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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 7 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 27 novembre 2002

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 05 pour étudier les répercussions en matière d'intérêt public de la fusion des grandes banques.

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous allons reprendre notre étude des répercussions en matière d'intérêt public de la fusion des grandes banques.

C'est avec grand plaisir que je souhaite la bienvenue à M. Tony Comper, président du conseil et chef de la direction de BMO Groupe financier. Il est accompagné par Mme Karen Maidment, vice-présidente à la direction et chef des finances, et M. Tim O'Neill, vice-président à la direction et économiste en chef, dont nous lisons toujours les travaux.

M. Tony Comper, président et chef de la direction, BMO Groupe financier: Monsieur le président, honorables sénateurs, je remercie chacun de vous de m'avoir invité à participer à ces importantes discussions.

[Français]

Permettez-moi de vous dire que j'apprécie grandement votre décision de tenir ces séances de discussion. Pour tout le secteur bancaire, votre diligence est la preuve de l'importance que les membres du Comité des banques et du commerce et le Sénat accordent à notre besoin croissant de souplesse. Nous attendons tous avec impatience la publication de votre rapport et celui de vos collègues du Comité des finances. Ces deux rapports devraient préciser clairement dans quel sens toute proposition de fusion entre les cinq plus grandes banques du Canada saura préserver les intérêts du public.

[Traduction]

Au nom de BMO Groupe financier, je voudrais appuyer fortement ce processus. En dépit de la fierté que nous pouvons ressentir à l'endroit de notre institution qui, pendant 185 ans, s'est singularisée par un sens de ses responsabilités sociales tout à fait exemplaire, nous reconnaissons qu'il appartient au gouvernement de définir et de préserver les intérêts des Canadiens — mission dont il s'acquitte remarquablement bien.

J'espère que le contenu de ma brève présentation et les réponses que je donnerai à vos questions seront utiles pour vous aider à formuler votre définition des intérêts du public en ce qui a trait aux fusions bancaires.

Je vais aborder les quatre principaux sujets de préoccupation dans l'ordre où ils ont été présentés par M. Manley et M. Bevilacqua dans la lettre qui a mis le présent processus en branle. Ces sujets sont l'accès, le choix, la concurrence et la croissance et la gestion de la transition.

Selon BMO Groupe financier, toute fusion de banques canadiennes ayant pour but de répondre à ces quatre sujets de préoccupations légitimes pour le public ne peut être que dans l'intérêt de celui-ci.

En matière d'accès, BMO est guidé par le principe qu'au Canada l'intérêt du public comprend un accès normal à des succursales à service complet offrant des produits et des services fiables et de haute qualité — il s'agit là d'une attente légitime que la Banque a contribué à créer.

Par conséquent, BMO croit qu'il est dans l'intérêt du public que les banques qui fusionnent précisent leurs plans relatifs aux services qu'elles entendent proposer aux diverses collectivités rurales qu'elles desservent. Tout comme il est dans l'intérêt du public que ces banques s'engagent à conserver une présence physique dans ces collectivités pendant une période raisonnable, qui, selon nous, devrait être d'environ trois ans.

Comme je l'indiquerai dans les autres points de vue que j'exprimerai aujourd'hui au sujet des fusions bancaires, j'aimerais noter que, selon la logique élémentaire de même que l'expérience, il va de soi que plus une banque est grande et plus elle est solide, mieux elle est en mesure de conserver des succursales en région rurale.

Un autre principe qui nous guide en matière de fusion est le maintien, pour les particuliers et les petites entreprises, d'une possibilité de choix entre divers fournisseurs offrant des services financiers, et le maintien d'un accès au crédit.

BMO croit qu'il est dans l'intérêt du public que les banques qui fusionnent précisent le rôle qu'elles comptent donner à leur secteur des services bancaires aux particuliers et aux petites entreprises au sein de leurs différents secteurs d'activités et les répercussions que la fusion aura sur l'accessibilité du crédit.

Comme la dernière année l'a fait ressortir clairement, je pense, le marché des particuliers et des entreprises constitue la source de revenus de même que la base de tout le secteur bancaire canadien. Chez BMO, nous n'avons pas besoin d'incitatifs pour nous pousser à bien servir ces clientèles. C'est pour cette raison que j'aimerais que l'on retienne que, peu importe ce que l'avenir nous réserve, BMO a l'intention de respecter son engagement à servir le marché canadien des PME, engagement qu'elle honore depuis de nombreuses années. Nous sommes prêts à continuer d'affecter à ce secteur la même proportion de notre capital global qu'aujourd'hui.

Au sujet de la concurrence et de la croissance, BMO est guidé par l'information, maintes fois confirmée par les sondages, que les Canadiens accordent de l'importance au fait de pouvoir profiter d'un secteur des services financiers fort, en santé et, surtout, de propriété canadienne; ils veulent également que ce secteur conserve ces caractéristiques. Quelles que soient les autres raisons pouvant justifier leur opinion, les Canadiens sont de plus en plus conscients de l'importance d'avoir des sièges sociaux au pays, avec les emplois directs de grande qualité, de même que les emplois indirects, les occasions d'affaires pour des fournisseurs et les autres retombées que la présence de ces sièges suppose.

Les sondages confirment également que les Canadiens aimeraient voir les sociétés canadiennes réussir à l'étranger, ce que BMO Groupe financier a commencé à faire, principalement aux États-Unis, d'où BMO tire maintenant 35 p. 100 de son revenu net.

Comme nous le précisons dans notre document d'information, plus le secteur des services financiers est vigoureux, et plus il est compétitif à l'échelle internationale, plus nous sommes en mesure de garder de bons emplois au pays, et plus nous pourrons vraisemblablement réussir hors de nos frontières.

BMO croit qu'il est dans l'intérêt du public que nous possédions des banques compétitives à l'échelle internationale ayant leur siège social ici et fortement implantées au pays. Par conséquent, il est dans l'intérêt du public que les banques qui fusionnent indiquent les répercussions que les investissements qu'elles comptent effectuer pour leur expansion à l'étranger auront sur leurs activités au Canada.

Si nous nous penchons maintenant sur les questions relatives à la transition — c'est-à-dire, sur les moyens de faciliter les choses pour les clients, les employés et les collectivités concernés pendant la période de mise en place d'une entité plus forte et plus compétitive — il importe de signaler que le traitement de tous les intéressés avec respect et équité est le principe qui doit nous servir de guide dans cette phase.

BMO croit qu'il est dans l'intérêt du public que les banques qui fusionnent indiquent les répercussions que leur projet aura sur la tarification et sur la qualité des produits et des services; également, il est dans l'intérêt du public que ces banques, dans la mise en place de la nouvelle entité, mettent les intérêts des clients au premier plan de leurs préoccupations.

En outre, chez BMO Groupe financier, nous savons par expérience qu'il est possible d'opérer une transition en douceur pour les clients. Lorsque le Bureau de la concurrence a ordonné à TD Canada Trust de se dessaisir d'un certain nombre de succursales, BMO a acquis 12 de celles-ci qui étaient situées, pour la plupart, dans la région de Kitchener-Waterloo. Pour transformer cette transaction en réussite, nous étions déterminés à bien faire les choses pour les clients. Ainsi, au jour prévu pour la conversion des comptes, nous avons automatiquement inscrit dans les nouveaux comptes les autorisations de dépôt direct et de paiement automatique qui étaient liées aux anciens comptes sans que les clients aient à s'en préoccuper.

Nous avons également mis sur pied un centre d'appel spécial pour répondre aux questions et aux préoccupations de nos nouveaux clients. Nous avons aussi pris l'engagement de ne pas fermer de succursales, de ne pas modifier les heures d'ouverture des succursales et de ne pas modifier la tarification pendant une période de transition.

Comment cela s'est-il traduit pour les clients? Aujourd'hui, l'indice de la qualité du service révèle que le niveau du service dans ces succursales est légèrement supérieur à celui du réseau canadien de BMO.

Sans vouloir minimiser l'effet qu'une fusion pourrait avoir sur les employés, je crois utile de mentionner que BMO et les autres banques canadiennes peuvent s'enorgueillir d'un dossier enviable en matière de pratiques relatives aux ressources humaines.

BMO croit qu'il est dans l'intérêt du public que les banques qui fusionnent indiquent comment elles vont s'y prendre pour tirer le meilleur parti de l'attrition, du recyclage et de la réaffectation du personnel afin de limiter les pertes d'emplois dans les situations de chevauchement ou de double emploi provisoires. Il faut également qu'elles indiquent le nombre d'emplois qui seront éliminés à court terme et les principes en vertu desquels les employés touchés pourront bénéficier des indemnités de licenciement.

Permettez-moi à nouveau de vous faire part de notre expérience avec les succursales acquises dans la région de Kitchener-Waterloo. Nous savions que pour bien faire les choses avec nos nouveaux clients, nous devions d'abord bien faire les choses pour nos nouveaux employés. Par conséquent, nous avons maintenu les salaires, les avantages sociaux, l'ancienneté et les régimes de retraite, et nous avons mis sur pied des plans d'apprentissage personnalisés pour chaque employé.

Comment cela s'est-il traduit pour nos nouveaux employés? Eh bien, sur 186 employés de TD Canada Trust qui sont passés à BMO, seulement six sont partis, dont trois de leur propre chef.

Il importe de mentionner que la fusion est une tactique de stratégie de croissance, l'objectif à long terme étant de parvenir à une augmentation de la taille de même que de la capacité de réussite, deux facteurs susceptibles de permettre à la nouvelle entité d'embaucher plus de personnes et d'offrir de meilleurs postes à tous les employés. BMO croit qu'il est dans l'intérêt du public que les banques qui fusionnent fournissent des prévisions sur la croissance de l'emploi que leur transaction entraînera à long terme.

Dans la mesure où notre engagement envers nos collectivités est concerné, je répéterai et j'expliciterai mes propos de tout à l'heure en vous disant que l'accès aux services bancaires et la liberté de choix doivent être maintenus à tout prix.

BMO Groupe financier croit qu'il est dans l'intérêt du public que les banques qui fusionnent vendent leurs succursales excédentaires à des concurrents ayant un réseau canadien moins développé. Le même principe pourrait s'appliquer si le Bureau de la concurrence demandait le dessaisissement de succursales ou d'entités. Nous possédons une expérience de première main particulièrement riche en la matière, ayant cédé des succursales à des concurrents de plus petite taille, ventes qui se sont traduites par des retombées positives pour les employés, les clients, les collectivités et pour l'ensemble des concurrents.

En 2000 et en 2001, par exemple, BMO a vendu une série de succursales à des coopératives de crédit de la Colombie- Britannique, de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba, et à la Banque Nationale au Québec. Il s'agissait d'une solution imaginative à un défi commercial. Ces transactions ont permis le maintien de services bancaires en succursale dans les collectivités visées et le maintien d'emplois pour le personnel — la plupart des employés ont reçu une offre de l'acquéreur et presque tous l'ont acceptée et ont continué de servir les clients. Ces transactions ont aussi permis à des concurrents de plus petite taille d'accroître leur réseau de points de vente visant une clientèle de particuliers.

Un autre facteur à considérer est le fait que, grâce à la révolution technologique à laquelle le secteur bancaire souscrit entièrement, la clientèle des services financiers au Canada dispose maintenant d'un choix plus grand que jamais d'options de services bancaires de grande qualité, dont la demande va croissant. Ce choix est à portée de guichet automatique, de téléphone et de site Web.

En terminant, je voudrais réaffirmer que, du point de vue de BMO Groupe financier, toute fusion bancaire bien planifiée et bien gérée devrait être et peut être effectuée dans l'intérêt du public. C'est la position que notre document d'information expose en détail.

Sauf le respect que je vous dois, je m'abstiendrai de commenter devant les honorables sénateurs toute rumeur de fusion précise ou toute spéculation puisqu'il ne serait ni dans l'intérêt de BMO ni dans celui du public de le faire. Cependant, je voudrais qu'il soit clair que, chez BMO Groupe financier, nous ne comptons pas sur une fusion pour garantir notre avenir. Nous préparons notre avenir actuellement en mettant en œuvre une stratégie dynamique allant droit au but et prévoyant des investissements au Canada et une expansion aux États-Unis. Pour nous une fusion serait un moyen de renforcer notre assise financière, ce qui nous permettrait de mettre en œuvre cette stratégie plus rapidement et plus efficacement.

Si une occasion de fusion susceptible de nous rapprocher de nos objectifs stratégiques se présentait à nous, nous serions prêts à l'étudier sérieusement. Cependant, fusion ou pas, nous continuerons de porter la plus grande attention et le plus grand soin à préserver la relation ancienne et spéciale que nous entretenons avec les Canadiens; nous continuerons de respecter leurs droits et leurs besoins de même que leurs points de vue sur la façon dont nous devons nous comporter.

[Français]

Merci à nouveau de nous avoir accordé l'occasion de participer à vos discussions sur cet important sujet.

[Traduction]

Si vous avez des questions, je me ferai un plaisir d'y répondre.

Le sénateur Tkachuk: Merci beaucoup, monsieur Comper. C'était très bien. L'étude de la présente question d'intérêt public a été mise sur pied peu après que des médias eurent fait état d'une fusion éventuelle entre la Banque de Montréal et la Banque de Nouvelle-Écosse. Bien entendu, nous tenions à ce que les ministres comparaissent devant nous pour nous expliquer le fonctionnement du processus et les problèmes qu'il pose. Le ministre des Finances et le secrétaire d'État (Institutions financières internationales) ont tous d'eux décliné l'invitation. Dans vos propos liminaires, vous nous avez dit que vous ne vouliez pas en parler. Je ne souhaite pas vous interroger au sujet de fusions éventuelles. Cependant, je vais tenter de déterminer dans quelle mesure le processus en place fonctionne ou ne fonctionne pas.

Dans les deux journaux nationaux, soit le Globe and Mail et le National Post, on a cependant écrit que BMO Groupe financier et la Banque Scotia avaient discuté d'une éventuelle fusion.

La Banque de Nouvelle-Écosse et le groupe que vous représentez ont-ils, de façon officielle ou officieuse, discuté d'une éventuelle fusion?

M. Comper: Sénateur, comme je l'ai dit dans mes propos d'ouverture, je m'abstiendrai de commenter toute spéculation sur d'éventuelles fusions.

En ce qui a trait au point que vous avez soulevé sur le processus, il est toutefois clair que, à l'époque des fusions proposées en 1998, le gouvernement à dit: «Messieurs, vous allez un peu vite en affaires. Nous allons attendre les résultats du groupe de travail MacKay. Nous allons préparer le terrain. Il faudra d'abord passer par le projet de loi C-8 et tout un processus.» En février 2001, le gouvernement a jeté les bases du mécanisme d'approbation des fusions. Il comporte trois éléments.

C'est le Bureau de la concurrence qui aura compétence dans le domaine de la concurrence. Le Bureau du surintendant des institutions financières se chargera des questions touchant la sécurité et la solidité. Enfin, on appliquera également un critère relatif à l'intérêt public.

Le fait est que les éléments du processus ont été très bien exposés, à ceci près que la définition du critère relatif à l'intérêt public est demeurée vague. Franchement, il serait irresponsable pour quiconque de se lancer dans une fusion en l'absence d'une définition claire à ce sujet. Voilà pourquoi le gouvernement a amorcé le présent processus, et je l'en félicite, pour clarifier et préciser la définition du critère relatif à l'intérêt public.

Le sénateur Tkachuk: Êtes-vous en train de me dire que les articles du Globe and Mail et du National Post faisant état de votre fusion proposée n'étaient que de la pure spéculation?

M. Comper: Sénateur, j'ai dit que j'allais m'abstenir de commenter toute spéculation ou rumeur sur les fusions.

Le sénateur Tkachuk: Monsieur Comper, je ne vous comprends pas. Nous sommes ici pour régler si possible la question d'intérêt public. Je ne veux pas rabâcher des histoires anciennes ni rien du genre. À titre de représentant de l'une des institutions financières dominantes, vous devez assurément aux personnes réunies ici de dire si vous avez ou non mis un processus en branle, de nous parler de son fonctionnement, puis des raisons de son échec et de ce que nous pouvons faire pour améliorer les choses, de façon que cela ne se reproduise plus. Vous devez aussi tenir compte de vos employés. Votre banque détient les fonds de retraite de Canadiens. L'information est parue dans le journal. Il faut donc croire que le Globe and Mail et le National Post ont tout inventé, ce qui est possible. Je ne dis pas que c'est impossible. Les questions que je vous pose me semblent plutôt anodines. Je vais en poser une troisième.

Est-ce que des membres clés de votre personnel ou vous-même avez eu des rencontres officielles ou officieuses avec le ministre Manley ou le ministre Bevilacqua, en encore un des membres de leur personnel, concernant une éventuelle fusion avec la Banque Scotia?

M. Comper: Sénateur, je vais m'abstenir, vous vous doutez bien, d'entrer dans les détails. Vous vous attendez, j'en suis sûr, à ce que je refuse de commenter des questions de cette nature. Il s'agit uniquement de spéculations et de rumeurs. Je ne ferai pas de commentaires à ce sujet.

Le sénateur Tkachuk: Je crois comprendre que les pourparlers en vue d'une fusion sont au point mort. C'est du moins l'impression que m'a donnée la Banque Scotia, qui ne s'est pas montrée beaucoup plus loquace que vous. BMO Groupe financier a-t-il recours aux services, par contrat ou par provision, d'une société appelée Strategic Counsel?

M. Comper: Nous entretenons de nombreuses relations avec un grand nombre de cabinets d'experts-conseils différents. En fait, nous avons une relation de ce genre avec Strategic Counsel.

Le sénateur Tkachuk: Un représentant de cette société, Peter Donolo, a-t-il, comme on le rapporte dans l'un des grands quotidiens, rendu visite au premier ministre ou au ministre des Finances en votre nom et rendu compte des intentions du gouvernement relativement à une éventuelle fusion entre la Banque Scotia et votre institution?

M. Comper: M. Donolo n'est pas un lobbyiste inscrit et n'agirait jamais à titre de lobbyiste pour nous. Il a agi pour nous à titre de conseiller à quelques reprises.

Le sénateur Tkachuk: Un autre membre de ce cabinet a-t-il effectué ce genre de travail pour vous?

M. Comper: Comme je refuse de commenter sur des spéculations ou des fusions, je serais bien mal avisé de commenter sur des activités qui ont pu être entreprises par d'autres personnes, mais je ne suis pas au courant.

Le sénateur Tkachuk: Je ne pose pas de questions qui soulèvent un problème de sécurité. Tout ce que je veux savoir, c'est si l'histoire est véridique, si cela s'est bel et bien produit.

M. Comper: Avec tout le respect que je vous dois, sénateur, il n'est tout simplement pas dans notre intérêt, comme je l'ai déjà dit, de commenter sur des spéculations ou des rumeurs.

Le sénateur Tkachuk: Monsieur, on ne peut pas tout avoir. Vous représentez une institution financière de premier plan. Vous êtes ici pour défendre le droit des banques de fusionner. Si vous avez fait une tentative et qu'elle a échoué parce que le processus s'est révélé inopérant ou que vous avez essuyé un «non» pour une raison ou pour une autre, puisque les ministres refusent d'en parler, je pense que vous avez l'obligation de nous dire non seulement à nous, mais aussi à vos actionnaires, ce qui est arrivé. Je ne crois pas que vous devriez pouvoir vous en sortir en vous contentant de dire: «Eh bien, je refuse de commenter.»

M. Comper: L'objectif de...

Le président: La position du témoin est on ne peu plus claire. Je ne tiens pas à ce qu'il soit plongé dans l'embarras.

Le sénateur Tkachuk: Ce n'est pas ce que je cherche à faire.

Le président: Vous lui avez posé quatre ou cinq questions, et il affirme ne pas être en mesure de commenter.

Le sénateur Tkachuk: Il dit plutôt qu'il ne fera pas de commentaires. C'est sa prérogative. Je vais poser la question de nouveau.

M. Comper: Je croyais que nous étions ici pour discuter du processus. Comme je l'ai indiqué plus tôt, le processus, à mon avis, n'est pas encore complet. En 1998, nous avons dit qu'il fallait d'abord mettre le processus en place. En 2001, nous avons affirmé que le processus comporterait trois éléments: un critère fondé sur la concurrence, un critère appliqué par le Surintendant des institutions financières et une définition de l'intérêt public. Jusqu'ici, on n'a pas encore clarifié cette question. La présente partie du processus a donc pour but d'adopter la définition en question. Le ministre des Finances et le ministre Bevilacqua ont demandé au comité et au comité de la Chambre des communes de contribuer à clarifier la définition du critère relatif à l'intérêt public. Je suis tout à fait d'accord avec cette position.

Comme je l'ai indiqué auparavant, sénateur, et j'insiste sur ce point, il serait irresponsable d'entreprendre toute démarche de fusion en l'absence du critère.

Le sénateur Kroft: Bon après-midi, et bienvenue, monsieur Comper. Vous serez soulagé d'apprendre que je n'ai pas l'intention de poursuivre dans la même veine.

Dans votre document d'information, vous affirmez ceci: s'il est clair qu'une augmentation des exportations de biens manufacturés contribue à l'amélioration du rendement de l'économie nationale, les raisons pour lesquelles une augmentation des activités bancaires à l'étranger se traduiront par une amélioration du rendement économique sautent moins aux yeux.

Je suis d'accord, et je crois que l'un des messages les plus difficiles à faire passer — peut-être n'y est-on pas parvenu — a probablement trait aux raisons qui font qu'une expansion des activités bancaires à l'étranger est dans l'intérêt des Canadiens au sens large. La dernière fois qu'on a abordé cette question, soit en 1998, les entreprises canadiennes et les Canadiens en général ne se sont pas montrés trop intéressés par cette idée. J'aimerais en rester au niveau macro- économique. Je le fais tout en reconnaissant que vous avez présenté certaines suggestions et certains points très intéressants et précis au sujet des conditions, ce dont je vous remercie. Il y là beaucoup de renseignements précieux. Cependant, je vais utiliser le peu de temps qui m'est imparti pour aborder la question au niveau macro-économique.

Nous allons, comme on dit, suivre l'argent. D'abord, avez-vous une idée, en pourcentage et en dollars — de toute évidence, vous êtes au courant pour votre propre banque — de ce que vous rapportent vos activités à l'étranger? Je crois que vous avez dit qu'elles comptaient pour un tiers de vos activités.

M. Comper: Oui, environ 35 p. 100.

Le sénateur Kroft: Je crois avoir entendu un témoin représentant une autre banque, la Banque Scotia, peut-être, dire que la proportion pouvait atteindre 50 p. 100. J'aimerais comprendre, et je crois que cela aiderait les Canadiens à se faire une idée de l'impact des activités à l'étranger, ce qui arrive à cet argent. D'abord, l'argent que vous avez dit gagner revient-il au Canada? De toute évidence, vous ne pouvez pas répondre à cette question puisqu'il est possible que vous fassiez d'autres investissements étrangers, mais, en l'absence d'un engagement majeur de capitaux pour une nouvelle entreprise, quel pourcentage de ces recettes étrangères rapatriez-vous au cours d'une année de fonctionnement ordinaire?

M. Comper: Dans notre compte de résultats consolidé, le pourcentage de fonds rapatriés serait de 100 p. 100. Cependant, l'argent emprunte des voies différentes. Votre question sur les enjeux macro-économiques comporte deux ou trois avantages qui me semblent très importants. Le premier a trait au mouvement des revenus. Nous avons des données qui laissent entendre que, en moyenne, un Canadien sur deux détient une participation directe ou effective dans des banques canadiennes, que ce soit par l'entremise de fonds de retraite ou de fonds communs de placement ou d'autres instruments de cette nature. De 30 à 40 p. 100 des revenus nets que nous touchons sont versés aux actionnaires des banques canadiennes sous forme de dividendes. Plus nous gagnons, plus les dividendes sont élevés, et plus les remises ou les rendements pour les actionnaires sont élevés. Or, il se trouve que près de la moitié des Canadiens détiennent une participation effective ou directe dans les banques canadiennes. Voilà pour l'aspect de la question touchant les dollars et les cents.

À un niveau plus macro-économique et plus important encore, cependant, nous menons des activités considérables aux États-Unis, et nous avons des fonctions de soutien en place pour les activités en question. Permettez-moi de citer l'exemple de notre division de la technologie. C'est à partir du Canada que nous administrons les besoins en technologie de nos activités aux États-Unis. Plus nous prenons de l'expansion aux États-Unis, plus nous investissons dans la technologie de l'information et plus nous créons ici d'emplois dans le domaine de la technologie, surtout à Toronto et à Montréal. À titre d'exemple, vous serez peut-être surpris d'apprendre — certaines personnes le sont — que BMO Groupe financier emploie 1 000 ingénieurs en logiciel. Plus nous prenons de l'expansion et grandissons, plus nous créons d'emplois ici au Canada à l'appui de ces activités.

Le sénateur Kroft: Vous avez fait allusion aux avantages pour les actionnaires, c'est-à-dire les dividendes qu'ils touchent et peut-être aussi l'appréciation des actions qu'ils détiennent. J'aimerais maintenant que vous me parliez de la croissance du réinvestissement au Canada de vos recettes étrangères.

Considérant l'avenir, diriez-vous que, au fur et à mesure que vos activités internationales s'accroissent, l'infrastructure de soutien canadienne — je sais que vous en avez parlé et j'aimerais y revenir — ce qu'on pourrait appeler les «activités de soutien» ou les «activités accessoires», aura tendance à prendre de l'ampleur de façon disproportionnée? Même si vos activités continuent de prendre de l'expansion, vous attendriez-vous à ce que vos activités ou vos investissements dans les ressources humaines, les logiciels, le matériel et tout le reste, continuent d'augmenter de façon marquée?

De nombreux Canadiens risquent de confondre les institutions financières avec d'autres entreprises qui s'implantent à l'étranger et dont la future expansion des installations sera dans le sud des États-Unis ou ailleurs. Le siège social demeure, mais la croissance se réalise ailleurs. Ce que vous nous dites, c'est que c'est le contraire qui se produit. Au fur et à mesure que vous prenez de l'expansion sur la scène internationale, le réinvestissement dans les ressources humaines, les services et, probablement, le matériel tend à se concentrer au Canada. Est-ce bien le cas?

M. Comper: Tout à fait. Je peux vous citer un autre exemple. L'une des fonctions dont s'acquitte notre banque, à l'instar d'autres banques, est ce que nous appelons les «activités liées au marché monétaire international et aux opérations de change». Les personnes qui font des échanges pour nous sont établies entre autres à Chicago, New York, Toronto, Londres, Singapour, Hong Kong, et cetera. Le traitement des activités qui se déroulent dans ces lieux différents se concentre à Montréal. Nous misons sur une unité centralisée. Les télécommunications modernes vous permettent d'effectuer tous ces genres d'activités au même endroit, et nous le faisons à Montréal. Le soutien de ces activités compte pour quelques centaines d'emplois. Avec les technologies plus anciennes, un bon nombre de ces activités de soutien étaient décentralisées et menées ailleurs dans le monde. Grâce à la technologie moderne, nos services commerciaux et financiers consistent essentiellement à traiter de l'information. Je me plais à croire que nous avons pour tâche de faire circuler de l'information sur de l'argent. Grâce à la technologie des télécommunications d'aujourd'hui, nous pouvons le faire à partir de Montréal.

Le sénateur Kroft: Voilà qui m'amène à la question suivante. Si on reprend l'exemple des opérateurs sur le marché monétaire, des banquiers des banques d'investissement ou de je ne sais trop quoi que vous avez donné, ne courez-vous pas le risque d'exporter vos ressources humaines haut de gamme ou encore à coût, à revenu ou à pouvoir élevés à l'étranger pour conserver au Canada les fonctions qui se concentrent au bas de l'échelle salariale?

M. Comper: C'est le contraire qui se produit. Certaines des données qui figurent dans notre rapport détaillé laissent entendre que, ave l'expansion des activités canadiennes à l'étranger, la croissance des emplois fortement rémunérés au siège social a été plus grande au Canada que la croissance des activités à l'extérieur du pays.

Nous embauchons des gens là où les activités s'effectuent et là où sont les clients. C'est pourquoi nous sommes présents au Canada, aux États-Unis et dans le reste du monde. Une bonne part du capital intellectuel se concentre dans nos activités intérieures ici même au Canada.

Le sénateur Kroft: La croissance à l'étranger entraînerait un renforcement relatif du capital intellectuel ici au Canada, et non ailleurs?

M. Comper: Exactement.

Le sénateur Kelleher: J'aimerais poser des questions au sujet des fusions, à supposer qu'elles soient permissibles. Diverses préoccupations viennent à l'esprit. Si, par exemple, le Bureau de la concurrence oblige des banques qui fusionnent leurs activités à se dessaisir de succursales, certains ont dit croire qu'il ne sera pas possible de vendre les succursales en question et que des gens se retrouveront sans une banque dans leur localité. Cela serait-il un problème? Vous avez une certaine expérience dans ce domaine puisque vous avez vous-même fait l'acquisition de certaines succursales.

M. Comper: Nous avons acquis des succursales et nous nous sommes départis d'un certain nombre d'entre elles. Nous avons de l'expérience dans un sens comme dans l'autre.

Le sénateur Kelleher: À vos yeux, y a-t-il un problème?

M. Comper: Je n'y vois pas un problème. En fait, il existe un marché, et quelques personnes ont affirmé devant le comité qu'elles seraient intéressées à faire l'acquisition de succursales. Notre expérience du marché le confirme. Dans l'Ouest canadien, ce sont les coopératives de crédit qui ont fait l'acquisition des succursales. Au Québec, lorsque nous nous sommes départis de certaines succursales, la Banque Nationale est intervenue. Lorsque TD Canada Trust s'est dessaisi de succursales en Ontario, nous en avons nous-mêmes fait l'acquisition. La dynamique est allée dans les deux sens. Je n'y vois pas de problème.

Le sénateur Kelleher: Avez-vous jugé nécessaire de fermer l'une ou l'autre des succursales dont vous avez fait l'acquisition à la suite de la fusion TD Canada Trust?

M. Comper: Sénateur, nous avons peut-être fermé une succursale. Lorsque, à la suite d'une fusion ou d'une fusion proposée, on se retrouve avec deux succursales qui se font face et que ni l'une ni l'autre ne fonctionnent de façon optimale, on envisage d'établir un troisième établissement qui sera à la fois plus vaste et plus fonctionnel. On combine les ressources humaines, les actifs et la clientèle des deux succursales dans une troisième succursale de plus grande taille. C'est l'une des options qui se présente lorsque, au terme d'une fusion, on porte un regard sur l'ensemble du réseau. Il y a différentes façons de procéder possibles.

Le sénateur Kelleher: À la lecture de vos remarques, on constate que vous semblez bien vous occuper des employés qui travaillent pour les établissements dont vous faites l'acquisition. L'autre élément important, naturellement, ce sont les clients. Comment qualifieriez-vous votre expérience à cet égard? Une fois que vous avez pris possession de ces succursales, se sont-ils montrés satisfaits? Comment caractériseriez-vous la situation?

M. Comper: Comme je l'ai indiqué dans mes commentaires, nous obtenons des indices de satisfaction des clients supérieurs à la moyenne nationale de BMO. Sur ce plan, nous sommes relativement satisfaits.

Notre philosophie et notre stratégie se résument comme suit: lorsqu'on fait bien les choses pour les employés, les employés font bien les choses pour les clients, qui nous récompensent en faisant davantage appel à nos services. Il est dans notre intérêt que les clients et les employés soient heureux, dans les meilleures conditions de stabilité possibles. Ici, ce sont les clients et les employés qui sont nos actifs. À cet égard, nous avons intérêt à faire le meilleur travail possible.

Le sénateur Kelleher: À l'occasion de sa comparution devant nous, M. Clark de la TD a dit croire — et j'espère paraphraser ses propos comme il faut — qu'il n'était pas certain de la nécessité d'une audience comme celle-ci. Les règles semblent relativement claires. Pourquoi donc nous astreindre à cette démarche? Pourquoi ne pas aller de l'avant sur la foi des éléments dont ont dispose? La question d'intérêt public lui apparaissait suffisamment claire, et il s'inquiétait de la possibilité que, à la suite d'audiences de cette nature, quelqu'un, dans un bureau obscur d'Ottawa, décide de produire des règles et des règlements nouveaux pour tenter de définir la notion d'«intérêt public», ce qui aurait pour effet d'alourdir davantage le fardeau des banques concernées. Pourrais-je connaître votre opinion à ce sujet?

M. Comper: Je pense le contraire. À mes yeux, il s'agit d'une démarche importante. Depuis longtemps, je suis d'avis que la définition de la notion d'intérêt public est ambiguë. Je suis d'accord pour dire qu'il serait improductif d'accumuler toutes sortes de règles et de règlements. Voilà pourquoi il importe qu'un auguste aréopage de personnes réfléchies comme vous définissent les principes qui éclaireront la notion d'intérêt public.

Le sénateur Mahovlich: Monsieur Comper, merci de comparaître devant nous. Je ne suis pas membre du comité. Vous avez fait allusion aux fusions et aux banques. Qu'arrive-t-il si vous fusionnez avec une banque beaucoup plus grande que la vôtre aux États-Unis? Comment, dans ces conditions, rester en place? Comment conserver le siège social au Canada? Vous vous appelez BMO Groupe financier. On n'a même plus l'impression d'avoir affaire à une banque. Auparavant, il s'agissait de la Banque de Montréal, n'est-ce pas?

M. Comper: Il s'agit toujours de la Banque de Montréal.

Le sénateur Mahovlich: BMO? On dirait le nom d'un désodorisant bon marché.

Fusionnez-vous toujours vos activités avec celles d'une société plus petite?

M. Comper: Depuis 1846, la Banque de Montréal a toujours fonctionné par fusion et intégration, à commencer par la fusion de la Molson's Bank, de la Merchants Bank of Canada, de la Bank of British North America et de la Bank of Toronto.

Le sénateur Mahovlich: Toutes des banques canadiennes.

M. Comper: C'est vrai. À l'heure actuelle, il est techniquement impossible de fusionner ses activités à celles d'une banque américaine.

Le sénateur Mahovlich: Même si nous approuvons des fusions? Qu'arrivera-t-il si les fusions sont approuvées et que vous fusionniez vos activités à celles d'une banque de plus grande taille?

M. Comper: La mesure contreviendrait malgré tout aux dispositions actuelles sur la propriété étrangère de la Loi sur les banques.

Le sénateur Mahovlich: Des dispositions législatives sont en place?

M. Comper: Oui, c'est exact. Il y a eu le projet de loi C-8, et on a élargi les dispositions relatives à la propriété étrangère.

Le sénateur Angus: Bienvenue. Je vous félicite des excellents résultats qui ont été annoncés aujourd'hui.

Il y a une banque tout juste à côté de l'immeuble où nous nous trouvons. S'agit-il de l'une de vos succursales?

M. Comper: Oui.

Le sénateur Angus: Elle n'a pas été vendue?

M. Comper: Non. L'immeuble ne nous appartient pas. Il appartient au gouvernement du Canada.

Le sénateur Angus: La fenêtre du bureau que j'occupe à l'étage donne sur cet immeuble. C'est le seul immeuble de la rue à ne pas arborer un drapeau canadien.

En juin ou au début de juillet, nous avons jeté un coup d'œil et aperçu le drapeau qui était tombé, ou je ne sais quoi, et qui ballait au bas du mât. Il s'était peu à peu désintégré. Nous avons été horrifiés par ce spectacle, et jamais le drapeau n'a été remplacé. Je me suis dit que vous aviez peut-être vendu cette succursale, mais l'explication véritable réside peut-être dans le fait que l'immeuble ne vous appartient pas. Vous n'avez pas à me répondre, mais vous voudrez peut-être prendre bonne note de ce que je vous ai dit.

M. Comper: Merci d'avoir porté le problème à mon attention. Je vais m'en occuper.

Le sénateur Angus: La question que le sénateur Kelleher vous a posée est sérieuse. Vous vous dites en désaccord avec M. Clark, ce qui est parfait, et nous sommes ici réunis, et un processus est en cours. Dans ce cas-ci, «clarté» semble le mot clé. Malgré la lettre que nous avons reçue, après près de trois jours, je ne suis pas certain de ce qui n'est pas clair dans le projet de loi C-8 et dans les lignes directrices sur les fusions, édictées par le Bureau de la concurrence et le ministère des Finances. Comme vous avez dit croire qu'il s'agit d'un processus valable, peut-être pourriez-vous m'éclairer. Quels sont donc les aspects qui manquent de clarté?

M. Comper: On fait allusion à l'intérêt public, mais on ne va pas plus loin. En cas de fusion, qu'arrive-t-il du point de vue de l'accès aux services, de la disponibilité du crédit et du soutien transitoire? Il importe que le comité recommande au gouvernement de veiller à ce que ces questions soient abordées dans le document officiel d'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public dans le cadre du processus de fusion.

Le sénateur Angus: Comme je l'ai fait observer, et je ne crois pas que vous deviez nécessairement être d'accord ou en désaccord avec nous, l'expression «intérêt public» est subjective. Nous pouvons, vous et moi, nous faire une idée différente de ce qu'est l'intérêt public, il est possible que deux politiciens aient de cette notion une conception différente. Nous pourrions rester ici pour débattre pendant des années de la notion d'intérêt public, mais qu'utilise-t-on comme point de comparaison?

Les témoignages que nous avons entendus jusqu'ici laissent entendre que si l'une ou plusieurs de nos banques d'une valeur de 5 milliards de dollars et plus entreprennent de fusionner leurs activités, elles devront passer par le Bureau de la concurrence, qui s'occupe de la plupart des points que vous avez soulevés, puis par le BSIF, qui se charge des questions prudentielles touchant la sécurité et la solidité. Que reste-t-il d'autre, et sinon que telle ou telle partie croit ou non qu'il s'agit d'une bonne idée sur le plan politique? Cette question me pose un véritable problème, et je pense que c'est vrai pour nous tous. Voulez-vous dire quelques mots à ce sujet?

M. Comper: Vous avez dit que la définition de l'expression «intérêt public» était subjective. En l'absence de précisions, je suis tout à fait d'accord avec vous. Il incombe au comité de même qu'à celui de la Chambre des communes d'aider le gouvernement à réduire la part de subjectivité que renferme la définition: en effet, il ne me semble pas déraisonnable de la part des Canadiens de compter qu'on prendra leurs intérêts en considération dans le cadre de tout projet éventuel. Il est parfaitement raisonnable de la part des Canadiens de demander en quoi de telles démarches sont dans leur intérêt. Comment peuvent-ils avoir l'assurance qu'ils auront accès aux services d'une succursale dans leur petite localité? Comment peuvent-ils avoir l'assurance que leurs amis qui travaillent pour BMO Groupe financier à Lethbridge en Alberta ne perdront pas leur emploi à la suite d'une fusion? Comment puis-je avoir l'assurance que ma petite entreprise aura accès à du crédit dans la collectivité où elle est établie?

Ce sont là des questions d'intérêt public qui constituent à mes yeux des sources légitimes d'interrogations pour les Canadiens. On leur doit bien d'aborder ces questions dans le document concernant l'incidence sur l'intérêt public de projets de fusion. Nous pourrions rapidement en venir à un consensus sur les principes majeurs qui devraient éclairer la notion d'intérêt public.

Le sénateur Angus: Je pourrais vous répondre, monsieur Comper, que le fait de passer par ce genre de processus devant le BSIF et le Bureau de la concurrence pour ensuite essuyer un refus n'est pas dans l'intérêt public. Comment imaginer que deux grandes entreprises canadiennes responsables qui envisagent une mesure qui est dans leur intérêt — dont l'une est en activité depuis 185 ans et a une idée très claire de la façon de se comporter au sein de notre secteur des services financiers — consentent les investissements, le temps et les efforts requis par une démarche qu'on nous a présentée comme ardue et lourde pour l'infrastructure et les employés de l'organisation pour se faire dire non parce que le projet n'est pas dans l'intérêt public? Je vous pose donc la question: ne vaudrait-il pas mieux, comme M. Clark l'a dit et comme le sénateur Kelleher l'a laissé entendre, que l'occupant de l'immeuble de l'autre côté de la rue nous dise d'entrée de jeu: «Voilà, nous sommes d'avis que les fusions de banques sont dans l'intérêt du public, allez-y donc», ou autre chose du genre, et nous épargner cette angoisse, ces dépenses et ce gaspillage?

M. Comper: Je ne peux vous donner raison. Il se trouve que je suis d'avis que le gouvernement a jeté les bases du processus. Dans le cadre de ce processus, on devra répondre au critère de l'intérêt public, et je pense qu'il s'agit d'une question que les Canadiens peuvent considérer en toute légitimité. Tant et aussi longtemps que cet aspect fera partie du processus, il importe de clarifier les notions en cause. Vous avez raison: ce serait de la folie que de donner suite à un projet fondé sur une définition subjective d'un volet important du processus. Tant et aussi longtemps que cette question fera partie du processus, il sera important de la préciser.

Le sénateur Angus: Permettez-moi de situer mes commentaires pour vous aider à comprendre où je veux en venir: certains de mes collègues ici présents, par exemple, ne croient pas qu'il est dans l'intérêt du public que le gouvernement fraîchement élu annule à la va-vite le contrat d'hélicoptères dans lequel on a investi des tonnes d'argent, surtout qu'on se retrouve aujourd'hui avec un problème sur les bras, faute d'hélicoptères. Le gouvernement a pris une décision politique: en effet, c'est au Cabinet qu'il incombe de décider de ce qui est ou non dans l'intérêt public. Nous sommes d'avis que le gouvernement a consacré beaucoup d'argent au projet de loi C-8 qui, ai-je dit, fait 38 pouces d'épaisseur, sans parler du travail effectué par l'ensemble des intervenants, par nous et par le groupe de travail MacKay. Toutes ces démarches ont abouti à l'élaboration d'un processus. On a par la suite émis des lignes directrices, qui ont fait l'objet d'un débat. Puis, le gouvernement avait un travail à faire. Les citoyens ont élu le gouvernement pour qu'il décide de ce qui est ou non dans l'intérêt public.

Je ne comprends pas pourquoi nous devrions faire son travail pour lui. Cela a-t-il un sens? Sommes-nous face à une situation polarisée?

M. Comper: Vous comprendrez qu'il serait inopportun que je critique le processus que le gouvernement a défini et à la lumière duquel il nous demande de procéder.

Le sénateur Angus: M. Clark n'y a pas vu d'inconvénients, lui.

M. Comper: Il se trouve que je crois qu'il existe un élément appelé l'«intérêt public», qu'il s'agit d'un élément important que le gouvernement doit prendre en considération et qu'il a décidé qu'il souhaitait prendre conseil auprès du comité du Sénat et du comité de la Chambre des communes sur ce que devrait signifier la notion d'intérêt public. Nous sommes ici pour cautionner cette démarche. Puisque le gouvernement a défini le processus qu'il entend suivre, je suis d'avis qu'il est légitime de la part des Canadiens de demander au gouvernement de leur montrer en quoi la démarche est dans leur intérêt. Nous avons soulevé des questions précises.

Le sénateur Angus: Fort bien.

Lorsqu'un processus vous permettant d'affirmer que la fusion représente une stratégie légitime pour les grandes banques du Canada sera en place et que tout sera en règle, le processus prévoit que le comité procédera à une analyse, mais cet aspect, selon ce que je comprends et ce que nous croyons comprendre, devrait faire partie d'un mécanisme devant nous permettre de juger si un projet de fusion donné était ou n'était pas approprié ou dans l'intérêt public. Cette question est préoccupante, et ce n'est pas ce dont il est question ici aujourd'hui.

Niez-vous, monsieur, que le gouvernement a rejeté un projet de fusion entre la Banque Scotia et BMO Groupe financier?

Le président: Sénateur, la question est contraire au Règlement. Le témoin a dit 22 fois...

Le sénateur Angus: Personne n'a posé cette question.

Le président: Oui, nous l'avons fait à de nombreuses reprises.

Le sénateur Angus: Ma question a été jugée irrecevable, mais le compte rendu indiquera que personne d'autre n'a formulé la question de cette façon, ce qui explique peut-être que vous n'ayez pas obtenu de réponse.

Le président: Exactement.

Le sénateur Meighen: Bienvenue, monsieur Comper, monsieur O'Neill et madame Maidment, que je n'ai pas eu le plaisir de rencontrer auparavant. Je connais cependant M. Comper et M. O'Neil. Nous avons eu des rapports très agréables au fil des ans.

Monsieur Comper, je suis certain d'avoir mal compris une chose. Vous ai-je entendu dire que vous aviez pour position de ne pas critiquer la proposition du gouvernement, même si vous êtes d'avis qu'elle est erronée?

M. Comper: Si c'est ce que j'ai laissé entendre, sénateur, j'en suis navré. Je crois au contraire que le processus est légitime et qu'il servira l'intérêt public.

Le sénateur Meighen: Pour faire suite aux questions que vous a posées le sénateur Angus, on doit préparer un document d'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public. Je crois que votre définition de l'«intérêt public», à laquelle vous avez fait allusion dans votre document, est excellente. Elle vaut bien celle d'autres parties. Elle m'apparaît en tout cas correcte. Tous, nous pourrions changer un mot ici ou là. Cependant, je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de divergences d'opinions sur ce point. Certains pourraient choisir de mettre l'accent ailleurs, mais, pour en revenir aux questions posées antérieurement, c'est au gouvernement en place de décider de ce qui est le plus important. À mon avis, on ne peut définir la notion d'«intérêt public» une fois pour toutes, pas plus qu'on ne peut le faire pour la «beauté». Le document d'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public que vous seriez tenu de déposer en cas de projet de fusion comporte la plupart des éléments dont il a été question, y compris l'incidence sur le service dans une région donnée, la façon de contribuer à la compétitivité internationale, et cetera. C'est ce que nous dit le ministère des Finances depuis un certain temps déjà.

J'ai du mal à voir ce que nous pourrions ajouter, sinon que vous pourriez ajouter une bonne définition, que je pourrais en proposer une à mon tour et que nous pourrions tous proposer une définition tournant autour du même centre. Ne s'agit-il pas d'une simple guerre de mots? En définitive, tout se ramène à ceci: le gouvernement en place est-il d'avis que le projet est ou non dans l'intérêt du public? Ai-je tort?

M. Comper: Tout ce que je peux répondre, c'est que le gouvernement a défini le processus. À l'occasion de la dernière fusion proposée, sénateur, vous vous rappellerez peut-être que la question de l'intérêt public a fait l'objet d'un débat public considérable. La question n'était pas claire.

En ce qui concerne le point que vous soulevez, sénateur Angus, sur la subjectivité, on a tenu de nombreux débats subjectifs sur ce qui est ou non dans l'intérêt des Canadiens. Le gouvernement a dit: «Pour répondre à ce problème, nous allons adopter ce qu'on appelle une définition du critère relatif à l'intérêt public. Nous allons être aussi clairs et précis que possible, de façon à ce que les documents d'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public qui seront produits portent bel et bien sur les aspects que nous du Sénat et de la Chambre des communes tenons à voir traiter dans le cadre de tout projet de fusion.»

Le sénateur Meighen: Que manque-t-il donc au paragraphe de l'EIIP définie par le ministre des Finances? Il y a peut- être des mots que vous souhaiteriez ajouter ou retrancher.

Est-il possible de définir l'«intérêt public» une fois pour toutes: de toute évidence, il s'agit d'une notion qui varie. Nous pourrions rester assis ici pour en parler pendant des jours, mais, pour l'essentiel, nous en reviendrons toujours à ce qu'il y a là. Quoi qu'il en soit, je doute que nous soyons en mesure de régler ce problème ici aujourd'hui.

Permettez-moi de vous soumettre deux ou trois propositions, histoire d'obtenir votre réaction. L'une des difficultés semble venir du fait que les divers processus mentionnés se déroulent concurremment. Dans les lignes directrices concernant l'examen des fusions, par exemple, il est question des vérifications que feront le bureau et le BSIF, et la Chambre des communes et le Sénat feront tout aussi leur travail. Tout se fait en même temps. Certains ont laissé entendre devant nous qu'il serait peut-être préférable que les promoteurs d'une fusion obtiennent d'abord l'aval du Bureau de la concurrence et du BSIF. La proposition paraît sensée à un certain nombre d'entre nous. Une fois ce travail fait, nous pourrions peut-être aborder la question de l'intérêt public. L'idée vous semble-t-elle avoir du mérite?

M. Comper: Il y a diverses façons d'aborder la question. Franchement, c'est au gouvernement qu'il incombe de déterminer la façon de traiter les propositions. Pour ma part, je serais ouvert et réceptif à toute proposition que le gouvernement juge appropriée.

Le sénateur Meighen: Laissez-moi vous soumettre une autre proposition. Celle-ci vient d'un de vos collègues de l'industrie financière. La voici: au lieu de la procédure que nous avons suivie la première fois, c'est-à-dire qu'il y a eu un projet de fusion, suivi, peu après, d'un autre projet, la loi devrait porter que, une fois un projet de fusion sur la table, toute autre entreprise envisageant une fusion devrait elle aussi mettre son projet sur la table, dans un délai de X jours ou semaines. Le Bureau de la concurrence et le BSIF pourraient alors tout traiter en même temps. Ils pourraient retenir celle qui se justifie à leurs yeux ou les rejeter toutes. Au moins, ils sauraient à quoi ils ont affaire au lieu d'avoir à attendre qu'une partie se manifeste.

M. Comper: La seule chose qui me plonge dans la confusion à ce sujet, c'est que la proposition est contraire à la nature même d'une transaction commerciale. Si un projet de fusion est déposé et qu'il s'agit d'une décision commerciale prise par deux entités, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'il y aura un autre projet.

Le sénateur Meighen: D'accord. Qu'arrive-t-il si une autre partie caresse le même projet, attend son heure, puis présente son projet, comme cela s'est produit la dernière fois?

M. Comper: Il me semble qu'on devrait traiter la proposition selon son mérite au moment où elle est déposée.

Le sénateur Meighen: En même temps? Vous serez d'accord pour dire que la situation est tout à fait différente selon qu'on a affaire à quatre banques qui cherchent à fusionner leurs activités plutôt qu'à deux. Dans ce cas, des priorités et des critères différents s'appliquent au regard de l'intérêt public. Pourquoi ne pas tout traiter en même temps?

M. Comper: La question soulève celle de la charge de travail et des ressources du Bureau de la concurrence, j'imagine, et du Surintendant des institutions financières. Nous traiterions les projets soumis au mérite, comme on le fait lorsque d'autres industries du pays fusionnent leurs activités. Par moment, de nombreuses transactions sont sur la table. À d'autres moments, il y en a moins. Je pense que ce serait au Bureau de la concurrence de déterminer la meilleure marche à suivre dans un tel cas.

Le sénateur Meighen: Je crois déceler une sorte de consensus dans votre réponse, c'est-à-dire que vous ne croyez pas qu'il serait particulièrement utile d'obliger tous les promoteurs d'une fusion à se manifester dans un délai donné.

M. Comper: Ça ne me semble pas particulièrement pratique.

Le sénateur Meighen: On nous a fait cette suggestion dans le contexte du dessaisissement de secteurs d'activité ou de succursales. Si deux banques fusionnent leurs activités à Edmonton, par exemple, et que la Banque de Montréal et une autre banque fusionnent leurs activités, et qu'on oblige une partie à se départir de succursales, on pourrait assister à ce qu'on appelle de l'écrémage. L'une des deux banques qui fusionnent leurs activités devrait se dessaisir de toutes ses succursales, les bonnes, les mauvaises et les moyennes, en même temps. Cela vous paraît-il sensé?

M. Comper: Je ne crois pas. C'est exactement ce que ferait le Bureau de la concurrence. Il a certaines définitions relativement rituelles de ce qui constitue de la concentration dans différents secteurs. Le Bureau de la concurrence préciserait les secteurs où il y a contravention à la Loi sur la concurrence de même que les succursales dont la partie concernée devrait se dessaisir. Sénateur, nous n'aurions pas la possibilité de faire de l'écrémage de façon unilatérale.

Le sénateur Meighen: C'est intéressant. S'intéresserait-on autant à la qualité de chacune des succursales qu'à leur nombre?

M. Comper: On se préoccuperait davantage de la concentration dans certains secteurs d'activité. Il y a certaines règles relativement précises — par exemple, 35 p. 100 dans différents secteurs d'activité. Comme je l'ai indiqué, le bureau applique des définitions relativement rituelles de ce qu'est la concentration et de ce qui constitue une solution à ce problème.

Le sénateur Meighen: Dans l'état actuel des choses, dit-on, au moment de rendre une décision: «Vous devez vous débarrasser de X succursales dans la région géographique Y»?

M. Comper: Laissez-moi vous donner un exemple précis. À l'époque de la fusion entre la Banque TD et Canada Trust, le Bureau de la concurrence, à cause de la surconcentration dans la région Kitchener-Waterloo, a dit: «Vous allez devoir vous dessaisir de 12 de vos succursales dans la région de Kitchener-Waterloo.» En fait, il y avait six succursales de Canada Trust et six de la Banque Toronto Dominion. En ce qui a trait aux dessaisissements, voilà le genre de détails dans lequel on doit entrer.

Le sénateur Meighen: Qui a choisi les succursales?

M. Comper: Le Bureau de la concurrence.

Le sénateur Meighen: A-t-il simplement dit: «Débarrassez-vous de six succursales» ou «Débarrassez-vous de celle-ci, de celle-là et ainsi de suite»?

M. Comper: Je ne saurais vous dire, sénateur, si le bureau a désigné six succursales en particulier.

Le sénateur Meighen: C'est justement le sens de ma question.

M. Comper: Les deux entités se partageaient 12 succursales entre elles.

Le sénateur Meighen: Cela, je le comprends. Ma question vise à déterminer si c'est le Bureau de la concurrence qui a choisi les succursales ou si c'est la partie visée par la mesure qui les a choisies.

M. Comper: Je pense que la question est de savoir comment on a défini la région desservie. De mémoire, sénateur, je ne me souviens pas des détails précis.

Le sénateur Kroft: En groupe, une notion nous a donné du fil a retordre, et j'aimerais y revenir pendant que nous en avons l'occasion. Il s'agit de l'idée même d'un processus.

Le sénateur Kelleher vous a interrogé sur la pertinence du processus et la définition de l'intérêt public. Le sénateur Angus est allé un cran plus loin, et c'est cette question que je cherche à démêler depuis deux jours. À supposer que nous soyons en mesure de parfaire la définition et de produire un rapport, je serai inquiet dès qu'un projet de fusion précis sera sur la table. Vous avez beau dire que le public a le droit de s'inquiéter, et tout le reste, je partage davantage les préoccupations du sénateur Angus.

Avant de clore le dossier, je veux m'assurer, à supposer que nous nous en remettions au BSIF et au Bureau de la concurrence — avant que la question ne soit soumise de nouveau aux deux comités —, que ni vous ni d'autres parties qui envisagez peut-être une fusion ne viendrez vous plaindre d'ici deux ans que la question doit être soumise aux deux comités et que la réaction de ces comités politiques ouvre la voie à de l'ambiguïté et à de l'incertitude. Cette question me préoccupe. Pour ma part, je préfère être confronté au problème aujourd'hui qu'y faire face demain.

Si j'étais à votre place, je reconnaîtrais que l'«intérêt public» repose sur une décision politique puisque c'est aux politiciens qu'il revient de déterminer ce qui est dans l'intérêt public. J'aimerais savoir pourquoi vous ne seriez pas plus à l'aise si on définissait en long et en large la notion d'«intérêt public» pour ensuite dire: «Va pour le BSIF. Va aussi pour le Bureau de la concurrence. Quant au gouvernement, qu'il décide si tel ou tel projet est ou non dans l'intérêt public.» Ce que je crains, c'est que, dans deux ans, vous reveniez ici pour défendre votre projet en disant: «Il n'y a rien à faire. Il y a trop d'incertitudes et d'imprévisibilités parce que le projet doit passer par la Chambre des communes et les sénateurs, et tout le monde aura son mot à dire.» Je suis perplexe. J'aurais cru que vous préféreriez une décision rendue par un gouvernement qui a justement pour fonction de trancher dans un sens ou dans l'autre.

M. Comper: Quelle était la question?

Le sénateur Kroft: Avez-vous l'impression que, par l'entremise des travaux que vous avez loués, nous serons en mesure d'élaborer une série de critères en vertu desquels, dans une situation prospective, vous jugerez qu'il est toujours utile qu'on revienne consulter deux comités législatifs, parlementaires, politiques?

M. Comper: À mes yeux, c'est plutôt simple. Nous avons conclu, au terme d'une procédure relativement longue, que les fusions constituent une forme légitime d'activité commerciale, et vous pouvez consulter le rapport du groupe de travail MacKay. En fait, c'est le gouvernement qui a mis le processus en place. On considère les fusions comme une activité commerciale légitime, mais une certaine incertitude demeure. Par conséquent, les gens d'affaires voudront que les règles du jeu soient définies avec le plus de précisions possible, de façon à ce que, à la lumière de toute activité commerciale proposée, qu'il s'agisse d'une fusion ou d'autre chose, on sache que si on se conforme aux règles, si le projet aboutira.

À mon avis, l'un des éléments des règles du jeu devrait être ceci: toute fusion proposée répond au critère de l'intérêt public. Qu'est-ce que le critère de l'intérêt public? Plus la situation est claire, me semble-t-il, mieux nous serons en mesure de définir les règles du jeu sous l'angle du critère de l'intérêt public, et plus nous serons susceptibles de prendre une décision éclairée. Le projet aura d'autant plus de chances d'aboutir que nous aurons suivi les règles établies.

Le sénateur Kroft: Je suis tout à fait d'accord. Une fois les règles établies, qui devrait servir d'arbitre? Qui préférez- vous comme arbitre: le gouvernement ou deux comités politiques de plus?

M. Comper: Tout dépendra de la façon dont le gouvernement choisira d'exercer son autorité. Selon ce que je crois comprendre, renvoyer la question à des comités fera partie du processus.

Le président: Puis-je poser une question de suivi, formulée beaucoup plus simplement? Imaginons que notre comité en vienne à la conclusion que les fusions de banques sont dans l'intérêt public, à certaines réserves près. Il faut tenir compte du petit épargnant, et cetera. On se retrouve alors devant deux questions, celle de l'accès et de la concurrence, qui relèvent du mandat de tout un bureau, et celle des considérations prudentielles, qui relèvent du mandat d'un bureau tout entier. La discussion ne porte plus sur l'intérêt public. Nous sommes d'accord pour dire que l'intérêt public est préservé. Cela n'aurait-il pas pour effet de simplifier les choses? Le gouvernement ne serait-il pas alors tenu de se tenir debout et d'affirmer: «Les fusions sont dans l'intérêt public; écoutons ce que les promoteurs ont à dire.» C'est au Bureau de la concurrence et au BSIF qu'il incombe de trancher toutes les autres questions. À une approche tout à fait subjective, nous substituons un processus simplifié. L'hypothèse vous plaît-elle?

M. Comper: Sénateur, il s'agit assurément d'une façon très claire d'aborder la question.

Le sénateur Oliver: Sénateur Kolber, vous avez saisi l'essence de ma question. Peut-être vais-je tenter de la reformuler.

Si nous sommes ici, c'est à cause d'allégations d'ingérence politique. Les fusions, ce sont de grosses affaires. Au Canada, elles sont aujourd'hui autorisées par la loi. Un certain nombre de PDG qui ont comparu devant nous nous ont dit: «N'allez surtout pas confondre le critère de l'intérêt public et le travail légitime qu'effectueront le Bureau du surintendant des institutions financières et le Bureau de la concurrence, qui s'appuient sur une colossale infrastructure de formules et d'autres critères pour décider si telle ou telle partie doit se défaire de succursales, renoncer au secteur des cartes de crédit, et ainsi de suite. Ils ne sont pas en mesure de faire ce travail.»

Dans ce cas, que reste-t-il? Il me semble que nous n'aurons plus grand-chose à trancher, puisque, même dans l'exposé qu'on nous a présenté aujourd'hui, vous dites que c'est au Bureau de la concurrence qu'il devrait revenir de préciser l'incidence d'une fusion sur les clients en ce qui a trait à l'établissement des prix, aux produits et aux services et que c'est aussi le bureau qui devrait imposer les conditions relatives aux services bancaires pour les petites entreprises.

Pourquoi, au lieu de passer devant des comités politiques, ne pourrait-on pas confier au Bureau de la concurrence le mandat de faire respecter les deux conditions que, à la page 8 de votre mémoire, vous assimilez à une évaluation de l'incidence sur l'intérêt du public?

M. Comper: Eh bien, sénateur, il serait présomptueux de ma part d'indiquer au comité comment faire son travail.

Le sénateur Oliver: Il s'agit de décisions commerciales légitimes qui relèvent de la compétence du Bureau de la concurrence, et des PDG nous disent: «N'appelez pas «intérêt public» des choses qui relèvent de la compétence du BSIF et du Bureau de la concurrence et que ces organismes étudient déjà.»

M. Comper: Je suis entièrement d'accord avec vous.

Le sénateur Oliver: Pourquoi le Bureau de la concurrence ne pourrait-il pas s'occuper des deux conditions que, à la page 8, vous assimilez à l'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public?

M. Comper: Comme je l'ai dit, le gouvernement a demandé au comité de lui faire part de ses commentaires et de ses avis sur ce qu'est l'intérêt public. Il serait présomptueux de ma part de vous dire comment faire votre travail. Si vous êtes d'avis que c'est la façon de répondre au critère de l'intérêt public, on aura ainsi en main un résultat légitime de ces délibérations.

Le sénateur Oliver: J'ai l'impression qu'au moins trois autres PDG ont laissé entendre devant nous qu'il s'agit de décisions commerciales que devraient examiner et analyser le Bureau de la concurrence et peut-être le BSIF. Dans ce cas, pourquoi ne pas en faire une condition, de la même façon qu'on pourra vous obliger à vous défaire du secteur des cartes de crédit ou de certaines succursales et à prévoir des garanties pour les petites entreprises?

M. Comper: Dans l'hypothèse où le Bureau de la concurrence ou le Surintendant des institutions financières serait appelé à étudier certains secteurs, je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il y aurait redondance. Ce sont des aspects de l'intérêt public qui n'auraient peut-être pas à être inclus dans ce genre de processus.

Le sénateur Oliver: Pouvez-vous en citer un qui ne relèverait pas du mandat du BSIF et du Bureau de la concurrence?

M. Comper: L'accès des petites entreprises au crédit, par exemple.

Le sénateur Oliver: Le Bureau de la concurrence pourrait émettre une telle ordonnance.

M. Comper: Il faudrait consulter la Loi sur la concurrence pour voir précisément ce qui est visé ou exclu. Ce que je dis, c'est qu'il existe peut-être des aspects de l'intérêt public qui ne sont pas explicitement compris dans la Loi sur la concurrence, et je crois que c'est pour cette raison que le gouvernement aimerait que la définition soit clarifiée.

Le sénateur Oliver: Je suis d'accord avec le sénateur Kolber. Moins on laisse à des comités politiques composés de différents partis animés de points de vue différents des détails de dernière minute à régler, mieux se sera pour des grandes décisions commerciales dont les enjeux se chiffrent en milliards de dollars concernant l'opportunité de la fusion de deux établissements.

M. Comper: Je suis entièrement d'accord avec vous, sénateur.

Le sénateur Kinsella: Dans son témoignage, M. Comper a répondu à certaines des questions que j'avais l'intention de soulever. Il m'en reste une, qui se subdivise en trois parties.

Premièrement, est-ce que vous-même ou d'autres représentants de votre industrie avez déjà demandé au gouvernement du Canada les critères que, à l'heure actuelle, une fusion devrait respecter pour être considérée comme dans l'intérêt public? Si la réponse est «oui», que vous a-t-on dit? Si le gouvernement devait prendre cette décision aujourd'hui, sur quels critères se fonderait-il?

Deuxièmement, quel résultat précis attendez-vous des travaux effectués par notre honorable comité, dont j'ai l'honneur d'être un membre d'office, et des efforts considérables déployés par mes collègues de ce côté-ci et de l'autre côté de la table? Espérez-vous obtenir une liste de contrôle de ce que constitue l'intérêt public que le gouvernement devra utiliser pour s'acquitter de sa responsabilité parlementaire qui, dans le cadre de notre système de gouvernance, est une responsabilité exécutive? Je trouve plus que bizarre que le gouvernement ne se soit pas encore doté de critères.

Le sénateur Oliver: Il n'en avait pas lorsque ses représentants ont comparu devant nous.

Le sénateur Kinsella: Voilà.

Troisièmement, j'imagine que tout gouvernement tiendra à ce qu'une décision prise dans l'intérêt public soit conforme à sa politique dans un certain nombre de domaines. Par exemple, la politique étrangère, particulièrement en ce qui a trait à l'intégration économique mondiale ou l'intégration continentale. Je n'ai pas entendu parler de ces critères, mais j'ai lu dans vos documents que l'intégration économique continentale représente une force relativement importante pour 35 p. 100 de vos activités.

M. Comper: Fait intéressant, notre économiste en chef vient tout juste de mettre la dernière main à une étude majeure portant sur l'intégration économique nord-américaine, qu'il a entreprise précisément parce que, comme vous le savez, nous sommes de loin la banque canadienne la plus présente aux États-Unis. Nous considérons cette intégration économique comme avantageuse pour les entreprises et les particuliers du Canada. J'ai été particulièrement heureux de constater que les sociétés canadiennes ne se sentent pas menacées par l'arrivée des Américains, qui s'installent chez nous et font des acquisitions. À la place, elles soutiennent efficacement la concurrence des sociétés américaines aux États-Unis. Voilà une grande histoire de réussite.

Quant à savoir pourquoi plus d'éclaircissements s'imposent, plus les règles seront connues, et plus nous serons susceptibles de prendre une décision avec la certitude de pouvoir aller jusqu'au bout, c'est-à-dire de faire approuver un projet. Par conséquent, il s'agit de pure spéculation de ma part, je m'attends à ce que le gouvernement, après avoir demandé à votre comité et au comité de la Chambre des communes certains commentaires sur la définition du critère de l'intérêt public, soit en mesure de dire aux comités ce que doivent contenir les documents d'évaluation de l'incidence sur l'intérêt public et ce qu'il aimerait qu'ils prennent en considération à l'occasion d'éventuelles audiences sur tout projet de transaction.

Le sénateur Kinsella: Si on met en place un ensemble explicite de critères et que vous y répondez, envisagez-vous un renversement du fardeau de la preuve? Si l'industrie a fait tout le travail dans le respect du principe de la diligence raisonnable, qu'elle a répondu aux critères définis et que la réponse est «non», le fardeau de la preuve se renverse alors, et le gouvernement aura à défendre pourquoi il en est venu à une conclusion différente relativement à la demande qui répond aux critères sur lesquels le test s'appuie?

M. Comper: Ce serait de la spéculation de ma part. Ce que je peux vous dire de façon certaine, c'est que plus les règles seront claires, plus nous serons en mesure de prendre une décision qui répond au critère commercial. Je ne crois pas que la viabilité commerciale de toute fusion proposée soit remise en question. Les preuves parlent d'elles-mêmes. La question est de savoir si nos propositions répondront aux processus de sélection ou aux critères que le gouvernement utilisera pour déterminer si tel ou tel projet doit ou non aller de l'avant.

Le sénateur Hervieux-Payette: Puisque je siège au comité depuis sept ans, monsieur Comper, je serai peut-être en mesure de vous faire comprendre pourquoi certaines personnes réunies ici ne souhaitent pas tenir les présentes audiences. Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce ne voulait pas que les politiciens s'ingèrent dans le processus et comptait sur la capacité du BSIF et du Bureau de la concurrence de traiter de ces affaires. À la Chambre des communes, on a décidé que la question devrait être soumise à l'examen des parlementaires. Puisque nous sommes des parlementaires, nous avons dû nous soumettre. Voilà ce qui explique la réticence dont certains de mes collègues font preuve aujourd'hui. Lorsque les critères sont bien établis, il est plus facile pour un représentant du secteur privé de passer par l'étape de l'examen technocratique tout autant que par celle de l'examen politique. J'espère que nous serons en mesure de définir certains critères suffisamment clairs pour vous. À mes yeux, toute fusion devrait entre autres servir les intérêts des petites entreprises, des particuliers et des grandes sociétés, sans parler de ceux des Canadiens à l'étranger auxquels votre entreprise offrira des services. Je ne dis pas que ce sera une sinécure, mais votre entreprise sera à tout le moins en mesure de décider s'il convient ou non de présenter le projet.

Je pense qu'il importe de comprendre pourquoi nous avons les discussions d'aujourd'hui. Sinon, la frustration des membres du comité ne fera que se répéter que de réunion en réunion.

Nous allons faire de notre mieux pour nous conformer à ce que les ministres ont demandé aux deux Chambres. Nous espérons vous venir en aide. Ce matin, j'ai accordé une interview à la CBC. Ce que j'ai dit, c'est que plus il y aura de fusions dans le secteur privé et d'entreprises concernées, plus nous serons appelés à pousser notre examen. C'est à vous qu'il incombe de justifier de tels projets. J'ai demandé aux représentants d'autres banques qui ont comparu hier de faire de même. Vous devez vous justifier aux yeux du public. Nous ne pouvons pas le faire.

Le sénateur Tkachuk: À la réflexion, je demande que le sénateur Angus soit autorisé à poser sa question. Je me demandais si, à la réflexion, vous seriez disposé à lui permettre de le faire.

Le président: Allez-y, sénateur Angus.

Le sénateur Angus: Monsieur Comper, niez-vous que, au cours des trois ou quatre derniers mois, le gouvernement du Canada ou une personne agissant en son nom vous a dit, à vous ou à un autre membre de votre organisation, qu'il n'était pas disposé à envisager la fusion de la Banque Scotia et de BMO Groupe financier?

M. Comper: Sénateur, comme je l'ai déjà indiqué, je n'ai pas l'intention, soit dit avec tout le respect que je vous dois, de commenter des spéculations ou des rumeurs à ce sujet.

Le président: Nous avons un autre témoin qui attend son tour.

Notre troisième témoin de la soirée est M. Michael G. Greenwood, président du conseil et chef de l'exploitation, de Canaccord Capital. Soyez le bienvenu au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Monsieur Greenwood, avez-vous une déclaration liminaire à faire?

M. Michael G. Greenwood, président et chef de l'exploitation, Canaccord Capital Corporation: Je tiens à vous remercier, de même que les membres de votre comité, d'accueillir mes commentaires et mes suggestions sur les conditions préalables à la fusion éventuelle de banques canadiennes.

Permettez-moi d'abord de vous décrire brièvement Canaccord. Il s'agit du plus important courtier indépendant en valeurs mobilières, entièrement intégré au Canada. Nous comptons quelque 1 200 employés et 24 bureaux au Canada et à Chicago, à Londres, à Paris, de même qu'à la Barbade. Nous occupons la sixième place chez les courtiers en valeurs en fonction du nombre de conseillers en placement affectés aux particuliers. Nous sommes également le sixième courtier en valeurs en importance inscrit à la Bourse de Toronto où nous traitons près de 5,45 p. 100 du volume des opérations. Au cours des dernières années, Canaccord a crû rapidement par la voie de l'embauche et de la formation de courtiers, et par celle de l'acquisition de dix autres courtiers en valeurs. Les employés possèdent près 80 p. 100 de Canaccord, alors que la Financière Manuvie a acquis dernièrement 20 p. 100 de notre capital entièrement dilué. Nos capitaux propres atteignent près de 100 millions de dollars.

Canaccord propose une prestation professionnelle étendue qui englobe le courtage de détail, des services de financement des sociétés, des services de recherche, des services de vente et de placement institutionnel, des opérations internationales, des opérations sur titres à revenu fixe et du marché des capitaux, des services de planification successorale et d'assurance.

Enfin, forts de nos 354 financements, qui ont réuni 262 millions de dollars dans la catégorie des opérations de moins de 5 millions de dollars, et de 24 mobilisations de capitaux qui, de septembre 2001 à septembre 2002, ont totalisé 166 millions de dollars dans la catégorie des opérations de 5 à 10 millions de dollars, nous sommes le financier le plus important des sociétés à petite capitalisation au Canada. Nous tirons entre 10 et 15 p. 100 de notre revenu du financement par capital de risque et de celui des sociétés à petite capitalisation.

Je tiens à déclarer que Canaccord est en faveur d'un nombre limité de fusions bancaires. Nous reconnaissons le besoin qu'ont les banques canadiennes de constituer une masse critique et d'affirmer une présence qui leur permettrait de tirer parti des possibilités offertes à l'échelle mondiale et de résister à divers chocs externes. Cela dit, ces besoins doivent être mis dans la balance avec notre désir, premièrement, de compter sur une solide présence bancaire internationale qui comprend la dynamique du Canada, deuxièmement, de tabler sur une réserve de talents, issue et formée dans les banques et les services connexes, composée de financiers, d'avocats, de comptables, de spécialistes de la technologie, et d'autres professionnels et, troisièmement, de disposer d'un marché interne vigoureux et dynamique qui encourage l'innovation, la prise de risques et la formation de capital. La possibilité que le Canada, après les fusions bancaires, ressemble trop à l'Allemagne, de sorte qu'il étoufferait le contexte concurrentiel, surtout pour les petites entreprises, nous préoccupe beaucoup.

Canaccord, de même que, à notre avis, les courtiers en valeurs moins importants, éprouvent des préoccupations à quatre grands titres qui découleraient de l'autorisation de une ou de deux fusions bancaires, soit la gestion du patrimoine, les marchés des capitaux, le crédit et la politique.

La gestion du patrimoine: La firme Investor Economics a estimé la taille de la gestion du patrimoine dans le secteur des valeurs mobilières canadien à 515 milliards de dollars. Les six grandes banques occupent près de 86,4 p. 100 du marché du courtage de plein exercice et près de 91,5 p. 100 de celui du courtage à escompte. Surtout, les banques sont présentes dans un plus grand nombre des secteurs rentables, tels que les comptes à frais fixes, qui représentent le produit à la croissance la plus rapide dans le secteur. Les raisons qui sous-tendent cette domination sont simples: les banques sont dotées d'importantes structures technologiques et de marketing et possèdent une vaste clientèle. Elles peuvent ainsi amortir le développement de produits et le risque d'un échec dans ce domaine, à même un actif beaucoup plus considérable que celui des autres intervenants.

En plus de ces avantages sur les plans de la technologie et du marketing, les banques utilisent largement leur énorme actif comptable pour exercer des pressions à ce titre sur les courtiers en valeurs et ce, même si la couverture du Fonds canadien de protection des épargnants est de 1 million de dollars par compte-titres, comparativement à celle de la Société d'assurance dépôt du Canada qui atteint 60 000 dollars par compte bancaire. En tant que courtier indépendant en valeurs mobilières, nous sommes déjà aux prises avec des cas où les banques canadiennes ont tendance, consciemment ou non, à franchir ou à s'approcher de près de la ligne qui les sépare de certaines pratiques de marketing abusives. Ainsi, nous éprouvons chaque jour les répercussions des ventes liées comme substitut aux ventes connexes.

Tel que nous l'avons vu précédemment, dans le cas de la gestion du patrimoine, la concentration est un enjeu très important. Sur les plans régional et local, cette concentration dépasse largement le seuil du raisonnable. Il est évident que cette situation va à l'encontre des intérêts du consommateur canadien et qu'il est très difficile pour les concurrents de maintenir une position viable.

Solutions en matière de gestion du patrimoine: Nous sommes d'avis que la seule manière possible d'autoriser une ou deux fusions bancaires consiste à forcer le dessaisissement d'actifs. Il peut s'agir d'actifs liés à la gestion du patrimoine ou de succursales bancaires. On peut vendre séparément les actifs liés à la gestion du patrimoine.

On doit étudier la possibilité d'instaurer des mécanismes pour empêcher ou limiter des pratiques additionnelles à l'égard des ventes liées et des ventes connexes, lesquelles sont visées par la Loi sur la concurrence, même si je crois que des problèmes se posent à cet égard.

Marché des capitaux: À la suite d'acquisitions et de faillites, le nombre des sociétés ouvertes inscrites à la cote de la Bourse de Toronto a considérablement diminué. Cette bourse estime que près de 60 p. 100 des entreprises inscrites à sa cote se rangent maintenant dans la catégorie des petites sociétés. De toute évidence, une ou deux fusions bancaires nuiraient grandement à la rentabilité et à la liquidité générale du marché de la Bourse de Toronto.

La liquidité du marché s'est réduite de beaucoup étant donné la plus grande concentration des institutions, le nombre croissant des titres intercotés également aux bourses américaines, l'augmentation des coûts d'exécution, la croissance exponentielle des coûts réglementaires et la baisse du nombre de sociétés ouvertes. De plus, les participants du marché des capitaux se sont consolidés dans une très large mesure, de sorte que les six grandes banques canadiennes occupent quelque 80 p. 100 du marché des opérations sur actions, 87 p. 100 du marché des nouvelles émissions d'actions et autour de 90 p. 100 de celui des titres d'emprunt au Canada.

Afin de mettre ces statistiques en perspective, précisons que 178 courtiers indépendants en valeurs effectuent moins de 20 p. 100 des opérations sur actions, moins de 10 p. 100 de celles sur les titres d'emprunt et moins de 13 p. 100 des nouvelles émissions d'actions. De plus, les banques possèdent la vaste majorité des capitaux réglementés, soit 9 milliards de dollars, comparativement à 2,5 milliards de dollars pour l'ensemble des courtiers indépendants en valeurs. Étant donné leur domination du marché et leurs pratiques à l'égard des ventes liées et connexes, les banques accaparent la plus grande part des bénéfices d'exploitation du secteur et subissent des fluctuations de revenus considérablement moindres que les courtiers. Autrement dit, les banques ont très bien réussi à enfermer les concurrents canadiens dans des activités beaucoup plus instables et moins rentables que les leurs.

À la fin du document, vous trouverez des statistiques de l'Association des courtiers en valeurs mobilières qui illustrent le phénomène.

Cette situation devrait soulever de graves préoccupations au sein du comité. Il faut aux courtiers indépendants en valeurs au Canada un milieu prospère et rentable. Nous ne plaidons pas en faveur de l'octroi de subventions, mais nous sommes en quête d'un milieu plus équitable. Si le Canada n'adopte pas les mécanismes qui conviennent pour établir un tel milieu, le nombre des participants au marché ira en diminuant, au même titre que les services locaux et régionaux, la capacité de recherche sur des titres indépendante se détériorera. Or, l'absence de participants nuira énormément à la disponibilité du capital, à son coût et à la viabilité des marchés publics, surtout dans le cas des sociétés à petite capitalisation qui sont le moteur de la croissance de l'emploi au Canada.

La Banque du Canada et votre comité doivent s'inquiéter encore plus au sujet des répercussions des fusions sur le marché des capitaux. De nos jours, la majorité des courtiers indépendants en valeurs ne participent pas activement au maintien du marché des capitaux. Dans une large mesure, ils s'approvisionnent à même les portefeuilles de titres d'emprunt des grandes banques canadiennes et ils acquittent les marges de détail, soit les marges bénéficiaires. Les six grandes banques et, dans une moindre mesure, la Banque Nationale et la HSBC, dominent ce segment de marché.

La plupart des concurrents américains ont abandonné le marché intérieur canadien en raison de la rivalité bancaire, de l'absence de rentabilité et de la taille en déclin du marché des capitaux canadien depuis que les gouvernements fédéral et provinciaux enregistrent des excédents budgétaires. Il est tout à fait plausible que deux banques fusionnées seraient si dominantes qu'elles évinceraient les autres concurrents en accaparant le marché et en rendant sa rentabilité encore plus douteuse.

Depuis les débâcles récentes de la part de la Citibank et d'autres établissements, les États-Unis se préoccupent beaucoup plus des ventes liées et connexes qu'auparavant. Vous savez sans doute que ce pays a retiré en 1999 nombre des mesures protectrices de la loi Glass-Steagall. L'objet initial de cette loi était de séparer les services bancaires des services de financement des sociétés en raison de conflits recensés qui se seraient produits avant la dépression des années 30. À la suite d'une série de percées importantes sur le plan des conflits d'intérêts, le Sénat et la Chambre des représentants américains étudient la possibilité de restaurer de nombreux volets de la loi Glass-Steagall. Compte tenu que les États-Unis, qui comptent près de 17 000 institutions financières, se préoccupent à ce sujet, il y a lieu de se demander si le Canada, avec ses quelques centaines de courtiers en valeurs, et un nombre de banques relativement dominantes de loin inférieur à celui de nos voisins du Sud, ne devrait pas être encore plus inquiet.

Solutions portant sur les marchés de capitaux: Nous recommandons que le Canada rétablisse une règle sur les émetteurs reliés aux intentions plus marquées, et j'y reviendrai plus en détail, mais nous sommes d'avis que les courtiers indépendants en valeurs ne doivent pas prendre une part inférieure à 20 p. 100 dans une émission si les autres parties sont reliées entre elles.

Le Canada devrait étudier des mécanismes de protection supplémentaires semblables à ceux qu'évaluent les États- Unis. La Banque du Canada et les gouvernements fédéral et provinciaux devraient avoir la capacité de surveiller et de former leurs syndicats de financement par titres d'emprunt afin d'établir un environnement plus concurrentiel.

Les fournisseurs de crédit: contrairement aux autres secteurs, les banques ne sont pas seulement des concurrentes des courtiers indépendants en valeurs, mais elles sont de plus des fournisseurs de crédit importants. Le crédit est établi directement sous forme de prêts subordonnés et de marges de crédit nanties sur titres. Ces marges de crédit sont mises à contribution chaque jour pour soutenir les opérations sur titres de particuliers ou des institutions. Il s'agit de modalités de crédit très spécialisées qui diffèrent de celles fournies aux autres secteurs d'activité. Essentiellement, les banques fournissent des liquidités à titre de capital pour financer nos opérations axées sur des transactions. De plus, d'autres marges plus spécialisées sont établies sous forme de lettres de crédit bancaires pour le financement d'achats par prise ferme ou de découverts à un jour. Dernièrement, les banques ont exercé de fortes pressions en vue de modifier le modèle de risque de la Caisse canadienne de dépôt de valeurs limitée (connue également sous l'acronyme CDS). Essentiellement, la CDS est l'agent de compensation et de dépôt centralisés pour toutes les opérations sur titres au Canada et pour celles intervenant avec d'autres organismes de compensation et de dépôt tels que la DTC aux États- Unis. En définitive, l'effet des changements recommandés serait d'augmenter radicalement les exigences sur les biens donnés en nantissement. Nous croyons que ces changements peuvent faire disparaître d'autres courtiers indépendants en valeurs du marché canadien.

Les six grandes banques ne fournissent pas toutes activement du crédit aux courtiers indépendants en valeurs. À l'heure actuelle, seulement deux d'entre elles, la Banque Royale et la Banque de Montréal, fournissent un tel crédit. Si, à la suite d'une fusion bancaire, une de ces banques, ou les deux, délaissait cette activité, le marché des capitaux canadiens sera aux prises avec des conséquences néfastes. Ces conséquences seraient plus graves pour les petites entreprises pour lesquelles les courtiers indépendants en valeurs représentent de 70 à 80 p. 100 de ce segment de marché. Comme vous le savez sans doute, les banques n'affichent pas le dossier le plus reluisant qui soit au chapitre du soutien des petites entreprises au Canada. Tout échec ou consolidation supplémentaire des courtiers indépendants en valeurs existants pourrait entraîner des répercussions négatives sur la croissance du PNB canadien.

Solutions à l'égard des fournisseurs de crédit: le Canada doit recevoir une certaine garantie selon laquelle les banques continueront de fournir du crédit, à des taux concurrentiels, aux courtiers indépendants en valeurs. La Banque de développement du Canada pourrait faire office de fournisseur de crédit de rechange, et il faudrait permettre aux banques étrangères ou aux compagnies d'assurance canadiennes d'acquérir une grande banque canadienne.

Politique: nous convenons tous que les banques canadiennes jouent un rôle très important dans l'économie nationale. Cela dit, les banques sont extrêmement bien organisées, disposent de capitaux considérables et de services où des employés peuvent exercer des pressions pour obtenir des changements à leur avantage. D'autres établissements moins bien nantis, ou dotés de ressources internes moindres, éprouvent de grandes difficultés, que ce soit pour formuler leurs points de vue ou pour rencontrer les responsables de l'élaboration des politiques, et échanger des idées avec eux, en vue d'opposer une contrepartie aux intérêts des banques. Non seulement les banques influent-elles sur la politique par l'intermédiaire de l'Association des banquiers canadiens ou par des interventions directes, mais elles dominent de plus nombre d'autres organisations dans notre secteur tels que la CDS, le FCPE, l'ACCOVAM et la Bourse de Toronto. Les banques ont particulièrement bien réussi, à titre d'organisations, à imposer leur programme aux autres organisations du secteur. Par conséquent, les banques ont réussi à apporter régulièrement des modifications biaisées durant des périodes relativement longues. Parmi les bons exemples de cette situation, citons les groupes de pression bancaires en vue de changer la règle sur les comptes au comptant qui a énormément réduit les crédits libres des petits courtiers en valeurs dégagés à partir d'actions ayant acquis une plus-value appréciable, mais qui n'avaient pas encore été encaissées, les règles de gestion du risque de la CDS traitées précédemment que proposent les banques et les escomptes que négocient les banques avec la RS Inc. pour les opérations sur des blocs dépassant 30 000 actions.

En règle générale, l'effet du changement d'une règle ou d'une modification découlant des pressions qu'exercent les banques n'est pas, en soi, important (exception faite de la règle sur les comptes au comptant et des entretiens en cours sur la CDS). Toutefois, le pire, et de loin, est ce flot continuel de changements qui, une fois regroupés, se traduit par une transformation d'envergure, fort coûteuse pour les consommateurs et les concurrents.

Solutions au titre de la politique: les responsables de la formulation des politiques, dont les gouvernements fédéral, provinciaux, la Banque du Canada et les commissions des valeurs mobilières, doivent créer les groupes de discussion requis, plus faciles d'accès, dotés des meilleures ressources qui soit, de façon à demander et à recueillir avec soin les préoccupations et les suggestions des autres concurrents. Les courtiers indépendants en valeurs se sont révélés être leurs pires ennemis en ne créant pas un groupe de pression sectoriel viable et puissant. Nous, à titre de secteur d'activité, devons créer un organisme à l'extérieur de l'ACCOVAM dont seraient exclues les banques.

Conclusions: nous croyons que le Canada ne peut pas soupeser indéfiniment les mérites d'un nombre limité de fusions bancaires au pays. Nous devons aller de l'avant, évoluer et assurer que les banques puissent posséder la plus grande part possible du marché mondial. Ces institutions et le Canada le méritent bien. Toutefois, dans la même foulée, nous devons nous assurer que le Canada, à titre de pays, ne cède pas ses intérêts à un groupe limité d'actionnaires aux dépens de tous les Canadiens. Si les banques ont besoin d'une masse critique pour se livrer à une concurrence externe, nous avons besoin d'une concurrence sur le marché intérieur pour que le consommateur puisse tirer le plus d'avantages possible de la situation. Pour ce faire, le gouvernement fédéral doit intervenir. Son intervention doit prendre la forme d'exigences bien nettes, soit des dessaisissements, des obligations précises au chapitre des politiques, et cetera, de persuasion morale continuelle, de même que d'une plus grande ouverture à l'endroit des autres groupes à l'extérieur des banques.

En résumé, les fusions bancaires nous préoccupent à quatre titres bien précis. Nous avons proposé des solutions dans chaque cas et, nous l'espérons, avons fait progresser la sensibilisation à leur égard. Les considérations de votre comité ne devraient pas s'arrêter à la manière dont les succursales des banques canadiennes serviront les petites communautés. Elles devraient également s'attacher à l'amélioration du service à la collectivité dans son ensemble. On devrait aussi avoir à cœur la survie des courtiers en valeurs indépendants, qui offrent un soutien très important et remplissent une fonction intermédiaire dans le financement de la croissance et de la prise de risques au Canada. D'autres intervenants, plus informés ou plus confiants que nous, proposeront des solutions auxquelles nous n'aurions jamais songé. Cela dit, nos sujets de préoccupation, nos enjeux et nos solutions sont ouvertement présentés dans notre mémoire.

Monsieur le président, j'espère que cette présentation aura été utile pour vous comme pour votre comité, et je demeure à votre disposition pour recevoir vos questions et vos commentaires.

Le sénateur Angus: Soyez le bienvenu, monsieur Greenwood. Merci de votre exposé. Êtes-vous toujours actif au sein de l'ACCOVAM?

M. Greenwood: Oui, Canaccord est membre de l'ACCOVAM.

Le sénateur Angus: Vous avez fait allusion au fait que vous êtes le sixième courtier en importance à la Bourse de Toronto. Les noms de la Banque Royale du Canada, de BMO, de Nesbitt, de la CIBC, de Wood Gundy et de Scotia McLeod me viennent à l'esprit. Quel serait donc l'autre?

M. Greenwood: La Banque Nationale.

Le sénateur Angus: Vous venez ensuite?

M. Greenwood: Exactement.

Le sénateur Angus: Jusqu'à quel point l'investissement de 20 p. 100 fait par Manuvie est-il récent?

M. Greenwood: L'entente a été conclue en juin de cette année.

Le sénateur Angus: Un peu comme dans votre cas.

M. Greenwood: Non, pas nécessairement.

Le sénateur Angus: La dernière fois que je me suis intéressé à cette question, j'ai eu l'impression que les indépendants accueilleraient les fusions avec plaisir parce qu'elles entraîneraient la disparition d'un joueur de plus. À l'époque des pourparlers entre BMO et la Banque Royale, je me souviens qu'on s'inquiétait grandement du sort des employés de Nesbitt. Où iraient toutes ces personnes? Les entreprises comme la vôtre auraient accès à une source considérable de spécialistes chevronnés des services bancaires d'investissement. La même situation ne se répéterait-elle pas?

M. Greenwood: Oui, il y aurait un certain nombre de candidats disponibles.

Le sénateur Angus: Plus de clients aussi. Plus de clients pour vous.

M. Greenwood: Oui, potentiellement.

Depuis la dernière ronde de discussions à ce sujet, soit dit en passant, la Banque TD a fait l'acquisition de Canada Trust, la CIBC a fait l'acquisition de Merrill Lynch Canada et la Banque Scotia a fait l'acquisition de Schwab Canada. Le processus d'intégration s'est poursuivi au niveau des banques.

Il y a trois ans, cinq courtiers en valeurs ont cessé leurs activités, je crois, et il y en a eu sept l'année dernière et 17 cette année.

Le sénateur Angus: Je partage votre inquiétude. Pendant un certain temps, m'a-t-on dit, il y avait seulement deux sociétés indépendantes de taille intermédiaire, Canaccord, la société que vous représentez, et Yorkton. Puis, je me suis rendu compte que Yorkton éprouvait des difficultés, ce qui a donné des sueurs froides à certains. Qui d'autre y a-t-il? Avec Manuvie, j'ai l'impression que vous êtes sur la bonne voie. Cependant, qui sont, selon vous, les cinq principaux indépendants?

M. Greenwood: Ce sont Desjardins, Raymond James, Rockwater, qui vient tout juste de faire l'acquisition des actifs de Yorkton, et Gundy. La HSBC viendrait non loin derrière.

Le sénateur Angus: Voilà qui m'amène à ma question. Nous avons tenté de nous intéresser à la question de l'intérêt public, de ce qui est et n'est pas dans l'intérêt public, et, en cas de fusion de deux des grandes banques, on soulève toute la question du dessaisissement. À votre avis, serait-il dans l'intérêt public d'obliger la Banque Royale, si elle devait fusionner ses activités à celles de la CIBC, par exemple, à se départir de RBC Valeurs mobilières?

M. Greenwood: Le fait est qu'il y aura trop de concentration — oui, absolument. De nos jours, les marchés financiers et les secteurs de la gestion du patrimoine sont trop concentrés.

Le sénateur Angus: Agirait-on dans l'intérêt public dans ce secteur? Je me rends compte des difficultés auxquelles vous faites face. Il y a des sociétés comme CS First Boston, Lehman Brothers et Goldmans qui viennent jouer dans votre cour, et ça ne vous plaît pas beaucoup. Je me demandais si vous aviez des commentaires à faire à ce sujet?

M. Greenwood: La plupart des grands courtiers en valeurs des États-Unis ont dans les faits renoncé à leur présence ici au Canada et offrent des services à partir de New York. Habituellement, ils mettent l'accent sur 20 ou 25 sociétés canadiennes qui viennent aux premiers rangs. Ils ne s'intéressent pas beaucoup à tout ce qu'il y a entre les marchés intermédiaires et les petites capitalisations.

Le véritable enjeu, au Canada, c'est que ce sont habituellement les petits courtiers en valeurs indépendants qui financent habituellement la majeure partie des actions des sociétés à plus petite capitalisation. Sans un noyau viable d'entreprises de ce genre au Canada, nous allons faire face à un problème beaucoup plus grave.

Le sénateur Angus: Un noyau viable de quel genre d'entreprises?

M. Greenwood: De courtiers en valeurs qui fournissent des services à de telles sociétés et qui réunissent des capitaux ou effectuent des recherches indépendantes pour elles. Ici, au Canada, nous allons être confrontés à un problème beaucoup plus grave.

À l'heure actuelle, la domination est très nette. Il s'agit d'une situation unique au monde, si on excepte la Hollande — vous avez entendu la Banque ING l'autre jour —, où il n'y a que deux banques. Même s'il s'agit de deux grandes banques, le pays se situe en Europe, où la compétition est forte.

Rien de tel au Canada. Dans notre pays, qui constitue pourtant le deuxième pays en superficie au monde, la concentration est beaucoup plus poussée. Je ne parle même pas des disparités régionales qu'on y observe.

Fait plus important encore, dans le domaine des marchés financiers, on observe une concentration non seulement dans les banques, mais aussi dans toute une gamme de secteurs d'activité. Aujourd'hui, il ne reste plus de sociétés de fiducie, et il n'y a pas de courtiers en valeurs de taille conséquente, sauf une ou deux. Le prochain secteur sur la liste est celui des assurances. Voilà la question.

Certaines des délibérations que j'ai lues et que j'ai entendues aujourd'hui ont trait à ce qui est dans l'intérêt public. À la lecture de la Loi sur la concurrence et de la Loi sur les banques, par exemple, je constate que certains aspects de l'activité bancaire tombent entre les mailles du filet et ne sont pas définis. Il faut y voir.

Nous sommes en faveur des fusions de banques, à condition qu'une définition soit arrêtée. Aujourd'hui, la Loi sur la concurrence s'applique à la plupart des sociétés. Cependant, elle ne s'applique ni à l'influence, ni à la taille ni à la capacité des banques. Je vais vous donner un exemple. Aujourd'hui, les banques du Canada consacrent environ 3,6 milliards de dollars par année à la technologie. L'un des avantages de la fusion serait une certaine rationalisation dans le secteur de la technologie. Notre entreprise dépense peut-être 15 millions de dollars par année dans le domaine de la technologie, et elle est probablement celle qui investit le plus dans ce domaine parmi tous les petits courtiers en valeurs.

De nombreux problèmes se posent en marge de la simple concentration et de telle ou telle succursale d'une banque dans tel ou tel quartier d'une ville. Il y a des problèmes précis qui vont au-delà de la Loi sur la concurrence.

Le sénateur Angus: Il est très utile que vous portiez ces questions à notre attention. On nous sert la ligne de parti. J'utilise le mot «parti» sciemment. C'est la même chose. On croirait entendre un enregistrement.

Vous nous dites qu'un certain nombre de choses tombent entre les mailles du filet?

M. Greenwood: Oui.

Le sénateur Angus: Monsieur, je serais intéressé à les connaître.

M. Greenwood: Une fois de plus, les banques fournissent du crédit. Ce n'est pas comme si elles exploitaient une petite ou une grande entreprise. Elles fournissent du crédit à certaines industries essentielles au Canada. Voilà en partie ce que vous devez définir. Est-il important qu'un certain nombre de banques fournissent du crédit à des courtiers en valeurs indépendants? Si oui, il faut que le crédit soit disponible.

Le sénateur Oliver: Vous avez dit que seulement deux banques le faisaient.

M. Greenwood: Parce qu'il s'agit d'un secteur très spécialisé.

Le sénateur Oliver: La Banque Royale et la Banque de Montréal.

M. Greenwood: BMO et la Banque Royale sont les deux seules. Il s'agit d'un secteur très spécialisé. Il faut comprendre des notions comme la gestion du risque, à tout ce qui concerne le risque et ainsi de suite. Je tiens pour acquis qu'il y a d'autres types d'activités bancaires offertes à d'autres industries très spécialisées, par exemple l'agriculture.

En cas de fusion ou d'intégration de banques, qu'arrive-t-il au secteur du marché public qui a été supprimé? Si l'entité décide de se retirer du marché de façon globale et qu'il n'est pas pratique pour elle de poursuivre des activités à petite échelle dans le secteur d'activité des banques, l'intérêt public n'aura pas été servi.

Le sénateur Angus: D'accord. Pouvez-vous nous donner deux ou trois autres exemples de choses qui tombent entre les mailles du filet?

M. Greenwood: Une fois de plus, il s'agit de la concentration — nous en avons parlé du point de vue des nouvelles émissions. Si, par exemple, on examine aujourd'hui le marché des nouvelles émissions, on constate une très grande corrélation entre le marché de la dette, le financement par emprunt et qui participe au financement par actions. Par le passé, les courtiers en valeurs indépendants comptaient pour environ 20 p. 100 d'un syndicat. Au cours des deux ou trois dernières années, cette proportion a été ramenée de 5 à 10 p. 100 environ. Récemment, les petits courtiers en valeurs indépendants ont, pour l'ensemble des émissions d'actions de fiducie de ressources naturelles, probablement compté pour environ 3 p. 100 du marché total. Habituellement, nous n'arrivons pas à faire plus parce que la société dit: «À moins que vous ne soyez prêt à faire office de prêteur, vous ne pouvez prendre une participation plus grande à ce financement par actions.»

Il arrive que nous arrivions au premier, au deuxième ou au troisième rang du point de vue des échanges. Il arrive que nous ayons en mains le seul rapport de recherche sur la société et que ce soit nous qui ayons la meilleure idée de la situation de cette dernière. Pourtant, nous ne faisons pas partie du syndicat.

Le sénateur Angus: Vous seriez en mesure de répartir facilement les actions parmi vos clients au détail?

M. Greenwood: Absolument.

Le sénateur Angus: Vous seriez favorable aux fusions. Vous dites qu'elles sont dans l'intérêt public, à condition que certains problèmes soient réglés. J'ai été fasciné de vous entendre proposer un retour à Glass-Steagall. Il y a à peine dix ans que le «big bang» a retenti au Canada et que nous avons commencé à renoncer aux anciennes règles. Voilà maintenant que vous laissez entendre que c'était peut-être une erreur.

M. Greenwood: En ce qui nous concerne, c'est en 1987 que le «big bang» a retenti. C'est à cette époque qu'on a pour l'essentiel déconstruit les piliers canadiens des sociétés de fiducie, des courtiers en valeurs et des banques. Les compagnies d'assurances sont les seules à avoir été épargnées. À mon avis, l'une des erreurs commises au Canada a été de ne pas permettre aux compagnies d'assurance d'entrer dans la danse et de créer une certaine concurrence en faisant l'acquisition de courtiers en valeurs. Nous avons commis une erreur stratégique fondamentale. Certaines règles concernant les émissions reliées remontent à cette période — les courtiers en valeurs indépendants devaient détenir une participation égale à celle d'autres émetteurs reliés, c'est-à-dire les banques, et la banque ne pouvait détenir une participation supérieure en pourcentage à la participation la plus grande détenue par un indépendant. La mesure avait pour objectif de remédier au problème des conflits d'intérêts.

C'est la question qui se pose aux États-Unis aujourd'hui et celle qui se posait dans les années 30 — comment protéger une banque qui prête à une société qui souhaite rembourser sa dette? La banque sait que la société en question constitue un risque et veut transformer le financement par emprunt qu'elle a consenti en financement par actions.

Elle ne sait si la tactique fonctionnera encore puisque, si elle souhaite annuler la dette, elle se retrouve avec un mauvais prêt sur les bras, ou encore, consciente d'avoir consenti un prêt problème, elle ira réunir des capitaux sur le marché des actions. Tous les consommateurs canadiens acquièrent une participation dans cet émetteur sous-jacent, et on se retrouve face à un conflit plus grand que nécessaire.

Par le passé, le courtier en valeurs indépendant effectuait une recherche, contribuait à fixer le prix de la valeur mobilière en question et déterminait s'il était ou non raisonnable de faire un appel public à l'épargne à ce moment précis. On disposait donc d'un système de freins et de contrepoids. Aujourd'hui, les mêmes dispositions n'existent plus nécessairement.

Le sénateur Angus: De nos jours, tout le monde parle du manque de confiance des investisseurs. Certaines personnes attribuent ce phénomène à Enron, en particulier, et d'autres, à un malaise concernant les pratiques de gouvernance des entreprises qui, tôt ou tard, nous rattrapera forcément.

Je vous écoute faire état du phénomène de la concentration au sein de votre industrie, où les petits joueurs n'ont plus accès aux nouvelles émissions, par exemple, ni à certaines des valeurs les plus alléchantes; les grands investisseurs institutionnels écrèment le marché en amont, et le petit investisseur n'a qu'à se faire la réflexion suivante: «Pas question. Quoi que je fasse, je vais me faire avoir.» Cela ne s'explique-t-il pas en grande partie par l'érosion de la confiance des investisseurs?

M. Greenwood: Je ne suis pas convaincu que le phénomène soit si important. Récemment, au Canada, à la suite de l'affaire Bre-X, nous avons en fait adopté certaines pratiques différentes. C'est avant les événements qui ont secoué les États-Unis. Franchement, l'environnement est meilleur au Canada. Il y a des conflits qui, tôt ou tard, vont causer une grosse commotion, par exemple lorsqu'une banque qui a prêté de l'argent à une société tentera de désendetter la société en question au profit de son propre bilan. Aujourd'hui, ce conflit d'intérêts est plus grand que jamais auparavant.

Le sénateur Angus: C'est très intéressant.

Le sénateur Meighen: Je ne me souviens pas d'avoir été aussi découragé après avoir entendu un excellent exposé puisque, monsieur Greenwood, vous avez extrêmement bien présenté la situation. La seule chose que vous ne nous avez pas offerte, peut-être parce qu'aucun de nous n'est assez sage pour connaître la réponse, c'est la solution. Vous avez proposé certaines solutions, et je vous en félicite.

Peut-être avons-nous à l'époque commis une erreur en autorisant les banques à faire l'acquisition de courtiers, même si, dans le cas contraire, il y aurait eu d'autres conséquences. Des établissements d'ailleurs en auraient peut-être fait l'acquisition.

Le seul autre secteur qui dispose d'une somme considérable de capitaux est peut-être celui des compagnies d'assurance, et vous y avez fait allusion. Peut-être y a-t-il des mesures qui pourraient être prises pour inciter les compagnies d'assurance à faire le constat, comme le sénateur Angus l'a mentionné et comme vous l'avez dit dans votre mémoire, que la Financière Manuvie détient une participation de 20 p. 100 dans votre société.

M. Greenwood: Il s'agit d'une participation très minoritaire dans notre société. Du point de vue la Financière Manuvie, c'est simplement un placement de portefeuille.

Le sénateur Mahovlich: Où est Clarica aujourd'hui?

Le sénateur Angus: À Manuvie.

M. Greenwood: Non, à la Sun Life.

Une partie de ce que vous cherchez à faire ici consiste, en résumé, à déterminer si l'intégration des banques est ou non dans l'intérêt public. Le véritable problème, c'est que le fait de ne pas autoriser une fusion de banques portera atteinte à la politique gouvernementale. Nous avons probablement besoin de certaines banques plus grandes qui, en dernière analyse, représentent et comprennent le Canada au sein du marché mondial. Au fur et à mesure qu'elles grandissent et font de meilleures affaires, les entreprises recherchent du crédit pour des activités à l'étranger, des lettres de crédit, du financement de projets d'envergure, et cetera. Les banques doivent être plus grandes pour faire face à ces situations.

Les banques canadiennes deviennent de plus en plus petites. Le monde tout entier est en voie d'intégration. Du point de vue de l'intérêt public, il est probable que le Canada se porterait préjudice à lui-même en n'autorisant pas une fusion de banques. Malgré tout, nous devons tenir compte de la protection de notre propre marché interne, et c'est tout ce que nous disons.

Le sénateur Meighen: Autour de la table, je n'entends pas beaucoup d'arguments à l'encontre de vos propositions. En règle générale, les fusions de banques sont dans l'intérêt public pour les raisons que vous avez exposées. Cependant, nous ne sommes pas insensibles aux questions que vous avez soulevées de l'autre côté de la médaille. On a dit que la fusion de deux entités entraînait tout un chambardement. D'autres intervenants ont la possibilité de pénétrer un marché. Peut-être pourrions-nous mieux faire les choses à cet égard, exiger un plus grand nombre de dessaisissements et tenter de renforcer le deuxième palier d'institutions financières au Canada.

Personnellement, je n'aime pas trop les quotas, et je suis certain que, au fond, vous pensez probablement comme moi, mais c'est presque ce que vous préconisez en évoquant la possibilité de réserver aux indépendants une tranche de 20 p. 100 sur les nouvelles émissions. Je suis conscient des avantages. Cependant, on aura tôt fait de laisser entendre que la proportion devrait être portée à 35 p. 100, et ce sont, me semble-t-il, des chiffres artificiels.

Comment réagissez-vous à de telles objections?

M. Greenwood: Il ne fait aucun doute que ce sont des chiffres artificiels, mais, une fois de plus, nous allons nous retrouver avec des banques dont les bilans se chiffreront en milliards de dollars et qui seront en mesure de s'en servir. La question de savoir si Canaccord obtient la proportion de 20 p. 100 m'importe peu; ce qu'il faut, c'est que l'industrie tout entière obtienne une proportion de 20 p. 100. Il s'agit d'un chiffre artificiel, mais il tient compte du phénomène de la concentration et de la masse de ces entités. Dans le contexte canadien, les banques seront colossales. Nommez-moi un autre pays du monde où on observe une concentration relative du même genre.

Le sénateur Meighen: La contrepartie, c'est peut-être que les institutions qui souhaitent fusionner leurs activités et prendre de l'expansion ailleurs devront renoncer à une part considérable de leurs activités chez elles.

M. Greenwood: J'imagine qu'elles devront renoncer à quelque chose comme 15 p. 100 de leurs parts de marché. Il faut qu'il en soit ainsi. La question qui se pose aujourd'hui, c'est qu'il n'y a que deux autres banques étrangères de taille conséquente, la Banque ING et la HSBC. Naturellement, elles se feraient un plaisir de faire l'acquisition de ces succursales. Pour notre part, nous ne ferons pas partie de l'industrie bancaire parce que les obstacles à franchir pour y arriver sont considérables.

Nous pouvons maintenant devenir membres de l'Association canadienne des paiements, mais comment se fait-il qu'aucun autre courtier en placements indépendant du Canada ne l'est? C'est tout simplement parce que la technologie et l'infrastructure nécessaires sont trop coûteuses. La porte est ouverte, mais l'accès est en réalité difficile. Peut-être une telle entreprise n'est-elle aujourd'hui pas rentable pour nous. Dans ce secteur d'activité, les possibilités de profits sont aujourd'hui si faibles que ce n'est pas pour nous une bonne façon d'étendre nos activités.

Le sénateur Meighen: Les dépenses ne pourraient-elles pas être mises en commun d'une façon ou d'une autre?

M. Greenwood: Nous avons étudié cette possibilité du point de vue de l'industrie, mais, non, je ne crois pas que ce soit envisageable.

Le sénateur Meighen: Dans les solutions que vous avez avancées au problème de la concentration, et cetera, de même qu'au problème des marchés financiers, vous avez fait allusion à la loi Glass-Steagall et à des solutions analogues pour le Canada. Avez-vous des propositions précises à nous faire à ce propos?

M. Greenwood: Je ne suis pas en mesure de faire des propositions précises en marge de notre industrie. Je mets l'accent sur l'activité des courtiers en valeurs. J'ai certaines idées à propos des banques, mais, non, je n'ai pas d'autres solutions à proposer au pied levé.

Le sénateur Meighen: Si des idées vous viennent à l'esprit et que le cœur vous en dit, laissez-le-nous savoir par écrit puisque, comme je l'ai indiqué, nombreux sont ceux qui partagent votre analyse de ce qui est bon pour le Canada. Nous avons besoin d'institutions financières de plus grande taille. En même temps, nous ne pouvons nous accommoder de l'absence d'entités nationales, et c'est indiscutablement ce qui est en train de se produire. Sans entrer dans les considérations trop artificielles, je pense que chacun est intéressé à trouver des moyens de favoriser l'arrivée d'un plus grand nombre de nouveaux venus sur la scène nationale.

M. Greenwood: Il est important que les petits courtiers en valeurs demeurent viables, particulièrement pour le financement des petites entreprises du Canada. Tous les jours, nos sociétés et d'autres font les frais du cauchemar de la réglementation, tandis que les banques, grâce à leur taille, peuvent absorber ces coûts. Elles détiennent un pourcentage plus grand des activités individuelles.

Elles perçoivent des droits sur les hypothèques et les marges de crédit. Elles administrent des cartes de crédit à des taux d'intérêt de 18 p. 100 et imputent des droits pour la gestion du patrimoine. Lorsqu'on additionne tout, on se rend compte qu'elles détiennent une bonne partie du portefeuille. Nous sommes en mesure de fournir des services comparables à une partie seulement de ce portefeuille. Le même raisonnement s'applique à tous les courtiers en valeurs indépendants.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez fait allusion à la question des fournisseurs de crédit, et cette question m'intéresse. À la page 5, vous affirmez que les six grandes banques ne fournissent pas toutes activement du crédit. Vous avez dit que seulement deux d'entre elles, soit la Banque Royale et la Banque de Montréal, en fournissent.

En réponse à des questions du sénateur Meighen, vous avez fait allusion à la proportion de 15 p. 100 et au fait que la présence d'un si petit nombre de joueurs dominants est inacceptable. Je constate que vous ne faites ici nulle mention des banques étrangères. Vous ne parlez ni de la HSBC ni d'ING. Les banques étrangères ne sont-elles pas une solution?

M. Greenwood: Non.

Le sénateur Tkachuk: Qui donc ferait l'acquisition des 15 p. 100 en question?

M. Greenwood: Ce n'est pas une solution. Aujourd'hui il y a deux banques qui comprennent l'évaluation des risques et les types très précis d'activités que nous utilisons. Il s'agit d'un service très spécialisé.

Notre banque est la Banque de Montréal, et nous recevons d'elle un service phénoménal. Elle fait du très bon travail pour nous, mais la base de connaissances est très limitée. Peut-être pourrait-elle parfaire cette base de connaissances et fournir les mêmes services à des participants de l'extérieur du Canada. Compte tenu du nombre limité de courtiers en valeurs et de la possibilité très réelle d'une intégration encore plus grande au cours des deux ou trois prochaines années, ces secteurs d'activité risquent de ne plus être rentables pour les banques. Ainsi, elle pourrait les fermer, ce qui ne serait pas dans l'intérêt du Canada.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez soulevé un problème vraiment important pour notre industrie, mais vous avez également fait allusion à un enjeu auquel je n'ai pas beaucoup réfléchi, à savoir l'industrie agricole. Dans les Prairies, nous avons deux fournisseurs de services, la coopérative de crédit et la Banque Royale du Canada. Ce sont les spécialistes des agro-entreprises. Si, en cas de fusion, une de ces entités ne souhaitait plus se mêler d'agriculture, qu'adviendrait-il de tous les clients? Les fournisseurs peuvent se retirer de ce secteur d'activité. Je sais qu'il s'agit d'un secteur d'activité rentable et que quelqu'un voudra occuper le marché. Cependant, la perspective de la présence d'un seul fournisseur de services a de quoi faire frémir.

M. Greenwood: Il ne faut pas oublier non plus que les coopératives de crédit n'offrent pas la même qualité de crédit. Faute de bilans suffisants, elles ne sont donc pas en mesure de s'occuper de certains secteurs d'activité. C'est un problème. Voilà précisément le genre d'enjeux à propos desquels les banques devraient prendre des engagements. Si elles souhaitent fusionner leurs activités, profiter de tous les avantages et soutenir la concurrence internationale, les coûts doivent être précisés. Je pense que c'est ce qu'elles veulent savoir. Elles veulent savoir quels engagements elles devront prendre pour qu'on les autorise à fusionner leurs activités.

Le président: Merci d'être avec nous, monsieur Greenwood.

Honorables sénateurs, je suis heureux de souhaiter la bienvenue à M. James McIntosh, professeur d'économie à l'Université Concordia.

M. James McIntosh, professeur d'économie, Faculté d'économie, Université Concordia: Tout d'abord, monsieur le président, je tiens à remercier le comité de m'avoir donné l'occasion d'exprimer mon point de vue sur les fusions des banques. Les honorables sénateurs ont reçu mon mémoire, ainsi qu'une copie d'un article que j'ai récemment fait paraître dans la Revue canadienne d'économique. Je présenterai brièvement mes conclusions, et j'expliquerai pourquoi je crois que les fusions servent l'intérêt public.

J'aimerais parler de l'enjeu qui est peut-être le plus important dans le cas qui nous occupe, c'est-à-dire l'efficience d'échelle des banques canadiennes. Il y a trois points saillants à retenir. Je veux tenter de vous convaincre que les rendements d'échelle croissants dans le secteur des banques à charte occasionnent un certain nombre de conséquences extrêmement importantes.

Premièrement, je tiens à signaler que ma recherche parue dans la Revue canadienne d'économique laisse présager ce type de résultat. J'ai aussi élaboré une méthodologie à l'égard des sociétés de fiducie canadiennes, publiée en 1997. Cette méthodologie révèle aussi que les banques à charte canadiennes génèrent des rendements d'échelle croissants.

Deuxièmement, il existe bien peu de recherches sur les banques à charte canadiennes, pour des raisons que je serai heureux d'aborder si vous le voulez, mais qui, pour l'instant, ne sont pas essentielles à mon propos.

Il existe un autre article, rédigé par trois économistes de l'Université McMaster, qui illustre aussi la croissance des rendements d'échelle des banques à charte canadiennes.

Depuis la parution de mon article, un certain nombre d'études ont été publiées. La plus récente, une étude de Hughes, Moon et Mester sur les grandes banques américaines, arrive aussi à la conclusion que ces dernières génèrent des rendements d'échelle croissants. Les grandes banques américaines sont les seules qu'on pourrait raisonnablement comparer aux banques canadiennes.

Quatrièmement, il existe une société qui s'appelle Symcor Incorporated, entreprise lancée par la Banque TD, BMO et la Banque Royale. Elle dispense à ces banques à charte des services administratifs. La semaine dernière, un journal a fait état de l'intention de la Banque Scotia de participer à cette entreprise. C'est là une preuve claire de l'avantage de l'efficience d'échelle, car cela montre que les banques estiment que la sous-traitance de toutes les activités administratives à une seule organisation constitue la meilleure méthode. Selon moi, l'avantage est clair, et il est inutile d'effectuer des recherches universitaires sur le sujet. Pour moi, c'est tout simplement un fait.

Les conséquences de l'accroissement des rendements d'échelle, et je devrais dire qu'il y a probablement certaines personnes ici qui ne sont pas économistes et qui ne connaissent pas l'économie, mais l'accroissement des rendements d'échelle suppose qu'une entreprise qui prend de l'expansion et qui produit davantage réduit son coût unitaire. Ainsi, en ce qui concerne la production, on pourrait avancer que plus gros, c'est moins cher.

Dans le cas des banques à charte, cela signifie qu'il y aura des gains d'efficience si nous permettons des fusions, dans la mesure où les fusions se déroulent bien. Toutefois, la réussite des fusions n'a rien à voir avec la question qui nous occupe, c'est-à-dire l'accroissement des rendements d'échelle. Bien sûr, s'il n'y a aucune croissance des rendements d'échelle, il n'y aura peut-être pas trop de gains d'efficience, voire de gains pour les banques. Elles deviennent plus rentables tout simplement parce qu'elles prennent davantage du consommateur, et c'est ce qui se produit lorsque les rendements d'échelle sont à la baisse.

Lorsqu'on augmente les rendements d'échelle, la consolidation de l'industrie bancaire offre la possibilité d'une réduction des prix pour le consommateur. C'est la conclusion de l'article dont je viens de vous parler. J'ai conclu, lorsque je me suis penché sur la fusion Banque Royale/BMO, la fusion TD/CIBC et sur les deux en même temps, que les trois scénarios occasionneraient une baisse du prix des services bancaires par rapport au prix avant la fusion. C'est un résultat très controversé, du moins ici au Canada, et surtout en ce qui concerne la perception du Bureau de la concurrence.

De plus, le fait d'encourager la venue de concurrents sur le marché ne favorisera pas nécessairement le bien-être du consommateur.

Comme je l'ai déjà mentionné, les résultats que j'ai obtenus vont à l'encontre de la position du Bureau de la concurrence en ce qui concerne la description des technologies bancaires. Dans sa lettre du 11 décembre 1998 à l'intention des présidents des banques, où il omet de soutenir les fusions, le bureau a essentiellement laissé entendre que les fusions n'occasionneraient aucun gain d'efficience et que, en raison d'une réduction du nombre de joueurs sur certains marchés, les résultats pour le consommateur seraient négatifs, car cela occasionnerait une hausse des prix. Cette conclusion est diamétralement opposée aux résultats de ma recherche. Je ne crois pas que les fusions des banques mèneront à une hausse des prix. Mes opinions quant à l'incidence des fusions s'opposent de façon importante à celles du Bureau de la concurrence.

Dans mon mémoire, j'ai consacré un certain temps à expliquer pourquoi j'arrive à une conclusion différente de celle du Bureau de la concurrence, et cette divergence tient en partie au fait que le Bureau de la concurrence fonde son opinion de la technologie propre aux banques canadiennes sur ce qu'il voit aux États-Unis. J'ai entendu, à l'occasion du témoignage d'un membre du Bureau de la concurrence lundi, que le bureau avait fait appel aux commentaires d'un expert américain. Je crois qu'il s'agissait probablement de David Humphrey, mais j'ai peut-être tort. M. Humphrey est un économiste éminent qui possède des connaissances étendues sur les banques américaines. Toutefois, la situation des banques américaines nous dit bien peu de choses sur ce qui se produira ici au Canada.

De nombreuses recherches touchant les fusions de banques et l'efficience d'échelle des banques américaines sont très problématiques. Dans mon mémoire, je mentionne un certain nombre d'articles qui mettent en relief les difficultés que nous éprouvons à évaluer la recherche fondée sur les banques américaines. Celle d'Allen Berger et de Loretta Mester est très révélatrice. En 1997, ces chercheurs ont conclu qu'il n'y avait pas suffisamment de grandes banques aux États- Unis pour déterminer si le système bancaire américain permet aux grandes banques de réaliser des économies d'échelle. Cette conclusion est probablement raisonnable.

En réalité, nous ne savons pas vraiment ce qui se passe dans les banques américaines, et nous ne devrions probablement pas nous y attarder trop longtemps.

Les Australiens ont envisagé des fusions bancaires en 1997. Ils avaient examiné la situation de long en large. Ian Harper, économiste d'état-major dans le cadre de l'enquête sur les services financiers, est arrivé à la conclusion que les études américaines sur les fusions bancaires et l'efficience d'échelle n'offraient aucune information pertinente au contexte australien. Cela a trait au fait que l'Australie est dotée d'un système de banques à succursales, comme le nôtre, et que le système bancaire américain n'est pas comme ça. Par conséquent, l'expérience américaine n'est pas très pertinente lorsque vient le temps de déterminer ce que nous devrions faire.

Je consacre une certaine partie de mon mémoire à l'analyse de ce que l'avenir réserve aux banques canadiennes. Bien sûr, cela dépend de la situation. S'il y a des fusions, il est certainement possible que les banques canadiennes en tirent avantage, compte tenu, entre autres, du fait que le chevauchement des succursales est un grave problème. Ce problème serait résolu, dans une certaine mesure, si on permettait une ou deux fusions, ou peut-être davantage. Cela pourrait atténuer le problème. De plus, cela permettrait aux banques de prendre du volume. Les grandes banques semblent en mesure d'assumer plus de risques. Elles semblent capables de prendre de l'expansion sur les marchés étrangers.

J'ai lu le témoignage rendu par M. Hunkin lundi. Ceux d'entre nous qui ont des intérêts financiers dans les banques savaient depuis un certain temps que la CIBC éprouvait des difficultés avec le système bancaire Amicus aux États- Unis, mais M. Hunkin a déclaré que la CIBC s'était retirée parce qu'elle n'était pas assez grosse pour assumer les risques nécessaires. Je crois que c'est un problème réel. Je crois qu'il est important et raisonnable d'adopter une stratégie qui consiste à d'abord prendre de l'importance au Canada pour ensuite prendre de l'expansion aux États-Unis et en Europe.

Les Canadiens devraient se spécialiser dans le domaine des banques et des services financiers. Nous pourrions exporter les services bancaires au lieu de les importer. Il s'agit d'un domaine de spécialité, et à titre de décideurs et d'économistes tournés vers l'avenir, nous avons avantage à adopter des politiques qui encouragent nos meilleures sociétés à devenir plus grosses, plus efficaces et plus rentables, et à être pour les Canadiens des centres de l'emploi et du profit. Les banques peuvent jouer ce rôle à l'égard des services financiers.

Certainement, mon étude du secteur de l'assurance montre aussi que ce domaine connaît une croissance des rendements d'échelle, et que ce secteur se tire plutôt bien d'affaire. Les grandes sociétés d'assurance, comme Canada- Vie, la Financière Manuvie et Sun Life, exercent plus de 50 p. 100 de leurs activités à l'extérieur du Canada. Elles exportent les services financiers, et les emplois très prestigieux et très bien rémunérés dans les sièges sociaux restent au Canada.

Cette façon de procéder me semble sage. Nous avons avantage à adopter des politiques qui tiennent compte non seulement des intérêts du consommateur et des groupes d'intérêt particuliers, mais aussi du besoin d'adopter une perspective à long terme permettant à certains secteurs économiques d'être des chefs de file au cours des 20 à 25 prochaines années.

Voilà donc un bref survol de mon mémoire, et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Oliver: Bienvenue, monsieur McIntosh. C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai lu votre article intitulé «Canadian Bank Mergers and the Public Interest» pendant la fin de semaine. Au cours de votre témoignage aujourd'hui, vous avez mentionné certaines de vos critiques en ce qui concerne les critères utilisés par le Bureau de la concurrence. Je suis le sénateur qui a interrogé le bureau à la lumière des critiques émises dans votre article.

Vous affirmez que, dans son analyse de la fusion de la Banque Royale et de BMO, le bureau avait utilisé de l'information sur de petites banques américaines qui ne s'appliquait pas vraiment à la réalité canadienne. Je leur ai parlé de vos critiques et des conclusions que vous avez tirées, et je leur ai demandé s'ils comptaient modifier leur modèle ou leurs critères advenant de nouvelles demandes de fusion. On m'a répondu que le bureau ne changerait pas sa démarche. Compte tenu de la taille actuelle des banques canadiennes, croyez-vous qu'on puisse s'attendre à de meilleurs résultats si on applique le même type de données et de documentation fondées sur l'exemple de petites banques américaines?

M. McIntosh: Si le bureau s'entête à tirer les mêmes conclusions au sujet des banques américaines, il obtiendra les mêmes résultats.

La lettre que le bureau a fait parvenir aux présidents des banques est intéressante. On peut y lire ce qui suit: «Tout d'abord, il vous incombe de prouver qu'il y a des gains d'efficience.» Ensuite, on y déclare que, «de toute façon, nous ne croyons pas à l'existence de gains d'efficience, même si vous vouliez faire cela. Même si vous pouviez produire des gains d'efficience, vous ne seriez pas capable d'en déterminer la teneur jusqu'à ce que Paul Martin vous dise quelles conditions nous vous imposerons, de sorte qu'il n'y a essentiellement aucune façon d'envisager la possibilité de gains d'efficience». Ensuite, Paul Martin a déclaré: «Désolé, puisque vous n'avez fourni aucune preuve de gains d'efficience, nous allons bloquer les fusions.» C'est là un parfait exemple de situations sans issue.

Le sénateur Oliver: Plus loin dans votre mémoire, après avoir dit que le Bureau de la concurrence fondait sa documentation et ses modèles sur le mauvais échantillon, c'est-à-dire les petites banques américaines, vous avez déclaré que le Bureau de la concurrence du Canada aurait dû se pencher, entre autres, sur un échantillon de grandes banques nipponnes. Nous savons tous ce qui est arrivé à certaines des grandes banques du Japon. Je me demandais si vous pourriez nous expliquer pourquoi vous préférez l'exemple des banques japonaises à celui des petites banques américaines situées tout près.

M. McIntosh: Outre le fait que les banques américaines mentionnées dans un très grand nombre d'articles sont beaucoup plus modestes que les banques canadiennes, elles sont aussi dépourvues d'un réseau de succursales. Il ne s'agit pas de banques d'envergure nationale, comme les nôtres. Les banques nipponnes sont certainement plus grosses. En raison de leur taille, il est justifié de vouloir les utiliser comme exemples.

Je ne dis pas que nous devrions nous pencher uniquement sur le cas des banques japonaises. Dans mon mémoire, je mentionne aussi que l'on constate un accroissement des rendements d'échelle chez les banques norvégiennes et allemandes, et la plus récente étude montre qu'il en va de même pour les grandes banques américaines. Il y a certainement des différences entre les banques japonaises et les banques canadiennes, mais la situation que j'envisage est hypothétique. S'il y a un accroissement des rendements d'échelle, il y a certainement possibilité de réaliser des gains d'efficience. Maintenant, si les banques absorbent des prêts irrécouvrables, si leurs pratiques sont médiocres, elles ne seront pas forcément à l'abri de problèmes financiers seulement parce que la technologie favorise une hausse des rendements.

Laissez-moi vous donner un exemple. Confédération Vie faisait partie de mon échantillon de sociétés d'assurance. Elle a fait faillite. Je crois que Confédération Vie était dotée d'une technologie caractérisée et par l'accroissement des rendements d'échelle. Je sais aussi que le portefeuille de prêts de cette société était très mauvais. Quel que soit le rapport entre les bons et les mauvais prêts dans un portefeuille donné, la comptabilité sera toujours compromise. Il s'agit de deux questions vraiment différentes.

La question qui s'impose est la suivante: avons-nous ici la possibilité de permettre aux banques de dispenser des services à un coût moindre? Il faut se demander si les fusions des banques seront réussies, c'est-à-dire si la Banque A et la Banque B seront capables de fusionner leurs activités, d'accepter leur structure respective et de faire les choses de façon plus efficiente. Je crois que ce serait le cas.

Le sénateur Oliver: Vous avez formulé un commentaire très intéressant en ce qui concerne l'intérêt public, en particulier les actionnaires canadiens et leurs actifs, en insistant fortement sur la possibilité de gains d'efficience. Ainsi, les particuliers canadiens qui possèdent des actions bancaires auraient tout intérêt à permettre les fusions, car ces gains d'efficience occasionneront probablement une hausse du rendement de leurs titres. D'autres témoins n'ont pas soulevé cet argument, et j'aimerais vous inviter à nous fournir des précisions, car il s'agit d'un argument assez unique.

M. McIntosh: Premièrement, pour toute personne qui a lu des livres sur les fusions, mes déclarations sont conformes aux théories économiques classiques. Comment évalue-t-on les fusions? On envisage les coûts occasionnés au consommateur, l'érosion du service à la clientèle découlant d'une concurrence réduite, et la possibilité d'une hausse des prix. On examine aussi les activités productives, c'est-à-dire celles qui, dans le cas qui nous occupe, permettent de générer des profits bancaires. Je soupçonne que tout le monde ici tirerait avantage d'un secteur bancaire sain, des façons suivantes. Vous êtes actionnaire d'une banque, que ce soit directement ou indirectement, c'est-à-dire par l'entremise de fonds communs ou de caisses de retraite. Je sais que mon fonds de retraite à Concordia a investi des sommes considérables dans les banques. Si les banques font bonne figure, il en va de même pour ma caisse de retraite. Si les banques éprouvent des difficultés, ma situation ne sera peut-être pas aussi avantageuse. Lorsqu'on affirme qu'on ne veut pas que les banques réalisent de gros bénéfices, et beaucoup de gens disent cela, on parle contre ses propres intérêts. On ne comprend pas que nos fonds communs et nos caisses de retraite iront beaucoup mieux si leurs actions bancaires affichent un bon rendement. C'est à cela que je voulais en venir.

Le sénateur Oliver: Grâce aux fusions.

M. McIntosh: Oui. Cela n'a rien à voir avec mes idées; c'est une théorie économique classique.

Le sénateur Oliver: Toutefois, c'est un argument que vous avez soulevé en faveur des fusions bancaires dans votre article.

M. McIntosh: Oui, bien sûr.

Le sénateur Oliver: Je crois que c'était bien fait. Merci.

Le sénateur Kroft: Avez-vous, pendant votre témoignage, émis un commentaire quant à l'opportunité d'encourager d'autres joueurs à faire une incursion sur le marché concurrentiel dans le cadre d'un processus de fusion?

M. McIntosh: Oui.

Le sénateur Kroft: Pourriez-vous répéter ce que vous avez dit sur le sujet?

M. McIntosh: Notre marché concurrentiel est imparfait. Nous parlons de joueurs qui détiennent une part de marché importante. Il faut se demander ce qui se produit lorsqu'un autre joueur plus modeste arrive sur le marché. Un joueur à coût élevé sera tout de même en mesure de participer, mais il soutirera des clients du joueur à faible coût, de sorte que tout le monde touche un peu moins d'argent et les coûts augmentent un peu. En réalité, l'arrivée d'un nouveau participant occasionne une hausse du coût du produit offert sur le marché. Cela peut vous sembler bizarre, mais, encore une fois, je ne fais que citer la théorie classique relative aux oligopoles.

Le sénateur Kroft: Vous supposez que le nouveau concurrent est un joueur à coût élevé?

M. McIntosh: Oui.

Le sénateur Kroft: Mais qu'est-ce qui se produit lorsqu'il s'agit d'un joueur d'envergure, comme HSBC ou ING. Comme le représentant d'ING nous l'a clairement fait savoir, cette société n'assure pas une présence physique, mais qu'arriverait-il si elle décidait d'assurer une présence authentique, comme c'est certainement le cas pour HSBC. On pourrait présumer que HSBC est une échelle supérieure à celle de toute banque canadienne. Quelle hypothèse pourrait- on établir dans une telle situation?

M. McIntosh: Lorsque vous parlez d'ING, vous parlez d'une institution spécialisée.

Le sénateur Kroft: Pour l'instant, ING a adopté une stratégie de marché spécialisée sur le marché canadien, mais elle a appliqué de nombreuses autres stratégies ailleurs, et on peut supposer qu'elle pourrait le faire ici. Histoire de simplifier les choses, tenons-nous-en à HSBC.

M. McIntosh: Cette société compte un nombre modeste de succursales. Je supposerais que HBSC dispense probablement des services à coût plus élevé que la Banque Royale du Canada. Il en est ainsi parce que la Banque Royale compte un nombre beaucoup plus important de succursales et de clients pour amortir ses coûts d'investissement, ce qui nous ramène à l'argument classique de l'efficience d'échelle.

Le sénateur Kroft: Finalement, les avantages au chapitre de l'efficience augmentent avec la part de marché.

M. McIntosh: L'un des théorèmes propres au domaine pose que le joueur possédant la plus grosse part de marché affiche le coût marginal le plus bas. C'est l'une des propriétés du modèle.

Le sénateur Kroft: Est-ce que cela encouragerait les fusions successives? La théorie économique limite-t-elle l'idée selon laquelle s'il ne reste qu'un seul concurrent, ce dernier touche une fortune et tout le monde jouit de frais bancaires avantageux?

M. McIntosh: J'ai effectué un certain nombre de simulations qui ne figurent pas dans mon étude. J'ai commencé avec un nombre important de banques, et je me suis demandé ce qui se produirait, compte tenu des économies d'échelle que nous avons. Nous passons de neuf banques à huit, de huit à sept, de sept à six, et ainsi de suite. Ensuite, je me suis penché sur le point limite. Où est ce point limite, ce seuil à partir duquel le prix commence à augmenter? Il se situe autour de trois. Si nous avons quatre grandes banques à charte, cela n'occasionnera pas de coûts supplémentaires au consommateur. Si nous passons de quatre à trois banques, nous franchissons le seuil à partir duquel le prix est susceptible d'augmenter, où les aspects liés à la concurrence risquent de l'emporter sur les gains d'efficience.

Les banques sont là pour faire de l'argent. Elles imposeront le prix qui leur est le plus avantageux. Les banques n'ont pas de visées altruistes. Elles appliquent le prix applicable à un oligopole, c'est-à-dire le meilleur prix possible.

Le sénateur Kroft: À un certain niveau de dominance, elles commenceraient à augmenter leurs prix suffisamment pour accroître leur part de marché?

M. McIntosh: Nous n'avons pas avantage à avoir seulement deux banques à charte au Canada. Nous devons en avoir plus que ça.

Le sénateur Kroft: C'est ce que je voulais clarifier.

Le sénateur Meighen: Vous avez posé la question qui m'intéressait. Monsieur McIntosh, est-ce un nombre qui vous satisfait aujourd'hui et pour un avenir rapproché? Pendant combien de temps pouvons-nous dire que le minimum doit être de quatre banques? Est-ce que cela est fonction de facteurs externes?

M. McIntosh: La technologie évolue. L'une des caractéristiques de la dernière décennie est la croissance des opérations bancaires sur Internet et la multiplication des guichets automatiques. Ces deux facteurs ont rendu les succursales moins rentables. Lundi, le sénateur Kolber a fait référence à notre conversation téléphonique au sujet de l'avenir du système bancaire. Je ne suis pas très optimiste. Si les fusions n'ont pas lieu, nous éprouverons de graves problèmes dans cinq ans. Toutefois, dans le contexte actuel, où le progrès technologique est si rapide, un horizon prévisionnel de cinq ans, c'est très long.

Il est possible que l'évolution des nouvelles technologies nous permette de nous tirer d'affaire avec trois banques, à condition qu'on établisse des freins et contrepoids et que d'autres joueurs offrant des services spécialisés arrivent sur le marché. J'aimerais voir la Banque Royale du Canada aller en Hollande et offrir des services bancaires virtuels, exactement de la même façon qu'ING offre des services bancaires spécialisés ici. Pourquoi ne fait-elle pas cela? Elle n'est probablement pas assez grosse pour assumer un tel risque. Elle aurait la possibilité de le faire si elle était plus grosse.

Le sénateur Meighen: Pouvons-nous conclure, donc, que M. McIntosh estime qu'il est dans l'intérêt public d'approuver les fusions des banques, mais qu'il faut au moins trois ou quatre banques?

M. McIntosh: Oui.

Le sénateur Meighen: Lorsque vous mentionnez «d'autres joueurs», est-ce que cela comprend d'autres fournisseurs de services non spécialisés, comme les coopératives d'épargne et de crédit, les banques régionales, les sociétés d'assurance et d'autres institutions du genre?

M. McIntosh: Mon modèle a été qualifié de «modèle oligopolistique assorti d'une concurrence périphérique».

Le sénateur Meighen: C'est un bon titre accrocheur.

M. McIntosh: La «concurrence périphérique» comprend d'autres intervenants et des banques, ainsi que les coopératives d'épargne et de crédit et les autres fournisseurs de services. Ces intervenants n'influent pas sur le prix. Ils servent un groupe de consommateurs et se fondent sur les prix fixés par les joueurs d'envergure sur le marché. On tient compte de ces intervenants, mais je ne peux pas vous dire grand chose sur le sujet, car je n'ai pas consacré beaucoup de temps à les étudier.

Le sénateur Meighen: Selon vous, ils n'ont pas une incidence fondamentale sur la théorie que vous avancez?

M. McIntosh: Le prix est déterminé par les cinq ou six plus gros joueurs. Les coopératives d'épargne et de crédit réagissent à ce prix. Elles peuvent appliquer des prix différents, offrir des services différents et servir une clientèle spéciale. Pourquoi les banques ne sont-elles pas confrontées à une concurrence accrue? Pourquoi les coopératives d'épargne et de crédit ne prennent-elles pas de l'expansion? Pourquoi leur popularité ne grandit-elle pas? Pourquoi leur clientèle ne croît-elle pas? Il y a sûrement une raison pour cela. Je soupçonne qu'elles éprouvent de la difficulté à faire concurrence aux banques. Tout le monde a de la difficulté à faire concurrence aux banques.

Le sénateur Meighen: Dans d'autres pays, comme la Hollande et la Suisse, on constate l'existence d'établissements de deuxième et de troisième rang très actifs, comme les bureaux de poste, les établissements de dépôt et d'autres institutions similaires, bien que j'ignore le niveau de concurrence qu'on y trouve. Avez-vous une théorie qui pourrait expliquer pourquoi on ne trouve pas d'établissements de ce genre au Canada?

M. McIntosh: Je ne peux expliquer pourquoi les établissements de deuxième rang seraient plus forts dans un pays et ne le seraient pas dans un autre, si ce n'est que certaines personnes ont laissé entendre que le bureau de poste reçoit un peu d'aide du gouvernement, ce qui se révèle avantageux dans cette situation.

Le sénateur Meighen: Nos dépanneurs obtiennent un peu d'aide du bureau de poste.

M. McIntosh: Oui.

Le président: Je sais que nous avons eu cette conversation au téléphone et que je l'ai mentionné aux membres du comité, mais pour mémoire, si vous aviez une boule de cristal et qu'il n'y avait aucune fusion, que se produirait-il au cours des cinq à dix prochaines années?

M. McIntosh: Le pronostic n'est pas rose. Je crois que la CIBC éprouve de la difficulté à faire une incursion sur le marché américain. On y trouve de nombreux joueurs d'envergure à l'heure actuelle. Je crois que le Wal-Mart des services financiers, c'est-à-dire Citigroup, est déjà arrivé. C'est un modèle qui sera adopté par d'autres.

Il y a un nombre énorme de fusions aux États-Unis, mais on remarque aussi que des joueurs de calibre s'unissent et fusionnent. Si les banques canadiennes n'arrivent pas à prendre de l'ampleur au pays, elles éprouveront de la difficulté à réussir aux États-Unis. Afin de me préparer pour mon témoignage, j'ai lu le livre The Banks de Les Whittington, qui contient une longue entrevue avec John Cleghorn. John Cleghorn y déclarait qu'il éprouvait de la difficulté à trouver un partenaire américain convenable, car ils étaient trop coûteux. C'est une autre façon de dire que la Banque Royale est trop petite pour acquérir des partenaires américains. Je ne suis pas optimiste.

Laissez-moi conclure en disant que nous avons des problèmes fondamentaux au Canada. Le problème, c'est que nous sommes canadiens. Nous avons un petit marché, et nous affichons une croissance des rendements d'échelle. Cela signifie qu'on ne peut avoir un nombre important de joueurs rentables. Cela constitue une difficulté. Nous aimerions avoir de nombreuses choses, mais elles ne sont pas réalisables.

La bonne nouvelle, c'est que le pronostic du secteur financier canadien est raisonnable, alors que celui du secteur aérien est totalement désastreux. Je ne vois aucune solution aux problèmes de ce secteur. Toutefois, il y a des solutions aux problèmes du secteur canadien des services financiers.

Le sénateur Tkachuk: J'aimerais terminer en vous demandant une explication. Vous parlez des banques japonaises. Je suis certain que je pourrais poser la question au sénateur Oliver, qui a lu votre étude et pourrait la comprendre, mais je me suis dit que je pourrais poser la question à l'auteur. Vous affirmez que la première raison pour laquelle nous devrions examiner le cas des banques japonaises tient au fait qu'elles «utilisent la fonction de coût pondéré (qui s'ajuste à la fonction translog quadratique séparable) et les formes fonctionnelles translog généralisées à titre de cas particuliers».

Bien sûr. Pourriez-vous m'aider? Je crois avoir compris votre deuxième raison, mais je ne comprends pas la première. Qu'est-ce que cela signifie?

M. McIntosh: Cela signifie qu'on a utilisé des méthodes plus générales que dans le cadre de l'étude des banques américaines.

Le président: Je vous remercie de votre participation.

La séance se poursuit à huis clos.


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