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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 1 - Témoignages du 1er mars 2001


OTTAWA, le jeudi, 1er mars 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-4, Loi no 1 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil de la province de Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law, se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour en faire l'examen.

Le sénateur Gérald-A. Beaudoin (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président: Nous étudions aujourd'hui le projet de loi S-4, Loi no 1 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil de la province de Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.

Vous vous rappellerez que ce projet de loi à déjà fait l'objet d'une séance l'an passé. Nous avons reçu, lors de cette séance au mois de juin, la ministre et les fonctionnaires du ministère de la Justice. Entre-temps il y a eu une élection et le projet de loi est mort au Feuilleton. Il a été ressuscité, comme on le fait souvent pour des projets de loi, avec huit amendements techniques.

Le sénateur Joyal: Avant que nous entendions nos témoins j'aurais un point d'ordre, monsieur le vice-président. Bien que le projet de loi S-4 en soit un qui a déjà été considéré en partie par ce comité lors de nos sessions antérieures, c'est un nouveau projet de loi puisque le projet de loi précédent, comme vous l'avez dit, est mort au Feuilleton.

Ne serait-il pas de mise, puisque le projet de loi S-4 est un nouveau projet de loi, que nous entendions d'abord les représentants du ministère de la Justice, comme il se doit normallement dans tout projet de loi d'une nature aussi important que celui-là puisqu'il ne s'agit pas, comme on dit en bon français de «housekeeping,» mais d'un projet de loi qui a des implications importantes et pour le présent et pour l'avenir.

J'avais compris nous devions recevoir des représentants du ministère de la Justice et que la ministre de la Justice viendrait devant nous plus tard dans nos travaux. Je ne voudrais pas que cette pratique que nous avons aujourd'hui devienne la règle de ce comité et que nous commencions à entendre les témoignages de témoins sans avoir entendu ceux des représentants du ministère de la Justice.

Le vice-président: Je comprends, sénateur Joyal. Je pense que nous ne devons pas considérer cela comme un précédent. Je suis tout à fait d'accord. D'autre part, comme nous avions fait les invitations, et comme vous le savez l'ancien président du Sénat est décédé et que nous n'avons pas siégé hier, nous n'avons pas voulu apporter des changements à notre horaire d'aujourd'hui.Après la semaine de relâche, nous allons recevoir la ministre de la Justice et ses hauts fonctionnaires du ministère. Les deux témoins, le doyen Perret et le doyen Fabien, étaient prêts à procéder et nous avons décidé, exceptionnellement, de commencer par eux. Je ne voudrais certainement pas que cela soit un précédent. Normallement, nous entendons la ministre de la Justice et ses hauts fonctionnaires et après les autres experts. Étant donné les circonstances extraordinaires nous pourrions entendre nos deux experts, Bien entendu cette façon de procéder ne sera pas un précédent. Si vous êtes d'accord j'inviterai messieurs Perret et Fabien à nous présenter leur mémoire.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Je pense que cela dérangerait les témoins s'ils devaient revenir un autre jour. En toute équité, je pense que nous devrions les entendre maintenant, mais ne pas oublier qu'en général nous voulons entendre d'abord la ministre et les hauts fonctionnaires. Je pense que nous devrions entendre les témoins.

[Français]

Le sénateur Joyal: Je ne suis pas opposé à ce que nous entendions les témoins. Je veux qu'il soit cependant consigné au procès-verbal que le fait que nous entendions des témoins en premier n'est pas un précédent qui devrait être répété à l'avenir lorsque nous étudierons d'autres projets de loi.

Le vice-président: Oui, sénateur Joyal, cela sera sûrement consigné au procès-verbal.

M. Louis Perret, doyen, Faculté de droit, Section du droit civil, Université d'Ottawa: Honorables sénateurs, c'est avec plaisir et honneur que je comparais devant vous. Je pense qu'il est très important, pour bien amorcer le débat, de lire son titre au complet: Loi no 1 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil de la province de Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.

C'est un projet de loi très ambitieux. Comme vient de le dire le sénateur Joyal, il est important non seulement pour le présent mais pour l'avenir sur le plan national comme sur le plan international.

L'objectif de ce projet de loi est d'harmoniser les lois du gouvernement central pour les rendre compatibles avec les principes qui régissent le droit supplétif provincial. Il s'agit donc de concilier les deux traditions juridiques du Canada sans ignorer l'une au profit de l'autre, tant le droit civil que la common law. Ces deux traditions sont celles du Canada, mais elles sont aussi celles du monde occidental où 72 p. 100 des juridictions dans le monde sont de droit civil ou de common law, et 99 p. 100 de la population mondiale est régit soit par le droit civil ou de la common law pure ou du droit mixte d'inspiration du droit civil et de la common law. C'est un projet de loi qui aura des répercussions nationales et internationales.

Voyons d'abord les répercussions sur le plan national. Au Canada, c'est d'abord une reconnaissance officielle de la dualité culturelle juridique du pays avec un traitement égalitaire tout en harmonisant les principes qui gouvernent les provinces de droit civil ou de common law. Au Canada on retrouve l'application au niveau provincial et au niveau fédéral.

Au niveau provincial, comme le titre le dit, c'est un projet de loi numéro 1, cela veut dire qu'il y en aura d'autres. Déjà le numéro 1 a un champ d'application qui est assez large. Ce projet numéro 1 est très étendu, il couvre la Loi d'interprétation, la Loi sur les immeubles fédéraux, la Loi sur la faillite et l'insolvabilté et la Loi sur la responsabilité civile de l'État. Le préambule et les Attendus déterminent très clairement quelle est l'intention du législateur.

Je cite les principaux:

Que tous les Canadiens doivent avoir accès à une législation fédérale conforme aux traditions de droit civil et de common law;

Qu'une interaction harmonieuse de la législation fédérale et des législations provinciales s'impose et passe par une interprétation de la législation fédérale qui soit compatible avec le droit civil ou la common law, selon le cas;

Que le gouvernement du Canada ait pour objectif de faciliter l'accès à une législation fédérale qui tienne compte, dans ses versions française et anglaise, des traditions de droit civil et de common law.

D'autres lois fédérales sont appelées également à venir harmoniser le droit fédéral au Canada et il y aura des lois numéro 2 d'harmonisation, et suivantes. Il s'agit, en conséquence, d'une politique législative d'envergure, non seulement pour aujourd'hui mais pour demain, qui pourra être stimulante et une source d'inspiration pour l'harmonisation des lois commerciales au niveau des échanges interprovinciaux.

Au niveau des échanges commerciaux interprovinciaux, évidemment il existe une dualité juridique entre le Québec et les autres provinces du Canada. Le Québec, de droit civil, représente 23 p. 100 de la population du pays et 21,5 p. 100 de son PIB. Le commerce interprovincial, en 1996, représentait 160 milliards de dollars et chaque milliard correspond à un nombre de 6 000 à 8 000 emplois. Si l'on se limite uniquement aux principaux rapports Québec-Ontario, donc droit civil et common law, cela représente 45 milliards de notre PIB interne.

Il existe bien sûr un accord sur le commerce intérieur qui date de 1995. Pour le renforcer, on a créé un comité stratégique sur l'harmonisation des lois commerciales pour les relations interprovinciales. Le gouvernement provincial, les provinces et les territoires se sont alors engagées à travailler sur l'harmonisation des lois, de façon à:

Réduire et éliminer, dans la mesure du possible, les obstacles à la libre circulation des personnes, des produits et des services, ainsi que des investissements à l'intérieur du Canada, afin d'établir un marché intérieur ouvert, performant et stable.

Présentement, le marché intérieur est parsemé d'obstacles et parmi ceux-ci les obstacles juridiques sont nombreux, c'est le résultat de cette dualité. D'où la nécessité d'harmoniser.

Les résultats de cette situation sont que le commerce interne au Canada demeure stable, pour ne pas dire qu'il est stagnant. Jusqu'en 1991, le commerce interprovincial était supérieur au commerce international. La statistique de 1991 date de deux ans après l'entrée en vigueur du premier accord de libre-échange en 1989 entre le Canada et les États-Unis. De 1991 à 1999, et donc aujourd'hui, le commerce international est le double du commerce interprovincial. Sur le plan international, on a harmonisé le droit, ce que l'on n'a pas fait suffisamment encore sur le plan interprovincial.

Bien sûr, le commerce est-ouest a ses propres paramètres: il y a des distances et il y a une population beaucoup plus réduite que vers le sud. Néanmoins, les obstacles juridiques ont été beaucoup moins éliminés que sur la scène internationale.

Le commerce international nord-sud vers les États-Unis est un commerce qui représente trois cent millions de consommateurs et 85 p. 100 de notre commerce international est dirigé vers les États-Unis. Dans ce cas, les obstacles ont été réduits, soit dans le cadre du libre-échange nord-américain ou dans le cadre de travaux d'harmonisation dans différentes instances internationales. C'est là que nous arrivons au plan international.

Dans le monde, les deux systèmes juridiques sont très répandus. Vous avez en annexe du rapport que j'ai présenté une carte de la répartition des systèmes juridiques dans le monde, et j'aimerais déposer ici une copie papier de l'étude qui correspond au document appelé «World Legal Systems -- Les systèmes juridiques dans le monde». Nous avons aussi une version CD-ROM.

Comme je le disais tout à l'heure, 72 p. 100 des juridictions sont de droit civil ou de common law et 99 p. 100 de la population mondiale est régit par le droit civil ou la common law.

L'expansion de notre commerce se définit comme suit: 85 p. 100 vers une région de common law, qui est les États-Unis. Les autres 15 p. 100, avec le reste du monde, correspondent beaucoup aux droits civils puisque deux citoyens sur trois dans le monde relèvent du droit civil. Les 15 p. 100 du commerce des 460 milliards de commerce international intéressent aussi les pays de droit civil.

Également, si on regarde de plus près nos principaux clients pour les exportations en dehors des États-Unis, donc compris dans les 15 p. 100, ce sont le Japon, les pays de l'Union européenne, qui à part l'Irlande et le Royaume-Uni sont tous de droit civil. Nous sommes en train de prévoir une extension de l'ALENA vers la zone de libre-échange des Amériques qui correspondra à une population de 800 millions d'habitants. Cela veut dire que l'on va ajouter 400 millions de consommateurs à la zone de l'ALENA et ces 400 millions de consommateurs sont des consommateurs de droit civil. L'Amérique latine est entièrement de droit civil, à part la Guyane et quelques exceptions dans les Caraïbes. La Chine a adopté un code civil il y a cinq ans et il y a là un quart de la population mondiale. On sait qu'Équipe Canada s'intéresse beaucoup à la Chine, puisqu'elle vient d'y effectuer son deuxième voyage et ce sont des civilistes qui y habitent.

Les efforts d'harmonisation sur le plan international sont nombreux. La communauté des marchands, c'est-à-dire les chambres de commerce, et parmi elles la Chambre de commerce international de Paris, ont élaboré depuis de nombreuses années ce que l'on appelle des usages commerciaux, la lex mercatoria, mais que l'on tend de plus en plus à vouloir cristalliser dans des textes. Et ce, que ce soit des traités adoptés de façon formelle par des gouvernements, comme par exemple dans le cadre des conventions de droit international privé de La Haye ou bien de la commission des Nations Unies sur le droit commercial international ou encore la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises, qui est une harmonisation entre le droit civil et la common law sur le Sale of goods Act et la tradition civiliste en matière de vente. Il y a aussi la Convention de New York, en matière d'arbitrage et en matière procédurale, celle-ci datant de 1958. Ces deux conventions ont un grand succès international. Mentionnons également Unidroit qui est un organisme international dont l'objectif est surtout de préparer des conventions formelles, mais aussi des lois modèles. Et l'une de ces lois modèles, qui actuellement a beaucoup de succès, est une loi portant sur les principes de droit en matière de contrats commerciaux internationaux qui est aussi une synthèse entre la méthodologie du droit civil, des concepts de droit civil et des concepts de common law.

D'ailleurs, le projet de loi S-4 dans son préambule envisage aussi l'impact international du projet de loi par son inspiration et aussi dans sa méthodologie d'harmonisation lorsqu'il dit:

Attendu que le plein épanouissement de nos deux grandes traditions juridiques ouvre aux Canadiens une fenêtre sur le monde et facilite les échanges avec la grande majorité des autres pays.

En conclusion, je dirais que l'expérience de l'harmonisation des lois fédérales aura des répercussions importantes, non seulement aujourd'hui et pour le futur, mais également au niveau fédéral, au niveau interprovincial et aussi au niveau international.

C'est pourquoi il faut adopter le projet de loi S-4 avec grand enthousiasme. Il contient des valeurs culturelles canadiennes très importantes, non seulement pour le renforcement de notre unité nationale et de notre marché interne, mais aussi pour notre rayonnement dans le monde.

Les juristes canadiens, avec leur bilinguisme et leur bijuridisme, y jouent un rôle très important.

Le vice-président: J'ai oublié de présenter nos deux doyens qui, comme tous le savent fort bien, sont des civilistes, des juristes de très haut niveau. Nous sommes donc très fiers de les accueillir ici aujourd'hui.

M. Claude Fabien, professeur, Faculté de droit, Université de Montréal: Monsieur le président, je dois malheureusement décliner le beau titre de doyen que vous persistez à me donner puisque mon mandat a pris fin en juin dernier et que depuis ce temps, je suis retourné au métier de professeur ordinaire. Je ne me considère pas comme un spécialiste des questions entourant ce projet ce loi, mais plutôt comme un généraliste civiliste ordinaire.

Cette précaution oratoire fera peut-être pâlir les louanges que je m'apprête à faire, mais elle vous permettra également de relativiser les critiques que j'oserai formuler.

Pour préparer le document que vous devriez avoir devant vous, j'ai travaillé avec la version du projet de loi S-22. La pagination réfère donc à cette version du projet de loi puisqu'on ne m'a pas fourni la version du projet de loi S-4. Je vous prie de m'en excuser au cas où la pagination ne serait pas la même.

Mes propos sont d'abord faits de louanges et ensuite de quelques remarques à caractère critique. Tout d'abord, je dois mentionner que ma réaction est globalement positive. J'adhère pleinement au principe d'harmonisation du droit fédéral avec le droit civil et à celui de la rédaction bijuridique.

J'ai trouvé fort intéressant le colloque du ministère de la Justice tenu à Montréal. J'ai parcouru avec intérêt la publication des travaux de ce colloque qui s'avère être une contribution majeure à l'avancement des connaissances dans le domaine puisqu'il s'agit vraiment d'un monument intellectuel. J'appui donc ces politiques avec beaucoup d'enthousiasme.

J'ai pris pour acquis -- peut-être naïvement -- que tous les membres du comité étaient conquis par le principe du projet de loi S-4. Je n'y reviendrai pas parce que mon collègue a plaidé avec compétence et persuasion les principes fondamentaux qui sous-tendent ce projet de loi.

Je dois dire d'emblée que j'admire ceux qui ont rédigé le projet de loi S-4. C'est un défi intellectuel considérable du fait qu'il existe des problèmes techniques pratiquement insolubles. Cela mérite tout notre enthousiasme.

En tant que juriste, le deuxième élément sur lequel je réagis favorablement, ce sont les éléments du préambule et, surtout, la reconnaissance du droit provincial en tant que droit supplétif au droit fédéral en matière de droit civil et de propriété.

La doctrine avait déjà établi cela, mais il est intéressant de voir qu'il sera solennellement affirmé que le droit provincial, en matière de droit civil et de propriété, est le droit supplétif pour ce qui est de l'application de la législation fédérale dans les provinces. Et c'est heureux parce qu'il n'existe pas de droit privé fédéral à vocation universelle. Il y a des lois qui, ponctuellement, règlent certaines questions, mais un droit statutaire a besoin, pour être soutenu et nourri, du terreau du droit supplétif.

Ma troisième remarque est la suivante: en parcourant le projet de loi S-4, j'ai vu qu'on avait saisi l'occasion de faire beaucoup plus que de l'harmonisation. On en a profité pour faire le nettoyage de la version française de certaines lois et c'est fort heureux.

En annexe 1, je souligne des améliorations de la langue. On parle des termes qui étaient équivoques ou défectueux et on en a profité pour utiliser des expressions beaucoup plus précises. À titre d'exemple, le terme «usage» devient «utilisation», le terme «détenant» devient «titulaire», et dans le cas de «créance d'une somme déterminée», on dit «créance liquide».

À la page 32, il est possible de faire la corrélation. Lorsqu'on lit «réaliser un placement», cela semble signifier «faire un placement». C'est tout à fait l'inverse puisque ce que la loi voulait dire, c'était «liquider un placement», s'en débarrasser. Dans la nouvelle expression «disposer d'un placement», on rend à l'expression son véritable sens.

On a également corrigé certaines omissions. En annexe 2, cela vous amusera de constater que certains traducteurs laissaient tomber des bouts de phrase. À deux endroits des lacunes ont été comblées. Effectivement, dans la version française on ne trouvait pas l'expression «to provide relief from error» et maintenant elle a été ajoutée. La même chose s'est produite pour l'expression «sauver des vies». On ne sauvait des vies qu'en anglais alors qu'en français c'était moins clair.

Également, j'ajoute un quatrième point au texte que vous avez sous les yeux, une amélioration par emprunt, et l'exemple se trouve à ce qui était la page 21. Le projet de loi, dans sa version anglaise, parle de «fiduciary obligations». Et même pour un avocat anglophone, cela l'oblige à aller consulter les savants traités ou la jurisprudence pour savoir ce que signifie «fiduciary obligations».

Maintenant, le projet de loi propose plutôt d'écrire :

[Traduction]

[...] l'obligation [...] d'agir de bonne foi en vue de l'intérêt général de l'administration de l'actif.

[Français]

C'est une explicitation et d'où vient l'idée de l'explicitation? Elle vient du droit civil, où on a élaboré cette notion dans un style qui ressemble à cela. Voici une amélioration par emprunt, de bon aloi, et c'est le dialogue des deux systèmes. L'enrichissement est réciproque et je crois qu'il est intéressant de le remarquer au passage.

Quant aux réflexions critiques, vous allez voir que mes remarques ne sont absolument pas au niveau des principes puisque j'ai plutôt réagi au niveau de la technique. Je pense que la qualité première du discours juridique en général et de la loi en particulier, c'est la clarté. Cela doit être souverain et dominer toutes les modes, toutes les idéologies et tous les bons sentiments.

Dans cette entreprise de l'harmonisation des lois, il faut prendre garde de ne pas en faire une religion, de ne pas en faire un culte. C'est une valeur relative qui doit servir le grand dessein national. Elle doit également servir ce que le droit a d'essentiel et dans ce qu'il veut être, un discours d'une clarté totale.

Il y aura des moments où des choix seront nécessaires entre une langue simple que tout le monde comprend et une langue savante. Je vous soumets que c'est la langue simple qui devrait être préférée plutôt que la langue savante. De la même façon et de façon plus subtile, il y aura des cas où les structures logiques, en pensant au génie respectif des langues, pourraient être différentes. L'ordre des propositions, par exemple, ou le degré de contraction ou d'explicitation.

Encore là, je pense que la clarté et l'efficacité de la communication devraient être une valeur prépondérante et que parfois on peut sacrifier un peu au génie de la langue, mais pas beaucoup. C'est une question de jugement.

J'ai écrit « illustration -- loi d'interprétation -- article 8.2». En réalité, pour moi ce n'est pas pour stigmatiser l'article 8.2. Au contraire, je suis rempli d'admiration lorsque je lis l'article 8.2. C'est tout simplement pour vous indiquer que cela a été pour moi l'occasion de la réflexion qui précède.

Je vous le lis donc:

Sauf règle de droit s'y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d'application le texte qui emploie à la fois les termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l'un et l'autre de ces systèmes.

Je vous avoue que j'ai été obligé de le relire plusieurs fois pour savoir ce que cela voulait dire. J'ai été obligé de lire la version anglaise, dans laquelle la structure est différente et dans laquelle il n'y a pas le même effet de contraction. J'ai fini par bien en comprendre le sens.

Au fond, mes sentiments sont partagés. Je suis admiratif devant l'élégance de cette rédaction, mais perplexe devant les techniques employées: l'inversion et la contraction. Je pose la question à savoir s'il aurait été possible de garder la même structure des propositions, d'imiter la redondance que l'on trouve en anglais, pour des raisons de clarté.

Je n'ai pas de conclusions. C'est un domaine dans lequel on est dans l'infiniment subtil et ce sont les spécialistes, au fond, qui pourraient réfléchir à ces graves questions. Tout ce que je voudrais qu'on retienne de mon intervention, c'est que la clarté est une vertu souveraine en droit et qu'elle ne doit pas être sacrifiée à d'autres considérations.

Mon deuxième point a trait au problème de lisibilité de la rédaction bijuridique et la solution du marquage des mots. J'aimerais que vous reteniez cela comme l'élément majeur de mon intervention parce que si je n'avais pas tort, cela pourrait avoir des conséquences concrètes importantes.

J'ai relevé à l'annexe 3 des termes, par exemple, dans la colonne de gauche, c'était le terme de droit civil en anglais et dans la colonne de droite, c'était le terme de common law en français. À plusieurs moments, j'ai eu le doute de savoir si c'était un nouveau terme du droit civil québécois, parce qu'il faut penser qu'on vit avec un nouveau Code civil depuis 1994. Personne ne connaît par c<#0139>ur le nouveau vocabulaire du droit civil.

J'avais donc un doute. Plusieurs fois, j'ai été obligé de retourner au Code civil pour voir si c'était un nouveau terme du Code civil. Parfois, c'est un terme qu'on a déjà employé à titre d'équivalent, est-il utilisé ici dans le sens d'un synonyme, d'un terme plus consacré du droit civil ou, au contraire, est-ce un terme employé dans son sens strict de common law? Cela m'a posé des difficultés et j'ai eu des doutes. Par exemple, «bien réel» qu'on oppose à «immovable», c'est par définition que cela a été adopté pour lui donner un sens très technique, très précis en common law en français, mais le civiliste ne le sait pas nécessairement.

Il se demande si «bien réel» est un nouveau terme du droit civil québécois, une nouvelle notion, un néologisme créé, une créature fédérale qui n'est ni du droit civil québécois ni de la common law. L'exemple suivant «resiliation» en anglais et dans la colonne française on voit le mot «résignation». Il y a là une danger de contamination. Un lecteur francophone qui lit rapidement peut avoir l'impression que ces deux termes veulent dire à peut près la même chose avec pour résultat qu'on pourrait voir apparaître dans le vocabulaire juridique civiliste le mot «résignation, Votre Seigneurie, du bail». D'où vient ce terme «résignation»? On irait donc aux sources et on verrait que, oui, c'est écrit dans la loi fédérale mais, non, ce n'est pas un terme civiliste, c'est un terme de common law.

À la page 14, on lit «immovable under divided co-ownsership» et «bien réel en condominium». Condominium fait partie du vocabulaire courant québécois. On ouvre le journal puis on voit des propriétés en condominium, sauf que dans le contexte de la loi, c'est un doublet dans lequel on fait bien attention d'employer condominium en référant à la technique de co-propriété de common law. Pour l'équivalent anglais «immovable under divided co-ownership», il y a comme un petit drapeau rouge implicite qui dit que c'est du droit civil québécois.

Il y a le mot «charge». Je me suis demandé si dans le nouveau Code civil on parle de charge. Peut-être parce qu'on parle de sûreté et on ne parlait pas de sûreté autrefois. Le mot «sûreté» est un terme très général qu'on a adopté avec raison. J'ai cherché «charge» dans le Code et cela n'y était pas. Donc si ce n'est pas dans notre Code, c'est probablement parce qu'il est employé ici en français dans son sens de common law.

Je pourrais continuer ma liste pour vous montrer le genre de difficultés que cela pose. Comment a-t-on essayé de résoudre ces problèmes de doublet? On l'a fait dans la rédaction inversée. Quand vous avez une énumération en anglais pour décrire une fonctionnalité, le terme de common law en anglais sera utilisé en premier et le terme de droit civil en anglais sera utilisé en second. Quand vous lirez l'autre colonne, vous verrez qu'on a inversé. Ce qui est une technique qui, quand on sait que c'est ce qui a été fait, cela permet peut-être de différencier, mais cela m'a pris une demi-heure pour comprendre qu'on utilisait cette technique d'inversion. Parfois, il y a des distinctions explicites. Il y a des endroits où l'on dit que dans la province de Québec cela s'appelle comme cela et dans les provinces de common law c'est cela qui est la règle et on utilise l'autre vocabulaire. Dans mon annexe 3, j'ai indiqué à trois endroits, avec des astérisques, des cas où la distinction est explicite et très claire.

Ma solution à ce problème de difficulté de lecture que j'ai éprouvé, c'est que les termes de droit civil en anglais et les termes de common law en français devraient être marqués par une convention d'édition quelconque. J'ai indiqué l'italique mais il peut en avoir d'autres. J'ai pensé à l'astérisque qu'on retrouverait en bas de page qui dirait «common law en français» ou «civil law in English» et où le signalement serait fait. Pourquoi faire le marquage des termes? D'abord, pour l'efficacité et la commodité des juristes. La première raison est le temps que j'ai pris à y voir clair, à compter les mots en parallèle dans les deux colonnes pour essayer de faire les doublets, ce n'est pas efficace. La deuxième raison est le danger de contamination et d'effets pervers. C'est-à-dire qu'au lieu de promouvoir la belle langue de droit civil en français, on pourrait indirectement y faire entrer par contamination des mots qui viennent plutôt de la common law en français.

Je donnais comme exemple tantôt les termes «résignation» et «condominium» qui pourraient revenir. Parfois, c'est plus subtil, comme dans le cas de «négligence grossière» et de «inconduite délibérée». Cela se dit en français également sauf que le législateur, avec raison, a dit que c'étaient des termes de la common law en français et qu'ils devraient être retenus comme tels.

Finalement, mon dernier argument est celui de la lisibilité pour les non-juristes. Les lois ne sont pas faites uniquement pour les juristes, mais aussi pour le monde ordinaire, lequel comprend des spécialistes aussi éminents que les juristes et qui ont le droit de disposer de lois qui leur parlent de façon efficace et dans lequelles ils ne se heurtent pas à des barrages. Imaginez alors, si c'est difficile pour un juriste entraîné de s'y reconnaître qu'est-ce que cela doit être pour le non-juriste qui ne connaît au départ ni le vocabulaire de la common law ni celui du droit civil. Un risque de confusion existe.

J'ajouterais un élément supplémentaire. Si on n'a pas recours au marquage des termes, comme je le souhaiterais, on devrait soit entreprendre la construction d'un lexique de termes juridiques de common law et de droit civil ou bien investir dans les groupes de recherches. Il en existe d'extrêmement compétents dans les universités, que ce soit l'Université de Moncton, d'Ottawa, McGill ou au Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, où des travaux admirables de développement et de précision du vocabulaire se font. Ou bien, le ministère de la Justice verse de généreuses subventions à ces groupes universitaires de recherche, ou bien il entreprend lui-même de bâtir ce lexique qui aurait une portée prescriptive et qui serait un guide d'utilisation de la rédaction bijuridique. De toute façon, cela s'imposera comme une nécessité à un moment donné.

Je ne dis pas qu'un lexique remplacerait l'idée du marquage, mais s'il y a des objections insurmontables au marquage des termes, minimalement, il devrait y avoir comme solution de repli un lexique qu'on pourrait consulter. Ce lexique pourrait éventuellement être électronique et pourrait permettre des «hyperliens». Si je lis sur mon écran «loi harmonisée», un terme qui me pose problème, pour connaître la provenance de ce dernier terme, je n'ai qu'à faire une recherche en cliquant sur le bouton approprié, et j'apprends que c'est un nélogisme de la common law en français. Je suis Alors rassuré et je sais où je m'en vais.

J'aimerais signaler des cas particuliers, ou des petites réactions sont survenues sur l'utilisation du mot «dommage». Dans le texte consacré du nouveau Code civil, on utilise le mot «préjudice». Si on prend le Code civil comme guide, on ne peut pas prendre ce qu'on aime et laisser ce qu'on n'aime pas. On pourrait faire un savant débat qui nous tiendrait toute la journée sur les mérites respectifs des mots «préjudice» et «dommage». J'estime qu'ils peuvent dire la même chose, sauf que le législateur québécois emploie le mot «préjudice» et «dommages-intérêts». Jamais il n'utilise le mot «dommage» seul pour signifier «préjudice». À tort ou à raison, c'est ce qu'il a fait, et il faut suivre le modèle.

C'est la même chose pour «pertes pécuniaires antérieures au procès». C'est équivoque, et ce n'est pas un terme civiliste, et je donne la référence au Code civil du Québec à l'annexe 4.

Un autre mot serait «moratoire», dans «dommages moratoires», qui permet de dire la même chose, sauf que notre législateur l'a écarté parce que «moratoire» était un mot trop savant. Pour que les gens comprennent, il a préféré écrire «dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution d'une obligation».

[Traduction]

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente: Je m'excuse si je n'étais pas ici au début de la séance. J'étais à un autre comité qui examinait un autre projet de loi.

Nous allons maintenant entendre M. le doyen Bisson.

[Français]

M. Alain-François Bisson, professeur, Faculté de droit, Section du droit civil, Université d'Ottawa: Je vais revenir sur un point, celui du marquage. Je comprends les soucis de mon collègue M. Fabien, mais cela entraîne une nouvelle complexité dans des lois déjà assez complexes. Je serais plutôt favorable à un document préparatoire ou «postpréparatoire». Actuellement, jusqu'en Cour suprême du Canada, les documents administratifs sont admis pour l'interprétation des lois de façon de plus en plus large. Que ce soit des documents antérieurs à la passation de la loi ou des documents postérieurs, la distinction est de moins en moins claire et je serais plutôt favorable à des documents d'appoint plutôt que des présentations typographiques complexes qui vont encore compliquer considérablement les choses. Sur le terrain du principe, je suis d'accord qu'il faut faire quelque chose, mais je ne serais pas favorable à la technique du marquage.

[Traduction]

La présidente: Vous aimeriez avoir des documents additionnels pour aider à clarifier le projet de loi, sans que ces textes fassent partie du projet de loi comme tel.

M. Bisson: Oui.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Le but du projet de loi S-4 est d'impliquer le Code civil, alors que depuis des années, pour l'interprétation des statuts fédéraux, on se référait à la common law. Alors comme on a deux systèmes et qu'on a un nouveau Code civil, de 1994, il faut impliquer le système de droit civil.

Si j'ai bien compris, monsieur Fabien, vous dites que d'avoir un lexique serait peut-être une bonne chose. Vous prêché à un converti, parce que j'ai toujours pensé qu'on résolvait la moitié des problèmes quand on disposait d'un lexique. On l'a fait pour l'euthanasie et le suicide assisté. On n'a pas résolu tous les problèmes, loin de là, mais on a résolu quand même beaucoup de choses.

Votre thèse est-elle à l'effet que pour que le génie du droit civil et le génie de la common law soient bien harmonisés avec les lois fédérales, nous aurions intérêt à avoir un lexique?

M. Fabien: Comme mesure essentielle. Il faudra le faire de toute façon, mais je ne voudrais pas que cela devienne une mesure de remplacement de l'idée du marquage. Oublions cela pour l'instant. Je pense que le lexique est un instrument fondamental et voici pourquoi.

Le vocabulaire de la common law en français est une pure création très récente. Ce n'est pas le fruit de sédimentation de l'histoire, ce n'est pas trois siècles d'expérience juridique. Ce sont des gens qui se sont retroussés les manches dans les années 1970 et qui ont créé de toute pièce et à partir de rien, des néologismes, un vocabulaire. Ils ont fait un travail de pionniers. Ils sont admirables. Dans certains cas ils ont créé des termes différents de l'équivalent fonctionnel du droit civil en français. Il y avait de bonnes raisons de le faire. Un langage scientifique doit être univoque. Il n'y a qu'un seul terme pour désigner un produit chimique afin de ne pas le confondre avec un autre. Ils ont réussi dans une large mesure à le faire, dans d'autre cas, ils n'ont pas pu parce que les ressources de l'imagination et de la langue française ne permettait pas de trouver un autre terme. On utilise donc le même terme. Cette entreprise n'a posé aucun problème dans la mesure où les deux systèmes étaient séparés par des cloisons étanches. Jamais dans un même tribunal on allait plaider à la fois le droit civil et la common law. Ce sont des juridictions qui sont exclusives l'une de l'autre; ou bien on est dans une cour de common law ou dans une cour de droit civil. Ce qu'il y a de différent aujourd'hui, c'est qu'il y a rencontre des deux vocabulaires et de là cette juxtaposition et la nécessité de les faire interagir dans les mêmes textes, crée une difficulté nouvelle sans précédent. On a le défi intellectuel de trouver une solution pour que cela fonctionne. Ce n'est pas un défi insurmontable. Ce que je lis est viable. Je ne déchirerais pas ma chemise si le projet de loi était adopté tel quel, mais puisqu'on me demandait mon avis, j'ai lancé l'idée d'une identification plus claire des termes qui ressortent de l'un ou l'autre vocabulaire parce qu'on ne veut pas qu'ils se contaminent l'un l'autre, ainsi l'idée d'un lexique.

M. Perret: En ce qui a trait au vocabulaire de la common law en français, un travail de pionnier extraordinaire a été fait sous l'égide de l'Université de Moncton et la section de common law en français de l'Université d'Ottawa et aussi du gouvernement fédéral.

Ce vocabulaire est très important sur le plan interne puisque c'est une reconnaissance de la diversité culturelle canadienne. Sur le plan de l'unité et de la politique canadienne, reconnaître qu'il y a un million de francophones vivant sous l'égide de la common law, est un geste politique et juridique extrêmement important, mais il se limite quand même à un million d'habitants ici. Cette question du vocabulaire et de l'accès de la common law en français est extrêmement importante pour le Canada parce que dans les universités de la francophonie, et j'y place en premier lieu la France, on n'enseigne pas la common law. Ils sont complètement démunis. Ils sont très intéressés d'avoir accès à la common law en français. Il y a donc tout un marché de la francophonie qui s'ouvre. La culture a un effet important du point de vue économique et politique aussi pour son rayonnement canadien dans le monde.

Le sénateur Fraser: J'admire et je partage votre dévouement au principe de la clarté. Il me semble que c'est essentiel. Je dois dire que votre suggestion de démarquer, d'une façon ou d'une autre, les diverses sources des différentes expressions m'intéresse beaucoup. De là à dire qu'on pourrait le faire, je ne suis pas juriste, et il faudrait vraiment que je consulte mes collègues. Ce qui m'intéresse comme technique ce serait les caractères italiques, mais comme vous l'avez si bien signalé, ce n'est pas là le seul problème de clarté, il y a aussi la rédaction des textes.

Votre exemple de l'article 8.2 m'a fasciné. Normalement, quand j'ai de la difficulté à comprendre un texte qui nous est présenté, je trouve souvent que c'est plus facile à comprendre en français qu'en anglais. Même si cela a été écrit en anglais, la tradition veut souvent que la version française soit plus claire, mais dans le cas qui nous occupe, vous qui êtes juriste l'avez lu plusieurs fois et je vous avoue que je trouve ce texte presque incompréhensible. Par contre, lorsque j'ai lu la version anglaise du texte, c'était tellement plus clair. J'aimerais savoir s'il y a une raison inhérente à la tradition juridique francophone qui veut qu'on ne pourrait pas faire une traduction directe de la version anglaise? Ce n'est pas une traduction directe.

M. Fabien: Je le sais. C'est qui a été fait depuis le début de la Confédération et cela a produit des horreurs.

Le sénateur Fraser: Oui, mais dans ce cas précis?

M. Fabien: Il y a de mauvaises habitudes dont le pays essaie de se défaire à la faveur de cette nouvelle façon de concevoir la rédaction législative et qui soit bijuridique. Il ne faudrait pas revenir ou refaire les erreurs du passé. Je pense que l'approche qui consiste à simplement faire une traduction servile de l'un vers l'autre est une approche dépassée. Il faut reconnaître que chaque langue a son génie et cela suppose une certaine latitude. C'est une question de degré. Il est là le problème de bon jugement et de degré. Il n'y a pas de règles objectives pour dire à quel moment on sort du corridor de ce qui est à la fois clair, respectueux du génie de la langue et compatible avec la version dans l'autre langue. Il y a trois variables à concilier. C'est à la fois une science et un art. J'ai beaucoup d'admiration pour ceux qui réussissent à le faire.

Il faut concevoir que le rédacteur dans l'autre langue a une certaine latitude et qu'il ne doit pas être l'esclave de la langue première. Ceci dit, quand je mettais en garde contre le culte de la différence ou le prosélytisme, je voulais dire qu'il ne faut pas que le second rédacteur fasse exprès pour se démarquer du premier et veuille absolument affirmer sa personnalité ou même exagérer jusqu'à la caricature. Il doit être le serviteur de l'objectif commun qui est de créer des lois qui soient une rédaction efficace et claire. Est-ce que, dans ce cas, c'était la meilleure façon de faire? Je ne sais pas. Si j'exprimais une préférence spontanément, la structure grammaticale devrait se ressembler dans les deux versions. Ici, je trouve que l'inversion, très élégante et très recherchée, fait perdre en clarté.

Le sénateur Fraser: Il n'y aurait alors pas de raisons juridiques pour ne pas lire et j'invente quelque chose: «sauf règle de droits s'y opposant, quand un texte emploie à la fois des termes propres au droit civil, les termes propres au droit civil seront utilisés.»

M. Fabien: Vous avez raison.

Le sénateur Fraser: C'est la structure employée en anglais.

M. Fabien: Il serait possible, sans faire injure à la langue française, de la réécrire en rétablissant la même séquence des propositions que celle qu'on retrouve en anglais.

Le sénateur Fraser: Cet article est important.

M. Perret: C'est une question de dosage et quelquefois la traduction servile rend plus justice, mais dans le passé cela n'a pas eu de très bons résultats.

Le sénateur Fraser: Loin de moi l'idée de vouloir imposer de telles choses, mais dela existe dans certains cas.

M. Perret: Si vous voulez des exemples de mauvaise traduction du français à l'anglais, le Code civil en est un bon exemple. C'est un défi énorme que de transposer lorsqu'on passe d'un système à l'autre. C'est transystémique. Par exemple, si vous avez traduit une loi que vous l'avez transposée de l'anglais au français, en tenant compte de l'autre système, elle sera plus facile à traduire en espagnol parce que les concepts sont les mêmes à l'intérieur de la famille. Alors que de l'espagnol pour traduire à l'anglais représente la même difficulté. Ma deuxième langue est l'espagnol. Je n'ai aucune difficulté à expliquer à quelqu'un en Argentine ou en Espagne les principes du droit des contrats du Code civil du Québec, mais avec mes collègues francophones de la section de la common law, en français, j'ai des difficultés parce que c'est plus que la langue, par contre c'est aussi la langue.

Le sénateur Nolin: Je tiens à saluer mes anciens professeurs. Monsieur Fabien, lorsque vous soulevez le point du marquage et du lexique, est-ce que cela serait original ou cela s'est-il déjà fait ailleurs?

M. Fabien: Je ne sais pas. Je serais étonné que le problème se soit posé ailleurs, c'est un problème typiquement Canadien.

Quant à la convention d'imprimerie liée à l'italique, les expressions en langues étrangères sont données en italique. À l'époque où il y avait des mots latins dans les lois et encore aujourd'hui lorsqu'on les utilise dans des publications, à tort ou à raison, cela apparaît en italique. C'est une convention qui est connue et qui pourrait être une façon originale de régler le problème.

Le sénateur Nolin: Vous avez mentionné que vous avez participé à un colloque à Montréal, avez-vous fait cette suggestion aux représentants du ministère?

M. Fabien: Absolument pas.

Le sénateur Nolin: Vous n'auriez pas été confronté au problème à ce moment.

M. Fabien: C'était un colloque de très haute altitude qui portait sur les grands principes et les théories fondamentales et la critique des lois et de la législation. Le collogue n'a pas touché à la technique. On a fait mention de certains exemples, mais on n'en était pas rendu à l'atterrissage. Alors qu'aujourd'hui cela se joue au ras des pâquerettes.

Le sénateur Nolin: Faire des lois c'est cela. Monsieur Perret, votre argument sur le rôle de phare que le Canada pourrait jouer dans le monde commercial, -- la réalité étant ce qu'elle est aujourd'hui où le commerce mène le monde -- que se passe-t-il en ce moment au sein de l'Union européenne entre les 13 pays sous un système de droit civil et les deux pays qui sont sous le règne du système de la common law? Que se passe-t-il sur le plan du bijuridisme?

M. Perret: L'importance du commerce est telle qu'un emploi sur trois aujourd'hui au Canada dépend des exportations. Cela représente 43 p. 100 de notre PIB, donc il est particulièrement important. En ce qui a trait à la deuxième partie de votre question, la Commission de l'Union européenne propose des directives. Ces directives tiennent compte des deux systèmes juridiques. Il y a aussi des initiatives et le Parlement européen a recommandé que l'on adopte un code civil pour l'Union européenne. Évidemment, c'est toute une entreprise et le processus est très lent, mais dans certains domaines, comme le droit des contrats, une commission privée travaille sur l'élaboration de principes contractuels pour l'Europe qui tiennent compte des principes de droit civil et de common law. Cette commission est composée de juristes, de praticiens d'origine de pays de droit civil ou de common law. Ils ont déjà publié toute la partie qui a trait à l'exécution des contrats. Ils sont en train de finaliser la deuxième qui est la formation des contrats.

Le sénateur Nolin: L'effort fait au Canada peut leur servir et l'effort qu'ils font peut nous servir ou nous sert peut-être déjà?

M. Perret: Oui, cela peut marcher dans les deux sens. Nous avons eu un colloque à l'Université Ottawa sur l'évolution des systèmes juridiques, l'harmonisation et le droit commercial international. Plusieurs juristes de différents pays d'Europe et des représentants des organismes d'harmonisation et d'organismes comme l'OMC et l'ALENA et de la Banque mondiale y ont participé. Lorsque vous voulez un prêt auprès de la Banque mondiale, on vous demandera si vous respectez les droits d'auteurs? Avez-vous la propriété intellectuelle? Faites-vous partie de telle convention internationale pour respecter l'investissement étranger. Ce sont des formes d'harmonisation qui se font soit directement ou indirectement.

Le sénateur Nolin: Spécifiquement au cadre législatif, pouvons-nous puiser de l'expérience européenne?

M. Perret: Absolument. Je faisais référence aux juristes de la Francophonie. Le Barreau de Paris s'intéresse de très près à la question du bijuridisme à cause de la concurrence des bureaux américains et du défaut de formation des juristes français, il en serait demême pour les Belges et les Suisses et d'autres aspects de la common law. On a eu plusieurs tables rondes à ce sujet. En collaboration avec le Barreau de Paris, on prévoit, pour le mois de novembre prochain au moment de la rentrée des tribunaux, un atelier qui impliquerait le Conseil d'État français. Le premier ministre français ainsi que le ministre des Affaires étrangères s'intéressent de très près à la question et le Canada est dans la ligne de mire. Le rapport que je vous ai présenté et le CD-ROM faisaient partie de la Conférence de Paris sur l'économie où l'un des thèmes était l'efficience du droit civil et de la common law dans le contexte contemporain.

Le sénateur Nolin: Professeur Bisson, on reconnaît que le droit fédéral est une oeuvre importante. Qu'en est-il du Québec? Le Québec doit-il, lui aussi, reconnaître l'existence du bijuridisme?

M. Bisson: Oui, je crois que le Québec ne peut pas faire autrement qu'en reconnaître l'existence.

Le sénateur Nolin: Et ce, de façon législative?

M. Bisson: De façon législative, oui.

Le sénateur Nolin: On s'entend pour dire que des lois fédérales d'application civile ont force de loi au Québec?

M. Bisson: Il est toujours permis de dire au gouvernement fédéral de créer son propre droit. Toutefois, pour des raisons d'économie de moyens, il est certain qu'on s'en remet au droit supplétif des provinces pour l'application, mais au fédéral il est toujours possible de créer ses propres instruments.

Néanmoins, je ne sais pas si la nécessité est la même parce que la double mixité du système est vécue puisqu'il y a le droit civil et le common law, il y a le droit fédéral applicable et le droit provincial applicable.

Les choses vont beaucoup plus de soi alors que même dans les tribunaux du Québec, il y a eu la fâcheuse habitude de n'interpréter la Loi sur le divorce qu'à la lumière des concepts de common law, ce qui a entraîné des distorsions dans le domaine du droit de la famille car les concepts, tout en étant voisins, produisent tout de même des résultats pratiques assez différents.

Le fait que le législateur fédéral dise que le droit supplétif dépend de la province d'application, je pense que cette démarche est beaucoup plus importante du côté fédéral qu'elle ne le serait du côté provincial où, de toute façon, s'il y avait un préjugé à renverser, ce serait plutôt celui de la non-application systématique de la common law comme droit supplétif dans l'application des lois fédérales.

Évidemment, je ne suis pas en position politique de faire des suggestions au gouvernement du Québec. Je ne pense pas que cela ait la même utilité.

M. Perret: Sur un plan purement économique, 82 p. 100 des exportations du Québec se fait vers les pays de common law puisque ce sont les États-Unis. Son commerce nord-sud est du double avec les États-Unis comparativement au reste du pays. C'est la raison pour laquelle il est important d'enlever les barrières juridiques internes et ce, pour une raison d'unité nationale. Les rapports commerciaux se font davantage nord-sud que est-ouest.

D'ailleurs, les juristes québécois sont en demande dans le monde parce qu'ils sont beaucoup plus bilingues et beaucoup plus nombreux à détenir la double formation juridique. Vous les retrouvez dans les organisations internationales, dans de gros bureaux à Toronto, à New York, à Chicago ou au Japon.Par la force des choses, le Québec doit s'ouvrir commercialement. Depuis 1998, la moitié des emplois au Québec dépendent du libre-échange.

[Traduction]

La présidente: Je crois, monsieur le doyen Perret, que vous laissez entendre qu'une bonne partie du commerce international au Québec passe par les avocats.

M. Perret: Oui, il y a des avocats partout.

Le sénateur Grafstein: J'aimerais dire tout d'abord que la force des arguments présentés par les témoins m'intimide quelque peu, ce qui est assez rare pour moi.

Le sénateur Andreychuk: Nous pouvons le confirmer.

Le sénateur Grafstein: Je le dis après avoir regardé autour de la table et constaté la grande compétence que vous apportez tous les trois pour nous aider à comprendre les éléments de droit civil de ce projet de loi, et je regarde mes collègues, un ancien professeur de l'Université d'Ottawa, le sénateur Beaudoin, et le sénateur Nolin et, naturellement, je ne pourrais jamais oublier mon collègue, le sénateur Joyal, qui est toujours à ma droite. Je suis donc ici en toute humilité avec mon expérience d'avocat de common law qui ne connaît pas très bien les aspects du droit civil. Certains de ces aspects soulèvent des questions dans mon esprit.

Je ne m'y suis pas préparé, mais après avoir entendu votre témoignage au sujet de l'article 8, un autre aspect qui complique le problème m'est venu à l'esprit. Peut-être que le sénateur Beaudoin et le sénateur Joyal pourront le confirmer également. Je crois comprendre -- et je vais tenter de le faire confirmer, car je ne sais pas si ma mémoire est bonne; je n'ai pas examiné la question littéralement depuis des années -- comme élève du professeur Laskin, qui a examiné la question du point de vue de la common law, qu'il y a essentiellement trois systèmes de droit au pays, non pas deux. Les trois systèmes de droit sont la common law fédérale, qui est distincte et séparée de la common law provinciale, la common law provinciale en ce qui a trait aux aspects provinciaux, et l'expérience du droit civil. Je dis «l'expérience», car c'est un peu plus compliqué pour moi à expliquer.

N'êtes-vous pas d'accord pour dire que la common law fédérale est un système distinct et séparé de la common law provinciale que nous connaissons?

Le sénateur Beaudoin: Pas tellement.

Le sénateur Grafstein: Alors je reviendrai sur la question moi-même.

L'objectif du projet de loi à l'étude, entre autres, est d'assurer qu'il y a un traitement équitable dans le pays pour des questions semblables. Tout le but de l'harmonisation est d'assurer l'égalité du traitement des particuliers et de fusionner deux disciplines juridiques afin qu'elles deviennent parallèles.

J'aimerais que vous jetiez un coup d'oeil avec moi au nouvel article 3 qui est proposé à la page 23 et qui porte sur la responsabilité de l'État. Voici ce que dit ce nouvel article, en partie:

En matière de responsabilité, l'État est assimilé à une personne pour:

dans la province de Québec

On parle ici de la responsabilité civile de l'État -- civile au sens étroit du mot, non pas au sens du droit civil -- de la responsabilité civile délictuelle, en fait.

Je dois faire davantage de recherches sur la question, mais lorsque je lis la définition de la responsabilité de l'État pour la province de Québec et ensuite pour une autre province, il y a un traitement différent pour la même action. Voici par exemple ce que dit l'article 3 dans le cas de la province de Québec:

a) dans la province de Québec:

(i) le dommage causé par la faute de ses préposés

b) dans les autres provinces:

(i) les délits civils commis par ses préposés

À votre avis, puisque vous connaissez à la fois les aspects de droit civil de la responsabilité civile et les aspects de common law de la responsabilité civile, n'y a-t-il pas un traitement différent aux alinéas a) et b), puisque l'un dit «le dommage causé» et l'autre «les délits civils commis»; et a)(ii) «le dommage causé par le fait des biens qu'il a sous sa garde», et b)(ii) «les manquements aux obligations». N'est-ce pas là un traitement différent?

Pour la même loi, lorsque l'État est responsable, le traitement n'est-il pas différent? Cela revient à ce que disait le professeur Perret, c'est-à-dire que les définitions doivent être examinées de très près afin de s'assurer qu'il y a égalité au niveau du traitement; sinon, le résultat peut semer beaucoup de confusion et, pire encore, causer l'inégalité du traitement au pays pour la même action contre les biens fédéraux.

M. Perret: Je devrais moi aussi examiner la question de plus près, mais traditionnellement la loi fédérale stipule que...

Le sénateur Grafstein: Permettez-moi d'intervenir et d'expliquer cela. S'il s'agit de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, aux termes de la loi actuelle il n'y a aucune confusion, car l'application des principes en ce qui a trait à une action commise par un fonctionnaire au Québec ou dans toute province ou territoire est exactement la même.

Pour ce qui est de l'objectif d'harmonisation, et je ne suis pas en désaccord avec cet objectif, il s'agit d'un excellent objectif. Nous examinons l'application. Si nous nous retrouvons avec une dualité des systèmes ou des résultats, cela soulève toute une série d'autres questions au sujet de l'efficacité de ce projet de loi.

M. Perret: Nous avons déjà une dualité, puisque la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif dit que dans chaque province c'est la législation locale qui s'applique. Si la législation locale est plus développée dans une province que dans une autre, le traitement est déjà différent.

La présidente: À ce moment-ci, permettez-moi de lire un extrait du document d'information préparé à notre intention par la Bibliothèque du Parlement relativement à cet article en particulier, sénateur Grafstein. Voici ce que dit ce document:

Les articles 34 à 52, qui forment la partie 5 du projet de loi, apporteraient de nombreuses modifications à la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. Parmi les modifications proposées, soulignons que la loi comporterait désormais deux concepts de responsabilité, soit la responsabilité civile extra-contractuelle dans la province de Québec et la responsabilité délictuelle dans les autres provinces.

Le sénateur Beaudoin: C'est déjà le cas.

M. Perret: Oui, c'est le cas.

Le sénateur Grafstein: L'objet de cette loi qui est proposée...

Le sénateur Andreychuk: Où voulez-vous en venir? Vous avez dit que l'objet de la loi qui est proposée est l'égalisation. Où avez-vous lu cela?

M. Perret: C'est l'harmonisation, non pas l'uniformité.

Le sénateur Grafstein: Je comprends cela. C'est l'harmonisation, et l'objectif de l'harmonisation est de réduire les différences au niveau du traitement. Nous n'arriverons jamais à les éliminer entièrement, mais toute l'idée de l'harmonisation consiste à réduire les différences, non pas à les augmenter.

M. Perret: Nous avons eu un long débat à ce sujet au Québec, et il y a eu de nombreux arrêts de tribunaux concernant la responsabilité de l'État et la responsabilité des fonctionnaires au Québec. Il faut appliquer la tradition de common law ou la tradition de droit civil. Si on applique la common law, on part du principe que le roi ne peut rien faire de mal, etc. Au Québec, certains ont fait valoir qu'il devrait être traité exactement comme un citoyen normal. Dans le nouveau Code civil, on dit que l'État est responsable en tant que citoyen ordinaire.

[Français]

M. Fabien: Les textes auxquels réfère le sénateur Grafstein ne changent rien ou très peu à l'état actuel du droit tel qu'il est appliqué et vécu à travers le Canada. Il s'agit d'une mise en forme juridique différente de la précédente, mais conçue dans le sens de l'amélioration du langage et qui ne vise pas à changer substantiellement le fond ou les solutions qui sont appliquées concrètement.

En principe, la Couronne ne peut être soumise à aucune loi fédérale. La Couronne accepte par la loi de se soumettre gracieusement aux législations sur la responsabilité en vigueur dans les provinces.

S'il y a des disparités, elles existent déjà aujourd'hui puisque la Couronne est jugée au Québec par les règles du droit civil alors qu'elle est jugée en Ontario par les règles de la common law et le droit statutaire applicable également dans l'une et l'autre province. Au surplus, les solutions ne sont pas si différentes. Entre le concept de faute de droit civil et le concept de «tort in law», il y a une convergence considérable en matière d'évaluation des dommages. C'est très voisin. Parfois le vocabulaire ou les techniques vont changer, mais les résultats concrets sont parfaitement voisins. Notamment lorsque je lis:

[Traduction]

Dans la province de Québec, la responsabilité pour le dommage causé par la faute de ses préposés; et dans les provinces de common law, la responsabilité pour les délits commis par ses préposés.

[Français]

Je pense que c'est rigoureusement la même chose. Même si le vocabulaire et les concepts juridiques sont différents, c'est très voisin.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: La définition me donne du mal. Jetez un coup d'oeil sur les sous-alinéas 3a)(ii) et 3b)(ii). L'objectif consiste à rapprocher le plus possible les deux textes, mais cela ne peut pas être parfait, parce qu'il y a deux systèmes. On veut que la même loi puisse s'appliquer à la responsabilité de l'État au Québec ou dans une autre province.

Voyons d'abord ce qui se passe dans les autres provinces en cas de manquement aux obligations. Je peux me tromper, mais il me semble qu'il existe une responsabilité pour les obligations fiduciaires selon le Code civil. Il y a une notion d'obligation fiduciaire. Dans ce cas-ci, les manquements aux obligations sont fiduciaires. J'emploie le mot «fiduciaire» parce qu'il est plus précis. Voici ce que dit le projet de loi: «les manquements aux obligations liées à la propriété, à l'occupation, à la possession ou à la garde de biens.» Il me semble que cette disposition fait partie de la même catégorie et rend l'obligation plus sérieuse en parlant d'un manquement à l'obligation. C'est une notion en droit civil, n'est-ce pas?

Le sénateur Beaudoin: Les termes du droit civil ne sont peut-être pas les mêmes.

Le sénateur Grafstein: Ce que je veux dire, c'est qu'on parle de «dommage» au sous-alinéa 3a)(ii) et que le sous-alinéa 3b)(ii) prévoit des conséquences pour «les manquements aux obligations». Il me semble qu'il s'agit de notions différentes qui devraient avoir des conséquences différentes.

M. Fabien: Oui, mais le texte du projet de loi reflète la situation actuelle. Ce n'est pas nouveau.

Le sénateur Grafstein: Professeur, ce qui me déplaît, c'est qu'on voulait essayer d'harmoniser des lois semblables applicables à des situations semblables. C'est l'objectif de l'harmonisation. La dernière fois que j'ai participé à une telle chose, on y a mis 25 ans. Il s'agissait d'harmoniser les lois sur les entreprises de tout le Canada. Ce projet a commencé ici même, et j'y ai participé. Il a commencé en 1966, et on l'a terminé une vingtaine d'années plus tard. C'était un travail énorme qui visait le même objectif mentionné par M. Fabien, soit faire en sorte d'avoir des lois sur les entreprises commerciales équivalentes dans tout le pays. C'était l'objectif.

J'imagine que c'était l'objectif ici aussi. Si nous nous contentons d'accepter la loi telle qu'elle est maintenant, ce n'est pas de l'harmonisation, mais simplement une réaffirmation de la loi telle qu'elle est maintenant. Cela n'atteint pas l'objectif visé. Qu'essayons-nous de faire? Et je parle maintenant uniquement de ce nouvel article 3 que je viens de mentionner.

La présidente: Je pense que nous devrions laisser les experts nous dire ce qu'ils en pensent. Nous devrions poser la question aux représentants du ministère le moment venu.

Le sénateur Grafstein: Je tenais à soulever cette question immédiatement parce que cela nous permettra d'avoir d'autres idées là-dessus. Le sénateur Joyal a déjà signalé que, d'habitude, ce sont des questions de politique que nous posons aux représentants de l'État et aux fonctionnaires du ministère. J'essaie maintenant de savoir si nos experts jugent que mes objections sont valables ou non.

La présidente: C'est pourquoi je leur demande de nous dire ce qu'ils pensent de cette question pour que nous puissions ensuite interroger les fonctionnaires du ministère.

[Français]

M. Bisson: Tel que je le lis, le projet de loi S-4 ne m'apparaît pas du tout avoir pour objectif d'harmoniser la common law et le droit civil au pays, mais plutôt d'harmoniser les lois fédérales avec la réforme du Code civil et donc profiter de cette occasion pour corriger certaines formulations de common law. Je ne crois pas que le but de ce projet de loi soit d'harmoniser le droit civil et la common law. C'est une toute autre question qui ne doit pas être méprisée, surtout dans la perspective commerciale, mais ce n'est pas du tout l'objectif de ce projet de loi.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je voudrais que les experts se reportent au troisième...

Le sénateur Beaudoin: Tout y est.

La présidente: Voulez-vous parler du préambule?

Le sénateur Grafstein: Oui, du préambule.

Le sénateur Beaudoin: À mon avis, le troisième «attendu» est très clair.

Le sénateur Grafstein: Les témoins peuvent peut-être nous dire ce qu'ils en pensent. La présidente m'a donné un avertissement à ce sujet.

La présidente: Messieurs, on voudrait connaître votre avis sur le troisième «attendu» du préambule du projet de loi, au troisième paragraphe.

[Français]

M. Bisson: Cela confirme mon point de vue. C'est bien une loi d'harmonisation du droit fédéral avec la common law, ou le droit civil selon la province d'application, mais non pas entre le droit civil et la common law. Il semble que c'est très clair.

M. Fabien: Cela se distingue de l'uniformisation. L'harmonisation est une entreprise qui a d'autres objectifs que l'uniformisation. Il y a d'ailleurs une Conférence des commissaires pour l'uniformisation des lois au Canada où on travaille à l'uniformisation depuis des années, mais on parle d'objectifs complètement différents de ceux de la loi que nous avons devant nous.

Le sénateur Joyal: Jusqu'à quel point l'édition du Code civil du Québec actuelle est-elle comparable à la codification d'origine?

M. Fabien: C'est une question gigantesque, mais pour résumer, les principes fondamentaux de même que la structure conceptuelle sont les mêmes. Bref, il y a un facteur de continuité qui est dominant. Il y a eu un effort considérable de codification de la jurisprudence, parce que notre Code ne disait pas tout de l'état du droit civil puisque la jurisprudence avait échafaudé des solutions hors du Code. Elles ont été mises à l'intérieur du Code.

Elles ont été mises à l'intérieur du Code.

Par ailleurs, quelques décisions de politique législative ont visé à moderniser notre droit civil, pour vraiment le faire entrer dans le XXe siècle, à la lumière de l'expérience acquise et aussi de travaux de droit comparé avec se qui se passait ailleurs.

Il y a eu également des créations originales dont nous sommes très fiers, spécialement le chapitre sur l'administration du bien d'autrui, une belle synthèse qui n'existe pas dans les autres codes civils. Tout cela mis ensemble, je dirais un élément de continuité dominant avec un élément de modernisation qui en fait un monument intellectuel tout à fait remarquable, moderne et fonctionnel.

La Hollande et le Québec sont les deux seuls endroits au cours du XXe siècle qui ont réussi à faire une réforme de leur code civil. C'est presque un miracle! Cela prend un rare moment d'unanimité pour amener un vote unanime de la Chambre sur quelque chose d'aussi considérable.

M. Perret: Le Code civil est moderne dans bien des aspects, mais dans d'autres, il l'est un peu moins puisqu'il a subi des influences très traditionnalistes, particulièrement dans certains domaines du contrat.

Maintenant, il est intéressant de voir dans quels domaines il est moderne et quelles en ont été les influences. Les influences qu'il a reçues sont de différents ordres, mais les deux principales sont la common law, qui a été intégrée et digérée à l'intérieur du Code civil, en particulier dans des domaines comme la fiducie -- les trusts --, et dans tous les domaines des hypothèques mobilières. Il a aussi subi des influences provenant des efforts d'harmonisation ou d'uniformisation résultant des instances internationales comme la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises, qui ont été intégrées, et qui ont fait changer d'ailleurs certains principes comme la théorie du risque, maintenant du cas fortuit, relativement au moment de la livraison propriété et non pas au moment de son transfert, lequel n'arrive pas forcément au même moment.

Il y a une influence internationale de cette harmonisation du droit qui réalise justement une harmonisation entre le droit civil et la common law. Il y a aussi l'autre aspect. On a parlé de l'influence reçue, mais quelle serait l'influence du Code civil du Québec maintenant dans le monde? Gil Rémillard pourra vous expliquer, et il en est très fier, que «son Code civil» est un modèle dans le monde.

Cependant, je vais mettre un bémol à ce que vient de dire M. Fabien. Dans le monde actuellement, beaucoup de pays sont en train d'adopter un code civil, en particulier les pays de l'Est, et cela depuis le retour à l'économie de marché. Donc depuis la fin de la guerre froide, depuis le démantèlement de l'empire soviétique, l'Estonie, la Lituanie, la Pologne, la République Tchèque adoptent des codes civils. Le Code civil du Québec les intéresse beaucoup à cause du fait qu'il a intégré des notions fort modernes de la common law. Ces pays veulent un système qui soit simple, accessible et prévisible, ce qui est la vertu de la méthodologie du Code civil, car ils aspirent entrer dans l'OMC et l'Union européenne. Ils ont donc besoin de transformer leur législation en ce sens. Il y a donc une influence reçue mais aussi une influence donnée.

Le sénateur Joyal: De façon globale, d'une part, en ce qui concerne le droit commercial ou les relations entre les citoyens et l'État dans le Code civil -- compte tenu du fait des échanges que le Québec a connus avec l'Ouest qui jusqu'en 1991 dominait l'économie du pays et, d'autre part, en ce qui concerne les échanges vers le Sud qui se développent et qui continueront à ce faire avec un traité de libre-échange élargi, en pratique, peut-on dire que les sources d'inspiration et les efforts d'adaptation visent la mixité des notions de common law à l'intérieur du Code civil dans sa partie principalement commerciale?

M. Fabien: Cela fait certainement partie des influences reçues et intégrées. Fondamentalement il y a une dette de reconnaissance que le droit civil québécois doit à la common law et à son influence.

Comme l'a bien fait ressortir mon collègue M. Perret, cette influence s'est jointe à d'autres. Tout cela a fait l'objet d'une synthèse dans laquelle toutes sortes de considérations sont en jeu qui ne sont pas uniquement de nature commerciale. L'une des préoccupations était le rétablissement des équilibres. Nous devons défendre la partie faible contre la partie forte qui pourrait avoir un comportement abusif.

Vous avez un volet des droits et libertés de la personne qui est affirmé dans la Charte québécoise des droits et libertés dont on dit qu'elle fait partie de la loi fondamentale dans le préliminaire du Code civil. Vous avez intégré dans le livre I sur les personnes, le complément de la Charte qui développe et pousse encore plus loin les droits et libertés de la personne.

Comme vous le savez, le Code civil en couvre large. Il fallait aménager toutes les pièces de la maison.

Le sénateur Joyal: Même dans l'interprétation des droits reconnus dans la Charte du Québec, cette interprétation doit nécessairement intégrer celle de la Charte canadienne des droits et libertés puisqu'elle a préséance?

M. Fabien: Oui et j'irai plus loin que cela. Il y a un emprunt auquel j'ai été un peu associé à titre d'expert et de consultant. Il s'agit de la recevabilité de la preuve obtenue par des moyens illégaux. Il y avait différentes théories et solutions. L'état de notre droit voulait que la recevabilité soit totale. Toute preuve pertinente était recevable sans égard à la manière dont elle avait été obtenue. Certains textes auraient préféré que l'on adopte l'option de l'irrecevabilité totale. J'ai recommandé ceci: pourquoi ne pas s'aligner sur l'expérience de la Charte constitutionnelle.

Est-ce qu'il n'y aurait pas à gagner sur le plan de la fonctionnalité à choisir une solution calquée sur la Charte? C'est la solution qui a été retenue. Il semble heureux que ce soit ainsi. Cela vous dit à quel point cet effort d'intégration est fait des meilleurs éléments de l'environnement immédiat.

M. Perret: En fait, des discussions antérieures aux années 1990 reviennent en surface. On décrivait le Code civil du Bas-Canada comme un code civil de propriétaire ayant la notion de propriété au centre. Aujourd'hui on le décrit de façon très symbolique comme un code où la personne est au centre du système. Cela répond en synthèse à votre question.

Le sénateur Joyal: Comme le disait le savant animateur de télévision d'autrefois, vous touchez au point capital. Lorsqu'on reconnaît le caractère particulier du Code civil au Québec, à mon avis, on a une conception bas- canadienne de la réalité. Ayant suivi les cours comme les sénateurs Nolin et Beaudoin -- nous nous y sommes tous soumis à l'époque, vous-même aussi je présume -- nous savons que le Code actuel a intégré des principes de philosophie légale qui étaient absents du monde juridique du milieu du XIXe, qui lui-même était héritier de la tradition française du XVIIe et du XVIIIe siècle. Les tendances évolutives dans le Code civil militent davantage vers une convergence de la reconnaissance de deux courants principaux, les échanges commerciaux réels que vous avez bien décrits et qui vont continuer d'influencer l'évolution du droit au Québec, mais aussi comme M. Fabien l'a expliqué, l'expression de valeurs qui sont centrées fondamentalement sur le concept de personnes. Il en est pour illustration, je dirais de la façon la plus évidente pour mes collègues de l'autre sexe, la façon dont on traitait la femme dans le lien du mariage dans la tradition bas-canadienne.

Quand on célèbre aujourd'hui le Code civil, ce n'est plus la rupture aussi profonde ou le fossé aussi profond que cela représentait dans une certaine forme de vie sociale au Québec. C'est un élément extrêmement important que nous devons comprendre lorsque nous faisons un effort d'harmonisation des deux systèmes. Avant d'harmoniser, il faut essayer de définir quelles sont les lignes de force des systèmes que nous désirons harmoniser.

Quand on lit ce texte du projet de loi S-4, je sympathise beaucoup avec mes collègues qui n'ont pas eu le plaisir de faire des études de droit. C'est incompréhensible. Un projet de loi comme celui-ci a un préambule qui devrait exprimer les éléments fondamentaux de la société canadienne. Cela ne veut pas dire que le Code civil du Québec n'a pas son existence propre.

Le seul fait que vous mettiez sur la table devant nous cette brique est physique. À l'intérieur de cette brique, vous avez ce vide que représente la common law et en pratique une convergence extrêmement importante d'éléments sociaux.

On reste sur son appétit quand on lit l'objectif unique, le numéro un d'une reconnaissance extrêmement importante. Autant au XIXe siècle on voulait montrer que les choses étaient distinctes, autant les deux systèmes, en pratique, sont les résultats d'une interaction constante et d'un partage de valeurs fondamentales, à partir du moment où vous reconnaissez les valeurs de personnes comme étant celles qui déterminent tout cet échafaudage. M. Fabien pourrait commenter, c'est lui qui a ouvert cette porte.

M. Fabien: Votre intervention devrait être notée et rappelée. Effectivement, nous avons tendance à oublier que le Code civil québécois peut être méconnu à l'extérieur et qu'il peut être source de malentendus. Il y a peut-être un travail de douce pédagogie à faire auprès de nos amis de la common law pour leur dire à quel point le Code civil du Québec est un code juridique moderne et combien ses solutions sont convergentes par rapport à la common law et qu'il s'inspire des valeurs fondamentales de la Charte canadienne des droits et libertés, telles les valeurs de protection du plus faible que nous partageons, les valeurs morales comme, par exemple, l'apparition de la notion de bonne foi dans l'exécution des contrats, notion jurisprudentielle que nous avons intégrée. Oui, il faudrait le dire, mais malheureusement la loi telle qu'elle nous apparaît est très technique et ses vertus pédagogiques sont à peu près nulles. Il faudrait que ce discours soit un discours d'accompagnement pour mieux comprendre.

[Traduction]

La présidente: Ce pourrait être utile. Peut-être que ce serait plus facile de comprendre les lois que nous rédigeons si nous demandions à un réviseur professionnel de les examiner avant qu'elles ne parviennent jusqu'ici.

[Français]

Le sénateur Joyal: Vous avez mentionné le fait qu'un million de francophones vivent la common law en français. C'est un élément extrêmement important, en particulier pour les pays européens. L'Europe ne fait pas qu'échanger à l'intérieur, elle échange à l'extérieur aussi. C'est un des objectifs de la communauté de l'Union européenne. Je ne retrouve pas dans le préambule du projet de loi de reconnaissance aussi claire que celle que vous faites dans votre présentation du fait que la common law au Canada vit en français et se développe en français. C'est un élément capital pour toute la dimension d'échange international à laquelle vous référiez.

M. Perret: En fait, dans le préambule, on réfère à une fenêtre ouverte sur le monde, mais pas suffisamment sur cette question du bijuridisme et aussi de la double combinaison linguistique. Ce n'est pas parce qu'on parle français qu'on a le même système de droit. L'une des différences importantes à part les principes, c'est l'approche, par rapport au cas et par rapport aux grands principes dans un code.

[Traduction]

La présidente: Nous avons eu une séance fascinante et révélatrice ce matin. Je regrette d'avoir manqué le début.

[Français]

Le sénateur Nolin: Nous avons à plusieurs reprises posé des questions au rédacteur des droits du ministère de la Justice sur les techniques de rédaction des droits. Depuis un certain temps, il y a deux équipes de rédaction plutôt qu'une, celle qui pond l'original et l'autre, l'équipe de traduction. À l'occasion, on est à même de voir, lorsqu'on examine les textes anglais et français, que la façon d'exprimer la substance du droit est différente selon les deux langues. On voit qu'il ne s'agit pas d'une traduction.

Est-ce que vous y voyez une évolution valable par rapport à l'ancienne technique de traduction ou devrait-on encore modifier cette façon de rédiger les lois?

M. Fabien: Je vois trois modèles, le premier est celui de l'asservissement.

Le sénateur Nolin: Cela dépend quelle est la langue de l'original.

M. Fabien: Oui, probablement qu'à une certaine époque les lois étaient rédigées en anglais et qu'elles étaient ensuite remises à un traducteur francophone qui faisait son possible pour suivre le train. C'était le modèle de l'asservissement.

L'autre modèle auquel on peut penser est celui des deux solitudes. Les deux rédigent des textes chacun de leur côté sans se parler. Le troisième modèle, qui me semble le meilleur, est celui de la coopération. Cela rejoint ce que vous décrivez et cela me semble être un progrès extraordinaire dans l'expérience canadienne que de faire travailler des équipes anglophones et francophones qui vont élaborer des textes et qui ensuite se réuniront pour en discuter.

Le cheminement peut se faire des deux côtés, c'est-à-dire qu'il peut y avoir des solutions qui vont influencer les autres rédacteurs et vice versa pour en arriver à un résultat qui ne sera pas nécessairement le calque de l'un ou de l'autre, mais qui va assurer le plus grand degré de convergence.

Le sénateur Nolin: On le voit surtout en droit criminel.

M. Fabien: Tout en réalisant les objectifs de lisibilité.

[Traduction]

La présidente: Il me semble que la façon dont nous rédigeons les lois à l'heure actuelle dénote encore l'existence de deux solitudes. Les équipes de rédacteurs commencent à se parler, mais on utilise surtout des systèmes de rédaction parallèle maintenant.

Le sénateur Fraser: L'article 3 stipule ceci:

Sont abrogées les dispositions du Code civil du Bas Canada [...] qui portent sur une matière relevant de la compétence du Parlement et qui n'ont pas fait l'objet d'une abrogation expresse.

[Français]

Est-ce trop vague? Faudrait-il énumérer ces dispositions ou bien tout le monde est tellement d'accord à ce sujet qu'on n'en a pas besoin, même en annexe?

M. Bisson: Procéder à l'énumération est une aventure dans laquelle vous ne devriez pas vous lancer, parce que dans 98 p. 100 des cas, tout le monde va s'entendre sur ce qui, effectivement, est de compétence fédérale. Quant au 2 p. 100, il vaut mieux un petit contentieux dans quelques années pour essayer de faire la liste. Cela va entraîner une discussion mémorable dont malheuresement nous ne sortirons jamais.

Le sénateur Beaudoin: C'est juste une précision, parce que le principe est fondamental. Vous avez dit, monsieur Fabien, que dans le fond, il n'y a pas du tout harmonisation, c'est exactement le contraire. C'est le respect de deux régimes juridiques. Au contraire, on appuie sur le respect du génie de la common law et du génie du droit civil et on harmonise les lois fédérales pour répondre à ces deux génies différents, c'est cela?

M. Fabien: C'est cela, c'est le défi du mariage.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Je suis toujours d'accord avec le sénateur Beaudoin. Par ailleurs, on dit à la première page du projet de loi que le projet de loi S-4 est «la loi numéro un visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil de la province de Québec,» et cetera. Il me semble donc que nous devons bien essayer de comprendre ce qu'est l'harmonisation. Est-ce l'uniformité? Est-ce la convergence? Est-ce la conformité? Nous devons nous entendre sur une définition, mais ce sera un autre jour.

Madame la présidente, les témoins ont soulevé une question que je juge importante. Vous en avez parlé vous aussi. S'il est vrai que ce projet de loi très important a été rédigé uniquement au ministère de la Justice, nous devrions peut-être demander au ministère pourquoi la mesure n'a pas été renvoyée à une commission distincte, par exemple la Commission de réforme du droit, comme on l'a fait au Québec. Si j'ai bien compris, on a créé une commission indépendante justement pour éviter les problèmes qu'il y aurait à laisser le gouvernement s'occuper d'un tel projet de loi. Je crois savoir que c'est une commission indépendante qui s'est occupée de la mesure au Québec et que cette mesure a été adoptée par la suite. Je voudrais savoir ce qui s'est passé ici. Si l'on n'a pas procédé comme on l'a fait au Québec, pourquoi?

La présidente: Merci, sénateur Grafstein. Je signalerai au ministère qu'il devra pouvoir répondre à ces questions lorsqu'il témoignera devant le comité.

[Français]

M. Fabien: Je voulais intervenir sur une toute autre question et attirer votre attention sur une ambiguïté concernant la question du marquage des mots. J'aimerais insister sur ce point et j'aimerais avoir le sentiment d'être bien compris. Je vous invite à faire une expérience à la page 7 du projet de loi. C'est dans la Partie (3) au sous-paragraphe (2):

[Traduction]

Les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux situés au Canada peuvent, à l'appréciation...

[Français]

De l'autre côté:

Les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux situés au Canada peuvent, à l'appréciation [...]

Ce qui nous aide à comprendre qu'il s'agit de concepts de droit civil en anglais et de common law en français, et ce respectivement, c'est que les mots sont soulignés dans le texte que vous avez sous les yeux. Il faut faire abstraction du soulignement parce qu'il est pour la commodité des travaux parlementaires. Enlever le soulignement pose un problème de lisibilité et même d'interprétation. Ce n'est pas négligeable. Le Québécois qui lira cela comprendra qu'il y a une nouvelle chose qui s'appelle «les biens réels fédéraux». Le législateur fédéral a le pouvoir de créer une nouvelle catégorie de biens, à ses fins propres. Le premier réflexe d'interprétation est donc de dire que le législateur ne parle pas pour ne rien dire et qu'il y a désormais des immeubles fédéraux et quelque chose de distinct au Québec, qui s'appelle «les biens réels fédéraux». L'intention de la loi n'est absolument pas de faire cela, mais plutôt de dire que dans la mesure où cette loi est lue au Québec, il ne faut lire que «les immeuble fédéraux». Si elle est lue au Nouveau-Brunswick, il faut lire «les biens réels fédéraux» parce que c'est l'équivalent fonctionnel en common law en français. L'inverse est vrai également pour «immovable» qui est l'équivalent fonctionnel de «federal real property». Je pense qu'il y a non seulement une difficulté fonctionnelle de lisibilité, mais une difficulté juridique. Elle pourrait toutefois être contournée si le soulignement était maintenu ou que le soulignement devenait des termes en italique avec une règle générale d'interprétation qui pourrait apparaître au début de la loi. Cette règle pourrait énoncer que les termes français en italique sont des termes de la common law en français, et que les termes anglais en italique sont les termes du droit civil en anglais. Je pense que cela pourrait résoudre non seulement le problème de lisibilité, mais également le problème d'interprétation.

Le sénateur Nolin: On ajoute à cela l'idée du lexique.

M. Fabien: En plus, il faudrait un lexique.

Le sénateur Beaudoin: Pour cela, vous m'avez convaincu.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je vais maintenant interrompre la discussion. Je remercie les témoins d'être venus témoigner devant nous aujourd'hui.

Avant de lever la séance, je rappelle aux honorables sénateurs que nous tiendrons notre prochaine réunion mercredi, à l'ajournement du Sénat, la première semaine de notre retour. Nous accueillerons à ce moment-là les fonctionnaires du ministère et nous essaierons aussi d'obtenir que la ministre soit là.

La séance est levée.


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