Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 2 - Témoignages du 30 octobre 2002
OTTAWA, le mercredi 30 octobre 2002
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international. (Perspective canadienne de la faillite d'ENRON).
Le sénateur David Tkachuk (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président: J'occuperai le fauteuil cet après-midi, puisque le président a dû s'absenter.
Nous avons plusieurs témoins assez importants cet après-midi. Nous essaierons d'accorder à chacun d'eux tout l'intérêt qui leur est dû. La séance durera aussi longtemps que cela nous est possible.
Nous accueillons avec grand plaisir, cet après-midi, M. David Brown et M. John Carchrae de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. Je suppose que vous avez une présentation à faire. Combien de temps prendra-t-elle, monsieur Brown?
M. David Brown, c.r., président, Commission des valeurs mobilières de l'Ontario: Mes environ prendront une quinzaine de minutes et ensuite, je répondrai à vos questions avec plaisir.
Le vice-président: Veuillez commencer.
M. Brown: J'apprécie cette occasion qui nous est donnée de discuter avec vous de la nécessité de restaurer la confiance dans nos marchés des capitaux à la suite des scandales financiers survenus récemment aux États-Unis.
La CVMO et d'autres organes de réglementation collaborent avec les gouvernements, les intervenants de l'industrie et les investisseurs en vue de mettre en oeuvre des réformes pour inspirer confiance aux investisseurs et les protéger.
J'ai remis un rapport à votre comité, qui est assez semblable à une lettre que je propose d'envoyer à tous les participants du marché en Ontario dans les prochains jours. Cette lettre et le rapport que j'ai remis au comité, font un compte rendu des mesures que nous avons prises depuis plusieurs mois pour composer avec cette situation.
Nous savons que les coups portés à la confiance des investisseurs aux États-Unis ont entraîné une réaction en chaîne. Nous devons nous en occuper. Si nous voulons attirer les investisseurs étrangers et canadiens, ils doivent avoir foi dans la sûreté de nos marchés. En même temps, si nous voulons attirer des émetteurs, il nous faut un régime de réglementation qui ne soit ni trop lourd, ni trop coûteux. C'est l'équilibre qu'il nous faut atteindre pour que nos marchés puissent rester compétitifs.
Il est très clair que les organismes de réglementation et les gouvernements provinciaux doivent faire face à cet enjeu. Le problème ne sera pas résolu tout simplement en pointant le doigt sur certaines personnes, des professions ou des groupes d'intervenants. C'est un problème systémique qui exige du leadership et un plan d'action.
Pour la première fois, nous assistons à une «déconnexion» entre une économie réelle robuste et un faible marché des capitaux. Il est facile de s'en prendre aux directeurs ou aux comités de vérification, aux chefs de direction et aux directeurs financiers, aux vérificateurs et aux analystes, aux avocats et aux organismes de cotation des titres, aux organes de réglementation et aux investisseurs eux-mêmes. D'aucun semble penser que, si quelques personnes sont punies, et si les professions et les organisations participantes au système promettent d'adopter une nouvelle attitude, le problème sera réglé.
Le point faible de ce postulat est qu'il part de l'hypothèse que ces participants sont entrés dans leurs fonctions comme des individus mal intentionnés, déterminés au méfait et à la fraude. De fait, nous avons affaire, surtout, à des gens bien intentionnés. Pour la plupart, ils réagissaient à la conjoncture des années 90, aux pressions du marché, aux incitatifs, et ils tiraient parti d'opportunités d'apparence tout à fait légitime.
Le problème, c'est que certaines parties de notre régime de réglementation sont imparfaites, et offrent des incitatifs qu'il est difficile pour certains d'ignorer. Il nous faut analyser ces failles du système et les corriger. Il nous faut le faire avec une précision toute chirurgicale. C'est exactement ce qu'a fait la Loi Sarbanes-Oxley; elle a comblé les failles, corriger les défauts et contré les faiblesses du marché américain.
En tant qu'autorités de réglementation responsables, nous avons le devoir de tirer des leçons de l'expérience américaine. Cela ne veut pas dire que nous devions greffer la Loi Sarbanes-Oxley, dans son intégralité, à notre marché. Il nous faut déterminer avec exactitude les remèdes réglementaires qui conviennent au marché canadien.
Dans la mesure où un changement d'attitude peut résoudre un problème, nous observons déjà des progrès considérables. Nous voyons de grandes compagnies qui s'engagent volontairement à améliorer leur formule de gouvernance d'entreprise et à accroître la communication volontaire. Une coalition de hauts dirigeants a adopté un nouveau code de conduite volontaire pour ses membres. Nous voyons les investisseurs de grandes institutions qui font d'une meilleure gouvernance et d'une plus grande transparence une priorité et qui promettent de faire leurs entreprises tenir leurs engagements. Cette autocorrection du marché est un important pas en avant, mais il y a une limite à la capacité du marché de se corriger, particulièrement dans des domaines comme la qualité des vérifications, les normes de divulgation et les conflits d'intérêts. Comme nous l'avons vu, les cadres d'entreprise n'ont pas toujours les incitatifs appropriés pour adhérer aux pratiques pertinentes, et les investisseurs n'ont pas nécessairement toute l'information qu'il leur faut pour les surveiller. Nous ne nous satisfaisons pas de voir certaines entreprises améliorer leurs pratiques alors que d'autres tirent de la patte loin derrière elles.
Nous devons incorporer ces améliorations et en faire une norme du marché. En renforçant et en clarifiant les exigences en matière de communication des données financières et de gouvernance d'entreprise, au lieu de seulement encourager les mesures volontaires, nous pouvons nous assurer que toutes les compagnies publiques observent des normes élevées façon continue. Nous pouvons uniformiser les règles du jeu et assurer la cohésion du comportement des entreprises. Ainsi, des normes élevées de transparence et de responsabilités deviennent la base sur laquelle s'appuient toutes les compagnies plutôt que le plafond que certaines n'approchent jamais.
En incorporant la réforme, nous pouvons faire en sorte qu'elle ne suive pas le modèle cyclique qui caractérise tant de corrections du marché. Elles ont tendance à être appliquées dans les marchés en baisse, mais se perdent dans l'exubérance irrationnelle des marchés en expansion. L'incorporation de la réforme rend aussi les normes comparables dans tout le pays. Autrement, certaines compagnies peuvent être tentées de se faire concurrence pour trouver vers les régimes réglementaires les moins rigoureux, provoquant ainsi une course acharnée vers la norme inférieure.
À ce propos, la CVMO est heureuse de collaborer étroitement avec ses collègues des 12 autres commissions provinciales et territoriales. L'intégrité de nos marchés des capitaux est trop importante pour que l'on compte uniquement sur l'action volontaire. Aujourd'hui, les gens peuvent investir où ils veulent. Nous devons susciter le sentiment de confiance qu'il leur faut pour investir ici. C'est pourquoi la confiance du public dans la communication des données financières et la gouvernance d'entreprise ne peut dépendre d'un engagement individuel ni du jugement individuel. Il faut l'appui de la réglementation.
Il nous faut transmettre avec fermeté le message que nous restaurons la confiance et que nous protégeons les investisseurs d'une façon unique au Canada, qui reconnaît l'importance de préserver notre compétitivité sur un marché relativement réduit. Nous devons trouver une solution faite au Canada — une solution qui tienne compte de notre situation unique, comme la forte proportion de compagnies à faible capitalisation.
Il est important que nous rassurions les autorités réglementaires américaines sur l'intégrité de notre marché. Cette confidence est essentielle au maintien du système de communication intergouvernemental qui fait que les émetteurs sis au Canada peuvent accéder au marché des capitaux américains simplement en adhérant aux exigences canadiennes d'inscription à la cote et de communication.
Je suis heureux de pouvoir vous dire que la CVMO et la SEC ont entamé activement un dialogue au sujet des enjeux transfrontaliers que soulève la Loi Sarbanes-Oxley. La SEC est intéressée à savoir comment le Canada se propose de composer avec ces enjeux, et s'il y aura de grands conflits entre les deux régimes. À ce que nous avons compris, la SEC est disposée à envisager des moyens de tenir compte des exigences du pays d'origine et de ses approches réglementaires, au besoin.
Nous devrons rassurer nos voisins américains et nos participants que les marchés canadiens sont sûrs pour les investisseurs et ouverts au public. Les mesures que le gouvernement et notre commission proposent mettre en place renforceront notre capacité de protéger les investisseurs et de restaurer la confiance dans nos marchés.
Il y a six secteurs particuliers où, je crois, des progrès importants sont en voie de réalisation. Je vais d'abord en donner la liste, puis expliquer chacun d'eux. Ce sont premièrement les rôles et la composition du comité de vérification; deuxièmement, l'attestation par les chefs de direction et les agents financiers; troisièmement, la surveillance publique des vérificateurs; quatrièmement, l'indépendance des vérificateurs; cinquièmement les sanctions plus étendues en cas de manquement; et sixièmement, la responsabilité civile de communication continue. J'aimerais expliquer brièvement chacun, mais dans l'ordre inverse.
Nous sommes heureux que le gouvernement de l'Ontario ait présenté, plus tôt aujourd'hui, une loi qui habilite les consommateurs, renforce nos capacités d'application et munit la commission d'outils additionnels pour protéger les investisseurs et restaurer leur confiance. La loi propose de modifier la Loi sur les valeurs mobilières pour prévoir la responsabilité civile relativement à la divulgation sur le marché secondaire. Ainsi les participants au marché secondaire, qui représentent la plus grande partie de l'activité sur le marché des capitaux, auront des droits d'action. Nos collègues de l'ACNOR ont approuvé ces propositions et elles ont été avalisées par le Comité d'examen quinquennal Purdy- Crawford.
La Loi Sarbanes-Oxley est fondée sur l'existence d'un régime bien établi de responsabilité civile. Je suis heureux que nous puissions uniformiser les règles du jeu et attribuer aux investisseurs canadiens des droits similaires de poursuivre les compagnies publiques, les cadres ou les dirigeants qui auront communiqué des informations erronées ou trompeuses.
Deuxièmement, la loi propose de renforcer les capacités d'application de la CVMO au moyen de nouveaux pouvoirs qui permettraient à la Commission d'imposer une amende maximale de un million de dollars pour les infractions à la Loi sur les valeurs mobilières, de faire passer la peine d'emprisonnement maximale pour délit d'initié de deux à cinq ans, d'augmenter les amendes imposées par le tribunal jusqu'à un maximum de 5 millions de dollars, et elle clarifie les délits comme la fraude sur les valeurs mobilières, la manipulation des marchés et les états financiers trompeurs. La Commission est aussi habilitée à commander aux entreprises de dégorger les profits tirés d'une activité illicite.
Troisièmement, en ce qui concerne l'indépendance des vérificateurs, le Comité sur l'intérêt public et l'intégrité de l'Institut canadien des comptables agréés a publié, aux fins de commentaires du public, un exposé-sondage sur une nouvelle norme d'indépendance canadienne visant les vérificateurs. D'après ce que j'ai compris, monsieur Smith, le chef de la direction de l'ICCA, doit se présenter devant ce comité après nous.
Bien que le projet d'indépendance de l'ICCA ait été entrepris bien avant la série de faillites d'entreprises aux États- Unis et l'adoption de la Loi Sarbanes-Oxley, les propositions qu'il renferme comportent bon nombre des nouvelles exigences d'indépendance maintenant en vigueur aux États-Unis. L'ICCA s'est engagé à examiner la possibilité d'y ajouter d'autres exigences prévues dans la Loi Sarbanes-Oxley.
Quatrièmement, en matière de surveillance publique des vérificateurs, l'été dernier, les organes de réglementation fédéraux et provinciaux et l'Institut canadien des comptables agréés ont annoncé la création d'un conseil sur la reddition des comptes chargé de surveiller les compagnies publiques du Canada. Ce conseil devra examiner régulièrement les pratiques de vérification de cabinets qui vérifient les sociétés publiques. Au besoin, le conseil collaborera avec les instituts et organes de réglementation des provinces pour imposer des mesures de correction et des sanctions. Un conseil des gouverneurs, dont je suis le président, a lancé un processus public de désignation d'un président et de sept autres membres du conseil. De fait, nous comptons annoncer très bientôt qui en sera le président.
Sur les six enjeux dont j'ai parlé tout à l'heure, deux, c'est-à-dire la responsabilité civile et les sanctions pour les manquements, sont maintenant des mesures législatives. Deux autres, soit l'indépendance des vérificateurs et la surveillance publique, font l'objet d'examens distincts. Nous appuyons pleinement le gouvernement de l'Ontario relativement aux mesures législatives et nous continuerons d'observer et d'appuyer les deux autres initiatives.
Notre attention est maintenant surtout fixée sur les deux enjeux restants, c'est-à-dire la certification et les comités de vérification. Permettez-moi de commencer par le projet d'obliger les chefs de direction et agents financiers à attester que les états financiers de leur compagnie représentent avec justesse sa situation financière.
La loi exigeant l'attestation par les chefs de direction et agents financiers est sans précédent. C'est la loi en vigueur aux États-Unis. Jusqu'à maintenant, les vérificateurs ne pouvaient qu'attester du fait que les états financiers d'une compagnie étaient présentés justement, conformément aux principes comptables généralement reconnus. La Loi Sarbanes-Oxley va plus loin. Les cadres supérieurs de compagnies américaines doivent maintenant assurer les investisseurs que l'ensemble des informations communiquées au public illustrent avec exactitude la situation financière de la compagnie. Ils doivent aussi donner des assurances sur l'efficacité des mesures de contrôle interne de la compagnie.
Les investisseurs canadiens attendent et exigent les mêmes assurances qualitatives. Je me dois de souligner que la rétroaction que nous avons reçue sur cette proposition a été, pour la plupart, positive, y compris de la part de la Bourse de Toronto. On s'attend à ce que cette exigence soit aussi imposée au Canada.
La dernière chose dont je voudrais parler est le rôle et la composition du comité de vérification. L'une des leçons tirées de l'expérience américaine est que les vérificateurs doivent être responsables devant les actionnaires. Techniquement parlant, c'est ainsi que ce devrait être. En pratique, cependant, les actionnaires sont trop éparpillés pour pouvoir diriger les vérificateurs. La direction a assumé ce rôle jusqu'ici, mais c'est cette même direction dont les vérificateurs sont censés scruter les activités. Cependant, la Loi Sarbanes-Oxley est devenue le fer de lance d'un mouvement mondial de transfert de cette fonction à un organe indépendant de la direction. Dans de nombreux pays comme le Canada, le comité de vérification assumera ce rôle. En un mot, le comité de vérification, indépendamment de la direction, sera le représentant des actionnaires. Le comité de vérification deviendra le client du vérificateur, plutôt que la direction. Le comité de vérification embauchera et congédiera le vérificateur, et il dirigera l'exécution de la vérification.
Pour que ce changement de culture puisse survenir, cependant, le comité de vérification doit être réellement indépendant de la direction. Il doit pouvoir dire non à la direction. La série de mesures législatives présentée aujourd'hui propose d'investir la CVMO de l'autorité d'établir les règles gouvernant les fonctions et les responsabilités des comités de la vérification. Cette possibilité a été un contentieux dans nos consultations. La Bourse de Toronto, par exemple, a proposé que les changements au comité de vérification soient sous forme de directives facultatives. Des directives facultatives peuvent présenter un certain intérêt parce qu'elles orientent et sont flexibles, mais elles n'assurent aucune uniformité. L'uniformité des pratiques des entreprises est essentielle pour rétablir la confiance du public.
Vous vous souvenez peut-être qu'il y a quelques années seulement, un de mes prédécesseurs, Peter Day, dirigeait un groupe de travail sur la gouvernance d'entreprise pour le compte de la Bourse de Toronto. Ce groupe de travail a présenté plusieurs directives facultatives qui relevaient la barre de la gouvernance d'entreprise de l'époque. La seule contrainte imposée aux compagnies cotées était qu'elles devaient rendre compte chaque année de leur modèle de gouvernance d'entreprise, en expliquant quelles directives sur la gouvernance n'avaient pas encore été exécutées, et pour quelles raisons. Le résultat, d'après un sondage de suivi subséquent qu'a réalisé la Bourse de Toronto, intitulé «Five Years to the Day», a conclu que plusieurs des directives de la Bourse de Toronto sont maintenant des pratiques administratives généralement acceptées. Cependant, l'étude a aussi fait ressortir qu'il reste d'importants secteurs où la pratique générale ne respecte pas l'esprit de la directive. De fait, un examen rétrospectif du Comité Day lui-même a été encore plus critique. Il conclut que la réaction des entreprises du Canada avait été plus formelle que réelle, et que le secteur des entreprises du Canada n'avait pas encore adopté une culture d'observation. Au mieux, les résultats étaient inégaux. Les meilleures pratiques n'étaient pas encore fermement ancrées.
Étant donné cette piètre performance, on peut se demander s'il est possible de rétablir la confiance du public en ne comptant que sur l'observation et la communication volontaires par les compagnies pour qu'elles apportent des changements fondamentaux au rôle et à l'indépendance du comité de vérification.
Certains organes de réglementation et participants de l'industrie ont exprimé des préoccupations sur les répercussions que ces changements pourraient avoir sur les compagnies à faible capitalisation qui ont un plus petit conseil d'administration et des ressources limitées. Quand nous aurons terminé notre analyse, nous pourrions déterminer que des exemptions ou, peut-être, des seuils pourraient être appropriés pour les plus petites entreprises mais, très franchement, une bonne gouvernance est importante pour tous les investisseurs dans toutes les compagnies, qu'elle qu'en soit l'envergure. Nous devrons attentivement évaluer les coûts de la mise en oeuvre de ces exigences réglementaires comparativement aux avantages qu'elle pourrait avoir pour nos investisseurs et nos marchés. Une exemption ne devrait être accordée que lorsque les coûts ne seraient pas justifiés.
Il ne fait pas de doute que nous devrons relever des défis considérables pour vraiment restaurer la confiance des investisseurs, mais nous constatons néanmoins que des efforts considérables sont déployés pour régler ce problème par la coopération entre les gouvernements fédéral et provinciaux et les organes de réglementation. L'on veut véritablement rassurer les investisseurs que la réforme ne sera pas éphémère et qu'elle ne disparaîtra pas avec la prochaine hausse du marché. Ils doivent savoir que les réformes ne sont pas seulement adoptées, mais qu'elles sont aussi confirmées dans la réglementation.
Les investisseurs et les émetteurs doivent savoir que nous prendrons des mesures proactives pour que le marché soit sûr, mais aussi dynamique. Une économie robuste a besoin à la fois de gens qui sont prêts à investir du capital et de gens qui sont capables de l'utiliser pour créer la richesse.
Je suis heureux d'avoir été invité à vous exposer certains des changements qui sont mis en oeuvre et d'autres qui sont à l'examen; je répondrai avec plaisir à vos questions.
Le sénateur Angus: Il est agréable de vous voir devant le comité, particulièrement en cette période d'examen des entreprises et de «corruption», comme l'a dit le sénateur Prud'homme. C'est très opportun, en ce sens que vous venez seulement de nous apprendre que votre loi vient d'être déposée, aujourd'hui, devant l'Assemblée législative de l'Ontario. C'est, peut-être un bon point de départ.
J'ai lu beaucoup d'articles, dernièrement, qui laissaient entendre que la Loi Sarbanes-Oxley, aux États-Unis, était une espèce de réflexe de la rotule à une situation qui pourrait être décrite comme une «bulle éclatée» si on veut, consécutif au problème systémique que vous avez si bien décrit. Cependant, on entend dire que cette loi est allée beaucoup trop loin et qu'elle est extrême. Dans bon nombre de reportages, il est dit que le Canada ne devrait pas faire pareil, mais que les lignes directrices et les directives volontaires — peut-être pas les directives volontaires — sont la meilleure solution pour le Canada plutôt que des mesures législatives.
J'ai remarqué, il y a quelques semaines, que vous disiez qu'à votre avis, des mesures législatives seraient une bonne chose, alors je présume que c'est le projet de loi qui a été présenté aujourd'hui. Peut-être pourrions-nous en obtenir une copie dès que possible. Il doit bien être disponible quelque part.
M. Brown: Je n'en ai pas d'exemplaire, parce qu'à ce que j'ai compris, il a été présenté alors que j'étais en chemin pour Ottawa, aujourd'hui.
Le sénateur Angus: L'article qu'il y avait dans notre journal national préféré, mardi, a attiré mon attention là-dessus. C'était au sujet de la Commission des valeurs mobilières du Québec, l'ACVMQ.
Le sénateur Prud'homme: Ce n'était pas, j'espère, dans le National Post.
Le sénateur Angus: Non, c'était un article du Globe and Mail, qui disait que la Commission des valeurs mobilières du Québec incite à la prudence, en ce qui concerne la gouvernance. Il poursuivait en disant qu'il n'y a pas de solution universelle et il lançait une mise en garde contre les risques de légiférer avec un pinceau trop large. Pourriez-vous commenter cela, puisqu'un débat est déjà commencé sur le sujet? Peut-être votre projet de loi, qui ne ressemble pas à une version canadienne de la Loi Sarbanes-Oxley de 2002 des États-Unis, propose-t-il une loi différente.
M. Brown: Les mesures législatives qui ont été présentées aujourd'hui sont conçues pour faire exactement ce à quoi vous faites allusion, c'est-à-dire qu'elles nous permettront d'examiner les aspects du système que l'analyse effectuée à la suite des scandales de WorldCom et Enron a fait ressortir, et qui ont besoin de mesures correctrices. Elles nous permettront de faire une analyse détaillée plutôt que générale. Nous pourrons étudier chacun des éléments qui semblent avoir échoué aux États-Unis, et ainsi nous saurons si nous avons les mêmes problèmes potentiels parce que, au Canada, nos marchés sont structurés de la même façon, et nous pourrons déterminer comment les résoudre en fonction du système canadien.
Nous avons déjà fait plusieurs choses, au Canada, mieux que les États-Unis, et celles-ci n'ont pas besoin d'être arrangées. Nous avons des institutions différentes au Canada de celles aux États-Unis. Nous avons déjà un système robuste de certification des comptables agréés et d'examen du fruit de leur travail.
Il nous faut prendre ce qui se fait aux États-Unis et l'adapter pour le Canada. Il nous faut examiner chacune des dispositions que nous pouvons adopter au Canada et déterminer si elles ne peuvent s'appliquer qu'aux grandes compagnies ou aux compagnies d'un bout à l'autre du spectre. Si elles n'ont pas de sens pour les petites compagnies, nous pourrions déterminer un mode d'exemption, dans la mesure où le régime vise à régler certains problèmes systémiques et, en même temps, à faire en sorte que le Canada préserve sa réputation de marché sûr pour les investisseurs, avec de rigoureuses règles de gouvernance et d'autres exigences.
Le sénateur Angus: L'investisseur vous dirait certainement qu'il y a eu un débordement et un exode de la confiance des investisseurs au Canada. Cela n'a rien de surprenant, étant donné que bon nombre des grandes entreprises du marché sont américaines. Les gens parlent d'Enron et de WorldCom, et l'étude que nous faisons mentionne ces noms- là. Cependant, nous sommes nombreux à avoir reçu des commentaires de Canadiens qui demandaient pourquoi nous parlons d'Enron et de WorldCom plutôt que de Livent, de CINAR ou de Nortel, qui en passant était à un moment donné, l'année dernière, notre plus gros client en fait pourcentage du marché financier à la bourse de Toronto.
Où en est la situation au Canada? Le débordement existe, la confiance est partie, et personne ne croit aux chiffres. Les épargnants les voient tout le temps. Je sais que la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario est le chien de garde, et que tout cela n'est pas musique à vos oreilles. Monsieur tout-le-monde ne pense pas avoir la moindre chance maintenant. Le petit investisseur ne sait pas quoi croire et il ne reçoit pas l'information dont il a besoin. Je sais qu'il y a un problème, mais quelle est sa gravité?
M. Brown: Un des baromètres qu'observe la CVMO est celui des régimes de retraite, des fonds communs de placement et d'autres fonds de placement. Un fort pourcentage des Canadiens qui ont des investissements sur le marché les font indirectement par le biais de leur régime de retraite ou de fonds communs de placement. Un fort pourcentage de Canadiens ont des investissements sur le marché, mais ils sont en grande partie indirects.
Comme vous avez pu le constater il y a quelques mois, un grand nombre de ces institutions — les experts financiers — se sont unis pour former une coalition dans le but de composer avec les enjeux de la gouvernance d'entreprise et du manque de confiance des investisseurs. Elles sont convaincues de la nécessité d'examiner en profondeur ces mesures pour essayer de rétablir la confiance dans les marchés. Elles pensent que, jusqu'à ce que nous l'ayons fait, nos marchés ne se rétabliront pas au niveau que les gens attendent.
Le sénateur Angus: Autrement dit, la situation est assez grave au Canada. Je ne parle pas seulement du manque de confiance, mais aussi du motif sous-jacent de ce manque de confiance.
M. Brown: Vous l'avez fait remarquer, nous avons eu nos propres problèmes au Canada. Certains des problèmes, aux États-Unis, que l'analyse a fait ressortir sont similaires aux problèmes que nous avons constatés ici. Nous n'avons aucune raison de croire que le Canada n'a pas les mêmes problèmes structurels.
Le sénateur Kroft: Nous avons un facteur caché à examiner, avec cette loi, en Ontario, qui a été présentée aujourd'hui. Vous n'avez pas eu la possibilité de l'étudier, et nous non plus.
Nous avons eu la possibilité d'entreprendre notre débat en juin, et nous le poursuivons maintenant. Nous avons aussi eu le privilège d'une audience avec le président de la Bourse de Toronto. Je dirais que vous et la Bourse présentez deux grands points de vue, mais peut-être est-ce que je me trompe, alors je vous invite à commenter mon hypothèse de base. Cependant, pour commencer, pourriez-vous nous donner une idée de votre évaluation de l'écart, ou des différences? Y a-t-il une grande différence dans les points de vue? Est-ce que c'est sur certaines des questions ouvertes? Dans quelle mesure la nouvelle loi qui est proposée règle les problèmes dont vous avez parlé, ou est-ce qu'elle les concilie; ou est-ce que ce sont encore deux grands points de vue différents?
M. Brown: Merci, sénateur. Je répondrai à la première question. Je ne crois pas qu'il y ait une grande différence entre ce que nous disons, ce que la Bourse de Toronto a déjà dit et, de fait, ce que d'autres observateurs ont exprimé. Il y a un groupe qui nous incite à la prudence et qui nous conseille de nous assurer de comprendre les ramifications de certaines de ces nouvelles exigences pour les petites entreprises, particulièrement celles aux ressources limitées qui ont de la difficulté à attirer des administrateurs indépendants. Il est clair que nous devons prêter l'oreille à ce groupe, et qu'il nous faut trouver un juste milieu. Nous devons entendre l'opinion des investisseurs parce que la question concerne la confiance des investisseurs. Nous devons comprendre que nous motiverons les investisseurs à retourner sur le marché et nous devrons regagner la confiance qu'ils avaient dans les entreprises du Canada auparavant.
Nous écoutons les opinions des petits émetteurs, et nous devons aussi savoir ce que les investisseurs du marché ont à dire pour pouvoir trouver un juste équilibre entre eux. Nous pensons que nous devons aider nos marchés à préserver une réputation d'endroit sécuritaire et équitable où investir. Le danger qu'il y a à ne pas réaliser cet objectif est double: premièrement, les investisseurs qui n'ont pas la mobilité pour placer leur argent où ils veulent dans le monde, où ils estiment pouvoir avoir un bon rendement et la sécurité nécessaires, quitteront nos marchés et nous perdrons une part de notre liquidité. C'est important pour la robustesse de nos marchés. Deuxièmement, les compagnies canadiennes ont besoin de pouvoir réunir des fonds sur d'autres marchés et elles ne veulent pas aller sur d'autres marchés, particulièrement aux États-Unis, en devant s'excuser du fait que, chez elles, elles ne sont pas considérées aussi sécuritaires et robustes qu'aux États-Unis.
Il est important que nous pensions à la perception des émetteurs et des investisseurs, et que nous nous assurions de ne pas instituer des règles et des règlements qui minent la compétitivité de nos entreprises. C'est l'équilibre que nous essayons de réaliser et, aux premiers jours de ce dialogue qui s'est tenu publiquement — et nous avons délibérément voulu susciter un dialogue public — nous avons entendu plus de la part de l'émetteur. Nous essayons maintenant d'entendre le point de vue de l'investisseur.
Pour ce qui est de votre deuxième question, les mesures législatives qui ont été présentées aujourd'hui nous donnerons les moyens de promulguer des règles pour régler certains de ces problèmes. Notre processus de réglementation est tel que nous formulons des règles, généralement, après une vaste consultation. Ensuite, nous les diffusons aux fins d'observations. La consultation dure souvent 60 jours, et même plus, avant qu'elles soient rendues définitives. Les mesures législatives présentées aujourd'hui nous munirons des outils qu'il nous faut pour passer à l'étape suivante, pour laquelle il faudra encore beaucoup plus de consultations.
Le sénateur Kroft: À ce que j'avais compris de votre position, en juin, à la lecture de certaines de vos déclarations, et après vous avoir écouté, vous aviez adopté une approche d'une prudence très appropriée. Je reviens aux préoccupations du sénateur Angus; il ne faut trop dépasser le tournant, il ne faut pas devenir trop rigide et il ne faut pas faire du Canada un endroit trop difficile, comparativement à d'autres, pour que les marchés des capitaux puissent fonctionner et pour que les investisseurs y soient attirés. À ce que je vois du fruit de vos travaux jusqu'à maintenant, vous êtes certainement favorables à un raffermissement de notre position et à ce qu'on veille à ce qu'il n'y ait pas d'inconfort entre nous et d'autres marchés.
Je suis curieux de savoir ce que vous avez appris de ce processus, parce que vous êtes parti d'un point de vue et maintenant je constate que vous n'êtes plus en faveur d'une plus grande intransigeance — et peut-être que j'exagère. Cependant, il semble qu'il y ait eu une évolution dans votre mode de pensée, ce qui est tout naturel. La conjoncture a changé et des événements sont survenus. Pourriez-vous nous dire ce que vous en avez pensé et l'évolution de votre réflexion?
M. Brown: Il y a effectivement eu une évolution dans notre réflexion, monsieur le sénateur. Depuis trois mois, nous consultons presque quotidiennement, et parfois plusieurs fois par jour, divers groupes pour essayer d'obtenir les points de vue des gens.
L'évolution, c'est plutôt que nous sommes passés du général au spécifique. Nos commentaires, au début de l'année, visaient à ce que les Canadiens comprennent que de rigoureuses mesures législatives étaient adoptées aux États-Unis, qui allaient réformer le cadre législatif américain et, de fait, réformer la gouvernance d'entreprise aux États-Unis. Nous, les Canadiens, ne pourrions pas nous permettre de l'ignorer. Je suis toujours du même avis.
Depuis quelques mois, nous nous sommes concentrés sur des aspects spécifiques de ces mesures législatives et nous avons demandé à nos électeurs ce qu'ils en pensaient. Nous avons commencé avec celle qui, à nos yeux, est la pierre angulaire des propositions américaines, et c'est l'attestation des données financières par les chefs de direction et les agents financiers. Nous n'avons eu pour ainsi dire pas de recul sur le sujet.
Un fait intéressant est que la réponse est presque la même de la part des grandes compagnies que de celle des petites. Beaucoup de chefs de direction disent certifier au vérificateur, chaque année, exactement ce qu'on leur demande d'attester devant le public. Ils disent qu'ils font cela de toute façon, alors ce n'est pas tellement plus de dire au public ce qu'ils disent au vérificateur.
Les plus petites compagnies et les investisseurs dans de plus petites compagnies disent que de plus en plus de l'information sur la compagnie est dans la tête du chef de direction, ce qui fait qu'il est encore plus logique qu'il parle au marché des données, Nous avons constaté un vaste soutien de ce côté-là.
Le sénateur Kelleher: J'ai vraiment l'impression, d'après ce que vous avez dit, que vous êtes d'accord avec l'idée qu'il n'y a pas de solution universelle et qu'il nous faut beaucoup plus de compagnies à faible capitalisation au Canada qu'il n'y en a aux États-Unis. Nous nous retrouverons probablement, en fin de compte, avec des règles et règlements différents pour elles ce qui, à mon avis, est plein de bon sens.
Avez-vous cheminé plus avant sur la voie de ce principe? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous donner une idée de l'orientation de votre démarche, sans trahir la confidentialité de l'information?
M. Brown: Pour utiliser la même métaphore que vous, nous avons tracé notre voie et nous avons commencé à mettre sur pied une base de données. Nous avons découvert qu'il n'existe au Canada aucune base de données qui peut contribuer à répondre à certaines de ces questions difficiles. Nous ne savons pas avec précision combien les petites compagnies ont d'administrateurs indépendants. Nous ne savons pas s'ils ont des comités de vérification ou combien d'administrateurs indépendants siègent aux comités de vérification. Nous n'avons pas idée de leur degré de littéracie financière.
Nous avons réalisé une initiative conjointe avec l'école Rotman de Toronto et nous avons commencé à créer une base de données qui répondra à certaines de ces questions.
De plus, la Commission des valeurs mobilières de l'Alberta, qui a un pourcentage encore plus élevé de compagnies à faible capitalisation que l'Ontario, a fait un sondage très détaillé auprès de ses participants au marché, dont un nombre intéressant a fourni des réponses. La Commission est en train d'en colliger les résultats et cela nous renseignera un peu mieux sur la composition de ces conseils d'administration.
Je crois que nous constaterons qu'il y a des dispositions qui sont importantes pour les compagnies, grandes et petites, et qui n'imposeront pas un fardeau inacceptable, même au plus petites compagnies. Cependant, je pense aussi que nous constaterons que certaines dispositions devront être modifiées pour les plus petites compagnies, peut-être pour les encourager à aller à un niveau supérieur. Nous ne pourrons pas leur imposer les mêmes exigences.
Le sénateur Kelleher: Je suppose que les entreprises familiales vous donneront certaines difficultés de ce côté? Le Canada semble encore, Dieu merci à bien des égards, avoir de grandes entreprises familiales. Ce sera un peu plus difficile de ce côté-là.
M. Brown: Vous avez tout à fait raison. C'est l'un des domaines où les règles américaines ne nous aident pas beaucoup. Il nous faut faire sur mesure des règles qui pourront s'appliquer ici, au Canada.
Le sénateur Kelleher: Peut-être est-il injuste de le dire ainsi, mais il semble que vous avez surtout regardé ce qui se fait aux États-Unis. Est-ce que nous examinons d'autres gouvernements? Par exemple, la Grande-Bretagne a fait toute une refonte de son régime financier il y a deux ou trois ans. Avons-nous regardé du côté des Britanniques?
M. Brown: Oui, absolument. De fait, je viens seulement de terminer mon mandat de président de l'organe d'élaboration des politiques de l'Organisation internationale des commissions de valeur, l'OICV. L'une de mes dernières fonctions, c'est à titre de président d'un comité des présidents des principaux gouvernements chargé d'étudier, spécifiquement, les enjeux créés par les États-Unis. Le président de la FSA du Royaume-Uni, Sir Howard Davies, était membre de ce comité, de même que les présidents de tous les principaux pays de l'Europe, du Japon, du Brésil et quelques autres.
Fait intéressant, nous venons de publier quatre documents sur certaines des questions mêmes dont nous traitons aujourd'hui. L'un d'eux concerne l'indépendance du vérificateur. Je souligne avec plaisir que la disposition proposée dans le document de l'ICCA et certains des autres éléments dont nous parlons correspondent, à l'échelle internationale, à ce que des organes de réglementation et mes collègues des principales compétences expriment.
Nous avons eu le privilège de coordonner nos travaux avec ceux de toutes les compétences — avec leur façon de voir les choses — tandis qu'ils progressent dans cette démarche. On peut dire que tous les membres de ce groupe dont je suis le président, à l'exception des États-Unis, ont d'abord eu une réaction très sceptique devant ce qui se passait aux États- Unis. Au fil de près de neuf mois de rencontres fréquentes et de délibérations, nous sommes parvenus à nous entendre sur le fait qu'il y a plusieurs enjeux que tous les pays devraient régler et régleront.
Le président: Je vous remercie.
Le sénateur Kelleher: On dirait que j'ai été interrompu.
Le président: Il vous reste le temps d'une brève question avec une brève réponse.
Le sénateur Kelleher: Je voudrais revenir sur une question que mon ami, le sénateur Angus, a soulevée. Là encore, j'ai l'impression, à la lecture des articles, que la Commission des valeurs mobilières du Québec n'est pas très enthousiaste à l'idée de coucher sur papier tout un tas de ces réformes ou de ces nouvelles règles ou nouveaux règlements. Est-ce une juste perception? Sinon, êtes-vous d'accord avec cela?
M. Brown: Je ne crois pas que ce soit une juste perception. Le sénateur Angus a parlé des commentaires de Pierre Godin, le nouveau président de la CBMQ. Je crois qu'il exprime le genre de mise en garde dont nous avons commencé à parler, et c'est que nous devons nous assurer de ne pas essayer d'imposer des règles qui sont logiques pour les grandes entreprises mais pas pour les plus petites. Je compte avoir une très étroite collaboration avec M. Godin, et nous avons suivi ces questions de près avec la Commission des valeurs mobilières du Québec.
Le sénateur Taylor: Comme je viens de l'Alberta et que je suis dans le milieu de l'exploitation minière et pétrolière depuis plus d'un demi-siècle, il est évident que j'ai beaucoup traité avec diverses compagnies de valeurs mobilières et avec différents échanges dans tout le Canada. On ne sait plus vraiment où donner de la tête, parfois, parce que les États-Unis, comme vous le savez, a un régime réglementaire centralisé, et il en est de même pour le Royaume-Uni, à moins qu'ils aient finalement permis à l'Écosse et au pays de Galles de créer leur propre Commission des valeurs mobilières. Cependant, je ne crois pas qu'ils soient si fous.
Quels travaux ont été réalisés ou entrepris entre les provinces, votre commission et d'autres en vue de définir une norme nationale pour le Canada? La confiance des investisseurs pourrait être encouragée s'ils savaient qu'il y a un organe national qui les protège, au lieu de la situation telle qu'elle est maintenant. Actuellement, je crois, vous encouragez en quelque sorte l'exploitation d'une commission des valeurs mobilières après une autre.
Je me souviens d'il y a de nombreuses années, alors que j'errais d'une province à l'autre pour tenter de trouver ce que je pourrais arriver à faire passer, et je l'admets, mais d'autres ne l'admettraient pas. Y a-t-il des travaux en cours dans ce sens là, parce que je crois que si nous ne le faisons pas, il y aura beaucoup de pressions, à cause d'Enron, sur le gouvernement du pays pour qu'il commence à se mêler de ce qui, jusqu'à maintenant, était considéré comme l'affaire des provinces. Que faites-vous actuellement pour uniformiser le règlement dans tout le pays?
M. Brown: L'harmonisation de la réglementation entre les commissions des valeurs mobilières est désormais notre plus grande priorité. Nous avons un projet, qui est bien avancé, pour créer une loi uniforme sur les valeurs mobilières, que nous espérons voir entrer en vigueur dans toutes les provinces.
Puisque nous parlons du projet, nous avons été, nous-mêmes, assez désarçonnés de voir à quel point les lois s'étaient éloignées les unes des autres. Cependant, nous parvenons petit à petit à les harmoniser. C'est une très grande priorité.
Dans le cadre de l'examen des questions que nous étudions actuellement relativement à la confiance des investisseurs, nous avons discuté, par l'entremise de notre organisation nationale, l'ACVM, pour Autorité canadienne en valeurs mobilières, de tous ces enjeux. Certains de ces projets deviendront des projets nationaux et seront réalisés par des comités dans tout le pays. D'autres désigneront une province ou plusieurs pour en assumer la direction. Nous espérons que, si nous traitons de ces enjeux, ce sera à l'échelle nationale et non pas province par province.
Le sénateur Taylor: Je suis heureux de l'entendre. Je pense que c'est un grand pas dans la bonne direction. Je me rappelle l'époque où la Commission des valeurs mobilières ne répondait même pas aux lettres d'autres, alors il est de vous entendre au moins parler de vous entretenir par téléphone.
La deuxième chose concerne le comité de vérification. Je vois dans le document que le comité de vérification doit être indépendant de la direction. Cependant, c'est rêver en couleurs, à mon avis, parce que les comités de vérification sont généralement désignés par le conseil d'administration et celui-ci, à son tour, représente la direction. Je pense que vous avez là un cercle incestueux. Je ne crois pas que le vérificateur sera plus indépendant s'il relève d'un comité de vérification qu'il ne l'est dans la situation actuelle. Il pourrait être directement désigné par le chef de direction, qui est aussi l'un des gros actionnaires.
Avez-vous regardé le système? Je crois avoir vu quelque chose, dans mes documents de promotion de l'exploitation minière, un article qui disait que, dans un cas, les noms de toutes les compagnies de vérification avaient été mis dans un chapeau et que la Commission des valeurs mobilières avait tiré un nom au hasard deux bons mois avant que le rapport annuel doive être déposé, et ainsi il n'y avait aucun moyen que le vérificateur puisse être influencé par la direction, que ce soit directement ou indirectement. Avez-vous réfléchi à l'idée des noms dans le chapeau par opposition à celle du comité de vérification?
M. Brown: Je dois dire que c'est la première fois qu'une loterie de vérification nous est suggérée. Non, nous n'y avons pas songé.
Pour revenir à ce que vous disiez auparavant, je crois vraiment que ce qui se passe aux États-Unis, et même à voir la façon dont les forces du marché poussent les compagnies, ici, au Canada, c'est que les compagnies prendront au sérieux la nécessité d'avoir des gens indépendants à leur conseil d'administration, des gens vraiment indépendants de la direction, prêts à poser des questions difficiles à la direction. Ce sont ces gens-là qui, à notre avis, devraient composer le comité de vérification, pour que lorsqu'ils traitent avec le vérificateur, ce soit de façon indépendante de la direction et beaucoup plus en tant que représentants des actionnaires.
Le sénateur Taylor: Je serais d'accord avec vous si je pouvais trouver des administrateurs indépendants. Cependant, je me demande comment vous allez pouvoir trouver une compagnie qui désignera des administrateurs indépendants. Une fois qu'ils sont désignés, ils ne sont plus indépendants. Si je désignais vos administrateurs et que vous désigniez les miens, c'est là que je les considérerais indépendants.
M. Brown: Je crois que c'est un problème en soi.
Le sénateur Taylor: Je crois que c'est rêver en couleur.
Poussons un peu plus loin, à propos de la vérification, car le sujet me chicote énormément. Aux nombreux conseils d'administration où j'ai siégé, les vérificateurs étaient — et je n'aime pas utiliser le mot «cancer» — comme le chameau dans la tente de l'Arabe: une fois qu'ils y mettent le nez, ils veulent faire une étude, puis une autre, et embaucher un expert-conseil en gestion, et cetera, et cetera. On ne peut plus les arrêter. Est-ce que vous allez prévoir une espèce de règlement disant qu'un vérificateur est un vérificateur et qu'il ne doit pas se faire spécialiste de quoi que ce soit d'autre, ou préparer d'autres rapports pour l'entreprise?
M. Brown: Je vous inviterais à poser la question à M. Smith, qui doit me succéder devant vous.
Le sénateur Taylor: Je ne tiens pas à le prévenir à l'avance.
M. Brown: Je l'ai regardé, et il m'a semblé se tortiller sur sa chaise.
Les règles d'indépendance des vérificateurs que l'ICCA a distribuées pour commentaires, et qui suivent de près ce qui est arrivé aux États-Unis, sont conçues en grande partie pour contrer exactement le genre de chose dont vous parlez. C'est pour s'assurer que les autres rapports que le cabinet de vérification entretient avec l'entreprise ne peuvent pas miner l'indépendance du vérificateur et sa capacité d'avoir un regard réellement objectif sur les états financiers.
Le sénateur Taylor: Voulez-vous dire qu'ils ne peuvent pas faire une vérification pour vous dire combien vous avez eu raison de les embaucher l'année d'avant?
Le sénateur Di Nino: Bienvenue, messieurs.
La tâche dont vous vous êtes chargés sera certainement difficile, tout comme elle l'est pour ce comité. Cependant, au bout du compte, je crois que nous parlons de gouvernance responsable.
En ce qui concerne la gouvernance responsable, à ce que je peux voir, les problèmes sont survenus dans deux domaines. Le premier, c'est la fraude et la criminalité. Je ne suis pas sûr que vous serez capable d'attraper ces gens-là, parce qu'ils semblent avoir un pas d'avance sur la loi. Le deuxième domaine dont nous n'avons pas beaucoup parlé, c'est celui de la compétence. Qu'il s'agisse de gouvernance, ou de gouvernance au sein du comité de vérification, ce qui me préoccupe, c'est que ces gens-là seront choisis parmi un bassin limité de candidats et que les membres du conseil d'administration auront été invités par la direction ou les propriétaires à participer à ce choix. Pourriez-vous parler de la manière dont nous pourrons nous assurer qu'il y a la compétence, au sein de ce comité de vérification, pour pouvoir définir une gouvernance responsable?
M. Brown: Nous n'avons pour l'instant traité que de quelques-unes des nombreuses dispositions entrées en vigueur avec la Loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis. Il y a d'autres dispositions, dans cette loi et dans les règles de la bourse de New York, qui traitent de la nécessité d'avoir un comité des désignations du conseil d'administration composé d'administrateurs indépendants. Au Canada, les lignes directrices de la Bourse de Toronto disent bien aussi que la meilleure pratique serait qu'un conseil d'administration ait un comité des désignations.
Je crois que la plupart des grandes entreprises enlèvent soustraient l'élection des administrateurs des fonctions de la direction pour en charger un comité des désignations indépendant de la direction. Celui-ci crée un profil du conseil. Il détermine quelles compétences sont nécessaires pour être en mesure de faire face aux enjeux que la compagnie est susceptible de connaître. Ensuite, il essaie de trouver les gens qui possèdent ces compétences. Ainsi, si les entreprises font cela et réussissent dans cette démarche, elles auront un bien meilleur bassin où choisir des gens pour le comité de vérification et certains des autres.
Une des choses sur lesquelles nous n'avons pas encore porté notre attention, ce sont ces autres dispositions qui font le complément du genre de mesures dont vous parlez, ou qui les étayent.
Le sénateur Di Nino: Quand vous parlez de dispositions, est-ce que vous parlez de dispositions de la loi, ou de règlements quelconques pour créer la responsabilité fiduciaire?
M. Brown: Non. La responsabilité fiduciaire est déjà prévue dans la loi. Il s'agit de dispositions de gouvernance d'entreprise que la Bourse de Toronto a déjà déclaré être des pratiques exemplaires. Les compagnies doivent rendre compte de leurs observations ou du manquement à l'observation de ces pratiques exemplaires. L'une des choses sur lesquelles la Bourse nous offre de l'aide, c'est pour déterminer si certaines de ces pratiques devraient être changées en exigences exécutoires ou si nous pouvons nous contenter de les laisser comme pratiques exemplaires.
Le sénateur Di Nino: Ma dernière question porte sur la séparation des responsabilités. Il y a eu des discussions, à propos du président qui ne serait pas membre de la direction et qui aurait des responsabilités distinctes de celles du chef de la direction. Avez-vous des commentaires ou des observations à faire là-dessus?
M. Brown: Nous n'avons pas encore porté notre attention sur le sujet, monsieur le sénateur. Nous avons vu certaines statistiques qui indiquent un pourcentage beaucoup plus élevé au Canada qu'aux États-Unis d'entreprises où les rôles de président et de chef de direction sont distincts. Mais nous n'avons pas encore examiné la question. C'est l'un des enjeux qui ressort des nouvelles exigences des États-Unis, et il est ressorti de temps à autre à l'occasion d'autres analyses sur la gouvernance qui ont été réalisées au Canada. Cependant, nous n'avons pas encore déterminé notre position sur ce plan.
Le sénateur Cordy: Lorsque le Canadien moyen lit le journal et voit ce qui se passe, le fait que ce soit aux États-Unis ou au Canada se brouille dans sa tête. Il voit seulement ce que les compagnies ont donné à leur chef de direction et dirigeants. Je suis d'accord avec vous que nous devons restaurer la confiance et dire aux gens que le Canada est un endroit sûr où investir. Cependant, lorsque le Canadien moyen voit les avantages indirects que certains ont tirés, que ce soit des fêtes d'anniversaire, des articles coûteux ou des salaires exorbitants, ils sont ébahis par ce que ces gens-là ont reçu.
Vous avez dit que vous pensez que ce sont des gens bien intentionnés. Je le crois aussi. Cependant, je crois qu'il y a eu beaucoup de cette espèce de raisonnement, où des cadres supérieurs disent «si ça peut se faire dans les autres compagnies, c'est bon pour moi aussi». Il y a presque eu un effet de boule de neige, avec des cadres supérieurs qui se mettaient dans cette situation-là.
Comment légiférer un comportement éthique? Je ne suis pas sûre que cela soit possible. Vous avez parlé de lignes directrices. Est-ce que c'est vraiment ce qu'on peut faire de mieux? Actuellement, je ne crois pas que ce genre de chose puisse arriver, mais qu'est-ce que ce sera dans 10 ans, ou 15 ans? Comment allons-nous y faire face? Que pourrons- nous faire exactement?
M. Brown: Le comportement éthique a déjà fait couler beaucoup d'encre. On a parlé de «raffermissement au sommet». Je pense qu'il est impossible de légiférer ou de réglementer le comportement éthique. Si nous voulions le tenter, nous essuierions un échec humiliant.
Ce que je pense que nous pouvons faire, par contre, c'est voir les incitatifs que comporte le système et nous assurer qu'il n'encourage pas les gens à agir de façons que vous et moi jugerions inacceptables. Nous pouvons aussi examiner les mesures d'équilibre que comporte le système pour nous assurer qu'elles suffisent pour faire en sorte que ceux qui ont le pouvoir de prendre ces décisions dans l'entreprise sont supervisés par d'autres qui peuvent avoir sur la situation une perspective indépendante.
C'est l'idée générale d'une grande partie de ce que nous essayons de faire ici. Nous tentons de recenser ces incitatifs non appropriés ou même pervers pour nous assurer de les éliminer du système, et ensuite de faire en sorte que le mécanisme de freins et de contrepoids fonctionne.
Le sénateur Cordy: Je suis d'accord qu'on ne peut légiférer là-dessus. Est-ce que nous présentons ce genre de lignes directrices, en gardant l'espoir qu'elles se maintiendront au fil des ans?
M. Brown: Si vous permettez, monsieur le sénateur, l'autre aspect de notre système, qui est très important, vise à nous assurer que les investisseurs sont bien renseignés et comprennent très bien ce qui se passe, aussi. En particulier, dans le cas de la rémunération des cadres, nous devons veiller à ce que la rémunération soit communiquée, que les investisseurs la comprennent, qu'il n'y a aucun élément caché et que les investisseurs peuvent eux-mêmes déterminer s'ils veulent investir dans une compagnie qui rémunère ses cadres d'une certaine façon.
Comme vous le savez peut-être, il y a eu un grand débat sur l'utilisation des options d'achat, et si leur traitement comptable a révélé le coût réel de ces options d'achat pour la compagnie, d'une manière qui puisse être comprise. Les responsables de la détermination des normes comptables examinent cette question; et au Canada, les responsables des normes comptables ont présenté ou sont sur le point de présenter une proposition visant à exiger que les options d'achat soient déclarées comme une part du revenu.
Le sénateur Cordy: Est-ce qu'ils envisagent aussi d'imposer une règle qui forcerait les cadres à attendre un certain temps avant de pouvoir exercer leurs options d'achat? Parce que beaucoup d'actionnaires ont perdu de fortes sommes pour se rendre compte ensuite que les chefs de direction, eux, avaient encaissé leurs options d'achat.
M. Brown: Ce n'est pas encore dans les mesures législatives ou les règles, pour l'instant. La coalition de grands investisseurs institutionnels a des points de vue très fermes sur la structure des plans d'option d'achat, et ils la font connaître. Ils disent clairement que, si les plans de la direction n'ont pas le genre de caractéristiques dont vous parlez, ils voteront contre eux. Ces initiatives commencent à avoir des répercussions assez considérables au sein des entreprises du Canada.
Le vice-président: Monsieur Brown, vous êtes pour nous un témoin très important, ici, et je sais que certains sénateurs voulaient vous poser plus de questions.
Le sénateur Prud'homme: Vous avez mentionné à plusieurs reprises le nom de M. Godin. Je dois admettre que je suis nouveau à comité, parce que je pensais que mon expertise était dans un autre domaine. Cependant, j'apprendrai.
Je n'aime pas ces différences d'opinion qui sont exprimées sur les commissions des valeurs mobilières. Je reconnais aussi qu'il y a des gens qui cherchent le point faible au Canada. Comment pouvons-nous composer avec le fait qu'ils auront M. Godin au Québec? Vous avez une nouvelle tâche à accomplir. Est-ce que vous allez collaborer étroitement? Il n'est pas nécessaire de mettre dans la loi que vous devez collaborer étroitement avec lui.
Serait-il bon que le président le convoque pour témoigner ici, puisqu'il a été cité à deux ou trois reprises, pour savoir où ils en sont?
M. Brown: Je peux vous dire que nous collaborons étroitement. Son prédécesseur, Carmen Crepin, et moi-même, nous nous sommes entretenus par téléphone plus d'une fois par semaine, et nous nous sommes rencontrés plus d'une fois par mois tandis que nous travaillions à réglementer ces marchés. Les marchés de l'Ontario et du Québec sont très interreliés. De nombreuses compagnies qui sont enregistrées à la Bourse de Toronto ont leur siège au Québec, alors la coordination entre nos deux commissions est assez solide.
Pour ce qui est de M. Godin, je peux vous dire qu'il ne prend ses fonctions que lundi. Peut-être aura-t-il besoin d'un peu de temps pour s'adapter avant de comparaître devant votre comité.
Le sénateur Angus: Bon nombre des réformes que vous proposez, et que contient la Loi Sarbanes-Oxley, portent sur la reddition des comptes et l'indépendance, pour protéger les actionnaires contre un comportement non approprié. J'ai lu la Loi Sarbanes-Oxley et le règlement. Je trouve que la définition de l'indépendance, lorsqu'il s'agit d'un membre de comité de vérification, ou d'un comité de ressources humaines, ou même d'un membre de comité de gouvernance, est assez vaste. C'est presque impossible à trouver. Je siège à un conseil d'administration où nous sommes treize administrateurs, et si vous appliquez absolument à la lettre les dispositions de la Loi Sarbanes-Oxley, 11 de nos 13 administrateurs ne sont pas indépendants, et pourtant, je pense que quiconque appliquerait le test du Canadien raisonnable dirait qu'ils sont tous indépendants.
Est-ce que vous pourriez commenter cela? Aurons-nous un problème au Canada à trouver des administrateurs si nous imposons par la loi un test comme celui de la Loi Sarbanes-Oxley?
M. Brown: Il est clair que si nous lançons un filet trop ample, nous aurons un bassin d'administrateurs tellement limité que nous ne réussirons pas. Je suis d'accord avec vous.
C'est un autre enjeu sur lequel nous devons réfléchir soigneusement pour définir nos propres exigences dans le contexte canadien.
D'après moi, la partie la plus importante de la définition de l'indépendance est la véritable indépendance de la direction, afin que les administrateurs puissent prendre des décisions qui ne sont pas influencées par la direction, ni par le fait qu'ils reçoivent une rémunération dépendant d'autres gros contrats que la direction peut maintenir ou rejeter. Ce sont les éléments sur lesquels, à mon avis, nous devons nous concentrer.
Là où je n'ai toujours pas de réponse, et il nous faut beaucoup plus de participation des intéressés, c'est sur la façon dont nous pouvons composer avec le phénomène de l'actionnaire dominant, qui est beaucoup plus flagrant au Canada qu'aux États-Unis. D'un côté, un actionnaire dominant est un actionnaire et doit avoir les mêmes intérêts que les autres actionnaires, alors on penserait que ses intérêts sont les mêmes. D'un autre côté, le président d'une société mère a probablement embauché le président de la société auxiliaire cotée en bourse. Ainsi, il y a une relation très proche de la direction. Il nous faut trouver une réponse, quelque part, qui nous donne le degré requis d'indépendance sans priver de ses droits l'actionnaire dominant qui a investi beaucoup d'argent dans cette filiale.
Le sénateur Kroft: Nous avons eu l'occasion de parler très brièvement avant de commencer, et vous m'avez dit que les dispositions qui sont présentées aujourd'hui proposent pour la première fois des recours civils. La question que j'ai à vous poser, qui ouvre la porte sur un domaine très vaste et très intéressant, est la suivante: croyez-vous que la possibilité de recours civil donnera un peu de mordant et un peu d'intérêt à la certification par les chefs de direction et agents financiers? Avec cela, il y a la question de l'utilisation d'exemples. Les États-Unis semblent croire, en matière d'effet sur la confiance dans le marché, qu'il y a une certaine utilité à créer des exemples et à laisser voir que personne n'est hors de portée d'un recours.
Je vous laisse répondre à cela à votre guise.
M. Brown: L'exigence de certification par le chef de direction et l'agent financier, aux États-Unis, a été présentée dans le contexte d'un solide mécanisme de recours civil aux États-Unis. Lorsque nous avons commencé à parler de certification par le chef de direction et l'agent financier au Canada, nous n'avions rien ici qui ressemble de près ou de loin à ce type de mécanisme. Avec la présentation, ce matin, d'une loi, en Ontario, qui prévoira des recours civils pour les actionnaires, la certification par le chef de direction et l'agent financier deviendra un instrument beaucoup plus valable pour simuler la confiance des investisseurs entre autres, mais elle fera aussi qu'il sera plus important que la certification soit correcte, que les cadres prennent les mesures nécessaires pour s'assurer que ce qu'ils disent est, au mieux de leurs connaissances, exact.
Rien ne permet de croire que ce sera une responsabilité absolue — que si le chef de direction ou l'agent financier se trompe et fait une erreur innocente ou se trompe pour des raisons hors de son contrôle, qui en sera responsable. Le but visé, ici, c'est qu'ils exposent la situation telle qu'elle est, au mieux de leur connaissance.
En concevant le mécanisme de recours civil au Canada — et c'est quelque chose sur quoi toutes les commissions des valeurs mobilières du pays se sont entendues, c'était dans un projet de l'ACVM — nous avons voulu prévoir certaines mesures de protection, dans le système canadien, afin que certains des abus auxquels nous avons assisté aux États-Unis ne puissent survenir au Canada. Nous sommes convaincus que les mesures prévues nous donnent des possibilités de recours civils qui auront un effet dissuasif, mais qui ne permettront aucun des abus et des excès que nous avons vu survenir aux États-Unis.
Le sénateur Taylor: Au sujet des options d'achat, un point qui m'intrigue est le fait que les options d'achat sont fixées d'après la valeur des actions seulement. Cela fait qu'il peut y avoir un cadre qui fait un gain fantastique parce que le marché a été en hausse, malgré le fait que les profits de l'entreprise ont baissé. Vous vous rappelez peut-être que lorsque la cote des banques est passée de faible à élevée, tous les présidents de banque ont pris leur retraite, et pourtant les gains des banques étaient faibles. Est-ce que des travaux ont été faits pour lier les options d'achat non seulement au prix, mais aux profits de l'entreprise aussi, afin que les dirigeants ne puissent pas de s'enrichir à l'occasion d'une tendance générale à cause de la hausse du marché, tandis que la compagnie est en piètre situation?
M. Brown: Peut-être des travaux ont-ils été faits en ce sens par des adeptes de la gouvernance d'entreprise, ou même par des investisseurs institutionnels qui ont des points de vue bien fermes sur ces questions. Néanmoins, ce n'est pas le genre de questions que nous jugeons d'ordre réglementaire. Pour nous, c'est l'affaire des conseils d'administration qui, nous l'espérons, tiennent compte des meilleurs intérêts de l'entreprise et de ses actionnaires dans toutes les décisions qu'ils prennent. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous pensons qu'il nous faut nous assurer que les mécanismes régulateurs et les incitatifs sont appropriés pour que les conseils d'administration et, de fait, les comités de conseils d'administration qui sont indépendants de la direction, puissent prendre ses décisions sans qu'il y ait de conflit d'intérêt inhérent. En tant qu'organe de réglementation, nous pensons que c'est une bien meilleure façon pour les entreprises du Canada de croître et de prospérer plutôt que de nous asseoir à la table du conseil d'administration.
Le vice-président: J'ai une question à poser qui revient sur votre hypothèse originale que les auteurs de ces actes qui nous préoccupent sont bien intentionnés.
M. Brown: Je crois avoir dit «pour la plupart», sénateur.
Le vice-président: Il me semble, pourtant, qu'il y a une espèce d'exubérance rémunératrice, un comportement scandaleux, ou même du vol et de la fraude flagrants. C'est le genre de choses qui ont préoccupé le marché. Comment, avec toute la réglementation du monde, pouvons-nous mettre fin au vol et à la fraude? Les autres choses étaient toutes publiques, de toute façon. Les analystes, et tout le monde qui participait au système, n'ont tout simplement pas rapporté ces choses. Le problème n'est pas seulement une question de comportement des chefs de direction et des conseils d'administration, mais le fait que l'information existait, et que personne ne l'a communiquée. Vous pouvez faire tous les règlements que vous voulez et faire toutes les compagnies qui n'ont rien à voir là-dedans, de bonnes compagnies, tout d'un coup payer d'énormes sommes parce que quelques personnes se sont retrouvées en prison. Comment empêcher cela? Peut-être devrions-nous augmenter les peines d'emprisonnement. Comment cela changera-t- il quoi que ce soit?
M. Brown: Tout d'abord, nous devons punir les délits de vol et de fraude. Nous devons trouver ces gens et les punir. C'est l'une des raisons pour lesquelles je crois que les mesures législatives qui ont été annoncées aujourd'hui sont aussi importantes pour nous. Elles nous donnent les outils qui sont nécessaires pour faire ce genre de chose.
En outre, les autres remèdes dont nous parlons visent à donner aux sociétés, aux administrateurs et aux autres responsables du contrôle de la qualité les outils nécessaires pour s'occuper des problèmes qui se présentent, dans l'espoir qu'on pourra à tout le moins les déceler avant qu'ils ne deviennent trop lourds de conséquences.
Monsieur, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il ne nous sera pas possible, par voie de règlement, d'éliminer complètement la possibilité de fraude. Je pense, cependant, que nous pouvons réduire l'incidence de la fraude et la limiter du mieux possible.
Le vice-président: Merci beaucoup, messieurs. Cette heure 15 minutes a été très intéressante. Merci d'être venus nous rencontrer.
Je vais maintenant inviter notre prochain témoin, M. David Smith, président-directeur général de l'Institut canadien des comptables agréés, à prendre la parole.
M. David Smith, FCA, président-directeur général, Institut canadien des comptables agréés: Merci de m'avoir invité de nouveau à participer à l'examen de la situation des régimes financiers national et international à la suite de la faillite d'Enron.
Après ma rencontre avec vous en juin ou juillet, nous avons connu un été chargé, c'est le moins qu'on puisse dire. Quand j'ai comparu devant vous en juin dernier, j'ai indiqué que la diminution de la confiance des investisseurs, depuis la faillite d'Enron et celle d'autres sociétés américaines, préoccupait beaucoup les comptables agréés du Canada. J'ai ajouté que nous travaillions en étroite collaboration avec les organismes fédéraux et provinciaux de réglementation, les cabinets de comptables agréés et d'autres intervenants pour renforcer le système d'information financière, de même que notre processus disciplinaire, le système d'inspection et les règles de déontologie de notre profession.
Rétablir la confiance des investisseurs et la réputation des marchés financiers reste toujours notre priorité absolue. Pendant l'été, nous avons poursuivi notre travail avec d'autres intervenants sur différents sujets. Je suis heureux de vous informer aujourd'hui des progrès réalisés dans plusieurs domaines, dont le contrôle de la qualité, les normes comptables et l'indépendance des vérificateurs.
Comme David Brown de la CVMO vous l'a dit tout à l'heure, le 17 juillet, nous avons annoncé l'une de nos plus importantes mesures, l'établissement d'un nouveau système de surveillance publique indépendante pour les vérificateurs de sociétés cotées. Les autorités canadiennes en matière de valeurs mobilières, le Bureau du surintendant des institutions financières et les comptables agréés du Canada en ont fait l'annonce conjointement. Cette mesure prévoit une inspection plus rigoureuse des vérificateurs de sociétés cotées, l'adoption de règles plus sévères sur l'indépendance et l'application de nouvelles normes de contrôle de la qualité pour les cabinets responsables de la vérification de ces sociétés.
Les nouvelles mesures seront mises en oeuvre par le Conseil canadien sur la reddition des comptes nouvellement créé. Comme on vous l'a dit, le président du Conseil sera nommé sous peu.
J'aimerais aussi signaler que les grands cabinets de comptables agréés du Canada ont librement convenu de mettre en oeuvre les nouvelles mesures de surveillance et de contrôle de la qualité, une fois le CCRC à l'oeuvre.
Pour ce qui est des normes comptables, un certain nombre de mesures importantes ont également été prises. Comme je vous l'indiquais en juin, le Conseil de surveillance de la normalisation comptable, organisme indépendant qui régit le Conseil des normes comptables, a élaboré un plan d'action pour s'attaquer aux problèmes que la faillite d'Enron a soulevés concernant les rapports comptables et financiers.
Après s'être réunis et avoir délibéré sur le sujet, les deux conseils ont publié au mois d'août deux ébauches de lignes directrices sur la consolidation des entités spéciales et la divulgation de garanties.
Le traitement accordé aux entités spéciales et aux garanties aurait eu une incidence dans la faillite d'Enron.
Comme on l'a déjà dit, la comptabilité des options d'achat d'actions est aussi une question controversée. Plus tôt ce mois-ci, le Conseil des normes comptables a décidé d'entreprendre un projet en vue d'exiger la constatation des charges rattachées à toutes les opérations de rémunérations à base d'actions consenties aux salariés. Ainsi, il ne serait plus nécessaire de présenter l'incidence sur les gains au moyen d'informations pro-forma, et le Conseil compte présenter sa proposition pour commentaires d'ici la fin de l'année.
La surveillance publique dont fait l'objet l'organisme qui établit des normes comptables doit également s'appliquer à l'organisme qui fixe les normes de vérification et de certification au Canada. La semaine dernière, nous avons annoncé la constitution du Conseil de surveillance de la normalisation en vérification et certification, qui fournira des informations, des orientations stratégiques et des documents pour l'établissement de normes canadiennes sur la vérification et la certification. Le Conseil, dont la majorité des membres ne seront pas des vérificateurs, sera présidé par James Bailey, éminent avocat spécialisé en droit commercial et ancien président de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario.
Enfin, nous comptons publier à la fin de novembre un document d'orientation final sur la préparation des rapports de gestion. L'ébauche du document a été publiée pour commentaires en décembre dernier, et la version définitive tiendra compte des consultations qui ont eu lieu depuis. Nous croyons qu'un bon rapport de gestion explique l'ensemble de la situation, et aide ainsi les investisseurs à bien comprendre l'entreprise, sa performance et ses perspectives d'avenir. Ce rapport doit aussi fournir d'autres indications permettant de comprendre et d'approuver les états financiers. Il peut également aider les administrateurs à connaître les activités de l'entreprise et à évaluer la pertinence des stratégies commerciales adoptées et les risques pris par les dirigeants. De plus, nous croyons qu'un meilleur rapport de gestion permet de réduire les coûts, de prendre de meilleures décisions financières et d'améliorer la gouvernance de l'entreprise.
J'aimerais maintenant vous parler de l'indépendance des vérificateurs, qui est un autre sujet important soulevé par l'affaire Enron. Comme je l'ai indiqué en juin dernier, les comptables agréés canadiens avaient déjà entrepris, avant même l'affaire Enron, d'élaborer des mesures pour renforcer l'indépendance des vérificateurs, ainsi qu'une nouvelle norme de certification exigeant des vérificateurs qu'ils communiquent avec les comités de vérification au sujet des questions liées à l'indépendance et qu'ils déclarent leurs honoraires pour des services autres que la vérification. En septembre, le comité sur l'intérêt public et l'intégrité de l'ICCA a publié l'ébauche d'une norme sur l'indépendance à l'intention des vérificateurs canadiens et des autres responsables de la certification. Il s'agit plutôt d'un énoncé de principes que d'une liste de règles précises. Ce document fournit des indications plus détaillées pour permettre de déceler ce qui peut menacer l'indépendance des vérificateurs, et il peut s'appliquer à diverses situations que peuvent rencontrer tous les vérificateurs, quelle que soit la taille des sociétés auprès desquelles ils travaillent.
Le nouveau projet de norme définit les menaces apparentes et réelles pour l'indépendance du vérificateur, de même que les mesures de protection qui peuvent être mises en place pour la protéger. Il précise également qu'il existe certaines activités pour lesquelles il n'y a pas de mesures de protection suffisantes, et il interdit par conséquent aux vérificateurs de fournir à leurs clients un certain nombre de services autres que de certification. D'après les principes formulés dans la nouvelle norme, les vérificateurs doivent s'assurer de préserver leur indépendance devant des menaces susceptibles de survenir du fait qu'ils fournissent une assurance sur leur propre travail, qu'ils tirent avantage d'intérêts financiers d'un client, qu'ils défendent une position ou une opinion exprimée par un client, qu'ils deviennent trop complaisants à l'égard des intérêts d'un client ou qu'ils sont intimidés par un client.
Dans ce cas, le contexte particulier au Canada tient compte des règles internationales et des règlements de fusion aux États-Unis une fois qu'ils sont connus. À l'ère de la mondialisation, il est dans l'intérêt de ceux qui veulent protéger la réputation des rapports sur les marchés financiers d'agir ainsi. Étant donné que les États-Unis, qui ont le plus important marché financier au monde, sont le principal partenaire commercial du Canada, il est proposé que les normes canadiennes continuent d'être aussi rigoureuses que les règles de la SEC.
Nous accueillons des commentaires sur le projet de norme sur l'indépendance des vérificateurs jusqu'à demain. Sous réserve des changements que des révisions effectuées par la SEC rendront nécessaires, la nouvelle norme sera confirmée de façon définitive plus tard cette année. Elle sera communiquée aux ordres provinciaux en vue de son adoption en 2003. Je signale également que les grands cabinets comptables du Canada ont librement consenti à mettre en oeuvre les nouvelles règles pour les prochaines vérifications des sociétés cotées, une fois le Conseil canadien sur la reddition des comptes à l'oeuvre, ce qui va accélérer les choses.
J'aimerais aussi signaler que, le mois dernier, l'Institut canadien des comptables agréés et l'Institut des administrateurs des corporations ont organisé un forum qui a eu beaucoup de succès. Le forum d'une journée, qui avait pour thème le leadership des comités canadiens de vérification, a réuni une centaine de dirigeants de grandes entreprises, de vérificateurs, d'avocats et de responsables de la réglementation du Canada, qui ont discuté de l'efficacité des comités de vérification après l'affaire Enron. Les deux présidents honoraires du forum étaient Claude Lamoureux, président-directeur général du Régime de retraite des enseignants de l'Ontario, et Richard Haskayne, président de TransCanada Pipelines.
Les participants au forum ont souligné qu'il était plus important que jamais que les conseils d'administration et les comités de vérification fassent preuve d'un leadership et d'une intégrité exemplaires, et qu'ils s'engagent à remplir leurs fonctions avec probité. Ils ont fait part de leurs commentaires sur l'ébauche d'une série de pratiques à l'intention des conseils d'administration canadiens et leurs comités de vérification. Une fois le document révisé en fonction de ces commentaires, il sera distribué aux conseils d'administration et aux comités de vérification, qui nous feront part à leur tour de leurs réactions. Par la suite, les meilleures pratiques à l'intention des comités de vérification du Canada seront mises à jour et distribuées dans l'ensemble du pays.
Pour finir, j'aimerais prendre le temps de revenir sur quelques-unes des leçons apprises au cours des 11 derniers mois. Même si les faillites d'Enron, WorldCom, Tyco et Global Crossing ont eu lieu chez nos voisins du Sud, les questions qu'elles soulèvent nous touchent tous. La tenue de vos audiences ainsi que beaucoup d'autres mesures, examens et rapports produits au Canada le montrent bien, et soulignent simplement comment ces événements ont trompé la confiance des investisseurs et les attentes du public.
Quand l'affaire Enron a commencé à faire les manchettes, une grande partie de la responsabilité a été attribuée aux vérificateurs. Avec le temps, on s'est rendu compte que c'était les systèmes — les méthodes de l'entreprise liées à la gouvernance — qui ont fait défaut. En fait, la gouvernance est un travail d'équipe qui fait appel aux conseils d'administration, aux vérificateurs, aux dirigeants, aux actionnaires et aux responsables de la réglementation.
Les comptables agréés du Canada prennent au sérieux la diminution de la confiance des investisseurs tout comme leur rôle en matière de gouvernance. C'est la raison pour laquelle nous sommes heureux de pouvoir, aujourd'hui, expliquer comment nous avons réagi et continuons de réagir aux préoccupations légitimes du marché.
Cette situation nous a appris un certain nombre de choses. D'abord, les mécanismes de surveillance, les normes et les règles doivent se conformer à la nouvelle réalité. C'est la raison pour laquelle nous avons pris des mesures pour veiller à ce que les normes et les principes régissant notre profession soient excellents. Nous avons aussi appris qu'il était important de travailler avec d'autres personnes concernées, comme les responsables de la réglementation, pour définir les problèmes et trouver des solutions, comme l'établissement du Conseil canadien sur la reddition des comptes qui a été annoncé en juillet.
Ce qui est encore plus important, c'est que nous nous sommes engagés davantage à protéger l'intérêt public ainsi qu'à maintenir et à gagner la confiance de la population. Personne ne sort gagnant des affaires Enron, Global Crossing ou WorldCom. Cependant, nous pouvons nous poser des questions difficiles, en tirer une leçon et apporter les changements nécessaires. Voilà ce que nous faisons au cours de ces audiences. C'est ce que les comptables agréés font depuis quelques mois et continueront à faire dans les mois à venir.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant votre comité aujourd'hui pour discuter des progrès que nous avons accomplis. Je répondrai volontiers à vos questions.
Le vice-président: Merci, monsieur Smith.
Le sénateur Angus: Monsieur Smith, je n'envie pas votre travail, et je vous félicite de l'ardeur avec laquelle votre profession a réagi à ce que certains appellent le «scandale Enron» et d'autres la «déconfiture d'Arthur Andersen». Ce fut un jour sombre pour votre noble profession, et il est simplement incroyable qu'une société comme celle d'Arthur Andersen puisse disparaître à la suite des délits commis. Même si ce sont les systèmes plutôt que les vérificateurs qui sont le point de mire, il reste que la profession comptable a été mise sur la sellette.
Comme je l'ai dit il y a un instant, je vous félicite du travail que vous avez accompli. La solution n'est pas facile à trouver. D'après le débat qui a cours, comment peut-on justifier que la profession continue de se régir elle-même?
Je suis avocat et nous sommes dans la même situation à bien des égards. Notre profession est autoréglementée. On l'apprécie, qu'on soit comptable ou avocat. Je continue de lire la documentation dans le domaine. Je suis fasciné par toute la question de la gouvernance à propos du rôle du comptable. Pourriez-vous nous en parler?
D'après certains observateurs, c'est un groupe de gens qui nomment leurs amis pour superviser. Cela peut ne pas fonctionner. J'ai appris avec plaisir la nomination de James Bailey, aujourd'hui. Je sais qu'il mettra l'accent sur la question de l'indépendance. C'est formidable, mais je pense que vous avez tout de même un petit problème de crédibilité.
M. Smith: J'accepte ce que vous dites. Une des raisons pour lesquelles nous avons réussi à surmonter ces difficultés jusqu'ici, c'est parce que nous avions déjà commencé à examiner la question de l'indépendance. Un bon nombre des initiatives dont vous entendez parler aujourd'hui ont été entreprises avant l'affaire Enron. Tom Allan qui préside le Comité de surveillance pour l'établissement des normes comptables est un exemple. Quand je suis entré en fonction l'autonome dernier, juste avant l'affaire Enron, je croyais que notre profession autoréglementée avait besoin, dans le nouveau contexte mondial, de se renouveler. Il faut pouvoir résister à l'examen de la surveillance publique. Des professionnels qui veulent se donner des normes ne confieraient pas cette tâche à quelqu'un de l'extérieur. Les médecins, par exemple, ne demanderaient pas à un profane d'établir les normes de la profession médicale. Les avocats aussi se fixeraient des normes eux-mêmes parce qu'ils connaissent leur domaine. C'est la même chose pour nous.
Nous rétablissons maintenant la situation en ajoutant la certification et en faisant en sorte que le Conseil canadien sur la reddition des comptes régisse les sociétés cotées. Je pense que nous respectons maintenant la nouvelle norme sur la surveillance. Nos règles sur l'indépendance vont peut-être même plus loin que ce qui est proposé aux États-Unis parce que le gouvernement nous influence beaucoup, comme vous le savez. Nos mesures découlent en partie du débat qui a eu lieu au Sénat, et le reste.
Nous sommes indépendants. Nous sommes financés par 68 000 CA. Le gouvernement pourrait nous financer, mais notre rôle changerait. Sur ces 68 000 comptables agréés, quelque 60 à 70 p. 100 ne font pas d'expertise comptable. Ils font bien d'autres choses. Ils travaillent dans des cabinets, dans l'industrie ou dans l'enseignement. Les activités de nos membres sont très variées.
Des gens nous critiquent, mais je pense que nous suivons les règles. M. Brown l'a fait remarquer quand il a parlé de l'indépendance tout à l'heure. Comme il a dit, nous respectons les normes internationales.
Le sénateur Kelleher: M. Brown est un homme redoutable. Il préside le conseil et il va veiller au grain, ce qui est une bonne chose. Il sera intéressant de voir ce qui se passe.
Je ne vais pas aborder la question délicate de savoir si les vérificateurs devraient donner des conseils fiscaux à leurs clients, ce qui nous ramène à la question de l'indépendance, et je sais qu'on en discute.
Un sujet qui revient souvent ici porte atteinte, je pense, à la crédibilité de la profession. Notre économie est étroitement liée à celle de nos voisins du Sud et, pourtant, les PCGR du Canada et ceux des États-Unis sont tellement différents et paraissent tellement irréconciliables que cela en est ridicule. Des témoins ont donné des exemples de compagnies fondées sur les PCGR des États-Unis qui ont perdu de l'argent et indiquaient que, en se fondant sur les PCGR canadiens, il y avait des gains de 100 millions de dollars.
Un organisme de normalisation internationale est probablement la meilleure solution. Pourriez-vous nous en parler, parce que je pense que ces différences ébranlent la confiance du public?
M. Smith: C'est faux de croire que la comptabilité est différente au Canada et aux États-Unis. Il y a des résultats différents quand l'industrie est fortement réglementée, qu'il s'agisse de l'assurance ou d'autre chose, quand les règles varient. Ce n'est pas tellement une question de principes comptables. Nos règles comptables sont différentes de celles des États-Unis et c'est pourquoi on se retrouve avec quelques différences.
Nous devrions viser une seule norme. Je trouve d'ailleurs encourageante l'annonce qu'ont faite récemment David Tweedie, du Conseil des normes comptables internationales, et Bob Hertz, de FASB, aux États-Unis. En effet, ils ont signé une lettre d'entente signalant leur intention d'adopter une norme comptable internationale et de réconcilier leurs différences. Comme ce sont deux «piliers», s'ils y arrivaient, nous pourrions viser une norme internationale applicable partout dans le monde d'ici cinq ans. Chose certaine, en tant que comptables agréés, nous accueillerions cela très favorablement.
Comme vous l'avez mentionné, notre principal partenaire commercial, les États-Unis, n'est pas aligné sur les normes comptables internationales, ce qui n'est pas sans causer des difficultés. Cependant, je suis optimiste à ce sujet.
Le sénateur Angus: Ce sont de bonnes nouvelles. J'espère que cela se fera avant cinq ans car il y va de la confiance des investisseurs. La situation actuelle sème la confusion chez les investisseurs.
M. Smith: J'ajouterai que M. Tweedie et M. Hertz ont déclaré qu'il leur serait possible d'harmoniser certaines questions assez rapidement, mais tout cela s'inscrit dans un contexte international. Le but est de faire en sorte que tout soit harmonisé d'ici cinq ans. S'ils pouvaient effectivement gommer certaines des principales différences, cela nous serait utile à tous, sans compter que cela contribuerait à restaurer la confiance des investisseurs.
Le sénateur Angus: C'est formidable. Ne lâchez pas.
Le sénateur Kroft: J'aimerais mettre l'accent sur une question en particulier qui ne relève pas directement de votre ressort mais qui revêt beaucoup d'importance pour vous. Je parle du comité de vérification, qui fait en quelque sorte le lien entre les champs de la comptabilité et de la gouvernance. Si cet organe clé ne fait pas son office, c'est tout le système qui est ébranlé.
Votre engagement et la liste de vos réalisations sont certes impressionnants. Comme vous l'avez mentionné, bon nombre de ces initiatives remontent à un certain temps déjà, mais il est remarquable que vous ayez pu cocher autant de choses sur votre liste. De toute évidence, l'harmonisation des normes américaines et internationales est maintenant prioritaire.
Pour en revenir au comité de vérification, je voudrais poser une question d'ordre général. Compte tenu du défi que posent les questions de compétence et les rapports difficiles entre la direction et le comité de vérification, sans compter tous les autres problèmes que nous connaissons bien, je vous invite à nous dire dans quelle mesure cet organe est équipé pour jouer son rôle. Vous pouvez tout faire à la perfection, mais si cette entité ne fonctionne pas comme il se doit, c'est un maillon de la chaîne qui manque. Pouvons-nous parler des comités de vérification?
M. Smith: Comme je l'ai dit tout à l'heure, nos efforts pour raviver la confiance dans ces marchés n'iront pas loin à moins que l'équipe qui produit ces résultats collabore et ce, en fonction de rôles bien définis. Le débat actuel, qui est nécessaire, est fort utile pour assurer cette définition des rôles.
Deux choses se passent. J'ai eu énormément de discussions avec les membres de comités de vérification. J'en connais plusieurs personnellement en raison de mon expérience antérieure. Au colloque dont j'ai parlé, nous avons accueilli une centaine de dirigeants de diverses sociétés canadiennes, petites et grandes. Nous allons publier un rapport sur cette rencontre, mais je peux vous expliquer brièvement ce qui s'est passé. Nous avons constaté un changement d'attitude en ce sens que les participants ont compris qu'ils doivent être indépendants et qu'ils avaient certaines responsabilités. Ils sont ouverts à l'idée qu'il y ait un débat sur la nécessité de les assujettir à une loi. Il y a eu consensus quant au fait qu'ils ont certaines responsabilités.
L'un des arguments soulevés plus tôt, au cours de l'intervention de M. Brown, portait sur la formation et sur la capacité des dirigeants en question d'assumer ce rôle. Nous collaborons avec l'Institut des directeurs d'entreprise, que nous finançons en tant que profession, car nous estimons qu'il est important d'offrir des cours concernant la direction et le comité de vérification. Ainsi, ils peuvent acquérir les compétences nécessaires pour jouer un pareil rôle, compétences qui ne sont pas transmises d'une génération à l'autre dans le nouvel environnement qui est le nôtre.
Je pense que tous les comités de vérification qui fonctionnent aujourd'hui, sans le bénéfice du changement de règles, confèrent certainement avec leurs vérificateurs et remettent en question leur indépendance. Chose certaine, ils discutent beaucoup plus en détail avec la direction au sujet du débat sur les principes comptables qui a eu lieu avant la préparation de ces énoncés. Autrement dit, les choses bougent.
Est-ce suffisant? Je pense que nous devons être vigilants car on s'interroge sur la teneur des lignes directrices. Comme vous le savez, il est possible qu'elles suscitent une réaction excessive. Il se peut également que l'on se retrouve dans une impasse parce qu'on ne veut pas prendre de risque. Cette attitude peut, elle aussi, ruiner un marché financier. L'une de mes plus grandes inquiétudes, c'est que nous en fassions trop et que nous nous retrouvions avec un marché tellement encadré qu'il étouffe les entrepreneurs. Nous ne serions pas en mesure de voir les sociétés minières du passé se développer, pour reprendre l'exemple que nous avons donné plus tôt.
À mon avis, nous sommes en présence d'un changement de culture. Chacun commence à comprendre quel est son rôle. Je pense qu'il y a des défis à relever sur le plan de l'éducation. Nous devons nous assurer que les rôles sont bien définis. Les réunions entre la direction, les vérificateurs et les comités de vérification ne doivent pas être de pure forme. Nous avions coutume de traiter de questions de fond lors de telles réunions.
Certaines choses que nous avons annoncées et certaines initiatives dont David a parlé aujourd'hui feront beaucoup pour les encourager en ce sens. En l'absence de tels liens, vous avez raison de dire que tous nos efforts seraient vains. Nous ne pourrions y arriver. Nous ne pourrions pas légiférer ni réglementer le domaine.
Le sénateur Kelleher: Ma première question, qui a été abordée par notre témoin tout à l'heure, porte sur l'équilibre. Il est admis qu'un équilibre est nécessaire entre les grandes sociétés et les sociétés à petite capitalisation. J'aimerais discuter pendant un moment des problèmes de comptabilité et de vérification de ces deux entités. Votre association est- t-elle d'avis qu'une règle unique ne saurait faire l'affaire? Si tel est le cas — ce que je pense —, comment entendez-vous régler cette situation et les problèmes qui en découlent?
M. Smith: Je suis d'accord avec vous, une règle unique ne convient pas à toutes les entreprises, particulièrement dans un pays aussi diversifié que le nôtre. C'est impossible.
Lorsqu'on parle de la mesure Sarbanes-Oxley, on nous demande si nous sommes prêts à y adhérer et à l'appliquer intégralement aux sociétés publiques canadiennes. Je pense que lorsque les responsables tenteront d'élaborer des règlements adaptés à Sarbanes-Oxley, ils constateront que cela leur pose les mêmes défis qu'à nous. Cela s'applique à toutes les sociétés publiques, même les petites compagnies inscrites au Bulletin Board Exchange aux États-Unis. Il y a peut-être un bassin de directeurs plus grand, mais il n'en demeure pas moins que c'est coûteux de le faire. Bon nombre de petites sociétés ont été emportées par la vague, et elles doivent faire face à ce problème. C'était là une observation personnelle. Et même s'ils ne le font pas, nous devons régler la question à l'échelle du pays.
Il faut comprendre qu'il y a environ 5 000 entreprises au Canada, dont au moins 2 000 sont très petites. Par conséquent, nous ne pouvons les assujettir aux mêmes règles que les top 50.
Certains principes s'appliquent à tous, certains principes d'indépendance, notamment l'indépendance des conseils d'administration vis-à-vis de la direction, car nous devons protéger l'intérêt public. La population a investi dans ces entreprises, et il nous faut en tenir compte.
L'un des défis que nous devons relever — c'est le même qui se posait au témoin précédent, et nous allons examiner les données —, c'est de réunir les données sur la composition des petites entreprises qui seraient touchées par cette vague. Ont-elles des administrateurs indépendants à l'heure actuelle? Possèdent-elles un comité de vérification indépendant, et ainsi de suite? Nous avons rendu public notre ébauche de document sur les critères d'indépendance. Nous avons reçu bon nombre d'opinions sur la façon dont il convient de traiter les petites entreprises. Le comité devra en discuter et tenter de trouver un équilibre entre la protection de l'intérêt public et le risque d'étouffer les petites sociétés.
Cela s'applique à certains principes comptables qui exigent une divulgation intégrale de très grandes sociétés publiques, et cetera.
Face à une nouvelle norme internationale, on se dit: «Nous faisons les choses autrement ici. Comment pouvons- nous adopter ce principe et l'appliquer chez nous sans étouffer l'esprit d'entreprise dont nous avons tant besoin sans entraver le bon fonctionnement des marchés financiers?»
J'ignore si ma réponse vous sera d'une quelconque utilité étant donné son caractère décousu. Cela dit, nous étudions cela de près car c'est une question primordiale.
Le sénateur Kelleher: C'est très utile.
Voici ma dernière question. David Brown nous a parlé de la nouvelle loi qui sera présentée. Elle sera nécessairement assortie de règles et de sanctions, notamment d'amendes et de peines d'emprisonnement. Tout comme vous, je suis issu d'une profession autonome. Je suis avocat, comme mon confrère le sénateur Angus. J'ai écouté avec attention tous les détails concernant ces conseils et comités de surveillance. Il y a un comité de surveillance du Comité de surveillance. Cependant, ces entités ont-elles quelque pouvoir que ce soit? Autrement dit, qu'arrive-t-il à un «mouton noir» qui serait vérificateur?
M. Smith: Nous avons parlé de trois conseils. Deux d'entre eux veillent à l'élaboration de normes au pays. Le premier se spécialise dans le domaine de la comptabilité, l'autre dans celui de la vérification ou de l'assurance, selon le terme que vous préférez. Ce ne sont pas des organes d'application, mais d'élaboration.
C'est le Conseil canadien sur la reddition de comptes qui veille à l'observance des règlements de la part des firmes qui effectuent des vérifications publiques ou des vérifications de sociétés publiques au Canada. Il utilise les pouvoirs qui existent déjà au sein des instituts provinciaux de comptables agréés — mesures disciplinaires, sanctions et amendes. D'ailleurs, le Conseil peut retirer à un comptable agréé son accréditation, lui infliger une amende, et ainsi de suite. Il peut appliquer ses pouvoirs aux grandes sociétés implantées dans plusieurs provinces pour s'assurer qu'elles effectuent des vérifications de haute qualité en procédant à des examens à l'échelle du pays plutôt que par province. Cette entité a les mêmes pouvoirs qu'un organisme provincial. Elle est habilitée à infliger les mêmes sanctions.
Le Canada dispose d'un vaste système. Il était en place avant Enron. Il émane des provinces. Les États-Unis n'avaient pas de système disciplinaire comparable au nôtre, sous aucun rapport.
Prenons l'exemple de l'Ontario. Pour ce qui est des systèmes individuels, un examen indépendant effectué l'an dernier lui a valu la meilleure cote au monde sur le plan de la qualité et de la discipline. Nous nous en sommes inspirés pour créer un organisme de surveillance encore plus solide. Par conséquent, je suis convaincu que notre système se comparera avantageusement au système américain. À vrai dire, les Américains ont encore tout à faire.
Le sénateur Kelleher: Ne vous méprenez pas; je n'essaie pas de m'en prendre à votre profession. Y a-t-il une disposition qui prévoit, par exemple, des peines d'emprisonnement dans les cas extrêmes?
M. Smith: Oui, cela s'inscrit dans le système pénal. David Brown a parlé du projet de loi envisagé.
Le sénateur Kelleher: Vise-t-il la profession comptable?
M. Smith: Comme je n'ai pas pris connaissance du projet de loi, je ne devrais pas m'aventurer sur ce terrain. En vertu du système actuel, certaines personnes ont été inculpées au criminel et au civil et se sont vu imposer des sanctions et des peines d'emprisonnement. Par exemple, au cours des deux dernières années, en Ontario, on a retiré à 15 comptables agréés le droit de pratiquer, ainsi que le titre de c.a. Cela venait d'ailleurs s'ajouter à d'autres pénalités.
Le sénateur Kelleher: J'ai du mal à comprendre comment votre profession est régie. Le témoin précédent, M. Brown, a parlé des commissions des valeurs mobilières. Il a expliqué ce qui se faisait dans les provinces et nous espérons que cette démarche sera appliquée à l'échelle du Canada. Comme vous le savez, c'est aux provinces qu'il appartient d'octroyer les licences pour de nombreuses professions au Canada, notamment les avocats, les comptables et les ingénieurs. Vous avez parlé de 15 firmes comptables en Ontario.
M. Smith: Il s'agissait de comptables agréés.
Le sénateur Taylor: Comment votre organisation pourrait-elle imposer des mesures disciplinaires à un comptable agréé de la Saskatchewan ou de l'Alberta? Ce dernier ne pourrait-il pas simplement vous envoyer paître et continuer de pratiquer dans sa province?
M. Smith: Non, car même aujourd'hui, indépendamment du nouvel organisme de surveillance, l'affaire serait référée à l'Institut de la Saskatchewan. Cette personne devrait se soumettre au processus disciplinaire de l'Institut sous peine de se voir retirer son accréditation. Des accusations pourraient même être portées contre elle.
Le sénateur Taylor: C'est ce qui se fait en Saskatchewan. Mais qu'en est-il de votre institut national? C'est cela que j'ai du mal à comprendre. Vous me dites que cette nouvelle association de comptables fera des merveilles pour les investisseurs, mais l'investisseur moyen ne sait pas que ce sont les provinces qui décernent les permis aux vérificateurs. Supposons qu'ils refusent de se plier à vos consignes. Où est l'interface?
M. Smith: C'est une bonne question.
Le sénateur Taylor: Il est particulièrement difficile de suivre les gens de la Saskatchewan.
Le vice-président: Parlez pour vous, sénateur.
M. Smith: Toute firme de vérification d'une société publique pourra adhérer au Conseil sur la reddition de comptes. La grande majorité des firmes de vérification y adhéreront sans doute et si elles ne le font pas, les responsables de la réglementation des valeurs mobilières affirment qu'ils rendront l'adhésion obligatoire. Supposons que tous les comptables traitant avec des sociétés publiques au pays adhèrent au Conseil. Ils signeront avec cet organisme un contrat individuel en vertu duquel ils s'engageront à faire certaines choses. Ils devront subir des inspections. Leurs méthodes et le contrôle de la qualité seront suivis de prêt. Ils devront passer en revue leurs dossiers, faire des rapports et accepter d'être assujettis à la législation provinciale le cas échéant.
Si, en Saskatchewan, un bureau donné faisant partie d'un grand cabinet national était jugé coupable de manquements et devait faire l'objet de mesures disciplinaires et de pénalités, son cas serait confié à ce groupe. Et si le dossier n'était pas réglé de façon satisfaisante, le bureau en question n'ayant pas corrigé la situation, le Conseil canadien sur la reddition de comptes est habilité à intervenir. Le Conseil pourrait lui retirer son contrat; autrement dit, ce bureau ne serait plus habilité à faire la vérification de sociétés publiques.
Ce système disciplinaire représente une solution typiquement canadienne car, comme vous l'avez fait remarquer, sénateur, s'il appartient aux provinces d'octroyer des permis de pratiquer, c'est à un organe central qu'est conférée la responsabilité d'effectuer la surveillance qui s'impose. Cela vaut particulièrement pour les gros cabinets étant donné que six grandes firmes assurent la vérification de quelque 85 p. 100 des actifs des sociétés publiques au pays.
C'est une version rationalisée de ce que nous avons proposée. À mon avis, ce système a du mordant et qui plus est, il correspond à la façon canadienne de faire les choses sans que l'on ait besoin de modifier la législation. Vous savez à quel point c'est difficile à faire.
Le sénateur Taylor: C'est bon de savoir que l'on peut intervenir tant au niveau national que provincial.
M. Smith: À mon avis, c'est un bon modèle à étudier au sens large.
Le sénateur Taylor: Vous n'étiez pas ici tout à l'heure lorsque j'ai dit qu'à mon avis, les comités de vérification n'étaient pas une idée mirifique. Je ne pense pas qu'un comité de vérification soit susceptible de faire preuve d'autant d'indépendance. J'estime donc il n'y a guère de progrès à cet égard. J'ai proposé de nommer vos vérificateurs et qu'en contrepartie, vous nommiez les miens, mais ma suggestion n'a pas semblé recueillir beaucoup d'appuis.
Il existe un autre système, fondé sur la rotation des vérificateurs. Autrement dit, si je ne m'abuse, la Loi Sarbanes- Oxley permet que l'on retienne les services d'un vérificateur seulement pendant quatre ou cinq ans et qu'ensuite, on fasse appel à une autre firme. Je pense que la limite est de trois ans en Australie, mais je peux me tromper. Que pensez- vous de ce système?
M. Smith: Dans le contexte de la Loi Sarbanes-Oxley, il est entendu qu'après une certaine période — et je ne peux pas être plus précis —, disons dans les neuf mois, un rapport doit être présenté sur une question en particulier et ensuite faire l'objet d'une rétroaction. Dans un tel contexte, nous ne ferions pas une étude indépendante. Nous prendrions plutôt en compte la teneur de l'étude déjà effectuée.
Je ne sais pas si l'Australie exige qu'on remplace obligatoirement les vérificateurs. Je sais que l'Italie le faisait, et ce, tous les neuf ans. C'était le seul pays industrialisé à le faire. Maintenant qu'il évolue au sein du marché européen, le débat a été laissé de côté, à cause des nombreux problèmes que pose cette exigence.
Le sénateur Taylor: Ma dernière question porte sur les conflits. Je n'ai pas compris, d'après votre exposé, si vous proposez qu'on interdise aux cabinets de vérification d'offrir d'autres services, ou si vous proposez qu'on les autorise à fournir d'autres services, à la condition qu'on indique, dans le rapport annuel, que les vérificateurs ont également effectué une vérification d'efficacité, préparé un plan de gestion, ainsi de suite. Pouvez-vous me donner des précisions à ce sujet?
M. Smith: Je pourrais peut-être éclaircir la question. La norme provisoire sur l'indépendance des vérificateurs s'inspire des principes reconnus à l'échelle internationale et des règles de la SEC qui s'appliquent aux sociétés cotées. Elle précise les services qui ne peuvent être offerts, et en exclut certains. Toutefois, le comité, qui a tenu des consultations à l'échelle nationale, a conclu qu'il était préférable de s'aligner sur ce qui se fait à l'échelle internationale, parce qu'on ne peut pas établir une règle chaque fois qu'un cas se présente, comme on l'a fait aux États-Unis.
Supposons qu'un client demande au cabinet de vérification d'effectuer une évaluation. La première chose que le cabinet de vérification doit se demander, c'est si l'évaluation a un impact sur les états financiers. Si oui, il ne peut fournir ce service, ce service étant exclu. Le cabinet doit s'en tenir aux paramètres. Ensuite, il doit déterminer qui va faire le travail. Est-ce que le cabinet est indépendant de l'équipe de vérification? Est-ce que cela représente un montant important en termes d'honoraires? Ainsi de suite. Ces paramètres permettent aux vérificateurs de définir les services qu'ils fournissent, que ce soit de façon indépendante ou non.
Ensuite, il y a certains services bien précis qui ne peuvent être fournis en raison de l'existence d'un lien de dépendance. Par exemple, il se peut qu'on vous demande d'établir un système de technologie de l'information pour les états financiers, et ensuite de le vérifier. Or, il est interdit d'offrir un tel service. Je fais allusion ici à la vérification interne et aux autres services de ce genre.
Voilà comment nous avons abordé la question. Le Canada est le seul à avoir établi une norme qui englobe les principes reconnus à l'échelle internationale et, le cas échéant, les règles rigoureuses de la SEC.
Le sénateur Angus: Vous avez dit, dans votre exposé, qu'un des organismes exige que les options d'achat d'actions soient considérées comme une dépense. Toutefois, je ne crois pas que le milieu des affaires au Canada soit d'accord, parce qu'on me dit qu'il n'y a que deux façons d'évaluer les options d'achat d'actions, la principale étant la méthode Black-Scholes. Bon nombre de ces options sont dévaluées et, comme l'a déjà indiqué le sénateur, ne constituent pas un élément qui a un effet sur les liquidités. Les vérificateurs indépendants que j'ai consultés ont dit qu'il faut attendre et agir avec prudence. Ce n'est pas quelque chose qu'ils recommanderaient à ce stade-ci. Quel est votre avis là-dessus? Je pense que nous commettons là une grave erreur, mais je peux me tromper.
M. Smith: Comme vous le savez, le Conseil des normes comptables relève de l'Institut canadien des comptables agréés. Nous ne faisons que le financer, et rien d'autre. Il est chapeauté par le CSNC, qui est le groupe présidé par Tom Allen. Ils ont tenu des audiences publiques sur la question en septembre, et ils ont aussi reçu de nombreux mémoires. Leur proposition s'inspire, entre autres, des commentaires qu'ils ont recueillis.
Ils comptent faire une autre annonce en novembre, qui correspond à la date convenue à l'échelle internationale. Nous espérons qu'ils proposeront une méthode de calcul satisfaisante.
Le sénateur Angus: Vous voulez dire pour calculer la valeur?
M. Smith: Oui. Il s'agira d'une méthode de base, mais je suis bien mal placé pour vous en parler.
C'est donc là la prochaine étape. Ils vont en faire l'annonce avant de déposer leur ébauche, à la fin de l'année ou au début de janvier. La formule n'est pas aussi avant-gardiste qu'on le croit. Dans l'ensemble, les commentaires recueillis dernièrement ont été positifs. Nous avons reçu très peu de commentaires négatifs de la part des intervenants — des régulateurs, des actionnaires —, de l'investisseur institutionnel auquel M. Brown a fait allusion. Cette valeur est déjà actualisée dans tous les états financiers que préparent les investisseurs avertis. La question a fait l'objet d'un débat public. Il faudrait qu'on en discute plus à fond au Canada. L'ébauche, une fois déposée, va faire l'objet d'un débat, en janvier.
Le sénateur Angus: J'ai hâte d'en prendre connaissance. On a proposé de nombreuses méthodes de calcul traditionnelles qui sont tout à fait ridicules. C'est peut-être une bonne chose qu'on en propose une nouvelle.
M. Smith: Nous aussi nous avons hâte d'en prendre connaissance. Il y a un groupe qui se penche là-dessus à l'échelle internationale. Les États-Unis vont essayer de l'adopter et de la soumettre à un débat public.
Le vice-président: Est-ce que la nouvelle norme provisoire sur l'indépendance des vérificateurs interdit la prestation de conseils fiscaux, ou est-ce que cela fait partie des autres services qui sont fournis et dont vous êtes obligés d'assurer le suivi?
M. Smith: Il en est question dans la norme, mais celle-ci n'interdit pas la prestation de tels services. Si vous fournissez des conseils fiscaux, vous devez alors vous conformer aux paramètres que j'ai décrits quand j'ai utilisé l'exemple de l'évaluation.
Le vice-président: En tant que vérificateur, lorsque vous effectuez une vérification pour une entreprise particulière, est-ce que vous devez faire état des autres services que vous fournissez et des honoraires que vous recevez?
Le sénateur Angus: Vous ne pouvez plus faire cela.
Le vice-président: Disons que vous décidez d'offrir ce service parce que vous estimez qu'il n'influe pas sur votre travail de vérification.
M. Smith: Nous exigeons maintenant — et cela depuis ce printemps — que ces renseignements soient divulgués au comité de vérification. On doit lui indiquer si le vérificateur est indépendant ou non, préciser les services qui ont été fournis, les honoraires reçus, ainsi de suite. C'est assez détaillé. Le comité de vérification doit être au courant de tout cela.
Le vice-président: Est-ce que ces renseignements sont rendus publics?
M. Smith: On n'exige pas pour l'instant qu'ils le soient. De nombreuses sociétés les divulguent. Cette exigence, soit la divulgation publique des services liés et non liés à la vérification, vient de l'extérieur du Canada. On veut que tout soit très clair. La définition des services de vérification auxÉtats-Unis, qui sert de base à cette exigence, s'inspire de la définition adoptée en 1933 par la SEC. Vous pouvez vous imaginer à quel point le milieu de la vérification a changé depuis. Certaines sociétés divulguent ces renseignements, sauf qu'elles posent la question suivante: «Si vous avez préparé un rapport trimestriel qui nous a été utile sur le plan de la vérification, est-ce qu'il faut considérer cela comme un service de consultation?» On discute de la façon de procéder. Le comité de vérification indépendant auquel nous faisons constamment allusion et qui tient à son indépendance est conscient de la situation et sait que certaines sociétés divulguent ces renseignements, et que d'autres ne le font pas.
Le vice-président: S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons maintenant entendre M. Nick Le Pan, du Bureau du surintendant des institutions financières.
M. Nick Le Pan, surintendant, Bureau du surintendant des institutions financières: Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui pour vous entretenir des répercussions de la faillite de Enron, entre autres, sur le Canada.
Le Canada n'est pas à l'abri de problèmes semblables dans le secteur des entreprises, quoique le secteur des services financiers réglementés, dont je m'occupe principalement, n'ait pas été touché récemment. Néanmoins, l'expérience du BSIF au chapitre des institutions financières pourrait être utile, au moment où le comité examine des enjeux de plus grande portée.
La faillite de Enron et d'autres sociétés semblables fait ressortir cinq grands enjeux: la suffisance des rapports financiers; l'amélioration de la crédibilité du processus de vérification; le renforcement de la régie d'entreprise; la responsabilisation de la direction; et le raffermissement des mesures de conformité.
Le secrétaire d'État responsable des institutions financières internationales a également relevé trois ou quatre questions qui ont été soumises aux stratèges et aux organismes de réglementation, notamment: à quel point les mesures énoncées dans la Loi Sarbanes-Oxley s'appliquent-elles au Canada; dans quelle mesure les règles de régie d'entreprise doivent-elles faire l'objet de mesures législatives ou volontaires; devons-nous établir une distinction entre les exigences de régie d'entreprise des petites et grandes entreprises du Canada; et devons-nous établir une distinction entre les exigences de régie d'entreprise des sociétés à capital largement réparti et des sociétés à actionnaire majoritaire?
Mon exposé aujourd'hui porte principalement sur la régie d'entreprise et le processus de vérification. Toutefois, je répondrai volontiers à toutes vos questions, peu importe le domaine. Je vous fournirai mon point de vue sur le fonctionnement des diverses dispositions déjà intégrées aux lois sur les institutions financières, que le comité connaît d'ailleurs très bien, compte tenu du travail qu'il a déjà effectué là-dessus, parce que bon nombre de ces dispositions ressemblent — elles sont plus avant-gardistes que les dispositions en vigueur aux États-Unis — aux dispositions qui sont déjà envisagées de manière générale.
Par ailleurs, je tiens à signaler que la faillite de Enron, à mon avis, ne représente pas principalement l'échec d'une série de règles. Elle résulte en grande partie de comportements douteux de la part des diverses parties en cause. C'est pourquoi nous devons non seulement apporter des modifications aux règles, mais continuer d'améliorer les vérifications du système, puisqu'aucune mesure particulière ne saurait régler à elle seule les problèmes, si nous voulons éviter de nouvelles situations du genre de celles qui se sont produites aux États-Unis.
Évidemment, Enron et les autres sociétés semblables ne sont pas assujetties à la réglementation ou aux règles de surveillance provinciales. Je connais très bien ces règles, et je crois qu'elles sont pertinentes. La société Enron n'était pas assujettie aux règles de prudence ou de surveillance qui s'appliquent aux institutions financières fédérales au Canada.
Bien que la réglementation et la surveillance provinciales ne représentent pas une garantie à toute épreuve contre les faillites, elles réduisent le risque de voir se produire des situations du genre de celles de Enron. Les Canadiens et les Canadiennes ont toutes les raisons de vouer une grande confiance à notre système financier.
Déjà, la législation régissant les institutions financières renferme des dispositions que l'on ne trouve pas dans les lois générales sur les entreprises. Prenons, par exemple, les risques associés aux opérations sans liens de dépendance, qui ont joué gros dans l'affaire Enron. Les lois fédérales qui régissent les institutions financières et les régimes de retraite privés interdisent les opérations entre personnes apparentées, comme ce fut le cas dans l'affaire Enron. Par conséquent, il est très peu probable que ces opérations déclenchent les faillites qui sont survenues au sud de la frontière. Si de telles faillites se produisaient, elles signifieraient l'échec du système de réglementation qui s'applique aux institutions financières.
Dans le domaine de la régie d'entreprise, les lois sur les institutions financières renferment plusieurs mesures exclusives. Bien que ces mesures puissent devoir être renforcées dans le cadre des modifications apportées aux exigences générales applicables aux entreprises, les motifs qui sous-tendent leur élaboration et leur application sont révélateurs. Par exemple, les lois sur les institutions financières exigent que toutes les institutions, peu importe leur taille, mettent sur pied un comité de vérification. Elles définissent la composition du comité de vérification et du conseil d'administration. Les comités de vérification doivent compter une majorité d'administrateurs indépendants. De plus, les administrateurs au sein des comités de vérification des institutions financières sous réglementation fédérale ne peuvent faire partie du conseil d'administration. Ces exigences figurent dans les lois depuis 1992. Cela fait partie de la Loi Sarbanes-Oxley et ces éléments correspondent aux mesures que David Brown et d'autres envisagent pour d'autres entités au Canada.
Les institutions financières fédérales doivent créer un comité de révision chargé d'examiner le fonctionnement des règles qui régissent les opérations entre personnes apparentées. La législation exige également qu'un certain nombre d'administrateurs indépendants fassent partie du conseil d'administration. Comme s'en souvient peut-être le comité, un vaste débat a précédé l'adoption de ces exigences, en 1992, et où il a été question de l'effet de celles-ci sur les conseils d'administration, de l'accès à de bons administrateurs, ainsi de suite. Ces exigences, dans l'ensemble, ont été efficaces. Elles ne constituent pas le seul élément que nous avons mis en place au sein des institutions financières sous réglementation fédérale pour améliorer la régie d'entreprise, mais elles sont importantes. Je ne m'opposerais pas à ce que des améliorations soient apportées si les exigences générales des entreprises changeaient.
Toutefois, il est utile de savoir aux fins du présent débat que ces règles visent à assurer un juste équilibre. Par exemple, les lois ne précisent pas de façon arbitraire que les règles s'appliquent aux institutions de telle et telle taille, et qu'elles ne s'appliquent pas aux institutions plus petites. Elles n'établissent pas non plus de distinction explicite entre les sociétés cotées à la bourse et celles qui ne le sont pas. Toutefois, les règles sont suffisamment souples pour pouvoir être appliquées de façon générale. Elles ne sont pas uniquement considérées comme de simples principes, comme l'a mentionné le témoin précédent.
Par exemple, le nombre d'administrateurs indépendants qui peuvent faire partie du comité de vérification ou du conseil d'administration a été fixé avec prudence, après maintes discussions, en vue de créer un juste équilibre entre les divers membres du conseil. On ne voulait pas imposer d'exigences irréalistes aux petites sociétés ou aux sociétés dirigées par des actionnaires majoritaires qui veulent, avec raison...
Le vice-président: Excusez-moi. Pouvez-vous aller moins vite?
M. Le Pan: Les règles ont été fixées avec prudence afin d'assurer un juste équilibre entre les divers intérêts. Nous voulions que les règles régissant la composition du conseil d'administration s'appliquent aux petites sociétés et aux sociétés cotées et non cotées à la bourse — des sociétés non cotées qui veulent, avec raison, que les intérêts des actionnaires majoritaires soient représentés au sein du conseil, et où les actionnaires majoritaires participent activement à la saine gestion des filiales des institutions financières.
Je voudrais soulever plusieurs autres points, mais j'en discuterai plus à fond quand nous passerons aux questions.
Les bonnes règles ne suffisent pas. Les attentes du BSIF en matière de régie des institutions financières sous réglementation fédérale augmentent. Elles sont mieux structurées, par exemple, dans le cas des critères que nous utilisons pour évaluer la régie d'entreprise — ces critères ont été communiqués à toutes les institutions financières au cours de l'été — et il existe diverses exigences et lignes directrices en matière de régie qui s'appliquent aux institutions financières sous réglementation fédérale. Par ailleurs, les conseils d'administration et la haute direction doivent faire preuve d'efficacité dans leurs comportements. Par exemple, dans le cas des institutions financières sous réglementation fédérale, ils doivent entreprendre un examen périodique et approfondi des stratégies et des objectifs commerciaux de l'institution; évaluer la tolérance totale de l'institution aux risques; et procéder à un examen rigoureux des mandats, des ressources et de la portée des principales fonctions de supervision, de gestion de risque, de vérification interne et de vérification externe.
Certains se demandent de quelle façon les administrations peuvent s'acquitter de tâches de plus en plus nombreuses. Les administrateurs peuvent poser des questions et exiger un suivi opportun de la haute direction quand ils ont des doutes. Ils peuvent aussi chercher une expertise supplémentaire, le cas échéant. Il n'est pas nécessaire qu'ils se transforment en experts pour effectuer les analyses qui s'imposent. Aussi, les administrateurs doivent être disposés à consacrer le temps et les efforts nécessaires pour bien s'acquitter de leurs tâches.
Le programme de surveillance du BSIF prévoit un examen de la régie d'entreprise des institutions financières sous réglementation fédérale. Quand nous relevons des lacunes au chapitre des renseignements qui sont communiqués au conseil d'administration, du fonctionnement du conseil et des facteurs de risque que nous avons évalués, nous les portons, au besoin, à l'attention des membres du conseil. Nous disposons à cet égard de toute une gamme de pouvoirs.
J'aimerais vous dire quelques mots au sujet des fournisseurs externes de services de supervision. J'ai participé de façon active à la mise sur pied du Conseil canadien sur la reddition de comptes — le CCRC —, que vous avez déjà mentionné. La participation du gouvernement fédéral à cette initiative très importante est liée à la crédibilité et à l'efficacité de celle-ci. Outre les fonctions déjà décrites par le témoin antérieur, il faut que le Conseil soit en mesure de s'assurer que les mesures de contrôle interne des cabinets de vérification, pour ce qui est des opérations complexes, fonctionnent assez bien.
Revenons à l'exemple de Enron. Le Conseil canadien sur la reddition de comptes serait beaucoup mieux armé que le système actuel pour constater, dans le cadre d'un examen, disons, du cabinet Andersen et du traitement accordé aux opérations à vocation spéciale, qu'il existe un sérieux problème de communication entre les responsables du dossier et les spécialistes de ces questions, et, dans un sens, des problèmes de régie interne au sein du cabinet Andersen. Voilà le genre de questions que le Conseil canadien sur la reddition de comptes sera en mesure de régler, grâce aux ressources et aux compétences additionnelles qu'il possédera.
Les régulateurs, y compris le BSIF, ont également dit très clairement qu'ils veulent savoir quels sont les cabinets de vérification qui ne satisfont pas les exigences du Conseil canadien sur la reddition de comptes. Ce qui veut dire, sénateur Kelleher, que le BSIF a le pouvoir, entre autres, de déterminer si les cabinets de vérification ont le droit de vérifier les activités d'institutions financières réglementées, ainsi de suite. Tout cela fait partie de l'objectif plus vaste qui consiste à améliorer les vérifications du système et à sanctionner les comportements douteux.
Par ailleurs, les fonctions de vérification des grandes institutions financières nécessiteront plus de ressources, ce qui signifie que les comités des institutions financières chargées de la vérification et des risques devront consacrer plus de temps à l'examen de la portée et de la nature des vérifications et au suivi des résultats. Ils le font déjà et vont continuer de le faire. Il faudra prévoir davantage de ressources pour les services de vérification externe, ce qui entraînera une augmentation des coûts, mais il s'agira d'un bon placement. Le BSIF continuera de surveiller les ressources consacrées aux fonctions de vérification externe.
Je tiens à préciser que cette question n'intéresse pas uniquement le milieu de la vérification. Nous collaborons de façon étroite avec l'Institut canadien des actuaires, qui est un autre type de fournisseur de services. Les conseils d'administration et les compagnies d'assurance, par exemple, comptent sur l'Institut pour qu'il mette en place un processus d'examen par les pairs, un processus qui n'existe pas dans la profession actuarielle. Il s'agit là d'une initiative importante. Le BSIF entend déposer bientôt un projet de lignes directrices, qui exigera que les rapports actuariels des institutions financières sous réglementation fédérale fassent l'objet d'un examen par les pairs.
La faillite de Enron et d'autres sociétés n'a pas posé de problème de prudence important du point de vue des institutions financières fédérales. Même si ces institutions détenaient une participation dans les entreprises qui ont fait faillite, cette participation était largement acceptable. Cela témoigne de saines pratiques de gestion des risques et de contrôle.
De même, grâce à la réglementation, à la législation et aux saines pratiques de gestion qu'elles appliquent, il est peu probable que les institutions financières réglementées par le BSIF aient recours aux pratiques dangereuses de Enron et d'autres sociétés semblables.
Toutefois, nous demeurons vigilants. Nous nous attendons à ce que les conseils d'administration et les comités de vérification fassent plus. Les attentes sont de plus en plus élevées et les institutions en sont conscientes. Les règles actuelles pourraient, dans certains domaines, être améliorées, car il est important, si l'on veut avoir un système de réglementation efficace qui bénéficie de la confiance des Canadiens, que l'on puisse continuer de compter sur ces processus.
Le sénateur Angus: D'après ce que vous venez de dire, les institutions financières sous réglementation, qui sont au coeur de votre mandat, si je peux m'exprimer ainsi, n'ont pas été touchées par les problèmes de régie qu'a connus Enron. En fait, nous avons été confrontés à ces mêmes problèmes à la suite de la faillite de la Confederation Life. Nous en avons discuté dans le cadre d'audiences. Vous étiez là à l'époque, et nous avons établi à ce moment-là et tout au long des années 90 des règles et des pratiques de saine gestion pour assurer la surveillance des institutions financières sous réglementation fédérale.
Or, c'est l'autre aspect de la problématique qui m'intéresse. Vous nous avez toujours dit qu'un système de réglementation discrétionnaire était préférable à un système de réglementation axé strictement sur des règles. Quand la Loi Sarbanes-Oxley a été adoptée à la suite de la faillite de Enron, je me suis demandé ce que Nick Le Pan pensait de toute cette question. Est-ce que cette loi va trop loin, et est-ce que les Américains se sont encore une fois trompés?
M. Le Pan: Sénateur, la Loi Sarbanes-Oxley contient un certain nombre de dispositions qui sont tout à fait justifiées — en fait, elles le sont toutes, d'une façon ou d'une autre. Nous avons déjà commencé à mettre en place des mesures et nous sommes même, à certains égards, à l'avant-garde des États-Unis. À preuve, le Conseil sur la reddition de comptes. La loi Sarbanes-Oxley est une initiative importante, en partie parce qu'elle permet de mettre en place un système efficace, non seulement pour les sociétés cotées à la bourse, mais également pour les institutions financières réglementées, puisque nous utilisons nous aussi les procédés de vérification dans le cadre de notre travail de surveillance.
Ce sont plutôt les points de détail qui posent problème. Ce qu'il faut retenir, c'est que les questions que soulève l'application de la Loi Sarbanes-Oxley au Canada sont exactement celles que nous nous posons, ou celle que j'ai moi- même examinées. Comment les règles d'indépendance régissant la composition du conseil d'administration ou du comité de vérification devraient-elles s'appliquer? Devraient-elles avoir une portée assez vaste? Nos lois fédérales sur les institutions financières peuvent nous être utiles à cet égard, sauf que la question n'est pas de savoir si de telles règles doivent être établies, mais plutôt de savoir si elles doivent avoir une application générale et si elles doivent être structurées de telle ou telle façon.
Pour revenir à l'exemple que j'ai utilisé dans ma déclaration liminaire, quand j'ai parlé des règles et des comités de vérification, nous avons longuement discuté, en 1992, de la question des administrateurs indépendants. Or, qu'est-ce qu'on entend par administrateur «indépendant»? Nous avons établi des règles en nous fondant — et les comités parlementaires ont participé de façon active, comme il se doit, aux discussions — sur les avantages que présenterait le fait d'avoir des administrateurs indépendants au sein de ces institutions, sans que cela nuise au processus de régie. Ces questions sont importantes et influent sur notre analyse des règles qui font partie de la Loi Sarbanes-Oxley.
Par ailleurs, jamais je ne réclamerais un système axé uniquement sur des règles ou un système discrétionnaire. Il faut un mélange des deux, parce que nous ne pouvons pas définir par voie législative les comportements qui sont jugés corrects. Nous pouvons avoir un système de freins et de contrepoids qui favorise l'adoption de comportements corrects, nous pouvons solliciter l'avis des régulateurs et d'autres organismes, dont le BSIF, et nous pouvons aussi donner des conseils aux institutions, et cela fait partie de notre rôle, quand nous constatons que leur comportement laisse à désirer. Toutefois, nous ne pouvons pas dire tout simplement que nous allons modifier telle et telle règle sans, en même temps, promouvoir, par le biais de divers mécanismes, l'adoption de comportements jugés corrects. Ces tâches, il faut le rappeler, sont loin d'être faciles.
Le sénateur Angus: Ces mesures permettraient de régler les problèmes qu'a soulevés le sénateur Kelleher. Comme je l'ai dit plus tôt à M. Brown, l'adoption d'une règle d'application générale n'est pas la solution dans le cas des États- Unis. Elle l'est encore moins dans le cas du Canada. Nous ne pouvons pas avoir une règle générale. Il est préférable d'avoir un ensemble de règles harmonisées.
Laissons de côté les cinq ou six questions de régie que soulève la Loi Sarbanes-Oxley, et parlons plutôt de l'impact qu'a eu la faillite de Enron et de Worldcom sur les institutions financières canadiennes sous réglementation fédérale. D'après ce que je crois comprendre, et je me fie uniquement à ce que j'ai lu dans la presse nationale, certaines de ces sociétés ont subi de grosses pertes parce qu'elles n'ont pas fait preuve de diligence. Elles ont encaissé des pertes de plus de 250 milliards de dollars. Les actionnaires ont, eux aussi, subi des pertes.
M. Le Pan: Avant de répondre à la question, j'aimerais revenir au point que vous avez soulevé concernant la règle d'application générale. Bien que je sois d'accord avec vous, il faut arrêter de dire — dans le monde dans lequel j'évolue — qu'il y a des entreprises pour qui les règles ne sont pas la solution.
L'exemple que j'ai donné au sujet des exigences imposées aux comités de vérification est révélateur. Nous n'avons pas dit, en 1992, que les comités de vérification, dans le cas des sociétés cotées en bourse, devaient être majoritairement composés d'administrateurs indépendants. Nous ne l'avons pas fait parce que les titulaires de police et les déposants, même dans une société non cotée en bourse qui est une institution financière sous réglementation fédérale, méritaient d'être protégés par cet équilibre qui existe au sein du conseil d'administration. Nous avons essayé d'établir une règle qui s'appliquerait de façon générale, et qui viserait aussi les institutions financières réglementées appartenant à des intérêts privés. Il est difficile d'établir une règle qui peut s'appliquer à toutes sortes de sociétés. Toutefois, je ne renoncerais pas à l'idée d'adopter une règle qui viserait l'ensemble des institutions financières.
Pour ce qui est de l'impact qu'ont eu les affaires Enron, WorldCom, ainsi de suite, je ferais preuve de naïveté si je disais que je ne m'attends pas à ce que les institutions financières réglementées, dans leurs opérations avec des sociétés de contrepartie, subissent des pertes. Cela ne fait pas partie de leur réalité. Leur rôle consiste à prendre des risques, à les gérer, à les mesurer, à les surveiller. Il arrivera à l'occasion que ces opérations entraînent par des pertes, ou qu'elles participent à des opérations qui aboutissent à des poursuites. La question, en ce qui concerne le BSIF, est de savoir si ces pertes peuvent être gérées ou si ces pertes font état de l'existence de problèmes au niveau des contrôles internes, de la gestion de risques. L'existence de telles pertes ne devraient pas nous alarmer. C'est très important.
Revenons en arrière. Oui, plusieurs institutions financières fédérales ont subi des pertes, non seulement dans des situations de ce genre, mais également dans d'autres circonstances. Comme je l'ai déjà indiqué, ces pertes sont, dans l'ensemble, maîtrisables. Les actionnaires ne sont peut-être pas contents, mais les réserves de capital des institutions financières réglementées n'ont pas été entamées. Le BSIF a pris des mesures il y a des années de cela, parce qu'il n'était pas convaincu que la croissance économique allait se poursuivre, et parce qu'il voulait augmenter les réserves de capital des institutions financières sous réglementation fédérale. Nous avons été prévoyants et pris de bonnes mesures.
À mon avis, les pertes subies ne révèlent pas l'existence de problèmes systémiques et fondamentaux au niveau de la gestion des risques et des mesures de contrôle au sein des institutions que je réglemente et supervise. Y aura-t-il des pertes et des problèmes à l'occasion? Oui. Est-ce que les gens en tirent des enseignements positifs? Oui. Telle est la nature du milieu dans lequel nous évoluons.
Le sénateur Angus: Allez-vous financer les opérations des sociétés de contrepartie? Non. Elles sont libres de mener leurs affaires comme elles l'entendent.
M. Le Pan: Notre rôle est de faire confiance aux systèmes de gestion des risques et de régie interne, de mesurer cette confiance par le biais des règles et des programmes de surveillance que nous avons établis, et de nous fonder sur l'expérience pour déterminer si nous avons raison de faire confiance à ces systèmes.
Le sénateur Kroft: Monsieur Le Pan, compte tenu de la nature de l'institution pour laquelle vous travaillez et vu l'impact qu'elle a, entre autres, sur l'économie, nous avons tendance à nous montrer plus exigeants à votre égard. En fait, vous avez fait preuve de prévoyance et nous vous en sommes reconnaissants. Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés? Vous dites qu'il y a de nombreux domaines qui échappent à la régie d'entreprise. J'essaie de voir quels enseignements nous pouvons tirer des mesures extraordinaires que nous avons prises depuis toujours en matière de surveillance des institutions financières. J'essaie de voir ce qui est applicable et ce qui ne l'est pas. Je pense qu'on agirait de façon restrictive si on décidait, pour ce qui est de la régie d'entreprise, d'assujettir l'ensemble des sociétés aux règles qui s'appliquent aux institutions financières. Nous risquons d'étouffer le système. Ma question est bien précise. Y a-t-il des choses auxquelles vous êtes devenu habitué, dans le cadre de vos activités, et qui fonctionnent, qu'il s'agisse des exigences qui s'appliquent aux conseils d'administration ou aux comités de vérification, ou aux opérations sans liens de dépendance? Avez-vous une liste des mesures que vous avez prises, sans être restrictif, et qui, à votre avis, devraient s'appliquer de façon générale? Arrivez-vous à faire passer le message? Êtes-vous satisfait des résultats?
M. Le Pan: Sénateur, en ce qui concerne la dernière partie de votre question, je tiens à préciser que nous participons à plusieurs des processus qui ont été décrits plus tôt. Je suis membre du Conseil de surveillance de la normalisation comptable, de sorte que nous avons participé aux discussions portant sur les entités ad hoc, une question importante pour les institutions financières. Nous avons donc une expérience relativement grande dans ce domaine. Nous participons aussi aux discussions portant sur les options d'achat d'actions, et tout le reste. Nous travaillons en étroite collaboration avec les centres de normalisation comptable et nous possédons de l'expérience dans le domaine de la régie d'entreprise. Comme nous le disions un peu plus tôt, nous parlons avec les gens et nous partageons nos expériences.
Je crois que le genre d'expérience que nous possédons peut être utile et mis à contribution. En ce qui concerne les questions qu'étudie le comité, si je devais tenter d'analyser plusieurs éléments du monde des institutions financières, j'utiliserais la réglementation à titre d'exemple, à savoir s'il vaut mieux favoriser un processus coercitif ou facultatif. L'expérience relative aux institutions financières démontre qu'il faut une combinaison des deux. Le processus ne peut pas être entièrement volontaire; il doit être en partie encadré par des mesures législatives. J'en suis convaincu. Si l'expérience du monde des institutions financières nous apprend quelque chose, c'est bien qu'il faut donner une idée des comportements recherchés. Il s'est passé beaucoup de choses dans ce domaine au cours des dernières années, et ce n'est pas terminé.
Si vous me demandez si ces règlements et tout le reste doivent s'appliquer seulement aux grandes entreprises ou viser également les petites entreprises, je vous répondrai que, malheureusement, mon expérience des institutions financières me porte à croire qu'il n'existe pas de réponse simple à cette question. Dans le monde des institutions financières, nous avons tenté d'établir des règles qui s'appliqueraient à toutes les institutions. Nous croyions que la population méritait ce genre de protection. Par exemple, il faut regarder la liste de la Loi Sarbanes-Oxley et se demander si l'attestation du directeur financier doit être exigée des grandes comme des petites entreprises. Je le crois.
Je n'ai jamais entendu d'argument en faveur du contraire. Par contre, compte tenu des exigences en matière de composition des conseils d'administration et des comités de vérification, je crois que les coûts risquent de faire un bond. La méthode de structuration de pareilles règles, quelle qu'elle soit, nécessite une analyse plus complexe. C'est ce que nous constatons dans le monde des institutions financières en matière de composition des conseils d'administration.
J'appuie fortement l'autre élément examiné par les organismes de réglementation provinciaux et le gouvernement fédéral, soit les ressources et la capacité d'application. Celles-ci représentent un élément important de la solution préconisée puisqu'elles sont un facteur déterminant de la qualité des vérifications. Il faut qu'il y ait un certain niveau de crédibilité. Les outils de surveillance de la réglementation que nous utilisons au BSIF sont crédibles, et nous pouvons donc obtenir les résultats que nous recherchons. Il faut établir le même niveau de crédibilité à l'extérieur du monde des institutions financières.
Le sénateur Kelleher: Le débat entourant les entités ad hoc s'est certainement intensifié, surtout en ce qui concerne Enron, par exemple. Croyez-vous qu'au Canada, la surveillance et la réglementation sont efficaces en ce qui concerne les entités ad hoc? Pourrions-nous en faire davantage dans ce domaine?
M. Le Pan: Je vous parlerai principalement des institutions financières fédérales, puis je vous parlerai un peu des autres. Fondamentalement, il existe des règles très précises s'appliquant aux entités ad hoc, des règles que les institutions financières doivent utiliser pour gérer leurs propres risques. Depuis un certain nombre d'années, mon bureau a des lignes directrices très complètes concernant la comptabilité de ces entités. Les institutions financières réglementées ont une grande expérience en gestion de ce genre de structure. Nous avons aussi toute une série de règles de fonds propres centrées sur le transfert de risque, puisque la partie du risque transférée à ces instruments peut varier énormément.
En règle générale, je crois que cette structure fonctionne raisonnablement bien. Par exemple, elle permet à mon bureau d'identifier des situations dans lesquelles nous ne croyons pas qu'une quantité adéquate de risques ait été transférée. En bout de ligne, ces risques doivent être consolidés dans le bilan de la banque. Nous avons utilisé ce pouvoir à quelques reprises. Nous ne l'avons pas fait souvent, seulement quelques fois, comme d'autres l'ont fait, y compris les États-Unis.
En grande partie, les changements reliés au secteur comptable aux États-Unis, ainsi que les changements semblables envisagés au Canada, s'appliquent aux entités ad hoc qui ne sont pas utilisées par les banques, pour ainsi dire, lorsque certaines des règles déjà existantes sont différentes.
J'appuie fortement l'objectif général visé par les règles du FASB et par les règles semblables du Conseil des normes comptables en ce qui a trait aux entités ad hoc, même si certains affirment au Canada et aux États-Unis que des détails techniques non négligeables doivent être réglés afin que ces règles réussissent mieux à identifier toute situation semblable à celle de l'affaire Enron.
En règle générale, les règles du secteur des institutions financières qui s'appliquent à un type de transaction ne sont pas mauvaises. Quelques éléments laissent peut-être à désirer, mais on a déjà commencé à les améliorer. La crise Enron a clairement démontré l'existence de certains problèmes en qui concerne les règles comptables, lorsque ces entités sont utilisées par d'autres que les institutions financières. Je crois que ces problèmes seront réglés assez rapidement grâce au processus mis en place dans les deux pays en vue de modifier la comptabilité.
Le sénateur Kelleher: Je remarque que vous prenez bien garde, et je suis d'accord avec vous, de faire la distinction entre le secteur des institutions financières, où il existe une structure de réglementation complète, et des sociétés comme Enron, où les règles n'étaient pas très nombreuses — du moins, elles ne semblaient l'être pour les gens d'Enron. J'ai le sentiment que, selon vous, si les secteurs autres que celui des institutions financières réglementées avaient eu une structure un peu plus solide et un processus de surveillance et de réglementation un peu plus poussé, les problèmes qui sont survenus dans ces secteurs ne se seraient probablement pas posés. Est-ce que j'ai raison? Je sais que cela ne réglerait pas complètement le problème.
M. Le Pan: Sénateur, les commentaires sur un autre régime de réglementation doivent être faits avec prudence.
Peu de temps après la crise Enron, j'ai lu le rapport des administrateurs indépendants, un rapport qui devait présenter une rétrospection des événements survenus. Si vous ne l'avez pas lu, laissez-moi vous dire que ce rapport est fascinant. Il confirme ce que je disais dans mon exposé, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas simplement d'une question de règles.
D'après le rapport que certains membres ont rédigé à l'intention des autres membres du conseil d'administration, on a raté l'occasion de poser des questions à certaines étapes cruciales. Des membres du conseil auraient pu dire qu'ils n'étaient pas d'accord avec ceci ou cela ou qu'ils avaient des questions à tel ou tel sujet. Ils auraient aussi pu dire qu'ils avaient demandé qu'une mesure soit prise et s'informer si elle l'avait été. Selon moi, en lisant ce rapport, on constate que les membres du conseil n'ont pas profité des occasions qui leur étaient offertes de soulever leurs objections. Mais peut-être que je ne connais pas tous les faits.
Je ne crois pas qu'il s'agisse simplement d'une question de règles. Les comportements entrent aussi en ligne de compte. C'est en partie ce que je vous expliquais plus tôt.
Ce que j'ai dit à propos du conseil d'administration et d'Enron s'applique aussi à certaines autres vérifications. C'est pourquoi, au Canada, j'appuie les efforts menés par le Conseil canadien sur la reddition de comptes pour les vérificateurs en vue d'augmenter sa capacité de vérification des cabinets de vérificateurs et d'améliorer ses chances de pouvoir signaler des situations dans lesquelles le partenaire technique des transactions ad hoc n'est pas adéquatement consulté, comme ce fut le cas dans l'affaire Enron. On peut soutenir que certains problèmes de contrôle interne existaient chez Andersen. Je crois qu'il est très important que nous augmentions notre capacité à réduire au minimum la probabilité que de tels événements se produisent à nouveau.
Le sénateur Prud'homme: Vous parlez très vite; nous avons de la difficulté à vous suivre.
M. Le Pan: Je suis désolé, sénateur.
Je crois que la situation n'a pas de solution simple, qu'il faut agir sur plusieurs fronts à la fois. Je ne crois pas qu'il faille élargir la gamme complète des structures de réglementation relatives aux institutions financières de manière à y inclure toutes les autres. Par exemple, comme l'a mentionné le sénateur Kroft, il existe d'autres raisons pour lesquelles nous avons un régime de réglementation et un régime de surveillance fondés sur la prudence. Toutefois, une amélioration des vérifications s'impose. Le défi consiste à choisir les bons moyens, sans toutefois être trop exigeant, afin de réduire la probabilité que de tels événements se produisent à nouveau.
Le sénateur Kelleher: Maintenant que vous avez eu l'occasion d'analyser la débâcle qui s'est produite ici et aux États- Unis — et je ne veux pas vous faire choisir un système au détriment de l'autre —, comment compareriez-vous la qualité de la régie d'entreprise au Canada par rapport à celle qui est actuellement en place aux États-Unis?
M. Le Pan: Je ne peux vraiment pas répondre à cette question, le sénateur.
Nous sommes dans une situation unique, parce qu'en tant qu'institutions financières fédérales, nous avons un aperçu de la manière dont fonctionne le processus de régie d'entreprises par l'entremise de notre cadre de surveillance et de tout le reste. Nous avons des interactions fréquentes avec les conseils d'administration. Nous rencontrons les comités de vérification au moins une fois par année, en présence de la direction et en l'absence de celle-ci. Nous avons l'occasion d'examiner la façon dont certains problèmes ou risques ont été traités par une institution, y compris dans le cadre de la régie d'entreprise. Je ne peux pas en faire autant pour les institutions financières américaines, parce que nous ne sommes pas responsables de leur surveillance et de leur réglementation.
D'après les discussions que j'ai eues avec des collègues du secteur de la réglementation financière aux États-Unis, j'ai l'impression générale que, pour les institutions réglementées par des organismes semblables au mien, comme les banques, la régie d'entreprise est assez comparable, pour ainsi dire. Il est difficile pour moi de faire des comparaisons avec la régie d'entreprise en place dans des secteurs autres que celui des institutions financières réglementées.
Toutefois, il est certain, par exemple, que le genre de régie d'entreprise décrit dans le rapport des administrateurs indépendants à propos d'Enron serait inacceptable dans le contexte des institutions financières réglementées du Canada. En effet, certains éléments de notre programme de surveillance nous auraient probablement permis d'identifier ce genre de problèmes.
Le sénateur Kelleher: Oui. Je peux imaginer que vous auriez réagi plutôt vigoureusement.
Le sénateur Taylor: J'ai un peu de difficulté à comprendre — mais je suis peut-être le seul. En ce qui concerne les institutions financières fédérales, où se trouve la ligne de démarcation? Par exemple, la Banque d'Alberta est-elle une institution financière fédérale? Elle émet des actions par voie de souscription publique.
M. Le Pan: Parlons-nous des «treasury branches», de ces «succursales du trésor»?
Le sénateur Taylor: Non. Les succursales du trésor n'existent plus. Elles avaient été créées pour contourner la réglementation fédérale.
M. Le Pan: Exactement. Je ne crois pas que la Banque de l'Alberta soit une institution financière fédérale en soi.
Le sénateur Taylor: Même si elle émet des actions?
M. Le Pan: Non, je ne le crois pas.
Le sénateur Taylor: Qu'en est-il d'une société pétrolière ou minière de Calgary ou d'une société cotée à la bourse de l'Ouest?
M. Le Pan: Fondamentalement, nous parlons de 350 à 400 institutions, dont toutes les banques à charte, la Banque canadienne de l'Ouest, qui fait des affaires dans l'Ouest canadien, et les banques étrangères qui font des transactions au pays. Nous parlons de la grande majorité des compagnies d'assurance, des compagnies d'assurance-vie. Certaines de ces institutions sont réglementées par les gouvernements provinciaux, mais la grande majorité relève de la réglementation fédérale. Nous ne parlons pas en règle générale des coopératives d'épargne et de crédit, qui sont réglementées par les gouvernements provinciaux.
Le sénateur Taylor: L'autre question que je désire poser porte sur un tout autre sujet, c'est-à-dire sur les administrateurs indépendants des institutions. Il est difficile pour un administrateur d'être indépendant, mais je me demandais ce que vous feriez à propos des soi-disant administrateurs indépendants. Comme vous le savez, lorsque l'invitation à l'assemblée annuelle est transmise, la direction recommande habituellement que les administrateurs soient reconduits dans leurs fonctions. Si l'un des administrateurs indépendants de l'exercice précédent devient plus indépendant, c'est-à-dire s'il est quelque peu en désaccord avec la direction, et si la direction décide de ne pas recommander cet administrateur et de ne pas l'inscrire sur la liste distribuée à l'assemblée annuelle, celui-ci devra, d'après les règlements existants, financer sa propre campagne ou la distribution d'informations aux actionnaires pour tenter d'être réélu.
Que feriez-vous dans pareille situation, c'est-à-dire si un administrateur indépendant devenait tellement indépendant que la direction décidait de ne pas le recommander dans les documents d'information distribués à l'assemblée annuelle?
M. Le Pan: Sénateur, je crois que cette question soulève un point important, à savoir que l'indépendance n'est pas seulement une question de règles, mais également une question de comportement et d'efficacité. Nous constatons l'existence de toute une gamme de pratiques de régie d'entreprise dans les institutions qui font l'objet de notre réglementation et de notre surveillance. Certaines pratiques sont efficaces, mais certaines doivent faire l'objet d'efforts plus intenses.
La loi fédérale sur les institutions financières nous accorde une série de pouvoirs. En ce qui concerne l'exemple que vous nous avez donné, j'examinerais le conseil d'administration et je déterminerais s'il est en mesure d'assumer adéquatement ses responsabilités. Si ce n'était pas le cas, nous pourrions agir de plusieurs façons. Nous avons déjà fait en sorte que des changements soient apportés à des conseils d'administration. Depuis l'adoption du projet de loi C-8, nous avons le pouvoir relativement officiel de retirer des administrateurs des conseils d'administration. J'ai toutefois constaté qu'il n'est pas toujours nécessaire d'avoir recours à ces pouvoirs pour obtenir des résultats. Nous avons déjà constaté que des conseils d'administration d'institutions financières réglementées ne fonctionnaient pas adéquatement, peut-être pour diverses raisons. Nous avons donc pris les mesures qui s'imposaient. Nous avons entre autres examiné l'information transmise au conseil et, au besoin, nous avons fait en sorte que des changements soient apportés à la composition du conseil.
Le sénateur Taylor: J'ai une question à ce sujet. Dans le passé, vous avez agi après avoir déterminé que les administrateurs n'étaient pas efficaces. D'après ce que j'ai compris, dans cette nouvelle ère, l'ère après-Enron, il sera encore plus important que les administrateurs soient indépendants. Comment saurez-vous qu'un administrateur est vraiment indépendant? N'avez-vous pas la responsabilité d'informer la population canadienne ou le grand public qu'un conseil en particulier compte quatre administrateurs indépendants? Si l'un de ces administrateurs est exclu du conseil ou s'il n'est pas reconduit dans ses fonctions, où entrez-vous en jeu? Après la crise Enron, la population veut des administrateurs indépendants, et quelqu'un doit leur confirmer que ces administrateurs le sont bel et bien.
M. Le Pan: Il est absolument essentiel que, dans toute règle sur l'indépendance des administrateurs, la définition du terme «indépendance» soit raisonnablement claire. Depuis 1992, nous disposons d'une pareille règle en ce qui concerne les institutions financières fédérales. Nous parlons d'administrateurs «membres du groupe» ou «non membres du groupe» plutôt que d'administrateurs indépendants, mais nous avons défini les termes «membre du groupe» et «non membre du groupe». Nous vérifions si les institutions réglementées utilisent un programme de surveillance leur permettant de se conformer aux exigences de la loi. Nous nous fions à ce programme de surveillance, mais nous en vérifions aussi l'efficacité.
À l'occasion, nous constatons qu'une institution croyait à tort qu'une personne répondait aux exigences techniques en matière d'indépendance, alors que cela n'était pas le cas. L'institution doit alors régler le problème. Nous lui demandons aussi de nous donner la raison pour laquelle son programme de surveillance n'a pas fait ressortir ce problème au moment opportun. Si nous ne sommes pas satisfaits de l'intégrité du programme de surveillance de l'institution, nous présentons des recommandations ou nous exigeons des améliorations.
Voilà le genre de processus que nous utilisons en ce moment. Si les exigences en matière d'indépendance de la loi fédérale sur les institutions financières changeaient ou que les définitions de la Loi canadienne sur les sociétés par actions étaient modifiées et si ces modifications étaient aussi apportées à la Loi sur les banques et à la Loi sur les sociétés d'assurance, nous utiliserions un processus semblable pour vérifier si les administrateurs répondent aux exigences techniques en matière d'indépendance. Dans ma réponse précédente, je vous expliquais qu'il est non seulement important de répondre à ces exigences, mais qu'il est aussi important que le conseil soit en mesure d'agir lorsque cela s'impose. C'est aussi ce que nous vérifions. Cette tâche est beaucoup plus difficile, puisqu'il ne s'agit pas d'une question de règles ou de lois.
Le vice-président: Merci beaucoup, monsieur. Comme il n'y pas plus de questions, nous nous réunirons à nouveau demain, à 11 heures.
La séance est levée.