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Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 6 - Témoignages du 21 avril 2004


OTTAWA, le mercredi 21 avril 2004

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 18 h 15 pour examiner le Budget des dépenses principal déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 2005.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude de la péréquation dans le contexte du Budget principal des dépenses 2004-2005, qui nous a été renvoyé.

Nous recevons deux témoins ce soir, qui viennent tous les deux de l'Université Queen's, ce qui ne signifie absolument pas qu'ils partagent le même point de vue sur ce sujet. En fait, c'est précisément pourquoi nous les avons invités tous les deux.

Nous recevons le professeur Thomas Courchene et le professeur Robin Boadway. C'est le professeur Courchene qui parlera le premier. M. Courchene et le professeur Jarislowsky-Deutsch d'économie et de politique financière à Queen's. Il est en outre chercheur principal à l'Institut de recherche en politiques publiques.

Il a écrit abondamment sur la péréquation, et je mentionne son article récent intitulé «Confiscatory Equalization: The Intriguing Case of Saskatchewan's Vanishing Energy Revenues», dont des extraits ont été publiés dans le Globe and Mail.

Sur cette brève présentation, je l'invite à venir nous exposer son point de vue, puis nous aurons du temps pour formuler commentaires et questions.

M. Thomas J. Courchene, professeur en politique économique et financière, Université Queen's: Monsieur le président, c'est un privilège pour moi de comparaître devant ce comité. Je vous remercie de m'avoir invité.

Pendant mon exposé, j'aimerais mettre l'accent sur deux questions liées au fédéralisme fiscal, deux questions qui se fondent sur mes recherches récentes à l'IRPP. La première fait l'objet d'un article intitulé «Hourglass Federalism», qui a été publié dans le numéro d'avril 2004 d'Options politiques. La deuxième question découle du document dont le président vient de vous parler. Je suppose que vous avez reçu les deux articles et que vous les avez devant vous.

Comme le titre de l'article le suggère, la thèse appuyant ce que j'ai appelé le «fédéralisme sablier» veut que le nouvel ordre économique, qui se caractérise surtout par la mondialisation et la révolution de l'information sur le savoir, privilégie les villes et les municipalités, d'une part, et le gouvernement fédéral d'autre part, laissant les provinces coincées au centre du sablier de la division des pouvoirs.

Mon analyse de la situation est la suivante. Il y a plusieurs raisons qui expliquent pourquoi Ottawa veut dorénavant faire affaire plus directement avec les villes et les citoyens. Je vais mettre l'accent sur trois d'entre elles. La première raison concerne le passage d'une économie axée sur les ressources à une société axée sur le savoir. Entre autres choses, cela signifie que les investissements de la société dans le savoir et la formation du capital humain en sont venus progressivement à être les piliers de la création de richesse, de la compétitivité et de l'amélioration de la répartition des revenus. Il ne faut pas se surprendre que tant qu'il sera question de la compétitivité du Canada et du niveau de vie des citoyens, Ottawa sera là, peu importe ce que dictent les textes constitutionnels.

La deuxième raison est liée à l'émergence des grandes régions urbaines comme moteur dynamique de la nouvelle économie. Il s'agit encore ici de compétitivité en ce sens que ces grandes régions urbaines sont en train de pénétrer l'espace économique de l'ALENA en se taillant une place centrale d'exportation dans l'intégration nord-sud et en ce sens que ces grandes régions urbaines sont également les éléments principaux du réseau de capital humain pour l'avancement du savoir. De fait, comme notre niveau de vie dépendra du succès de nos grandes régions urbaines comparativement à celui des grandes régions urbaines américaines, Ottawa voudra encore une fois jouer un rôle de premier plan dans la compétitivité nationale.

La troisième raison, et peut-être même la principale raison qui explique la présence accrue du gouvernement fédéral, c'est le renforcement de la nation et les enjeux électoraux. Ces deux aspects dépendaient auparavant des mégaprojets axés sur les ressources, alors qu'ils dépendent maintenant davantage de l'infrastructure axée sur les citoyens et des politiques en vigueur dans des domaines comme la santé, l'éducation et la répartition des revenus. Avant, les mégaprojets étaient surtout ruraux, mais le renforcement de la nation citoyenne à l'ère de l'information est d'abord et avant tout urbain. Malheureusement pour Ottawa, la plupart de ces domaines sont de compétence provinciale.

Comme le succès électoral est la clé de voûte de la politique, ce n'est plus qu'une question de temps pour que la concurrence entre les partis fédéraux et entre les politiciens fédéraux et provinciaux fasse en sorte qu'Ottawa intervienne de plus en plus directement auprès des citoyens et des villes.

Comment Ottawa a pu faire incursion de la sorte dans les compétences provinciales? En gros, le gouvernement fédéral a coupé les vivres fiscaux des provinces, à commencer par la réduction du TCSPS dans le budget fédéral de 1995. Fait intéressant, ces compressions ont mis en péril presque tous les autres programmes sauf le régime d'assurance-maladie, parce que les provinces devaient conserver ce régime pour des raisons électorales. Les provinces ont donc redirigé des fonds de partout vers leur régime d'assurance-maladie. Bien sûr, je généralise. Le résultat inévitable a été que les provinces ont dû se serrer la ceinture dans d'autres domaines politiques, si bien que les citoyens et les villes se sont réjouis du financement fédéral dans ces domaines.

Grâce à sa position d'équilibre fiscal privilégiée, Ottawa a créé la Prestation fiscale pour enfants, s'est doté de mesures favorisant le développement des jeunes enfants et a mis sur pied la Fondation des bourses d'études du millénaire, le Programme des chaires de recherche du Canada et les diverses mesures annoncées dans le dernier budget, dont le Bon d'études canadien, qui s'adresse aux enfants des familles à faible revenu. Tous ces domaines, s'ils ne sont pas exclusivement de compétence provinciale, sont pourtant perçus généralement comme étant de compétence surtout provinciale.

Pour ce qui est des villes, Ottawa a annoncé une exemption de TPS, a promis de partager la taxe fédérale sur l'essence avec elles, a amélioré le programme d'infrastructure et a promis une nouvelle entente, qui comprendra des consultations prébudgétaires pour les villes et leur donnera voix au chapitre sur les politiques fédérales qui ont des incidences sur les villes ou qui sont mises en oeuvre par les villes.

Dans tout cela, les provinces se trouvent prises en sandwich sur le plan fiscal. De toute évidence, elles peuvent répliquer en accusant le gouvernement fédéral de créer un déséquilibre fiscal dans la fédération, déséquilibre qui doit être corrigé. Je pense que c'est en partie la raison d'être du Conseil de la fédération. De même, les provinces pourraient pourvoir aux besoins de leurs villes en leur promettant notamment d'utiliser le Conseil de la fédération pour porter les problèmes des villes à l'attention du gouvernement fédéral.

Le fait est que pour l'instant, les provinces sont prises à la gorge par les coûts énormes des soins de santé. Les seules façons pour elles de s'en tirer, c'est de transférer une bonne partie des coûts d'assurance-maladie à Ottawa par un rééquilibrage, de recevoir des fonds généreux pour financer leur régime d'assurance-maladie ou encore d'en transférer les coûts aux citoyens sous la forme de primes, entre autres. Autrement, les provinces seront de plus en plus impuissantes devant l'avènement du fédéralisme sablier.

Je pense que beaucoup de Canadiens seraient favorables à cela, ne serait-ce que parce que cela se traduirait par de nouveaux programmes et des fonds supplémentaires pour les villes et les citoyens. Il est clair que les villes sont contentes, parce qu'elles ont fait des pressions pour obtenir ces programmes et ces fonds.

Mon rôle ici n'est pas d'approuver ou de désapprouver le fédéralisme sablier, mais de mettre en évidence que nous sommes sans doute en train d'assister au plus grand changement dans la division des pouvoirs depuis la guerre. Ce changement est motivé à la base par les révolutions touchant le capital humain et le savoir. Le système fédéral canadien se transforme simplement pour s'adapter aux difficultés qui en découlent et profiter des nouveaux débouchés de façon semblable aux autres fédérations.

J'en conclus que les villes canadiennes seront bientôt beaucoup plus intégrées dans les processus et les programmes du fédéralisme intergouvernemental et cela, de façon plus officielle. Il reste à déterminer comment cela se concrétisera.

Le comité pourrait vouloir jouer un rôle créatif dans la façon dont la nature intergouvernementale de notre fédération évoluera. Cela vous donne une idée, parce que les provinces se trouvent dans une situation fiscale telle que la péréquation est l'un de leurs seuls leviers pour soutirer plus d'argent d'Ottawa.

Il y a toutefois une autre question que j'aimerais aborder, celle de la Saskatchewan, dont les recettes énergétiques disparaissent. Pour l'exercice 2000-2001, les recettes énergétiques de la Saskatchewan s'élevaient à 1,038 milliard de dollars, soit à un peu plus de 1 000 $ par tête. Cependant, le taux de récupération fiscale découlant de ces recettes énergétiques s'élève à plus de 1,126 milliards de dollars selon la formule de péréquation applicable à la province, donc le taux de récupération fiscale est supérieur au total de ses recettes énergétiques.

Avec le temps, la hausse du taux de récupération fiscale est devenue de plus en plus spoliateur. Entre 1998-1999 et 2000-2001, les recettes énergétiques de la province ont augmenté de 668 millions de dollars, mais la récupération fiscale découlant de la formule de péréquation a augmenté de 835 millions de dollars. Cela représente un taux de récupération de 125 p. 100.

De plus, aucun de ces calculs ne tient compte du fait que la perception des recettes entraîne beaucoup de coûts elle aussi. Compte tenu de la distance à laquelle se trouvent les ressources, la province doit dépenser de l'argent pour les routes, les télécommunications, les politiques réglementaires et la perception des recettes. Cela s'ajoute aux pertes budgétaires générales de la province dans le domaine de l'énergie.

À l'opposé, les provinces qui ne génèrent aucune recette énergétique reçoivent des recettes fiscales importantes de l'énergie grâce à la péréquation, comme on peut s'y attendre. Le Manitoba reçoit environ 120 millions de dollars. Le Québec reçoit un montant beaucoup plus important, soit 870 millions de dollars. Les montants des deux provinces ne sont pas très différents si on les calcule par habitant. De plus, même la Nouvelle-Écosse, qui exploite des ressources énergétiques extracôtières, est bénéficiaire de la péréquation, dont elle retire 104 millions de dollars, ce qui est supérieur à ses recettes énergétiques.

Bien entendu, la formule de péréquation n'a pas pour but de priver une province de l'avantage que lui confère sa base de ressources, pourtant c'est exactement ce qui arrive à la Saskatchewan.

Par conséquent, comment et pourquoi ces taux d'imposition moyens et marginaux spoliateurs peuvent-ils exister et demeurer?

Dans mon étude, je fais mention de trois problèmes principaux, entre autres, qui donnent lieu à cette situation. Je propose ensuite une série de solutions pour remédier à cette grave inégalité fiscale.

La principale raison pour laquelle existe ce grand taux de récupération moyen, c'est le fait qu'on applique la norme des cinq provinces plutôt qu'une norme nationale moyenne qui tienne compte de toutes les provinces. Les cinq provinces prises en compte dans le calcul de la norme sont la Saskatchewan, la Colombie-Britannique, le Manitoba, l'Ontario et le Québec. Comme l'Alberta est exclue de la norme, la Saskatchewan devient, par défaut, une province riche en énergie. Par exemple, pour le pétrole de troisième niveau, l'une des sources d'énergie génératrices de recettes, la Saskatchewan ne possède que 30 p. 100 de la base moyenne nationale, mais elle possède 97 p. 100 de la base des cinq provinces. Comme les taux de récupération moyens sont calculés en fonction du degré de concentration de la base, les taux d'imposition moyens de la Saskatchewan sont plus élevés, parfois même beaucoup plus, selon la norme des cinq provinces que selon la norme nationale moyenne. En effet, si l'on applique la norme nationale moyenne, il y a des cas dans lesquels la Saskatchewan est un bénéficiaire net de la formule de péréquation, mais selon la norme des cinq provinces, la province se voit imposée à presque 100 p. 100. L'inclusion ou l'exclusion de l'Alberta change tout à l'avoir de cette province.

La deuxième raison, c'est que les règles de péréquation ne permettent pas à la Saskatchewan de profiter du taux de récupération maximum de 70 p. 100 qui s'applique aux ressources énergétiques extracôtières de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve. Le critère d'admissibilité à ce traitement spécial, qu'on appelle la «solution générique», c'est que la province doit détenir 70 p. 100 de la base moyenne nationale.

La Saskatchewan possède 70 p. 100 de la base calculée selon la norme des cinq provinces, mais pas de la base nationale moyenne calculée en fonction de toutes les provinces. Toutefois, la formule actuelle est calculée en fonction de la norme des cinq provinces et non en fonction de la norme moyenne nationale, parce que la base de l'Alberta est bien supérieure à celle des autres.

De plus, la seule raison pour laquelle la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve détiennent plus de 70 p. 100 de la base nationale moyenne, c'est que Ottawa a établi les assiettes fiscales de cette façon. En fait, l'assiette fiscale pour le pétrole extracôtier ne tient compte que du pétrole de Terre-Neuve, ou de l'assiette de Terre-Neuve, et du pétrole de la Nouvelle-Écosse. Ainsi, par définition, ces provinces détiennent 100 p. 100 de la base moyenne nationale, parce que les seules réserves d'énergie prises en compte sont leurs propres ressources. Ce n'est pas vrai de la Saskatchewan, parce que son assiette est calculée en fonction des recettes de l'Alberta aussi.

Par conséquent, les taux de récupération de la Saskatchewan sont de l'ordre de presque 100 p. 100, alors que le maximum de 70 p. 100 s'applique aux deux provinces de l'Atlantique.

La troisième raison est plus compliquée. Elle explique pourquoi les taux de récupération peuvent dépasser 100 p. 100. En fait, le ministère des Finances a décidé de créer des assiettes fiscales et des taux d'imposition artificiels pour les sources de revenus similaires, et cela accentue la récupération fiscale.

Mon exemple préféré est la vente de concessions publiques que la Saskatchewan est réputée imposer à un taux de 6,9 p. 100 alors que le ministère des Finances a décidé que la moyenne nationale était de 15,6 p. 100. De la sorte, la Saskatchewan se trouve à taxer à un taux nettement insuffisant les concessions publiques, ce qui selon moi est impossible puisque, étant donné qu'il y a vente aux enchères, le taux est fixé par le marché.

Quoi qu'il en soit, c'est ce qui redéfinit la capacité fiscale de la Saskatchewan aux fins de la péréquation, avec pour résultat que la province tire des recettes de 61 millions de dollars de ces concessions publiques, mais perd 124 millions de dollars en péréquation parce que le taux de récupération est de 200 p. 100. Pour chaque dollar prélevé sur les concessions publiques, la Saskatchewan perd deux dollars en péréquation.

Attribuer différents taux d'imposition aux concessions publiques des provinces revient à anticiper l'efficacité des marchés. Je crois que c'est le cas ici. En fait, les 120 millions de dollars versés à la Saskatchewan pour compenser des problèmes posés dans le passé par la formule étaient en grande partie attribuables à la vente de concessions publiques.

On peut soutenir, peut-être, que cette récupération représente un des facteurs qui a amorcé la descente au dernier rang, récemment, de la Saskatchewan en termes de revenu disponible par habitant. Même si ce n'est pas vrai, il est vraiment étonnant que la province qui a, selon certaines données estimatives, le revenu personnel disponible le plus bas est soumise à des taux de récupération fiscale aussi élevés.

En guise de conclusion, je vous fais les deux propositions que voici. La première est de nature à plus long terme, notamment que la renégociation quinquennale en cours des arrangements fiscaux soit élargie de manière à inclure ces taux de récupération fiscale arbitraires et excessifs et toute la question de péréquation en matière de ressources.

Si l'on se fie à l'abondante documentation qui existe dans ce domaine, une option valable consiste à calculer les recettes tirées des ressources naturelles aux fins de la péréquation à un taux avoisinant les 25 p. 100. La meilleure autorité à ce sujet est mon collègue, M. Boadway.

La seconde proposition pourrait être adoptée immédiatement, et elle devrait l'être. Compte tenu du traitement accordé à la Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve, l'impératif immédiat de la politique est de plafonner à 70 p. 100, dès l'exercice financier 2001-2002 dont les livres ne sont pas encore fermés, le taux de récupération fiscale appliqué à chaque ressource énergétique de la Saskatchewan aux fins de la péréquation.

J'ajouterai en post-scriptum que le budget fédéral est une réaction favorable à ce problème de la récupération fiscale puisque le gouvernement du Canada y prend l'engagement de revoir le traitement des ressources et des assiettes fiscales dans le cadre de l'examen quinquennal qui doit prendre fin en 2009.

Les ressources énergétiques et les gisements sont des biens en voie d'épuisement. Le retard mis à régler le problème semble inacceptable pour des motifs d'équité, surtout quand, dans le même budget, on réduit de 10 p. 100 cette année et de 20 p. 100 l'an prochain le taux de récupération fiscale de la Nouvelle-Écosse, jusqu'à ce qu'il ait retrouvé la barre des 70 p. 100. L'écart entre les deux est beaucoup plus grand.

Entre temps, au cours des cinq prochaines années, la Saskatchewan devra accepter des taux de récupération fiscale de plus de 70 p. 100 dans six des neuf catégories de ressources énergétiques en 2001-2002, dans huit des catégories en 2002-2003, et dans cinq, cinq et six catégories durant les trois années suivantes, de sorte que ces taux de récupération fiscale nettement au-dessus de 70 p. 100 seront maintenus.

Il y a longtemps, j'ai fait une déclaration selon laquelle la péréquation est le ciment qui lie la fédération. Toutefois, si ces iniquités persistent, le ciment pourrait bien s'effriter. À mon avis, votre comité est la tribune tout indiquée et, certes, nationale où devrait s'amorcer la révision du rôle des recettes énergétiques dans la péréquation.

Le sénateur Comeau: Quiconque vit en milieu rural aurait très facilement pu suivre la première partie de votre exposé parce que beaucoup d'entre nous avons remarqué une réduction des services dans les collectivités rurales. Par exemple, les dépenses dans le domaine des pêches ont baissé, et les routes se détériorent au point où le transport des marchandises devient de plus en plus difficile. L'accent s'est déplacé des régions rurales vers les grandes régions urbaines.

Vous êtes-vous demandé ce qui arriverait aux régions rurales si le phénomène se poursuit?

Le résultat serait-il analogue à ce qui s'est produit à Terre-Neuve quand les avant-ports ont été fermés et qu'il a fallu que la population se déplace vers les grands centres?

M. Courchene: Je vais répondre à votre question, mais tout d'abord, j'aurais une observation à faire. Ce matin, j'ai lu dans le journal un article au sujet d'un rapport commandé par la Province d'Ontario sous le régime Harris, puis sous le régime Eves. Le rapport a été rédigé par le professeur Daniels, doyen de la Faculté de droit à l'Université de Toronto.

Dans ce rapport qui renferme 50 documents d'information, on peut lire qu'il est temps de renoncer aux collectivités rurales ontariennes. C'est peut-être ce qui a déclenché la production de votre propre rapport. Il incombe au Sénat d'inviter les auteurs de ce rapport à témoigner devant votre comité.

Les villes prennent de plus en plus d'importance. Le maire de Toronto sera mieux connu dans le monde que le premier ministre de l'Ontario du simple fait que les villes sont les forces du changement. Elles sont les bassins où se regroupent le capital humain et les forces innovatrices.

Nous ne connaîtrons du succès au Canada que si nos villes sont soumises aux mêmes règles du jeu que les grandes régions urbaines des États-Unis. En ce sens, les villes seront gagnantes, bien que nous ignorions comment, mais notre avenir en dépend. En un certain sens, il faut bien que quelqu'un s'interroge sur le sort que connaîtra le Canada rural. Nous n'avons pas besoin d'une stratégie urbaine, parce que tous se préoccupent des villes et s'en occupent de leur propre chef. En fait, rien n'est trop beau pour aider nos villes. Il faut élaborer une stratégie nationale pour voir comment le Canada rural pourrait composer avec cette tendance et de quelle manière il s'inscrirait dans le processus.

Le sénateur Comeau: Il faut se rappeler que les régions rurales représentent moins du quart de l'électorat. L'importance des régions rurales dans le paysage politique diminue constamment. Les députés des régions urbaines assumeront le plus grand rôle parce qu'ils sont plus nombreux. Le programme gouvernemental est dicté par les députés des régions urbaines. Les députés des régions rurales sont pour la plupart si occupés à régler des problèmes d'assurance-emploi et à parcourir de grandes distances pour atteindre des régions éloignées qu'ils ne participent pas à certaines des grandes décisions.

M. Courchene: Si 81 p. 100 des Canadiens n'habitent pas dans des régions rurales, le pourcentage de 25 p. 100 est relativement élevé. Tout dépend de la manière dont on aborde le dossier. En termes de population, les villes ne sont pas surreprésentées. Dans l'ensemble, la population des régions rurales baisse et continuera de baisser.

De nombreuses provinces ont eu tendance à tenir plus compte de leurs régions rurales que de leurs régions urbaines. Les gouvernements provinciaux ne savent pas quoi faire des villes. La fonction publique de Toronto est probablement capable de rivaliser avec celle de Queen's Park. Un de ces jours, Toronto et Queen's Park devront s'affronter pour décider qui fait quoi.

D'après ce que j'ai pu observer, les gouvernements provinciaux ont été très sensibles à leurs régions rurales, mais je n'ai pas beaucoup réfléchi à la question.

Le sénateur Comeau: Je suis d'accord avec ce que vous dites au sujet des provinces. Toutefois, d'un point de vue fédéral, la situation a radicalement changé. Je ne crois pas que le gouvernement fédéral sache quoi faire des régions rurales. Les provinces savent peut-être à quoi s'en tenir, mais ce n'est pas le cas du gouvernement fédéral. Les provinces ne savent pas comment traiter avec les villes, mais le gouvernement fédéral est en train de l'apprendre très rapidement.

M. Courchene: Cela fait partie du nouvel accent dont je parlais.

Le président: Combien de grandes régions urbaines y a-t-il au Canada et où se situent-elles?

M. Courchene: Il y en a probablement quatre ou cinq: la grande région de Toronto, Montréal, Vancouver et le couloir Calagary-Edmonton. On pourrait aussi y inclure les importantes plates-formes d'exportation pour les diverses régions, dont Halifax, qui relie les Maritimes à la région de Boston. On pourrait y ajouter Winnipeg, qui a fait preuve de beaucoup de créativité depuis l'élection de son maire Murray, et Ottawa pourrait aussi en être, selon certains calculs. Mais enfin, il ne s'agit-là que d'une évaluation grossière des grandes régions urbaines.

Le sénateur Comeau: Il y a quelques semaines, j'ai entendu le maire de Halifax parler d'une alliance stratégique avec Moncton plutôt que Sydney, en Nouvelle-Écosse. Une alliance avec Sydney serait logique parce que les deux villes se trouvent dans la même province. Toutefois, le maire a dit que Halifax s'allierait à Moncton pour constituer une région stratégique dans laquelle il souhaite attirer des investissements. Sydney serait écartée parce qu'elle est considérée par les futurs pouvoirs de Halifax comme étant plus rurale qu'urbaine.

M. Courchene: Pour réussir dans un espace économique nord-américain, il faut commencer par examiner l'avantage comparatif de votre région particulière. Sydney n'est pas écartée de l'alliance; c'est tout simplement que Sydney sera probablement plus prospère dans ce cadre que dans tout autre.

La situation est pire en Saskatchewan, parce qu'il n'y a pas de grande région urbaine. Elle doit passer soit par Winnipeg, par Vancouver ou par le couloir Calgary-Edmonton. Voilà la nouvelle géographie nord-américaine.

Le sénateur Comeau: Avez-vous analysé les régimes de péréquation d'autres juridictions qui auraient beaucoup en commun avec celui du Canada?

Y a-t-il d'autres formules que nous devrions examiner?

M. Courchene: J'ai examiné d'autres fédérations et il est étonnant de constater à quel point les programmes de péréquation ont un lien étroit avec les valeurs sous-jacentes de la fédération à l'étude. La fédération australienne est de loin la plus égalitaire. Le bien-être social est une question nationale, et tous peuvent être admissibles et recevoir des paiements de péréquation sur une base égale, peu importe où ils vivent. Les salaires versés par les universités sont les mêmes partout au pays, de la Tasmanie à Sydney et jusqu'en Nouvelle-Galles du Sud.

Il y a beaucoup de centralisation. Les provinces ont très peu d'assiettes fiscales indépendantes. La plupart de leurs recettes viennent des transferts de péréquation. Les Australiens ont un programme de péréquation incroyablement égalitaire. Il porte le revenu de tous à un certain niveau, y compris celui des plus riches.

Du côté des dépenses, en Australie, si la prestation d'une unité de service public vous coûte plus cher, vous obtenez plus d'argent et, inversement, si elle vous coûte moins cher, vous en touchez moins. Par conséquent, tous se trouvent sur un même pied d'égalité, du côté du revenu comme du côté des dépenses. C'est un système extraordinairement égalitaire, mais il s'inscrit dans une fédération qui est elle-même beaucoup plus égalitaire que la nôtre.

Les Allemands suivent les Australiens de près, en fait d'égalitarisme, et le principe constitutionnel sur lequel ils s'appuient est un niveau de vie uniforme. Tous se situent quelque part entre 99 et 102 p. 100 de la moyenne nationale. Le deuxième pays le plus égalitaire a le deuxième programme de péréquation le plus égalitaire.

Dans le cas du Canada, le système est beaucoup plus varié et décentralisé. Les provinces ont leur propre taux d'imposition, une réalité inconnue dans les deux autres juridictions. Le Québec est distinct de nombreuses façons. Nous avons plusieurs systèmes juridiques, plusieurs cultures et plusieurs langues. La plupart de nos subventions sont versées inconditionnellement. Nous avons un programme de péréquation, mais il ne fait que porter les provinces à un certain niveau. Il n'abaisse le revenu d'aucune province et ne fait pas de péréquation en fonction des besoins. Et c'est tout à fait correct selon la place que nous occupons dans la hiérarchie.

Viennent ensuite les Américains. Notre credo est la paix, le bonheur et un bon gouvernement, alors que le leur est la vie, la liberté et la poursuite du bonheur. Ils n'ont pas de programme de péréquation. L'individualisme farouche des États-Unis s'applique également dans leurs États, et ils soutiennent que tout est capitalisé de sorte que, même si les revenus sont différents d'une région à l'autre, cela n'a pas vraiment d'importance puisqu'ils seront capitalisés et que vous devrez payer plus pour les loyers et ainsi de suite. Il n'y a vraiment pas matière à péréquation.

On voit ainsi un merveilleux lien s'établir entre le système le moins égalitaire, qui n'a aucun programme de péréquation, et le plus égalitaire, qui a le programme de péréquation le plus égalitaire. C'est dans ce sens particulier que la péréquation et les transferts semblent en règle générale refléter l'approche morale et philosophique de la fédération comme telle, ce que je trouve intrigant. Toutefois, il faut faire bien attention. On ne peut pas transposer au Canada le modèle australien. Il ne conviendrait pas. Il n'est pas destiné au Canada, car il repose sur un raisonnement tout à fait différent et suppose des liens différents et des valeurs sous-jacentes différentes. Donc, il faut être très prudent quand on envisage de transposer. Nous n'allons pas tous mourir parce que Jacques Cartier n'était pas un samouraï. Il faut tenir compte de la matière dont on dispose au départ.

Le sénateur Day: Monsieur Courchene, ma première question concerne la récupération fiscale, le cas de la Saskatchewan et ce que vous avez dit au sujet d'un système tout à fait différent en Saskatchewan par rapport à la récupération fiscale sur les ressources énergétiques de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse. Comment en est-on arrivé à une pareille série de règles qui traitent la Saskatchewan si différemment des autres?

M. Courchene: Je ne crois pas que la Saskatchewan soit traitée différemment des autres. Les ententes ont été conclues avec la Nouvelle-Écosse et avec Terre-Neuve, comme il convenait. Je ne dis pas que ce soit mal.

Le président: Ces ententes ne font pas partie du programme de péréquation.

M. Courchene: Effectivement, parce que ce sont des accords passés avec Terre-Neuve et avec la Nouvelle-Écosse. Ils sont énumérés là-dedans et leurs dispositions sont décrites. Toutefois, on peut justifier le besoin d'agir en affirmant qu'on ne pouvait maintenir à un niveau aussi élevé qu'il le serait autrement le taux de récupération fiscale parce que la Nouvelle-Écosse engage des dépenses pour toucher ses recettes tirées des ressources extracôtières, des dépenses plus élevées probablement que celles de la Saskatchewan.

Avant de prendre quelque mesure de péréquation que ce soit, il faudrait tout d'abord, sur le plan des bénéfices tirés des ressources, prélever au départ un montant que peut conserver la province pour se rembourser des dépenses engagées pour obtenir ces recettes. Pourquoi faire de la péréquation pour quelque chose que la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse n'obtiendront pas? S'il faut dépenser un demi-milliard de dollars pour obtenir un milliard de dollars de recettes — je prends des chiffres au hasard, comme ça —, la péréquation devrait viser l'autre tranche de 500 millions de dollars.

On pourrait dire qu'il faudrait le faire pour toutes les catégories de péréquation, et effectivemeent, il faudrait probablement le faire. Toutefois, si vous vous arrêtez aux taxes sur l'essence ou sur les cigarettes, chaque province en a. Donc, vous pourriez déduire ce qu'il en coûte de les prélever, mais toutes les provinces en prélèvent et le coût serait à peu près le même par tête dans chaque province. Donc, toutes ont les mêmes coûts. Le coût n'est pas le même si seulement trois provinces ont du pétrole ou quatre ont des minéraux ou du bois d'oeuvre. Il faudrait tenir compte de ces ressources ou de ces catégories de ressources énergétiques et des plus importantes ressources qui ne se trouvent pas dans chaque province, tenir compte du fait que la province comme telle doit engager des dépenses pour toucher ces recettes. Il faudrait faire en sorte que leurs taux de récupération fiscale ne soient pas de 100 p. 100, plus les frais engagés.

En fait, on pourrait justifier un traitement comme le taux de 70 p. 100 pour les Maritimes sur cette seule base, notamment que c'est à peu près ce qu'il en coûterait pour toucher 1 $ de revenu. Tout ce que je dis, c'est que la Saskatchewan finit par avoir ces taux effrayants de récupération fiscale, pour les raisons que j'ai décrites. Je demande, pour des motifs d'équité, qu'on lui accorde les mêmes taux que Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse. La raison pour laquelle Ottawa pourrait refuser de le faire, c'est que c'est lui qui a défini cette règle du 70 p. 100. Il faut que la province ait 70 p. 100 de l'assiette moyenne nationale, alors que la Saskatchewan n'a que 70 p. 100 de l'assiette prévue pour les cinq provinces parce que l'Alberta en est exclue. Elle est soumise à ces taux de récupération fiscale très élevés, et j'estime donc qu'elle devrait être traitée de la même façon que la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Day: Qu'arriverait-il au système si, par exemple, tous les revenus tirés des ressources étaient exclus du régime de péréquation?

M. Courchene: Manifestement, la Saskatchewan gagnerait un milliard de dollars, n'est-ce pas?

Le sénateur Day: Cela signifie-t-il que beaucoup d'argent ne pourra être distribué?

M. Courchene: Tous ceux qui n'ont pas de pétrole y perdraient. Certains le laissent entendre, par exemple, AIMS, l'Institut de l'Atlantique.

Le sénateur Comeau: Je le reconnais bien là.

M. Courchene: Toutefois, ce n'est pas ce que je propose.

À la fin du document, je mentionne un autre document de James Feenan, de l'Université Memorial de Terre-Neuve. Son étude est entièrement consacrée aux ressources et à la raison pour laquelle elles sont différentes des autres catégories. Il ferait un merveilleux témoin pour votre comité. Feenan dit que, si vous examinez la documentation, y compris celle de M. Boadway, voire la mienne au sujet de la double péréquation, une pour la catégorie ordinaire et une autre pour la catégorie des ressources, on utilisait, avec raison jusqu'à un certain point, des taux de 25, de 30 ou de 20 p. 100 pour la péréquation relative aux recettes tirées des ressources. Feenan dit: «D'accord, prenons tous les revenus tirés d'autres choses que les ressources, l'impôt personnel sur le revenu, les 25 catégories qui comprennent l'essence, les cigarettes, les ventes, et calculons la péréquation selon la moyenne nationale, plutôt qu'en fonction de la règle des cinq provinces. Revenons à la règle de la moyenne nationale». Le résultat, c'est que tous s'enrichissent un peu de cette catégorie de revenus. Puis, on calcule la péréquation à l'égard des ressources selon un taux unique de 25 p. 100.

Le sénateur Day: Parle-t-on de toutes les ressources naturelles?

M. Courchene: De toutes les ressources. L'Alberta est concernée également. Cela ne modifie les paiements de péréquation pour aucune province, à l'exception de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique. Pour ces deux provinces, l'augmentation est assez considérable. Dans le cas de la Saskatchewan, la péréquation grimpe de quelque 300 millions de dollars, ce qui correspond exactement à ce qu'elle devait obtenir, selon moi, grâce à la formule du 70 p. 100. Ce n'est toutefois que pure coïncidence car il s'agit d'un calcul différent et que la Colombie-Britannique obtient encore davantage. Cela semblerait indiquer qu'un taux de réimposition s'applique dans le cas de la Colombie- Britannique, ce que personne n'a encore relevé dans la fédération. Je suis cependant persuadé que les responsables des finances de la Colombie-Britannique en sont bien conscients. Ce sont les seules provinces à souffrir de cette réimposition pour l'instant.

Il y a une solution. Dorénavant, en cas de fluctuation importante du prix du pétrole, vous pourriez utiliser un taux de péréquation unique de 25 p. 100. Cela procurerait une plus grande stabilité que la formule actuelle.

Voilà un exemple d'approche que le Sénat pourrait envisager dans son examen des huit ou neuf différentes façons de calculer les revenus énergétiques. C'est agréable pour moi de travailler à nouveau sur le dossier de la péréquation et de constater à quel point cela peut devenir complexe. Je crois qu'il serait bon que les sénateurs en prennent également conscience.

Le sénateur Day: Cela m'amène à ma prochaine question. Dans votre exposé, vous avez commencé à expliquer la situation de la Saskatchewan. Il semble que la norme nationale, soit la moyenne de toutes les provinces, soit utilisée dans certains cas. La norme des cinq provinces est utilisée pour d'autres éléments. Je n'ai pas très bien compris lorsque vous disiez que la Saskatchewan envisage d'imposer les concessions pour les ressources naturelles au taux de 6,9 p. 100. Le taux d'imposition moyen à l'échelle nationale est censé être de 15,6 p. 100.

Pouvez-vous nous expliquer cela?

M. Courchene: Nous utilisons une base de cinq provinces. Le calcul se fait en fonction de ces cinq provinces, plutôt que de 10, soit de la norme d'imposition nationale. Le taux d'imposition qui s'applique à cette base de cinq provinces dans le cadre de la formule de péréquation demeure le taux d'imposition national moyen.

M. Courchene: Il est également intéressant de se demander pourquoi nous n'utilisons pas dans la formule le taux en vigueur dans les cinq provinces pour l'appliquer à la base de cinq provinces. On obtiendrait un taux légèrement plus élevé du côté de la moyenne nationale parce que l'Alberta n'a pas de taxe de vente. Avec la base de cinq provinces, le taux serait encore plus haut. Cependant, cela éliminerait le problème de l'imposition des concessions publiques parce que la formule n'inclurait pas le taux d'imposition de l'Alberta. Si l'Alberta n'est pas incluse dans la base, il n'y a aucune raison pour que son assiette fiscale le soit. C'est une autre approche intéressante.

Si on obtient des taux de réimposition supérieurs à 100 p. 100, c'est parce que quelqu'un a manipulé cette base et le taux d'imposition implicite. Lorsque les taux d'imposition des concessions publiques ont atteint 200 p. 100, c'est parce que quelqu'un a décidé que la Saskatchewan avait fixé un prix trop bas d'environ 45 p. 100. Autrement dit, cela revenait à dire que la Saskatchewan aurait pu recevoir 40 p. 100 de plus pour ses concessions publiques.

Le sénateur Day: En fait, on nous dit qu'on subventionne l'industrie.

M. Courchene: Pourquoi faudrait-il subventionner l'industrie? Si Esso achète une concession, et je sais qu'elle ne verse que 60 p. 100 de sa valeur réelle, elle paiera 61 p. 100. Le ministère des Finances ne devrait pas se livrer à des conjectures sur les marchés pour la redéfinition des assiettes fiscales et des taux d'imposition lorsque la situation ne s'y prête pas. Il s'agit seulement d'un mécanisme d'enchères. Ce ne serait pas le cas si on n'établissait pas la comparaison avec le taux d'imposition de l'Alberta dans la formule.

Je n'ai pas réfléchi suffisamment à la question pour déterminer s'il convient de suggérer le recours au taux d'imposition des cinq provinces, mais il est intéressant que l'on discute de ce sujet. La situation peut être source de confusion: même si on se sert de la base des cinq provinces, le taux d'imposition utilisé aux fins de la péréquation correspond à la moyenne nationale.

Le sénateur Day: Est-ce que je simplifierais exagérément la situation en suggérant que nous devrions utiliser une seule et même formule dans tous les cas? Devrions-nous utiliser l'ensemble des provinces ou toujours nous servir de la base des cinq provinces? Est-ce que quelqu'un a sorti des chiffres permettant une telle analyse?

M. Courchene: Si vous deviez établir une péréquation des revenus énergétiques selon la moyenne nationale, vous tiendriez compte des revenus de l'Alberta aux prix en vigueur. Cela ferait grimper la péréquation. Probablement que le montant en triplerait.

Nous ne pouvons pas nous permettre une telle formule, d'autant plus qu'Ottawa n'obtient que peu d'argent de l'Alberta. Ottawa ne peut pas imposer les redevances.

Si nous avons adopté la formule des cinq provinces au départ, c'est en raison de la situation qui prévalait dans les années 80. L'Ontario était une province démunie à cause du prix exorbitant du pétrole albertain. Personne ne voulait considérer l'Ontario comme un parent pauvre, alors que tout le monde savait que cette province était supposée être l'une des mieux nanties. On ne pouvait pas faire des paiements de péréquation à l'Ontario.

Par ailleurs, l'autre problème était que les revenus énergétiques de l'Alberta faisaient augmenter l'assiette de péréquation et qu'Ottawa devait payer en conséquence, mais Ottawa tirait encore 40 p. 100 de ces revenus de l'Ontario. On ne pouvait pas avoir recours à l'assiette fiscale parce qu'il était impossible d'imposer les redevances. Nous étions aux prises avec un financement inéquitable de la péréquation entre les différentes provinces.

En théorie, la solution réside peut-être dans la formule que je tentais de proposer. Vous n'apprécierez peut-être pas ce que vous allez entendre car il s'agit d'une bien vilaine suggestion en provenance de ma province.

Le sénateur Day: Nous aimerions l'entendre.

M. Courchene: À la fin des années 80, j'ai soutenu que l'on devrait établir un fonds commun pour le partage des recettes énergétiques. Nous aurions eu une norme moyenne nationale pour tous les autres revenus et une formule de péréquation à 25 p. 100 pour les recettes énergétiques. Toutes les provinces verseraient 25 p. 100 de leurs revenus énergétiques dans le fonds commun et chacune d'elle y puiserait en fonction de la taille de sa population.

Cette formule s'autofinancerait. L'Alberta verserait des revenus dans ce fonds et quelques-unes des provinces les plus démunies en profiteraient. Les provinces se partageraient entre elles les revenus tirés des ressources naturelles parce que c'est à elles qu'appartiennent ces revenus, et non à Ottawa.

C'est une formule plutôt radicale, mais si vous ne croyez pas qu'un fonds commun interprovincial de partage des revenus a sa raison d'être, vous devez aussi être opposé à Centraide.

C'est une formule difficile à vendre aux gens de l'Ouest compte tenu de l'énergie dont disposent certains d'entre eux.

Le sénateur Downe: Je conviens avec vous qu'Ottawa s'ingère dans certaines sphères de compétence provinciales. Il est toutefois possible que vous sous-estimiez les outils dont les provinces disposent. Par exemple, dans le dossier des bourses d'études, un certain nombre de provinces ont simplement retiré leur contribution pour utiliser les fonds fédéraux.

Dans le dossier récent de l'exemption de TPS pour les villes, une mesure du dernier budget, Charlottetown a indiqué qu'elle disposerait d'environ 400 000 $ en raison des remboursements de TPS qu'elle n'aurait pas à effectuer. Dans la même semaine, le gouvernement provincial a annoncé un nouveau prélèvement qui équivalait à environ 2 000 $ de moins que le montant économisé par Charlottetown. Les provinces disposent de nombreux outils pour contrecarrer l'empiétement fédéral. Le gouvernement fédéral a constaté une expansion rapide des villes et les problèmes d'infrastructure qui s'ensuivent, lesquels relèvent de sa compétence.

Comment voyez-vous les rôles respectifs des provinces, qui protègent les régions rurales et luttent contre l'invasion d'Ottawa, et du gouvernement fédéral, qui tente de s'ingérer dans les sphères des compétences provinciales? J'ai bien peur que vous ayez sous-estimé les armes auxquelles les provinces ont accès. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Courchene: Leur arme principale, c'est que la majorité de ces éléments relèvent de leur compétence constitutionnelle. Les villes sont des créatures des provinces.

Le sénateur Downe: Des créatures municipales.

M. Courchene: Elles peuvent défendre leurs acquis à ce chapitre.

Les villes prennent de plus en plus d'importance. Il nous faut trouver des moyens de composer avec cette expansion.

Notre pays a toujours fait montre d'une créativité incroyable. Le fédéralisme est devenu un art subtil entre les mains des Canadiens. Dans les années 30, environ 60 p. 100 des revenus du pays allaient aux provinces. Avez la guerre, il y a eu transfert de revenus en faveur d'Ottawa et la part des provinces a chuté à 30 p. 100 au moment de l'après-guerre. Avec l'expansion des services de santé et d'éducation, les provinces sont revenues à la charge. Leur part se situe maintenant à 60 p. 100. Toutes ces transformations se sont opérées sans que la Constitution ne soit modifiée.

Pourquoi donc? Parce que nous sommes très créatifs. Nous avons eu recours aux transferts de points d'impôt en faveur des provinces; nous avons permis au Québec de ne pas participer à certains programmes; nous avons apporté quelques changements mineurs à la Constitution; nous avons confié l'assurance-chômage à Ottawa; nous avons permis à Ottawa de jouer un rôle au chapitre des pensions. Nous avons instauré différents types de délégation de pouvoirs ainsi qu'un régime de paiements de péréquation qui fait en sorte que tous les Canadiens, peu importe leur lieu de résidence, ont accès à des produits et des services publics similaires.

Éventuellement, la péréquation a été incluse dans la Constitution, mais ce ne fut que 25 ans plus tard. Toutes ces mesures ont été prises au moyen des processus législatifs et administratifs courants. Plus récemment, alors que les villes et les provinces obtenaient davantage de pouvoirs parce que les régions devenaient, dans une certaine mesure, plus importantes, nous avons conclu une entente sur le commerce intérieur afin d'essayer de minimiser les obstacles entre les provinces.

La mesure que j'apprécie le plus, mais que certains Canadiens n'aiment pas particulièrement, est l'Entente-cadre sur l'union sociale qui permet au gouvernement fédéral d'utiliser son pouvoir de dépenser, mais voit à ce qu'il le fasse de façon très sélective et sous réserve du consentement des provinces. Même là, les provinces peuvent s'assurer que les fonds sont utilisés en fonction de leurs propres priorités, pour autant que les priorités fédérales soient également prises en compte. C'est une façon d'essayer d'apporter une certaine harmonie dans une fédération décentralisée.

Nous avons maintenant un problème avec les villes; nous avons un rôle à jouer au chapitre de priorités nationales comme les infrastructures, mais nous devons le faire en essayant de respecter la compétence provinciale. Nous pouvons y arriver. C'est simplement que nous n'y avons pas encore réfléchi suffisamment parce que c'est un problème nouveau. Cela fait à peine une dizaine d'années que l'on dispose de documentation plus substantielle sur la situation des villes.

Les provinces ont le pouvoir de contrecarrer les visées d'Ottawa. M. Klein peut exercer son droit de retrait; le Québec peut exprimer ses sentiments nationalistes. Nous devons nous en remettre à notre capacité innée de gérer notre fédération de façon intelligente. Nous devons concevoir un nouvel ensemble d'outils qui vont permettre aux villes de profiter d'une marge de manoeuvre accrue au sein de ce nouvel ordre des choses.

Il est intéressant de constater que les entreprises prennent la part des villes. La Banque Toronto Dominion produit des articles sur Toronto, Vancouver et le corridor Edmonton-Calgary. Dans chacun de ces articles, on préconise des pouvoirs de taxation accrus pour les villes simplement parce que si l'on veut responsabiliser davantage les autorités municipales, il ne faut pas que leur mandat se limite à la simple administration.

Lorsqu'Ottawa a appuyé l'imposition d'une taxe sur l'essence au Manitoba, la province a indiqué qu'elle en partagerait les revenus avec Winnipeg. Les autres provinces ont réagi à cette mesure. La difficulté c'est qu'elles n'ont pas suffisamment de revenus pour le faire. Elles sont coincées dans la situation dont je vous ai parlé. C'est pourquoi certaines provinces doivent faire des pressions en faveur d'une augmentation de la péréquation ou d'une solution au déséquilibre fiscal. Lorsque l'assurance-maladie représente 50 p. 100 de vos dépenses totales, exception faite des déficits, votre marge de manoeuvre est nulle.

Le sénateur Downe: Il me semble que le gouvernement fédéral a placé les villes au rang de ses priorités, parce qu'elles se retrouvent en quelque sorte en crise. Lorsqu'on écoute les maires des grandes villes, on peut constater qu'une foule de problèmes les assaillent. Comme c'est le cas lorsque des crises frappent occasionnellement les pêches sur la côte Est, le gouvernement fédéral intervient et contribue à la résolution du problème. Cela s'inscrit dans l'évolution de la fédération.

Cependant, lorsque vous parlez du Conseil de la fédération, il va de soi que les premiers ministres provinciaux doivent prêcher d'abord et avant tout pour leur paroisse et n'adoptent pas nécessairement une perspective nationale; c'est au gouvernement fédéral de le faire. Les commentaires du premier ministre Klein concernant la vache folle qui, selon sa solution, aurait dû être tuée et enterrée sans dire un mot à personne, ou quelque chose du genre, n'ont pas été bénéfiques pour la nation, mais ont bien servi Alberta.

Il y a conflit entre ce Conseil de la fédération que les premiers ministres tentent de mettre sur pied, la responsabilité du gouvernement fédéral à l'égard des problèmes nationaux qui se présentent et la responsabilité des maires des grandes villes. Cette situation est à l'origine une partie des pressions financières attribuables aux problèmes que vous avez relevés dans le cas des provinces qui ne disposent pas de suffisamment de revenu pour aider efficacement les villes.

M. Courchene: Je suis d'accord avec vous, sauf que mon point de vue est un peu différent concernant le Conseil de la fédération. J'ai présidé à une certaine époque le Conseil économique de l'Ontario. J'avais un mot d'ordre que j'ai suivi pour les recherches du Conseil. Je me disais que pour que les programmes soient vraiment nationaux, il fallait qu'ils soient centralisés.

Il est vrai que les provinces ont d'abord et avant tout des responsabilités à assumer à l'égard de leurs propres citoyens, mais si elles ne commencent pas à conjuguer leurs efforts dans certains dossiers transprovinciaux, et si elles n'adoptent pas une perspective pancanadienne à certains de ces égards, c'est Ottawa qui devra s'en charger. Si le Conseil de la fédération existe uniquement pour soutirer davantage de fonds à Ottawa, il n'a pas sa raison d'être et il est voué à l'échec. Cependant, s'il existe pour veiller à ce que les gens qui passent d'une province à l'autre puissent continuer à bénéficier de l'assurance-maladie sans interruption, il pourrait être très utile. S'il s'efforce de veiller à ce que les normes professionnelles ou les mesures d'accréditation puissent être transférables dans toutes les régions du pays, il connaîtra le succès. S'il s'intéresse à des dossiers pancanadiens qui touchent la compétence des provinces, il servira très bien les intérêts du pays. Pour l'instant, on ne fait qu'essayer de soutirer des fonds à Ottawa.

Le sénateur Downe: Je suis d'accord.

M. Courchene: C'est ce que les provinces doivent faire. Si elles ne le font pas, Ottawa passera outre à leurs pouvoirs parce que les citoyens l'exigeront.

Le sénateur Downe: Vous avez tout à fait raison. Si le nouveau Conseil de la fédération accomplit tout cela, il servira au mieux les intérêts du pays et de ses citoyens. À l'échelon régional, des organismes ont été mis sur pied: le Conseil des premiers ministres des Maritimes et le Conseil des premiers ministres de l'Atlantique. Les premiers ministres de l'Ouest se sont rencontrés, mais je ne constate pas un très fort degré de coopération, particulièrement au sujet de certains des points que vous avez soulevés.

Dans le dossier de la transférabilité de l'accréditation entre les provinces, quelques progrès ont été réalisés sur différentes questions. Si le cercle est élargi pour inclure tout le monde, je ne sais pas si on parviendra vraiment à s'entendre en faisant fi de l'intérêt individuel des différentes provinces.

Je me souviens que lorsque la situation des pêches a causé un problème majeur au premier ministre Peckford, tous les premiers ministres se sont réunis à Toronto. À l'issue de cette rencontre, le premier ministre Peckford se demandait s'il avait bien agi. Il se demandait quel genre de précédent il avait créé et qu'est-ce qui se produirait la prochaine fois qu'une crise allait éclater. Serait-il obligé de réunir à nouveau tous les premiers ministres?

Je partage vos espoirs et votre optimisme. Je ne suis toutefois peut-être pas aussi persuadé que vous que les choses vont se produire ainsi.

M. Courchene: Pour l'instant, cela augure très bien. Le tout a commencé par le rapport aux premiers ministres provinciaux lorsque Paul Martin, alors ministre des Finances, leur a demandé de proposer des solutions aux fins de l'élaboration de principes touchant les programmes sociaux. Je parle du rapport présenté aux premiers ministres par le Conseil de développement social de chacune des provinces. Les premiers ministres ont adopté le tout à Jasper, puis se sont rencontrés à St. Andrews et à Saskatoon. Il en est ressorti une recommandation en faveur de la mise en place par Ottawa d'une mesure qui est maintenant connue sous le nom de Prestation fiscale canadienne pour enfants.

Les premiers ministres provinciaux ont déterminé qu'un programme national s'imposait dans une telle situation, et Ottawa est allé de l'avant. Le crédit d'impôt national pour les enfants est d'ailleurs à la base d'un régime d'impôt négatif pancanadien. C'est un instrument merveilleux qui offre aux provinces la possibilité de réduire les fonds affectés à l'aide sociale, pour autant qu'ils soient dépensés en faveur des familles à faible revenu ayant des enfants. C'est un bon exemple de collaboration entre les provinces au bénéfice de l'intérêt national. Ottawa a dû emboîter le pas et mettre en oeuvre ce programme parce qu'il avait la faveur populaire.

C'est ce processus qui a mené à la conclusion de l'Entente-cadre sur l'union sociale. Voilà ce qui est arrivé: Ottawa a réglé son problème de déficit, s'est retrouvé avec beaucoup d'argent et n'avait pas besoin d'aide. C'est la façon dont les provinces voient la situation d'Ottawa, je suppose.

Le président: En ce qui a trait à la nouvelle entente pour les villes, je présume que l'exemption de TPS ne s'appliquera pas seulement aux villes, mais à toutes les municipalités — de même que le partage de la taxe fédérale sur l'essence si une décision est prise à cet égard.

Quant à l'infrastructure, le gouvernement fédéral pourrait concevoir un programme, mais succomberait aux pressions si ce programme n'était conçu que pour les grandes agglomérations que vous avez mentionnées: Vancouver, Toronto et Montréal.

Un programme d'infrastructure devrait s'appliquer à l'ensemble des municipalités, n'est-ce pas?

Ce que je veux dire, c'est que le programme des villes n'a jamais vraiment été conçu.

M. Courchene: Non. Cette situation montre que les villes sont devenues plus importantes. Si vous suivez les discours prononcés par l'ancien ministre des Finances et l'actuel premier ministre Paul Martin, vous remarquerez qu'il parle des villes et du capital humain depuis cinq ou six ans. Il entretient cette vision depuis longtemps.

Je crois que le gouvernement fédéral aidera les villes avec divers programmes comme le transport en commun. Washington a un programme de financement de l'infrastructure, et les villes canadiennes veulent l'équivalent. Or, je ne crois pas que le financement de l'infrastructure soit approprié, parce que pareil programme ne profite pas seulement aux villes. Ce n'est pas mauvais, mais la taxe sur l'essence en soi s'appliquerait à toutes les municipalités.

Le président: D'ici à ce qu'un programme global soit conçu, ils seront bien heureux de la présence des provinces.

M. Courchene: Ils sont très prudents. Ils ont fait marche arrière au sujet de la taxe sur l'essence parce qu'ils n'ont pas trouvé le moyen d'obtenir l'assentiment des provinces.

Le président: Monsieur Courchene, l'Entente-cadre sur l'union sociale était à peine signée que le premier ministre Chrétien et les premiers ministres provinciaux ont conclu un accord sur les soins de santé en dehors de cette entente.

Quels programmes ou quelles initiatives ont été mis en branle à l'intérieur de l'Entente-cadre sur l'union sociale?

M. Courchene: Il y a eu la Prestation fiscale canadienne pour enfants, mais ce programme a, en fait, été mis en place avant l'entente.

J'ai dit que c'était mon entente préférée parce qu'il s'agit théoriquement d'un bon moyen d'exercer le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral.

Le président: Je suis d'accord avec ce qui me semble être votre point de vue; cette entente rehausse le pouvoir de négociation des provinces.

M. Courchene: Par ailleurs, elle tient compte du fait que les provinces doivent être en mesure de mettre en place ces programmes elles-mêmes. Les choses n'ont pas fonctionné aussi bien que je l'aurais espéré, mais les gens gardent cette idée à l'esprit lorsqu'ils parlent des façons de faire les choses. À mon avis, il s'agit d'un cadre qui facilitera les relations entre Ottawa et les villes. Il faudra l'insérer dans un type d'accord comme l'Entente-cadre sur l'union sociale pour que les provinces puissent avoir leur mot dans l'élaboration de ce cadre. Dans ce sens, les choses sont en place.

Lorsque nous avons des problèmes, nous ne disposons pas toujours des outils qui pourraient nous être utiles, mais ceci en est un.

Le président: Je reconnais que la Prestation fiscale canadienne pour enfants est une réussite, notamment dans les provinces qui ont accepté de combler le vide et d'utiliser l'argent qui, autrement, aurait été consacré à l'aide sociale.

Le gouvernement a même conçu les bourses du millénaire de façon à tenir compte des divers besoins et des programmes déjà en place, du moins pour ce qui est du Québec.

Quant au Programme des chaires de recherche du Canada, le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral est le bienvenu et allège le fardeau des provinces dans le domaine de l'éducation postsecondaire.

Le problème, c'est que l'argent est injecté, mais pour ce qui est du programme de soins de santé à coût partagé, le gouvernement fédéral essaie de faire les choses à rabais.

À mon avis, le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral devrait être exercé en accord avec les provinces.

M. Courchene: Je suis d'accord. C'est ce que je croyais que nous allions faire avec l'Entente-cadre sur l'union sociale.

Le président: Disons pour conclure qu'il s'agit d'une entente qui comporte beaucoup de possibilités.

Merci, monsieur Courchene. Votre témoignage a été intéressant et stimulant.

Notre prochain témoin est M. Boadway, qui est professeur d'économie, Sir Edward Peacock, de l'Université Queen's. M. Boadway est l'auteur de nombreux ouvrages sur le fédéralisme fiscal et la politique fiscale. Il a été chef du département d'économie de l'Université Queen's, président de l'Association canadienne d'économique et rédacteur en chef de la Revue canadienne d'économique, et il n'est pas étranger aux comités parlementaires.

Bienvenue à nouveau, monsieur Boadway. Nous vous écoutons.

M. Robin W. Boadway, département d'économie, Université Queen's: Je dois dire que, à l'instar du sénateur Day, j'ai l'honneur d'être diplômé de la seule université fédérale du Canada.

Le président: Pour le compte rendu, il s'agit du Collège militaire royal.

M. Boadway: J'ai préparé une allocution, mais je ne m'y attarderai pas trop car je crois qu'il sera plus utile que je réponde à vos questions. Je mettrai l'accent sur certains points qui serviront de base à notre discussion.

Je parlerai ici uniquement de péréquation, mais il importe de tenir compte du contexte global et de reconnaître que ce n'est pas seulement le paragraphe 36(2) qui porte sur la péréquation, mais bien la combinaison des paragraphes 36(1) et 36(2), ainsi que la combinaison du système de péréquation et du système de transferts sociaux du Canada qui, ensemble, permettent de réaliser l'objectif de péréquation. Ce sont là deux éléments cruciaux de la péréquation au sens large, et ils doivent être considérés comme tels. En effet, les transferts sociaux constituent un outil de péréquation aussi parfait que le système de péréquation comme tel.

Je toucherai tout de suite aux enjeux que comporte, je crois, la péréquation, dont certains ont déjà été abordés avec M. Courchene, tandis que d'autres sont visés par les propositions mises de l'avant dans le dernier budget en vue de renouveler le système de péréquation.

Permettez-moi de mettre en lumière certains problèmes. D'abord, il existe d'importantes disparités de capacité fiscale entre les provinces nanties et les autres, spécialement entre l'Alberta et le reste du Canada, comme le montre clairement un tableau présenté dans les documents budgétaires. Ce phénomène résulte à la fois de la norme des cinq provinces et de la nature nette du système de péréquation.

On observe des différences systématiques dans le traitement des diverses assiettes fiscales dans le système de péréquation. Les ressources naturelles qui font l'objet de la solution générique sont traitées plus favorablement que toutes les autres, et que toutes les autres assiettes fiscales d'ailleurs. Cette situation est injustifiée. Aussi, il importe peu que des ressources données soient concentrées dans une province ou soient épuisables, comme certaines provinces l'ont laissé entendre.

On peut avoir des raisons d'accorder un traitement préférentiel aux ressources naturelles, soit pour encourager certains comportements, soit à cause de la perception que les ressources sont la propriété des provinces. Quelles que soient les raisons, elles devraient s'appliquer également à toutes les ressources et non seulement à celles qui sont concentrées dans certaines provinces.

À l'heure actuelle, il existe aussi une forte asymétrie de traitement des provinces nanties et des provinces pauvres en ce qui concerne les revenus qu'elles tirent de leurs ressources. Les changements marginaux des revenus tirés des ressources en Alberta ou en Ontario demeurent en totalité dans les provinces en question tandis que les changements marginaux dans les autres provinces sont partagés entre toutes les provinces pauvres. C'est le cas, évidemment, de toutes les assiettes fiscales. Toute augmentation d'une assiette fiscale est plus ou moins annulée par l'impôt dans un système de péréquation. C'est le but même de la péréquation.

Les droits à péréquation associés aux recettes de l'impôt foncier diffèrent beaucoup de ce qu'ils seraient sur la base des principes du régime fiscal représentatif. C'est là un problème dont on semble tenir compte dans le processus de renouvellement.

Les provinces qui affichent les plus grands besoins de services en matière de santé, d'éducation et d'aide sociale ne disposent pas du potentiel qui leur permettrait d'offrir des niveaux de services publics relativement similaires à ceux des autres à un niveau d'imposition relativement proche de celui des autres. On prévoit d'ailleurs que ce problème ne fera que s'aggraver avec le temps du fait que les différences dans la composition démographique des provinces vont s'accentuer.

Certes, l'idée d'une formule de péréquation est intéressante. Cependant, comme la formule est administrée sur une base annuelle, elle peut entraîner l'instabilité et la volatilité des droits de péréquation. En outre, les problèmes liés au manque de prévisibilité sont exacerbés dans la mesure où des changements discrétionnaires sont apportés au système pour des raisons budgétaires ou autres. Cette situation a été réglée par le budget actuel.

Il existe plusieurs solutions envisageables dans le cadre de votre étude. Il faut harmoniser le traitement des ressources naturelles dans la péréquation et résister à l'idée d'accorder un traitement préférentiel à des types donnés de ressources. À mon avis, la solution générique et les accords sur les ressources extracôtières confèrent un traitement particulier à des ressources qui sont concentrées dans une province donnée, ou à une ressource en particulier, en dépit du fait que le principal problème que l'on cherche à régler, la récupération fiscale, concerne toutes les ressources. Si, pour stimuler certaines activités il est nécessaire d'accorder un traitement préférentiel aux ressources naturelles, ce traitement doit s'appliquer à toutes les ressources sans discrimination.

Le problème du traitement particulier de l'Alberta est plus difficile à résoudre. Vous croyez peut-être même qu'on ne doit pas s'y attaquer, mais ce problème ne peut être réglé sur le seul plan de la péréquation. Trois solutions peuvent être envisagées, si vous croyez qu'il s'agit effectivement d'un problème.

On pourrait en principe se servir des transferts sociaux pour réaliser une péréquation indirecte à la baisse des provinces non bénéficiaires. Cette solution n'est pas celle que je recommande.

L'adoption d'une norme basée sur dix provinces et non cinq devrait théoriquement réduire l'écart entre l'Alberta et les provinces démunies en augmentant les droits à péréquation de ces dernières. Cette solution serait coûteuse pour le gouvernement fédéral.

Une réforme plus radicale consisterait, pour le gouvernement fédéral, à exercer son droit fiscal pour obtenir une plus grande part des bénéfices tirés des ressources par la voie de l'impôt sur les sociétés. Actuellement, le régime fiscal des sociétés traite favorablement les industries basées sur les ressources naturelles et offre certains allégements relativement aux impôts provinciaux. Ces dispositions pourraient être facilement modifiées. Je crois que le gouvernement fédéral pourrait utiliser le régime fiscal des sociétés avec plus de créativité pour toucher sa part des bénéfices tirés des ressources. En effet, le rapport Mintz du Comité technique de la fiscalité des entreprises, qui ne porte pas tout à fait sur la péréquation, précise que les industries qui sont les mieux traitées au Canada sont précisément les industries primaires.

Pour revenir à la question de démographie, les besoins pourraient être intégrés au système de péréquation un peu comme le fait le régime fiscal représentatif pour les revenus. Cependant, cela compliquerait considérablement les choses.

Il existe une meilleure solution pour tenir compte des besoins, par la voie du système de transferts sociaux. Les différences sur le plan des besoins tiennent à des différences dans l'effectif des groupes cibles des programmes sociaux, c'est-à-dire les malades pour les programmes de santé, les assistés sociaux pour les programmes d'aide sociale, les étudiants pour l'éducation postsecondaire, et cetera, et aussi à des différences au niveau du coût moyen de la prestation des services publics aux divers groupes cibles. Du point de vue des soins médicaux, il est plus coûteux pour une province d'avoir des personnes âgées que d'avoir des jeunes.

Ces enjeux varient suivant les trois grandes catégories de programmes — santé, éducation et aide sociale.

Le système actuel de transferts sociaux repose essentiellement sur un montant égal par habitant, ce qui constitue une manière très brute de tenir compte des besoins. On pourrait opter pour la solution de rechange suivante: diviser les transferts sociaux en trois volets distincts, et non en deux volets comme on le fait présentement. Pour chaque volet, les affectations provinciales de base reposeraient sur les populations concernées. Cela pourrait être fait à des niveaux de détail variés. Ainsi, les usagers des services de santé pourraient être calculés par tranche d'âge, et les bénéficiaires de l'aide sociale dénombrés en fonction du nombre de dossiers, ce qui serait facilement mesurable d'une province à l'autre.

Dans chaque catégorie, une pondération tiendrait compte du coût relatif de la prestation des services à chaque groupe. Les mêmes facteurs de pondération s'appliqueraient à toutes les provinces. Il ne s'agit pas ici de tenir compte du fait qu'il en coûte davantage de fournir des services médicaux dans une province donnée, mais bien de tenir compte du fait qu'il est plus coûteux d'offrir des services médicaux à des personnes âgées qu'à de jeunes personnes.

Ces facteurs de pondération serviraient ensuite à moduler le montant des transferts aux provinces. Les dépenses ne seraient pas les déterminants absolus du montant des transferts, mais serviraient simplement à calculer la distribution des transferts entre les provinces.

Si vous êtes intéressés à approfondir la question des besoins et de la péréquation, et on m'a dit que vous aimeriez discuter de ce sujet, il convient d'intégrer les besoins non pas au système de péréquation, mais bien au système de transferts sociaux.

Le sénateur Comeau: Comme vous l'avez bien indiqué, nous essayons de fournir aux diverses provinces des services relativement comparables à des niveaux de fiscalité relativement comparables.

La péréquation, sous sa forme actuelle, est une formule qui vise à déterminer la capacité fiscale des provinces pour pouvoir couvrir les services offerts. Cette formule repose sur la production de revenus.

Ce processus permettrait, dit-on, de déterminer les sommes qu'il faut transférer aux provinces pour atteindre l'objectif constitutionnel, qui consiste à assurer un niveau raisonnable de services. Ce n'est pas le cas. Hier, un de nos collègues faisait remarquer qu'il paie beaucoup plus d'impôts parce qu'il demeure à l'Île-du-Prince-Édouard plutôt qu'en Ontario. Il aurait pu ajouter qu'il obtient moins de services à l'Île-du-Prince-Édouard, mais il est prêt à payer, puisque c'est à cet endroit qu'il veut demeurer.

Or, une autre personne pourrait être indifférente à l'endroit où elle demeure et ne voudrait pas payer plus de taxes pour moins de services. Vous proposez donc d'utiliser les transferts sociaux pour tenir compte des besoins. Pourquoi notre système de péréquation ne serait-il pas fondé sur ce principe, c'est-à-dire tenir compte des besoins des personnes, au lieu de reposer sur une formule de production de recettes?

Pourquoi ne pas avoir une formule qui mesure le temps d'attente dans les hôpitaux, le nombre d'élèves par classe, la qualité des routes, la distance des écoles ou des hôpitaux?

Pourquoi ne pas intégrer ces données dans une formule?

Ce ne serait pas très compliqué avec les ordinateurs d'aujourd'hui. Nous pourrions mieux évaluer les besoins au lieu d'utiliser une formule de péréquation fondée sur la production des recettes.

M. Boadway: Certains disent que le système de péréquation actuel est déjà trop compliqué. Il ne faudrait peut-être pas le compliquer davantage.

Toutefois, vous soulevez des points intéressants. Le système de péréquation actuel, comme vous le mentionnez, égalise la capacité fiscale et non les besoins. Implicitement, il traite les besoins de dépenses des provinces comme si ces besoins étaient les mêmes par habitant. Si chaque province avait la même composition démographique et les mêmes groupes cibles, il conviendrait tout à fait d'appliquer un coût uniforme pour la prestation des services au Canada par un transfert de péréquation. C'est ce que fait implicitement le système de péréquation; c'est ce que fait explicitement le système de transferts sociaux.

Est-il raisonnable de croire qu'on peut s'écarter de ce système d'une manière acceptable?

Nous ne voulons pas sacrifier la capacité fiscale puisque, comme le professeur Courchene l'a mentionné, le Canada est une fédération très décentralisée à ce chapitre, en comparaison avec d'autres fédérations.

Nous devons maintenir le principe d'égalisation de la capacité fiscale. Reste à savoir si nous devons ajouter des éléments, en tenant compte également des besoins et, si c'est le cas, comment faire?

Le sénateur Comeau: Faut-il ajouter des éléments?

Si l'on vise à assurer un niveau de service comparable avec un niveau de fiscalité comparable, les recettes générées par une province doivent couvrir les services, sinon le gouvernement fédéral doit transférer une certaine somme aux provinces qui n'atteignent pas ce niveau. Le système ne serait pas nécessairement plus coûteux.

M. Boadway: Non, mais il reste qu'un système parfait de péréquation permet aux provinces de recevoir le même montant par habitant pour pouvoir consacrer les mêmes dépenses par habitant à tous ses citoyens.

Concernant les besoins, il se peut que l'Île-du-Prince-Édouard ou la Colombie-Britannique compte un nombre plus élevé de personnes âgées que l'Alberta et que, par conséquent, les besoins par habitant en matière d'hospitalisation soient plus élevés. C'est là où se situe tout le débat sur les besoins.

Vous pourriez tenir compte de tous les besoins ainsi qu'évaluer les routes nécessaires dans les secteurs ruraux et les listes d'attente des hôpitaux, et cetera, mais il n'en demeure pas moins que 80 p. 100 des dépenses provinciales sont consacrées à la santé, à l'éducation et à l'aide sociale. Je pense qu'il s'agit des services publics de base qui sont assujettis à la péréquation, selon l'interprétation de la Constitution. Mettre l'accent sur ces trois principales catégories de service constituerait un bon point de départ.

Vous pourriez commencer d'une façon relativement rudimentaire et établissant les proportions des groupes cibles dans chacune des catégories de service, compte tenu de facteurs de pondération approximative, notamment que les études postsecondaires coûtent deux fois plus que les études primaires.

Le sénateur Comeau: Qu'en est-il du régime fiscal? Les niveaux d'imposition sont assez différents d'une province à l'autre. Les provinces souhaitant que leurs économies prennent de l'essor et que des gens viennent s'y établir, notamment la Nouvelle-Écosse ou Terre-Neuve, ne peuvent pas recourir à la fiscalité à cette fin. En fait, de plus en plus de Terre-Neuviens quittent leur province pour s'établir dans d'autres provinces où les impôts sont moins élevés.

Nous avons trois ordres de gouvernement. La péréquation essaie d'équilibrer la redistribution des services. Nous avons tendance à tenir compte des besoins grâce aux transferts sociaux, mais nous ne nous sommes pas encore attaqués au problème des niveaux d'imposition raisonnables.

Je crois comprendre que la Nouvelle-Écosse annoncera probablement qu'elle ne peut pas essayer de réduire ses impôts parce qu'elle doit consacrer ses recettes fiscales aux soins de santé. C'est une partie de l'objectif constitutionnel que de nombreuses provinces essaient en vain d'atteindre.

M. Boadway: Très bien, mais plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi les taux d'imposition sont plus élevés dans certaines provinces. La péréquation réussit très bien à compenser les déséquilibres au chapitre de la capacité fiscale, sauf en ce qui concerne l'Alberta, qui est un cas exceptionnel et, dans une certaine mesure, l'Ontario.

Toutes les provinces recevant des paiements de péréquation devraient être en mesure d'obtenir des recettes fiscales par habitant analogues au moyen de taux d'imposition comparables. Des anomalies sont possibles, notamment les concessions publiques en Saskatchewan qui déséquilibrent le tout.

Le sénateur Comeau: La formule des dix provinces nous rapprocherait beaucoup plus d'une telle situation.

M. Boadway: Les motifs des taux d'imposition provinciaux différents sont tout autre. Certaines provinces pourraient notamment choisir d'offrir des niveaux de services publics supérieurs. D'autres cherchent peut-être davantage à obtenir certains types de dépenses publiques. Par exemple, les provinces moins nanties pourraient simplement être aux prises avec des frais généraux de fonctionnement plus élevés. Les dépenses par habitant à l'Île-du- Prince-Édouard et, peut-être, à Terre-Neuve sont probablement plus élevées à cause des frais généraux de fonctionnement.

L'écart dans les recettes fiscales entre les provinces s'explique de bien des raisons, mais il serait beaucoup plus grand sans la péréquation. Il n'est pas aussi prononcé que ce à quoi vous pourriez vous attendre.

Le sénateur Comeau: Je ne pense pas que nous atteignions vraiment l'objectif de la Constitution en matière de niveau de services et de taux d'imposition. J'essaie de me pencher sur la façon dont nous satisfaisons à cette exigence constitutionnelle. Je ne pense pas que la formule actuelle donne les résultats qui s'imposent.

M. Boadway: Effectivement, c'est partiellement ce que fait valoir l'argument des besoins. Il existe d'autres facteurs susceptibles de faire augmenter les coûts dans certaines provinces. Les provinces ayant des régions minières éloignées sont aux prises avec la question des coûts d'infrastructure et les provinces rurales doivent composer avec les coûts de la construction routière. Il y a bien des choses qui coûtent davantage dans certaines provinces. Au bout du compte, les principaux services qui sont censés être fournis à des niveaux comparables sont cependant les services publics et non pas l'infrastructure ou les biens publics. Il s'agit, selon moi, de la santé, de l'éducation et de l'aide sociale. Il me semble qu'il s'agit d'un bon point de départ.

Le président: Monsieur Boadway, lorsque votre ami et collègue Harvey Lazar a comparu il y a quelques semaines, il a fait remarquer que la proportion du PIB affectée à la péréquation dépasse d'un tiers celle d'il y a 15 ou 20 ans. Je crois également que la péréquation représente une proportion beaucoup plus petite des recettes fédérales qu'il y a quelques années.

Selon vous, cela prouve-t-il les lacunes du programme ou cela prouve-t-il que le programme fonctionne trop bien?

M. Boadway: Je suppose que cela prouve qu'il y a une certaine convergence des assiettes fiscales par habitant entre les provinces. Vous devez être prudents en interprétant que la péréquation est censée permettre aux provinces pauvres de se développer plus rapidement. Ce n'est pas un programme de développement régional.

Le président: C'est exact.

M. Boadway: Cependant, si la proportion du PIB consacrée à la péréquation a baissé, c'est en raison de la diminution de l'écart dans la capacité fiscale des provinces. La péréquation repose sur la capacité fiscale des provinces, et elle diminuera si leurs recettes constituent une proportion moins grande de leur PIB respectif parce qu'elles ont diminué les impôts ou que leur PIB augmente plus rapidement que leurs recettes. C'est une combinaison de ces deux facteurs. La proportion du PIB affectée à la péréquation peut diminuer parce que les écarts s'atténuent ou que les dépenses provinciales par habitant diminuent, comme c'est le cas en Ontario.

Le sénateur Day: Pourriez-vous nous donner des précisions sur ce que vous avez fait valoir au sujet de la péréquation qui, en matière d'impôt foncier, est considérablement différente de ce que permettrait d'obtenir le régime fiscal représentatif?

M. Boadway: C'est une question légèrement complexe. Il faudrait peut-être ne pas trop l'approfondir.

Comme vous le savez, la péréquation à incidence fiscale repose sur les méthodes d'imposition provinciales. Lorsque l'impôt sur le revenu est assujetti à la péréquation, vous vous servez des taux fixés par la province et des modalités qu'elle a mises en oeuvre. L'impôt foncier est exclu, partiellement parce que les régimes sont très différents d'une province à l'autre, voire à l'intérieur d'une province. Les méthodes d'évaluation diffèrent d'une municipalité à l'autre.

Au cours des dernières années, la plupart des provinces ont cependant harmonisé leurs méthodes d'évaluation et se sont presque toutes dotées d'un régime d'impôt foncier reposant sur une certaine forme d'évaluation en fonction de la valeur marchande. Dans chaque province, on a recours plus ou moins à une seule assiette pour l'impôt foncier, et les municipalités peuvent établir leur taux en conséquence.

Vous ne pouviez pas agir ainsi auparavant, mais dorénavant, vous pouvez utiliser le régime fiscal représentatif en matière d'impôt foncier. Vous pouvez en fait avoir recours à l'assiette provinciale aux fins de la péréquation, c'est-à- dire la valeur marchande, et vous pouvez vous servir du régime fiscal représentatif à cet égard.

Des problèmes techniques difficiles découlent du fait que la valeur des propriétés est plus élevée dans certaines provinces en raison du manque de terrains ou encore de la proximité de la montagne ou de la mer, etc. Cependant, le ministère des Finances a accompli des progrès considérables à ce chapitre. On semble tendre vers une évaluation en fonction de la valeur marchande aux fins de la péréquation en matière d'impôt foncier.

Le président: Savez-vous si des provinces y gagneront beaucoup et si d'autres y perdront beaucoup?

M. Boadway: Tout dépend des modalités utilisées. J'affirme cela sous le regard des représentants du ministère des Finances. Certes, des provinces y gagneront et d'autres y perdront. Vous pourriez tout aussi bien dire: «Si cela a été fait par le passé, les provinces qui y perdent doivent beaucoup y avoir gagné par le passé et vice et versa.» C'est pourquoi une certaine mesure singulière a été mise en oeuvre pour la Colombie-Britannique, dont l'impôt foncier comporte de graves lacunes.

Le sénateur Day: Envisagez-vous une formule basée sur la moyenne de cinq ou de dix provinces en ce qui concerne la proportion de la valeur marchande par 100 $.

Vous signalez que les chiffres pour le Lower Mainland de la Colombie-Britannique seront très différents de ceux pour le Nouveau-Brunswick, dont la valeur marchande des propriétés est inférieure.

M. Boadway: Non, si je comprends bien, les différentes méthodes utilisées tiennent compte précisément de ce que vous dites. J'ignore si le tout fait partie d'un processus de renouvellement à cette étape-ci, mais la valeur d'une propriété dans un endroit varie systématiquement par rapport à celle d'une propriété analogue dans un autre endroit, qu'il s'agisse d'une ville, d'une zone rurale, de Vancouver, de Moose Jaw, etc.

Le sénateur Day: Pourriez-vous nous parler des ressources naturelles, du besoin d'harmoniser et du traitement spécial de certains types de ressources auxquels il faudrait résister?

Croyez-vous que, pour avoir une péréquation équitable et efficace, il faille traiter les recettes tirées des forêts comme si ces dernières constituaient une ressource naturelle au même titre que le pétrole et le gaz naturel?

M. Boadway: Oui. Premièrement, l'écart dans le traitement des ressources est essentiellement imputable au fait que certaines provinces monopolisent certaines sources de revenus et, par conséquent, tirent profit de la solution générale ou autre qui a été établie pour elles.

Les problèmes découlant des ressources naturelles ne sont pas propres aux cas où une seule province détient la majeure partie des ressources. Les ressources naturelles posent deux problèmes qui sont imputables, selon moi, au fait que certaines sont renouvelables alors que d'autres ne le sont pas.

Premièrement, la péréquation est établie en fonction de la taille de l'assiette fiscale pour une source donnée. Plus l'assiette fiscale forestière sera grande, moins vous recevrez de paiements de péréquation, qu'il s'agisse ou non des ressources. En ce qui concerne les ressources, le problème est que les provinces exercent un contrôle sur le rythme de mise en valeur de leurs ressources. L'exemple extrême est celui de la baie Voisey à Terre-Neuve, où la province peut influer sur l'opportunité et le moment de son exploitation. On fait valoir qu'il existe un important facteur de dissuasion pour décourager son exploitation, car la province obtiendra des recettes mais sera imposée en conséquence.

Ce problème s'applique davantage aux ressources qu'à tout autre secteur. Un gouvernement provincial peut difficilement exercer un contrôle sur le jeu ou sur le rythme auquel les cigarettes sont consommées.

Le second problème a une importance qui varie selon la province. Il s'agit de déterminer à qui appartiennent les ressources naturelles. Si elles appartiennent aux provinces selon votre interprétation de la Constitution, vous avez alors une opinion très différente de la péréquation en matière de ressources naturelles que si vous étiez d'avis que ces ressources sont à la fois un bien national et un bien provincial.

Ces deux problèmes pourraient vous amener à conclure que les ressources devraient être traitées différemment. Certains ne pourraient peut-être pas partager cet avis, mais je pense que cet argument vaut pour toutes les ressources et je ne crois pas qu'il vise particulièrement des situations comme les ressources au large des côtes, notamment, où une province détient une seule source de revenus.

Le sénateur Day: Est-ce que le système des 25 p. 100 de toutes les ressources nationales est efficace?

M. Boadway: Certainement, tant que le traitement est comparable pour toutes les ressources. Ces 25 p. 100 proviennent d'une étude qui accorde une importance considérable au fait que les ressources appartiennent aux provinces. Ces 25 p. 100 reposent sur l'argument selon lequel les ressources appartiennent aux provinces. Je ne partage pas cet avis. Je n'établirais pas cette proportion à 25 p. 100, mais vous pouvez certainement le faire. Quelle que soit la proportion que vous déterminiez, vous devriez traiter toutes les ressources de la même façon.

Le sénateur Day: Avez-vous examiné comment d'autres fédérations abordent la question des ressources?

M. Boadway: Le Canada constitue en quelque sorte une anomalie, parce que la plupart des autres gouvernements centraux ont beaucoup plus accès que nous aux recettes de l'exploitation des ressources. C'est uniquement au Canada que les ressources sont considérées comme relevant de la compétence des provinces parce que les terres appartiennent à celles-ci, etc.

Ce problème ne se pose généralement pas. Il y a des endroits comme la Malaisie où le problème se pose, mais vous ne souhaiteriez pas que la solution de ce pays soit mise en oeuvre ici, parce que le gouvernement central malaisien confisque plus ou moins les ressources.

Le sénateur Day: Quelle est la situation en Allemagne ou en Australie?

M. Boadway: Je ne pense pas que cela pose un problème dans l'un ou l'autre de ces pays.

Le président: Que pensez-vous du recours aux frais d'utilisation dans le calcul?

Nous avons entendu le trésorier de l'Île-du-Prince-Édouard hier. Il se plaignait notamment du fait que les frais d'utilisation ne sont pas calculés comme ils le devraient pour tenir compte des recettes qu'ils procurent.

M. Boadway: La question des frais d'utilisation est complexe. Ce qu'on pourrait appeler parfois des frais d'utilisation sont en fait des taxes, et vice et versa.

Le président: La seule distinction qu'il ferait entre un frais d'utilisation et ce que nous appelons une taxe, c'est qu'il exclurait les services offerts à but lucratif par les provinces.

M. Boadway: Je partage son avis. Certains problèmes sont complexes. Par exemple, comment traitez-vous les frais de scolarité dans les universités? S'agit-il de frais d'utilisation ou de taxe que vous devez payer pour aller à l'université? Comment traitez-vous les frais imposés par les municipalités pour la collecte des ordures, que vous devez acquitter en fonction du nombre de sacs que vous utilisez. Si un frais d'utilisation équivaut à un prix, vous pourriez très bien faire valoir qu'il ne devrait pas faire l'objet de la péréquation. S'il équivaut à une taxe, il devrait peut-être en faire l'objet.

Le président: Il est difficile d'établir une distinction entre les deux?

M. Boadway: Selon moi, le problème prend de plus en plus d'ampleur au fur et à mesure que les municipalités facturent directement les consommateurs.

Le président: Le trésorier de l'Île-du-Prince-Édouard semble penser qu'il en coûte passablement d'argent à la province. J'ignore s'il a indiqué un chiffre, mais il s'agissait d'un problème suffisamment important pour qu'il l'aborde pendant son témoignage.

M. Boadway: Oui. Cependant, en raison de leur nature, les frais d'utilisation font que les provinces à revenu inférieur obtiendront moins par habitant que les provinces à revenu supérieur. Il serait naturel qu'il souhaite que le tout fasse l'objet d'une péréquation.

Il s'agit d'un exemple exagéré, mais si un gouvernement provincial décidait soudainement de vendre des aliments, feriez-vous intervenir la péréquation? La réponse serait non.

La question des frais d'utilisation est vraiment complexe. Vous devez parvenir à établir une distinction par rapport à un frais obligatoire qui est presqu'un prix que les gens doivent acquitter. Les frais de scolarité dans les universités en constituent le meilleur exemple. S'agit-il d'un prix ou d'une taxe?

Le président: Nous avons besoin d'aide pour déterminer s'il faut utiliser le concept des besoins différents dans la formule de péréquation et, le cas échéant, comment le faire. Je crois comprendre que c'est une question assez complexe et qu'il faudrait mieux nous concentrer sur l'utilisation de ce concept dans le transfert social, le TCSPS, notamment.

Le trésorier a cité ce que vous avez écrit à ce sujet pour le compte de la commission Romanow. Ce fut très intéressant.

Néanmoins, la plupart des provinces bénéficiaires font remarquer que la péréquation rapporte davantage le TCSPS. Il y a deux ou trois ans, Terre-Neuve insistait particulièrement sur les besoins différents. Par conséquent, elle a recommandé que nous trouvions des façons d'intégrer les besoins différents dans le programme de péréquation. Nous ne l'avons pas fait parce que nous ne savions pas comment le faire.

Cela étant dit, nous devrions peut-être essayer plutôt de tenir compte des besoins dans le transfert social. Je pense que je vous ai entendu aborder cette question dans votre réponse au sénateur Comeau sur les façons dont nous pourrions y parvenir grâce au programme de péréquation.

Pouvez-vous nous éclairer à cet égard?

M. Boadway: Oui. En principe, vous pourriez naturellement tenir compte des besoins dans la péréquation ou dans le TCSPS. Il y a trois raisons pour lesquelles je préférerais le TCSPS.

Premièrement, il est un peu plus facile d'établir une distinction par rapport à la péréquation sur le plan de la transparence.

Deuxièmement, tenir compte des besoins par l'intermédiaire de la péréquation signifie qu'il y a aura sept ou huit provinces bénéficiaires, mais pas l'Ontario et l'Alberta. Ces deux provinces obtiennent un TCSPS par habitant. Si vous voulez que les besoins de l'ensemble des dix provinces soient pris en considération, vous devriez avoir recours au transfert, parce que vous viseriez seulement sept ou huit provinces avec la péréquation, en fonction du nombre de provinces bénéficiaires.

Troisièmement, la péréquation des besoins ne s'impose que dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'aide sociale. Je ne crois pas qu'elle soit nécessaire pour les infrastructures provinciales.

Le président: Qu'en est-il des routes?

M. Boadway: Il est vrai que les besoins liés au développement des ressources sont plus grands. Toutefois, dans le premier cas, des transferts sont déjà prévus, en théorie, pour la santé, l'enseignement secondaire et l'aide sociale. Pour ce qui est de l'enseignement postsecondaire, c'est un peu plus compliqué. Par conséquent, il serait normal de soumettre les transferts existants à une formule de péréquation. On pourrait tout simplement transformer le transfert égal par habitant en transfert qui repose, dans une certaine mesure, sur l'effectif des divers groupes d'usagers au sein de la population.

Ce n'est pas une chose facile à faire, mais il existe, à l'échelle internationale, des exemples qui montrent que cela peut être fait sans trop de difficulté.

Le président: La formule du transfert par habitant est contestée par certaines provinces, y compris Terre-Neuve et d'autres provinces de l'Atlantique, en raison des coûts qu'engendrent les soins de santé et l'enseignement postsecondaire. Elles préféreraient sans doute une formule axée sur les besoins qui est incorporée au TCSPS. Or, si cette formule était adoptée, qui en seraient les gagnants et les perdants? Qui seraient les perdants?

M. Boadway: Il est plus facile de songer aux gagnants qu'aux perdants. Si l'on tient compte des tendances démographiques, les gagnants seraient probablement les provinces qui ont une population vieillissante, ce qui englobe la plupart des provinces de l'Atlantique, et peut-être aussi la Colombie-Britannique ou la Saskatchewan. Ce sont les provinces qui me viennent à l'esprit.

Le président: Et quel impact cette formule aurait-elle sur les provinces non bénéficiaires?

M. Boadway: Si les transferts étaient effectués par la voie du TCSPS, et non sur la base d'un montant égal par habitant, les provinces non bénéficiaires obtiendraient peut-être moins parce que leurs besoins ne sont pas aussi grands. Elles ne comptent pas autant d'effectifs dans les groupes cibles, en tant que pourcentage de la population.

Le président: Cela me fait penser au plafond imposé au RAPC, ce qui n'était pas une de nos meilleures idées. Vous en souvenez-vous?

M. Boadway: Oui, je m'en souviens. Le plafond imposé au RAPC était plutôt arbitraire. La méthode utilisée pour évaluer les besoins n'était pas objective.

Le président: La norme, c'était surtout l'Ontario, qui dépensait des sommes phénoménales pour améliorer ses programmes d'aide sociale, alors que le dollar ne valait que 50 cents. Cela commençait à coûter très cher au trésor fédéral.

M. Boadway: Concernant les besoins, il y aurait peut-être lieu d'apporter une précision, puisque l'objection formulée par Terre-Neuve n'était pas claire.

La formule axée sur les besoins ne doit pas servir à récompenser uniquement les provinces qui dépensent plus. Il faut une formule axée sur les besoins qui est à l'abri de toute manipulation de la part des provinces.

Le problème avec l'ancien RAPC, c'est qu'il comportait des incitatifs qui encourageaient les provinces à accroître leurs dépenses.

Le président: Presque tout tombait sous le coup de cette enveloppe.

M. Boadway: La formule axée sur les besoins, pour être efficace, doit s'appuyer sur un groupe démographique auquel on applique des charges communes, peu importe la province. Il ne faut pas récompenser la province parce qu'elle augmente les paiements versés aux médecins, par exemple. Il faut la récompenser en se fondant uniquement sur la structure d'âge de la population.

Le président: J'ai participé à des discussions au sein d'une province bénéficiaire que je ne nommerai pas. Avant de lancer un nouveau programme social, on cherchait d'abord à savoir si le projet était admissible en vertu du RAPC, puisque la province n'aurait qu'à payer 50 p. 100 des frais dans ce cas-là. Je suis certain que ce raisonnement a été repris par de nombreuses provinces au fil des ans.

Le sénateur Mahovlich: Est-ce que notre proximité aux États-Unis restreint notre marge de manoeuvre?

M. Boadway: C'est une bonne question. Certaines personnes en sont convaincues, et elles ont raison.

Le sénateur Mahovlich: Nous faisons affaire avec eux tout le temps, et nous ne semblons pas être capables de mettre an point un système qui n'est pas comparable au leur.

M. Boadway: Il est vrai que notre marge de manoeuvre, comme vous le laissez entendre, est limitée. Nous ne pouvons pas trop taxer nos résidants ou nos entreprises, puisque cela pourrait les inciter à traverser la frontière.

Le sénateur Mahovlich: À cause du dollar.

M. Boadway: C'est exact.

Le sénateur Mahovlich: La baisse ou la hausse du dollar influe également sur notre système.

M. Boadway: Je ne sais pas si cela a un impact important sur la péréquation, puisque que le système est fondé sur ce que font les provinces, sur leurs politiques de dépenses publiques.

Si les provinces jugent que leur marge de manoeuvre est limitée et qu'elles maintiennent leurs taux d'imposition à des niveaux bas, le système de péréquation va en tenir compte. Le système de péréquation n'a un effet égalisateur que si les provinces établissent des taux d'imposition plus élevés. En règle générale, notre politique économique est fortement influencée par ce que font les États-Unis.

Le sénateur Day: Je voudrais revenir à ce que vous avez dit au sujet de l'Alberta, de l'impôt des sociétés, de la proximité aux États-Unis. J'étais en train d'examiner les diverses solutions que vous proposez pour régler le problème du traitement particulier dont bénéficie l'Alberta par rapport au reste du Canada, problème qui, comme vous l'indiquez, est plus difficile à résoudre. Vous proposez trois solutions, mais aucune ne semble être prometteuse.

Avez-vous d'autres mesures à proposer pour essayer d'atteindre la parité à l'échelle nationale?

M. Boadway: D'aucuns soutiennent que la situation de l'Alberta, entre autres, doit être prise en compte dans le traitement des ressources naturelles aux fins de la péréquation. Plus le taux de péréquation applicable aux ressources naturelles est élevé, plus les provinces bénéficiaires vont faire l'objet d'un traitement discriminatoire par rapport à l'Alberta.

La troisième solution est celle que je préconise: le gouvernement devrait exercer son pouvoir fiscal pour obtenir une plus grande part des bénéfices tirés des ressources par la voie de l'impôt sur les sociétés.

Le sénateur Day: Ne risquons-nous pas d'être confrontés au problème que vient de décrire le sénateur Mahovlich?

Nous avons, en Alberta, une industrie qui est axée sur les ressources. L'augmentation de l'impôt des sociétés pourrait avoir un effet dissuasif sur les entreprises.

M. Boadway: Au risque de compliquer les choses, il est possible d'imposer des taxes qui ont pour effet d'absorber les bénéfices tirés des ressources et non de décourager l'exploitation de celles-ci.

Prenons l'exemple d'une province qui vend des concessions publiques. Les entreprises qui les achètent pensent qu'elles vont récupérer le prix payé pour celles-ci sous forme de profits dans les années à venir. C'est là un moyen, pour la province, de mettre la main sur les bénéfices que généreront les ressources. Le gouvernement fédéral pourrait également intervenir à ce chapitre par le biais du régime fiscal des sociétés.

Il y a peut-être une solution plus simple. Comme je l'ai mentionné plus tôt, d'après le rapport Mintz, nous accordons déjà un traitement préférentiel à l'industrie d'exploitation des ressources, étant donné qu'elle bénéficie d'un grand nombre d'incitatifs. Or, cette industrie exige des capitaux importants. Elle absorbe beaucoup de capital, mais fournit peu d'emplois. En uniformisant les règles du jeu, au palier fédéral, entre l'industrie d'exploitation des ressources et les autres secteurs, on pourrait déjà générer quelques recettes.

Le cas de l'Alberta est complexe, et cette solution ne réglerait qu'une partie du problème. Nous avons un pays où les provinces sont propriétaires des ressources, ressources qui sont réparties de façon inéquitable à l'heure actuelle.

Le sénateur Day: Si j'ai bien compris, nous devons, à votre avis, nous concentrer sur deux aspects du système: les besoins, qu'il faut incorporer au programme de péréquation, et les ressources?

M. Boadway: Oui, c'est ce que je pense, et c'est ce qui se dégage des discussions qui ont déjà eu lieu sur le sujet, à savoir qu'il faut absolument régler la question des ressources.

Le sénateur Day: Merci de vos commentaires.

Le président: Merci, monsieur Boadway. Vos propos donnent à réfléchir. Nous allons examiner certaines pistes de solution que vous avez proposées. Nous allons peut-être préparer un rapport provisoire, ou déposer un rapport avant que la nouvelle formule ne soit coulée dans le béton. Cette discussion a été fort utile. Merci d'être venu nous rencontrer.

La séance est levée.


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