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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 13 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 1er avril 2003

Le Comité sénatorial permanent se réunit ce jour à 17 h 04 afin d'examiner les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique, en vue d'en faire rapport.

Le sénateur Consiglio Di Nino (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: Je déclare la séance ouverte.

Avant de commencer, je dois attirer votre attention sur la présence parmi nous de l'ex-sénateur Stewart; je le fais surtout à l'intention de ceux d'entre vous qui n'ont pas eu l'occasion de le saluer. Le sénateur Stewart, comme vous le savez, a longtemps siégé à ce comité dont il a été président. Bienvenue parmi nous, sénateur Stewart.

Mesdames et messieurs, chers collègues, je vous informe que notre réunion se poursuivra après l'audition des témoins inscrits, puisque entre 18 h 15 et 18 h 30, nous accueillerons Perrin Beatty, pdg des Manufacturiers et exportateurs du Canada.

Bienvenue à tout le monde. Nous allons donc parler des relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique.

Je vais maintenant souhaiter la bienvenue, en votre nom chers collègues, à Dennis Deveau, responsable des liaisons gouvernementales au Syndicat des Métallos, à David Adams, vice-président, Politique, à l'Association canadienne des constructeurs de véhicule, ainsi qu'à Richard Paton et David Goffin, président et vice-président, Affaires économiques et commerciales, à l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques.

Bienvenue messieurs.

Le sénateur Carney: Je veux faire un rappel au Règlement. Je ne savais pas que le Sénat avait ajourné, mais j'avais indiqué au greffier, avant cette réunion, que je voulais officiellement déposer au Comité sénatorial permanent le rapport concernant la 16e Conférence annuelle sur la foresterie dans le monde de Price Waterhouse Coopers, plus précisément en ce qui a trait au dossier du bois d'œuvre, conférence à laquelle j'ai participé au nom du Sénat la semaine dernière.

Le vice-président: Comme je le disais, nous serons heureux de le faire en votre nom. Vous l'avez effectivement déposé et je l'ai ici, avec moi. Nous le ferons circuler auprès de tous les membres du comité.

Le sénateur Carney a assisté à cette conférence où elle a représenté le comité, le président, le sénateur Stollery, et moi-même. C'est avec plaisir que nous recevons votre rapport. Si cela ne vous fait rien, nous en parlerons à un moment plus opportun, plutôt que de le faire aujourd'hui.

Le sénateur Carney: Tant qu'il est déposé.

Le vice-président: Il est effectivement déposé.

M. Dennis Deveau, Liaisons gouvernementales, Service législatif, Syndicat des Métallos: Au nom du Syndicat des Métallos, je tiens à remercier le comité de nous avoir invités à discuter des enjeux associés à la participation du Canada à l'ALENA et à l'expérience qu'il en a tirée.

Cette discussion est importante pour deux raisons. Tout d'abord, les dispositions de l'ALENA ont eu une profonde incidence sur le Canada et les Canadiens; deuxièmement, l'Accord de libre-échange canado-américain, puis l'ALENA, ont servi de modèle à d'autres ententes, d'application plus vaste, dont l'Accord multilatéral sur les investissements, la poursuite des négociations à l'OMC et la ZLEA.

L'ALENA intéresse le Canada et d'autres pays, mais pas pour la façon dont il régit de façon traditionnelle les mouvements de biens et les tarifs. L'ALENA est important parce qu'il est novateur dans des domaines qui ne sont reliés qu'indirectement aux échanges internationaux.

L'ALE et l'ALENA étendent la portée des accords commerciaux sur plusieurs plans. Ces ententes définissaient de façon exhaustive ce qu'il fallait entendre par «biens» régis par un accord commercial. Elles ont élargi le concept de commerce international aux services, mettant du même coup sur la table tout ce dont le secteur public s'occupe normalement. Ils ont établi des droits des investisseurs, notamment les droits à la propriété intellectuelle qui ont primé sur les lois nationales en accordant certains droits aux sociétés supranationales et en exigeant que les gouvernements les dédommagent en cas de limitation de ces droits. Ces ententes limitent les politiques gouvernementales dans des domaines comme l'énergie et les marchés publics. Concrètement, elles proposent un critère d'évaluation de l'efficacité des mesures volontaires dans le domaine des droits du travail et de l'environnement.

Tout cela est nouveau. Chacun de ces éléments a été source de controverse et, jusqu'ici, aucun n'a fait l'objet d'un examen public critique.

À cause de la définition très large du terme «biens», la question de l'exportation des eaux canadiennes s'est retrouvée à la table des négociations, malgré les nombreuses déclarations du gouvernement selon lesquelles l'eau ne serait jamais à vendre.

À cause de l'inclusion des services, le système de santé au Canada est menacé, la réforme des soins est plus compliquée et il est extrêmement difficile de ne pas étendre ces accords au système public. L'élargissement des droits à la propriété intellectuelle a directement contribué à l'augmentation rapide du prix des médicaments que l'on a constaté au Canada ces 10 dernières années avec, pour résultat, que la viabilité des régimes d'assurance-médicaments publics et privés est maintenant menacée. Notre syndicat administrant ses propres régimes, nous comprenons parfaitement ce qui se produit dans ce domaine.

À cause des dispositions relatives au dédommagement des investisseurs, les gouvernements du Canada, des États- Unis et du Mexique ont dû verser des dédommagements à des sociétés affectées par des règlements gouvernementaux pourtant pris dans l'intérêt public. À cause des limitations imposées à la politique énergétique canadienne, le Canada n'a pas été en mesure de mettre en œuvre des politiques publiques susceptibles d'aider les familles et les entreprises canadiennes à faire face aux fluctuations des prix internationaux de l'énergie et ont indirectement contribué à l'instabilité qui afflige les marchés de l'électricité un peu partout au pays.

Fort de l'expérience acquise dans le domaine, notre syndicat estime que les accords d'accompagnement relatifs au marché du travail et à l'environnement sont totalement inutiles et qu'ils n'ont été qu'une perte de temps et d'énergie. D'un autre côté, j'estime important de souligner que les objectifs originels de l'ALE et de l'ALENA, tels que présentés par la commission MacDonald et le gouvernement Mulroney, n'ont pas été atteints.

À l'époque, on nous avait dit que ces accords conclus avec les États-Unis allaient protéger les Canadiens contre les répercussions des politiques commerciales américaines. On avait spécifiquement cité le bois d'œuvre et l'acier comme étant deux domaines qui ressortiraient gagnants de tels accords. Treize ans et trois mois après l'ALE-ALENA, rien n'a changé. Le bois d'œuvre est encore l'otage des politiques commerciales américaines. Les questions liées à l'acier, qui est si cher à nos cœurs, continuent de se régler à l'échelon politique et entre nos deux pays et nos deux industries.

Pour les Canadiennes et les Canadiens, l'ALENA n'a pas été à la hauteur de ses promesses. Il a imposé un ensemble de règles et de restrictions auxquelles la plupart des Canadiens ne s'attendaient pas. Malgré l'émergence de ces questions importantes, on a accordé une grande importance aux mesures associées à l'ALENA. La partie de cet accord concernant les droits des investisseurs a inspiré et engendré l'Accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI.

La controverse qui a entouré l'AMI n'était pas négligeable, parce qu'elle a attiré l'attention du public sur ce qu'étaient ces droits extraordinaires, en grande partie déjà contenus dans l'ALENA, et parce que les fuites dont le projet d'entente secrète a fait l'objet ont provoqué un tollé politique. Pour la première fois, des organisations non gouvernementales du monde entier se sont mises à travailler ensemble sur le dossier du commerce international et à parvenir à des résultats.

La controverse de l'AMI a attiré l'attention du public sur la nature très générale des droits des investisseurs, qu'avaient réclamé les sociétés internationales, droits qui étaient déjà, en grande partie, énoncés dans l'Accord de libre- échange et l'ALENA. Le basculement des pouvoirs proposés dans l'AMI, des détenteurs du capital public aux détenteurs du capital privé, est tombé à plat. Les gens en ont pris note, mais n'en ont pas été impressionnés.

Plus encore, ce projet a exposé les priorités malhonnêtes et inadaptées des gouvernements dans leurs négociations sur le commerce international. Ce qui a le plus outragé la population dans le cas de l'AMI c'est que, malgré tous les problèmes associés au système de commerce international et à ses effets sur les populations, nos gouvernements ont décidé de consacrer leur temps et leur énergie politique à négocier une déclaration d'indépendance des détenteurs de capital. Ce sera aujourd'hui l'essentiel de mon propos: les priorités.

Nous ne sommes pas venus vous dire aujourd'hui que le commerce international n'est pas important pour le Canada ou que nous pouvons nous passer d'ententes régissant les méthodes de négociation. J'irai même jusqu'à dire que le retrait progressif des tarifs imposés sur les biens et services, grâce à l'ALENA, est à présent acquis et qu'il ne faut pas revenir en arrière. Toutefois, j'estime que la réaction publique soulevée par l'AMI nous indique qu'il convient de prendre un certain recul pour répondre à une question fondamentale: tout cela correspond-il vraiment au genre d'univers économique que nous voulons créer?

Voulons-nous vraiment créer un univers où les détenteurs de capital, résidents de pays étrangers, jouiront de plus de droits que nos concitoyens? Voulons-nous vraiment créer un univers où les règlements démocratiques destinés à régir l'activité économique seront remplacés par un régime réglementaire international obéissant aux intérêts des entreprises et échappant à toute forme de reddition de comptes? Voulons-nous vraiment d'un univers où les décisions économiques les plus importantes seront prises par d'autres que des gouvernements démocratiquement élus?

J'estime que la réaction publique à l'AMI et à l'inscription à l'ordre du jour des négociations de l'OMC et de la ZLEA de mesures semblables nous montre bien que les Canadiens ne veulent pas d'un tel univers économique. Ils nous préviennent, un peu partout, que l'ALE et l'ALENA nous ont amenés là où nous ne voulions pas aller. Quand il n'est pas possible de modifier un règlement relatif aux additifs de l'essence sans avoir à dédommager une société étrangère — dédommagement auquel aucune compagnie canadienne n'aura jamais droit — il est certain que les choses vont de travers. Quand il s'avère que les protections que le gouvernement nous affirmait avoir obtenues en matière de politique culturelle ne signifient rien pour le pays avec qui nous les avons négociées, nous savons que les choses vont de travers.

Pour vous parler de choses qui touchent nos membres de plus près, on sait que les choses vont de travers quand les produits de l'acier et du bois sont pris en otage dans les différends concernant les politiques culturelles, tout comme au bon vieux temps, à l'époque où l'on ne parlait pas encore de soi-disant libre-échange.

Nous sommes un peu comme les mineurs du temps passé, qui se promenaient au fond d'un boyau avec un canari en cage en train d'étouffer, parce qu'au lieu de remonter à la surface pour prendre une bouffée d'air frais, nous nous enfonçons de plus en plus profondément. Il est temps de définir ce qui est important et ce qui ne l'est pas.

Quelqu'un, quelque part, peut estimer qu'il est important d'éviter que Bill Gates ne perde quelques milliards de dollars de plus à cause du piratage de logiciels par des Chinois. Il est possible que, quelqu'un, quelque part, juge important de s'assurer que les banques soient dédommagées quand leurs investissements spéculatifs à haut rendement tournent mal. Il est possible que quelqu'un, quelque part, juge important de protéger les grandes sociétés agricoles américaines contre la «concurrence déloyale» de pays qui ne peuvent s'offrir de subventions, même si cela doit détruire la base économique des nations les plus pauvres. Il est possible que quelqu'un, quelque part, juge raisonnable de s'en remettre à un régime d'échanges commerciaux dans les domaines des biens et des services et ne fasse rien pour empêcher les États-Unis d'exercer un chantage sur la politique culturelle par le biais du commerce de l'acier.

Tout cela est-il plus important que de chercher à favoriser le développement économique des pays les plus démunis du monde? Plus important que de chercher à faire en sorte que la puissance ne prenne pas le pas sur les droits chaque fois qu'une entreprise américaine est mécontente? Plus important que de veiller à ce que les droits du travail et les normes environnementales soient protégés? Plus important que de protéger la capacité des gouvernements d'imposer le capital afin de payer les services que veulent les citoyens? Nous ne le pensons pas. C'est pour cela que nous estimons qu'il faudrait établir une nouvelle série de priorités en matière de négociations économiques internationales.

Mettons en sourdine pour un temps la question des privilèges accordés aux investissements internationaux. Allons même au-delà. N'en parlons même plus, n'y pensons plus, jetons-la aux oubliettes. La dernière chose qu'il faut faire aujourd'hui, c'est d'accorder davantage de privilèges aux détenteurs de capital et de réduire leurs responsabilités. J'estime que le Canada devrait informer ses partenaires de son intention de suspendre l'application des articles de l'ALENA relatifs aux droits des investisseurs, en tant que première étape destinée à nous amener au-delà de cet aspect des droits des investisseurs, ce qui sera notre seule priorité aux tables de négociation sur le commerce international.

Ensuite, examinons de près le modèle actuel de libéralisation commerciale quant aux conditions de travail et à la qualité de l'environnement, aux droits de la personne, au développement économique, à la stabilité sociale, à la reddition de comptes démocratique et à la capacité des gouvernements d'offrir les services que les citoyens méritent et dont ils ont besoin. Ensuite, établissons un programme de négociation à l'échelle internationale qui nous permettra de régler tous ces problèmes en tenant compte du point de vue des peuples du monde.

M. David C. Adams, vice-président, Politique, Association canadienne des constructeurs de véhicules: Honorables sénateurs, merci de nous donner l'occasion de comparaître devant vous cet après-midi. Nous nous réjouissons de pouvoir vous faire part de notre point de vue, aux côtés des autres intervenants, sur nos relations commerciales entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Les notes d'information qui vous ont été remises contiennent un exposé un peu plus long que celui que je vais vous faire, de même que des renseignements sur notre association. Je ne consacrerai donc pas beaucoup de temps à ces aspects. Je me propose plutôt de vous parler de trois grandes questions: la nécessité d'une plus grande transparence, l'harmonisation des normes avec les États-Unis et la réglementation de nos relations commerciales.

À l'occasion des audiences des derniers mois, vous avez surtout parlé d'ALE et d'ALENA. Pour ma part, je vais d'abord et avant tout vous parler de l'industrie automobile.

Commençons par l'accord de 1965 concernant les produits de l'industrie automobile, c'est-à-dire le Pacte de l'auto qui, à l'époque, a rationalisé l'industrie automobile à l'échelle nord-américaine. Cet accord prévoyait un régime d'admission en franchise de pièces et de véhicules finis, à une époque où la frontière était presque transparente, question sur laquelle je reviendrai plus tard.

Le Pacte a aussi garanti les investissements au Canada, parce que les entreprises signataires bénéficiaient d'un régime d'admission en franchise pour les véhicules assemblés et pour les pièces à condition qu'un véhicule soit produit au Canada pour chaque véhicule vendu ici. Le résultat, je crois, se passe de commentaires. Le Canada assume actuellement 16 p. 100 environ de la production automobile en Amérique du Nord, bien que notre marché à la consommation ne représente qu'environ 8 p. 100 du marché nord-américain.

Les exportations dans le domaine de l'auto représentent environ 20 p. 100 des exportations canadiennes vers les États-Unis, et il s'agit du premier secteur d'exportation pour le Canada. L'automobile représente aussi une vingtaine de pour cent des importations canadiennes en provenance des États-Unis. Plus important encore pour l'industrie automobile, la quasi-totalité de nos exportations d'automobile, soit 97 p. 100, est destinée aux États-Unis et 80 p. 100 de nos importations viennent de ce pays. Voilà, je pense, qui en dit long sur l'intégration dont cette industrie a fait l'objet au cours des 40 dernières années. Il est clair que nous devons veiller à maintenir cette relation avec notre principal partenaire commercial.

Pour savoir à quel point cette industrie est intégrée, il suffit de mentionner que 58 p. 100 des usines d'assemblage américaines et la totalité des usines d'assemblage canadiennes se trouvent dans un rayon de 400 milles de Detroit- Windsor; 92 p. 100 des usines américaines de pièces de premier niveau se trouvent aussi dans un rayon de 400 milles de la frontière entre Detroit et Windsor.

Quand j'ai fait allusion à la frontière transparente, je ne voulais pas dire qu'elle n'existe pas, puisqu'elle est bien là, comme les événements du 11 septembre nous l'ont rappelé. Ce que je veux dire par «transparente» c'est que cette frontière ne tient pas compte des décisions d'investissement prises par les entreprises. Comme je le disais tout à l'heure, en 1965, ce problème ne se posait pas. Toutefois, le comité sait parfaitement que le commerce bilatéral entre le Canada et les États-Unis a augmenté de 120 p. 100 depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA, mais que l'on n'a pas assisté à une augmentation proportionnelle de l'infrastructure transfrontière, surtout dans le sud de l'Ontario où le corridor Detroit- Windsor et le port Huron-Sarnia voient passer 40 p. 100 des exportations canadiennes vers les États-Unis.

Les congestions aux postes frontières et les retards que cela provoque menacent le principe de frontière transparente depuis plus d'une dizaine d'années.

Pourquoi est-il si important de pouvoir compter sur une frontière transparente? À cause du principe du juste à temps qui fait maintenant partie des réalités du secteur de l'automobile et des autres secteurs ayant témoigné devant ce comité. Le juste à temps dépend du camionnage pour livrer les inventaires dans les usines d'assemblage, au bon endroit et au bon moment et dans les quantités voulues, afin d'alimenter les chaînes de montage. Une chaîne qui manque de pièce est une chaîne qu'il faut arrêter. Une étude réalisée par le secteur privé a évalué la perte de revenu occasionnée par l'arrêt d'une chaîne de montage à plus de 1,5 million de dollars de l'heure. L'usine de montage qui voudrait se placer à l'abri des retards occasionnés par le franchissement de la frontière l'obligerait à se constituer un inventaire supplémentaire évalué entre 400 000 et 800 000 $ américains de l'heure. Tous ces coûts ne sont pas négligeables.

L'industrie de l'automobile participe activement à de nombreuses initiatives et elle a investi d'importantes ressources financières pour garantir le meilleur accès possible aux deux côtés de la frontière.

À cet égard, il faut savoir que DaimlerChrysler, Ford et General Motors, qui font partie de nos membres, ont été les premiers fabricants à conclure plusieurs ententes portant sur des programmes de l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Par exemple, le Programme d'autocotisation des douanes repose sur l'utilisation d'importateurs, de chauffeurs et de transporteurs autorisés afin d'accélérer le passage de la frontière et de permettre aux fabricants de retracer leurs expéditions lors d'une vérification postérieure. En vertu du programme de protection des partenaires, nos membres sont déterminés à améliorer les procédures de sécurité tout au long de la chaîne d'approvisionnement, notamment au niveau des installations et du personnel.

Le programme d'accélération et de sécurisation des échanges commerciaux, EXPRES, est administré en collaboration par le Canada et les États-Unis en vertu de l'accord en 30 points concernant le commerce harmonisé, qui avait été négocié par le premier ministre Chrétien et le Président Bush à la fin de 2001. En vertu de ce programme, les deux pays approuvent a priori les expéditions transfrontières à faible risque. EXPRES s'appuie sur le Programme d'autocotisation des douanes, dont je viens juste de parler, et sur le programme canadien «Partenaires en protection». Du côté américain, il s'appuie sur le projet «National Customs Automation Prototype» et sur le programme «Customs- Trade Partnership Against Terrorism». Grâce à ces dispositions, les services douaniers des deux côtés de la frontière repèrent les expéditions à faible risque et les dédouanent d'avance, ce qui leur permet de concentrer leurs ressources sur des expéditions à haut risque ou qui ne leur sont pas connues.

En outre, l'industrie a pris part à la mise en œuvre du plan d'action en 30 points, dont elle a suivi les progrès; ce plan avait été arrêté en vertu de l'Accord sur la frontière intelligente. Nous avons ouvertement réclamé que l'on améliore les infrastructures conduisant aux postes aux frontières et aux postes aux frontières eux-mêmes.

En outre, nous avons collaboré avec nos sociétés affiliées aux États-Unis et avec des associations de gens d'affaires, au Canada et aux États-Unis, pour insister auprès des gouvernements afin qu'ils appliquent des solutions susceptibles de favoriser le commerce transfrontière sans pour autant compromettre la sécurité.

Nous pouvons toujours adopter rapidement toutes les initiatives que nous voudrons du côté canadien en matière de dédouanement et d'amélioration des infrastructures, mais celles-ci ne porteront pas fruit si elles ne sont pas coordonnées avec les organismes gouvernementaux appropriés du côté américain.

L'amélioration des infrastructures et les procédures de dédouanement à la frontière sont les deux facettes d'un seul et même problème. Nous avons formulé des recommandations sur la façon de dépenser les fonds d'amélioration des infrastructures annoncées à la fin de l'année dernière. Je parle ici des 150 millions de dollars promis par l'Ontario et des 150 autres promis par le gouvernement fédéral. Nous ne savons pas encore exactement comment cet argent sera dépensé, malgré les recommandations formulées par le comité de gestion mixte.

Il est bien que des mesures douanières permettent de rationaliser les échanges commerciaux à la frontière. Toutefois, si vous ne pouvez faire passer vos camions par les postes frontières à cause de problèmes d'infrastructure, les procédures accélérées ne servent pas à grand-chose.

Il y a donc lieu d'agir. Comme je le disais, il n'est pas question de ne rien faire. Ne rien faire reviendrait à imposer une barrière non tarifaire à la frontière, mettre les investissements au Canada en danger et à saper une grande partie des gains que nous avons réalisés grâce à l'ALE et à l'ALENA.

Nous recommandons que le gouvernement prenne l'initiative en matière d'amélioration des infrastructures aux postes frontières. De nombreux ordres de gouvernement étant concernés, il est essentiel que le gouvernement assume le leadership.

Nous demandons que le gouvernement du Canada continue de collaborer avec le gouvernement américain pour régler les questions de sécurité à la frontière, pour les voyageurs et les marchandises. Nous demandons aussi que le gouvernement cherche à obtenir l'assurance du gouvernement américain que les expéditions présentant un faible risque, provenant d'expéditeurs à bas risque qui ont investi dans un programme comme EXPRES, bénéficient d'un accès préférentiel dans les deux sens.

Nous demandons aussi que le gouvernement fédéral veille à mettre sur pied un plan d'urgence concernant le secteur public et le secteur privé, plan qui traitera de toutes les situations de menace éventuelle à la frontière. Celui-ci devrait être aussi mentionner le rôle des organismes responsables du côté américain.

Nous pensons, par ailleurs, qu'il serait possible de faire beaucoup en consultant les intervenants publics et privés au sujet de la frontière. Pour cela, il faudra lancer des initiatives de collaboration transfrontière. Le partenariat canado- américain de 1999 est l'un des programmes dont on pourrait s'inspirer à cet égard. Il est déterminant, pour notre industrie, que la frontière soit transparente. Certains d'entre vous auront peut-être pris connaissance d'un récent document du C.D. Howe Institute intitulé «Risky Business: U.S. Border Security and the Threat to Canadian Exports». On peut y lire que l'industrie automobile représente près de 2,3 milliards des 3,6 milliards d'investissement à risque et 113 000 des 380 000 emplois également à risque à cause des problèmes croissants de sécurité à la frontière.

Compte tenu de l'actuelle situation internationale et du fait que 3 p. 100 seulement du PIB américain dépendent des exportations vers le Canada, tandis que 40 p. 100 du PIB canadien dépendent de nos exportations vers les États-Unis, il s'ensuit que nous devons tous veiller à ce que la frontière demeure ouverte et sûre.

Pour ce qui est de l'harmonisation des normes en vertu des accords de libre-échange, nous estimons qu'un manufacturier ne pourra vraiment réaliser d'économie d'échelle que s'il fabrique un produit conforme à des normes communes et pouvant être écoulé sur un grand nombre de marchés. Ce faisant, les coûts d'immobilisation, de conception et de R-D peuvent être amortis sur un volume de ventes plus important. En revanche, dès qu'il faut répondre à des normes uniques, les coûts augmentent et il peut alors être très coûteux de concevoir des produits destinés à des marchés de faible volume, ce qui est le cas du marché canadien dans le contexte nord-américain. Dans notre industrie, quand nous parlons d'harmonisation, cela veut dire que nous appliquons à tous les véhicules le même concept sur les plans de la structure et du matériel, qu'il n'y a qu'une seule phase de conception et de certification en vertu d'un même protocole.

La norme canadienne actuelle de sécurité automobile applicable à la protection des passagers avant est un exemple de norme réglementaire différente entre le Canada et les États-Unis. Le gouvernement canadien envisage de mettre en place une norme différente qui n'explique pas, ni sur le plan technologique ni sur un autre plan, pourquoi les occupants de véhicules au Canada devraient être protégés différemment de leurs voisins du Sud. Cette absence d'harmonisation risque de limiter la capacité de notre industrie de fournir aux Canadiens toute la gamme de produits ainsi que les derniers progrès en matière de sécurité automobile et de contrôle des émissions, au moindre coût possible.

Nous recommandons donc que, dans la mesure du possible, les normes et les règlements entre pays de l'ALENA soient harmonisés et que des ententes de reconnaissance mutuelle soient conclues sauf si, à la suite d'une analyse coûts- bénéfices rigoureuse, on en venait à conclure que des normes uniques sont justifiées dans l'intérêt du public.

Nous recommandons aussi de veiller à ce que les autres pays avec qui nous négocions soient membres du Forum mondial pour l'harmonisation des règlements automobiles ou qu'ils appliquent des ententes de reconnaissance mutuelles pour appliquer les normes européennes ou nord-américaines à leurs marchés intérieurs. Dans tous les cas, nous recommandons de nous concentrer sur le marché américain en matière d'harmonisation.

Jusqu'ici, le Canada a appliqué une approche solide, fondée sur des règles, dans ses relations commerciales afin de régler le problème des différences entre le pouvoir économique et le pouvoir politique qui pouvaient exister entre nous et les pays avec qui nous avons négocié. Il sera important de prendre acte des secteurs clés de l'économie dans nos futures négociations commerciales.

Il existait jadis des axes de négociation distincts pour l'industrie de l'automobile, dans le cadre de l'ALE et de l'ALENA, et nous estimons qu'il serait prudent de maintenir ce genre d'approche dans nos négociations futures.

Le Canada est l'un des marchés de l'automobile les plus ouverts et les plus compétitifs du monde, puisqu'il compte plus de 25 manufacturiers pour un même marché, manufacturiers dont les clients bénéficient de certains des prix les plus bas du monde.

Il n'existe que très peu de restrictions. Nous recommandons que le Canada ne négocie d'autres réductions tarifaires que dans le contexte de discussions commerciales multilatérales et qu'il obtienne la garantie que d'autres pays élimineront aussi leurs barrières non tarifaires comme les contingents d'importation, les taxes et les critères d'enregistrement, de licence et d'homologation, de même que les normes nationales particulières et les exigences relatives au contenu local qui ne font qu'entraver le commerce international.

Je m'arrêterai ici pour laisser la parole aux autres participants.

M. Richard Paton, président, Association canadienne des fabricants de produits chimiques: C'est moi qui vais faire l'exposé, mais M. Goffin étant beaucoup plus au courant que moi d'un grand nombre d'enjeux il m'aidera à répondre à vos questions.

Honorables sénateurs, merci de nous donner l'occasion de nous adresser à vous au sujet de cette question très importante pour l'avenir de notre industrie et du Canada. Les accords en question sont destinés à renforcer le partenariat en Amérique du Nord.

Nous avons préparé à votre intention un document d'information intitulé «Renforcer le partenariat économique nord-américain: Enjeux et possibilités pour l'industrie chimique». Je le commenterai brièvement pour réserver le plus de temps possible à vos questions.

Notre association a été l'une des premières au Canada à se prononcer en faveur des accords de libre-échange avec les États-Unis, et ce dès le début des années 80. Nous étions partisans d'un commerce plus ouvert à l'époque, parce que nous étions déjà l'une des industries les plus capitalistiques du monde. Nous avions évolué au point d'avoir des usines de plus en plus coûteuses, nécessitant des investissements de plus en plus importants, les coûts de l'immobilier oscillant entre 300 millions et 1 milliard de dollars par entreprise. De telles infrastructures devaient s'adresser à un marché beaucoup plus vaste que le marché canadien.

Nous avons dû construire des usines adaptées au marché nord-américain et à des marchés davantage internationaux. S'il avait été impossible de construire de telles usines ici pour un marché plus vaste que le marché canadien, nous nous serions installés ailleurs. Cela étant, l'ALE et l'ALENA ont été de bonnes choses pour notre industrie, malgré les problèmes de mise en œuvre.

Pour vous donner un exemple de l'effet de l'ALENA sur nos exportations de produits chimiques industriels vers les États-Unis, sachez que la proportion de nos exportations à destination de notre voisin du Sud est passée de 35 p. 100 à 66 p. 100. Soixante-dix pour cent de ces exportations se font vers ce que nous appelons des «filiales-maisons mères». Autrement dit, une usine expédie ses produits vers une autre, située de l'autre côté de la frontière, et crée une division du travail pour ce qui est des produits fabriqués.

La plupart de ces compagnies sont fortement intégrées et administrées dans le cadre d'un marché nord-américain.

Au cours des trois dernières années, plusieurs milliards de dollars d'investissement ont été réalisés en Alberta et dans les Prairies. Cet investissement est fondé sur nos exportations, principalement vers les États-Unis. Ces milliards de dollars n'auraient jamais été investis sans l'ALE ni l'ALENA.

Nous pensons pouvoir nous appuyer sur l'ALENA pour faire progresser notre partenariat avec les États-Unis, ce qui devrait donner lieu à une amélioration de l'investissement et de la croissance de l'économie canadienne. Nous estimons inévitable l'intégration plus poussée de l'économie américaine. La seule question qui se pose pour le Canada est de savoir si nous allons nous positionner pour profiter de cette intégration ou, au contraire, nous placer en perdants sur les plans de l'investissement et de la croissance. Nous estimons que le gouvernement du Canada n'a pas été suffisamment actif, au cours des années passées, dans l'exploration des différentes façons d'améliorer l'interface de l'économie canadienne avec l'économie américaine.

Je vais vous parler de sept aspects des relations nord-américaines auxquels il convient de s'intéresser. La majorité de ces enjeux sont complexes, difficiles et controversés. Ils exigent une certaine vision et un certain leadership. Heureusement, votre comité est bien placé pour donner ce genre d'impulsion.

Il y a d'abord la question de la réglementation. Le gouvernement fédéral doit se rendre compte que nous sommes une petite économie et que le fait de compter sur un régime distinct pour homologuer de nouveaux produits chimiques, par exemple, nous place dans une situation concurrentielle désavantageuse. Il faut trouver un moyen pour que le Canada et les États-Unis reconnaissent mutuellement leurs évaluations de produits chimiques et le Canada doit chercher à favoriser l'introduction et la disponibilité de nouveaux produits chimiques.

Je vais m'attarder un peu sur ce point. Nous avons donc deux régimes différents, aux États-Unis et au Canada, pour ce qui est de l'adoption de nouveaux produits chimiques. À cause de cela, le processus d'introduction de nouveaux produits au Canada est coûteux, lourd et lent. Ce faisant, de nombreux produits disponibles aux États-Unis ne le sont pas au Canada, notamment des produits qui sont plus respectueux de l'environnement que ceux actuellement utilisés.

Le deuxième problème est celui de l'impôt des sociétés. Pour pouvoir faire concurrence aux États-Unis sur un petit marché, nous devons non seulement pouvoir évoluer selon des règles du jeu équitables, mais aussi bénéficier d'un avantage sur le plan fiscal. Dans certains éléments de notre secteur, la croissance se produit surtout dans les grands centres où l'industrie et les marchés sont bien établis, à moins que l'emplacement canadien dispose d'un avantage compensateur.

Certains honorables sénateurs seront peut-être passés par Houston au cours des 10 dernières années. Là-bas, les usines de produits chimiques s'étalent sur des milles et quand on demande à un de ces exploitants de venir investir à Sarnia, la première question qu'il vous pose c'est: «Pourquoi donc? Nous sommes au centre de l'univers, ici.»

Dans le domaine chimique, les investissements les plus importants vont plutôt dans les zones où il existe une grande interdépendance entre les produits, les fournisseurs, les firmes d'ingénierie, la technologie, les universités et les chercheurs. Les petites économies ont beaucoup plus de difficultés à attirer les capitaux.

Nous avons la chance de bénéficier d'un avantage en Alberta: les charges d'alimentation en gaz naturel. Cela nous aide à compenser une partie de nos handicaps.

La troisième question est celle des tarifs extérieurs. Nous estimons qu'il serait intéressant, pour le Canada, d'appliquer un tarif extérieur commun, éventuellement sur une base sectorielle. Une telle mesure favoriserait le commerce bilatéral. Nous recommandons surtout cette formule parce qu'elle permettait de réduire de beaucoup des coûts administratifs associés aux règles d'origine, autrement dit la nécessité de déterminer l'origine des divers produits. Ces règles occasionnent une importante paperasserie qui est coûteuse et qui entrave le commerce transfrontalier.

Il a beaucoup été question du quatrième aspect dont je vais vous parler, dans la presse et dans d'autres institutions: le dollar canadien. Nous ne sommes pas favorables à l'intégration de notre devise avec le billet vert. Le groupe de M. Goffin a effectué un sondage très soigné auprès de nos membres qui ont dit ne pas être favorables à l'intégration des devises. Il se pose un problème de parité. Nombre d'entreprises travaillent en dollars américains et certaines sont payées dans cette devise ou en équivalent. Pour nous, le dollar est un avantage à l'exportation et il n'entrave en rien notre productivité ni nos investissements. Nous estimons que le dollar canadien devrait être maintenu.

Le cinquième aspect est celui de l'énergie. Nous dépendons beaucoup de ce que nous appelons les charges d'alimentation, c'est-à-dire le gaz naturel et le pétrole, mais surtout le gaz naturel dans l'Ouest. À cause des prix actuels du gaz naturel, notre charge d'alimentation est très en demande et l'offre est limitée. L'augmentation des prix a un effet dramatique sur notre industrie. D'ailleurs, il est désormais presque impossible pour nous d'envisager une expansion et parfois même de continuer à exploiter certaines usines. Nous pensons qu'il serait possible de résoudre ce problème en bâtissant le gazoduc du Nord, qui est prévu, surtout s'il passe par un point central en Alberta où nous pourrons extraire l'éthane du gaz naturel, éthane grâce auquel nous produisons des éléments comme le polyéthylène ainsi que toute une gamme de matières plastiques et de produits chimiques. Le plus important pour nous, dans l'avenir, sera de déterminer quel rapport nous avons avec les États-Unis sur le plan énergétique et sur celui des exportations et quel genre de politique énergétique nous devrons adopter pour favoriser le développement de l'industrie canadienne et l'approvisionnement des États-Unis, qui est la plus importante économie du monde.

Le sixième aspect qui nous intéresse touche à l'administration de la frontière, dont M. Adams vous a déjà beaucoup parlé. Il est réjouissant de constater que des progrès ont été réalisés entre MM. Manley et Ridge. Je me rappelle avoir déclaré — lors d'une réunion avec des hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral, il y a deux ou trois ans, avant le 11 septembre — que la frontière faisait problème. Ces gens-là n'ont pas compris pourquoi. Nous voyons bien que tel est le cas à présent, puisque des groupes de travail ont été mis sur pied. Ils ont déjà fait beaucoup, mais il faudra réaliser d'autres progrès, par exemple du côté de l'infrastructure, des règles, des processus et de la modernisation par l'emploi des TI. Nous aurions pu faire beaucoup au cours des 10 dernières années, mais nous avons loupé le coche. Nous sommes en train de faire du rattrapage après avoir pris conscience de l'importance de nos relations commerciales avec les États-Unis et de notre dépendance d'un fonctionnement en douceur à la frontière.

Septièmement, quand on évolue dans ce genre d'économie — avec des relations commerciales comme celles que nous entretenons avec les États-Unis, dans une économie intégrée où nos usines font passer leurs produits d'un côté à l'autre de la frontière ou font concurrence à d'autres usines d'un même groupe pour fournir le marché du nord-est — et que le Canada adopte une approche radicalement différente de celle des États-Unis dans des dossiers comme l'accord de Kyoto, nous ne faisons qu'ajouter une barrière à notre productivité économique et à notre capacité d'exporter vers les États-Unis et de commercer avec ce pays. Kyoto est synonyme de problèmes de concurrence potentiels avec les États-Unis. Je n'irai pas plus loin sur ce sujet, mais sachez qu'il préoccupe beaucoup l'industrie.

Nous estimons qu'il y a encore lieu d'améliorer nos relations économiques avec les États-Unis, et dans une certaine mesure avec le Mexique. Au cours des 10 dernières années, le Canada s'est montré relativement passif face à la série de problèmes auxquels nous avons été confrontés. Nous avons maintenant la possibilité de réanalyser nos relations commerciales et de songer à de nouveaux moyens de renforcer notre partenariat avec les États-Unis et d'améliorer notre capacité de croître, d'investir et de créer des emplois pour les Canadiens.

Le sénateur Graham: J'ai été intrigué par tout ce que vous nous avez dit. Je suppose, monsieur Deveau, que vous n'êtes pas un partisan de l'ALENA. Est-ce que des emplois ont été perdus dans votre secteur d'activité à cause de l'ALENA?

M. Deveau: Il faut préciser, avant toute chose, que les Métallos sont présents dans bien des secteurs. L'acier est évidemment l'un des plus gros. Je ne pourrai pas vous parler aussi bien que les producteurs eux-mêmes de ce qui se passe dans l'industrie, mais si vous prenez le cas d'Algoma Steel, par exemple, et des problèmes que cette industrie a eus à cause des prix mondiaux, il est évident que ce secteur était tourné vers le marché intérieur canadien. En écoutant M. Paton, je me suis rendu compte qu'il parlait d'une industrie internationale. L'industrie canadienne a déclaré que son principal marché était le marché canadien. De nos jours, nous sommes intégrés avec les États-Unis à cause des accords de libre-échange. Effectivement, nous avons connu des pertes d'emploi et, à cause de l'intégration, nous en sommes arrivés au stade où la production d'acier diminue chez nous et où, dans quelques années peut-être, nous perdrons des aciéries qui s'installeront ailleurs.

M. Adams vous a parlé de l'industrie automobile. À cause de l'Accord de libre-échange et de l'ALENA, certaines usines automobiles sont allées s'installer aux États-Unis et d'autres au Mexique. On assiste désormais à un déplacement du Mexique vers la Chine, sous l'effet de l'OMC et des autres accords. Nous constatons des effets négatifs au fil des ans.

Le sénateur Graham: M. Adams prêche, entre autres choses, pour une amélioration de l'infrastructure. Vous avez dit, à propos des améliorations aux postes frontières — et je suppose que cela inclut les routes qui y conduisent — qu'il y avait un projet de programme d'infrastructure auquel le gouvernement du Canada contribuerait à hauteur de 150 millions de dollars. Quand vous parlez du gouvernement provincial, voulez-vous dire que le gouvernement de l'Ontario investirait 150 millions de dollars? Pour vous, cela est essentiel. Pourtant, dans son mémoire, je crois que M. Paton parle de 70 p. 100 des compagnies membres qui ne croient pas que des améliorations à l'infrastructure de transport soient nécessaires pour améliorer l'accès aux marchés américains. Est-ce parce que la majorité de vos produits voyagent par rail?

M. David W. Goffin, secrétaire-trésorier et vice-président des Affaires économiques et commerciales, Association canadienne des fabricants de produits chimiques: C'est en grande partie la réponse. Nous acheminons la moitié environ de la valeur totale de nos produits par rail et la plus grande proportion en volume. Je m'étonne toujours, étant donné tout ce que nous acheminons par camion hors de l'Ontario, que nous n'ayons pas davantage entendu nos membres se plaindre des problèmes à la frontière. Il y a certainement eu des retards ici et là, mais nous ne les avons pas entendus se plaindre autant que je l'aurais pensé. En revanche, nous entendons beaucoup parler des problèmes qui s'annoncent. M. Adams a fait allusion à la nécessité de mieux consulter pour que les gens comprennent la situation avant de prendre des décisions et que notre industrie sache ce qui l'attend. Par exemple, les États-Unis viennent juste de proposer que des informations soient communiquées aux douanes américaines quatre heures avant le chargement d'un camion et 24 heures avant le chargement d'un wagon de chemin de fer. Des propositions de ce genre tombent du ciel et provoquent un encombrement de nos lignes téléphoniques.

Le sénateur Graham: J'ai aussi été impressionné par certaines autres statistiques fournies par M. Paton dans son mémoire, relativement au dollar canadien. Vous avez écrit que 93 p. 100 des répondants à un sondage ont signalé que le taux de change n'était pas un obstacle aux investissements destinés à améliorer la productivité.

Vous continuez ainsi:

Cette affirmation est appuyée par les données sur la productivité de la main-d'œuvre, qui indiquent que les producteurs de produits chimiques et industriels membres de l'ACFPC sont 33 p. 100 plus productifs que leurs homologues américains et sont les plus productifs des pays du G-7.

Cela me fascine. Monsieur Paton ou vous, monsieur Goffin, pouvez-vous m'expliquer pourquoi cela?

M. Goffin: Je serai heureux de m'attarder un peu là-dessus. Il y a quelques années, Industrie Canada a laissé entendre que nous n'étions pas suffisamment productifs. Nous avons beaucoup collaboré avec le ministère et il s'est avéré que les chiffres qu'il utilisait étaient incorrects. Nous avons appliqué un processus rigoureux qui a donné lieu aux conclusions que vous venez de mentionner. Comme M. Paton l'a indiqué, sous le régime de l'ALE et de l'ALENA, nous avons assisté à d'importants investissements dans notre secteur au Canada. Nous avons de nouvelles usines qui nous permettent d'améliorer notre productivité du côté des immobilisations.

Du côté de la main-d'œuvre, nos membres accordent une grande priorité au fait de pouvoir compter sur des effectifs exceptionnels. Ils engagent des gens compétents et leur donnent une excellente formation. L'un de nos membres m'a dit: «Étant donné les procédés très complexes que nous appliquons dans nos usines, il nous est impossible de placer un ouvrier en position de responsabilité avant qu'il ait au mois cinq ans de maison. C'est le temps nécessaire pour apprendre les procédés.» La combinaison de ces deux facteurs permet d'expliquer pourquoi notre productivité se porte aussi bien.

L'autre question qui a été soulevée pourrait constituer un problème pour d'autres secteurs. Notre dollar étant faible, est-ce que ces secteurs obtiennent les nouveaux investissements dont ils ont besoin pour améliorer leur productivité? Nous sommes un des secteurs ayant bénéficié de l'investissement.

Le sénateur Bolduc: Quand vous parlez de productivité de la main-d'œuvre, parlez-vous du taux de change qui favorise le pouvoir d'achat ou du taux de change qui favorise le marché?

M. Goffin: Le taux de change est exclu de l'analyse. Ces chiffres ne sont pas influencés par le taux de change.

Le sénateur Bolduc: Dans votre mémoire, vous parlez de la Convention de Rotterdam. Comme je suis néophyte dans ces questions, dites-moi en quoi cette convention a une incidence sur le Canada.

M. Goffin: Comme M. Paton le disait, l'un des terrains sur lesquels il faut se montrer prudent est celui de la réglementation. Nous devons veiller à demeurer concurrentiels. La Convention de Rotterdam prévoit ce qu'on appelle le «consentement préalable donné en connaissance de cause» avant l'exportation de certains produits chimiques dangereux. Avant de pouvoir transporter ces produits chimiques vers d'autres emplacements, c'est-à-dire chez votre partenaire commercial, vous devez veiller à ce que celui-ci soit au courant de ce que vous lui envoyez, qu'il soit prêt à l'accepter et qu'il soit en mesure de prendre le chargement en compte de façon appropriée.

Quand cette convention a été négociée, elle visait essentiellement un petit groupe de produits chimiques très dangereux. Bien sûr, par la suite, divers pays l'ont mise en œuvre.

Quand la convention a été mise en œuvre par nos partenaires commerciaux, comme les États-Unis ou les pays européens, il y a un an de cela à peu près, nous avons constaté que ces pays l'appliquaient à des cibles beaucoup plus fidèles à celles prévues à l'origine — c'est-à-dire au petit groupe de produits chimiques dangereux — tandis qu'au Canada, nous avons étendu l'application de la convention à un groupe plus important de produits chimiques. Quant à nous, cela va au-delà de l'intention originelle de la convention.

Ce genre d'interprétation risque de nous désavantager par rapport à nos partenaires commerciaux qui sont tous censés appliquer la même convention.

Le sénateur Bolduc: Vous avez dit redouter les répercussions de Kyoto parce que les États-Unis ont adopté une position différente de la nôtre. Pourriez-vous nous parler un peu plus en détail de ces préoccupations?

M. Paton: Bien sûr. La réponse pourrait être longue, mais je vais essayer de vous brosser un tableau général de la façon dont nos industries s'accommodent de cela. Les États-Unis ont adopté un programme de défis en collaboration avec l'industrie chimique. Je crois d'ailleurs qu'ils sont parvenus à une entente de principe. Ils s'acheminent vers une réduction d'environ 18 p. 100 des gaz à effet de serre pour l'industrie chimique, de 1990 à 2010.

C'est une approche plutôt raisonnable. Si nous avions adopté une approche au Canada, notre industrie s'en porterait relativement bien. Cependant, le gouvernement du Canada a décidé de faire autrement. Il a décidé d'imposer un objectif de réduction de 55 mégatonnes aux plus importants producteurs d'émissions. Cela ne tient pas compte des progrès réalisés entre 1990 et 2002. Autrement dit, plus l'on aura réduit les émissions de 1990 à 2002 et plus l'on sera désavantagé à l'amorce de la phase suivante. C'est un peu comme si vous aviez isolé votre maison, apporté toutes les améliorations nécessaires pour économiser l'énergie et que votre gouvernement vienne ensuite vous dire: «C'est très bien que vous ayez fait tout cela, vous êtes une personne très bien, mais nous voulons que vous réduisiez votre consommation de 15 p. 100 de plus.»

Vous rétorqueriez: «Il suffit à mon voisin, qui n'a rien fait jusqu'ici, de boucher trois trous dans sa fenêtre pour parvenir à ses 15 p. 100 de réductions.»

Le gouvernement vous répondra: «Peu importe, si vous ne le faites pas, nous augmenterons vos impôts.»

Voilà essentiellement la formule que le gouvernement fédéral a retenue dans le cas de Kyoto.

Prenez l'exemple d'une usine située à Brockville et d'une autre située à Atlanta, toutes deux fabriquant le même produit, qu'elles écoulent sur le marché du Nord-Est. Dans notre secteur d'activité, les différences tarifaires entre ces deux usines seraient très faibles pour commencer, de l'ordre de quelques cents la livre. Au Canada, heureusement, nous sommes davantage productifs sur le plan de la main-d'œuvre, comme l'indiquait M. Goffin. Cependant, nous allons devoir subir des coûts supplémentaires au titre de la réduction des gaz à effet de serre ou peut-être pour acheter un crédit. Supposons que cela ajoute 10 cents la livre. Eh bien, ces 10 cents risquent de faire la différence entre vendre un produit ou pas, entre une usine qui continuera de tourner et une autre qui disparaîtra.

Voilà un bon exemple de ce dont il faut tenir compte dans l'établissement de l'approche à retenir. Je ne dis pas qu'il faille forcément tout aligner sur les États-Unis, mais nous ne pouvons faire fi de cette réalité. Nous devons envisager des approches qui nous permettent de parvenir aux mêmes objectifs tout en respectant l'équilibre entre les priorités économiques et les priorités environnementales. Dans le cas de Kyoto, nous ne pensons pas que le gouvernement ait vraiment essayé d'équilibrer ces priorités. Il a retenu un objectif ou une préoccupation et s'est précipité dessus, en mettant tout le reste de côté. Nous nous retrouvons maintenant dans ce que je qualifierai aimablement de «beau pétrin».

Le sénateur Bolduc: Apparemment, vous avez perdu des emplois. En avez-vous perdu dans l'industrie de l'acier à cause de l'ALE ou de l'ALENA ou encore à cause de la concurrence des Européens ou des Japonais?

M. Deveau: C'est une combinaison des deux. Il est certain que l'on assiste à énormément de dumping dans le domaine de l'acier sur la scène internationale. Cela a eu un incroyable effet négatif sur les États-Unis.

À la faveur des accords de libre-échange et des mouvements de va-et-vient entre nos deux pays, l'intégration entre le Canada et les États-Unis est maintenant très importante. Je dirais que cela est dû à une combinaison des deux facteurs.

Le sénateur Bolduc: Diriez-vous que cela est davantage dû à l'Asie du Sud, à la Corée ou à l'Amérique du Nord? J'ai l'impression que cet effet négatif nous vient surtout de l'extérieur du continent.

M. Deveau: L'industrie de l'acier pourrait sans doute vous fournir des données à ce sujet. Récemment, surtout depuis deux ou trois ans, je sais que l'on s'attarde beaucoup à l'acier de dumping, surtout celui qui provient de certains pays qui fabriquent des aciéries spécialisées dans l'exportation. Les accords de libre-échange ont eu un effet à cet égard, quand on voit ce qui se passe depuis quelques années. Vous avez cependant raison, récemment, nos problèmes sont dus à l'acier importé en Amérique du Nord.

Le sénateur Bolduc: Les Américains étaient-ils contre?

M. Deveau: Oui.

Le sénateur Austin: Merci pour vos exposés, messieurs. Je me demande quel genre de questions je vais vous poser, parce que ce que vous nous avez déclaré en soulève énormément.

Notre comité étudie ce qui s'est produit au cours des 15 dernières années, après la signature de l'Accord de libre- échange et dans les 10 dernières années après la mise en œuvre de l'ALENA. Vous avez d'ailleurs répondu à nombre de ces questions, à bien des égards. Bien sûr, la question que soulève notre étude, est de déterminer ce qu'il faut faire à partir de là. L'une des recommandations formulées dans l'exposé des gens du secteur chimique serait d'opter pour un tarif extérieur sectoriel commun.

Ma question s'adresse à vous tous. Dans quelle mesure êtes-vous favorable à cette formule, dans quelle mesure celle- ci est-elle nécessaire pour réaliser les objectifs de réduction des coûts et des règles administratives? Selon vous, cette formule procure-t-elle un avantage économique au marché américain? Pensez-vous que vos homologues américains seraient intéressés à négocier avec vous à cet égard.

M. Goffin: Comme vous le disiez, nous avons envisagé d'appliquer une approche sectorielle aux principes de l'union douanière. À l'époque où nous avons préparé ce document, le C.D. Howe Institute et d'autres organisations examinaient diverses options sur la façon de s'y prendre. Ces organismes ont envisagé un marché commun, pour essayer de limiter davantage la négociation ou une union douanière, qui était alors un moyen terme. Après avoir consulté nos membres, il nous a semblé que l'approche la plus réalisable était, du moins pour notre secteur, celle de l'union douanière.

C'est en fait cela qui nous a animés en grande partie quand nous avons commencé à travailler sur notre document parce qu'au cours des 10 dernières années, par exemple, les gens du commerce international, à l'édifice Lester Pearson, ont laissé entendre que l'industrie chimique pouvait être un bon secteur d'expérimentation ou que l'on pouvait opter pour cette orientation parce que nos tarifs étaient déjà, en grande partie, alignés sur ceux de notre voisin américain. Les États-Unis et nous avons signé l'entente relative à l'harmonisation des tarifs sur les produits chimiques, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, en sorte que la plupart de nos tarifs oscillent maintenant entre 5,5 et 6,5 p. 100. Dans l'actuelle série de négociations de l'OMC, nous visons l'élimination globale des tarifs. Si nous y parvenions, cela pourrait devenir un vaste sujet à débat, mais c'est peu probable.

Nous explorerions les deux aspects dont vous venez de parler. D'abord, réduire les coûts, comme M. Paton vous l'a expliqué. Les règles d'origine concernant les produits chimiques, destinées à s'assurer que nos productions peuvent faire l'objet d'un traitement en vertu de l'ALENA, sont relativement complexes et, en outre, il n'existe pas un ensemble de règles pour l'ALENA et un autre en vertu de l'OMC. En vertu des accords de libre-échange bilatéraux signés par le Canada avec d'autres pays, nous appliquons des règles d'origine légèrement différentes, si bien que tout cela donne lieu à un régime très complexe pour les entreprises du secteur. Près de 57 p. 100 de nos membres ont déclaré que l'élimination de tous ces tarifs grâce à la mise en œuvre d'une union douanière serait déterminante sur le plan de la réduction des coûts.

D'un autre côté, à l'heure où nous nous assoyons pour négocier tout cela, nous parlons aussi des problèmes particuliers constatés à la frontière, problèmes qui sont essentiellement liés aux déplacements des personnes et qui existaient avant les événements du 11 septembre. Par exemple, M. Paton vous a indiqué à quel point nous étions intégrés avec nos sociétés affiliées aux États-Unis. Eh bien, en vertu de l'ALENA actuel, il n'est pas possible d'envoyer un ingénieur en formation dans différentes usines réparties entre le Canada et les États-Unis. Dès qu'on envisage cette formule, il faut suivre une démarche bureaucratique imposée par les gens de l'immigration. Ce sont là des aspects dont il faudrait tenir compte du point de vue des coûts.

Pour nous, l'union douanière serait une façon d'éliminer la frontière du point de vue des affaires. Nous nous rendons bien compte que, du point de vue politique, cette frontière sera maintenue afin d'assurer la protection de notre souveraineté. Le ministre Pettigrew a décrit ce qu'il espérait dans un proche avenir et je dois dire que sa formule n'est pas très éloignée d'une union douanière. Ce qu'il veut, par-dessus tout, c'est éliminer la frontière quand elle fait obstacle au commerce, à l'investissement et au développement des entreprises. Quant à nous, nous estimons que plus loin nous pourrons aller dans ce sens et mieux cela vaudra. Comme le disait M. Paton, les investisseurs estiment qu'à bien des égards le Canada n'est pas différent des États-Unis, ce qui nous aide.

Le sénateur Austin: Afin de mieux comprendre votre industrie, je vais poursuivre dans cette ligne de pensée. Quelle part les producteurs canadiens occupent-ils actuellement sur le marché américain de la chimie?

M. Goffin: Part de marché américain? Il faudrait que nous vérifiions. Ce n'est pas une donnée que nous suivons de près.

Le sénateur Austin: Connaissez-vous la part de marché canadien qu'occupent les producteurs américains? Avez-vous un chiffre, en dollars, pouvant exprimer la part canadienne du marché américain et, d'un autre côté, la part américaine du marché canadien pour des produits semblables?

M. Goffin: Je ne les connais pas par cœur. Nous ferons parvenir à votre greffier nos parts de marché pour chaque pays.

Le sénateur Austin: Rappelez-moi le volume de commerce transfrontière entre compagnies affiliées?

M. Goffin: Soixante-dix pour cent.

Le sénateur Austin: Dans le cas des produits chimiques, nous avons affaire à un milieu où il y a très peu d'indépendants. Êtes-vous en mesure de retracer l'origine du commerce canado-américain dans les produits chimiques par province? Combien représente l'Ontario en pourcentage, et combien représente le Québec?

M. Goffin: L'Ontario représente environ 50 p. 100 et le Québec est encore second avec une trentaine de pour cent. C'est l'Alberta qui connaît la plus grande croissance actuellement et qui suit avec 20 p. 100 pour l'instant.

Le sénateur Austin: Enfin, est-ce que les charges d'alimentation utilisées par l'industrie canadienne se trouvent essentiellement au Canada ou est-ce que vous en importez des États-Unis?

M. Goffin: En Alberta, notre industrie est essentiellement alimentée par du gaz naturel, qui est canadien. Dans l'Est, c'est un peu des deux. À Montréal, notre industrie compte sur des charges d'alimentation importées de la mer du Nord mais aussi des raffineries américaines. Il en va de même pour Sarnia qui utilise le pétrole de la mer du Nord et une partie des charges d'alimentation qui provient des États-Unis.

Le sénateur Austin: D'après ce que vous avez dit, et ce que j'ai cru comprendre, cela me semble être un secteur où il n'y a pas vraiment de problème et vous pourriez vous entendre sur un tarif extérieur commun. Je me demande si cela serait acceptable pour l'industrie américaine avec qui, de toute évidence, vous avez déjà eu des entretiens. Est-ce que les Américains accepteraient? Qu'est-ce qui vous a empêché de progresser dans le sens de votre recommandation?

M. Goffin: Nous n'avons eu vent d'aucune objection de la part de l'industrie chimique américaine. D'un autre côté, les États-Unis ne semblent pas ronger leur frein à cet égard. Bien que le Canada soit un marché relativement important pour notre voisin, son marché intérieur est énorme par rapport au nôtre. Cela n'a pas été une priorité pour les Américains. Ils ne nous ont pas émis d'objection et nous leur en parlons pour essayer de les intéresser.

M. Paton vous a parlé de ce qui s'était passé avant l'ALE. À l'époque, nous étions très tentés par un accord sectoriel sur les produits chimiques, si l'ALE n'avait pas été signé. Notre industrie du côté américain était aussi très intéressée à faire cela avec nous. Nous avons tenu plusieurs réunions et M. Chrétien a piloté l'initiative. Avec le temps, nous pouvons nous attendre à ce que notre industrie du côté américain nous apporte cet appui.

Le sénateur Austin: Il y au moins un domaine dans lequel les Américains veulent une plus grande intégration, c'est le secteur de l'énergie. Dans la mesure où vous faites partie de ce secteur, ce pourrait être un domaine intéressant à propos duquel recommander l'adoption de mesures.

Pour terminer, je pense que vous avez de quoi à être jaloux du secteur de l'automobile parce qu'il est vrai que, pour l'instant, il bénéficie de modalités de libre-échange. Avez-vous des aspects communs avec ce secteur qui favoriserait l'adoption d'un système de commerce extérieur commun?

M. Adams: Il y avait un libre-échange sectoriel en vertu du Pacte de l'auto. L'industrie automobile n'est pas différente des autres en vertu de l'ALE ou de l'ALENA. Quant à ce qu'ont dit M. Goffin et M. Paton, il existe tout autant de problèmes sur le plan du suivi des règles d'origine dans l'industrie de l'automobile que dans les autres secteurs. Nous, nous estimons qu'il serait utile d'éliminer les exigences à cet égard ou du moins qu'on les impose de façon plus constructive.

Le sénateur Bolduc: Je crois savoir que 20 p. 100 environ des gens de l'industrie des produits chimiques s'inquiètent de l'avènement éventuel d'une union douanière. Je me doute que ce ne sont pas les DuPont et Dow Chemicals du milieu que cela inquiète, mais sans doute les plus petits. Est-ce que je me trompe?

M. Goffin: Non, ce sont de très loin les petites entreprises, détenues par des intérêts canadiens qui sont les plus inquiètes. Sur nos 70 entreprises membres, nous en comptons sans doute un peu plus d'une vingtaine qui sont canadiennes. Ce sont elles qui s'inquiètent le plus.

Le sénateur Chaput: Messieurs, vous avez dit qu'il était nécessaire de resserrer nos partenariats pour assurer l'avenir de l'industrie au Canada, et je suis d'accord avec vous. Vous avez aussi déclaré que le Canada devait se positionner. D'un autre côté, quand le Canada adopte une position différente de celle des États-Unis, cela occasionne parfois des problèmes. Vous avez formulé un certain nombre de recommandations et je me demandais lesquelles seraient les plus difficiles à appliquer et lesquelles seraient les plus faciles?

M. Paton: Je vais vous donner un exemple. Pour ce qui est de la réglementation, nous avons prêché en faveur d'une reconnaissance mutuelle et d'une certaine forme d'accord relativement aux critères d'essai. Je pense d'ailleurs que les Américains sont assez intéressés par cela. Toutefois, comme M. Goffin l'a mentionné plus tôt, nous sommes un petit pays avec un petit marché. Nous pourrions avoir des difficultés parce que nous sommes différents et que nous ne pourrions pas écouler nos produits sur leur marché. De leur côté, les Américains ne verraient pas grand problème dans le fait qu'ils ne pourraient pas vendre au Canada puisque, pour ce qui est de l'importance économique, nous nous comparons à l'Illinois.

Pour parvenir à mobiliser un ministère fédéral américain afin de l'amener à conduire le même genre d'essais que ceux que nous conduisons ici, il nous faudrait beaucoup insister et beaucoup travailler. Il nous faudrait peut-être même avoir un appui politique aux plus hauts échelons de l'administration.

De façon générale, notre problème c'est que nous pensons que les États-Unis devraient se préoccuper de nos difficultés ou estimer que nous sommes un partenaire économique clé. En vérité, nous sommes un tout petit joueur par rapport à leur marché intérieur. Ils pourraient très bien vivre sans nous, contrairement à nous qui avons besoin d'eux.

M. Adams: Pour reprendre ce que M. Paton a dit, c'est la même situation dans l'industrie de l'automobile en ce qui concerne l'harmonisation de la réglementation. Vous construisez des véhicules aux États-Unis qui destinés à être vendus là-bas et au Canada. Ce sont essentiellement les mêmes véhicules, bien qu'il y ait de toutes petites différences dues aux normes qu'impose chaque gouvernement.

C'est la même chose du côté canadien. Nos usines fabriquent des véhicules destinés au marché canadien et au marché américain. C'est beaucoup plus facile, plus économique et plus intéressant pour le consommateur des deux marchés qui peut acheter des véhicules à bas prix conformes à des normes élevées en matière de protection des occupants et de contrôle des émissions, pour ne citer que ces deux aspects.

M. Deveau: Je vais faire deux ou trois remarques à ce sujet. D'abord, tout à l'heure, le sénateur Graham a dit que j'étais contre l'ALENA. Je dois apporter une précision. Nous sommes contre certains aspects de l'Accord de libre- échange et de l'ALENA. Pour nous, et je parle ici en qualité de représentant des Métallos et du mouvement ouvrier, l'un des problèmes réside dans le chapitre 11 qui est cette partie de l'ALENA stipulant que les sociétés peuvent se retourner contre les gouvernements.

Cela sera très difficile à négocier. Nous avons de la difficulté à convaincre notre gouvernement que cette disposition n'est pas bonne. Quand nous disons qu'il y a certains correctifs à apporter pour que le commerce soit équitable, cela ne veut pas dire qu'il faut jeter les accords commerciaux à la poubelle. Il demeure, qu'il faut régler les problèmes qui se posent.

Il est difficile de négocier avec les États-Unis dans des dossiers comme celui de l'eau qui est considérée comme un bien ou dans celui des soins de santé qui sont considérés comme un service. Il sera difficile de changer les accords commerciaux que nous avons signés. D'abord, nous devons convaincre votre comité, le Sénat du Canada, la Chambre des communes et le gouvernement que ce sont là, pour les Canadiens, des problèmes à régler en priorité. Je sais que j'ai du pain sur la planche et je reviendrai peut-être vous parler individuellement à un moment donné.

Le vice-président: Quand vous parlez d'accords de reconnaissance mutuelle ou d'harmonisation, est-ce qu'il serait question pour nous d'accepter les normes américaines ou aurons-nous tout de même un mot à dire?

M. Paton: Pour l'instant, c'est là une question très importante en ce qui nous concerne. Je pense que nous devrions adopter plusieurs approches. Le plus important, pour commencer, c'est de s'entendre sur une approche en ce qui concerne les essais d'homologation, que ce soit pour un médicament, un produit vétérinaire ou autre. Quelles sont les règles scientifiques du jeu? À partir de l'information obtenue, on fait une analyse et on se fie aux résultats.

Bien des pays font le même genre de travail sur les mêmes produits, pas uniquement le Canada et les États-Unis. Les Européens travaillent beaucoup sur ce plan et l'on pourrait donc parvenir à des ententes relatives aux données à utiliser et au sens à leur accorder. Il serait même possible de le faire de façon tout à fait indépendante de la décision. On pourrait au moins s'entendre pour regrouper les données, pour se les échanger, pour les rendre équivalentes et transparentes et ainsi de suite, quitte à ce que chacun prenne une décision de son côté. C'est une possibilité.

L'autre approche consisterait à s'entendre dans les domaines à faible risque. Nous aurions les mêmes ententes ou appliquerions la même approche pour les dossiers à haut risque et chacun, là aussi, prendrait sa décision de son côté. Malheureusement, il y a une histoire derrière tout cela. La plupart de ces pays ont adopté des méthodes très différentes d'analyse des données. Pour certains, les analyses sont réalisées par les sociétés elles-mêmes qui en communiquent les résultats au gouvernement. Ailleurs, comme au Japon, c'est le gouvernement qui s'occupe de tout. Certains pays appliquent des modèles tandis que d'autres analysent séparément des médicaments ou des produits chimiques précis et ne s'appuient sur aucun modèle ni aucune généralisation.

Il y a beaucoup de travail à faire pour déterminer ce qu'il faut entendre par données en fonction de tel ou tel régime. Voilà pourquoi le changement est à la fois complexe et difficile.

Le sénateur Bolduc: Cela joue contre nous, parce que nous sommes un petit pays dans le domaine de la recherche. Par exemple, beaucoup sont ceux, au sein de l'industrie pharmaceutique, qui critiquent la façon dont les fonctionnaires d'Ottawa accréditent les produits, parce que le processus prend trois ans. Certains membres de l'industrie pharmaceutique de Montréal m'ont dit qu'ils envisageaient même de déménager dans un autre pays où il faut un an plutôt que trois pour obtenir une approbation. Je pense que ce doit être la même chose dans l'industrie chimique.

Le sénateur Graham: Je me limiterai à poser une question d'ordre général, mais je tiens à indiquer à M. Deveau que je compatis avec sa position, surtout parce que je viens d'une région de production d'acier et d'exploitation de charbon, Cap-Breton. Je suis descendu plusieurs fois au fond de la mine où l'on amenait des canaris, jadis. Notre aciérie de Sydney a été fermée, comme vous le savez, et nos mines aussi. Il est possible que certaines autres industries minières aient un avenir dans la région, mais rien n'est arrêté.

Quoi qu'il en soit, ces exploitations n'ont pas été fermées à cause de l'ALENA. Soit dit en passant, monsieur le président, je souligne que nous avons assisté à un changement d'attitude radical dans cette partie du pays. Le taux de chômage est passé de 30 p. 100 environ à 14 p. 100. C'est encore trop élevé. Quoi qu'il en soit, nous travaillons pour essayer d'attirer de nouvelles industries du secteur des technologies de l'information et autres.

J'ai une question d'ordre général à poser et M. Deveau pourrait être le premier à se déclarer en désaccord avec une telle proposition, mais de nombreux témoins qui ont comparu devant nous nous ont parlé de la possibilité d'une union douanière avec les États-Unis. Il y en a qui disent que nous pourrions travailler dans ce sens et que nous ne devrions pas relâcher nos efforts, parce que nous y sommes presque.

D'autres nous ont dit être sympathiques à l'idée tandis que d'autres encore nous ont indiqué que ce n'était pas réaliste.

Est-ce qu'une de vos organisations serait favorable à la création d'une union douanière avec les États-Unis, qu'elle soit sectorielle ou globale? Nous pourrions aussi poser cette question à M. Beatty.

Voyez-vous des avantages pour votre industrie à ce que le Canada adhère à un tel accord commercial bilatéral? Je lance cette question à tout le monde.

M. Goffin: Nous vous avons parlé de la situation de la production chimique aujourd'hui, mais nous espérons que, dans l'avenir, celle-ci se trouvera en Nouvelle-Écosse et qu'elle utilisera le gaz de la côte Est. En Nouvelle-Écosse, l'investissement potentiel pourrait être de plusieurs milliards de dollars.

Nous sommes favorables à l'implantation d'une union douanière sectorielle, parce que nous n'avons pas la possibilité d'en évaluer pleinement l'incidence pour l'ensemble des secteurs de l'économie canadienne. Toutefois, nous avons examiné la question avec nos membres et avons eu des entretiens avec nos homologues américains. Quant à nous, comme je le disais plus tôt, pour des raisons administratives et commerciales, il convient de supprimer les frontières dans toute la mesure du possible. Ainsi, pour un investisseur nord-américain ou un investisseur venant d'ailleurs, la frontière entre le Canada et les États-Unis devrait occuper moins de place qu'à l'heure actuelle, du point de vue commercial.

M. Adams: Pour ce qui est de l'industrie automobile, l'un des aspects à considérer serait le tarif NPF sur les véhicules finis entrant au Canada, tarif qui est actuellement de 6,1 p. 100 contre 2,5 p. 100 pour ceux qui entrent aux États-Unis. Si l'on appliquait l'approche sectorielle à l'industrie automobile, comment pourrait-on appliquer un tarif extérieur commun? Certains disent qu'il faudrait négocier une nouvelle réduction tarifaire dans le contexte des discussions commerciales multilatérales, plutôt qu'avec les États-Unis et le Mexique, par exemple.

Une théorie veut que l'on investisse dans une installation d'un pays bénéficiant d'un tarif supérieur pour faire passer le produit dans une région où le tarif est inférieur, aux États-Unis, plutôt que l'inverse. Nous nous étions dit que, dans la situation actuelle, il serait au moins possible d'ancrer l'investissement, le tarif imposé à l'importation des produits au Canada étant supérieur. Nous pensons que ce tarif plus élevé n'a pas limité les importations d'automobile au Canada et n'a, en aucune façon, limité nos échanges commerciaux. Il est toujours possible que l'industrie automobile offre une certaine résistance à l'idée de l'union douanière.

M. Deveau: Sénateur Graham, vous serez peut-être surpris d'apprendre que le Syndicat des Métallos et l'industrie de l'acier sont en train de discuter des questions d'importation d'acier et que ces journées d'audience du TCCE ont probablement été les plus instructives au sujet de l'industrie de l'acier de toutes celles auxquelles j'ai participé depuis plusieurs mois. L'ALENA fixe un niveau d'importation et d'exportation d'acier à la frontière canado-américaine. Lors des audiences du TCCE, l'industrie et le syndicat ont soutenu que l'acier ne devrait pas faire l'objet de tarifs et que nous devrions traiter différemment l'acier en provenance de l'extérieur du continent nord-américain. Dans nos échanges avec l'industrie et certains députés fédéraux, nous nous sommes concentrés sur l'intégration de l'industrie de l'acier en Amérique du Nord.

D'ailleurs, cette industrie est déjà intégrée. Comme je le disais plus tôt, dès qu'il y a réduction tarifaire, il n'est plus possible de rétablir les tarifs supprimés. Je ne sais pas exactement ce qui se passe dans le cas des autres industries que nous représentons. Quoi qu'il en soit, nous examinons cette question à l'occasion de discussions particulières avec l'industrie. Le Syndicat des Métallos est présent des deux côtés de la frontière, puisque nous représentons des métallos aux États-Unis et au Canada. Nous sommes également intéressés par ce qui se passe des deux côtés de la frontière parce que nous voulons éviter que de l'acier étranger vienne perturber notre industrie nord-américaine.

Nous examinons cette question de très près, de concert avec l'industrie. Je ne puis m'avancer et vous dire que nous allons nous entendre, mais les deux parties comprennent les enjeux.

Le vice-président: Merci, monsieur. Vous nous avez beaucoup aidés et beaucoup renseignés.

Le président: Honorables sénateurs, notre prochain témoin est l'honorable Perrin Beatty, qui a été mon collègue dans le temps.

M. Perrin Beatty, président et directeur général, Manufacturiers et exportateurs du Canada: Rien, sans doute, n'est aussi important que nos relations économiques et politiques avec les États-Unis et le Mexique. Comme le savent très bien les honorables sénateurs, les Manufacturiers et exportateurs du Canada ont été créés en 1996 à l'occasion de la fusion de l'Association des manufacturiers du Canada, fondée en 1871, et de l'Association des exportateurs canadiens, fondée en 1943. Nos membres représentent 75 p. 100 de la production manufacturière canadienne et environ 90 p. 100 de nos exportations. Même si nous représentons certaines des plus grosses sociétés du pays, 85 p. 100 de nos membres sont des petites et moyennes entreprises. À l'automne 2001, les MEC ont présidé à la formation de la Coalition pour des frontières sécuritaires et efficaces sur le plan commercial en vue de parler d'une même voix au nom de l'industrie relativement aux mesures de sécurité et d'administration de la frontière, dans le sillage des événements du 11 septembre. La coalition a agi rapidement pour inciter les gouvernements des deux côtés de la frontière à prendre des mesures.

Notre ambition n'était pas revenir à la situation qui existait à 8 heures du matin, le 11 septembre 2001, mais à régler les vieux problèmes qui ont étaient présents à la frontière bien avant cette date-là.

Parallèlement à cette action, les MEC se fondent sur leurs alliances avec des organisations homologues aux États- Unis et au Mexique. Nous continuons de travailler avec ces organismes pour influencer le milieu des affaires et les gouvernements de nos deux pays.

L'approche fondée sur le risque en matière de gestion de la frontière, approche s'articulant autour de trois lignes de sécurité, est au cœur des recommandations de la coalition. Il est d'abord question d'intercepter des navires au large afin de s'assurer que les problèmes soient détectés avant qu'on ne les constate sur les côtes canadiennes ou américaines. Deuxièmement, il y a la sécurité au point d'entrée initial, là où les personnes et les marchandises sont traitées à leur arrivée sur le continent nord-américain. La troisième ligne de sécurité est la frontière canado-américaine où une infrastructure intelligente pourrait permettre d'accélérer le passage des biens et des personnes présentant de faibles risques; elles seraient dédouanées d'avance afin d'alléger la congestion et de permettre aux autorités frontalières de se concentrer sur les mouvements à haut risque.

Que l'on parle de périmètre de sécurité ou de zone de confiance, cela ne revient pas à dire que la frontière canado- américaine serait éliminée. Cela ne revient pas non plus à dire que chaque pays adopterait les mêmes politiques. Il serait plutôt question d'adopter une approche fondée sur la collaboration et l'intégration afin de mieux coordonner et de mieux administrer les actuelles pratiques et d'adopter de nouvelles mesures pour assurer la protection des Nord- Américains par la focalisation des ressources de sécurité sur les domaines à haut risque.

Les mécanismes de prédédouanement, les technologies d'identification et les méthodes d'échange des données pourraient servir à repérer et à suivre de façon efficace les voyageurs et les marchandises légitimes qui présentent peu de risques, et donc à traiter rapidement leur admission à la frontière, tandis que les ressources de sécurité pourraient être consacrées aux volets qui présentant plus de risques. Autrement dit, nos frontières seraient plus intelligentes et nous pourrions cerner les risques plus tôt.

On entend souvent parler de choix à faire entre la sécurité physique et la sécurité économique. Eh bien, ce n'est pas le cas, puisque ce sont les deux revers d'une même médaille et qu'il n'est pas possible d'avoir l'un sans l'autre. Nous avons été encouragés de voir nos gouvernements collaborer à l'instauration d'une frontière plus perméable avec les États- Unis afin de rendre la frontière avec les États-Unis plus perméable au commerce et aux déplacements légitimes tout en la rendant plus sûre contre ceux et celles qui constituent une menace pour les résidents des deux pays.

Nous avons été heureux de constater que ces principes forment la base de l'Accord sur la frontière intelligente. Nous nous réjouissons aussi que cette entente reprenne certaines des recommandations formulées par notre industrie. Bien que nous entretenions encore certaines inquiétudes, surtout en ce qui a trait aux nouvelles initiatives qui menacent les progrès que nous avons réalisés jusqu'ici, on peut sans doute affirmer que ce qui a été mis en place va au-delà des attentes générales.

Le mérite en revient en grande partie au vice-premier ministre du Canada, John Manley, et au gouverneur Tom Ridge, directeur du Homeland Security Office, pour leur intervention rapide et leur détermination à améliorer l'efficacité à la frontière.

Au cours des trois dernières semaines, nous avons eu des preuves des progrès réalisés. Quand les États-Unis sont passés au code d'alerte orange et ont lancé l'opération Bouclier de la liberté, notre industrie a craint que la frontière ne soit fermée ce qui aurait pu occasionner le genre de dégringolade économique à laquelle nous avons assisté, il y a un an et demi. Il y a, certes, eu des problèmes dans les premiers jours, sous la forme de retards de plus de deux heures pour franchir la frontière. Mercredi, le franchissement de la plupart des postes frontières se faisait sans trop de difficulté et, à la fin de la semaine, la situation était revenue à la normale, malgré le début des hostilités en Irak.

C'est impressionnant étant donné que 200 millions de personnes franchissent quotidiennement le 49e parallèle. Les échanges bilatéraux de marchandises entre le Canada et les États-Unis représentent plus de 1 milliard de dollars américains par minute, 365 jours sur 365. Il s'agit des relations commerciales les plus importantes du monde. Un camion franchit la frontière canado-américaine toutes les deux secondes et demi environ. La clef du succès repose sur l'application de systèmes en mesure de traiter rapidement les voyageurs connus et sur les lignes de communication directes et ouvertes qui se sont instaurées entre les hiérarchies des deux gouvernements.

Pour ce qui est de l'avenir, l'industrie entretient des préoccupations dans quatre grands domaines. Il y a d'abord celui de l'infrastructure. Il est impossible d'accélérer les déplacements de marchandises et de personnes prédédouanées si l'on ne peut compter sur un réseau routier à deux voies montantes et deux voies descendantes.

Deuxièmement, il y a le problème de la communication des données. Nous devons veiller à ce que les données commerciales sensibles ne servent pas à certains pour se livrer à des activités de concurrence. À cause des problèmes associés à la sécurité, on a envisagé d'obtenir de l'industrie beaucoup plus d'informations qu'auparavant.

Il est important que nos gouvernements veillent à ce que l'information réclamée soit strictement réservée à des fins de sécurité. Il est également important que les informations canadiennes délicates à caractère commercial, une fois qu'elles ont quitté le pays, ne servent à rien d'autres qu'à des fins de sécurité. Il est important que nos deux gouvernements collaborent pour donner la garantie à l'industrie que l'information fournie sert aux fins établies.

Troisièmement, il y a la question du préavis et de la nécessité de veiller à ce que les temps exigés soient réalistes compte tenu de la nature de nos activités et du type de marchandises expédiées. La proposition «bidon» du gouvernement américain a suscité des inquiétudes qui ont été en grande partie atténuées.

L'industrie alimentaire, de son côté, s'est aussi inquiétée des exigences en matière de préavis qu'il est souvent impossible de respecter, comme le sénateur Graham pourra vous le dire. Un capitaine de bateau de homardier n'est pas en mesure d'annoncer ce que sera sa prise 24 heures d'avance. Pourtant, on exige qu'il annonce la couleur aux États- Unis 24 heures avant. Nous avons besoin de règlements logiques qui tiennent compte de nos réalités.

Enfin, l'adoption possible par les États-Unis d'un registre d'entrée et de sortie risque d'éliminer tous les avantages associés à des technologies intelligentes. La plupart de nos principaux postes frontières sont des points d'étranglement où nous sommes confrontés à des problèmes purement physiques. L'ajout de nouvelles voies de circulation à hauteur de la frontière permettrait très facilement de régler ces problèmes de goulot d'étranglement. Il est important de discuter avec les États-Unis de ce système éventuel de contrôle des entrées et des sorties afin que celui-ci n'occasionne pas de goulot d'étranglement.

En outre, les organismes de sécurité ne se sentiront pas vraiment à l'aise pour réduire les inspections coûteuses et chronophages à la frontière canado-américaine tant que les mesures de sécurité en mer et à la frontière nord-américaine n'auront pas été mises en place. Il convient, en bout de ligne, de se concentrer sur des mesures de sécurité destinées à intercepter la menace avant qu'elle n'arrive en Amérique du Nord. Notre frontière intérieure ne sera «intelligente» que dans la mesure où notre périmètre extérieur sera sécurisé.

Ce que craint le plus le milieu des affaires actuellement, c'est d'assister à un désengagement et à une disparition du sentiment d'urgence, et que les gouvernements perdent de vue l'importance de nos relations et des liens qui existent entre la sécurité physique et la sécurité économique. Nul ne niera que nous administrons bien notre frontière avec les États-Unis, mais peut-on affirmer la même chose de nos relations plus générales avec notre voisin du Sud.

L'Accord sur la frontière intelligente a clairement démontré que nos deux pays, moyennant un certain leadership et une certaine vision, peuvent collaborer pour parvenir à des objectifs mutuellement bénéfiques.

Quelle prochaine étape envisageons-nous pour le partenariat nord-américain? Qui, au Canada, doit ou devrait administrer cette importante relation? Quel modèle devrait-on adopter pour mobiliser les États-Unis et le Mexique et ce modèle devrait-il être différent de celui que nous appliquons avec des pays non signataires de l'ALENA?

Nous pensons que oui. Nous estimons que la nature tout à fait particulière des modalités de l'ALENA et l'importance du marché américain, non seulement en regard du continent nord-américain mais aussi de la scène internationale, nous imposent une stratégie de mobilisation particulière pour cette relation importante.

L'activité commerciale canadienne en Amérique du Nord est davantage structurelle qu'axée sur l'exportation. J'ai constaté avec plaisir que le comité a abordé cette question avec certains de mes homologues qui ont témoigné plus tôt.

L'ALE et l'ALENA ont ouvert des débouchés commerciaux importants pour les entreprises canadiennes en Amérique du Nord. Ils ont aussi ouvert le marché canadien à une concurrence soutenue qui maintient des prix bas et exige des sociétés canadiennes qu'elles se restructurent pour demeurer rentables et bénéficier d'un avantage compétitif sur un marché plus vaste.

De plus en plus, les sociétés envisagent l'Amérique du Nord comme un seul et même marché, tant pour ce qui est de la main-d'œuvre que des ventes. Depuis quelque temps, leur planification stratégique et leur réalité compétitive les ont amenées à renforcer leur position dans chaque pays. Rares sont les fabricants canadiens qui, aujourd'hui, n'écoulent leurs produits que sur le marché intérieur. Pour la plupart des manufacturiers qui appliquent les principes du juste à temps dans la gestion de leur inventaire, la frontière canado-américaine passe en plein milieu de leur chaîne de fabrication.

Les MEC estiment que 60 p. 100 environ du commerce canado-américain prend la forme de transactions intra- sociétés. D'ailleurs, mon homologue de l'industrie chimique vous en a parlé il y un instant. C'est ce qui se produit quand les échanges de marchandises et de services, par-delà la frontière, prennent place au sein d'une même société. Ce type de commerce, que l'ambassadeur du Canada aux États-Unis a qualifié d'«intermestique», est le prolongement, vers l'extérieur, du commerce intérieur dans les deux pays.

Le meilleur exemple nous en est donné par les éléments que produisent les fabricants d'automobile nord-américains. Ces éléments peuvent franchir la frontière plusieurs fois avant qu'une voiture soit assemblée puis écoulée sur le marché.

Tout cela est très nouveau pour nous qui habitons sur un continent en transition. Nous conservons la vision dominante d'une Amérique du Nord dont la création est davantage due à un accident de l'histoire qu'à un objectif bien arrêté. La majeure partie de l'intégration réalisée jusqu'ici ne l'a été que de façon informelle et, quand elle a été ordonnée, elle n'a été que pragmatique et parcellaire. L'économie sera le moteur de l'Amérique du Nord dans un avenir prévisible. La question est maintenant de savoir: comment bâtir sur les succès de l'ALENA et sur l'Accord sur la frontière intelligente?

L'intégration du Canada avec les États-Unis découle des occasions de restructuration qui continuent de remodeler l'industrie canadienne en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain. Nous n'avons pas encore vraiment exploité tout le potentiel que donne cet accord, même après la croissance phénoménale des échanges trilatéraux à laquelle on a assisté après sa signature. Nous n'avons fait qu'égratigner la surface. De ce point de vue, et au risque d'être simpliste, il pourrait être tentant de définir l'idéal d'intégration nord-américaine comme étant un super ALENA, soit l'instauration d'un marché uniforme régi par un seul et même ensemble de règles appliquées et administrées par les trois gouvernements nationaux en vue de réaliser des intérêts communs dans une économie nord-américaine qui tourne bien et qui est sûre.

On peut au moins affirmer que l'ALENA fournit un cadre de négociation élargi qui pourrait conduire à l'instauration de relations beaucoup plus fortes et durables que ce qui pourrait découler d'une série de négociations sans rapport les unes avec les autres. Une stratégie plus vaste et plus porteuse consisterait à formuler une vision quant à la façon dont les Canadiens et les Américains pourront participer pleinement à la collectivité nord-américaine, en véritables partenaires. Tout d'abord, il conviendrait, à l'occasion d'une nouvelle série de discussions, de chercher à abattre les obstacles qui continuent de porter tort à l'investissement et au commerce. Bien des problèmes ont été laissés en suspens dans le sillage de l'ALE et de l'ALENA, dont les questions d'antidumping, de droits compensateurs, d'agriculture et de bois d'œuvre. Par ailleurs, les mesures actuelles que le gouvernement envisage de prendre pour revoir les règles d'origine et améliorer la collaboration avec les États-Unis sur le plan réglementaire feront beaucoup pour favoriser la compétitivité de l'industrie canadienne.

Il n'est pas possible d'agir sans s'appuyer sur des mécanismes que les deux parties jugent impartiaux et équitables. De plus, il faudra bien inclure à un moment donné notre troisième partenaire de l'ALENA, le Mexique. Il faudra régler la question des barrières non tarifaires, comme les différences de normes en matière de santé et de sécurité, d'emballage, de produits électriques, de lutte contre les émissions, de tests de produits alimentaires et de langue, entre autres choses, que ce soit par le biais d'une reconnaissance naturelle, d'une harmonisation ou de l'adoption de politiques communes, question que vous avez abordée avec mes homologues qui m'ont précédé.

La coopération intergouvernementale doit aussi servir à élaborer une approche commune afin d'empêcher les terroristes de pénétrer en terre nord-américaine, à prévoir des couloirs commerciaux continentaux pour accélérer l'acheminement des produits jusqu'aux marchés auxquels ils sont destinés et à protéger l'environnement du continent. Notre objectif doit être de porter le partenariat nord-américain à un niveau supérieur, dans le respect de la souveraineté ainsi que du caractère culturel et politique distinct de chacun des trois pays, pour améliorer la prospérité et la sécurité de tous les Nord-Américains.

Honorables sénateurs, permettez-moi de vous dire à quel point j'estime que le moment est venu d'entreprendre très sérieusement ce genre de discussion. Si vous me demandiez si je crois que nos voisins du Sud sont actuellement très désireux d'entreprendre des discussions en vue de modifier profondément nos relations, de les restructurer, je vous dirai que non. Aujourd'hui, le calendrier politique américain est surchargé et il ne comprend pas le renouvellement des relations avec le Canada même si nous sommes parfois tentés, ici, de penser que les Américains, au sud du 49e parallèle, attendent désespérément de modifier leurs relations avec nous. Cela ne fait donc pas partie de leurs projets actuels, mais ce n'est pas très grave.

Je pense que c'est après la prochaine élection présidentielle que nous pourrons faire inscrire ce point à leur programme, quand l'ardoise aura été effacée et que nos voisins se doteront d'un nouvel ordre du jour, que ce soit sous la présidence de George Bush ou d'un autre. Au Canada, nous pourrons profiter du temps qui nous sépare de cette échéance pour décider de ce que nous voulons. Voilà le genre de discussion essentielle que nous devons tenir.

Dans mon exposé aujourd'hui, je n'ai pas vraiment mis les points sur les «i» et je ne vous ai pas décrit la forme que devrait revêtir notre partenariat nord-américain. Ce que je dis, c'est que le temps est venu pour nous de nous lancer dans ce genre de discussion. Nous partageons certaines choses avec les deux autres pays d'Amérique du Nord et il est possible d'élaborer une relation qui soit à l'avantage des trois pays. Les réussites du passé, c'est-à-dire l'Accord sur la frontière intelligente et l'Accord de libre-échange, sont le produit de propositions canadiennes. Ils sont le résultat d'une démarche entreprise par des Canadiens, qui savaient ce qu'ils voulaient et qui ont convaincu leurs partenaires qu'il s'agissait d'une formule grâce à laquelle tout le monde serait gagnant. J'estime que la période qui nous sépare d'éventuelles discussions avec les Américains pour qu'ils inscrivent ce point à leur ordre du jour est l'occasion, pour les Canadiens, d'entreprendre entre eux des discussions sur ce qu'ils espèrent de cette relation. Tout ce que je peux dire, c'est que si nous ne savons pas ce que nous voulons obtenir, nous n'obtiendrons rien.

Il est clair, par ailleurs, que l'intégration se produit au quotidien, à un rythme très soutenu, peut-être plus soutenu que nous voulons bien l'admettre. Les forces du commerce, de la sécurité et du reste nous rapprochent un peu plus de jour en jour. Une vaste alliance nord-américaine est inévitable. Elle se réalisera implicitement, sous l'effet d'un rapprochement opéré par l'action des forces en présence dans les domaines de la technologie, du commerce et de la sécurité commune, ou parce que nous le voudrons, à condition que les politiciens et les dirigeants du milieu des affaires formulent une véritable vision de ce que pourra être une collectivité nord-américaine. Le Canada tient pour acquises ses relations économiques et politiques avec les États-Unis. Il convient de mieux communiquer l'importance de ces relations aux Canadiens et aux Américains, de même qu'aux responsables politiques des deux pays.

Merci pour les mesures que vous prenez aujourd'hui afin de stimuler le débat, débat auquel je me fais un plaisir de participer.

Le sénateur Austin: Merci pour cet exposé à la fois vaste et clair sur des questions dont le comité est saisi.

Nous pouvons choisir entre les différentes approches que vous nous avez décrites. Il y en a une qui est verticale dans le sens descendant, puisqu'elle part des stratégies pour aboutir à la mise en œuvre d'un programme, il y en a une qui est verticale dans le sens ascendant, chaque industrie réglant ses problèmes de son côté en vue de combler l'écart. Puis, il y l'approche sectorielle. Je pense avoir mentionné les trois dont vous avez parlées. Je suppose, d'après ce que nous vous avez dit — mais j'aimerais que vous nous le confirmiez — que vous favorisez l'application de ces trois approches de front.

M. Beatty: Vous m'avez bien compris.

Le sénateur Austin: Autrement dit, il vaut mieux faire feu de tout bois pour être sûr d'aboutir. Malheureusement, nous commencerons peut-être à manquer de bois. Quoi qu'il en soit, il y a encore beaucoup qui se fait dans le domaine du commerce et de l'investissement, comme M. Beatty vient de le dire.

Passons à ce qui nous touche de près. Nous avons entendu l'ambassadeur Celluci nous déclarer, ces dernières semaines, que les problèmes de sécurité éclipsent l'économie. Je crois que les Canadiens ont compris le message et, d'après ce que vous nous avez dit, le groupe que cous représentez l'a compris, puisqu'il estime qu'il faut régler les problèmes de sécurité afin d'ouvrir plus grande la porte des États-Unis ou d'éviter qu'elle ne se referme sur nous dans certains secteurs des échanges commerciaux.

Pourriez-vous nous dire un peu plus précisément comment le milieu des affaires que vous représentez compose avec l'insistance actuellement placée sur la sécurité? Nous disposons d'un plan en 30 points, mais quel rôle le milieu des affaires joue-t-il dans la priorité à accorder aux problèmes de sécurité?

M. Beatty: C'est une grande préoccupation pour lui, sénateur. Nous avons beaucoup investi de temps et d'énergie dans toute cette question. Les gouvernements ne peuvent certes pas à eux seuls régler les problèmes de sécurité, surtout pas dans le domaine de la manutention du fret international. Le commandant en chef de la garde côtière américaine, M. Flynn, qui est sans doute le plus grand expert international en matière de sécurité du fret, sera de passage à Ottawa un peu plus tard cette semaine. Il a indiqué que les menaces potentielles à la sécurité en Amérique du Nord sont dues aux faibles niveaux d'inspection du fret international et aux risques de pénétration d'une arme de destruction massive dans un conteneur de 40 pieds. Pour contrer cette menace, les entreprises devront investir dans des dispositifs susceptibles d'améliorer la sécurité des conteneurs. Il faudra investir dans la tenue des dossiers et dans la sécurité physique par le biais d'une amélioration des niveaux de sécurité et d'un meilleur contrôle sécuritaire de toutes les personnes qui occupent des postes sensibles et qui travaillent en étroite collaboration avec les gouvernements.

Le défi le plus important que nous ayons à relever pour l'instant, sénateur, c'est le montant de la facture et c'est aussi de savoir qui devra la régler au bout du compte.

Le sénateur Austin: C'était ma prochaine question: combien vous en coûtera-t-il et comment allez-vous répercuter ces coûts?

M. Beatty: Cela nous préoccupe beaucoup. Certains soutiennent que nous devrions transférer le plus possible le fardeau de la sécurité sur chaque industrie ou entreprise. Par exemple, les familles des victimes du World Trade Center, du 11 septembre 2001, pourraient affirmer que la sécurité des transports n'est pas seulement le problème des compagnies aériennes mais que c'est un problème de sécurité publique en général. Ce faisant, cela devrait donner lieu à une politique gouvernementale intéressant tous les citoyens. Nous pourrions aussi soutenir que l'amélioration de la sécurité en Amérique du Nord exige le déploiement d'un effort commun, autrement dit que tous les citoyens fassent leur part et que cela n'incombe pas uniquement à un secteur ou à un autre.

Dans les cas où l'investissement pourrait donner lieu à des retombées positives concrètes, l'industrie ne se plaindra pas des coûts associés à la participation du programme d'amélioration de la sécurité, par exemple au programme NEXUS qui permet de traiter rapidement les dossiers des voyageurs prédédouanés. Il est logique de s'y prendre ainsi. Cette méthode est facultative pour l'industrie qui en bénéficie. Cependant, il y aura matière à s'inquiéter si tous les coûts devaient être assumés par l'industrie.

Les autres domaines clés qui nous préoccupent concernent surtout les PME qui nous disent: «Quelles sont les pratiques exemplaires à appliquer? Qu'attendez-vous de nous? Vous nous dites que nous devons améliorer la sécurité chez nous, mais qu'est-ce que cela signifie? Dans le passé, nous estimions que la sécurité consistait à éviter que personne ne vole de palettes sur les quais de chargement. Nous n'avons jamais eu affaire à Al-Qaïda. Nous devons déployer un effort concerté au niveau d'organisations comme les MEC, de concert avec le gouvernement, pour mettre en œuvre les pratiques exemplaires nécessaires et les communiquer ensuite à l'ensemble de l'industrie, en particulier aux MEC. Elles sont prêtes à faire leur part, mais elles veulent savoir exactement ce qu'on attend d'elles.

Le sénateur Austin: Je vais revenir sur un aspect que vous avez mentionné. Jim Phillips, que vous connaissez, je pense, a témoigné devant nous. Nous avons parlé de ce qui était nécessaire sur le plan technologique, par exemple pour des conteneurs de 20 ou de 40 pieds. Il existe d'ailleurs une technologie remarquable. Il nous a décrit la façon dont les conteneurs pouvaient être chargés sous inspection puis scellés. Un dispositif de suivi géophysique indiquerait en permanence leur position précise et signalerait le bris éventuel des scellés. En outre, les conteneurs seraient peints à l'intérieur. Advenant que quelqu'un y pratique un orifice, il serait possible de le savoir grâce à des moyens électroniques. En revanche, la facture serait élevée. Il demeure que deux utilisateurs exploitent déjà ce système.

Avez-vous envisagé une intégration éventuelle des coûts parce que l'un des deux premiers groupes d'utilisateurs de ce genre de système sera bien évidement celui des services de sécurité américains et canadiens qui veulent savoir comment cela fonctionne. L'autre gros utilisateur sera l'industrie. Il pourrait être intéressant pour l'industrie du conteneur de savoir exactement où se trouve chaque unité. Ce serait un avantage pour l'expéditeur et pour le destinataire.

Qui paierait? Pensez-vous que les gouvernements devraient assumer une partie des coûts associés à la production et à l'acheminement de l'information ou estimez-vous, d'après votre expérience jusqu'ici, que l'industrie devrait payer la facture?

M. Beatty: J'estime que ce devrait être partagé. Si nous nous y prenons bien, l'industrie pourrait y trouver un avantage. Toute personne travaillant dans le domaine de la logistique vous dira que les entreprises, pour de bonnes raisons, veulent de plus en plus savoir où se trouvent leurs marchandises, à n'importe quel moment. Pour cela, elles mettent en œuvre des systèmes de plus en plus intelligents.

S'agissant de la formulation des exigences de sécurité établie par le gouvernement, il faudra d'abord veiller à ce que les critères imposés s'inscrivent en complément de ce que l'industrie fera de son côté pour répondre à ses propres besoins, plutôt que de mettre sur pied des systèmes parallèles mais compétitifs qui s'ajouteraient à l'autre.

Le sénateur Austin: Ou encore des systèmes qui ne seraient pas compatibles entre eux.

M. Beatty: Tout à fait. Mes homologues qui sont membres de la Coalition pour des frontières sécuritaires et efficaces sur le plan commercial me disent qu'il faut absolument tendre vers l'intégration et vers une formule qui soit le produit d'une collaboration étroite. L'industrie est ravie de collaborer avec le gouvernement sur ce plan. De plus, nous devrons mettre en œuvre un système grâce auquel tout le monde sera gagnant. Pour en revenir à ce que disait le sénateur Graham et à ce que vous disiez vous-même, sénateur Austin, on peut se demander s'il est logique que, quand un navire est déchargé à Vancouver ou à Halifax, la cargaison soit admise en Amérique du Nord, transférée dans des wagons de train et soumise à une deuxième inspection quelques heures seulement après avoir franchi la frontière canado-américaine? Pourquoi ne mettrions-nous pas en œuvre des systèmes qui ne viseraient pas à corriger spécifiquement ce qui s'est passé le 11 septembre, mais plutôt à corriger les problèmes qui existaient bien avant, système grâce auquel nous pourrions porter notre industrie à un autre niveau parce qu'elle serait beaucoup plus efficace qu'auparavant? J'estime que nous pourrions y parvenir par une collaboration étroite entre l'industrie et le gouvernement. C'est la meilleure réponse que nous puissions donner aux terroristes.

Le sénateur Austin: Monsieur Beatty, plus de 40 p. 100 de notre PIB est attribuable à nos relations commerciales avec les États-Unis. Nous envisageons ici d'ajouter un coût qui risque, je suppose, de nous désavantager par rapport au système économique intérieur américain avec lequel nous serions en concurrence. Que pensez-vous de ce genre de conséquence dissymétrique?

M. Beatty: Si nous nous y prenons bien, nous n'aurons pas à subir de fardeau plus important au Canada qu'aux États-Unis. L'industrie américaine devra aussi songer à des façons d'améliorer ses normes. D'ailleurs, les États-Unis étant la principale cible du terrorisme, on pourrait même soutenir qu'elle devra peut-être supporter un fardeau plus important parce qu'elle devra améliorer encore plus que nous ses normes de sécurité.

Le problème est le suivant: est-ce que nous allons travailler de façon coordonnée pour faire en sorte de ne pas imposer de fardeau indu sur une industrie quelconque? Depuis le 9 septembre, nous constatons un degré de collaboration sans précédent entre l'industrie et le gouvernement. Il faut profiter de cette synergie pour aller plus loin encore.

Le sénateur Graham: Bienvenue, monsieur Beatty. Merci pour votre exposé très clair. Vous inquiétez-vous du risque de protectionnisme accru de la part des Américains contre le Canada?

M. Beatty: Parlez-vous de l'aspect politique ou de problèmes liés à la sécurité?

Le sénateur Graham: Surtout de l'aspect politique.

M. Beatty: Sénateur, il est évident que cela nous préoccupe. Nous surveillons la question de près. Dans plusieurs dossiers non réglés, il apparaît que les États-Unis sont trop protectionnistes, que ce soit dans le domaine du bois d'œuvre, dans celui des subventions agricoles ou dans bien d'autres.

Si votre question est: craignez-vous qu'à la suite des événements des deux dernières semaines, l'administration américaine ne prenne des mesures punitives à l'endroit du Canada, je vous répondrai par la négative. Je ne pense pas que ce sera le cas, sauf s'il devait y avoir d'autres incidents. Je me demande plutôt si nous avons suffisamment investi des deux côtés de la frontière afin de créer la bonne volonté nécessaire à dénouer les nœuds gordiens présents même dans les meilleures relations. A-t-on la volonté d'investir du capital politique pour régler le problème du bois d'œuvre? A-t-on la volonté politique pour régler le problème des entrées et des sorties? Nous sommes préoccupés par ce dernier aspect et le risque de ralentissement aux frontières qui y est associé. Nous estimons que le Canada devrait être exempté de ce genre de dispositions. Existe-t-il, aux États-Unis, la volonté politique d'aller dans ce sens?

Plus tôt aujourd'hui, je me suis entretenu avec mes homologues de la National Association of Manufacturers, à Washington, notre organisation sœur. Ils m'ont dit que les États-Unis sont fort bien disposés envers le Canada. Il y a eu un petit accroc dans nos relations ces deux dernières semaines, mais je pense que nous allons pouvoir le réparer. L'important, c'est de se concentrer sur nos relations et de les améliorer.

Sénateur Austin, je crois que c'est vous qui avez parlé du pourcentage du PIB canadien qui est attribuable au commerce international. Aujourd'hui, les manufacturiers canadiens vendent beaucoup plus de leurs produits aux États-Unis qu'au Canada. Les Canadiens ne sont pas les premiers clients de nos manufacturiers. Cela vous donne une idée de l'importance de la relation dont je parle.

Le sénateur Graham: Vous avez dit que nous devrions nous fixer pour objectif de porter l'ALENA à un niveau supérieur. Est-ce que cela englobe l'union douanière?

M. Beatty: Une union douanière pourrait découler des discussions à entreprendre. Je ne suis pas certain qu'il faudrait en faire un objectif. Notre objectif doit être de déterminer les domaines dans lesquels il est logique, pour les deux partenaires, de collaborer et de trouver des façons d'abattre les barrières au commerce pour que tout le monde sorte gagnant. Nous pourrions adopter nombre de mesures pour éliminer tout ce qui grève le commerce entre les deux partenaires et pour réduire les coûts à la frontière. Il est possible qu'à un moment donné, nous nous rendions compte que nous appliquons des approches tellement semblables à cet égard et que les chiffres sont tellement peu différents qu'il serait logique de nous acheminer vers une formule destinée à nous rapprocher davantage, comme celle de l'union douanière.

Cependant, je ne pense pas que nous ayons à prendre cette décision tout de suite. Il y a bien des mesures que nous pouvons adopter pour améliorer le système avant d'en venir à décider de la formule définitive à appliquer.

Le sénateur Bolduc: Les gens de la Banque du Canada disent toujours, pour défendre leur politique monétaire, que le dollar canadien est bon pour le Canada parce que le taux de change nous permet d'absorber les chocs. Estimez-vous, personnellement, que notre souveraineté, exprimée par la politique monétaire, favorise la productivité ou pensez-vous que ce serait plutôt le contraire?

M. Beatty: Le dollar est une épée à double tranchant pour l'industrie canadienne. A priori, on peut penser qu'un dollar faible favorise les exportations canadiennes qui sont moins chères et, par voie de conséquence, qu'il favorise notre industrie nationale. Cependant, nombre de manufacturiers sont aussi des importateurs. Ils importent de l'équipement, de la machinerie pour produire leurs biens ainsi que des matières premières et des composantes. Ce faisant, dès que le dollar canadien faiblit, il leur en coûte plus cher.

Par ailleurs, je ne pense pas qu'aucun pays au monde ait jamais décidé de dévaluer sa devise pour favoriser sa prospérité. Nous parlons beaucoup du taux de change entre le dollar canadien et le dollar américain, mais nous devrions davantage nous intéresser au taux de productivité par rapport aux États-Unis. Si le dollar canadien suit la courbe de la productivité canadienne à la hausse, par rapport aux États-Unis, il n'y a alors pas de problème pour les exportateurs canadiens, en autant que notre productivité continue de croître. D'un autre côté, si nous continuons d'accuser un retard sur le plan de la productivité par rapport aux États-Unis et si ce retard s'accroît, je ne vois pas en quoi un dollar faible va nous sauver. Nous devons nous concentrer sur ce qui est important, c'est-à-dire l'amélioration de notre productivité.

Le sénateur Bolduc: Notre décalage par rapport aux États-Unis sur le plan de la productivité varie considérablement d'un secteur manufacturier à l'autre. Certains sont très productifs, tout aussi productifs que leur pendant américain je suppose, et d'autres le sont beaucoup moins. Est-ce parce que les importations d'équipement de haute technologie ont été négativement affectées par un dollar faible, le marché étant imparfait à certains égards, ou est-ce que, à cause de la situation du marché de la main-d'œuvre au Canada, les gens ici travaillent moins qu'aux États-Unis?

J'ai été frappé d'apprendre qu'aux États-Unis, les gens travaillent à peu près 2 000 heures par ans, tandis que nous en faisons environ 1 500 ici. C'est un aspect tout de même important.

M. Beatty: Sénateur, vous venez précisément de mettre le doigt sur une chose qui intéresse beaucoup les MEC. Je ne prétends pas qu'il existe une réponse simple et rapide. Il n'y en a pas. Vous avez sans doute raison, sénateur, les niveaux de productivité varient énormément d'une industrie à l'autre et d'une société à l'autre.

J'aimerais faire quelques remarques à ce sujet. D'abord, même si, dans leur ensemble, nos PME accusent un décalage négatif sur le plan de la productivité par rapport aux États-Unis, cela ne revient pas à dire que les petites et moyennes entreprises sont systématiquement inefficaces. Il existe toute une gamme de fournisseurs dans le secteur automobile qui sont de classe internationale. On ne peut vendre à GM, à Ford ni à DaimlerChrysler si l'on n'est pas capable d'appliquer des normes de classe internationale. Les entreprises en question respectent de telles normes. Et puis, il y a beaucoup d'avantages.

La géographie n'est pas nécessairement un critère. Vous pouvez avoir une société comme Garrison Guitars, à Terre- Neuve, qui a remporté le Prix canadien pour l'innovation et qui constitue un excellent exemple d'entreprise située dans une région éloignée. Elle est un leader mondial dans son domaine d'activité. Il ne faut pas chercher de réponse magique, tous azimut, mais nous intéresser à des aspects bien précis pour voir comment nous pouvons améliorer la situation ensemble.

Comment, par exemple, améliorer la formation et la compétence professionnelle des travailleurs? Une entreprise ne peut être novatrice si ses employés ne le sont pas. Que pouvons-nous faire pour cueillir le fruit de la branche basse, c'est-à-dire pour mettre en œuvre les mesures relativement peu coûteuses qui nous permettront d'accroître la rentabilité des petites et moyennes entreprises? Je vais vous dire ce que font les MEC à ce sujet, cela devrait particulièrement intéresser le sénateur Austin parce que mon président est membre d'un des consortiums que nous avons créés à Vancouver. Nous avons donc créé des consortiums manufacturiers qui regroupent 12 à 15 entreprises qui ne se font pas concurrence et dont les cadres se réunissent pour s'évaluer par rapport aux normes internationales, pour mettre leurs ressources en commun afin d'engager les services d'experts qu'aucune ne pourrait se payer de son côté, simplement pour obtenir des conseils qu'elles ne pourraient avoir nulle part ailleurs sur la façon de régler tel ou tel problème et de promouvoir les principes d'une fabrication optimale. Nous avons constaté d'incroyables améliorations de productivité à la suite de l'application de mesures simples et peu coûteuses de ce genre. Nous avons proposé à Industrie Canada de s'associer à nous pour étendre cette formule de consortium à l'ensemble du pays.

Il faut bien comprendre l'innovation. Très souvent, on voit l'innovation comme une sorte de machine gigantesque, où l'argent entre par le haut et où il suffit de tourner une manivelle pour obtenir des produits novateurs par le bas. Je ne pense pas que c'est ainsi que ça se passe. Qui dit innovation, dit davantage culture, état d'esprit et organisation pour utiliser l'argent et les ressources disponibles. Nous pourrions faire beaucoup, surtout dans le cas des PME, afin de les rendre plus novatrices.

Très souvent, l'innovation doit se faire au niveau de l'entreprise. Comment adopter des principes exemplaires de classe internationale plutôt que d'effectuer des recherches de niveau prix Nobel qui déboucheront sur la mise en œuvre de nouvelles technologies? Les possibilités sont vastes et il faut bien viser.

L'investissement dans la machinerie est très important sur ce plan. Comme le dollar canadien est faible, la machinerie utilisée par les PME canadiennes — à en croire un rapport vieux de deux ans du Comité permanent de l'industrie de la Chambre des communes — est en moyenne plus vieille que la machinerie utilisée dans des usines américaines. Cela étant, elle est moins efficace. Nous pourrions, par exemple, envisager de supprimer l'impôt sur le capital pour inciter les entreprises à remplacer le matériel inefficace. Nous pourrions prendre d'autres mesures dans bien des domaines pour améliorer la compétitivité de notre industrie.

Le vice-président: Merci monsieur Beatty. Encore une fois, vous venez de contribuer très utilement à nos délibérations par vos propos très instructifs. Nous avons hâte de vous accueillir une autre fois. D'ici là, acceptez tous nos remerciements pour avoir pris le temps de vous joindre à nous cet après-midi.

La séance est levée.


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