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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 39 - Témoignages


MONTRÉAL, le mercredi 31 octobre 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner la situation du régime de soins de santé au Canada.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Sénateurs, ceux d'entre nous qui ont sillonné le pays se rendent compte que nous vivons un matin extraordinaire. Nous accueillons aujourd'hui deux Canadiens qui connaissent probablement bien plus de choses sur le régime de soins de santé que beaucoup d'entre nous, et en tout cas beaucoup plus que ce que j'en sais. Je suis donc ravi d'avoir, ce matin, la possibilité d'écouter deux personnes dont les opinions sur le régime de soins de santé méritent la plus haute considération.

Nos témoins - et je crois que la plupart d'entre nous savons qui ils sont - sont l'honorable Claude Forget et l'honorable Claude Castonguay. Ces deux hommes ont des antécédents extraordinaires en ce qui concerne le régime de soins de santé. Non seulement ils ont été ministres de la Santé, mais ils ont également écrit d'abondance sur la question de la réforme des soins de santé. Comme d'habitude, je demanderais à chacun de nous de faire un exposé liminaire, et nous pourrons ensuite leur poser des questions. Cela semble être la méthode qui convient le mieux.

Monsieur Castonguay, je commencerai par vous, et nous passerons ensuite à M. Forget. Ensuite, nous passerons aux questions. Je vous remercie tous d'être venus. Je sais que vous êtes des personnes très occupées et, ayant parcouru vos mémoires, je sais également que vous avez pris cette démarche au sérieux. Je le répète, je vous sais vraiment gré d'être ici.

[Français]

L'honorable Claude Castonguay: Je vous remercie de votre invitation. Mes commentaires seront assez brefs et de nature assez générale étant donné le temps à notre disposition.

Il me semble, en premier lieu, qu'il est important de s'entendre sur l'objectif que nous poursuivons. Nous avons deux régimes, en fait, un régime d'assurance hospitalisation et de soins médicaux. Ces régimes ont été établis à des époques un peu différentes au cours des années 1960. Ils devaient normalement être suivis par des régimes de même nature qui auraient couvert d'autres aspects des soins. Pour toutes sortes de raisons, le vieillissement de la population, les changements dans l'économie, l'augmentation rapide des dépenses de santé, cette voie n'a pas été suivie.

Aujourd'hui on se retrouve avec une couverture des soins hospitaliers, une couverture des soins médicaux et toute une autre gamme de soins et de services qui sont bien des fois tout aussi importants mais ne sont pas couverts.

Si on reprenait la question aujourd'hui sans les régimes d'assurance hospitalisation et de soins médicaux, on poserait la question de façon passablement différente. C'est un peu dans cet esprit que j'ai interprété le rapport que vous avez préparé, que vous nous avez distribué et que j'essaie de répondre à certaines des questions soulevées dans le rapport.

Vous posez la question suivante: doit-on envisager le problème uniquement du point de vue financier ou doit-on le poser également en termes d'efficacité du système en place? Je crois qu'on doit poser les deux questions. Simplement l'envisager du point de vue financier n'est pas suffisant, surtout si on l'envisage uniquement par une addition des dépenses publiques.

Il est clair que depuis un certain nombre d'années, le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces ne sont pas en mesure de suivre l'augmentation rapide des coûts et aussi le fait que la demande est pratiquement illimitée en matière de santé.

Il faut chercher la plus grande productivité ou la plus grande efficacité possible dans le système, d'une part, et d'autre part, voir la question du financement dans une dimension plus large que simplement le financement public. Il faut envisager d'autres sources de financement.

Quant à la productivité ou à l'efficacité du système, si on examine ce qui s'est fait dans le secteur privé au niveau des entreprises depuis une trentaine d'années, si on examine comment les moyens de produire les services ont évolué et comment les entreprises ont réussi à atteindre de niveaux de productivité extrêmement plus élevés qu'il y a 10, 20 et 30 ans, on se rend compte que dans le domaine de la santé, il y a encore énormément à faire.

Vous le soulignez dans le rapport. Je ne peux pas entrer dans les détails, mais il est clair qu'on pourrait augmenter la productivité du système de santé de 10 p. 100, 15 p. 100, 20 p. 100. Je n'ai pas d'idée sur un pourcentage qui pourrait être réaliste, mais il est clair qu'une augmentation significative pourrait être apportée.

Quant au financement, il ne s'agit pas non plus uniquement d'examiner les sources additionnelles de financement possibles, mais il faut examiner comment le système de financement fonctionne présentement.

Au Québec - j'imagine que c'est dans une certaine mesure la même chose dans les autres provinces - le système de financement en place n'encourage pas l'innovation, une saine concurrence entre des établissements de même nature, là où c'est possible, et ne comporte pas d'incitatifs à plus d'efficacité. Au contraire, dans bien des cas, le système pénalise la recherche d'une plus grande efficacité.

La contribution financière des citoyens est une autre question que vous soulevez dans votre rapport. Elle est soumise dans le système à un niveau ou à deux niveaux, à une vitesse ou à deux vitesses.

Présentement, les citoyens sont couverts à 100 p. 100 pour les soins hospitaliers qu'ils reçoivent et à 100 p. 100 des soins médicalement requis. On sait que même dans le cas des soins médicaux, cette couverture est loin d'être complète. Dès que les soins médicaux sont requis à l'extérieur de l'hôpital, une bonne partie d'entre eux ne sont pas couverts. Bien souvent ces soins sont assez onéreux, en radiologie, par exemple.

Les médicaments sont plus ou moins couverts selon les provinces. Même s'ils sont couverts, les patients ou les bénéficiaires sont appelés à contribuer à une partie importante de leurs coûts qui varient d'une province à l'autre.

Lorsqu'on arrive aux soins hors de l'hôpital, les soins à domicile ou encore d'autres soins tels que les soins dentaires, les soins thérapeutiques, généralement, ces soins ne sont pas couverts. Souvent ils sont tout aussi importants que les soins médicaux, particulièrement pour les personnes qui vieillissent et qui ont besoin d'une certaine gamme de soins de support au point de vue de leur capacité de fonctionner.

Il me semble que la question de la contribution financière des citoyens, lorsqu'ils reçoivent des soins ou services, devrait être envisagée d'une façon un peu plus large que ce n'est le cas présentement. Les ressources devraient être davantage ciblées lorsque les coûts sont les plus élevés ou encore lorsque les besoins sont les plus grands.

Dans votre rapport, vous parlez du droit des citoyens à la santé. Ce droit suscite une discussion intéressante. On fait référence à la Charte et au fait qu'éventuellement les cours seront appelées à définir les dispositions de la Charte.

Cette voie évidemment peut être longue. Même si on reconnaissait le droit à la santé, il reste qu'il sera toujours relatif et conditionné par les ressources disponibles et la capacité de traiter. Il me semble beaucoup plus approprié d'examiner cette question de la liberté de choix des individus.

Bien des personnes, vous en connaissez et j'en connais, ne sont pas nécessairement des gens fortunés mais, pour leur qualité de vie et leurs besoins, sont disposés à payer pour des soins hors de l'hôpital. Présentement il n'est pas possible dans bien des cas de le faire parce que tout le système est orienté vers le système public.

La liberté de choix des citoyens à l'égard de leur santé me semble une question fort importante. On ne porte pas de jugement sur une personne qui veut acquérir une maison plus onéreuse ou une automobile plus coûteuse. Pourquoi est-ce qu'on lui refuse le droit, si elle le souhaite, de vouloir intervenir sur sa propre santé?

Vous avez eu une discussion qui porte sur le coût des médicaments. Il me semble qu'on doit examiner davantage la question de l'utilisation des médicaments et comment ceux-ci sont prescrits; comment les patients devraient être davantage informés sur les médicaments, sur les ordonnances des professionnels, sur leurs utilisations par les patients.

Le docteur Morin et moi avons examiné cette question il y a quelques années dans le cadre d'un comité. Nous avions été frappés par le fait qu'il y aurait beaucoup à faire de ce côté. Ce n'est pas uniquement la question du prix des médicaments qui doit être posée mais celle de la bonne utilisation des médicaments.

Vous parlez avec raison de l'importance de développer des soins primaires et des soins à domicile. À mon avis, particulière ment en ce qui a trait aux soins à domicile, si on envisage cette question par le biais de développement de soins à domicile dans des structures publiques bien établies, on risque fort d'avoir énormément de difficultés.

Selon mon expérience, il y a trente ans, lorsque j'étais ministre de la Santé, nous parlions du développement des soins à domicile. Malgré tout ce qui a pu être dit et fait au cours des trente dernières années, des besoins énormes ne sont pas comblés. Ce sont des soins qui s'organisent mal dans des structures publiques telles qu'on les connaît pour les soins hospitaliers, par exemple.

Il est très important d'envisager des mesures fiscales pour faire en sorte que les gens puissent prendre des initiatives eux-mêmes de différentes façons et non pas uniquement dans un système bien structuré.

Quant aux soins primaires, dans les cliniques, il y a énormément à faire à mon avis. À Montréal, nous avons quelques cliniques assez bien structurées et organisées, mais un grand nombre de cliniques n'ont pas vraiment l'organisation suffisante pour faire en sorte que le travail du médecin soit maximisé et appuyé par une équipe où chacun assume sa tâche afin d'atteindre un niveau supérieur de productivité.

Ces objectifs ne se réaliseront pas nécessairement par des programmes publics réglementés et structurés, mais ils pourraient l'être par certains avantages fiscaux visant à favoriser le développement de cliniques bien organisées et efficaces.

L'honorable Claude Forget: Monsieur le président, j'ai communiqué à votre comité un texte écrit dont je ne ferai pas la lecture. Je vais plutôt tenter d'en dégager certaines idées principales et la raison qui m'a amené à vous proposer les éléments que ce texte contient.

En premier lieu, je veux vous féliciter de votre décision d'ouvrir ce débat sans réserve, sans restriction. Je crois que nous avons un grand besoin de mettre de côté la rectitude politique relativement aux questions de santé. Elle est devenue une espèce de chape de plomb qui empêche de faire ce qui devrait être fait. Le Sénat est dans une excellente position pour relever ce défi très difficile. Nos services de santé sont un symbole de la citoyenneté canadienne pour certains. Ils sont de toute manière pour tout le monde un des éléments les plus importants de leur vie. Toute tentative pour les modifier suscite beaucoup d'inquiétudes.

Par contre, je veux vous assurer que parmi tous les groupes que je fréquente et qui s'intéressent à la question de la santé, l'existence de votre travail et l'orientation que vous semblez devoir lui donner suscitent énormément d'attentes et d'espoir. Tout le monde ressent la difficulté de faire ce qui devrait être fait tant qu'il n'y a pas sur le plan politique un signal clair que des changements sont possibles. Ce sentiment ne prévaut pas actuellement. Vous avez un très grand rôle à jouer.Je me réjouis que vous donniez tous les signes qui laissent croire que vous allez effectivement le jouer.

Les remarques dans mon texte ne couvrent pas tous les éléments des propositions que vous avez soumises au public il y a quelques semaines. Tous les éléments ne sont pas également importants. D'ailleurs il est irréaliste de croire que l'on pourrait tout régler les problèmes d'un aussi vaste secteur en même temps. J'ai essayé d'identifier deux zones particulièrement riches en frustrations. Plutôt que de vous exhorter à vous inspirer de vos principes, j'ai essayé de formuler, de la façon la plus concrète possible, une idée de ce que pourrait être un régime qui fournirait aux Canadiens tous les avantages du régime actuel mais qui serait profondément différent.

Je me suis interrogé à deux secteurs problèmes qui sont, à mon avis, respectivement les soins primaires et les centres hospitaliers de recherche et d'enseignement, les centres hospitaliersuniversitaires. Cela ne couvre pas l'éventail de tous les coûts sur le plan de l'effort financier requis des gouvernements.Chaque secteur correspond, grosso modo, à environ 25 ou 30 p. 100 de la totalité des coûts. Ces deux secteurs regroupés représentent peut-être un peu plus de la moitié des coûts. Les problèmes qu'on y retrouve sont beaucoup plus difficiles et beaucoup plus préoccupants que ceux que l'on retrouve ailleurs.

Il est difficile de concevoir que nous aurions beaucoup d'inquiétude au sujet de la santé, par rapport à tout ce qui reste, qui ne soit, d'une part, les soins primaires, les services primaires, et d'autre part, les services ultra-spécialisés. La nature des inquiétudes est bien différente.

Dans le domaine des soins primaires, je peux vous assurer, sans erreur, c'est une chose que vous avez probablement déjà constatée, qu'il y a un large consensus au Canada sur la nécessité de faire quelque chose pour repenser profondément les soins primaires. D'ailleurs, vous y faites allusion dans votre rapport de consultation. Je pense que c'est tout à fait vrai. La nature de la solution qui se dégage reposerait sur deux éléments essentiels: le «rostering», c'est-à-dire l'inscription des Canadiens auprèsd'organismes leur offrant un éventail précis de services entre lesquels ils auraient le choix et un système de financement par capitation.

Dans mes remarques, j'ai décrit un tel système. Mon cheminement va un peu plus loin que celui que j'ai décrit dans le livre que j'ai publié avec mon épouse il y a trois ans et où, justement, la capitation était proposée.

Il me semble que le régime de capitation, si important ou intéressant qu'il soit, ne va pas suffisamment loin pour replacer les soins primaires là où ils devraient être, c'est-à-dire dans une relation directe avec l'utilisateur ou le consommateur. Je propose d'éliminer le rôle d'intermédiaire des gouvernements. Les gouvernements interviennent entre le public et les prestataires de services primaires en percevant les impôts et en retournant les produits des impôts pour la prestation des services.

Mais dans ce long détour, le public utilisateur est privé d'un levier essentiel, à savoir la possibilité de disposer lui-même directement du pouvoir économique qui lui permettrait, en ayant des choix, d'exercer la pression nécessaire pour obtenir la qualité et l'accessibilité de services qu'il réclame.

Dans cette province, il y a trente ans, M. Claude Castonguay et moi avons initié une réforme dans laquelle nous placions énormément d'espoir: les CLSC. Ils se sont développés au Québec. Des ressources importantes leur ont été consenties. Il est évident, selon des témoignages significatifs, que là où ils réussissent à donner les services, leur rôle et leur contribution sont fort appréciés.

En dépit de cela et en dépit du fait qu'ils ont développé une espèce de clientèle très fidèle et très convaincue, il faut bien constater qu'après trente ans, ils n'occupent pas, ni dans la réalité, ni dans la perception du public, le rôle qui leur avait été assigné. Cela est dû, dans une large part, au fait que ces structures ont été développées dans le secteur public; c'est d'ailleurs un concept auquel M. Claude Castonguay faisait allusion tout à l'heure, ce qui a placé des limites multiples à leur efficacité et à leur rayonnement.

Je suggère un crédit d'impôt remboursable qui permettrait aux Canadiens d'être sur la première ligne comme demandeurs de services. Quant à l'accessibilité financière, ils pourraient bénéficier de toutes les caractéristiques d'universalité que le régime actuel nous donne, mais encore une fois, en supprimant ce rôle d'intermédiaire.

Je donne dans mon texte certains détails qui m'apparaissent essentiels pour répondre par anticipation à certaines objections; ce sont des arguments sur lesquels je ne reviendrai pas dans mon exposé verbal.

Le deuxième élément dont depuis plusieurs années je vis assez directement les manifestations, c'est l'espèce de cul-de-sac de la gestion dans lequel sont confinés les établissements, les institutions qui donnent les services de plus haut niveau. Le Canada dispose d'à peu près une trentaine de grands centres de troisième et quatrième niveaux, où se font l'enseignement et la recherche.

C'est là où les Canadiens s'attendent de recevoir non seulement la solution aux problèmes les plus difficiles et les plus aigus, mais où ils voient la promesse de voir se réaliser tout ce que les développements de la science et de la technologie permettent d'envisager pour l'avenir.

Par contre, c'est là également qu'aux divers paliers de gouvernements, on constate une croissance apparemmentincontrôlable des coûts. Dans une large part, le problème financier de la technologie, des nouveaux médicaments, des difficultés de gestion intenses du secteur public s'y retrouve de la façon la plus aiguë.

Cela est souhaitable, sinon essentiel, pour plafonner la hausse des coûts dans le secteur de la santé. Les contribuables doivent se réconcilier avec cette réalité. La promesse, si elle était faite, d'un plafonnement des coûts sur une longue période, compte tenu, d'une part, du vieillissement de la population et, d'autre part, du développement intense de nouvelles techniques, de nouvelles procédures, de nouveaux médicaments, de nouveaux appareils, serait une promesse illusoire.

Il faut accepter une croissance des coûts. Pour la contenir à l'intérieur de limites raisonnables, sans faire de dégâts, il faut se rendre compte qu'il est impératif de faire cesser le régime actuel, celui où on enlève à ceux qui sont responsables de la gestion de ces établissements tous les moyens de les gérer. Qu'on y pense un peu. On a un secteur qui ne peut absolument pas planifier financièrement quelque programme de gestion que ce soit, puisqu'au cours des derniers dix ans, les budgets des gestionnaires étaient totalement imprévisibles. Non seulement étaient-ilsimprévisibles, ils ont été soumis à des variations extrêmes, vers le haut et vers le bas, et souvent de manière rétroactive. Il est impératif que l'on ait une stabilité financière plus considérable.

Nous avons également connu aux ministères de la Santé, dans toutes les provinces, une instabilité, non seulement des ministres mais des fonctionnaires. Le nombre d'années d'expérience de ce réseau extrêmement complexe de nos ministères de la santé a constamment diminué. On se retrouve devant des gens qui doivent réinventer la roue constamment, qui ne travaillent pas dans une continuité, dans une stabilité d'orientation qui seraient nécessaires. Pour résoudre ce problème, il faut envisager que le critère d'administration publique, que l'on retrouve dans la loi nationale ne soit pas interprété d'une manière étroite comme dans le passé, permette justement d'établir une certaine distance entre les gouvernements et ceux qui sont responsables de gérer ce programme.

Afin de bien asseoir cette relative indépendance, je suggère - c'est une formule parmi d'autres mais je pense qu'elle serait susceptible d'avoir plusieurs avantages - l'adoption d'un régime de fiscalité affecté spécifiquement à la santé.

Un tel régime d'impôt sur la santé serait détaché de l'impôt sur le revenu. C'est quand même l'impôt le plus susceptible de nous fournir une base de financement acceptable. Il deviendrait un impôt affecté. Cette affectation serait incorporée dans un accord fédéral-provincial. Compte tenu de la rigidité de ces ententes, il fournirait, d'une part, la stabilité financière, la prévisibilité des revenus et, d'autre part, une transparence de la fiscalité canadienne lorsqu'on la compare à la fiscalité américaine. Il deviendrait plus visible. Nous saurions davantage que les impôts élevés que nous payons sont attribuables à la santé, ce que les Américains n'ont pas à faire, du moins pas au même degré.

Nous avons besoin, pour donner aux gestionnaires dans ce secteur névralgique de la santé, de tous les instruments de gestion. Actuellement, toutes les provinces parlent de financement par budget global. C'est une plaisanterie de mauvais goût dans un certain sens puisque le financement fourni par les gouvernements est un remboursement des salaires et des fournitures.

Il exclut les dépenses en capital, les dépenses d'équipement qui échappent au contrôle des gestionnaires, puisqu'elles sont carrément laissés à la discrétion des fonctionnaires ou des ministres. Elles sont sujettes, à ce titre, à tous les aléas de la conjoncture électorale. La planification est donc impossible et même dans les dépenses courantes, les honoraires médicaux sont considérés comme une enveloppe séparée.

Le but d'un gestionnaire est d'obtenir entre des mains uniques l'ensemble des instruments qui permettent de faire évoluer une institution. Il y a toujours des «trade-off» entre l'augmentation des coûts de fonctionnement et les dépenses en capital, par exemple, mais ce sont des choix que les gestionnaires n'ont pas l'autorité de faire. Ils sont soumis à toutes sortes d'arbitraires. Par la suite, on s'étonne des coûts incontrôlables. Comment seraient-ils contrôlables puisque ceux qui les encourent ne peuvent rien faire? Encore une fois, ce secteur où les coûts ont été en croissance, continuera de l'être. Il faut accepter cette réalité. Il faut se donner les moyens de gérer ce secteur de manière beaucoup plus professionnelle en éliminant les rigidités et les barrièresartificielles que, sans le vouloir vraiment, pour des raisons historiques, les gouvernements ont constituées dans ce secteur.

Voilà, monsieur le président, le sommaire des deux secteurs qui m'apparaissent les plus susceptibles de subir une amélioration. D'une part, il faut approcher les services primaires des citoyens, en leur donnant les moyens d'avoir une influence conforme à leurs aspirations, en ne sacrifiant rien de l'équité sociale et, d'autre part, il faut donner aux gestionnaires de la trentaine des institutions les plus importantes du pays les instruments véritables pour qu'ils soient imputables, responsables, comptables dans le sens propre du mot, des ressources que la société leur confie.

Si vous me permettez, monsieur le président, une dernière remarque. Dans une présentation conceptuellement différente, M. Hugh Segal, président de l'Institut de recherche en politique publique - qui malheureusement ne pouvait pas être ici ce matin - m'a demandé, puisque j'ai eu l'occasion de collaborer avec l'Institut dans un certain nombre d'initiatives dans le secteur de la santé, de rappeler l'Institut à votre bon souvenir. Il me demande de vous signaler deux publications de l'Institut: l'une est - c'est peut-être un accroc à ma modestie naturelle - le livre que mon épouse et moi avons publié en 1998 et l'autre, un document publié en septembre 2000 qui se voulait une recommandation aux premiers ministres fédéral et provinciaux qui se réunissaient à ce moment pour débattre du financement de la santé.

Vous retrouvez dans ces documents - malheureusement ils ne sont plus disponibles mais on a réussi à vous en trouver quelques copies - la plupart des idées qui ont été exposées ce matin par M. Claude Castonguay, moi-même et sans aucun doute plusieurs de vos invités. Un consensus existe sur la nécessité des changements. Encore une fois je termine en vous invitant à être aussi courageux et audacieux que possible dans vos recommandations.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie tous deux de vos exposés, qui vont certainement susciter des questions.

[Français]

Le sénateur Morin: Monsieur le président, je voudrais d'abord remercier nos deux invités. Pour ceux qui ne le savent pas, ce sont les deux artisans du système de distribution de soins que nous avons au Québec. Les réformes importantes qui ont été mises en place il y a maintenant trente ans servent encore de modèles non seulement pour les autres provinces du Canada mais aussi à l'étranger.

On a cité, par exemple, les CLSC, qui fonctionnent bien, dans un contexte spécial et plusieurs autres initiatives qui depuis ce temps sont citées et qui sont dues vraiment au travail remarquable à cette période de mes deux amis, Claude Castonguay et Claude Forget.

Je voudrais poser une question à Claude Castonguay. Je suis tout à fait d'accord avec les points que vous avez soulevés: l'augmentation de la productivité, la concurrence. L'assurance privée s'appliquerait dans certaines cliniques privées pour des services qui ne se donnent pas à l'hôpital.

On parle aussi de coassurance lorsqu'on parle de la contribu tion des citoyens. On parle du développement des cliniques privées et des avantages de celles-ci, des soins à domicile sur la base de déduction et de crédits fiscaux. Ces soins à domicile sont surtout utilisés pour des soins aigus, des soins chroniques, surtout par des personnes âgées à faible revenu. Cette partie de la population utilise le plus les soins à domicile. Comment peut-on utiliser des crédits fiscaux pour des gens qui ne payent pas d'impôt? Dans ces cas, on pourrait penser à une contribution du gouvernement.

Au Québec nous avons un système d'assurance médicaments qui est le meilleur au Canada. Il n'est pas parfait. On nous reproche, entre autres, la coassurance, mais enfin, c'est sûrement le meilleur au Canada.

J'aimerais connaître votre opinion relativement à certaines provinces qui souffrent d'une absence complète de couverture, ce qui entraîne des situations désastreuses. Ce sont les provinces les plus pauvres. Pour d'autres, le système est incomplet et ainsi de suite. Comment pourrions-nous envisager d'établir dans les conditions fiscales actuelles un système d'assurance médicaments avec un minimum de protection contre les catastrophes pour l'ensemble des citoyens canadiens en tenant compte du fait que certaines provinces sont pauvres et ne peuvent peut-être pas mettre en place un système qui soit équivalent à celui du Québec? Est-ce qu'on doit envisager une contribution du gouvernement fédéral? Autrement dit, faut-il élargir à l'ensemble du Canada un système de protection vis-à-vis les coûts des médicaments?

M. Castonguay: D'abord, je vous remercie du commentaire au sujet de la qualité du régime québécois d'assurance médicaments. Je sais que c'est un commentaire tout à fait objectif et non subjectif.

Il me semble que l'assurance médicaments, tout d'abord, est très importante. En fait, 70 p. 100 ou 75 p. 100 des gens qui voient le médecin ressortent de son cabinet avec une ordonnance. Dans bien d'autres cas, le médicament est le seul mécanisme de traitement disponible pour bien des gens qui peuvent demeurer ainsi à domicile. Ils peuvent contrôler dans une certaine mesure leur état de santé grâce à des médicaments.

En d'autres termes, le médicament est devenu une partie essentielle des soins de santé. Donc, il me semble qu'il y a un illogisme lorsqu'on dit que l'on couvre 100 p. 100 des soins médicaux et qu'on ne couvre pas, dans tous les cas, sauf par des mesures assez disparates, le coût des médicaments. Le coût des médicaments a tellement augmenté qu'aujourd'hui, on dépense plus en médicaments qu'en honoraires médicaux.

Pour revenir à votre question, si le gouvernement fédéral allouait une partie des sommes dépensées pour les médicaments, il pourrait le faire en laissant l'initiative aux provinces d'expéri menter ou de développer les régimes qui leur apparaissent les plus appropriés. Ceci pourrait créer une certaine émulation entre les provinces qui pourraient développer une certaine expérience. On pourrait probablement voir certaines façons de faire primer sur d'autres.

En d'autres termes, si le gouvernement fédéral devait consacrer des sommes spécifiques à cette fin, il ne me semble pas qu'on devrait en même temps essayer de développer un modèle de couverture identique pour toutes les provinces. Au Québec, par exemple, nous savions qu'environ quatre millions et demi de personnes étaient couvertes par des régimes privés. Est-ce le cas dans certaines provinces où il y a moins d'industries où les gens sont couverts par des régimes privés?

Mais au Québec, le nombre de personnes couvertes était tellement élevé qu'il semblait normal d'essayer de conserver cette couverture et de l'encadrer dans une certaine mesure pour que tout le monde soit traité et fasse partie d'un régime privé ou d'un régime public, d'une façon aussi équitable que possible. C'est ce que nous avons fait.

Dans une autre province, la Saskatchewan, où l'économie est passablement différente, peut-être que cette approche serait absolument inappropriée. Le gouvernement fédéral ne devrait pas essayer d'imposer un type de régime uniforme à tout le monde.

Le sénateur Morin: J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le livre Qui est le maître à bord? Il traite évidemment des marchés internes, mais aussi de tout l'ensemble du problème de la santé. Une série de données statistiques sont vraiment très instructives.

J'aimerais aborder les deux points dont vous avez fait état: les soins primaires et les centres hospitaliers universitaires. Concernant les soins primaires, j'aimerais parler davantage des marchés internes. Que ce soit en Europe, en Grande-Bretagne ou en Suède, plusieurs pays envisagent cette question des marchés internes. La question de marchés internes touchent l'achat de services par les organisations qui seraient, selon le livre, des agences. On peut aussi songer aussi à des équipes de médecins.

Actuellement la réforme des soins primaires met en place des équipes de médecins, des équipes multidisciplinaires qui ont la responsabilité d'une population donnée et qui sont rémunérées par la capitation. Ils couvrent l'ensemble des services et ils ont une responsabilité de «gatekeepers». Il n'est pas impossible d'envisager que ces équipes puissent conclure un contrat avec des cliniques, des hôpitaux ou des organisations.

Maintenant, dans le livre Qui est le maître à bord? on donne à ces cliniques le pouvoir, en même temps, d'être responsables indirectement du financement de ces hôpitaux et de ces cliniques.

La question à laquelle je me heurtais quand je lisais le livre concernait la période intermédiaire qui peut durer assez long temps. On ne peut pas penser que tous les médecins et toutes les cliniques seront prêts à accepter ce processus immédiatement. La période intermédiaire pendant laquelle il y aurait un financement qui se ferait par ces marchés internes créerait une difficulté par rapport au financement classique. Peut-on penser, par exemple, que les autorités régionales seraient responsables de contacter et d'établir les contrats avec les organisations?

Cette question de marchés internes m'intéresse beaucoup et intéresse beaucoup le comité. On en a parlé à plusieurs reprises. On a rencontré des économistes en Ontario avec lesquels on a parlé beaucoup de marchés internes. On a rencontré un économiste de Toronto qui avait connu les marchés internes en Nouvelle-Zélande et qui nous en a longuement parlé.

Cette période de coexistence de financement traditionnel et de financement par marchés internes était la pierre d'achoppement. Je dois dire qu'on n'a pas eu de réponses précises à ce sujet.

En ce qui concerne les hôpitaux, les centres hospitaliers universitaires, la question du financement stable se pose. Dans le livre que j'ai lu, Qui est le maître à bord?, on se rend compte que les salaires représentent une part importante du coût. Les salaires augmentent plus vite. Le coût des salaires, pour un centre hospitalier, augmente plus vite que pour le reste de la population. En particulier, les salaires des gens qui ne sont pas affectés à des responsabilités cliniques augmentent d'une façon appréciable. Autrement dit, les jardiniers voient leur salaire augmenter beaucoup plus vite que dans l'industrie privée.

Cela représente une trentaine de centres, une contribution importante de 15 p. 100 ou 20 p. 100. Pourrait-on penser à un financement fédéral de ces centres? Une des raisons qui me fait penser à un financement fédéral, c'est que ces centres ont la responsabilité majeure de la recherche au Canada.

M. Forget: La question des marchés internes, à mon avis, est évidemment centrale. Pour que les marchés fonctionnent, il faut d'abord des entités qui existent dans ces marchés et qui sont prêtes à fonctionner selon les lois d'un certain marché. Or dans les services primaires ou même secondaires, il n'y a pas, actuellement, dans nos réseaux au Canada, des acteurs qui sont organisés et disposés à jouer ce rôle. Ceci détermine un peu la réponse à votre question. Avant de permettre ou d'envisager que des groupes de médecins puissent se procurer dans un marché organisé à cet effet, par exemple, les services des hôpitaux communautaires, il faut d'abord que des groupes de médecins existent à cette fin et soient disposés à jouer un rôle entrepreneu rial. C'est là qu'est toute la difficulté. Il faut franchir les étapes une à une.

À mon avis, il faut d'abord avoir comme acteurs principaux, représentant les clients, des groupes de médecins prêts à jouer ce rôle; ce n'est pas le cas dans le moment. C'est une chose que j'ai apprise à la lumière des réactions qu'a suscitées notre livre il y a trois ans: la profession médicale au Canada, vit depuis trente ans dans un régime public.

Elle a résisté, au départ, à l'introduction du régime public. Mais ceux qui sont nés, pour ainsi dire, au moins professionnellement dans ce régime public aiment beaucoup le confort de celui-ci et ne sont pas visiblement intéressés à assumer des risques et à devenir des gestionnaires.

Ils voient très bien, intellectuellement, que s'ils avaient les ressources pour le faire, ils seraient en mesure de jouer un rôle beaucoup plus actif dans l'intérêt de leurs patients. Il n'en reste pas moins que c'est une responsabilité additionnelle. Il va falloir un certain temps pour les convertir à ce nouveau rôle. Je ne dis pas qu'il y a une résistance universelle, au contraire. Malgré tout, des habitudes ont été perdues, si elles existaient, et elles n'ont certainement pas été acquises.

Il faut d'abord que des groupes de soins primaires existent et qu'ils soient situés dans le bon contexte. Je m'inquiète un peu des regroupements faits dans le secteur des institutions publiques. Comme vous l'avez indiqué, il y a toujours la notion que l'on crée un groupe pour desservir une région.

Alors on crée des monopoles locaux. Si une notion de marchés internes crée des monopoles, on fait évidemment fausse route. Dès le départ, on a abandonné la notion de marchés internes en faveur d'une notion administrative, bureaucratique. Et, on sait que la notion bureaucratique et administrative pour gérer ces services est un échec, non pas absolu mais relatif face aux attentes légitimes du public.

La possibilité de créer des marchés internes sera éventuelle ment la solution. Mais le chemin pour y arriver est de créer des incitations. C'est la raison pour laquelle les incitations peuvent se faire à l'intérieur d'un régime qui donne les ressources aux patients qui bénéficient de la capitation ou d'un crédit d'impôt remboursable.

Entre parenthèses, un crédit d'impôt remboursable bénéficie même à ceux qui ne payent pas d'impôt puisqu'il est remboursa ble. Il est établi à une valeur qui résulte en un paiement si ce n'est pas une réduction d'impôt. Je crois que c'est la phase initiale.

Sans prendre trop de temps, j'aimerais aborder la question des salaires. Il y a, dans le secteur de la santé, à peu près dans tous les pays, un taux d'inflation supérieur à celui de l'économie en général. Une partie des ressources additionnelles investie dans le domaine de la santé va non pas pour accroître les services mais pour augmenter les rémunérations des gens qui travaillent dans ce secteur. On l'a observé en tout temps et encore récemment quand les gouvernements ont investi des ressources accrues.

Est-ce qu'il faut s'en désoler ou est-ce normal? Dans une certaine mesure, c'est normal pour la raison suivante: on veut attirer dans le secteur de la santé une plus forte proportion de main-d'oeuvre sur une période donnée. Et on veut le faire dans un contexte où la qualité de la vie au travail importe car le secteur de la santé reçoit une très mauvaise publicité presque à tous les jours.

Quand vous avez tous les soirs ou presque, à la télévision, à certaines périodes, des témoignages d'infirmières ou de médecins qui confessent qu'ils sont débordés, épuisés et au bord de la dépression nerveuse, il est évident que les jeunes qui se destinent à ces métiers vont y penser deux fois.

Dans les écoles d'infirmières au Québec, des places libres ne sont par prises parce qu'on ne réussit pas à convaincre les gens que c'est une carrière intéressante. Pour compenser ce phénomène, il faut des changements dans la culture de l'organisa tion. Mais il faudra accepter que ces métiers très exigeants offrent une rémunération qui va s'accroître plus rapidement que dans les autres secteurs.

Cela fait partie de l'équation. Il faut juger que c'est une évolution normale. Il faudra aller plus loin que de simplement donner plus d'argent dans certains cas. Par exemple, dans la définition du rôle des infirmières, toute la problématique hommes-femmes dans les emplois a son importance puisque souvent, les médecins sont des hommes - quoique c'est en train de changer - et les infirmières sont des femmes. On peut voir dans ces milieux des tensions qui tiennent au fait que ces institutions n'ont pas évolué. Cela ajoute aux difficultés.

Oui, il y aura des pressions de coûts. Cela est déplorable, évidemment, à cause justement des principes d'administration publique. Nous avons des milieux très syndiqués, très rigides, où les pressions à la hausse sur les coûts sont maximums par rapport à d'autres secteurs de l'économie.

[Traduction]

Le président: Voilà une excellente transition pour passer à l'intervenant suivant. Il s'agit du sénateur Pépin, qui, au cours de sa carrière, a été infirmière et aussi présidente du Conseil consultatif de la situation de la femme.

[Français]

Le sénateur Pépin: Le sénateur Morin a discuté en fait de questions auxquelles je m'intéressais. Monsieur Forget, lorsque je vous entends parler des infirmières, des salaires et de l'environnement de travail, je dois avouer qu'après plusieurs visites en quelques jours dans un hôpital pour aider une amie malade, j'avais plutôt l'impression d'être dans un chantier de construction que dans un hôpital, si je me rapporte aux années où je faisais du nursing. Lorsque vous parlez des femmes qui envahissent le domaine de la médecine, on sait qu'engynécologie-obstétrique, 38 p. 100 des médecins sont des femmes.

J'ai lu dernièrement un article selon lequel un médecin disait: mais écoutez, je ne sais pas où on s'en va parce qu'il y a de plus en plus de femmes dans ce domaine. Elles doivent arrêter de travailler pour avoir des enfants, s'occuper de leur famille. Je suis très angoissé de savoir où on s'en va. À ce sujet, je lui poserais un autre genre de question.

Vous parlez des bureaucrates et de l'administration du système de santé. Je me demandais. Vous avez touché bien des points: l'administration bureaucrate du système de service de santé, le nombre élevé de médecins. Je me demandais si on ne pouvait pas organiser le système différemment. Si vous aviez des gens qui travaillent dans le système de la santé, pas simplement des fonctionnaires, des bureaucrates, mais des médecins, des infirmiè res, des travailleurs de différents paliers, ce serait plus facile. Si on décide de réduire dans tel programme, un médecin, une infirmière ou une travailleuse sociale pourrait dire: oui, mais si vous réduisez de telle façon, vous allez subir tel effet secondai re.Je me demande si on ne devrait pas travailler avec une équipe multidisciplinaire. Les fonctionnaires s'y connaissent très bien en administration mais ils ont pas travaillé dans l'hôpital avec les malades; on travaille avec des humains. Quand on sait en plus toutes les difficultés générées par le vieillissement de la population, il va falloir prendre une décision bien sérieuse. Je me demande si dans la composition - je peux poser la question aux deux - d'une équipe indépendante qui travaille avec l'adminis tration du service de santé, on ne devrait pas avoir des gens de différentes disciplines. Vous avez beaucoup plus d'expérience que moi tous les deux.

M. Forget: Vous avez raison et le problème se pose un peu à l'inverse aussi. Dans nos hôpitaux, on a dans des positions de direction, à l'intérieur des centres hospitaliers des médecins, des infirmières.

Le sénateur Pépin: Qui ne font pas partie du processus de décisions.

M. Forget: Qui sont impliqués dans le processus de décisions. Ces organisations sont très difficiles à gérer parce qu'elles sont complexes. Elles mettent en présence des groupes professionnels divers qui coopèrent mais souvent au sein de relations de rivalité professionnelle, avec des ressources imprévisibles, souvent diminuées arbitrairement. Ce sont des problèmes de gestion difficiles.

Est-ce que les médecins, les infirmières ou les travailleurs sociaux sont en mesure d'assumer des rôles de gestion? Souvent, on dira: une équipe multidisciplinaire, c'est très bien, mais on ne fait que regrouper des gens qui ne savent pas gérer.

Le sénateur Pépin: Non, il faut les associer à des gens qui savent gérer, je suis d'accord avec ce principe.

M. Forget: Et ce n'est pas irrémédiable. On devrait s'assurer que les gens qui sont appelés à des fonctions administratives recoivent une certaine formation.Je crois que vous avez raison. Il faut envisager la participation de ces gens.Il y a beaucoup de rigidité, beaucoup de choses sont décidées, une fois pour toutes, sans le consentement ou la participation des gens qui ont à prendre des décisions. Dans les structures hospitalières au Québec - peut-être est-ce la même chose ailleurs - beaucoup de décisions sont prises quant à la définition des rôles selon la loi et les règlements. On n'est pas capable de s'ajuster aux capacités individuelles des individus. Il ne relève pas du pouvoir de qui que ce soit dans un établissement de dire: cet individu a cette responsabilité. Il est dépassé par certains événements.Nous redéfiniront sa tâche en fonction de ses capacités. Ce n'est pas possible.

Donc c'est le lit de Procuste.Tout le monde est censé être interchangeable. C'est la définition d'une incapacité de gérer, quand vous traitez les gens comme des pions interchangeables. Les caractéristiques et les talents individuels ne comptent plus.

Le sénateur Pépin:Je suis de votre avis. L'administration des hôpitaux requiert des bons fonctionnaires. Il faut prendre des décisions avec les gens qui sont sur le terrain.

Monsieur Castonguay, je suis tout à fait d'accord lorsque vous dites que le système n'encourage pas l'innovation. Depuis le début des travaux de notre comité, on le réalise de plus en plus. C'est probablement une des raisons pour lesquelles on explore d'autres avenues.

Vous avez parlé, entre autres, de l'usage des médicaments. Suite aux questions du sénateur Morin, vous avez parlé d'une bonne utilisation des médicaments. Qu'est-ce que vous voulez dire?

M. Castonguay: Le docteur Morin et moi étions membres du comité qui a traité cette question en détails dans notre rapport. Le docteur Morin pourrait à un moment donné rendre disponible cette partie du rapport. Il y a trois ou quatre aspects à cette question. Les gens bien souvent ne suivent pas la posologie des ordonnances de leur médecin. Ils reçoivent une ordonnance du médecin qui leur dit de prendre le médicament pendant dix jour. Après cinq jours, ils arrêtent.

Le sénateur Pépin: C'est vrai.

M. Castonguay: Bien souvent, ils vont voir un médecin, obtiennent une ordonnance; ils vont voir un autre médecin, ils en obtiennent une autre. Ils connaissent un ami qui a tel type de médicament et ils s'organisent pour en avoir. Vous avez des médicaments qui ont des effets néfastes lorsqu'ils sont pris en même temps que d'autres.

Bien souvent aussi, lorsqu'ils vont voir un médecin, ils s'attendent de recevoir une ordonnance. Si le médecin ne leur en donne pas une, le médecin n'a pas fait son travail. On se doit d'informer, d'éduquer la population. Bien des fois un problème médical se résout non par la prise d'un médicament mais par la modification d'habitudes de vie. Les gens mangent mal, fument trop ou prennent trop d'alcool. Dans tous les cas, pour toutes sortes de causes, il y a un problème évidemment d'information.

Certains médecins prescrivent selon des modes des médica ments. Il s'installe graduellement des systèmes pour comparer un peu plus les ordonnances des médecins, par rapport à ce qu'on pourrait appeler une pratique assez standard. Il y a des déviations assez importantes. Les médecins, dans certains cas, prescrivent de façon exagérée tel médicament. Dans d'autres cas, ils ne prescrivent pas suffisamment. Il y a des variations dans les modes de prescription qui peuvent être même assez inquiétantes.

Toute une série de questions touchent l'utilisation des médicaments. À mon avis, elles devraient être abordées d'une façon plus organisée que présentement.

Le sénateur Pépin: Vous avez parlé de la liberté de choix des individus, de la contribution des citoyens. On entend parler depuis quelques temps d'une assurance pour les personnes âgées. On a entendu parler d'une assurance selon laquelle les citoyens, les jeunes dans la vingtaine. pourraient déjà commencer à participer à un fonds. Ils investiraient de l'argent dans ce fonds et lorsqu'ils seraient rendus à l'âge de la sérénité, ils en auraient suffisamment pour se faire soigner.

M. Castonguay: Oui.

Le sénateur Pépin: En fait c'est une approche semblable. On étudie différents aspects. La majorité des gens se pose des questions. Il y a plusieurs années, il y a quarante ans, quand je pratiquais le nursing, juste avant l'époque de l'assurance-maladie, les gens se demandaient si ceux qui n'ont pas d'argent seraient soignés ou ce qui arriverait à ceux qui ne pourraient pas participer. Vous avez proposé des taxes, des diminutions d'impôt, et cetera. Pour ceux qui n'ont pas d'argent pour payer, comment nous occuperons-nous de ces gens?

M. Castonguay: Si je comprends bien, vous posez votre question en fonction du projet d'assurance vieillesse.

Le sénateur Pépin: Je veux pas faire de politique, mais oui, c'est une approche qui est proposée.

M. Castonguay: Cette approche a été exposée pour la première fois dans le rapport Clair, au Québec puis au Canada. Ce n'est pas décrit d'une façon très détaillée d'une part. D'autre part, si nous étions dans un contexte où les taxes et les impôts étant relativement bas, au Canada et au Québec particulièrement, cette avenue pourrait être envisagée pour des problèmes à moyen et à long terme. Avant qu'on constitue une caisse qui pourrait agir, cela va prendre un certain temps.

Le sénateur Pépin: Plusieurs années.

M. Castonguay: J'imagine que les gens sans revenu, dans l'esprit des concepteurs de cette idée, que les gens qui n'ont pas suffisamment de revenus pour contribuer seraient couverts. Dans ce genre de régime universel, ceux qui ont les moyens paient une cotisation, ceux qui ne les ont pas ne paient pas. Cette idée, dans le contexte actuel, est vue beaucoup plus comme étant une façon de lever des impôts additionnels. Dans ce sens, ce n'est pas un genre de régime que nous allons voir naître à court terme. Les résistances seraient beaucoup trop grandes à mon avis.

Le sénateur Pépin: Il ne faudrait pas qu'il s'applique simplement à certains groupes de personnes non plus.

[Traduction]

Le sénateur Robertson: Monsieur le président, j'ai écouté tout cela avec beaucoup d'attention. Messieurs, je vous remercie d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Cela nous donne un peu plus confiance, pour nous attaquer à la tâche à laquelle nous sommes confrontés. Permettez-moi de poursuivre là où le sénateur qui m'a précédée s'est arrêtée.

Monsieur Castonguay, vous avez dit que 4 500 000 Canadiens étaient protégés par une assurance privée. Dans le cas d'un régime d'assurance-médicaments, pensez-vous que ceux d'entre nous qui sont assurés par le secteur privé continueraient d'avoir leur assurance privée? Dites-vous en fait qu'il y aurait ceux qui choisiraient - et pourraient se permettre - l'assurance privée, alors que ceux qui ne peuvent pas se la payer auraient un autre type d'assurance? Nous savons, par ailleurs, qu'il y a des Canadiens qui ne peuvent pas se payer de l'assurance privée. Autrement dit, si je comprends bien, il y aurait trois catégories?

M. Castonguay: Non, voilà comment cela s'est fait. Il y avait environ 4 500 000 personnes qui bénéficiaient de régimes d'assurance-groupe pour lesquels les médicaments d'ordonnance étaient assurés dans une certaine mesure. Nous avons décidé de ne pas toucher à cela, et de réorganiser un certain nombre de programmes publics pour assurer les personnes âgées ainsi que les personnes souffrant de certaines maladies. Nous avons décidé d'intégrer ces programmes publics pour qu'ils n'en forment plus qu'un seul, et de prendre les moyens pour que l'assurance privée soit assujettie à certaines contraintes. Par exemple, un employeur dont les employés bénéficient d'une assurance-groupe doit assurer les médicaments d'ordonnance. Il ne peut pas, non plus, exclure de la protection une personne en raison de son état de santé. Nous avons donc pris un certain nombre de précautions pour que l'assurance privée atteigne l'objectif recherché.

Nous nous retrouvons donc avec deux systèmes qui fonction nent en parallèle: le premier, public, financé par les cotisations versées par des contribuables, au moyen de leur impôt sur le revenu; et le deuxième, composé d'une série de programmes privés normalement cofinancés par les employeurs et les employés, comme cela se fait ailleurs.

Le principal problème de cette méthode, selon moi, c'est que la partie publique de ce régime protège, par définition plus de personnes âgées. Le coût pour la partie publique augmente plus rapidement parce qu'il y a concentration des personnes âgées qui utilisent plus de médicaments que les jeunes. Il faudra peut-être donc apporter des correctifs pour transférer une partie de ce fardeau supplémentaire à des régimes privés; ou il faudra sinon trouver une autre méthode.

Le sénateur Robertson: Vous envisagez donc, dans ce cas-ci, un mélange d'assurance publique et d'assurance privée. Pensez- vous que, dans notre régime de soins de santé, ou dans d'autres parties du système, il y ait possibilité d'avoir un mélange de financement public et privé?

M. Castonguay: C'est le régime que nous avons actuellement. En fait, environ 30 p. 100 de l'ensemble des coûts des services de santé sont financés directement par la population. Lorsqu'on examine la situation dans son ensemble et que l'on constate que le régime public n'est pas capable de répondre à l'augmentation de la demande, je crois qu'il faut envisager d'autres méthodes, et c'est pourquoi je parlais de la liberté de choisir, de la liberté d'essayer d'obtenir, en temps opportun, des services de santé en ayant recours à des entreprises du secteur privé auxquelles l'utilisateur verserait directement son argent.

Le sénateur Robertson: Je n'ai peut-être pas bien exprimé ma pensée: je comprends ce que vous dites au sujet des 30 p. 100, mais je parle plutôt des 70 p. 100. Y a-t-il plus de possibilités? Voici à quoi je veux en venir: un certain nombre d'entreprises ont à la fois des régimes public et privé. Envisagez-vous que le régime canadien aille dans ce sens au cours des quelques années à venir, plutôt que de rester là où nous en sommes maintenant?

M. Castonguay: Je l'envisage parfaitement.

Le sénateur Robertson: ... de sorte qu'il y ait plus de choix, et qu'il y ait peut-être plus de services disponibles. Pensez-vous qu'il y a possibilité d'une croissance plus marquée dans ce sens?

M. Castonguay: Dans les pays européens, il y a toute sorte de méthodes. Je ne crois pas qu'il y en ait une qui prédomine. Certaines des méthodes adoptées sont très intéressantes, mais elles ont été conçues conformément aux traditions, à la culture et à l'évolution des institutions des pays concernés. Je ne crois donc pas que nous puissions reproduire ce qu'ont fait les pays européens.

Toutefois, on peut certainement envisager pour l'avenir une plus grande intervention dans les méthodes de production, un recours accru aux services du secteur privé et un financement des soins de santé où certaines personnes cotiseraient non seulement par l'entremise de leur impôt, mais aussi volontairement, pour les soins dont elles ont besoin. Je crois que cette orientation est inévitable lorsque l'on examine la façon dont augmentent les coûts des soins de santé et les pressions qu'exercent d'autres groupes sur les gouvernements pour que la fiscalité ne dépasse pas un certain niveau. Nous sommes une économie ouverte et le fait est que, même maintenant, les gouvernements ne peuvent pas répondre à l'augmentation de la demande et à la hausse des coûts qu'exige le maintien des régimes publics. Les gouvernements n'arrivent d'ailleurs plus à surnager depuis un bon nombre d'années.

Le sénateur Robertson: Je voudrais poser une ou deux questions à Claude Forget. Il est intéressant que vous fassiez état de deux grandes préoccupations: d'une part, les soins primaires, d'autre part les hôpitaux d'enseignement universitaire, les centres d'excellence, les centres de recherche, et cetera. Je ne suis pas sûre d'avoir très bien compris, mais pensez-vous que ces centres d'enseignement et de recherche devraient être soustraits du régime et financés séparément par le gouvernement fédéral? Est-ce cela à quoi vous pensiez, peut-être?

M. Forget: Madame le sénateur, voilà une excellente question. En fait, pour être tout à fait honnête, je ne me suis pas demandé si c'est cela qu'il fallait faire ou non. Mon intention était essentiellement de dire que nous avons un nombre limité de ces centres de soins tertiaires où se concentrent les augmentations des coûts qu'entraîne la nouvelle technologie et d'autres facteurs. Nous devons trouver le moyen de les rendre plus faciles à gérer. Cela signifie-t-il pour autant qu'il faille les retirer du système général? Il faut en tout cas les retirer des soins primaires, parce que l'autre recommandation, c'est de maintenir non l'administra tion publique, mais uniquement le financement public, pour ainsi dire, au moyen d'un crédit d'impôt remboursable. Dès lors, certainement, les soins primaires ne seraient pas inclus.

Il est possible que l'on fusionne les hôpitaux de type communautaire et les établissements de soins prolongés aux hôpitaux universitaires, mais cette question n'est pas très importante. Voyez les établissements de soins prolongés, les foyers de soins infirmiers et les hôpitaux communautaires, ce n'est pas à ce niveau que se situent nos problèmes. Je crois que le statu quo sur ce plan serait tout à fait acceptable. À long terme, bon nombre de ces institutions, si nous mettons au point un mécanisme de marché interne, pourrait devenir des fournisseurs de services aux unités de soins primaires. Cependant, si on demeure réaliste, je ne crois pas que nous puissions envisager ce genre de fusion à court terme parce que, je le répète, il faut qu'il y ait un ingrédient actif dans ce mécanisme de marché interne pour que cela marche, et je ne crois pas que cela puisse se trouver à court terme, ou même à moyen terme.

Pour le reste, je dirais que le statu quo est parfait. Cela ne présente pas beaucoup de difficultés. Ce n'est pas à ce niveau qu'on accumule des grands déficits budgétaires; cela n'est pas non plus la cause des engorgements épouvantables dans les services d'urgence, et ainsi de suite. Les choses marchent raisonnablement bien, et dans un sens, je dirais «si ça marche, pourquoi jouer avec?»

Le sénateur Robertson: Mais avec vos centres de soins tertiaires, vos hôpitaux universitaires, et cetera, vous tenez peut-être là la possibilité d'obtenir des fonds fédéraux pour une partie de ces 30 et quelques unités. Le gouvernement fédéral pourrait...

M. Forget: Des fonds fédéraux?

Le sénateur Robertson: Le gouvernement fédéral pourrait ainsi dire: «Écoutez, c'est nous qui finançons cela», parce que le fédéral cherche toujours à se mettre en vedette.

M. Forget: Je sais.

Le sénateur Robertson: À juste titre.

M. Forget: Je me rends compte que je n'ai pas répondu non plus à la question du Dr Morin. De même, je me suis efforcé de me tenir à l'écart du contentieux fédéral-provincial.

Le président: Nous sommes tous ici présents sensibles à cette réalité.

M. Forget: À mon avis, ce contentieux fédéral-provincial est très épineux; cela crée de profondes divisions, et il me semble que les acteurs dans ce dossier vont un peu trop vite vu que nous devons déterminer en premier lieu dans quelle orientation nous voulons que le système de santé canadien s'engage, et de là, nous devons répartir les rôles entre les provinces et le gouvernement fédéral; et non procéder en sens inverse. Si un palier de gouvernement prétend jouer un certain rôle, l'outil devient le but. À mon avis, cela est contre-indiqué. Je pense que nous avons déjà assez de difficultés à résoudre les problèmes que présente le système de santé, que nous devrions nous tenir à l'écart de ces querelles intergouvernementales. Je ne prétends même pas avoir des réflexions bien inspirées à ce sujet.

Le président: Permettez-moi de vous dire, monsieur, que vous n'avez rien perdu de votre habilité politique dans les réponses que vous donnez.

Le sénateur Keon: Je vous dirai tout d'abord que j'ai beaucoup aimé vous entendre, et je tiens à souligner la merveilleuse contribution que vous avez tous deux apportée au domaine de la santé au fil des ans.

Je vais commencer par M. Castonguay. J'aimerais que vous me reparliez des CLSC. Toute cette question est très intéressante. Mon frère, qui était médecin de famille, exerçait dans l'ouest du Québec lorsque les CLSC ont fait leur apparition, et je me rappelle, lors d'un dîner avec lui, l'enthousiasme qu'il exprimait pour cette initiative. Il disait: «Tu sais, je consacrais près de la moitié de mon temps au travail social, et j'ai maintenant un travailleur social qui s'occupe de tout cela, et je peux pratiquer la médecine, c'est une idée vraiment extraordinaire.» Malheureuse ment, il est mort prématurément du cancer, et je n'ai pas reçu tous les renseignements que j'aurais aimé avoir au sujet de ce système.

La chose que je n'ai jamais très bien comprise, c'est la raison pour laquelle cette notion ne s'est pas propagée à l'ensemble du pays, parce que cette idée me semblait tellement merveilleuse pour l'avenir des soins primaires, et c'est une question qui se pose dans tout le pays, et nous n'avons jamais vraiment trouvé les solutions qu'il fallait. Il est vrai qu'il y avait des failles dans ce système, par exemple, au niveau de la rémunération des médecins, et cetera. Cependant, je n'arrive pas à comprendre pourquoi cette idée n'a pas pris plus d'ampleur et pourquoi elle ne s'est pas propagée à l'ensemble du pays. Pouvez-vous me dire pourquoi?

M. Castonguay: Sénateur, je peux vous dire ce que j'ai vu au Québec. Il m'est difficile de faire des observations au sujet des autres provinces parce que je ne connais pas aussi bien leur situation. Cependant, ici au Québec, certains facteurs ont contribué à l'évolution des CLSC, et à la perception qu'en ont les médecins et la population.

Tout d'abord, une bonne part de la profession médicale a réagi très négativement à cette initiative. Au départ, les médecins ne voulaient pas adhérer aux CLSC, ils ont ouvert un certain nombre de cliniques en réaction, en fait, aux CLSC. Il n'y avait pas que du mauvais là-dedans. Au contraire, la création des CLSC a obligé les médecins à s'organiser un peu mieux, en fait. Ce facteur a donc jouer.

L'autre facteur, c'était le financement. Les CLSC sont financés strictement par les fonds publics, et étant donné que ces ressources financières sont limitées, j'imagine que, très souvent, certains CLSC auraient pu créer des services qui étaient très en demande, mais ils n'obtenaient pas les fonds voulus pour le faire. Il est donc compréhensible que certaines personnes n'ont pas trouvé dans ce système une gamme de services d'une qualité satisfaisante.

La disponibilité des services a également contribué, à mon avis, à leur impopularité. Le personnel des CLSC est entièrement syndiqué, donc en règle générale, les CLSC étaient ouverts de 8 heures à 17 heures, ce genre de choses. Le soir ou pendant la fin de semaine, lorsque les gens ne travaillaient pas, lorsqu'ils auraient pu se rendre aux CLSC, ceux-ci étaient fermés. L'accessibilité aux services a donc joué un rôle important.

En outre, au début, certains responsables des CLSC jugeaient que les services sociaux ou l'action sociale étaient en fait plus importants que les services médicaux eux-mêmes, et ils ont participé à des revendications ou à des démarches sociales. À mon avis, cela a également encouragé certaines personnes, dont un certain nombre de professionnels, à se tenir à l'écart.

On se retrouve ainsi devant une combinaison de facteurs. Quels que soient ces facteurs, cependant, comme Claude Forget l'a dit, certains CLSC ont évolué et se sont mis à offrir de toute évidence des services très efficients, et je dirais qu'ils se sont concentrés sur les services sociaux et qu'ils ont connu beaucoup plus de succès au niveau de l'éducation, la prévention, certains services sociaux offerts à domicile, ce genre de chose. Cependant, le volet des services médicaux n'a pas évolué autant.

Le sénateur Keon: Monsieur Forget, j'aimerais vous entendre sur un point en particulier. Vous avez lancé une idée qu'on entend de temps à autre; c'est une idée qu'on lance mais qui ne va jamais nulle part, et il s'agit du plan fiscal pour la santé.

Dans mes discussions avec mes amis américains, s'il y a un volet du système de santé canadien où ils disent que nous réussissons beaucoup mieux qu'eux, c'est au niveau du contribu teur unique. Ils disent: «nous payons 30 p. 100 de plus pour toutes ces compagnies d'assurances, toute cette paperasserie et ces autres machins, et vous autres, vous économisez 15, peut-être même 20 p. 100, parce qu'il n'y a qu'un seul contributeur».

Franchement, je crois qu'un plan fiscal pour la santé serait une très bonne chose. Je me rappelle l'époque où les gens cotisaient à l'assurance-santé en Ontario, par exemple, et tout semblait bien aller; les cotisations augmentaient, et tout le reste. Je n'ai jamais compris pourquoi on avait mis fin à ce système et pourquoi on avait tout mis dans le même montant global.

Si nous avions un plan fiscal pour la santé, croyez-vous qu'on pourrait en faire un régime financier global pour la santé? Si oui, les responsables seraient contraints de rendre des comptes très précis qu'ils ne rendent pas maintenant; il y aurait une responsabilité financière. Je pense que le public voudrait savoir ce qu'on fait de son argent, quel pourcentage va à quoi, et ainsi de suite.

Auriez-vous l'obligeance de me parler de cela un peu? Vous avez lancé cette idée, mais vous n'êtes pas entré dans les détails. Auriez-vous l'obligeance de sortir de votre réserve et de me donner quelques détails?

M. Forget: Pardon, lorsque vous dites «plan fiscal», parlez- vous d'une taxe dont les recettes seraient affectées à la santé?

Le sénateur Keon: Une taxe sur la santé.

M. Forget: Et vous vous demandez si on rendrait moins de comptes au public ainsi?

Le sénateur Keon: Non. Au contraire, on rendrait davantage de comptes, mais j'ignore si on pourrait l'imposer partout au pays. Vous avez dit qu'il faudrait conclure une sorte d'accord fédéral-provincial, et ainsi de suite, mais si une partie de nos impôts était simplement versée dans un budget global de santé pour l'ensemble du pays, nous serions mieux à même de rendre des comptes parce que nous saurions exactement combien d'argent on met là-dedans et combien on dépense.

M. Forget: Je vois.

Le sénateur Keon: Comment est-ce que ça pourrait marcher? Comment pourrait-on imposer cela? D'où proviendraient les fonds pour la recherche? D'où proviendraient les fonds pour la recherche universitaire? D'où proviendraient les fonds pour la santé? D'où proviendraient les fonds pour ces services sociaux que mentionnait M. Castonguay tout à l'heure. C'est le genre de choses que je veux savoir.

M. Forget: Monsieur, même si ne comprends pas bien toutes les ramifications de votre question, je vous dirais essentiellement qu'il faudrait s'entendre sur une enveloppe pour tous ces coûts, et cela dépendrait strictement de la définition des services que vous voulez fournir. J'imagine cependant que c'est là une question factuelle, et qu'on peut y trouver réponse.

J'imagine aussi qu'il faudrait un accord fédéral-provincial. Cela faciliterait peut-être les rapports fédéraux provinciaux si Ottawa cessait de dire: «Nous allons donner tant d'argent aux provinces, mais nous ne savons pas exactement ce qu'elles en font» et ainsi de suite, et qu'on annonçait plutôt qu'on mettrait essentiellement de côté une partie des impôts fédéraux, et les provinces en feraient autant; ainsi, on saurait que ces fonds réservés seraient utilisés conjointement pour financer les services de santé dans toutes les provinces, et la gestion en serait confiée à un organisme établi en vertu d'une loi qui financerait tout ce qui correspond à la définition de la protection de la santé, et cet organisme devrait rendre compte de ce qu'il fait, présenter des plans à moyen terme, et ainsi de suite.

À mon avis, cela révolutionnerait la façon dont les gouverne ments provinciaux et le gouvernement fédéral s'acquittent de leurs responsabilités, mais je crois que la reddition de comptes s'en porterait mieux, la transparence aussi, et chose certaine, les gestionnaires des services de santé seraient mieux placés pour faire des prévisions. En outre, cette mesure serait globale, dans la mesure où les gestionnaires disposeraient de tous les outils qu'il leur faut pour atteindre leurs objectifs, et on pourrait les obliger de rendre compte de leur rendement et de divers objectifs variés, si on veut, et ainsi de suite.

Ce serait compliqué, mais le système actuel est déjà très compliqué. S'il fallait repartir à zéro aujourd'hui, on serait étonné des complications que nous avons surmontées. Peut-être que ce ne serait pas plus compliqué, je l'ignore, mais il me semble que ce serait faisable à condition que la volonté politique existe.

En outre, j'entrevois très peu d'inconvénients, si ce n'est bien sûr le coût de la transition. Quand il faut négocier et repenser la façon dont on gère les choses, la question des coûts est importante. Cependant, je pense que le jeu en vaudrait la chandelle si l'on mettait au point un système comme celui-là parce que non seulement il permettrait de réaliser les objectifs des gouvernements mais aussi d'assurer une meilleure gestion, d'une approche plus exhaustive, plus durable.

De toute évidence, de temps à autre, les gens vont vous dire: «avec une telle définition de la protection, il est évident que les organismes de santé ne sont pas en mesure de tout faire. Leur rendement est acceptable, et tout cela, mais de toute évidence, ils manquent de ressources». Ainsi, de temps à autre, il faudrait apporter des correctifs. Un débat aurait lieu. Ce serait un débat plus structuré que celui que nous avons maintenant avec les consultations prébudgétaires, les guerres secrètes que se livrent les ministres des Finances des diverses provinces et le ministre de la Santé. Il faudrait conclure un accord fédéral-provincial, mais la mise en oeuvre de cet accord devrait s'étaler sur un certain nombre d'années pour qu'il y ait une sorte de progression étape par étape.

Il ne faudrait pas s'éloigner du concept du payeur unique, car je ne crois pas que les Canadiens accepteraient la disparition de l'assurance publique, du moins pour les risques élevés que représentent les soins tertiaires et secondaires. Et j'ai tendance à partager ce point de vue. Toute autre formule d'assurance privée est tellement compliquée et risque de poser tellement de problèmes que je n'en vois pas l'intérêt.

Il est vrai qu'il existe peut-être des abus au niveau des soins primaires. Je veux dire que des gens consultent peut-être trop souvent le médecin pour un simple rhume alors qu'ils feraient mieux de rester chez eux et de prendre un comprimé d'aspirine. C'est possible. Je ne sais toutefois pas s'il est possible de le démontrer. Il est certain que les gens ne vont pas subir une intervention chirurgicale importante par simple caprice. Ce n'est pas toujours la meilleure décision, mais c'est ce que leur médecin leur dit de faire et ils le font. Les traumatismes et l'anxiété que cela engendre ont d'ailleurs un effet dissuasif beaucoup plus important que la coassurance ou quoi que ce soit de ce genre.

Par conséquent, je ne crois pas qu'il faudrait s'éloigner du principe du payeur unique, mais peut-être devrions-nous réorganiser les services de ce payeur unique afin que la capacité à gérer efficacement le système ne soit pas compromise, comme elle l'est actuellement.

[Français]

Le sénateur Maheu: Monsieur Forget, vous avez souvent parlé des crédits d'impôt et monsieur Castonguay a touché le sujet des CLSC. Moi, je vois les signes de dollars. Les gouvernements au pays disent qu'ils manquent de fonds pour les soins de santé. Le gouvernement fédéral dit qu'il n'a pas beaucoup de fonds si on veut payer la dette.

J'entends souvent les gens de la classe moyenne dire qu'ils n'appuieront plus d'augmentations d'impôt sans une quasi- révolution des différents paliers de gouvernement.

Est-ce que vous avez pensé aux modalités de financement de tous ces besoins additionnels, sans toucher aux payeurs de taxes de la classe moyenne? Est-ce que d'après vous, c'est une question de choix des gouvernements? J'ai déjà entendu parler du gouvernement du Nouveau-Brunswick, par exemple, à l'époque, qui n'éprouvait pas beaucoup de problèmes à financer ses soins de santé dans le temps du premier ministre McKenna. Il avait moins de problèmes que d'autres avec la santé. Est-ce parce qu'il a fait des choix différents des autres provinces? Est-ce quelque chose à vraiment envisager?

M. Forget: Oui, vous avez raison. Il y a un problème de choix, mais à deux paliers. Il y a d'abord un problème de choix quant aux mécanismes de financement. Pour avoir des chiffres ronds, disons que le Canada dépense, actuellement, 90 milliards de dollars pour la santé. Les gouvernements dépensent 90 milliards de dollars pour une population de 30 millions. J'arrondis les chiffres, à peu près, 3 000 $ de fonds publics sont dépensées par année pour chaque femme, homme, enfant de la population.

Environ 20 p. 100 de ces dépenses sont attribuables aux soins primaires. Le gouvernement peut continuer d'imposer 20 p. 100 de 3 000 $, soit 600 $ par personne et, par un mécanisme d'administration publique, de dépenser ce 600 $ par personne par ses mécanismes habituels pour financer les soins primaires.

On sait qu'il y a un poids mort de la fiscalité. Les gens qui ont étudié l'importance de la fiscalité disent que pour ce 600 $ prélevé chez les contribuables pour financer les soins primaires, 30 p. 100 plus ou moins sont perdus d'une façon ou d'une autre, soit par les coûts administratifs, soit par les coûts économiques d'une fiscalité plus élevée que si on ne prélevait pas le 600 $.

Si on passe par un mécanisme fiscal, on a des coûts significatifs. La proposition d'un choix est de dire: au lieu de taxer et de dépenser par après, laissons les gens payer une prime et la déduire de leur impôt. On réduit en quelque sorte, de cette manière, le prélèvement fiscal. On donne aux individus, même à ceux qui ne payent pas d'impôt si c'est un crédit remboursable, sans dépenser un sou de plus, je dirais même en dépensant moins, en réduisant la taille du gouvernement et de l'assiette fiscale.

Le choix du mécanisme de financement ne change pas sur le plan de la justice distributive mais permet certainement de canaliser les ressources d'une autre façon. Mais, en le faisant, il faudrait définir de façon très claire quelles dépenses seraient ouvertes au crédit d'impôt. Or la discussion qui s'amorce semble-t-il au Québec sur l'assurance médicaments, sur une assurance pour perte d'autonomie ou sur l'assurance vieillesse se heurte toujours au phénomène suivant: comment imposer un impôt additionnel à des contribuables déjà tellement taxés et qui ont déjà l'impression, à cause du flou des définitions, que les services pour lesquels on veut leur imposer une nouvelle taxe sont, d'une certaine façon, déjà couverts?

Comme on n'a jamais voulu le définir précisément. Il y a beaucoup de flou entretenu à ce sujet. On pourrait dire aujourd'hui que la perte d'autonomie des gens âgés est couverte puisque le gouvernement du Québec a des centres d'accueil, qu'il prétend avoir des services à domicile complets et suffisants, et cetera. Théoriquement, tout est couvert.

Le seul élément nouveau serait la taxe. L'absence de définition qu'entretient la situation actuelle fait en sorte que des sources de nouveaux revenus - sous forme d'une nouvelle taxe ou d'une prime d'assurance - sont politiquement impossibles à envisager. On dit: écoutez, non, c'est seulement l'aspect fiscal qui apparaît comme nouveau, ce n'est pas la couverture. On ne l'a jamais définie puisqu'on ne veut pas avouer qu'elle est insuffisante.

Il est clair qu'en procédant par un crédit d'impôt, il faudrait définir précisément la notion, autrement, on ne peut pas gérer le système. Il faudrait définir précisément. C'est la difficulté de modifier le financement. C'est pourquoi vos deux questions sont reliées. Il y a un choix du financement et de la couverture.

Comme on a toujours hésité pour des raisons politiques évidentes à être précis sur la définition de la couverture, on s'accule comme pays, politiquement, dans une situation où on est incapable de bouger sur le plan du financement. C'est le cercle vicieux qu'il faut briser.

Le sénateur Léger: C'est ma première participation aux audiences. Vous avez dit, monsieur Forget, que les jeunes en formation étaient de moins en moins intéressés à être infirmières ou médecins en raison du fait qu'on met l'accent sur l'entre preneurship plutôt que sur l'être humain.

Je comprends qu'on a besoin d'avoir des réponses à court terme. Tout le monde vieillit vite. À long terme, dans nos discussions, on pourrait mettre l'accent sur le fait que l'entre preneurship est là parce qu'on doit soigner des êtres humains. Il faut des taxes. Quand on parle aux gens ordinaires, le facteur humain doit primer.

C'est comme si autrefois le facteur humain primait et que l'on ne faisait pas assez d'entrepreneurship. On a mis l'emphase sur l'entrepreneurship, maintenant on ne parle plus de l'autre. Pourrait-on revenir rien qu'à l'humain? Non, c'est fini, c'est tout.

M. Forget: Oui, pour une première intervention, c'est très bien puisque l'accent est placé au bon endroit. Vous avez tout à fait raison. Je crois que nos discussions sur la santé sont trop défaitistes sur l'aspect humain et, au contraire, donne à la perspective financière une importance trop grande.Ce problème est important.

L'exemple de l'Allemagne et de la France qui souffrent certainement de taux d'imposition élevés est très intéressant. Ils font un effort plus grand que le Canada et que plusieurs autres pays pour la santé. Mais il n'y a pas de problème d'attente en France et en Allemagne. Et, s'il y en a, il est minime par rapport à ce que nous connaissons.

Est-ce que les Canadiens sont prêts à faire un sacrifice financier de façon significativement plus élevée qu'aujourd'hui? Il ne faut pas escamoter cette question et vous avez tout à fait raison. Est-ce la perspective financière ou la perspective humaine et sociale qui doit prédominer?

On est un peu trop tenté d'écouter les ministres des Finances de tous les gouvernements depuis un certain nombre d'années et de ne pas écouter suffisamment les préoccupations de la population. Je crois que s'il faut maintenir un niveau élevé de taxation, les Canadiens sont prêts à le tolérer.Ils veulent cependant que ce soit bien fait, que la gestion soit bonne, et caetera, sans aucun doute.

Fondamentalement, vous avez raison, ce débat ne peut pas être ignoré. Si les Canadiens veulent tout conserver et avoir encore mieux, ils vont devoir accepter de payer plus.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie. Ce que vous dites me rappelle que tous les gouvernements ont parlé, ces dernières années, de réduire les dépenses de santé, mais jamais de rationner les soins. Bien entendu, le deuxième est la conséquence directe du premier, mais il n'est pas possible, sur le plan politique, de parler de rationner les soins de santé, car personne ne serait d'accord. Par contre, les réductions d'impôt obtiendraient énormément d'appui.

Dans nos rapports futurs, nous devrons certainement souligner qu'on ne peut pas éviter de relier les deux, précisément pour la raison que vous avez mentionnée. Si quelqu'un effectuait un sondage d'opinion non pas sur la réduction des impôts, mais sur la réduction des dépenses pour la santé, je suis certain que les résultats seraient entièrement différents.

Je voudrais vous remercier tous les deux d'être venus. C'est un véritable privilège pour nous que vous ayez bien voulu venir ce matin nous faire part de vos opinions et prendre la peine de préparer ces documents. Je vous en remercie infiniment.

Je dois dire à nos témoins que nous sommes en retard sur notre horaire, mais c'est inévitable lorsqu'on reçoit deux experts possédant une telle expérience.

Sénateurs, nous avons reçu le mémoire des deux prochains témoins. Nous leur avons demandé de ne pas nous lire leur texte, car nous sommes parfaitement capables de le faire nous-mêmes. Nous vous demanderons plutôt d'en mettre en lumière les principaux éléments car, comme vous pouvez le voir - et j'ai remarqué que vous étiez là tous les deux pour l'audition des témoins précédents - nous préférons poser des questions et entendre les réponses que de nous faire lire un texte.

Je vais donc demander au Dr Serge Boucher, de l'Hôtel-Dieu, de Québec de bien vouloir commencer, après quoi nous entendrons le professeur Contandriopoulos.

[Français]

Dr Serge Boucher, Hôpital Hôtel-Dieu de Québec: Je tiens à vous remercier de m'avoir invité. Je constate que je suis leseul médecin clinicien actif représentant toute une classe de travailleurs de la santé. Il me fait plaisir de vous présenter les grandes lignes du document que je vous ai fait parvenir. Je vais le lire en français, si vous le permettez, pour en souligner les principaux points. Après avoir lu votre document qui, je dois dire, est très bien fait, très bien étoffé, je tenais à souligner certains points qui m'apparaissent particulièrement importants.

D'une façon générale, quand on regarde le système de santé au Québec ou au Canada, il m'est plus difficile de parler des autres provinces parce que je le connais moins. J'ai travaillé en Ontario, mais je vis au Québec de sorte qu'il est difficile de connaître bien les systèmes.

Fondamentalement, les gens désirent avoir accès au système au coût le moins élevé possible. Or, depuis quelques années, ce n'est pas ce qui semble se passer. Il y a une certaine détérioration. C'est d'ailleurs, sans doute, la raison pour laquelle vous avez un comité qui siège pour essayer de trouver des solutions à ce problème.

Allons directement au sujet. Si on regarde la question d'allocation des ressources, deux approches ont été proposées pour améliorer l'efficacité du système. Là-dessus, je vous répondrai un peu comme il a été déjà mentionné: où en serions-nous si tous les généraux avaient été efficaces?

On doit s'assurer d'une chose, on doit continuer à maintenir un système efficace. Présentement, malgré tout ce que les experts ont pu essayer de faire pour améliorer le système, on n'a pas noté une efficacité aussi significative qu'on le voudrait.

Je favoriserais nettement la deuxième solution, à savoir l'ajout de fonds qui ne proviendraient pas de l'État mais plutôt de l'individu, tout en sachant très bien que même si les fonds proviennent de l'État, ces fonds viennent de l'individu. Ce serait plus la deuxième approche que je favoriserais.

À la première ligne, pour les modifications, j'ai beaucoup de réticences et d'inquiétudes concernant certains éléments. Grossiè rement, il y a deux éléments. On a fait référence, il y a peu de temps, aux CLSC, que l'on nomme aux États-Unis Neighbour hood Health Centers. Au Québec, on a dit que c'était une nouveauté quand ce fut instauré.

Aux États-Unis, je vous rappellerai qu'en 1930, il y en avait 1 100 qui existaient déjà. Ce n'est pas une nouveauté et cela répondait à un besoin bien particulier. Je ne reviendrai pas là-dessus sauf si on me pose des questions particulières. Je voudrais mentionner simplement qu'à l'intérieur des équipes qu'on veut constituer pour régler les problèmes de consultation auxquels la population est confrontée, vous n'avez pas nécessaire ment besoin d'une équipe pour répondre à ceux-ci.

Si vous avez une conjonctivite, un rhume, une infection respiratoire ou autre, vous n'avez pas besoin d'une équipe complète avec travailleur social, psychologue, et cetera. C'est ce qu'on retrouve dans une structure comme le CLSC, dans bon nombre de cas. Il est très difficile d'avoir accès au médecin, on l'a mentionné un peu plus tôt.

À l'intérieur de ces équipes, on constate aussi que des modifications s'installent. Les médecins et les infirmières sont de plus en plus difficiles à rejoindre. De sorte que vous avez une situation où vous vous retrouvez avec des gens qui ont été éliminés du système. Les infirmières auxiliaires, les préposés et beaucoup de gens qui offraient d'excellents services ont été mis de côté. Encore une fois, j'y fais référence dans le document que je vous ai fourni. Quand quelqu'un a des problèmes de paralysie, de séquelles de paralysie et qu'il doit manger, je ne pense pas qu'une personne ait besoin d'avoir suivi un cours de cinq ans pour l'aider. On doit s'assurer d'une chose: actuellement, toutes les professions dans le domaine de la santé tentent d'améliorer l'excellence des connaissances. C'est un but louable. Il faut voir, par contre, ce que la population désire et ce dont la population a besoin, à savoir, en particulier, des soins de base.

Actuellement, il y a manque flagrant à ce palier. Ajoutons à ceci que l'élément économique est très important. Encore une fois, je ne tiens pas à dire que l'excellence ne doit pas être favorisée, mais elle entraîne des coûts.

Pour une personne qui a de la difficulté à se déplacer, qui a de la difficulté à manger à cause de séquelles de paralysie, à cause de son âge, recevoir des soins de quelqu'un qui a un doctorat, c'est très intéressant. Si elle peut avoir quelqu'un qui va l'aider à marcher, cela sera amplement suffisant. Souvent ces gens se sentent beaucoup plus heureux de faire ce travail parce qu'ils y sont préparés et ils l'ont à coeur.

Le sénateur Léger s'interrogeait sur cet aspect humain. En général, j'ai pu constater dans le passé et je le constate tous les jours puisque je suis un médecin clinicien pratiquant que ce sont souvent ces gens qui sont les plus près des malades. Donc, on pourra y revenir si vous le désirez.

Maintenant en ce qui a trait à la question de la provenance des ressources, on parle de ticket modérateur. J'ai des réserves à ce sujet en ce sens que le ticket modérateur entraîne des coûts d'administration et peut toucher une population particulière. J'ajouterai que si jamais on adoptait cette politique des frais modérateurs, ils devraient se limiter strictement aux soins de première ligne.

On peut envisager, en deuxième lieu, des ressources parallèles. On peut parler d'un hôpital privé ou de structures modernes. J'entends par là résonance magnétique ou autres soins accessibles à la population. Quand vous regardez dans un systèmedémocratique, la démocratie implique le libre choix.

Les Américains, quand ils ont établi leur Constitution, ont tenu à maintenir la démocratie comme étant une protection du citoyen contre l'État ou face à l'État si vous préférez. C'est peut-être moins agressif.

Les gens ont-ils un libre choix? Est-ce qu'ils peuvent être traités dans un délai raisonnable? Est-ce qu'ils peuvent avoir accès au système? Je ne crois pas. Cela ne s'améliorera pas dans les années à venir à moins qu'on apporte des modifications au système. On doit donner un libre choix aux gens.

On peut parler, en troisième lieu, de l'utilisation du système des HMO tels qu'on les retrouve aux États-Unis. Comme on dit, au Canada, on retrouve dix HMO, chaque province a son système. Alors, c'est une autre façon de voir cette approche.

Il y a une multitude d'approches. Je n'ose pas utiliser le mot assurance parce qu'à partir du moment où vous venez au monde au Canada, vous ne cessez d'être assuré. Vous avez une assurance-hospitalisation, une assurance santé, une assurance accident, une assurance-chômage. On parle maintenantd'assurance vieillesse. Il est très difficile de ne pas être assuré et de vivre au Canada. C'est heureux, mais il y a une limite à ce genre de choses.

L'autre élément serait d'avoir, par exemple, une assurance santé. Dans mon document, je référais plutôt à l'élément maladie. On a peut-être mentionné ce sujet auparavant ou on le fera selon les témoins que vous entendrez.On pourrait avoir un fonds dans lequel les gens pourraient investir, placer leur argent et puiser à même ce fonds, toujours en tenant compte de soins de première ligne et en gardant en réserve ce qu'on peut appeler un élément de catastrophe. Si vous êtes hospitalisé et que vous avez 2 000 $ dans votre fonds, qu'il provienne de vous-même ou de l'État, il pourrait être utilisé pour les soins de première ligne.

Si j'appelle mon comptable ou mon avocat, je suis tout à fait conscient que je vais recevoir un compte le lundi matin, la semaine suivante ou dans un délai très court, habituellement trop court.

Si la personne réussit à ne pas toucher à son fonds de réserve, il recevrait des intérêts, comme cela a été mentionné par quelqu'un qui va faire un exposé je crois cet après-midi, et il pourrait le replacer dans son fonds de retraite.

Comme on le sait bien, au Canada, on accuse un retard important en ce qui a trait aux régimes enregistrés d'épargne retraite, comparativement à certains pays tels le Danemark, l'Angleterre ou les États-Unis; ceci nous crée des inquiétudes importantes sur ce qui va survenir dans les années futures quand les gens vont prendre leur retraite en même temps.

En terminant, un des gros problèmes auquel tous semblent faire face sans vraiment le réaliser, c'est que l'on parle d'assurance santé. Je parlerais plutôt d'assurance maladie. Initialement, si vous vous rappelez, on a parlé d'assurance maladie. Maintenant on fait état de la santé. Je suis responsable de ma santé. Par exemple, étant pneumologue et sportif, je n'ai pas intérêt à fumer, je n'ai jamais eu envie de fumer. Je n'ai pas de mérite, si vous voulez.

La santé relève de l'individu. C'est lui qui décide s'il est obèse. C'est lui qui décide s'il fume. C'est lui aussi qui décide s'il doit faire de l'exercice. Est-ce que l'État doit intervenir? Est-ce que l'État doit forcer l'individu? Il est très important de bien cibler ce que l'État doit faire ou peut faire, à savoir s'occuper d'abord de la maladie. Quant à la santé, on peut donner de l'information. On doit très bien cibler l'objectif poursuivi par l'État et par le système qu'on a mis en place.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie pour cette déclaration liminaire très intéressante. J'ajouterais que je vois énormément de similarité entre certaines de vos idées et certaines de celles dont Claude Forget nous a fait part tout à l'heure. Il a parlé de crédits d'impôt remboursables tandis que vous choisissez une autre voie, mais l'objectif est le même.

Monsieur Contandriopoulos?

[Français]

M. André-Pierre Contandriopoulos, professeur, Université de Montréal, Faculté de médecine, Administration de la santé: Monsieur le président, je suis professeur et chercheur à l'Université de Montréal, je suis économiste de formation et je travaille quasi exclusivement en recherche et en formation dans le domaine de la santé depuis à peu près une trentaine d'années. J'ai participé à différents travaux, y compris en tant que membre du forum national sur la santé.

Je ne veux pas lire mon mémoire. Je vais vous laisser, en quelque sorte essayer de replacer, comme vous le faites, les raisons pour lesquelles la transformation de notre système de soins est indispensable. On est, au Canada, dans une espèce de situation difficile. On a le choix de faire ce qu'il faut collectivement pour redevenir un système qui est admiré dans le monde entier dans sa capacité à tenir compte de l'humain, à réagir aux besoins des gens d'une façon universelle, adéquate ou de laisser notre système dériver dans la direction vers laquelle nous attirent nos voisins du Sud. Ce serait un système dit «assuranciel», comme celui de nos voisins du Sud.

Le Canada est à la croisée des chemins; si on laisse les choses aller, dans dix ans, les lois qui protègent les Canadiens de l'introduction d'un régime privé dans le système n'existeront plus. Elles n'auront plus d'appui. Sinon le système sera transformé.

Ce qui me semble intéressant dans notre rapport sont les enjeux de la transformation. Vous trouverez dans ce document des idées autour de cette question. La première idée qui me semble assez fondamentale est que la santé n'est pas une organisation comme une autre. Les systèmes de soins dans tous les pays développés du monde occidental ont été mis en place à partir des années 1940-1950. Ces institutions correspondent aux valeurs des sociétés dans lesquelles elles sont mises en place.

Dans le monde occidental un espèce d'accord est intervenu pour, comme disait le sénateur Léger, rencontrer cette exigence du lendemain de la Deuxième Guerre mondiale de protéger la personne humaine dans toutes ses dimensions. On a investi collectivement dans la santé, dans l'éducation, dans la protection sociale. Nos systèmes de soins représentent la façon par laquelle nous avons organisé cette préoccupation envers chacun d'entre nous.

Au tout début de votre résumé vous dites que nous avons à avoir une approche objective. Je ne peux pas être plus d'accord. Quand vous mentionnez aussi une même idéologie, je ne suis plus d'accord. On est forcément idéologique quand on parle du système de santé. Il n'est pas question de parler du système de santé sans faire appel à des valeurs très fondamentales: l'équité, la liberté, l'efficience. On est en plein dans le champ des valeurs. Soutenir que l'on est non idéologique est peut-être la plus grave des affirmations de notre idéologie. Cela veut dire que l'on est idéologique sans le dire aux autres. Donc on ne peut plus être objectif. Être objectif dans le domaine, c'est révéler nos idéologies pour qu'on puisse en parler.

Il est important de mentionner que toutes les décisions techniques que nous allons prendre - les modalités de paiement, la provenance des fonds, et cetera - disent quelque chose sur les valeurs que l'on veut promouvoir.

On est bien dans l'ordre des valeurs, dans l'ordre de l'éthique. Il n'y a pas de réforme sans réflexion sur l'éthique. Il n'y a pas de mécanisme d'allocation des ressources sans conséquence sur le plan des valeurs et du respect de l'ensemble des valeurs. Cela pourrait susciter des discussions intéressantes.

Il me semble intéressant de noter que les systèmes de soins sont des institutions collectives extrêmement complexes qui ne sont pas régulées autour d'une seule logique. Quatre logiques interagissent en permanence et justifient les décisions prises dans le système de soins.

Ces quatre logiques sont bien entendu la logique professionnel le. Quand un patient rencontre le docteur Boucher, il est évident que le docteur Boucher va réagir avec son patient. Avec une logique professionnelle, il va tenter d'ajuster le mieux possible ses connaissances à la situation biologique, sociale et psychologique particulière de son patient.

Ce travail d'ajustement particulier de nos connaissances et de nos ressources aux problèmes de chaque personne ne peut pas être régi par les marchés, par la régulation technocratique, par le vote des processus démocratiques.

Par ailleurs, une autre logique joue dans le système de soins. MM. Forget et Castonguay vous ont parlé abondamment de la logique technocratique.Le système de soins est technocratique. Cette énorme bureaucratie sera terriblement rigide. Labureaucratie naturellement a tendance à vouloir empiéter dans les domaines où elle n'est pas bonne. Donc la bureaucratie va tenter d'empiéter sur la clinique et venir tenter d'empiéter dans le champ de la logique professionnelle.

Une troisième logique est excessivement puissante. On en a beaucoup parlé, vous allez en entendre parler tout à l'heure, c'est la logique marchande. Nous sommes dans un monde où la mondialisation domine. On a l'impression que la régulation marchande est celle qui est porteuse d'amélioration de la productivité. Donc on est tout le temps soumis à une pression pour introduire plus de logique marchande dans les décisions, de façon à ce qu'automatiquement, sans qu'on ait besoin de trop y réfléchir, des ajustements pertinents soient mis en place.

La logique marchande est extraordinaire parce qu'on pense qu'on n'a plus besoin de réfléchir. Il suffit de laisser jouer la main invisible du marché et tout va aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Dans le domaine de la santé, la préoccupation citoyenne dont vous parliez tout à l'heure est très forte. Elle nous concerne nous, individus, nous, en tant que membres de famille par rapport à nos enfants, à nos parents. La santé est quelque chose qui nous concerne à tel point que l'on ne peut pas ne pas la réguler par une logique démocratique. Cela nous préoccupe.

La démocratie, on est bien d'accord, ne signifie pas simplement qu'il faut voter. La démocratie, c'est avant tout ce que vous dites, ce qui résulte d'un débat public. La démocratie c'est pouvoir participer, discuter, débattre et ensuite voter quand c'estnécessaire. Le vote n'est certainement pas l'élément structurant de la démocratie.

Ces quatre logiques coexistent dans tout le système de soins. Ce qui est important aujourd'hui et on le voit partout dans les réformes aujourd'hui: l'enjeu des réformes est d'arriver à redéfinir les frontières dans lesquelles une des logiques est dominante par rapport aux autres. Il va falloir qu'on protège la clinique de l'intrusion de la bureaucratie. Il y a des décisions bureaucratiques qui ne doivent pas être gérées par le marché. Il y a des décisions qui peuvent être améliorées par les fonctionnements du marché. Il y a une logique démocratique de débats, de controverses et de participation qu'il faut réintroduire dans le système.

La réforme aura lieu si on arrive à redéfinir ces espaces dans lesquels les différentes logiques vont jouer. C'est un exercice excessivement compliqué, difficile, lourd, vous en avez parlé. J'aurais pu aborder et discuter en détail de ce sujet. Pourquoi est-ce si difficile? Qu'est-ce que l'on sait sur le changement dans les grandes organisations collectives?

Le changement ne se fait pas en claquant des doigts, le changement est en soi un processus social complexe. Le changement est un processus extraordinairement complexe. Quand on veut changer, il faut qu'on soit obligé, cela ne sera jamais par plaisir. Il est difficile de changer.On a des habitudes et on veut pas les changer.

Je pense que dans le domaine de la santé aujourd'hui, on réalise tous qu'on est obligé. Les sondages au sein de la population nous le disent. Le sondage qui a été fait il y a exactement un an auprès de 5 000 personnes au Québec est intéressant. Les citoyens devaient répondre à cinq questions: certains services gratuits devraient-il être payés par les usagers? Non, répondaient-ils au Québec, à 70 p. 100. Devrait-on augmenter les impôts pour mettre plus d'argent dans le système de santé? La réponse a été un non, à 81 p. 100. Les Québécois ne veulent pas payer plus d'impôt. Les personnes qui ont reçu des soins au cours des six derniers mois sont-elles satisfaites? Oui, à 85 p. 100, curieusement, malgré tout ce que l'on entend dans les journaux. La qualité future des services de santé va-t-elle s'améliorer? Non, à 80 p. 100. Les gens ont peur.

On est bien à un moment très particulier où la population dit aux politiciens ses attentes: écoutez, on a peur pour demain. On insiste: on a peur pour demain parce que le système ne va pas dans la bonne direction. On s'était construit collectivement une image de ce qu'était un système de soins responsable, universel au Canada. Actuellement, on a l'impression qu'il dérive dans quelque chose qui ne correspond pas à ce qu'on attend. On a maintenant peur de toutes ces combines, un petit peu de crédits d'impôt, payer un peu plus, petites assurances, des choses pas claires. Autant avoir un système clair. On a peur.

Si on a peur, comment changer? Il est tout à fait intéressant de noter dans votre rapport que l'ambiguïté soit le changement. Vous dites dans le rapport:

On ne peut pas faire confiance à ceux qui pensent qu'on peut réformer de l'intérieur le système de santé parce que c'est trop difficile à changer.

Mais en même temps, on postule qu'un intensification du marché entraînera des changements que la bureaucratie n'est pas capable de faire. Il y a quelque chose à discuter sur le changement.

Le sénateur Morin: Monsieur le président, j'ai des questions à poser au docteur Serge Boucher. C'est vous qui vivez vraiment avec les listes d'attentes et qui avez les réactions des patients. Les patients attendent qu'on obtienne les résultats des biopsies, les investigations en imagerie médicale, un rendez-vous avec le spécialiste approprié, la disponibilité d'une salle d'opération et ainsi de suite. C'est vraiment une situation que les patients vivent. Au-delà des chiffres et des attentes, il faut penser à l'angoisse des patients qui attendent le rapport d'une biopsie, pas seulement du point de vue du coût, au point de vue du résultat mais au point de vue de la santé. C'est vraiment une situation avec laquelle les patients vivent. J'aimerais connaître quelles solutions, quels sont les éléments de solutions qu'on peut apporter aux listes d'attentes.

Dr Boucher: Vous comprenez bien qu'il m'est difficile de vous dire que j'ai une solution miracle. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles vous êtes ici. Vous voulez trouver des solutions. Ayant identifié le problème, je pense que déjà c'est une chose. Le professeur Contandriopoulos mentionnait que l'on doit protéger les cliniciens face à une technocratie qui s'alourdit. Si on regarde un clinicien qui a à coeur son travail, habituellement quand il est consulté, quand on lui demande comment le système devrait fonctionner, il est en mesure de vous donner des réponses adéquates.

Actuellement on ne les consulte pas, on ne les invite pas. Je voudrais remercier le docteur Morin qui m'a invité au comité. Il n'est pas habituel d'être invité à faire partie de ces organismes qui décident.

Quand on regarde l'accessibilité, par exemple, présentement au Québec on discute beaucoup du «pet scan». On sait qu'il doit exister. Que constate-t-on? Une multiplication de comités, de rapports, diront s'il est approprié, quand il le sera et où il doit. La construction commence par après.

Au moment où il entre en fonction, cette technologie est déjà dépassée. À partir du moment où c'est bien identifié, par exemple on parlait d'imagerie médicale, je pourrais faire toute la démarche. Je parle du patient par rapport à tout ce qui suit, jusqu'au traitement.

Ce traitement est reconnu partout présentement. On est obligé d'envoyer les gens de Québec à Sherbrooke pour subir leur examen. Ils sont sur une longue liste d'attente. Sinon on est obligé de les soumettre à des chirurgies, inutiles dans un certain nombre de cas, pour porter un diagnostic.

J'aimerais mieux ne pas trop élaborer sur les solutions, parce que je ne veux pas étirer le débat. Il y a clairement des solutions qui doivent être envisagées et les solutions ne se retrouvent pas dans une planification et une technocratie plus lourdes. Je pense qu'elles passent par l'inverse. Elles se retrouvent dans un choix que les malades pourraient faire.

Je pense qu'il y a un problème évident quand on est obligé de dire aux malades qu'ils doivent consulter aux États-Unis.

Je suis dans la pratique courante. Je reviens là-dessus; un ami me disait qu'il n'était pas capable de vivre avec un diagnostic qu'on pouvait porter. On lui avait dit que le «pet scan» était disponible au Mont Sinaï. Il est allé. On lui avait dit que cela lui coûterait 650 $. Une heure et demie après, on lui a donné le résultat; il était heureux, il est retourné chez lui. Ce traitement n'a rien coûté au système.

Aujourd'hui, que dit-on aux citoyens? Écoutez, non, attendez, vous avez une liste d'attente et attendez, non seulement pour subir les examens mais attendez également pour être traités. On les encourage à aller se faire bronzer dans le Sud et à dépenser leur argent à cet endroit. Pour ce qui est de leurs soins, auxquels ils ont droit et auxquels ils tiennent, ils n'ont pas le droit de les avoir.

Je pense que dans une démocratie, c'est un droit fondamental. Oui, je comprends que la santé est une chose particulière, comme le mentionnait le professeur tout à l'heure.Le citoyen a le libre choix. Présentement, si vous me dites que quelqu'un a un libre choix face au système de santé, je vous dirai que non, ce n'est pas vrai.

Le sénateur Morin:Vous voyez, ce n'est pas sans raison que j'ai invité le docteur Boucher que je connaissais. Je savais qu'il avait des idées précises sur notre système de soins.

Le professeur Contandriopoulos, vous le savez, est sûrement la personne qui a le plus contribué au plan académique à l'étude du système de distribution de soins au Québec. Il a été de toutes les études, il a été aux forums sur la santé, il est très articulé. Je voudrais reconnaître le mérite de ses interventions et de ses études au cours des années; il a fait beaucoup pour transformer le système de soins au Canada.

Monsieur Contandriopoulos je vais lire avec beaucoup d'inté rêt votre rapport. Je voudrais aborder la question du système décentralisé par rapport à la réforme du système des soins de première ligne. Ce sont deux choses différentes. Je voudrais simplement, comme hypothèse, dire que ce qu'on propose en général et ce que vous proposez comme système décentralisé. La régionalisation effectivement n'est pas une décentralisation des soins.

La régionalisation conduit, je pense, à une bureaucratisation excessive du contrôle des systèmes de santé. Elle conduit à la fusion des établissements et des services. Il y a des endroits où cela fonctionne particulièrement bien au Canada, à Edmonton, à Calgary. Les gens d'Edmonton nous en donnaient une description qui me semblait paradoxale: ils mentionnaient l'avantage d'être assis cinq ou six autour de la table, le directeur de l'hôpital, le directeur des soins à domicile, le directeur de ceci, le directeur de cela et cinq ou six bureaucrates pour facilement établir les programmes, distribuer les fonds.Ils disaient que tout ceci se faisait dans l'harmonie la plus complète.

Et on nous décrivait cela comme un modèle d'efficacité. Cela me répugnait un peu parce que je me disais: où sont les véritables acteurs là-dedans? Une décentralisation permettrait de remettre les pouvoirs de dépenser, les pouvoirs d'établir les programmes à des équipes de première main. Et c'est de là que vient un peu cette notion de marché interne. On le voit en Angleterre, en Suède. Il établit une saine compétition et - au lieu de concentration, de fusion, de programmation centrale, de type marxiste-léniniste - une décentralisation avec les véritables acteurs qui sontresponsables. Ceci se fait maintenant an Angleterre, en Suède, et on me dit que la France est en train de considérer ce projet.

M. Contandriopoulos: Votre question est très intéressante et au coeur du sujet. D'abord, remarquez qu'en Angleterre, en France et en Suède, les systèmes ne sont pas des systèmes de marché interne. Ce sont fondamentalement des systèmes régiona lisés. En Angleterre, des instances, des autorités de district ont la responsabilité d'offrir les soins à toute la population, sur un territoire donné, et ainsi de suite, c'est un peu un détail.

Il me semble intéressant, moins dans le détail des comparai sons, d'essayer de réfléchir sur ce qu'on a en tête. Vous dites, d'une part, qu'on est tous d'accord et le docteur Boucher le disait aussi, pour dire qu'aujourd'hui les soins sont fragmentés. Les gens ne savent pas où se guider, ils arrivent quelque part, ils n'ont pas de réponse, ils vont ailleurs. La personne qui est obligée d'aller aux États-Unis pour subir un test qui la soulagerait de son inquiétude, si elle a les moyens de le faire, va le faire privément. Ce n'est pas trop grave, elle a la réponse. Si quelqu'un ne va pas le faire, cette personne va curieusement coûter très cher au système parce que pour se rassurer, elle va circuler dans le système, avec de plus en plus de frustration. Il n'est pas vrai que c'est gratuit. Cela coûte cher. Il y aurait des économies à rendre accessibles les services plutôt que privatiser les soins pour que ceux qui paient y aient accès. Si on avait un système qui réagissait à ces besoins, on aurait quelque chose de meilleur.

Au coeur de la solution, il y a - c'est quelque chose d'extrêmement difficile à faire - la double responsabilité de recréer la confiance dans la clinique. Il faut que, à la fois les médecins arrivent à se sentir suffisamment autonomes dans leurs champs de pratique pour pouvoir travailler à leur aise et en même temps que les patients aient envers un médecin ou une équipe, une confiance suffisante pour faire confiance à ce qu'on lui suggère.

Le pire actuellement est l'absence de confiance; desinformations variables sont données par deux ou trois médecins. Au coeur de la discussion, on a le mot à la mode, l'intégration. Comment va-t-on donner du sens, va-t-on organiser lacoordination entre les choses?

Il est important de bien comprendre que le conceptd'intégration ne se décline pas sur une seule dimension; quand on parle d'intégration, premièrement on ne fait pas l'intégration pas pour des questions administratives, d'économie, d'échec qui a jamais été démontré, ni pour n'importe quoi. On fait de l'intégration pour améliorer la globalité, la cohérence de la prise en charge.

On intègre pour que les soins soient meilleurs. Il y a des tables de concertation. Il est évident qu'il serait important qu'on ait les docteurs et qu'on ait les patients. Il y a l'intégration clinique. Pour que l'intégration clinique fonctionne, il n'y aura jamais d'intégration clinique s'il n'y a pas une forme d'intégration. Dans ces équipes médicales, ces équipes cliniques, les médecins jouent un rôle. Si le médecin ne fait pas partie du projet d'intégration, il n'y aura pas d'intégration.

En Angleterre, en Suède, le médecin est au centre de ces projets. C'est lui qui est le chef d'orchestre, d'équipe. Il est composé de ce médecin, d'autres médecins et ainsi de suite. Le médecin pour faire cela a besoin d'être rassuré. On sait tous qu'on ne peut pas consacrer tout notre temps à faire à la fois de la clinique, travailler avec des collègues, gérer l'activité, engager des gestionnaires et ainsi de suite. Il va falloir qu'une bureaucratisa tion soit créée, que l'on délègue les tâches à d'autres qui sont meilleurs pour le faire. Il faut une aide, ce qu'on appelle parfois une intégration fonctionnelle. Il faut qu'il y ait de l'autorité, il faut qu'il y ait de l'argent, il faut qu'il y ait de l'information suffisante pour pouvoir gérer les choses.

Et tout cela tient ensemble. Quand on s'est mis d'accord au fond sur une définition des bons soins, sur ce qu'on a, un mot, une espèce de dimension normative, il faut qu'on soit d'accord sur ce qu'on veut faire. Si on n'est pas d'accord sur ce rôle, cela ne marche pas. Il faut avoir une espèce de projet clinique auquel on peut se raccrocher.

On devrait voir s'organiser, en première ligne, ces groupes de personnes en ville ou à la campagne. On ne parle pas de la régie régionale, on parle donc d'une organisation régionale de soins, dans laquelle les professionnels ont un rôle important. On le fait pour améliorer les soins.

Toutes les études nous disent aujourd'hui, d'une façon excessivement forte que cette organisation de première ligne ne doit pas être déconnectée de la deuxième ou de la troisième ligne. Sinon le résultat en est ce qui s'est passé en Angleterre. La première ligne, dès que c'est un cas un peu compliqué, envoie le patient à l'hôpital, l'hôpital de nouveau s'engorge et de nouveau, on voit une file d'attente à l'hôpital.

Il faut donc qu'il y ait des articulations, des répercussions financières et professionnelles et ainsi de suite, entre les lignes de soins pour qu'on n'ait pas des déversements d'une ligne à l'autre qui se mettent en place.

Et cela nous ramène à dire qu'il y a la première ligne organisée sur un local, type CLSC, en termes d'espace géographique. Il y en a une seconde ailleurs et une troisième sur d'autres espaces. Il faut que tout cela se tienne ensemble d'une façon cohérente. C'est le projet d'intégration. C'est ce qu'on appelle un système décentralisé, à plusieurs paliers de responsabilité, selon les types de soins dont on a besoin.

[Traduction]

Le sénateur Robertson: Docteur Boucher, j'ai une question dans la même veine que celle du sénateur Morin. Je vous remercie d'avoir été aussi direct.

Vous avez mentionné deux facteurs que je voudrais relier aux délais d'attente trop longs qui causent tellement de problèmes. À cela s'ajoute sans doute aussi, je suppose, la pénurie de médecins et d'infirmières. Et il y a toutes sortes de facteurs qui causent cet engorgement.

Vous avez parlé d'améliorer l'efficacité et d'un financement supplémentaire de la part des citoyens. Vous attendez-vous à ce que le contribuable, l'usager, paie davantage d'impôts au gouvernement afin que ce dernier obtienne ainsi des fonds supplémentaires ou le patient devrait-il payer directement cet argent au régime de santé?

Le Dr Boucher: Non, je ne m'attends pas à ce que les gens envoient de l'argent au gouvernement, car les impôts représentent l'argent des citoyens.

Le sénateur Robertson: Oui.

Le Dr Boucher: Cet argent pourrait venir du gouvernement fédéral ou provincial, peu m'importe, mais il sortira quand même de la poche des citoyens.

En deuxième lieu, je dirais que nous ne faisons pas un très un bon usage des connaissances de tous ces professionnels de la santé. Comme on le fait à la clinique Mayo, par exemple, qui est toujours une entreprise lucrative, il faut veiller à tirer parti au maximum des compétences de chacun. On doit veiller à ce qu'un médecin, comme moi, par exemple n'ait pas à attendre une heure pour obtenir une radiographie parce que le préposé n'est pas disponible.

Étant donné la situation dans le domaine de la santé un peu partout dans le pays où il y a une pénurie de médecins, d'infirmières et d'autres professionnels de la santé, nous devons veiller à ce que chaque minute que ces personnes passent au travail soit utilisée le mieux possible. C'est une chose qui serait très utile. Si vous pouvez le faire, vous pouvez économiser beaucoup d'argent.

Le sénateur Robertson: Envisagez-vous vraiment des systè mes parallèles?

Le Dr Boucher: Je ne parlerais pas de système «parallèle», parce que les parallèles ne se rencontrent jamais, n'est-ce pas?

Le sénateur Robertson: Vous avez raison.

Le Dr Boucher: J'envisage une sorte de structure de soutien. Je ne sais pas comment l'appeler, mais comme je l'ai dit, un système parallèle ne peut pas rencontrer l'autre.

Le sénateur Robertson: En effet.

Le Dr Boucher: Je veux faire en sorte qu'il y ait une certaine coordination entre les structures.

Le sénateur Robertson: Par conséquent, si vous prenez les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé, y en a-t-il certains que vous changeriez pour permettre une plus grande diversité?

Le Dr Boucher: Je pense que oui. Comme je l'ai mentionné au départ, je crois qu'un citoyen devrait avoir le choix, dans une démocratie, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle. Nous pouvons parler d'équité, comme le professeur l'a mentionnée tout à l'heure, mais l'équité exige que vous puissiez vous faire soigner.

Le sénateur Robertson: Oui. Merci. Professeur, avez-vous quelque chose à ajouter?

[Français]

M. Contandriopoulos: Pour répondre à votre question, il est intéressant de préciser un tout petit peu ce qu'on appelle le financement. Il se compose de trois mécanismes, si vous voulez, imbriqués les uns dans les autres. Le financement est un système de prélèvement de l'argent, un système d'allocation de l'argent et un système de paiement des médecins, des hôpitaux, des infirmières, et cetera.

Il y a trois dimensions quand on parle de financement. Chacune de ces dimensions produit des incitations particulières. Si l'argent est si important, c'est qu'il dit littéralement quoi faire, ce qu'on n'a pas le droit de faire ou ce qu'on ne peut pas faire.

Il est important de réaliser que les démocraties modernes utilise le financement par les impôts pour mettre en place des systèmes extraordinairement puissants pour prélever l'argent dans les poches de ceux qui généralement en ont. Elles peuvent l'utiliser selon une autre logique que celle d'avoir de l'argent dans sa poche.

C'est la fonction des systèmes de taxation. Il n'y a aucun autre système «assurantiel» ou autre qui arrive à aller chercher de l'argent dans les poches de ceux qui en ont pour le donner en fonction de certains besoins, en particulier des besoins de la société. C'est là que réside une position idéologique.

Si on est convaincu qu'une société responsable est une société qui s'organise pour donner aux enfants de l'éducation, pour donner au cours de la vie des personnes des soins quand elles sont malades, pour permettre aux personnes de vivre dans des environnements sains, pour bénéficier d'une protection sociale minimum et si on veut que l'éducation, la santé et l'environne ment soient accessibles à tous, on n'a pas d'autre choix que de les financer par l'entremise d'un système fiscalisé ou public de financement.

On peut imaginer, maintenant, plusieurs façons de prélever l'argent public. On peut le faire à travers les impôts sur le revenu. On peut le faire à travers les taxes. On peut le faire avec des cotisations spéciales libellées «santé». Il y a toutes sortes de façon de faire qui ont des avantages et des inconvénients.

Si on procède ainsi, on va pouvoir redistribuer. Si on ne le fait pas, on n'aura pas suffisamment d'argent pour le redistribuer auprès de ceux qui en ont besoin. On va se retrouver à dire à ceux qui ont l'argent dans leur poche - et ce n'est pas l'État qui l'a - de l'utiliser comme bon leur semble. Ils ne l'utiliseront pas d'une façon collectivement responsable. On a là, fondamentalement, une question éthique sur laquelle prendre position.

On est soit plutôt sensible à cette idée que tout le monde devrait avoir une chance de progresser dans la société par l'éducation et la santé ou on pense que la réussite sociale et monétaire est la contrepartie d'une qualité particulière qui entraîne des privilèges particuliers. C'est vraiment une position idéologique.

Il n'y a rien de bien ou de mal. C'est une position que chacun veut avoir. Les conséquences de cette position orienteront les politiques résolument centrales. Il n'y a pas de financement privé du système de santé qui soit cohérent avec une position idéologique qui soutient qu'il serait normal que tout le monde puisse avoir de la santé, de l'éducation et des environnements sains.

Dr Boucher: Là-dessus, je répondrais que je suis en désaccord.

M. Contandriopoulos: Cela ne m'étonne pas.

Dr Boucher: Non, en fait, si vous regardez les deux systèmes économiques fondamentaux, quand on regarde la base du système d'économie de marché, ce qui établit l'offre et la demande, ce sont les prix.

Dans un système où vous avez une «soviétisation», vous avez une offre limitée avec une demande illimitée. La limite est la liste d'attente. C'est ce qu'on vit présentement.

Si on me dit que le fait que quelqu'un puisse s'acheter des vêtements un peu plus cher constitue une inégalité parce que les vêtements, la nourriture et le logement peuvent constituer des besoins de base, ce sont des choses fondamentalement nécessai res, je vous dirais: bien, écoutez, à ce moment, étendons les assurances. Comme je l'ai mentionné initialement, ce n'est pas ce qui manque au Canada, les assurances. On pourrait avoir une assurance vêtements, une assurance automobile et toutes ces choses.

M.Contandriopoulos: Bien, c'est ce qu'on a.

Dr Boucher: Bien, je ne pense pas avoir d'assurance vêtements. Je suis désolé.

M. Contandriopoulos: Non, une assurance automobile.

Dr Boucher: Je continuerai, si vous me le permettez. Quand on dit: bien, écoutez, le simple fait que quelqu'un puisse se procurer des soins de santé va empêcher quelqu'un d'autre d'en avoir, je prétends le contraire.

Présentement, ce qui allonge les listes d'attente, c'est le fait qu'il n'y a qu'une seule limite, il y a un goulot d'étranglement. Si on permettait, par exemple, d'avoir en parallèle une accessibilité, les études en témoignent, je pourrais vous citer une enquête dans mes documents, elle démontrerait que ceux qui réclamaient le plus ce genre de choses, ce sont les gens qui étaient pauvres ou qui avaient des difficultés financières. Ce sont eux qui demandent qu'il leur soit possible d'avoir accès.

Comme vous vous en souvenez très bien, dans le système soviétique, ceux qui avaient accès au système n'étaient pas nécessairement les plus riches mais les membres du Parti.

Quelqu'un qui désire avoir un accès direct au système se doit de connaître quelqu'un à l'intérieur même du système. Je peux en témoigner et puis vous en connaissez et on en connaît tous.

Si on alourdit le système de taxation, peu importe la méthode, les fonds finissent toujours par venir de la même poche, la vôtre et la mienne. On doit permettre aux gens de choisir, encore une fois, et ce choix devrait pouvoir être fait hors du système, pour diminuer la longueur des listes d'attente. C'est ce système qu'on a choisi.

[Traduction]

Le président: Merci. Je dois dire qu'en tant qu'ancien professeur moi-même, je n'ai jamais vu de cas où c'est le médecin qui préconisait d'utiliser les forces du marché tandis que l'économiste s'y opposait. Je ne comprends plus très bien.

[Français]

M. Contandriopoulos: D'où on voit l'importance del'idéologie.

Le sénateur Pépin: Ma question portait en partie sur l'intégration du système médical. Actuellement, j'ai l'impression qu'on a un système pyramidal. Le médecin est placé tout au haut du système. Les travailleurs de la santé, tels que les infirmières, les pharmaciens, les travailleurs sociaux et les techniciens de laboratoire sont à un autre échelon.

Je me demandais, vu qu'on explore d'autres avenues, si vous croyez que les médecins vont accepter le partage de certaines responsabilités ou de travailler dans une équipe avec les travailleurs de santé. Est-ce qu'ils vont accepter de céder ou de partager certaines règles de pouvoir?

M. Contandriopoulos nous a donné sa réponse. Docteur Boucher, quelle est votre approche?

Dr Boucher: Là-dessus, je vous ferais la même réponse. Écoutez, je vous dirais que oui, ils vont accepter. Si les infirmières acceptent de céder des pouvoirs aux infirmières auxiliaires, je vous dirais: bien, je ne vois pas pourquoi les médecins ne l'accepteraient pas.

Voyez-vous, il y a toute une pyramide à l'intérieur du système. Quand on dit que le médecin est au sommet de la pyramide, je vous dirais que cela dépend de l'endroit où vous êtes. Si vous êtes dans un hôpital, ce sont le directeur général, les directeurs adjoints, les coordonnateurs. Le médecin se retrouve quelque part dans le système au même palier que les infirmières. Il n'y a pas vraiment de pyramide, je dois dire. Les gens sont habitués de travailler en équipe.

Je voulais souligner préalablement qu'on doit utiliser le mieux possible ceux qui nous coûtent le plus cher. Si on peut diminuer la tâche que j'appellerais cléricale de l'infirmière ou du médecin, je dirais: écoutez, faites-le, s'il vous plaît. C'est ainsi qu'on peut arriver à une certaine économie et améliorer l'efficacité.

Actuellement le goulot d'étranglement est là. Quand on me fait attendre pendant une heure pour avoir une radiographie, c'est sûr que cela ne coûte pas cher. De la même manière, quand vous parlez d'équipe, je vous dis: il n'est pas nécessaire d'avoir une équipe quand quelqu'un consulte pour une infection respiratoire banale. Oui on peut partager le pouvoir. Oui on peut travailler en équipe. Il y a des preuves qui le démontrent clairement; on peut les retrouver facilement.

J'ai beaucoup d'inquiétude quant à l'évolution du système, en particulier, je ne dirais pas à propos des médecins mais à celui des infirmières. C'est que présentement, on glorifie les bachelières, on glorifie celles qui font des maîtrises. Comme le disait un professeur à l'université tout près de l'endroit où j'habite qui avait un doctorat: écoutez, vous n'êtes que des bachelières et vous n'avez pas accès à moi, vous n'avez pas à me parler. Quand vous aurez votre doctorat, cela me fera plaisir de vous parler.

Cette anecdote pousse à l'extrême et je l'ai entendue. Je constate qu'on s'est assuré qu'il n'y aurait pas d'auxiliaires, qu'il n'y aurait personne d'autre pour les remplacer. Les infirmières se sentent mal à l'aise, mises de côté. Je ne constate pas ce phénomène de la part des médecins, c'est curieux. Les médecins vivent très facilement en équipe sans difficultés.

Certains peuvent éprouver des difficultés. Certaines spécialités qu'on connaît bien comme la neurochirurgie et la chirurgie cardiaque sont des spécialités où il y a une espèce de gloire.

Le sénateur Morin: Le défi!

Dr Boucher: D'ailleurs ce sont les deux seules spécialités au Québec où il n'y a pas de plafond aux revenus. De sorte que du côté médical, il n'y a pas de problème. Le problème que je vois poindre à l'horizon et qu'on vit, si les gens continuent à un tel rythme, c'est qu'il n'y aura personne pour vouloir s'occuper des malades.

Le sénateur Pépin: Il n'y aura pas d'infirmières soignantes.

Dr Boucher: Non. On met de côté les infirmières auxiliaires. Les infirmières sont mal vues dans les hôpitaux par rapport à la bachelière. On recrute des bachelières.

Le sénateur Pépin: Comme infirmière soignante, je suis d'accord avec vous. C'est bien beau engager une bachelière, mais on a besoin d'infirmières soignantes pour être près des malades, et ceci est très important.

Quand on travaille dans une équipe, justement et que quelqu'un arrive, il n'a peut-être pas besoin nécessairement de voir un médecin, mais il peut voir une infirmière ou quelqu'un qui pourra le diriger vers la bonne personne. Cela sauverait du temps au médecin et aux patients. Je suis contente, en fait, de savoir qu'avec les médecins, il n'y aurait pas de problèmes. Mais on devine depuis quelque temps, en tout cas, une difficulté entre les infirmières auxiliaires, les infirmières bachelières, et caetera.

[Traduction]

Le président: Dernière question, sénateur Keon?

Le sénateur Keon: Docteur boucher, pour revenir aux forces du marché et pour examiner en particulier la situation concernant l'imagerie et les listes d'attente, vous avez des cliniques privées d'IRM au Québec et vous n'avez pas de cliniques privées de TEP au Québec. À votre avis, l'existence de cliniques privées d'IRM à Montréal et à Hull a-t-elle éliminé les listes d'attente pour les procédures d'IRM dans la province?

Le Dr Boucher: Je ne dirais pas que cela a éliminé les listes d'attente, parce qu'il y a tant de gens qui attendent, mais cela améliore quand même la situation. Je songe ici aux personnes qui n'ont pas besoin de chirurgie, qui n'ont pas besoin de traitement particulier. Une fois l'examen fait, elles se sentent plus à l'aise et n'ont pas à être inscrites sur une liste d'attente. Par conséquent, même si cela n'élimine pas la liste parce que le nombre de patients ne cessent d'augmenter, cela permet quand même d'améliorer la situation. Même si je ne suis pas entièrement réceptif à ce type de structure, il n'en reste pas moins que cela contribue à améliorer la situation.

Le sénateur Keon: Avez-vous constaté une différence depuis que les cliniques privées d'IRM ont ouvert leurs portes?

Le Dr Boucher: Selon la façon dont le système fonctionne à l'heure actuelle, pour ceux qui ne le connaissent pas bien, si vous voulez avoir accès à une forme quelconque d'investigation, il faut que vous soyez hospitalisé et que vous passiez un certain temps aux services de soins intensifs, et vous êtes alors inscrit sur une liste de priorité parce que vous avez subi une investigation à l'hôpital. Autrement, si vous êtes à la maison, on ne s'occupera pas de vous; il faut que vous soyez hospitalisé. Il est donc évident que la personne qui fait un séjour à l'hôpital pour y subir cette investigation, aux services de soins intensifs, même si elle ne subit pas une forme quelconque de traitement particulier, a un meilleur accès. Cela n'est pas très coûteux mais il n'en reste pas moins qu'en règle générale, ce n'est pas très efficace.

Le sénateur Keon: Quelle a été votre expérience pour ce qui est d'envoyer un patient à Hamilton, par exemple, pour un examen TEP au lieu de l'envoyer à Syracuse?

Le Dr Boucher: Je n'ai pas travaillé avec Hamilton, mais j'ai essayé Sherbrooke, et l'expérience a été affreuse; affreuse parce que j'ai envoyé trois patients et aucun patient n'a été examiné jusqu'à présent. Ils attendent maintenant depuis six ou neuf mois.

Le sénateur Keon: Oui.

[Français]

Dr Boucher: Il a demandé quelle était mon expérience avec les patients.

Le sénateur Pépin: Pourquoi?

M. Boucher: Pourquoi? Bien, parce qu'il n'y a pas d'accès.

[Traduction]

Le Dr Boucher: L'autre chose aussi c'est qu'en examinant les dépenses qu'occasionnent ces énormes machines, j'ignorepourquoi on cesse de les utiliser à 3 heures de l'après-midi. Je trouve cela très étonnant. J'ignore pourquoi on n'utilise pas ces machines 24 heures par jour. Comment Bombardier pourrait-il fonctionner s'il devait cesser le travail à 4 heures de l'après-midi? Je pense que ces machines devraient fonctionner 24 heures sur 24. Je dirais la même chose pour les salles d'opération parce qu'un patient qui attend un lit serait heureux d'être opéré à minuit et de pouvoir quitter l'hôpital à 8 heures le lendemain matin, au lieu d'avoir à attendre neuf mois.

À mon avis, il est évident, compte tenu des dépenses qu'il a fallu engager pour ces énormes appareils, que nous devrions les utiliser 24 heures par jour, sept jours par semaine.

Le sénateur Keon: Je dois dire, étant donné que nous sommes tous deux médecins, que c'est le corps médical qui y fait obstacle. Tous les autres membres du personnel sont tout à fait disposés à travailler 24 heures d'affilée.

Le Dr Boucher: Je crois que nous pouvons travailler là-dessus. Je ne dirai pas que ce sera facile, mais c'est possible.

Le sénateur Keon: Professeur Contandriopoulos, vous avez dit que les patients n'avaient personne vers qui se tourner. J'ai demandé à l'un de nos témoins précédents, M. Castonguay, pourquoi le CLSC n'avait pas fonctionné comme il aurait dû, étant donné que cela semblait être une excellente idée. Après avoir analysé sa réponse, j'ai constaté qu'il a présenté essentielle ment deux raisons: premièrement, ils se sont trop concentrés sur les services sociaux aux dépens des services médicaux, et deuxièmement, le corps médical a refusé de coopérer avec eux.

Personnellement, je connais au moins un CLSC qui a été accueilli à bras ouverts par les médecins généralistes de la région lorsqu'il a été établi. Ces derniers estimaient que c'était là une idée géniale car ils ne seraient plus tenus dorénavant de faire du travail social, qu'ils ne savaient pas faire au départ, mais qui prenait énormément de leur temps.

Quoiqu'il en soit, vous pourriez peut-être me dire pourquoi ce système n'a pas fonctionné. Franchement, il y a 25 ans ou à peu près, la plupart d'entre nous pensions que c'était la solution aux problèmes des soins primaires, et cela n'a pas été le cas. Pourquoi?

[Français]

M. Contandriopoulos: L'histoire des CLSC est une histoire exemplaire dans le sens où on a eu une bonne idée, une innovation intéressante, mais qui n'a jamais été menée à bonne fin, qui n'a jamais été implantée complètement. Donc le CLSC est devenu une innovation implantée de façon incomplète.

Les raisons pour lesquelles elle a été implantée de façon incomplète, on pourrait y revenir. Elles sont très fondamentale ment les mêmes que celles dont on parlait il y a un instant sur les conflits entre les différents groupes de médecins, entre les médecins et les infirmières, et ainsi de suite.

Au moment où M. Castonguay a été ministre de la santé et où il a introduit les CLSC, il faut se souvenir que dans son rapport, il y avait une recommandation tout à fait explicite qui disait que le mode de paiement des médecins devait être transformé. S'il n'y avait pas de transformation du mode de financement des médecins, il n'y aurait pas de possibilité d'organiser les soins adéquats de première ligne. Ces recommandations ont été faites en 1970 dans le rapport Castonguay, Tome IV, chapitre 4. Rien n'a été fait. Trente ans plus tard, au Québec, la commission Clair dit la même chose: il n'y aura pas une organisation adéquate des soins de première ligne s'il n'y a pas une transformation des modes de paiement des médecins. Il va falloir une transformation, sinon il n'y en aura pas.

Aujourd'hui, avec les groupes de médecins de famille ou les centres de santé en Ontario, on a les mêmes problèmes. S'il n'y a pas de transformation des modes de paiement des médecins, il n'y aura pas de possibilité réelle d'implanter correctement le concept de soins de première ligne dont on parlait.

L'idée du rapport Castonguay était claire; son implantation a été imparfaite. Elle a été à un tel point imparfaite, principalement à cause des formes de paiement des médecins, qu'on a cru que les CLSC devenaient essentiellement des organismes sociaux. Effectivement, le médical n'avait pas investi les CLSC. On les a donc discrédités au fil des années et ils sont restés marginaux par rapport au système de soins.

On a effectivement une proposition qui n'a jamais été implantée. Aujourd'hui, on revient avec la même proposition. Cette proposition de M. Clair au Québec et dans les autres provinces, c'est la même chose à peu près. Elle ne prendra corps réellement que si, comme vous le dites dans votre rapport, on aborde de front cette dimension du financement qui porte sur le paiement des médecins.

Les médecins participeront d'autant plus à des activités interprofessionnelles, seront d'autant plus prêts à trouver ce temps rare, s'ils cessent de poser des actes pour des choses suffisamment simples que d'autres peuvent faire. Ils concentreront leur expertise sur ce qui est réellement la complexité de l'adaptation des connaissances à des cas difficiles. Il faut dégager le médecin d'une série d'activités que d'autres peuvent faire à sa place, finalement mieux et probablement à un meilleur coût.

Dr Boucher: Les CLSC vivent un problème de base. On parle d'innovation au Québec. Je vous rappelle ce que je vous ai dit il y a quelques minutes: aux États-Unis, il y avait des CLSC en 1930, il y en avait 1 100. Vous vous rappelez les raisons pour lesquelles vous retrouvez des CLSC aux États-Unis et le succès qu'ils ont connu. Je vous rappellerai qu'à Montréal, dans Hochelaga- Maisonneuve, il y avait un CLSC qui n'avait pas le nom de CLSC et qui existait bien avant qu'on parle de CLSC.

Les raisons sont simples. Quand je rencontre quelqu'un qui souffre d'une pneumonie, c'est facile. Je n'ai pas besoin de toute une équipe. Si je me rends compte qu'il y a un problème de malnutrition, un problème de violence familiale, d'alcoolisme, je sais qu'on a besoin d'une équipe et qu'un CLSC s'impose. Quand vous regardez une ville comme Boston, dans le quartier Roxbury, par exemple, vous allez retrouver des CLSC parce qu'il n'y a pas de médecins qui peuvent travailler seuls, ils ont besoin d'une équipe.

Les raisons qui expliquent le succès de CLSC dans certaines régions sont inhérentes aux types de problèmes auxquels vous avez affaire. Pour ce qui est des CLSC qui n'ont pas de succès, c'est simplement que la population qu'on veut diriger vers ces endroits n'en ressent pas le besoin.

Je vous avise d'une chose quant à la question de la rémunération de médecins. Je viens de finir une semaine de garde, 24 heures par jour, pendant une semaine en ligne. Vingt-quatre heures par jour! Je ne suis rémunéré que pour les actes que je pose. Quand je suis de garde, je ne suis pas payé.

Si vous dites que vous allez changer le mode de rémunération, je vous avise que cela ne sera pas long.Les gens vont demander d'être rémunérés en tenant compte des heures de garde effectués. De la même manière, si vous demandez à votre avocat fiscaliste d'être disponible pendant que vous faites votre rapport d'impôt durant la fin de semaine, le lundi, vous allez recevoir un compte pour sa disponibilité.

Dans les CLSC, un autre élément explique jusqu'à un certain point la différence de médecins. Un choix s'est opéré parmi les résidents quand ils ont terminé. Certains d'entre eux préféraient aller travailler dans des CLSC, sachant les heures de travail, la disponibilité moins grande pour eux et qu'ils n'étaient pas obligés de faire des heures à l'urgence, alors ils choisissaient d'aller dans un CLSC au départ.

Je vous rappellerai une étude faite et publiée il y a environ 5 ou 7 ans dans laquelle on disait qu'une visite ordinaire dans un CLSC, je ne vous parle pas d'une visite pour un problème de malnutrition ou de violence, coûtait autour de 65,00 $ alors qu'une visite dans une polyclinique coûtait 12,00 $. Le service était le même si ont tient compte qu'une personne qui souffre d'une pneumonie, je n'ose pas dire le mot banal, mais en tout cas, d'une pneumonie ordinaire n'a pas nécessairement besoin de toute une infrastructure.

Si les CLSC sont utilisés à bon escient et au bon endroit, pour des populations qui en ont besoin, ils vont connaître des succès. Les gens ne tiendront pas compte à ce moment du mode de rémunération. Les médecins qui vont y travailler sauront à quoi s'attendre. C'est ainsi que je le vois.

Quant à la multiplication des polycliniques qui aurait été générée par la création des CLSC à laquelle référaitM. Castonguay au préalable, je vous dirai que ce n'est pas en raison de la création des CLSC si des polycliniques se sont construites.C'est dû au fait que les hôpitaux sont devenus des endroits où travaillent les spécialistes. Ils sont devenus des endroits où un médecin peut difficilement pratiquer. Lesmédecins, spontanément, ont commencé à ouvrir des cliniques à leurs frais. C'est ce qui est arrivé dans bon nombre de cas.

M. Contandriopoulos: Il y a eu quand même une directive officielle de la FMOQ de créer des polycliniques en face des CLSC en 1970. M. Castonguay a vécu cet épisode en tant que ministre.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie tous les deux d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Nous vous en sommes très reconnaissants. Merci.

Sénateurs, il nous reste encore un groupe à entendre avant le déjeuner. Nous prendrons ensuite une heure complète et la comparution du dernier témoin cet après-midi a été annulée de sorte que nous terminerons quand même à 17 heures.

Nous allons donc entendre Nancy Hughes Anthony, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada et Gilles Taillon, président du Conseil du patronat.

Docteur Boucher, merci d'être venu nous rencontrer, je comprends maintenant exactement pourquoi le sénateur Morin vous a recommandé.

Tout d'abord, je m'excuse auprès des témoins de notre retard. Comme on vous l'a peut-être dit, au début de la séance nous avons entendu Claude Castonguay et Claude Forget et il aurait été très difficile de ne pas consacrer le temps voulu à l'audition de deux anciens ministres de la Santé qui ont beaucoup écrit sur la question.

Je vous remercie donc tous deux d'être ici. Madame Anthony, puis-je vous demander de commencer, ensuite je donnerai la parole à M. Taillon?

Mme Nancy Hughes Anthony, présidente-directricegénérale, Chambre de commerce du Canada: Je voudrais mentionner au comité que je suis accompagnée aujourd'hui de mon collège Michael Murphy qui est le vice-président principal, Politique, de la Chambre de commerce du Canada. Nous sommes très heureux de venir rencontrer le comité sénatorial aujourd'hui afin de présenter le point de vue de la Chambre de commerce du Canada sur le régime de soins de santé.

Comme vous le savez j'en suis certaine, la Chambre du commerce du Canada est la principale association de gens d'affaires au Canada, la plus représentative. Nous représentons plus de 170 000 membres de tous les secteurs et de toutes les régions du pays et je peux affirmer que tous nos membres sont des consommateurs de soins de santé. Naturellement, bon nombre d'entre eux travaillent peut-être à titre de bénévole dans le régime de soins de santé de leurs collectivités.

[Français]

Il y a 30 ans, le Canada a mené à bien la création d'un système d'assurance-maladie public, universel et intégral. Ce système de santé était, je souligne «était», dans le passé, une source de fierté pour bien des Canadiens.

La Chambre de commerce du Canada croit qu'il faut dès maintenant amorcer la réforme du système de santé en reconnaissant son principal enjeu. Le système de santé du Canada est confronté à une crise. Comme membres de ce comité, vous êtes bien conscients de ce fait.

À notre avis, la situation ne peut que s'aggraver si des décisions difficiles ne sont pas prises immédiatement. À cet égard, la Chambre de commerce du Canada présente un nombre de recommandations destinées à assurer que le système de santé du Canada est mieux préparé à relever les défis de l'avenir.

[Traduction]

Je crois, monsieur le président, que vous avez reçu notre mémoire. Il a été distribué aux membres de votre comité en anglais et en français. Je n'ai pas l'intention de le lire, mais je vous en donnerai tout simplement les grandes lignes.

Avant d'aborder certaines des recommandations précises que nous y faisons, il est important de comprendre deux questions fondamentales, et je pense que c'est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui à titre d'association nationale de chefs d'entreprises. La première est l'importance du secteur des soins de santé pour le milieu des affaires canadien. Simplement dit, un régime de soins de santé de classe mondiale est très important pour les gens d'affaires du Canada. Je pense que cela est vrai du point de vue de l'investissement financier du secteur privé dans les soins de santé canadiens, comme le montre le pourcentage croissant de financement des soins de santé, évalué à l'heure actuelle environ 30 p. 100, provenant du secteur privé et non du trésor public.

La deuxième question est l'importance du secteur des soins de santé pour la compétitivité canadienne, et je ne pense pas qu'il soit nécessaire de parler de tous les éléments clé nécessaires pour assurer que le Canada est un pays concurrentiel. Cependant, il est nécessaire de souligner l'importance de ce secteur si nous voulons avoir une qualité de vie de haut niveau et maintenir notre niveau de vie. Un investissement dans les soins de santé peut améliorer et améliore effectivement la qualité de vie et ultimement, la croissance économique.

La principale mesure législative nationale dans le débat sur le système de santé, la Loi canadienne sur la santé, a fait couler beaucoup d'encre. Les valeurs de base énoncées dans la loi sous forme de cinq grands principes, que vous connaissez fort bien, furent les pierres angulaires de l'établissement de notre système de santé. La Chambre de commerce du Canada estime que la réforme du système de santé canadien ne prendra place que si le débat en vue de trouver les meilleures solutions possibles comporte un examen des cinq principes et, en particulier, du principe de l'administration publique.

Nous félicitons le comité, en particulier pour son ouverture et sa volonté de s'attaquer à ce que certains considèrent comme des sujets plutôt arides, y compris une discussion de ces cinq principes. Il y a en effet des gens qui ne veulent même pas discuter de ces cinq principes et nous trouvons cela tout à fait inacceptable. Cela contredit la réalité, à savoir, comme je l'ai dit, que 30 p. 100 des dépenses de santé sont financées par des sources autres que le trésor public. C'est pourquoi il faut sérieusement repenser le principe de l'administration publique.

Cependant, il est tout aussi important de rendre les décideurs conscients des contraintes qu'impose ce principe - certains parlent de menottes - pour faciliter une évaluation complète de ces répercussions. Nous ne pouvons éluder les questions difficiles.

Selon la Chambre de commerce du Canada, le débat n'est pas axé uniquement sur l'argent. Les véritables enjeux consistent à faire preuve de pensée créative. Nonobstant la nécessité de trouver des fonds additionnels, qu'il s'agisse des gouvernementsprovinciaux, des établissements de santé ou des praticiens, il reste que nous dépensons déjà beaucoup d'argent pour le système de soins de santé. Il n'est pas acceptable à ce stade-ci de réclamer sans cesse des injections de fonds sans entreprendre une analyse approfondie de la valeur obtenue en contrepartie des dépenses.

La Chambre de commerce du Canada n'est pas en mesure d'évaluer le mérite des demandes de financement additionnel, et je suis persuadée que votre comité entend une foule de demandes de fonds additionnels. Nous pouvons cependant proposer deux notions fondamentales pour orienter votre discussion. Première ment, il faut faire en sorte que les questions d'efficience jouent un rôle important dans les décisions de financement. Deuxièmement, il faut instaurer l'obligation redditionnelle dans le système. L'efficience et l'obligation de rendre compte des fonds dépensés, clairement axées sur les résultats pour les patients, doivent être soumises à la discussion.

La Chambre de commerce du Canada croit qu'avant de prendre des décisions concernant l'augmentation des niveaux de dépenses de santé il faut absolument effectuer un examen exhaustif et complet du système de santé au Canada, y compris sa structure et son financement. Plus précisément, vous constaterez dans notre mémoire que nous préconisons qu'on inscrive le principe de l'efficience dans la Loi canadienne sur la santé et ce, dans le but d'atteindre l'excellence dans le secteur des soins de santé.

[Français]

En plus, la Chambre de commerce du Canada invoque un partenariat renouvelé entre les gouvernements fédéral, provin ciaux et territoriaux, pour rendre le système responsable et doter la Loi canadienne sur la santé du principe de l'obligation«redditionnelle».

[Traduction]

La Chambre de commerce du Canada s'inquiète de ce que le système de soins de santé ne prévoit actuellement aucune obligation redditionnelle. En fait, si un piètre rendementn'entraîne aucune retombée financière sur le plan du financement fédéral comment pouvons-nous espérer améliorer collectivement le système au profit de tous les usagers? La Chambre fait valoir également que l'élaboration de mesures nationales homogènes pour guider les décideurs sera également vitale. Ces mesures doivent être mises en oeuvre. Enfin, nous préconisons que les représentants des entreprises canadiennes figurent sur la liste des personnes consultées par les gouvernements. Cette liste comprend maintenant, comme vous le savez, des experts en santé, des professionnels de la santé et des particuliers. Nous estimons que le monde des affaires a de bonnes idées à proposer. Bien que la gouvernance publique, ainsi que les politiques et les normes publiques en matière de santé soient nécessaires, elles ne doivent pas obvier à la participation du secteur privé, et monsieur le président, l'obligation redditionnelle est la clé.

Je vais terminer sur cette note, monsieur le président. Nous sommes d'avis que la viabilité, l'obligation redditionnelle et un examen sérieux du principe de l'administration publique de la Loi canadienne sur la santé sont les principaux enjeux. Le système de soins de santé est en crise; il est en mauvais état, comme vous l'avez mentionné dans vos rapports, et selon nous, on ne peut plus s'en tirer avec du rafistolage constant.

Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité.

M. Gilles Taillon, président, Conseil du patronat du Québec: Nous sommes heureux que votre comité ait bien voulu nous entendre à titre de représentant du CPQ.

[Français]

Je vais apporter quelques clarifications, vous allez le voir à partir de notre mémoire, sur certains points de vue qui sont abordés dans votre rapport, et ensuite vous faire état de certaines réformes que nous avons déjà fait connaître à la commission Clair qui a siégé au Québec. Ces propositions sont toujours d'actualité, même si la commission n'a pas vu ses recommandations mises en oeuvre.

Je ne reprendrai pas ce que Mme Anthony vous signalait pour les entreprises du Québec, pour les gens d'affaires. La performance du système de santé est une priorité. On doit avoir un système de santé impeccable en termes d'efficacité, d'efficien ce, donc à des coûts raisonnables, tout cela dans une économie qui table de plus en plus sur les ressources humaines. Il est important que ces dernières soient en bonne santé.

Dans un premier temps, nous signalons que par rapport à la Loi canadienne sur la santé, vous en parlez dans votre rapport, il est important que soit clarifiée toute la notion d'administration publique, cinquième critère important de l'application de la loi. Nous estimons que souvent certaines gens interprètent incorrecte ment la loi qui interdit une gestion privée du système de santé. Nous pensons que ce n'est pas ce que la législation préconise. Nous vous prions instamment, dans votre rapport final, de bien clarifier aux deux ordres de gouvernement l'interprétation qu'il faut donner à la Loi canadienne sur la santé.

Le Conseil du patronat croit fondamentalement qu'il n'est pas opportun de remettre en cause le financement public du système de santé. Par ailleurs, dans un cadre de financement public, il n'est pas interdit, il devrait même être souhaitable que la gestion du système de santé puisse, en fonction d'une meilleure efficacité, être gérée par le secteur privé ou par le secteur public, dépendamment de la capacité de chacun de ces paliers à offrir le meilleur service.

Nous voulons un financement public, sans ticket modérateur, sans nécessairement de nouvelles taxes. On a vu dans les journaux récemment que l'on parle d'une taxe sur la vieillesse. Nous allons y venir tantôt. Nous souhaitons une refonte complète du système de gestion, sans nouvelle taxe.

Quant au financement provenant du gouvernement fédéral, nous ne pensons pas que, contrairement à ce que les premiers ministres provinciaux ont fait connaître lors de la conférence de Victoria, qu'il faille revenir au financement qui correspondait à la situation de 1994-1995. La raison en est fort simple. Le transfert social canadien à cette époque était en bonne partie financé avec de l'argent emprunté. Nous ne souhaitons pas revenir à une situation qui alourdirait la dette publique.

Nous pensons qu'il y a sans doute des possibilités dans le prochain budget fédéral de revoir les ententes actuelles. On ne doit surtout pas revenir à une situation ante, qui est, à notre avis, irresponsable.

Nous souhaitons fondamentalement que les deux ordres de gouvernement puissent s'entendre sur une formule qui permettrait d'assurer aux provinces, qui ont la responsabilité de l'administra tion de la santé, une croissance annuelle connue à l'avance, a priori, du transfert fédéral en matière de santé.

Nous pensons à ce stade, troisième élément que nous abordons, que le système de santé a tout à gagner à une gestion partagée de ce dossier. Nous pensons, compte tenu de la complexité des problèmes du système, que deux gouvernements valent mieux qu'un dans ce domaine actuellement.

Nous opinons par ailleurs que s'il n'y a pas possibilité d'entente, s'il n'y a pas une maturité qui permette à ce qu'il y ait de la concertation entre les ordres de gouvernement, fédéral et provincial, qu'il faudra sans doute songer à une séparation claire des responsabilités des pouvoirs. À ce moment, il faudra penser possiblement à un transfert de point d'impôt comme solution de rechange.

Nous vous avons remis, je ne veux pas aborder ce sujet, un extrait de nos propositions à la commission Séguin sur le déséquilibre fiscal. Nous faisons une analyse de ce que pourrait être le transfert de point d'impôt pour le Québec. Nous vous disons que ce n'est pas la solution première que nous recommandons. Nous préférons qu'il y ait entente entre les deux ordres. Si jamais cela échouait, si on est incapable de s'entendre, il faudra sans doute songer à une responsabilité tranchée des deux ordres de gouvernement. À ce moment, bien sûr, les gouverne ments provinciaux assumeront la totale responsabilité du dossier de la gestion du dossier de la santé.

Concrètement, voici nos principales propositions pour revoir et assurer que le système de santé soit véritablement un système efficace. Ce sont des recommandations que nous avons faites à la commission Clair. Elles gardent toute leur actualité. À notre avis, bien sûr, elles concernent davantage les gouvernements provinciaux puisque ce sont eux qui ont la responsabilité du système. Elles touchent aussi l'analyse je dirais de la réforme globale du système de santé canadien.

Nous pensons que chaque patient - et vous retrouverez ces propositions en page 6 de notre mémoire - devrait posséder un dossier clinique informatisé, centralisé. Chaque patient devrait pouvoir se présenter avec une carte d'assurance-maladie qui contient les renseignements essentiels sur sa santé.

Nous préconisons la constitution d'équipes multidisciplinaires, qui pratiquent en clinique privée ou publique, au choix des professionnels et des ressources humaines qui oeuvreront dans ces cliniques. Ce serait une organisation de base ouverte, accessible 24 heures par jour aux patients.

Le médecin de famille est au coeur de ce système, il est coordonnateur de l'équipe. Dans nos recommandations à la commission Clair, nous allions plus loin que cette petite phrase. Nous disions que l'équipe devrait être davantage responsabilisée, qu'on devrait davantage confier les tâches importantes aux infirmières. Pour avoir un système d'infirmières cliniciennes, on pourrait revaloriser la tâche des infirmières auxiliaires, une profession qui est en train de disparaître au Québec. Il faudrait que le médecin oeuvre avec une équipe beaucoup plus responsa ble, aux responsabilités élargies, à l'intérieur de cette clinique dont il est le coordonnateur.

La recommandation essentielle, la plus importante, si on veut que ce système se réalise, vise le changement du financement des établissements et du financement des ressources humaines qui oeuvrent dans ces établissements. Nous proposons un financement sur une base de capitation. Notre objectif est que l'argent suive le patient. L'équipe médicale de base a tout intérêt à assurer la meilleure qualité de soins, à faire en sorte que l'état sanitaire soit le meilleur pour gérer, à moindres coûts, la santé de nos concitoyens.

Il faut absolument que les cliniques et les établissements, donc les grands hôpitaux, disposent d'une autonomie de gestion en matière à la fois de gestion de ressources humaines, financières et matérielles. Nous préconisons un changement radical de l'organisation des services, dans chacun des établissements; fini les conventions collectives mur à mur, les conventions blindées, les politiques qui font en sorte qu'on perde énormément de temps dans l'administration plutôt que de donner des soins. Cette recommandation le sous-entend.

Ce sont les cliniques de base qui achètent les services auprès des établissements spécialisés. Tout le financement s'en va aux cliniques de base et ce sont ces cliniques qui achètent les services spécialisés. Le système demeure financé publiquement. Ce système est financé par le gouvernement. La gestion et la production pour livrer les services médicaux demeurent possibles. L'impartition est privilégiée. Le système de marché interne avec la capitation devrait se développer. Ce devrait être le critère de base pour déterminer ce qui est privé et ce qui est public dans l'organisation et l'administration du service. Bien sûr, nous privilégions l'efficacité et l'économie. Voilà nos principales recommandations et je suis ouvert à vos questions.

[Traduction]

Le président: Je tiens à vous remercier tous les deux. Avant de passer aux questions des membres du comité, puis-je vous poser à tous deux une question afin d'établir un lien entre les deux idées que vous avez proposées?

Madame Hughes Anthony, vous parlez dans votre mémoire de la difficulté, ou peut-être même de l'impossibilité, de modifier le comportement des consommateurs de services de santé. M. Taillon dit que l'argent doit suivre le patient. Il me semble que ce que vous proposez, si j'ai bien compris, c'est essentielle ment de séparer la fonction payeur de la fonction fournisseur de services; il y aurait un payeur unique, à savoir le gouvernement, et l'argent suivrait le patient, pas seulement en ce qui concerne les soins primaires, comme le suggérait M. Taillon, mais en ce qui concerne tous les soins.

En d'autres termes, si un médecin posait une prothèse de la hanche, c'est le gouvernement qui le paierait et qui paierait l'hôpital pour cette intervention. Cependant, les deux seraient payés pour la pose de cette prothèse de la hanche, tandis qu'en vertu de la structure actuelle, les hôpitaux reçoivent un budget global, et ils ne peuvent même pas vous dire combien coûte la pose d'une prothèse de la hanche. Est-il juste de conclure que vous êtes en faveur de cette séparation?

Mme Hughes Anthony: En effet, je dirais que c'est bien cela. Lorsque nous examinons la question à l'échelle nationale...

Le président: Évidemment.

Mme Hughes Anthony: ... on entend toutes sortes d'idées dans les diverses régions du pays. Nous en avons mentionné certaines dans la dernière partie de notre mémoire. Il est certain que des membres de certaines de nos chambres de commerce ont discuté de l'idée des comptes d'épargnes pour les soins médicaux, d'une sorte de capitation, et d'autres idées de cette nature et qu'ils en ont proposées, mais je pense que l'idée que vous avez soulevée présente une distinction importante.

Monsieur Murphy, avez-vous entendu des réactions à ce sujet?

M. Michael N. Murphy, vice-président principal, Politique, Chambre de commerce du Canada: Non. J'ajouteraissimplement que j'accepte votre postulat fondamental, mais j'estime qu'il est également important du point de vue des entreprises, et c'est de ce point de vue que nous avons essayé de vous faire part - et j'utiliserais l'expression «modification de comportement» avec beaucoup de précautions, mais quand on considère les deux côtés, et nous avons manifestement mis l'accent sur la question de la prestation des services comme point de départ de ce processus pour arriver à une plus grande efficience. C'est très certainement le point de vue que nous présentons pour l'instant.

[Français]

M. Taillon: Je pense que votre conclusion est juste; je vous dirais que nous souhaitons modifier le comportement de ceux qui offrent les services. L'objectif, bien sûr, demeure que les gens soient en bonne santé. Il y aura entre l'équipe médicale et le patient des échanges qui vont faire en sorte que tout le monde a intérêt à ce que la santé soit la meilleure pour le patient. L'objectif est de changer le comportement et on pense que le changement de comportement va venir par un changement du système de financement.

[Traduction]

Le président: Votre objectif, si je combine les suggestions que vous avez faites tous les deux, est de chercher à modifier le comportement de ceux qui assurent les services plutôt que celui des patients?

M. Taillon: En effet.

Mme Hughes Anthony: Oui.

Le sénateur Robertson: Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion, et j'ai hâte de prendre le temps de lire vos mémoires, car nous venons tous juste de les recevoir et il est un peu difficile de saisir tout cela rapidement.

J'ai seulement une question bien simple à poser. Je vois, madame Anthony, que vous voulez un examen de la loi et des principes sur lesquelles elle repose. Cependant, je vous signale à tous les deux que si les recommandations que vous faites au sujet de l'efficience et de l'obligation redditionnelle et toutes ces belles choses, si tout cela n'apporte pas les fonds nécessaires au système de soins de santé, ce qui semble être le cas actuellement, comme on le voit avec les longues listes d'attente et la rareté des professionnels, par exemple, alors il y a une crise. Si vous posez la question aux Canadiens moyens, ils reconnaissent qu'il y a une crise. Quelqu'un qui reçoit des soins n'est pas aussi prêt à dire qu'il y a une crise, dirons-nous, parce qu'il est parvenu à obtenir des soins, et que les traitements ne sont pas mauvais. Cependant, le problème consiste à obtenir son tour, ce qui crée toutes sorte d'autres difficultés.

Si, par exemple, tout ce que vous avez mentionné, efficience, obligation redditionnelle, et cetera, n'apporte pas suffisamment de fonds pour résoudre certains des problèmes, parce que je pense vraiment qu'il faut des fonds additionnels; j'ignore quel est le niveau de financement à l'heure actuelle, mais le système semble s'effondrer; s'il n'y a pas suffisamment d'argent et qu'il en faut davantage, d'où proviendra-t-il? Viendra-t-il des impôts? Impose rez-vous les particuliers? Le gouvernement percevra-t-il plus d'impôts spécifiquement destinés au système de soins de santé, ou demanderez-vous aux patients de payer quelque chose?

Si c'est ce qu'on fait, quels choix aura le patient qui paiera davantage? Je comprends votre point de vue, mais je me demande ce qui se passe quand le système s'effondre. Nous avons entendu tellement de témoins, car il y a u un véritable débat là-dessus, se demander s'il est possible d'engendrer suffisamment de fonds grâce à un resserrement de l'administration et à une prestation plus efficace des services. On se pose véritablement la question. J'aimerais savoir ce que nous ferons si la tentative échoue.

Mme Hughes Anthony: Comment savoir si les fonds sont suffisants? Je pense que c'est un dilemme et je suis persuadée que des gens vous ont signalé des cas où se manifeste la crise. Cependant, notre pays consacre beaucoup d'argent aux soins de santé et j'espère que votre comité confirmera que le montant de base actuellement consacré à la santé ne peut pas ne pas être mis en question. Je veux dire que nous avons tous entendu parler de l'inefficacité du système dont des membres de notre famille ou nous-mêmes avons été témoins. Nous pouvons tous parler en long et en large de toutes sortes de problèmes auxquels nous avons tous fait face. Comme M. Taillon l'a suggéré, pourquoi ne pas remettre à chacun une carte à puces qui nous permettrait d'obtenir immédiatement des services dès qu'on arrive à un hôpital, au lieu d'avoir à passer par 17 personnes munies d'une planchette à pince. Il y a toutes sortes d'indices qui révèlent que notre système n'est pas doté des stimulants propices à le rendre efficace.

J'espère que votre comité s'efforcera de vérifier tout cela, au lieu de mettre l'accent sur le fait qu'à l'heure actuelle, tout le monde a besoin de beaucoup plus d'argent. Je sais que nos membres sont d'avis qu'on peut certainement rendre le système plus efficace et commencer par trouver d'autres sources de financement à l'intérieur du système, pour qu'on ait alors une base à partir de laquelle on pourra déterminer combien d'argent il faut. Pour le moment, on ne fait rien de cela.

Le sénateur Robertson: Je ne suis pas en désaccord avec vous. Certains d'entre nous pensent effectivement qu'il y a suffisamment d'argent dans le système, si on l'utilise à bon escient, et si l'on parvient à en accroître l'efficacité. Cependant, il faut quand même toujours se demander ce qu'on fera si cela ne se produit pas.

Mme Hughes Anthony: En effet.

[Français]

M. Taillon: Je vous dirais, sénateur Robertson, dans un premier temps, que nous pensons qu'il y a suffisamment d'argent dans le système. Nous préconisons, plutôt que d'en rajouter, d'en mettre à nouveau. Il faut revoir fondamentalement l'organisation des services et son financement.

Si jamais cela échouait, on pourrait songer à d'autres modalités, du style ticket modérateur ou d'une caisse pour la santé pour les vieux jours, des soins à domicile. Avant de faire cela, il faut absolument revoir les fondements du système, l'organisation du système. Mais si on le fait pas, on va ajouter de l'argent et on n'aura rien réglé, on va avoir encore des listes d'attente, on va avoir encore des hôpitaux et des urgences bondés. Il faut faire ce travail. Cela prend le courage politique pour le faire, mais nous pensions qu'il faut le faire.

[Traduction]

Le sénateur Robertson: De fait, il y a un processus en deux étapes...

M. Taillon: C'est bien cela.

Le sénateur Robertson: ... que nous examinons. Je vous en remercie.

[Français]

Le sénateur Morin: Il y a un an, le président de la Banque Royale a fait un discours qui a eu beaucoup d'échos. Il a expliqué jusqu'à quel point les employeurs canadiens étaient privilégiés d'avoir le système de soins canadiens, par rapport aux employeurs américains qui doivent supporter le poids des assurances santé de leurs employés.

On dit par exemple qu'une auto qui est fabriquée aux États-Unis coûte 800 $ pour les assurances du système de soins, alors que ce n'est pas le cas au Canada. Une partie importante du fait qu'on puisse tellement exporter aux États-Unis, provient de la faiblesse du dollar canadien et qu'on n'a pas à assumer les soins de santé.

Les employeurs se trouvent vraiment privilégiés. L'ensemble des payeurs de taxes canadiens subventionnent jusqu'à un certain point, les employeurs, si on les compare aux employeurs américains.

Maintenant, qu'on le veuille ou non, les coûts de santé augmentent de 5 p. 100 par année et c'est à peu près vrai à travers le monde, quel que soit le système. Cela va de 3 à 7 p. 100; aux États-Unis ils augmentent encore davantage. Il faut envisager le coût de la technologie, le vieillissement de la population, le coût des médicaments. À chaque fois qu'on introduit un nouveau médicament pour une nouvelle maladie, le coût augmente et il n'a rien à voir avec son efficacité. Les médicaments, il faut les payer, c'est le facteur qui augmente le plus dans notre système de distribution de soins. Ou bien on les paie pas, ou bien on les paye plus tard.

Penser qu'en changeant un peu l'histoire, on peut réduire les coûts, ne m'apparaît pas une chose absolument évidente.

On a eu certains témoins, dont M. Mazankowsky dans l'Ouest, qui a suggéré, suite à une étude faite du coût des employeurs aux Etats-Unis pour les soins de santé, d'envisager une taxe spéciale pour le système de distribution de soins qui serait supporté par les employeurs. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

M. Taillon: D'abord, nous partageons l'analyse deM. Cleighorn selon laquelle nous avons un système au Canada qu'il faut préserver. Nous ne souhaitons pas un système basé sur le modèle américain. De là vient notre recommandation de maintenir un financement public.

Nous pensons que si on modifie la dynamique de l'offre des services, par exemple, les médicaments pourraient devenir un mode de traitement qui coûte moins cher - malgré l'augmentation des coûts - que certaines hospitalisations ou certaines chirurgies. Donc il y a une optimisation du meilleur outil médical à trouver, ce que le système actuel ne permet pas.

Voilà un peu comment nous réagissons face à votre question, sénateur Morin.

Mme Anthony: Si je peux ajouter quelques commentaires. Il y avait une espèce de mythe qui était peut-être vrai dans le temps où notre système de soins de santé était un avantage extraordinai re pour le monde des affaires. Je dirais que de nos jours, cela devient de moins en moins convaincant comme argument.

Nous avons, comme je l'ai signalé, un pourcentage croissant de contribution du secteur privé dans les soins de santé globaux, dans le sens que les employeurs paient des frais de contribution pour les programmes de santé de leurs employés.

[Traduction]

Mme Hughes Anthony: Le secteur privé assume une part de plus en plus importante. En outre, étant donné les difficultés difficiles actuelles que connaît le système de soins de santé, en particulier dans certaines régions du pays où il est difficile de trouver un médecin de famille, et dans les endroits où il n'y a tout simplement pas de spécialistes dans certaines disciplines, en plus des listes d'attente pour des interventions chirurgicales, nous constatons que pour recruter des gens, en particulier aux échelons supérieurs de l'administration au Canada, il faut faire de gros efforts et offrir une foule d'avantages pour obtenir qu'un professionnel vienne au Canada, s'il se trouve aux États-Unis par exemple. Les gens veulent être assurés qu'ils pourront aller se faire traiter dans des cliniques privées ou aller chez nos voisins du sud, par exemple, en cas de besoin, et ils s'attendent à ce que leurs employeurs paient la note.

Voilà, je crois, une preuve de plus que le système de soins de santé traverse une crise. Il n'est plus considéré aujourd'hui comme le joyau et l'avantage qu'il représentait, du point de vue des affaires.

Le président: Monsieur Taillon?

[Français]

M. Taillon: Un ajout peut-être, sénateur Morin, il ne faudrait pas penser non plus laisser entendre que les corporations ne paient pas d'impôt pour financer une partie du système de santé. Le système de santé est financé, bien sûr, par l'impôt des particuliers, mais aussi par l'impôt corporatif, l'impôt aux entreprises et au Québec, nous avons une taxe spécifique sur la masse salariale pour les soins de santé. On pourrait prétendre que si on oublie l'impôt sur le revenu des particuliers, on finance en partie à tout le moins de système de santé, d'où notre intérêt à qu'il soit performant.

Mme Anthony: Je voudrais souligner que l'idée soulevée par M. Mazankowsky de payer encore plus des impôts pour un système de santé où on a aucune idée exacte de sa valeur, de l'investissement de tous les coûts actuels, à mon avis, ne serait pas très bien reçue.

Le sénateur Morin: Je ne m'attendais pas à ce que vous l'appuyiez.

[Traduction]

Le président: Je crois que vous avez touché une corde sensible.

[Français]

M. Taillon: On ne peut pas, monsieur le président, poser la question: qu'en pensent les sénateurs?

[Traduction]

Le sénateur Keon: D'abord, je suis d'accord avec pratique ment tout ce que vous avez dit, mais je vais me faire l'avocat du diable pour essayer d'en apprendre davantage.

Mes amis socialistes aux États-Unis affirment que la différence fondamentale tient au fait qu'ils dépensent 14 p. 100 du PIB, tandis que nous en dépensons 8,5 p. 100. L'écart de 5 p. 100 est imputable presque intégralement aux frais généraux; il s'agit des 30 p. 100 qu'il leur en coûte pour acheminer toutes leurs factures de tous les usagers, et les bénéfices. Pour étoffer cette affirmation, ils citent le cas de certaines des organisations de soins de santé intégrées qui ont vu leurs valeurs passer de 90 millions de dollars à 25 milliards de dollars en cinq ans. Et la liste est longue.

À tout prendre, nos systèmes sont sensiblement équivalents. Sans aucun doute, il est possible d'obtenir des soins de la plus grande qualité aux États-Unis, soins qu'il n'est pas possible de recevoir au Canada; en revanche, l'espérance de vie d'un homme noir né dans le Bronx ne dépasse pas celle d'un citoyen du tiers monde. Ainsi, on constate que ni l'un ni l'autre des systèmes n'est parfait, et je déteste comparer les systèmes canadien et américain. Je crois que la comparaison demeure toujours superficielle, et qu'il nous faut plutôt étudier le tableau général, et non s'en tenir à ces deux systèmes.

Je veux concentrer mon attention sur ce que disent certains, que les gens d'affaires ne sont pas si futés que ça; qu'ils n'arriveront pas à générer de larges profits; qu'ils ne réussiront pas à réaliser des économies importantes au moyen des pratiques actuelles en vigueur dans le système de soins de santé canadien. Comment répondez-vous à cette épineuse question?

M. Murphy: Sénateur, vous en demandez beaucoup. Je ne suis pas en désaccord avec votre hypothèse de base, et je crois que vous ne verrez pas, dans notre documentation, de préférence pour un autre système que le nôtre; nous préférons nous pencher sérieusement sur celui que nous avons.

Je voulais tout simplement aborder la façon dont les hommes d'affaires abordent ce problème. C'est le point de vue que nous adoptons bien souvent pour ces questions. Lorsque, dans la gestion d'une entreprise, on est contraint de rechercher constamment les moyens d'économiser - et c'est la réalité pour tous nos membres -, on examine les outils à notre disposition. L'un des outils que nous utilisons de plus en plus est l'analyse comparative. Je crois que cette méthode a donné lieu à une productivité et une efficacité accrues au sein de l'entreprise, ce qui accroît de la création de richesse dans l'économie et le niveau de vie, et crée en outre des retombées positives et de nouveaux choix pour tous les agents économiques.

Ainsi, lorsqu'on aborde un tel défi, l'un des concepts à retenir est celui de l'analyse comparative. En d'autres mots, nous étudions sérieusement nos méthodes, nous déterminons les initiatives à prendre et puis nous essayons d'identifier les pratiques exemplaires qui ont cours ailleurs. Quand j'ai dit ailleurs, cela peut signifier les entreprises concurrentes. Dans notre cas, nous pourrions appliquer cette méthode directe aux autres entreprises dispensant les mêmes genres de services que nous, et ces entreprises pourraient exercer leurs activités au Canada, aux États-Unis, en Europe ou ailleurs. Il y a beaucoup de bonnes méthodes qui circulent et il y a des pratiques qui sont reconnues comme étant des pratiques exemplaires dans le domaine. Je crois que nous avons ici l'occasion d'envisager sérieusement sur la situation dans son ensemble et de tirer le meilleur parti de nos conclusions. Voilà en quelque sorte ma conclusion.

Mme Hughes Anthony: Pour revenir aux remarques de M. Murphy, et bien que la question ait certainement déjà été soulevée, l'exploitation maximale de la technologie semble une préoccupation assez constante chez nos membres. Je suis sûre que d'autres témoins ont aussi abordé la question de savoir dans quelle mesure on peut recourir à la technologie et dans quelle mesure cette dernière peut unifier notre système assez fragmenté. J'aimerais donc savoir si les autres témoins que vous avez entendus en ont parlé comme d'un souci constant.

Le président: Oui, c'est ce qu'ils ont fait, et on en a d'ailleurs vu un très bon exemple dans l'échange entre le Dr Boucher et le sénateur Pépin, je crois. Le Dr Boucher a alors dit: «ils arrêtent l'appareil à 15 heures, ce qui signifie que certains de mes malades doivent attendre neuf mois». Nul besoin d'être un génie pour se rendre compte que quelque chose ne tourne pas rond lorsqu'on a investi des capitaux dans le système. Soit dit en passant, cela ne se passe pas uniquement au Québec.

Les témoins nous ont aussi souvent dit qu'on a investi des capitaux dans l'achat de matériel et qu'ensuite on ne s'en est pas servi à plein temps. Par «plein temps», j'entends une utilisation des appareils pendant au moins 18 heures par jour, si ce n'est 24 heures par jour, sept jours par semaine.

Monsieur Taillon, allez-y.

[Français]

M. Taillon: Je pense qu'il est important, je partage l'opinion du sénateur Kirby, d'aller voir ce qui se fait le mieux ailleurs et de trouver les formules plus intéressantes pour les adapter à notre réalité. Je ne pense pas qu'on puisse copier comme tel des modèles existants. Il faut absolument une combinaison qui soit la meilleure possible d'une contribution privée et d'une contribution publique. Chacun des secteurs y va de ses meilleures performan ces et utilise des moyens complémentaires. Je pense que c'est l'objectif visé. S'il y a des profits par la suite, tant mieux, nous aimons mieux les entreprises qui font des profits. On les préfère à des entreprises qui font des pertes et qui congédient des personnes.

Le sénateur Pépin: Vous avez répondu un peu à la première question. La deuxième question, monsieur Taillon, c'est lorsqu'on regarde les recommandations que vous avez faites et avec lesquelles je pense plusieurs d'entre nous sommes d'accord. Vous dites, en fait, que les services devraient être accessibles 24 heures par jour. Je pense qu'il faut y songer très sérieusement. Lorsque vous faites une recommandation, vous dites que les établisse ments disposent d'une grande autonomie en matière de gestion de ressources humaines, matérielles et financières, suivant le financement établi. Cela signifie une restructuration du personnel par le biais des syndicats.

M. Taillon: Mais nous sommes conscients que cetterecommandation est audacieuse. Nos collègues d'en face, comme on a l'habitude de les appeler, ne sont pas toujours d'accord avec cela. Mais on pense que si on veut avoir un service qui offre des soins de qualité, on ne doit pas maintenir une organisation rigide du travail. Il faut donc confier, décentraliser la gestion des ressources humaines au plus bas palier, celui où s'effectue, où se donne le service et c'est essentiel.

Il peut y avoir une négociation possible entre des systèmes X et Y.Il faut avoir le courage de mettre en vigueur ces systèmes. Sinon, autant que si on ne met pas la capitation comme système de financement en vigueur, on n'aura pas de réforme dans nos systèmes de santé. Vous aurez probablement un autre mandat dans quelques années pour revenir nous voir, savoir comment on règle le problème du manque d'argent.

Le sénateur Pépin: Alors, j'ai très bien compris, merci.

[Traduction]

Le président: Je tiens à remercier tous nos témoins d'être venus témoigner aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir consacrer de votre temps.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons suspendre nos travaux jusqu'à 13 h 45.

La séance est suspendue.

[Traduction]

La séance reprend.

Le président: Tout d'abord, je voudrais m'excuser auprès des témoins pour notre retard. Nous avons pris près de 45 minutes de retard ce matin parce que nous avons commencé nos audiences avec Claude Castonguay et Claude Forget, et qu'il nous a été difficile de clore la discussion en respectant le temps qui nous était alloué, aussi je vous remercie de votre patience.

Chers collègues, les deux témoins que nous entendrons cet après-midi sont, premièrement, M. Jean-Luc Migué, qui est président du Conseil scientifique de l'Institut Économique de Montréal, et également Senior Fellow du Fraser Institute de Vancouver; et deuxièmement, M. Lee Soderstrom du département d'économique de l'université McGill.

Puis-je demander à chacun d'entre vous, non pas de lire son exposé, mais plutôt de nous en donner les faits saillants, et nous passerons ensuite aux questions. Acceptez encore une fois toutes mes excuses pour ne pas avoir respecté l'horaire d'arrivée ce matin.

[Français]

M. Jean-Luc Migué: Monsieur le président, j'ai intitulé ma présentation «Pour un retour aux premiers principes en matière de services de santé» parce qu'il m'apparaît que depuis un bon moment, les débats publics baignent dans une espèce de mythologie qui nous a valu l'état déplorable - et même lamentable - de la situation en matière de services de santé. Je veux revenir aux premiers principes afin de démasquer ces mythes qui entourent le débat public.

Au départ, je tiens pour acquis le caractère désastreux des conditions actuelles en matière de santé. On le mesure par les longues files d'attente, par l'inégalité d'accès aux services, par l'absence d'accessibilité aux technologies de pointe ou par la pénurie de professionnels. Les conditions sont lamentables. Des illusions nous ont valu l'établissement d'un certain nombre de mythes. Le premier qui me vient à l'esprit est celui de croire que sous notre régime de gratuité, c'est le patient qui jouit de la souveraineté, qui formule ses choix, et que le système s'adapte aux besoins et aux préférences de la population. Rien n'estplus éloigné de la réalité que mythe. C'est plutôt l'appareil politico-bureaucratique qui détermine l'allocation des ressources, la capacité du système, le nombre d'hôpitaux, le nombre de chambres d'hôpital et le nombre de médecins. On le jugeait excessif il y a 10 ans; on le juge insuffisant depuis quelques années.

C'est donc un régime où il est interdit à un individu comme vous et moi de contracter, pour obtenir un diagnostic, des offreurs privés pour obtenir un diagnostic, pour obtenir la qualité des services et pour ajouter même de l'assurance pour garantir la qualité de ces services.

Le deuxième mythe qui caractérise notre régime et le débat qui l'entoure, c'est que l'accès égalitariste, l'uniformité d'accès aux services est un idéal. Par conséquent, l'apparition d'un double régime privé/public comme le régime parallèle est devenu une espèce d'épouvantail, alors qu'en réalité, à la fois la théorie économique et l'expérience enseignent que la coexistence de deux régimes accroît la capacité du système et permet à tous, tant ceux qui restent dans le système public qu'à ceux qui accèdent aux services privés, de mieux satisfaire à leurs préférences, donc à leurs besoins.

Cette façon de dépeindre le double régime commecorrespondant à la double vitesse, cette perception repose donc sur le souci qu'ont les gens de maximiser, - enfin les opposants au double régime - le budget public plutôt que le budget de la santé. Idéalement, le régime devrait comporter 31 millions de vitesses au Canada puisqu'il y a 31 millions de personnes. C'est l'idéal qu'on doit rechercher.

Ce n'est pas le système unique. Ce n'est pas la double vitesse, c'est 31 millions de vitesses. La vision contraire qui domine le débat est la plus répandue. L'Organisation mondiale de la santé en a fait la promotion en inscrivant le «fairless» soi-disant, c'est-à-dire l'égalitarisme comme le principe premier de la qualité d'un système.

Ce qui a fait que le Canada se situe, dans cette hiérarchie, au trentième rang, derrière les pays d'Afrique et les pays en plein sous-développement. Évidemment, ces gens jouissent de l'égalitarisme, c'est-à-dire que tout le monde n'a rien en matière de services de santé, mais ils sont égaux.

Et, pourtant c'est l'idéal qu'on nous propose très souvent. D'autant plus que cette vision contredit les premiers principes de morale économique en quelque sorte, parce que l'égalitarisme implique qu'à la fois les gens les plus prudents, les plus consciencieux, les plus disciplinés en matière de services de santé reçoivent les mêmes services que les gens imprudents, les gens qui se maltraitent et qui n'ont aucun souci de protéger leur santé. Ils ont pourtant accès aux mêmes services publics et au même prix, c'est-à-dire au prix zéro.

Je veux aussi ajouter une autre dimension très importante qui postule que l'état de notre régime n'appelle que des réformes administratives, «manageriennes», en quelque sorte une meilleure planification.

En réalité, notre régime est condamné dans sa nature même, dans son essence même. Dans notre régime, tous les agents, que ce soit les consommateurs, les producteurs, les médecins, les hôpitaux, les politiciens et les bureaucrates subissent de mauvais incitatifs, c'est-à-dire qu'ils ont tous intérêt à adopter des comportements inefficaces et antisociaux, en quelque sorte.

On le sait, la documentation est convaincante là-dessus: les consommateurs abusent du système. La Rand Corporation l'a démontré. Sa démonstration a été confirmée ultérieurement par des travaux que je pourrais cités, c'est-à-dire, par exemple, sous le régime américain les gens qui acquièrent le Medicap, c'est-à-dire qui s'assurent au-delà de ce qui est prévu par Medicare consomment entre 25 p. 100 et 30 p. 100 de plus que ceux qui n'ont pas ladite assurance.

Quelle est la plus grande innovation institutionnelle en matière de santé? C'est le «managed care» non seulement de la version américaine, mais cette formule institutionnelle par laquelle on a combiné la production à l'assurance. C'est cela la caractéristique essentielle du «managed care».

Cela a donné lieu à des économies de 10 p. 100 à 40 p. 100. Pourquoi? Parce qu'à l'intérieur du «managed care», par opposition à l'assurance conventionnelle, il y a quelqu'un qui a le souci d'économiser. Alors, que sous l'assurance privée traditionnelle, les consommateurs abusaient du système. Les médecins sont soumis à de mauvaises incitations, mais les hôpitaux aussi.

Notre régime souffre de ce que M. Hayek, lauréat au prix Nobel pour l'économie il y a quelques années, qualifiait de «fatal conceit», une espèce de prétention fatale par laquelle on peut recueillir toute l'information nécessaire pour planifier l'ensemble d'un système comme le système de santé.

Cette prétention fatale qui veut qu'on puisse, par des directives centrales à des administrateurs, obtenir la qualité, l'innovation et l'économie qu'on souhaite des producteurs que sont les hôpitaux. Ceci est une prétention invraisemblable.

Les administrateurs d'hôpitaux sont des administrateurs, point. Nous, on a chassé de notre régime les innovateurs. Ce sont les gens qui ont intérêt à innover, à concevoir de nouvelles façons de produire et à économiser. Or, on a criminalisé le capital privé. On a criminalisé le profit si bien qu'on se retrouve aujourd'hui dans un régime qui manque de fonds, d'investissements et d'innova tions.

L'autre mythe c'est la perception de la gratuité et de la production publique, du monopole public comme un symbole de la justice sociale; comme expression d'une compassion dont nous, Canadiens, serions animés et qu'inspirerait le régime actuel.

En réalité, quand les gens appellent, par exemple, à l'alourdis sement fiscal pour sauver le régime, ils appellent à l'alourdisse ment fiscal de leur voisin. La théorie économique et l'analyse démontrent hors de tout doute que les choix politiques sont dominés par le souci d'une majorité de refiler le coût de leurs services à leur voisin. C'est ce qu'on observe en matière de santé.

La majorité des gens ou des ménages qui ont un revenu au Canada de 46 000 $ refilent le coût de leurs services de 1 500 $ par année, en matière de services de santé, à une minorité qui a un revenu de 62 000 $, c'est-à-dire le revenu moyen au Canada. Et, par conséquent, la première règle du jeu qui inspire notre régime, c'est le souci de refiler le coût des services à leur voisin.

Le deuxième principe, c'est la domination des groupes d'intérêt sur les choix publics: évidemment, les gens sont rationnellement apathiques, il existe telle chose que la majorité silencieuse, ce qui laisse généralement libre cours aux groupes d'intérêt, aux groupes de producteurs. Par exemple, chez nous, le coût de l'hôpital est composé à 80 p. 100 des coûts du travail. Donc, c'est la politique syndicale qui domine chez nous la gestion des hôpitaux et la production, alors que chez nos voisins aux États-Unis, ce pourcentage est de 55 p. 100.

Je passe à mon corollaire politique, si vous me permettez. Pour nous libérer de ces illusions, et en même temps garantir l'accessibilité et l'économie des ressources, il m'apparaît qu'il existe un moyen privilégié qui consiste à replacer les consommateurs, les patients, au centre du système, c'est-à-dire de restaurer le choix.

Or, le choix, est incompatible avec l'assistance publique et même avec le financement public. C'est tout simplement l'accumulation par les familles, par les individus, de ce que je pourrais appeler des fonds d'épargne-santé semblables aux fonds de retraite, qui seraient financés par les individus et aussi par les budgets publics, par lesquels les individus retrouveraient la pleine souveraineté en matière de choix publics.

Par exemple, si l'allocation publique s'établissait à 1 500 $ ou 1 800 $ par année, cela voudrait dire que ces 1 500 $ seraient assumés, selon la volonté des individus, à ce budget au-delà de cette allocation, qui correspond au budget de 1 800 $. C'est ce que cela coûte en moyenne au Québec, et 2 200 $ en moyenne pour l'ensemble du Canada.

L'avantage de ce régime, c'est qu'au-delà de l'allocation prévue, les individus seraient responsables de leurs décisions, c'est-à-dire qu'ils assumeraient eux-mêmes le fardeau de leurs décisions. Les incitations seraient pour les offreurs. Les individus commanderaient aux offreurs, aux médecins, aux hôpitaux, des services au-delà de ce minimum, avec toutes les incitations qui s'ensuivent. L'Association canadienne des actuaires ainsi que la Consumer Protection Institute calculent que cela pourraitreprésenter des économies de l'ordre de 6 milliards de dollars par année; ce qui n'est pas banal sur un budget global public d'à peu près de 60 milliards de dollars.

L'avantage de ce régime serait que les fonds appartiennent à l'individu et donc que celui-ci serait bénéficiaire de la parcimonie avec laquelle il traiterait ses ressources. Cela introduirait en même temps une concurrence grandement souhaitable dans un régime qui est caractérisé par le monopole public. On obtiendrait à la fois les objectifs de justice, c'est-à-dire l'équité d'accès universelle aux services de santé, mais dans un régime qui économiserait les ressources.

[Traduction]

M. Lee Soderstrom, professeur, département d'économique, université McGill: Je présume que tout le monde a reçu un exemplaire de mon texte; vous remarquerez à la page quatre, un tableau sur lequel je reviendrai plus tard durant mon exposé, cet après-midi.

Merci de nous donner l'occasion de discuter avec vous du Volume quatre de votre rapport; mes commentaires s'inspirent de la lecture que j'en ai faite. En effet, j'aimerais insister particulièrement sur deux points. Premièrement, j'exhorte le comité à accorder davantage d'attention à l'efficience économique des diverses propositions de réformes étudiées dans le rapport.

Durant ma lecture du Volume 4, j'ai été frappé par le fait qu'il n'était pour ainsi dire pas question de l'efficience économique dans tout le document. J'ai bien vu çà et là des références à l'idée générale d'équité sociale, mais très peu de commentaires sur la question de l'efficience. J'en ai été très surpris, ayant travaillé dans le domaine du système de soins de santé depuis presque 30 années maintenant, je réalise que la plupart des planificateurs des soins de santé, lorsqu'ils se penchent sur une réforme, se préoccupent de deux aspects fondamentaux, à savoir quels sont les impacts de la réforme sur l'équité en premier lieu et deuxièmement, quelle sera l'incidence sur l'efficience économi que de manière plus générale?

Lorsque j'ai commencé à lire le rapport, je me suis rendu jusqu'à la page 5 avant de réaliser qu'il manquait quelque chose. J'ai lu:

Les Canadiens ont opté pour un régime d'assurance-mala die public universel pour des motifs de compassion, d'équité et de justice.

À ma surprise, il n'était aucunement question de l'amélioration de l'efficience du régime d'assurance gouvernementale.

J'enseigne encore aujourd'hui et depuis longtemps au premier cycle et au deuxième cycle en économie de la santé. Lorsque j'aborde les régimes d'assurance, j'ai tendance à insister sur les effets de ces régimes sur l'efficience, et non sur l'équité. Il y a d'importants gains d'efficience à réaliser avec les régimes d'assurance gouvernementale, et il semble que ce rapport les ait passés sous silence. Je reviendrai sur ce point plus tard.

En poursuivant ma lecture, j'ai remarqué, à la page 36, que les auteurs suggéraient ce qui suit:

Il est important d'équilibrer la participation publique et privée dans le domaine des soins de santé.

Lorsque j'ai lu cette phrase, je me suis demandé pourquoi il était tellement souhaitable sur le plan social d'équilibrer ces participations. À mon sens, le rôle des secteurs privé et public, et je pense que tous les planificateurs de soins de santé seront d'accord avec moi, devrait être dicté par leur impact sur les deux objectifs que constituent l'équité et l'efficience. L'équilibre en lui-même n'a rien de souhaitable sur le plan social.

Alors, après avoir lu cette phrase, j'ai commencé à m'interroger sur l'orientation que prenait ce rapport, et sur le vocabulaire qui y était utilisé. Il m'a semblé que les auteurs utilisaient «participation publique» et «participation privée» comme s'il s'agissait de mots de code. La participation publique était vue comme la marque d'une préoccupation à l'égard de l'équité. L'idée étant que la participation publique favorisera l'équité, mais que, hélas, elle aura une incidence négative sur l'efficience. L'expression «participation privée» était utilisée comme un mot de code pour signifier une amélioration de l'efficience. La visée étant que la participation privée est un gage d'efficience, même si elle risque d'avoir une incidence négative sur l'équité.

Si c'est bien ainsi que les auteurs voient les choses, l'idée générale serait qu'en équilibrant la participation des secteurs public et privé, on obtiendrait une certaine forme d'équilibre entre les préoccupations liées à l'équité et à l'efficience.

Il m'a semblé que c'était une interprétation plausible. Toute fois, il y a un problème de taille et il tient à ce que les auteurs, à l'instar de bien d'autres personnes au Canada, entretiennent l'idée erronée que le secteur privé est synonyme d'efficience. Les recherches dont nous disposons montrent que le secteur privé n'est pas toujours plus efficient que le secteur public dans le domaine des soins de santé. Cette constatation m'amène à ma deuxième observation. Je pense que le comité devrait accorder plus d'attention à la somme de recherches indiquant que diverses formes de privatisation n'entraîneraient pas une amélioration de l'efficience du système de soins de santé canadien.

Dans le Volume 4, les auteurs énumèrent diverses propositions visant à accroître la participation du secteur privé dans les soins de santé. Ils parlent d'élargir le rôle du secteur privé au chapitre du financement et de la prestation des services.

Et comment s'y prendra-t-on pour évaluer ces propositions? À mon avis, nous pouvons les évaluer en réfléchissant à l'impact qu'elles auront sur l'équité et l'efficience. Il ne s'agit pas de spéculer sur les éventuelles répercussions, mais plutôt - et c'est à cela que sert la recherche - de savoir quels seront les effets de ces propositions. Pour avoir une idée de ces effets, on se tourne vers les conclusions des recherches. Nous avons la chance de disposer d'une documentation très riche et très abondante dans laquelle des chercheurs ont évalué bon nombre de propositions qu'étudie actuellement le comité. Malheureusement, on utilise très peu cette documentation dans le Volume 4, et on n'y fait pratiquement aucune référence, ce qui me surprend beaucoup.

Dans tout le volume, on trouve diverses références à des expériences tenues dans d'autres pays - des réformes ayant eu lieu en Suède, en Angleterre, dans d'autres parties de l'Europe, et on mentionne des projets qui se déroulent aux États-Unis. Mais il s'agit de renseignements descriptifs; ce n'est pas parce que les Suédois, les Allemands ou les Américains le font que ces réformes favorisent l'équité ou l'efficience. Le seul moyen de savoir ce qu'il en est vraiment au sujet des effets de ces réformes consiste à essayer de trouver des preuves découlant des études ayant été réalisées à leur sujet. J'essaie de faire valoir que le comité dispose d'un énorme corpus de documentation. Hélas, il ne semble pas y puiser, si j'en juge par le texte du Volume 4.

Dans son rapport, le comité fait valoir son intérêt pour un débat non idéologique. Je suis d'accord. Toutefois, il me semble que le meilleur moyen de favoriser la tenue d'un débat non idéologique consiste à fournir un bon résumé des recherches ayant été effectuées, et une analyse des conclusions de ces recherches. Ces éléments sont absents du rapport.

Alors, que pourrions-nous trouver en parcourant cette docu mentation? Pour vous en donner une idée, j'ai fait un résumé dans mon mémoire. Vous le trouverez au Tableau 1 que je vais passer en revue avec vous rapidement pour conclure.

Tout d'abord, dans le cadre d'un financement des services de santé par le secteur privé, deux possibilités sont abondamment débattues dans le rapport. Premièrement, nous savons d'après les recherches poussées qui ont été faites que les régimes d'assurance du secteur privé sont plus coûteux parce que leurs frais d'administration sont plus élevés.

En facturant aux patients les services assurés, ce qui représente le deuxième scénario le plus souvent mentionné, les recherches démontrent que les coûts des services de santé ne semblent pas avoir diminué pour autant. La meilleure étude à ce sujet est celle de la Saskatchewan et de l'expérience qu'elle a réalisée avec la facturation des services assurés vers la fin des années 60.

Deux autres exemples, si nous descendons plus bas dans le tableau, visent la prestation de services par le secteur privé. L'un de ces exemples concerne les établissements hospitaliers à but lucratif. La documentation, surtout de source américaine, est très abondante sur ce sujet et elle vise les répercussions de la privatisation des hôpitaux sur le rendement. Ces recherches portent sur une période de 20 ans, et sont assorties d'une bibliographie de 30 à 50 articles. Ce qui frappe le plus, et j'ai été le premier surpris lorsque j'en ai pris connaissance, c'est que ces recherches tendent à suggérer que les hôpitaux à but lucratif ne sont pas plus efficients que les hôpitaux à but non lucratif. En effet, les établissements à but lucratif réalisent un bénéfice en exigeant des prix plus élevés, et non en démontrant une plus grande efficience. Il y a énormément d'études sur le sujet.

Voilà un résultat important pour deux raisons: la première, c'est que ces constatations suggèrent qu'il n'y a pas grand-chose à espérer de la privatisation des hôpitaux. La seconde, c'est qu'il y a eu tellement peu de recherche dans les autres domaines que cela nous met en garde contre la tentation de faire appel au secteur privé comme moyen efficace d'améliorer l'efficience. La docu mentation sur ce sujet est très abondante.

Voici un dernier exemple. Si je descends tout en bas du tableau, vis-à-vis les maisons de soins, je note une exception. Il n'existe aucune recherche canadienne sur ce sujet, mais la documentation sur les études réalisées aux États-Unis semble suggérer que les maisons de soins à but lucratif sont plus efficientes. Elles ont tendance à afficher des coûts inférieurs, et la qualité des soins semble être sensiblement la même que dans les maisons de soins sans but lucratif. C'est donc un secteur où l'on pourrait envisager la privatisation et espérer améliorer le rendement du système de soins de santé canadien. C'est frappant, je trouve, que votre Volume 4 ne fasse aucune mention de cette documentation.

Voilà, j'ai fait les deux observations que j'avais en tête, alors je vais m'arrêter ici.

Le président: Merci. Je suis d'accord avec vous qu'il serait très utile de disposer d'un résumé des conclusions de recherches fondamentales que vous avez présentées sous forme de synthèse dans votre Tableau 1. Existe-t-il un document ou un résumé de la recherche disponible? Je comprends quelles seront les conclu sions, mais y a-t-il moyen de trouver une telle synthèse?

M. Soderstrom: Je n'ai pas connaissance qu'il existe un document à jour couvrant tous ces domaines. Je collige plus ou moins ces résultats de recherche depuis deux ou trois ans. Cependant, je suppose que vos recherchistes doivent connaître cette documentation.

Le président: Oui. Des études comparatives ont été effectuées sur le sujet, donc c'est très bien.

[Français]

Le sénateur Morin: J'aurais un certain nombre decommentaires à faire, monsieur Migué. Je pense que vous êtes d'accord que la multiplicité des assureurs pour le même service augmente la complexité du système. D'ailleurs, c'est pour cette raison que vous proposez de garder un payeur unique.

Le problème de la réduction des coûts de santé par les patients c'est qu'il met en opposition deux valeurs. Est-ce la question de la sous-consommation? Par exemple, les personnes qui ne profitent pas de Medicare aux États-Unis, sont souvent des patients pauvres qui sous-consomment les soins de santé.

Il est évident que si on n'a pas d'assurance et si on n'a pas de fonds personnels pour consulter ou se payer des médicaments, bien souvent il y a sous-consommation. En ce qui a trait à la sous-consommation, il est toujours très difficile d'évaluer les effets des soins de santé.

Les soins de santé sont surtout des soins de qualité de vie, et d'en évaluer simplement les cas de mortalité n'est pas un point.

La majorité des coûts de santé des fonds industriels d'épargne santé, soit 40 p. 100, sont vraiment affectés, car ils sont consacrés qu'aux soins de santé requis pour les trois derniers mois de notre vie. Un pourcentage de près de 30 p. 100 des soins de santé vont à des gens porteurs de maladie chronique, par exemple, la sclérose en plaques, l'arthrite rhumatoïde ou à des gens qui sont généralement handicapés. Et, pour ces deux groupes de person nes, les fonds industriels d'épargne santé sont plus difficiles à obtenir. Évidemment, la relation entre les styles de vie sains et les coûts de santé ne sont pas toujours aussi évidents. Plus on vieillit, moins le style de vie qu'on a eu plus jeune a un effet sur notre santé.

M. Migué: En ce qui a trait à la question de la sous-consom mation, personne ne songe à priver les gens les plus démunis de l'assistance nécessaire pour accéder aux services.

Les données démontrent en matière de consommation que l'imposition d'une responsabilité par les consommateurs les amène à adopter des comportements plus sages, soit à consommer moins sans compromettre leur santé. La baisse de consommation, en général, suit l'imposition d'une forme de responsabilisation du consommateur et ne s'accompagne pas d'une détérioration de la santé des gens. Ce sont les résultats de La Rand Institute et de plusieurs autres études. Le principe que j'énonce, c'est qu'on ne bâtit pas un régime pour répondre aux particularités de 5 p. 100 à 10 p. 100 de la population.

Quant à l'observation très juste que vous faites pour certains individus et la consommation, les besoins sont tellementgigantesques que cela risque de les ruiner. Les propositions relatives à la constitution d'un fonds d'épargne santé s'accompa gnent toujours de l'hypothèse d'une assurance catastrophe, au-delà d'un chiffre.

Je n'ai pas essayé d'«opérationaliser» le système parce que, je ne me fais pas d'illusions, je doute, qu'on ne l'adopte jamais. De toute façon, ce n'est pas à moi d'«opérationaliser» le système. Cependant, pour ce genre de problème que vous soulevez, il y a un plafond à débourser au-delà duquel l'assurance publique ou privée prendrait charge.

J'aimerais, si vous me permettez, faire une observation relative aux propos de mon collègue avec lequel je diffère fondamentale ment, bien que nous soyons tous les deux économistes. Le principe, c'est de dire que mon collègue fait un usage généreux du terme «efficacité». Mais, l'efficacité, pour lui, si je comprends bien, c'est de minimiser les coûts comme si c'était un objectif.

Or, le principe de l'efficacité en économie, il n'y en a pas dix-huit, il n'y en a pas deux, il y en a un, et il repose premièrement sur la suprématie de l'individu. Il existe un principe moral et philosophique que l'économiste retient - et c'est le seul depuis que l'économie existe - et c'est le principe de la souveraineté des individus, de la suprématie des individus.

Comprenez-vous? C'est bien sûr que l'on peut économiser en privant les gens de ce qu'ils veulent. C'est exactement le régime qui nous a amenés aux circonstances actuelles. Et, par conséquent, je veux m'inscrire en faux contre mon voisin qui propose l'efficacité comme ayant pour seul objectif de minimiser les coûts. Comprenez-vous?

[Traduction]

M. Soderstrom: Excusez-moi; permettez que je rétablisse les faits. Je n'ai jamais rien dit de tel.

M. Migué: Oui, vous l'avez dit. De façon implicite, c'est bien ce que vous avez dit. Les hôpitaux ont reçu moins à tel égard, et plus ailleurs.

Le président: Sénateur Morin?

Le sénateur Morin: Pour débuter, monsieur le président, j'aimerais soulever une objection en ce qui concerne les accusations. Le professeur Soderstrom affirme que nous n'avons pas tenu compte des éléments probants. Nous avons produit un document présentant des options et dans lequel nous ne faisions que poser des questions. Pourquoi devrions-nous considérer les preuves lorsque nous posons des questions? Je désapprouve ces accusations à notre égard. Je ne pense pas que nous ayons tellement tort en posant ces questions, pour deux bonnes raisons. Si les choses étaient si évidentes, pourquoi est-ce que tous les pays de l'OCDE sans exception ont des régimes d'assurance privés, un secteur privé florissant et qu'ils envisagent d'aller plus loin encore dans cette direction? Le premier ministre Blair a déclaré récemment qu'il voulait se tourner encore davantage vers le secteur privé; la Suède fait davantage appel au secteur privé que dans le passé et il en va de même pour l'Australie.

Pourquoi devrions-nous être blâmés pour avoir envisagé cette option? Pourquoi viendrait-on nous accuser de ne pas tenir compte de l'information probante?

Il y a une autre bonne raison pour laquelle nous devons présenter cette option. Comme vous l'avez entendu, le professeur Migué qui se trouve à votre gauche, est un économiste de renom qui a publié des livres sur le système de soins de santé, et sa position est tout à fait à l'opposé de la vôtre. Il croit que nous devrions nous tourner davantage vers le secteur privé.

Par conséquent, je ne suis pas du tout d'accord avec vous, et je m'insurge contre vos accusations. Vous êtes parfaitement justifié de faire valoir votre point de vue. Toutefois, je ne vois pas pourquoi nous devrions subir ces accusations.

En ce qui concerne l'efficience, je ne pense pas que nous devrions adopter un modèle à payeur unique, aussi sur ce point nous sommes d'accord, je crois.

Pour ce qui est de la «production des services de santé à but lucratif», des témoins nous ont affirmé qu'au contraire il existait passablement d'information récente prouvant que les fournisseurs à but lucratif étaient plus efficients et obtenaient de meilleurs résultats. Je constate que vous signalez l'information probante, mais que vous ne mentionnez aucune référence dans votre document. Qu'entendez-vous par des «recherches américaines et canadiennes»? Vous devriez au moins donner les références.

Ceci étant dit, je sais à quels documents vous faites allusion, mais de nombreux témoins sont venus nous dire que les fournisseurs de services à but lucratif obtenaient de meilleurs résultats à moindre coût que leurs pendants du secteur public. Je ne dis pas que nous devions tout privatiser, ou que tout le système doive être gouvernemental, mais il me semble que nous devrions envisager la possibilité de confier une partie des soins de santé au secteur privé.

M. Soderstrom: Il me semble que si le comité souhaite que son rapport alimente un débat et une discussion d'un certain niveau intellectuel plutôt qu'idéologique, il devrait informer les lecteurs de ses rapports sur ce qui a été publié sur ses diverses propositions. Je n'ai rien contre l'idée d'énumérer tout un éventail de réformes, qu'elles fassent appel à un engagement plus marqué du secteur privé ou du secteur public. Il y a des points à gagner en réalisant une certaine expansion vers le secteur privé, mais il se pourrait que l'on puisse retirer aussi des avantages d'une expansion plus marquée vers le secteur public.

Je veux tout simplement faire valoir qu'il est important de poser la bonne question. Et à mon sens, la bonne question ne consiste pas à déterminer l'équilibre à tenir entre les secteurs public et privé, elle vise plutôt à se demander quels pourraient être les effets sur l'équité et l'efficience. Avec tout le respect que je dois aux autres témoins, je prends connaissance de documents scientifiques publiés par des chercheurs ayant fait des évaluations sérieuses de diverses propositions, et ce que vous avez devant vous est très récent.

Voici un exemple: l'intérêt pour les cliniques privées. Il y a dix-huit mois, dans le New England Journal of Medicine, une des deux plus importantes revues médicales, on a rapporté une étude sur les effets négatifs que les cliniques de dialyse rénale pourraient avoir sur la santé. Il s'agit d'une recherche très récente, et elle figure parmi celles du Tableau 1.

Le sénateur Robertson: Justement, pour revenir à ce tableau, je suis persuadée que vous pourriez nous éclairer sur les raisons qui expliquent ces situations. Par exemple, dans les maisons de soins à but lucratif, où les coûts des soins sont inférieurs, les coûts sont moins élevés pour des soins de qualité, et...

M. Soderstrom: Oh, c'est une coquille. Vous devriez lire: «Aucun effet sur la qualité des soins dispensés dans les maisons de soins».

Le sénateur Robertson: Alors, est-ce que les résultats sont les mêmes, qu'il s'agisse d'un établissement à but lucratif ou non?

M. Soderstrom: Oui.

Le sénateur Robertson: Par conséquent, dans ces études de recherche que vous citez, il doit bien y avoir une ou des indications des raisons pour lesquelles une maison de soins à but lucratif pourrait avoir des coûts inférieurs et pourtant offrir un équilibre entre la qualité des soins et l'accessibilité. Pourriez-vous nous expliquer comment on en est venu à cette conclusion?

M. Soderstrom: À brûle-pourpoint, non. Je ne suis pas un spécialiste du domaine. Je me suis contenté de lire les documents de recherche et de compiler les conclusions.

Le sénateur Robertson: Il faudrait que nous fassions des recherches pour comprendre pourquoi, parce que c'est assez frappant. Je ne remets pas en doute votre intégrité, mais je suis toujours un peu circonspect lorsque l'on me présente un tableau sans donner les sources.

Le président: Ne serait-ce que pour renchérir sur l'observation du sénateur Robertson, il est vrai qu'il est assez intrigant que, pour une partie du secteur des soins de santé, qui regroupe des institutions et la prestation de services, et ainsi de suite, vous dites que la qualité est pratiquement la même et que les coûts sont inférieurs. On ne peut s'empêcher de penser que c'est bizarre, si l'on se fie au tableau, que ces constatations ne puissent s'appliquer aux autres institutions qui dispensent des services. Il y a deux conclusions possibles: ou bien les soins de santé de longue durée ont quelque chose de totalement unique - et je ne peux pas voir de quoi il s'agit, mais c'est seulement une question - ou alors on se dit que ces recherches sont probablement dans l'erreur, parce qu'il doit y avoir une raison. On ne peut pas seulement affirmer que ça fonctionne dans un segment, et je ne dis pas cela pour critiquer. Je m'interroge sur les recherches que vous mentionnez. Vous comprenez que ces documents nous incitent à penser qu'une partie de la recherche pourrait être erronée, ou alors que les soins de longue durée ont des caractéristiques particulières, et dans ce cas, quelles sont-elles?

M. Soderstrom: Je penche plutôt pour la deuxième hypothèse. L'une des choses les plus frappantes au sujet de ces recherches, et particulièrement si l'on regarde les hôpitaux et les maisons de soins, c'est que nous pouvons examiner un grand nombre d'études qui utilisent diverses méthodes et diverses variables, et que toutes semblent en arriver pour ainsi dire à la même conclusion, et c'est précisément ce que recherchent les scientifi ques. C'est la loi de base. La loi de base est en effet que dans les hôpitaux et les maisons de soins à but non lucratif, la qualité des soins ne semble pas être affectée.

Je m'excuse de ne pas vous avoir fourni les références exactes. J'ai délibérément pris la décision de ne pas le faire parce que lorsque je l'ai fait dans le passé, les gens ont jeté un coup d'oeil à mes documents, ils ont vu la longue liste de références et ils se sont mis à bailler. Toutefois, si le comité souhaite que je cite les références à ces affirmations, je serai très heureux de répondre à ses désirs. Ce n'est pas un problème.

Le sénateur Robertson: Pour en venir à des questions très terre à terre que le public connaît très bien - et nous faisons allusion au public parce que la plupart d'entre nous ont des rapports de longue date avec la population, dans une fonction ou dans une autre - l'un des deux facteurs dont nous entendons sans cesse parler est celui des longs délais nécessaires pour obtenir des soins. La plupart des gens sont assez satisfaits une fois qu'ils sont entrés dans le système, mais ils s'inquiètent d'avoir à attendre leur tour pour obtenir des diagnostics assez importants de leurs problèmes. Bien entendu, l'autre facteur est celui de la pénurie de professionnels.

J'écoute très attentivement, quelle est votre interprétation de ces deux problèmes?

[Français]

M. Migué: Monsieur le président, si je peux intervenir. J'ai pris pour acquis que les deux dimensions que vous avez soulevées témoignaient des déficiences fondamentales de notre régime. Ces déficiences découlaient de ce que les incitations qui s'exercent sur toutes les parties au système de santé, c'est-à-dire sur les consommateurs, sur les offreurs de services, médecins, hôpitaux, cliniques, sur les politiciens, sur les bureaucrates, étaient mauvaises. Chacun avait intérêt à adopter des comportements inefficaces. Si bien que pour y remédier, il faut restaurer à la fois la souveraineté des consommateurs et en même temps, faire en sorte qu'ils puissent exprimer leurs vraies préférences. Il faut donc réinstaurer dans le système, à la fois le choix des consommateurs et la concurrence, et l'augmentation de la capacité du système, en termes d'offreurs. En réintroduisant la souveraine té des consommateurs et le financement individuel avec l'écono mie, il va y avoir appel de services supplémentaires.

Donc, on aura plus de médecins, plus de services, de diagnostics et d'équipements, de traitements et de diagnostics, et la capacité du système augmentera. Les files d'attente vont donc être atténuées, comme on l'observe en Europe et un peu partout.

[Traduction]

Le sénateur Robertson: Dans ce cas, est-ce que vous pensez à un payeur public et privé dans votre modèle?

M. Migué: Bien sûr, mais dans mon modèle, les particuliers expriment leurs désirs, ils se servent de leur pouvoir d'achat, à l'endroit des fournisseurs des secteurs public et privé.

Le sénateur Robertson: Vous ne trouvez pas qu'il y a une contradiction?

M. Migué: Pas du tout. En réalité, c'est monnaie courante dans pratiquement le monde entier.

Le sénateur Robertson: Je comprends, sauf ici.

M. Migué: Oui, sauf ici, et je pense que Cuba et la Corée du Nord figurent aussi parmi les exceptions.

Le sénateur Robertson: Oui, les exceptions. Je voulais simplement m'assurer de bien comprendre votre point de vue, monsieur.

Le président: Je ne pense pas que nous allons poursuivre sur cette lancée.

M. Soderstrom: Permettez-moi seulement de répondrebrièvement à cette question. Je ne pense pas qu'en empruntant la voie de la facturation à l'usager ou de l'assurance privée on ait trouvé une solution magique pour éliminer les listes d'attente. Peut-être avons-nous beaucoup à gagner, en revanche, si l'on se fie à certaines expériences réalisées en Ontario. Je pense que quelque part dans le Volume 4, vous faites allusion à l'expérience très positive qui a été faite en Ontario avec une meilleure gestion des listes d'attente pour les patients de cardiologie. Je suis surpris que dans votre rapport vous n'ayez pas fait une plus grande utilisation de cette expérience. Elle nous enseigne qu'avec un système mieux géré on peut de fait atténuer passablement les problèmes de liste d'attente. Ces listes d'attente se présentent souvent dans des contextes où l'administration laisse à désirer.

Le sénateur Robertson: Donc, nous aurions intérêt à mieux gérer le système pour pouvoir l'équilibrer.

Le sénateur Keon: Je suis incapable de résister. Le réseau Cardiac Care Network a été conçu par une personne très brillante; c'est la raison pour laquelle il fonctionne bien.

Le président: Et regardez qui pose la question.

Le sénateur Keon: Monsieur Migué, vous avez commencé à nous chanter les louanges des soins gérés, mais par manque de temps, vous n'avez pas pu poursuivre. Voudriez-vous élaborer un peu sur le sujet des soins gérés et sur la contribution que selon vous ils ont apportée, parce que j'ai aussi entendu de sévères critiques à leur endroit, de la part du corps médical en particulier.

M. Migué: Mes lectures sur le sujet disent que les soins gérés sont la plus fantastique innovation institutionnelle qui ait été apportée aux soins de santé depuis les cinquante dernières années, et que leur plus importante contribution a consisté à combiner la production des services avec l'assurance. Les gens qui font partie du système ont intérêt à économiser, c'est-à-dire à ne pas gaspiller les ressources, à ne pas surconsommer et à ne pas laisser les médecins produire de façon excessive. Il arrive souvent, quoique pas toujours, que la rémunération des médecins soit générée différemment. Aussi, la concurrence est maintenue dans la mesure du possible dans les soins de santé.

En théorie, ce système permet de gagner sur tous les tableaux.

[Français]

M. Migué: On ne peut pas échapper à l'obligation d'avoir des agents dans le système qui soient soucieux d'économiser. Sous le régime actuel il n'y en a pas. Dans notre régime, on fait face aux mauvaises incitations et les consommateurs ont intérêt à surconsommer et les producteurs à surproduire. On a bloqué la capacité, la capacité est fixe. On fixe le nombre d'hôpitaux, le nombre de chambres, le nombre de médecins, et cetera et, évidemment, les consommateurs font la queue et il en résulte une baisse de qualité.

C'est très néfaste dans la perspective de la souveraineté et de la suprématie des individus. Tandis que le régime de «manage care» introduit la prise de conscience des coûts, tout en maintenant la concurrence et, hypothétiquement, la souveraineté des consom mateurs. L'économie a été réelle en tout cas.

[Traduction]

Le sénateur Keon: Je trouve intéressant que l'American Medical Association ait réussi à mettre cet enjeu au programme des dernières élections présidentielles. Le président Bush s'y est référé à plusieurs reprises.

M. Migué: Oui, en effet.

Le sénateur Keon: Il a déclaré qu'il aimerait voir le système revenir à l'époque où les décisions étaient prises par le médecin et son patient. À ma connaissance, il n'y a pas eu de développe ments sur cette question, mais on a senti qu'elle suscitait une énorme résistance en Amérique.

Monsieur Soderstrom, voulez-vous faire un commentaire du point de vue de l'économie de la santé?

M. Soderstrom: Les soins gérés comportent des caractéristi ques intéressantes, mais permettez-moi d'aborder la question dans une perspective plus large.

Selon moi, l'un des enseignements à retirer de l'expérience américaine est qu'il est important de bien gérer un système de soins de santé. Avant les régimes de soins gérés, on avait réalisé des expériences poussées avec les OSSI, qui ont suscité beaucoup de controverse, comme vous le savez probablement, mais elles avaient beaucoup d'attraits pour bien des planificateurs des soins de santé. À mon point de vue, la principale caractéristique des OSSI, qui est aussi la raison de leur succès et pour laquelle elles ont été copiées par les soins gérés, est qu'elles étaient bien gérées, qu'elles reposaient sur de bonnes responsabilités, de bonnes incitations et une bonne information. Les soins gérés ont essayé, dans une certaine mesure, de reproduire ces traits caractéristiques. Je pense que nous avons beaucoup à apprendre ici au Canada sur l'importance de la bonne gestion.

Dans bon nombre de mes écrits, par exemple pour des commissions, ici au Québec, j'ai suggéré divers moyens qui permettent de tirer parti de ces idées. Et il s'agit justement de comprendre l'importance de bien gérer le système, si nous tenons à avoir un système. En gérant bien le système, on réglerait le problème des listes d'attente, et bien d'autres problèmes. Ma préoccupation fondamentale au sujet du système de soins de santé canadien aujourd'hui est la qualité de la gestion.

Le président: J'ai une question qui s'adresse à vous deux, encore que peut-être davantage au professeur Soderstrom. Elle concerne la recherche qui est comparable et pertinente au Canada. Je ne connais pas la réponse, donc c'est une vraie question. Étant donné que le système canadien et sa structure de valeurs sont beaucoup plus proches de ceux de la plupart des pays européens, ou même de l'Australie, dans quelle mesure les résultats de recherches effectuées aux États-Unis, par exemple sur les pour et les contre des institutions à but lucratif, peuvent-ils être extrapolés au Canada?

Je pose la question parce qu'il me semble qu'aux États-Unis, où l'on ne dispose pas d'un système universel, sauf pour les patients du régime public d'assurance-maladie - donc, oublions pour un instant les personnes âgées de 65 ans et plus - l'attitude de la profession est très différente de celle que l'on retrouve au Canada. L'échelle des valeurs de la profession au Canada se situe quelque part entre l'échelle des Européens et celle des Améri cains. Par conséquent, j'ai toujours été un peu réticent à ce que l'on transpose directement les résultats des études effectuées aux États-Unis à la situation canadienne.

Ai-je raison de me méfier, ou puis-je tout simplement supposer que si la documentation de recherche américaine donne certains résultats, ces résultats pourraient s'appliquer automatiquement au Canada?

M. Soderstrom: Non. Il faut faire attention dans ce cas à ce que vous essayez d'extrapoler. J'aurais des réticences si l'on tentait d'extrapoler l'expérience des soins gérés réalisée aux États-Unis dans le contexte canadien, pour exactement les mêmes raisons que celles que vous venez d'énumérer. Pour moi, ça ne fait aucun doute. Toutefois, lorsque nous comparons l'assurance privée et l'assurance gouvernementale, et l'éventualité que des frais administratifs élevés soient associés à l'assurance privée, je pense que l'on peut extrapoler ces résultats sans grande difficulté.

À mon avis, il faut être un peu plus prudent lorsqu'il s'agit de comparer les différences de coûts entre les établissements hospitaliters à but lucratif et ceux à but non lucratif. Il faut trouver un entre-deux.

Le président: C'est en partie pourquoi je posais la question.

M. Soderstrom: Oui, et la raison pour laquelle je dis ceci est que les études comparent des établissements américains à but lucratif avec des établissements américains à but non lucratif. Les établissements canadiens à but non lucratif sont différents de leurs pendants américains, en partie parce qu'ils subissent des compressions budgétaires depuis un bon 20 à 25 ans maintenant, dépendant du moment où vous commencez à calculer. Il est donc permis de penser que les établissements canadiens pourraient donner un meilleur rendement que leurs voisins américains, ce qui pourrait suggérer que les établissements canadiens à but non lucratif sont plus efficients, et cette constatation viendrait ajouter à ma première observation comme quoi il n'y a rien à gagner en empruntant la voie de la privatisation.

Le président: Alors, permettez-moi de vous poser une dernière question, parce que je pense que M. Migué voudra certainement faire valoir - et j'utilise une terminologie différente ici - que l'argent doit suivre le patient, plutôt que d'aller à l'institution. Professeur Soderstrom, vous avez affirmé que le système à payeur unique est plus efficace, et je pense que tout le monde est d'accord avec vous.

Mais que pensez-vous de l'idée de séparer le payeur du producteur de services, ce qui revient essentiellement à combiner les deux options? Autrement dit, un hôpital ne recevrait pas de budget global, mais il serait rémunéré pour les services rendus. Le patient serait toujours couvert par les fonds publics parce que nous nous trouvons dans un régime universel financé par les deniers publics. L'un d'entre vous veut-il faire un commentaire sur cette structure?

M. Soderstrom: Je n'aurais aucune objection à cette structure. En principe, je ne vois pas quel serait le problème si nous adoptions un scénario de ce type. Je demande seulement si nous disposons d'éléments probants nous permettant de penser que cette structure améliorerait vraiment le rendement du système.

Le président: Et bien, elle améliorerait certainement les possibilités du patient de faire un choix.

M. Soderstrom: En effet.

Le président: C'est tout de même quelque chose.

M. Soderstrom: Je suis d'accord, mais il ne faut pas oublier que vous devez faire attention en ce qui concerne le choix donné au patient. Actuellement, les patients ont le choix. Je peux me rendre au Royal Victoria ou encore à l'Hôpital général de Montréal. Ce qui détermine vraiment dans quel hôpital je vais me rendre, ce n'est pas tellement ma préférence comme l'endroit où mon médecin dispose de privilèges d'admission. Voilà les éléments qui jouent vraiment, et je pense que la situation est la même dans la plupart des scénarios américains. Si nous revenons à votre idée de départ, je n'y trouve rien à redire. À mon sens, les soins hospitaliers sont probablement un très bon exemple d'un secteur où l'on aurait avantage à faire en sorte que les dollars suivent les patients.

Le président: Très bien, mais alors je suppose que dans ce cas il vous est égal de savoir qui est propriétaire de ces institutions?

M. Soderstrom: Oh, absolument. Ce n'est pas important. Ce qui compte, ce n'est pas tellement qui en est propriétaire, mais plutôt quels sont les résultats.

Le président: Ce à quoi je veux en venir, c'est que dans le modèle que j'ai suggéré, où le prix à payer pour le remplacement d'une hanche est versé à l'institution où le patient s'est rendu, la question de faire affaire avec un établissement public ou privé ne se pose pas parce que, pour vous, ça n'a aucune importance?

M. Soderstrom: En principe, non.

Le président: Je m'inquiète toujours lorsque quelqu'un dit: «en principe non, mais...»

M. Soderstrom: Non, non, non. Je veux seulement être logique. Nos décisions concernant le type d'institution dont nous voulons nous doter doivent reposer sur ce que nous savons des effets que divers types d'institutions auront sur l'équité et l'efficience. Voilà mon point de vue.

Le président: Je vous remercie tous les deux de vous être déplacés. Vos commentaires nous sont très utiles.

Chers collègues, nos prochains témoins sont de l'Institut Économique de Montréal. Il s'agit de M. Edwin Coffey, qui est l'ex-président de l'Association médicale du Québec, et de M. Michel Kelly-Gagnon, qui est directeur exécutif de l'Institut.

Merci d'être venus témoigner.

[Français]

M. Michel Kelly-Gagnon, directeur exécutif, Institutéconomique de Montréal: Merci d'avoir accepté de nous entendre, nous en sommes honorés. Je suis directeur exécutif de l'Institut économique de Montréal. L'Institut économique de Montréal est un «think tank» privé et indépendant qui se veut le pendant québécois du C.D. Howe Institute, ou autre organisme semblable.

Nous avons débuté nos opérations le 1er juin 1999, et opérons sur la base d'un budget annuel d'environ 500 000 $. Pour ceux qui sont intéressés à en savoir davantage sur l'Institut économique de Montréal, je vous réfère au dépliant corporatif bleu qui vous a probablement été distribué.

Avant de présenter le docteur Coffey et de lui céder la parole, je voudrais partager avec vous une brève observation, toute simple, mais qui me semble quand même cruciale. Je suis certain que vous êtes au courant de cette observation de gens aussi distingués et connaissants que vous. Cependant, parfois il est bon de marquer, avec un marqueur jaune ou avec un crayon rouge, certains éléments clés, afin que lorsque votre rapport sera rendu public on puisse permettre à la population canadienne d'être exposée à cette distinction.

Si nous voulons avoir un débat rationnel et constructif concernant une éventuelle réforme du système de santé, il faut absolument apprendre à faire la distinction entre deux choses bien distinctes, soit d'une part, un monopole étatique sur l'assurance et la production des soins de santé au Canada et, d'autre part, l'universalité des soins de santé. J'utilise ici ce terme non dans un sens technique ou juridique, mais pour me référer au principe selon lequel tous les Canadiens, nonobstant leur niveau de revenus, ont accès à un panier raisonnable de soins et de services de santé de qualité, à l'intérieur d'un délai raisonnable.

Je fais cette remarque parce que depuis que j'observe le débat sur la question, j'observe qu'il y a différents groupes, différentes personnes et différents partis politiques qui entretiennentconstamment la confusion entre les deux. Il peut y avoir peut-être des mérites pour les deux pensées. Ce sont deux principes distincts: le monopole d'état c'est une chose, l'universalité des soins de santé, une autre.

D'ailleurs l'expérience de la très grandes majorité des pays de l'OCDE nous prouve le point que je vous souligne, c'est-à-dire que des pays comme la France ou l'Allemagne ont une universalité des soins de santé, sans avoir un monopole tel que nous le connaissons. Et si le rapport mettait bien clairement en relief cet aspect pour qu'à l'avenir tout le monde fasse la distinction, ce serait déjà une grande oeuvre que vous auriez accomplie.

Sans plus tarder, il m'est agréable de vous présenter le docteur Edwin Coffey.

[Traduction]

Dr Coffey est attaché de recherches à l'Institut Économique de Montréal, professeur adjoint retraité de la Faculté de médecine de l'université McGill, et aussi coauteur d'une de nos publications intitulée Universel Primate Choice, dont nous nous sommes inspirés pour la rédaction de notre mémoire. Je pense que nous vous en avons transmis quelques exemplaires. Sinon, nous pouvons vous en faire parvenir quelques-uns en français et en anglais.

Dr Edwin Coffey, professeur adjoint retraité de la Faculté de médecine, Université McGill, et ex-président del'Association médicale du Québec: Premièrement, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à vous communiquer nos observations et nos suggestions concernant l'état du système de soins de santé du Canada, ainsi que les rôles et les objectifs de l'administration fédérale dans la réforme des soins de santé, telle qu'elle a été proposée par votre comité.

Plutôt que de débiter la litanie habituelle des problèmes et des pénuries que l'on connaît dans le système, nous nous concentrerons sur les possibilités d'actions et les suggestions qui permettraient d'améliorer le contexte législatif et économique dans lequel évolue le système de soins de santé du Canada. Ces améliorations et ces modernisations permettraient et favoriseraient l'adoption de méthodes pluralistes et nouvelles d'assurer le financement public et privé et d'offrir de l'assurance et la prestation de services médicaux et hospitaliers. Nous considérons qu'il s'agit de la meilleure approche pour atteindre les buts et les objectifs découlant des cinq premiers rôles de l'administration fédérale dans le domaine des soins de santé que vous décrivez dans votre rapport intérimaire sur les questions et les options.

De façon générale, nous approuvons ces rôles et ces objectifs, à quelques exceptions près. Par exemple, en ce qui concerne le rôle du financement, pour ce qui est du transfert de fonds pour la prestation des services de santé, nous avons suggéré une reformulation, un regroupement et une réduction des objectifs de quatre à trois. Ainsi, on motiverait davantage les législateurs à abroger les dispositions de leur législation relative à l'assurance- maladie et hospitalisation qui actuellement interdisent d'avoir recours à une autre forme d'assurance-maladie et à lasous-traitance au secteur privé des services médicaux dans les hôpitaux.

Dans la même section, nous suggérons de faire la promotion d'une réforme durable et d'un renouvellement des régimes publics, privés, et mixtes publics et privés de soins de santé et d'assurance-maladie. On assurerait ainsi une meilleure qualité, un meilleur accès et le libre choix des services de santé plutôt que de simplement fournir un financement stable du statu quo, qui ne garantit pas nécessairement la durabilité ni ne favorise la réforme et le renouvellement.

En ce qui concerne le rôle de l'infrastructure, nous avons suggéré une reformulation de l'objectif final ayant trait à la planification des ressources humaines. Ainsi, on inciterait les provinces et les territoires à éliminer les restrictions déraisonna bles sur la libre circulation et la situation des médecins et du personnel connexe, et on encouragerait les provinces à avoir moins recours aux pratiques dépassées que sont la planification centrale et la sociologie appliquée.

Enfin, nous aimerions attirer votre attention sur un document que vient de publier l'Institut Économique de Montréal qui est une proposition de réforme du régime de santé au Canada, intitulé «Universal Private Choice: Medicare Plus, a concept of health care with quality, access and choice for all Canadians». Cette approche de l'accessibilité universelle obtenue au moyen de régimes parallèles publics et privés de soins de santé et d'assurance-maladie est assez semblable à celle retenue par les Européens. J'avais au départ écrit «curieusement», mais je l'ai biffé. Cette proposition est compatible avec la plupart des objectifs de votre comité. Elle n'a toutefois pas fait l'objet d'essais pratiques rigoureux et d'une évaluation en fonction des critères suggérés pour les projets pilotes réalisés en fonction des exigences fédérales en matière de recherche et d'évaluation.

Voilà qui clôt mes remarques préliminaires, et nous sommes prêts à répondre à vos questions.

Le président: J'ai une question sur votre dernier point. Est-ce que le projet pilote dont vous parlez n'enfreindrait pas les principes de la Loi canadienne sur la santé dans leur version actuelle? Les projets pilotes visant la réforme des soins primaires auxquels les gouvernements fédéral et provinciaux ont consenti il y a un peu plus d'un an étaient tous conformes à la Loi canadienne sur la santé.

Dr Coffey: Oui.

Le président: Le type de projet pilote que vous suggérez nécessite un changement parce qu'il se situe en dehors des dispositions de la Loi canadienne sur la santé.

Dr Coffey: Oui.

Le président: Malheureusement, la Loi canadienne sur la santé ne donne pas au ministre le droit de laisser certaines choses s'accomplir malgré les dispositions de la loi, même sur une base expérimentale, autrement dit, non pas de changer la loi, mais de pouvoir dire: «Voici une nouvelle approche de la prestation. Essayons-la, même si elle enfreint la Loi canadienne sur la santé. Nous allons l'essayer seulement à titre de projet pilote.» Le ministre ne dispose pas de la latitude nécessaire pour permettre la tenue de ces projets pilotes. Je ne dis pas qu'il ne devrait pas disposer de cette latitude, j'affirme seulement qu'il ne l'a pas. Pour pouvoir essayer le genre de projet dont vous parlez, il faudrait que l'on dispose de cette marge de manoeuvre, n'est-ce pas?

Dr Coffey: C'est exact. Nous devrions faire ce que tous les autres pays du monde essaient de faire depuis 40 ans, c'est-à-dire expérimenter avec le financement des régimes de santé.

Le président: Tout à fait.

Dr Coffey: Malheureusement, depuis l'adoption de la Loi canadienne sur la santé, nous n'avons réalisé aucune expérimenta tion dans le domaine du régime de santé au Canada.

Le président: Une expérimentation avec le financement du régime de santé?

Dr Coffey: Avec le financement, oui.

Le président: C'était impossible. Avant 1984, vous pouviez expérimenter. Vous auriez pu le faire à cette époque.

Dr Coffey: Et bien, pas au Québec.

Le président: Non, vous ne le pouviez pas. Quoi qu'il en soit, vous ne pouvez pas le faire à cause de la Loi canadienne sur la santé.

Dr Coffey: C'est exact.

Le président: Tout ce que je dis, c'est que les gens ont commencé à faire des essais vers la fin des années 70 et au début des années 80.

Dr. Coffey: Oui. Je suppose que nous pourrions dire que l'on tente d'appliquer un modèle expérimental en Alberta, si on arrive à le faire progresser.

Le président: Justement, à ce sujet - et je regarde le sénateur Morin et le sénateur Keon en disant ceci - lorsque nous avons fait notre tournée dans l'Ouest, nous avons entendu des témoins qui exploitent des cliniques privées au Manitoba, en Alberta et en Colombie-Britannique. Les gens du Manitoba et de la Colombie- Britannique ont déclaré que le dernier endroit où ils songeraient à ouvrir une clinique privée serait l'Alberta à cause du fameux projet de loi 11. Ce projet restreint leurs options.

Dr Coffey: C'est tout à fait vrai.

Le président: De fait, ils ont déclaré que les choses sont encore pires que si le projet de loi 11 n'avait jamais été présenté.

Dr Coffey: Oui. Terre-Neuve serait l'endroit idéal.

Le président: Pour quelle raison?

Dr Coffey: Parce qu'entre autres choses, la province n'a aucune interdiction à l'égard de l'assurance-maladie privée.

Le président: Est-ce la seule province?

Dr Coffey: Non, six provinces interdisent l'assurance-maladie privée. À Terre-Neuve, je pense que même les médecins ayant choisi d'adhérer au régime provincial peuvent toujours décider de se retirer du programme à titre individuel, si leurs patients et eux-mêmes le désirent. Malheureusement, étant donné la situation économique, il y a très peu de demandes en vue d'obtenir des services privés.

Le président: Autrement dit, le choix existe, mais personne ne peut s'en prévaloir, c'est bien cela?

Dr Coffey: En quelque sorte, oui.

Le sénateur Morin: J'aimerais revenir au concept du payeur unique auquel vous avez fait allusion tout à l'heure. Ne pensez-vous pas qu'en optant pour un modèle à plusieurs payeurs on risque d'accroître la complexité et les coûts du système? L'un des principaux problèmes pour les fournisseurs aux États-Unis, où il existe un grand nombre de compagnies d'assurance, consiste à devoir traiter avec divers régimes d'assurance et c'est ce qui contribue à hausser les frais d'administration et à accroître la complexité. Quelle est votre opinion à ce sujet?

Dr Coffey: Voici, bien entendu, la raison pour laquelle il faut faire des expériences avec des régimes comportant de nombreux fournisseurs et de nombreux payeurs. Nous ne disposons pas d'éléments probants au Canada pour répondre correctement à cette question. En Europe, où l'on est en présence de nombreux fournisseurs, de nombreux payeurs et de régimes parallèles publics et privés, le modèle semble fonctionner. La concurrence est un important facteur de nivellement des frais d'administration et ainsi de suite. S'il existait une concurrence entre les régimes de santé, les régimes d'assurance-maladie et même les hôpitaux, il faudrait que la gestion soit efficace. Ce serait particulièrement vrai si le financement, à la fois public et privé, venait du patient plutôt que des autorités en matière de soins de santé.

Le sénateur Morin: On a dit qu'une proportion de 75 p. 100 du régime de prestation des soins de santé dans un pays donné est historique, et la raison pour laquelle tous ces pays ont des régimes d'assurance privés et des systèmes de prestation des soins privés est historique. Par exemple, en Grande-Bretagne, lorsque le régime a été mis en place, les médecins ont manifesté passablement d'opposition, de même que les Britanniques des «classes supérieures» - dans ce pays, on est beaucoup plus soucieux des barrières entre les classes que nous le sommes - aussi, pour calmer le jeu, on a introduit l'assurance-maladie privée. Ce fut un compromis historique.

Dr Coffey: Oui.

Le sénateur Morin: Apparemment, ce fut le cas dans la plupart des pays européens où ces régimes ont été introduits. Au Canada, nous n'avons pas de classe supérieure, je suppose - mais de toute façon, la question n'a pas été soulevée. Il semble que la raison principale soit historique et notre régime national de soins de santé comporte lui aussi des fondements historiques. On peut dire que c'est le régime de la Saskatchewan qui prévaut au Canada.

Par conséquent, je ne suis pas sûr que l'on doive s'aligner trop étroitement sur ce qui se fait en Europe, parce que les justifications de départ n'étaient pas d'ordre logique, mais relevaient plutôt d'un choix rationnel. Il s'est donc agi davantage de trouver un compromis lorsque ces scénarios de régimes de soins de santé sont arrivés.

Dr Coffey: Oui.

Le sénateur Morin: Avez-vous des commentaires à ce sujet?

Dr Coffey: Un projet intéressant que j'ai remarqué depuis un an à peu près émane de la Suède - et je suppose que vous vous y êtes arrêtés aussi - et particulièrement à ce qui se fait à Stockholm. L'automne dernier, nous avons tenu une conférence à Montréal, et les données qui nous sont parvenues de l'expérience de Stockholm étaient très révélatrices. Lorsque je suis tombé sur ces renseignements, et c'est la première fois que je peux lire un document écrit sur le sujet, j'ai été très surpris.

Par exemple, tous les syndicats d'infirmières de Stockholm ont formé des sociétés privées et acceptent de travailler en sous-trai tance pour le gouvernement à titre de fournisseurs privés, et les infirmières sont satisfaites. Leur moral est à la hausse, leur productivité est à la hausse, et elles ne sont pas aussi à cheval sur l'ancienneté. Si vous êtes très efficace dans votre travail et que vous possédez un éventail de compétences, votre rémunération monte d'un cran, et ainsi de suite.

L'autre aspect intéressant est que parmi les sept - je pense qu'il y en a sept - gros hôpitaux de Stockholm, un a été vendu à une société hospitalière privée, et au cours des deux premières années, on a pu réduire les coûts de 30 p. 100.

Le président: Je pense que vous faites allusion à l'Hôpital St. George.

Dr Coffey: Oui. C'est exact, je crois que l'on dit le Saint Goran en suédois? Voici des chiffres qui comptent parmi les plus impressionnants que j'ai jamais vus. Et ces résultats ont été obtenus à partir de fonds publics, il s'agit d'un concept de marché interne, de sorte que l'hôpital est financé par le secteur public, mais il appartient à des intérêts privés et est géré comme tel, et les services sont donnés en sous-traitance à des exploitants du secteur privé. Les services ambulanciers sont impartis, de même que les soins infirmiers, les services de laboratoire, de diagnostics et même, bon nombre de médecins se sont réunis en petits groupes et offrent leurs services en sous-traitance.

L'un de vos collègues les plus âgés, dans le coin là-bas, sera heureux d'entendre que le délai d'attente moyen pour une chirurgie cardiaque dans les hôpitaux privés est actuellement de deux semaines, par comparaison à 15 à 25 semaines dans les hôpitaux du secteur public de la Suède. Ces hôpitaux se trouvent dans les régions éloignées, où l'on est très conservateur et où l'on tient encore beaucoup au statu quo du modèle social-démocrate.

Le sénateur Morin: Ma dernière question est celle-ci: comment cet hôpital est-il financé? D'où provient le financement de l'Hôpital St. George?

Dr Coffey: Il se finance par l'entremise des patients qui amènent leur financement avec eux.

Le sénateur Morin: Donc, l'argent suit les patients.

Dr Coffey: C'est cela, il s'agit de fonds publics, mais ils suivent les patients.

Le sénateur Morin: Ils ne proviennent pas nécessairement du secteur des soins primaires ou encore d'un régime de soins privés? Il n'est pas absolument nécessaire qu'ils aient été dirigés?

Dr Coffey: C'est ainsi que je le comprends.

M. Kelly-Gagnon: Je me rappelle en effet d'avoir parlé à quelqu'un qui nous mentionnait M. Johan Hjertqvist, le chercheur responsable de la conception et de la réalisation de cette soi-disant «expérience de Stockholm». Ce monsieur m'expliquait que l'équivalent chez eux de notre «communauté urbaine», c'est-à- dire les grandes agglomérations urbaines, disposent d'une certaine latitude pour offrir des services suivant diverses formules, de sorte qu'il est possible d'établir des comparaisons. En Suède, le gouvernement fédéral impose des normes dont il surveille l'application, mais la prestation s'effectue à ce qu'il est convenu d'appeler l'«échelon municipal» - soit l'échelon d'unecommunauté urbaine. Il me mentionnait que cet hôpital, le St. George ne permettait pas la surfacturation, de sorte qu'il était impossible à quiconque de passer devant tout le monde en payant un peu plus.

Par conséquent, nous sommes toujours en présenced'un scénario passablement social-démocrate, mais avec des caractéristiques différentes. Ce type de scénario existe depuis deux ou trois ans, et je peux dire qu'en 2002, notre institut a l'intention d'effectuer une étude conjointe poussée avec un institut suédois afin de recueillir des données sur cet essai, et des données très détaillées, à savoir comment on procède dans ce type de projet. Il se peut aussi que nous effectuions du travail sur le terrain et ainsi de suite, parce que je pense que le public canadien est réticent avec raison à l'égard de toute réforme importante. Nous avons besoin de documentation et d'ouvrages de référence, mais aussi d'effectuer du travail sur le terrain afin de vraiment surveiller l'évolution des choses.

À mon sens, il existe trois critères en fonction desquels envisager la réforme. Il y a les résultats en termes de coûts, les résultats en termes de ce que je qualifierais de «renforcement de l'autonomie du patient» ou encore de liberté de choix du patient, et les résultats sur la santé. Il arrive parfois que les coûts diminuent et que les patients soient relativement heureux de la situation, mais ils ignorent que les choix qu'ils ont faits auront une incidence négative ou des conséquences néfastes sur leur santé avec les années.

Si nous étions capables de surveiller une réforme en fonction de ces trois critères, qu'il s'agisse du plan de Stockholm ou de n'importe quel autre, alors nous pourrions savoir si c'est la voie que le Canada doit emprunter.

Le sénateur Keon: Doceur Coffey, j'aimerais poursuivre avec vous sur cette tangente intéressante, c'est-à-dire, lorsque vous comparez l'expérience européenne avec celle de nombreuses sociétés américaines du secteur privé, les Européens, comme vous l'avez souligné, ont été en mesure de «livrer la marchandise» en investissant une partie beaucoup moins importante de leur PIB que les Américains. On me dit qu'ils ont pu y arriver essentiellement en tentant le coup avec la profession médicale, tandis que le système de libre entreprise des États-Unis avait et continue d'avoir bon nombre de flambeurs dans le domaine de la médecine. En Europe, ils ont trouvé le moyen de les éliminer. Pouvez-vous confirmer s'il existe des plafonds généralisés?

Dr Coffey: Oui. Pour revenir à l'étude suédoise, les auteurs ont rapporté des renseignements sur trois spécialités: 40 médecins du secteur privé travaillaient à l'extérieur de l'hôpital et 20 médecins du secteur public travaillaient à l'intérieur. Les coûts au titre des services d'ophtalmologie dans les hôpitaux du secteur public étaient de 28 p. 100 plus élevés; par ailleurs, chez lesoto-rhino-laryngologistes, les coûts étaient de 17 p. 100 plus élevés dans les hôpitaux du secteur public que dans l'hôpital privé; et pour ce qui est de la chirurgie générale, de la médecine interne et de la dermatologie, les coûts étaient de 13 p. 100 plus élevés. De toute évidence, grâce à la concurrence, on a pu réduire les coûts liés aux médecins spécialistes.

Toutefois, on ne peut gagner sur tous les tableaux, et si vous tenez réellement à la concurrence, vous devez vous tenir prêt à apprendre comment offrir les compétences qui sont à même de satisfaire les deux côtés.

Il est intéressant de prendre connaissance seulement des conclusions de l'expérience de Stockholm.

Le président: Qui en a fait l'évaluation? Est-ce que c'est l'hôpital lui-même?

Dr Coffey: Non, non.

Le président: Je voulais seulement m'assurer qu'il s'agit d'une analyse objective.

Dr Coffey: La majeure partie de ce travail a été effectuée par ce monsieur à qui Michel faisait allusion tout à l'heure, ce Johan Hjertqvist, qui est un économiste participant à ce projet avec le Stockholm Council.

Voici la conclusion: (Traduction)

Alors que les opposants des réformes vers la privatisation avaient prédit que le secteur privé, en cherchant à réaliser un bénéfice pour ses actionnaires, aurait tendance à faire grimper les coûts et à réduire les normes d'efficience, c'est en réalité le contraire qui s'est produit. De façon générale, à Stockholm, les entrepreneurs privés arrivent à exercer leurs activités avec moins de personnel et des budgets moindres, tout en offrant les mêmes traitements à davantage de patients que leurs homologues du secteur public. À titre de programme pilote visant à mettre à l'épreuve les effets potentiels des mécanismes de la concurrence sur les régimes de soins de santé du secteur public, le marché interne de Stockholm a démontré que le secteur privé était capable de surpasser de façon remarquable les installations administrées par l'État en réduisant les coûts, en améliorant les soins et en sauvant des vies.

Le président: Étiez-vous présent lorsque le professeur de l'université McGill a témoigné?

Dr Coffey: J'ai pu entendre la fin de son exposé.

Le sénateur Morin: Vous n'avez pas suivi l'échange?

Dr Coffey: Oui. C'est la raison pour laquelle je l'ai lu.

Le président: Voici une question pour laquelle vous n'avez peut-être pas de réponse, mais cela m'aiderait beaucoup si vous pouviez y réfléchir. Supposons un instant que l'on veuille réaliser trois expériences au cours desquelles vous pourriez continuer d'utiliser le modèle à payeur unique, mais dont la structure pourrait être très différente. Il y aurait un certain degré de concurrence entre les institutions, et ainsi de suite. Vous voudriez réaliser une expérience qu'il soit possible de reproduire, dans le sens que, peu importe que les résultats soient intéressants ou non, vous voudriez être en mesure d'en tirer des conclusions raisonnables et renouvelables. De la même façon, lorsque l'on procède à une expérience avec des médicaments on espère qu'elle pourra être reproduite et que les gens ne vont pas la démolir en vous reprochant d'avoir mal choisi les patients ou autre chose.

Je ne sais pas si vous le feriez avec un hôpital général ou une clinique spécialisée qui effectue des remplacements d'articula tions ou d'autres types d'interventions.

Avez-vous déjà pensé à la forme que ces expériences pourraient prendre? En supposant que nous ayons la possibilité de ne pas tenir compte de la Loi canadienne sur la santé et que nous puissions demander à une province ou à une collectivité de réaliser cette expérience, que feriez-vous?

Dr Coffey: Je suis un grand partisan de l'étapisme, et je pense que l'attitude la plus prudente consisterait à sélectionner un groupe de spécialistes, peut-être un groupe de chirurgiens cardiaques ou encore une clinique multidisciplinaire. On pourrait penser à des endroits comme la clinique Mayo ou la clinique Cleveland ou d'autres cliniques réputées et multidisciplinaires de haute qualité. Nous n'en avons pas beaucoup de ce genre au Canada. Elles se trouvent pour la plupart dans des hôpitaux universitaires. Néanmoins, on pourrait les encourager, et déjà les gens commencent à penser à la possibilité de se doter de cliniques spécialisées de première classe et de bonne qualité qui offriraient des services dans les domaines où les listes d'attente sont les plus longues, à savoir l'orthopédie, les cataractes, les maladies cardiaques et peut-être aussi les diagnostics. Par exemple, les spécialistes dans le domaine de l'imagerie de l'Université McGill ont ouvert un centre de diagnostic privé à Montréal.

Le président: Est-ce qu'il appartient à l'université?

Dr Coffey: Et bien, la plupart des spécialistes sont des universitaires.

Le sénateur Morin: La clinique appartient aux médecins.

Le président: Donc, elle appartient aux médecins, et non à l'université?

Dr Coffey: Non, il s'agit d'une clinique de diagnostic privée de Westmount Square. Cette clinique est dotée d'un matériel de pointe en matière d'imagerie et de médecins de haut calibre pour interpréter les résultats. Bien des gens parmi mes connaissances y ont fait appel et en ont été extrêmement satisfaits. Les résultats sont remis au médecin traitant très rapidement. La clinique est reliée électroniquement avec les hôpitaux, de sorte que les médecins peuvent transmettre les images immédiatement au Royal Victoria ou à l'Hôpital général, s'ils le désirent.

Le sénateur Morin: Mais il ne s'agit pas d'une expérience.

Dr Coffey: C'est vrai, mais si vous vouliez effectuer une expérience en matière de diagnostic ou d'imagerie dans lesecteur privé, c'est ce genre de groupe qui, moyennant des aménagements, pourrait déclarer: «Oui, certainement, noussignerons un contrat avec la régie régionale de la santé et nous conclurons une entente financière pour effectuer des diagnostics sur 1 000 patients cette année à un certain prix déterminé.»

Le président: Je crois que c'est le mode de fonctionnement des cliniques en Alberta. Je pense que tous nous avons beaucoup apprécié le témoignage d'une personne provenant d'une clinique de radiographie privée de l'Ontario. Les gens de cette clinique font exactement ce que je viens de décrire. Ils louent les installations de radiographie de l'Hôpital Sunnybrook entre 6 heures du matin et 22 heures le soir, une heure à laquelle elles ne sont jamais utilisées. Les employés de la clinique sont rémunérés exclusivement par le Régime d'assurance-maladie de l'Ontario, par le régime d'assurance gouvernemental, et ils n'acceptent aucun patient du secteur privé; ainsi leur rémunéra tion ne comporte aucune part du secteur privé. En réalité, ils se contentent tout simplement d'allonger les heures d'ouverture de l'installation de quatre heures par jour, cinq jours par semaine.

Dr Coffey: Je vois.

Le président: Ils se concentrent surtout sur le cancer du sein et ils sont en train d'élargir leur champ d'action au cancer de la prostate. Ils ont réussi à faire fondre les listes d'attente pour les radiographies pour le cancer du sein à Toronto.

Ce sont des exemples isolés, mais si nous voulons réellement changer le système, je pense que nous aurons besoin d'étayer nos dires de preuves scientifiques. J'ai aussi été universitaire au début de ma carrière, aussi je m'efforce de trouver un moyen de concrétiser tout cela.

Dr Coffey: Oui, bon, comme je le disais, nous n'avons pas réellement été autorisés sur le plan juridique à faire quelque expérimentation que ce soit.

Le président: Non, en effet.

Dr Coffey: Donc, nous faisons un peu figure d'innocents, et lorsque nous voyageons à l'étranger et que l'on nous demande: «Que se passe-t-il avec la réforme du système de santé ou le financement au Canada?», je réponds: «Et bien, voilà ce qui se passe.»

M. Kelly-Gagnon: Il est possible de réaliser des expériences sur le plan géographique, par exemple au cours desquelles une province ou une collectivité donnée pourrait essayer l'une des options que nous venons d'envisager. Il est également possible d'expérimenter avec un segment de la population, et je pense aux maisons de soins ou à d'autres segments de population où l'on est déjà habitué à disposer d'un certain éventail de services.

Il pourrait s'agit d'expériences très modestes, parce que j'envisage la question du point de vue qui est intéressant sur le plan intellectuel, ce que j'appellerais de la «politique du réel». Nous vivons dans un certain contexte politique au Canada, avec lequel nous pouvons être d'accord ou pas, là n'est pas la question. C'est la situation réelle. Je pense que les maisons de soins et les installations semblables pourraient se montrer davantage prêtes, disons, à permettre à une vieille dame de 85 ans, qui est presque aveugle à cause des cataractes, mais qui dispose d'une petite pension, d'avoir accès à certains services offerts par la maison.

J'ai écouté ce professeur de McGill, et il me semble que même lui reconnaissait que l'on pouvait faire quelque chose dans ce domaine.

Le sénateur Keon: Nous parlons de quelque chose de vraiment intéressant avec toute cette question de capital pour de nouvelles entreprises. Les hôpitaux du secteur public au Canada ne sont pas en mesure de réunir des fonds, les banques ne leur prêteront pas d'argent et ils ne sont pas autorisés à contracter des dettes. Par conséquent, l'idée de former une structure organisa tionnelle qui construirait un nouvel hôpital, ou quoi que ce soit d'autre, pour le revendre ensuite grâce au crédit-bail fait vraiment son chemin. Je n'amène pas le sujet pour en débattre avec vous, je voulais seulement le mettre sur le tapis pour que vous puissiez en tenir compte lorsque vous irez de l'avant avec quelques-unes de vos idées intéressantes. Merci.

Dr Coffey: Est-ce que ça s'applique au secteur privé ou seulement aux hôpitaux du secteur public?

Le sénateur Keon: Non, c'est une sorte d'hybride. J'ai connaissance, par exemple, d'un grand hôpital public en Ontario qui jongle avec l'idée de s'associer avec le secteur privé pour construire un nouvel hôpital qu'il pourrait ensuite louer grâce à une entente de crédit-bail, parce qu'il est impossible aux administrateurs de réunir les fonds pour le construire eux-mêmes.

L'aspect qui est intéressant, c'est que ces spécialistes qui décident d'ouvrir une clinique privée n'ont quant à eux aucun problème à obtenir de l'argent auprès des banques.

Dr Coffey: Oui, c'est exact.

Le sénateur Keon: Mais, un hôpital du secteur public ne pourra pas réunir les fonds nécessaires parce que les banques ne lui prêteront qu'un petit montant.

Dr Coffey: Nous n'avons pas essayé de réunir des fonds pour la construction d'un hôpital privé, même s'il y a un groupe à Montréal en train de se former dans ce but. Ces gens pensent que nous avons sérieusement besoin d'un nouvel hôpital.

Le président: Pour poursuivre avec ce que disait le sénateur Keon, nous nous trouvions à Vancouver la semaine dernière et nous avons entendu parler d'un nouvel hôpital à Abbotsford qui y sera construit exactement de la manière que le sénateur Keon vient de décrire, c'est-à-dire qu'un entrepreneur du secteur privé le construira, et tout comme pour un édifice à bureaux, la province le louera ensuite au moyen d'une entente de crédit-bail. La province a tout simplement trouvé qu'il était plus facile de financer les coûts d'investissement en faisant appel au crédit-bail.

Dr Coffey: Certainement.

Le président: Malheureusement, étant donné la façon dont les administrations tiennent leur comptabilité, les dépenses en capital doivent être comptabilisées au cours de l'année où elles sont effectuées. Donc, si vous investissez 100 millions de dollars pour la construction d'un hôpital, vous devez l'inscrire au cours de l'année un. Si vous consacrez 10 millions de dollars par année à des versements de crédit-bail, vous inscrivez 10 millions pour l'année, et ainsi, étant donné l'obligation de réduire le déficit, nous nous retrouvons dans un système où la construction d'hôpitaux consistera essentiellement en propositions de rachat par crédit-bail.

Soit dit en passant, et c'est intéressant de le souligner, cette pratique a suscité passablement d'opposition de la part des syndicats, des Friends of Medicare, et autres groupes similaires. Cela n'a rien de surprenant.

Le sénateur Léger: C'est peut-être très naïf, mais si j'ai bien compris, secteur privé égale profit, et pour faire des profits, il faut réduire les coûts, et si on réduit les coûts, d'après ce que j'entends ici, les gens sont plus heureux, c'est-à-dire que les patients sont plus heureux, qu'il y a davantage de travailleurs, davantage d'infirmières au travail et que, soudainement, on se retrouve avec énormément de docteurs dans le secteur privé, alors que c'était impossible dans le régime gouvernemental. Est-ce que ce scénario, dans le contexte du secteur privé, est vrai pour tout le monde? J'ai compris que les appareils sont loués entre 6 heures du matin et 22 heures. Est-ce que ce service est offert à tous?

Dr Coffey: Oui. Si on jette un coup d'oeil sur la proposition de Universal Private Choice, la «raison d'être» de cette étude consiste à donner à tous les Canadiens, riches ou pauvres, la possibilité de se prévaloir des services offerts par le secteur privé. C'est unique, et c'est la raison pour laquelle je suis tellement enthousiaste au sujet de cette proposition. Elle s'insère non seulement dans l'éventail politique, mais aussi dans l'éventail économique. Avec cette proposition, tout le monde y trouve son compte, à mon avis. Les personnes à faible revenu peuvent toujours utiliser, par exemple, un document émis par les services de santé gouvernementaux leur permettant d'acheter un service de santé de base dans le secteur privé, s'ils veulent élargir la gamme des possibilités. Bien entendu, les riches ne sont pas un sujet de préoccupation, parce qu'ils jouissent d'une grande latitude - ils peuvent toujours se retirer ou peu importe. Ce sont les pauvres gens à qui nous voulons redonner un certain pouvoir, afin qu'ils puissent aller dans les hôpitaux, consulter des médecins et des cliniques avec le pouvoir d'achat correspondant pour forcer ces intervenants à s'améliorer. En effet, s'ils n'obtiennent pas un bon service, si le docteur ne leur consacre pas suffisamment de temps, ils disposent du pouvoir d'aller ailleurs. Et il en va de même avec les hôpitaux.

On favorise ainsi la mise en place de la concurrence, mais pas dans le mauvais sens du terme, parce qu'on donne ainsi le choix à tout le monde. Cet environnement semble instaurer le type d'équilibre que les Canadiens recherchent, selon moi. Ils ne veulent pas qu'il y ait énormément d'écart entre les choix qui ne sont pas offerts à tous et chacun.

[Français]

M. Kelly-Gagnon: Je voudrais aussi, bien souligner le fait qu'il faut éviter d'avoir une conception - je ne dis pas que vous l'aviez, je fais juste un commentaire général - statique des ressources, c'est-à-dire de penser qu'il y a une tarte et qu'il s'agit de se partager la tarte.

Il ne faut jamais sous-estimer la puissance de l'innovation et de la recherche au niveau technologique, c'est-à-dire que si les gens ont un incitatif, il va y avoir un incitatif au niveau technologique à améliorer la machinerie.

L'exemple que je donne toujours, celle d'un vidéo VHS pour regarder des films chez moi: on en avait acheté un au début des années 1980 et il coûtait, à l'époque, 1 200 $. J'en ai acheté un la semaine dernière de meilleure qualité que celui que mes parents avaient à l'époque, et je l'ai payé 129 $. Pourquoi le baisse du prix? C'est parce que des entreprises ont eu un incitatif pour favoriser l'amélioration technologique.

De la même façon, il ne faut jamais sous-estimer l'importance de l'amélioration des techniques «manageriales». Si on prend l'exemple des entreprises comme General Electric, ils ont complètement fait une «regénierie» des pratiques qu'ils faisaient. Et, parfois, on prend pour acquis certaines choses: on les fait d'une telle manière parce qu'on les a toujours faites comme cela.

Toutefois, il faut un motif ou un incitatif pour réviser ces pratiques «manageriales» comme l'ont fait les infirmières en Suède où on leur a donné un meilleur rôle à des endroits où auparavant le médecin était appelé. Ce n'était pas seulement le nombre d'infirmières ou le nombre de dollars qui comptaient, mais la façon dont ces infirmières travaillaient. On peut même donner un meilleur rôle à des aides-infirmières à des endroits où les infirmières régulières étaient appelées.

Cela est possible. Soyons francs. C'est possible de le faire à l'intérieur d'un système public, mais les incitatifs sont beaucoup moins puissants. Il faut donc vraiment penser en termes de faire plus avec moins. Ce n'est pas juste un «buzz word», c'est la réalité de toute l'économie de marché du vingtième siècle et même du siècle précédent qui a montré qu'on a constamment amélioré les pratiques de production, si je peux me permettre.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie tous les deux de votre témoignage. Ce fut une discussion extrêmement intéressante, comme vous pouvez le constater.

Chers collègues, nos derniers témoins cet après-midi sont des représentantes de la Fondation Frosst pour les soins de santé: la Dre Monique Camerlain, qui est présidente du conseil d'adminis tration et Janet Dunbrack, qui est directrice exécutive.

Nous sommes heureux de vous recevoir. Je pense que l'une des membres de votre conseil d'administration, docteure Camerlain, est venue témoigner devant notre comité à Winnipeg, quoique ce n'ait pas été pour la Fondation Frosst.

Mme Janet Dunbrack, directrice exécutive, Fondation Frosst pour les soins de santé: Il s'agit probablement de Deborah Vivian de l'association des infirmières du Manitoba.

Le président: Oui, c'est cela, et elle nous a dit que vous viendriez témoigner vous aussi.

[Français]

Dre Monique Camerlain, présidente du conseild'administration, Fondation Frosst pour les soins de la santé: Permettez-moi d'abord de vous présenter la Fondation Frosst. Notre vision est celle d'un système de santé axé sur le malade et nous le voyons en passant par le fait d'amener la voix du patient dans le processus de réforme, dans les politiques et la planification des politiques santé.

En fait, notre focus c'est d'amener ce patient à s'impliquer et à rentrer en jeu dans la détermination des politiques de santé. Nous sommes différents des groupes charitables, en ce sens que nous sommes pancanadiens et que notre perspective est globale, nous ne sommes pas axés sur une maladie. Nous voulons renforcer la voix du malade et surtout l'unifier, alors que nous la percevons actuellement comme brisée à travers différents silos.

Nos buts sont d'informer, de relier et de redonner le pouvoir au malade, et ces buts ont été retirés d'une réunion de planning stratégique que nous avons tenue à Montréal, avec81 représentants de tous les groupes qui participent aux services de santé, le gouvernement, l'entreprise, les professionnels, les malades.

De fait, notre fondation est encore dans son enfance, elle a été fondée uniquement en 1998. Nous sommes une fondation indépendante, nous ne sommes pas à but lucratif, nous avons une niche particulière au sens où nous ne sommes pas en compétition pas avec les organismes charitables pour le même dollar.

Les membres de notre conseil d'administration représentent toutes les régions du Canada et ils ont des expériences très diversifiées, allant des groupes professionnels, aux communica tions, à l'industrie et ils représentent tous les groupes, pas d'intérêt, mais tous les participants dans le système de santé.

Ce que nous avons fait à ce jour: nous avons beaucoup écouté. Je parlais tout à l'heure de notre premier événement national qui était intitulé «La parole est à nous», dans lequel, durant deux jours à Montréal, nous avons réuni 81participants des différents systèmes, pour voir les priorités qui étaient communes à chacun de ces groupes.

Nous tenons maintenant de pareilles réunions à l'échelle régionale. Notre prochaine réunion sera à Toronto, tout prochaine ment. Vous avez reçu, je crois, le petit pamphlet, le texte de la première réunion, «Speaking For Ourselves», qui s'est tenue à Montréal.

Nous avons participé cette année au «Health In Canada Survey», qui est un sondage tenu à travers le Canada sur le système de santé, comme un des sept partenaires. Nous donnons des octrois, basés sur des critères qui correspondent aux objectifs de notre fondation. Au cours de nos activités futures, nous envisageons un «deliberative pooling», qui est une collection d'informations, après avoir informé les malades. Nous allons publier aussi un magazine.

Madame Dunbrack va maintenant vous présenter le nouveau paradigme que nous envisageons.

[Traduction]

Mme Dunbrack: De fait, j'ai fait parvenir une trousse d'information à Mme Thérien la semaine dernière avec une quantité suffisante de documents en anglais et en français pour les membres du comité. Aussi, je pense que vous les trouverez à Ottawa, à votre retour.

La Fondation Frosst se distingue des autres oeuvres de bienfaisance dans le domaine de la santé par sa mission qui consiste à faire entendre la voix des patients à la table des décideurs du domaine des soins de santé, plutôt que de se concentrer spécifiquement sur les soins et les services de santé proprement dits. Durant les consultations que nous avons tenues, les groupes de consommateurs, de patients et de citoyens nous ont confié que cette voix doit être plus active, plus responsable et mieux informée.

Dans nos activités, nous nous sommes efforcés jusqu'à présent de réunir, comme le soulignait la Dre Camerlain, divers groupes d'oeuvres de bienfaisance, de personnes âgées et ainsi de suite afin de trouver les éléments qui les unissaient et qui leur permettraient de participer aux délibérations au sujet de la politique de la santé, plutôt que de se contenter de faire valoir les besoins de leur clientèle respective.

Les groupes de patients nous ont confié qu'ils aimeraient qu'on les aide à élaborer des mécanismes communs et responsables de participation. Ils nous ont aussi dit qu'ils auraient besoin d'améliorer leurs compétences afin de participer au processus de décision en matière de politique de la santé. Il est facile pour les gens de parler de leurs propres intérêts, mais un peu plus difficile de les amener à un niveau de compétence leur permettant d'adopter une perspective globale en vue de s'asseoir à une table de discussion sur la politique. Le résultat a été que nous avons produit le document intitulé «Help us inform, connect and enable the patient».

Nous faisons valoir que l'avantage qu'il y a à faire entendre la voix des patients lors de l'élaboration de la politique des soinsde santé est qu'ainsi les décisions difficiles deviennent une responsabilité prise en commun. Je pense que les avantages qui en découlent sont assez évidents, et nous pourrons en discuter plus tard, si vous avez des questions à ce sujet.

Les décisions relatives à la politique pourraient ainsi avoir davantage de légitimité, le public pourrait plus facilement les accepter, et les services qui découleraient de la politique sur la santé seraient ainsi mieux adaptés et plus sensibles aux besoins.

J'ai été très intéressée par la lecture du Volume 4 de votre rapport dans lequel vous affirmez sans ambages à deux ou trois reprises que le système de soins de santé de notre pays doit devenir une industrie de services du XXIe siècle, ce qui de toute évidence signifie qu'il devrait refléter la voix du patient, le consommateur des services en bout de ligne.

Voici à certains égards une nouvelle façon de voir les choses, qui permet de réunir de nombreux groupes d'intérêts particuliers en vue de les informer, de les habiliter et de les mettre en rapport, mais je pense que c'est aussi l'occasion d'ouvrir de nouvelles possibilités pour les décideurs de la santé et les fournisseurs de soins de santé. Lors des réunions auxquelles nous avons assisté en compagnie des associations médicales, des associationshospitalières, des administrations provinciales et ainsi de suite, nous avons constaté que tous cherchent de nouveaux moyens d'obtenir l'engagement des citoyens, aussi c'est un mouvement auquel les gens sont de plus en plus sensibilisés.

Nous aimerions travailler à créer des possibilités de réunir tout le monde ensemble au niveau de la politique de la santé et, comme je le disais, nous avons constaté un intérêt croissant pour l'élaboration de modèles d'engagement des patients et des citoyens comme les scrutins délibératifs, les jurys de citoyens, les groupes de discussion et le reste.

Le mandat de ce comité est d'étudier le rôle de l'administration fédérale dans les soins de santé, même si évidemment vous examinez les parties constituantes. Par conséquent, nous avons réfléchi à ce que ce rôle devrait être en adoptant le point de vue des patients. Il est certain que l'administration fédérale peut créer des occasions d'évoluer vers un nouveau paradigme, un nouveau modèle qui ferait participer les patients à la définition de la politique - autrement dit, en parrainant la tenue de forums ouverts au dialogue et en finançant ou en favorisant la création de modèles de démonstration visant à montrer comment on pourrait travailler efficacement. De toute évidence, ce modèle inclurait notamment la recherche et la diffusion des résultats dans ce domaine ainsi que le renforcement des capacités.

Je ne parle pas seulement du renforcement des capacités des patients, mais aussi de celles des personnes qui sont assises à cette table où se prennent les décisions sur la politique et qui ne sont peut-être pas habituées à partager le pouvoir, ce qui nous amène à un autre point soulevé dans votre Volume 4. Nous avons besoin de renforcer les capacités de tous les participants au processus d'élaboration de la politique de la santé.

Enfin, nous aimerions dire que la Fondation Frosst pour les soins de santé aimerait collaborer avec le comité sénatorial et le gouvernement fédéral, de toutes les manières possibles, afin d'aider à faire entendre la voix des patients dans les instances où l'on décide de la politique de la santé et où l'on discute de la réforme des soins de santé. Par l'entremise de notre fondation, nous pouvons puiser dans un réseau d'expertise et de ressources pour apporter notre contribution.

Le président: Merci de votre exposé. Le sénateur Morin et moi-même avons rencontré Roy Romano, il y a deux semaines environ, lorsque nous étions à Saskatoon. Cette commission prévoit tenir quelques-uns de ces soi-disant «modèles délibératifs» assez novateurs. Avez-vous communiqué avec ces gens?

Mme Dunbrack: Oui, de fait, nous sommes actuellement en pourparlers avec eux en vue de conclure un éventuel partenariat.

Le président: Vous devez absolument le faire parce qu'ils ont en tête des projets assez uniques en leur genre.

Pouvez-vous nous expliquer plus précisément ce que vous entendez par «modèles de démonstration» et «forums de dialogue»? Bon nombre de participants dans le système des soins de santé, même les fournisseurs, les infirmières par exemple, ont souvent l'impression que les décideurs se tiennent d'un côté, tandis qu'elles se tiennent de l'autre, de sorte qu'il n'y a jamais réellement de vrai dialogue dans ce pays entre les décideurs et ceux qui assurent la prestation des services.

Mme Dunbrack: Exactement. Mais il y a certainement une possibilité d'y arriver.

Le président: Oui, et l'une des questions que nous nous posons, sans prétention, est comment comptez-vous procéder pour réussir? Vous avez accumulé une certaine expérience à cet égard. Nous avons l'habitude d'écouter les témoignages de personnes, plutôt que de véritablement «dialoguer» avec elles, si je peux me permettre la distinction. J'apprécierais si vous pouviez nous décrire un peu plus précisément à quoi pourrait bien ressembler ce processus.

Mme Dunbrack: Nous nous ferons un plaisir de vous faire parvenir une lettre à ce sujet, mais je vous décrirai une expérience réalisée sur une petite échelle en Nouvelle-Écosse, à Mount St. Vincent avec des personnes âgées. On a réuni un groupe de femmes qui agissent à titre de soignantes non professionnelles, je pense.

Le président: Par soignantes «non professionnelles» vous voulez dire «bénévoles»?

Mme Dunbrack: Oui, des soignantes qui offrent une aide informelle.

Le président: En réalité, l'aide est bien réelle, mais elle n'est pas rémunérée.

Mme Dunbrack: C'est exact, ce sont des bénévoles.

Le président: Et toutes sont des femmes?

Mme Dunbrack: En majorité des femmes âgées. Elles étaient très insatisfaites de la manière dont le système répondait à leurs besoins et aux besoins des personnes dont elles s'occupaient. On les a réunies en groupe parce qu'elles disaient réaliser qu'elles devaient participer à l'étape de l'élaboration de la politique de la santé, et non seulement à celle de la prestation directe des services.

Les chercheurs ont mis au point un modèle de démonstration dans lequel ces femmes devaient jouer le rôle de décideurs. Elles ont soudainement commencé à réaliser que ce n'était pas si simple d'établir une politique et qu'il y avait des décisions difficiles à prendre. Au cours de la deuxième étape du projet, on les a mises en présence de vrais décideurs du gouvernement provincial et ces décideurs ont trouvé que certains vieux schémas d'attitudes avaient été brisés. Ce n'est qu'un petit exemple, mais je pense qu'il existe des possibilités de réaliser des expériences assez intéressantes visant à établir des ponts.

Le président: D'accord, et comme le gouvernement fédéral ne joue pas de rôle dans ce secteur, on n'empiète pas sur le territoire de quiconque.

Mme Dunbrack: C'est exactement cela.

Dre Camerlain: Nous avons fait cette expérience lorsque nous avons organisé notre premier événement dans le cadre du programme «La parole est à nous». Il y avait tous ces groupes de patients représentant chacun une maladie spécifique et compéti tionnant les uns avec les autres pour obtenir du financement, et tout d'un coup, après avoir été dans la même pièce tous ensemble, ils ont réalisé qu'ils avaient davantage de points communs que de divergences. Nous voulons simplement réunir les gens dans la même pièce pour qu'ils réalisent ce qu'ils ont en commun et qu'ils s'attellent à la tâche ensemble. On ne cesse de réinventer la roue. Nous voulons établir des liens, habiliter les personnes et faire en sorte que le plus de gens possibles collaborent pour atteindre le même objectif.

Le président: Selon vous, qu'une personne soit présente parce qu'elle souffre du cancer, de l'arthrite ou d'une maladie cardiaque ne change rien à l'affaire, les problèmes sont essentiellement les mêmes?

Dre Camerlain: Ces personnes ont certains problèmes en commun et si elles pouvaient travailler de concert, elles économiseraient beaucoup de temps, d'énergie et de ressources aussi, et il pourrait en ressortir des tas d'idées nouvelles. Notre mission consiste en partie à favoriser les relations, à informer et à habiliter.

Mme Dunbrack: Le Conseil canadien des organismes bénévo les en santé a réuni les oeuvres de bienfaisance en santé afin de les aider à amorcer une action commune. L'autre partie du travail consiste à établir des relations entre les associations professionnel les et les décideurs, ainsi qu'avec les administrations fédérale et provinciales parce que ce sont des intervenants très importants dans la détermination de la politique de la santé.

Le sénateur Robertson: Mesdames, je ne sais pas grand chose au sujet de votre fondation, si ce n'est ce que j'ai pu lire et entendre ici, mais je dois vous dire que deux très bons amis à moi siègent à votre conseil, l'un d'entre eux est de la côte Est et l'autre de la côte Ouest. Les mois à venir me permettront d'en apprendre davantage à votre sujet.

Je voulais seulement vous poser une question. Vous faites partie d'une association jeune et toute nouvelle qui vient de voir le jour, et même si ma question s'adresse à toutes les associations, qu'il s'agisse de la Fondation canadienne du rein ou d'une autre, avez-vous établi les critères ou les étalons en fonction desquels vous allez évaluer la réussite de vos projets, de sorte que vous puissiez vous identifier plus facilement avec le public et les autres intervenants? Si vous pouvez mesurer votre succès à l'aide de facteurs identifiables, votre croissance sera plus rapide et vous aurez une influence plus marquée sur tous les autres intervenants, y compris le gouvernement.

Mme Dunbrack: C'est une remarque intéressante. Je vous dirais que nous allons probablement pouvoir évaluer dans quelle mesure nous avons réussi dans cinq ans lorsque les gens vont automatiquement penser, avant d'élaborer une nouvelle politique de la santé, à inclure un représentant des patients ou des citoyens à la table et que nous constaterons que cela se répercute dans la politique.

Notre mission ne vise pas tellement le contenu comme le processus, aussi ce que les patients ou les citoyens disent une fois assis à la table où se discute la politique de la santé ne concerne qu'eux. Notre seul but est de les y amener.

Le sénateur Robertson: Cependant, permettez-moi desuggérer que le processus qui consiste à les y amener doit lui aussi être surveillé et évalué.

Mme Dunbrack: C'est exact.

Le sénateur Robertson: De toute façon, je vous souhaite bonne chance.

Mme Dunbrack: Oui, merci.

Le sénateur Robertson: Je vais me documenter sur vous.

Dre Camerlain: Merci à vous.

Le président: J'aimerais revenir au projet de démonstration. Il nous serait utile de savoir avec précision quels genres de projets de démonstration seraient utiles selon vous. Nous devons être en mesure de nous inspirer du concept et d'en faire une proposition très précise. Je ne veux pas critiquer ce que vous avez dit, mais nous devons aller au-delà de la simple affirmation comme quoi: «Nous pensons que les projets de démonstration sont une bonne idée», pour pouvoir plutôt affirmer «Voici un ou deux de ces projets qui présentent un intérêt réel».

Mme Dunbrack: Je peux vous donner un exemple d'un secteur que je connais très bien, celui du VIH-sida. Le gouvernement fédéral a financé deux très importants projets de démonstration, un à Edmonton, en Alberta, et l'autre à Montréal, et au cours de ces projets, il a réuni tout ce que le domaine compte d'intervenants dans le domaine des soins aux sidatiques, de l'administration provinciale à un niveau assez élevé, jusqu'aux régies régionales de la santé, au consommateur, en passant par les groupes communautaires et les professionnels associés à tous les aspects des soins. On a créé des «tables de dialogue» où toutes ces personnes se sont réunies pour discuter. Au début, les professionnels et les groupes communautaires se sont réunis à des tables séparées, puis on a commencé à les mélanger. Depuis trois ans que ce projet existe, on a pu constater que Montréal et Edmonton ont élaboré un système de prestation de soins beaucoup plus intégré pour le VIH-sida, mais aussi un processus d'élabora tion de politique beaucoup plus intégré.

Voici un autre exemple dans le domaine des soins palliatifs, que je connais aussi très bien, et qui se trouve aussi à Edmonton, en Alberta. Le gouvernement provincial et les prestataires de soins examinaient le vieillissement de la population et les coûts potentiels rattachés aux soins aux personnes en fin de vie et ils ont décidé de faire quelque chose. Ils ont en effet décidé d'intégrer la prestation des services de manière à ce qu'il n'y ait pas de coupure, mais aussi pour que cette intégration ait une incidence telle au niveau de la détermination de la politique que l'absence d'un intervenant du système rende impossible la prise d'une décision autonome sans consultation des autres parties.

Le président: Je trouve intéressant que vous nommiez Montréal et Edmonton, parce que si je devais choisir les quatre meilleures autorités régionales en matière de soins de santé au pays, j'opterais pour Montréal, Edmonton, Calgary et Victoria. Tous ceux à qui j'ai parlé d'est en ouest ne tarissent pas d'éloges au sujet de ces deux en particulier qui, soit dit en passant, sont dirigées par des femmes, ce qui mérite aussi que l'on s'y arrête.

Dans quelle mesure est-il réellement nécessaire d'établir un leadership progressif au niveau des autorisés régionales de la santé pour que ce genre de choses devienne possible?

Mme Dunbrack: Je pense que c'est vraiment essentiel, parce que s'ils ne veulent pas s'engager, il ne se passera rien du tout.

Le président: On ne peut pas les forcer?

Mme Dunbrack: Non, on ne peut pas les forcer Cependant, je pense que nous pouvons parler des avantages. Par exemple, si je retiens votre argument selon lequel notre système de soins de santé devrait être une industrie de services du XXIe siècle, dans ce cas, le client ou le consommateur - l'acheteur en dernier ressort - est le patient. De plus en plus, je pense que l'on se retrouvera en face d'un groupe de vieux baby boomers plus coriaces qui diront: «Nous n'avons pas l'intention de nous laisser faire, si vous pensez que vous allez prendre les décisions pour nous!»

Le président: Nous avons eu des nouvelles de Dave Barrett, qui va bientôt avoir 75 ans, lorsque nous sommes allés en Colombie-Britannique, et laissez-moi vous dire qu'il n'a pas perdu une once de l'indépendance d'esprit qu'il avait démontrée lorsqu'il était premier ministre, il y a 25 ans de cela, donc nous prenons bonne note.

Mme Dunbrack: Si je voulais convaincre la régie régionale de la santé de s'engager dans notre processus, je dirais: «Votre situation politique sera beaucoup plus confortable si vous vous reposez sur un processus rigoureux au cours duquel vous faites participer le consommateur, que si vous tentez d'imposer quelque chose et que vous allez à contre-courant.»

Le président: Permettez-moi de vous remercier toutes les deux d'être venues témoigner; votre exposé a été très intéressant. Essayez de voir si vous ne pouvez pas trouver du matériel intéressant que vous pourriez nous transmettre.

Dre Camerlain: Mais certainement. Merci.

La séance est levée.


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