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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 4 - Témoignages du 5 décembre 2002 


OTTAWA, le jeudi 5 décembre 2002

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et de forêts se réunit aujourd'hui à 8 h 34 pour étudier l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation à l'étude axées sur l'industrie primaire, les méthodes, les outils technologiques, les écosystèmes et d'autres éléments s'y rapportant.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bonjour à tous. Je déclare ouverte la cinquième séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Nous poursuivons notre étude sur l'impact du changement climatique sur l'agriculture, les forêts et les collectivités rurales au Canada et les stratégies d'adaptation.

Aujourd'hui, nous commençons à entendre une nouvelle série de témoins qui s'intéresseront à l'impact régional du changement climatique et aux mesures prises par chacune des régions pour s'adapter à sa nouvelle réalité. Au cours des trois prochaines réunions, plus ou moins, nous avons invité des représentants régionaux faisant partie du Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation. Il s'agit d'un réseau national qui facilite la génération de connaissances nouvelles sur le changement climatique en réunissant des chercheurs et des décideurs issus de l'industrie, des gouvernements et des organisations non gouvernementales pour faire face aux problèmes.

Honorables sénateurs, on nous entretiendra ce matin du nord du Canada et de l'Ontario. Mme Aynslie Ogden et M. Peter Johnson nous parleront du nord du Canada, et MM. David Pearson et Gerard Courtin, de la région de l'Ontario. Nous allons d'abord entendre Mme Ogden, puis M. Pearson.

Mme Aynslie Ogden, gestionnaire, Territoires du Nord, Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation: C'est avec plaisir que nous sommes ici ce matin pour vous entretenir des impacts du changement climatique dans le nord du Canada et de certaines questions concernant l'adaptation. Ce sujet vient aujourd'hui en tête des priorités dans le Nord, en raison non seulement des discussions et des débats qui entourent l'Accord de Kyoto et de la couverture médiatique qui l'entoure, mais aussi du fait que, chez nous, à Whitehorse, nous avons connu au cours du dernier mois des températures record. Les effets de ces températures douces se sont fait sentir non seulement sur nos factures de chauffage, mais aussi sur les écosystèmes qui nous entourent, la glace ne s'étant pas encore formée sur les lacs et les rivières qui nous entourent.

Mon exposé portera sur six points: dans le Nord canadien, le changement climatique n'est plus une idée abstraite. De solides données scientifiques et observations locales confirment que le changement climatique a eu et continue d'avoir un impact. Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, la température moyenne en surface a augmenté de 0,6 degré au cours du siècle dernier. De 1961 à 1990, soit sur une période de 30 ans, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest ont connu un très net réchauffement de l'ordre de 1 à 1,5 degré Celsius, soit plus de deux fois la moyenne mondiale. Au cours de la même période, le Territoire du Nunavut a connu un réchauffement d'environ un demi-degré en moyenne, sauf pour l'extrême est de l'Arctique, qui s'est légèrement refroidi.

Plus tôt cette semaine, Environnement Canada a publié un graphique, qui illustre les courbes de température au cours d'une période de 52 ans, soit de 1948 à 2000. Ces nouvelles informations sur les changements de température laissent croire à un réchauffement encore plus prononcé. Dans le Nord, le réchauffement, au cours de cette période de 52 ans, a été de 1 à 2,2 degrés Celsius environ, ce qui rend sans doute compte du grand nombre d'années très douces qui ont marqué les années 90. Au cours des 100 prochaines années, les températures mondiales pourraient connaître une augmentation de 1,5 à 6 degrés. Au gré du réchauffement planétaire, confirment toutes les études, les latitudes supérieures se réchaufferont plus tôt et davantage que les latitudes inférieures. Selon les projections, les températures, dans le nord du Canada, augmenteront de 5 à 10 degrés Celsius d'ici le milieu du siècle, les changements les plus importants se concentrant plus près du pôle. Sur le plan saisonnier, on prévoit que les changements les plus importants auront lieu pendant les mois d'hiver. Enfin, on s'attend à ce que les froids extrêmes soient moins prononcés et moins fréquents, comme on en fait déjà le constat dans le Nord.

Les modèles de changement climatique projetés dans le Nord sont complexes. Le Nord, qui compte pour environ 40 p. 100 du territoire canadien, se caractérise par une géographie, un écosystème et des climats extraordinairement diversifiés. Ainsi, les observations et les projections relatives au changement climatique varient considérablement d'un endroit à l'autre.

Beaucoup de Canadiens du Nord observent de première main des changements dans le climat, et ces connaissances locales constituent un apport important à notre compréhension des incidences du changement climatique. Les habitants de longue date et ceux qui passent du temps dans le Nord observent des preuves de plus en plus tangibles du changement climatique et en subissent directement les effets. On reconnaît maintenant comme légitimes et exactes les connaissances écologiques fondées sur l'expérience. Dans les secteurs ou la collecte de données scientifiques est limitée, ces renseignements utiles revêtent une importance particulière. En effet, les observations locales peuvent compléter les informations scientifiques et donner une idée plus régionale, holistique et à long terme de certains des changements en cours. De la même façon, les connaissances locales fournissent également des données régionales détaillées au-delà de la capacité des observations scientifiques actuelles. Elles permettent également de définir des domaines où des études plus poussées se justifient.

Les impacts prévus du changement climatique dans le nord préoccupent considérablement les résidents du Nord, en raison des conséquences potentielles sur les modes de vie traditionnels tout autant que sur l'exploitation et la conservation des ressources.

J'aimerais maintenant dire un mot de certains de ces impacts et donner une idée générale de l'ampleur et de la portée des impacts ressentis. Au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, l'industrie forestière rapporte à l'économie une contribution limitée, mais importante. Les possibilités de croissance du secteur sont intéressantes. Les activités de cette industrie tendent à être à plus petite échelle que dans le Sud. Au Yukon, on observe depuis les années 60 une augmentation du nombre de feux de forêts et d'hectares incendiés. Avec le réchauffement et l'augmentation du nombre d'orages, on s'attend à ce que la tendance se maintienne.

Même si on prédit une augmentation des précipitations en été, les pluies ne suffiront peut-être pas à annuler les effets de certaines des températures plus douces prévues. Le présent graphique illustre les résultats d'une étude menée dans le bassin du Mackenzie. Sans modification des pratiques de gestion des incendies, on s'attend à une augmentation du nombre d'incendies de forêts et de leur gravité. Quant au nombre moyen d'hectares brûlés chaque année, il pourrait doubler d'ici 2050.

Le changement climatique aura également un effet sur les populations de parasites forestiers, par exemple le typographe et charançon du pin blanc. Entre 1994 et 1999, le typographe a tué presque toute la population adulte d'épinette blanche sur quelque 200 000 hectares dans le parc national de Kluane, dans le sud-ouest du Yukon. Une succession d'hivers et de printemps doux a favorisé la reproduction de ces insectes et leur a permis de se multiplier rapidement.

La répartition du charançon du pin blanc, qui s'attaque au pin de Banks et à l'épinette blanche, entretient une forte corrélation avec les températures. Une étude consacrée au bassin du Mackenzie a montré que, avec le réchauffement des températures, la saison de croissance sera suffisamment longue pour permettre au charançon d'étendre son aire de distribution vers le nord et des altitudes plus élevées. Dans le bassin du Mackenzie, le nombre d'hectares qui pourraient devenir vulnérables au charançon du pin blanc doublerait au moins et engloberait toute la zone boisée d'ici 2050.

En ce qui concerne l'agriculture, les sols et les conditions climatiques dans le Nord se prêtent mal à l'agriculture. Cependant, certaines régions du Yukon ont un potentiel agricole modéré, et l'agriculture est une composante modeste mais importante de l'économie fondée sur les salaires. Une prolongation de la saison de croissance permettrait de cultiver un plus grand nombre de variétés et d'obtenir de meilleurs rendements. Elle pourrait aussi améliorer les possibilités de production en serre. Cependant, la mesure dans laquelle le changement climatique pourrait permettre d'accroître la production agricole est limitée par l'état des sols et l'évolution future non seulement des températures, mais aussi des précipitations.

Les incidences du changement climatique sur les disponibilités alimentaires du Nord sont beaucoup plus fortes quand on tient compte des activités de subsistance, comme la chasse et la pêche. Le terrain en état de gel permanent, ou pergélisol, recouvre une bonne partie du Nord. Dans les régions où il n'est qu'à quelques degrés sous le point de congélation, le pergélisol est considéré comme particulièrement vulnérable au changement climatique. Déjà, les étendues de pergélisol ont régressé, et on observe un réchauffement général des températures du sol dans bien des régions. Si le climat se réchauffe comme prévu, la fonte saisonnière va augmenter, et le pergélisol va s'amincir ou disparaître dans certaines régions.

Par endroits, le dégel du pergélisol aura pour effet d'aggraver les risques de glissements de terrain. Ces derniers peuvent causer des torts considérables à l'infrastructure de même qu'à l'habitat halieutique et faunique. Une étude sur la vallée du Mackenzie a montré que de nombreux glissements de terrain dans la région sont liés au dégel du pergélisol dans la glace de sol. Étant donné la prévalence du pergélisol et de la glace dans la région, les auteurs de l'étude ont conclu que le changement climatique et le dégel du pergélisol sont conjugueront pour accroître la fréquence des glissements de terrain dans la région.

Le changement climatique pourrait également avoir des impacts économiques sur le Nord. Dans des régions où le sol renferme une grande quantité de glace et où la glace est à une température proche du point de congélation, l'infrastructure est particulièrement vulnérable. À titre d'exemple, le dégel du pergélisol pourrait entraîner le cintrage et la rupture des pipelines rattachés aux réservoirs servant à l'entreposage des réserves d'eau et au confinement des eaux usées, tandis que la transformation du schéma des précipitations pourrait exiger des mises à niveau et des remaniements coûteux des bassins de résidus et d'autres structures de déviation des cours d'eau utilisés par l'industrie minière.

Au fil des ans, les ingénieurs ont mis au point des techniques pour l'aménagement d'immeubles et de pipelines dans les régions froides. On a mis au point des techniques de construction conçues pour éviter que la chaleur induite par la structure elle-même n'entraîne la fonte du sol gelé. Les fondations multipoints, les pipelines hors sol et les thermosyphons sont quelques exemples d'adaptation climatique susceptibles de se généraliser à l'avenir.

On accède à de nombreuses collectivités du Nord par des routes d'hiver aménagées sur une surface de glace et de neige ou encore par des lacs et des rivières gelés. L'adoucissement des hivers pose des problèmes pour les routes de glace. Ces dernières gèlent plus tard et dégèlent plus tôt au printemps. Il est ainsi plus difficile de transporter des marchandises vers les collectivités et les mines dont l'approvisionnement dépend de ces routes.

Si les températures se réchauffent assez, le passage du Nord-Ouest pourrait devenir une route de navigation internationale. Cela pourrait entraîner un accroissement du commerce, mais cela pourrait aussi avoir de nombreuses conséquences sociales et environnementales. En fait, cela soulève déjà des questions sur la souveraineté du Canada dans les eaux arctiques.

En ce qui concerne la glace marine, les collectivités littorales et les écosystèmes marins ont diminué de près de 3 p. 100 par décennie au cours des 20 dernières années. Les modèles de changement climatique laissent croire à une réduction possible de 60 p. 100 de la glace d'été d'ici le milieu du siècle et à une disparition complète possible de la glace d'été d'ici la fin du siècle. Déjà, les collectivités du littoral arctique ont des problèmes à cause de la diminution des niveaux de glace en hiver. À cause de la mer libre au début de l'hiver, les eaux tempétueuses accélèrent l'érosion du littoral. Dans certaines régions, l'érosion des côtes oblige les habitants à relocaliser des bâtiments.

Dans les écosystèmes marins, les débâcles hâtives font en sorte que les animaux qui dépendent de la glace seront désavantagés. À titre d'exemple, les morses ont besoin de glace pour se reproduire et se reposer, et les ours polaires doivent utiliser la glace pour accéder aux phoques qui constituent leur principale source de nourriture. Dans l'ouest de la baie d'Hudson, la débâcle est survenue en moyenne deux semaines plus tôt dans les années 90 que dans les années 70. À cause de ces changements dans l'état des glaces, il se peut qu'il n'y ait plus d'ours blancs résidant dans la baie d'Hudson dans 50 ans.

Le réchauffement va entraîner des changements de la composition des espèces des écosystèmes terrestres du Nord. On prévoit le déplacement vers le nord d'assemblages d'espèces, et certaines seront peut-être mieux en mesure que d'autres de s'acclimater à leur nouvel habitat. Le changement climatique entraînera peut-être une diminution de certaines populations animales. À titre d'exemple, les populations de caribou risquent d'être affectées par le temps de l'année et l'endroit où se trouve la nourriture, l'augmentation des parasites et des maladies transmises par les insectes de même que l'intensification du harcèlement des insectes.

En 2000, le Northern Climate Exchange a commencé à consulter les collectivités du Yukon pour avoir une meilleure idée de l'inquiétude que le changement climatique et les impacts associés leur inspirent et de l'ampleur de l'information qu'elles possèdent sur le sujet. Il ressort de ces discussions que le changement climatique n'est plus une idée abstraite au Yukon et qu'il est un sujet important de préoccupations publiques.

Les opinions des citoyens sur les mesures à prendre varient dans les collectivités et entre elles. Nous avons aussi noté qu'il existe à l'échelle locale une somme énorme d'informations extrêmement précieuses sur le changement climatique, mais que très peu de ce savoir a été recueilli et consigné. Il semble y avoir plus de questions que de réponses. De plus, on ne semble pas disposer de suffisamment d'information pour aider les collectivités à comprendre les incidences du changement climatique et à s'y préparer, et on en a encore moins à une échelle qui pourrait aider les collectivités à prendre leurs décisions.

Les observations et les préoccupations relatives au changement climatique varient dans le Nord, et les observations locales ne sont pas toujours le reflet fidèle des projections établies à partir des modèles. Les répercussions du changement climatique sur les peuples autochtones du Nord sont tout spécialement dignes de mention en raison du rapport à la terre de ces derniers et de leurs responsabilités actuelles et nouvelles en matière de gouvernance régionale. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a conclu que les peuples autochtones du Nord sont plus sensibles au changement climatique que les peuples non autochtones dans la mesure où leurs terres et leurs territoires de chasse seront directement touchés. Les changements dans la glace marine, la saisonnalité de la neige ainsi que l'habitat et la diversité des espèces fauniques et halieutiques pourraient menacer les modes de vie et les traditions de longue date. Dans certaines régions, les Autochtones modifient déjà leurs habitudes de chasse en fonction de la transformation du régime de glaces et de la distribution des espèces exploitées.

Les peuples autochtones du Nord ne sont pas un simple groupe d'intervenants comme les autres. En raison des règlements des revendications territoriales et des accords sur l'autonomie gouvernementale qui en sont à divers stades de mise en œuvre partout dans le Nord, ils exercent des droits liés à la gestion des ressources et à la propriété foncière du territoire. Ainsi, les organisations autochtones du nord du Canada cherchent à jouer un rôle plus marqué dans les négociations internationales, les recherches, les travaux d'approche et les plans d'action entourant le problème du changement climatique.

Malgré toutes les informations que j'ai présentées plus tôt sur les impacts possibles du changement climatique, il importe de comprendre que, dans le nord du Canada, notre compréhension du changement climatique projeté et de ses impacts est pour le moins limité. Pour faire le point sur l'état actuel de nos connaissances, le Northern Climate Exchange a mené à bien un projet d'analyse des carences. Dans un premier temps, nous avons compilé toutes les ressources disponibles sur le changement climatique dans le nord du Canada. Nous avons recensé plus de 1 800 références et mis au point une base de données. Nous avons par la suite organisé toutes ces informations dans une série de tableaux ou de matrices. Les matrices nous ont permis de définir des schémas concernant la disponibilité de l'information. Nous avons été en mesure d'établir les endroits où on trouve de bonnes informations sur un sujet donné tout autant que les lacunes dans nos connaissances.

Pour faire le point sur l'état de la connaissance, nous avons arrêté une série de critères d'évaluation. Ces derniers nous ont permis d'indiquer si les connaissances étaient bonnes, passables ou mauvaises. Voici quelques-unes des questions que nous avons posées pour déterminer notre niveau de compréhension des incidences du changement climatique: pouvons-nous prédire la nature et l'importance du changement dans le système? L'information s'applique- t-elle dans tout le nord du Canada? Est-elle à jour? A-t-on effectué des recherches sur une période suffisamment longue pour pouvoir dégager des tendances? Les conclusions d'un certain nombre de sources sont-elles constantes? Nous avons constaté qu'on comprend mal les impacts des échelles locales et régionales et que les études ne sont pas réparties de façon égale sur le plan géographique. Sur le plan de la recherche, on observe des points chauds entrecoupés de vastes secteurs où les recherches sont limitées, voire inexistantes.

Dans le Nord, la plupart des recherches sur le changement climatique ont porté sur des phénomènes environnementaux physiques comme le pergélisol et le littoral. Par conséquent, nous sommes mieux en mesure de projeter les changements d'aspects physiques des systèmes, auxquels on consacre plus d'étude, que les aspects biologiques ou socioéconomiques. À l'intérieur d'une discipline donnée, les connaissances existantes tendent à se concentrer davantage sur des aspects qui ont une incidence économique plus que sur les autres. À titre d'exemple, les chercheurs auront tendance à consacrer plus d'efforts à l'impact du changement climatique sur les espèces de poisson récoltées qu'à l'impact sur les autres.

On a étudié les écosystèmes terrestres plus que les écosystèmes marins ou aquatiques. Fait surprenant, ce sont les incidences sociales du changement climatique qui ont le moins suscité l'intérêt des chercheurs. En réalité, la plupart des données relevées à ce propos confirment simplement notre manque de connaissances.

Au cours des deux ou trois dernières décennies, l'établissement de partenariats entre scientifiques, Premières nations et collectivités nordiques a suscité davantage d'intérêt, et c'est dans les régions qui ont fait l'objet de recherches scientifiques qu'on a recensé le plus de connaissances locales et traditionnelles.

En résumé, notre compréhension actuelle des conséquences du changement climatique est pour l'heure insuffisante, en particulier dans le contexte d'autres forces de changement influant sur la région, par exemple l'exploitation pétrolière et gazière, les mines de diamant et le tourisme en milieu sauvage.

Il importe de souligner l'une des études majeures sur le changement climatique dans le Nord, soit l'«Étude d'impact sur le bassin du Mackenzie,» qui a grandement enrichi notre compréhension du changement climatique et de ses impacts dans le nord du Canada. Le fleuve Mackenzie, dont le bassin draine environ 20 p. 100 du pays, est le plus long du Canada. M. Stewart J. Cohen a dirigé une étude d'une durée de six ans, au cours de laquelle il a tenté de comprendre les impacts éventuels du réchauffement planétaire sur les régions et les habitants du bassin. Cette étude repose sur ce qu'on a appelé l'approche axée sur la collaboration entre scientifiques et intervenants, et il s'est agi de l'une des premières tentatives d'évaluation régionale intégrée du changement climatique. Dans le cadre de l'évaluation, on a reconnu que la participation des intervenants est essentielle à la définition des objectifs de l'étude et des secteurs de recherche prioritaire, ce qui a contribué à cibler les ressources financières et humaines limitées disponibles.

Les scientifiques ont examiné des scénarios hypothétiques de changement climatique, et des intervenants ont, en réponse aux problèmes soulevés, pris part à des discussions sur les résultats éventuels. Les membres des deux groupes ont travaillé aux mesures devant être prises. Cette collaboration a contribué à renforcer la capacité et à accroître le sentiment d'appropriation de l'enjeu par les intervenants en plus de fournir des occasions d'apprentissage mutuel.

Cette seule étude a grandement contribué à notre base de connaissances, et des études analogues pourraient se révéler utiles à d'autres régions du Nord, une telle approche mettant l'accent sur l'établissement de partenariats et tenant compte des points de vue social, politique et économique. Grâce à elle, on peut aussi s'attaquer aux lacunes dans les compétences de façon systématique.

Le niveau actuel de recherche et de contrôle limite notre capacité de comprendre le changement climatique et ses incidences et, en contrepartie, d'intervenir dans le nord du Canada au moyen de mesures d'adaptation. La question du financement alloué à la recherche sur le Nord mérite qu'on s'y intéresse, et la recherche est essentielle pour aider les habitants à faire face aux changements sans précédent auxquels la région fait face. On doit asseoir la planification des mesures d'adaptation sur une compréhension factuelle des tendances climatiques. Sans de telles informations fondamentales, on risque de prendre des mesures inefficaces ou mal adaptées.

Les compressions budgétaires et la rationalisation imposées par le gouvernement au cours de la dernière décennie se sont traduites par une diminution des activités de recherche et de la formation sur les questions nordiques dans les universités canadiennes. La situation s'est détériorée au point où, en 1998, un groupe de chercheurs inquiets a lancé un cri d'alarme pour la préservation de l'avenir des sciences arctiques avant que la capacité du Canada d'effectuer des recherches dans ce domaine ne s'effondre entièrement.

En septembre 2000, deux des principaux organismes subventionnaires de la recherche universitaire au Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et le Conseil de recherches en sciences du Canada ont créé un groupe de travail. Ce dernier en est venu à la conclusion que la recherche sur l'Arctique était en crise. Dans son rapport, le groupe de travail a plaidé en faveur de l'établissement de nouveaux partenariats entre les universités et les collectivités nordiques de même que de la participation directe des habitants du Nord à la recherche et à la formation. On a donné suite à certaines de ces recommandations. Cependant, on a peu bonifié le financement d'initiatives communautaires.

L'absence de collecte de données et de surveillance du climat à long terme influe sur notre capacité collective de comprendre les tendances climatiques. Dans la plupart des régions, la surveillance du nord du Canada n'a débuté que dans les années 50. C'est à la fin des années 90 qu'on a sabré dans les réseaux de surveillance du climat et de l'hydrologie. Selon Environnement Canada, une autre ronde de compressions est à craindre.

Parmi les 41 centres de surveillance du climat aujourd'hui en activité au Yukon, 18 sont considérés comme vulnérables et fermeront leurs portes, à moins qu'un financement par des tiers de 1 000 $ par centre et par année ne permette de les garder en activité. On s'attend à des réductions analogues dans les autres territoires et partout au Canada. Ces compressions additionnelles nuiront vraisemblablement à la quantité et à la qualité des recherches effectuées dans le Nord sur les incidences du changement climatique. Ce qu'il y a de tragique, c'est que la densité actuelle des centres dans le Nord ne nous donne pas une compréhension suffisante des tendances climatiques.

En raison de l'ampleur et de l'importance des incidences projetées, l'analyse et la mise au point de mesures d'adaptation dans le nord du Canada sont critiques. Les analyses en question en sont toujours au stade embryonnaire. On a effectué certains travaux préparatoires importants. Cependant, beaucoup reste à faire pour assurer la viabilité des collectivités, des écosystèmes et des modes de vie nordiques.

Depuis toujours, l'adaptation fait partie intégrante de la vie dans le Nord. En raison de la rapidité des changements projetés, l'adaptation future sera beaucoup plus exigeante. Le changement climatique altère les relations entre les humains et leurs environnements. Ainsi, nous devons absolument comprendre ces relations pour pouvoir déterminer les vulnérabilités. La vulnérabilité au changement climatique variera d'une collectivité à l'autre, puisque, dans le Nord, le développement, l'infrastructure, la gouvernance et la capacité d'adaptation diffèrent d'un endroit à l'autre. Avec la croissance et la transformation des collectivités, la nature de la vulnérabilité et des réactions peut de plus changer. Or, s'adapter, c'est peser le pour et le contre de diverses options, et il est possible que la meilleure option varie selon les circonstances locales.

À ce stade-ci, la mise au point de stratégies d'adaptation efficace aux incidences du changement climatique dans le nord du Canada exigera une information de qualité, la mise en valeur du potentiel, la participation des résidents de la région, du financement et de l'échange d'information. Dans le Nord, il s'ensuit qu'on aura impérativement besoin de recherche pour combler les carences d'information critique et permettre aux décideurs du Nord d'arrêter des stratégies et des interventions appropriées. Pour répondre aux besoins en information des collectivités nordiques, on doit pouvoir compter sur des partenariats entre chercheurs et intervenants.

Les gouvernements du Nord sont petits, et bon nombre d'entre eux sont à leur début. Or, le changement climatique n'est que l'un des enjeux importants à l'ordre du jour. Dans le Sud, 20 personnes travaillent sur un dossier; dans le Nord; une seule personne administre 20 dossiers. On doit allouer plus de ressources aux institutions nordiques pour leur permettre de se doter de la capacité requise pour participer davantage au dialogue sur l'adaptation.

Les habitants et les institutions du Nord doivent à tout prix être parties à toutes les tribunes où il est question de stratégies d'adaptation, puisqu'ils sont les mieux placés pour comprendre et évaluer leur vulnérabilité de même que pour évaluer les stratégies d'adaptation qui conviennent. Hormis le financement accru des activités de recherche et de surveillance, on ne doit pas oublier que la viabilité des collectivités du Nord est, de façon générale, relativement dépendante de l'aide du Sud. Cette dépendance risque d'accroître les pressions exercées par le changement climatique.

Le dialogue sur les incidences et les questions relatives à l'adaptation revêt une importance critique, au même titre que l'accès facile à l'information. Au cours des dernières années, le Northern Climate Exchange et, plus récemment, le Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation (Territoires du Nord), ont apporté une contribution en ce sens.

Le dialogue et l'échange d'information sont critiques, comme je l'ai indiqué, et le Northern Climate Exchange est un organisme relativement nouveau établi au Northern Research Institute du Collège du Yukon. L'organisme est né d'un besoin accru de capacité institutionnelle dans le Nord, constaté à la fois par le gouvernement du Yukon et celui du Canada. Le gouvernement du Yukon a compris l'importance de la science du changement climatique et la nécessité d'encourager l'adaptation en raison des vulnérabilités uniques de la région. Le gouvernement du Canada est également conscient de la nécessité de la mise en valeur du potentiel régional comme moyen de permettre au Canada de respecter ses engagements internationaux découlant de l'accord de Kyoto.

Le Northern Climate Exchange a, entre autres activités, créé un site Web, accueilli des ateliers, fait la synthèse d'informations publiques et organisé des tribunes d'information publique. En 2001, il a été l'hôte du Sommet circumpolaire sur le changement climatique, qui demeure à ce jour le plus important rassemblement de particuliers préoccupés par le changement climatique dans le nord du Canada. Le thème principal de la conférence, «Des mesures décisives pour un avenir incertain», «Uncertain Future, Deliberate Action» a centré les discussions sur les mesures à prendre pour contrer les effets du changement climatique, compte tenu de l'état actuel de nos connaissances. Les délégués à la conférence ont publié la déclaration de Whitehorse sur le changement climatique. Cette déclaration symbolise la forte volonté des habitants du Nord de collaborer ensemble à la mise au point de solutions au problème du changement climatique adoptées au Nord. C'est le mécanisme qui a présidé à sa création qui fait la force de la déclaration: en effet, elle traduit la voix d'un large éventail de parties et de particuliers intéressés.

Le bureau du Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation dans le Nord a entrepris ses activités en novembre 2001. Dans chacun des territoires, on trouve un bureau, ce qui a favorisé l'essaimage d'un réseau de chercheurs et d'intervenants. Le réseau a pour but de faciliter la collaboration, de réduire le dédoublement des efforts de recherche et de contribuer à cibler les efforts des chercheurs là où ils sont le plus nécessaires. Cette importante initiative contribuera à la mise en valeur du potentiel en réunissant des chercheurs et des intervenants, en définissant des lacunes dans les connaissances et des sujets de recherche, en améliorant l'accès aux résultats des recherches et, enfin, en assurant au problème une visibilité et un retentissement plus grands.

Pour conclure mon exposé sur les incidences et les questions relatives à l'adaptation dans le nord du Canada, j'aimerais résumer les six points que j'ai soulevés. Dans le nord du Canada, le changement climatique n'est plus une idée abstraite. De solides preuves, découlant de données scientifiques et d'observations locales, montrent que le changement climatique a eu et continue d'avoir un impact. Les incidences projetées du changement climatique préoccupent vivement les habitants du Nord, en particulier les Autochtones. Cependant, l'analyse effectuée par le Northern Climate Exchange révèle que notre niveau de compréhension des changements climatiques prévus et de leurs impacts est limité. Le niveau actuel des activités de recherche et de contrôle limite notre capacité de comprendre le changement climatique et ses incidences et, en contrepartie, de mettre au point des mesures d'adaptation dans le nord du Canada. L'analyse et la mise au point de mesures d'adaptation au changement climatique dans le nord du Canada revêtent une importance critique. Or, on en est toujours au stade embryonnaire. Beaucoup reste à faire pour assurer la viabilité des collectivités, des écosystèmes et des modes de vie nordiques.

Le président: Merci de cet excellent exposé.

Avant de commencer, M. David Pearson, notre prochain témoin, doit brancher son matériel électronique. Pendant qu'il s'exécute, madame Ogden, je tiens à rappeler que nous sommes depuis des décennies au courant de l'existence du changement climatique. Les Canadiens savaient que le changement climatique était en cours et qu'il allait avoir un effet sur les agriculteurs et l'industrie forestière. Je suis stupéfait d'observer que le Canada semble accuser un retard marqué. Nous avons peu fait pour nous préparer à l'inévitable. En tant que pays, nous ne nous sommes pas préparés.

C'est votre cinquième point, que vous avez réitéré et répété, qui résume le mieux la situation: en effet, vous avez affirmé que le niveau actuel des activités de recherche et de contrôle limite notre capacité de comprendre le changement climatique et ses incidences et, en contrepartie, de mettre au point des mesures d'adaptation, ce qui est précisément l'objet de notre étude. En d'autres termes, nous n'avons pas effectué beaucoup de recherches, nous n'avons pas effectué assez de surveillance, et nous ne disposons pas de modèles ou de données de qualité. C'est alarmant.

Mme Ogden: Je suis d'accord. La situation est plus prévalente dans le Nord, où les incidences se font déjà sentir. Nous savons que nous devrions faire quelque chose pour nous adapter au problème.

Le président: Avons-nous fait fi du problème? A-t-on érigé la négligence en politique?

Mme Ogden: La capacité fait partie du problème.

Le président: Vous faites référence à un manque de ressources humaines?

Mme Ogden: Il n'y a pas assez de ressources humaines ou matérielles pour faire face au problème. Le nord du Canada représente une très petite entité. Les autorités en ont plein les bras. Les ressources humaines dont on dispose pour consacrer du temps et des efforts à cette question sont limitées. En outre, notre niveau de compréhension des modifications qui doivent être apportées fait partie du problème.

Le président: Pouvez-vous dire aux honorables sénateurs à combien se monte votre budget pour de tels travaux de recherche dans le Nord? De combien d'argent disposez-vous pour la recherche, la surveillance et la préparation de vos modèles?

Mme Ogden: Notre organisme n'effectue pas de recherche. Il assure la visibilité du problème et contribue à la coordination des activités de recherche.

Je ne suis pas en mesure de préciser le niveau général de recherche et de financement. Je ne peux que citer le groupe de travail du CRSNG et du CRSH, qui ont affirmé que la recherche était en crise.

Le président: Vous n'êtes pas du tout en mesure de nous fournir des chiffres?

Mme Ogden: Non, pas au pied levé.

Le sénateur Wiebe: Aux pages 11, 12 et 13 de vos transparents, vous dites que vous êtes en mesure de définir des informations de qualité. Les honorables sénateurs ont entendu de nombreux témoins, et ils ont vu et lu les travaux d'un certain nombre de prétendus experts dans la presse et les médias.

On semble avoir consacré une énorme quantité de recherches au changement climatique, et les points de vue varient considérablement sur la question de savoir si le phénomène du changement climatique s'inscrit dans une progression naturelle des choses ou si au contraire l'activité humaine a contribué à son accélération.

La question que je veux vous poser, après l'avoir posée à d'autres témoins d'autres organismes qui ont comparu devant nous, est la suivante: qui devons-nous croire? Votre affirmation selon laquelle vous êtes en mesure de définir des informations de qualité ressort. C'est précisément ce que nous, du comité, aimerions faire: définir des informations de bonne qualité. Pouvez-vous nous donner une idée de la façon dont vous en êtes arrivée à cette conclusion?

Mme Ogden: Au moment de l'établissement des critères du projet que nous avons mené, nous nous sommes butés à cette question. Nous voulions examiner toutes les informations disponibles et les réunir sous un même toit. Nous avons donc créé une base de données. Nous avons tenté de tenir compte non seulement du nombre de références, mais aussi de ce qu'elles disaient.

En ce qui concerne le nord du Canada, nous avons passé les références au peigne fin. Nous avons rangé bon nombre des 1 800 références recensées dans la catégorie des surprises, en ce sens que nous avons constaté que le changement climatique était bel et bien une réalité que nous devrions faire quelque chose en réaction. Pour ce qui est de l'information concernant la durée des recherches en cours, l'applicabilité des données dans le nord du Canada était relativement limitée.

Dans les critères que nous avons mis au point pour chacune des catégories pour lesquelles nous avons compilé de l'information, nous avons posé six questions: dans quelle mesure comprenons-nous le système et ses relations avec le climat? Dans quelle mesure comprenons-nous l'influence du climat sur le système? Depuis combien de temps collige-t- on des données? Les données sont-elles à jour? Quelle est la répartition régionale des données? L'état des connaissances variait selon les données. Dans l'ensemble, cependant, nous avons constaté que l'information était de piètre qualité.

Le sénateur Wiebe: Accordez-vous beaucoup d'importance à la question de savoir qui finance le projet?

Mme Ogden: Du point de vue de l'évaluation de la valeur de l'information? Non.

Le président: Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre M. David Pearson.

M. David Pearson, président, région de l'Ontario, Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation: Monsieur le président, honorables sénateurs, c'est un plaisir que d'être parmi vous aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants de l'invitation. Votre démarche et le sujet que vous traitez sont importants, et nous sommes heureux de la visibilité que le comité confère au dossier.

Comme Mme Ogden l'a déclaré, l'adaptation au changement climatique est un domaine relativement nouveau. Si, à la lecture des transcriptions de vos travaux, il y a un sujet sur lequel nous pouvons tous nous entendre, c'est que le débat sur l'accord de Tokyo a tant détourné l'attention de l'adaptation qu'on a aujourd'hui affaire à une discussion des plus biaisées. Une fois que la Chambre des communes aura adopté le Protocole de Kyoto, j'espère que l'adaptation au changement climatique aura droit à plus d'attention et de fonds. Je vais en partie répéter aux honorables sénateurs ce que Mme Ogden a déjà affirmé: pour répondre aux questions relatives à l'adaptation, nous avons besoin de plus d'argent.

Je sais que c'est contraire à la procédure habituelle, mais j'aimerais d'entrée de jeu — et avec votre permission, commenter l'une des questions que vous avez posées. Si, avez-vous dit, le changement climatique est en cours depuis trente ans, pourquoi sommes-nous si mal préparés à y faire face? Le problème s'explique en grande partie par le fait que, jusqu'à tout récemment, nous ne savions pas avec certitude si ce par quoi nous passions s'expliquait par une variation naturelle du climat ou par une tendance vers le réchauffement planétaire. Il y a de dix à 20 ans, la communauté scientifique n'aurait pas été en mesure de vous soumettre un jugement faisant consensus sur l'hypothèse à retenir. Voilà qui, me semble-t-il, sénateur Wiebe, répond en partie à votre question. Qui devrons-nous croire? Grâce aux travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC), à ses groupes de travail et en particulier au troisième rapport publié l'année dernière, de même qu'aux travaux effectués aux États-Unis à la demande du président Bush pour évaluer les travaux du GIEC, nous pouvons nous fier à un groupe mondial de scientifiques issus de nombreux pays. En d'autres termes, la situation est aujourd'hui tout à fait différente de celle d'il y a à peine quelques années. Nous savons maintenant qui croire, et nous savons que nous sommes engagés sur la voie d'un changement climatique mondial. Autrement dit, il ne s'agit pas simplement d'un accident de parcours dans l'évolution naturelle des choses. Voilà donc ce que je pense de ces deux questions.

Permettez-moi maintenant de vous dire un mot au sujet du réseau canadien de recherche sur l'impact climatique et l'adaptation. Dans la mission du réseau de toutes les régions des différents secteurs, «adaptation» fait figure de mot clé. C'est le cas pour nous de la section ontarienne du réseau. L'atténuation et la réduction des gaz à effet de serre ne font pas partie de la mission du réseau. En mettant l'accent sur l'adaptation, notre réseau de recherche, à maints égards, fait cavalier seul.

Les travaux que nous avons accomplis correspondent à l'essentiel à ceux du groupe de Mme Ogden, à ceci près que la section ontarienne constitue en quelque sorte une recrue. En effet, nous n'existons que depuis un an. Nos bonnes années sont encore à venir. Mme Ogden a fait plus de travail dans le Nord que ce que nous sommes parvenus à accomplir.

À titre d'exemple, nous avons, jeudi dernier, à Mississauga, organisé un important atelier portant principalement sur les collectivités. Nous pensons que les effets du changement climatique, à l'instar de ceux de nombreux autres éléments, se font en dernière analyse sentir sur les collectivités. Notre atelier a porté sur les impacts et les possibilités d'adaptation dans quatre secteurs concernant l'incidence du changement climatique: la santé de l'écosystème, la santé humaine, les ressources en eau et l'infrastructure. L'atelier a réuni une centaine de personnes, dont une proportion d'environ 25 p. 100 d'employés municipaux. D'autres étaient des chercheurs rattachés à des universités et au gouvernement. Il y avait aussi des représentants des ONG. Il s'agit d'un exemple du genre de discussion que les chercheurs et les intervenants doivent avoir. Souvent, les chercheurs discutent entre eux à l'occasion de conférences. Il est rare que les chercheurs et les intervenants, soit ceux qui vivent les effets du changement climatique et seront appelés à faire face à ses conséquences, par exemple les conseillers municipaux et les représentants des industries agricole et forestière, discutent avec des chercheurs. Par ailleurs, les projets de recherche entrepris n'ont pas de pertinence immédiate aux yeux des intervenants. Par conséquent, la mission du réseau porte pour une large part sur l'adaptation ainsi que sur le regroupement des chercheurs et des intervenants.

Au moment où nous parlons d'adaptation, permettez-moi de vous dire pourquoi on voit un ours polaire sur le transparent. Si je vous présente un ours polaire dans le contexte de l'adaptation, c'est parce que nous avons tendance à poser le problème uniquement du point de vue humain, c'est-à-dire que nous devons réduire au minimum l'impact du changement climatique sur nous, nos collectivités, nos ressources en eau et les services dont nous bénéficions. Cependant, nous devons également entendre la voix de l'environnement lui-même. Quelqu'un doit parler au nom des écosystèmes, parler et réfléchir au nom des ours polaires. L'ours polaire figure sur notre pièce de deux dollars. C'est un symbole de notre pays qui compte beaucoup pour notre identité à titre de Canadiens. En tant que pays, nous devons éviter aux ours polaires le sort réservé aux éléphants ou aux tigres de Sibérie. Nous ne voulons pas que les ours polaires deviennent des animaux dont nous parlerons à l'imparfait à nos petits-enfants. Nous devons nous préoccuper de la protection des écosystèmes, de la faune et de la flore de notre pays tout autant que de la protection de nos modes de vie et de nos intérêts. Dans notre conception de l'adaptation, nous devons tenir compte de la protection de l'environnement en soi, et pas uniquement en raison des avantages économiques qu'il nous procure. Nous avons une responsabilité éthique envers l'environnement naturel, et nous considérons les ours polaires non seulement comme un symbole du nord-ouest du Canada, mais aussi de l'Ontario.

Il importe que vous ayez une vue d'ensemble de la structure du Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation. La section ontarienne du réseau est l'un des bureaux régionaux. Il y a aussi des secteurs qui représentent les risques que courent l'agriculture, l'eau, les pêches et le paysage. Nous sommes dotés d'un conseil consultatif provincial où siègent le commissaire à l'environnement de l'Ontario, des représentants d'Ontario Power Generation, des représentants de la collectivité, des médecins hygiénistes, des chercheurs, des représentants du monde universitaire ainsi que des représentants des ministères provinciaux et fédéraux compétents. Il s'agit d'un conseil consultatif provincial exerçant indubitablement des pouvoirs considérables.

Le bureau repose sur une seule personne — en d'autres termes, nous n'avons qu'un seul salarié et de nombreux bénévoles, moi y compris. Je suis professeur à la faculté des sciences de l'Université Laurentienne. Mon collègue est pour sa part professeur émérite. Nous travaillons le jour et avons d'autres occupations. Le bureau régional pour l'Ontario repose sur un seul et unique salarié. Le réseau ontarien de personnes avec qui nous communiquons par voie électronique, à qui nous avons demandé, par exemple, de commenter le présent exposé, compte plus de 1 000 représentants. Vous en trouverez la composition dans la copie du mémoire qui vous a été remise.

Il est intéressant de constater que la participation des universitaires n'est que de 30 p. 100 environ, si on compte les unités de recherche. Cela représente uniquement quelque 300 des 11 000 professeurs que comptent les universités ontariennes. De deux à 2,5 p. 100 des professeurs de l'Ontario appartiennent à notre réseau sur le changement climatique. Il est probable que le dixième d'entre eux, peut-être le cinquième, effectuent des recherches sur le changement climatique. Je dirais que la moitié d'entre eux environ effectuent des recherches sur l'adaptation, et le reste, sur les impacts. Il ne fait aucun doute qu'on doit accroître la portion du diagramme que vous avez sous les yeux que représente la communauté des chercheurs. Cependant, le diagramme à secteurs vous donne une bonne idée de la diversité de personnes que nous jugeons important de mobiliser pour la présente étude de l'adaptation.

L'Ontario, à l'instar du Nord et d'autres régions du Canada, représente un vaste territoire. Les collectivités et le genre d'impacts climatiques qu'on observe dans le nord de la province diffèrent du tout au tout de ceux qu'on rencontre dans le sud. Je vais revenir sur cette question dans un instant.

Les collectivités comme Ottawa et Toronto font la manchette. Cependant, la majorité des collectivités de l'Ontario, comme sans doute d'autres provinces du Canada, par exemple la Saskatchewan, sont très petites. L'une des conséquences de ce phénomène, c'est qu'on ne peut en vouloir à de telles collectivités de ne pas avoir inscrit le changement climatique dans leur liste de priorités. Elles se préoccupent davantage des questions qui intéressent leur survie au jour le jour. Le changement climatique ne figure pas à l'ordre du jour de ces collectivités, et elles ne disposent pas d'une abondance de ressources qui leur permettrait de mettre en œuvre des stratégies communautaires d'adaptation au changement climatique. Elles ont déjà assez de mal à fournir les services de base sans avoir à se préoccuper de l'adaptation au changement climatique.

À titre d'exemple, on constate, à l'examen de l'extrême-nord de l'Ontario, que seulement environ 48 p. 100 de nos terres émergées se trouvent dans le grand nord. Une bonne part de cette masse terrestre se trouve au-delà de la limite, c'est-à-dire la ligne qui traverse le diagramme ici, représentant la limite nord de la forêt boréale exploitable, c'est-à-dire la limite nordique de l'industrie forestière. La plupart de ces collectivités sont de très petites collectivités autochtones qui ne sont pas du tout associées à la discussion. Il importe que nous, de l'Ontario et du reste du Canada, trouvions le moyen de mobiliser ces collectivités. L'une des difficultés vient du fait qu'elles ne se considèrent pas comme des intervenants dans le débat. Étant donné leur position sur l'autonomie gouvernementale, elles considèrent avoir un statut tout à fait différent de celui d'une autre industrie ou des autres intervenants parties à notre réseau. Dans le cadre du présent débat, nous devons trouver le moyen d'établir des relations adéquates et appropriées avec les collectivités des Premières nations de l'Ontario.

La diversité des environnements touchés par le changement climatique en Ontario est grande. Et on passe ainsi des vignobles des plaines de forêts mixtes de la Péninsule du Niagara, où la perte de la production de vin de glace pourrait avoir de graves conséquences économiques, aux basses terres de la baie d'Hudson, tandis que le pergélisol du Nord fond par endroits. Voilà l'éventail d'environnements ou d'écozones où les effets du changement climatique se font sentir en Ontario. Il est extrêmement difficile de se faire une idée des questions scientifiques en jeu, sans parler des questions relatives aux sciences sociales et des impacts économiques, surtout dans un éventail d'environnements aussi grand. Étudier les données scientifiques relatives au changement climatique en Ontario, c'est presque l'équivalent d'examiner l'impact du changement climatique dans l'ensemble de l'Europe continentale, c'est-à-dire du sud de l'Italie jusqu'en Scandinavie. La diversité des environnements en Ontario seulement est plus grande que dans toute cette partie de l'Europe.

À l'examen de la carte des tendances du changement des températures au cours des 50 dernières années, qu'a publiée Environnement Canada et dont Mme Ogden a parlé, on commence à pouvoir répondre à la question que vous avez posée au sujet des sources dignes de foi. Nous croyons les chercheurs qui fondent leurs projections sur les données dont nous disposons concernant ce qui s'est produit au cours des 50 dernières années. C'est cette carte et l'information qu'elle renferme qu'on a utilisées, du moins en partie, pour élaborer le modèle climatique canadien, qui est l'un des cinq modèles climatiques les plus respectés au monde. Le Hadley Institute de Grande-Bretagne a également produit l'un des modèles les plus respectés.

En d'autres termes, nous croyons les chercheurs qui fondent leurs projections sur les données dont nous disposons au sujet des changements survenus au cours des 50 dernières années. On devrait prendre au sérieux les modèles qui, appliqués à rebours, illustrent les modifications subies. Le modèle canadien en fait partie.

Les données qui figurent sur cette carte correspondent très bien à celles qui émanent de la région des lacs expérimentaux du nord-ouest de l'Ontario. L'un de ces secteurs de recherche, qui, il y a cinq ans, couraient de graves risques d'effondrement, a été revitalisé. Des travaux effectués entre 1970 et 1990 dans la zone lacustre expérimentale ont montré que la température avait, sur une période de 20 ans, augmenté d'un peu plus de un degré, soit à peu près un degré et demi. Parmi les trois tendances illustrées par le diagramme que vous avez sous les yeux, l'évaporation est la plus importante. Le public pose le problème du changement climatique uniquement du point de vue de la température. Tout ne se résume pas à une hausse de la température. Il y a d'autres effets, et d'autres témoins qui ont comparu devant vous vous en ont parlé en long et en large.

Les données réelles provenant du nord-ouest de l'Ontario ont montré que l'évaporation des lacs et du sol, en d'autres termes de l'eau des lacs et de l'humidité du sol, avait augmenté de 30 à 50 p. 100. Ce sont là des données très importantes. Elles correspondent aux augmentations de température dont rend compte le modèle d'Environnement Canada, accréditent les projections qu'Environnement Canada fonde sur le modèle canadien. Elles vont jusqu'à la fin du siècle, où se profile une production triple de dioxyde de carbone.

Tout ce que fait le Protocole de Kyoto, c'est nous permettre de gagner du temps pour nous adapter aux transformations à prévoir lorsque le niveau de dixyde de carbone va doubler. Grâce au Protocole de Kyoto, la décennie au cours de laquelle le niveau du dioxyde de carbone doublera sera 2070 au lieu de 2060. Tout dépend de ce qui va se passer au cours des 50 prochaines années. En ce qui concerne le besoin d'adaptation, le Protocole de Kyoto aura peu d'effet. Si, par magie, on met en œuvre 40 Protocoles de Kyoto au cours des 30 prochaines années, nous pourrons peut- être au moins éviter les scénarios qu'illustre le diagramme pour la fin du siècle que vous avez sous les yeux, où une production presque triple de dixyde carbone est envisagée. Ces modèles sont, je dirais, bien réels, et nous aurions intérêt à les croire le moment venu d'examiner les changements auxquels nous devons nous adapter.

Les modifications des précipitations sont plus difficiles à prévoir. Dans la province de l'Ontario, qui occupe le centre de l'image, on constate que les précipitations en hiver augmenteront vraisemblablement, mais les précipitations vont elles aussi changer. On recevra non plus de la neige, mais bien plutôt de la pluie. Cette situation aura des conséquences considérables sur le tourisme en hiver de même que sur de grands animaux comme l'orignal et le cerf, qui doivent se frayer un chemin dans la neige pour trouver leur viandis. Se frayer un chemin dans la neige recouverte d'une croûte de glace n'a rien d'enviable pour un animal de grande taille. Ils s'écorchent les jambes et meurent à cause des infections et des hémorragies. La transformation des précipitations en hiver aura un impact non seulement sur les humains, mais aussi sur les écosystèmes naturels. En Ontario, les précipitations en été risquent de diminuer. Nous allons peut-être assister à une augmentation des sécheresses, mais on ne s'attend pas à un changement trop marqué: en fait, il devrait être de l'ordre de 10 p. 100.

En Ontario, le niveau d'eau des Grands Lacs changera considérablement. Pour chacun des Grands Lacs, on prévoit une diminution du niveau de l'ordre de un mètre. Il n'y a pas que le niveau d'eau des lacs qui va diminuer; la nappe phréatique et le bassin versant qui les entoure seront aussi touchés. Ces lacs sont alimentés par des cours d'eau aujourd'hui continus qui risquent d'être asséchés une partie de l'année.

C'est l'une des conséquences qui, à la suite de l'évaporation, ont été observées dans la zone lacustre expérimentale à laquelle j'ai fait allusion. On a affaire à de très sérieuses diminutions du niveau de l'eau, non seulement pour le transport qui passe par les écluses de Sault Ste. Marie et les lacs, ce qui aura des conséquences économiques, mais aussi pour les écosystèmes aquatiques des Grands Lacs. La diminution de l'humidité du sol et de la nappe phréatique fera sentir ses effets dans tout l'Ontario, jusque dans le bassin versant de l'Arctique.

Nous ne savons pas si les sécheresses de 1997, de 1999 et de l'année dernière ont été des changements naturels ou s'ils ont fait partie d'une tendance au réchauffement planétaire. À l'examen de ces phénomènes, pris de façon isolée, on pourrait trancher dans un sens ou dans l'autre. Il y a eu, dans les années 60 et dans les années 30, des sécheresses qui se sont probablement inscrites dans le cadre de variations naturelles, en particulier dans les années 30, et les dernières sécheresses observées se comparent à celles d'antan. Néanmoins, on s'attend à ce que les sécheresses soient une conséquence de la diminution probable des précipitations estivales en Ontario.

Les feux de forêt ne sont pas sans incidences sur l'industrie forestière. Mme Ogden vous a rappelé que la forêt boréale était importante du point de vue de l'économie et de l'écosystème. Des chercheurs chevronnés croient maintenant que la forêt boréale est sur le point d'être non plus une trappe pour le dioxyde de carbone, mais bien au contraire une source de dioxyde de carbone, en raison des feux de forêt. À cause des arbres tués par des insectes, ces derniers sont de plus en plus fréquents. Par conséquent, on note une augmentation des fragments de bois mort dans les forêts. La transformation de la forêt boréale qui, jusque-là, était une trappe ou une utilisatrice de dioxyde de carbone en source de dioxyde de carbone revêt une importance considérable non seulement pour les Canadiens et l'industrie forestière, mais aussi pour la planète tout entière.

Si on s'intéresse aux impacts sur l'agriculture, il ne fait aucun doute qu'il existe des possibilités de changement positif dans ce secteur. Ces changements, vous les connaissez bien. On vous a également parlé des changements positifs éventuels, comme les saisons de croissance plus longues. Dans le nord de l'Ontario, la période au cours de laquelle la région des lacs Muskoka est recouverte de glace a déjà diminué de 50 jours par rapport au début du siècle. J'ai bien dit 50. Il s'agit d'un changement accueilli favorablement par ceux qui souhaitent une saison de croissance plus longue: en effet, leurs tomates auront le temps de mûrir, et leurs pois ne risquent pas d'être tués par le gel printanier. Cependant, les effets positifs sont annulés par les effets négatifs, par exemple les infestations d'insectes, les torts causés aux cultures par la chaleur, la sécheresse et l'efficacité réduite des herbicides et des pesticides, qui s'explique en grande partie par le fait que les mauvaises herbes poussent beaucoup mieux dans l'environnement riche en dioxyde de carbone que nous promet le réchauffement planétaire. À l'examen des mesures d'adaptation possibles, et des secteurs où des recherches devront être effectuées, nous constatons que nous devons miser sur de nouvelles variétés et des hybrides adaptés au nouveau climat. Cela ne fait aucun doute. Pour une bonne part, ces travaux sont en cours.

Nous devons également nous intéresser à la question de l'adaptation de l'utilisation du territoire. Dans le nord de l'Ontario, il y a ce que nous appelons la ceinture d'argile, qui, à l'heure actuelle, est surtout utilisée aux fins de la production laitière. Elle pourrait alors être utilisée aux fins d'autres cultures. Ce que nous ne savons pas, c'est la mesure dans laquelle les sols seront adaptés à ces nouvelles cultures. Nous devrons réaliser des recherches à ce sujet. En fait, les sols sont un sous-produit du climat. Dans le nord de l'Ontario, les mêmes matières brutes produiront un sol tout à fait différent de celui de la péninsule du Niagara, simplement en raison du climat. Les minéraux qui composent le sol, les minéraux argileux, se transforment sous l'influence du climat où le processus se déroule. Nous ne savons tout simplement pas dans quelle mesure les sols du nord de l'Ontario se prêteront à l'ensemencement de nouvelles cultures.

En ce qui concerne les mécanismes qui influent sur l'industrie forestière, la prolongation de la saison de croissance et le raccourcissement des hivers risquent d'avoir un effet négatif sur les arbres. Le fait est que l'hiver a pour effet de durcir les arbres, d'éviter que les bourgeons n'éclatent prématurément. La prolongation de la saison de croissance, qui pourrait être bonne pour l'agriculture, risque de porter préjudice à ceux qui tirent leur subsistance des arbres, dans une forêt ou un verger. La résistance au froid se transformera, et les arbres pourraient souffrir de ne pas être durcis par l'hiver comme ils le sont aujourd'hui.

Si on examine les mesures d'adaptation prometteuses pour l'industrie forestière et la récolte, c'est-à-dire les secteurs qui se montrent vulnérables au changement climatique, ceux où les taux de croissance sont plus lents, savoir où ils sont et les définir apparaît comme une piste tout à fait sensée. L'industrie forestière pourrait faire un bien meilleur travail au chapitre de l'analyse de la forêt du point de vue de la vulnérabilité et des impacts du changement climatique. Pour l'adaptation de l'industrie forestière, on pourrait aussi envisager l'introduction d'espèces adaptées aux climats du sud de la province et de les utiliser dans le nord.

À l'instar de Mme Ogden, je tiens à souligner que l'adaptation ne se résume pas à la seule prestation de données scientifiques exactes. On doit aussi mobiliser les intervenants. L'adaptation est une affaire de sensibilisation et de compréhension. C'est une affaire de volonté politique, et je ne vise pas uniquement les niveaux fédéral et provinciaux. Les administrations municipales doivent elles aussi se mettre de la partie. La mise au point de plans régionaux officiels d'utilisation du territoire exige que les conseillers du comté de Dufferin soient aussi sensibles aux impacts du changement climatique que le ministère fédéral de l'Environnement. Puisque tout finit dans les collectivités, il faut que les personnes qui y vivent comprennent les enjeux, se mobilisent et participent. Par conséquent, on doit miser non seulement sur la recherche scientifique, mais aussi, pour une bonne part, sur la recherche en sciences humaines. Nous devons savoir comment mobiliser les collectivités, et nous devons avoir une idée aussi claire des moyens d'assurer la participation des citoyens que des caractéristiques scientifiques des problèmes auxquels ils doivent faire face.

En terminant, je vais parler de ce qui nous attend, sur le plan social et scientifique, de signaux d'avertissement qui nous viennent du nord de l'Ontario. Dans le nord de la province, soit dans les basses terres de la baie d'Hudson, il y a un lac, le lac Hawley, et une rivière, soit la rivière Sutton, qui se jette dans la baie d'Hudson. La rivière Sutton est l'une des meilleures rivières à ombles de fontaine du monde. Pour aller pêcher l'omble de fontaine dans la rivière Sutton, les Américains venus en avion paient une petite fortune. Voilà à quel ressemble le lac Hawley. Voilà de quoi le paysage a l'air. C'est dans le lac Hawley, un lac peu profond, que la rivière Sutton prend sa source. C'est sur ce territoire qu'on retrouve les ours polaires qui, comme je l'ai indiqué, symbolisent l'importance de la préservation des écosystèmes.

Parmi les travaux effectués à l'Université Laurentienne et ceux du groupe auquel j'appartiens, qui s'intéressent aux impacts du changement climatique sur l'eau douce, mentionnons la collecte de données sur la structure des températures, les écarts de température entre les eaux profondes et superficielles du lac Hawley depuis les années 70. Une visite effectuée en 2001 a montré que la structure des températures du lac, à cause du réchauffement des terres basses de la baie d'Hudson, avait considérablement changé. La ligne rouge est celle qui montre que la température des eaux de surface du lac Hawley se situait, l'année dernière, aux environs de 22 ou 23 degrés. L'année dernière, on a observé une mortalité passive de poissons, et les exploitants de camps de pêche accessible par hydravion affirment qu'il y a eu mortalité passive d'ombles de fontaine depuis la fin des années 90.

Il semble que le réchauffement des terres basses de la baie d'Hudson ait une incidence sur la structure des températures et de l'habitat de l'omble de fontaine, ce qui, par conséquent, a une incidence marquée sur l'activité économique dans cette région de la province. On a ici affaire à une région difficile d'accès. Nous devons nous doter là- bas de centres de surveillance capables de nous fournir des données auxquelles les chercheurs auront accès grâce à un simple téléphone par satellite, ce qui est plus économique que d'envoyer une équipe par avion au coût de 35 000 $. Nous avons besoin de surveillance. Nous avons besoin de télésurveillance. Nous devons pouvoir surveiller le Canada au moyen de la technologie moderne, sans que les groupes de scientifiques soient tenus de se déplacer. Pour ce faire, nous avons besoin d'un financement qui rende compte du fait que notre compréhension des impacts futurs sur le sud dépend des activités de surveillance que nous effectuerons dans le Nord.

Je vais terminer sur une image globale. Il s'agit d'une photographie de la planète lorsque les lumières sont allumées. Vous ne serez pas surpris de constater qu'elles sont allumées en Amérique du Nord et en Europe. Or, on ne doit pas en rester là: il faut aussi songer aux endroits d'où elles viendront, c'est-à-dire l'Inde et l'Asie. Il y a dans ce coin de la planète trois milliards de personnes qui aimeraient bien générer de l'énergie et l'utiliser pour bénéficier d'un style de vie comme celui des Nord-Américains.

Au moment où nous examinons l'adaptation et consacrons du temps à des réflexions à ce propos, nous devons nous rappeler que l'adaptation ne portera pas uniquement sur le changement climatique dont nous sommes témoins aujourd'hui et que nous sommes en mesure de prédire pour les dix, 20 ou 30 prochaines années. Ce changement climatique, les enfants des enfants des enfants de nos enfants y feront face dans quatre générations. À la fin du siècle, lorsque les lumières s'allumeront en Inde et en Asie, l'adaptation sera beaucoup plus difficile qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Nous avons du mal à définir les phénomènes que nous devons comprendre et à mobiliser les collectivités pour qu'elles s'adaptent au changement climatique auquel nous sommes aujourd'hui confrontés. Croyez-moi, c'est de la petite bière par rapport à l'adaptation dont on devra faire preuve à la fin du siècle. Ne nous leurrons pas: nous sommes au début d'une ère nouvelle. Les gouvernements et les habitants de la planète doivent comprendre que nous sommes au tout début d'une ère nouvelle.

Le président: Nous avons bien reçu votre message, et nous vous savons gré de ce commentaire.

Le sénateur Tkachuk: Si les températures augmentent dans le Nord, est-ce à cause de l'air plus sec qu'on y trouve? Il me semble que l'augmentation des températures est plus marquée dans le nord que dans le sud du Canada. Est-ce à cause de la présence d'une moins grande humidité dans l'air?

Mme Ogden: Les glaces de même que la fonte des neiges et des glaces comptent parmi les principales raisons qui font que les projections sont plus élevées pour le nord du Canada. La neige et la glace se caractérisent par une grande réflectivité: elles n'absorbent donc pas autant d'énergie thermique que les terrains de couleur foncée, ceux qui sont couverts d'arbres, d'herbe et de broussailles. Le phénomène tient davantage de la réflectivité de l'énergie lumineuse et des transformations qu'elle subira lorsqu'il y aura moins de glace et de neige. Lorsqu'il y a moins de glace et de neige, l'absorption de chaleur est plus grande, de sorte que les températures sont plus élevées.

Le sénateur Tkachuk: On dispose là d'un parfait petit laboratoire pour l'avenir.

J'examine les tableaux que vous avez soumis, qui contiennent des données depuis 1860. S'agit-il là de toutes les données dont vous disposez, ou les températures étaient-elles à la hausse avant? J'ai lu quelque part qu'il y avait eu un réchauffement accéléré entre 1900 et 1940, puis un léger refroidissement, suivi d'un nouveau réchauffement. À quoi attribuer les augmentations observées en 1860 et 1940? S'agit-il d'un phénomène naturel?

M. Gerard Courtin, professeur émérite, Université Laurentienne, Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation: Nous devons postuler que, au cours de cette période, il s'est agi d'un phénomène naturel. Les changements qui nous préoccupent aujourd'hui dénotent un réchauffement qui échappe tout à fait à une variation naturelle. Le schéma est très éclaté.

Henry Hengeveld vous a soumis des graphiques. Si vous vous rappelez bien, les lignes de tendances de la deuxième moitié du XXe siècle à aujourd'hui et celles qui étaient projetées pour l'avenir, faisaient état d'une chaleur sans précédent.

Le sénateur Tkachuk: Tout à fait sans précédent? Au Canada, l'écart est-il analogue à celui qu'on a observé entre les années 30 et 90? Vous avez relaté certaines histoires concernant des collectivités. Je me fie pour ma part à ce que mon père et mes oncles m'ont dit au sujet des années 30. Dans les Prairies, il faisait une chaleur torride. Par rapport à la décennie précédente, le changement était brutal. Il a fallu un long moment pour s'en remettre. C'était un phénomène naturel.

Nous tentons de comprendre les enjeux. Nous constatons tous que les scientifiques font état d'un réchauffement planétaire. La plupart d'entre nous sommes convaincus qu'il y a bel et bien un réchauffement planétaire. Nous nous efforçons simplement de nous faire une idée de la gravité du phénomène. Les scientifiques se contredisent à peu près autant que les politiciens. Vous nous rendez la tâche très difficile.

M. Courtin: La période sombre des années 30, ce qu'on a appelé les «Dirty Thirties», a été de courte durée. Oui, ces années ont été dramatiques. Elles ont eu un impact énorme sur le Canada, mais elles ont été relativement brèves. En ce qui concerne la sécheresse et la chaleur, il y a eu des hauts et des bas.

Nous avons maintenant affaire à une courbe. Il ne s'agit plus de petites augmentations graduelles. À l'heure actuelle, le changement, et c'est regrettable, est à sens unique.

Le sénateur Tkachuk: Nous devrions consacrer davantage de fonds à un programme national de recherche pour déterminer comment nous nous adaptons à ces changements, surtout s'ils sont en cours depuis 150 ans et que nous n'avons pas jugé bon de nous en alarmer.

Comment coordonnez-vous vos activités avec celles de scientifiques américains? L'Alaska est dans le Nord. Travaillez-vous ensemble? Y a-t-il une vision pour l'Amérique du Nord? Y a-t-il échange d'information? Comment cela fonctionne-t-il? Tout ce qui arrive à l'intérieur de nos frontières se produit à l'intérieur des leurs, et tout est lié.

M. Peter Johnson, conseiller scientifique, Territoires du Nord, Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l'adaptation: Il y a une certaine coordination, mais pas autant que nous le souhaiterions. Dans le domaine de l'adaptation aux impacts, par exemple, on observe actuellement une certaine forme de coordination circumpolaire avec un programme d'évaluation des incidences sur le climat de l'Arctique, qui bénéficie en fait du soutien du Comité international des sciences dans l'Arctique du Conseil de l'Arctique. Le groupe s'intéresse à certains enjeux circumpolaires.

L'un des problèmes de la coopération bilatérale tient au fait que nous sommes un très petit poisson dans une grande mer. Nous ne pouvons pas vraiment conclure des ententes bilatérales de recherche et de contrôle. Nous arrivons avec des cents, et ils arrivent avec des dollars.

Le sénateur Tkachuk: Il est très important que nous mettions l'information en commun. Nous partageons la même géographie. Y a-t-il moyen d'y parvenir?

M. Johnson: Il y a certainement moyen de mettre l'information en commun. Un certain nombre de réseaux d'information ont été établis et sont désormais interreliés. Il suffit de penser au Northern Climate Exchange que Mme Ogden gère au Yukon. C'est un bon exemple de tels liens, tout somme notre système d'information à la Commission canadienne des affaires polaires.

Le sénateur Fairbairn: Je tiens à vous remercier d'être ici. Je me demande si le phénomène est réel ou s'il s'inscrit tout simplement dans une vaste toile de cycles réguliers. Vous avez fait beaucoup de choses aujourd'hui pour nous aider à transmettre un message grâce à cette séance télévisée du comité. J'aimerais que tout le pays puisse écouter votre exposé, car ce que vous nous dites aujourd'hui serait peut-être difficile à croire pour les gens de ma région, dans l'Ouest canadien, malgré l'existence de preuves visibles selon lesquelles la situation est très anormale.

Ce qui se produit actuellement ne s'inscrit pas dans un cycle de fluctuations naturelles, comme dans les années 30. Le phénomène s'inscrit dans une tendance. Ce message est très utile, en particulier après les rumeurs, qui remontent à quelques jours seulement, selon lesquelles les recherches du gouvernement albertain indiquaient que quelque 90 p. 100 des terres arables en Alberta ne seront pas propres à la culture au cours de la prochaine saison d'ensemencement.

Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur le problème de la rivière Mackenzie? Vous affirmez que le bassin draine environ 20 p. 100 du pays. Pourriez-vous me fournir des précisions sur le sujet?

Mme Ogden: Le réseau hydrographique de la rivière Mackenzie est composé d'un certain nombre de tributaires qui se déversent dans la rivière Mackenzie. Les rivières Athabasca, Liard et Peace font partie de ce réseau. Toutes les rivières se jettent dans la rivière Mackenzie et se déversent dans la mer de Beaufort. L'ensemble du réseau constitue un bassin versant. Toutes les précipitations dans la région s'écoulent dans les lacs et rivières qui mènent à la mer de Beaufort. Le réseau couvre environ 20 p. 100 de la surface terrestre du pays. L'étude qu'on y a menée a duré six ans. Elle a été dirigée par M. Stewart J. Cohen, qui témoignera devant le comité la semaine prochaine. Il s'agissait d'un programme de recherche. Les questions de recherche ont été définies en partie par certains intervenants de la région.

Il s'agissait d'une évaluation intégrée, c'est-à-dire qu'on a tenté d'envisager les impacts dans leur ensemble, sans les isoler. On s'est penché à la fois sur les répercussions sur la foresterie, sur l'agriculture et sur l'eau. On a cherché à cerner les liens entre les enjeux et entre les parties concernées de la région.

Le sénateur Fairbairn: Monsieur Pearson, vous avez certainement placé une image dans ma tête lorsque vous avez mentionné l'ours polaire. Tout récemment, j'ai vu un documentaire de la SRC qui illustrait de façon très éloquente votre propos. On y expliquait aussi comment l'humain tente de composer avec la situation. Au port de Churchill, lorsque le climat ne faisait pas ce qu'il devait faire pour les ours polaires, le territoire de ces ours empiétait sur les collectivités. Nous avons bâti des installations afin de les détenir jusqu'à ce que les conditions s'améliorent et que l'écoulement glaciaire se rétablisse.

Si je vous ai bien compris, le type de recherche que vous menez n'en est malheureusement qu'à ses premiers balbutiements. Vous devez étendre vos travaux et obtenir plus de financement.

Vous dites que les ours seront peut-être disparus dans 50 ans. Croyez-vous que nous arriverons à éviter cela si nous mobilisons les grandes sommités du pays? Pouvons-nous trouver des solutions?

M. Pearson: Je n'en sais rien. Je ne crois pas qu'un chercheur honnête pourrait répondre avec certitude à cette question. Nous devons être optimistes. Nous devons croire qu'il y a des solutions, sans quoi nous ne pourrions pas faire le travail. Nous devons croire qu'il est possible de trouver des mesures d'adaptation qui permettront à nos écosystèmes et à nous-mêmes de sortir de l'expérience que nous avons lancée avant que tout ne soit totalement détruit.

J'ai mentionné l'ours polaire parce que nous sommes confrontés à une question non seulement de science, mais aussi de communication. Nous devons avoir des symboles. L'ours polaire est un merveilleux symbole national; le huard en est un autre. Je suis certain qu'il y en a d'autres. Ils peuvent se révéler très utiles pour intéresser le grand public à cet enjeu. Le public ne peut se sentir concerné lorsqu'on lui montre des courbes et des tendances illustrant des changements à l'égard de l'évaporation dans la zone lacustre expérimentale. Par contre, il s'intéresse davantage lorsque nous évoquons des symboles comme l'ours polaire. Peter Johnson a peut-être une meilleure idée des possibilités réelles de protéger l'environnement pour l'ours polaire.

Le sénateur Fairbairn: Cela nous ramène au commentaire selon lequel il incombe aux collectivités de s'engager. C'est ce dont vous parlez maintenant. Jusqu'à maintenant, il y a certainement eu un débat en profondeur sur l'énergie et le changement climatique dans ma province, mais en réalité, le problème va bien au-delà. De nombreuses mesures positives sont prises, mais nous ne sommes pas au courant. Je sais que vous êtes des bénévoles, mais y a-t-il un membre de votre groupe qui se penche sur cet aspect, qu'on pourrait qualifier de marketing de communication? Envisagez-vous des moyens d'aider M. Tout le monde à être conscient du fait qu'il peut contribuer à la solution en soutenant la recherche au lieu de céder à une peur incontrôlable? Comment peut-on inciter les collectivités canadiennes à trouver des moyens novateurs de protéger les ressources et les animaux dans leur région respective?

M. Pearson: La réponse est oui, certainement. Quand nous avons déposé notre proposition en vue de devenir le bureau ontarien du C-CIARN, nous avons bénéficié du soutien de partenaires, soit La Terre à cœur Sudbury, qui représente vraiment la ville, et Science Nord, centre des sciences qui se consacre à l'éducation scientifique. C'est la collaboration qui constitue le C-CIARN de la région de l'Ontario. Nous pouvons communiquer efficacement avec les collectivités. Il faut le faire, c'est la solution.

Le sénateur Fairbairn: C'est une question de survie pour elles.

Le sénateur Gustafson: Votre exposé est très intéressant. Je serais probablement considéré comme une partie concernée, car j'exploite une ferme en Saskatchewan, et nous avons dû nous adapter. Par exemple, on croyait qu'il ne serait jamais possible de faire pousser du canola dans le sud. Ma ferme est située sur la frontière du Dakota du Nord et de la Saskatchewan. Nous récoltons maintenant du canola de très bonne qualité. Au risque d'offenser certains chercheurs, Monsanto a produit des grains génériquement modifiés, mais nous ne pouvons les vendre. Il y a des chercheurs qui travaillent pour le gouvernement, et il y a des chercheurs qui travaillent pour l'industrie. Franchement, tout cela devient plutôt confus pour certaines parties concernées.

Dans le sud de la Saskatchewan, nous avons bâti un barrage, et l'initiative a fait l'objet d'une vive contestation. Certains affirmaient qu'il serait possible de traverser le bassin à pied si on bâtissait le barrage. Il y a actuellement 50 pieds d'eau dans le réservoir de ce barrage, situé à 7 milles de ma ferme.

Cette période de sécheresse a occasionné des changements spectaculaires. J'ai téléphoné à l'un de mes employés de Assiniboia, et ce dernier m'a dit qu'on avait reçu 26 pouces de pluie entre juillet et le temps des récoltes. Leurs moissonneuses-batteuses s'embourbaient. À Medicine Hat, dans le comté de Lethbridge, on a reçu autant de pluie en une année qu'au cours des cinq années précédentes. Il y a eu des inondations. Il s'est produit des événements extrêmes. Aujourd'hui, il y a des tempêtes de neige dans le sud et dans le centre des États-Unis.

Je crois comprendre, à la lumière de vos propos, que ce changement climatique se poursuivra. Vous dites que l'Inde a allumé la lumière. Nous n'avons vu que la pointe de l'iceberg ici. L'avenir tient-il à notre capacité de nous adapter, ou pouvons-nous vraiment faire quelque chose?

M. Courtin: Je répondrai tout d'abord à la dernière partie de votre question, soit votre allusion à l'Inde et à la Chine. M. Pearson a signalé que le monde connaît non seulement des changements environnementaux, mais aussi des changements sociologiques d'une envergure fantastique.

Pour ce qui est de vos commentaires concernant la quantité énorme de précipitations, je vous renvoie à l'exposé de M. Henry Hengeveld. Je crois que personne ne maîtrise réellement la question, même si nous pouvons affirmer que la fréquence des événements catastrophiques augmentera. Ces événements catastrophiques iront probablement en s'aggravant.

Cela dit, je soupçonne, sans vraiment savoir, que le plus gros défi auquel seront confrontées les personnes qui établiront les modèles climatiques consistera à prédire à quel endroit ces événements auront lieu. C'est très bien de pouvoir dire qu'on a cerné une tendance de cette région du pays à s'assécher. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas d'événements catastrophiques dans une région plus sèche du pays, comme celle qui a été mentionnée plus tôt, où l'on a reçu des précipitations énormes. Ainsi, je crois que le milieu scientifique en sait aussi peu que l'agriculteur de la Saskatchewan lorsque vient le temps de déterminer où frappera le prochain Armageddon.

Le sénateur Gustafson: Ces cycles se sont déjà manifestés. En 1984-1985, j'ai présidé le Comité sur la sécheresse de l'Ouest canadien. À Bengough (Saskatchewan), il y avait tellement de sauterelles qu'un caraganier était complètement dégarni. Il n'y restait plus une seule feuille. On ne voyait pas un seul brin d'herbe. Les routes étaient si lisses qu'elles donnaient l'impression d'avoir été couvertes d'huile. L'année suivante, cette région a obtenu une récolte sans précédent.

M. Courtin: Tout ce que je peux dire de ces fluctuations, lesquelles étaient peut-être naturelles dans le passé, c'est qu'elles deviendront plus fréquentes et plus graves.

Le sénateur Gustafson: Cela semble correspondre à ce que le témoin qui vous a précédé a déclaré.

Le sénateur Hubley: Notre comité apprend des choses à l'occasion de chaque exposé.

Pendant votre témoignage, vous avez parlé des collectivités de l'Ontario et de leur taille, ainsi que du nombre de petites localités comptant 1 000 habitants ou moins. Vous avez déclaré que l'impact du changement climatique sur ces petites localités n'était même pas encore à l'horizon. Ainsi, comme l'a souligné le sénateur Fairbairn, il incombe néanmoins à la collectivité de réagir.

J'ai l'impression que la plupart des gens ont déjà entendu parler du changement climatique ou du réchauffement de la planète. Comment pouvons-nous leur transmettre l'information? Vous avez mentionné que vous avez des mandats auprès d'organismes que vous connaissez. Pourriez-vous nous fournir des précisions?

M. Pearson: Il faut que quelqu'un se rende dans les collectivités et parle aux gens. On ne peut faire cela par l'entremise de la télévision ou de la radio. Il faut communiquer entre personnes, sans intermédiaire. Les ressources doivent être affectées à la fourniture de soutien — je crois que le C-CIARN est dans une position idéale pour faire cela, mais il existe peut-être d'autres organes — pour financer des ateliers, tenir des assemblées publiques locales, envoyer des gens s'adresser aux clubs Rotary, établir des conseils municipaux et des groupes communautaires aux formes diverses, diffuser l'information et fournir à la collectivité des suggestions lui permettant de composer avec les répercussions sur la population. Quel que soit le sujet abordé — la pêche sauvage, la foresterie, l'agriculture, le tourisme, les vignobles —, nous devons apporter ce que nous appelons des «boîtes d'outils» qui nous permettent de tenir non pas des ateliers abstraits qui tentent d'engager le public dans un débat théorique, mais bien des discussions concrètes. Nous devons arriver à ces endroits avec une description de la collectivité. Il peut s'agir de descriptions d'études de cas, préparées par de bons rédacteurs, qui diraient: «Voici le genre de collectivités dont nous voulons parler. Voici les problèmes auxquels elles sont confrontées. Parlons des mesures que vous pourriez prendre pour les résoudre.» Autrement dit, il faut engager les collectivités dans des discussions visant à les aider à s'adapter aux répercussions auxquelles elles sont confrontées. Il doit s'agir de discussions de personnes à personnes.

M. Johnson: La question de la communication avec les gens des petites collectivités renvoie à un enjeu important. Nous devons adopter un moyen totalement différent de nouer des relations avec les collectivités et de parler aux collectivités, en particulier dans le Nord. Je crois aussi qu'on a tendance, lorsqu'on s'adresse aux collectivités, à fixer un rendez-vous pour 10 h et à s'attendre à ce que tout le monde y soit. Afin d'établir un climat de confiance et de communiquer d'une façon ouverte et transparente avec les collectivités du Nord, il faut leur consacrer plus d'une journée. Il faut vivre dans la communauté et y consacrer un certain temps pour mieux la comprendre. Cela constitue un défi bien réel.

Bien souvent, dans les collectivités du Nord, le changement climatique et ses répercussions sont très visibles. Toutefois, nous devons trouver un moyen de parler à ces gens afin de les intégrer à une sorte de discussion nationale, voire aux discussions internationales sur les répercussions et les mesures d'adaptation.

Le sénateur Hubley: J'aimerais vous poser une question concernant le niveau d'eau des Grands Lacs. Je tenterai de m'attacher à l'Ontario et au Nord. Je suis originaire de l'Île-du-Prince-Édouard, et le mot «eau» obtient toute notre attention, car nous vivons sur une petite île qui dépend de l'eau souterraine.

Lorsque le niveau d'eau des Grands Lacs baisse — et à cet égard, nous entendons dire qu'il y a davantage de précipitations dans certaines régions et que la calotte polaire fond, ce qui laisse croire qu'il y aurait plus d'eau — ces facteurs n'influent-ils pas sur le niveau des Grands Lacs? Prédisez-vous une baisse des niveaux d'eau?

Par exemple, en ce qui concerne le phénomène du remplacement, si le niveau d'eau baisse, est-ce que l'eau douce sera remplacée par de l'eau salée? Nous avons entendu parler de ce principe sur l'Île-du-Prince-Édouard. Ce phénomène est- il susceptible de se manifester dans ces régions?

M. Pearson: C'est effectivement une préoccupation des collectivités côtières. Sous la nappe phréatique de l'Île-du- Prince-Édouard se trouve de l'eau de mer. Lorsque l'épaisseur et, par conséquent, la pression exercée par l'eau douce baisse, l'eau salée monte. Elle repose sous l'eau douce parce qu'elle est plus dense, et elle se trouve à cet endroit en raison d'un équilibre des couches sus-jacente et sous-jacente. Lorsque le volume d'eau douce baisse, l'eau salée monte. C'est un problème pour les collectivités côtières.

Pour ce qui est du niveau d'eau des Grands Lacs, le problème tient surtout à l'évaporation. La surface des Grands Lacs est si énorme et la houle est d'une telle portée que l'évaporation devient très efficace. Nous croyons que l'évaporation dans la zone lacustre expérimentale tient à une augmentation de la fréquence de la houle et d'une augmentation de la vitesse du vent. Par conséquent, la baisse du niveau d'eau des Grands Lacs tiendra largement à l'évaporation. Toutefois, cette évaporation influe aussi sur l'humidité du sol, les cours d'eau et les rivières. Par conséquent, la quantité d'eau qui se déverse dans les lacs à même le bassin versant que constituent les Grands Lacs, ce qui ne comprend pas les régions où la glace fond, baissera aussi. On ne peut pas y faire grand chose.

Le sénateur Wiebe: Mais ce n'est pas tout négatif. Pour avoir de la pluie, il faut de l'évaporation. Où la pluie tombera-t-elle? Pourquoi croyons-nous que le réchauffement de la planète et le changement climatique signifient que nos terres s'assécheront et que la pluie tombera quelque part dans l'Antarctique? Avec les changements des conditions atmosphériques, les changements occasionnés par El Niño et les changements à l'égard des vents, dont vous venez de parler, nous devons envisager la possibilité que cette évaporation accrue occasionne l'effet contraire. Notre calotte polaire fond. À moins qu'on pompe de l'eau dans le sol, la planète ne perdra pas d'humidité. Cette humidité reste. Par conséquent, s'il y a de l'évaporation, où la pluie tombera-t-elle? Je n'ai entendu parler d'aucune étude visant à déterminer où la pluie tombera.

M. Johnson: Je peux vous donner un exemple précis. Les changements au chapitre de l'eau libre, de la période et de l'évaporation des Grands Lacs du Nord ont de fait des répercussions sur l'accroissement des précipitations et la configuration des précipitations sur la côte ouest de la baie d'Hudson Ainsi, il y a un lien entre le Grand lac des Esclaves, le Grand lac de l'Ours et les régions situées à l'Est en ce qui concerne la configuration des précipitations. Quant aux Grands Lacs, je ne suis pas certain des répercussions, car, en termes climatiques, il est plus difficile de formuler des hypothèses, en raison de la circulation provenant des États-Unis.

M. Courtin: Il ne faut pas perdre de vue que la capacité de l'air de capter l'humidité augmente lorsqu'il se réchauffe. Il peut y avoir évaporation sans précipitation. Pour obtenir des précipitations, il faut que cette masse d'air se refroidisse. On ne saurait douter du fait que de vastes quantités d'eau s'évaporeront des Grands Lacs. Toutefois, les précipitations ne tomberont pas nécessairement sur les terres adjacentes.

Le sénateur Wiebe: Je parle de l'évaporation des océans, de la calotte polaire et de nos lacs. L'eau devra tomber quelque part. Qui peut affirmer qu'elle ne tombera pas sur l'Ouest canadien?

M. Courtin: Il faudrait que ces précipitations soient déclenchées par quelque chose. On reconnaît que les modèles ne sont pas parfaits. Toutefois, certaines données laissent présager une augmentation très importante des précipitations au large de la côte de la Californie, que l'on qualifie de zone de haute pression atmosphérique subtropicale. Il est clair que cela va changer, car lorsque l'hémisphère nord se réchauffera, les systèmes météorologiques que nous tenons pour acquis actuellement changeront. Par conséquent, l'élément déclencheur peut très bien provenir des versants ouest du complexe écologique des Rocheuses, cette masse de montagnes qui parcourt tout le côté ouest du continent. Ainsi, les Prairies sont plus sèches que Vancouver, car les montagnes ont tendance à pousser l'air vers le haut, et quand cela se produit, l'air se refroidit, et lorsque l'air se refroidit, il se condense. Et cela mène à la pluie. Le temps que ces masses d'air survolent les Cordillères pacifiques, on se trouve dans les provinces des Prairies, qui ont toujours reçu beaucoup moins de précipitations qu'ailleurs.

Le président: Ces précipitations tomberaient non pas sur la terre, mais bien dans l'océan, au large de la Californie?

M. Courtin: Au-dessus de l'océan et de la côte. Je ne connais pas suffisamment la dynamique des modèles qui ont mené à cette prédiction pour vous dire ce qui déclencherait cette énorme augmentation des précipitations au-dessus de l'océan.

M. Pearson: Si vous regardez la carte des températures hivernales que nous vous avons remise, vous verrez une grande zone qui comprend la Californie, le nord-ouest des États-Unis et une bonne partie de l'océan Pacifique. Cette zone connaîtra une augmentation de 100 p. 100 des précipitations.

Le sénateur Mahovlich: J'aimerais partager une expérience personnelle avec vous. Vers la fin des années 50, je patinais avec ma femme, à l'époque où je la courtisais. Nous allions à la rivière Credit, et nous pouvions remonter la rivière sur deux ou trois milles. C'était plaisant. Il y avait des feux de camp sur les deux côtés de la rivière. Nous avions bien du plaisir. J'ai entendu dire que, de nos jours, on ne peut plus patiner sur la rivière Credit. J'ai toujours cru que cela était imputable à la pollution. Est-ce le réchauffement de la planète qui occasionne ce changement? A-t-on effectué des études sur le sujet? Vous savez, cette rivière est à proximité de Toronto. Autrement dit, pas besoins de se rendre dans l'Arctique pour voir les effets du réchauffement de la planète.

En outre, je joue au golf au même endroit, de temps à autre. Je vois des truites remonter la rivière pendant l'été. Je passe aussi beaucoup de temps à Muskoka. Vous parlez d'adaptation. Comment peut-on empêcher les gens de bâtir des chalets aux endroits où nichent les huards? Ces petites agglomérations veulent créer de l'emploi, et on y bâtit un nombre croissant de chalets. Il sera très difficile de convaincre les gens de cesser de bâtir des chalets, mais je vois là une situation qui pourrait mener à la disparition du huard à Muskoka. Il sera difficile de freiner cette disparition.

Étant jeune, j'ai joué au hockey à Timmins. J'y ménageais une patinoire sur un étang, tout près de la maison. J'y retourne de temps à autre, et cet étang n'est plus là. Je ne sais pas s'il s'est évaporé ou si quelqu'un y a bâti une propriété. Les choses ont changé, même à Timmins.

Il y a dix ans, j'ai descendu la rivière Albany en canot, jusqu'à la baie James. Nous voulions pêcher. Nombre des tributaires qui se déversent dans cette rivière étaient asséchés. Il y a dix ans de cela. À une époque, je dormais au beau milieu de l'endroit où se trouvent maintenant les lits de roche. Est-il possible que la rivière Albany s'assèche? Comment pourrait-on s'adapter? Si je m'y rends pour faire du canot, j'ai intérêt à me préparer à faire de la randonnée pédestre. Je ne vois pas comment on pourrait s'adapter à de telles situations.

Le sénateur Fairbairn: C'est une bonne chose que les étangs aient été là lorsque vous étiez enfant.

Le sénateur Tkachuk: Vous êtes ensuite devenu sénateur, alors c'est une chance.

Le sénateur Mahovlich: Je ne sais pas où je me dirige. Pourriez-vous m'éclairer sur ces réflexions?

M. Pearson: Sénateur Mahovlich, vous devriez participer à la communication des enjeux du changement climatique au pays. C'est exactement le genre d'histoires que nous devons relater; non pas le point de vue théorique, mais des exemples réels et personnels, ceux qui font réfléchir les gens.

L'autre type d'événements qui fait réfléchir les gens, c'est le désastre. C'est ce qui force les gens à s'arrêter et à réfléchir. Par contre, nous ne voulons pas attendre le désastre pour que les gens comprennent qu'ils doivent faire partie de la solution.

Si les gens écoutaient les exemples soulevés par des personnes comme vous, monsieur le sénateur, l'impact serait considérable. Je ne peux vous dire que le réchauffement de la planète est responsable des changements qui touchent la glace de la rivière Credit et des étangs. Nous pouvons vous dire ce qui s'est produit de façon générale dans ces régions, et nous pouvons affirmer que ces changements sont probablement liés au réchauffement. Il n'est pas essentiel d'avoir une réponse scientifique à cette question pour s'adresser au pays et dire: «Voici le type de changements qu'occasionnera le changement climatique.»

Nous devons aussi dire à la population que nous ne pouvons revenir en arrière. Nous ne serons pas capables de revenir en arrière. Le Protocole de Kyoto ne nous permettra pas de revenir en arrière; même 40 protocoles de Kyoto ne nous permettraient pas de revenir en arrière. Nous cherchons à stabiliser le climat. Toutefois, il s'agira d'un nouveau climat. Nous ne retournerons pas au climat que vous connaissiez à l'époque où vous courtisiez votre femme. Nous passons à un climat différent. L'adaptation dont nous parlons aujourd'hui renvoie à mon commentaire selon lequel c'est le début d'une ère nouvelle.

Nous devons nous adapter à un nouveau climat. Nous ne nous adaptons pas à des circonstances temporaires qui changeront encore à l'avenir. Nous nous adaptons, les quelque six milliards de personnes que nous sommes sur la planète, à un nouveau climat. Nous devrons cultiver des choses à des endroits différents et composer avec des pressions différentes.

Le sénateur Mahovlich: Vous me dites que la situation ne s'inscrit pas dans un cycle.

M. Pearson: Nous ne sommes pas dans un cycle.

Le sénateur Mahovlich: J'ai parlé à des personnes âgées des environs de Muskoka, et elles m'ont dit qu'autrefois, on pouvait traverser le lac avec un attelage de chevaux. Maintenant, il faut faire attention avec une motoneige.

M. Pearson: Chérissez ces anecdotes et ces images.

Le sénateur Mahovlich: Nous ne pouvons retourner à cette époque.

M. Pearson: Nous ne pouvons à cette époque. On ne peut revenir en arrière.

Le sénateur Day: Existe-t-il un modèle qui prédit une nouvelle ère glaciaire?

M. Pearson: Si on se penche sur les tendances de la température pour l'hémisphère nord jusqu'à environ les années 60 — je ne parle ni de la planète dans son ensemble, ni seulement du Canada, mais bien de l'hémisphère nord —, on constate qu'il y a une tendance au refroidissement, une tendance à la baisse de la température moyenne annuelle de l'air. Les chercheurs vous diront que cette tendance au refroidissement marquait le début d'une tendance vers une ère glaciaire occasionnée par une variation de l'inclinaison de la planète et de la distance du soleil, les forces orbitales. Les données scientifiques à cet égard sont bien étayées. Si on examine les tendances théoriques, le refroidissement de l'hémisphère nord est tout à fait conforme à un changement de l'orientation de la Terre et de sa relation par rapport au soleil.

Il semble que nous ayons dévié de cette tendance au cours des 30 dernières années. S'il devait y avoir un mouvement vers une ère glaciaire, il serait déclenché par le fait qu'il y a des eaux libres dans l'Arctique, ce qui pourrait accroître les précipitations. Il pourrait être déclenché par la quantité accrue d'eau froide provenant de l'Arctique en raison de la fonte des glaces. Cela pourrait perturber le Gulf Stream. Il y a des impondérables importants en ce qui concerne la circulation atmosphérique, dont M. Courtin a parlé, qui pourraient aller à l'encontre de la tendance globale de réchauffement de la planète dont nous parlons à l'heure actuelle, des facteurs qui aggraveraient les choses.

M. Johnson: Il y a d'autres modèles qui donnent à croire que la quantité supplémentaire d'eau douce des glaces terrestres qui s'écoule dans l'Atlantique-Nord pourrait facilement occasionner un changement dans la circulation des océans, de sorte qu'au lieu de circuler de l'océan Arctique à l'Atlantique-Nord et par les autres océans, comme à l'heure actuelle, l'eau adoptera une voie différente et modifiera la répartition d'eau douce et d'eau salée dans les océans, ce qui pourrait déclencher une autre ère glaciaire.

Une récente étude prédit que l'Atlantique-Nord pourrait bien subir des changements au cours de notre siècle. Certaines personnes croient que cela pourrait découler de la tendance au réchauffement que nous connaissons à l'heure actuelle.

Le sénateur Chalifoux: Madame Ogden, on m'a dit, il y a environ un an, au Nunavut, que les aînés étaient très préoccupés et perturbés parce qu'ils entendaient des bruits qu'ils n'avaient jamais entendus auparavant, comme le coassement de grenouilles et le chant de grillons, provenant du pergélisol. Est-ce que vous vous êtes penchée sur l'incidence du dégel du pergélisol et les répercussions des insectes? En outre, lorsque cette personne m'a raconté cela, j'ai songé au fait que le pergélisol avait aussi permis de contenir un grand nombre de maladies et de germes pendant de nombreuses années. Avez-vous cherché à découvrir ce qui se produirait si les maladies et les germes devaient revenir à la charge après le dégel du pergélisol?

Mme Ogden: J'ai aussi entendu des anecdotes, dans certains des rapports provenant du Nunavut, selon lesquels les aînés entendent des grenouilles et des grillons et voient des orages. On aurait vu des rouges-gorges à Sachs Harbour sur l'île Banks, et les gens ne savaient pas comment nommer cet oiseau, car on n'y en avait jamais vu auparavant. Ces anecdotes commencent à se multiplier, partout dans le nord du Canada. On repère des insectes, des oiseaux, des animaux et des événements qui n'ont jamais été vus auparavant, et les gens ne savent pas comment les nommer dans leur langue traditionnelle.

En ce qui concerne les insectes, les maladies et les tendances touchant le pergélisol, je suis plus au courant de leurs liens avec la température. Par exemple, l'aire de distribution géographique du scolyte et du charançon du pin blanc gagne du terrain dans le nord. Il s'agit de parasites des forêts qui prolifèrent lorsque la température augmente. Les températures extrêmement froides pendant l'hiver permettent de contrôler les populations. Toutefois, nous n'obtenons plus ces températures froides. Ces populations survivent à la saison hivernale, et cela contribue à leur expansion. Par contre, je ne suis pas au courant d'études qui établiraient un lien entre ce phénomène et le pergélisol, et le dégel du pergélisol.

Pour ce qui est de la santé humaine, on a peu d'information en ce qui concerne les problèmes de santé qui pourraient survenir en raison du changement climatique. Il y a un réseau de santé, membre du C-CIARN qui se penche sur certaines de ces questions et tente de suivre le mouvement de maladies tropicales et de choses comme ça, comme le virus du Nil occidental, car leur prévalence pourrait s'accroître à l'avenir.

En ce qui concerne le nord du Canada, je n'ai pas entendu parler de répercussions pour l'instant.

Le sénateur Chalifoux: Concernant les tributaires de la vallée du Mackenzie, la rivière Athabasca et la rivière de la Paix qui se déversent dans la rivière Mackenzie, est-ce que cela aura des répercussions sur le nord de l'Alberta? J'ai toujours été préoccupée par les effluents des usines de pâtes qui polluent les rivières. Dans la région de Grande Prairie, la rivière Wapiti a été totalement détruite. Est-ce que cela aura une incidence sur le nord? Quelles seront les répercussions sur le nord albertain et la zone du Canada central?

M. Johnson: Toute incidence sur le cours supérieur se fera certainement sentir en aval de la rivière Mackenzie, que ce soit au chapitre de la pollution, de l'accumulation dans les lacs qui se transmettrait en aval de la rivière, ou tout simplement du régime d'écoulement de la rivière. Le delta des rivières de la Paix et Athabasca a subi de grands changements, en raison d'activités dans le bassin et du changement climatique. Par conséquent, tout changement en amont de ces rivières se fera sentir en aval. Déjà, on a remarqué des modifications de la période de formation de glace et de débâcle sur la rivière Mackenzie. Certaines données laissent croire qu'une partie du transfert des polluants a eu des répercussions sur les populations de poissons dans la rivière, sur l'inconnu et sur les populations de poissons exploitables.

Le sénateur Chalifoux: Vous dites que toutes les études et tous les travaux que vous effectuez concernent non seulement le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest, mais aussi les provinces, en particulier le nord, y compris l'Ontario et la zone du Canada central?

M. Johnson: Oui, certainement.

Le sénateur Day: Je tiens à vous remercier de vos exposés et des nombreux renseignements que vous avez portés à notre attention. Il y a là de nombreux enjeux dont nous aimerions nous entretenir pendant toute la journée. Mes questions visent surtout à obtenir des précisions et à passer en revue le contenu de vos exposés.

Vos diapositives seraient plus faciles à comprendre si elles étaient en couleurs. Est-ce possible? Les avons-nous en couleurs aujourd'hui? Elles sont en noir et blanc, et elles sont difficiles à lire.

Tout d'abord, madame Ogden, je me demande si vous seriez d'accord avec mon prochain commentaire, et si vous pourriez peut-être extrapoler un peu. Vous avez fourni des analyses sectorielles, mais aussi des analyses régionales. Votre analyse de l'impact potentiel dans diverses régions du Nord était relativement détaillée. Ai-je raison de supposer qu'il peut y avoir des différences considérables d'une région à l'autre, même dans le Nord — au Yukon et dans d'autres régions?

Mme Ogden: Oui, vous avez raison de supposer cela. Le Nord est une zone très diversifiée du pays, et il s'agit d'un territoire énorme, soit environ 40 p. 100 du territoire canadien. Les écosystèmes vont de quasi-tempéré, dans le sud- ouest du Yukon, jusqu'à la toundra arctique. Nous avons des montagnes, des plaines, la forêt boréale et la plaine côtière de l'Arctique. Les répercussions prévues pour chacune de ces régions sont plutôt différentes. De plus, les changements de température prévus varieront partout dans le Nord. Jusqu'à maintenant, nous avons constaté un léger refroidissement dans l'extrême Arctique oriental, un réchauffement dans l'Arctique occidental, et moins de changements dans certaines zones de l'Arctique central et du Nunavut. Ainsi, la géographie, le climat et les écosystèmes du Nord sont plutôt diversifiés, d'un océan à l'autre. Nous nous attendons donc à ce que les répercussions du changement climatique soient diverses.

En outre, les collectivités des diverses régions du Nord sont différentes. Certaines des méthodes que les collectivités adoptent afin de réagir et de s'adapter en fonction de ce qui est important pour eux, en ce qui concerne les répercussions du changement climatique, varient d'une collectivité à l'autre. Par exemple, au Yukon, Watson Lake est dotée d'une modeste économie forestière qui est plutôt différente de celle de la plaine d'Old Crow où la chasse au caribou fait partie intégrante de la culture et des moeurs de la population locale. On constate que cet enjeu soulève un large éventail de différences et d'intérêts d'une collectivité à l'autre et d'une région à l'autre, partout dans le Nord.

Le sénateur Day: On encourage certaines industries à mener des recherches sur l'impact et l'adaptation. En raison de la population nordique très dispersée et, dans certaines régions, de l'activité économique beaucoup plus modeste, de telles recherches ne seront tout simplement pas effectuées dans le Nord, à moins qu'on y affecte des fonds publics. N'est-ce pas?

Mme Ogden: C'est exact.

Le sénateur Day: À la page 2 du document que nous avons reçu, on mentionne une diapositive faisant état des tendances annuelles de la température de l'air en surface de 1948 à 2000. Si je ne m'abuse, vous avez mentionné que cette information a récemment été diffusée par le gouvernement canadien. La diapositive montre que, dans l'Est canadien, dans le nord du Québec et dans la région atlantique, il y a eu très peu de variations de la température au cours des 50 dernières années, alors qu'il y a eu des changements importants en Alberta et dans certaines régions de la Saskatchewan, ainsi qu'au Yukon et dans les territoires du Nord-Ouest. Est-ce que mon interprétation est juste?

Mme Ogden: C'est juste.

Le sénateur Day: Dans le nord du Québec, dans la zone de la calotte polaire, on dirait qu'il n'y a eu presque aucun changement au cours des 50 dernières années. N'est-ce pas?

Mme Ogden: Oui.

Le sénateur Day: Je vois aussi que la diapositive suivante fournit des prévisions quant aux variations de température. Elle indique des changements considérables. Même s'il n'y a presque pas eu de changements au cours des 50 dernières années, on prévoit des changements considérables au cours des 30 à 40 prochaines années, en raison de la présence accrue de CO2 et d'autres gaz. C'est juste?

Mme Ogden: C'est juste.

Le sénateur Day: Est-ce que cette diapositive s'assortit de prévisions relatives aux autres pays du monde et aux engagements du Canada sous le régime du Protocole de Kyoto? J'ai entendu M. Pearson dire que cela n'avait pas eu de grandes incidences, que l'on dépenserait beaucoup d'argent pour exécuter le Protocole de Kyoto, mais que cela ne retardera les effets que d'une décennie. Ai-je bien compris?

Mme Ogden: Je crois que cette diapositive est fondée sur un statu quo. Les calculs sont fondés sur le taux de croissance économique actuel. Je ne crois pas que cette diapositive tienne compte des projections pour Kyoto. Si Kyoto est adopté, cette tendance sera retardée d'environ dix ans. Il s'agirait de 1910 à 2050 au lieu de 1910 à 2040.

Le sénateur Day: Je comprends que vous preniez tous part aux stratégies touchant l'impact et l'adaptation, c'est-à- dire les effets sur les collectivités et ce que celles-ci doivent faire pour s'adapter, si les tendances se maintiennent, si les modèles sont fiables. Connaissez-vous la récente publication intitulée Taken by Storm: The Troubled Science, Policy and Politics of Global Warming, par Christopher Essex, de l'Université de Guelph et Ross McKitrick, de l'Université Western Ontario?

Mme Ogden: Je n'ai pas examiné cette publication.

Le sénateur Day: Mais vous en avez entendu parler?

Mme Ogden: J'en ai entendu parler.

M. Pearson: Non, je ne connais pas cette publication.

Le sénateur Day: Connaissez-vous ces chercheurs?

M. Pearson: Je crois connaître la deuxième personne que vous avez mentionnée, celle de Guelph.

Le président: J'ai l'impression qu'on vous tend un piège.

Le sénateur Day: Je vous remettrai une copie de ce résumé. Le livre s'attache surtout au Protocole de Kyoto, dont nous ne discuterons pas ici, et c'est pourquoi j'ai déclaré plus tôt qu'on s'attacherait aux questions sur lesquelles vous insistez. Néanmoins, j'aimerais vous lire ce qui suit: «Les sciences du climat ne soutiennent pas la théorie du réchauffement catastrophique de la planète occasionné par l'humain. La prétendue crise du réchauffement n'existe pas.» À la deuxième page, l'auteur vous donne raison: «Kyoto réduira le réchauffement prévu de seulement 0,06 degrés Celsius dès l'an 2050, et il faudrait 40 traités de ce genre pour freiner le prétendu réchauffement de la planète.»

L'auteur utilise le même chiffre que vous, et cela m'a intéressé. Je vous remettrai une copie de ce résumé. Si, après en avoir pris connaissance, vous souhaitez nous faire part de vos commentaires, surtout en ce qui concerne les aspects scientifiques, la prévisibilité et les mesures d'adaptation éventuelles, cela pourrait nous être utile.

M. Pearson: Certainement. Il y a aussi une publication récente du commissaire à l'environnement de l'Ontario, un vrai représentant du public qui n'a aucun compte à régler, d'un côté ou de l'autre de la barrière scientifique. J'oublie le titre de la publication, mais, essentiellement, on se demande si les assises scientifiques sont valides. Elle a été diffusée le 19 novembre. Le regard de mon collègue me laisse croire qu'il en possède un exemplaire. Vous devriez jeter un coup d'œil à cette publication. L'auteur n'est pas un profane, car il est diplômé en biologie, mais il agit à titre non pas de chercheur, mais bien de fonctionnaire. Il s'est penché sur les études et les publications que vous mentionnez. Son évaluation de la validité des théories scientifiques est bien rédigée et vaut la peine d'être consultée. Nous vous procurerons un exemplaire de cette publication.

Le sénateur Day: Nous craignons qu'il faille encore dépenser beaucoup d'argent et effectuer beaucoup de recherches. Nous tenons à ce que notre recommandation sur les priorités pour les prochaines années soit le plus équilibrée possible.

M. Pearson: Je reviens au Protocole de Kyoto. Vous avez raison, il a raison. Kyoto aura peu d'impact: 0,06, 0,15 ou 0,2 ne changera pas grand chose. Toutefois, si on court un marathon, il faut faire les premiers pas. Kyoto, c'est le premier pas d'un marathon. Si on n'effectue pas ces premiers pas, on ne termine pas la course. Si on ne joue pas la première minute, on ne se rend pas à la fin de la troisième période.

Le sénateur Mahovlich: Le premier pas est le plus difficile.

M. Pearson: Kyoto est important, car nous devons faire les premiers pas. J'aimerais maintenant revenir à un aspect pertinent à votre question, c'est-à-dire cette hypothèse selon laquelle les eaux de l'océan Arctique sont libres et risquent d'occasionner un enneigement accru et de nous mener vers une «ère glaciaire». Sur le plan géologique, il y a de bonnes raisons de croire que l'ère glaciaire qui a commencé dans l'hémisphère nord il y a environ 1,6 million d'années était liée à l'eau libre dans l'océan Arctique. À l'heure actuelle, le nord du Canada est suffisamment froid pour être recouvert d'une importante couche de glace. Le problème est lié non pas à la température, mais à l'enneigement. Si l'enneigement augmente dans le nord du Canada, il est possible qu'une importante couche de neige demeure pendant toute l'année, change l'albédo et modifie considérablement le modèle que nous devons envisager pour les 50 à 60 prochaines années. La science doit aussi répondre à de grandes questions sur l'avenir, et celle-ci en est une. Si nous devions nous réunir quelque part dans 50 ans, il serait très intéressant de voir ce que disent les chercheurs sur les répercussions d'eaux libres dans l'océan Arctique. C'est un très gros point d'interrogation.

M. Johnson: Laissez-moi vous donner un exemple. Avec le réchauffement qui a lieu dans l'Atlantique-Nord et au- dessus des pays nordiques, on constate un accroissement de l'enneigement et, par conséquent, une augmentation de la taille des massifs glaciers scandinaves. Ainsi, on peut déjà établir un lien entre le réchauffement, l'évaporation des eaux libres et l'accroissement de l'enneigement. Certaines personnes éprouvent beaucoup de difficultés à faire le lien entre un réchauffement et un enneigement accru.

Le sénateur Gustafson: Notre comité a entendu des témoignages plutôt intéressants de cinq chercheurs qui ont tenu à témoigner sous serment. Il semble que ces personnes voulaient avancer que les données scientifiques varient en fonction de l'origine des fonds pour la recherche. Si le gouvernement paie la note, on obtient un résultat. Si l'industrie paie la note, comme dans le cas de Monsanto, on obtient un autre résultat. Vous vous souviendrez que nous avons eu une séance animée sur le sujet.

Le sénateur Fairbairn: Il s'agissait d'une séance sur l'hormone de croissance bovine.

Le sénateur Gustafson: Par conséquent, le grand public se montre très sceptique et ne sait plus qui croire. Le sénateur Wiebe a soulevé cette question plus tôt.

Le président: Nous sommes revenus au point de départ.

Le sénateur Gustafson: Combien d'argent dépensez-vous? Cela influe beaucoup sur les recommandations du comité sénatorial.

J'aimerais aussi souligner qu'on ne pourra pas, à mon avis, accomplir grand chose si une petite partie de la planète réagit et l'autre ne fait rien.

M. Johnson: Si vous permettez, j'aimerais répondre à cela. Bien souvent, le problème tient non pas aux données, mais à l'interprétation de ces données. De façon générale, toutefois, vous soulevez la question selon laquelle si nous cherchons un soutien accru à l'égard de toute forme de recherche, il faut communiquer. Il doit s'agir d'une communication ascendante, ouverte et transparente, qu'il s'agisse d'une recherche gouvernementale, industrielle ou universitaire. Le volet communication est essentiel à tout effort de recherche scientifique.

Le sénateur Gustafson: À titre de scientifique, vous êtes au courant de la question des grains génétiquement modifiés, et je suis certain que vous suivez cette question de près. À l'heure actuelle, un groupe affirme une chose, et l'autre groupe affirme le contraire.

M. Pearson: Pour répondre à votre première question, il faut se demander si des retombées économiques entrent en jeu. C'est un aspect clé.

Le président: Vous venez d'avoir le dernier mot, car un comité attend pour prendre notre local. Je n'aurai pas le temps de vous poser ma question, mais j'aimerais vous la transmettre par écrit afin que vous puissiez y répondre. Je veillerai à ce qu'on vous achemine une lettre.

Au nom du comité, je vous remercie beaucoup de votre excellent exposé. Votre intervention était riche en informations et nous a stimulés, comme en témoignent toutes les questions que nous vous avons posées, et elle sera très utile à notre étude.

La séance est levée.


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