Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères
Fascicule 14 - Témoignages du 8 avril 2003
OTTAWA, le mardi 8 avril 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 17 heures pour examiner, en vue d'en fairerapport, les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, comme vous le savez, le Sénat ne siège pas cette semaine; je pense cependant qu'il y a d'autres collègues qui seront ici bientôt. Il est 5heures, et nous avons un horaire plutôt chargé. Nous devrions commencer.
J'aimerais expliquer à nos témoins pourquoi nous étudions le Mexique de cette façon. Comme vous le savez, le mandat que le Sénat nous a confié consiste à étudier les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis et entre le Canada et le Mexique, ainsi que certains des obstacles et des problèmes à cet égard. Nous avons recueilli beaucoup d'information, mais uniquement sur le Canada et les États-Unis.
Nous comptions nous rendre au Mexique dans quelques semaines. Cependant, le Congrès mexicain vient d'être dissous en vue de la tenue d'élections, et ses membres vont être très occupés d'ici la fin du mois. Nous ne pouvons donc pas y aller. Nous allons remettre ce voyage à plus tard, quoique pas tellement. Le comité de direction, composé du sénateur DiNino, du sénateur Corbin et de moi-même, va essayer d'organiser quelque chose pour après les élections, ce qui est plus logique.
Nous avons quand même jugé qu'il serait utile d'avoir de l'information sur les progrès de l'ALENA du point de vue du Mexique. Nous sommes donc très heureux que vous ayez pu venir. Nous en sommes à notre 23e séance depuis le 1er février et nous avons accumulé beaucoup d'information qui devrait être importante et que nous espérons inclure dans le rapport que nous comptons déposer le mois prochain.
Pour la gouverne des membres du comité et des autres, nous avons avec nous M. Lortie, M. Clark et M. Rojas- Arbulú, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
Je pense qu'il me manque quelqu'un. Je consulte ma liste. Voudriez-vous vous présenter?
M. Claudio Vallé, directeur, Règlements et obstacles techniques, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Je suis responsable de la direction qui s'occupe des obstacles techniques au commerce, au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
Le président: Pour simplifier les choses, pourriez-vous nous présenter une brève introduction pour que nous puissions passer aux questions assez rapidement? Bienvenue au comité.
M. Marc Lortie, sous-ministre adjoint (Amériques), ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: C'est un honneur pour mes collègues et pour moi de comparaître devant votre comité cet après-midi.
[Français]
J'ai un texte que j'ai mis à la disposition du comité et, de cette façon, nous allons gagner du temps. C'est un texte qui sera distribué et qui, bien sûr, a beaucoup d'informations détaillées sur notre relation avec le Mexique.
[Traduction]
Le président: Nous allons distribuer votre texte. Veuillez commencer.
M. Lortie: Je vais tenter de vous résumer les grandes lignes de mon texte. Je tiens cependant à préciser dès le départ que les liens économiques entre le Canada et le Mexique représentent une réussite importante. Je vais essayer de vous le démontrer dans les quelques minutes qui viennent.
Nous avons accompli des progrès absolument remarquables depuis dix ans. Je dirais que ce n'était pas prévu en 1994, quand l'ALENA a été signé.
C'est donc dans cet esprit que se situe ma déclaration de cet après-midi. Depuis la mise en oeuvre de l'ALENA, le Mexique est devenu l'un des principaux marchés pour les exportations et les investissements canadiens. Bien que nous tenions toujours le Mexique pour un pays d'Amérique latine et que nous le considérons comme notre principal marché en Amérique latine, l'économie mexicaine est maintenant tributaire du cycle commercial de l'Amérique du Nord.
Comme pour le Canada, les États-Unis constituent de loin le principal marché pour le Mexique, qui y exporte en effet 88p.100 de ses produits.
[Français]
En février de cette année, le premier ministre du Canada, le Très honorable Jean Chrétien s'est rendu en visite officielle au Mexique. C'était, depuis 1993, sa troisième visite officielle au Mexique.
Le premier ministre en a profité pour participer à une cérémonie de signatures d'accords économiques avec le président Fox. Des accords qui étaient de l'ordre d'environ 500millions de dollars.
Dans le contexte de cette visite, le président Fox— je crois que c'est important ici— a loué l'état de nos rapports bilatéraux. Décrivant le Canada comme un partenaire stratégique des plus importants pour le Mexique, ce qui vient confirmer la qualité et l'intensité de notre relation bilatérale.
[Traduction]
C'était assez émouvant d'entendre le président Fox parler avec une telle intensité du fait que le Mexique a découvert le Canada comme partenaire stratégique pour l'avancement économique et la transformation politique de son pays. Il est rare, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, qu'un pays étranger nous dise qu'il considère le Canada comme un partenaire stratégique pour assurer le mieux-être de sa population.
Nos échanges bilatéraux sont passés de 5,6 à 19 milliards de dollars canadiens depuis 1994. Ces chiffres sont fondés sur un mélange de statistiques canadiennes et mexicaines. Vous ne trouverez pas cette somme de 19 milliards dans les publications de Statistique Canada parce que nous sommes encore en train de concilier les données établies selon notre méthode de calcul des exportations et la méthode mexicaine.
Nous en arrivons donc à un chiffre de 19 milliards de dollars, que les organismes responsables des données statistiques dans nos deux pays jugent le plus réaliste. Il se fait beaucoup de travail à cet égard.
Le sénateur Corbin: C'est en dollars canadiens?
M. Lortie: Oui, en dollars canadiens.
Le sénateur Austin: S'agit-il des échanges de marchandises seulement, ou de marchandises et de services?
M. Lortie: De marchandises seulement.
Le sénateur Austin: Avez-vous un chiffre pour les services? J'imagine que le déficit est beaucoup plus important, étant donné le flux de touristes.
M. Lortie: Oui, il y a plus d'un million de touristes par année.
Donc, pendant cette courte période, nos exportations vers le Mexique se sont presque multipliées par six, puisqu'elles sont passées de 1,1 à 6,5 milliards en 2002, ce qui représente une croissance moyenne de 15p.100 annuellement. Le Mexique est aujourd'hui le quatrième marché d'exportation du Canada, devant un certain nombre de pays du G8. Et le Canada est le deuxième marché d'exportation du Mexique, après les États-Unis. Ces chiffres montrent que l'ALENA a été une réussite exceptionnelle pour nos deux pays. En outre, les investissements directs du Canada au Mexique ont triplé depuis la signature de l'ALENA; ils dépassent maintenant les 4 milliards de dollars canadiens, ce qui fait du Mexique le quatrième pays en importance dans lequel nous investissons.
Nos gouvernements provinciaux, d'autres ministères fédéraux et des sociétés d'État participent aussi aux efforts pour intensifier nos relations commerciales et resserrer nos liens généraux avec le Mexique. Il y a par exemple à notre ambassade des représentants du gouvernement de l'Alberta, du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, du ministère de l'Agriculture, du ministère des Ressources naturelles, du ministère de la Défense nationale, de la GRC et du SCRS. Il y a des bureaux — non seulement à Monterrey, mais aussi dans d'autres régions du Mexique — d'Exportation et développement Canada, EDC, et nous avons mis sur pied il y a quelques années un nouveau centre d'éducation canadien. De très nombreux Mexicains souhaitent envoyer leurs enfants et leurs adolescents étudier au Canada. Il y a maintenant plus de 10000 jeunes Mexicains qui viennent faire des études chez nous.
[Français]
Monsieur le président, EDC appuie nos entreprises canadiennes en leur offrant, au total, 2,7 milliards $ CAN par l'entremise de ses mécanismes financiers. En 2002, EDC a fourni un appui financier à 404 entreprises canadiennes, en fournissant de l'équipement et des services à l'industrie mexicaine. Comme je le signalais un peu plus tôt, EDC vient d'ouvrir un deuxième bureau dans l'État du Nuevo León, plus précisément dans les locaux de notre consulat à Monterrey.
[Traduction]
Guadalajara et Monterrey vont continuer à prendre de l'importance au Mexique. C'est la raison pour laquelle le gouvernement canadien a décidé d'y ouvrir ces dernières années des bureaux commerciaux, qui ne sont toutefois pas des consulats en bonne et due forme. Nos échanges commerciaux avec l'État mexicain du Jalisco, par exemple, sont actuellement plus considérables que nos échanges avec l'Inde. Cette situation montre bien le dynamisme d'un petit secteur de cet important État mexicain qui a tiré pleinement parti des mécanismes de l'ALENA pour chercher à resserrer ses liens économiques avec le Canada.
Nous avons signé près de 120 accords bilatéraux au cours des dernières années; il y a eu des lettres d'intention et des protocoles d'entente dans toutes sortes de secteurs, par exemple la bonne gouvernance, la réforme de la fonction publique, l'accès à l'information, la culture, et ainsi de suite. Nous travaillons avec le gouvernement mexicain, grâce à cette série d'accords, à la transformation politique et économique du pays.
Cependant, une relation qui croît à un rythme aussi rapide connaît nécessairement certains problèmes. Nous avons actuellement des problèmes commerciaux dans le secteur de l'agriculture. Ce ne sont pas encore des irritants comme tels, mais je voudrais vous en décrire quelques-uns plus en détail.
Comme vous le savez, le Mexique devait ramener la plupart de ses tarifs agricoles à zéro au 1er janvier 2003. Cela a entraîné des difficultés pour certains producteurs agricoles mexicains, et nous subissons le contrecoup de ces difficultés. Il y a eu beaucoup de tension en janvier et en février parce que les petits agriculteurs mexicains craignaient la concurrence du Canada, et surtout des États-Unis, sur le marché nord-américain. Le président Fox et son administration ont donc été soumis à de fortes pressions pour les inciter à ne pas respecter leurs engagements dans le cadre de l'ALENA.
La décision n'a pas été facile, mais le gouvernement du Mexique a confirmé au premier ministre, au cours de sa visite officielle à la fin de février, que le Mexique respecterait pleinement ses engagements en vertu de l'ALENA, même si c'est difficile pour son agriculture. Le premier ministre a eu un échange de vues très utile avec un groupe de sénateurs et de membres du Congrès pendant sa visite là-bas. Il a expliqué ce que le Canada avait fait dans ce domaine et comment il s'était adapté à la situation, et a souligné que la situation était très difficile pour nos agriculteurs aussi, compte tenu du Farm Bill aux États-Unis.
Même si les Mexicains ont pris cette décision politique, nous avons constaté qu'il était actuellement plus difficile d'exporter certains de nos produits agricoles. Nous discutons actuellement avec les autorités mexicaines de certains obstacles qui se sont soudain érigés. Ils ne sont pas de nature tarifaire.
Le président: Pouvez-vous me dire de quel genre de produits agricoles vous voulez parler? Dans bien des cas, nous ne cultivons pas les mêmes produits qu'eux.
M. Lortie: Il s'agit essentiellement des haricots. Il y a eu des retards à la frontière, sous prétexte de problèmes sanitaires ou d'autres considérations de cette nature. Plutôt que d'imposer des mesures tarifaires, on invoque des raisons sanitaires pour contester ou retarder l'entrée de certains de nos produits sur le marché mexicain.
Le président: Surtout les haricots?
M. Lortie: Surtout les haricots et les pommes de terre.
M. Vallé: Nous avons subi des restrictions sur les pommes, mais cela s'est réglé. Les Mexicains avaient également envisagé de resserrer leurs dispositions phytosanitaires touchant les produits de viande — le porc et le boeuf —, mais nous avons fait d'importantes représentations à ce sujet-là, et ils ont reculé, du moins pour le moment.
Le président: Il s'agit donc surtout des haricots plutôt que du maïs?
M. Vallé: Oui.
M. Lortie: Nous constatons depuis quelques années une croissance remarquable de nos liens économiques avec le Mexique. Il est certain que, depuis l'élection du président Fox, en juillet 2002, nous remarquons un intérêt encore plus grand pour faire du Canada un partenaire stratégique dans le contexte nord-américain.
Grâce à l'expansion continue des marchés et à un meilleur potentiel de pénétration, nous continuerons à concentrer nos exportations dans des secteurs prioritaires de ce marché. La nouvelle vision du président Fox, qui veut favoriser tout particulièrement la croissance des petites et moyennes entreprises mexicaines, cadre bien avec l'assise industrielle du Canada, qui se compose en bonne partie de PME. Je suis confiant que cette approche nous permettra d'intensifier nos liens d'affaires avec le Mexique.
[Français]
À l'approche du dixième anniversaire de l'entrée en vigueur de l'ALENA, alors que nous célébrons 60 ans de relations diplomatiques entre nos deux pays, le Canada et le Mexique connaissent des niveaux de coopération bilatérale et d'échanges sans précédent. Les Mexicains considèrent de plus en plus le Canada comme un endroit de prédilection pour l'exportation et l'éducation. Cette optique de la part du Mexique est d'importance. Les affinités se créant lors d'un séjour au Canada engendrent souvent un potentiel commercial.
[Traduction]
Il y a plus de détails dans mon texte écrit, mais, comme vous l'avez mentionné au début, je vais m'arrêter ici, monsieur le président, pour que nous puissions engager le dialogue et répondre aux questions des sénateurs.
[Français]
Le sénateur Corbin: Les nouvelles mesures de sécurité américaines posent-elles des difficultés de transit des marchandises entre le Canada et le Mexique? La situation est-elle stable, ou est-elle devenue plus difficile?
M. Lortie: La situation est stable à cet égard. Dans le cadre de notre stratégie, nous suivons de près le trafic frontalier entre le Mexique et les États-Unis. Nous faisons de même à l'égard de la frontière entre le Canada et les États-Unis. Nous nous sommes engagés auprès du gouvernement mexicain à leur faire part sur une base régulière de la façon dont les choses se déroulent à notre frontière. Il en va de même de leur côté. La stratégie en 30 points du gouvernement canadien pour la modernisation de notre frontière a inspiré les Mexicains. Nous avons négocié un accord qui fut signé le 12 décembre 2001, lors de la visite à Ottawa du gouverneur Ridge, à laquelle a également assisté le ministre Manley. Nos collègues mexicains désiraient à l'époque une alliance à trois sur la gestion des frontières. Nous avons toutefois convenu, quelques semaines auparavant, qu'il serait préférable de développer notre stratégie individuellement tout en établissant ensemble une communication très étroite.
Le 22 mars 2002, le Mexique et les États-Unis ont signé un accord en 22 points semblable au nôtre visant à moderniser la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Leur frontière est plus rigide que la nôtre et le passage y est plus difficile. Toutefois, le volume du mouvement commercial et de passagers est équivalent à ce que nous connaissons. Plus de 85 p. 100 des produits canadiens à destination du Mexique traversent la frontière par voie terrestre. Nos exportateurs nous ont indiqué que le passage frontalier a connu des retards. C'est encore le cas selon l'état d'alerte orange qui fluctue sur la frontière mexicaine et canadienne. Nous sommes extrêmement attentifs à cet égard. Le trafic semble normal, sauf durant certaines périodes où il devient plus difficile.
En conclusion, le passage est plus lent à la frontière mexicaine. Cette frontière est beaucoup plus lente que la frontière au Nord des États-Unis.
Le sénateur Corbin: Elle est plus lente pour entrer au Mexique comme pour en sortir?
M. Lortie: Tout à fait.
Le sénateur Corbin: Ma prochaine question porte sur un autre volet. En conclusion de votre document, vous indiquez ce qui suit:
[Traduction]
La croissance remarquable dans tous les volets des relations bilatérales dans la période ayant suivi l'entrée en vigueur de l'ALENA, et surtout depuis les élections présidentielles au Mexique au mois de juillet 2002, me permettent d'être fort optimiste quant aux perspectives d'avenir [...]
[Français]
La situation actuelle est-elle meilleure grâce à une nouvelle politique, ou s'agit-il tout simplement du fait qu'on ait atteint une vitesse de croisière après un début plutôt lent? Est-ce une nouvelle attitude du Mexique qui a rendu la situation actuelle si adéquate? Nul n'est sans savoir que le Mexique connaît des hauts et des bas.
M. Lortie: C'est le résultat d'une évolution dans les relations entre le Canada et le Mexique. Le président Fox, au début de son mandat, dans la deuxième moitié du mois d'août 2000, est venu au Canada avec un message très clair: faire du Canada un partenaire stratégique. Il est arrivé à cette époque avec une vision nord-américaine très audacieuse ainsi qu'une vision bilatérale sur nos relations, en disant «j'ai besoin du Canada pour transformer et moderniser l'administration publiquede mon pays et poursuivre la transformation politique dans mon pays».
En ce sens, nous estimons que l'administration Fox, dont le mandat se terminera en 2006, a gardé son optique au cours des dernières années. Sa vision demeure de faire du Canada un partenaire stratégique sur le plan bilatéral pour se moderniser, s'engager dans la bonne gouvernance et moderniser son fédéralisme, son système de justice, son système électoral et son système d'administration publique.
Nous nous sommes engagés sur une voie de modernisation du fédéralisme avec les Mexicains. Nous partageons avec le Mexique une vision nord-américaine. Sur ce plan, nous avons été très attentifs aux propositions mexicaines. Le gouvernement canadien jusqu'à présent ne s'est toutefois pas engagé de façon aussi audacieuse qu'aurait souhaité le Mexique. Le Mexique a une architecture qui s'apparente à la conception européenne. Notre tendance en construction jusqu'à présent n'est pas aussi audacieuse. Nous cheminons toutefois ensemble de façon trilatérale.
[Traduction]
Le sénateur Carney: Je voudrais poser trois questions assez courtes. Premièrement, je remarque que nous avons un déficit commercial avec le Mexique, et les excellentes notes que nous a fournies la Bibliothèque du Parlement indiquent, même si les chiffres sont différents, que la tendance est la même. Il s'agit d'un déficit massif. Nous expédions très peu de choses au Mexique comparativement à ce que les Mexicains nous envoient. Pouvez-vous nous fournir la liste de ces exportations et de ces importations? Pouvez-vous nous en dire un peu plus long sur la nature de ce déficit commercial? Par exemple, pourquoi nos importations sont-elles à ce point supérieures à nos exportations? Nos échanges commerciaux sont asymétriques.
M. Carlos Rojas-Arbulú, délégué commercial, Direction du Mexique (NMX), Bureau de l'Amérique du Nord, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Nous avons réussi à augmenter nos exportations depuis dix ans. Si on remonte à 1993 ou 1994, au début de l'ALENA, nous exportions très peu vers le Mexique et nous achetions beaucoup plus de cette région. Même si nous avons quadruplé nos exportations vers le Mexique, nous achetons toujours beaucoup de produits mexicains.
Il faut tenir compte du contexte, c'est-à-dire du fait que nous avons des liens étroits avec les États-Unis. Quatre- vingt-cinq pour cent de nos exportations vont aux États-Unis, et nous achetons aussi énormément de produits américains.
Le sénateur Carney: Nous exportons beaucoup de pièces d'automobiles, qui viennent de l'Ontario. Nous exportons aussi des haricots et des pommes de terre. Qu'est-ce que les Mexicains cherchent à nous acheter et qu'est-ce que nous leur envoyons?
M. Rojas-Arbulú: Eh bien, nous exportons des pièces d'automobiles. Vous avez raison. Nous exportons aussi de l'équipement électrique pour automobiles, de même que de nombreux produits agricoles comme des pommes de terre, des haricots, du riz et du maïs, sans oublier les pommes. Nous envoyons aussi au Mexique de la machinerie et de l'équipement pour le secteur du pétrole et du gaz, par exemple. Cette machinerie sert à forer des puits de pétrole et de gaz au Mexique. Voilà quelques exemples des produits que nous exportons.
Nous achetons par ailleurs du Mexique des automobiles et certains types d'équipement électrique pour le secteur de l'automobile. Nous achetons aussi des produits des industries du plastique et de l'emballage.
Dans le secteur agricole, je pense que nous importons également des avocats.
Le sénateur Carney: Pourriez-vous fournir une liste à jour au comité?
Ma deuxième question porte sur les frontières. Est-ce que nous avons des problèmes à cet égard, à cause des gens d'affaires qui vont et viennent entre le Canada et le Mexique? L'Accord de libre-échange et l'ALENA comprennent des dispositions spéciales concernant la circulation des personnes. Est-ce que cela pose un problème entre le Canada et le Mexique?
M. Lortie: Sénateur, ce n'est pas un problème majeur vis-à-vis du Mexique. C'en est un de plus en plus vis-à-vis des États-Unis. Je dois dire que nos gens d'affaires ne se sont jamais plaints.
Ils souhaiteraient cependant des améliorations relatives aux visas pour leurs voyages d'affaires dans le cadre de l'ALENA, surtout pour leurs familles, et nous y travaillons. Si nous pouvons trouver une solution qui passera par les États-Unis, cela facilitera les choses avec le Mexique. Mais ce n'est pas vraiment un irritant ou un problème pour les Canadiens qui font des affaires là-bas.
Le sénateur Carney: Ma troisième question porte sur l'énergie. On entend beaucoup parler d'une politique énergétique commune pour l'Amérique du Nord. Le Canada a déjà une politique énergétique nord-américaine, dans les faits, mais le Mexique a toujours résisté. Son industrie pétrolière — je ne sais pas ce qu'il en est de l'industrie gazière — est contrôlée par le gouvernement mexicain, et les Mexicains n'ont manifesté aucune volonté d'y changer quoi que ce soit. J'aimerais savoir ce qui se passe en ce moment. Quelle est la situation actuelle? Est-ce que le président des États- Unis compte sur le Canada pour établir cette politique énergétique nord-américaine? Quelles sont les possibilités que cela devienne une véritable politique énergétique pour l'ensemble de l'Amérique du Nord?
M. Lortie: L'énergie est un sujet de discussion très important entre les trois partenaires. À la fin du Sommet des Amériques à Québec, en avril 2001, il y a eu une rencontre trilatérale entre les trois chefs de gouvernement. Le président Fox, le président Bush et le premier ministre ont décidé de créer un groupe de travail sur l'énergie en Amérique du Nord. Ce groupe de travail a actuellement un mandat assez restreint, qui se limite aux échanges d'information. Le président du Mexique, lors de sa visite en août 2000, puis à l'occasion d'une visite bilatérale en avril 2001, a annoncé qu'il allait lancer une réforme majeure du secteur de l'énergie au Mexique. Cette réforme n'est cependant pas terminée parce que le Président et le Congrès ne sont pas sur la même longueur d'onde.
Le sénateur Carney: Qu'est-ce qui les oppose?
M. Lortie: Le Président cherche à moderniser le secteur énergétique et à l'ouvrir aux investisseurs étrangers — je simplifie un peu. Le secteur pétrolier, comme vous le savez, fait partie de l'histoire du Mexique. C'est un des éléments de la transformation politique majeure qui a eu lieu en 1938 et c'est encore une question politique extrêmement délicate. Le président Fox a décidé qu'il était temps que le Mexique adopte une approche moderne à ce sujet-là et qu'il profite de capitaux étrangers pour développer, en particulier, le secteur du gaz naturel.
Il n'a pas réussi jusqu'ici. Il continue d'essayer, et il cherche actuellement des moyens de se servir de la production d'électricité pour résoudre certains problèmes importants dans le secteur de l'énergie.
Le Président a fait un gros effort pour établir des liens avec le secteur énergétique canadien. En juillet 2001, il a invité les PDG de nos grandes sociétés énergétiques au Mexique pour discuter avec eux de l'orientation que devrait prendre le Mexique dans le secteur de l'énergie, qui est un moteur de développement économique depuis des générations.
Le Mexique importe actuellement de l'énergie, et en particulier du gaz naturel. Le Président sait qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans le secteur énergétique, sur le plan institutionnel, et il cherche à corriger la situation d'un point de vue pragmatique. Mais il n'a pas encore réussi à améliorer les choses sur le plan politique et à en arriver à une entente avec le Congrès pour aller de l'avant.
C'est pourquoi les Mexicains sont toujours contents d'accueillir des Canadiens, surtout dans les secteurs des nouvelles technologies, de l'exploration et des façons de faire, par exemple au sujet du cadre réglementaire d'un secteur énergétique moderne.
Si vous amenez votre groupe à Mexico après les élections de mi-mandat, monsieur le président, les Mexicains seront très contents d'entendre parler de l'expérience du Canada dans le secteur de l'énergie. Notre ministre des Ressources naturelles est allé au Mexique trois fois et il a eu des discussions politiques très fructueuses avec les membres du Congrès, à qui il a expliqué la façon canadienne de faire les choses. Les décideurs et les législateurs mexicains s'intéressent beaucoup à notre approche, et ils sont sur la voie de la transformation. Mais ils n'ont pas encore atteint le but.
Il ne fait aucun doute que l'énergie demeure un atout majeur pour le Mexique dans le contexte nord-américain.
Le sénateur Graham: Ce que M. Lortie nous a dit, en particulier, est très intéressant.
Vous avez dit notamment dans votre exposé que les investissements directs au Mexique avaient triplé depuis la signature de l'ALENA.
Je présume qu'il s'agit des investissements canadiens.
M. Graeme C. Clark, directeur intérimaire, Direction du Mexique, ministère des Affaires étrangères et du Commerce International: En effet.
Le sénateur Graham: Ils s'élèvent maintenant à plus de 4milliards de dollars, ce qui nous place au quatrième rang pour ce qui est des investissements au Mexique. Pouvez-vous nous dire dans quels secteurs de l'économie mexicaine les Canadiens se concentrent le plus?
M. Lortie: Nous avons des investissements dans le domaine des pièces d'automobiles et de l'acier. Nous en avons aussi dans les médias et les publications, dans les services, dans les banques et dans les véhicules ferroviaires. Je dirais que ce sont les principaux secteurs. Bombardier a investi énormément dans le secteur des véhicules ferroviaires au Mexique, et la Banque Scotia a investi dans les services bancaires.
La Banque Scotia a acheté une banque mexicaine de taille moyenne il y a quelques années et elle est en train de s'implanter dans tout le Mexique sous le nom d'Inverlat. Dans le domaine des médias, Québécor et Transcontinental Media sont présents au Mexique.
C'est un tout nouveau phénomène. Ces sociétés ne sont entrées sur le marché mexicain que depuis quelques années.
Le sénateur Graham: Pouvez-vous nous dire quels sont les gros investisseurs canadiens au Mexique dans le domaine des pièces d'automobiles et de l'acier? Vous avez mentionné Québécor, Bombardier et la Banque de Nouvelle-Écosse.
M. Lortie: Il y a Magna, pour ce qui est des pièces d'automobiles, et Dofasco dans le secteur de l'acier.
Le sénateur DiNino: Nous pouvons probablement affirmer que l'ALENA a permis d'établir de bonnes relations entre les trois pays. Je m'intéresse particulièrement à nos rapports avec le Mexique. La croissance des échanges commerciaux est évidemment très impressionnante, même si je partage la préoccupation du sénateur Carney au sujet du déséquilibre commercial.
J'ai deux ou trois questions à vous poser. Premièrement, dans quels secteurs pensez-vous que les Canadiens et les entreprises canadiennes ont des chances d'augmenter leurs exportations de biens et de services vers le Mexique? Y a-t-il des occasions que nous sommes en train de rater et, si oui, où?
M. Lortie: Sénateur, je dirais que nous ne ratons pas d'occasions actuellement. Nous attendons les possibilités dans le secteur de l'énergie. Nos sociétés énergétiques sont extrêmement intéressées à s'implanter sur le marché mexicain, mais elles attendent à la porte pour le moment. Un de ces jours, ce secteur va contribuer largement à une interdépendance plus grande et plus complexe entre nous. Cela va se faire, mais nous n'en sommes pas encore là.
L'économie mexicaine connaît actuellement une transformation profonde dans le secteur des services. Le taux de croissance a été de 1,9p.100 l'an dernier, ce qui était trop faible. Quand la population augmente de 1,7p.100, une croissance économique de 1,9p. 100, ce n'est tout simplement pas suffisant.
La croissance prévue pour cette année est de 3.p 100. Quand le président Fox a été élu, il prévoyait même 7p.100 par année. Les Mexicains cherchent vraiment la croissance.
Qu'est-ce que cela veut dire, mesdames et messieurs les sénateurs? Qu'ils veulent profiter de l'ouverture de leur économie pour augmenter leur prospérité, ce qui aidera à développer une classe moyenne au Mexique.
C'est la stratégie qu'ont adoptée certaines de nos entreprises. Dans le secteur bancaire, elles se positionnent de manière à profiter de ce développement de la classe moyenne, d'ici cinq ou dix ans.
La stratégie que nous offrons aux exportateurs canadiens et aux entreprises qui s'intéressent au marché mexicain comporte deux volets. Premièrement, nous leur conseillons d'entrer sur le marché avec un partenaire mexicain. C'est un marché étranger, et ils seront plus à l'aise s'ils ont un partenaire. Deuxièmement, nous leur disons de penser à moyen et à long termes, parce que la société mexicaine est en train de se transformer profondément. Elles en profiteront avec le temps parce que la classe moyenne est en expansion. Il y a des perspectives extrêmement intéressantes pour nos entreprises dans le secteur des services.
Nos ambassades reçoivent donc régulièrement du Canada délégation après délégation, secteur par secteur. Tous ces gens veulent découvrir le Mexique et profiter des nouveaux débouchés.
Le sénateur DiNino: Nos principaux concurrents, pour saisir ces débouchés, doivent évidemment être les Américains. Mais il y a aussi des liens entre le Mexique et l'Union européenne.
Est-ce que nous constatons que la concurrence est un peu plus forte qu'avant?
M. Lortie: Les Américains sont nos principaux concurrents parce qu'ils ont une énorme présence et que l'ALENA a accéléré l'interdépendance entre les deux pays.
Les Mexicains ne voulaient toutefois pas se limiter après avoir signé l'ALENA. Ils se sont tournés vers l'Europe et l'Asie, sans parler du reste de l'Amérique latine, qui est pour eux un marché naturel. En ce moment, les Américains sont nos principaux concurrents. Les Européens sont là, mais il ne faut pas oublier, en toute objectivité, qu'ils ont plutôt négligé le marché de l'Amérique latine et du Mexique.
Ils l'ont négligé parce qu'ils se concentraient sur le développement de l'Union européenne et de l'Europe de l'Est. Par conséquent, les Latino-Américains auront toujours le sentiment que les gens d'affaires européens, à l'exception des banquiers espagnols, ne sont pas vraiment présents. Pour les exportateurs canadiens qui entrent sur le marché mexicain, les Américains sont le plus souvent les concurrents étrangers déjà sur place.
Le sénateur DiNino: Le Mexique et le Canada doivent tous les deux vivre avec un éléphant comme voisin. Nos rapports avec les Mexicains sont-ils tels que nous pouvons essayer d'influencer la situation ensemble un peu plus efficacement que nous pourrions le faire individuellement?
Vous comprendrez, j'espère, que j'essaie de me montrer diplomate en posant ma question.
M. Lortie: Je vais essayer de me montrer aussi diplomate en y répondant, sénateur.
Je dirais que c'est un défi de taille, mais il y a un nouveau phénomène. Pour la première fois, notre gouvernement canadien a un mécanisme pour parler aux gens de Mexico, pour discuter des problèmes avec les Mexicains, pour les rencontrer et pour comparer nos notes au sujet de nos relations avec les États-Unis. Nous l'avons fait dans le contexte de nos rapports frontaliers, parce que la frontière est très importante.
Les Mexicains voulaient faire un pas de plus; ils auraient voulu que nous nous réunissions tous ensemble pour résoudre nos problèmes frontaliers. Nous n'étions pas prêts à aller aussi loin, mais nous avions soudain un mécanisme qui n'existait même pas il y a cinq ans. Nous multiplions les secteurs au sujet desquels le Mexique et le Canada comparent leurs notes, pas seulement par rapport aux États-Unis, mais aussi par rapport à d'autres pays d'Amérique latine, ce qui inclut également les pays des Antilles. Nous comparons nos vues sur la situation dans les Antilles, en Amérique centrale, au Venezuela et jusqu'en Amérique du Sud, des pays avec lesquels les Mexicains ont des ententes particulières.
Depuis quelques années, nous avons noué des liens d'un nouveau genre avec les Mexicains, des liens que le président Fox a décrits avec éloquence comme un partenariat stratégique entre deux pays des Amériques. Quand viendra le temps d'apporter des améliorations à l'ALENA, nous aurons besoin des Américains. Nous pourrons nous consulter, mais les Américains devront être là parce que, s'il y a une bonne stratégie entre le Canada et le Mexique, nous pourrons atteindre nos objectifs plus efficacement, ce qui n'est pas toujours facile.
Le sénateur Austin: Quelles ont été jusqu'ici nos discussions avec le Mexique au sujet du chapitre 11 et du chapitre 19? Est-ce que cela mène à une stratégie de contrepoids, ce qui résume d'après les universitaires la nature de notre relation?
M. Lortie: Il y a eu des entretiens sur le chapitre 11 entre le ministre Pettigrew et l'ancien ministre du Commerce international, M. Derbez, qui est maintenant ministre des Affaires étrangères. Ils se sont entendus pour dire qu'il faut effectivement mieux comprendre le fonctionnement du chapitre11. Le Canada et le Mexique sont tout à fait sur la même longueur d'onde à ce sujet-là.
Des amendements ont été remis aux trois sous-ministres responsables de l'ALENA, qui se rencontrent régulièrement, et la question du chapitre 11 a été abordée dans ce contexte. Il y a eu des échanges de vues sur le chapitre 19, mais pas autant. Le chapitre 19 ne nous cause pour le moment aucun problème avec le Mexique; par conséquent, même si nous cherchons toujours à améliorer les choses, ce n'est pas aussi pressant que le chapitre 11.
Le sénateur Austin: Je ne pensais pas aux échanges bilatéraux, mais plutôt à nos rapports trilatéraux. Est-ce que nous discutons de nos expériences mutuelles vis-à-vis des États-Unis en ce qui concerne le chapitre 11 et le chapitre 19? Est-ce que nous échangeons des vues? Et est-ce qu'il y a des efforts pour bâtir une institution trinationale dans le cadre de l'ALENA?
M. Lortie: Nous devons toujours échanger des vues sur une base bilatérale et sur une base trilatérale au sujet de ces deux chapitres. Les responsables de l'élaboration de la politique commerciale, comme M. Vallé, échangent constamment des vues et comprennent les défis à relever pour les trois pays.
Nous avons très peu d'institutions trilatérales. Nous avons deux commissions, une sur le travail et l'autre sur l'environnement. C'est tout. Nous examinons la question, mais c'est là que les Mexicains se sont montrés particulièrement actifs, imaginatifs et innovateurs pour proposer toutes sortes de choses, depuis un sommet trilatéral annuel jusqu'à un cadre similaire à celui des Européens. Il y a des efforts de réflexion.
Vos collègues de l'autre côté, au Comité des affaires étrangères, ont publié un rapport dans lequel vous trouverez des suggestions sur la création d'institutions trilatérales.
Le gouvernement réfléchit à toutes ces choses et, dans le domaine du commerce, il y a une façon d'améliorer notre façon de faire les choses du point de vue institutionnel. Cependant, les ministres du Commerce se réunissent une fois par année, tandis que les sous-ministres se rencontrent deux fois par année, sinon trois. Ils se voient régulièrement. L'ALENA devait donner lieu à la création d'un secrétariat au commerce, mais jusqu'ici, dix ans plus tard, il ne s'est toujours rien passé. Les responsables de l'élaboration de la politique commerciale n'ont pas beaucoup d'appétit pour la création de nouvelles institutions.
Le sénateur Austin: Est-ce parce que nous ne sommes pas prêts ou parce que les États-Unis ne sont pas prêts, et que nous ne serons pas prêts non plus tant qu'ils ne le seront pas?
M. Lortie: C'est une bonne façon de présenter la chose. Les Américains ne sont pas tellement orientés vers les institutions. Ils sont très pragmatiques. S'il y a un problème, ils vont essayer de le résoudre. Mais il n'y a pas grand monde à Washington qui s'intéresse à la création d'institutions.
Le sénateur De Bané: Chers collègues, j'ai le grand plaisir de souligner, pour le compte rendu des délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, que le sous-ministre adjoint Marc Lortie a reçu l'an dernier la plus haute récompense accordée par le ministère des Affaires étrangères à son diplomate le plus méritant. M. Lortie a reçu le Prix d'Excellence.
Soit dit en passant, son épouse, Mme Patricia Lortie, qui est originaire de Victoria, en Colombie-Britannique, est aussi une diplomate bien connue.
Merci, monsieur le président, de m'avoir permis de le mentionner pour le compte rendu.
Le président: On me demande de vous rappeler que nous vous avons demandé des chiffres au sujet du commerce de services avec le Mexique.
M. Clark: Monsieur le président, nous nous ferons un plaisir de vous les fournir dans une correspondance ultérieure.
Le président: Nous poursuivrons notre discussion sur cette question à un autre moment. Je tiens à vous remercier de nous avoir consacré une heure. Vous nous avez communiqué beaucoup d'information très intéressante.
J'ai maintenant l'honneur d'accueillir Son Excellence l'Ambassadrice du Mexique. Excellence, je suis sûr que vous avez une déclaration intéressante à nous faire. Vous savez comment nous procédons. Si vous pouvez nous laisser du temps pour poser des questions, comme vous venez de le constater, les questions sont parfois aussi intéressantes que les présentations.
Son Excellence Maria Teresa Garcia Segovia de Madero, ambassadrice du Mexique au Canada: Honorables membres du Sénat, mesdames et messieurs, je suis extrêmement honorée d'avoir été invitée à vous faire part de mes commentaires et de mon point de vue au sujet des relations bilatérales et des liens commerciaux entre le Mexique et le Canada.
Il m'est particulièrement agréable de me joindre à vous cet après-midi parce que, comme vous le savez, nous allons célébrer en 2004 le 60e anniversaire des relations diplomatiques entre nos deux pays. À cet égard, je tiens à souligner que le Sénat du Canada a joué un rôle important dans le resserrement de ces liens diplomatiques.
En novembre 2000, deux membres du Sénat, Jack Austin et Trevor Eyton, ont été décorés, à titre d'entrepreneurs, de l'Ordre de l'aigle aztèque, la plus haute décoration accordée par le Mexique. Notre pays reconnaissait ainsi publiquement la vision, l'enthousiasme et le dévouement de ces deux citoyens canadiens qui ont travaillé à promouvoir les liens entre le Canada et le Mexique, liens qui semblent plus forts d'année en année.
Quand le Canada et le Mexique ont célébré le 50e anniversaire de leurs relations diplomatiques, peu de gens auraient pu prévoir qu'à peine dix ans plus tard, le monde paraîtrait aussi différent et que nous connaîtrions d'énormes difficultés. En outre, à ce moment-là, peu auraient pu s'attendre à ce que le Mexique et le Canada se rapprochent sur le plan de la politique étrangère, pour exprimer des préoccupations similaires au sujet de la structure du système international.
Les terribles événements du 11 septembre 2001, de même que l'actuel conflit en Irak, ont aggravé la situation économique mondiale déjà difficile, et nous devons trouver des moyens pour reprendre la voie de la croissance. Nous croyons que les initiatives comme les accords sur les frontières intelligentes pourront contribuer à nos efforts pour consolider nos liens et poursuivre notre réflexion stratégique.
Mais où en sont actuellement nos relations bilatérales? Je suis certaine que M.Marc Lortie vous en a déjà parlé longuement, mais j'aimerais vous présenter mon point de vue.
Premièrement, si ces relations pouvaient se mesurer au nombre de visiteurs et de délégations qui voyagent entre nos deux pays, la réponse serait extrêmement positive. Presque tous les membres du Cabinet mexicain ont rencontré leurs homologues canadiens au cours des deux dernières années. Le Canada a été le premier pays où le président Vicente Fox s'est rendu à titre de président élu, et il y est revenu quelques mois à peine après avoir été installé dans ses fonctions de chef de l'État. En deux ans seulement, le premier ministre Chrétien s'est rendu trois fois au Mexique.
Je voudrais attirer votre attention sur le fait que l'année 2004marquera également le 30e anniversaire du programme des travailleurs saisonniers. Les Mexicains sont désormais essentiels à la croissance de l'économie canadienne. Plus de 10000travailleurs saisonniers viennent au Canada chaque année.
Comparativement à la communauté mexicaine établie aux États-Unis, mes compatriotes mexicains vivant au Canada ne sont peut-être pas aussi nombreux; il ne fait cependant aucun doute qu'ils contribuent à façonner votre pays. Ils dessinent des billets de banque canadiens, dictent les tendances de la mode à Montréal, mettent au point d'importantes innovations médicales et produisent des logiciels.
Les Mexicains forment en fait le groupe de visiteurs dont la croissance arrive en deuxième place au Canada, tandis qu'un Canadien sur 30 visite le Mexique chaque année. En outre, le Canada reçoit plus de 10000 étudiants mexicains par année.
À cet égard, il est extrêmement important de souligner que nos relations bilatérales prennent diverses voies. Les sociétés, comme c'est presque toujours le cas, devancent la plupart du temps les politiques gouvernementales. Les gens d'affaires sont tellement conscients de l'importance du Mexique pour le Canada qu'en deux ans seulement, EDC a ouvert deux bureaux au Mexique. Et, pendant la même période, plusieurs missions commerciales ont été organisées, et de nombreuses délégations mexicaines ont visité l'est et l'ouest de votre pays.
En décembre 2002, la Chambre des communes a publié un document trilingue intitulé «Partenaires en Amérique du Nord: Cultiver les relations du Canada avec les États-Unis et le Mexique,» qui traitait notamment de l'ALENA et des questions commerciales.
Distingués membres du Sénat, permettez-moi maintenant de vous faire part de quelques réflexions sur les perspectives économiques du Mexique, dans le contexte de l'ALENA et des relations commerciales bilatérales entre le Mexique et le Canada.
Le comité connaît déjà le rôle qu'a joué l'ALENA comme moteur de croissance en Amérique du Nord, ainsi que ses répercussions sur les échanges commerciaux entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Le commerce régional a augmenté de 109p.100 depuis 1993, passant de 339 milliards de dollars à ce moment-là à 603 milliards en 2002. Cela représente plus d'un million de dollars à la minute.
Nos échanges avec le Canada sont passés de 4 à plus de 12 milliards de dollars en neuf ans. Cependant, au-delà de ces chiffres sur les échanges commerciaux, nous constatons que l'ALENA a surtout contribué à la création d'emplois et à la croissance économique. Grâce à l'ALENA et à notre réseau d'accords de libre-échange, le secteur des exportations est maintenant la principale source d'emploi au Mexique, avec plus de la moitié des emplois créés dans le secteur de la fabrication entre 1994 et 2002. Et il s'agit d'emplois beaucoup mieux rémunérés que dans les autres secteurs de l'économie, avec des salaires de près de 40p.100 de plus.
L'ALENA a également accru le flux de l'investissement étranger direct au Mexique. Alors que la moyenne annuelle à ce chapitre se situait autour de 3 milliards de dollars avant l'ALENA, le Mexique a reçu à ce titre plus de 128 milliards de dollars depuis 1994, ce qui représente une moyenne annuelle de près de 14 milliards.
Cette hausse de l'investissement étranger direct est attribuable à la mise en place d'un cadre juridique qui assure plus de certitude et de transparence pour les transactions d'affaires. Directement et indirectement, l'augmentation de la richesse mexicaine représente des occasions d'affaires et de nouveaux emplois pour le Canada, puisqu'elle se traduit par un marché plus prospère de 90 millions de consommateurs.
Depuis l'avènement de l'ALENA, le Canada arrive en quatrième place sur la liste des investisseurs étrangers au Mexique, avec 4 milliards de dollars, devancé seulement par les États-Unis, les Pays-Bas et l'Espagne. À la fin de 2002, il y avait au Mexique 1259 sociétés enregistrées appartenant à des intérêts canadiens.
L'investissement étranger direct sert de catalyseur à la croissance des entreprises nationales et contribue à accroître la concurrence des sociétés mexicaines. Il permet également d'importer des connaissances et des technologies dans notre pays, ce qui aide les entreprises à moderniser leurs procédés de production tout en fournissant aux travailleurs mexicains les nouvelles compétences nécessaires pour survivre dans l'économie mondialisée.
Pour ce qui est de l'avenir de l'ALENA, le défi de taille que représente la répartition des avantages du libre-échange dans toutes les régions de notre pays est un des enjeux les plus importants pour le Mexique. L'ALENA a eu des retombées extrêmement positives pour le Mexique, mais il reste encore beaucoup à faire. Il faut absolument mettre en place des stratégies et des programmes qui permettront aux régions les plus pauvres du Mexique de participer à l'activité du secteur des exportations et de créer des emplois bien payés.
Le Mexique a d'énormes avantages concurrentiels que nous devons exploiter pour maximiser les retombées de l'ALENA, en collaboration avec nos partenaires de l'ALENA. En plus de notre réseau d'accords de libre-échange, nous avons au Mexique deux atouts majeurs: premièrement, une population jeune, dont la moyenne d'âge est de 22 ans, et une main-d'oeuvre de plus en plus qualifiée qui a prouvé qu'elle pouvait être concurrentielle sur les marchés les plus convoités au monde, et deuxièmement, notre situation géographique, qui fait de notre pays un pont naturel entre l'Europe, l'Amérique latine et l'Asie.
Il est impératif que nous investissions dans notre capital humain, par l'éducation, la formation des travailleurs et les services de santé, afin de tirer profit de ces avantages concurrentiels. C'est l'investissement le plus rentable qu'un gouvernement puisse faire parce qu'il établit les assises de notre croissance et fournit à la population les compétences nécessaires pour améliorer sa qualité de vie.
Nous devons également continuer à investir considérablement dans le développement de notre infrastructure de transport afin de profiter pleinement de notre situation géographique. L'Amérique du Nord étant en concurrence directe avec l'Asie, tant sur le marché des biens que dans la course à l'investissement étranger direct, le Mexique doit devenir un pays reconnu pour sa logistique, où les marchandises peuvent atteindre plus rapidement, avec une sécurité accrue et à moindre coût, leurs destinations au Canada, aux États-Unis et, bien sûr, au Mexique même.
Cependant, à mesure que nos rapports avec nos partenaires de l'ALENA gagnent en profondeur et en maturité, nous devons explorer de nouveaux mécanismes de coopération trilatérale et bilatérale susceptibles de contribuer au développement des régions les plus pauvres du Mexique. Autrement dit, nous devons comprendre qu'un Mexique plus développé est garant d'une Amérique du Nord plus prospère et plus compétitive.
Le commerce s'est révélé un instrument utile pour atténuer les effets des mauvaises conditions économiques. L'actuel ralentissement de l'économie mondiale nous incite à réaffirmer notre engagement envers la coopération, la libéralisation des échanges et l'intégration de tous les pays à l'économie mondiale.
L'ALENA a franchi cette année une étape importante pour nos relations trilatérales puisque 99p.100 des marchandises échangées par les partenaires entrent maintenant en franchise de droits. À ce stade-ci, le défi que doivent maintenant relever nos gouvernements sera de continuer à promouvoir et à créer un environnement commercial qui permettra d'accroître l'intégration économique et de faire profiter toute la population des avantages de l'accord.
Honorables membres du Sénat, l'une des principales questions sur lesquelles il faudra se pencher au cours des prochaines années exigera de notre part créativité et clairvoyance; je veux parler de l'avenir au-delà de l'ALENA. Nous devrons avant tout nous montrer pragmatiques, définir les enjeux communs et établir des objectifs partagés si nous voulons demeurer la région la plus dynamique et la plus prospère au monde.
Je dois mentionner qu'il y a déjà des entretiens en cours sur l'avenir de la région. D'autres invités du Sénat pourront en témoigner. Je vais vous donner un exemple: cette semaine, des entrepreneurs des trois pays de l'ALENA se rencontrent à Washington pour discuter de l'Initiative nord-américaine de sécurité et de prospérité lancée par le Conseil canadien des chefs d'entreprise
Dans le cadre de ces discussions, je suis certaine que l'étude qu'effectue actuellement le Comité des affaires étrangères au sujet des liens commerciaux du Canada avec les États-Unis et le Mexique fournira des idées et des propositions importantes sur ce que nos pays doivent faire pour aider la région à relever les défis à venir, à la lumière tout particulièrement du dixième anniversaire de l'ALENA.
Mesdames et messieurs les sénateurs, en ces temps d'incertitude et de troubles un peu partout dans le monde, permettez-moi de vous donner l'assurance que les sentiments d'amitié du Mexique pour le Canada sont plus forts que jamais. Chers sénateurs, je vous prie de ne pas en douter.
Le président: Merci beaucoup.
Le sénateur Grafstein: Je suis très heureux que vous soyez ici pour nous informer de cette nouvelle vision d'un Mexique dynamique et moderne, que nous apprécions et que nous admirons tous, j'en suis sûr.
Notre sous-ministre adjoint, M. Lortie, a fait tout à l'heure un commentaire intéressant. Je ne sais pas si vous étiez dans la salle. Il a parlé du nouveau partenariat stratégique entre le Canada et le Mexique.
Je n'ai pas eu la chance d'en discuter avec lui. Cependant, j'aimerais avoir vos commentaires sur le fait que votre gouvernement considère le Mexique comme un pont entre l'Europe, l'Amérique latine et l'Asie. Je suppose que vous voulez dire également que c'est un pont vers l'Amérique du Nord.
Dites-moi comment le Canada peut jouer un rôle utile avec le Mexique pour permettre à nos deux pays d'exploiter les marchés latino-américains. Serait-il possible que le Canada et le Mexique fassent front commun face à l'Europe? Vous avez maintenant un accord de libre-échange avec l'Union européenne et je pense que vous participez aussi à d'autres négociations, n'est-ce pas?
Mme de Madero: Nous voyons nos relations comme des relations stratégiques. J'ai écouté ce que M. Lortie vous a dit. Nous pouvons certainement nous positionner d'abord, avant de présenter certains dossiers aux Américains. Il pourrait en résulter un accord commun et une meilleure entente avec les États-Unis.
Pour ce qui est de tirer profit des accords de libre-échange que le Mexique a signés avec 32 pays, je pense que le Canada pourrait chercher à s'implanter dans les endroits où il n'a pas d'accords de libre-échange s'il s'associait au Mexique.
Nous offrons notre pays comme tremplin vers ces autres marchés. Nous pensons qu'avec le Canada, nous pouvons offrir un marché de millions de consommateurs de plus.
Le sénateur Carney: Quand nous avons négocié l'ALENA, après l'Accord de libre-échange, il y avait des gens qui s'inquiétaient de l'inclusion du Mexique parce qu'ils craignaient que le Canada soit envahi par des importations à bon marché, produites par des travailleurs à bas salaire, ou que nous perdions notre place sur le marché américain à cause de la concurrence du Mexique. L'argument contraire était qu'un accord commercial et des échanges accrus permettraient de hausser le niveau de vie des Mexicains, d'améliorer les niveaux de compétences et la productivité, et de rétrécir en fait le fossé entre les travailleurs de nos deux pays.
De toute évidence, c'est ce qui s'est passé, ou qui est en train de se passer. Vous dites que les exportations sont la principale source d'emploi et que les salaires sont de 40p.100 plus élevés.
Il y a encore des inégalités au Mexique. Ce n'est pas un pays que je connais bien; mais je sais qu'il y a d'importantes disparités, tout comme au Canada. Est-ce qu'il y a, dans notre politique commerciale, des éléments qui pourraient aider à atténuer ces disparités régionales?
J'ai remarqué que M. Lortie a dit que le président Fox comptait se concentrer sur les petites et moyennes entreprises mexicaines parce que c'est similaire à la situation au Canada.
Y a-t-il autre chose que nous pourrions faire pour que le commerce et l'investissement deviennent des outils de politique sociale au Mexique?
Mme de Madero: Oui. Le président Fox a parlé des petites et moyennes entreprises, et laissez-moi vous dire qu'il se passe déjà des choses de ce côté-là. S'il y en a parmi vous qui sont allés à Montréal la semaine dernière, vous y aurez sans doute vu une merveilleuse exposition qui était présentée par de nombreux pays et où le Mexique était présent avec 12 de ces entreprises de taille moyenne. Je suis heureuse d'affirmer qu'elles ont été très bien reçues sur le marché canadien et qu'elles ont vendu tout ce qu'elles étaient venues vendre ici, au Canada.
Le président Fox a également parlé du plan d'action appelé Puebla Panama. Ce serait une façon d'amener le développement dans cette région de notre pays, et jusqu'au Panama. Il a parlé de ce plan ici au Canada parce que nous aimerions savoir, avant de nous engager comme gouvernement, avec notre société civile et avec d'autres pays, à bâtir une infrastructure dans cette région — ce qui serait un moyen d'y favoriser le progrès —, comment le Canada pourrait y contribuer. Nous vous demandons d'examiner attentivement les propositions du Mexique et de déterminer si vous pourriez, grâce à différents mécanismes ou à différentes institutions qui existent déjà au Canada, financer une partie de l'infrastructure nécessaire.
Le sénateur Carney: Y a-t-il des réussites dont vous pourriez nous parler? Vous avez mentionné la foire commerciale de Montréal, où vous avez vendu tous vos biens et services sur ce marché. Pouvez-vous nous parler d'autres réussites?
Mme de Madero: Il y en a beaucoup. Vous ne me croirez jamais, mais dans la région du Mexique où je vis, nous avons une méthode particulière de transformation du boeuf. Nous faisons de la viande séchée, que nous mangeons au petit déjeuner, dans des tacos et de toutes sortes d'autres façons. Vous avez ici une délicieuse viande séchée, que vous appelez le «jerky». Les gens de chez moi ont réussi à traiter la viande — je suis désolée de vous le dire! — mieux que vous traitez le jerky. Les Canadiens ont tellement aimé cela que nous avons vendu tout ce que nous avions et qu'on nous en a demandé d'autre.
C'est une merveilleuse réussite, parce que personne n'avait jamais pensé que ce que nous appelons au Mexique la carne seca se vendrait aussi bien au Canada.
Le sénateur Austin: Madame l'Ambassadrice, j'aimerais que nous parlions des efforts pour élargir l'ALENA tel qu'il existe actuellement.
Les questions relatives aux consultations trilatérales et à la mise en place d'institutions trilatérales m'intéressent beaucoup, mais la question que je veux vous poser porte sur la proposition du président Fox au sujet d'un «ALENA plus» pour l'Amérique du Nord.
Pourriez-vous nous décrire la forme que pourrait prendre cet ALENA élargi du point de vue du Mexique? L'idée est d'étendre nos relations dans d'autres domaines, ce qui intéresse beaucoup le comité.
Mme de Madero: Le président Fox a constaté que l'ALENA était une grande réussite, en ce 10edixième anniversaire, et il s'est dit, comme nous tous, qu'il devrait également être profitable pour les régions pauvres de notre pays. Il a donc proposé de l'étendre à d'autres domaines que le commerce. Nous allons parler des questions sociales, qui sont très importantes. Il s'agit par exemple de l'éducation, de la culture, de l'infrastructure, du développement financier, et ainsi de suite.
Comment allons-nous y parvenir? Je n'en suis pas encore certaine, mais je peux vous dire qu'il y a eu des entretiens. Comme je l'ai déjà dit, je pense que les sociétés, que ce soient les universitaires ou les gens d'affaires, peuvent porter ces choses plus loin que les gouvernements. Ce sont ces gens-là qui sont déjà en train de discuter de ces questions, et nous espérons qu'il en sortira quelque chose bientôt.
Je peux vous dire que, pour le président Fox, l'«ALENA plus» permettrait d'aller plus loin que le commerce, et nous pensons que c'est possible.
Le sénateur Corbin: Excellence, je ne sais pas trop si je devrais soulever la question avec vous, mais je vais adopter une approche diplomatique au sujet de ce qui est essentiellement une situation de politique intérieure, j'imagine.
M.Lortie nous a parlé de l'opposition des petits agriculteurs mexicains à certains éléments de l'ALENA. Comme vous pouvez vous y attendre, les difficultés des agriculteurs — pas seulement au Mexique, mais dans le monde entier, et surtout dans le contexte plus vaste de l'OMC — ne laissent pas les Canadiens indifférents. Je comprends tout à fait ce que vous venez de dire au sénateur Austin au sujet de la nécessité d'étendre aux régions les avantages de l'ALENA.
Le président Fox a décidé, malgré l'opposition des petits producteurs de votre pays, d'aller de l'avant avec l'ALENA sous sa forme actuelle. C'est cela, la question politique.
Comment allez-vous pouvoir régler le problème des petits producteurs de votre pays, dans ce contexte? Allez-vous chercher à les intégrer à une économie plus industrialisée? Quelles sont les forces en jeu? Vous pourriez nous éclairer sur cette question?
Mme de Madero: Ce n'est pas une question facile, et il n'y a pas seulement une réponse.
Premièrement, nous avons effectivement eu des problèmes avec certaines personnes, dans le secteur agricole, mais permettez-moi de vous répondre de la même façon que votre premier ministre, quand des Mexicains lui ont posé des questions lors de sa visite au Mexique le mois dernier.
Il a dit à ce moment-là que ces problèmes résultaient des subventions que les États-Unis versent à leurs agriculteurs, et que ni le Trésor mexicain ni le Trésor canadien ne pouvaient faire concurrence au Trésor américain. C'est là que se situe le problème, pour le Canada et le Mexique; le principal facteur, ce sont les énormes subventions que reçoivent les agriculteurs américains.
Pour nous, il y a deux aspects à ce problème. D'un côté, c'est une année importante sur le plan politique, au Mexique, avec les élections de mi-mandat qui s'en viennent le 6 juillet. Évidemment, toute question dont nous pourrions discuter dans ce contexte est importante.
Mais vous me demandiez ce que nous comptons faire pour les petits producteurs et si nous allons les intégrer à la mentalité de l'ALENA. Mon gouvernement est en train de discuter avec eux, en ce moment même, de ce que nous pourrions faire pour les aider à améliorer l'efficience de leurs fermes et à surmonter les problèmes qu'ils connaissent actuellement.
Le président: Permettez-moi d'ajouter, sénateur Corbin, qu'il n'y a pas beaucoup de Canadiens qui connaissent le système mexicain. Nous savons qu'il y a un régime présidentiel aux États-Unis. Le Mexique a aussi un régime présidentiel, et une longue histoire de difficultés régionales. Je suppose que certains de ces agriculteurs ont beaucoup plus de pouvoir auprès des gouvernements des États. Nous n'avons pas le temps d'en parler aujourd'hui, Excellence, mais c'est un sujet très intéressant.
Le sénateur Setlakwe: Le sénateur Grafstein a touché un peu à ma question, qui porte sur les accords commerciaux avec l'Europe, les pays du Mercosur et peut-être aussi certains pays asiatiques, dont le Japon, à coup sûr. J'aimerais savoir à quel point vos relations commerciales avec l'Europe se sont améliorées depuis que vous avez signé un accord de libre-échange avec les pays européens, et dans quels secteurs les échanges ont augmenté.
Mme de Madero: Évidemment, cet accord a été bénéfique pour le Mexique. Je vous ai dit par exemple que les Pays- Bas et l'Espagne comptaient au nombre des principaux investisseurs directs au Mexique, après les États-Unis. L'an dernier, le Japon était en troisième position. C'est maintenant l'Espagne qui a pris sa place. Les Asiatiques et les Européens investissent directement dans notre pays. D'après ce que je peux voir, c'est cet investissement direct qui nous a été le plus profitable, beaucoup plus que les échanges de marchandises. Cela s'en vient. C'est en bonne voie. Nous travaillons très bien avec tous ces pays.
Le sénateur Setlakwe: Qu'est-ce qui vous a permis d'établir des relations aussi fructueuses avec l'Europe, et pourquoi avons-nous tant de mal à faire la même chose?
Mme de Madero: Je ne sais pas. Je pense qu'à l'époque, pour commencer, les Européens croyaient que les coûts de main-d'oeuvre seraient faibles au Mexique, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle. La main-d'oeuvre n'est pas bon marché au Mexique en ce moment.
Le sénateur Day: Nous avons eu une rencontre très intéressante avec le Groupe interparlementaire Canada-Mexique et nous avons discuté d'un certain nombre de questions à ce moment-là. Les échanges de ce genre sont très précieux, tout comme les échanges entre gens d'affaires dont nous avons parlé jusqu'ici.
Je trouve curieux que vous et M.Lortie ayez parlé tous les deux des quelque 10000 étudiants mexicains qui viennent poursuivre leurs études au Canada chaque année. Nous avons beaucoup d'universités au Canada, surtout dans l'est du pays.
Est-ce que cela résulte d'un effort particulier? Avez-vous analysé la question? Est-ce que ces gens étudient dans une région donnée ou dans un domaine en particulier? Est-ce que ce sont des échanges?
Mme de Madero: Non, malheureusement, cela ne va pas dans les deux sens. Nous aimerions recevoir plus d'étudiants canadiens au Mexique, mais il y a davantage de Mexicains qui viennent au Canada.
Je pense que les Mexicains se tournent vers le Canada en raison des excellents débouchés qu'offrent les universités canadiennes. Nous avons signé environ 55 ententes avec différentes universités. Par exemple, comme vous le savez, Tecnológico de Monterrey a même établi un campus à l'Université de la Colombie-Britannique. Il est merveilleux de constater à quel point les liens entre établissements se sont intensifiés.
Après le 11 septembre, les Mexicains ont commencé à s'intéresser en plus grand nombre au Canada plutôt qu'aux États-Unis.
Le sénateur Graham: Excellence, votre enthousiasme est communicatif. Vous avez mentionné que l'année 2004 marquerait le 60e anniversaire des relations entre le Canada et le Mexique.
Est-ce que vous planifiez des activités ou des célébrations spéciales? Puis-je vous parler de nos relations avec un autre pays, l'Indonésie? Il y a environ un mois, monsieur le président, nous avons célébré le 50e anniversaire de ces relations. Il y a eu toute une série d'activités, dont une — à laquelle j'ai été invité — à Ottawa. Il y avait là des diplomates, des politiciens, des universitaires et des gens d'affaires, et j'ai trouvé cette rencontre extrêmement réussie et très utile.
Si vous vouliez consulter votre collègue, l'ambassadeur Eki Syanchrudin, il pourrait peut-être vous parler encore mieux que moi de l'intérêt de ces rencontres. Il y a un livre qui sera publié sur les relations canado-indonésiennes, et je dirais que quelque chose de similaire, s'il n'y a rien de prévu pour le moment, pourrait être utile pour nos deux pays et pour le monde.
Mme de Madero: Nous songeons à organiser quelque chose de gros avec nos amis canadiens. Nous envisageons une semaine ou dix jours de célébrations afin de sensibiliser les Canadiens à nos relations avec leur merveilleux pays. Nous pensons également à publier un livre sur la pensée universitaire.
Vous serez tous les bienvenus. Vous allez recevoir des invitations, sénateurs.
Le président: Merci, madame l'Ambassadrice. Nous allons lever la séance 15 minutes. Le comité est très honoré de vous avoir reçue.
Le président: J'invite maintenant Mme Macdonald à nous présenter son exposé.
Mme Laura Macdonald, professeure agrégée, Université Carleton, témoignage à titre personnel: Je tiens à vous remercier, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, de m'avoir invitée à comparaître devant votre comité. C'est un grand honneur pour moi.
Je suis directrice d'un centre de recherche créé à l'Université Carleton il y a quelques années sous le nom de Centre on North American Politics and Society. Nous avons fondé ce centre pour encourager la recherche, la réflexion et la discussion sur les relations nord-américaines. J'ai eu la chance d'observer l'évolution des discussions sur ces relations au cours des trois dernières années, ce qui a été à la fois enrichissant et fascinant.
Je suis politicologue et non économiste, et je ne me qualifierais pas de spécialiste du commerce. Je m'intéresse à l'aspect politique des liens entre nos trois pays, et c'est pourquoi je vais me concentrer sur la dimension politique de nos relations, mais je pense que cet aspect politique est extrêmement important pour nos rapports commerciaux.
Je dois dire tout d'abord que j'aimerais beaucoup voir le comité appuyer l'approfondissement des relations Canada- Mexique. Le Mexique est important pour le Canada, tant pour des raisons directes que pour des raisons indirectes. Bien sûr, comme vous l'avez déjà entendu dire, le Canada pourrait tirer de nombreux avantages directs des contacts accrus avec le Mexique qui découlent de nos relations croissantes dans le domaine du commerce et de l'investissement.
Je dois dire également, pour faire suite aux échanges de tout à l'heure, que l'approfondissement de ces relations comporte une foule d'autres avantages sur le plan social, notamment, pour moi, en tant qu'universitaire, la possibilité d'enseigner à des étudiants mexicains au Canada et d'envoyer certains de mes étudiants au Mexique. La mobilité des étudiants suscite de plus en plus d'intérêt, et les trois gouvernements appuient d'ailleurs un important programme de mobilité à l'échelle de l'Amérique du Nord.
Les relations de ce genre sont essentielles pour développer la prochaine génération de leaders, d'entrepreneurs, d'universitaires et de citoyens connaissant bien les trois pays et conscients de leur importance les uns pour les autres.
Pour ce qui est des avantages indirects du développement de ces relations, le Canada ne pourra pas avoir des rapports satisfaisants avec les États-Unis au sujet des questions touchant la sécurité et la frontière, par exemple, s'il ne cherche pas à favoriser et à soutenir une réponse similaire aux préoccupations des Américains au sujet de leur partenaire mexicain et de la région proche de la frontière américano-mexicaine. Nous avons tout intérêt à favoriser l'amélioration des rapports entre les États-Unis et le Mexique afin d'améliorer nos propres relations avec notre voisin américain.
Comme nous l'avons entendu dire, l'Amérique du Nord s'est développée en tant que région sans que l'on réfléchisse beaucoup à la nature de nos relations, aux types d'institutions nécessaires et aux autres questions de ce genre. L'entrée du Mexique dans cette région a été accueillie avec une certaine ambivalence à l'époque, tant par le gouvernement canadien que par les gens d'affaires. Tout en ayant tendance à dire que nous pourrions profiter d'un resserrement de nos liens avec le Mexique sur le plan du commerce et de l'investissement, nous craignions dans certains cas que le Mexique devienne un concurrent indésirable sur le marché américain. Les relations entre le Canada et le Mexique ont donc été marquées par cette tension tout au long des dix années d'existence de l'ALENA. Ces relations étaient donc plutôt tièdes, bien qu'elles soient certainement en voie d'amélioration.
Je dirais que ce désir de retourner à des relations exclusives avec les États-Unis dénote un certain manque de clairvoyance. Je ne crois pas que nous réussirons à rétablir ce lien particulier, et je dirais que le Mexique sera aussi important que les États-Unis, sinon plus. Inévitablement, nos relations deviennent trilatérales. Le Canada et les États- Unis ont signé par exemple la Déclaration sur la frontière intelligente à la suite du 11 septembre et, très peu de temps après, les États-Unis et le Mexique ont signé un accord inspiré de l'accord canado-américain, quoique beaucoup plus limité.
À mon avis, bien qu'il soit naturel que le Canada accorde la majeure partie de son intérêt et de son attention aux relations canado-américaines, il ferait preuve de courte vue s'il ne reconnaissait pas que les Américains voudront traiter leurs deux frontières de façon légèrement asymétrique. Nous devons trouver des solutions aux problèmes qui se posent aux deux frontières terrestres des États-Unis, et nous attaquer ensemble à la tendance qu'ont les Américains à chercher à répondre à leurs préoccupations légitimes en matière de sécurité par ce que je qualifierais de mesures inefficaces. Je veux parler par exemple de la militarisation des frontières ou de la mise en place de systèmes lourds de contrôle des entrées et des sorties, qui empêcheront les échanges commerciaux et les migrations légitimes sans pour autant faire grand-chose pour contrer le terrorisme.
Il me semble que le Mexique pourrait représenter un contrepoint ou un contrepoids utile aux États-Unis. Les Mexicains sont tout aussi préoccupés de leur souveraineté que le Canada, et nous avons beaucoup de points communs avec eux sur le plan de la politique étrangère. Bien que les relations du Canada avec les États-Unis soient quelque peu tendues récemment en raison de la position que nous avons prise au sujet de la guerre en Irak, le Mexique a subi des pressions beaucoup plus intenses de la part des États-Unis en raison de sa présence au Conseil de sécurité. Son refus d'appuyer la position américaine l'a placé dans une situation assez difficile. Nos deux pays ont intérêt à ménager un espace pour l'autonomie de leur politique étrangère dans le contexte de l'Amérique du Nord, et nous avons intérêt également à collaborer sur ce point.
Bien que je m'intéresse surtout à la nécessité d'approfondir et de resserrer les liens entre nos deux pays, je voudrais aussi vous faire part de certaines de mes préoccupations en tant qu'analyste de la situation au Mexique. Il y a certains aspects spécifiques du développement de la politique intérieure mexicaine, depuis la mise en oeuvre de l'ALENA, au sujet desquels le Canada pourrait jouer un rôle productif, à mon avis, pour soutenir la consolidation de la démocratie et le développement humain durable.
Comme l'ont déjà souligné les autres témoins, le Mexique a tiré d'énormes avantages de l'ALENA. Cependant, je dirais que ces avantages n'ont pas été bien répartis et qu'ils ont eu tendance à exacerber les disparités qui existaient déjà à l'intérieur du pays, notamment entre les classes, les régions, les groupes ethniques et les sexes. J'énumère dans mon mémoire certains sujets de préoccupation à cet égard.
Premièrement, le président Fox a indiqué à plusieurs reprises que la pauvreté est le principal problème qui afflige le Mexique. Le gouvernement mexicain estime que, sur les 100 millions d'habitants du pays, 54 millions vivent dans la pauvreté, 24millions d'entre eux étant considérés comme extrêmement pauvres. Bien que le Mexique se soit enrichi grâce à l'ALENA, les problèmes de pauvreté se sont aggravés. Les politiques de libre concurrence qui accompagnent la libéralisation des échanges n'ont pas permis de fournir, comme promis, de bons emplois et de meilleurs salaires aux Mexicains ordinaires.
Les disparités régionales sont particulièrement prononcées, et extrêmement préoccupantes. Dans les États les plus pauvres de ce qu'on appelle souvent «l'autre Mexique», dans le sud-sud-est du pays, le PIB par habitant ne s'élève qu'à 40 p.100 de la moyenne nationale. Près de 50 p.100 des analphabètes du pays vivent dans cette région, tout comme la majeure partie de la population indigène, la plus touchée par la pauvreté et le manque d'accès aux ressources et à l'éducation.
Dans le passé, la disparité entre le Nord et le Sud a eu des ramifications politiques, par exemple la rébellion de 1994 dans le Chiapas. L'instabilité politique pourrait se poursuivre dans la région si ces problèmes ne sont pas réglés.
Comme l'a dit Mme l'ambassadrice, le gouvernement mexicain a mis en oeuvre un programme ambitieux pour résoudre les problèmes de cette région. Il est certain qu'il s'en préoccupe. Il a élaboré le plan d'action — le Plan Pueblo Panama, ou PPP — dont Mmel'ambassadrice a parlé, mais il n'a pas prévu de financement suffisant jusqu'ici. En outre, les groupes indigènes et d'autres groupes de la société civile de la région se sont plaints de ne pas avoir été suffisamment consultés en vue de la conception et de la mise en oeuvre de ce plan, et craignent de ne pas profiter des retombées qu'auraient les importants efforts de développement de l'infrastructure et des investissements dont la région est censée bénéficier en vertu de ce plan.
Comme nous l'avons déjà souligné, la libéralisation de l'agriculture dans le cadre de l'ALENA a eu des effets dévastateurs sur les paysans pauvres du Mexique, ce qui a donné lieu aux manifestations monstres dont vous avez entendu parler. Les agriculteurs mexicains soutiennent que l'ALENA n'est pas vraiment synonyme de libre-échange pour eux. À cause des importantes subventions que le gouvernement américain verse à ses agriculteurs, ils sont incapables de soutenir la concurrence sur le marché. Ils se retrouvent donc rapidement en faillite.
Cette situation a eu des conséquences déplorables sur le plan du développement social et de l'exclusion sociale au Mexique. Elle alimente également le flot de migrations croissant du Mexique vers les États-Unis, ce qui exacerbe du même coup les préoccupations des Américains au sujet de leur frontière. Les Américains voient des centaines de milliers de Mexicains pauvres se présenter à leurs portes parce qu'ils sont incapables de subsister par les moyens traditionnels.
Il y a également un certain nombre d'obstacles politiques. Le Mexique a fait d'énormes progrès dans la mise en place d'un régime de gouvernance démocratique. Nous ne pouvons que le féliciter pour ces progrès et l'appuyer dans la poursuite de ses efforts. La démocratie y demeure toutefois chancelante, et le processus de consolidation démocratique mérite notre soutien.
Un des problèmes auxquels le Mexique a dû faire face, c'est que le parti gouvernemental, qui ne contrôle pas la majorité de l'assemblée législative, n'a pas réussi à faire adopter ses initiatives par le Congrès. Il y a donc un risque qu'il soit perçu comme étant incapable d'atteindre ses principaux objectifs politiques et que la population mexicaine soit déçue du processus de démocratisation. En fait, je pense qu'elle l'est probablement déjà.
D'après une étude sur les droits de la personne publiée tout récemment par l'organisation montréalaise Droits et Démocratie, le Mexique a fait d'énormes progrès dans le sens de la démocratisation, mais certains éléments demeurent préoccupants, en particulier l'impunité au regard de la loi et l'application inégale de la loi. Les droits de la personne posent également des problèmes à certains égards, par exemple les droits des travailleurs — et plus particulièrement des femmes qui travaillent dans les maquiladoras — et ceux des indigènes.
Pour conclure, je présente dans mon mémoire quelques recommandations dont je me ferai un plaisir de discuter avec vous. Je pense qu'il est important de réfléchir plus longuement aux institutions trilatérales, et en particulier à ce que nous pourrions faire pour développer et élargir les institutions actuelles, par exemple les institutions touchant le travail et l'environnement, ainsi que la Banque nord-américaine de développement, dont le Canada n'est pas membre jusqu'ici, mais qui semble être une des rares institutions capables de soutenir un développement plus poussé au Mexique.
Je mentionne également la nécessité d'élargir et d'intensifier les échanges qui se déroulent déjà au niveau ministériel entre le Canada et le Mexique. Il y aurait également beaucoup de place pour l'amélioration dans les programmes de mobilité pour les étudiants et les professionnels.
En ce qui a trait aux frontières, je crois que le Canada peut jouer un rôle important en exportant ses technologies et ses meilleures pratiques pour améliorer la sécurité et l'efficience des échanges commerciaux à la frontière américano- mexicaine.
La question de l'immigration a également beaucoup d'importance pour le Mexique. Le Canada devrait promouvoir le dialogue entre les trois pays afin de régler les problèmes que posent les politiques existantes et de promouvoir les déplacements de travailleurs, spécialisés ou non, en vue de répondre aux exigences du marché du travail dans les trois économies. Il s'agit d'une question qui n'a vraiment pas été réglée de façon satisfaisante dans le cadre de l'ALENA. Il faudra s'y attaquer si on veut que le Mexique remplisse ses promesses au sein de la région de l'Amérique du Nord.
Enfin — si vous me permettez de prêcher pour ma paroisse —, je demande instamment au gouvernement d'accroître son appui à la recherche et à l'éducation dans le domaine des études nord-américaines.
Le président: Merci beaucoup.
Le sénateur DiNino: Vous avez commencé par nous dire que vous vous intéressiez surtout à la dimension politique de l'accord, par opposition à ses points de détail. Votre exposé a porté en majeure partie sur le Canada et le Mexique, mais j'aimerais aborder la question sous un autre angle et vous poser plusieurs questions sur cette dimension politique, mais dans l'optique des rapports entre le Canada et les États-Unis.
Un certain nombre des témoins que nous avons entendus au cours de nos 24 dernières séances, ou à peu près, ont laissé entendre que nous ne comprenions vraiment pas la politique américaine. Ils ont affirmé en particulier que nous n'avions pas encore parfaitement saisi l'importance locale de la politique aux États-Unis, ce qui explique que nous n'ayons pas réussi aussi bien que nous l'aurions pu. Êtes-vous d'accord avec ces témoins? Avez-vous d'autres commentaires à faire?
Mme Macdonald: Le gouvernement canadien a eu tendance à traiter avec le gouvernement américain comme s'il était identique à lui, ce qui n'est pas le cas à bien des égards. En particulier, même si le gouvernement canadien est conscient de la nécessité de faire passer son message à un plus vaste auditoire en dehors du secteur exécutif proprement dit, sur lequel il faudrait faire porter ses efforts diplomatiques si on cherchait à influencer le Canada, mais il a encore du mal à y arriver. Il doit apprendre à mieux connaître le fonctionnement du Congrès. C'est une tâche difficile, avec laquelle nos diplomates ne sont pas tout à fait à l'aise. Il faut reconnaître qu'ils ont essayé, mais je pense qu'il faudrait beaucoup plus de lobbying, tant par des représentants du gouvernement canadien que par leurs homologues et leurs partenaires d'affaires aux États-Unis, par exemple, pour tenter de porter nos préoccupations communes devant le Congrès américain.
En outre, je ne pense pas que nous ayons suffisamment de consulats aux États-Unis pour pouvoir, encore une fois, faire connaître nos intérêts et nos préoccupations en dehors des organes du pouvoir, pour rejoindre toute la population américaine.
Troisièmement, je pense que nous ne consacrons pas assez d'argent au lobbying. Le gouvernement mexicain, par exemple pendant les négociations sur l'ALENA, a dépensé d'énormes sommes pour faire du lobbying auprès du Congrès américain, ce que le Canada n'a pas fait. Si nous prenons vraiment ces relations au sérieux, nous devons y consacrer de l'argent.
Enfin, il faut mentionner la bataille de l'opinion publique, que le Canada a du mal à gagner. Je veux parler en particulier de la façon d'influencer l'opinion publique américaine, d'apaiser les inquiétudes injustifiées au sujet de la frontière canado-américaine, par exemple, de lutter contre l'impression que la plupart des Américains semblent avoir, à savoir que les terroristes qui ont perpétré les attentats du 11 septembre venaient du Canada. Tout le monde semble le croire aux États-Unis. C'est complètement faux, à notre connaissance, mais nous ne savons pas comment faire passer notre message. Nous avons bien des raisons d'être préoccupés.
Le sénateur DiNino: Vous avez parlé de cette question il y a un instant. Est-ce que les Mexicains réussissent mieux que nous à comprendre le système politique et à l'aborder de façon efficace?
Mme Macdonald: Je suis convaincue qu'ils prennent leurs relations avec les États-Unis très au sérieux et qu'ils y ont consacré énormément de ressources. Leurs ressources sont pourtant limitées. Les Canadiens n'ont pas le même problème qu'eux, parce que nous sommes tenus pour acquis. Personne ne s'inquiète particulièrement des Canadiens aux États-Unis. Les Américains nous voient un peu comme une version un peu plus ennuyante d'eux-mêmes, alors que les Mexicains sont considérés comme dangereux et légèrement inquiétants. Même si cette réputation n'est pas méritée, il est plus facile pour eux d'attirer l'attention du gouvernement américain, alors que le Canada a énormément de difficulté à attirer l'attention et de la population américaine et du gouvernement américain. Les Mexicains n'ont pas une réputation très enviable à Washington, mais cela les aide à attirer l'attention.
Le sénateur DiNino: Vous avez parlé tout à l'heure des «relations tendues» que nous entretenons actuellement avec les Américains. J'appelle cela le facteur irakien. Premièrement, je dois préciser que je ne suis pas un de ceux qui croient qu'il y aura des conséquences à long terme. Il est certain qu'à court terme, et peut-être même à moyen terme, il y aura certains irritants dont nous devrons nous occuper. Cependant, parce que nous ne nous sommes jamais intéressés aux facteurs locaux dans le système politique, le facteur irakien pourrait nous causer plus de difficultés parce que les concurrents des producteurs canadiens de biens et de services chercheront à influencer leurs représentants au Congrès et leurs représentants locaux, ce qui pourrait avoir des conséquences sur ces relations.
Qu'en pensez-vous?
Mme Macdonald: Le facteur irakien ne m'inquiète pas outre mesure. Tout comme vous, je ne pense pas qu'il aura d'énormes conséquences, notamment parce que les produits canadiens sont en bonne partie invisibles aux États-Unis en raison de notre intégration au système de production nord-américain. Il n'est pas difficile d'acheter des produits canadiens. Ils ne sont pas clairement identifiés comme tels sur les tablettes des supermarchés.
À mon avis, l'économie canadienne se ressentira surtout des retombées de la guerre sur l'économie américaine, quelles qu'elles soient. C'est de cela que nous devons nous inquiéter, et plus particulièrement de ce qui va se passer si le déficit s'accroît à Washington, si la guerre s'éternise et si les coûts du conflit augmentent. Tout cela est beaucoup plus important, en terme de perspectives macroéconomiques, que les perceptions individuelles des consommateurs américains ou de la population en général au sujet du Canada.
L'autre élément qui me rassure un peu, comme Andrew Reding l'a écrit récemment dans le Globe and Mail, c'est que ce sont les États-Unis qui sont isolés, en un sens, du moins à l'échelle des Amériques. La Colombie est à peu près le seul pays des Amériques à avoir appuyé les États-Unis dans cette guerre. Nancy Hughes Anthony, de la Chambre de commerce du Canada, avait dit craindre que les investissements s'envolent vers le Mexique si le Canada adoptait la position qu'il a prise. Mais cela ne se produira pas parce que le Mexique était lui aussi opposé à la guerre. Il pourrait y avoir certains pays, par exemple l'Espagne ou l'Italie, qui profiteront un peu de la situation, mais cela ne m'inquiète pas particulièrement.
Le président: Je ne me rendais pas compte que les Américains pensaient toujours à Pancho Villa et à Colombus, au Nouveau-Mexique, et que cela leur faisait encore peur. Mais c'est une idée intéressante.
Le sénateur Grafstein: Il suffit de chanter l'hymne national pour penser à Pancho Villa.
Le président: Il a pris Columbus, au Nouveau-Mexique. C'est la seule fois, au XXe siècle, qu'une ville américaine est tombée aux mains d'un autre pays.
Le sénateur Grafstein: Au cours des siècles précédents, il nous est arrivé à nous aussi de prendre des villes, rappelez- vous.
Merci de vos commentaires. Je suis enchanté que votre université travaille à ce que nous considérons comme un grand vide dans ces relations. Si vous réussissez à combler ce vide, vous méritez des félicitations. Nous, en tout cas, nous vous félicitons et nous sommes ravis que vous soyez ici.
Permettez-moi d'adopter une approche un peu différente de la vôtre. J'aimerais commencer par deux petites questions rapides avant de vous parler de ce que ces relations représentent pour nos intérêts nationaux. Nous n'en avons pas beaucoup parlé depuis un mois ou deux. Nous avons entendu une foule de chose sur nos intérêts multilatéraux, mais pas grand-chose sur nos «intérêts nationaux», ce qui a une connotation légèrement différente.
Premièrement, combien y a-t-il de Mexicains ayant la double citoyenneté qui vivent aux États-Unis?
Mme Macdonald: La double citoyenneté?
Le sénateur Grafstein: Combien y a-t-il d'Américains d'origine mexicaine, qu'ils aient la double citoyenneté ou qu'ils soient là comme migrants?
Le président: Combien y a-t-il de Mexicains vivant aux États-Unis?
Mme Macdonald: Un million? Je ne sais pas. Il y en a de plus en plus. Les Latino-Américains forment maintenant la plus importante minorité aux États-Unis.
Le président: Nous voulons parler des Mexicains.
Mme Macdonald: La plupart des Latino-Américains aux États-Unis aujourd'hui sont des Mexicains.
Le sénateur Grafstein: Je pense que les chiffes sont plus élevés, mais il est difficile d'obtenir cette information.
Mme Macdonald: Il est difficile d'obtenir cette information parce que beaucoup d'entre eux sont là illégalement.
Le sénateur Grafstein: Combien y a-t-il de Canadiens qui vivent aux États-Unis?
Mme Macdonald: Je ne sais pas.
Le sénateur Grafstein: Je trouve cela très curieux parce que, pour ce qui est de la France, par exemple, les Français vont vous dire, à une personne près, combien de leurs compatriotes vivent à l'extérieur de l'Europe continentale, au Canada et aux États-Unis. Ils tiennent le compte. En fait, il y a là-bas un comité sénatorial qui est directement responsable des relations avec les Français qui vivent à l'extérieur de leur pays.
Le sénateur DiNino: L'Italie fait la même chose.
Le sénateur Grafstein: Je trouve curieux que nous ne le sachions pas. Si je dis cela, c'est parce que j'ai découvert qu'il y a une énorme diaspora canadienne aux États-Unis et que notre gouvernement n'est tout simplement pas au courant. S'il le sait, il n'est pas prêt à divulguer cette information. Contrairement aux Mexicains, qui sont plus visibles aux États-Unis, cela nous désavantage quand vient le temps de faire du lobbying là-bas.
Mme Macdonald: En effet. La façon dont le gouvernement mexicain conçoit son propre système politique, en ciblant les Mexicains comme groupe de lobbying important aux États-Unis, est un des aspects les plus fascinants de la politique mexicaine depuis quelque temps.
Le sénateur Grafstein: Vous avez indiqué que les Mexicains avaient ouvert beaucoup plus de consulats aux États- Unis qu'au Canada, surtout dans les endroits où on retrouve une importante population mexicaine. Mais nous ne l'avons pas fait.
Mme Macdonald: Les Canadiens ont davantage tendance à s'intégrer et ils n'ont pas besoin de l'appui de leur consulat autant que les Mexicains, aux États-Unis. Mais je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Grafstein: C'est un autre grand vide. Nous n'avons pas assez de données pour analyser notre situation aux États-Unis.
Tous les témoins nous ont dit, implicitement ou explicitement, que nous avions tout intérêt à entretenir de bonnes relations avec le Mexique pour des raisons stratégiques. Cependant, quand j'analyse la situation économique et que je regarde vos recommandations, je me rends compte que c'est surtout le Canada qui transfère et qui donne des choses. J'aimerais savoir à quel point c'est réciproque. Le seul élément de réciprocité dont nous avons entendu parler, c'est que 10000 étudiants mexicains viennent au Canada. C'est le premier élément positif que j'ai entendu depuis que le sénateur Carney a établi que nous avions actuellement un important déficit commercial vis-à-vis du Mexique. Sur quels plans pouvons-nous promouvoir les intérêts du Canada? N'oubliez pas que notre comité s'occupe de commerce, mais avec des connotations politiques. Quels devraient être nos objectifs? Comment pouvons-nous promouvoir nos intérêts? On nous a dit comment nous pouvions aider le Mexique à se développer, mais que pouvons-nous faire pour nous-mêmes?
Mme Macdonald: Sur le plan des échanges commerciaux, le secteur privé au Canada n'a pas suffisamment exploré les possibilités que lui offre l'ALENA parce qu'il a tendance à être obsédé plutôt par l'énorme marché américain qui se trouve entre nous et le Mexique. Après la mise en oeuvre de l'ALENA, nous avons intensifié nos relations économiques avec les États-Unis et nous les avons réduites avec les autres régions du monde, dont le Mexique. Nous commerçons maintenant un peu plus avec le Mexique, mais nous n'avons pas vraiment tiré parti du marché mexicain, qui est relativement grand, parce que les gens d'affaires canadiens trouvent plus faciles de se rendre aux États-Unis. Ils parlent la même langue que les Américains et ont les mêmes coutumes. Nous nous comprenons très bien, et c'est facile. Je pense qu'il y a d'importants débouchés économiques pour le Canada au Mexique et que les Mexicains sont pleins de volonté envers les Canadiens, ce qui n'est pas nécessairement le cas sur les autres marchés.
Il y a des moyens que le gouvernement pourrait prendre pour promouvoir l'intensification des échanges Canada- Mexique et pour essayer de surmonter les obstacles culturels et linguistiques à ces échanges.
Le sénateur Grafstein: Je voudrais conclure en vous demandant sur quels plans exactement nous pourrions faire mieux. Nous ne voulons pas de commentaires généraux, mais des détails précis. Pouvez-vous nous aider?
Mme Macdonald: C'est un peu ironique, mais nous faisons surtout le commerce de produits primaires. Notre pays est censé être le plus industrialisé des deux, mais nous n'envoyons pas de produits de haute technologie au Mexique. Il y aurait là un marché pour la technologie, les communications, les transports et toute une gamme de secteurs dans lesquels le Canada excelle; cependant, nous n'avons pas fait assez d'efforts pour développer ces relations.
Il faut comprendre également que le commerce n'est pas la seule raison pour laquelle nous devrions développer ces relations. Il y a aussi ce que j'appellerais l'effet indirect du Mexique sur nos relations avec les États-Unis. Nous ne pouvons pas laisser le Mexique de côté si nous voulons mettre en place une communauté nord-américaine forte et améliorer nos rapports avec les États-Unis. Il n'est pas dans notre intérêt de laisser le Mexique de côté, même si les retombées économiques ne sont pas énormes. Nos relations avec ce pays comportent toujours des aspects politiques très importants que nous ne pouvons pas nous permettre de négliger.
Le président: Sénateur Carney, je voudrais corriger une chose au sujet des Latino-Américains, ou des hispanophones aux États-Unis. Il n'est pas vrai que ce sont tous des Mexicains. Les Colombiens vont s'établir à Queens. Et toutes sortes de gens vont à Miami. Évidemment, il y a des endroits où les Mexicains se retrouvent. Je parle espagnol, et l'idée selon laquelle les 35millions d'hispanophones aux États-Unis sont des Mexicains n'est tout simplement pas vraie.
Le sénateur Cochrane: Il y a des Portoricains et des Cubains.
Mme Macdonald: C'est le plus gros groupe de Latino-Américains aux États-Unis.
Le président: Si vous allez à New York, où je vais très souvent, vous ne rencontrerez pas beaucoup de Mexicains, pas plus qu'à Washington ou à Miami. En Californie, le long de la frontière mexicaine, la situation est peut-être différente. C'est plus complexe. La question de la population hispanophone aux États-Unis est très complexe.
Le sénateur Carney: Merci de cette précision, monsieur.
Le sénateur Corbin: C'est un peu tordu.
Le sénateur Carney: Je le dis respectueusement.
Le sénateur Carney: Vous avez affirmé que nous ne reviendrons pas aux rapports privilégiés que nous avions avec les États-Unis et que le Mexique est en train de devenir plus important que le Canada pour les Américains. Sur quoi appuyez-vous cet argument? Il est vrai que nous sommes 30 millions de Canadiens et qu'il y a 100 millions de Mexicains, mais le Canada et les États-Unis ont les échanges commerciaux les plus importants au monde; nos deux pays sont les meilleurs clients l'un de l'autre. D'après l'information qu'a reçue le comité, le Canada est le marché numéro un pour 39 États américains.
Compte tenu de cette énorme dépendance économique, ce qui se traduit par des relations privilégiées, pouvez-vous nous préciser ce que vous voulez dire quand vous affirmez que nous ne rétablirons pas nos anciennes relations et que le Mexique est en voie de devenir plus important?
Mme Macdonald: Quand je parle de relations privilégiées, je veux parler des prémisses sur lesquelles reposait traditionnellement la politique étrangère canadienne. Le Canada et les États-Unis entretenaient des liens très étroits, qui faisaient que nous pouvions discuter avec les Américains derrière des portes closes, à Washington, et obtenir ce que nous voulions. Nous avions des liens de familiarité, en quelque sorte, ce qui est encore le cas à certains égards.
Certaines personnes affirment que c'est l'abandon de l'étalon-or par les Américains en 1973, sans que le Canada soit consulté, qui a mis fin à ces liens de familiarité auxquels bien des gens au Canada voudraient revenir parce que les États-Unis ont une importance particulière pour nous.
Les États-Unis ont effectivement une importance particulière pour nous, et je dirais que les liens économiques canado-américains sont plus importants que les liens américano-mexicains. Mais la réalité a changé. C'est en partie à cause du changement de politique aux États-Unis, de la croissance et du nouveau poids démographique du sud et du sud-ouest des États-Unis, de l'augmentation de la population latino-américaine dans cette région, et ainsi de suite. Certains observateurs soulignent que le poids politique aux États-Unis se déplace vers le sud, vers la frontière américano-mexicaine, de plus en plus loin de la frontière canado-américaine.
Il est certain que le Canada et les États-Unis sont très importants l'un pour l'autre et que le Canada est très important pour les États-Unis, mais le système politique américain ne semble pas vraiment capable de tenir compte de cette importance. Les Américains ont tendance à nous tenir pour acquis, mais ils n'ont pas la même attitude envers les Mexicains.
Je ne dis pas qu'ils sont meilleurs amis que nous et je suis d'avis qu'il ne faut surtout pas croire qu'il y a en quelque sorte des relations à somme nulle entre les trois pays, à savoir que si le Mexique se rapproche des États-Unis, nous devons nécessairement nous en éloigner et y perdre au change à cause du renforcement des liens mexicano-américains. Ce que nous promettait l'Accord de libre-échange nord-américain, c'est que nous pourrions tous croître ensemble et bénéficier de notre prospérité mutuelle et de nos liens plus étroits, et non qu'un des partenaires serait écarté si l'autre resserrait ses liens avec Washington.
Le sénateur Carney: J'aimerais que nous parlions des mesures frontalières. Vous avez dit dans votre exposé que ce serait faire preuve de courte vue de ne pas reconnaître que les Américains voudront traiter leurs deux frontières de façon asymétrique. En fait, ils ont trois frontières, parce qu'ils sont également limitrophes de la Russie. Mais nous allons nous limiter aux deux frontières dont vous avez parlé.
Mme Macdonald: Nous avons tendance à oublier la troisième.
Le sénateur Carney: J'ai siégé à plusieurs comités composés de Canadiens et d'Américains chargés d'examiner la question de la frontière, et je voudrais souligner tout d'abord que nos problèmes frontaliers sont un peu particuliers. Nous avons de nombreux problèmes sur les plans du transport, de la paperasserie et de l'agriculture, et nous ne sommes absolument pas aussi obsédés que les politiciens américains par la circulation des personnes de part et d'autre de la frontière et par le fait que la Californie est en train de s'hispaniser considérablement. Nous n'avons pas ces préoccupations.
Vous dites aussi que les Américains ont tendance à chercher à calmer leurs inquiétudes en matière de sécurité par des mesures inefficaces, par exemple la militarisation des frontières ou les systèmes de contrôle des entrées et des sorties. Il faut donc se demander ce que vous considéreriez comme des mesures efficaces, compte tenu du fait que les problèmes aux frontières sont différents. Que suggérez-vous?
Mme Macdonald: Je suis parfaitement d'accord. Je ne dis pas que nous avons besoin des mêmes mesures, mais que nous devons aborder la question des frontières dans une optique régionale.
Le sénateur Carney: Ce n'est pas ce que vous dites ici. Vous dites qu'il serait de courte vue de ne pas reconnaître que les Américains voudront traiter leurs deux frontières de façon légèrement asymétrique.
Mme Macdonald: C'est pourquoi nous devons aborder l'organisation des frontières dans une perspective régionale. Je veux parler de l'article 110 de l'Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act, l'IIRAIRA.
Le sénateur Carney: Voilà qui est plus clair. Vous dites que nous devons trouver des solutions aux problèmes aux deux frontières terrestres des États-Unis. Vous ne suggérez pas les mêmes solutions pour les deux frontières.
Mme Macdonald: Non, je pense que nous devons coordonner nos approches et que, là où il y a de bonnes pratiques en cours de mise en oeuvre à la frontière canado-américaine, par exemple le système de laissez-passer EXPRES, le programme NEXUS, les mécanismes de surveillance de haute technologie, et ainsi de suite...
Le sénateur Carney: Est-ce que ces mesures sont efficaces? J'essaie de vous faire dire, pour les besoins de notre rapport, quelles mesures vous trouveriez les plus efficaces à la frontière?
Mme Macdonald: Nous pouvons tirer des leçons de ce qui a été fait à la frontière américano-mexicaine, où on a essayé d'empêcher les indésirables de traverser la frontière en érigeant des murs ou en patrouillant davantage, ce qui a été tout à fait inefficace.
Le sénateur Carney: Je voudrais des faits. Je ne connais pas la réponse. Je sais qu'une des questions qui se posent, à notre frontière avec les États-Unis, c'est de savoir qui porte des armes et qui n'en porte pas. Les douaniers américains sont armés, mais nos douaniers ne veulent pas l'être et ne le sont pas jusqu'ici.
Le sénateur Grafstein: Il y a 9 millions d'armes à feu au Canada.
Le sénateur Carney: Je veux parler des gens que vous rencontrez quand vous passez au contrôle d'immigration et aux douanes.
Le président: Allez-y. La question est claire pour moi.
Le sénateur Carney: C'est clair pour vous. Merci.
Il s'agit d'une question sur laquelle vous pouvez peut-être me renseigner. Est-ce que les douaniers mexicains sont armés?
Mme Macdonald: Non, ils ne sont pas armés. Du côté mexicain, la tradition veut qu'on n'essaie pas d'arrêter les gens d'entrer. La frontière est très ouverte. C'est pour retourner aux États-Unis qu'il y a un problème, puisque les files d'attente sont très longues, par exemple. Les Mexicains n'ont jamais patrouillé intensivement la frontière. Et ils ont les mêmes préoccupations que les Canadiens au sujet de l'entrée illégale d'armes à feu au Mexique.
Le sénateur Carney: Quels sont exactement les produits agricoles en difficulté au Mexique à cause des subventions américaines? Nous pensons généralement au blé et aux produits de ce genre.
Mme Macdonald: Nous, oui.
Le sénateur Carney: Mais dans le cas des petits agriculteurs mexicains, qu'est-ce qui les force à fermer boutique?
Mme Macdonald: Il s'agit surtout des produits de subsistance, en particulier le maïs, ce qui est grave parce que c'est un élément de base de l'alimentation mexicaine, avec les haricots. Mais le maïs arrive en première place.
Le président: Que répondez-vous à ceux qui disent que, pour entrer au Canada, il faut traverser l'Atlantique, le Pacifique ou la frontière américaine, que c'est à peu près la seule façon d'arriver ici?
La différence entre la frontière canado-américaine et la frontière mexicano-américaine, c'est que les gens qui viennent de l'hémisphère occidental, au sud du Rio Grande — et j'en connais beaucoup qui viennent de Colombie et du Pérou —, entrent aux États-Unis en passant par le Mexique, par la frontière mexicano-américaine. C'est une frontière difficile à surveiller. Il y a une rivière qu'on peut franchir à gué à certains moments. Du côté mexicain, il n'y a pas beaucoup de surveillance. Et du côté américain, comme vous l'avez dit, les douaniers n'ont pas beaucoup de succès.
La surveillance d'une frontière de 1500 milles — ou quelque chose du genre — que toutes sortes de gens veulent traverser pour toutes sortes de raisons, pour échapper à la pauvreté ou pour autre chose, n'est-elle pas entièrement différente de la situation à la frontière canado-américaine? Comment serait-il possible de traiter les deux frontières de la même façon?
Mme Macdonald: Je ne propose pas de les traiter de la même façon. Je dis que nous manquerions de clairvoyance si nous ne tenions pas compte des problèmes qui inquiètent les Américains au sujet de leur frontière Sud quand nous réfléchissons, de notre côté, à notre frontière Sud avec les États-Unis. Les Américains vont adopter une perspective régionale qui va tenir compte de leurs deux frontières et, qu'ils le fassent rationnellement ou non, ils vont avoir tendance à appliquer à leur frontière Nord les mêmes solutions qu'à leur frontière Sud. Nous ne devons pas oublier cela dans notre réflexion sur nos relations avec nos voisins, mais je n'ai pas dit que nous devrions adopter les mêmes mesures.
Le président: Le problème, pour eux, ne se situe pas à notre frontière. Il se situe à leur frontière Sud.
Mme Macdonald: Ce n'est pas ce que les Américains vous diront. J'ai entendu l'autre jour à la CBC un membre du Congrès américain qui affirmait que le problème, maintenant, c'est la frontière Nord.
Le président: C'est ce que peuvent dire les gens qui ne comprennent pas la situation, mais ceux qui sont au courant vont sûrement dire, il me semble, que le problème, pour les Américains, se situe à la frontière Sud, non?
Mme Macdonald: Ce qui les inquiète ces temps-ci, ce ne sont pas les migrations, c'est le terrorisme. Ils croient que le Canada est en quelque sorte un Club Med pour terroristes et que la frontière canado-américaine est ni plus ni moins qu'une passoire.
Le sénateur Corbin: Je suis content que vous ayez soulevé le problème de l'agriculture. J'ai écouté un professeur canadien qui enseigne dans une des universités mexicaines; il a dit qu'il s'agissait d'un problème majeur pour le président Fox. Pourriez-vous nous dire quel effet cela pourrait avoir sur les élections de mi-mandat qui s'en viennent pour les deux chambres? Êtes-vous prête à nous parler de cette question? Est-ce un problème suffisamment profond pour que le gouvernement risque d'en souffrir à court terme, ou même à plus long terme?
Mme Macdonald: Oui, le gouvernement actuel connaît toutes sortes de difficultés parce qu'il a été incapable de tenir les promesses qu'il avait faites quand il est arrivé au pouvoir à l'occasion des premières élections démocratiques tenues au Mexique.
Il avait promis la croissance économique. Comme nous l'avons dit tout à l'heure, le pays a connu une croissance marquée, mais cette croissance est en train de ralentir considérablement; elle est maintenant presque stagnante. L'économie mexicaine n'est pas en très bonne posture actuellement à cause du déclin de l'économie américaine. Et la crise agricole ajoute à ces problèmes. Le gouvernement n'a pas réussi à faire adopter sa réforme financière par le Congrès. Il a beaucoup de problèmes.
Le sénateur Corbin: Alors, la lune de miel est terminée?
Mme Macdonald: La lune de miel est terminée. Les gens sont déçus. La débâcle de la politique éclairée, entraînée par l'incapacité du gouvernement mexicain à obtenir des États-Unis une politique de réforme de l'immigration, comme il l'avait promis, en bonne partie à cause des attentats du 11 septembre... Tout cela est très destructeur pour le gouvernement en place. Il tiendra peut-être le coup, mais je pense qu'il va connaître des temps difficiles.
Le sénateur DiNino: Dans le même ordre d'idées, en ce qui concerne les échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis, vous avez dit quelque chose au sujet du fait que les produits canadiens étaient invisibles aux États-Unis.
Dans le sillage du 11 septembre, les Américains ont pris un certain nombre de mesures législatives, par exemple sur le terrorisme et l'agriculture. Votre commentaire m'a rappelé qu'il y avait été question d'identifier le pays d'origine et d'étiqueter les produits beaucoup plus clairement que ce qui se fait maintenant.
Avez-vous eu l'occasion de vous pencher sur cette question?
Mme Macdonald: Non, je n'ai pas suivi ce dossier d'assez près pour faire des commentaires.
Le sénateur Day: Pour faire suite à la question du sénateur Corbin, et compte tenu du fait que les difficultés du gouvernement en place viennent en partie de son incapacité à répartir la richesse et à mettre en place le «NAFTA plus» cher à M. Fox, est-ce que j'ai raison, en lisant vos recommandations, de croire qu'une des choses que nous pourrions faire en tant que parlementaires et en tant que Canadiens pour aider à améliorer la situation au Mexique, ce serait d'encourager certaines des organisations trilatérales qui peuvent aider à résoudre les problèmes? Vous avez parlé aussi de contacts bilatéraux.
Cependant, pour ce qui est d'essayer d'aider ce pays à atteindre son objectif, ce qui est manifestement nécessaire, est- ce que j'interprète correctement vos propos?
Mme Macdonald: Oui, et je pense que c'est la raison pour laquelle le gouvernement mexicain a cherché aussi activement à appliquer son approche visionnaire; c'est parce qu'il n'a pas obtenu les résultats escomptés dans le cadre de l'ALENA, c'est-à-dire le rétrécissement de l'écart entre le Mexique, d'une part, et le Canada et les États-Unis, de l'autre. C'est pourquoi il a voulu présenter ces propositions, que nous devrions prendre au sérieux et étudier attentivement, au sujet des mécanismes qui nous permettraient de soutenir le développement du Mexique. Encore une fois, ce n'est pas un jeu à somme nulle. Si le Mexique prospère, le Canada prospérera lui aussi. Nous aurons de plus nombreux débouchés pour nos produits, et nous aurons des rapports plus stables et plus prévisibles avec nos partenaires nord-américains.
Le sénateur Day: Y a-t-il des solutions évidentes?
Mme Macdonald: Comme je l'ai déjà dit, la Banque nord-américaine de développement est une des choses que nous devrions envisager. Le gouvernement canadien a refusé jusqu'ici de signer l'accord à ce sujet-là parce que c'est une organisation qui semble manquer d'efficacité et d'efficience. C'est probablement le cas, mais nous pourrions examiner la question sérieusement pour voir comment il serait possible d'apporter des réformes et comment le Canada pourrait s'y joindre.
Un de nos problèmes, c'est que nous ne fournissons pas d'aide au Mexique parce que ce n'est pas un des pays en développement les plus pauvres. C'est un pays en développement à revenu intermédiaire, ce qui fait que nous ne lui envoyons pas véritablement d'aide, à part quelques fonds par l'intermédiaire de l'ambassade.
Il est difficile d'en arriver à d'autres types de recommandations, mais nous devrions envisager la mise en place de fonds de développement régional similaires aux fonds européens, qui ont été très utiles pour relever le niveau de vie des pays européens les plus pauvres depuis quelques décennies.
L'immigration est une autre question qui intéresse beaucoup les Mexicains parce que, quand il y en a qui s'installent aux États-Unis et au Canada et qui y trouvent du travail, ils envoient de l'argent dans leur communauté. Souvent, cet argent est investi de façon productive ou sert à soutenir les familles restées au Mexique. C'est un autre mécanisme que j'ai mentionné dans mes recommandations parce que c'est en quelque sorte un moyen de redistribuer les revenus.
Mais le gouvernement mexicain doit aussi en faire plus de son côté pour redistribuer les revenus. La richesse qui entre au Mexique doit être mieux répartie. Les compressions imposées par les États dans les services sociaux, par exemple, en même temps que la mise en oeuvre de l'ALENA, ont empêché de résoudre lesproblèmes de pauvreté dont j'ai déjà parlé. Nous pourrions peut-être donner des conseils au Mexique sur la façon de mettre en oeuvre des programmes sociaux qui fonctionnent et de redistribuer les revenus à l'intérieur du pays.
Le président: Chers collègues, je remercie en votre nom MmeMacdonald d'être restée si tard.
La séance est levée.