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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 3 - Témoignages du 6 novembre 2002


OTTAWA, le mercredi 6 novembre 2002

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 15 h 45, pour examiner, afin d'en faire rapport, l'état actuel du régime financier canadien et international (Perspective du Canada de la faillite d'Enron).

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Pour la première partie de notre séance, nous recevons des représentants du Conseil canadien des chefs d'entreprise, dont M. Thomas Paul d'Aquino, M. David Stewart-Patterson et M. Sam T. Boutziouvis.

Bienvenue à M. d'Aquino et à son groupe. Si je comprends bien, monsieur d'Aquino, vous avez une déclaration liminaire.

M. Thomas Paul d'Aquino, président et chef de la direction, Conseil canadien des chefs d'entreprise: Nous sommes heureux d'apprendre que vous avez autorisé de tenir cette séance alors même que siège le Sénat, ce qui n'est pas chose facile, d'après ce qu'on me dit. Nous nous considérons donc privilégiés, monsieur le président.

J'ai comparu devant votre comité à plusieurs occasions et ce, depuis pas mal de temps et je suis toujours impressionné par le travail que vous faites. Comme je le disais à l'un de vos nouveaux membres, le sénateur Prud'homme, votre comité a une longue et glorieuse histoire. Nous suivons de près ce que vous faites et nous vous félicitons pour votre bon travail. Nous sommes heureux de voir que vous examinez la question critique de la gouvernance des entreprises.

Je sais que vous vous êtes déjà penchés sur cette question dans le passé, comme nous l'avons fait au sein de notre propre organisme. Toutefois, à ce moment-là, on ne la prenait pas autant au sérieux qu'aujourd'hui. Je suis heureux d'avoir l'occasion aujourd'hui de vous faire part de certaines réflexions à ce sujet.

Les marchés libres ne peuvent fonctionner, nous en convenons tous, sans pouvoir compter sur un degré élevé de confiance du public; or, les actions de quelques-uns ont miné à la fois la réputation des dirigeants d'entreprise en tant que groupe et la confiance du public à l'égard de l'intégrité de nos marchés financiers. C'est pourquoi, plus tôt cette année, les dirigeants d'entreprise du Canada ont décidé que, outre les efforts qu'ils déploient afin de régler le problème de la gouvernance à l'intérieur même de chacune des entreprises, il leur faut agir collectivement. En juillet, le conseil a lancé l'initiative sur la gouvernance des entreprises. Durant les semaines qui ont suivi, nous avons procédé à un examen approfondi des réformes envisagées à ce chapitre dans le monde. Nous avons dégagé des réflexions détaillées sur la façon dont le Canada pourrait établir des normes sur les pratiques de gouvernance qui n'aient pas leur égal dans le monde. Nous avons fait circuler pas une, ni deux, mais six ébauches pour atteindre un degré de consensus remarquable parmi des chefs d'entreprise dont la structure du capital social est très variée. En outre, il y a quelques semaines, le conseil a dévoilé ses recommandations dans un énoncé de première importance intitulé: «Gouvernance, valeurs et compétitivité: Un engagement vers le leadership,» dont nous avons remis des exemplaires au comité. Nous recommandons fortement à ceux qui ne l'auraient pas encore lu de le lire. Nous avons consacré beaucoup de temps et d'efforts à la rédaction de ce document qui nous implique de façon très directe.

Dans notre organisme, nous avons une règle: Si vous êtes PDG et membre du Conseil canadien des chefs d'entreprise, vous devez vous-même vous mettre au travail. Ces ébauches ont été lues et relues par un grand nombre de nos membres.

Notre première recommandation met l'accent sur le lien entre la confiance de l'investisseur et la responsabilité des PDG. Nos membres ont toujours signé leurs états financiers. Dans notre énoncé, ils ont d'ailleurs établi clairement qu'ils étaient prêts à garantir une attestation personnelle beaucoup plus complète et comparable à celle maintenant exigée aux États-Unis.

Dans cet énoncé, nous préconisons une application plus rigoureuse de la loi et des sanctions plus sévères pour des infractions à celle-ci, ainsi qu'une divulgation plus rapide et plus complète des transactions d'initiés. Comme nous en avons parlé avant le début de l'audience, il existe beaucoup de lois et l'un des problèmes au Canada, c'est que leur mise en application n'est pas suffisamment stricte, selon nous.

Nous avons suggéré que les conseils d'administration examinent la rémunération des chefs d'entreprise sous deux aspects clés. Tout d'abord, nous appuyant sur le principe que la rémunération du chef d'entreprise devrait être fortement liée au rendement, nous avons proposé que des sanctions judiciaires et réglementaires puissent être complétées par des ententes de travail, qui sont une invention de notre part. En plus d'offrir des récompenses liées à un bon rendement, les conseils d'administration pourraient inclure des dispositions contractuelles qui réduiraient les primes ou même exigeraient leur remboursement dans certaines circonstances. C'est ce que prévoit l'entente de travail.

En deuxième lieu, nous nous sommes penchés sur un problème plus vaste: trop de dirigeants peuvent encaisser trop rapidement des gains pour une performance qui s'avère non durable. Dans ce cas, nos membres ont indiqué que trop d'intervenants du marché, y compris plusieurs investisseurs institutionnels et épargnants, de même que plusieurs analystes, journalistes, administrateurs et cadres supérieurs, en sont venus à accorder trop d'importance aux résultats à court terme. C'est pourquoi notre énoncé recommande que les conseils d'administration envisagent de mettre davantage l'accent sur la rémunération liée au rendement à plus long terme.

Nous avons donné deux exemples de moyens en vue d'atteindre ce but: payer une partie importante des primes sous forme d'actions qui devraient être conservées jusqu'au départ ou jusqu'à la retraite; exiger qu'une partie considérable du produit après impôt de l'option d'achat d'actions reste investie dans les actions de l'entreprise pendant une période minimale.

Plus largement, nos membres sont d'avis qu'une saine gouvernance doit être davantage une question de valeurs que de règles; nous reconnaissons à cet égard qu'il incombe de manière fondamentale aux chefs d'entreprise de respecter ces valeurs. C'est pourquoi nos deuxième et troisième recommandations portent sur l'expression des valeurs d'une entreprise — à l'interne, grâce à un code de déontologie et de conduite complet et, à l'externe grâce à une bonne conscience sociale de l'entreprise et de bonnes relations avec les parties intéressées.

Quand nous nous sommes mis à la rédaction de ce rapport, certains ont dit que les valeurs représentaient une solution de facilité, ce à quoi nous avons répondu que le débat aux États-Unis, au Canada, en Europe de l'Ouest, ainsi qu'ailleurs dans le monde, porte justement sur la question des valeurs. C'est la raison pour laquelle nous avons consacré beaucoup de temps dans notre rapport à la question des valeurs, à ce que nous appelons la compétence morale du PDG.

Nous avons ensuite recommandé de façon très détaillée une vaste gamme de pratiques de saine gouvernance susceptibles de favoriser la présence de conseils d'administration plus forts et plus indépendants, de rehausser l'intégrité du processus de vérification et d'augmenter le degré et la portée de l'obligation d'informer le public.

Même si nos recommandations officielles se limitent à des mesures qui pourraient être prises à l'intérieur des entreprises par les actionnaires et les conseils d'administration, nous nous sommes aussi penchés sur le rôle vital que devraient jouer les actionnaires institutionnels, les comptables, les analystes, les maisons de courtage, les établissements d'enseignement et les médias, en plus des gouvernements et des organismes de réglementation.

Je devrais dire de nouveau que lorsque nous avons décidé d'opter pour une approche holistique, certains, même dans nos rangs, ont dit: «Ne faudrait-il pas se concentrer uniquement sur les conseils d'administration et peut-être sur le rôle du PDG? Ne faudrait-il pas donner des conseils aux investisseurs institutionnels, aux analystes et aux vérificateurs, aux établissements d'enseignement et aux médias?» Nous avons répondu oui, parce qu'il s'agit d'un problème systémique qui touche tous les intervenants et qui ne peut se régler uniquement en prêtant attention aux conseils d'administration.

Nous n'avons cessé de souligner qu'une grande part de ce qui doit se faire pour rétablir et rehausser la confiance des investisseurs à l'égard de l'intégrité des entreprises et des marchés canadiens peut et doit être fait à l'intérieur du secteur privé. Individuellement et collectivement, c'est aux dirigeants d'entreprise de regagner la confiance du public dont ils ont besoin pour bâtir leurs entreprises et renforcer l'économie. Aucun gouvernement ne peut légiférer cette confiance. Aucun organisme de réglementation ne peut la restaurer. Ce sont les entreprises qui doivent la mériter.

Aux États-Unis, c'est le processus politique qui a décidé de la réaction au scandale d'Enron et à d'autres grands scandales causés par des infractions à la loi. Les législateurs qui étaient déjà sur la voie d'élections de mi-mandat — qui ont eu lieu hier — se sont empressés de ficeler un ensemble de nouvelles lois en apparence rigoureuses pour compléter celles qui avaient déjà été violées. La Loi Sarbanes-Oxley impose un train de nouvelles règles et de nouvelles sanctions qui touchent les conseils d'administration, les cadres supérieurs, les comptables, les avocats et les autres intervenants du processus de gouvernance des entreprises. Elle crée également un écart important entre les cadres juridiques et réglementaires des États-Unis et du Canada.

Dans ce contexte, quelle attitude le Canada doit-il adopter? Il s'agit, je le sais bien, de la question essentielle dont votre comité est saisi, honorables sénateurs.

D'après la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, nous n'avons pas d'autre choix que l'harmonisation. Cet organisme estime que l'adoption de tout cadre réglementaire moins complet et moins rigide que les exigences de la Loi Sarbanes-Oxley pourrait mener à une perte de confiance susceptible de provoquer la fuite des capitaux des marchés du Canada.

D'autres intervenants clés disent autre chose. Barbara Stymiest, par exemple, PDG de la Bourse de Toronto, souligne que la mise en oeuvre de la Loi Sarbanes-Oxley va probablement être longue, complexe et désordonnée; elle va causer, selon elle, un climat d'incertitude considérable aux États-Unis et occasionner de nombreuses erreurs qu'il faudra réparer. Mme Stymiest demande pourquoi nous voudrions imposer une telle incertitude aux marchés canadiens, en particulier aux petites entreprises, qui n'ont peut-être pas les moyens nécessaires pour se soumettre à un nouveau fardeau réglementaire d'envergure.

Il y a quelques mois, lors d'une table ronde sur la gouvernance à laquelle participaient des personnes influentes aux États-Unis, j'ai demandé que l'on m'explique un article particulier de la Loi Sarbanes-Oxley. Quelqu'un m'a répondu: «Tom, je ne vais pas pouvoir vous répondre avant quatre ans, car les procès vont se multiplier. Il se peut fort bien que l'on ne puisse pas donner de réponse définitive avant quatre ans. C'est l'un des problèmes que pose une approche fondée de manière obsessive et exclusive sur les règles».

Le Financial Times de Londres a récemment signalé que des douzaines d'entreprises cotées en bourse, aux États- Unis, recherchent maintenant des moyens de radier leurs actions et de se transformer en sociétés fermées à cause du fardeau qu'imposent tous les nouveaux règlements. En multipliant les responsabilités des dirigeants et les coûts d'application et en réduisant la couverture des analystes et la liquidité des actions, les nouvelles règles semblent pénaliser de manière disproportionnée les petites entreprises ouvertes. Cette situation a des répercussions importantes au Canada, où la vaste majorité des sociétés ouvertes sont très petites par rapport aux normes du marché des capitaux des États-Unis.

Bon nombre de grandes sociétés ouvertes du Canada — dont beaucoup des PDG sont membres de notre organisme — sont directement touchées par la Loi Sarbanes-Oxley. Pour elles, la question des coûts et des avantages est théorique. De manière plus générale, toutefois, les PDG canadiens comprennent l'importance d'une saine gouvernance. Certains pourraient devoir se plier à la loi américaine, mais pour toute entreprise, se soumettre aux normes les plus élevées à l'échelle mondiale constitue un moyen de se doter d'un avantage concurrentiel important.

En même temps, les PDG canadiens reconnaissent que, en matière de gouvernance, il n'y a pas toujours de solution universelle; certains principes sont universels, mais leur mode d'application doit être adapté aux circonstances. En particulier, plusieurs membres du Conseil canadien des chefs d'entreprises craignent que l'adoption globale des nouvelles règles américaines puisse entraver, et non améliorer, la capacité de milliers de petites entreprises ouvertes canadiennes d'attirer du capital.

À mesure que ces entreprises prennent de l'ampleur, les attentes des investisseurs augmentent également. Entre- temps, même si les investisseurs doivent faire confiance en l'intégrité fondamentale des résultats et des états financiers d'une entreprise, ils doivent aussi avoir l'assurance que le principal souci de la direction est de faire croître les affaires et non de consulter les avocats de l'entreprise.

Certains ont qualifié de laissez-faire l'accent mis par le conseil sur l'action volontaire. Quelqu'un m'a dit: «Vous proposez un certain attentisme qui ne correspond pas aux réalités des marchés d'aujourd'hui». Il est vrai que le conseil favorise une démarche fondée sur des principes plutôt que sur des règles pour améliorer les pratiques de gouvernance. S'il en est ainsi, c'est parce que nous croyons que des lignes directrices complètes s'appuyant sur une base juridique et réglementaire solide et assorties de l'obligation d'informer le public, constituent en fait un moyen plus efficace d'améliorer les normes d'un comportement acceptable et de prévenir des abus de confiance du public, que toute autre approche trop axée sur des règles précises, mais étroites.

Les avocats ont le don de contourner les règles. Si celles-ci sont trop complètes et trop rigides, cela risque de donner lieu peut-être, à de la négligence, plutôt qu'à de la vigilance. Le Canada doit faire mieux que la Loi Sarbanes-Oxley et ne pas se contenter de suivre le même chemin que les États-Unis.

La démarche canadienne repose sur un mélange de règles et de principes, comme ce sera d'ailleurs toujours le cas. Toutefois, lorsque nous examinons des moyens d'aller de l'avant, nous devons nous rappeler que les règles servent à définir le minimum acceptable. Quant aux principes, ils servent à rehausser le comportement des individus et des entreprises au-delà de ce minimum légal. La question qu'il faut alors se poser est la suivante: Dans quelle mesure le fait de rehausser le minimum acceptable plutôt que de renforcer les normes de pratique réelles augmentera-t-il la confiance des investisseurs?

Les attentes élevées de la part des investisseurs, combinées à la pression des pairs, peuvent avoir un impact important. Elles ont contribué à elles seules à rehausser les normes de la pratique canadienne au-dessus de celles en vigueur aux États-Unis dans des domaines clés comme la séparation des fonctions de président du conseil et de chef de la direction, de l'évaluation du rendement des administrateurs et de l'accès de ceux-ci à des conseillers externes. Nous sommes déjà bien en avance par rapport aux États-Unis et ce, depuis cinq ou sept ans.

Néanmoins, même une odeur d'inconvenance dans le marché hautement sceptique d'aujourd'hui peut provoquer une réaction brusque et dramatique. En se fondant sur l'obligation d'informer le public pour donner du pouvoir aux investisseurs plutôt qu'aux avocats, une culture fondée sur les principes peut punir les actions qui ne résistent pas à l'«épreuve olfactive» beaucoup plus rapidement et, souvent, plus efficacement que tout processus réglementaire et législatif.

Le président: Pourriez-vous préciser votre pensée? Si j'ai bien compris, vous dites que si l'on ne suit pas les principes ou les valeurs, on est puni. Qui se charge des sanctions et comment sont-elles décidées?

M. d'Aquino: Prenons l'exemple d'Enron, entreprise dotée de l'un des meilleurs codes de gouvernance des entreprises aux États-Unis, dirigée par un chef de direction et des cadres supérieurs parmi les plus respectés aux États-Unis, et dont la capitalisation boursière était absolument renversante. Lorsqu'il est apparu clairement — et rappelez-vous la rapidité avec laquelle c'est arrivé — que plus rien ne cadrait, qu'est-il arrivé à Enron et aux dirigeants, ainsi qu'aux conseillers financiers? Ce qui est fondamental, et qui pourrait s'appliquer à WorldCom et Tyco, et cetera, parce que la liste ne cesse de s'allonger, c'est que le marché a montré qu'il peut punir brutalement et beaucoup plus rapidement que les avocats ou les législateurs ceux qui ne se conforment pas aux règles. Je vais maintenant conclure et nous pourrons ensuite passer aux questions.

La réalité d'aujourd'hui, c'est que toute action d'une entreprise n'importe où au monde a un impact immédiat et réel sur sa réputation et ce, n'importe où. En effet, la mondialisation de l'information signifie que loin d'être engagées dans une course vers le bas, les entreprises sont maintenues au niveau du dénominateur commun le plus élevé et que leur performance a des incidences sur tout, qu'il s'agisse de leur permis d'exploitation ou de leurs relations avec leur clientèle, ou encore de leur capacité de recruter et de retenir des employés. En outre, les actions d'une entreprise dans quelque domaine que ce soit — environnement, droits de la personne, traitement de la main-d'oeuvre ou sécurité des produits — peuvent avoir des effets importants sur les perceptions de risque des investisseurs et produire des conséquences immédiates et potentiellement graves sur le cours de ses actions.

Les autorités canadiennes examinent, comme il se doit, les mesures discutées et adoptées dans d'autres pays et étudient les éléments qu'il vaudrait la peine d'adopter ici. Rétablir la confiance du public exigera plus que l'adoption de nouveaux codes de déontologie ou pratiques de gouvernance. Il va de soi qu'il faut être constamment vigilant et punir ceux qui ne respectent pas les règles; néanmoins, rien ne peut remplacer l'honnêteté et l'intégrité personnelle.

À notre époque où nous sommes envahis par l'information, la réputation importe plus que jamais. Le Canada, selon moi, est déjà bien placé à cet égard. Les membres du Conseil canadien des chefs d'entreprise se sont engagés à jouer un rôle de premier plan pour que cette tendance se maintienne. Nous avons hâte de travailler avec d'autres intervenants du marché, avec les organismes de réglementation et les gouvernements au cours des prochains mois pour faire en sorte que la saine gouvernance des entreprises demeure l'un des principaux avantages concurrentiels du Canada.

Ce qui nous a véritablement incités à rédiger notre document, qui vous a été distribué, c'est la croyance fondamentale que, le fait d'avoir les meilleures pratiques de gouvernance des entreprises au monde non seulement sert les intérêts des investisseurs canadiens et de ceux qui sont responsables des fonds de pension, mais aussi favorise notre compétitivité ainsi que l'avantage concurrentiel que recherchent les entreprises canadiennes dans le monde.

Il est ressorti clairement — et d'ailleurs une excellente étude a été faite par McKinsey & Company pour classer les pays en fonction de leurs niveaux et pratiques de gouvernance des entreprises — que le Canada se classe parmi les premiers de la liste, tandis que d'autres pays commencent à dégringoler, puisque nous vivons une période où la confiance reste l'élément le plus important. Nous savons que tout investisseur qui envisage d'investir dans un pays, une entreprise ou une affaire en particulier veut savoir ce qui se cache derrière cette entité. Nous avons de bons antécédents. Pouvons-nous faire mieux? Bien sûr que oui et nous expliquons en détail dans notre document comment y parvenir.

Le président: Je vais maintenant céder la parole aux sénateurs et j'espère qu'ils vont approfondir un peu plus la question d'Enron. Cette entreprise a été punie, mais comment faire pour que cela ne se produise plus? Comment trouver des administrateurs expérimentés? Beaucoup de questions pertinentes n'ont pas encore été abordées.

Le sénateur Kelleher: J'aimerais m'attarder davantage sur ce que vous avez dit: nous avons besoin d'un système national de réglementation pour la bourse. Comme vous le savez, certaines provinces résistent beaucoup à une telle suggestion. Depuis des années, je ne cesse de dire qu'il ne faudrait qu'un seul organe de réglementation et si je comprends bien, certaines provinces ont l'impression que c'est la Bourse de Toronto et l'Ontario en général qui vont l'emporter. Qu'en pensez-vous et comment, d'après vous, peut-on convaincre les provinces d'adopter un système national de réglementation?

M. d'Aquino: Sénateur, compte tenu du rôle de premier plan que vous avez joué à l'époque du grand débat sur le libre-échange, vous savez que nous voulions, entre autres choses, parvenir à un degré plus élevé d'intégration de notre marché national afin de pouvoir soutenir plus efficacement la concurrence à l'étranger. Dès les années 80, notre organisme a défendu le concept d'un organisme national de réglementation. À cette époque, c'était essentiellement en raison de la compétitivité, de la rentabilité, du supermarché de la finance, et cetera. Cette question s'est avérée difficile — les relations entre les provinces, les régions et le gouvernement fédéral — si bien que nous avons dit clairement qu'Ottawa ne devrait pas imposer un régime national de réglementation au pays, mais qu'il faudrait envisager un régime national dont les provinces seraient les parties prenantes, les acteurs.

Nous continuons d'appuyer cette approche. Nous ressentons une certaine frustration du fait que les choses tardent à se concrétiser, personne ne voulant céder du terrain. Cela nous irrite, tout comme beaucoup d'intervenants sur les marchés financiers. Je ne pense pas que cela facilite notre compétitivité, alors que nous essayons de rendre notre économie plus rentable. Nous allons continuer de préconiser cette idée, mais ce n'est pas un organe fédéral de réglementation, mais plutôt un organe national composé des intervenants clés qui est la solution. En 2002 ou en 2003, nous avons certainement les moyens d'instaurer un système national ou les parties, d'où qu'elles proviennent, se sentiront à l'aise et n'auront pas l'impression de se retrouver à la remorque de Toronto. Ce ne sera cependant pas une tâche facile.

Le sénateur Kelleher: Nous avons entendu plusieurs personnes dire au chapitre des nouvelles règles et des nouvelles peines, qu'il existe déjà des lois et qu'il est inutile d'en adopter de nouvelles. Si les lois sont en place, pourquoi ne sont- elles pas appliquées? Quand, pour la dernière fois, quelqu'un a-t-il été emprisonné pour une telle infraction? Certaines des peines se résument à des services communautaires ou à des amendes dans le cas où quelqu'un se serait enrichi par suite d'actes frauduleux. Pourquoi, à votre avis, l'application semble être laxiste? Pourquoi ne sommes-nous pas plus stricts? Si les lois existent, pourquoi ne sont-elles pas appliquées? Pourquoi cela prend-t-il autant de temps?

On peut dire ce qu'on veut des Américains, mais il n'a pas fallu beaucoup de temps avant que leurs journaux ne soient couverts de photos de délinquants en menottes, traînés en cour. Ils ont été condamnés en l'espace de 9 ou 12 mois et certains purgent aujourd'hui des peines de prison. Regardez depuis quand dure le procès de Bre-X; quant à celui de Livent, il a traîné pendant des années.

Ai-je raison de croire que nous avons des lois pour ce genre de choses qui ne sont pas appliquées? Si non, pourquoi?

M. d'Aquino: Avant de commencer, permettez-moi de mentionner que nous sommes tous deux avocats.

Le sénateur Prud'homme: C'est d'ailleurs un des problèmes.

M. d'Aquino: Peut-être. Je suis surpris que le sénateur Prud'homme n'ait pas encore cité Shakespeare.

Nous ne sommes pas les seuls à faire face à ce problème, les Britanniques et les Américains le sont aussi. Les sociétés dont les traditions juridiques sont profondément enracinées et respectées, consacrent beaucoup de temps et d'énergie à veiller au respect de l'application régulière de la loi, ce qui explique beaucoup de choses, y compris la longue liste des procès criminels en attente. L'autre problème, c'est que les organes de réglementation disent ne pas avoir les ressources nécessaires pour faire leur travail.

Je pense qu'il faut apporter des améliorations sur deux fronts: premièrement, les ressources doivent être suffisantes; deuxièmement, le pouvoir législatif doit formellement indiquer que c'est important et donc, doit être fait. En l'absence d'un leadership déterminé, de lois claires et limpides et de règlements tout aussi clairs qui cadrent avec la loi et répondent aux besoins en matière de ressources, je pense que vous aurez des problèmes. Mon collègue voudrait peut- être ajouter quelque chose.

M. David Stewart-Patterson, premier vice-président, Politiques, Conseil canadien des chefs d'entreprise: J'aurais peut- être quelques remarques à faire à propos du manque de vigueur dans les poursuites judiciaires.

Le sénateur Kelleher: Si la loi est au rendez-vous.

M. Stewart-Patterson: Elle y est, et c'est d'ailleurs une de nos préoccupations. Pourquoi instaurer de nouvelles lois quand nous en avons déjà qui ne sont pas appliquées? C'est pourquoi nous hésitons à imiter aveuglément la Loi Sarbanes-Oxley avant de déterminer si les lois existantes sont appliquées comme il le faudrait.

J'aimerais revenir à la question posée plus tôt par le président, à propos des raisons pour lesquelles nous estimons que les marchés peuvent efficacement imposer la discipline voulue et prévenir les abus futurs. Nous voyons encore comment le processus juridique punit les personnes qui violent la loi ou qui sont présumées l'avoir fait dans le passé. Les marchés vous ruineront bien avant que les tribunaux ne vous emprisonnent. Ces conséquences sont peut-être toutes deux appropriées, mais je pense qu'un marché éclairé réagit avec vigueur.

Nous avons vu des cas ces derniers mois où la seule insinuation par un analyste qu'une société ne fait pas les choses comme il le faudrait a une incidence immédiate sur le cours de l'action jusqu'à ce que la société visée réagisse. Certaines ont dû divulguer toutes leurs informations afin d'apaiser le plus vite possible les préoccupations qui avaient été soulevées, faute de quoi, le cours de leurs actions prend un coup, ce qui, par ricochet, a un impact sur la rémunération des hauts gestionnaires et souvent d'autres employés. De ce point de vue, le marché comporte de puissants incitatifs.

Ce que j'aimerais également dire, c'est que lorsqu'un marché est mieux informé, la prévention s'en trouve accrue. Par exemple, le Globe and Mail a non seulement publié récemment une série d'articles sur la gouvernance des entreprises, mais a aussi dressé un tableau de classement des sociétés. Je suis d'avis que ce genre de publicité encourage bon nombre de sociétés à réfléchir et à agir bien avant la prise de règlements nécessaires pour mettre en oeuvre les dispositions de la Loi Sarbanes-Oxley, voire même rédiger une loi équivalente.

Le sénateur Kelleher: Vous ne répondez pas à ma question.

M. Stewart-Patterson: Je répondais à un commentaire du président.

M. Sam T. Boutziouvis, vice-président, Politiques, et conseiller économique principal, Conseil canadien des chefs d'entreprise: Malgré le fait que je n'ai aucune formation juridique, j'aimerais intervenir. Premièrement, il est très difficile de prouver sans l'ombre d'un doute que de telles fraudes ont été commises, au Canada et, en particulier, aux États-Unis. Regardez ce qui s'y passe actuellement: les cadres supérieurs de Enron et de WorldCom n'ont toujours pas été fustigés pour les fraudes qu'ils sont présumés avoir commises. Le processus qui a été adopté aux États-Unis est «ascendant», c'est-à-dire qu'ils prennent quelqu'un qui a de toute évidence commis une infraction, et remontent l'échelle afin de trouver d'autres personnes à mettre en prison. À cette fin, la loi Sarbanes-Oxley prévoit des modifications des lois et règlements, permettant ainsi aux personnes de dénoncer plus facilement ceux qui commettent des actes illicites aux plans déontologique, moral ou juridique dans l'entreprise. Grâce au renforcement des règlements ainsi qu'aux nouvelles protections offertes aux dénonciateurs, on pourra peut-être commencer à résoudre les questions que vous posez.

Le sénateur Kelleher: Faudrait-il envisager d'adopter des lois semblables? En effet, il semble que l'on tourne en rond au Canada.

M. Stewart-Patterson: Nombreux sont nos membres qui partagent votre frustration. Comme M. d'Aquino l'a mentionné plus tôt, les actes d'une minorité peuvent saper la réputation de la majorité. Les membres de notre conseil disent que nous devons être plus durs, renforcer les lois et faire en sorte que les peines reflètent la gravité de l'infraction, et prévoir des peines de prison au besoin. Si c'est parce que les organes de réglementation n'ont pas les ressources nécessaires, il faudrait alors régler ce problème.

M. d'Aquino: Autrement dit, sénateur Kelleher, la grande majorité des gens sont honnêtes. Quand les médias nous apprennent que quelques-uns se sont mal comportés — ce qui a exaspéré le public dans ce cas précis — notre sentiment de frustration est décuplé, surtout quand nous risquons de grosses pertes sur le marché.

Dans une situation pareille, un PDG ne peut que mal réagir étant donné la perte de confiance du public et l'apparent manque d'intégrité. Nous sommes fiers de voir que d'après les sondages faits au Canada, les gens ont une meilleure perception des PDG que des politiciens et des dirigeants syndicaux. La valeur de nos actions a quand même chuté, ce qui est vexant. Quelle conclusion pouvons-nous en tirer? Le fait de prendre les coupables la main dans le sac, les punir et les incarcérer ferait l'affaire de tout le monde.

Le sénateur Kelleher: Ce n'est pas ce qui se passe.

M. d'Aquino: J'ai avancé deux raisons pour lesquelles ce n'est effectivement pas le cas.

Le sénateur Kelleher: Je pense que vous avez en partie raison. Quand j'étais solliciteur général, la GRC relevait théoriquement de moi. Je sais qu'ils sont terriblement surchargés en ce moment dans le domaine de la fraude commise par le personnel. Je sais que si vous essayez de faire intervenir la police, elle vous conseille en général de faire appel au secteur privé.

Le sénateur Fitzpatrick: Certains commentaires de M. d'Aquino et de M. Stewart-Patterson m'inquiètent. Peut-être les ai-je mal interprétés. Vous avez mentionné la rudesse du marché et la dureté avec laquelle il punit les transgresseurs. Cependant, ce ne sont pas les transgresseurs qui sont punis par le marché, mais bien les actionnaires. Il faut donc dénicher les auteurs de ces transgressions et les punir, et non attendre que les actionnaires en subissent les conséquences. Autrement, la confiance du marché en prendra un coup. Je ne suis pas sûr de ce que vous vouliez dire. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une solution, mais bien d'un problème plus important auquel nous sommes confrontés.

M. d'Aquino: Sénateur Fitzpatrick, permettez-moi d'élaborer à ce sujet, car vous soulevez une très bonne question. Il est vrai que de nombreuses personnes ont subi les conséquences des actes d'une minorité. Notre première préoccupation est donc de trouver un moyen de rétrécir cette minorité, c'est d'ailleurs le but de notre exercice sur la gouvernance. Nous vous conseillons donc vivement de lire le document.

Nous abordons entre autres la question de l'intégrité des PDG. Combien de temps passons-nous aujourd'hui, au sein de nos sociétés, à scruter tous les éléments que je considère faire partie de l'intégrité d'un PDG qu'on s'apprête à embaucher? J'ai travaillé avec des milliers de PDG, dont une grande majorité était d'une honnêteté irréprochable. Il y a toujours des exceptions, cependant. Si vous regardez certaines des transgressions qui ont été commises, vous trouverez que les antécédents de l'auteur n'ont pas été vérifiés. Il était peut-être diplômé de Harvard, mais on n'a jamais découvert qu'il avait triché à l'école secondaire. Nous devons faire preuve d'une vigilance accrue en choisissant nos leaders.

Deuxièmement, j'aimerais aborder la question des conseils d'administration. Je suppose que vous avez tous fait partie d'un conseil d'administration à un moment donné. Qu'attendons-nous d'eux? Nous savons que certains d'entre eux sont meilleurs que d'autres. Une des leçons que nous devons tirer de cette crise, c'est que les conseils d'administration doivent exercer leurs fonctions infiniment mieux qu'ils ne le font aujourd'hui. Nous exposons les façons d'y arriver dans notre document. Nous examinons en détail les comités clés de rémunération, de nomination et de vérification, et indiquons le caractère essentiel de l'indépendance de ceux-ci.

Nous fixons ce que j'appelle la norme d'or, en tentant d'améliorer un système qui est quand même assez bon en comparaison avec d'autres pays. C'est la seule façon de protéger les actionnaires, les gens ordinaires qui ont déjà énormément souffert à cause des actes d'une minorité.

Le président: On entend beaucoup parler de l'importance de l'indépendance de directeurs, mais jamais des responsabilités propres à un directeur. De quelle formation et de quelle éducation a-t-il besoin? Pourquoi n'y a-t-il pas de cours de direction offerts à l'université? Cela peut paraître ridicule, mais je n'ai toujours rien entendu à ce sujet. Peut-être pourrons-nous l'aborder plus tard.

M. d'Aquino: Dans notre document, sénateur, nous insistons sur le fait que les directeurs devraient non seulement être qualifiés, mais aussi continuer de se qualifier. Nous mettons donc l'accent sur l'évaluation continue, les programmes de formation des directeurs, et cetera. Nous savons tous que les gens sont paresseux et occupés. Ils savent qu'ils devront se soumettre tous les ans à une vérification, et que s'ils ne font pas l'affaire, ils seront renvoyés.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: On parle du besoin d'étudier et de retrouver la confiance de nos investisseurs et de nos travailleurs qui ont des fonds de pension. Voici quelques données américaines: elles sont un peu plus basses pour le Canada et si on les ajuste, on arrive à peu près à la même chose. Les 100 plus importants chefs d'entreprise aux État- Unis, en 1970, gagnaient 3,3 millions de dollars; en 1999, ils gagnaient 37 millions de dollars, soit mille fois le salaire américain moyen. Un pour cent des ménages aux États-Unis gagnaient l'équivalent de 20 millions de citoyens plus pauvres. Quand on parle de l'évolution et de la justice sociale, ces chiffres permettent de se poser des questions. Je veux poser des questions sur les compensations offertes aux chefs d'entreprises.

On a l'exemple de deux entreprises au Canada, Nortel et Teleglobe qui ne se comportent pas tellement bien sur le marché. Les chefs de ces deux entreprises sont à la retraite et reçoivent un ou deux millions de dollars par année, à vie. Ils ont retiré pratiquement en options, d'achat d'actions autour de 100 millions de dollars. Ils mènent une très belle vie.

Ma coiffeuse a investi 50 000 dollars parce que son beau-frère travaillait chez Nortel. Ses économies de 25 ans, au titre de fonds de pension, ont perdu presque toute leur valeur. À 55 ans, elle se voit obligée de travailler dix ans de plus.

Vous parlez d'avoir des comités de compensation. Est-ce au public ou à des organisations comme la vôtre ou à la bourse de Toronto d'établir des lignes directrices qui feront que la rémunération ira en fonction des responsabilités?

Au gouvernement fédéral, nous avons des fonctionnaires qui ont des tâches aussi importantes que tous vos présidents d'entreprises et qui travaillent de façon aussi ardue pour le bien-être du public à des salaires 10 fois moindre qu'eux et qui ont des pensions dans le même ordre. Il faut une organisation qui va donner des lignes de conduite pour les compensations. J'ai lu récemment que l'on pleurait parce que l'on ne serait plus capable, à cause des lois américaines, de donner des prêts à des gens qui étaient dans des compagnies publiques.

En vertu de quoi une personne qui travaille dans une compagnie publique peut-elle prendre les fonds des actionnaires et se consentir un prêt à des taux plus favorables alors que tous les citoyens et les employés n'ont pas accès à ces bénéfices? Je vous pose la question: qui doit établir les normes pour les gens qui sont à la tête de ces entreprises et qui ne rendent de comptes à personnes? On sait que dans les assemblées d'actionnaires annuelles, c'est la direction qui dirige tout, qui prépare tout et que le petit actionnaire n'a aucun pouvoir dans ces réunions. D'où doivent venir les normes?

M. d'Aquino: C'est une question primordiale quand on parle de gouvernance.

[Traduction]

En passant, ce point de vue est partagé par de nombreuses personnes, y compris dans notre milieu d'affaires, qui estiment que les écarts de rémunération dont parlait le sénateur ne sont absolument pas justifiables. Dans notre document dont vous avez un exemplaire, nous soulignons l'importance de la proportionnalité entre la rémunération et le rendement, et en particulier, entre la rémunération et le rendement à long terme. Je tiens à mentionner qu'aucun de nos PDG s'y est opposé. Personne n'a dit «Je veux juste pouvoir tirer plein profit des recettes exceptionnelles que nous avons réalisées cette année». Cette question a suscité un appui considérable, parce que la majorité des PDG ont pris conscience du fait que, surtout dans les cinq à sept dernières années, les chiffres étaient devenus complètement insensés pour le Canadien moyen, après le boom des secteurs des télécommunications et de l'Internet. Quand ceux-ci se sont effondrés, les gens en ont subi les conséquences, ils se sont demandés: «Est-ce que celui-là vient de s'en tirer avec 60 ou 100 millions de dollars». Beaucoup de gens ont souffert dans la foulée de cette crise. Une des leçons que nous devons tirer de tout ceci, c'est que nous devons faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais.

Revenons à votre question: qui devrait prendre cette décision? Les Américains ont commis une grosse erreur qui a aggravé le problème: ils ont décidé de voter une loi limitant la rémunération des PDG à 1 million de dollars par année. Qu'ont-ils fait? Ils ont inventé le concept d'option d'achat d'actions.

Le président: Je vous demande pardon, mais ils n'ont pas limité leur rémunération à 1 million de dollars; ils ne pourront simplement pas bénéficier d'une déduction d'impôt au-delà de 1 million de dollars.

M. d'Aquino: Veuillez m'excuser. C'était cette limite, monsieur le sénateur, qui a mené à la création d'autres instruments. Ce que j'essaie de dire, c'est que l'expérience nous a montré que nous sommes loin d'avoir résolu le problème. En fait, on pourrait même dire que nous en avons créé un.

Qui devrait s'en charger? Je ne pense pas que ça devrait être les législateurs, ni les organismes de réglementation, mais plutôt les conseils d'administration. Et nous revoilà au coeur même de l'entreprise: nous avons les actionnaires, nous avons les conseils d'administration qui sont censés être compétents, vigilants, honnêtes et veiller non seulement aux intérêts de leur société, mais aussi, dans ce contexte plus moderne, à sa réputation. Ce sont eux qui devraient être scrupuleux en matière de paiements, du montant de ces paiements et des bénéficiaires, ainsi qu'en matière de résultats attendus. Je ne pense pas que ce soit la responsabilité des organes de réglementation ou des législateurs.

Le président: Vous ne semblez pas répondre à la question du sénateur. Je comprends où vous voulez en venir, mais s'agit-il d'une série de lignes directrices? Si oui, sont-elles disponibles? Si vous ne les suivez pas, que se passe-t-il?

M. d'Aquino: Je ne pense pas qu'on puisse avoir une série de lignes directrices.

Le président: Moi non plus.

M. d'Aquino: Chaque entreprise doit fixer ses propres lignes directrices. Ce qui marchera pour Noranda est peut-être différent de ce qui marchera pour BCE ou Nortel. Ce qui marchera pour une jeune entreprise qui ne réalise encore aucun bénéfice ne marchera pas pour une vieille société de plus de 100 ans. C'est une décision qui revient aux conseils d'administration, qui sont conscients de tout, le rendement, l'équité, la justice, la réputation et le bon sens. Si nous disons «Nous ne déléguerons pas cette tâche au conseil» ou «Nous lui indiquerons comment s'en charger», je pense que nous courons le risque d'abandon des responsabilités. Soit c'est la responsabilité du conseil, soit ça ne l'est pas. À notre avis, ça devrait l'être. Soyons francs: au cours des cinq à sept dernières années, de nombreux conseils d'administration ne faisaient pas leur travail.

Le sénateur Tkachuk: Le sénateur Kelleher a soulevé un point dont nous avons souvent parlé auparavant. Je suis d'accord avec vous que moins le gouvernement s'occupe de la rémunération, mieux c'est. Ce qui s'est passé dans la plupart de ces cas n'était que le fruit de la stupidité humaine.

M. d'Aquino: Et de l'avidité.

Le sénateur Tkachuk: Et de l'avidité, bien sûr. Nous en sommes tous coupables, en un sens. Le sénateur Kelleher m'a fait remarquer que de nombreux joueurs de hockey viennent de la Saskatchewan. Tout le monde dit qu'ils se font trop payer, qu'ils ne sont que des joueurs de hockey. Ça ne me dérange nullement que ces joueurs de hockey reçoivent tout cet argent, ce ne sont pas eux qui décident de leur rémunération, mais bien les propriétaires. S'ils veulent leur payer des salaires faramineux pour quelques coups de patin et de bâton, tant mieux pour eux, et tant mieux pour les joueurs qui en profitent — on pourrait dire la même chose des joueurs de base-ball. En conclusion, tant mieux pour les PDG. Si le conseil est assez stupide pour leur verser ces sommes, qu'il le fasse, mais la compagnie devra en subir les conséquences.

Quelque chose semble avoir mal tourné et c'est ce à quoi je veux en venir. Vous avez mentionné que non seulement votre rapport traite des PDG, des conseils d'administration et de la gouvernance des entreprises, mais aussi des analystes externes, entre autres. C'est ce qui me dérange. Que les analystes et les maisons de courtage font-ils? Comment ont-ils fait pour s'en tirer sans culpabilité dans ce chaos? Pourquoi n'informent-ils pas les gens à qui ils vendent des actions — soit leurs clients, ceux dont ils sont censés s'occuper et à qui ils sont supposés dire ce qui se passe — pourquoi ne leur disent-ils pas ce qui s'est passé dans ces entreprises? L'investisseur ordinaire ne sait jamais combien un individu est rémunéré, parce que ce n'est pas son travail de le savoir. Il s'attend à ce que quelqu'un le lui dise.

Comment faire pour s'assurer que le marché n'est pas corrompu? Je pense que c'est la source de beaucoup de problèmes. Les milieux financiers s'occupent de recueillir des fonds et de mener des analyses, et les bureaux de recherche sont supposés informer le milieu des affaires et les investisseurs au sujet de chaque entreprise. Que recommandez-vous pour les aider? En d'autres termes, les analystes devraient dire à leurs clients que monsieur Untel reçoit une somme d'argent démesurée et que pour cette raison, ils ne devraient pas investir dans cette entreprise, qu'elle est gérée par une bande d'escrocs stupides.

Le sénateur D'Aquino: D'abord, sénateur, vous nous dites: «Ne blâmez pas les PDG. Si une entreprise est prête à verser de telles sommes à son PDG, qu'elle le fasse». C'est l'une des choses par rapport auxquelles je suis personnellement en fort désaccord. C'est toute la question de la compétence morale dont je vous parlais. Si quelqu'un vous dit: «L'an dernier, votre société a perdu 100 millions de dollars, mais parce que nous vous aimons bien, que nous allons à la pêche ensemble et que nous jouons au golfe ensemble, nous allons vous donner, en plus de votre salaire de 5 millions de dollars, une prime de 5 millions de dollars». Devriez-vous accepter?

Le sénateur Tkachuk: Je pense qu'il faudrait que je demande à ma femme. Cela ne dépendrait pas seulement de moi.

M. d'Aquino: Il y a beaucoup d'exemples réels au Canada, mais je ne veux pas en utiliser un vrai. Vous savez probablement de quoi je parle. Les avantages offerts étaient énormes et excessifs, ils étaient révoltants pour les gens dans la rue, mais la personne a répondu: «C'est ce que le conseil d'administration m'a donné, donc pourquoi ne devrais-je pas le prendre?» Ma réaction à cela est de lui demander s'il est un PDG responsable, intelligent, expérimenté, sensible et intelligent. Si c'est le cas, pourquoi accepterait-il une telle somme, bon Dieu, même si le conseil d'administration la lui offre. C'est là où la compétence morale du PDG entre en jeu.

Prenons l'exemple de Jack Welch et de l'histoire des 250 milliards de dollars de General Electric. Jack Welch doit maintenant se défendre dans des émissions de variétés d'avoir un appartement sur Madison Avenue et accès à l'avion de l'entreprise, entre autres, parce que lorsqu'il s'est fait offrir ces avantages, il ne pensait pas qu'il y avait quoi que ce soit de mal à les accepter. À l'époque, avant que la crise n'éclate, beaucoup d'autres personnes ne pensaient probablement pas que c'était mal non plus. Maintenant, cela sonne mal.

Tout ce que je dis, c'est qu'un peu de bon jugement chez les PDG, pour commencer, nous aiderait.

Deuxièmement, pour revenir à votre question sur les vérificateurs et les autres intervenants, Andersen était l'une des sociétés de vérification les plus respectées au monde. Si vous m'aviez dit, il y a cinq ans, qu'Andersen ne serait bientôt plus dans le coup, je ne vous aurais jamais cru. Andersen n'est plus dans le coup. La société est morte et disparue. Certains diront que c'était peut-être trop brutal, parce qu'il y avait beaucoup de gens honnêtes et de bons à l'emploi d'Andersen, mais c'est l'une des façons qu'a trouvé le monde pour dire: «Vous avez transgressé trop de règles, nous allons vous tuer».

Le secteur de la vérification réagit de diverses façons, notamment par la création d'organes d'examen de la vérification. Comme vous le savez, aux États-Unis, on a sommé les analystes et les grandes institutions financières de séparer ces fonctions.

La crise va apporter beaucoup de bien. Aurons-nous oublié dans huit ou 15 ans, lorsque la prochaine crise frappera? Peut-être. Tout ce que je dis, c'est qu'au moment où nous nous parlons, le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni et certainement l'Australie et la Nouvelle-Zélande, des pays qui appliquent depuis longtemps de bonnes pratiques de gestion des entreprises, prennent des mesures très importantes à tous les égards pour d'assurer de respecter les règles du jeu et d'être plus assidus dans l'exercice de leurs responsabilités.

Le sénateur Tkachuk: Vous ne semblez pas avoir bien compris mon argument. Peut-être n'ai-je pas été clair. Nous pouvons tous espérer que les PDG de sociétés seront des personnes honnêtes. Si une société est mal gérée, son PDG devrait être congédié.

Vous parlez de Jack Welch de General Electric. La commission des valeurs mobilières connaissait sa rémunération globale, mais celle-ci n'a jamais été divulguée. Ce n'est qu'après son divorce que ces renseignements ont été rendus publics et que le monde a pu constater comment la société utilisait l'argent des actionnaires et en abusait, du moins à mon avis.

Que recommandez-vous quant à la façon dont ces personnes devraient se régir elles-mêmes, les personnes qui vendent le produit au consommateur?

Je veux avoir la certitude que la personne qui me vend des actions est bien formée. Personnellement, la formation me semble horrible. Toutes ces choses sont-elles prises en compte? Vérifions-nous qui nous désignons comme courtiers, comme vendeurs et comme chercheurs? Ce sont eux qui sont supposés renseigner le consommateur, mais ils ne le font pas. C'est l'une des raisons qui expliquent bon nombre des problèmes.

Personne n'aurait cru que le monde entier ferait des achats par ordinateur, cela défie l'imagination, mais c'est déjà commencé.

Comment faire pour résoudre ce problème? Vous dites faire des recommandations à cet égard.

M. Stewart-Patterson: Pour ce qui est des courtiers et des analystes en valeurs, nous savons que beaucoup de travail a déjà été fait par d'autres intervenants ayant une expertise beaucoup plus pointue. L'an dernier, le comité de Purdy Crawford a fait 30 et quelques recommandations, qui sont actuellement mises en oeuvre. En gros, nous avons l'impression que beaucoup de gens ont déjà fait un bon travail à cet égard, nous n'avons donc pas cherché à déployer les mêmes efforts.

J'aimerais revenir à un autre élément de la chaîne. Vous avez parlé des courtiers en valeurs, des analystes et de tout le côté vente, sénateur. J'aimerais que nous réfléchissions au rôle des actionnaires institutionnels. Le sénateur Hervieux- Payette s'interrogeait un peu plus tôt sur l'influence des actionnaires, et sur ce qui leur donnait de l'influence.

Les actionnaires individuels, les petits actionnaires, se sentent souvent impuissants, et on peut les comprendre. Les fonds mutuels et les fonds de pension, qui gèrent les investissements de bon nombre de Canadiens sont devenus des acteurs influents dans le domaine de la gouvernance des entreprises.

Il est important de remarquer la structure de leurs activités. Nous avons réalisé un sondage auprès des PDG membres de notre groupe à la fin des années 90, avant la crise, ce qui nous avait permis de constater, déjà à l'époque, que les actionnaires institutionnels participaient de plus en plus activement à la détermination de divers éléments, dont la rémunération des dirigeants.

Une autre conclusion qui s'est dégagée de ce sondage, c'est que les actionnaires institutionnels, dans l'ensemble, se concentraient de plus en plus sur le cours à court terme des titres plutôt que sur leur cours à long terme. L'un de nos PDG en particulier affirmait que c'était le secteur des fonds mutuels qui semblait le plus axé sur le court terme.

À la fin des années 90, nous avons constaté un intérêt grandissant des institutions envers les rendements à court terme. Parallèlement à cela, elles ont commencé à s'interroger davantage sur les règles de rémunération admises, à exiger des récompenses pour le bon rendement et à associer le salaire au rendement et au cours des valeurs mobilières, sous prétexte que cela stimulait efficacement le rendement de la société. Depuis la crise, les gens disent que nous sommes allés trop loin. On a été trop récompensé pour les résultats à court terme, puis beaucoup sont partis avec des sommes trop élevées alors que le sort de ces sociétés commençait à s'assombrir. C'est faux.

Maintenant, on dit que le balancier oscille du côté des institutions. Il est évident que nous recommandons aux conseils d'administration de revoir leurs usages et leurs politiques en matière de rémunération. Ils devraient envisager des mesures comme l'imposition de périodes de rétention, de sorte que si quelqu'un encaisse ses options, une bonne partie des produits nets de ces actions reste sous forme d'actions de la société pendant une période de temps minimale. Il revient à chaque conseil de décider de la durée de cette période. De même, la rémunération devrait être davantage fixée en fonction d'une vision à long terme, ainsi les sociétés pourraient exiger que les actions demeurent au sein de la société tant que la personne y travaille, par exemple.

Divers mécanismes pourraient être appliqués pour accroître les incitatifs offerts aux dirigeants et aux cadres supérieurs. Le groupe des actionnaires institutionnels est désormais conscient de ces enjeux. Je m'attends à voir des changements importants s'opérer quant à la rémunération.

Les actionnaires ont beaucoup d'influence sur les dirigeants. Ils les poussaient dans une certaine direction à la fin des années 90, mais ils exercent leur influence différemment depuis la crise.

Le président: Honorables sénateurs, M. D'Aquino m'informe qu'il doit nous quitter, mais que les deux autres messieurs vont rester avec nous.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'aimerais réagir à votre proposition de le faire vous-même. Votre solution consisterait à ce que les PDG aient une telle compétence morale et un tel sens de l'éthique que nous ne serions pas en mesure d'intervenir après coup. Cependant, ce qui m'inquiète, c'est ce qui arrive avant coup. Il est naïf de croire que demain, tout le monde sera bon, honnête, généreux, et que la règle du donnant-donnant ne prévaudra plus.

L'une de mes recommandations, bien sûr, consisterait à nommer plus de femmes au sein des conseils d'administration. J'espère que votre conseil fera des pressions en ce sens, parce que les femmes vont apporter une nouvelle vision au sein des conseils d'administration.

Les membres de votre conseil qui connaissent la situation des employés, qui savent combien chacun est payé dans chaque secteur et qui clament qu'il serait utile d'augmenter le salaire minimum de 10 p. 100 sont les mêmes personnes que celles qui seraient prêtes à s'accorder elles-mêmes un salaire cent fois plus élevé que celui de leurs employés.

Je ne parle pas d'imposer des lois ou des lignes directrices qui établiraient un plafond. Je songe plutôt à des ratios allouant une certaine latitude. Si vous voulez gagner la confiance des investisseurs et assurer le bon fonctionnement de ce système capitaliste, il vous faudra proposer autre chose que de simplement dire qu'il revient au nouveau conseil d'administration de décider, de faire preuve d'un bon sens moral, d'être honnête et de procéder à un examen de conscience. Je ne crois pas que cela fonctionne ni que cela ne pourra jamais fonctionner tant qu'il s'agit d'argent.

Vous proposez de donner le pouvoir aux investisseurs plutôt qu'aux avocats. Les avocats et les comptables, comme vous l'avez déjà dit, font ce que la direction leur demande. Aucune société n'est dirigée par ses consultants. C'est la société qui demande aux consultants de faire leur travail.

De quels investisseurs parlez-vous: des actionnaires, des banques ou des grandes sociétés? Cela me semble un peu obscur.

M. d'Aquino: Sénateur, nous ne nous attendrions jamais à ce que vous ou qui que ce soit d'autre dorme sur ses deux oreilles en se disant que l'on peut compter simplement sur la bonne volonté et la compétence morale du PDG pour assurer le bon fonctionnement de l'entreprise. Ce que j'essaie de dire, c'est que cet aspect, dont on a déjà abondamment parlé, est extrêmement important. Ceci dit, quel genre de monde voulez-vous et quel genre de monde voulons-nous?

Nous voulons un monde de transparence, d'information, de surveillance et de vigilance de la part des actionnaires institutionnels. Ces personnes qui nous critiquent sont exactement les mêmes que celles qui, avant la crise, nous demandaient des résultats trimestriels toujours plus élevés et toujours plus rapides. Nous voulons que les actionnaires institutionnels fassent leur travail et s'acquittent de leurs responsabilités sérieusement, que les conseils d'administration prennent leur travail au sérieux et que les vérificateurs soient véritablement indépendants, comme il se doit, même si cela devait limiter leur capacité d'offrir des services de consultants externes à des entreprises ou leur demander d'aller plus loin et d'oser dire que certains avocats ou certains fournisseurs ne devraient pas faire partie d'un conseil d'administration. Il y a beaucoup de moyens de veiller à ce que le système soit le plus honnête et le plus productif possible.

Est-ce que cela touche les questions de rémunération, notamment à savoir si certains salaires sont inacceptables? Absolument, et je serais le premier à lever la main pour le dire. Cependant, je vais vous dire autre chose. Si nous avions eu un Enron et un WorldCom lorsque le marché était à son comble, particulièrement lorsque les sociétés de haute technologie étaient au summum de leur puissance, je doute que vous ayez vu une explosion comparable à celle que nous avons vue. Nous observons de la colère et de la rage parce que des billions de dollars ont disparu des comptes de certaines personnes. Les gens sont fâchés et se demandent comment c'est arrivé. Cela arrive toujours lorsqu'on fait des excès. Si l'on étudie l'histoire des États-Unis, on voit qu'il y a toujours retour du pendule.

Ceci est un autre exemple de période de grands excès. En cette période de grands excès, beaucoup de gens suivaient des règles qu'ils croyaient justes, mais ils avaient tort et ils le savent maintenant. La seule façon dont nous pouvons nous assurer que les règles sont justes, c'est de promouvoir la transparence, l'information du public et de recourir aux mécanismes de poids et contrepoids déjà en place. Si vous vous demandez si cela est suffisant, notez que nous avons le Code criminel. Le Code criminel dicte que quiconque commet une fraude va en prison.

Le sénateur Kelleher nous demandait pourquoi ces règles n'étaient pas mises en application. Je me pose la même question. Nous avons beaucoup de règles: appliquons-les. Plus nous les appliquerons, plus les gens y porteront attention. Comme le disait l'un de nos PDG, Dominic D'Alessandro, qui a été nommé PDG de la Manulife l'an dernier: «Si nous voyions plus de gens en combinaison orange, enchaînés, en route vers la prison, énormément de gens se réveilleraient».

Nous commençons à le voir dans le système d'entreprise en général. Je crois que les gens se réveillent. Le degré de vigilance actuel est cent fois plus élevé qu'auparavant. Lorsqu'un conseil d'administration se réunit aujourd'hui et lorsqu'il se réunira demain pour parler de la rémunération de son PDG, vous pouvez être sûrs qu'il accordera beaucoup plus d'attention à l'optimisation des ressources, à l'équité et au rendement qu'il y a six mois, environ.

Le sénateur Taylor: J'ai une question concernant la dernière page de votre rapport, où vous parlez de divers aspects des activités des entreprises, dont leur performance environnementale, leur respect des droits humains, la façon dont elles traitent leur main-d'oeuvre, mais de leur respect des droits humains en particulier. Talisman vient juste de se débrouiller pour sortir du Soudan. Du point de vue des droits humains, quelle position le gouvernement fédéral devrait-il adopter par rapport à une société qui décide de s'installer dans un pays qui ne voit clairement pas les droits humains du même oeil que nous? Supposons qu'une société veuille s'établir en Corée du Nord demain matin?

M. Stewart-Patterson: Nous estimons que les marchés eux-mêmes surveillent tous les types de comportements indus qu'ils voient comme un indice, et non seulement comme un objet de désapprobation morale, qui influence concrètement le degré de risque associé à l'investissement dans ces sociétés. En d'autres termes, bon nombre de décisions des sociétés peuvent influencer la perception du risque des investisseurs. C'est le cas, par exemple, des décisions d'investir de grosses sommes d'argent dans un pays où les droits humains sont bafoués, de fabriquer un produit considéré dangereux ou qui risque de faire l'objet de poursuites, de ne pas prendre les précautions voulues pour parer aux risques environnementaux, bref, de faire quoi que ce soit qui risque d'être désapprouvé par le grand public ou de faire l'objet d'une poursuite au regard du droit civil ou criminel. Plus une société est jugée risquée, plus les investisseurs exigeront un haut rendement pour chaque dollar investi, ce qui signifie que le cours de l'action devra être bas. Or le cours de l'action a une incidence directe sur la rémunération des cadres supérieurs et sur le rendement qu'obtiendront les actionnaires pour leurs investissements.

Nous vivons dans un monde où quoi qu'on fasse, où que ce soit dans le monde, peut être vérifié. Personne ne peut plus se cacher. Tout ce qu'on fait où que ce soit dans le monde sera découvert tôt ou tard, pour le meilleur ou pour le pire, et influencera non seulement le rendement qu'obtiendront les actionnaires, mais aussi la rémunération de la personne aux commandes.

Le sénateur: On fait confiance de façon presque puérile à la théorie du marché libre de Friedman. On croit que tout va finir par s'arranger si l'investisseur est suffisamment bien renseigné. Si les baptistes régénérés du sud des États-Unis n'avaient pas attiré notre attention sur les agissements de Talisman, la situation serait demeurée inchangée.

Je pense que le marché récompense surtout les rendements élevés, si je peux m'exprimer ainsi. Autrement dit, si une entreprise est en mesure de réaliser des profits, d'augmenter ses bénéfices nets, le marché, à mon avis, n'accordera pas trop d'importance à la question de savoir si l'entreprise a recours à des travailleurs juvéniles ou au travail forcé dans le pays où elle exerce ses activités.

À votre avis, ceux qui octroient des permis à des entreprises au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne ne devraient-ils pas s'intéresser à la question des droits moraux et des droits de la personne? On ne peut pas laisser cette responsabilité au marché.

M. Stewart-Patterson: Je ne peux pas vous donner de réponse précise.

Le président: Excusez-moi, mais nous ne pouvons pas nous éterniser là-dessus, car nous avons été confrontés au même problème chaque fois que nous été appelés à examiner, au cours des cinq dernières années, un projet de convention fiscale. Je ne crois pas que le comité soit même en mesure d'aborder la question, puisque, sauf votre respect, sénateur, ce sujet ne relève pas de sa compétence. On vient de déposer un projet de convention fiscale sur les transactions réalisées en Moldova, ainsi de suite. On ne peut pas se lancer dans ce débat. Ce sont les Affaires étrangères qui décident de la politique du gouvernement. Nous pouvons uniquement parler de la gestion des entreprises et de la compétence des administrateurs.

Les questions du sénateur Taylor sont excellentes, mais elles ne cadrent pas avec notre étude.

Le sénateur Taylor: Parlons alors des droits et de la réglementation du marché.

Concernant la sécurité nationale, êtes-vous en train de dire que vous pouvez peut-être convaincre les commissions des valeurs mobilières de collaborer ensemble? Pourriez-vous les convaincre d'accepter l'idée, si les marchés boursiers étaient autorisés à opérer différemment? Nous pourrions avoir une seule commission nationale des valeurs mobilières, tout en ayant des bourses locales. Par exemple, aux États-Unis, il y a les bourses de San Francisco, de Seattle, de Denver, de New York, ainsi de suite.

M. Stewart-Patterson: Peu importe la façon dont vous les réglementez, il y aura toujours des marchés financiers locaux, des marchés financiers régionaux et des bassins locaux.

Ce n'est pas tellement la forme de la loi réglementaire qui importe, mais le fond. Nous devons absolument nous attaquer à la question de la fragmentation des règles et des coûts excessifs qu'elle entraîne.

La question de savoir si l'on doit créer une entité distincte administrée conjointement par les provinces, avec une participation fédérale, soulève plusieurs interrogations. Est-ce que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer à ce chapitre, ou est-ce que les régulateurs provinciaux s'entendent tout simplement sur les mesures à prendre pour réparer les dommages causés par les autorités?

Il y a plusieurs façons de régler le problème. Le marché financier canadien est beaucoup plus petit que le marché financier américain. Il ne faudrait pas fragmenter encore davantage les marchés à faible densité, puisque cela pourrait empêcher les entreprises canadiennes d'attirer des capitaux et de prendre de l'expansion.

Il faut utiliser les mesures les plus efficaces qui soient pour atteindre le but recherché. Je ne privilégie pas de modèle particulier. Le gouvernement fédéral a demandé à Harold MacKay d'examiner le dossier. J'ai rencontré les représentants de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario et ceux de la Commission des valeurs mobilières de l'Alberta. Les points de vue varient. La baisse de confiance que ressent actuellement le public montre que nous ne pouvons laisser traîner les choses.

Le sénateur Taylor: Quand une entreprise m'intéresse, je jette presque toujours un coup d'oeil aux notes du vérificateur. Elles semblent contenir des renseignements fort révélateurs. Je voudrais parler des vérificateurs et du choix des vérificateurs. J'ai eu l'occasion, moi aussi, au fil des ans — soit pendant une cinquante d'années — de choisir des vérificateurs quand je siégeais à des conseils d'administration. On devrait peut-être laisser les actionnaires les choisir. Toutefois, ils ne peuvent pas le faire. La loi Oxley propose...

Le président: Ce sont les actionnaires qui choisissent le vérificateur. C'est ce que prévoit la loi.

Le sénateur Taylor: Mais le fait est qu'ils ne le choisissent pas.

Le président: C'est faux.

Le sénateur Taylor: Vous devez croire au père Noël ou à la fée des dents.

Le président: Ils le font lors de l'assemblée annuelle.

Le sénateur Taylor: La Loi Oxley propose que l'on remplace le vérificateur au bout de trois ans. J'ai lu qu'ailleurs, on place les noms des vérificateurs approuvés par la commission dans un chapeau, qu'on procède ensuite à un tirage et qu'on autorise les vérificateurs choisis à occuper le poste pendant deux ou trois ans.

Le président: Sénateur Taylor, il fait allusion à l'associé en vérification. D'après les études qui ont été réalisées, l'idée de remplacer les vérificateurs tous les trois ans est très mal accueillie, en raison des graves erreurs qui sont commises. L'associé en vérification provient de la même entreprise, sauf que le responsable est une personne différente.

Le sénateur Taylor: C'est vrai. Ils n'ont pas remplacé l'associé en vérification. Je ne sais pas ce que cela donnerait, car, d'après ce que je crois comprendre, les associés en vérification se consultent tout le temps.

Comment pouvons-nous faire en sorte que les vérificateurs représentent davantage les intérêts des actionnaires et non ceux de la direction?

M. Stewart-Patterson: Nous avons proposé, entre autres, que le vérificateur, comme l'exige la Loi Sarbanes-Oxley, relève du comité de vérification, et non pas de la direction. Le président du comité de vérification signerait la lettre d'engagement du vérificateur de manière à ce que cela soit clairement précisé.

Le sénateur Taylor: Est-ce que les membres du comité de vérification sont nommés par la direction?

M. Stewart-Patterson: Encore une fois, il est essentiel d'assurer l'indépendance du conseil d'administration dans son ensemble, et l'indépendance du comité de vérification.

La rotation des associés responsables de la vérification entraîne des coûts et des avantages. Quand on remplace les associés fréquemment, on réduit les «risques de familiarité», pour reprendre l'expression utilisée dans le milieu. On empêche que des liens personnels se créent. Toutefois, chaque fois qu'on transmet un dossier à quelqu'un d'autre, des erreurs sont commises. C'est tout le processus d'apprentissage qui doit être repris. La rotation constitue donc une solution parmi d'autres.

Il y a un autre facteur important à considérer, soit la séparation de la fonction vérification des autres services qui, dans le passé, ont été fournis par un cabinet de vérification. Donc, ce sont à la fois ce lien et les risques de conflits qui préoccupent aujourd'hui la profession.

Le sénateur Setlakwe: J'ai lu votre déclaration, que je trouve excellente. Le Comité des banques devrait peut-être le soumettre au gouvernement pour qu'il s'en inspire.

Bon nombre des arguments que vous avancez sont fondés, sauf qu'ils sont attribuables à l'existence de cette bulle. Or, si cette bulle n'avait pas existé, il n'y aurait pas eu lieu de faire une telle déclaration. Dans quelle mesure pouvons- nous nous fonder sur les pratiques de saine gestion des administrateurs et des dirigeants pour faire en sorte que ce que vous proposez, idéalement, se concrétise? Que peut-on proposer au gouvernement comme mesure législative?

Je sais que vous préférez les principes aux règles, mais il me semble que le gouvernement, à un moment donné, doit intervenir après tout ce qui s'est produit ces dernières années.

Par exemple, vous dites que les options d'achat d'actions devraient être considérées comme une dépense. Est-ce que le gouvernement devrait adopter une loi à cet égard? Devrait-il recommander l'adoption d'une telle loi? Je ne sais pas. Tous ces problèmes sont attribuables à l'existence de cette bulle.

En ce qui a trait aux infractions criminelles, aux infractions d'ordre civil et aux peines d'emprisonnement qui s'y rattachent, je ne sais pas si on doit s'inspirer des règles de bonne gouvernance ou demander au gouvernement de légiférer en la matière. Quel est votre avis là-dessus?

M. Stewart-Patterson: Comme nous l'avons plus tôt, avant de déterminer ce qu'il convient de légiférer, il faut se demander si la loi actuelle est efficace. Est-ce qu'elle est appliquée correctement? Avant de prendre d'autres mesures, il faut s'assurer que ce que nous avons fonctionne.

Ensuite, certains secteurs ont entrepris des discussions constructives sur la question de savoir si des mesures législatives ou réglementaires additionnelles s'imposent. Nos membres ne s'opposent pas à ce qu'on resserre les règles relatives à l'attestation personnelle des rapports trimestriels et annuels d'une entreprise. Il s'agit là d'une exigence juridique aux États-Unis. Les marchés réclament une mesure semblable, qu'elle fasse ou non l'objet d'un régime de réglementation. Est-ce qu'on devrait adopter des règles à ce sujet? Je n'ai pas examiné le projet de loi, mais je crois comprendre que le gouvernement de l'Ontario envisage d'établir de telles règles dans la loi qu'il vient de déposer.

Par ailleurs, il faudrait peut-être envisager d'adopter des règles qui sont uniformes. Cette question soulève de sérieuses inquiétudes chez plusieurs de nos membres, surtout en ce qui concerne la comptabilisation des options d'achat d'actions. Les investisseurs veulent savoir quelles options d'achat d'actions sont émises, et l'impact que cela risque d'avoir sur leurs bénéfices à long terme.

En effet, la principale question que l'on se pose est la suivante: qu'arrive-t-il si j'inclus ces données dans mes états financiers, mais que mes concurrents, eux, ne le font pas? Est-ce que j'aurai droit à un traitement juste et équitable sur le marché? Le fait d'avoir des règles uniformes est avantageux. Le Conseil des normes comptables songe à en faire une exigence obligatoire au Canada. Ce genre de discussion est tout à fait approprié.

Il existe peut-être, d'une manière générale, des domaines où des mesures sélectives s'imposent, que ce soit au palier fédéral ou provincial, ou en ce qui a trait aux exigences relatives aux cotes boursières. Le fait est que tous les administrateurs, dirigeants et PDG sont sous pression. Ils savent que leurs gestes sont scrutés par les investisseurs actuels et éventuels. Cette pression ne risque pas de se relâcher à court terme. L'éclatement de la bulle a eu pour effet de secouer tous ceux qui participent au processus décisionnel, et cela risque d'avoir un impact durable sur le comportement des membres des conseils d'administrations, et sur les décisions qui sont prises.

Le sénateur Setlakwe: Ils doivent se comporter de façon adéquate. Rien ne prouve qu'ils l'ont fait dans le passé. Voilà le problème.

Le sénateur Fitzpatrick: Monsieur Stewart-Patterson, vous avez tenu, ainsi que M. d'Aquino, des propos fort encourageants cet après-midi. Vous avez parlé du comportement moral, du code d'éthique, du problème que posent les options d'achat d'actions à court et à long terme, de l'intégrité des PDG ou des PDG éventuels, et des mesures touchant la rémunération qui peuvent être prises. Ce sont là des points positifs qui doivent être examinés de près. Il existe des solutions.

C'est une question de leadership. Or, à mon avis, l'organisme qui est le mieux placé pour fournir ce leadership, surtout sur le plan législatif, c'est le Conseil canadien des chefs d'entreprise. Je n'ai pas eu l'occasion d'examiner le document que vous avez fourni, mais j'ai l'impression, d'après ce qu'a dit M. d'Aquino, que le Conseil est prêt, dans une certaine mesure, à assumer un rôle de leadership. Il s'agit là d'une tâche énorme qui exige l'accord des membres du Conseil. Il faudrait tenir des réunions, diffuser beaucoup d'information, encourager la communication. Or, pour y arriver, si nous voulons éviter que le gouvernement et d'autres disent que ces choses-là ne se font pas, nous devons nous munir d'une loi.

Supposons que de nouvelles règles en matière de comportement moral sont établies. Comment pouvons-nous assurer que ces règles seront suivies? On a fait allusion aux responsabilités du conseil d'administration. Le problème, à mon avis, en est un de temps et d'argent. J'ai fait partie des conseils d'administration de grandes entreprises nationales, et j'ai aussi fait partie de comités de vérification. La plupart des membres des conseils ont d'autres responsabilités à assumer. Avoir le temps de faire le travail requis ou de solliciter des conseils coûte de l'argent. Bien que les entreprises aient des vérificateurs, les comités de vérification doivent consulter des experts de l'extérieur, et cela coûte cher.

Or, je me pose deux questions et j'aimerais que vous y répondiez. D'abord, est-ce cela fait ou devrait faire partie du mandat de l'exécutif du Conseil canadien des chefs d'entreprise? Ensuite, existe-t-il des moyens d'aider les entreprises — surtout les petites et moyennes entreprises — à prendre de l'expansion, mais sans que cela nuise à leurs activités, étant donné les coûts que va entraîner l'adoption de nouvelles règles sur le comportement moral ou d'un nouveau code d'éthique? Ce sont là des mesures qu'il faudra sans doute envisager.

Il est difficile de commencer à réduire les niveaux de rémunération ou d'options d'achat d'actions qui sont émises, mais c'est faisable. Les actionnaires peuvent le faire. Ils peuvent examiner de plus près les modalités touchant les options d'achat d'actions. Des progrès ont déjà été réalisés à ce chapitre, mais nous pouvons en faire plus.

J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.

M. Stewart-Patterson: Ce que nos membres ont essayé d'exprimer dans le long communiqué qui a été émis à la fin de septembre, c'est le consensus qui se dégage chez ces derniers concernant les mesures qui doivent être prises. Par ailleurs, nous sommes conscients du fait que nous ne pouvons agir seuls sur le plan de la gouvernance d'entreprise. En fait, le Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario a été l'un des premiers à nous écrire, peu de temps après le lancement, en juillet, de notre initiative sur la gouvernance d'entreprise. Il nous a dit que la responsabilité et la prérogative d'établir des normes de gouvernance appartenaient non pas aux dirigeants, mais aux actionnaires. Nous lui avons dit qu'il avait raison, que cette décision revenait aux actionnaires, que les conseils allaient agir en leur nom, mais que nous avions sûrement un rôle de leadership à jouer à ce chapitre. C'est la conclusion à laquelle sont arrivés nos membres, à savoir que nous allons prendre les mesures qui s'imposent pour favoriser la saine gestion des entreprises, non seulement au sein de notre propre entreprise, mais également au sein du milieu des affaires.

Vous avez parlé des petites sociétés émettrices qui essaient de prendre de l'expansion, mais qui n'ont pas les mêmes ressources, des sociétés qui risquent d'être durement touchées par l'imposition de nouvelles exigences réglementaires. Comme nous l'avons mentionné, nous constatons déjà que les petites sociétés émettrices, aux États-Unis, ne sont pas toutes touchées de la même façon. L'adoption, par le Canada, d'une telle solution suscite déjà des craintes énormes chez certains participants au marché.

Cela dit, quand on jette un coup d'oeil aux normes sévères de gouvernance d'entreprise qui sont appliquées, aux normes de pratique, on se rend compte que les normes sont plus sévères au sein des grandes entreprises. Cette situation est en partie attribuable au fait que les grandes entreprises ont tendance à être présentes dans plus d'un pays. Comme je l'ai indiqué, vous devez essentiellement vous conformer à la règle du plus grand dénominateur commun, peu importe où vous exercez vos activités. Cette situation est également attribuable, en partie, aux ressources. Les grandes entreprises ont les moyens d'embaucher de meilleurs dirigeants, un plus grand nombre de dirigeants de l'extérieur.

Nous devons reconnaître que c'est ainsi que nous prenons des entreprises plus petites et les amenons à une norme plus élevée au fur et à mesure de leur croissance. Nous sommes inquiets que l'on essaie d'avoir un seul ensemble de règles qui s'appliqueront à tous. Il y a un continuum. Vous devez commencer en quelque part, puis amener les gens à participer, une entreprise à la fois. Ce que nous disons, c'est l'attente du marché qui entraînera les entreprises. À mesure qu'elles prennent de l'expansion et cherchent à obtenir des sources de capitaux plus importantes, comme elles recherchent des capitaux dans différents marchés, elles vont devoir répondre à des attentes plus élevées.

Je ne sais si cela répond à votre question, mais c'est pour cette raison que nos membres, qui ont tendance à être les compagnies les plus importantes, disent qu'ils savent qu'ils doivent respecter une norme plus élevée, et un grand nombre d'entre eux doivent respecter les normes les plus élevées qu'il y a aux États-Unis, au Canada et dans d'autres pays. En ce qui nous concerne, tout d'abord, c'est une exigence de faire des affaires et d'attirer des capitaux et, ensuite, c'est de faire la bonne chose que nous voyons comme avantage concurrentiel pour nos entreprises. Si nous faisons la bonne chose et si nos concurrents dans d'autres pays ne le font pas, il sera plus facile pour nous d'attirer des capitaux à un bon coût.

Les incitatifs sont dans le marché. La question c'est de savoir comment le faire plus rapidement au Canada. Les PDG des entreprises plus importantes sont prêts à jouer un rôle pour essayer d'élever les normes d'un bout à l'autre du pays.

Le sénateur Fitzpatrick: Il y a différentes façons de mesurer les attentes du marché. Nous avons été témoins de ce problème pendant la création de la bulle, c'est-à-dire s'inquiéter du rendement trimestriel, qui est axé sur les attentes concernant les options d'achat d'actions, et cetera. Je suppose que le conseil pourrait consacrer un certain temps à bien mesurer le rendement des entreprises. Par exemple, sur quoi le marché devrait se fier, et en tenez-vous compte? Nous avons compté sur les coefficients de capitalisation des bénéfices, mais il y a d'autres aspects, comme mesurer les rentrées de fonds et mesurer les actifs. Peut-être que l'on pourrait faire cela pour l'approche que prennent les analystes dans les compagnies de financement.

Un autre aspect qui pourrait être utile, ce serait de parler aux écoles de gestion afin d'adopter une norme éthique que les principales entreprises appuient et dont elles font la promotion. Ce ne sont pas tous les PDG qui auront un MBA, car un grand nombre d'entre eux viennent d'écoles de gestion. Ils s'amènent dans un environnement différent et dans une norme différente. Une partie du problème, comme quelqu'un l'a mentionné, pourrait être l'avidité et, malheureusement, au cours des dernières années, c'est ce qui a probablement été le plus important incitatif que nous ayons eu qui a mené à l'éclatement de la bulle. Il serait peut-être bénéfique d'inculquer une mentalité différente aux personnes qui prennent la direction d'une compagnie importante, dans laquelle on retrouve des milliers d'actionnaires — personnes à la retraite, investisseurs, et cetera. Quelqu'un doit assumer ce rôle de prédicateur de façon à mettre véritablement l'attention sur cette question.

Le président: Ce qui nous amène à des défis isotériques. Lorsque M. Greenspan a utilisé les mots «exubérance irrationnelle», il ne faisait pas uniquement référence aux conseils d'administration ou aux PDG; il faisait également référence au vaste public investisseur qui pensait que cette bonne fortune n'aurait jamais de fin. Si Nortel se vendait à un prix qui voulait dire que la société devait composer ses profits à un taux de 25 p. 100 sur les 50 prochaines années afin de le justifier, quelqu'un aurait dû se lever et dire: «C'est de la folie». Cependant, ce n'est pas arrivé. Si une action se vend à 50 fois les profits une année, et l'année suivante à 25 fois les profits, c'est toujours la même entreprise. Je suis curieux de connaître votre réponse à la question du sénateur Fitzpatrick, car je ne pense qu'il y en ait.

M. Stewart-Patterson: Une des questions soulevées par le sénateur constituera le fondement d'un grand nombre de thèses de doctorat dans les années à venir. Quelles sont les intervalles entre une bonne gouvernance et un rendement supérieur des sociétés? Certains croient de toute évidence que la bonne gouvernance a son importance. Des recherches effectuées à l'échelle mondiale par des entreprises comme McKinsey & Company quant aux perceptions des investisseurs institutionnels partout dans le monde indiquent que la bonne gouvernance a son importance et que nous paierons un prix supérieur pour des entreprises qui mettent en pratique une bonne gouvernance, par opposition à une entreprise qui ne le fait pas. Dans les pays où nous ne faisons pas confiance au climat d'affaires global, ce prix supérieur est nettement plus élevé. En Russie, il était plus élevé de 30 p. 100, et dans la majeure partie de l'Amérique latine et de l'Asie, c'était de plus de 20 p. 100. C'est au Canada qu'il était le plus faible, à 11 p. 100.

D'une part, cela signifie que la perception que l'on a dans le monde du climat d'affaires au Canada — l'intégrité de nos marchés — est passablement élevée. D'autre part, c'est une déclaration non équivoque que les gens qui gèrent d'énormes sommes d'argent partout dans le monde croient que la bonne gouvernance des sociétés a de l'importance. Y a-t-il des recherches à faire pour savoir à quel point c'est important ou quelles pratiques en matière de gouvernance font effectivement une différence pour aider les entreprises à croître plus rapidement, à soutenir leur croissance au fil du temps, à croître avec moins de volatilité, et cetera? De nombreuses questions restent sans réponse, et je suis convaincu qu'un grand nombre de spécialistes s'y attaqueront.

Le président: Ne croyez-vous pas que le milieu des affaires, et vous n'y pouvez rien, invente des choses tous les 10 ans pour que la situation semble meilleure? Pensez-y quelques instants. Lorsque Bob Campeau a voulu faire l'acquisition de Federated Department Stores, Inc., il m'a appelé un jour et m'a dit qu'il voulait que nous investissions avec lui. Je lui ai demandé pourquoi et il a répondu: «Eh bien, les GAITDA». Je lui ai demandé ce que c'était et il m'a répondu: «Les gains avant intérêt, impôts, dépréciation et amortissement». C'était il y a 15 ans. J'ai pensé que c'était un nombre tout à fait sans signification, et c'est ce que j'ai dit à une réunion du conseil, et on a ri de moi car le milieu du divertissement s'en servait de façon exhaustive. Je remercie la providence, car il y a environ quatre mois, Warren Buffet, un investisseur très prospère, a rédigé un essai et a dit qu'il n'avait jamais entendu parler de telles balivernes que sont les GAITDA.

M. Stewart-Patterson: Si vous me le permettez, sénateur, rappelez-vous il y a quelques années lorsque nous lisions des documents rédigés par de grands universitaires qui laissaient entendre que les administrateurs canadiens étaient en retard, qu'ils n'étaient pas dans le coup, qu'ils étaient trop prudents, qu'ils étaient trop vieux jeu et n'étaient pas assez prêts à prendre des risques. Maintenant que la bulle a éclaté, nous commençons à lire les commentaires contraires, comme «ce que nous avons été intelligents de ne pas prendre ces risques ridicules».

Le président: Cela fait combien de temps que l'on a inventé les taux de rentabilité internes (TRI)?

M. Boutziouvis: C'est encore plus loin que cela. Le sénateur Fitzpatrick a soulevé une question intéressante. Il y a un indicateur que l'on pourrait utiliser comme approximation, et les gens commencent déjà à y retourner — le paiement d'un dividende. De nombreux investisseurs et analystes laissent entendre que si vous revenez à la bonne vieille méthode d'investissement, en vertu de laquelle une société verse des dividendes année après année, ce serait un bon indicateur que la société est solide.

Le président: Le cycle est complet.

M. Boutziouvis: Oui, parce qu'il est de retour. Il faut en parler.

Le sénateur Hervieux-Payette: Ma question porte sur les télécommunications. Lorsque Nortel a dit qu'elle ferait X, Y et Z, les analystes gonflaient les chiffres. En réalité, chaque bébé au Canada devrait naître avec trois téléphones cellulaires pour que la société réalise ses prévisions. Pourquoi personne n'a-t-il dit à Nortel que ses prévisions étaient insensées? Nortel engageait 3 000 personnes aux six mois uniquement pour dépenser l'argent qu'elle avait investi. De toute évidence, il y avait des gens qui ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Il se peut que certaines entreprises soient en mesure de mettre en oeuvre immédiatement de nouveaux projets où tout le monde travaille ensemble pour produire des produits sensationnels. Cependant, pourquoi personne ne l'a-t-il mentionné? Chacun prenait tout simplement l'argent — un groupe ou un autre —et au bout du compte, il n'en restait plus pour personne.

Le président: C'est ainsi que cela se passe — vous ne pouvez pas créer l'intégrité par législation et vous ne pouvez pas adopter de mesures législatives contre la stupidité.

Le sénateur Hervieux-Payette: Ce n'était pas une affaire de stupidité, mais de complicité. C'est différent.

Le président: Messieurs, nous vous remercions d'être venus.

Notre deuxième témoin vient de la Société des comptables en management du Canada. Nous accueillons M. Bill Langdon, vice-président, Gestion du savoir.

M. Bill Langdon, vice-président, Gestion du savoir, Société des comptables en management du Canada: Honorables sénateurs, je tiens tout d'abord à préciser, contrairement à l'intervenant précédent, que c'est la première fois que je m'adresse à votre groupe. Mes amis, qui sont à l'arrière de la salle, m'ont abandonné. Vous n'avez que moi aujourd'hui.

Merci d'avoir invité CMA Canada à comparaître devant vous cet après-midi pour présenter nos points de vue sur les normes comptables et sur la gouvernance des sociétés. Nous croyons qu'il est de la plus haute importance d'examiner ces deux questions pour rétablir la confiance du public dans le milieu des affaires et dans les marchés financiers. Nous félicitons votre comité d'avoir entrepris ces audiences et nous avons hâte de lire votre rapport.

Aujourd'hui, je vais résumer les principaux points que nous avons développés dans notre mémoire écrit, qui a été remis au greffier la semaine dernière. Je serai ensuite heureux de répondre à vos questions.

Si l'on examine d'abord la question des normes de vérification, CMA Canada s'est réjouie de l'annonce faite le 17 juillet de la création du Conseil canadien sur la reddition de comptes. Pour nous, il s'agissait d'un premier pas important dans le rétablissement de la confiance dans les marchés financiers et la profession de vérificateur. Cependant, nous avons trois préoccupations en ce qui concerne le système du CCRC.

Premièrement, le CCRC ne tient pas compte des activités d'un grand nombre de professionnels de la comptabilité, notamment les CMA, qui participent à l'aspect vérification de la profession. Pour nous, c'est une grave erreur. Il est important de signaler que les CMA ont des droits de pratique complets, notamment celui de vérifier les états financiers des sociétés ouvertes en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba et à Terre-Neuve. Les CMA ont aussi le droit d'effectuer des vérifications auprès des municipalités et des commissions scolaires en Colombie-Britannique et au Québec.

En outre, d'autres compétences, comme l'Ontario, sont en train de prendre des initiatives de nature législative qui auront la capacité d'accroître le nombre de professionnels de la comptabilité qui ne sont pas des CA et qui auront le droit d'exercer publiquement.

Il est évident que le CCRC, tel qu'il a été conçu et tel qu'il est constitué actuellement, présente des lacunes et n'est pas entièrement indépendant, compte tenu du nombre de postes au conseil réservés exclusivement aux personnes nommées par l'Institut canadien des comptables agréés. À notre avis, une approche plus inclusive assurerait une plus grande transparence aux activités du CCRC et susciterait une confiance du public dans ces activités.

Deuxièmement, bien que le nouveau système annonce certaines initiatives louables en vue de renforcer le rôle et l'inspection des vérificateurs des sociétés ouvertes, il semble privilégier l'amélioration de la conformité aux normes comptables et aux procédés de vérification actuels, plutôt que d'établir de meilleures normes de présentation de l'information financière.

Notre troisième préoccupation est que le système du CCRC ne fait pas de distinction entre les fonctions critiques de vérification et de normalisation comptable, étant donné que les deux activités relèvent actuellement du domaine de l'Institut canadien des comptables agréés.

À notre connaissance, le Canada est la seule économie avancée du monde, à l'exception du Danemark, où les normes comptables sont établies et supervisées par un organisme professionnel unique, plutôt que par un organisme entièrement indépendant agissant dans l'intérêt général du grand public.

À notre avis, un organisme canadien qui établit les normes comptables doit être tout à fait indépendant du milieu des affaires et de tous les organismes professionnels. Cet organisme établirait et améliorerait les normes de comptabilité générale et de présentation de l'information visant l'encadrement et l'éducation du public. Il se composerait de personnes qui préparent et utilisent des renseignements financiers, ainsi que de vérificateurs, d'universitaires oeuvrant dans le domaine de la comptabilité et de représentants du secteur des valeurs mobilières. Toutes ces personnes posséderaient un niveau élevé d'expertise dans le domaine de la présentation de l'information et de la comptabilité. Les membres de cet organisme canadien qui établiraient des normes comptables seraient tenus de couper tous les liens avec les établissements dont ils relevaient précédemment.

Le nouvel organisme ne serait pas un organisme gouvernemental, mais il pourrait relever, par exemple, des Autorités canadiennes en valeurs mobilières.

Nous sommes convaincus que la création d'un organisme distinct qui établit des normes comptables et qui est totalement indépendant des professionnels et du milieu des affaires est essentielle au rétablissement de la confiance du public dans nos marchés financiers.

Les récents scandales dans le milieu des affaires soulèvent également de graves questions sur l'état de la gouvernance des sociétés au Canada. Bien que nous ayons tous lu au sujet des faillites retentissantes de sociétés aux États-Unis, nous devons reconnaître qu'il y a eu également d'importantes faillites au Canada. Le rendement moins qu'éblouissant de sociétés comme Northland Bank, Royal Trust, Confederation Life, Phillips Services, Cinar, Livent, Bre-X, Corel, YBM et Nortel ont gravement sapé la confiance du public dans nos propres marchés financiers.

Un réexamen sérieux des liens entre les vérificateurs indépendants, les dirigeants des sociétés et les conseils d'administration des sociétés ouvertes est de toute évidence nécessaire. Cependant, la question demeure: est-ce qu'un tel examen donnera lieu à des conseils d'administration plus efficaces sur le plan des résultats?

À notre avis, ce serait une erreur de se concentrer uniquement sur les règles normatives de la gouvernance des sociétés, comme exiger que les postes de président du conseil et de chef de la direction soient séparés. Bien qu'il soit utile, l'établissement de telles règles ne garantit pas en soi une bonne gouvernance des sociétés. Il est essentiel de se concentrer sur les résultats, plutôt qu'exclusivement sur la forme.

Un des principaux résultats est de pouvoir rapidement identifier et améliorer la capacité d'un organisme de remplir à long terme ses promesses à ses clients, actionnaires, employés et au grand public. L'échec d'un grand nombre d'entreprises n'est pas seulement attribuable aux activités de vérificateurs médiocres ou de PDG retors, mais plutôt à l'absence d'un système approprié de mesure du rendement stratégique pour un conseil d'administration. L'absence d'un tel système donne lieu à une surveillance inadéquate du conseil, qui se traduit à son tour par des activités irrégulières.

Un autre des principaux résultats d'une bonne gouvernance est la mise sur pied d'un conseil d'administration qui comprend la stratégie de l'organisation, qui connaît les risques afférents et qui a instauré des systèmes de contrôle permettant de repérer les problèmes qui dépassent les seuils de risque. Il est loin d'être évident qu'un grand nombre de conseils atteignent actuellement cet objectif.

Les conseils d'administration ont besoin de nouveaux outils pour mieux comprendre le risque et mesurer la performance de leurs entreprises, ainsi que leur propre performance. À cette fin, CMA Canada vient de publier une nouvelle politique de comptabilité de management qui présente les meilleures pratiques que les sociétés peuvent adopter pour rendre la gouvernance des sociétés plus efficace.

La version anglaise, que l'on vous a remise aujourd'hui je crois, vient tout juste d'être imprimée. Nous sommes en ce moment à finaliser la version française et nous pourrons vous en faire parvenir des exemplaires à la fin de la semaine.

Cette politique, intitulée «Mesurer et améliorer la performance des conseils d'administration», applique les principes du tableau de bord équilibré à la gouvernance des sociétés. Le tableau de bord équilibré fournit un système de mesures et de processus qui pourrait réduire le risque ou permettre la détection précoce d'une détérioration dans la position concurrentielle d'une entreprise. Il s'agit d'un indicateur prévisionnel exact du rendement à venir.

Habituellement, les conseils disposent d'indicateurs comptables traditionnels tels que le bénéfice et le rendement des investissements pour évaluer la performance d'une entreprise. Cependant, la comptabilité générale n'a qu'une valeur limitée en tant qu'outil de gestion stratégique parce qu'elle a tendance à produire un indicateur retardé qui mesure la performance passée, au lieu de présenter des indicateurs avancés qui prédisent le rendement à venir ou encouragent le comportement axé sur les objectifs futurs.

Notre nouvelle politique sur la gouvernance vise à compléter le recours à la performance financière par de nouveaux indicateurs mesurant le leadership et la performance de l'entreprise, ainsi que la propre performance du conseil.

À l'annexe de notre mémoire écrit, nous énonçons les paramètres d'un tableau de bord équilibré pour un conseil. Je ne veux pas rentrer dans le détail dans mes remarques, mais permettez-moi tout simplement de dire quelques mots au sujet de cette approche.

Elle utilise un ensemble multidimensionnel d'indicateurs de la performance financiers et non financiers, et elle se fonde sur quatre dimensions qui ont trait aux valeurs fondamentales d'une entreprise.

La première dimension est financière. Les indicateurs ici sont axés sur les intérêts des actionnaires et démontrent si la stratégie a réussi du point de vue financier.

La deuxième dimension fait intervenir les diverses parties intéressées d'une entreprise, notamment les employés, les clients et la collectivité. Elle nécessite un examen d'indicateurs montrant comment la société répond aux besoins de ses diverses parties intéressées grâce à ses stratégies et à ses actions.

Pour la troisième dimension, il est essentiel d'examiner les processus d'affaires internes et de mesurer la performance de l'entreprise du point de vue de ses principaux systèmes et processus internes.

La dernière, mais non la moindre, a trait à l'apprentissage organisationnel et à la croissance afin de déterminer dans quelle mesure l'entreprise est prête à relever les défis de l'avenir grâce à ses actifs organisationnels et humains.

Nous ne prétendons pas que notre approche du tableau de bord équilibré soit la seule réponse à l'amélioration de la gouvernance des sociétés, mais nous croyons que c'est un outil important, qui peut aider les conseils d'administration à s'acquitter de leurs obligations.

Nous demanderions à votre comité d'encourager l'élaboration, la diffusion et l'adoption de nouveaux outils comme celui-ci pour améliorer le rendement des conseils d'administration des sociétés et pour permettre aux administrateurs des sociétés ouvertes de mieux comprendre un ingrédient essentiel, au moins, qui est le risque. Le fait d'améliorer la capacité des administrateurs de comprendre les risques et de composer avec ces derniers serait un pas des plus importants vers le rétablissement de la confiance du public dans la façon dont les sociétés ouvertes sont administrées.

Nous jugeons également que le moment est bien choisi pour promouvoir la professionnalisation des membres des conseils d'administration qui possèdent des connaissances et des compétences précises. À l'instar d'autres professionnels, les administrateurs de sociétés adhéreraient à un code d'éthique et s'investiraient dans le partage de pratiques exemplaires en matière de gouvernance. L'établissement d'un cadre professionnel pour les administrateurs de sociétés pourrait se faire de concert avec des organismes voués à la promotion d'une saine gouvernance de sociétés, par exemple, l'Institut des administrateurs des corporations.

En terminant, je suis convaincu que nous nous entendons tous pour dire que nous devons rétablir la confiance du public dans les marchés financiers, dans le monde des affaires de façon générale, et dans la profession de vérificateur plus particulièrement. Bien que nous ne prétendions pas avoir la réponse à toutes les questions, nous croyons que les mesures suivantes contribueraient à rétablir la confiance du public.

Premièrement: rendre les activités du Conseil canadien de la reddition de comptes plus transparentes et susciter la confiance du public envers elles en adoptant une approche plus englobante, qui inclurait la participation de CMA Canada et d'autres organismes comptables professionnels.

Deuxièmement: créer un organisme de normalisation comptable canadien indépendant du gouvernement, du milieu des affaires et des organismes professionnels qui aiderait à améliorer les normes de comptabilité générale et de présentation de l'information.

Troisièmement: encourager l'élaboration, la diffusion et l'adoption de nouveaux outils comme notre nouvelle politique sur la gouvernance des sociétés pour aider les administrateurs des sociétés ouvertes à mieux comprendre le risque et à instaurer des systèmes de contrôle appropriés.

Dernièrement: promouvoir la professionnalisation des administrateurs de conseils au Canada.

Votre comité est une voix absolument importante dans la promotion d'initiatives stratégiques qui aideront à rétablir la confiance du public dans les marchés financiers et le milieu des affaires du Canada. Nous serions heureux de collaborer avec vous afin d'aider à mettre ces nouvelles idées en pratique.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous n'êtes pas entré dans le détail du traitement des options d'achat d'actions, mais il existe différentes écoles de pensée. Que recommande la CMA pour le traitement des options d'achat d'actions dans les états financiers?

M. Langdon: Nous n'avons aucun point de vue particulier à ce sujet. C'est dans l'approche du tableau de bord équilibré. Elles devraient être portées aux dépenses et on devrait adopter un délai pour exercer les options d'achat d'actions. L'idée d'avoir des options d'achat d'actions et de se retourner immédiatement et de les vendre à brève échéance ne sied pas très bien à long terme avec l'actionnaire. Notre suggestion serait de les porter aux dépenses, comme l'ont fait quelques banques au Canada, et qu'il y ait une limite de temps imposée quant à la durée de leur conservation.

Le sénateur Hervieux-Payette: Quelle est la solution pour permettre au CCRC de vous reconnaître? Pourquoi n'êtes- vous pas accepté? Quelles normes ne respectez-vous pas? Quelles exigences ne comblez-vous pas.

M. Langdon: Madame le sénateur, je ne sais pas quelles sont les normes que nous ne respectons pas. Nous avons des membres qui oeuvrent dans le domaine de la vérification, mais c'est un faible pourcentage. La plupart de nos membres, comme vous le savez, oeuvrent dans la comptabilité de gestion et sont à l'emploi d'entreprises. Ils ont des carrières très enrichissantes et pleinement satisfaisantes dans ce domaine. Néanmoins, il y en a quelques-uns qui sont autorisés à faire de la vérification, et le font effectivement.

Tel que je l'ai mentionné dans mes commentaires, certaines provinces, en particulier l'Ontario, semblent vouloir présenter des mesures législatives qui ouvriront le secteur de la vérification à d'autres organismes. Le point essentiel qu'il faut rechercher dans tout cela, c'est que quiconque établit les normes de vérification doit être tout à fait indépendant. Ma présence ici ne vise pas à faire des démarches au nom de la CMA afin de nous inclure dans tout cela, mais d'un point de vue canadien, il serait important d'avoir un organisme de surveillance tout à fait indépendant pour toutes les activités de vérification au Canada et de ne pas avoir de situations où les infractions ou les normes sont déterminées par un groupe comptable précis.

Le sénateur Hervieux-Payette: Lorsque nous avons rencontré les gens du Teacher's Pension Fund de l'Ontario, nous leur avons demandé s'ils avaient acheté beaucoup d'actions d'Enron et ils ont répondu par la négative. Je leur ai demandé pourquoi. Ils ont répondu qu'ils avaient lu les petits caractères. Lorsqu'ils ont reçu les états financiers, le rapport annuel, et cetera, ils ont toujours eu des observations différentes à faire.

Est-ce la responsabilité du vérificateur, du comptable, de donner l'heure juste quant au degré de risque et à la situation économique de l'entreprise? Par ailleurs, les gros chiffres peuvent faire croire que la situation est excellente, mais en définitive, si vous ne prenez pas la peine de lire tous les petits caractères, vous ignorez la situation financière réelle de l'entreprise.

M. Langdon: J'ai assisté à quelques présentations données sur le cas d'Enron. Il s'agit d'un cas intéressant à analyser. Un des principaux problèmes dans le cas d'Enron — problème qui, je pense, n'aurait pas filtré dans les petits caractères et qui, nous l'espérons, n'aurait pas été possible si les principes du tableau de bord équilibré avaient été en vigueur parce que les membres du conseil d'administration auraient été informés —, c'est que le conseil était incapable de déterminer le risque rattaché aux différents secteurs d'activité de l'entreprise. Au départ, il s'agissait d'une compagnie de pipelines relativement stable qui s'est mise à oeuvrer dans le secteur très volatile des contrats à terme dans le domaine de l'énergie. Il s'agissait d'un bon prodigieux en termes de risque et pourtant le conseil d'administration n'a pas semblé comprendre que l'entreprise s'adonnait à une activité beaucoup plus risquée. Dans certaines présentations auxquelles j'ai assisté, on a dit que certains membres du conseil d'administration ne comprenaient pas comment l'entreprise parvenait à faire de l'argent. Ils pouvaient comprendre l'activité reliée au pipeline, mais ils se sont engagés dans cette activité très complexe du commerce des produits énergétiques sans savoir exactement comment l'argent était généré. Il s'agit là d'un gros problème.

Parmi les membres du conseil d'administration d'Enron, un nombre assez important étaient des gens très respectés et de bonne réputation, mais ils ne posaient pas les bonnes questions. Et je crois que c'est parce qu'on ne leur a pas fourni la bonne information, comme le degré de risque de l'activité dans laquelle l'entreprise s'était engagée. Même le président du comité de vérification, un professeur hautement respecté aux États-Unis qui a siégé sur un bon nombre de comités de vérification, ne saisissait pas vraiment toute l'importance du risque.

Un autre élément a également joué dans le cas d'Enron. Certaines personnes chez Enron ont décidé de frauder. Lorsqu'un groupe de personnes provenant de différents secteurs d'une organisation décident de frauder, il est difficile pour quiconque, même pour les vérificateurs, de flairer l'affaire. Ultimement, les actionnaires doivent se fier au conseil d'administration pour poser les bonnes questions et les membres du conseil doivent être entièrement indépendants et pleinement informés.

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous en avez parlé comme d'une activité très complexe. D'après moi, ces structures de déclaration compliquées ne sont rien d'autre qu'un écran de fumée pour des activités qui n'étaient pas nécessairement transparentes. Nous parlions de transparence il y a quelques minutes. Si les spécialistes ne pouvaient comprendre la situation financière globale de l'entreprise, que dire alors de l'actionnaire ordinaire ou même des gens qui ont une connaissance normale des pratiques de comptabilité, sans être nécessairement des experts dans le domaine.

M. Langdon: Je suis entièrement d'accord avec cette analyse. Le problème chez Enron, c'est que personne n'a demandé pourquoi, à deux ou trois reprises. Après avoir poser trois fois la question «pourquoi», la personne à qui s'adresse la question devrait commencer à avoir des sueurs froides. Si vous n'avez pas l'information vous permettant de continuer à demander pourquoi, il s'installe une forme d'inertie intrinsèque au sein de certains conseils d'administration. L'argent rentre, la situation est rose, alors où est le problème? Il n'y en a pas. Toutefois, si les membres du conseil avaient été conscients de la question du risque, ils seraient revenus à la charge et auraient demandé pourquoi la situation est comme elle est, pourquoi le risque augmente-t-il ici et que se passe-t-il dans l'entreprise? La question, c'est d'être plus transparent et plus direct avec l'information dont les directeurs ont besoin pour faire leur travail.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez parlé des options d'achat d'actions, je vais donc revenir sur mon dada. Vous avez soulevé deux points. Vous avez dit que les options d'achat d'actions devraient être conservées ou qu'il devrait y avoir certaines règles pour les régir. Comment quelqu'un peut-il conserver des options d'achat d'actions si les impôts sont appliqués dès que la personne exerce son option?

M. Langdon: Les personnes concernées devraient attendre un certain temps avant de pouvoir exercer leur droit.

Le sénateur Tkachuk: Mais la plupart des options d'achat d'actions portent sur l'avenir — une option peut être accordée pour un certain nombre d'années.

M. Langdon: C'est possible, mais il faut une période de temps plus longue pour pouvoir déterminer la valeur qu'une personne apporte à l'entreprise et qui est à l'origine même de l'option d'achat d'actions.

Le sénateur Tkachuk: Vous accorderiez une option d'achat d'actions de dix ans, mais qui ne peut être exercée avant cinq ans.

M. Langdon: Oui.

Le sénateur Tkachuk: J'ai de la difficulté à comprendre comment on tient compte d'une option d'achat d'actions dans le bilan. Où trouve-t-on les options d'achat d'actions dans les états financiers?

M. Langdon: Vous me posez une question délicate et je n'ai pas pour nécessairement les connaissances pour y répondre. Il y a différentes façons de voir la chose. J'essaierai de faire parvenir une réponse au greffier.

Le sénateur Tkachuk: Si nous voulons comptabiliser les options d'achat d'actions de manière que les investisseurs ordinaires puissent comprendre, vous devez être capable de me l'expliquer d'une façon que je puisse comprendre. Si seuls les comptables et les avocats peuvent comprendre, alors, c'est de l'information inutile.

M. Langdon: Vous avez absolument raison. On pourrait probablement faire un exposé de trois ou quatre heures sur la façon de comptabiliser les options d'achat d'actions.

Le sénateur Tkachuk: Les comptables vont exiger des frais horaires pour cet exposé et nous ne comprendrons rien.

M. Langdon: C'est un point important. La clarté est un ingrédient essentiel dans la communication de ces connaissances financières.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'ai une question au sujet du financement sans effet sur le bilan, de la transparence et d'un portrait clair de la situation. Vous avez dit, dans votre mémoire, que les états financiers sont sensés présenter fidèlement la situation de l'entreprise. Si vous projetez une belle image du bilan et que par la suite, les problèmes se situent hors bilan, je crois qu'il incombe à des spécialistes comme vous d'établir les règles et les pratiques qui feront en sorte que les actionnaires sauront que le risque peut ne pas apparaître au début de l'état financier, mais à la fin de ce dernier.

M. Langdon: Enron disposait de plusieurs entités à vocation spéciale. Un certain nombre de sociétés au Canada ont de telles entités pour se décharger de certaines dettes. Au Canada, la règle est beaucoup plus stricte quant au moment où vous devrez procéder à leurs consolidations.

Enron avait une norme qui, je crois, était une propriété de 3 p. 100 de l'entité à vocation spéciale. Enron n'a pas respecté la règle du 3 p. 100. Ici, ce n'est pas la règle de comptabilité qui est fautive. C'est une question d'absence de suivi de la part de la vérification ou du conseil d'administration. Une fois que les gens ont réalisé qu'ils pouvaient frauder, parce que ni les vérificateurs ni le conseil ne vérifiaient, ils ont décidé de créer un grand nombre de ces sociétés de portefeuille. Enron avait une participation de seulement 2,9 p. 100.

Dans de nombreux cas, les normes étaient là, mais elles n'ont pas été respectées. Cela revient à la question de fraude.

Le président: N'y avait-il pas quelque 800 de ces entités?

M. Langdon: Il y en avait beaucoup. Elles étaient nommées d'après des personnages de Star Wars.

Le président: Merci d'être venu nous voir et bonne chance. Notre prochain témoin est M. Eugene Ellman, directeur général de l'Association pour l'investissement responsable.

M. Eugene Ellmen, directeur général, Association pour l'investissement responsable: Je parlerai dix minutes et ensuite, je répondrai volontiers à vos questions. Merci de nous offrir l'occasion de vous faire part de nos vues sur la gouvernance d'entreprise.

Mme Tessa Hebb, qui siège au conseil d'administration de notre association, espérait être ici aujourd'hui, mais elle est retenue cet après-midi en raison d'une maladie dans la famille.

Nous nous sommes présentés devant vous dans le passé lorsque le comité étudiait la Loi sur la corporation commerciale canadienne. La dernière fois que j'étais ici, j'ai parlé des droits des actionnaires et de l'article de l'ancienne Loi canadienne sur les sociétés par action qui autorisait la gestion à exclure les propositions des actionnaires fondées sur des questions sociales et environnementales. Nous avons été très heureux de voir que cet article avait été éliminé dans la loi adoptée l'an dernier. Nous avons félicité le gouvernement pour ce geste.

Je représente l'Association pour l'investissement responsable, une association professionnelle regroupant des entreprises d'investissement éthique au Canada. Nous comptons environ 400 membres de partout au Canada qui représentent le personnel et la direction de certains des plus grands établissements financiers qui investissent l'argent de leurs clients dans des fonds de placement en respectant des lignes directrices sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Ces investisseurs prennent en considération des questions comme le respect des droits de la personne, l'état de l'environnement, la façon dont les entreprises traitent leurs employés et les collectivités et les rapports de ces entreprises avec les pays en voie de développement.

Nous estimons que ce marché représente environ 50 milliards de dollars qui, d'une façon ou d'une autre, sont investis et gérés en fonction de critères sociaux et environnementaux. C'est une petite partie du marché.

Nous estimons qu'elle représente environ 3 p. 100 des fonds gérés, mais que cette partie est en croissance. Elle est en croissance dans les établissements financiers bien en vue, les caisses de retraite et d'autres établissements financiers qui sont intéressés à appliquer des critères autres que les seuls critères financiers dans le processus de sélection des investissements.

Je vais résumer le point que nous faisons valoir dans notre mémoire que, j'espère, vous avez tous eu l'occasion de lire, et je vais ensuite passer brièvement en revue les cinq recommandations que nous présentons ici aujourd'hui.

La plupart des gens qui ont présenté un exposé l'ont fait sous deux optiques différentes: celle de la vérification ou celle de la gouvernance d'entreprise. Si nous examinons la situation d'entreprises telles qu'Enron et WorldCom, nous constatons que leur effondrement est attribuable à deux éléments essentiels: une gestion qui a abusé des pratiques de vérification soit pour sous-estimer la dette au bilan soit pour surestimer les recettes, et l'absence de gouvernance de la part des conseils d'administration, qui n'ont pas exercé une supervision appropriée de la gestion et qui ont ainsi permis que se poursuivent ces abus au niveau de la vérification. Ces deux éléments, à savoir une vérification insuffisante combinée à une reddition des comptes lacunaire, sont au coeur de la crise de confiance qui ébranle actuellement les investisseurs.

Notre association appuie les mesures visant à réformer la vérification, la gestion et la reddition des comptes. Par exemple, nous appuyons le projet de loi présenté en Ontario la semaine dernière visant à renforcer les sanctions imposées en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières et pour établir un régime de responsabilité civile. Nous appuyons également les mesures destinées à renforcer les normes de vérification, la reddition des comptes ainsi que l'indépendance des analystes prévues dans la Loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis. Nous avons également fait connaître notre appui aux nouvelles normes d'inscription du New York Stock Exchange qui, entre autres choses, exigent des chefs de direction qu'ils se portent personnellement garants des états financiers de leur entreprise.

Notre point de vue sur l'ensemble de cette question, c'est que les nouvelles règles ne sont pas suffisantes pour réformer entièrement le système de gouvernance au Canada ou dans d'autres pays. Nous croyons que ces réformes de gouvernance ne tiennent pas compte de l'entreprise dans son sens le plus holistique. Elles ne tiennent pas compte du rôle de l'entreprise en tant que présence sociale, de son rôle en tant qu'arbitre entre les différents intervenants. Nous croyons que si le but de ces réformes de la gouvernance d'entreprise n'est pas uniquement de mettre fin à court terme aux abus en matière de vérification et de gouvernance, mais plutôt d'aider à édifier une valeur pour les actionnaires à long terme, il sera nécessaire de faire appel à une vue plus globale des entreprises.

Nous réclamons essentiellement, dans un souci de transparence et de divulgation, certaines réformes simples qui exigeraient des entreprises qu'elles fassent état de leurs politiques sociales et environnementales et des risques pertinents. Notre philosophie, c'est que le soleil reste le meilleur désinfectant; si vous élargissez la déclaration des entreprises, si vous exigez de la direction qu'elle dévoile les risques sociaux et environnementaux qui se cachent actuellement dans leur bilan, vous allez mettre au grand jour leur profil social et environnemental au profit des investisseurs et du public.

Nous allons passer brièvement en revue chacune de nos recommandations, même si elles sont présentées dans notre mémoire. Nous recommandons que les diverses lois fédérales et provinciales, la Loi canadienne sur les sociétés par actions et les lois provinciales sur les sociétés et les valeurs mobilières soient modifiées pour exiger que les sociétés cotées se donnent un code de conduite d'entreprise. Nous n'exigeons pas que ces codes de conduite contiennent des mesures sociales et environnementales, mais uniquement qu'il y ait obligation d'avoir un code d'entreprise et qu'ensuite, ces entreprises soient tenues de faire rapport de leur rendement en fonction de ce code.

Nous tenons à louer le travail de la Global Reporting Initiative, initiative internationale dont la mission est d'instituer des normes sociales et environnementales uniformes pour les entreprises multinationales, et nous estimons qu'il s'agit là d'un bon point de départ pour l'élaboration de ces codes d'entreprise.

Nous croyons que les règlements provinciaux régissant les valeurs mobilières ainsi que les normes d'inscription de la Bourse de Toronto devraient être modifiés pour exiger des entreprises qu'elles dévoilent leurs politiques sociales et environnementales ainsi que les risques sociaux et environnementaux liés à leurs activités. Les politiques seraient confrontées aux codes de conduite de l'entreprise dont il est question dans notre première recommandation et les risques seraient présentés dans des documents actuellement exigés comme le rapport de gestion et la notice annuelle qui, typiquement, ne tiennent pas compte des mesures sociales et environnementales.

Notre mémoire fait état d'une étude réalisée par le personnel de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario portant sur un certain nombre de rapports de gestion en circulation à l'heure actuelle; cette étude révèle que les entreprises omettent fréquemment de mentionner dans le rapport de gestion des éléments pertinents qui auraient eu des répercussions sur leurs activités et sur leur situation financière. Par conséquent, nous affirmons spécifiquement que les risques sociaux et environnementaux de nature pertinente devraient être déclarés.

Les comités de vérification devraient être mandatés pour examiner ces déclarations, plutôt que de laisser à la gestion le soin d'en faire une étude pour la forme et on devrait exiger qu'elles portent une signature. C'est une exigence qui a été adoptée dans le cadre d'une des récentes réformes mises en place au Royaume-Uni suite aux recommandations du comité Turnbull, et qui s'applique aux entreprises cotées à la Bourse de Londres; cette mesure commence à créer une nouvelle attitude au sein des conseils d'administration à l'égard de la gestion du risque à long terme.

Laissant de côté la question de la divulgation par l'entreprise pour celle de la divulgation au sein de la communauté financière elle-même, nous pensons que pour accroître la transparence, les gestionnaires de fonds communs de placement et de caisses de retraite devraient être tenus de divulguer leurs politiques en matière de vote par procuration et d'indiquer comment ils votent sur des questions particulières intéressant les actionnaires.

Cette mesure est fondée sur une recommandation récente de la Securities and Exchange Commission des États-Unis. Elle fait l'objet d'une consultation qui se terminera le 6 décembre. La SEC propose que les conseillers financiers et les gestionnaires de fonds communs de placement soient tenus de déclarer leurs politiques en matière de vote par procuration dans la documentation publique qu'ils communiquent aux investisseurs sur leur site Web.

De plus, nous recommandons de franchir un pas additionnel et d'exiger des gestionnaires de fonds communs de placement et de caisses de retraite qu'ils indiquent comment ils exercent leur droit de vote dans différentes questions intéressant les actionnaires. Typiquement, les gestionnaires de fonds communs de placement et de caisses de retraite accordent tout simplement leur vote par procuration à la gestion et c'est elle qui décide comment voter sur les diverses propositions intéressant les actionnaires. Certaines caisses de retraite, et plus particulièrement l'Ontario Teachers Pension Fund, rendent maintenant public le résultat de leur vote, de même que la façon dont elles exercent leur droit de vote dans le cas des propositions intéressant les actionnaires. Un bon nombre parmi nos membres, dirigés par le groupe des fonds communs de placement à caractère social, le font déjà depuis un certain nombre d'années. Nous croyons qu'il ne doit pas s'agir uniquement d'une pratique volontaire de la part des gestionnaires de fonds communs de placement et de caisses de retraite, mais qu'il devrait s'agir d'une exigence.

Notre recommandation suivante, c'est de faire en sorte que les membres des caisses de retraite soient mieux informés de l'importance accordée aux questions sociales et environnementales par les gestionnaires de leur caisse dans le choix des investissements qu'ils font avec leur argent. Nous recommandons que les lois fédérales et provinciales régissant les caisses de retraite soient modifiées de manière à exiger que les caisses de retraite divulguent comment, si tant est qu'elles le fassent, elles tiennent compte des facteurs sociaux et environnementaux dans leurs décisions d'investissement. Cette recommandation est fondée sur une règle qui a été adoptée il y a deux ans au Royaume-Uni et qui touche toutes les caisses de retraite. Elle a pour but d'inciter les gestionnaires de caisses de retraite du Royaume-Uni à procéder à une analyse plus poussée des considérations sociales et environnementales lorsqu'ils constituent leur portefeuille et qu'ils exercent leur droit de vote par procuration.

Nous reconnaissons qu'il n'y a pas beaucoup de gouvernements dans le monde qui ont adopté cette mesure à l'heure actuelle. Dans notre mémoire, nous signalons le Royaume-Uni et l'Afrique du Sud comme deux gouvernements qui l'ont fait. Même la SEC a des exigences plus rigoureuses que le Canada en ce qui concerne certains aspect de la déclaration liée à l'environnement, mais la mesure dont nous parlons n'est pas exigée par cet organisme.

Notre argument repose sur le fait que si vous voulez participer à l'édification d'un système de gouvernance qui est là pour durer, si vous voulez aider à construire une valeur à long terme pour l'actionnaire, il est important d'envisager l'entreprise sous son angle le plus global, c'est-à-dire, le contexte social et environnemental dans lequel elle évolue. Bien que certaines de ces recommandations aillent beaucoup plus loin que ne le font certains gouvernements dans le monde à l'heure actuelle, faire du Canada un chef de file dans ce domaine lui donnera un avantage concurrentiel à l'échelle nationale, parce que nous estimons qu'avec le temps, les marchés financiers accorderont de plus en plus d'importance à l'analyse sociale et environnementale des entreprises.

Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Tkachuk: Je comprends ce que vous voulez dire par le mot «environnemental». Mais que voulez-vous dire par le mot «social»?

M. Ellmen: Nous avons fait parvenir aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières un mémoire au sujet de leur politique de divulgation continue et nous avons précisé le sens du mot «social». Ce terme comprend les diverses répercussions que peut avoir une entreprise sur son groupe d'intervenants. Nous laissons cette définition ouverte.

Le sénateur Tkachuk: Exigez-vous que les entreprises soient tenues...

M. Ellmen: De le divulguer, et non de faire quelque chose en particulier. Nous ne réclamons pas ici une nouvelle norme en matière de responsabilité, mais nous demandons simplement que les sociétés divulguent leur politique sociale et environnementale ainsi que les risques pertinents.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que les sociétés font rapport?

M. Ellmen: C'est exact. Certaines sociétés présentent des rapports de développement durable qui sont placés en annexe dans leur rapport annuel ou qui sont publiés séparément. Ce que nous demandons, c'est que les entreprises fassent ce que certaines d'entre elles font déjà sur une base volontaire, mais que ce soit maintenant une exigence.

Le sénateur Tkachuk: N'est-il pas mieux de garder les choses ainsi? Premièrement, il serait difficile pour les petites entreprises de se conformer. Deuxièmement, si les entreprises convoitent l'argent de vos caisses de retraite ou de vos fonds de placement, n'est-ce pas là un très bon incitatif pour le faire, parce que les gens cherchent à investir de cette manière?

M. Ellmen: C'est vrai. Pour les sociétés qui veulent le faire comme mesure positive, rien n'empêche, par exemple, une entreprise de devenir chef de file en matière de droits de la personne.

Nous estimons que le fait d'exiger que les sociétés rendent publique leur politique les fera évoluer graduellement le long de ce spectre. Toutefois, le facteur le plus important, c'est que nous allons également exiger des entreprises qu'elles dévoilent les risques sociaux et environnementaux pertinents. Par exemple, la teneur en carbone dans le cas des entreprises pétrolières et gazières et les risques que cela comporte face au Protocole de Kyoto seraient dévoilés d'une manière plus directe.

Le sénateur Tkachuk: Ils doivent être divulgués à cause de l'action du gouvernement. En d'autres mots, avant Kyoto, il n'y avait pas de risque. Maintenant qu'il y a Kyoto, peut-être y a-t-il un risque, mais peut-être n'y en a-t-il pas. Il m'importe peu que les sociétés le divulguent ou non. C'est bon si elles le font et si elles veulent attirer l'argent que vous voulez investir et si elles veulent montrer qu'elles sont respectueuses de l'environnement, socialement responsables et ainsi de suite.

Il m'est difficile de comprendre comment elles vont le faire, surtout si c'est une obligation. Vous avez des avocats, des gouvernements et des organismes de réglementation et à l'heure actuelle, les sociétés le font parce qu'elles veulent attirer des investissements, parce qu'elles veulent agir en bon citoyen et pour toutes ces autres bonnes raisons. Pourquoi ne pas plutôt faire pression auprès des caisses de retraite pour qu'elles recherchent des entreprises qui le font? N'est-ce pas là une meilleure solution?

M. Ellmen: Nous estimons que cette exigence doit être inscrite dans les règlements régissant les valeurs mobilières comme une exigence en matière de déclaration parce qu'il y a maintenant beaucoup trop peu de sociétés qui publient un rapport sur ces questions. Par exemple, le World Resource Institute a publié récemment un rapport qui porte sur 16 multinationales actives dans le domaine du pétrole et du gaz et sur leur déclaration des risques en vertu du Protocole de Kyoto. Seulement trois des 16 entreprises ont même daigné en faire mention, ce qui est incroyable lorsqu'on pense aux énormes répercussions que cela pourrait avoir sur leur bilan.

C'est davantage pour nous une question de divulgation du risque que de mesure positive. Cependant, nous reconnaissons aussi qu'il faudrait encourager les entreprises à faire également rapport sur leurs politiques sociales et environnementales, afin d'essayer de faire avancer les milieux corporatifs en ce sens.

Le sénateur Tkachuk: Les entreprises, par contre, peuvent répondre qu'elles ne font rapport sur aucun de ces aspects étant donné qu'elles croient que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Elles sont là pour obtenir le meilleur rendement possible du capital investi et soutenir la concurrence de toutes les entreprises. Il n'y aurait rien de mal à cela non plus.

M. Ellmen: C'est exact.

Le sénateur Tkachuk: Vous n'investirez pas dans une entreprise de ce genre, mais d'autres personnes qui veulent un bon investissement le feront.

M. Ellmen: Il s'agit simplement d'établir des conditions identiques pour toutes les entreprises de telle sorte qu'une norme unique s'applique en matière de rapport.

Le sénateur Tkachuk: J'ai votre témoignage. Je ne veux pas argumenter avec vous.

Vous avez dit que les sociétés ayant des dossiers sociaux et environnementaux positifs affichent un rendement supérieur en ce qui a trait à leurs actions. Pourriez-vous me donner des exemples?

M. Ellmen: Notre association représente la communauté financière. Par conséquent, je ne m'occupe pas d'attribuer des cotes pour les aspects sociaux et environnementaux. Je ne peux vous donner de détails mais je peux attirer votre attention sur des données qui se trouvent dans le rapport également. Innovest Strategic Value Advisors, une entreprise installée à Toronto qui est représentée autour du monde, a commandé un travail de recherche sur les sociétés dont les titres sont inscrits sur diverses bourses et la place qu'elles occupent sur ce que Innovest appelle «l'échelle écoefficacité». Elle en est arrivée à la conclusion que les entreprises qui obtiennent une cote élevée sur cette échelle ont eu un rendement annuel — je crois que cela se trouve dans le rapport — de plus de 12 p. 100, comparativement au S&P 500, qui est d'environ 8 p. 100 annuellement. Pendant les cinq années qu'a duré l'étude, l'écart en ce qui a trait au rendement global des titres a été de trois et demi pour cent.

Le sénateur Tkachuk: En était-il ainsi dès le départ ou est-ce simplement qu'au fur et à mesure qu'elles progressent, comme on dit, elles devraient peut-être ètre plus respectueuses de l'environnement? Il leur a fallu 10 ans pour bâtir l'entreprise et ils veulent maintenant changer. En d'autres mots, est-ce que cela se fait à long terme, au départ ou à mi- chemin?

M. Ellmen: Ils ont procédé à une analyse de divers facteurs dont le secteur d'activité, l'âge de l'entreprise, certains facteurs techniques et du marché des valeurs mobilières. À la fin de cette analyse statistique, ils en sont venus à la conclusion qu'il existe vraiment un facteur écoefficacité.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez mentionné Talisman, la raffinerie située au Soudan. Maintenant que la société à capitaux publics du gouvernement de l'Inde a racheté la raffinerie, conseilleriez-vous à vos caisses de retraite de ne pas investir du tout en Inde?

M. Ellmen: C'est une bonne question. Comme l'annonce de la vente ne remonte qu'à quelques jours, les gens de notre secteur se débattent encore avec la question. Je crois comprendre que la société pétrolière indienne qui a acheté Talisman est une société publique. Par conséquent, je ne crois pas qu'elle ait quelque flottant quelque part dans le monde.

Le sénateur Tkachuk: L'Inde possède cette société. Pourquoi investiriez-vous en Inde?

M. Ellmen: Nos investisseurs prennent les décisions au cas par cas et non en fonction des pays, à quelques exceptions près. La Birmanie, par exemple, est une exception. Beaucoup de nos membres n'investiront pas en Birmanie étant donné la sanction internationale prise contre elle. Ce n'est pas le cas pour l'Inde à l'heure actuelle. Par conséquent, il pourrait y avoir des entreprises exerçant des activités en Inde qui sont dirigées par des personnes dont les codes de conduite sont irréprochables et qui se fixent des normes élevées. Le simple fait que la société pétrolière de l'Inde a investi au Soudan n'écarte pas la possibilité que nos membres investissent dans ces sociétés ouvertes.

Le sénateur Tkachuk: On croirait entendre le gouvernement canadien. Nous pouvons faire du commerce avec la Chine, qui est un grand pays. C'est facile de s'en prendre à une petite entreprise de Calgary et de l'amener à se dessaisir. Les droits de la personne ce sont les droits de la personne, selon moi.

L'Inde est maintenant l'abuseur ou à tout le moins ses politiques sont abusives. À supposer que la société se compare à ce qu'était Talisman de Calgary. Il me semble que vous devez être constants d'une certaine manière.

M. Ellmen: Il n'y a pas eu beaucoup d'exemples où un pays tout entier a fait l'objet d'un boycottage. Il y a bien eu l'Afrique du Sud. La Birmanie en est un autre exemple.

Le sénateur Tkachuk: Il s'agit de vos dollars-investissement.

M. Ellmen: En règle générale, ce sont les milieux d'investissement social de même que la communauté internationale qui décident de boycotter un pays en particulier. Dans le cas de l'Afrique du Sud, presque tous les pays du Commonwealth ont participé au boycottage à l'instar d'un nombre important d'autres pays. Il en va de même avec la Birmanie.

Le sénateur Hervieux-Payette: Nous avions la Caisse de dépôt au Québec. La caisse de retraite pouvait acheter des actions selon un pourcentage prévu dans la loi. Cette disposition a été éliminée. Bien sûr nous avons vu les résultats par la suite. Lorsque certaines personnes sont fiduciaires de plusieurs caisses de retraite, l'industrie de l'assurance dispose de règles obligatoires prévues dans la loi. L'inspecteur des institutions financières veillera au respect de ces lignes directrices. Les banques disposent également de lignes directrices relativement au genre d'investissements qui peuvent être effectués.

Les caisses de retraite ne disposent pas de telles lignes directrices. Il n'y a ni loi, ni ligne directrice, ni supervision. J'ignore si des limites leur sont imposées. Elles pourraient probablement tout investir dans une seule affaire. Il se peut qu'elles aient des lignes directrices internes, mais je veux parler d'une politique publique qui s'appliquerait aux caisses de retraite, même si cela pouvait en grande partie relever de la compétence des provinces. Que pense votre groupe de la protection de ces caisses de retraite?

M. Ellmen: Je ne m'y connais pas en réglementation sur les caisses de retraite; cependant, je ne crois pas que ce soit très juste. Je crois que le Bureau du surintendant des institutions financières, au niveau fédéral, et les organismes de réglementation provinciaux dans ce domaine surveillent continuellement les caisses de retraite. Des gens de cette industrie m'ont expliqué que certaines vérifications sont effectuées afin d'assurer que les caisses de retraite disposent de l'actif nécessaire pour payer leurs dettes si une entreprise, par exemple, devient insolvable.

L'industrie des caisses de retraite est réglementée à l'heure actuelle dans une certaine mesure.

Le sénateur Hervieux-Payette: Il existait certaines règles régissant l'investissement étranger, par exemple. Cependant, on a trouvé une façon d'augmenter l'investissement étranger par quelque moyen légal artificiel.

Je suis mal à l'aise à l'idée de faire indirectement ce qu'on ne peut faire directement. Que recommanderait votre groupe en ce qui a trait à ces règles? Devrions-nous toujours utiliser un moyen détourné pour arriver à nos fins lorsqu'une règle ne nous convient pas?

M. Ellmen: Vous voulez probablement parler des contrats à terme normalisés et des opérations de couverture, sénateur, qui permettent à certaines caisses de retraire de majorer leur contenu étranger. Notre groupe estime en général que les restrictions imposées au contenu étranger existent dans un but précis, pour assurer que les prestations de retraite ouvrant droit à une aide fiscale sont investies sur les marchés canadiens. Nous sommes d'accord avec cela et nous estimons qu'il faudrait s'y soumettre.

Le président: Merci beaucoup d'être venu nous rencontrer.

La séance est levée.


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