrative pour les organisations criminelles et terroristes.

Un ancien juge de la Cour supérieure de Colombie nous a rappelé que le revenu des barons de la drogue est plus élevé que le budget de la défense des États-Unis, ce qui pourrait être quelque peu exagéré. Toutefois, il fait aussi remarquer que cela permet aux barons de la drogue de subvertir les rouages de l'État, comme on l'a vu en Colombie. Je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas survenir dans des sociétés encore plus robustes, car des sommes de cette ampleur rendent n'importe qui capable de corrompre l'appareil gouvernemental et d'influer sur lui.

Les chercheurs et observateurs du phénomène affirment également que l'alliance entre les organisations terroristes et les organisations criminelles s'intensifie. Les actes commis à New York et à Washington le 11 septembre étaient-ils criminels ou terroristes? Les organisations qui les ont parrainées étaient-elles criminelles? Ceux qui ont organisé il y a plusieurs années l'explosion à Oklahoma City formaient-ils une organisation criminelle ou une organisation terroriste? La distinction entre les deux devient de plus en plus floue, puisque les deux oeuvrent de plus en plus ensemble.

Le directeur du Centre de recherche sur le terrorisme aux États-Unis, Neal Pollard, parle d'une interaction croissante entre les organisations criminelles et les organisations terroristes. Ce qu'il dit est très inquiétant: d'après lui, si l'interaction entre les terroristes et les associations internationales de malfaiteurs est suffisamment réussie - particulièrement avec les trafiquants de narcotiques - les infrastructures de ces interactions pourraient être assez robustes pour fournir aux terroristes des occasions concrètes de faire proliférer les armes de destruction massive, notamment en introduisant aux États-Unis une arme de destruction massive. À son avis, les conséquences d'une telle infrastructure sont évidentes.

Ce qui inquiète le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Europe de l'Ouest et plusieurs autres pays, c'est que ces organisations ont désormais la puissance financière voulue pour s'engager dans des activités qui pourraient mener à l'utilisation d'armes de destruction massive.

Or, il y a une chose dont on oublie souvent de parler, et c'est justement la raison pour laquelle la criminalisation des drogues rend ce marché si lucratif. Je pense que les membres du comité savent exactement ce dont je veux parler. Toutefois, j'aimerais aborder à nouveau la question pour le bénéfice des Canadiens qui pourraient lire la transcription de ces délibérations ou nous regarder à la télévision.

Prenons l'exemple du pavot. Les chiffres que je vais utiliser me sont fournis par les Nations Unies. Il importe surtout de se rappeler que si elles n'étaient pas criminalisées, ces drogues auraient une valeur bien moindre que celle qu'elles ont aujourd'hui. Prenons l'exemple de l'opium, et je vous donne encore des chiffres de l'ONU: le prix qu'obtient l'agriculteur pour son opium est à peine de 3 à 7 cents le gramme. D'après l'ONU, ce même gramme d'opium se vend au détail 39 $ au Canada, ce qui représente de 550 à 1 300 fois le coût de production de cette drogue. Procentuellement parlant, cela représente de 55 000 à 130 000 p. 100 de plus que le coût de la production. Voilà ce que réussit à faire la criminalisation. L'interdiction d'une chose convoitée fait exploser son prix au détail. Et son coût de production reste minime dans l'ensemble de l'équation.

C'est nous qui avons créé cet énorme marché lucratif. Je peux aussi vous illustrer les cas de l'héroïne et de la cocaïne par des chiffres. D'après des chiffres indépendants sur la valeur de la cocaïne, le prix au détail d'un kilo de cocaïne produit en Colombie et vendu aux États-Unis est de 180 à 275 fois le coût de sa production. C'est la prohibition des drogues qui a engendré ce marché extrêmement lucratif.

Malheureusement, les médias, la police, les décideurs politiques et particulièrement certains politiciens américains décrivent toujours le problème comme étant celui du commerce de la drogue qui financerait le terrorisme. Personne ne réfute que les drogues aient un rôle à jouer dans le financement du terrorisme. Il se peut que les drogues aient un rôle plus ou moins grand à jouer dans la forme particulière de terrorisme qui semble issue de l'Afghanistan. Mais personne ne songerait à réfuter que les drogues jouent un rôle là-dedans.

Toutefois, ce qui arrive, c'est qu'on ferme complètement les yeux sur le rôle que joue la prohibition des drogues. Les États-Unis ne cessent d'affirmer qu'il faut déployer plus d'efforts en vue de réprimer le commerce des stupéfiants et qu'il faut renforcer leur criminalisation. Mais cela n'a pas donné de résultat jusqu'à maintenant et cela n'en donnera pas. C'est le fait qu'elles soient interdites qui rend le commerce si lucratif.

Or, aucun de ceux qui ont témoigné à des comités du Congrès ou qui ont parlé aux médias n'a fait le lien entre la rentabilité du commerce de la drogue et sa prohibition. C'est clair comme de l'eau de roche, pourtant. Il n'y a rien de compliqué là-dedans, comme vous le savez bien. La prohibition fait exploser le prix des drogues, mais personne ne songe à le mentionner. C'est cela qui est fondamentalement mauvais, puisque c'est ce phénomène qui nous fait réagir différemment au problème puisque nous fermons les yeux sur le rôle que joue la prohibition au criminel. On oublie de voir que l'une des causes du problème, c'est la prohibition.

Nous l'avons même vu à l'occasion d'un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, et je renvoie à l'opinion dissidente de deux juges dans l'arrêt Pushpanathan, de 1998, qui concernait une affaire d'immigration. Les deux juges dissidents ont déclaré ceci:

La puissance financière et militaire de ces organisations menace la stabilité politique et économique de nombreux pays et, en fait, de la communauté internationale dans son ensemble.

Ils ont poursuivi, disant ceci:

Le trafic des drogues illicites menace désormais la paix et la sécurité à l'échelon national et international. Il porte atteinte à la souveraineté de certains États, au droit à l'autodétermination et à un gouvernement démocratique, à la stabilité économique, sociale et politique, ainsi qu'aux droits de la personne.

Tout cela est parfaitement exact. En effet, le trafic de la drogue représente un problème. Toutefois, les deux juges dissidents n'évoquent nulle part dans cet arrêt le fait que la prohibition a rendu ce trafic tellement lucratif. Nulle part ne semblent-ils admettre que c'est la prohibition des drogues qui est l'élément sous-jacent des bénéfices, du pouvoir, de la violence, de la corruption et du terrorisme qu'on peut associer au commerce de la drogue.

Nous devons reconnaître que les bénéfices que les terroristes tirent de l'opium, de l'héroïne et des autres drogues illicites sont essentiellement la conséquence de leur interdiction par le droit pénal. Comme l'a déclaré un de mes collègues, les talibans ne vendent pas des aliments pour bébés. Ils ne vendent pas des aliments pour bébés parce que cela n'est pas lucratif. Ils vendent de la drogue parce que c'est un commerce lucratif. La prohibition lubrifie les rouages du terrorisme, tout comme elle lubrifie ceux du crime organisé.

La criminalisation des drogues a d'autres effets encore sur le terrorisme. Ainsi, ces politiques étrangères qui appliquent la prohibition peuvent avoir des conséquences terribles pour certains pays. La Colombie est sans doute le meilleur exemple. Dans de vastes régions de ce pays, on utilise des défoliants. Les programmes d'éradication des cultures provoquent de véritables catastrophes environnementales. À cause du commerce de la drogue, nous enrichissons également les factions combattantes, les mouvements paramilitaires et la guérilla d'extrême gauche. Par contre, nous défolions toujours de vastes régions colombiennes, ce qui a des conséquences écologiques considérables et des effets très néfastes pour la santé.

Nous tolérons aussi, je pense, les violations atroces des droits de la personne commises par certains organismes pour la seule raison que ceux-ci semblent être favorables à l'élimination du commerce de la drogue. Nous sommes prêts à accepter leurs actes sans trop les critiquer, tout simplement parce qu'ils se sont ralliés à la prohibition.

Cela fait déjà plusieurs années que nous voyons en Colombie les politiciens et les décideurs politiques déplorer les effets de la prohibition pour leur pays. Elle cause énormément de tort à la Colombie et à bien d'autres pays dans le monde entier.

Ces gens veulent que nous abandonnions la prohibition. Au cas contraire, si nous continuons à leur imposer de force ces politiques d'interdiction, nous allons continuer à créer l'hostilité. Ils peuvent ainsi continuer à commettre des violations des droits de la personne. Cela crée une énorme hostilité au sein même du pays. Parfois, ces gens-là passent à l'attaque. Nos politiques risquent en fait de créer une certaine hostilité à l'encontre des pays qui imposent des politiques comme celles-là.

Nous mobilisons également d'énormes ressources à commettre un mal très réel alors qu'elles pourraient servir à faire le bien. Depuis quelques semaines, vous avez probablement lu que le gouvernement américain avait commencé à affecter à la lutte contre le terrorisme les ressources humaines de son service de répression des drogues. Voilà exactement de quoi je voulais parler. Ils ont axé leurs efforts sur la guerre contre la drogue et peut-être n'ont-ils pas affecté les ressources dont ils avaient besoin à la lutte contre le terrorisme. Cela ne signifie pas pour autant que s'ils avaient affecté ces ressources à la lutte contre le terrorisme, les événements du 11 septembre ne se seraient pas produits. Cela, personne ne peut l'affirmer. En revanche, nombreux sont ceux qui soutiennent que nous gaspillons nos ressources.

Il y a cinq ans, le professeur Arnold Trebach, l'un des fondateurs de l'American Drug Policy Foundation, prenant la parole à l'Université hébraïque de Jérusalem, a déclaré ceci:

Nous serions tous infiniment plus en sécurité si les efforts courageux des agents de répression de la drogue des États-Unis, d'Israël et des autres pays ciblaient plutôt les terroristes qui veulent faire exploser des avions de ligne et des gratte-ciel plutôt que les trafiquants de drogue qui tentent de vendre de la cocaïne et de la marijuana aux passagers de ces avions et aux occupants de ces bureaux.
Voilà des propos qui, il y a cinq ans, étaient assez prophétiques.

Je soutiens pour ma part qu'il faut mettre fin à la prohibition. Je pense que cela semble assez évident. Le comité a déjà entendu des témoins, et il en entendra d'autres, pour qui: «Il n'est pas nécessaire de supprimer la prohibition. Nous pouvons faire autre chose pour diminuer les ravages causés par la drogue en attaquant plutôt l'élément financier. Nous pouvons renforcer nos lois contre le blanchiment de l'argent de la drogue.» Par contre, cela n'a rien donné jusqu'à présent, et je n'ai encore aucune raison véritable de croire que les lois de ce genre puissent avoir un impact quelque peu significatif sur les mouvements d'argent entre le monde de la drogue et les organisations criminelles et terroristes. Nous avons tous beaucoup appris au sujet du système de transfert de fonds qu'on appelle «hawala», et qui échappe totalement à toutes les lois destinées à contrer le blanchiment.

Les mesures classiques que nous avons choisies pour combattre la drogue ont été à mon avis un échec colossal. Prenons la théorie de la réduction de l'offre par un renforcement des opérations policières. Les États-Unis, qui sont le pays le plus puissant au monde, espèrent, à en croire l'agence Associated Press, intercepter en 2002 18 p. 100 des drogues illicites à destination du territoire américain. Cela représente moins de 20 p. 100. L'objectif des États-Unis est donc d'intercepter 20 p. 100 de la drogue qui arrive à ses frontières. À l'heure actuelle, ils n'en interceptent qu'environ 10 p. 100, toujours selon l'agence Associated Press.

Le 1er octobre, un représentant de l'Agence canadienne des douanes et du revenu, interrogé à ce sujet par M. White, a déclaré qu'au Canada, les forces de l'ordre ne parvenaient à intercepter qu'environ 10 p. 100 des 7 à 10 milliards de dollars canadiens de drogues illicites qui se retrouvent chaque année au Canada.

Alors que le pays le plus puissant au monde ne parvient à intercepter qu'entre 10 et 20 p. 100 de toute la drogue qui arrive sur son territoire, notre pays affiche un taux d'interception de 10 p. 100. Voilà qui n'entrave guère le financement des organisations terroristes par le trafic de la drogue. Ce que nous appelons donc la réduction de l'offre ne donne rien.

Les cultures de remplacement ne donnent rien non plus. Certes, elles permettent peut-être temporairement aux agriculteurs de cultiver autre chose, mais à long terme, nous savons que ces récoltes de remplacement ne produisent pas de bons résultats. Elles provoquent énormément d'hostilité dans les populations locales qui doivent subir ces programmes. Il y a également des conséquences très graves pour l'environnement. Les mesures classiques dont on vous parlera ne peuvent rien faire pour réduire les bénéfices qui parviennent aux organisations criminelles et terroristes. De toute évidence, je l'ai déjà dit, les lois destinées à contrer le blanchiment ne sont pas opérantes.

L'autre problème est que tout cela détourne l'attention de la réalité des choses. Nous avons beau dire: «Nous allons multiplier les efforts au niveau des services policiers. Nous allons détruire davantage de récoltes. Nous allons travailler davantage au niveau de l'éducation. Nous allons exiger davantage de réductions. Nous allons faire davantage d'analyses.» Mais tout cela a simplement pour effet de détourner l'attention du grave problème auquel nous devons faire face, c'est-à-dire l'impact produit par la prohibition des drogues. Ces autres mesures mitigent de façon très marginale le problème, mais ne font rien pour régler le problème fondamental de la prohibition.

De toute évidence, il n'existe aucune solution totale au problème de la drogue. Mettre fin à la prohibition ne résoudra pas tous les problèmes associés à la drogue. Je ne me lancerai pas dans l'exposé que j'ai fait l'an dernier et je ne reviendrai pas sur ce que d'autres ont déjà affirmé devant vous au sujet des effets néfastes et dérisoires de la prohibition.

Ce que nous pouvons faire par contre, c'est réduire la rentabilité de la drogue pour les organisations terroristes du monde entier. Nous ne pouvons pas conserver la prohibition tout en espérant priver les terroristes et les organisations criminelles des bénéfices associés au commerce de la drogue. C'est aussi simple que cela. S'il n'y avait pas cette interdiction, le commerce de la drogue ne serait plus un facteur dans l'équation terroriste. À cause de la prohibition, le commerce de la drogue est désormais la principale source de financement du terrorisme, c'est du moins ce qu'affirment beaucoup de gens. Nous devons choisir la politique que nous voulons en matière de drogue: une politique qui alimente le terrorisme, qui finance et enrichit les terroristes, ou une politique qui ne le fait pas.

Supprimer la prohibition ne mettra pas fin au terrorisme. Le terrorisme a d'autres sources de financement. Cependant, la prohibition a donné aux terroristes une véritable vache à lait. C'est une source de revenus facile. Les groupes de terroristes en Colombie continueront à enlever des gens mais c'est une source de revenus loin d'être aussi lucrative que le commerce de la drogue. Ils continueront à braquer des banques; ils continueront à faire du trafic d'armes; ils continueront à extorquer de l'argent aux expatriés; ils continueront à cajoler les incrédules pour qu'ils donnent de l'argent à des organismes caritatifs qui sont en fait des couvertures pour les organismes terroristes. Ces activités ne cesseront pas, mais il est possible que certaines des mesures antiterroristes envisagées actuellement par les gouvernements aient une chance d'y mettre un certain terme. Néanmoins, il n'y a aucune chance qu'elles mettent un terme au financement du terrorisme.

Je ne pense pas pouvoir ajouter quoi que ce soit, monsieur le président. Je crois que j'ai vraiment fait le tour de la question. J'espère avoir bien défendu mes arguments. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions des membres de votre comité.

Le sénateur Kenny: Je ne crois pas qu'il y ait grand monde autour de cette table qui conteste vos arguments, monsieur Oscapella. Pourriez-vous nous dire comment faire tarir cette source de profits?

M. Oscapella: Le problème c'est d'arriver à faire disparaître les bénéfices de la prohibition. Comme le magazine The Economist l'a dit, comme l'Institut Fraser l'a dit: il faut légaliser, réglementer, décourager.

Le sénateur Kenny: Tout?

M. Oscapella: Oui, tout. Comme vous le savez, les drogues étaient légales dans notre pays au début du XXe siècle. Malheureusement, suite à des années de propagande et de désinformation, nous avons réussi à faire prévaloir une énorme peur de ce qui arriverait si on mettait fin à la prohibition. Et c'est pourtant, en fin de compte, la seule solution. Aucun compromis n'est vraiment possible car les autres mesures mises en place pour traiter de la drogue dans un système de prohibition ne peuvent avoir une incidence suffisante pour en faire disparaître l'élément de profitabilité.

Le sénateur Kenny: Comment évaluez-vous la partie contrôle? Si on légalisait, il faudrait que Santé Canada ou qu'une administration analogue examine les produits et détermine leur innocuité pour les consommateurs. Selon toute vraisemblance, aucune des drogues actuellement sur le marché ne serait considérée sans danger. On se retrouve donc de nouveau dans la même situation car le produit est jugé licite, mais son introduction sur le marché est bloquée pour des raisons sanitaires.

M. Oscapella: Il y a l'exemple de l'alcool et de la prohibition aux États-Unis. Ils ont fini par abandonner.

Le sénateur Kenny: Je reconnais avec vous que l'alcool et le tabac sont en vente libre sur le marché. Nous reconnaissons que la prohibition n'est pas la bonne manière pour résoudre les problèmes que posent l'alcool et le tabac. Cela dit, quand on réintroduit un produit sur le marché licite, ne doit-il pas être soumis à un certain nombre d'examens? Si on devait introduire le tabac sur le marché canadien aujourd'hui il serait recalé au premier examen.

M. Oscapella: Peut-être pas. Par contre, voyez les maux associés à la prohibition. Il y aura quelques maux associés à la consommation de cette drogue par certains. Le tabac est probablement l'exemple le plus fameux parce que nous savons qu'il crée une très forte dépendance pour la majorité de ceux qui le consomment. Nous en avons toutes les preuves.

Comme pour beaucoup d'autres choses, il y a des méfaits potentiels associés à la consommation de certaines drogues. Nous le savons. Je n'essaie pas du tout de dire que la consommation de drogues est sans danger. Cependant, il y a beaucoup d'autres choses que nous autorisons dans la société et que nous avons choisi de réglementer plutôt que d'interdire.

Des aliments qui font grossir, par exemple. Nous savons que les mauvais régimes alimentaires sont un des principaux facteurs de décès dans notre pays. Les maladies cardiaques qui ont pour principal facteur un mauvais régime alimentaire sont une des principales causes de décès, mais cela ne nous incite pas à interdire certains produits alimentaires. Nous pourrions avertir le public. Nous pourrions essayer d'éduquer le public et nous pourrions essayer de comprendre pourquoi certaines gens mangent autant de cette mauvaise nourriture. C'est exactement la même chose que nous devons faire pour la drogue.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous caractériser l'ampleur de ce contrôle? À votre avis, des avertissements, une campagne d'éducation, ce genre de choses? Vous ne verriez pas un système de contrôle régulier plus rigoureux que ça?

M. Oscapella: Il y a de multiples possibilités entre la prohibition absolue et la légalisation totale, comme vous le savez bien. Les programmes de consommation d'héroïne sous contrôle pourraient constituer une option. La vaste majorité de l'héroïne consommée dans notre pays l'est probablement par un nombre relativement petit de personnes qui ont des problèmes de dépendance. On pourrait probablement éliminer une part importante de ce marché grâce à ces programmes de consommation d'héroïne sous contrôle thérapeutique.

De tels programmes ne correspondraient pas à une légalisation aussi généralisée que pour l'alcool. Je n'arrive pas du tout à comprendre pourquoi le cannabis est toujours considéré comme une substance illégale, mais c'est comme ça. Le problème pourrait être facilement réglé grâce à la mise en place d'un système de réglementation analogue à la Régie des alcools de l'Ontario. Nous pourrions avoir des règles et une réglementation de consommation pour les adultes encourageant les gens qui le vendent à ne le vendre qu'aux adultes et en toute connaissance de cause.

En fin de compte, pour toutes les drogues, il faut avant tout s'intéresser à ceux qui les consomment. Il nous faut un régime juridique. Il y a toute une panoplie de pressions allant de la dépénalisation à la légalisation en passant par la médicalisation, comme dans le cas de l'héroïne. Il faut trouver pourquoi certains veulent se droguer à la limite du dangereux.

Si nous changions nos lois, si nous libéralisions nos lois sur la consommation de drogue, il se pourrait qu'il y ait augmentation de la consommation d'héroïne. Cependant, cette consommation deviendrait probablement moins dangereuse. Le gouvernement dans un tel domaine devrait avoir pour rôle de contrôler la qualité. Le gouvernement devrait s'assurer que les dangers potentiels de la drogue sont réduits au maximum. Il y a des contrôles de qualité de la production d'alcool afin que le mauvais alcool n'entraîne pas la cécité ou le décès par empoisonnement comme c'était le cas au temps de la prohibition. Les gens continuent à mourir d'overdoses d'alcool, mais pas de consommation de mauvais alcools.

Le gouvernement devrait avoir pour rôle de décourager les formes dangereuses de consommation. C'est un rôle pédagogique. Il devrait se demander pourquoi certains consomment de la drogue au point de se détruire. Pourquoi la majorité d'entre nous, dans cette salle, peut consommer de l'alcool sans grand danger alors que nous savons que 5 à 10 p. 100 de la population canadienne ne le peut pas? Devrions-nous nous intéresser en priorité à ces 5 à 10 p. 100 et cesser de faire une fixation sur des consommateurs de drogue qui ne créent pas de grands dangers ni pour eux-mêmes ni pour la société?

Le sénateur Kenny: Quelles sont les conséquences internationales de la politique que vous proposez?

M. Oscapella: Si nous adoptons le principe du périmètre frontalier, nous ne pourrons pas faire grand-chose en toute indépendance des Américains. C'est une de mes grandes craintes.

Selon le droit international, nous pouvons nous retirer de tout traité de contrôle d'une drogue ou d'une autre. Il y a également des instruments internationaux des droits de l'homme qui nous interdisent de prendre des initiatives qui portent atteinte aux droits fondamentaux des populations. J'essaierais pour le moins de prétendre que ces instruments internationaux des droits de l'homme devraient de toute façon régler le sort de ces traités de contrôle de drogue.

Nous avons le moyen de nous retirer de tous ces traités. Sur le plan politique, je dois convenir que c'est une autre affaire. Cependant, chacun de ces traités de contrôle de la consommation de drogue dont nous sommes signataires contient une clause de désistement.

Le sénateur Kenny: Vous avez parlé de coûts. Quels seraient les coûts économiques de votre proposition?

M. Oscapella: Je ne peux pas les prédire. Je peux dire par contre que ce serait une source majeure de financement qui serait retirée aux terroristes. Je ne pense pas que cela entraînerait une augmentation importante de la consommation de drogue.

Le sénateur Kenny: Ce n'était pas ma question. Au cas où nous aurions une frontière commune avec les Américains et qu'ils continueraient à appliquer leur approche actuelle, on peut supposer un changement important au niveau de leurs politiques de contrôle de la frontière. Pensez-vous que cela pourrait avoir des coûts économiques importants pour les Canadiens?

M. Oscapella: Oui, c'est une préoccupation. Prenons l'exemple des Pays-Bas. On a conclu l'Accord de Schengen au sein de l'Union européenne. Les Pays-Bas tirent depuis longtemps derrière eux le reste de l'Europe. Il est difficile de penser que le Canada puisse tirer les États-Unis derrière lui, mais cela sera peut-être possible avec le temps. Il y a un nombre considérable de personnes aux États-Unis qui n'appuient pas l'approche utilisée actuellement en ce qui concerne les drogues dans ce pays, alors il y a peut-être de l'espoir.

La véritable question du point de vue pratique est en effet celle des conséquences possibles à notre frontière. Nous pourrions continuer d'imposer les peines draconiennes dont sont passibles actuellement ceux qui exportent des drogues. L'emprisonnement à vie est la peine prévue pour l'exportation de drogues. Ce sont les peines prévues dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Je ne m'oppose pas à ce qu'on maintienne ces peines, si c'est ce qui préoccupe les gens.

Cependant, il y a un aspect pratique dont il faut tenir compte, si nous créons un périmètre de défense de l'Amérique du Nord. Cela limiterait nos options en ce qui concerne l'élaboration d'une politique indépendante en matière de drogues, et en ce qui concerne également bien d'autres politiques.

Le sénateur Forrestall: Je comprends ce que vous dites. On entend cet argument depuis longtemps et il est encore difficile de trouver une solution. Vous avez dit que nous pourrions réduire considérablement les sommes d'argent provenant du commerce illicite des drogues et pouvant être consacrées à des activités terroristes, mais pourrions-nous le faire par nous-mêmes?

M. Oscapella: Non.

Le sénateur Forrestall: Le Canada ne deviendrait-il pas simplement une source d'approvisionnement de drogues bon marché qui pourraient ensuite être vendues dans des pays qui n'auraient pas de lois semblables?

M. Oscapella: Il faudrait une coopération internationale. Il est difficile d'agir seul, sauf pour ce qui est de maintenir des peines très sévères pour l'exportation de drogues. Dans la mesure où nous croyons que le droit pénal donne des résultats, nous maintiendrions ces dispositions.

Cependant, un marché réglementé à certains égards pourrait contribuer davantage à limiter le trafic de drogues qu'un marché qui ne l'est pas. En fin de compte, une coopération internationale est nécessaire. Si le Canada cessait d'interdire les drogues, cela ne paralyserait pas en soi le financement des organisations terroristes.

Nous devons voir ce que font les autres pays où l'on consomme le plus de drogues qui servent à financer actuellement des organisations terroristes. Nous devons par conséquent regarder du côté des États-Unis, ainsi que du côté de l'Europe où la vente d'héroïne ou d'opium rapporte 20 milliards de dollars par année à des organisations criminelles et terroristes.

Il faut un effort à l'échelle internationale. Ce n'est pas quelque chose que nous pouvons faire par nous-mêmes d'une manière efficace, mais c'est un autre argument que nous devons faire valoir. Nous avons créé ce gâchis de la prohibition internationale en coopérant entre pays, malheureusement. C'est donc grâce à la coopération internationale que nous devons nous en sortir. Cependant, je crois entrevoir bien des possibilités de changement en Europe.

Votre comité a entendu Peter Cohen en mai dernier. Il y a beaucoup de gens en Europe qui parlent maintenant d'annuler l'interdiction et de repenser toute la question. L'Europe peut maintenant servir de contrepoids important face aux États-Unis, où le gouvernement tient mordicus à sa mentalité prohibitionniste, en dépit du fait qu'il y a un mouvement très important aux États-Unis en faveur d'un changement aussi.

Je crois que nous verrons un changement. L'une des choses que nous essayons de faire est de sensibiliser davantage les gens en général, soit les gouvernements et les citoyens, aux mécanismes utilisés par les terroristes pour financer leurs activités grâce au commerce des drogues illicites. C'est un autre argument que les Européens examineront, je l'espère. C'est aussi un argument de plus que le gouvernement américain examinera également, je l'espère.

Les terroristes ne le veulent évidemment pas. Ils adorent la vache à lait que leur offre la prohibition. Cela devrait être révélateur pour nous. Le crime organisé adore la prohibition. Cela aussi devrait être révélateur pour nous. Si ces organisations contre lesquelles nous luttons adorent ce que la prohibition leur rapporte, nous devrions peut-être repenser notre position à ce sujet.

Le sénateur Forrestall: Voulez-vous dire qu'il y a une leçon à tirer de la fin de la prohibition de l'alcool?

M. Oscapella: Oui, très certainement. Malheureusement, la prohibition de l'alcool a profité énormément au crime organisé aux États-Unis et au Canada.

Le sénateur Forrestall: Je croyais que les choses avaient très bien été.

M. Oscapella: En effet. Quand on regarde les chiffres, l'estimation la plus faible indique que 150 milliards de dollars par année va aux organisations criminelles et terroristes, tandis que l'estimation la plus élevée est de l'ordre de 400 milliards de dollars par année. Sur une période d'un an, cela représente des billions de dollars détournés vers un marché illicite - et c'est quelque chose qui donne énormément de pouvoir aux organisations. En effet, il y a vraiment une leçon à tirer. Plus la prohibition durera, plus il y aura de dommages.

C'est énormément compliqué de décider de repenser notre position sur la prohibition. Cependant, nous devons le faire. J'espère que c'est l'une des orientations que votre comité choisira. J'espère que vous commencerez par vous demander comment nous pourrions mettre fin à la prohibition afin de réduire la grande myriade de torts associés actuellement à la prohibition.

Le sénateur Forrestall: Avez-vous effectué des recherches originales sur cette question, pour voir comment on pourrait en arriver à un objectif commun de mettre fin à la prohibition? Vous parlez dans des termes que je ne comprends pas. Je n'arrive pas à comprendre comment l'argent est obtenu et comment il est transféré.

Est-ce qu'il y a des organismes des Nations Unies, comme l'Organisation mondiale de la santé, ou des groupements internationaux de police, par exemple, qui ont examiné cette structure ou ce processus? Si l'on fait un tel travail, combien de pays faudrait-il pour qu'il y ait un impact significatif?

M. Oscapella: Premièrement, j'ignore si j'ai déjà fait des recherches originales, car toutes ces idées ont déjà été présentées. Quant à savoir ce qui constituerait une masse critique, comme le président l'a dit, je ne le sais vraiment pas. Je sais que c'est dans les pays riches que l'on consomme certainement le plus de drogues illicites. À l'heure actuelle, les États-Unis, le Canada et les pays d'Europe constituent les principaux marchés dans le monde pour les drogues illicites. Si l'Union européenne et l'Amérique du Nord décidaient d'agir, cela représenterait un pas important. Si nous prenions les pays de l'OCDE, par exemple, nous pourrions accomplir beaucoup.

Quant à savoir si des organisations internationales ont examiné cette question, j'en doute fort. Personne ne semble dire que la prohibition constitue un problème. Tout le monde dit que le commerce de la drogue constitue le problème. Personne n'a poussé l'analyse au-delà de la constatation que le commerce de la drogue constitue le problème. Personne n'ose admettre qu'en réalité, c'est la prohibition qui rend la vente de ces drogues si attrayante.

Si l'on n'est même pas allé jusque-là, je doute fort qu'on ait exploré des mécanismes pour mettre fin à la prohibition. La prohibition de l'alcool a pris fin abruptement. Il a fallu beaucoup de manoeuvres politiques pour qu'on prenne la décision, mais essentiellement, du jour au lendemain la loi a changé.

Le sénateur Forrestall: Vous présentez un excellent argument. Cependant, je serais bien plus disposé à appuyer cette idée si je pensais qu'il y avait suffisamment de pays avec nous pour que ça vaille la peine. Il serait futile de changer nos lois et d'essayer de changer nos coutumes au Canada par nous-mêmes.

M. Oscapella: Vous avez raison. Il y a cependant des mesures que nous pouvons prendre pour résoudre certains des problèmes associés à la prohibition au Canada. Si le Canada agit seul pour endiguer le flot de narcodollars qui va aux terroristes, cela ne fonctionnera pas. Il y a certainement plusieurs autres raisons tout à fait valables de mettre fin à la prohibition au Canada.

J'aimerais bien qu'on fasse plus de recherches sur cette question, mais il est extrêmement difficile d'obtenir des fonds à cette fin. Nous dépensons des centaines de millions de dollars par année pour perpétuer le modèle actuel. Il est très difficile d'obtenir de l'argent pour le type de recherches que nous aimerions effectuer.

J'ai fait des démarches auprès du ministère de la Justice pour savoir s'il financerait une étude plus approfondie sur les liens entre la prohibition et le financement du terrorisme. J'attends impatiemment une réponse.

Le sénateur Forrestall: C'est une orientation intéressante. C'est peut-être ce à quoi je voulais en venir. Plus vite on en parlera d'un point de vue universel, et pas seulement du point de vue étroit des événements au Canada, plus vite nous arriverons à bien comprendre la situation. Notre président veut comprendre ce que pensent les Canadiens des drogues douces et de certaines drogues qui ne contribuent pas vraiment à l'espionnage et au terrorisme de la façon dont vous parlez.

C'est encore très timide, toutefois. On pourra dire que nous ne faisons qu'effleurer le sujet, mais nous ne ferons que l'effleurer tant qu'on ne saura pas si d'autres pays font la même chose.

Je vois les choses bien autrement. Prenons deux milliards de personnes, l'équivalent de la population de la Chine, de l'Inde et de la Malaisie. Bientôt, il s'agira de 2 milliards de personnes qui vivent assez bien et qui consomment littéralement la plupart de ces drogues. Il faudra les mettre de notre côté.

M. Oscapella: Je suis d'accord avec vous. Il faut que notre pays fasse preuve de leadership intellectuel. Je comprends que nous n'avons pas la même puissance que d'autres pays plus grands. Mais il reste que le Canada est l'une des démocraties les plus respectées dans le monde - si l'on ne tient pas compte du livre récent de Jeffrey Simpson, parlant d'un doux dictateur - et nous pouvons vraiment faire preuve de leadership en parlant de ces questions. Nous n'avons peut-être pas le pouvoir de mettre en oeuvre certains de ces changements, mais nous avons certainement la possibilité de présenter nos idées. C'est ce que je souhaite. Le Canada pourrait ainsi avoir un rôle très utile dans ce débat.

Le président: Nous avons du pain sur la planche, si nous en venons à la conclusion qu'il faut rassembler une masse critique.

Monsieur Oscapella, je voudrais être du même avis que vous, mais j'ai un problème. Bien entendu, il serait facile de dire qu'en mettant fin à la prohibition, noua cesserons de financer le terrorisme et nous ferons d'une pierre deux coups. Je ne pense pas qu'il en aille ainsi.

La GRC nous a dit ce matin qu'on voit de plus en plus de liens entre ces deux mondes. Mais si on compare le prix payé ici, les profits réalisés là et le coût sur la rue, on voit que ce sont deux mondes à part. Les terroristes ne sont pas présents à chaque niveau, sur le marché noir.

M. Oscapella: C'est exact.

Le président: Il est donc faux de dire que tout l'argent du marché noir va au terrorisme.

M. Oscapella: Non, et je ne voudrais certainement pas créer ce malentendu.

Le président: Lorsque vous donnez les chiffres des Nations Unies sur l'ampleur du marché noir, soit de 150 milliards à 400 milliards de dollars, il s'agit bien sûr d'une grosse cagnotte, mais elle n'est pas toute entre les mains de terroristes.

M. Oscapella: Certainement pas. Le producteur en reçoit une partie, de même que le grossiste, en Afghanistan.

Le président: Nous parlons encore de petites sommes. Pour vous donner une idée, ce matin, la GRC nous a parlé des diverses «taxes» des talibans. Pour la récolte d'opium, c'était 12 p. 100, donc 12 p. 100 des quelques sous dont vous parliez ce matin, dans votre témoignage. Le laboratoire d'héroïne reçoit 70 $ US le kilo. Le permis de transport est à 2,50 $ le kilo. Le cumul de toutes ces taxes sur l'héroïne, en Afghanistan, atteint 75 millions de dollars US.

M. Oscapella: J'ai moi aussi vu ces chiffres.

Le président: Si l'on compare avec la somme de 1,2 milliard de dollars que représente le marché de l'héroïne sur la rue au Canada, il y a certainement quelqu'un qui a eu sa part de tarte, entre l'Afghanistan et le Canada.

M. Oscapella: Certainement. Les intermédiaires, qui font passer l'héroïne par les routes d'Asie centrale, reçoivent leur dû. À toutes les étapes, quelqu'un reçoit sa part. Vous avez tout à fait raison. Tout l'argent ne va pas aux talibans.

En Colombie, le financement est un peu plus direct. Ils reçoivent bien davantage. On dit que c'est près de 600 millions de dollars US par an. Pour les talibans, j'ai entendu des chiffres allant de 30 à 75 millions de dollars US par an, grâce au prélèvement de taxes sur ce trafic. Ce n'est qu'une petite fraction des centaines de milliards de dollars que représente le marché mondial.

Mais il y a aussi d'autres organisations, dans d'autres pays. Les Albanais du Kosovo s'adonnaient au trafic de drogues pour acheter des armes, par l'intermédiaire de la Suisse. Ils étaient plus en aval de ce commerce, mais utilisaient l'argent de la drogue. Les talibans ne font pas tout cet argent à eux seuls. Les intervenants dans chacun des pays prennent leur part. Ils garnissent ainsi leurs propres coffres. L'argent n'est pas destiné à une seule organisation, mais en aide quelques-unes dans divers pays.

Revenons au témoignage de M. Labrousse, le 28 mai, devant votre comité: il a présenté un document qu'il avait préparé pour un autre organisme. Je crois qu'il disait que des groupes terroristes de 29 pays profitaient du trafic de drogue.

Au bout du compte, tout l'argent reste dans le marché noir. Il n'est pas destiné à une seule organisation. Je ne voudrais certainement pas laisser l'impression que j'ai déclaré que les talibans font 75 ou 100 milliards de dollars par an - c'est faux. Mais tous les intervenants en profitent. En outre, quand on crée des routes pour passer de la drogue, on peut aussi s'en servir pour le trafic de clandestins ou le trafic d'armes.

Même si les talibans ne reçoivent pas tout l'argent, nous créons des réseaux qui facilitent leurs échanges.

Le président: Je pense que sur une chose, nous sommes tous d'accord, autour de cette table: la prohibition est probablement ce qui a déclenché la situation, qui a pour résultat de financer toutes ces organisations, quelle que soit l'étape où elles interviennent. Nous sommes d'accord avec vous là-dessus.

Toutefois, la somme colossale de 150 à 400 milliards de dollars américains par an doit être précisée. Je suis content que vous offriez au ministère de la Justice de vous pencher sur ce problème, parce qu'il nous faut des réponses. Depuis six semaines, évidemment, c'est devenu une préoccupation grave qui nous intéresse tous.

Le sénateur Forrestall: Où en est cette demande ou cette enquête proposée au ministère de la Justice? Comment la proposition lui a-t-elle été présentée?

M. Oscapella: J'ai présenté cette proposition il y a environ un mois, mais le ministère était trop occupé à autre chose. Je présume qu'on travaillait au projet de loi antiterroriste. J'espère qu'ils iront de l'avant. Je vais certainement continuer à insister. Je ne sais pas si c'est moi qu'on choisira au bout du compte pour faire ce travail, mais j'aimerais vraiment beaucoup le faire. C'est important. Il faut examiner ces questions.

Le sénateur Forrestall: Avons-nous au Canada la capacité nécessaire pour réaliser cette étude?

M. Oscapella: Je crois que oui. Si la GRC peut nous dire que le producteur reçoit une certaine somme, l'intermédiaire, telle autre, le vendeur, une autre somme, et que la drogue est vendue tel prix sur la rue, on peut essayer de trouver qui profite de ce trafic, le long de la chaîne. Nous voudrions savoir combien le crime organisé du Canada reçoit du trafic d'héroïne en provenance du Triangle d'or, en Asie du Sud-Est. Aussi, quelle part de la tarte reçoivent les Hell's Angels, et aussi, combien reçoivent les armées birmanes. Nous voudrions savoir combien reçoit chaque intervenant. S'il y a 8 ou 10 intervenants dans la chaîne de production et de distribution, combien reçoit chacun? Au bout du compte, cela fait beaucoup d'argent.

Le président: Pour ce qui est de la GRC, il faut reconnaître qu'elle a obtenu ces chiffres du Comité sur la criminalité de la Chambre des représentants. Ce n'est pas de source canadienne. Ces chiffres viennent des États-Unis. Au moins, ils sont fiables.

Le sénateur Forrestall: D'après votre silence, je suppose que les Nations Unies ne font rien de particulier pour résoudre ce problème. Si la drogue n'était plus interdite, les choses changeraient-elles? Ai-je raison de supposer que si personne ne fait ce genre de travail, c'est parce que cela fait peur?

M. Oscapella: Je ne peux pas vous répondre. Je crois qu'un grand nombre des organismes qui déterminent la politique des Nations Unies en matière de drogue sont intimement convaincus que la prohibition doit être maintenue. J'ai peut-être l'air désabusé, mais comme j'ai travaillé dans ce domaine pendant une quinzaine d'années, j'ai malheureusement perdu mes illusions. Il faut se demander qui bénéficie de cette prohibition. Ce n'est pas seulement le crime organisé et les groupes terroristes, mais également les bureaucraties énormes auxquelles la prohibition a donné naissance.

Malheureusement, je crois qu'un grand nombre des grandes bureaucraties qui ont la haute main sur la recherche et la formulation des politiques en matière de drogue au niveau international défendent leurs propres intérêts. Elles profitent de la prohibition. Cela peut sembler cynique, mais je ne pense pas que ce soit irréaliste.

Le sénateur Forrestall: C'est compréhensible.

M. Oscapella: Oui.

Le président: Avant de clore nos audiences d'aujourd'hui, je tiens à vous informer que lundi prochain, le 5 novembre 2001, nous nous rendrons à Vancouver pour entendre des experts de la région.

[Français]

Avant de clore les travaux de cette séance du comité, je tiens à rappeler à tous ceux et celles qui s'intéressent aux travaux du comité, qu'ils peuvent lire et s'informer sur le sujet des drogues illicites en rejoignant notre site Internet à l'adresse suivante: www.parl.gc.ca.

Vous y retrouverez les exposés de tous nos témoins, leur biographie, toute la documentation argumentaire qu'ils auront jugée nécessaire de nous remettre, ainsi que plus de 150 liens Internet relatifs aux drogues illicites. Vous pouvez aussi utiliser cette adresse pour nous transmettre vos courriels.

Au nom du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, je désire vous remercier pour l'intérêt que vous portez à notre importante recherche.

La séance est levée.


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