Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 17 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 22 novembre 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel a été renvoyé le projet de loi C-24, Loi modifiant le Code criminel (crime organisé et application de la loi) et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 52 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, la séance est ouverte.
Nous allons poursuivre l'examen du projet de loi C-24, Loi modifiant le Code criminel (crime organisé et application de la loi) et d'autres lois en conséquence. Nous allons entendre ce matin des témoins qui représentent l'Association du Barreau canadien, le Barreau du Québec, le Conseil canadien des avocats de la défense et la Criminal Lawyers' Association.
Veuillez commencer.
Mme Tamra Thomson, directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien: Heather Perkins-McVey et moi représentons la Section nationale du droit pénal de l'Association du Barreau canadien.
L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui regroupe plus de 36 000 juristes canadiens. Nos principaux objectifs consistent à améliorer le droit et l'administration de la justice. C'est à ce sujet que nous comparaissons aujourd'hui devant votre comité pour présenter des commentaires. Nous avons remis aux honorables sénateurs une copie de notre mémoire.
Je vais demander à Mme Perkins-McVey, présidente de la Section nationale du droit pénal de l'ABC, d'aborder certaines questions de fond que soulève le projet de loi. Nous serons heureuses de répondre à vos questions après les autres déclarations liminaires.
Mme Heather Perkins-McVey, présidente, Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien: Je vais vous présenter quelques remarques d'ordre général. Nous vous avons remis un mémoire dans lequel nous décrivons en détail les critiques que nous faisons à plusieurs dispositions du projet de loi C-24. L'ABC a consacré beaucoup de temps à l'examen de ce projet de loi, en parallèle avec à la fois la loi sur le blanchiment d'argent et avec le projet de loi C-36, dont nous avons tous fait, bien sûr, une étude détaillée depuis quelques semaines.
Nous sommes conscients du fait que la population et les provinces demandent que le gouvernement s'occupe de la lutte contre le crime organisé et qu'il prenne des mesures à la suite des événements du 11 septembre. Nos commentaires et nos critiques tiennent compte de cette situation.
Il est important de rappeler que le projet de loi C-36 va accorder des pouvoirs considérables aux services de police. D'après nous, les projets de loi C-24 et C-36 vont profondément modifier notre système judiciaire. Le système judiciaire canadien doit être fondé sur des principes solides et sur la légalité. Lorsque vous écouterez les témoins aujourd'hui, nous vous invitons à examiner le projet de loi C-24 à la lumière des pouvoirs sans précédent que le projet de loi C-36 accorde à la police.
Cette attribution de pouvoirs aux services de police combinée aux immunités accordées aux policiers par l'article 25.1 de façon presque incontrôlée est une grave source de préoccupations. Les honorables sénateurs ne doivent pas lire ce projet de loi sans tenir compte du contexte. Il faut prendre en considération les deux projets de loi lorsqu'on examine les pouvoirs qui seront attribués aux policiers.
L'Association du Barreau canadien s'inquiète beaucoup de l'immunité pénale accordée aux policiers. Comme nous le mentionnons dans notre mémoire, l'article 25.1 accorde trois nivaux d'immunité. Nous estimons que ces trois niveaux sont définis de façon trop vague et imprécise. C'est principalement le pouvoir accordé au paragraphe 25.1(8) qui nous inquiète. Examinons ce projet de loi en le comparant à un biscuit Oreo, où cette disposition représenterait le niveau inférieur. Ce niveau devrait, d'après moi, viser les infractions les moins graves. Lorsque nous avons abordé cette question au cours des consultations, on nous a dit de ne pas nous inquiéter parce que ce pouvoir large et subjectif vise uniquement les infractions les moins graves.
J'invite maintenant les honorables sénateurs à examiner la façon dont le paragraphe 25.1(8) est rédigé. D'après nous, il est devenu maintenant la principale partie de ce biscuit. Notre biscuit Oreo ne ressemble plus à un biscuit Oreo. Nous donnons aux policiers un pouvoir subjectif, sans qu'ils soient tenus d'obtenir l'autorisation d'une autorité compétente ou d'un organisme judiciaire. Il suffit qu'un fonctionnaire estime pour des motifs raisonnables que, compte tenu de l'infraction faisant l'objet de l'enquête, un tel comportement est raisonnable et proportionnel dans les circonstances.
Cette partie du projet de loi nous préoccupe gravement parce que c'est, d'après nous, la partie qui accorde le pouvoir le plus large et que cette attribution n'est pas assortie d'une obligation déclarative. Il n'est pas nécessaire de demander l'autorisation préalable d'une autorité compétente. La seule condition est que le fonctionnaire ait été désigné.
Les policiers ne sont pas obligés de rendre compte de leurs actes, ce qui nous inquiète beaucoup. Nous savons fort bien que la plupart des agents de police font de l'excellent travail, mais il existe également de nombreux cas, comme les affaires Morin et Milgaard, où les policiers ont agi de façon inappropriée. Tout récemment, deux policiers ont été condamnés par un tribunal de la Saskatchewan parce qu'ils avaient amené un individu sur un chemin isolé en pleine campagne et l'avaient laissé là dans le froid. Ces agissements inquiètent beaucoup la population. Il faut que les policiers soient tenus de répondre de leurs actes.
Nous avons un système judiciaire qui cherche à protéger les citoyens qui respectent les lois. Nous essayons de montrer à la population que c'est un objectif louable. Nous attribuons en même temps aux policiers le pouvoir de contrevenir aux lois qu'ils sont chargés de faire respecter. Cela modifie de fond en comble la façon dont on conçoit la loi.
Nous estimons également que ces pouvoirs ne respectent pas le principe de légalité. La jurisprudence en matière de provocation policière, jurisprudence qui est à l'origine de l'immunité accordée aux policiers - et les décisions prononcées par les tribunaux, énoncent que notre système démocratique est fondé sur le fait que la fin ne justifie pas toujours les moyens. En particulier, il peut arriver que des condamnations soient obtenues à un prix trop élevé. C'est là, d'après nous, un des principaux problèmes que pose ce projet de loi. Nous reconnaissons qu'il faut trouver un équilibre entre l'application de la loi, entre les outils dont les policiers ont besoin pour faire leur travail et la protection des citoyens.
Nous estimons que le Code criminel actuel offre les outils nécessaires. Nous n'avons pas besoin du projet d'article 423, qui contient une nouvelle disposition sur l'intimidation. Le Code criminel contient des articles qui protègent tous les citoyens contre le harcèlement criminel, contre les menaces - contre le type de comportement qui est décrit à l'article 10 du projet de loi. Le fait de menacer ou d'agir de cette façon à l'égard d'une personne qui fait partie du système judiciaire constitue toujours une circonstance aggravante.
L'autre sujet de préoccupation est la définition de «crime organisé» et la création d'une infraction incriminant l'appartenance à certains groupes.
La présidente: Vous parlez maintenant de l'article 27?
Mme Perkins-McVey: Je parle de l'article qui crée l'infraction, l'article 467.1.
Le sénateur Grafstein: À quelle page?
Mme Perkins-McVey: Page 32.
La présidente: Il est plus facile de vous suivre si vous nous donnez le numéro de l'article du projet de loi.
Le sénateur Beaudoin: Quel est l'article?
Mme Perkins-McVey: Page 32, l'article 27 du projet de loi modifiant l'article 467.1 de la loi. Le projet d'article 467.11 se trouve à la page 30 du projet de loi.
Nous pensons que cet article ne précise pas suffisamment la nature de l'infraction, celle de l'élément moral exigé, ni les circonstances constitutives de l'infraction.
Le paragraphe 467.11(1) réprime à titre d'acte criminel le fait de participer sciemment à une activité d'une organisation criminelle dans le but d'accroître la capacité de cette organisation de faciliter... un acte criminel. N'oubliez pas que le verbe «faciliter» ne semble pas exiger la connaissance de certains éléments. Dans cette situation, le poursuivant n'est pas tenu de démontrer que l'organisation a effectivement facilité ou commis une infraction, que l'accusé a véritablement contribué à accroître la capacité de l'organisation de faciliter ou de commettre un acte criminel, ni que l'accusé connaissait la nature exacte de l'acte criminel susceptible d'être commis, ni que l'accusé connaissait l'identité d'un des membres de l'organisation.
Il n'y a jamais eu d'infractions de ce genre dans le Code criminel. Comment peut-on savoir avec certitude qu'on a commis cette infraction? Une infraction que l'on peut commettre par erreur ou par omission n'est pas conforme aux normes constitutionnelles. Ces infractions ont une portée si large que les groupes qui défendent l'environnement et qui prônent la désobéissance civile pourraient être visés par elle. Un groupe d'avocats pénalistes représentant un accusé pourrait être visé par cet article, tel que rédigé.
Nous ne sommes pas favorables aux peines consécutives, telles que décrites à l'article 467.14. Cette disposition prévoit une peine consécutive obligatoire, dont la définition est beaucoup trop large; étant donné l'imprécision de la formulation des infractions, ces dispositions sont beaucoup trop larges et risquent de déboucher sur des peines tout à fait disproportionnées. Cela constitue toujours un facteur aggravant. Le renversement du fardeau de la preuve qui oblige l'accusé à démontrer que les dispositions relatives à la libération conditionnelle s'appliquent à son endroit est particulièrement rigoureux, compte tenu de la portée de ces dispositions. Il est très peu probable qu'un tribunal déclare que les conditions normales d'attribution de la libération conditionnelle sont applicables à l'accusé.
Nous pensons que les juges devraient avoir le pouvoir d'infliger la peine qu'ils estiment appropriée et nous accordons, dans le Code criminel, ce pouvoir aux juges parce que nous pensons que c'est à eux d'examiner les éléments de preuve, d'apprécier les circonstances et de fixer la peine qui convient. Avec des peines minimales obligatoires, les juges n'ont plus le pouvoir discrétionnaire de fixer la peine qui correspond à l'infraction commise.
De façon générale, nous pensons que la meilleure façon de lutter contre le crime organisé est de demander aux policiers de mieux utiliser les ressources dont ils disposent actuellement pour faire leur travail.
Il nous paraît essentiel de se poser la question suivante: ce projet de loi va-t-il résoudre le problème? Nous pensons que non. Vous avez entendu hier la ministre de la Justice, Mme McLellan, qui vous a dit que ce projet de loi était différent du projet de loi C-36 parce qu'il s'attaquait à l'appât du gain. Notre position est que ce projet de loi ne s'attaque pas suffisamment au mobile de l'appât du gain. Si l'on essayait de dépénaliser les drogues douces et la prostitution, on s'attaquerait aux sources des profits que recherchent les personnes qui exercent des activités de crime organisé. Nous pensons que des lois comme la loi sur le blanchiment d'argent qui a déjà été adoptée, et qui visent à confisquer les profits, seraient beaucoup plus efficaces pour lutter contre le crime organisé que les infractions beaucoup trop larges qu'envisage le projet de loi C-24.
[Français]
Mme Carole Brosseau, avocate, Service de recherche et législation, Barreau du Québec: Bonjour. Je suis accompagnée aujourd'hui de Me Anne-Marie Boisvert qui est professeure agrégée de l'Université de Montréal et également présidente de notre comité en droit criminel. Elle fera la présentation pour le Barreau du Québec ce matin. Je tiens d'abord à informer les membres du comité que je vous ferai parvenir dès le début de la semaine prochaine notre mémoire sur le projet de loi C-24 ainsi qu'un bref résumé de nos différentes positions.
Je vais céder la parole à Me Boisvert.
[Traduction]
La présidente: Le plus tôt possible la semaine prochaine.
Mme Brosseau: Je crois que ce sera lundi matin.
[Français]
Mme Anne-Marie Boisvert, présidente du Comité sur le droit criminel, Barreau du Québec: Merci de nous recevoir. Je serai très brève parce que mon petit doigt me dit qu'il risque d'y avoir de la répétition dans les présentations.
Ceci étant dit, je tiens à souligner que je ne représente pas ce matin un barreau de la défense, mais bien le Barreau du Québec qui comprend des avocats de la défense, mais aussi des avocats de la poursuite qui ont comme mandat de représenter l'intérêt du public.
Mes remarques seront donc très générales et ressembleront beaucoup à celles que vous venez d'entendre. Il est important de souligner le climat ambiant dans lequel nous nous parlons ce matin. Nous devons regarder le projet de loi C-24 à la lumière des événements récents et des modifications législatives imminentes, particulièrement le projet de loi C-36. Les dispositions prévues dans le projet de loi C-24, même si elles ont l'air bénignes à certains égards compte tenu de ce qui s'en vient avec le projet de loi C-36, sont quand même des modifications législatives importantes qui bouleversent fondamentalement plusieurs principes généraux admis dans notre droit.
Le projet de loi réfère au crime organisé. Nous devons être conscients du fait que le projet de loi est d'application générale. Il y a certaines dispositions particulières applicables au crime organisé, mais certaines dispositions, plus particulièrement l'article 25 du Code criminel en matière de pouvoir policier, sont applicables à l'ensemble du Code criminel, à l'ensemble du droit. Ce ne sont pas des dispositions spéciales pour combattre le crime organisé, mais plutôt des dispositions générales pour combattre le crime en général.
Il y a des dispositions exorbitantes. La définition d'organisation criminelle proposée est extrêmement large. Trois personnes constituent une organisation. Les nouvelles infractions, à la page 30 du projet de loi, créent quelque chose qui n'a jamais existé au Canada, c'est-à-dire un crime d'association. Ces dispositions, tout comme le projet de loi C-36, importent de nouveaux concepts en droit criminel canadien. Dorénavant, dans certains cas, la facilitation et la contribution à la criminalité deviennent des crimes. Il s'agit, à notre avis, de concepts qui dépassent largement les concepts d'aide, d'encouragement et de complicité déjà connus. Ces concepts risquent de bouleverser de façon importante notre vision de la criminalité et de ce qu'est un crime.
Par ailleurs, plusieurs dispositions exorbitantes en matière de pouvoir policier, de blocage de biens et d'écoute électronique visent la catégorie spéciale qu'on appelle les infractions désignées. On a déjà légiféré sur les infractions désignées. Il y en avait une courte liste. Il faut comprendre que dorénavant, toutes les infractions de notre droit qui ne sont pas exclues constituent une infraction désignée. Donc la notion d'infraction désignée ne veut plus rien dire et n'a plus rien de spécial. Ce qui est spécial, c'est ce qui est exclu de la notion d'infraction désignée.
Le Barreau du Québec partage ce qui vient d'être dit en ce qui concerne les nouveaux pouvoirs policiers. Le contexte entourant la décision d'adopter ce genre de mesures est un contexte d'urgence factice. Je mentionnerai simplement qu'environ une cinquantaine de motards ont été arrêtés au Québec dernièrement, sans la nécessité des dispositions particulières prévues au projet de loi C-24. L'urgence artificielle entretenue autour d'une décision de la Cour suprême du Canada a créé un sentiment d'urgence qui mérite d'être remis en perspective.
Ce que nous faisons finalement, c'est de dire que la police au Canada est au-dessus de la loi. Les précautions contenues dans le projet de loi sont ce qu'elles sont, c'est-à-dire des précautions rhétoriques. Il est choquant, à mon avis, que l'on dise que la police est justifiée. Au-delà de cela, ce qui se présente comme un moyen de défense n'est rien d'autre que des nouveaux pouvoirs accordés aux forces policières. L'histoire nous enseigne qu'une fois des pouvoirs accordés, il est extrêmement difficile de les retirer ou de revenir en arrière. Ils sont accordés une fois pour toutes. On s'apprête à accorder à la police de nouveaux pouvoirs alors que, indépendamment de toute question d'urgence, la preuve de l'utilisation efficiente des ressources dont les corps de police disposent déjà n'a pas été faite. Certaines commissions d'enquête au Québec ont montré qu'on avait encore du progrès à faire.
Le Barreau du Québec craint un abus dans l'utilisation des pouvoirs. Il est aussi d'avis que les mécanismes de contrôle des pouvoirs donnés à l'appareil policier sont tellement minimaux qu'ils n'existent pas. Le mécanisme de rapport annuel contient tellement d'exceptions que le rapport ne pourrait pas tenir dans un paragraphe. Il n'y a pas non plus de véritable contrôle civil du pouvoir policier. Nous craignons véritablement que la police fonctionne en vase clos, sans véritable possibilité de contrôler.
Finalement, nous avons des craintes quant à l'étendue des pouvoirs donnés. Pour des raisons de sensibilité de l'opinion publique, on ne permettra pas aux policiers de commettre des agressions sexuelles. On comprend pourquoi, mais il y a des infractions de violence contre la personne qui ne sont pas exclues. Je pense par exemple à la séquestration qui pourra être commise. Le mécanisme de suivi ou d'envoi d'avis à des personnes contre qui on a commis des infractions contre les biens est parfaitement insuffisant. Rien n'est prévu pour indemniser les victimes innocentes de la lutte au crime et rien n'est prévu non plus quand c'est l'intégrité physique des personnes qui en est atteinte. Il faut comprendre que certaines formes de voie de fait sont autorisées.
Il me fera plaisir de répondre à vos questions.
[Traduction]
M. William M. Trudell, président, Conseil canadien des avocats de la défense: Honorables sénateurs, je suis heureux d'être ici pour vous parler au nom du Conseil canadien des avocats de la défense. Je ne sais pas ce qu'a fait votre comité pour se voir confier autant de projets de loi importants en si peu de temps.
Au risque de répéter ce que j'ai dit à propos d'un autre projet de loi, je dirais qu'il s'agit là d'une des grandes mesures pénales que les honorables sénateurs auront l'occasion d'étudier. Nous nous en remettons à votre comité pour qu'il examine de façon approfondie les dispositions du projet de loi, comme le comité l'a fait pour le projet de loi C-36, pour la justice pour les jeunes, et peut-être, pour d'autres lois.
Ce projet de loi aura pour effet de modifier profondément notre droit pénal. Pour la première fois, le législateur incrimine un comportement non intentionnel, avec sa définition du crime organisé et de la participation. La connaissance n'est plus exigée. Si vous lisez soigneusement ces dispositions, vous constaterez que la connaissance est supprimée. Nous sommes en train d'incriminer un comportement sans exiger d'élément moral. Deuxièmement, nous excusons un comportement criminel intentionnel de la part des policiers. Ces deux aspects fondamentaux de ce projet de loi sont ceux qui préoccupent le Conseil canadien des avocats de la défense, ainsi que mes collègues et mes concitoyens.
Je ne suis pas ici pour critiquer la police mais si ce projet de loi mourait au Feuilleton, rien ne changerait. Notre pays ne s'écroulerait pas parce que le Code criminel contient toutes sortes de dispositions qui permettent à la police d'exercer ses fonctions et de réprimer le crime organisé et la criminalité en général.
Il existe dans notre pays un lobby policier, qui est très puissant et très écouté, dont la devise est la suivante: «Donnez-nous davantage de pouvoirs. Nous n'en abuserons pas.» Je vous invite à être très prudents lorsque vous examinerez les effets que pourrait avoir ce projet de loi. Il y a des policiers qui pensent qu'ils ont besoin de plus de pouvoirs. Nous pensons que ces policiers n'utilisent les dispositions du Code criminel actuelles.
D'où vient ce mouvement? Il est vrai qu'on constate depuis quelque temps l'existence de gangs de motards et le développement de leurs activités. Je ne suis pas en train de dire que les gangs de motards, qui sont peut-être apparus dans la province de Québec, ce qui a causé un problème à cette province, se sont répandus dans l'ensemble du pays. Il y a peut-être certains problèmes dans cette province mais ce sont aujourd'hui les terroristes qui sont le sujet de nos préoccupations. Les motards ont délaissé les premières pages. Il faudrait, je crois, éviter de réagir de façon émotive aux événements qui sont survenus dans notre communauté et d'apporter des changements aussi fondamentaux à notre droit pénal. Nous vous invitons à examiner très soigneusement les dispositions d'un projet de loi qui va très loin.
J'ai eu l'honneur de comparaître devant un comité de la Chambre des communes au sujet de ce projet de loi. J'ai eu l'honneur de me trouver ce jour-là avec un représentant de la police du Québec. Il parlait des condamnations qu'ils avaient obtenues il y a un an au Québec contre certains motards. Ils ont dit que le tribunal avait acquitté quelques motards parce qu'ils n'avaient pas réussi à prouver la connaissance. Avec le projet de loi, ces motards auraient été, d'après eux, condamnés. Ce projet de loi permet de contourner l'application normale de la justice pénale au pays. J'invite les honorables sénateurs et sénateurs à faire preuve d'une grande prudence.
Nous avons présenté un court mémoire. Je vous recommande de lire le mémoire de l'Association du Barreau canadien et ceux de mes collègues. Le mémoire du Conseil canadien des avocats de la défense aborde un certain nombre de questions et je vous invite à en prendre connaissance, quand vous aurez l'occasion de le faire.
M. Michael Lomer, avocat, Criminal Lawyers' Association: Honorables sénateurs, je vous remercie d'avoir invité un représentant de notre association à témoigner devant vous aujourd'hui. La Criminal Lawyers' Association est une association ontarienne qui regroupe 1 000 avocats de la défense. C'est une organisation bénévole, ce qui n'empêche que certains de ses membres sont spécialisés dans ce domaine. Je note en passant que le projet de loi dont nous parlons aujourd'hui est une réaction à l'arrêt Campbell et Shirose, et ce sont le président et le vice-président de la Criminal Lawyers' Association qui ont été les avocats dans cette affaire qui a été entendue par la Cour suprême.
Il est important de comprendre l'historique de la question. Je suis l'histoire de ce projet de loi depuis le livre blanc publié en septembre 2000 qui en proposait une première version. Mes commentaires vont principalement porter sur l'article 25.
L'article 25.1 actuel, qui se trouve dans le Code pénal, énonce un critère précis qui permet de justifier les actes commis par les policiers s'ils s'appuient sur des motifs raisonnables. C'est à peu près tout ce que dit le Code criminel au sujet des policiers qui commettent des actes illégaux.
Il n'est pas surprenant de constater que la notion d'acte raisonnable a été lourdement réglementée dans toutes les régions du pays. Il suffit de penser, par exemple, au règlement sur les poursuites automobiles destiné aux policiers de Toronto, que je connais bien, qui fournit aux policiers un ensemble de lignes directrices très strictes qui précisent ce qui est raisonnable dans certaines circonstances, lorsque la police décide de poursuivre un fuyard.
Au Canada, nous avons souvent adopté des règlements pour déterminer le caractère raisonnable des gestes posées par la police qui pourraient autrement constituer une activité criminelle ou une infraction, comme, par exemple, le fait de ne pas respecter un signal d'arrêt ou un feu rouge, pour les actes les moins graves, jusqu'à des choses beaucoup plus sérieuses. L'arrêt Campbell et Shirose concernait une vente surveillée et il a entraîné après coup l'adoption d'une mesure législative. Nous autorisons déjà - et personne n'a jugé nécessaire de mettre en doute le pouvoir des policiers de faire des transactions sur des biens de contrebande, qu'il s'agisse de stupéfiants, de fausse monnaie ou de choses du genre - les policiers à poursuivre les fabricants, les distributeurs et les fournisseurs de stupéfiants ou de biens de contrebande. Cela n'a jamais posé de problème. La difficulté vient du fait que les policiers vont au-delà de ce que la loi les autorise à faire.
Le système antérieur à l'arrêt Campbell et Shirose prononcé par la Cour suprême - système qui consistait à dire tout simplement que personne n'est au-dessus de la loi - était un système fondé sur la raison telle que définie par la loi. Il reflétait des décisions législatives préalables, prises en vertu d'un règlement ou d'une loi. Cette autorisation préalable réglementait le comportement des policiers.
Ce projet de loi va autoriser, une fois pour toutes, que soit délégué l'exécutif sur le plan de la responsabilité - et cela se trouve dans cette clause de délégation - et à la police, sur le plan pratique, le pouvoir de décider ce qui constitue une activité policière raisonnable.
La conséquence de ce changement est qu'au lieu d'autoriser les policiers à poser des actes illégaux dans certaines situations - en les y autorisant par règlement - nous déclarons, une fois pour toutes, que les policiers peuvent poser n'importe quel acte criminel, que ce sont à eux d'exercer certains contrôles et de décider quelles sont les activités criminelles qu'ils souhaitent exercer. Ils peuvent en décider à quelques exceptions près. J'examinerai ces exceptions dans un instant.
Les exceptions se trouvent à l'alinéa 25.1(11)a) du projet de loi qui énonce: «de causer, volontairement ou par négligence criminelle, des lésions corporelles à une autre personne ou la mort de celle-ci.» C'est l'expression «causer volontairement des lésions corporelles» que le comité devrait examiner particulièrement.
Selon le droit pénal général, tel qu'exposé dans des arrêts comme Creighton, l'intention exigée est l'intention de commettre des voies de fait. La qualification de l'acte posé dépend des conséquences découlant des voies de fait et non de l'intention de leur auteur. Par exemple, si je frappe quelqu'un et que ça lui fait un bleu, cela constitue une voie de fait. Si cette personne tombe à la renverse, que sa tête heurte le trottoir et qu'elle décède, c'est un homicide involontaire coupable. L'intention est pourtant exactement la même.
Avec ce projet de loi, le législateur crée une nouvelle intention. Le critère énoncé est l'intention de causer des lésions corporelles. Pourvu que l'agent de police en civil ou en uniforme puisse dire: «Je voulais simplement le frapper», il pourrait causer des lésions corporelles graves à des innocents, et le projet de loi, tel qu'il est rédigé actuellement, justifierait ses actes.
Le projet de loi risque d'autoriser ce genre de comportement agressif. Il faut également savoir - et nous l'avons vu dans le Livre blanc - que les organisations criminelles mettent à l'épreuve les agents d'infiltration. Elles leur disent: «Eh bien, commettez un acte criminel et nous verrons ensuite si vous êtes policier ou non.»
Avec les règles antérieures, aucun acte particulier n'était interdit expressément aux policiers. Le domaine dans lequel il convient de mettre à l'épreuve les agents d'infiltration est maintenant précisé. Cela est écrit noir sur blanc: «Le présent article n'a pas pour effet de justifier une personne de commettre un acte qui porte atteinte à l'intégrité sexuelle d'une personne.» Cela pourrait être tout à fait mineur, dans un certain sens, mais c'est là-dessus que seront mis à l'épreuve ces agents. Maintenant, grâce à cette loi, ces organisations vont être en mesure de savoir ce qu'il faut faire pour découvrir si un de leurs membres est un agent d'infiltration. Auparavant, le droit pénal ne précisait aucunement les actes non protégés, et les organisations criminelles ne les connaissaient pas.
Je suis d'avis que, d'une façon générale, il n'est pas souhaitable de déléguer intégralement à l'exécutif et aux policiers le pouvoir de décider quels sont les actes criminels qu'ils peuvent commettre. C'est pourtant ce qui va se passer, si ce projet de loi n'est pas profondément modifié. Les limites qui viennent circonscrire les pouvoirs des policiers ne seront d'aucune utilité. Ces restrictions ne sont pas utiles pour nous, ni pour la police parce que les policiers risquent toujours d'être mis à l'épreuve, un procédé qui les inquiétait beaucoup lorsque nous avons eu le livre blanc et organisé un groupe de discussion à ce sujet.
Des membres de divers services policiers et des procureurs généraux ont assisté à cette table ronde. J'ai eu le sentiment que les procureurs généraux présents n'aimaient pas l'idée d'autoriser des agents d'infiltration à adopter un comportement agressif. Je parle d'agents d'infiltration parce que c'était l'exemple qui était donné le plus souvent. Les procureurs n'aimaient pas ça et cela les inquiétait.
Je leur ai posé directement la question «Pourquoi ne pas faire une liste de toutes les lois qui vous empêchent de faire votre travail? Dites-moi quelles sont-elles et nous allons voir s'il ne serait pas possible de négocier certaines choses.» Les policiers ont mentionné des choses comme la Loi sur les aubergistes. Les policiers ne peuvent pas s'inscrire sous un faux nom. Nous pouvons modifier la Loi sur les aubergistes. Cela ne tient pas debout. Ils m'ont donné l'exemple de la fausse monnaie que je vous ai mentionné. J'ai dit que personne n'interdisait aux policiers d'agir de façon clandestine pour arrêter les fabricants ou les distributeurs de biens de contrebande.
Ils ont parlé du Code de la route. L'arrêt Campbell et Shirose, quelle qu'en puisse être la portée exacte, ne veut certainement pas dire que les tribunaux vont acquitter les trafiquants et les criminels parce qu'un policier n'a pas fait un arrêt. Ce n'est pas du tout ce que dit cette décision.
Lorsque nous avons demandé aux policiers de nous donner des exemples concrets de ce qu'ils souhaitaient, il y a eu en fin de compte le silence. Nous leur avons montré que nous pouvions leur donner tout ce qu'ils souhaitaient. Pourquoi veulent-ils alors ce pouvoir? Je laisse cette question au comité. Je ne sais pas pourquoi, si ce n'est qu'ils auront ainsi d'autres pouvoirs.
La position de la Criminal Lawyers' Association est que, dans une société libre et démocratique, la seule approche acceptable pour justifier les actes illégaux commis par les policiers est l'approche actuelle. C'est une approche ponctuelle et progressive: Dites-nous ce dont vous avez besoin et pourquoi et nous déciderons ensuite de vous l'accorder ou non, selon le cas. Toute atteinte à cette méthode est une atteinte aux principes de légalité, qui doit être examinée et justifiée avant d'être commise.
Je vais paraphraser le juge Binnie dans Campbell et Shirose. Il a déclaré qu'il est très grave que le législateur place les policiers au-dessus des lois et que cela a des répercussions constitutionnelles qui vont au-delà du domaine du droit pénal. Le juge Binnie a également fait remarquer qu'une justification générale accordée aux policiers irait à l'encontre des principes constitutionnels fondamentaux décrits plus haut dans le jugement.
Il a déjà été dit que la constitutionnalité de l'article 25.1 était incertaine mais il y a également le fait que les policiers n'ont pas besoin de cet article pour faire leur travail.
J'aimerais attirer votre attention sur un autre aspect. Il s'agit de la définition de l'infraction de criminalité organisée. Constitue une infraction d'organisation criminelle, selon l'alinéa 1(6)a), soit une infraction prévue aux articles 467.11, 467.12 ou 467.13 ou une infraction grave. Je rappelle qu'une infraction grave est un acte criminel punissable par au moins cinq ans d'emprisonnement. Cela comprend les voies de fait simples, si l'on procède par voie de mise en accusation. Une «infraction grave commise au profit de» et je souligne ces mots parce que cette disposition n'exige pas que la personne visée ait connaissance du fait qu'il s'agit d'une organisation criminelle pour que celle-ci puisse profiter de ces infractions.
Je vais vous donner un exemple: Prenons le cas d'une personne qui achète des biens volés, un receleur. C'est manifestement une infraction grave parce c'est un acte criminel punissable par 10 ans d'emprisonnement. Le receleur fait une transaction avec quelqu'un qui lui vend une voiture volée, sachant que c'est une voiture volée. Il vend cette voiture, et verse cet argent à la personne qui la lui a vendue. À l'insu du receleur, cette personne est un membre du crime organisé. Le receleur est alors non seulement coupable de l'infraction qu'il a commise, à savoir la vente d'un bien volé, mais il a également commis une infraction d'organisation criminelle pour laquelle il va recevoir une deuxième peine consécutive et la durée de la partie incompressible de sa peine sera doublée. Il a pourtant agit comme il le faisait avant; il faut donc se demander, premièrement, est-ce que cela est constitutionnel? Vos attachés de recherche pourraient retrouver la référence à cet arrêt ainsi que la jurisprudence qui a suivi, pour savoir si c'est bien le cas. Quoi qu'il en soit, cela revient à incriminer deux fois ce qui constitue un comportement criminel ordinaire.
Je suis prêt à répondre à vos questions sur ce point.
Le sénateur Beaudoin: J'ai deux questions. La première porte sur l'arrêt Campbell, auquel certains d'entre vous ont fait référence. La seconde concerne l'article 11 à la page 18, où il est énoncé que nous créons une nouvelle infraction. La présence de l'expression «sauf autorisation légitime» me paraît étrange. Quel en est le sens?
Tout d'abord, pour ce qui est de l'arrêt Campbell, les policiers ont témoigné ici hier pendant deux ou trois heures. Ils ont souvent mentionné cet arrêt, en disant qu'à cause de lui, il fallait adopter une loi pour permettre aux policiers de faire leur travail. Ils estiment que ce projet de loi apporte la réponse demandée. J'aimerais connaître votre réaction.
[Français]
Le Barreau du Québec a affirmé ce matin qu'on n'a pas besoin de créer une nouvelle infraction puisque le Code criminel renferme déjà des dispositions en ce sens. J'aimerais connaître votre réaction.
Mme Boisvert: On a beaucoup parlé de la décision Campbell et Shirose de la Cour suprême. J'aimerais la mettre en perspective. Campbell et Shirose sont accusés d'infractions graves en matière de stupéfiants et demandent un arrêt des procédures pour des motifs d'abus de la part des policiers. On allèguera que les policiers ont commis une infraction: ils ont vendu de la drogue. La Cour suprême refuse l'arrêt des procédures; Campbell et Shirose seront condamnés.
Cependant, au cours du jugement, le juge de la Cour suprême a dit que les policiers avaient posé des actes illégaux. Ce qu'on allègue maintenant, c'est qu'on ne peut pas avoir de condamnations parce qu'on ne peut pas commettre des actes illégaux. Je le répète, Campbell et Shirose ont été condamnés. Si on allègue qu'on ne peut plus enquêter parce qu'on s'expose à ce que les procureurs généraux nous poursuivent pour avoir commis des infractions, j'aimerais voir la longue liste de policiers qui ont été poursuivis.
Au Québec, la GRC a blanchi des millions de dollars illégalement par l'entremise d'un comptoir de change qu'ils avaient mis sur pied. À ce que je sache, aucun des policiers de la GRC n'a été poursuivi. De plus, les gros criminels visés sont encore en prison suite à cette opération.
Quand on dit que dans le cas de Campbell et Shirose, la décision de la Cour suprême a créé une situation d'urgence qui fait qu'on ne peut plus enquêter, on doit se poser des questions sur ce qui est demandé exactement. Le projet de loi donne le pouvoir de décider qu'il est raisonnable de commettre des infractions et dans quel contexte. Il est clair, à la lecture de ce projet de loi, que ce qui a fait l'objet de la commission d'enquête MacDonald, suite aux événements des années 1970 au Québec, n'aurait pas sa raison d'être. Il serait normal que la GRC ait volé des listes de membres de partis politiques, qu'elle ait fait brûler des granges ou qu'elle ait fait d'autres actions qui ont donné lieu à des années de commission d'enquête. Il est important de le réaliser.
Le sénateur Rivest: Le commissaire de la GRC nous a dit hier que 59 opérations d'infiltration étaient en cours à la GRC au moment de la décision Campbell et Shirose. Suite à cette décision, il n'en restait que deux parce qu'ils ont eu peur de s'exposer. Vous nous dites qu'indépendamment de cette loi, les services policiers n'ont pas de problèmes à faire leur travail. Eux, ils pensent qu'il y en a un problème puisqu'ils ont cessé 57 opérations d'infiltration. C'est considérable.
[Traduction]
M. Trudell: Est-ce que «59 opérations d'infiltration» veut dire 59 opérations d'infiltration dans lesquelles la police ne respectait pas la loi? L'arrêt Campbell et Shirose veut dire pour l'essentiel que les policiers ne peuvent agir illégalement, quel que soit leur mobile et même s'ils pensent qu'ils vont attraper les méchants.
Dans Campbell et Shirose, les policiers ont essayé de vendre des stupéfiants. Ils avaient le droit de posséder des stupéfiants mais ils ont été plus loin. La Cour suprême du Canada a déclaré que les policiers ne sont pas au-dessus de la loi et que c'est ce qu'exige le principe de la légalité. Après l'arrêt Campbell et Shirose, on a commencé à dire au Canada que cette décision liait les mains de la police, et qu'elle ne pouvait plus faire son travail. Que veut-on dire exactement lorsque l'on dit que deux des 59 opérations d'infiltration ont suivi leur cours. Qu'entend-on par «59 opérations d'infiltration au Canada»? Est-ce que cela veut dire 59 cas où la police a décidé de vendre des stupéfiants?
La cour a déclaré dans Campbell et Shirose que, s'il y avait une guerre contre les stupéfiants et que le Parlement ne faisait rien, ce serait à lui d'intervenir. Le tribunal n'a pas dit que le législateur devait intervenir. Il a dit que c'est au Parlement de décider s'il y a lieu de faire quelque chose.
Nous craignons que cela ne constitue simplement une solution de facilité. Demandez au commissaire au cours d'une audience à huis clos quelles sont ces 59 opérations d'infiltration auxquelles on a mis fin. Le gouvernement présente les articles 25.1 à 25.4 en réponse à l'arrêt Campbell et Shirose, dans un train de mesures visant le crime organisé. Ces articles n'ont rien à voir avec le crime organisé. Ils autorisent n'importe quel policier à commettre des infractions. Ces articles ont été présentés à cause des enquêtes en cours.
Ces éléments de preuve sont tout à fait isolés. Je pourrais vous raconter des histoires d'horreur sur la façon dont les policiers ont traité mes clients, la police pourrait également vous raconter des histoires d'horreur sur la façon dont j'ai traité les policiers. La vérité est entre les deux.
Permettez-moi de dire qu'il est troublant que le commissaire déclare qu'ils ont dû mettre fin à 59 enquêtes. Quelles étaient ces enquêtes? Existe-t-il d'autres façons d'agir?
La principale chose qui nous inquiète est qu'il n'y a pas de contrôle. Les articles proposés n'autorisent pas uniquement les policiers à commettre des infractions. Les mandataires des policiers - les informateurs - sont visés par ces dispositions. Ce projet de loi s'applique aux informateurs qui sont rémunérés par la police. Il n'existe aucun mécanisme de contrôle.
Lorsque le gouvernement a présenté ce projet de loi et que les hauts fonctionnaires ont comparu devant d'autres comités, ils ont dit qu'il ne fallait pas s'inquiéter parce que le solliciteur général et le procureur général présenteraient des rapports annuels. Regardez les portes de sortie qu'on leur offre aux pages 8 et 9. L'article 25.3 proposé se lit:
(2) Sont exclus du rapport annuel les renseignements dont la divulgation, selon le cas:
a) compromettrait une enquête en cours relativement à une infraction à une loi fédérale ou nuirait à une telle enquête;
d) porterait atteinte à une procédure judiciaire;
e) serait contraire à l'intérêt public.Les policiers peuvent toujours dire au solliciteur général qu'ils ne peuvent lui transmettre ces renseignements parce que cela risquerait de compromettre une enquête ou serait contraire à l'intérêt public.
Selon l'alinéa 25.4d), les policiers n'ont pas à donner un avis à la personne dont les biens ont été détruits si cela porte atteinte à une procédure judiciaire ou est contraire à l'intérêt public. Il n'existe aucun mécanisme de contrôle. Tout ce qu'ils ont à dire c'est «Nous ne pouvons présenter de rapport.»
Le sénateur Beaudoin: Hier, les représentants des policiers nous ont dit avoir besoin de la nouvelle loi à cause de l'arrêt Campbell et Shirose. Ils nous ont dit que s'ils étaient autorisés à agir en vertu d'une législation, ils pourraient faire quelque chose.
Êtes-vous d'accord ou non avec cette interprétation de l'arrêt Campbell et Shirose? Dans une large mesure, cet arrêt est à la base du projet de loi à l'étude.
[Français]
Mme Boisvert: Qui, à part les corps de police, interprète la décision Campbell et Shirose de cette façon? Qui voit la nécessité de légiférer de façon urgente sur ce sujet? La question est extrêmement grave.
[Traduction]
Mme Perkins-McVey: Nous convenons tous que l'arrêt Campbell et Shirose n'a rien modifié à la loi. Comme MM. Trudell et Lomer l'ont indiqué, il y a eu par le passé une analyse au cas par cas qui a été mise à l'épreuve du tribunal, d'un juge et avec divulgation à défense. Il y a eu détermination quant à savoir si la fin justifiait les moyens conformément à la primauté du droit.
Cette législation - et j'estime qu'il s'agit là d'un point important - ne traite pas uniquement du crime organisé; elle traite de tous les articles du Code criminel. Si vous regardez la définition à la page 4, à l'article 25.1 proposé, vous constaterez qu'elle étend ce type d'attitude subjective à être exempté de poursuites criminelles aux agents de douane, aux agents des pêches et à une large catégorie de personnes. Ces personnes ne s'occupent pas de crime organisé.
Si un projet de loi particulier s'impose pour traiter du crime organisé, il faut donc éliminer l'actuel projet de loi. Il faudrait en revenir à la nécessité de traiter spécifiquement du crime organisé. Ces exemptions de poursuite au criminel modifient entièrement la façon dont nous abordons le droit criminel. En l'occurrence la police est au-dessus de la loi, ce qui est une préoccupation très grave.
M. Lomer: Pour répondre à votre question concernant le commissaire qui a dû laisser tomber les enquêtes en cours, j'aurais bien aimé être là pour lui poser la question suivante: à quelle activité criminelle se livraient vos policiers pour que vous ayez été obligé de mettre fin à cette enquête? Honnêtement, je doute qu'il y ait eu quelque activité non autorisée. Je crois qu'il s'agissait plutôt d'une interprétation arbitraire de l'arrêt Campbell et Shirose par les responsables de l'application de la loi. Je regrette de le dire, mais voilà ce qui s'est produit, selon moi.
Par exemple, immédiatement à la suite de l'arrêt Campbell et Shirose, le gouvernement a pris un règlement interdisant aux policiers d'acheter et de revendre des stupéfiants dans le cadre d'une opération d'infiltration. Ce n'est plus un problème.
La présidente: Ce n'est pas l'arrêt Campbell et Shirose qui a mené à cette situation, mais c'est le gouvernement qui a pris la mesure.
M. Lomer: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: L'article 11 du projet de loi précise ce qui suit:
Il est interdit, sauf autorisation légitime, de commettre un acte visé au paragraphe (2) dans l'intention de provoquer la peur:
Au plan légal, c'est très clair. Ce qui l'est moins, c'est l'expression «sans autorisation légitime». Qu'est-ce que cela signifie? Est-ce la police, le tribunal ou le ministre? Pour moi, il est très difficile de le savoir. Comment réagissez-vous à cela?
M. Trudell: Je ne sais pas quel est le sens de «sauf autorisation légitime» dans cet article. L'article a été proposé afin de protéger les représentants de la justice - et ajouté en tenant compte des journalistes - à la suite d'une nécessité apparente à l'échelle du pays. Il semble y avoir de plus en plus de personnes intimidées par le système judiciaire, et il y a eu également cette terrible fusillade à Montréal.
Je ne sais pas ce que signifie l'expression «sauf autorisation légitime». Je ne sais pas pourquoi ces mots ont été ajoutés, et je ne crois pas qu'ils ajoutent quoi que ce soit.
Le sénateur Beaudoin: Vous n'en savez donc pas plus que moi sur le sujet?
M. Trudell: J'en sais beaucoup moins que vous sur la question et sur plusieurs autres choses.
Le sénateur Beaudoin: Il s'agit d'une nouvelle infraction.
M. Trudell: Oui, c'est le cas.
Le sénateur Beaudoin: L'aspect qui pose problème est «sauf autorisation légitime». Est-ce le tribunal, la police ou le ministre? Tout dépend. Selon moi, cette question est de la plus haute importance parce que ces personnes peuvent commettre une infraction. C'est ce qui me préoccupe. Je ne sais pas si vous avez une réponse à cette question, mais je n'en ai pas.
Mme Boisvert: Nous pourrions tenter de deviner. Je dirais que cela signifie que la police peut avoir à l'oeil un certain nombre de personnes.
La présidente: Ces mots ne sont-ils pas tous dans le Code criminel, à tout le moins en ce qui a trait à l'intimidation?
Le sénateur Beaudoin: Hier, on nous a dit qu'il y a un article du Code criminel à cet effet. Peut-être que ce qui est proposé n'est pas nécessaire, je n'en sais rien. Je n'affirme rien dont je ne sois sûr. Selon moi, ils ont apparemment le pouvoir de le faire. J'estime qu'ils ont considéré que la police ou le ministre avait ce pouvoir. Après tout, il s'agit d'un nouveau crime et il faut être précis.
Mme Perkins-McVey: C'est là notre crainte. Je réfère les membres de votre comité à l'article 264 du Code criminel. Il s'agit de l'article sur le harcèlement criminel menaçant du code. Selon vous, cet article couvre clairement la situation à laquelle nous faisons référence. Elle couvre le genre de situation avec laquelle nous tentons de composer.
La plus grande préoccupation est de savoir ce qu'est exactement l'élément moral de cette infraction en vertu de l'article 423.1. L'article dit, en partie: «De provoquer la peur a) soit chez un groupe de personnes ou le grand public en vue de nuire à l'administration de la justice pénale». Voilà qui est très vague. Est-ce que le fait de conduire une motocyclette en portant une veste de cuir est une action qui provoquera la peur? C'est bien possible. Il s'agit d'une norme de preuve vague. C'est l'une de nos préoccupations et elle découle de la question que vous avez soulevée, monsieur le sénateur, concernant le nouvel article proposé.
Selon nous, l'actuel article 264, qui porte sur les menaces et l'intimidation, est plus que suffisant pour couvrir toute la collectivité canadienne. Il ne précise pas ce groupe et ne le place pas au-dessus de la loi. Manifestement, le fait de chercher à nuire à l'administration de la justice sera un facteur aggravant, aspect couvert par un autre article du Code.
Le sénateur Beaudoin: L'un de vous a dit que «nous criminalisons les comportements». Est-ce M. Lomer qui a dit cela?
M. Lomer: Je crois voir ce qu'est la réponse. Il s'agit en vérité de la défense pour ceux qui sont chargés de l'application de la loi. Si vous pouviez imaginer, par exemple, quelqu'un qui se trouve au rez-de-chaussée d'un palier de justice et qui insiste pour que vous passiez dans un détecteur et que l'intervenant du système de justice - disons l'avocat de la défense - dise «Je n'y passe pas à moins que le représentant de la Couronne y passe» ou quelque chose du genre. Voilà qui créerait tout un brouhaha au palais de justice.
Cela donnera l'autorité légale à la personne qui dit «Je voulais tout simplement qu'il passe dans le détecteur». La personne avait le droit de le demander et il ne nuisait en rien au représentant de l'ordre juridique. C'est peut-être la raison pour laquelle cette disposition existe.
Le sénateur Grafstein: Votre exposé porte à réflexion. Il me préoccupe beaucoup parce que je ne suis pas d'accord avec l'une de vos prémisses, et pourtant je suis en accord avec vos observations. Permettez-moi d'abord d'aborder la prémisse.
Vous avez tous dit qu'il s'agit d'une nouvelle infraction, que la disposition va loin, qu'elle est inhabituelle et ainsi de suite. Franchement, si vous vous arrêtez à l'évolution du droit criminel, vous verrez qu'il n'a pas commencé par une attitude face à un groupe, mais plutôt comme une approche pour traiter des individus un à la fois. Dans notre société moderne, qui est maintenant interconnectée et interreliée, nous devons composer avec un phénomène nouveau. La ministre a tout à fait raison quand elle laisse entendre que certains phénomènes nouveaux de notre société compliquent la tâche des policiers parce qu'il y a des groupes. Ces groupes font appel à toutes les techniques modernes qui sont disponibles. Certaines ont des conséquences désastreuses, comme les cellules au sujet desquelles les journaux ont publié des articles. Nous savons que ces cellules sont efficaces. Nous savons qu'elles utilisent des techniques brillantes d'organisation, mais qu'il s'agit aussi d'efforts de collaboration.
Avec ce projet de loi, la ministre nous propose sa réponse et la réponse du gouvernement à une situation de danger clair et présent pour la sécurité du public et l'ordre public, c'est-à-dire l'augmentation du nombre de groupes compétents, intelligents, bien financés et bien nantis. Nous savons qu'il y en a trois types, et qu'il pourrait y en avoir davantage. Nous cherchons manifestement à aborder un de ces groupes avec le projet de loi sur la lutte contre le terroriste. C'étaient les vieux groupes de criminels des États-Unis. Au Canada, nous vivons un phénomène qui est davantage nord-américain, c'est-à-dire le regroupement, en partie, de bandes mobiles. Il ne s'agit pas de les calomnier tous, mais ils regroupent à des fins criminelles. C'est la difficulté qui se pose à nous. Toutefois, le fait de dire que le phénomène est tout nouveau ne suffit pas à traiter de la nature de la menace pour l'ordre public.
Je vous donnerai ma prémisse puis j'y reviendrai pour vous montrer là où je suis d'accord et là où je ne suis pas d'accord. Je veux vous exposer le processus de réflexion de la ministre et celui des parlementaires pour vous montrer qu'il y a un danger clair et présent. La question est la suivante: Dans quelle mesure faut-il moduler la loi afin d'englober et de protéger la sécurité du public? Nous avons cette responsabilité.
Cela étant dit, permettez-moi de commencer par quelques questions particulières. Si j'ai bien compris votre témoignage, vous avez exprimé quatre préoccupations. Premièrement, vous dites que les services de police ne font pas l'objet d'un contrôle approprié, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de mécanisme de surveillance approprié pour les actions des policiers dans l'exercice de leurs fonctions. Deuxièmement, il y a la question de l'élément moral pour les groupes. Troisièmement, vous avez parlé des sanctions. M. Lomer a soulevé une autre question concernant les éléments généraux inclus dans le projet de loi. Il s'agit presque d'un pot-pourri de questions qui ne s'attaquent pas directement au coeur du problème. Permettez-moi de laisser ces quatre secteurs de côté et de n'en aborder que deux pour le moment.
Il nous serait utile si vous pouviez faire un peu de travail pour nous. J'ai tenté de le faire mais je n'y arrive pas. Afin d'appuyer votre position, il serait intéressant que vous fassiez une comparaison entre ces quatre secteurs et que vous nous disiez «Voici ce qu'est le Code criminel aujourd'hui et voici pourquoi il est approprié. Voici les nouveaux éléments qui vont trop loin et les raisons pour lesquelles ils sont insuffisants». Nous ne serions donc pas obligés d'examiner les articles et de chercher à entendre ce que vous dites et ainsi de suite.
Vous avez posé le problème - et j'estime que vous devez maintenant le faire par écrit - concernant les articles qui sont appropriés, les domaines où le gouvernement va trop loin et les aspects où il n'est pas utile que le gouvernement aille aussi loin pour parvenir à ses fins, c'est-à-dire composer avec le danger clair et présent pour la sécurité du public.
J'estime que vous savez de quoi je parle. Il nous est difficile de passer d'une clause à l'autre tout en écoutant ce que vous avez à nous dire. Vous avez soulevé un point important. Je veux maintenant que vous vous justifiiez parce que le Code comporte des dispositions très claires pour traiter de questions de conspiration, d'actions posées par des groupes, des intentions de groupes et ainsi de suite. Il serait très utile pour nous tous et pour ceux et celles qui ne sont pas des avocats que vous soyez plus clair. Je me rends fort bien compte que les membres de notre comité qui ne sont pas des avocats nagent en plein mystère. Je suis avocat et tout cela est obscur pour moi. Ce travail nous serait utile.
Cela étant dit, j'aborde maintenant ces deux aspects. Le premier est la question du manque de surveillance de la police et de la licence policière. Je vous prie de me dire si, selon vous, ces dispositions sont inconstitutionnelles. En d'autres mots, sont-elles contraires à la Charte.
Ma deuxième question - plus complexe - concerne l'élément moral et l'intention. Il s'agit de savoir si le fait de ne pas être au courant qu'un groupe facilite la commission d'un crime est contraire à l'article 7 de la Charte.
Je m'arrête à la seconde question parce que la première est plus facile à résoudre. Nos témoins ont soulevé deux questions fondamentales qui me troublent. Je crois que je suis d'accord avec vous concernant la première, mais je ne suis pas sûr en ce qui à trait à la seconde, qui est la question de l'élément moral.
Qu'avons-nous devant nous? La Cour suprême a rendu une décision sur l'élément moral. Personne ne la conteste et les mots suivants la résument fort bien. Si vous lisez le chapitre 17, le chapitre qui traite de la Charte, de Martin's Criminal Code, vous avez une idée de ce à quoi je pense:
Aucun principe de justice fondamentale n'exige une symétrie absolue entre l'élément matériel (actus reus) et l'élément moral (mens reus). Il n'est donc pas exigé que soit faite la preuve de l'élément moral à l'égard des conséquences de l'élément matériel.
On utilise la mort comme exemple. Laissons de côté la mort, parce que nous ne parlons pas ici d'une infraction grave comme un meurtre. Nous parlons plutôt de toute une série d'infractions accessoires qui mettent en cause une violence grave, et ainsi de suite.
Une personne pourrait être membre d'un groupe et être au courant des activités du groupe en général. Toutefois, cette personne n'aurait pas connaissance particulière du groupe. De fait, elle serait là pour aider ou faciliter les activités du groupe, par exemple, à organiser un local ou être disponible pour fournir de l'argent pour payer l'essence des motocyclettes. En d'autres mots, cette personne fournirait une aide indirecte au groupe. J'utilise ici le mot «facilitation». Le mot clé tout nouveau est «facilitation» par opposition à «aide et complicité». L'aide et la complicité sont des éléments très clairs. La facilitation va un cran plus loin. Vous savez de quoi je parle. Je tente d'aborder la question d'un point de vue juridique.
L'argument serait le suivant, par exemple: je suis membre d'un groupe ou d'une bande. Je me présente et je dis: «Hé, les gars et les filles, vous avez besoin d'argent pour l'essence». Je vais donc chercher de l'argent pour payer l'essence, puis les membres du groupe prennent la route. Je ne fais pas partie du voyage, mais je sais ce qu'ils sont en train de faire. Je suis un facilitateur. Dites-vous alors à la police «Utilisez vos pouvoirs surnaturels?» La personne qui fournit l'argent pour payer l'essence est, selon moi, un collaborateur ou un complice de l'infraction qui sera commise. Il est donc presque impossible pour la police, faute d'une telle disposition pour prouver la facilitation, de faire la preuve que cette personne participe à l'élément matériel. En conséquence, cette personne peut participer indirectement à l'élément matériel sans être partie à l'élément moral de l'infraction particulière. Elle ne sait pas ce que les membres du groupe feront. Ils sont partis pour une expédition de chasse, ils sont en maraude. Dites-moi comment la ministre de la Justice doit faire face à cette situation. Vous n'avez pas répondu à cette question.
M. Trudell: Je vais tenter de répondre à quelques-unes des questions que vous avez soulevées.
Le sénateur Grafstein: Concentrez-vous sur la dernière question parce que c'est celle qui me trouble le plus.
M. Trudell: Pouvez-vous m'accorder deux secondes pour répondre à la première?
Le sénateur Grafstein: Bien sûr.
M. Trudell: Il s'agit d'une question de ressources. Vous ne modifiez pas la loi parce que la police ne peut faire son travail. Vous lui donnez des ressources. Aucun corps policier du pays n'est nanti de manière appropriée. En cas d'événements graves - par exemple, la tragédie qui s'est produite le 11 septembre - tous les corps policiers et tous les agents de la GRC du pays seraient probablement détachés pour traiter de cette situation. Cela est inhabituel. En toute franchise, si vous leur donnez l'argent et les outils pour faire en sorte qu'ils ne soient pas obligés de vous supplier pour obtenir des fonds, les corps policiers pourront s'adapter au degré de sophistication des groupes criminalisés ou de tout autre groupe au pays. Le financement que nous leur accordons est insuffisant. Les policiers peuvent partager des ordinateurs, mais il s'agit là de deux questions distinctes. Le financement approprié des policiers est une question très importante qu'il ne faudrait pas remplacer par une législation.
En ce qui a trait à votre dernière observation, il n'y a rien de mal à conduire une motocyclette. Il n'y a probablement rien à redire au fait d'être membre d'un groupe de Hell's Angels, parce qu'il y a un pique-nique des Hell's Angels dans l'une des villes de l'Ontario chaque année. Ce que font les membres de ce groupe profite parfois à la collectivité - aux contribuables locaux et aux entreprises - et peut aussi profiter à des organismes de bienfaisance. Le fait que je sois membre des Hell's Angels ou le fait que j'exploite une station-service qui vend l'essence pour les motocyclettes ne signifie pas que je facilite la commission d'un crime.
Toutefois, si je suis volontairement aveugle face à ces faits, si je sais que lorsque je fais le plein de tel réservoir d'essence pour quatre types qui sont des cambrioleurs de banque, que je sais ce qu'ils font, que je vois qu'ils ont des fusils, je suis donc au courant des faits comme pourrait le démontrer une enquête policière appropriée. Je ne veux poser aucune question parce que je me contente de vendre de l'essence. En l'occurrence, cela est très différent. Toutefois, ce projet de loi nous rapproche dangereusement de la notion d'affiliation à un groupe qui peut vous stigmatiser comme criminel. C'est ce qui nous préoccupe.
Le sénateur Grafstein: Monsieur Trudell, j'ai entendu votre argumentation et je dois vous dire en toute franchise que je ne suis pas ici pour traiter des ressources parce que le Sénat n'a pas le pouvoir d'examiner les projets de lois qui parlent de financement. Nous devons nous concentrer sur notre tâche. Nous comprenons tous le problème des ressources mais nous sommes ici pour traiter d'aspects particuliers de la loi auxquels j'aimerais que vous portiez attention.
Dans l'exemple que vous donnez, il peut s'agir d'une station-service, mais cela n'a pas d'importance. Il s'agit de facilitation. Une personne vend de l'essence, fournit de l'essence aux membres d'un groupe. Les motocyclistes partent pour une balade, mais ils y vont en tant que maraudeurs. Comment la police peut-elle établir qu'il s'agit d'aide et complicité sans que le pompiste ait une connaissance directe de l'élément matériel? Comment les policiers peuvent-ils contrer les facilitateurs? On ne se joint pas à un groupe sans réfléchir. De toute façon, on en viendrait rapidement à comprendre la nature du groupe et à connaître les membres les plus débridés du groupe. Ensuite, il faudrait choisir. La personne se joindrait à un groupe qui peut se livrer à des activités qui vont à l'encontre de l'ordre public, et c'est un choix. Il s'agit d'un choix d'affiliation.
Si je me joins à un groupe et que je sais que ce groupe comprend des éléments criminels et que, d'une façon quelconque, j'aide ces personnes ou que je me fais complice de leurs actes criminels, ne suis-je pas le facilitateur d'un comportement criminel? N'est-ce pas suffisant? C'est là le choix.
M. Trudell: Je dis non, parce qu'il s'agit alors d'une infraction d'affiliation. Oublions un instant les motards parce qu'ils évoquent toutes sortes de choses troublantes. Parlons plutôt de toute autre organisation.
Le sénateur Grafstein: C'est la même chose.
M. Trudell: En toute déférence, monsieur le sénateur, ce n'est pas nécessairement le cas. Certaines personnes au pays ont été programmées à considérer qu'une motocyclette et une veste de cuir constituent une amorce de maraudage. En toute franchise, nous disons qu'il n'y a rien de mal à faire partie d'une organisation alors que vous laissez entendre, avec tout le respect que je vous dois, que la simple affiliation est suffisante.
La présidente: Iriez-vous jusqu'à inclure une triade dans cette description?
M. Trudell: Non. Je dis tout simplement que si je sais que le groupe de criminels organisé existe pour commettre des infractions criminelles et que je facilite leur travail, que je les aide, que je les aide ou que je me fais complice de leurs actes, je contreviens à la loi.
Le sénateur Grafstein: Comment? En vertu de quelle disposition du Code?
Mme Perkins-McVey: L'actuel article 467.1.
M. Trudell: Conspiration. Vous n'avez pas besoin de nouvelles dispositions pour attraper la personne qui connaît manifestement l'organisation, ou qui est volontairement aveugle à son sujet, et ce sont là de bons exemples. Vous parlez par exemple d'un cartel. Je sais qu'ils existent pour une seule raison: le trafic de stupéfiants dans nos écoles. Je ne puis prétendre que ces personnes sont également des partisans des scouts. Il y a connaissance ou aveuglement volontaire, situation déjà couverte par le Code criminel.
Mme Boisvert: Je serai très brève. Je tenterai de vous répondre d'un angle différent.
L'aspect inadmissible de ce projet de loi, comme de plusieurs autres, c'est qu'en lisant la loi vous pouvez y mettre un visage ou un nom, ce qui permet de parler de législation anecdotique. Un journaliste a été victime d'un attentat au Québec, et quand je lis certaines parties du projet de loi, je les lis en pensant à lui. Je ne suis pas sûre que ce projet de loi soit nécessaire pour condamner les responsables de cet attentat. À la lecture de certains articles, nous avons ces noms ou ces événements à l'esprit, mais notre formation nous permet de voir d'autres événements que nous ne pouvons envisager maintenant mais qui pourraient être couverts par les articles.
Je pense à certains agriculteurs du Québec qui sont confrontés au problème des gangs qui font pousser de la marijuana dans leurs champs. Selon l'esprit du projet de loi, ces agriculteurs sont manifestement des facilitateurs. Selon des définitions vagues, ils deviendraient membres d'un groupe criminel organisé. L'article 17 du Code criminel enlève aux membres d'organisations criminalisées toute possibilité d'utiliser la défense de contrainte.
Les nouvelles dispositions comme celles que vous ajoutez au Code criminel affectent toute la structure ou s'insèrent dans une structure existante. Peut-être sommes-nous capables d'imaginer des scénarios, mais cela constitue un bon exemple. Les agriculteurs du Québec qui tolèrent une situation à cause de la crainte qu'elle leur inspire, seront considérés comme membres de groupes criminalisés sans pouvoir évoquer la contrainte pour se défendre.
Le sénateur Grafstein: Vous dites que cela élimine toute possibilité de défense. Est-ce que l'article 17 est éliminé?
Mme Boisvert: Non, mais l'article 17 précise que si vous êtes membres d'un groupe criminalisé, vous pouvez invoquer la notion de contrainte pour vous défendre. La loi est déjà ainsi faite. Plus vous étendez la définition de crime organisé ou de groupe criminalisé, moins il est possible d'utiliser la défense de contrainte, possibilité qui existe déjà.
M. Lomer: Comme vous le savez, sénateur Grafstein, il est toujours difficile de prouver ce qu'il y a dans l'esprit d'une personne, - ce qu'elle sait et ce qu'elle ne sait pas. C'est pourquoi les juges ont l'habitude de dire aux membres du jury qu'il faut considérer de manière générale les conséquences naturelles des actes.
Toutefois, si vous considérez la personne et les actes que vous pouvez prouver - que cette personne fournit de l'essence et qu'elle accepte de l'argent en échange de cette essence, ou quelque chose du genre - vous constaterez que ces actes pris isolément ne vous disent pas grand-chose sur ce qui se passe dans l'esprit de la personne. Ce genre de directive ne vous aide pas.
Le problème est que la législation va plus loin que ce que nous pourrions considérer comme des actes anodins et nous permet d'en dégager un élément de criminalité. Toutefois, le paragraphe (2) de l'article 467.11 proposé, qui concerne la participation aux activités d'une organisation criminelle - aux pages 30 et 31 - décrit les actes que la poursuite n'a pas à prouver. Si vous considérez tout ce qu'il n'est pas nécessaire de prouver, vous constatez qu'il s'agit de tout ce qui appartient au domaine de la criminalité ordinaire. Ce sont des actes qui, s'ils étaient prouvés, vous permettraient de condamner une personne. Ce sont toutes les choses que vous n'avez pas à prouver en vertu de ce projet de loi.
Les facteurs qui vous permettent, en vertu du paragraphe 467.11(3), de conclure qu'une personne est affiliée à un groupe sont tous anodins. On utilise le nom, le mot ou le symbole. Comme je l'ai mentionné devant le comité de la Chambre des communes, si cette disposition est maintenue dans la loi, la première chose que feront les Hell's Angels ou tout autre groupe de motards sera de franchiser leur logo. Ensuite, ce logo sera aussi commun que celui des Raptors. Par la suite, que ferez-vous? Les enfants qui portent un t-shirt à l'effigie des Che Guevara ne sont pas tous des révolutionnaires. Cela ne vous dit pas ce qu'ils ont en tête.
Le sénateur Grafstein: Oui, ils le sont.
La présidente: Le texte ne dit pas que le tribunal «peut prendre en compte».
M. Lomer: Le texte dit «peut prendre en compte», mais il faut voir ce qui peut être pris en compte. Le tribunal peut prendre en compte les choses relativement anodines, et non les actes criminels que vous voulez punir.
Que faisons-nous en disant que nous n'avons pas approuvé le caractère criminel et que nous pouvons considérer les éléments relativement anodins? Nous cherchons à établir la culpabilité par association. En d'autres mots, nous cherchons à agir sans prouver ce que la personne peut savoir. Cela ne me semble pas approprié, mais je comprends le sens de vos propos car vous avez parlé de l'empressement du gouvernement à traiter du crime organisé. Comme je le dis dans mon mémoire, vous devez en bout de ligne prouver que les individus connaissaient quelque chose et que ce quelque chose avait un caractère criminel.
Le sénateur Grafstein: Monsieur Lomer, vous dites que cela est contraire à l'article 7 de la Charte.
M. Lomer: Si vous pouvez avancer objectivement qu'une personne n'a pas la connaissance criminelle requise et que vous condamnez cette personne à une peine d'emprisonnement assortie de dispositions criminelles améliorées, comme la moitié de la peine à purger, sans aucune possibilité de libération conditionnelle et ainsi de suite, je ne puis m'empêcher de penser que vous ne respectez pas l'article 7 de la Charte.
Le sénateur Cools: Monsieur Trudell, bien que vous ayez pu choisir un mauvais exemple, votre point de vue est valide et nous devrions le considérer. Je remercie Mme Boisvert de nous avoir fourni un autre exemple pour nous aider.
Nous savons tous que notre société est aux prises avec de graves problèmes associés au crime organisé, aux gangs, etc. Le gouvernement doit agir.
On nous dit que ce projet de loi fait suite à l'arrêt Campbell et Shirose. L'article 39 de la décision se lit comme suit:
Par l'article 37 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, le Parlement a indiqué clairement que la GRC devait agir «conformément au droit». Le Parlement a indiqué clairement qu'une illégalité commise par la GRC n'entre dans le cadre d'aucune fin d'intérêt public valide et n'est pas nécessairement «accessoire» à sa réalisation. S'il y a lieu de conférer à la police une certaine forme d'immunité d'intérêt public pour l'aider à gagner la «guerre contre la drogue», il revient au Parlement de circonscrire la nature et la portée de l'immunité ainsi que les faits qui y donnent ouverture, comme cela a d'ailleurs été fait en 1996, après la survenance des événements en cause en l'espèce, au moyen de l'art. 8 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Je suis sûre que vous savez tous que je ne suis pas une grande partisane de l'activisme judiciaire des tribunaux. Je me dis parfois qu'une partie de notre droit aurait pu se développer de manière plus efficace si nos lois n'avaient pas été constamment sujettes à une expansion judiciaire. Toutefois, c'est là matière à un autre débat.
M. Lomer a soulevé un point important. Il a dit que pour délimiter et identifier les limites aux exemptions, le projet de loi établit les critères qu'il serait possible d'appliquer à ces bandes ou à ces personnes indésirables. Nous savons tous que certaines bandes de motards ont des rituels d'initiation féroces et désagréables. Les personnes qui aspirent à devenir membres, doivent faire la preuve de leur détermination à faire des choses. J'ai cru comprendre que M. Lomer nous disait qu'il s'agit de critères qui pourraient être appliqués à ces individus. Il dit que le projet de loi indique les aspects essentiels qui permettraient de révéler l'identité d'un agent d'infiltration.
Cela est très important. Hier soir, des représentants des divers corps policiers canadiens témoignaient devant notre comité et ils nous ont parlé de cette préoccupation. M. Mike Niebudek, de l'Association canadienne des policiers et policières, a parlé de cet aspect. Il a dit que l'identification de ces limites statutaires lui pose problème. Voici ce qu'il mentionne dans son mémoire:
En établissant ces limites dans la loi, vous signalez aux criminels raffinés le type de crime que l'on exigera de leurs sujets afin d'établir leur loyauté et éviter toute forme d'infiltration. Cela peut être la source de plus de mal que de bien, et nous avons exprimé des réserves à ce sujet. Nous sommes conscients des réalités politiques qui s'appliquent à cette question et nous reconnaissons que l'article a été rédigé de manière à exclure l'énumération particulière d'infractions. Nous incitons le comité à éviter d'envisager des modifica tions qui pourraient aggraver cette préoccupation.
En conséquence, vos propos se rapprochent beaucoup des préoccupations exprimées par les policiers à ce sujet. Pourriez-vous nous donner votre approche à la façon de régler ce problème, si toutefois les sénateurs ont l'intention de le régler?
M. Lomer: Il est fort probable que nos approches à la résolution du problème soient à des années lumières l'une de l'autre. Je le dis parce que je connais l'Association canadienne des policiers et policières. Cette association voudrait se débarrasser des limites. Je vous demande donc de vous débarrasser des limites au risque de compromettre la constitutionnalité de la loi. Je ne vois pas comment vous pourriez autoriser les policiers, les autorités ou le pouvoir exécutif à tuer tout en espérant que les tribunaux vous donnent raison face à l'article 7.
Cela me ramène à mon point de départ. Dans une société libre et démocratique, la seule façon de donner aux policiers le pouvoir d'enfreindre la loi est d'y aller par voie de règlement et de législation, au cas par cas. Nous ne pouvons le faire en leur donnant tous les pouvoirs, en ne conservant que quelques exceptions et quelques contrôles dans la façon de fonctionner.
Le sénateur Cools: Lorsque vous parlez d'examen cas par cas, vous voulez dire que le conseiller juridique, la Couronne, mais surtout le procureur général, prendra une décision en fonction des circonstances.
Ce que vous proposez donc n'est pas une mesure législative ou correspondant à un cadre réglementaire, mais un retour au système condamné par la Cour, qui est essentiellement fondé sur l'exercice d'une prérogative.
M. Lomer: Permettez-moi de vous faire observer que la cour ne l'a pas condamné. Franchement, je ne pense pas que vous auriez de difficulté si l'arrêt Campbell et Shirose de la Cour suprême du Canada revenait aujourd'hui sur le tapis car le règlement dit qu'ils peuvent acheter et vendre des stupéfiants. Vous n'auriez donc pas ce problème.
Permettez-moi de vous donner un exemple.
Le sénateur Cools: Expliquez-moi cela, s'il vous plaît. Ce que vous dites, c'est que nous devrions nous fonder sur des pouvoirs très anciens dans ce domaine plutôt que de nous référer à un cadre réglementaire.
M. Lomer: C'est d'un cadre réglementaire qu'il s'agit. Par exemple, en Ontario, il existe maintenant un règlement relatif aux poursuites par des voitures de police. Cela a permis d'imposer des limites raisonnables aux activités de la police qui pourrait autrement se laisser aller à une conduite dangereuse ou imprudente ou enfreindre d'autres dispositions des codes de la route. Lorsque vous avez un tel cadre juridique, vous pouvez vous permettre d'autoriser, de légitimiser des comportements qui pourraient être autrement considérés comme criminels, comme cela s'est produit lorsque nous avons autorisé des agents d'infiltration à offrir de vendre des stupéfiants. Ce n'est pas un système trop compliqué.
L'exemple que j'allais utiliser était celui d'une affaire qui remonte au début des années 80. Il s'agissait de chimistes aux nombreuses activités criminelles qui avaient découvert un stupéfiant très similaire à celui qui se vend aujourd'hui sous le nom d'ectasy, c'est à dire de la MDA. La seule différence, c'est qu'il y avait un «M» supplémentaire dans leur produit, c'était de la MMDA. Il ne figurait pas sur notre liste de stupéfiants prescrits et n'apparaissait donc dans aucune des annexes. Ils ont pu rapidement obtenir un échantillon et ont dit qu'il avait les mêmes effets que l'ectasy et que c'était un stupéfiant.
I Ils sont allés voir le ministère de la Justice et lui ont dit, «Il faut changer le règlement.» On a donc changé le règlement. Les personnes accusées ont ensuite été inculpées. Elles ont alors déclaré, «C'est un coup bas. Nous ne connaissions pas le règlement.» La Cour suprême du Canada a répondu, «Lorsqu'on marche aussi près de l'abîme, il vaut mieux savoir où en est exactement le bord.» Manifestement, si vous vous en approchez très près, il vaut mieux connaître la loi.» On a donc changé le règlement et on les a condamnés. La Cour suprême a confirmé la décision.
On peut donc procéder par adoption de règlements. Lorsque vous préparez une opération intéressante par un agent d'infiltration et que vous ne savez pas exactement si l'opération est illégale ou non, vous allez trouver le conseiller juridique qui vous dira, «Interrogeons notre ministre de la Justice pour voir s'il est nécessaire d'adopter un règlement.» Cela peut se faire.
La présidente: Monsieur Lomer, voulez-vous donc dire qu'il faut procéder cas par cas, ce qui préoccupe actuellement la police, ou procéder cas par cas, procéder progressivement comme cela se faisait autrefois en common law, processus abrogé, dans la pratique, par l'arrêt Campbell?
Recommandez-vous que l'on procède de cette manière et que la police s'en charge? Il y a tant de lois qui régissent ce qui est légal et ce que la police peut faire aujourd'hui. Par exemple, nous avons la Loi sur la navigation et la Loi sur les aubergistes. Il faudrait de temps en temps apporter des retouches à toutes ces lois, mais en procédant cas par cas seulement.
M. Lomer: C'est comme cela que l'on établit la loi, madame la présidente, et c'est ce que l'arrêt Campbell et Shirose approuverait. Je tiens à le préciser. L'arrêt Campbell et Shirose a dit que s'il y a un cadre législatif qui le permet...
La présidente: Mais il faudrait établir ce cadre et cela affecterait toutes les lois, même les moins importantes.
M. Lomer: Ce n'est pas une tâche aussi écrasante que vous pourriez le penser. Lorsque j'ai posé la question aux conseillers assis autour de cette table, ils m'ont donné huit ou neuf exemples. Aucun d'entre eux ne prêtait particulièrement à controverse. Peut-être veulent-ils modifier la Loi sur les aubergistes pour qu'ils puissent s'inscrire dans un hôtel sous un faux nom.
Le sénateur Cools: Je crois que ce que M. Lomer veut dire c'est que ce projet de loi propose de déléguer la prérogative à la police. Il dit ensuite qu'il faut laisser la prérogative au ministre, au procureur général ou peut-être même au solliciteur général toujours selon le principe du cas par cas.
Le sénateur Grafstein: Non, non. Je ne pense que c'est ce que M. Lomer veut dire.
M. Lomer: La prérogative ne doit pas appartenir au ministre. Il faut que cela se fasse par adoption de règlement.
Le sénateur Grafstein: Si je comprends bien M. Lomer, les activités de la police ne devraient pas être uniquement soumises à une surveillance interne. Il faudrait qu'une supervision indépendante soit exercée. Il n'est pas nécessaire que ce soit le ministre qui l'assume, mais il faut tout de même que cette surveillance soit indépendante de l'autorité policière elle-même.
Le sénateur Cools: Ce n'est pas du tout ce que j'ai compris.
Le sénateur Grafstein: Ai-je bien saisi?
Le sénateur Cools: Je n'ai pas du tout compris cela.
Le sénateur Joyal: Il s'agit d'une toute autre question.
La présidente: Laissez le sénateur Cools poser sa question.
Le sénateur Grafstein: Je m'efface.
La présidente: Honorables sénateurs, laissons le sénateur Cools finir.
Le sénateur Cools: Au Canada, il n'y a que trois conseillers juridiques de la Couronne. Tous les procureurs sont placés sous leurs ordres. En effet, le procureur n'est pas un conseiller juridique de la Couronne. Il travaille sous les ordres de l'officier juridique de la Couronne qui est le procureur général. Les trois conseillers juridiques de la Couronne sont actuellement le solliciteur général, le procureur général et le juge-avocat général.
Je suis fermement partisane de l'exercice et de l'administration appropriés de ce que nous appelons le pouvoir d'exercer des prérogatives. Dans la pratique, les poursuites et les enquêtes policières sont en partie régies par la loi mais elles permettent également d'exercer de nombreuses prérogatives. Ce projet de loi me paraît déléguer l'exercice de la prérogative, que détenaient auparavant les supérieurs de tous les procureurs, qui représentent le sommet de l'autorité civile, c'est-à-dire au procureur général du Canada ou au procureur général de la province.
Ce projet de loi a plus ou moins pour effet d'établir l'exercice de la prérogative à un niveau plus bas et de le déléguer aux agents de police. Si je comprends bien, c'est ce contre quoi vous vous élevez. Je me trompe peut-être complètement. Ce que vous dites, me semble-t-il, c'est que vous préféreriez que ce pouvoir soit utilisé cas par cas, comme il devrait l'être, par des personnes qui occupent des positions officielles. Si ces personnes commettent des erreurs, vous pouvez contester leurs actes au niveau politique, en cas de nécessité, au lieu de tout ramener à une simple question de routine à régler entre agents de police. Je me trompe peut-être, mais c'est ainsi que je comprends ce que vous dites.
Mme Perkins-McVey: Le sénateur Grafstein a parlé des outils existants. Je vous invite à vous reporter à la page 5 du mémoire présenté par l'Association du Barreau canadien qui dresse une liste exhaustive de certains des outils qu'offrent actuellement les dispositions du Code criminel.
En outre, aux pages 30, 31 et 32 de notre mémoire, nous comparons l'article en vigueur relatif au crime organisé avec les changements proposés et nous expliquons pourquoi l'article relatif aux gangs devrait être conservé étant donné que le projet de loi C-95 est encore relativement nouveau. Les premières arrestations ont été effectuées en vertu des dispositions de celui-ci. Le procès est à peu près terminé et il continue à y avoir des contestations. Je ne crois pas que la véritable portée de cet article et la capacité de l'utiliser et de l'applique aient vraiment été mises à l'épreuve.
N'oublions pas que notre société a déjà une loi sur laquelle elle peut s'appuyer. Un certain nombre de garanties ont été incluses dans le projet de loi C-95 à la suite de nombreuses consultations ainsi que des réserves exprimées au sujet de la constitutionnalité de cet article.
Ces garanties sont destinées à donner un cadre précis à ces réserves. Nous perdons donc pas cela de vue et nous ne nous alarmons pas trop du fait que le crime organisé existe et qu'il faut résoudre le problème. Nous disposons d'outils pour cela. Je veux que tout le monde le comprenne bien et qu'on n'oublie pas qu'il nous est possible d'utiliser ces outils.
Pour reprendre ce que disait le sénateur Cools, c'est exactement sur ce point que le problème se pose. Si vous regardez l'article 25.1 proposé, nous retrouvons notre biscuit Oréo; au premier niveau, la police peut agir de manière totalement subjective sans examen ou supervision externes. Au second niveau, pour agir, la police doit tout d'abord obtenir l'autorisation d'un fonctionnaire supérieur, de quelqu'un qui fait partie de la même équipe.
Comme nous l'avons indiqué dans notre mémoire, nous sommes d'accord avec les commentaires faits par d'autres personnes assises à cette table - M. Lomer, Mme Boisvert et M. Trudell. C'est le genre de situation où nous préférerions retourner au statu quo dans lequel chaque cas est examiné individuellement. S'il y a infraction, elle peut être soumise à l'appréciation des tribunaux et faire l'objet d'une divulgation et d'un examen complets.
Il y a un élément discrétionnaire qui inspire d'ailleurs certaines réserves. Cependant, cela élimine les réserves inspirées par l'article relatif à la mise à l'épreuve. Je suis certain qu'une copie de ce projet de loi était déjà entre les mains de l'avocat représentant d'un gang quelconque, avant que vous ne l'ayez vous-mêmes reçu. Ces gens-là sauront donc exactement ce qu'il faut viser. Si vous supprimez le cadre, ils ne sauront plus exactement quelles sont les limites, ce qui accroît peut-être la sécurité des agents d'application de la loi.
Passons maintenant au niveau intermédiaire dans notre Oréo, l'article 9 du projet de loi prévoit seulement l'obtention de l'autorisation par écrit. Ce n'est pas suffisant. Qu'un membre de votre équipe vous donne une autorisation par écrit, quelqu'un qui présente un rapport - Lorsque c'est réalisable - Pas immédiatement, pas dès que possible, mais lorsque c'est réalisable - Réalisable? Voilà un terme bien vague qui ne devrait pas être utilisé dans la loi.
Nous suggérons notamment que dans le cas des activités énoncées à l'article 9 proposé, il devrait y avoir une autorisation judiciaire. Un organisme judiciaire devrait examiner la question afin de déterminer si cela est approprié compte tenu des circonstances.
Notons également que ce genre d'activités ne devrait être qu'une solution de dernier ressort. C'est un outil que les policiers de première ligne ne devraient pas pouvoir utiliser. On ne devrait pas leur donner carte blanche pour enfreindre la loi. Ils ne devraient pouvoir le faire que quand tous les autres moyens ont été essayés et ont échoué; ou encore, on ne pourrait procéder ainsi qu'en certaines circonstances, par exemple lorsque l'enquête a permis de déterminer ce qui se passe, à qui on a affaire, et que l'on est certain que la seule possibilité d'infiltration est de faire X, Y ou Z sous réserve d'une vérification. À notre avis, un examen judiciaire serait alors nécessaire.
Ce qui est intéressant - et j'espère que vous pourrez entendre un représentant du pouvoir judiciaire - c'est que, d'après ce que nous avons entendu dire, les magistrats ne veulent rien avoir à faire avec cela. Ils ne veulent pas donner l'impression qu'ils approuvent les entorses à la primauté du droit. Voilà qui est révélateur. Si les juges ne veulent pas le faire, pourquoi les honorables sénateurs et le public lui-même devraient-ils accepter le principe de telles infractions?
Voilà les points qui se dégagent de ce que M. Lomer et le sénateur Cools ont dit. Ce sont des points importants à examiner.
Le sénateur Cools: Il y a manifestement là un problème.
Le sénateur Joyal: J'ai l'impression que, ce matin, nous sommes finalement parvenus à apercevoir le bout du tunnel; nous examinons la constitutionnalité de ce projet de loi. Je voudrais m'arrêter à deux aspects de cette constitutionnalité en ce qui a trait à l'article 1 de la Charte. Le principe directeur, à mon sens a été énoncé dans l'arrêt Mack de décembre 1988. Je vais le citer en français car je crois que ce sera facile à traduire.
[Français]
Une valeur profondément enracinée de notre système démocratique est que la fin ne justifie pas les moyens.
[Traduction]
Ce qui fait la valeur fondamentale de notre régime démocratique c'est que la fin ne justifie pas les moyens. Autrement dit, lorsque la cour interprète l'article 1, c'est la marque d'une société libre et démocratique.
Reportons-nous à l'arrêt Campbell et Shirose, je vais vous lire l'article 41 du jugement.
[Français]
Au Canada, il est admis qu'il revient au Parlement de décider quand, dans le contexte de l'exécution de la loi, la fin justifie des moyens qui, normalement, seraient illégaux.
[Traduction]
Nous revenons au principe énoncé plus tôt.
[Français]
Comme le juge Dickson (plus tard Juge en chef) l'a dit dans l'arrêt Perka c. La reine:
Et je continue au-delà de la citation:
Bien qu'il soit vrai que le juge Dickson ne traitait pas de la question d'une illégalité commise par la police dans cette affaire, une justification générale d'exécution de la loi serait contraire aux principes constitutionnels fondamentaux énon cés précédemment.
[Traduction]
Le paragraphe 25.1(2) du projet de loi dit:
Il est d'intérêt public de veiller à ce que les fonctionnaires publics puissent s'acquitter efficacement de leurs fonctions de contrôle d'application des lois conformément au principe de la primauté du droit et, à cette fin, de prévoir expressément dans la loi une justification pour la commis sion par ses fonctionnaires et des personnes qui agissent sous leur direction d'actes ou d'omissions qui constituent par ailleurs des infractions.
Selon mon interprétation, c'est exactement le contraire du paragraphe de l'arrêt Campbell et Shirose, qui dit que la loi ne peut pas exonérer quelqu'un de la commission d'un acte criminel. Ici - dites-moi si je me trompe - le principe est énoncé de telle manière que l'on pourrait le contester en faisant valoir que l'interprétation qu'en a donnée la Cour suprême n'est pas acceptable dans une société libre et démocratique.
Voilà ma première question.
[Français]
Mme Boisvert: J'ai parlé de rhétorique dans ma présentation. Il n'y a pas beaucoup de règles de droit dans ce paragraphe. Je le lis plutôt comme une expression d'opinion ou comme une forme d'argument qui pourrait être avancé dans le contexte d'une discussion de la constitutionalité, de l'immunité générale qui est donnée. Le Parlement s'exprime pour dire qu'à son avis, il est d'intérêt public que les policiers aient des moyens. La limite de la primauté du droit appartiendra à la Cour suprême dans le contexte d'une contestation constitutionnelle. Ma compréhension de ceci, c'est que la primauté du droit au Canada exige que les policiers soient au-dessus de la loi. C'est la lecture que je fais de ce paragraphe. Je ne suis pas convaincue qu'un état de droit nécessite que la police soit au-dessus de la loi.
[Traduction]
Mme Perkins-McVey: J'aurais deux remarques à faire à la lecture de cette disposition. Premièrement, c'est manifestement une pieuse déclaration d'intention. Je me souviens que les versions antérieures comportaient une justification dans des cas précis et limités. Une des choses qui nous inquiètent est que cette justification a maintenant une application très générale. C'est précisément cela qui soulève la question de la constitutionnalité. Dans les versions antérieures de l'article, on parlait de justification limitée. Mais ce qui caractérise maintenant l'ensemble du projet de loi c'est le manque de cadre réglementaire, l'absence de contrôle et de responsabilité.
On a intentionnellement éliminé cela du paragraphe (2) proposé, ce qui est contraire à ce que dit le paragraphe 10 dans le cas des agents. À propos des «agents», le paragraphe 10 proposé utilise les termes «a ordonné,» ce qui indique un lien temporel plus étroit en ce qui concerne le moment où l'agent agit sous la direction du fonctionnaire public et celui où il reçoit de lui ses instructions et son autorité.
Au paragraphe (2), on utilise simplement les termes «sous leur direction». S'agit-il d'une direction qui date de trois semaines? Ou d'un an? L'élément temporel est beaucoup plus vague. Nous craignons beaucoup que la primauté du droit ne soit mise en cause et que l'article 1 de la Charte ne soit le véritable critère.
Le sénateur Cools: Mme Perkins-McVey a dit quelque chose qu'il faudrait expliquer au comité. Elle a fait allusion aux versions antérieures du projet de loi. Je crois qu'il conviendrait que le comité sache de quelles versions du projet de loi elle parle.
La présidente: Nous ne parlons que de celle que nous avons devant nous.
Le sénateur Cools: Pourriez-vous dire au comité ce qu'étaient ces versions antérieures et expliquer comment vous avez pu en prendre connaissance?
Mme Perkins-McVey: On a soumis une version provisoire du projet de loi à divers intéressés pour qu'ils puissent l'examiner. Des critiques ont alors été exprimées par des organisations telles que l'Association du Barreau canadien ainsi que des organismes d'application de la loi car ceux-ci s'inquiètent également du manque de limitations et de structure qui caractérisent le projet de loi.
La version que nous avons examinée contenait indiscutablement cette justification limitée. Voilà ce à quoi je fais allusion et je propose que l'on modifie en conséquence le projet de loi.
M. Trudell: Votre remarque est tout à fait pertinente. Le paragraphe (2) proposé nous incite à nous demander s'il serait déclaré constitutionnel dans le contexte de l'article 1 de la Charte.
C'est ce que nous voulions dire plus tôt. Mme Boisvert a dit, «De quoi les policiers ont-ils besoin? Quels étaient les 59 exemples? De quoi ont-ils besoin. C'est une question qui serait discutée dans le contexte de l'article 1. Par exemple, dans l'arrêt Campbell et Shirose, le règlement disait que vous pouvez posséder des stupéfiants mais que vous ne pouvez pas en vendre. À la suite de cet arrêt, la vente est maintenant possible. La question est donc réglée.
Autrement dit, au terme de l'article 1, je vois la possibilité de devoir présenter devant un tribunal une preuve des obstacles auxquels se heurte la police. Tout ce qu'on fournit au comité, ce sont des preuves anecdotiques que ces 59 infiltrations n'ont donné aucun résultat. L'article 2 proposé mérite d'être examiné par le comité.
Le sénateur Joyal: Je voudrais continuer à parler de la primauté du droit et de la constitutionnalité de l'article 25 proposé du projet de loi. Je voudrais pour cela me référer à l'arrêt Mentuck pris la semaine dernière. Je voudrais vous citer le paragraphe auquel je veux me référer en français et en anglais. Il me semble que dans l'interprétation, l'arrêt Campbell et Shirose soulève la question de la limitation imposée aux forces policières lorsqu'elles ont l'autorisation d'agir. Il faudrait proposer un élément supplémentaire à l'autorisation spécifique. Le paragraphe 50 de l'arrêt Mentuck dit ceci: «Notre système politique et juridique est imprégné du principe fondamental selon lequel la police doit demeurer sous le contrôle et la surveillance de l'action civile, que représentent nos mandataires démocratiques élus; notre pays n'est pas un état policier. Voilà une très forte déclaration.»
Voici comment je l'interprète. Le paragraphe 25.3 proposé dit, «L'autorité compétente peut désigner des fonctionnaires publics - à titre individuel ou au titre de leur appartenance à un groupe déterminé.» Qui est l'autorité compétente? Est-ce le solliciteur général du Canada ou le solliciteur général de la province ou encore un ministre qui est tenu de répondre de l'application d'une loi du Parlement?
Le paragraphe 3 proposé me pose un problème car il désigne des groupes de fonctionnaires publics, autrement dit, une catégorie de personnes. Lorsque vous désignez une catégorie de personnes, le contrôle civil qui est interprété ou représenté par le solliciteur général - qu'il soit provincial ou que ce soit le solliciteur général fédéral - devient si vague que le critère établi la semaine dernière par l'arrêt Mentuck se trouve affaibli au point où il n'existe plus de contrôle civil. Il n'y a pas d'autorisation individuelle relative à un domaine déterminé. Tous les membres d'une escouade antidrogue, par exemple, sont autorisés à commettre des actes qui seraient autrement considérés comme des infractions criminelles.
Si l'on considère le critère établi par la cour dans l'arrêt Mentuck - à savoir que la police doit être placée sous contrôle civil et que ses actes doivent, à un moment donné, pouvoir être connus du public. Le critère de ce qui est raisonnable et acceptable dans une société libre et démocratique signifie qu'il ne satisfait pas au critère de contrôle civil, du moins lorsque ce sont des groupes de fonctionnaires publics qui sont des élus. Nous ne pouvons pas dire - je donne l'autorisation à l'agent X, Y ou X - ce qui est une forme de contrôle car vous autorisez une personne déterminée. En revanche, lorsque vous autorisez une catégorie de personnes, toutes les escouades antidrogue qui effectuent des investigations, par exemple, vous dépassez les limites du contrôle civil dont il est fait état dans l'arrêt Mentuck.
Mme Perkins-McVey: Je suis d'accord avec votre raisonnement. Votre argument est très valable. Le problème est effectivement l'absence de contrôle dans de tels cas. Il est important que la décision soit interprétée en fonction de la loi et que l'analyse du projet de loi qu'effectuent les honorables sénateurs s'inspire également de cet arrêt.
Manifestement, l'absence de contrôle en dehors de celui de la police est très préoccupant. Le manque de contrôle civil causera effectivement des problèmes constitutionnels. Ajoutez à cela le manque de responsabilité en ce qui a trait aux exigences de rapport et les limitations établies pour ces exigences. Comme M. Trudell l'a dit, la clause omnibus est contraire à l'intérêt public, et réduit la responsabilité que le projet de loi essaie d'établir en imposant des exigences en matière de rapports.
L'autre problème est que, dans ce qui constitue la partie la plus importante de notre «biscuit» - l'article subjectif dont je parlais tout à l'heure - il n'y a pas d'obligation de rapport. Où est notre responsabilité à l'égard du public? Où est le contrôle, de quelle que nature qu'il soit, sans même parler du contrôle civil?
Prenez le paragraphe (3) proposé et ajoutez-le à l'absence de responsabilité qui apparaît dans les autres articles du projet de loi et vous allez vous retrouver avec un véritable problème constitutionnel.
M. Lomer: Potentiellement, c'est encore bien plus difficile. Il y a 12 ans environ, j'étais conseiller en politiques du Solliciteur général de l'Ontario. Le problème qui prédominait à l'époque était celui des poursuites à grande vitesse effectuées par des voitures de police. Ce genre de poursuites seraient impossibles sans désignation et autorisation de pratiquement tous les conducteurs de voitures de police de Toronto. Le résultat net, si j'interprète bien la loi, est que l'autorité politique compétente serait soumise à d'incroyables pressions pour qu'elle désigne et autorise pratiquement la totalité des forces de police. Si vous le faites, il n'y aura plus de contrôle civil. Celui-ci aura disparu.
[Français]
Mme Boisvert: Je suis parfaitement d'accord avec vous. Comparons ces dispositions à une des premières choses invalidée par la Cour suprême, c'est-à-dire les mandats de main-forte où des policiers étaient désignés et recevaient un genre de mandat de perquisition en blanc. Il n'était pas question de commettre des infractions, mais plutôt d'entrer avec un mandat de perquisition, signé comme un chèque en blanc. Le test constitutionnel n'a pas passé. Ici, c'est beaucoup plus large que le mandat de main-forte. Pour moi, c'est évident qu'il y a de graves problèmes.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Il y a un autre élément qui est relié à la constitutionnalité de cette disposition. C'est le genre de contrôle prévu dans l'article 25 proposé. Le représentant du service de police et le ministre ont dit qu'il désigne quelqu'un qui désigne à son tour quelqu'un d'autre, etc. Dans de telles conditions, le contrôle est très lâche.
À la fin de l'année, le rapport se ramène à un simple rapport d'information. Ce n'est pas un moyen de contrôle utilisé au cours de l'exercice de l'autorisation. Dans l'arrêt Southam, la cour a établi certains critères essentiels relatifs au caractère raisonnable et à la nature du tiers qui doit examiner le rapport. Ce devrait être une personne qui est «neutre et impartiale». Ces critères ont déjà été établis par la Cour suprême.
Quand on nous dit qu'à la fin de l'année, le solliciteur général reçoit un rapport du commissaire de la GRC, il n'y a pas de contrôle. Il est simplement tenu informé. En fait, ce genre de contrôle ne paraît pas satisfaire aux critères que la Cour suprême a déjà établis dans le contexte d'un acte illégal déterminé. Le paragraphe de l'article 25 proposé qui traite du rapport annuel, ne satisferait pas au critère de ce qui est acceptable dans une société libre et démocratique pour maintenir le contrôle réel de l'autorité civile.
M. Trudell: Je suis d'accord avec vous, sénateur. Tout ce que vous obtiendriez, c'est un rapport statistique. Dans 59 cas d'infiltration, nous avons été obligés d'enfreindre la loi. Le paragraphe 25.3 (2) exclut toute information spécifique parce que, comme on l'a déjà dit, il y a trop d'échappatoires possibles. Vous avez raison.
Il n'y aurait pas de rapport probant. Il n'y aurait donc pas de responsabilité établie en ce qui concerne l'utilisation de ces dispositions.
Il se peut que des agents de police vous aient déjà dit qu'ils ont l'expérience nécessaire; qu'ils connaissent les techniques d'infiltration et qu'ils ont la formation requise. C'est un argument qui a déjà été présenté. Il n'existe pas, à proprement parler, de formation aux techniques d'infiltration ni sur ce que ces gens-là peuvent faire dans le pays. Le Québec a peut-être une certaine expérience de la question à cause des motards, mais le Manitoba, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick n'en ont probablement pas.
Il n'y a pas de critère général qui détermine ce qu'est la responsabilité. Le projet de loi ne contient aucune disposition normalisée à ce sujet. C'est pourtant ce qu'il devrait y avoir si le comité laisse passer notre biscuit.
La présidente: Je suis fort surprise de voir que malgré le groupe de juristes qui se trouve devant moi, personne n'a dit que les tribunaux représentent le contrôle civil ultime.
M. Lomer: Vous n'aimez pas le contrôle.
La présidente: Le contrôle judiciaire est l'instance ultime. C'est le tribunal qui peut infirmer la décision.
Mme Perkins-McVey: Qu'arrivera-t-il si ce qui c'est passé n'est jamais révélé? Que se passera-t-il si une accusation n'est pas portée? Et si la police enfreint la loi et commet un tas d'infractions au cours d'une enquête qui n'aboutit à rien? Devrions-nous autoriser ce genre d'activité?
Mme Boisvert: C'est une différence de degré. Au Québec, la GRC n'a pas été mise en accusation pour blanchiment d'argent. Il y avait pourtant des années qu'elle le faisait.
Le sénateur Moore: Je voudrais poser une question aux témoins à propos du nouvel article 467.11 (1) proposé, à la page 30 du projet de loi. Il dit:
Est coupable d'un acte criminel [...] quiconque sciemment, par acte ou omission, participe à une activité d'une organisation criminelle ou y contribue dans le but d'accroître la capacité de l'organisation de faciliter ou de commettre un acte criminel prévu à la présente loi ou à une autre loi fédérale [...]
J'ai entendu donner l'exemple d'un agriculteur du Québec dont deux champs étaient utilisés pour y faire pousser de la marijuana. Ses terres étaient utilisées sans qu'il le sache et sans son agrément. En quoi cette clause s'applique-t-elle à lui? Vous dites qu'elle s'applique et je ne comprends pas pourquoi.
Le témoin a dit que les dispositions de l'article proposé s'appliqueraient à cet agriculteur innocent et je voudrais qu'elle m'explique pourquoi.
Mme Boisvert: Habituellement, l'agriculteur sait ce qui pousse dans son champ, mais il ne fait rien.
Le sénateur Moore: Il le sait peut-être, mais il ne le fait pas volontairement et il peut avoir été menacé par un gang.
Mme Boisvert: Pas volontairement, mais sciemment.
Le sénateur Moore: Il sait peut-être ce qui se passe dans son champ, mais il ne participe pas volontairement à l'acte criminel. En quoi ces dispositions s'appliquent-elles à lui?
Mme Perkins-McVey: Regardez la définition de la facilitation. Le paragraphe 467.1 (2) proposé dit que «Il n'est pas nécessaire pour qu'il y ait facilitation d'une infraction, que la nature de celle-ci soit connue, ni que l'infraction soit réellement commise.»
L'utilisation de son champ fait que l'agriculteur un facilitateur. Il n'est pas nécessaire qu'il connaisse la nature de l'infraction qu'il facilite.
La présidente: La contrainte n'est-elle pas un argument de défense?
Mme Perkins-McVey: Le fermier est-il soumis à une contrainte? La contrainte a un sens juridique précis. Il faut presque qu'on vous ait mis un revolver sur la tempe pour que vous puissiez invoquer la contrainte pour votre défense.
Le sénateur Joyal: C'est un terme qui a un sens très fort.
Mme Perkins-McVey: Cela n'implique pas nécessairement la contrainte.
Le sénateur Moore: Je regrette, mais je ne pense pas qu'un tribunal jugerait cet agriculteur coupable. Je crois que ce serait vraiment forcer les choses. Ça m'étonnerait que ça se produise.
Mme Perkins-McVey: Si, en vertu de la définition donnée dans la loi, il est possible de sanctionner une activité non criminelle, ne sommes-nous pas confrontés à un problème puisqu'il s'agit d'une loi qui, en vertu de l'article 7, serait jugée inconstitutionnelle parce qu'elle a une portée exagérée? C'est le genre de raisonnement et d'analyse présentés dans l'arrêt Sharpe et d'autres arrêts récents.
Le sénateur Moore: Cela nous amène malgré tout au fait que cet agriculteur est censé faire quelque chose qui contribue ou facilite un acte criminel. Or, ce n'est pas du tout son objectif. C'est ce que je veux dire.
La présidente: Je remercie les témoins de ce matin d'avoir bien voulu rester si longtemps. Nous devons lever la séance à 13 h 30, et avant de le faire, nous avons une autre question à examiner.
Nous avons devant nous un projet de rapport rédigé à la suite de notre rencontre avec M. Kingsley, l'autre jour. Nous ne disposons pas du temps nécessaire pour le réviser nous-mêmes et voir s'il correspond exactement à ce qui s'est passé. Je vous demanderai donc de l'emporter avec vous, d'en protéger la confidentialité et si vous avez des changements ou des modifications à lui apporter, de me les communiquer d'ici lundi matin.
La séance est levée.