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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 11 - Témoignages du 19 mars 2003


OTTAWA, le mercredi 19 mars 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 14 h 52 pour étudier diverses questions suscitées par le dépôt de son rapport final sur le système de soins de santé au Canada en octobre 2002 et l'évolution de la situation depuis lors. En particulier, le comité sera autorisé à examiner la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Marjory LeBreton (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente: Nous poursuivons cet après-midi l'étude qui fait suite à notre étude du système de soins de santé au Canada. Nous avons été autorisés par le Sénat à examiner diverses questions relatives à la santé mentale et aux maladies mentales.

Nos témoins de cet après-midi sont le Dr Paul Links, le Dr Alain Lesage, et M. Tom Lips.

M. Tom Lips, conseiller principal, Santé mentale, Division de la santé des collectivités, Direction générale de la santé de la population et de la santé publique, Santé Canada: Je suis heureux d'avoir aujourd'hui l'occasion de comparaître devant le comité pour examiner avec vous la santé mentale et les maladies mentales.

Mon exposé s'articulera autour de trois messages clés. D'abord, les rôles et responsabilités des administrations fédérale/provinciales/territoriales sont différentes dès lors qu'il s'agit de santé mentale et de maladie mentale. La santé mentale traduit une notion plus large que la maladie mentale et ne se réduit pas à l'absence de maladie mentale.

Comme la santé physique et la santé mentale sont interdépendantes, la promotion de la santé mentale favorise la santé physique, et inversement. À notre avis, il faut donc une approche intégrée en ce qui concerne la promotion de la santé physique et la santé mentale.

De nombreux déterminants interviennent dans la santé mentale et les maladies mentales. Une vigilance tout au long de la vie s'impose en conséquence.

C'est aux gouvernements provinciaux et territoriaux que revient la principale responsabilité d'assurer la planification et la prestation des services de santé destinés à l'ensemble de la population. Comme vous le savez, les transferts fédéraux permettent de financer en partie la prestation des services de santé. Le gouvernement fédéral a aussi un mandat particulier en matière de prestation de soins de santé à l'égard de certaines populations, notamment les membres des Premières nations vivant dans la réserve et les Inuits. Il est également chargé de la promotion de la santé à l'échelle nationale.

Les deux paliers de gouvernement mènent des activités de promotion de la santé, de recherche, et de surveillance, et ont conjugué leurs efforts pour régler certaines difficultés en matière de prestation de services — par exemple, en définissant des pratiques exemplaires.

Les activités liées à la santé mentale menées par Santé Canada comprennent ce qui suit: des activités d'information à l'intention du public et des professionnels, la collaboration avec les provinces et territoires pour améliorer les services de santé mentale, le financement de recherches et de projets, et l'attribution de subventions et de contributions aux ONG, le financement de services d'intervention d'urgence et de programmes de prévention et de promotion destinés aux Premières nations et aux Inuits, l'administration de programmes de grande envergure de promotion de la santé ayant des répercussions sur la santé mentale, et la surveillance par exemple. L'Enquête nationale sur la santé de la population de 1994 et le cycle 1.2 de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2002 comportent un important volet sur la santé mentale.

Les termes «santé mentale», «maladies mentales», «troubles mentaux» et «troubles de santé mentale» sont souvent utilisés indifféremment ou de façon incohérente. Afin de mener une étude productive sur la santé et les maladies mentales, il convient d'examiner ces différents termes, ce qu'ils comprennent et de quelle façon ils se recoupent. Il existe des divergences d'opinions sur ce que chacun de ces termes englobe ou non. Certains groupes, y compris de nombreux Autochtones, préfèrent éviter d'utiliser le terme «santé mentale» et privilégient d'autres expressions, qui ont d'autres répercussions, telles que le «mieux-être mental» ou la «santé affective».

Comme la douleur et le fardeau des maladies mentales sont si importants, la plupart des discussions publiques et stratégiques qui concernent la santé mentale en théorie portent en réalité sur le traitement des maladies mentales. Il peut être difficile dans ce contexte de garder à l'esprit que la santé mentale traduit une notion essentiellement positive et représente la finalité de tous les services, programmes et politiques dans ce domaine. Les maladies mentales minent la santé mentale, mais la santé mentale ne se réduit pas à l'absence de maladies mentales. Il s'agit plutôt de la ressource essentielle de tous les êtres humains et d'une composante fondamentale de la santé vue sous tous ses angles.

Il n'existe pas de définition de la santé mentale qui soit unanimement reconnue. La plupart des définitions insistent sur la capacité des individus d'avoir les uns avec les autres, et avec leur environnement, des interactions qui soient à la fois efficaces, constructives et satisfaisantes; de développer et d'utiliser leur capacité de réfléchir et d'être sensibles à leur environnement tout au long de la vie de manière à favoriser le bien-être subjectif; et à relever des défis et à répondre efficacement à différents facteurs de stress. Une bonne santé mentale et le maintien d'un bon état de santé mentale revêtent une importance critique, non seulement pour les personnes atteintes d'une maladie mentale, mais pour tout le monde.

Dans le texte de mon exposé, je présente plusieurs définitions qui s'utilisent au niveau fédéral. La première est tirée d'un document de discussion de 1998 intitulé «La santé mentale des Canadiens: vers un juste équilibre». Je n'ai pas l'intention de vous la lire, mais elle me met en relief la capacité de l'individu et du groupe d'avoir des interactions efficaces avec leur environnement. Une définition plus courante serait la capacité pour chacun d'entre nous de ressentir, de réfléchir et d'agir de manière à mieux jouir de la vie et à relever les défis auxquels nous sommes confrontés.

Une mauvaise santé mentale est caractérisée par l'incapacité de reconnaître, de comprendre et d'affronter le stress, les émotions et les limites ou besoins personnels; l'apprentissage de réactions mésadaptées, ou l'incapacité d'apprendre des réactions adaptatives; la détresse subjective, l'anxiété, l'aliénation, l'humeur dépressive, et les comportements dysfonctionnels. Enfin, elle se manifeste par le désespoir, l'anxiété, l'échec scolaire, l'incapacité d'être autonome en matière de santé, la prise de risques excessifs, un manque de productivité, l'éclatement de la famille, la consommation abusive d'alcool et d'autres drogues, le comportement antisocial et, à l'extrême, l'automutilation, le suicide et la violence.

L'Enquête nationale sur la santé de la population de 1994 nous a permis de constater que 17,4 p. 100 de la population âgée de plus de 12 ans ressentaient un niveau élevé de détresse. Vingt-cinq pour cent des Canadiens considèrent leur lieu de travail comme une source importante de stress et d'anxiété. Le suicide est la principale cause de mortalité des hommes canadiens âgés de 10 à 49 ans. Ces taux sont particulièrement élevés au sein de la population autochtone.

Comme pour la santé mentale, les différentes définitions de ce qu'est une maladie mentale ne font pas l'objet d'un commun accord et la question des limites de ces définitions est encore un sujet de discussion et le sera sans doute toujours.

Une définition des maladies mentales ou troubles mentaux qui est couramment utilisée est tirée de la 4e édition du Diagnostic and Statistical Manual de l'American Psychiatric Association. Je vous ai donné une copie de cette définition. Selon cette dernière, la cause d'une maladie mentale peut être soit biologique, soit psychologique. Elle exclut cependant les réactions normales à une situation stressante.

Les études indiquent qu'il existe une interaction permanente, et souvent assez forte, entre la santé physique et la santé mentale. La capacité d'adaptation personnelle, l'optimisme, le soutien social ressenti par l'individu, un sentiment d'autonomie ou de maîtrise, une bonne image de soi, et même le bonheur basique contribuent énormément à l'adoption de comportements sains, à la résistance aux maladies physiques, à la recherche d'aide, à la perception de la gravité des symptômes, à la vitesse de récupération, et à un degré moindre d'incapacité par suite d'une blessure ou d'une maladie. Un exemple serait le lien de mieux en mieux documenté entre la fréquence et l'issue de la cardiopathie et des facteurs tels que la dépression, la colère, le stress et les stratégies d'adaptation.

Lorsqu'une maladie mentale et une maladie physique sont présentes en même temps, ce qu'on appelle la «comorbidité», les soins sont plus complexes et la récupération est plus lente. De nombreux comportements qui sont des facteurs de causalité pour diverses maladies sont étroitement liés à des problèmes de santé mentale.

Le tabagisme, une mauvaise alimentation, l'inactivité physique, la consommation abusive d'alcool ou d'autres drogues, et la prise de risques excessifs peuvent correspondre à un choix rationnel ou à une préférence, mais ces comportements peuvent également être une réaction à une douleur psychologique ou à des efforts mésadaptés d'autocontrôle. En tant que groupe, les personnes atteintes de troubles mentaux tendent généralement à être en plus mauvaise santé, à adopter des comportements malsains ou risqués, et à connaître des taux de mortalité prématurée plus élevés.

La politique en matière de santé traduit de plus en plus une approche plus intégrée de promotion de la santé et de prévention de la maladie au niveau de la population générale. L'un des objectifs fondamentaux de cette politique est de prendre en compte des facteurs de risque modifiables et des facteurs de protection, en vue de maintenir et d'améliorer la santé physique et mentale des Canadiens.

Les études indiquent de plus en plus que l'activité physique a un effet bénéfique modéré mais important sur les symptômes de la dépression et peut donc aider à prévenir l'apparition de la dépression. Une saine alimentation et un poids approprié ont forcément des répercussions sur l'image et l'opinion qu'on a de soi-même. On peut s'attendre à ce que des interventions telles que l'initiative provinciale-territoriale relative à la vie saine, qui ciblent de tels facteurs, aient un impact généralement positif sur la santé mentale. Cette initiative présente l'occasion de coordonner les efforts de promotion et de prévention relatifs à une série de problèmes de santé importants.

Les déterminants de la santé qu'on retrouve dans le modèle d'amélioration de la santé de la population utilisé par Santé Canada sont également des déterminants de la santé mentale. Ces catégories générales subsument un grand nombre de facteurs de risque et de protection. Il convient rarement de supposer qu'il existe un lien de causalité direct entre un déterminant unique et un résultat particulier. La santé mentale et les maladies mentales sont liées à des phénomènes multidimensionnels auxquels on peut associer de multiples déterminants.

Même pour une maladie comme la schizophrénie où les facteurs biologiques et génétiques sont critiques, toute la gamme des déterminants de la santé demeure pertinente. Un degré de stress excessif ou l'abus de l'alcool ou d'autres drogues peuvent être des facteurs qui déclenchent l'apparition d'une maladie mentale.

Il est essentiel de tenir compte non seulement du caractère approprié des traitements biologiques ou psychothérapeutiques, mais aussi de questions telles que le soutien social, l'inclusion sociale, les conditions de vie et de travail, les pratiques de santé personnelles, et cetera.

Je vous ai donné un tableau tiré d'un document australien qui énumère des facteurs de protection potentielle et les contextes dans lesquels interviennent ces facteurs, y compris les facteurs individuels, les facteurs familiaux, le milieu scolaire, les événements et situations de la vie, et les facteurs communautaires et culturels. Je ne vais pas vous les présenter en détail.

Le tableau suivant, tiré du même document, porte sur les tâches de développement tout au long de la vie. Une importante dimension de la santé mentale est cette notion de développement. Des étapes ou événements clés, des défis et des besoins liés à la santé mentale se présentent et évoluent sans cesse au cours de la vie, tout comme les possibilités de promotion de la santé mentale et de prévention de la maladie. Ceci est vrai qu'une maladie mentale soit présente ou non.

La promotion de la santé mentale consiste à améliorer par divers moyens la capacité de l'individu et des collectivités de prendre en charge leur vie et d'améliorer leur santé mentale. La promotion de la santé mentale au niveau de la population suppose la diffusion d'informations et de ressources et la création de possibilités qui aideront les gens à avoir une bonne image et opinion d'eux-mêmes ainsi qu'un sentiment d'autonomie; à améliorer leur capacité d'offrir et de recevoir de l'aide; à comprendre, à exprimer et à maîtriser leurs émotions; à améliorer leurs capacités d'être un bon parent et un bon partenaire et de résoudre des problèmes; à reconnaître les causes et les effets du stress et y faire face; à reconnaître les symptômes de troubles mentaux; à demander de l'aide formelle ou informelle, au besoin; et à surmonter les préjugés, la désapprobation sociale et la discrimination qui entourent les maladies mentales, de même que d'autres différences.

L'un des principaux défis qu'ont à relever les chercheurs, les décideurs et les personnes chargées d'élaborer les programmes consiste à clarifier et peut-être élargir notre conception de ce qu'englobe la santé mentale et ce qu'englobent par conséquent la recherche, les interventions et les politiques relatives à la santé mentale. Un autre défi consiste à situer la promotion de la santé mentale, par rapport à la promotion générale de la santé et aux soins primaires et aux services de santé mentale.

Un troisième défi concerne la recherche. Que devons-nous faire pour faire en sorte que les résultats de la recherche soient suffisamment convaincants pour influer de façon importante sur les décisions, sachant que dans ce domaine, les constatations des chercheurs peuvent rarement être considérées comme étant définitives.

Enfin, comme l'indiquent les études sur la santé de la population, la santé mentale est favorisée ou compromise par de nombreux facteurs qui ne relèvent pas de la responsabilité des autorités sanitaires. Il existe de nombreuses questions de politique qui méritent qu'on les considère comme des priorités et qu'on y investisse des ressources. Comment donc peut-on profiter des conclusions de la recherche sur la santé mentale de façon à orienter efficacement les politiques à l'intérieur et à l'extérieur du domaine strict de la santé?

[Français]

Dr Alain Lesage, président sortant, Académie canadienne d'épidémiologie psychiatrique: Madame la vice-présidente, je porte également le chapeau aujourd'hui de vice-président du Conseil consultatif de l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies des Instituts de recherche en santé du Canada. Je suis également psychiatre et chercheur au Centre de recherche Fernand-Séguin de l'Hôpital Louis-H. Lafontaine affilié à l'Université de Montréal.

Juste un mot sur les Instituts de recherche en santé du Canada puisque nous devrons parlé ici des causes des troubles mentaux, des facteurs déterminant la santé mentale. La vision des Instituts de recherche en santé du Canada est très près de ce que je vais exprimer aujourd'hui.

On parle de quatre piliers de la recherche en santé aux Instituts de recherche en santé du Canada. D'abord la recherche fondamentale, on l'applique au niveau de la santé mentale et des troubles mentaux; on parlera des neurosciences. Il y a la recherche clinique; c'est la recherche sur l'efficacité et les interventions dans le champ des troubles mentaux; des interventions qui peuvent être médicamenteuses, psychothérapeutiques et de la réadaptation. On va s'intéresser également au troisième pilier, la recherche sur les services. Quelles sont les politiques de santé, les programmes qui vont faire en sorte que les bonnes interventions arrivent aux bonnes personnes au bon moment. Le quatrième pilier, c'est la recherche sur la santé des populations, la perspective épidémiologique et des déterminantes de la santé que mon collègue M. Tom Lips vous a exprimée tout à l'heure.

J'aimerais déposer deux documents qui pourront vous aider. Le premier document est un livre d'un effort franco- québécois auquel j'ai participé, «Planification et évaluation des besoins en santé mentale». À l'intérieur de ce document, dans les premiers chapitres, vous retrouverez un cadre de référence sur la santé mentale et les troubles mentaux. Mes collègues Français me rappellent qu'un des cadres de référence le plus cité a été développé au Canada et il reconnaît à la fois l'axe des troubles mentaux et l'axe de la santé mentale. Le deuxième document est un article récent que l'on a écrit dans la revue Santé mentale au Québec, est des principaux forums des intervenants francophones en santé mentale, qui s'appelle, «Données récentes d'étude scandinave: traiter la dépression, une stratégie efficace de prévention du suicide».

Le travail a été fait en collaboration avec un collègue scandinave. Les résultats de ces recherches ont démontrés que le traitement de la dépression dans les pays scandinaves, qui avait augmenté, était associé à une diminution du taux de suicide. En Suède, par exemple, on parle d'une diminution qui, sur une période des dix dernières années, a été de 25 p. 100. C'est très important dans un pays comme la Suède. Cela veut dire, en Suède, qu'il y aurait, chaque année, 400 à 500 morts de moins par suicide.

Cette action de traiter la dépression — une action sur une des causes du suicide — ne doit pas faire oublier d'autres actions qu'on doit poser. Par exemple, dans une perspective de santé publique, nos collègues de Grande-Bretagne nous proposent quatre grands volets d'actions possibles pour améliorer la santé. Le premier volet vise à modifier les causes des causes, donc agir sur la défavorisation sociale, sur les inégalités sociales, qui, vous le savez bien, sont des déterminants importants de la santé de la population.

Le deuxième volet est de modifier les causes: dans le cas du suicide, pouvoir traiter la dépression qui est une des causes associées au suicide.

Le troisième volet est d'augmenter la protection. Comment augmenter la résilience des enfants, l'estime de soi des adolescents par des interventions de la promotion de la santé mentale, par exemple.

Le quatrième volet est d'améliorer la qualité de nos services. Comment rendre les services plus accessibles? Comment faire en sorte que les interventions reconnues efficaces, par exemple, la médication pour la dépression et la psychothérapie spécifique qui sont efficaces? Comment faire en sorte que ces thérapies puissent se rendre aux bonnes personnes, au bon moment et au bon endroit?

La suite de ma présentation va plutôt porter sur les trouble mentaux.

Mon collègue, Tom Lips, s'est consacré davantage sur la santé mentale. Je vais donc parler des troubles mentaux. J'aimerais que vous essayez d'imaginer — vous l'avez peut-être lu dans des documents qui vous ont été transmis — combien de personnes souffrent de troubles mentaux? Essayez de vous faire une idée de ce chiffre en terme de pourcentage. Une personne sur cinq souffre actuellement de troubles mentaux.

Lorsqu'on parle de troubles mentaux, les troubles mentaux les plus prévanlents sont les troubles anxieux, les troubles dépressifs. La dépression à elle seule, dans les dernières enquêtes populationnelles faites au Canada, est de 5 p. 100 de la population canadienne qui souffre de dépression majeure.

Le troisième grand groupe concerne la toxicomanie et la possibilité de la présence de plus d'un de ces troubles. C'est donc dire que ces troubles courants sont très prévalents. En comparaison, vous allez également entendre parler de troubles mentaux graves, comme par exemple la schizophrénie, la psychose maniaco-dépressive et, chez les enfants adolescents, et éventuellement à l'âge adulte, les troubles d'autisme. Ce sont donc des troubles graves. On estime ces troubles touchent à peu près 1 à 2 p. 100 de la population.

Les troubles mentaux courants comme la dépression sont très prévalents et un rapport récent de l'Organisation Mondiale de la Santé montre que la dépression va devenir la principale cause d'incapacité dans les pays industrialisés comme le Canada. Déjà, les firmes publiques et privées savent qu'une des principales causes d'incapacité pour lesquelles elles paient des primes d'assurance sont la dépression et les troubles d'anxiété. Un deuxième constat: la majorité des personnes qui souffrent de troubles mentaux courants ne consultent pas.

Par exemple, moins de 30 p. 100 des personnes souffrant d'une dépression majeure ont essayé au moins une fois dans la dernière année de prendre des anti-dépresseurs. Lorsqu'on demande aux gens dans les enquêtes pourquoi ils ne se font pas traiter, la même réponse revient toujours. Les gens se disent que le problème va peut-être se régler de lui-même ou, encore, qu'ils vont réussir à passer à travers par eux-mêmes.

Or, en général, ils se trompent. Des études sur de longues périodes ont été menées au Canada, dans les Maritimes, par les professeurs Leighton et Murphy. Ces études, échelonnées sur plus de 40 années, montrent que ces désordres anxiodépressifs, en fait, durent des décennies et ce n'est pas seulement un mal passager. Mais les symptômes, eux, vont fluctuer en gravité, avec toujours une certaine présence de symptômes. Ils vont fluctuer, par exemple, en fonction d'événements de vie ou de facteurs déclencheurs que les personnes peuvent rencontrer.

Pourtant, il existe des traitements efficaces pour la plupart des troubles mentaux courants. Prenons la dépression majeure, comme exemple: le taux d'efficacité des médicaments anti-dépresseurs, le taux d'efficacité de thérapies psychologiques spécifiques, comme la thérapie cognitivo-comportementale ou encore la thérapie interpersonnelle, tournent autour de 60 à 70 p. 100.

Prenons la dépression chronique chez des personnes qui ont souffert de cette condition depuis près de deux décennies. Une étude récente a été publiée dans le New England Journal of Medicine. Pour ceux d'entre vous qui viennent du milieu médical, c'est une des revues les plus prestigieuses actuellement dans le monde médical. Cette étude a montré une efficacité de 73 p. 100 de la combinaison de médication anti-dépressive et de thérapie cognitive, une thérapie de type psychologique. Cette combinaison était plus efficace que chacune des thérapies prises séparément. On enseigne actuellement dans les facultés de médecine et à nos résidants, pour le traitement des troubles mentaux, la vision biopsychosociale.

Au Québec, en milieu francophone, le principal manuel de psychiatrie est celui des professeurs Lalonde et Grunberg, et il comprend le sous-titre: Une approche biopsychosociale. Cette approche s'applique à la fois aux causes, à la compréhension des facteurs influençant le cours de la maladie et également dans le traitement.

Prenons par exemple, pour parler des causes, la dépression. On reconnaît plusieurs facteurs qui causent la dépression. On reconnaît la présence de facteurs génétiques où il y a une prédisposition à la dépression qui est présente et qui se manifeste évidemment de façon différente selon les personnes.

La deuxième série de facteurs sont des facteurs neurobiologiques. On sait qu'il peut y avoir des anomalies au niveau des voies de certains neurotransmetteurs comme la sérotonine.

Un troisième niveau de facteurs sont des facteurs développementaux. Vivre avec un parent qui est déprimé place la personne à risque de développer une dépression et c'est au-delà des facteurs génétiques et des facteurs familiaux. C'est vivre avec quelqu'un où il y a moins de disponibilité.

Les facteurs développementaux, par ailleurs, on retrouve aussi des événements plus rares, malheureux, comme des abus dans l'enfance; des abus physiques ou sexuels qui vont affecter grandement le développement de l'individu et qui sont des facteurs de risque pour la dépression.

Il y a des facteurs psychologiques. La façon dont on conçoit le monde, l'estime de soi, la façon dont on construit notre réaction au stress se développe dans l'enfance. Ce sont des facteurs psychologiques importants au niveau de la dépression et qui font l'objet des thérapies cognitivo-comportementales ou interpersonnelles.

Il y a des facteurs environnementaux. Il y a des facteurs déclencheurs: les plus connus sont évidemment une perte, une séparation, des difficultés dans l'emploi ou dans la vie interpersonnelle. Mais à côté des facteurs déclencheurs, il faut aussi parler des facteurs de protection; le soutien social ou une relation positive interpersonnelle sont des facteurs protecteurs dans la dépression.

Enfin, les facteurs cliniques: la présence d'autres désordres, comme par exemple les consommateurs d'alcool et de substances, ou encore la présence d'autres troubles, des troubles anxieux, sont des facteurs de risque.

Enfin, il y a des facteurs cliniques et la présence d'autres désordres dans le cas où des gens consomment également de l'alcool et des substances. Les troubles anxieux représentent aussi des facteurs de risque et plus souvent qu'autrement, les problèmes physiques sont associés à la possibilité de dépression.

Je vous mentionne tout cela dans le but de vous montrer comment une approche biopsychosociale peut nous aider à comprendre les causes des troubles mentaux. Le traitement doit aussi comprendre une approche biopsychosociale. On a commencé à y faire allusion et le Dr Links en parlera davantage lors de sa présentation.

Par exemple, pour le traitement de la schizophrénie, on enseigne aux résidents en psychiatrie et aux médecins que le traitement repose sur une combinaison d'éléments. Il y a d'abord la médication optimale qui réfère à l'aspect biologique. Il y a la réadaptation, combinant les côtés psychologique et social, qui redonne à la personne des moyens d'agir. Il y a aussi les approches psychothérapeutiques qui aident la personne à faire sens; certaines ont été développées pour aider les patients qui présentent des délires et des hallucinations et qui ne répondent pas nécessairement à la médication.

Sans nécessairement faire disparaître le symptôme des hallucinations, les thérapies cognitives ont montré un effet positif sur des personnes qui peuvent très bien vivre avec des symptômes résiduels. Enfin, il y a l'approche psycho- éducative qui explique aux proches ce que c'est que de vivre avec une personne atteinte de schizophrénie et comment l'aider le mieux possible.

Puisqu'on parle des causes, j'irai un peu plus loin à l'intérieur des concepts et des idées. Souvent, on a tendance à se demander si la cause est d'origine biologique ou psychologique et ce, sans se douter qu'il pourrait s'agir des deux. Les progrès de la science et de l'imagerie cérébrale nous aident à démontrer que des événements biologiques ont des manifestations psychologiques et que les approches psychologiques ont un impact au niveau biologique.

La schizophrénie est un désordre du cerveau avec des aspects génétiques et neurobiologiques. À l'aide d'instruments permettant de visualiser l'activité du cerveau, on voit que chez les gens qui souffrent de schizophrénie, que le fonctionnement des zones situées à l'avant du cerveau, dites frontales, est moins important.

Ces zones régissent l'activité mentale pour la gestion des problèmes. On sait aussi que chez les schizophrènes il y a présence de troubles de mémoire et de concentration, de difficultés dans la gestion des problèmes de la vie quotidienne. Lorsqu'on place des personnes souffrant de schizophrénie dans un appareil pour mesurer l'activité du cerveau — appareil de résonnance magnétique fonctionnelle — et qu'on leur demande d'effectuer certaines tâches spécifiques qui demandent de la concentration, on se rend compte que cette zone de leur cerveau s'active moins que celle des sujets normaux.

On a fait l'expérience d'une intervention de nature psychologique qui avait pour but d'améliorer la capacité d'attention et de concentration de ces personnes souffrant de schizophrénie. On appelle cette intervention une remédiation cognitive. Quand on est retournés avec les sujets pour qui l'intervention avait bien fonctionné, l'examen avec l'appareil de résonance magnétique a montré que ces zones frontales du cerveau étaient plus actives qu'auparavant. Cet exemple démontre que les interventions de nature psychologique ont un impact sur quelque chose qui se mesure au niveau du cerveau.

J'aimerais terminer ma présentation en formulant des recommandations qui découlent des éléments qui ont été présentés jusqu'à maintenant. Comment réduire les troubles mentaux? La première solution serait de sensibiliser plus la population et les services de santé au fait que les troubles mentaux existent et qu'ils peuvent être traités efficacement. La sensibilisation est sans doute l'un des principaux obstacles que l'on rencontre actuellement. Augmenter la sensibilisation ferait en sorte que plus de gens pourraient bénéficier de traitements thérapeutiques que l'on sait efficaces et qui feraient une différence dans leur vie et celle de leurs proches.

La deuxième recommandation qui en découle, c'est de rendre accessible à la population les traitements médicamenteux et les psychothérapeutiques efficaces pour les troubles mentaux les plus courants. Vous entendrez certainement parler dans d'autres tables rondes des difficultés d'accès à des thérapeutiques que j'ai mentionnées.

Enfin, la troisième recommandation vise les gens qui souffrent de troubles mentaux graves. Je crois que vous avez entendu parler de la difficulté d'accès aux services des gens qui souffrent d'autisme. Dans le cas de la schizophrénie, on enseigne beaucoup de choses à nos résidents en psychiatrie, une approche de traitement biopsychosociale qui devraient être offerte à leurs patients. Malheureusement, on se rend compte que plusieurs types de services qu'on leur enseigne d'offrir à leurs patients ne sont pas disponibles, en particulier les interventions de réadaptation dans la communauté et les services pour la réinsertion sociale, mais aussi la disponibilité pour les interventions psychologiques. C'est principalement là-dessus que les efforts devraient porter.

[Traduction]

La vice-présidente: Merci pour cet excellent exposé. Docteur Links, vous avez la parole.

Dr Paul Links, titulaire de la chaire Arthur Sommer Rothenberg d'études sur le suicide, Hôpital St. Michael's: Madame la présidente, je suis très heureux d'avoir aujourd'hui l'occasion de comparaître devant le comité.

Je voudrais surtout insister aujourd'hui sur le fait que nos connaissances et nos approches en matière de maladie mentale et de santé mentale sont appropriées et qu'il sera possible de faire évoluer la situation de façon très importante si le gouvernement fédéral accepte de faire preuve de leadership dans ce domaine. Je vais évoquer la question de la prévention du suicide pour prouver mon hypothèse. Si j'affiche ce préjugé, c'est parce que je suis titulaire de la chaire Arthur Sommer Rothenberg d'études sur le suicide à l'Université de Toronto. Je suis psychiatre et je suis à la fois clinicien et chercheur.

Arthur Sommer Rothenberg était médecin à l'Hôpital St. Michael's. Il était atteint de la maladie affective bipolaire et il s'est suicidé à l'âge de 35 ans. Faisant preuve de courage et de leadership, sa mère et les membres de sa famille ont décidé de parler publiquement de leur perte. Ils ont réussi difficilement à réunir les fonds nécessaires pour créer cette chaire. Au moment de sa création, il s'agissait de l'unique chaire d'études sur le suicide en Amérique du Nord.

Je vais revenir sur la question du suicide, étant donné son importance dans le contexte des maladies mentales et de la santé mentale. Chaque année, plus de 4 000 Canadiens se suicident. Selon les statistiques, quatre fois plus d'hommes que de femmes se suicident. Mais en ce qui concerne les tentatives de suicide, c'est l'inverse: quatre fois plus de femmes que d'hommes tentent de se suicider.

Le suicide est l'une des principales causes de mortalité des hommes âgés de 10 à 49 ans, et constitue un problème grave chez les jeunes et les personnes âgées.

Il est important de se rappeler que le suicide est lié aux maladies mentales. Il a été démontré que neuf personnes sur 10 qui meurent par suicide souffrent de maladie mentale au moment de leur mort.

Il y a aussi la question des suicidants. Ces personnes ont un haut taux de mortalité et présentent un risque très élevé de mort par suicide. Selon les évaluations, le risque que présentent ces personnes peut être 100 fois plus grand que pour la population générale.

Dans le cadre de mon exposé de cet après-midi, je voudrais vous parler surtout de nos activités cliniques et vous communiquer, je l'espère, le fait qu'il se passe énormément de choses mais qu'il y aurait lieu d'en faire beaucoup plus. En tant que psychiatre, je tiens à dissiper le stéréotype du psychiatre assis dans son bureau avec sa pipe à côté du divan. Ce n'est pas du tout ce que nous faisons.

Parmi les exemples d'interventions prometteuses, mentionnons le modèle du traitement communautaire dynamique. Il s'agit d'une forme de traitement très actif de personnes atteintes de schizophrénie et de troubles bipolaires graves. Une équipe multidisciplinaire rend visite au patient tous les jours, et grâce à une approche globale en matière de traitement, l'équipe aide ce dernier à assurer son bien-être.

Il est important de se rendre compte qu'il s'agit du modèle de prestation des services le plus étudié dans l'histoire de la médecine. Il s'agit d'une intervention bien établie dont l'efficacité est prouvée. Les faits indiquent que ce modèle permet de garder les gens dans la collectivité et d'améliorer leur capacité de fonctionner normalement.

Il existe un mouvement favorisant l'élaboration de modèles d'intervention globale en cas de crise à l'intention des personnes atteintes d'une maladie mentale. Des modèles très développés sont utilisés dans toutes les régions du pays.

Nous avons une équipe multidisciplinaire extrêmement compétente qui comprend une expertise psychiatrique. Cette équipe est active 24 heures sur 24 et l'accès est assuré aux services en milieu hospitalier, y compris à des services sûrs pour les personnes extrêmement troublées en milieu hospitalier. Nous avons également un réseau téléphonique d'intervention d'urgence par l'entremise d'un organisme communautaire avec lequel nous travaillons. Il existe donc plusieurs autres solutions en dehors de l'hospitalisation, si bien que si les gens n'ont pas besoin d'être hospitalisés, on peut les soigner en milieu sûr au sein de la collectivité. Nous avons également une équipe d'intervention d'urgence mobile. Cette équipe se déplace pour assister les personnes qui ont besoin d'aide.

Nous travaillons aussi directement avec la police de Toronto. Nous avons une spécialiste des maladies mentales et un agent de police qui se chargent des personnes dans la rue qui sont en état de crise. Ainsi notre expertise est disponible dans la rue et les professionnels ont la possibilité de prendre des décisions efficaces sur le genre de services qui est requis. Nous espérons, et nous examinons de près la situation en ce moment, que les gens pourront ainsi être aiguillés vers le bon service pour éviter que les personnes atteintes de maladie mentale finissent dans le système judiciaire où ils ne peuvent recevoir les soins dont ils ont besoin.

Un élément important du service d'intervention d'urgence est la fourniture de conseils d'experts aux personnes qui ont fait une tentative de suicide ou ont fait preuve de comportement suicidaire. Ces personnes font partie d'un groupe à haut risque et meurent souvent par suicide.

Certaines études indiquent qu'il existe des interventions prometteuses qui peuvent vraiment prévenir le risque d'autres manifestations de comportement suicidaire. Il s'agit le plus souvent d'une combinaison de démarches individuelles et de groupe qui visent à apprendre aux gens à mieux gérer leurs problèmes. Nous sommes en mesure de démontrer qu'il est possible de cette façon de prévenir d'autres manifestations de comportement suicidaire. Dans notre milieu, nos préparons actuellement une analyse coût-efficacité relative à la prestation de ce service et son impact sur le coût des services.

Un autre exemple de l'évolution des traitements dans ce domaine concerne les programmes psychoéducatifs destinés aux familles. Le Dr Lesage a parlé de nouveaux modèles de soins qui sont très inclusifs. On peut espérer qu'il n'est plus question de nous jours de reprocher aux familles d'être la cause des maladies mentales. Cette approche éducative axée sur la famille est couramment utilisée pour le traitement de toute une gamme de maladies ou de troubles psychologiques, à savoir la schizophrénie, les troubles affectifs, l'autisme infantile, et les maladies physiques chroniques chez les enfants. Nous mettons l'accent sur la nécessité de comprendre la nature du trouble, son étiologie et le pronostic, et souvent nous travaillons aussi très activement à renforcer la capacité de résoudre des problèmes. Il arrive fréquemment que des groupes de membres de familles différentes travaillent ensemble.

Un aspect important des progrès qui peuvent être réalisés chez le patient est la mise au point de médicaments efficaces et sûrs. Nous avons à présent accès à de nombreux nouveaux produits à effet antipsychotique qui sont beaucoup plus susceptibles d'influer sur les troubles, y compris sur les symptômes positifs et négatifs, sans pour autant causer des troubles du mouvement.

Le Dr Lesage a parlé de médicaments à effet antidépressif et d'autres thérapeutiques éprouvées. Ces médicaments sont maintenant plus sûrs et plus faciles à prescrire.

Les études démontrent également que les médicaments peuvent influencer les risques de suicide. Le recours à la thérapie au lithium pour traiter la maladie affective bipolaire est un excellent exemple de l'effet de réduction des risques de suicide que peuvent avoir certains médicaments. Selon la recherche, il est possible de faire baisser le taux élevé de suicide qu'on associe à cette maladie à un taux qui se rapproche de celui de la population générale. Il est donc possible d'en arriver à un taux qui est sept ou huit fois inférieur à celui qu'on associe à cette maladie. Si j'étais en mesure de vous dire qu'un traitement utilisé pour le traitement des cancers permet de réduire de huit fois les taux de mortalité, vous seriez certainement très heureux d'apprendre une telle nouvelle.

Il existe donc des thérapies efficaces. Par exemple, la clozapine, un médicament très puissant utilisé pour traiter la schizophrénie, a d'importants effets secondaires, mais dans certains cas, il peut donner d'excellents résultats. Une étude soigneusement conçue a permis de démontrer que ce médicament réduit les risques de comportement suicidaire de 26 p. 100.

Nous appliquons des modèles de soins de santé mentale partagés en vertu desquels des spécialistes de la santé mentale et des psychiatres travaillent directement avec les médecins de famille pour assurer des services plus efficaces aux personnes qui en ont besoin mais ne peuvent y accéder. La plupart des soins et services de santé mentale sont dispensés dans des établissements de soins primaires. À cause de la fréquence de troubles tels que l'anxiété et la dépression et leur forte corrélation avec d'autres troubles médicaux, il faut que des soins appropriés puissent être assurés dans ce milieu en particulier.

Le Collège des médecins de famille du Canada et l'Association des psychiatres du Canada ont élaboré une démarche de soins de santé mentale partagés. Sous la direction du Dr Kates, ils ont élaboré un énoncé qui explique cette méthode de prestation des soins. Cette dernière revêt une grande importance pour notre travail futur parce qu'elle repose sur des rapports coopératifs entre les spécialistes de la santé mentale et les médecins de premier recours. Elle leur permet de rehausser leurs capacités et de se sentir plus à l'aise lorsqu'ils ont à traiter des problèmes de santé mentale. Elle renforce également les liens entre tous ces services et permet évidemment d'établir des relations de travail très étroites entre les personnes qui assurent les soins dans ces deux domaines importants.

Comme vous le savez peut-être, la plupart des pays développés ont à présent des stratégies de prévention du suicide. J'ai préparé la liste des pays qui ont adopté des stratégies nationales de prévention du suicide, à savoir la Norvège, la Suède, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Estonie et la France. En 1999, les États-Unis ont adopté un plan d'action visant à prévenir le suicide.

J'insiste donc sur le fait qu'il y a beaucoup de faits nouveaux et de progrès dans le domaine de la prestation des services et soins liés à la santé mentale. Nous sommes à une étape importante où le leadership des autorités fédérales dans le domaine de la santé mentale et en particulier, de la prévention du suicide, est encore plus important.

Le sénateur Morin: Le Canada figure-t-il sur cette liste?

Dr Links: Non. Ce qu'il y a d'ironique dans tout cela, c'est que toutes ces stratégies de prévention du suicide ont été élaborées par un groupe en Alberta qui a créé le cadre de prévention du suicide. Nous avons les connaissances et les capacités, mais nous n'avons pas encore élaboré les stratégies appropriées dans ce domaine.

En 1999, le Dr David Satcher écrivait ceci:

Ce n'est que depuis tout récemment que nous possédons les connaissances et les outils nécessaires pour considérer le suicide comme un problème qu'on peut prévenir, et qu'il est réaliste de penser qu'il sera désormais possible de sauver bien des vies.

Par les différents éléments d'une stratégie nationale qui sont déjà en place, nommons la promotion de la santé, des efforts pour combattre des attitudes de désapprobation sociale, et des mesures visant à empêcher l'accès aux moyens par lesquels les personnes peuvent commettre un suicide. À Toronto, par exemple, nous avons travaillé très fort pour faire installer des obstacles autour du viaduc de la rue Bloor. Voilà un bon moyen de prévenir des suicides. On peut aussi renseigner la population sur le suicide. Aux États-Unis, les autorités visent à faire en sorte que tous les citoyens aient certaines connaissances en matière de prévention du suicide, tout comme nous avons certaines connaissances concernant l'intervention cardiorespiratoire qui peut être nécessaire chez une personne qui vient de faire une crise cardiaque. Nous voulons améliorer la prestation des soins et services de santé mentale, y compris par l'intégration des services de santé mentale et de traitement des toxicomanies. Nous tenons à surveiller la représentation du suicide dans les médias et à promouvoir la recherche.

Permettez-moi de terminer en vous disant que la position fédérale dans ce domaine revêt une importance critique.

Bien sûr, nous avons déjà un régime universel de soins de santé, qui est extrêmement important. Nous avons aussi un excellent système de surveillance qui passe par Statistique Canada et qu'il serait possible d'élargir. Nous avons une nouvelle initiative de recherche, lancée par l'entremise des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), qui met l'accent depuis tout récemment sur de nouvelles études sur le suicide, et il s'agit effectivement d'une initiative fort prometteuse.

Toutefois, le Canada a joué un rôle de chef de file en ce qui concerne l'accès aux moyens — par exemple, de par sa Loi sur le contrôle des armes à feu. Les autorités fédérales sont responsables de groupes à haut risque, comme les Autochtones, les membres des Forces armées et les détenus. Il faut des mécanismes qui nous permettent de mieux répondre du coût des soins de santé. Une réduction du taux de suicide serait un moyen parmi d'autres de répondre du coût de la prestation des services.

Le Canada a déjà une démarche dynamique de prévention du suicide. D'ailleurs, la prévention du suicide est une activité bien établie au niveau communautaire. L'Association canadienne de prévention du suicide fait preuve de beaucoup de leadership dans ce domaine. Sur le terrain, tout va bien.

Mais nous avons maintenant atteint une étape où la manifestation d'un leadership national pourrait avoir un effet positif très important.

La vice-présidente: Vous parlez des efforts de prévention déployés au niveau national en Norvège, en Suède, en Nouvelle-Zélande, et ailleurs. Avez-vous des données sur les taux de succès de ces programmes dans les différents pays qui en ont? Vous pourriez nous fournir ces données par la suite, ou peut-être préférez-vous répondre rapidement à la question.

Dr Links: Le programme finlandais est celui qui a été le plus évalué. Selon les informations qui existent, le taux du suicide a baissé de 20 p. 100 lors de l'entrée en vigueur de ce programme; le niveau de réduction s'est stabilisé depuis à 10 p. 100.

Ils ont fait appel à un groupe externe d'évaluateurs pour examiner le programme dans son ensemble. Ils estimaient essentiellement que ce programme avait été couronné de succès, mais que certaines améliorations s'imposaient encore.

Ce programme est donc celui qui a fait l'objet des évaluations les plus poussées. Dans les années qui viennent, nous recevrons des données de pays comme le Royaume-Uni et l'Australie à propos de l'impact de leurs programmes.

La vice-présidente: Vous avez dit que l'étude finlandaise a été menée en 1986. Les études effectuées dans les autres pays sont-elles plus récentes ou remontent-elles à peu près à la même époque?

Dr Links: Elles sont plus récentes.

La vice-présidente: Monsieur Lips, vous avez mentionné tout à l'heure que les enquêtes de 1994 et 2002 avaient une composante importante sur la santé mentale. Qu'a fait Santé Canada de ces données? Y avons-nous accès? Les organismes intéressés et les administrations provinciales et territoriales s'adressent-ils à Santé Canada pour lui demander de communiquer ces données?

M. Lips: Les enquêtes nationales sont menées par Statistique Canada en collaboration avec Santé Canada. Les données sont surtout diffusées par Statistique Canada, bien que nous nous en servions aussi à l'interne.

Les données du cycle 1.2 — ce cycle marque la plus importante amélioration des données sur la santé mentale au Canada — ne sont pas encore disponibles. Je pense qu'elles le seront vers la fin de cette année civile.

Diverses initiatives sont prévues pour diffuser cette information au milieu universitaire et aux différents paliers de gouvernement. Je m'attends par conséquent à ce qu'elle soit largement utilisée, notamment les nouvelles données de l'ESCC.

Le sénateur Callbeck: Je voudrais tout d'abord remercier tous nos témoins.

Docteur Lesage, vous avez dit que 20 p. 100 des Canadiens sont atteints d'une maladie mentale et que 5 p. 100 souffrent de grave dépression. Comment ces résultats se comparent-ils à ceux d'autres pays? Avons-nous des statistiques qui nous permettent d'établir des comparaisons avec la situation il y a une vingtaine d'années, par exemple?

Dr Lesage: Nos chiffres sont comparables à ceux de la plupart des pays industrialisés, tels que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. À l'échelle internationale, les chercheurs essaient d'employer exactement la même méthode de façon à constater d'éventuelles différences de résultats par rapport à une même méthode. Une enquête qui reposait sur des méthodes semblables à celles utilisées en Ontario et aux États-Unis semblait démontrer une fréquence inférieure de maladies mentales au Canada comparativement aux États-Unis. Mais il y a peut-être des différences de méthode.

À l'échelle mondiale, ces études feront état d'un taux de fréquence des maladies mentales dans la population d'environ 20 p. 100. Il s'agit d'un chiffre stable qui tient pour la plupart des pays industrialisés. Les chiffres sont à peu près les mêmes pour les troubles anxieux, les troubles dépressifs et les troubles liés à l'abus de substances psychoactives.

Des études de ce genre sont très rares. Mais il y en a eu au moins une, et elle a été menée au Canada. Il s'agit de la «Sterling County Study». Le nom de Sterling County est fictif; on ne peut le trouver sur une carte. Il a été décidé de changer le nom de la ville où a été menée l'étude pour protéger la confidentialité des participants.

Selon cette étude, les taux globaux de fréquence des troubles anxieux et dépressifs n'ont pas vraiment changé, bien qu'il soit possible que les catégories de personnes à risque pour ce type de troubles anxieux et dépressifs aient évolué. Il y a très peu d'études portant sur cette question précise. Mais nous entendons dire souvent que ces troubles sont plus fréquents. Les gens semblent être plus stressés et souffrir davantage de problèmes d'anxiété et de dépression.

Il est certain que les gens sont davantage sensibilisés à la présence de ces troubles. Selon les études canadiennes menées en 2000, 30 p. 100 de la population se sont vu prescrire des médicaments antidépresseurs pour la dépression. Il y a 10 ans, c'était 15 p. 100 de la population.

La vice-présidente: Cette augmentation serait-elle attribuable à une plus grande sensibilisation au problème? Il y a 15 ou 20 ans, les gens ne cherchaient pas à se faire aider en raison de la forte désapprobation sociale qui était rattachée à la dépression. À votre avis, est-ce possible que les gens demandent plus volontiers de l'aide maintenant parce que cette attitude négative est moins présente?

[Français]

Dr Lesage: Il est possible qu'il se produise un changement et que le stigma associé aux troubles mentaux soit en train de se modifier sous nos yeux. Il serait particulièrement heureux que ce changement se produise non seulement à l'égard des gens ayant des troubles mentaux graves et leurs proches, et que cela touche des troubles mentaux très prévalants, qui frappent des personnes autour de nous quotidiennement. Si cela est en train de se produire, c'est heureux. Il serait encore plus souhaitable qu'on puisse augmenter cette tendance et pouvoir permettre aux gens qui le désirent d'être traités avec des types de thérapie qui pourront les aider et qui leur conviennent.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck: Docteur Links, vous avez fait mention de la stratégie nationale de prévention du suicide. Selon vous, serait-il trop tôt pour savoir dans quelle mesure cette stratégie a été efficace?

Dr Links: Les résultats de la stratégie nationale finlandaise indiquent qu'il a été possible de faire baisser les taux de suicide. Il n'existe pas de stratégie au Canada.

Le sénateur Callbeck: Monsieur Lips, vous avez parlé de promotion de la santé mentale et de prévention des maladies mentales. Avons-nous consacré plus de ressources à ce secteur ces dernières années ou les ressources disponibles ont-elles diminué?

M. Lips: Il n'y a pas eu d'augmentation substantielle des ressources affectées à la promotion de la santé mentale et à la prévention des maladies mentales. Par contre, un certain nombre d'initiatives générales de promotion de la santé ont bénéficié de ressources considérablement plus importantes ces dernières années et ces initiatives ont des répercussions sur la santé mentale.

De plus, certains programmes de développement du jeune enfant, tels que le programmes Bon Départ pour les Autochtones et la stratégie canadienne antidrogues ont des répercussions importantes sur la santé mentale. Mais pour répondre à votre question, il n'y a pas eu d'augmentation substantielle du financement des initiatives touchant la santé mentale et les maladies mentales.

Le sénateur Callbeck: Avez-vous l'habitude de procéder à l'évaluation des stratégies que vous mettez en place après cinq ans?

M. Lips: Nous mettons l'accent sur l'évaluation des grandes stratégies. C'est assez compliqué, mais la responsabilisation nous tient à coeur. Ces grandes stratégies font donc l'objet d'évaluations sur plusieurs années.

Ce que j'aimerais, c'est que ces évaluations portent précisément sur la composante santé mentale de ces stratégies.

Le sénateur Cordy: En Nouvelle-Écosse, par suite d'une récente fusion, l'Hôpital de la Nouvelle-Écosse, qui assure la prestation de soins aux personnes atteintes de maladie mentale relève à présent d'une des régies régionales de la santé. À cause de cette fusion, les gens craignent maintenant que l'Hôpital de la Nouvelle-Écosse manque de financement. Ils ont peur que les crédits des hôpitaux qui traitent les maladies mentales soient réaffectés aux hôpitaux généraux. Il semble que les hôpitaux généraux reçoivent plus facilement des fonds que ceux qui traitent les personnes atteintes de maladie mentale. On semble se préoccuper davantage du bien-être d'une personne qui a fait une crise cardiaque que de celle qui souffre de dépression.

Docteur Links, nous avons parlé de responsabilisation relative aux soins de santé et de la nécessité de financement ciblé. Est-il question dans votre secteur de prévoir un financement ciblé pour l'exécution de certaines initiatives en matière de soins de santé?

Dr Links: Un bon indicateur de responsabilisation pourrait être la réduction des taux de suicide. Il ne fait aucun doute que les pays qui ont adopté une stratégie de prévention des maladies mentales ou du suicide ont déterminé qu'un indicateur important de l'efficacité de stratégies de ce genre sera l'atteinte d'objectifs précis en matière de prévention du suicide.

Le sénateur Cordy: Et la fusion des établissements? À votre avis, ce phénomène aura-t-il un effet sur le financement?

Dr Links: Disons que la notion selon laquelle l'intervention précoce n'est pas nécessaire pour les troubles d'ordre psychiatrique me préoccupe. Le Dr Lesage a parlé de la dépression, et les faits indiquent justement que plus tôt on intervient pour traiter ce genre de maladie, plus les résultats sont positifs.

Il y a un intérêt très marqué actuellement pour la schizophrénie et les études démontrent qu'une intervention précoce peut empêcher que des maladies de ce genre deviennent chroniques. Nous examinons le prodrome de cette maladie afin de pouvoir la détecter le plus rapidement possible. Donc, ce serait faux de croire qu'une intervention d'urgence n'est pas nécessaire pour des troubles de ce genre.

Le sénateur Cordy: Docteur Lesage, vous avez dit que la plupart des gens qui souffrent d'une maladie liée au stress ne cherchent pas à obtenir de l'aide. Comment cela se fait-il?

Quelle formation les médecins reçoivent-ils pour leur permettre de détecter les signes avant-coureurs de maladies de ce genre? Et en particulier, quelle formation les médecins de famille reçoivent-ils pour être à même de détecter des troubles anxieux ou problèmes liés au stress chez des patients qui peuvent ne pas se rendre compte qu'ils souffrent de troubles liés au stress et essaient simplement de s'en sortir chaque jour?

[Français]

Dr Lesage: J'ai mentionné tout à l'heure que la principale raison donnée par le gens pour de ne pas consulter est que les gens pensent que le problème va passer ou encore qu'ils vont pouvoir le régler eux-mêmes.

Si on traduit cela au plan de la rencontre du patient affecté et de son médecin de famille qu'il consulte de toute façon. En effet, il ne faut pas oublier que la majorité des Canadiens voient leur médecin de famille chaque année. On estime que 80 p. 100 des Canadien voient leur médecin de famille pour toutes sortes de raisons. Le médecin de famille est le professionnel de la santé le plus vu par les Canadiens. Ces médecins reconnaissent beaucoup de personnes comme pouvant souffrir de problèmes mentaux. Les personnes qui ont des problèmes anxio-dépressifs ont tendance à voir davantage leur médecin de famille. D'une part, ces personnes ne sont pas toujours reconnues de leur médecin de famille et, d'autre part, elles ne sont pas peut-être pas prêtes à être reconnues. Ces problèmes anxio-dépressifs se manifestent avec des problèmes physiques qui peuvent donner le change et auxquels les gens peuvent s'accrocher.

J'ai mentionné tout à l'heure qu'au Canada, dans la dernière décennie, le nombre de personnes souffrant de dépression majeure est passé de 15 p. 100 à 30 p. 100. Ces personnes sont maintenant traitées avec des anti-dépresseurs. L'essentiel de ce traitement est donné par les médecins de famille. Ce ne sont pas des spécialistes mais des médecins de famille. Il y a une augmentation de la sensibilité des médecins de famille à ces questions.

Dans la formation actuellement, les programmes de médecine familiale sont un peu plus longs. Il existe un poids certain dans certains des programmes de médecine familiale au Canada et dans les programmes de santé mentale. Les médecins de famille peuvent traiter des personnes avec des troubles mentaux courants. Cela fera une différence dans les prochaines années. Il y a une amélioration continue à ce niveau. C'est un processus long mais qui est en cours.

Ce qui pourrait aider ce processus, c'est ce à quoi faisait allusion le docteur Links, à savoir des soins partagés en santé mentale: on augmente la consultation à l'accès spécialisé, donc à un psychiatre pour les médecins de famille.

En médecine on apprend en faisant les choses. Si vous rencontrez une difficulté en traitant un patient qui a problème de dépression ou un problème d'anxiété et que vous en parlez immédiatement avec un collègue, il vous dit: « Essaies cela». Le médecin de famille l'essaie, cela fonctionne et cela rentre dans ses pratiques. Cela ne prendrait que quelques minutes. La réalité est différente. Si comme médecin de famille vous appelez, comme c'est trop souvent le cas actuellement au Canada, que vous essayez de rejoindre un spécialiste ou un psychiatre et que cela prend six mois avant de lui parler, vous cessez d'essayer. On a un gros problème de formation continue et de soins continus. Il y a beaucoup à dire afin de pouvoir améliorer de façon continue la qualité des soins.

[Traduction]

Le sénateur Fairbairn: Le programme Bon départ a déjà été mentionné. L'autre jour, je regardais une publication gouvernementale où il était question du programme Bon départ. On y présentait de l'information sur différents cas pour illustrer les avantages qu'il apporte aux jeunes Autochtones.

L'une des anecdotes rapportées dans cette publication m'a vraiment frappée. C'était l'histoire d'un jeune garçon qui ne réagissait à rien. Malgré sa grande réticence, on a fini par convaincre sa mère de l'emmener voir une personne qui s'occupe des enfants ayant des besoins spéciaux. Cet enfant ne parlait pas.

Une enseignante a donc fait passer un premier test à cet enfant. Elle a marché derrière lui et a tapé dans ses mains. Le petit garçon n'a pas réagi. Il devenait clair que l'enfant n'entendait rien.

Récemment j'ai eu une conversation avec Nancy Karatek-Lindell. J'étais choquée d'apprendre que 70 p. 100 des enfants du Nunavut souffrent de surdité à des degrés variables. Le taux du suicide dans cette région du pays est également très élevé. J'aimerais bien entendre vos observations à cet égard.

Je m'intéresse à l'éducation, à l'apprentissage et à l'alphabétisation. L'alphabétisation pose problème chez environ 40 p. 100 des Canadiens d'âge adulte; ils sont incapables de lire, d'écrire et de faire les calculs de base qui leur permettraient d'accomplir les tâches de tous les jours que nous tenons tous pour acquises. C'est une statistique tout à fait décourageante, et dont on conteste souvent l'exactitude. Mais le fait est qu'elle est fondée sur les résultats d'un grand nombre d'études.

Nous devrions être en mesure d'améliorer la situation dans ces deux domaines. À votre avis, à quel point l'analphabétisation influe-t-elle sur les maladies mentales?

M. Lips: Le Dr Lesage parlait de l'approche biopsychosociale dans ce domaine. Les deux exemples que vous venez de citer illustrent bien l'importance critique d'une approche multidimensionnelle dès lors qu'il est question de santé mentale.

En ce qui concerne la promotion de la santé mentale, la capacité de communiquer, d'être accepté par les membres de son entourage, d'avoir un confident, de réussir ce qu'on entreprend et de faire partie d'une collectivité sont tous très importants. Mais si une personne ne peut pas entendre, on parle d'un problème qui doit absolument être résolu, car sinon, il peut y avoir des répercussions sur la santé mentale de l'intéressé.

Pour ce qui est de l'alphabétisation, il est possible que certains facteurs liés à la santé mentale contribuent à favoriser l'analphabétisation. De plus, le fait d'être analphabète a forcément des incidences sur la santé mentale. Lorsqu'on n'a pas la possibilité, de la même façon que d'autres membres de la collectivité, de participer aux activités de cette dernière, ou qu'on ne peut prendre part aux conversations qu'ont la plupart des jeunes par courriel, on peut finir par se sentir très isolé. Ce genre de situation peut également provoquer un sentiment de honte.

Voilà les éléments qui me semblent pertinents dans le contexte de la santé mentale, et notamment, de la promotion de la santé mentale.

[Français]

Dr Lesage: Vous avez raison d'associer les difficultés à lire ou à écrire et la présence de détresse psychologique voire de troubles mentaux. Un de mes collègues, le Dr Richard Boyer, s'est justement intéressé à comprendre dans quelles mesures les gens qui étaient dans des classes pour adultes, pour apprendre à lire et à écrire, — donc des gens qui avaient passé dans le système scolaire mais qui n'avaient pas réussi à apprendre, — comment chez ces gens on retrouvait une détresse psychologique et possiblement des troubles anxieux-dépressifs plus importants que dans la population en général. Vous avez parfaitement raison de faire cette association. Je ne rentrerai pas dans l'explication: pourquoi c'est comme cela ? C'est une association et on peut le regarder de plusieurs façons.

Pour revenir à la première expérience de ce jeune garçon sourd qui était vu sur le plan scolaire, ce que j'appellerai le niveau de la communauté, j'en retirerais une leçon concernant les services. C'est important pour les services de la première ligne de ne pas fonctionner comme des silos, de ne pas dire, cela c'est l'éducation, la psychologie, le service des troubles de comportement, la psychiatrie et la psychologie. Si on est capable d'avoir une présence, une reconnaissance, je dirais bio-psycho-sociale chez les gens, à ce moment toutes les questions pourront être posées et les gens, quels qu'ils soient, qui rencontrent les enfants auront une ouverture à cette perspective, plutôt que de dire: «Il a été référé chez moi ce doit être un problème de ce type» et ne pas envisager d'autres types de problème. Cette situation demande une reconnaissance plus importante des aspects bio-psycho-sociaux.

On voit cela aussi dans les centres jeunesses au Québec chez les jeunes en grande difficulté. À cause du problème du suicide chez les jeunes et l'association parfois avec des troubles mentaux, on voit comment un système qui était dominé par une approche de psycho-éducation a dû reconnaître et demander une présence médicale pour pouvoir — s'il y a une présence de dépression voire même de psychose maniaco-dépressive — offrir à ces jeunes le volet biologique. Il leur faut aussi relever le défi de l'intégrer dans l'approche psycho-éducative et sociale employée avec ces jeunes et qui représentent des approches essentielles pour aider le jeune.

[Traduction]

Le sénateur Fairbairn: J'aimerais établir une distinction entre les difficultés liées à l'analphabétisation et d'autres types de troubles d'apprentissage.

Dans quelle mesure avez-vous eu à traiter des personnes qui vont bien à tous les autres égards mais ont des troubles d'apprentissage un peu particuliers qui nécessitent une thérapeutique et une stratégie spéciale?

Parfois le résultat peut être tragique si les évaluations requises ne sont pas effectuées, ni en milieu scolaire ni par le médecin de famille.

Dr Links: Je traite des adultes en milieu clinique et notamment les problèmes qui découlent de troubles d'ordre psychiatrique non dépistés. L'enfant dont vous avez parlé tout à l'heure a peut-être grandi sans savoir qu'il avait un problème d'apprentissage qui a provoqué chez lui une réaction de comportement antisocial. Peut-être a-t-il été frappé d'ostracisme de la part d'autres membres de son entourage, eu des démêlés avec la justice, et à l'âge adulte, a manifesté des problèmes psychiatriques qui auraient peut-être pu être corrigés grâce à une intervention médicale précoce.

[Français]

Dr Lesage: C'est un problème que l'on retrouve non seulement chez les enfants. C'est un problème plus général d'apporter l'expertise au bon endroit, au bon moment et vouloir, en même temps, éviter de créer des ghettos. Chez les enfants avec des difficultés d'apprentissage ont veut éviter qu'ils aillent dans un endroit séparé à cause d'une problématique spécifique et qu'ils ne puissent pas bénéficier de toute l'intégration sociale que permet la classe et l'effet de ségrégation créé par cela. En même temps, on est un peu divisé parce que si l'enfant va dans un endroit spécial, on va mettre les meilleurs experts, lui donner le dernier traitement ou la dernière approche éducative possible et cela lui donnera une chance de ce côté. Voilà le dilemme continu dans lequel on est. On veut agir à partir de la première ligne de services médicaux ou de services de santé, y amener l'expertise de sorte que chaque enfant puisse être détecté et puisse recevoir dans son milieu l'approche spécifique qui pourrait l'aider et faire en sorte que ce traitement soit accessible partout pour tous les enfants.

La réponse n'est pas parfaite dans tous les cas. Parfois, il est mieux de l'amener à l'extérieur pour un temps en payant un prix de ségrégation, mais peut-être en donnant le maximum de chances à un enfant face au problème spécifique, et par ailleurs c'est peut-être mieux de le laisser dans des classes régulières avec une approche qui permettra à l'enfant de rester dans cette classe régulière. Beaucoup d'essais ont été faits, mais c'est un problème général de savoir si l'on donne des services trop spécialisés on sort les gens de leur milieu et à ce moment, on a le problème de ségrégation et de créer un ghetto et par ailleurs de le porter là où les gens vivent et s'assurer que là où ils vivent, ils puissent avoir accès à la meilleure expertise possible. C'est la difficulté.

[Traduction]

Le sénateur Fairbairn: Au fond, il s'agit d'être au courant de ce qui existe et de savoir à qui on peut s'adresser pour obtenir de l'aide quand il faut faire ce genre de choix ou prendre ce genre de décisions.

[Français]

Le sénateur Morin: Je voudrais soulever la question de la prévention de la maladie mentale et des bases scientifiques de prévention. On sait jusqu'à quel point il est difficile de démontrer l'efficacité d'une mesure préventive. Par exemple, on a cru pendant des années intuitivement que les anti-oxidants, comme la vitamine E, seraient un excellent agent préventif des maladies cardiaques. L'étude a démontrée qu'il n'en était rien. On a beaucoup d'exemples d'interventions que l'on croyait efficaces. Par exemple, les diètes riches en fibres dans la prévention du cancer du colon qui intuitivement on croyait efficace. Il a été démontré que ce ne l'était pas.

J'aimerais savoir si le parallèle existe pour les maladies mentales. Est-ce qu'on connaît des mesures spécifiques qui ont été démontrées être efficaces dans la prévention de la maladie mentale? Si c'est la cas, la réponse est d'engager des actions d'éducation publique. Par exemple, au Canada pour la prévention de maladies de cœur, il devait y avoir une réduction du tabagiste. C'est un succès canadien. Il n'y a pas de pays au monde où on a réagi par une action fédérale et que l'on a réussi à réduire le tabagisme. Cela à une incidence sur les maladies cardiaques. La même chose s'est produite en ce qui a trait à la diète: des mesures ont été prises pour l'affichage sur les produits. Ce sont des actions prises par le gouvernement fédéral qui ont un impact démontré scientifiquement sur les maladies physiques.

J'aimerais faire le parallèle avec les maladies mentales. Y a-t-il des mesures précises qui sont scientifiquement efficaces? Pour moi, le terme «promotion de la santé» est vague. On engloutit des ressources dans ces promotions. De telles ressources pourraient être plus efficaces pour faire de la recherche.

[Traduction]

Docteur Links, j'ai été étonné d'apprendre que nous n'avons pas de programme national de prévention du suicide. Je crois savoir que la prévention du suicide correspond à ce qu'on appelle la «prévention secondaire».

À votre avis, devrions-nous nous doter d'un programme national de prévention du suicide? Et, dans l'affirmative, devrait-il s'agir d'une initiative officielle?

Dr Links: Je vais aborder la question de la prévention en parlant plus précisément du suicide. Il est vrai que nous avons besoin d'élargir nos connaissances dans ce domaine mais, pour moi, nous en savons déjà assez pour aller de l'avant.

Il y a trois initiatives de prévention primaire du suicide qui s'appuient sur des faits et des études assez solides. L'une des initiatives les plus prometteuses concerne l'accès aux moyens, telle la Loi sur le contrôle des armes à feu.

Il y a également une initiative très intéressante en cours au Royaume-Uni, qui a consisté à limiter la quantité d'acétaminophène vendue individuellement. Autrement dit, on a imposé des restrictions au nombre de pilules de Tylenol que contient chaque emballage individuel. Ce médicament a un autre nom au Royaume-Uni. Cette initiative des responsables de la santé publique a démontré qu'il est possible de réduire le nombre de décès résultant d'une surdose de médicaments.

Il existe aussi d'autres exemples d'initiatives qui démontrent l'impact que peuvent avoir des mesures visant à réduire l'accès aux moyens. La restriction des gaz de houille au Royaume-Uni a permis de réduire le taux du suicide. Il est bien possible que si la composition des gaz d'échappement change, il y aura aussi un impact sur le nombre de suicides. Donc, il y a des mesures de prévention primaire qui sont efficaces.

Une autre possibilité concerne le rôle immédiat. Nous savons, par exemple, que si les cas de suicide sont traités par les médias de manière sensationnelle et si chaque suicide est médiatisé, cela peut en réalité faire monter les risques que d'autres se suicident. Un bon exemple que je pourrais vous citer est celui de la ville que j'habite, car dans les années 70, la Commission des transports en commun de Toronto signalait au public tous les cas de suicide. C'est alors que cette dernière a demandé conseil et a finalement décidé de ne plus communiquer au public de l'information sur les suicides dans le métro. Cette mesure très simple a permis, toutefois, de faire considérablement baisser le taux du suicide.

Il y a donc certaines mesures qu'on peut prendre au niveau de la prévention primaire. Mais dans certains cas, il faut que les autorités fédérales prennent l'initiative.

Il y a aussi la prévention secondaire, c'est-à-dire le dépistage précoce des personnes à risque. L'une des études classiques sur la prévention du suicide s'est déroulée dans une petite île en Europe. Tous les médecins de famille du Gotland avaient été formés à dépister et à traiter la dépression. Par suite de cette intervention, le taux du suicide a chuté.

Cette recherche suscite de nombreuses questions; elle soulève autant de questions qu'elle en règle. Cependant, les faits laissent supposer que si on apprend aux protecteurs du public de dépister plus facilement la dépression et de prendre aussitôt les mesures qui s'imposent, l'impact peut être considérable.

En ce qui concerne les soins tertiaires — c'est dans ce contexte que je fais ma recherche — nous observons et examinons des personnes à haut risque qui ont un comportement suicidaire récurrent. Nous sommes maintenant en mesure d'élaborer des interventions qui peuvent les empêcher de récidiver, et donc, de se suicider.

Mais il est maintenant temps que les autorités fédérales fassent preuve de leadership dans ce domaine. Les États- Unis seraient un bon exemple à citer. Nous avons des connaissances suffisantes maintenant pour élaborer une stratégie de prévention qui pourrait avoir pour résultat de réduire les taux. Des chefs de file canadiens ont défini des stratégies de ce genre qu'il serait possible d'adopter dès maintenant. Nous avons les connaissances requises. Malheureusement, le taux du suicide au Canada est plus élevé qu'aux États-Unis. Peut-être finirons-nous par faire quelque chose pour conserver notre amour-propre.

Le moment est maintenant venu de prendre des mesures de prévention du suicide. Nous avons besoin de leadership à l'échelle nationale.

Le sénateur Morin: À votre avis, qui devrait prendre l'initiative de créer un tel programme, Santé Canada ou un organisme professionnel? Avez-vous des recommandations précises à nous faire à cet égard?

Dr Links: Il faut absolument que le gouvernement fédéral fasse preuve de leadership dans ce domaine. Les stratégies nationales qui ont connu le plus de succès sont celles lancées et soutenues par le gouvernement fédéral.

Il faut évidemment que les mesures concrètes soient adaptées aux besoins de chaque collectivité, si bien que les initiatives communautaires seront forcément différentes, selon la situation, des unes et des autres. Les problèmes des Autochtones sont très différents de ceux que nous rencontrons à Toronto, où j'habite. Nous avons donc besoin de leadership fédéral. La plupart des stratégies nationales prévoient des objectifs précis qui doivent être réalisés et mesurés et dont les responsables doivent répondre. Certains de ces éléments feraient forcément partie intégrante d'une initiative fédérale.

La recherche est financée par les crédits fédéraux. Comme je vous l'expliquais tout à l'heure, il existe un certain nombre de groupes à risque élevé et un leadership fédéral serait donc nécessaire pour élaborer des stratégies précises permettant d'aider ces groupes-là. Il y a également la question de l'accès aux moyens, et là aussi, le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle de chef de file.

En ce qui concerne la promotion de la santé, il faut se rappeler que les attitudes et notamment la désapprobation sociale rattachées aux troubles psychiatriques sont des facteurs très importants dans ce domaine. Bien souvent les gens, et surtout les hommes, ne cherchent pas à se faire aider. Un leadership fédéral dans le domaine de la promotion de la santé en vue d'enrayer les attitudes négatives serait très important.

Donc, le gouvernement fédéral a certainement un rôle à jouer dans ce domaine. À mon avis, toutes les conditions sont réunies maintenant pour prendre des initiatives de ce genre, parce que nous possédons maintenant une excellente expertise sur le terrain.

[Français]

Dr Lesage: En parlant des troubles cardio-vasculaires, du cancer du poumon et de la réduction du tabagisme, on est conscient que le tabac n'est pas la seule cause des maladies cardio-vasculaires. Ce n'est pas la seule cause du cancer du poumon.

Par exemple, dans les maladies cardio-vasculaires, il y a des gens plus vulnérables que d'autres, il y a des facteurs génétiques, de développement, de travail, d'alimentation, et cetera, et même la dépression pourrait agir. Elle a été associée comme un facteur de risque. Ce sont des causes.

On recherche pas nécessairement la vraie cause, mais en prévention, on recherche les causes sur lesquelles on pourrait agir et faire une différence. Dans les troubles mentaux, notre niveau de connaissance est différent selon les troubles, mais il y a plusieurs activités qui peuvent être faites et qui peuvent faire une différence. Cela inclut la promotion et la prévention. Nous avons des preuves à cet effet.

Je prends un exemple au niveau de la promotion. Vous avez mentionné le programme Head Start, dans les écoles de Montréal, c'est le programme un, deux, trois. Ces programmes ont démontré leur impact positif chez les jeunes des milieux défavorisés; ils ont augmenté le nombre de jeunes qui lisent de façon adéquate et le nombre de jeunes qui ne décrochent pas et qui présentent moins de problèmes de conduite. Ces derniers sont annonciateurs de problèmes d'anxiété, de dépression et de suicide chez les jeunes et à l'âge adulte. Ces programmes ont une efficacité démontrée.

Si on les généralisait, qu'est ce que cela impliquerait? C'est moins connu dans la population mais il y a des preuves de leur efficacité. C'est d'ailleurs pour cela que nos collègues des États-Unis l'utilisent dans leurs écoles en milieu défavorisé.

Je veux revenir sur l'exemple du traitement et de la prévention du suicide. Je pense qu'une démonstration quand même solide a été faite. Je vous réfère à ce document que j'ai déposé concernant les pays scandinaves: si on augmente le traitement pour la dépression, on peut diminuer le taux de suicide. Ce faisant, on agit sur une des causes, par sur toutes les causes. Si on agit, on peut avoir un effet.

Enfin, en santé publique, lorsqu'on fait des actions de prévention, on est toujours soucieux: si on augmente une intervention, peut-il y avoir des effets néfastes que nous n'avons pas vus? Je vais vous rappeler le traumatisme que le monde médical et la population a vécu lorsqu'on a appris que les suppléments hormonaux donnés aux femmes pré- ménauposées pour prévenir les effets indésirables de la ménopause pouvaient être associées à une augmentation de cancers et de maladies cardio-vasculaires.

Cela nous a donné matière à réflexion, à savoir qu'en augmentant le traitement de la dépression, nous ne devions perdre de vue la possibilité d'effets pervers à long terme.

Dans le cas du traitement de la dépression, la situation est différente, car la dépression est répandue et donc liée à un plus grand nombre d'incapacités dans la population. Le traitement de la dépression peut possiblement prévenir le suicide, mais son effet principal consiste à diminuer l'incapacité des personnes, ce qui les aide à jouer leur rôle de parent, de conjoint ou de travailleur. Il diminue leur souffrance.

[Traduction]

M. Lips: Pour bien des gens, les notions de prévention et de promotion sont plus compliquées et surtout plus difficiles à comprendre parce qu'elles s'appuient sur un long échéancier. Là nous parlons de situations réelles et concrètes où il est tout simplement impossible de contrôler toutes les variables. Nous n'aurons sans doute jamais autant de preuves concrètes justifiant une intervention psychosociale que nous en avons pour justifier l'utilisation d'un médicament, par exemple. Pour un médicament, il est possible de faire des essais cliniques aléatoires pour établir son efficacité et ses éventuels effets secondaires.

Mais quand il est question d'une intervention en salle de classe, par exemple, eh bien chaque classe est forcément différente; chaque être humain est différent; chaque génération est différente; et chaque enseignant est différent. Il est donc impossible d'exercer un contrôle absolu sur les circonstances qui entoureront la méthode ou l'intervention que vous mettez à l'essai.

Le degré de preuve exigé pour de nombreuses interventions psychosociales est comparable à celui prévu pour de nombreuses interventions physiques. Je sais que pour vous, la notion de promotion de la santé mentale vous semble peut-être correspondre à quelque chose d'assez vague mais moralement inattaquable. Et comme mon rôle consiste à encourager cette promotion, je ne peux pas vous en parler de façon impartiale. Mais j'ai vraiment l'impression que la promotion de la santé mentale nous amène à prendre des mesures qui sont valables à différents égards et qui n'ont pas besoin de s'appuyer nécessairement sur les résultats d'une montagne d'études pour être justifiées.

Nous savons, par exemple, que les interventions menées auprès de mères seules par des spécialistes qui vont leur rendre visite chez elles pour leur apprendre à bien s'occuper de leur enfant et à établir de bons liens affectifs avec lui ou elle, ont des résultats positifs mesurables sur le plan de la santé mentale, de la santé physique et du bien-être général. Par contre, nous avons encore du chemin à faire pour ce qui est d'établir des mesures de prévention primaire de maladies telles que la schizophrénie.

Nous ne sommes pas en mesure de dire aujourd'hui qu'il existe une méthode de prévention primaire de la schizophrénie ou de la maladie affective bipolaire. Il est possible que certaines mesures de promotion de la santé mentale aideraient à prévenir de tels troubles, mais les résultats des études menées jusqu'ici ne me permettraient certainement pas d'en faire la preuve. Il est important d'examiner chaque situation de manière holistique pour savoir ce qu'on peut prévenir et quels peuvent être les effets positifs des initiatives que nous prenons.

Dans le cas de la schizophrénie, nous ne sommes peut-être pas encore au stade où il nous est possible d'élaborer une méthode de prévention primaire fondée sur l'expérience clinique, mais il reste que les constatations de nombreuses études indiquent qu'une intervention précoce peut effectivement améliorer les résultats.

Les arguments qui militent en faveur de la promotion de la santé mentale s'appuient sur l'observation de certaines associations ou corrélations. Par exemple, nous savons que la présence de certaines compétences parentales est associée à de meilleurs résultats chez les enfants, et ce dans plusieurs domaine. Il est donc logique de vouloir modifier les comportements des parents et encourager l'acquisition des compétences parentales qui semblent donner les meilleurs résultats.

Nous savons également que certains événements sont associés au risque de mauvais résultats de divers ordres. Le fait d'entrer à l'école ou de changer d'école, de perdre un emploi, de se marier, de divorcer et de prendre la retraite sont tous des exemples d'événements de ce genre. Nous observons une vaste gamme de résultats au sein de la population. Certaines personnes font très bien la transition, mais d'autres, non. Il est possible d'examiner les raisons pour lesquelles certains ne font pas bien la transition et élaborer des interventions qui vont permettre d'éliminer ces facteurs.

Il existe un grand nombre d'études qui prouvent le bien-fondé de ces interventions. Il arrive un moment où il faut déterminer le poids à accorder aux interventions faisant appel à une technologie avancée, par rapport aux interventions toutes simples. On n'a pas besoin d'une intervention de pointe pour déterminer qu'un petit garçon qui va à l'école est sourd. Si les parents ne fournissent pas un environnement sûr à leurs enfants, il ne serait guère surprenant d'observer certains impacts au niveau de leur santé mentale — peut-être pas la schizophrénie, mais le suicide ou un comportement antisocial. Il n'est pas possible de prévoir quelles seront les conséquences de certains facteurs de risque.

La promotion de la santé mentale n'est pas si différente de la promotion de la santé physique, en ce sens que nous savons pertinemment que certaines choses ne favorisent pas le bien-être des gens. Il s'agit essentiellement de déterminer comment ces facteurs négatifs peuvent être modifiés — tout comme nous savons que le tabagisme est nuisible pour la santé générale, et notamment les poumons et le coeur. Nous en sommes absolument sûrs, mais malgré tout, nous cherchons toujours des moyens efficaces de réduction du taux du tabagisme. Il semble que nous ayons à réapprendre avec chaque nouvelle génération, car chaque génération de jeunes est différente. À l'heure actuelle, nous constatons que les jeunes recommencent à fumer.

Il en va de même pour la santé mentale. Nous savons que certains types de comportement et d'expériences nuisent à la santé mentale des gens. Il nous faut apprendre à modifier ces comportements et ces expériences. Certaines mesures nous ont déjà permis de faire de bons progrès. Comme le Dr Links vous l'expliquait, nous savons qu'il faut limiter l'accès aux moyens permettant le suicide, car ceci correspond à une stratégie prometteuse dans bien des cas. En ce qui me concerne, c'est tout de même une intervention tardive, car si une personne est prête à se suicider, ce n'est qu'à la toute fin que vous intervenez pour limiter son accès aux moyens qui lui permettront de se suicider. La restriction des moyens est importante, bien entendu, mais je voudrais aussi qu'on en arrive, grâce à diverses interventions, à faire en sorte que cette personne n'arrive jamais au point de vouloir se suicider. La promotion de la santé mentale constitue donc un projet sérieux et important qui s'appuie sur des résultats cliniques de plus en plus importants.

Le sénateur Keon: Je voudrais poser à tous nos témoins une question sur l'accès aux soins. Vous avez parlé de la nécessité de leadership et du contexte précis dans lequel ce leadership doit s'exercer pour favoriser la prévention du suicide. Mais à mon avis, à la différence de certains autres grandes maladies, comme les maladies cardiovasculaires et les cancers, les maladies mentales sont extrêmement problématiques en raison de la difficulté qu'ont les malades à se faire soigner. Ce problème d'accès aux soins est sans doute causé en partie par l'opprobre qu'on associe à ces maladies et par une pénurie de main-d'oeuvre et la façon dont cette main-d'oeuvre est distribuée.

Certains d'entre vous ont mentionné qu'un patient peut avoir à attendre de longs mois avant de voir l'expert qu'il lui faut. À cet égard, nous souhaitons faire des recommandations appropriées au gouvernement. Qu'est-ce qui pourrait être fait au niveau fédéral pour réduire considérablement les difficultés d'accès aux soins que nous observons dans le secteur des maladies mentales?

Dr Links: Je suis d'accord avec vous pour dire que l'un des plus importants défis que nous avons à relever dans ce domaine est celui de l'accès aux soins. À mon avis, il conviendrait d'examiner la question de la main-d'oeuvre. Je ne sais pas si la main-d'oeuvre relève de la responsabilité du fédéral ou des provinces. Il faut que les provinces fassent ce qu'elles peuvent pour enrayer ce problème.

Dans le domaine de la psychiatrie, les problèmes de main-d'oeuvre sont particulièrement graves, notamment en ce qui concerne les services destinés aux enfants, aux adolescents et aux personnes âgées. Ces problèmes sont surtout causés par un manque de main-d'oeuvre et l'incapacité de former du personnel spécialisé dans ce domaine.

Certains des modèles dont nous avons discuté aujourd'hui sont tout de même prometteurs. Les faits semblent indiquer que les soins assurés de façon coopérative permettent d'améliorer le dépistage et le traitement de la dépression. Il faut donc continuer à élaborer des initiatives dans le domaine des soins primaires qui répondront à ce besoin.

Comme le Dr Lesage nous l'expliquait tout à l'heure, la désapprobation sociale des maladies mentales constitue un grave problème. Comme vous le savez, les gens ne demandent pas à se faire soigner lorsqu'ils ont une maladie mentale, un problème d'abus d'alcool ou de drogues ou des tendances suicidaires parce qu'ils craignent d'être stigmatisés. C'est un problème complexe. Pour enrayer cette attitude et cette désapprobation sociale, il faut renseigner la population et faire comprendre aux gens qui souffrent que ces maladies se soignent.

Le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle de chef de file dans le domaine de la recherche. Nous savons pertinemment que les bonnes informations et la recherche permettent de réduire la désapprobation sociale qui accompagne ces maladies. Nous avons déjà observé des résultats positifs. Voilà donc un domaine où le leadership fédéral s'impose.

Nous avons besoin d'initiatives globales. Nous avons déjà les experts qu'il nous faut dans le domaine de la prévention primaire.

Pour ce qui est de la prestation des services, nous examinons actuellement diverses initiatives globales, y compris de nombreuses initiatives d'auto-assistance, pour que les familles et la collectivité joue un rôle très important pour ce qui est d'aider les personnes atteintes de maladie mentale à guérir et de les garder au sein de la collectivité.

En Ontario, nous examinons l'opportunité d'une approche pour les personnes atteintes de maladie mentale grave. Son application semble intéressante, notamment de concert avec d'autres types de modèles de prestation des services, pour aider les personnes atteintes de maladie mentale à s'en sortir.

[Français]

Dr Lesage: J'ai deux suggestions suite à votre question. La première à laquelle j'ai fait allusion est de pouvoir augmenter la sensibilité de tous les Canadiens à l'existence des troubles mentaux. Il est possible d'être traité pour des troubles mentaux avec efficacité. S'il y a une différence dans la perception de la population, à long terme, à savoir que les troubles mentaux sont à traiter de la même façon que les troubles physiques, à ce moment, on aura fait un très grand pas parce que c'est très prévalent. Cela atteindrait toutes les communautés et notre tissu social. À ce moment, la question de l'accès ne devient plus une question politique ou de planification de quelques experts, mais amène chacun des Canadiens à penser aux moyens de pouvoir se faire aider pour des problèmes de trouble mental. Ce serait le père de famille, l'employeur, le chef d'entreprise, le chef syndical, et cetera. Cela deviendrait quelque chose de présent dans l'esprit. Chacun à son niveau ferait quelque chose pour que l'accès puisse augmenter. Il y a beaucoup à dire sur l'augmentation de la sensibilité de la population.

Un deuxième commentaire s'applique surtout aux services, à la hausse de l'accès aux services. Au Canada, c'est par la recherche et le transfert de connaissances que nous pouvons identifier de meilleures pratiques qui permettent d'augmenter l'accessibilité aux soins de santé mentale dans les communautés, dans les villes, dans les villages. Il faudrait pouvoir trouver des modèles qui pourraient être différents dans l'Est et dans l'Ouest du Canada. Ils pourront différer en milieu urbain, grand ou petit. Il faut pouvoir identifier aux incitatifs et aux organisations des services qui feraient que les intervenants et les cliniciens de nos services sociaux s'intéresseraient, seraient plus accessibles pour identifier et traiter leurs patients souffrant de trouble mental.

Il faut y penser selon les modèles — c'est une hypothèse que je propose — que ceux utilisés actuellement pour augmenter l'accès à de meilleurs soins pour des conditions comme le diabète ou l'hypertension. Les troubles anxio- dépressifs durent très longtemps. Le traitement ne peut pas se limiter à un point dans le temps. Il couvre une longue période de temps qui touche en plus de la personne malade, son environnement; il faut encourager la personne à suivre le traitement. Cela demande des approches plus près de celles des traitements des conditions physiques chroniques que des conditions aiguës. Il devrait y avoir de la recherche ou de l'encouragement à suivre des modèles qui sont déjà en vigueur au Canada et qui peuvent être plus accessibles et plus connues ailleurs au Canada.

[Traduction]

M. Lips: Il faut absolument que la démarche retenue respecte la répartition des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires. Santé Canada a déjà pris des mesures qui permettent une collaboration en fonction de cette répartition des responsabilités.

Dans le domaine de la recherche, il existe divers modèles, tels que le Fonds pour l'adaptation des services de santé et le nouveau Fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires. Le Fonds pour l'adaptation des services de santé a financé 20 ou 25 projets différents liés à la prestation des services dans le domaine de la santé mentale. Les provinces reconnaissent qu'il est urgent de prévoir des interventions appropriées dans ce domaine.

Il y a certains projets de recherche qui touchent la prestation des services et l'accès aux soins. Voilà un bon exemple d'un domaine où le gouvernement fédéral a apporté une contribution importante. Je m'attends à ce que le Primary Health Care Transition Fund donne des résultats semblables.

Le financement de la recherche a été sensiblement augmenté et une bonne partie de ces crédits supplémentaires ont été affectés à des projets qui touchent la santé mentale. Les IRSC ont affecté une trentaine de millions de dollars à des projets de recherche liés à la santé mentale en 2002-2003.

Une autre question intéressante est celle de la télémédecine. Cette technologie est de plus en plus utilisée pour assurer les services de santé, notamment dans les régions rurales et éloignées. Elle est fort prometteuse. Voilà un autre domaine où la contribution du gouvernement fédéral a été considérable.

Le Dr Lesage a parlé d'auto-assistance. À divers moment, le gouvernement fédéral a apporté une contribution aux initiatives d'auto-assistance en assurant de la formation et en créant des ressources qui permettent d'encourager le recours à des techniques et méthodes d'autothérapie chez des personnes qui ont divers problèmes, y compris des problèmes de santé mentale.

Il a été question du problème de désapprobation sociale. Encore une fois, des demandes de financement ont été adressées aux IRSC pour faire de la recherche sur ce problème particulier. Il y a eu un certain leadership dans ce domaine. De façon modeste, notre unité a également essayé d'avancer la cause des soins partagés.

Nous avons également eu des discussions avec les provinces sur bon nombre de ces éléments. Je pense que nous avons effectivement un rôle à jouer, mais il importe aussi de trouver des solutions qui reconnaissent que ce sont les provinces et territoires qui ont la principale responsabilité en matière de prestation de soins de santé.

Le sénateur Keon: Il me semble que si nous arrivions un jour à organiser notre système de soins primaires de la manière qui nous semble optimale au Canada, nous aurions alors une structure en bonne et due forme ou un point d'entrée dans le système qui serait plus clair.

À l'heure actuelle, il n'y a pas vraiment de mécanisme qui assure l'entrée de ces patients dans le système de soins. Ces derniers sont obligés de trouver eux-mêmes le point d'entrée. À mon avis, bon nombre d'entre eux sont trop gênés pour essayer de se renseigner ou pour poser des questions. Mais c'est vous qui êtes l'expert en la matière.

Pourriez-vous me dire dans quelle mesure il serait utile d'avoir dans tout le Canada des programmes de soins primaires bien organisés qui prévoient également un mécanisme d'accès en bonne et due forme pour le traitement des maladies mentales?

M. Lips: Je suis d'accord avec vous pour dire que la santé mentale constitue et doit constituer un élément essentiel de tout système de soins primaires et que le projet d'amélioration des soins primaires doit inclure des mesures visant à faciliter l'accès aux soins relatifs aux maladies mentales. À mon avis, certains des modèles qui sont proposés en vue d'assurer l'accès aux soins primaires 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, de même que les efforts visant à promouvoir la prestation multidisciplinaire des soins primaires contribueront à améliorer l'accès aux soins de santé mentale.

Je pense qu'il est couramment connu que les systèmes de soins provinciaux ont d'importants défis à relever pour ce qui est de faciliter l'accès aux soins de santé mentale et d'assurer une meilleure intégration des différentes composantes du système afin de mieux répondre aux multiples besoins des personnes atteintes de maladie mentale grave. Cette bataille n'est pas encore gagnée, et j'espère évidemment que les mesures prises par le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires en vue d'améliorer le système de soins primaires mettront vraiment l'accent sur les soins de santé mentale.

Dr Links: Peut-être pourrais-je vous répondre en vous donnant un exemple des personnes avec lesquelles nous travaillons et que nous essayons d'étudier.

En milieu clinique, nous traitons des hommes qui sont à la fois suicidaires et violents. Ces personnes sont très difficiles à soigner et ont tendance à être totalement exclues de notre système de soins. Bon nombre de ces hommes ont des problèmes de santé mentale et de toxicomanie et ont un médecin de famille, qu'ils acceptent de nommer. Mais ils ne s'adressent pas au médecin pour se faire soigner; ils vont plutôt à l'urgence. Ils nous disent qu'ils ont tendance à ne rien faire pour se faire soigner, jusqu'au moment où leurs difficultés deviennent tellement graves que la police de Toronto les trouve dans la rue et les amène à l'hôpital. À ce moment-là, toute l'expérience devient négative, parce qu'ils sont attachés sur la civière où on leur donne des calmants, et en quittant l'hôpital après une telle expérience, ils décident de ne plus jamais rien dire à propos de leurs problèmes de santé mentale, si bien que le cycle recommence à chaque fois.

Si je vous raconte cette histoire, c'est parce que cette question présente d'énormes difficultés, des difficultés qui peuvent être résolues grâce à des initiatives comme celles dont on parlait tout à l'heure — l'éducation, entre autres, pour éliminer la désapprobation sociale rattachée aux maladies mentales, et une meilleure formation. Même dans une ville comme Toronto, qui dispose d'excellentes ressources, il existe encore des cloisons qui font que les gens n'accèdent pas aux services qu'il leur faut.

[Français]

Dr Lesage: Je voudrais renforcer votre propos, à savoir que c'est à travers les services de première ligne, les services de base en santé et en services sociaux qu'on va pouvoir s'adresser aux problèmes gigantesques des personnes qui ont des troubles mentaux courants.

Docteur Links a fait appel au fait que, pour les personnes qui ont des troubles mentaux graves persistants, il y a l'importance d'un accès à des services spécialisés en particulier. Mais pour les gens qui ont des troubles mentaux courants, qui sont très répandus, l'Organisation mondiale de la santé et la plupart des pays industrialisés diront qu'il faut que cela passe à travers les services de première ligne, sinon on n'y arrivera pas.

Figurez-vous 100 000 personnes de la population canadienne. Avec les chiffres cités jusqu'à maintenant, il y en a 20 000 qui ont un trouble mental; c'est 20 p. 100.

Dans cette même population, on dispose actuellement en moyenne de 100 médecins de famille, d'à peu près 70 psychologues et 10 psychiatres. Si vous voulez traiter ces 20 000 personnes souffrant de troubles mentaux seulement avec les services spécialisés des 10 psychiatres, jamais ce ne serait possible.

En effet, si vous voulez avoir un psychiatre qui prenne au moins le temps de vous rencontrer une fois par deux semaines ou par mois, pendant une période d'un an, pour vous aider avec un problème en particulier, et qu'il prenne le temps de parler avec vous pendant une demi-heure à une heure, je ne pense pas qu'il y ait un psychiatre capable de prendre une charge au-delà de 300 ou 400 personnes par année.

Comment ces 10 psychiatres pourraient-ils aider, théoriquement, 20 000 personnes? C'est vraiment impossible, à moins d'augmenter les services spécialisés. Mais encore là, ce ne serait pas souhaitable puisque que, comme on en a parlé, les traitements peuvent être très bien donnés, dans le cas de la médication par des médecins de famille et, dans le cas des psychothérapies, par des psychologues ou par une collaboration de ces gens pour des services de base.

Je vous cite ces chiffres pour vous démontrer qu'il faut vraiment faire des efforts pour essayer de trouver des modèles qui permettront une collaboration au niveau de la première ligne entre des médecins de famille, auxquels les gens font confiance, et des psychologues, et les services spécialisés.

Pour les médecins de famille, c'est la possibilité d'avoir accès, au bon moment, à l'expertise nécessaire quand les cas deviennent plus compliqués, quand ils se posent des questions et quand ils veulent avoir un avis supplémentaire pour aider les personnes le plus près possible de leur milieu de vie, avec les personnes auxquelles elles font confiance comme leur médecin de famille.

[Traduction]

Le sénateur Cook: Merci, docteur Keon, d'avoir posé certaines des questions que je voulais poser.

Je suis de la province de Terre-Neuve, où les services de santé mentale sont très difficiles à obtenir. Mais nous arrivons, tant bien que mal, à nous en sortir. J'aimerais que vous nous parliez un peu du rôle de l'infirmière praticienne dans le domaine des soins de santé mentale.

Je voudrais aussi que vous abordiez la question des personnes atteintes de maladie mentale qui font partie de ce que j'appelle la «sous-culture»: les sans-abri, les personnes qui vivent dans les pensions et tous les autres qui vivent en marge de la société. Comme ressources, ces personnes n'ont que les ONG et les gens qui dirigent les programmes sociaux.

Les efforts de promotion n'atteignent jamais les personnes de la première ligne qui essaient de soigner ces gens. Ils souffrent souvent de malnutrition et vivent dans de mauvaises conditions en pension, ou alors ce sont des sans-abri. Ils ne sont pas capables de s'occuper de leurs propres besoins. Ils ont recours aux banques alimentaires. Que peut-on donc faire pour enrichir un peu la vie de ces personnes?

M. Lips: Bien que tous les sans-abri ne soient pas atteints de maladie mentale, une bonne proportion le sont. Le fait d'être sans-abri ne favorise certainement pas la santé mentale. Il y a une sorte de cycle permanent. Il y a aussi le problème des toxicomanies dans ce contexte.

Il s'agit essentiellement d'un problème qui dépasse les moyens d'action d'un seul ministère. Il est clair qu'une intervention éducative ne permettra jamais de régler tous les problèmes des personnes qui vivent dans la rue. L'éducation peut peut-être améliorer les choses, mais il faut des efforts multidimensionnels à tous les paliers de gouvernement pour garantir que ces personnes vivent dans des conditions adéquates au niveau de leur logement, de leur sécurité et de leur nutrition.

Je n'ai pas de solution à vous proposer. Par exemple, l'habitation ne relève pas de la responsabilité de mon ministère, mais je considère qu'il s'agit d'un besoin fondamental.

Les sans-abri et les personnes atteintes de maladie mentale ont des besoins médicaux et autres, qu'il s'agisse de traitement, d'accès aux services, de nutrition, de meilleures habitations, de sécurité, ou de traitement juste par les autorités avec lesquelles ils ont des contacts. Il s'agit donc d'un problème de grande envergure qui est fort complexe. J'espère que notre ministère pourra, dans le cadre de ses responsabilités précises, apporter sa contribution à la recherche d'une solution.

Le gouvernement fédéral n'a pas d'initiative touchant les sans-abri. Ce serait une excellente idée pour aider à résoudre ce problème, et je suis convaincu que d'autres initiatives du même genre s'imposent.

Le sénateur Cook: J'avais l'intention de dire au moment de poser ma question qu'il s'agit d'initiatives éducatives destinées non pas au consommateur mais aux bénévoles et aux travailleurs de première ligne qui n'ont pas l'expertise voulue pour répondre aux besoins de ces personnes qui passent par le ministère.

M. Lips: Le ministère a pris diverses mesures pour aider certains groupes — par exemple, nous avons créé à l'intention des professionnels et des bénévoles des ressources qui peuvent être utilisées pour différentes populations. Ce sont des activités qui devraient être élargies afin de donner aux personnes qui sont sur la première ligne les outils qu'il leur faut pour faire face aux problèmes de santé mentale et aider les personnes qui en souffrent.

Le sénateur Cook: S'agissant de l'approche holistique qui convient dans le domaine de la santé mentale, êtes vous favorable à l'idée d'incorporer les soins de santé mentale dans la gamme de services et soins assurés par les centres de soins communautaires? Selon vous, conviendrait-il de créer des équipes multidisciplinaires qui puissent traiter toutes les différentes facettes de la santé de façon à prévoir une véritable démarche holistique?

M. Lips: Je préfère ne pas faire de recommandation sur le genre de modèle de prestation des services qui convient. Ce n'est pas du tout mon domaine d'expertise. Mais tout comme les commissions européennes, je suis convaincu qu'une bonne santé repose sur la santé mentale. Quel que soit le modèle de prestation des services de santé adopté dans tel ou tel contexte, il faut absolument que ce dernier reconnaisse l'importance des questions de santé mentale et permette de répondre aux besoins en matière de soins de santé mentale.

Dr Links: Du point de vue clinique, le problème des sans-abri est complexe et n'est que partiellement lié aux maladies mentales. Le modèle de traitement communautaire dynamique permet de cibler les personnes atteintes de grave maladie mentale qui sont également des sans-abri. Ce modèle a donné des résultats positifs pour ce qui est du maintien de ces personnes dans la collectivité, des logements, et même du travail, dans certains cas. Il existe donc des modèles prometteurs axés sur une activité intensive qui coûte peut-être assez cher, mais comparativement à l'hospitalisation et aux soins en établissement, les résultats qu'ils donnent semblent être bénéfiques.

[Français]

Dr Lesage: Permettez-moi d'ajouter que dans ce modèle de suivi intensif en équipe, une bonne partie du personnel est du personnel infirmier. Vous parliez du rôle des infirmières et des infirmières praticiennes. Je pense qu'il faudrait les inviter pour qu'elles puissent parler de leur rôle. En tant que médecin, il est étrange que je doive parler ici du rôle si important que les infirmières jouent dans notre système de santé et de santé mentale. Elles pourraient venir vous dire de quelle façon elles entrevoient leur rôle et tout ce qu'elles pourraient faire dans les soins de santé de première ligne au Canada. Je vous recommande de les inviter.

L'essentiel du personnel qui donne des soins hospitaliers actuellement pour les troubles mentaux au Canada est du personnel infirmier. Ils sont également déployés de plus en plus dans les services communautaires. On a parlé tout à l'heure du programme de suivi intensif en équipe qui porte les soins et le traitement à des personnes difficiles à rejoindre, dont des personnes sans-abri; le personnel infirmier y joue un rôle de premier plan. On retrouve le personnel infirmier en première ligne. Il y a beaucoup à dire d'accroître ce rôle pour être capable de créer un modèle de soins pour la dépression et les problèmes d'anxiété. Au Québec on a commencé à créer des groupes de médecins de famille que l'on suggère au Québec comme un des modèles pour améliorer l'accessibilité aux soins et aux traitements de première ligne en général. Ces groupes de médecins de famille seront dotés et associés à au moins une infirmière praticienne. À mon avis, c'est largement insuffisant; il en faudrait au moins une par groupe de cinq à dix médecins qui serait consacrée aux questions de la santé mentale. De plus, la vision plus holistique, qui est enseignée aux infirmières, est certainement un atout dans la pratique de soins de première ligne et aiderait particulièrement pour augmenter l'accessibilité, la sensibilité et un meilleur traitement des troubles mentaux en première ligne.

[Traduction]

Le président: J'aimerais remercier nos témoins pour leur excellente contribution. Merci infiniment au nom de tous les membres du comité.

La séance est levée.


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