LE COMITÉ SPÉCIAL SÉNATORIAL sur la loi antiterroriste
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 11 avril 2005
Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit ce jour à 10 h 30 pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l’application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch. 41).
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous tenons aujourd’hui la 14e séance du Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste et nous entendrons des témoins.
En octobre 2001, en réaction directe aux attentats terroristes à New York, à Washington, D.C., et en Pennsylvanie, et à la demande de l’ONU, le gouvernement canadien a présenté le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste.
Étant donné l’urgence de la situation à l’époque, le Parlement a été invité à accélérer son étude du projet de loi, et nous avons accepté de le faire. La date limite pour l’adoption de ce projet de loi avait été fixée à la mi-décembre 2001.
Toutefois, pour apaiser les craintes de ceux qui estimaient qu’il était difficile d’en évaluer pleinement les répercussions en si peu de temps, il a été décidé que le Parlement serait invité au bout de trois ans à revoir les dispositions de la Loi et de ses répercussions sur les Canadiens en ayant plus de recul et dans un contexte un peu moins chargé d’émotions. Les travaux du comité spécial viennent concrétiser cet engagement pour ce qui est du Sénat.
Quand nous aurons terminé cette étude, nous présenterons au Sénat un rapport dans lequel nous exposerons tous les problèmes dont il y aurait lieu, selon nous, de s’occuper, et nos travaux seront mis à la disposition du gouvernement et du grand public.
La Chambre des communes a entrepris un exercice analogue.
Le comité a jusqu’ici entendu des ministres et fonctionnaires, le directeur de la Sécurité publique et de la protection civile, le SCRS, des experts internationaux et canadiens au sujet des menaces terroristes ainsi que des experts juridiques.
Nous entendons aujourd’hui ceux qui ont pour mandat d’exercer sur le terrain les pouvoirs que confère la loi. Nous sommes donc heureux d’accueillir ce matin M. Giuliano Zaccardelli, commissaire de la GRC; Mme Gwen Boniface, commissaire de la Police provinciale de l’Ontario et M. Vince Bevan, chef du Service de police d’Ottawa.
Nous vous remercions tous d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd’hui.
Chers collègues, vous voyez que nos témoins d’aujourd’hui ont de l’étoffe. Nous disposons d’un temps limité de sorte que je vous inviterais à poser des questions et à donner des réponses concises afin que nous puissions couvrir le plus de terrain possible ce matin.
C’est aujourd’hui la première visite du commissaire Zaccardelli mais il reviendra un autre jour avec ses collègues de la GRC.
Allez-y.
M. Giuliano Zaccardelli, commissaire, Gendarmerie royale du Canada: Je vous remercie, madame la présidente et les sénateurs de me donner l’occasion de me présenter devant vous aujourd’hui pour discuter de la Loi antiterroriste du Canada. Dans mon exposé liminaire, je vais décrire les raisons qui sous-tendent l’intégration des activités policières dans ce pays, dans l’intérêt de tous les Canadiens.
J’aimerais partager avec vous ce matin mes vues sur trois aspects importants. D’abord, la réponse intégrée et mesurée des forces policières au terrorisme en vertu de la Loi antiterroriste respecte la primauté du droit. Ensuite, les autorités policières respectent les droits et libertés individuels afin de garantir des foyers et des collectivités sûrs au Canada. Enfin, les autorités policières sont d’avis que la Loi antiterroriste est une solution « faite au Canada » à un problème mondial, une solution qui vise à empêcher la perpétration d’actes terroristes, à en perturber l’exécution, à dissuader les terroristes potentiels et à imposer des conséquences à ceux qui se rendent coupables de ce genre d’actes criminels.
[Français]
La raison d’être de la communauté policière a toujours été et continuera d'être la sécurité du public. Du point de vue de la communauté policière, la Loi antiterroriste est une loi qui vise les terroristes, leurs actes criminels et les réseaux qui les soutiennent. La Loi antiterroriste n'a pas ramené la Gendarmerie royale du Canada au domaine de la sécurité nationale. La GRC a toujours enquêté sur les crimes liés au terrorisme. Cette juridiction ne lui a jamais été enlevée et elle a même été renforcée, en 1984, lorsque la Loi sur les infractions en matière de sécurité a été adoptée.
L'enquête sur l'écrasement de l'avion d'Air India n'est qu'un exemple parmi tant d'autres d’enquêtes que la Gendarmerie royale du Canada a menées avant la Loi antiterroriste. Même si la GRC est l'organisation nationale responsable de l'application de la loi au premier titre des enquêtes sur les crimes qui menacent la sécurité nationale du Canada, elle n’a pas juridiction exclusive en ce domaine. La GRC doit collaborer avec ses partenaires fédéraux, provinciaux et municipaux, d'une façon intégrée, qui appuie son mandat en matière de sécurité nationale, tout en exploitant le plus efficacement possible les forces combinées.
[Traduction]
Le mandat de la GRC touche le renseignement criminel, les enquêtes criminelles et la prévention du crime, tandis que celui du SCRS est de conseiller le gouvernement du Canada sur les questions de renseignement de sécurité; autrement dit, nos mandats sont complémentaires. Certaines personnes laissent entendre que parce que certaines dispositions prévues dans la Loi antiterroriste ne sont pas encore utilisées, elles ne sont pas requises. Cette affirmation va à l’encontre de notre expérience. La Loi antiterroriste guide maintenant toutes les enquêtes de la GRC sur les crimes liés au terrorisme et fournit donc un cadre important aux enquêteurs. Les enquêtes de ce genre sont souvent complexes et peuvent prendre plusieurs années à se développer. De plus, la protection des droits individuels nous oblige à rassembler suffisamment de preuves avant d’entreprendre certaines mesures d’investigation permises par la Loi antiterroriste.
Il est vrai que certaines dispositions de la Loi ont peut-être été utilisées plus souvent que d’autres. Notre expérience nous dit que cette situation est tout à fait normale seulement trois ans après l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi. Il est également vrai que nous de la GRC avons essayé de faire preuve d’équilibre dans notre utilisation des dispositions de la loi.
En ce qui concerne la disposition touchant l’arrestation préventive, certains d’entre vous se souviendront sans doute des assurances que j’ai données lors de mon témoignage devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne le 23 octobre 2001 comme quoi cette nouvelle disposition serait grandement utilisée. J’avais dit à l’époque que cette disposition ne serait utilisée qu’en de très rares occasions par des officiers de police hautement qualifiés et ce, en étroite consultation non seulement avec des officiers supérieurs, mais également avec des juristes.
J’espère qu’avec le recul des trois dernières années, vous conviendrez avec moi que la GRC a respecté les assurances que j’avais alors données. Nous avons fait preuve de retenue dans notre utilisation des pouvoirs que nous confère la Loi antiterroriste et nous conserverons la même attitude dans l’avenir.
Malgré cela, nous avons connu de grands succès dans notre travail. Même si une ordonnance de non-publication imposée par la cour m’empêche de discuter des détails de l’affaire Khawaja, il est important de comprendre que les affaires de ce genre illustrent parfaitement l’utilité de la Loi antiterroriste et ne devraient pas être ignorées. La réalité est que nous nous servons de cette loi pour prévenir les activités terroristes, faire enquête le cas échéant et engager des poursuites le moment venu, notamment à l’égard du financement de la facilitation du terrorisme.
Permettez-moi maintenant de vous dire quelques mots sur le respect qu’a la GRC pour les droits et libertés des Canadiennes et des Canadiens. L’une des grandes forces de la GRC dans ce pays tient aux efforts qu’elle fait pour développer de bonnes relations avec les gens et les collectivités qu’elle sert. Nous reconnaissons que la population canadienne est de plus en plus diversifiée et pour nous adapter à cette réalité, notre action policière dans les collectivités évolue.
[Français]
La GRC reste engagée à servir les diverses collectivités du Canada et à partager son expertise avec la collectivité mondiale dans le cadre d'opérations de conciliation et de soutien de la paix partout dans le monde. Notre rôle d'organisation policière sur le plan international constitue un engagement permanent de la GRC à aider au maintien des principes qui sous-tendent les droits de la personne partout dans le monde. Cet engagement est aussi relié au Canada. Nous contribuons à la sûreté et la sécurité de nos voisins en bâtissant des meilleurs rapports avec les gens que nous servons, grâce à la consultation et à la coopération. Chaque activité de création des liens doit être conçue spécifiquement pour la collectivité visée, qu'il s'agisse des activités menées auprès des collectivités de l’Asie du sud-est après l'écrasement de l’avions d'Air India ou de celles organisées à l'intention des collectivités musulmanes et arabes du Canada après l'attaque du 11 septembre.
[Traduction]
Nous avons pris des mesures pour essayer de mieux comprendre les diverses collectivités que nous servons, notamment dans nos pratiques d’embauche, dans nos activités de formation et dans les activités de création de liens que nous organisons à l’intention des collectivités. Nous avons l’intention de continuer à collaborer avec toutes les Canadiennes et tous les Canadiens.
Il est également important de se rappeler que les dispositions de la Loi antiterroriste s’accompagnent d’un bon nombre de garanties et d’autres mesures d’imputabilité démocratique, notamment l’obligation d’obtenir l’approbation du procureur général avant de mettre en œuvre certaines étapes d’investigation, puis d’obtenir l’autorisation du tribunal. Aucun autre pouvoir policier n’est assujetti à de telles mesures de protection.
Le présent examen après trois ans d’existence de la Loi antiterroriste et l’obligation de rendre compte annuellement des audiences d’enquête et des arrestations préventives garantissent l’imputabilité de la GRC devant le Parlement et la population canadienne.
J’aimerais également souligner le fait que la GRC est une organisation de police et que, par conséquent, toutes ses enquêtes sont assujetties aux lois canadiennes, notamment à la Charte des droits et libertés.
Il y a un peu plus de trois ans, le gouvernement de nombreux pays un peu partout dans le monde et les Nations Unies ont clairement indiqué que de nouvelles lois étaient nécessaires pour lutter contre le terrorisme. Le Canada a collaboré avec la communauté internationale et a élaboré une loi tout à fait canadienne qui, je le pense, nous permet, d’une part, de mieux protéger la sûreté et la sécurité de la population canadienne et, d’autre part, d’aider nos partenaires internationaux à sauvegarder la sûreté et la sécurité de leurs citoyennes et citoyens.
Le fait que je me retrouve ici devant vous aujourd’hui illustre bien le caractère fondamentalement canadien de la loi adoptée il y a trois ans. Le gouvernement du Canada voulait s’assurer que nous ayons tous ensemble l’occasion d’examiner la Loi antiterroriste et d’en évaluer l’efficacité. J’accueille à bras ouverts l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui d’examiner cette loi importante et d’en discuter avec vous.
[Français]
Il s'est passé au beaucoup de choses depuis que cette loi a été adoptée. Les évènements survenus dans d'autres parties du monde, mais également les évènements survenus au Canada, nous offrent beaucoup de matière à notre réflexion sur la loi antiterroriste du Canada. La sûreté et la sécurité de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens est le facteur primordial à considérer. Mais il ne faudrait pas pour autant négliger le sort des victimes des attaques passées. Le Canada et sa population ne sont pas à l'abri de terrorisme. Vingt-quatre Canadiens sont morts dans les attaques du 11 septembre. Deux Canadiens ont été victimes de l'attaque à la bombe de Bali et la plupart des 329 victimes de l'écrasement de l'avion d'Air India étaient des Canadiennes et des Canadiens.
[Traduction]
Vous vous souvenez peut-être de ce que je vous ai dit il y a trois ans: « J’aimerais vous dire que dans trois ans il n’y aura plus de problème de terrorisme, mais tout me porte à croire qu’il s’agit là d’un problème lent et complexe auquel les démocraties auront à faire face longtemps. » Trois ans se sont maintenant écoulés et, malheureusement, force est de constater que le problème est plus présent que jamais. La menace terroriste est plus complexe, extrême, sophistiquée et transnationale que jamais auparavant. Un peu partout dans le monde, on voit clairement la volonté persistante de certains groupes, de certaines personnes et de certains États d’exploiter la violence pour atteindre leurs objectifs politiques, idéologiques et religieux. La coopération aux plans national et international est cruciale pour combattre ceux qui incarnent cette menace.
La prépondérance des activités terroristes dans le monde contemporain montre bien que les dispositions de la Loi antiterroriste seront nécessaires pour encore longtemps.
Je veux m’assurer que le Canada et la GRC disposent des outils légaux nécessaires pour protéger la sûreté et la sécurité de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens, pour prévenir le terrorisme et dissuader les terroristes au Canada, et pour aider nos partenaires internationaux à faire de même dans leur pays.
[Français]
Je vous remercie de votre attention. Il me fait maintenant plaisir de discuter plus en détail avec vous de cette loi.
[Traduction]
Mes collègues et moi-même participerons avec plaisir à la discussion qui occupera le reste de la séance.
La présidente: Merci, monsieur le commissaire. J’ai cru comprendre que M. Bevan et Mme Boniface n’ont pas d’exposé liminaire à nous livrer.
M. Zaccardelli: Non, nous avons voulu laisser le plus de temps possible pour la période de questions.
Le sénateur Lynch-Staunton: Vous comprendrez que ma première question porte sur un sujet qui me touche de près. J’habite dans les Cantons de l’Est, à environ cinq milles en droite ligne de la frontière du Vermont. Je n’ai pas été le seul surpris de lire que la GRC s’apprêtait à fermer un certain nombre de ses détachements dans cette région et je me demande si vous pouvez me rassurer en me confirmant que la fermeture de ces détachements ne rendra pas moins efficace l’application des lois fédérales en ce qui a trait aux postes frontaliers et à la sécurité générale de la région.
M. Zaccardelli: Je peux vous confirmer, d’abord, que les ressources qui se trouvent au Québec ne seront pas réduites. La restructuration a pour seul objectif d’améliorer la sécurité des Québécois et du reste du Canada. Notre but est d’améliorer l’efficacité et l’efficience et d’optimiser les ressources. Trois choses sont assurées dans la vie — la mort, les taxes et la pénurie de ressources. Il m’incombe d’utiliser au mieux ces ressources en les déployant de la façon la plus stratégique possible. Les défis que nous devons relever changent de jour en jour et je dois être en mesure de moduler l’utilisation de ces ressources en fonction des nouveaux défis qui se présentent. Mes collègues et moi-même croyons que la restructuration en cours au Québec accroît la sécurité de la province et du reste du Canada. Je ne peux pas garantir cette sécurité mais je suis convaincu, en ma qualité de commissaire, que ces changements nous permettront d’utiliser nos ressources de façon plus efficace.
Le sénateur Lynch-Staunton: Comment pouvez-vous garantir, à moi et à ceux qui vivent dans cette région, qu’en fermant les détachements locaux vous améliorez la sécurité de la région et surtout le long de la frontière, ou du moins que la sécurité ne s’en trouvera pas diminuée?
M. Zaccardelli: Dans les milieux policiers, nous croyons qu’au début du XXIe siècle, deux réalités sont incontournables. D’abord, nos activités doivent s’appuyer sur le renseignement. Ensuite, en raison de la pénurie de ressources, nos activités doivent être aussi intégrées que possible afin que nous puissions profiter de l’effet de levier de la mise en commun de nos ressources collectives.
Nous partageons une frontière de 8 000 km avec les Américains. Il y a insuffisamment de ressources au Canada et aux États-Unis pour garantir que personne ne traversera la frontière sans être interceptée par un policier ou un douanier. Notre mot d’ordre est d’utiliser au mieux le renseignement pour répartir les ressources de façon stratégique et de la façon la plus efficace et la plus efficiente possible, sur la foi de ces renseignements. La grande majorité de ceux qui traversent nos frontières sont des citoyens respectueux des lois et je ne tiens nullement à intercepter chacun d’eux. Je souhaite plutôt obtenir les meilleures ressources possible et voilà pourquoi nous avons créé les équipes intégrées de la police des frontières. Nous avons intégré les ressources canadiennes et celles de nos partenaires américains. Nos opérations sont parfaitement intégrées tout le long de la frontière. Au Canada et aux États-Unis, nous avons placé de façon stratégique les équipes intégrées le long de la frontière pour pouvoir intervenir efficacement en temps opportun. Ces équipes doivent posséder une certaine masse critique, ce qui est là l’essentiel à retenir. Ce serait bien de pouvoir affecter deux agents de la police montée dans chaque ville et village de notre pays parce qu’ils paraissent bien et que les collectivités les apprécient. Toutefois, je ne peux pas me permettre ce luxe pas plus que Mme Boniface et M. Bevan. Deux ou trois agents ne peuvent pas régler à eux seuls un bon nombre des problèmes auxquels nous nous heurtons et voilà pourquoi nous regroupons les ressources afin de créer une masse critique pour contrer les menaces. Les petits détachements existants sont incapables de repousser les menaces dont vous et d’autres avez fait légitimement état dans vos collectivités respectives. En regroupant les ressources, nous sommes mieux en mesure de régler les graves problèmes auxquels font face les Canadiens, et c’est là l’objectif de la réorganisation.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je vais être plus précis. Selon un article de James Gordon paru dans The Gazette de Montréal aujourd’hui, il existe un document selon lequel l’Agence des services frontaliers du Canada aurait compilé une liste de 116 points d’entrée en indiquant leur distance par rapport au plus proche détachement des forces policières. Près de la moitié d’entre eux sont situés à au moins 25 kilomètres de distance et la plupart des points d’entrée ruraux sont situés à 50 kilomètres ou plus du plus proche poste de police. Comment puis-je être rassuré, après avoir lu cela, que la frontière canadienne est mieux protégée maintenant qu’elle ne l’était avant le 11 septembre 2001?
M. Zaccardelli: Sénateur, vous soulevez là un point valable mais il ne faut pas oublier que je dispose de ressources limitées.
Le sénateur Lynch-Staunton: Pourquoi ne réclamez-vous pas davantage de ressources? Je crois que vous avez reçu environ 500 millions de dollars de plus dans le dernier budget par rapport à l’exercice précédent. Est-ce que ce n’est pas suffisant?
M. Zaccardelli: Je réclame tous les jours davantage de ressources et certains me chassent de leur bureau quand je le fais. Je sais que vous comprenez bien ce que je vous dis.
Le sénateur Lynch-Staunton: Oui, mais je ne sais pas pourquoi vous rejetez du revers de la main ce que je vous dis. Je comprends bien que vous avez créer cette masse critique et que vous croyez que la sécurité est aussi bien assurée qu’avant. Je crois que la présence physique de policiers, ne serait-ce que deux par village, est plus importante que le regroupement de ces policiers dans un endroit plus éloigné, où, peut-être, ils réussiraient mieux à obtenir des renseignements.
M. Zaccardelli: Je n’ai pas rejeté du revers de la main ce que vous dites. La réorganisation est censée vous aider et répondre aux préoccupations dont vous avez fait état. Au Québec, la GRC est un organisme fédéral mais il y a aussi une force de police provinciale et des forces de police municipale. L’intégration favorise la collaboration et permet à chacune de ces forces de s’acquitter de son mandat respectif. Je n’ai pas les ressources voulues pour assurer la surveillance policière localement au Québec et je n’ai ni l’autorité, ni le mandat ni les ressources pour le faire en Ontario. Mon mandat, c’est de veiller à ce que ces ressources fédérales s’acquittent de leur mandat et à leur faire jouer l’effet de levier en travaillant avec leurs homologues provinciaux et municipaux. J’ai accru la sécurité du Québec mais je n’ai pas les ressources voulues pour qu’il y ait un agent de la Gendarmerie royale dans chaque ville et village. Si vous deviez poser la question au commissaire Boniface, je suis certain qu’elle vous dirait qu’elle n’est pas en mesure de placer un policier provincial dans chaque ville de l’Ontario. Les frontières du Canada nous ont toujours posé de grands défis, ce n’est pas nouveau. Nous travaillons non seulement avec nos partenaires des milieux policiers mais nous travaillons aussi avec les agents des douanes et les agents de l’immigration de concert avec nos homologues américains.
Le sénateur Lynch-Staunton: L’article dont j’ai parlé précise qu’un garde à un poste frontalier de la Saskatchewan a expliqué que si une urgence devait survenir de nuit et que la GRC était convoquée, l’agent de service le plus rapproché aurait à sauter du lit et à faire 40 kilomètres pour se rendre sur les lieux. Un autre membre du personnel d’un poste d’une région isolée du Manitoba a rappelé un incident survenu l’été dernier où les bases de données révélaient qu’un Canadien considéré comme dangereux s’était vu refuser le droit d’entrer aux États-Unis. Les agents américains des douanes et de la protection frontalière ont escorté le sujet jusqu’à la frontière tandis que l’agent canadien convoquait la GRC. Deux heures plus tard, un agent de la GRC est arrivé à la frontière. Les agents américains de patrouille de la frontière ont eu l’amabilité d’attendre pendant que l’agent s’occupait de cet individu dangereux du côté canadien en attendant l’arrivée de la GRC.
Comment pareilles choses peuvent-elles se passer? Je ne comprends pas qu’un gouvernement puisse refuser d’augmenter les ressources quand de tels incidents peuvent se produire. Un beau jour, il ne s’agira pas uniquement d’une personne arrêtée en possession d’une pincée de marijuana ou de quelques cigarettes illégales; il pourrait s’agir d’une personne transportant un objet meurtrier.
M. Zaccardelli: J’apprécie votre soutien mais le fait est qu’au Canada, surtout dans les régions rurales, comme pourra vous le confirmer Mme Boniface, j’ai un policier responsable d’un territoire de 1 000 milles carrés.
Le sénateur Lynch-Staunton: J’ai une dernière question à ce sujet. Monsieur Zaccardelli, estimez-vous qu’il serait utile d’avoir des douaniers et des agents d’immigration armés?
M. Zaccardelli: Non, je n’en vois nullement l’utilité.
Le sénateur Lynch-Staunton: Pourquoi?
M. Zaccardelli: La nature du travail ne nécessite pas que ces agents soient armés. Par ailleurs, ils disposent de nouveaux pouvoirs qui les autorisent à arrêter des gens dans certaines situations. Je pense qu’il serait dangereux pour nous d’armer ces agents en partant du principe que nous serions davantage en sécurité parce qu’un douanier porte une arme. Je suis attristé par la situation qui existe en Colombie-Britannique où la Commission des transports de la Colombie-Britannique et les autorités provinciales ont décidé d’autoriser les policiers de la Commission des transports à être armés. C’est une pratique qui prend des proportions inquiétantes au Canada et elle est inutile parce que nous pouvons régler ce genre de problèmes d’autres façons. Parcs Canada veut que son personnel soit armé. J’ai demandé à un agent de Parcs Canada pourquoi il voulait être armé. Il a répondu qu’à Banff, Jasper ou dans d’autres parcs provinciaux ou nationaux, les fins de semaine, il y a pas mal de chahut lorsque les gens se soûlent et sèment la perturbation. J’ai répondu que je comprenais le problème mais que la possession d’une arme ne constituait sans doute pas une solution. Il serait préférable de désamorcer une telle situation plutôt que de créer davantage de problèmes. Je m’oppose vivement à ce que l’on arme des gens simplement pour donner l’impression que nous pourrions nous sentir plus en sécurité. Nous devons être très prudents avant de nous engager dans cette voie. Je suis conscient qu’il peut être risqué de travailler à la frontière et que certains dangers existent. Cependant, un douanier qui tirerait sur quelqu’un qui essaie de traverser la frontière illégalement n’est pas la solution. Nous devons donc envisager d’autres options. Armer les gens n’est pas la solution optimale à un grand nombre de nos problèmes.
Le sénateur Lynch-Staunton: Nous allons chacun rester sur nos positions.
Le sénateur Day: Bienvenue, monsieur Zaccardelli, madame Boniface et monsieur Bevan. Ma question découle de ce que M. Zaccardelli a dit au sujet des services d’intervention communautaire. Compte tenu de la diversité du Canada qui existe à l’heure actuelle et qui existera à l’avenir, quelles sont les méthodes d’embauche existantes qui permettent à la GRC de représenter cette diversité?
M. Zaccardelli: Je vais faire des remarques puis je demanderai à Mme Boniface puis à M. Bevan d’en faire également.
L’une des nos priorités à la GRC, c’est le recrutement des minorités visibles, et nous avons obtenu beaucoup de succès. La question s’est posée au cours de l’enquête Air India il y a 20 ans lorsque nous n’avions aucun Sikh parmi notre effectif à la GRC. Maintenant, il y a un certain nombre de Sikhs qui font partie de la GRC, et nous avons modifié l’uniforme pour leur permettre de porter le turban. Il s’agit d’une mesure prioritaire pour la GRC. À Richmond, en Colombie-Britannique, les Chinois représentent plus de 50 p. 100 de la population que nous desservons.
À l’heure actuelle, 25 p. 100 de nos agents qui font partie du détachement sont Chinois, donc nous avons un objectif de recrutement très précis. Cela est difficile à faire. Dans certaines collectivités, les gens hésitent à devenir policiers, souvent en raison des expériences vécues par les familles ou les collectivités par le passé. C’est donc un aspect auquel nous travaillons très activement.
J’ai été heureux d’entendre un commentaire qui m’a été fait il y a un certain temps par une personne qui visitait notre académie de formation. Cette personne a dit: « L’académie commence à ressembler aux Nations Unies ». J’ai considéré qu’il s’agissait d’une forme de compliment. J’espérais que c’était effectivement le sens de son commentaire, et ça l’était. Nous y travaillons très activement. Le recrutement se fait dans chaque collectivité de chaque province du pays. Je pense que Mme Boniface…
Le sénateur Day: Vos deux collègues voudront peut-être faire des commentaires. Avez-vous des objections à ce que l’on établisse une politique de recrutement proactive qui prévoit certaines places et certains postes pour des membres des minorités visibles?
Mme Gwen Boniface, commissaire, Police provinciale de l’Ontario: À la Police provinciale de l’Ontario, nous n’avons ménagé aucun effort pour établir des liens avec les collectivités et travailler avec les chefs de file de la collectivité. Nous avons mis sur pied trois programmes dont un tiers sont sur le point d’être appliqués. Il s’agit entre autres du programme OPP Bound, ou option carrière policière, destiné à trouver des candidats intéressés à devenir des recrues. L’objectif de notre première initiative était d’accroître la représentation des femmes. La deuxième initiative, qui s’est déroulée l’été dernier, visait les peuples autochtones. La troisième initiative qui aura lieu, OPP Asia Experience, vise les collectivités asiatiques. Nous tâchons d’établir des liens avec les collectivités où nous avons une représentation plus faible afin de susciter un intérêt, tant au niveau de la participation communautaire qu’au niveau du recrutement.
Cette initiative a suscité énormément de curiosité et d’intérêt, et je crois que nous avons réussi à éveiller l’intérêt dans un certain nombre de collectivités. Permettez-moi de vous en donner un exemple. Lorsque nous avons mis sur pied l’initiative à l’intention des femmes, nous avions prévu 100 places dans le cadre d’un programme d’introduction, d’une semaine, au maintien de l’ordre. Nous avons reçu plus de 2 500 candidatures pour ces 100 places. Cela nous a indiqué qu’il existe un intérêt. Nous constatons les mêmes tendances. Les chiffres sont légèrement moins élevés, mais pour chaque place prévue, trois ou quatre personnes présentent une demande. Ce programme leur permet de se familiariser avec les services de police, et les collectivités ont accueilli de façon extrêmement positive cette initiative.
Je crois que dans le cadre de nos prochaines initiatives, il sera nécessaire, surtout en ce qui concerne la communauté multiculturelle de notre province, de créer un répertoire de candidats afin de les intéresser à une carrière dans la police. Cela nous permettra de disposer d’une vaste gamme de compétences, tant au niveau linguistique qui nous permettra de travailler dans les collectivités et de communiquer avec les collectivités, de même qu’avec des comités consultatifs communautaires. Je travaille avec deux comités consultatifs communautaires qui nous ont fourni des conseils extrêmement utiles sur des initiatives de ce genre.
M. Vince Bevan, chef, Service de police d’Ottawa: Il ne fait aucun doute que le Service de police d’Ottawa entretient des liens très étroits avec notre collectivité, et nous avons reconnu depuis un certain temps que nous devons améliorer notre travail en ce qui concerne cet aspect en particulier. À l’heure actuelle, 21 p. 100 des gens qui vivent à Ottawa sont nés à l’étranger. Plus de 18 p. 100 de nos résidents ici à Ottawa font partie des minorités visibles.
Il y a environ deux ans, nous avons commencé une étude avec la School of Business de l’Université Carleton afin d’établir un plan d’affaires. L’année dernière, nous avons concrétisé ce plan d’affaires en un plan d’action. Nous avons adopté un programme d’extension en matière de recrutement en collaboration avec des partenaires communautaires. Nous faisons appel aux chefs de file des communautés multiculturelles afin qu’ils nous aident à déterminer les candidats appropriés au sein de leur collectivité pour que nous puissions travailler en collaboration avec eux de manière à nous assurer qu’ils possèdent les compétences voulues pour faire carrière dans la police.
L’automne dernier, j’ai rencontré notre commandement exécutif, et tous nos officiers supérieurs, et nos gestionnaires intermédiaires, particulièrement au niveau de sergent et sergent-chef, pour parler du plan d’affaires, pour discuter des raisons pour lesquelles notre organisation doit être plus diversifiée. Ce n’est pas simplement parce que nous voulons refléter la collectivité que nous servons. Il existe des raisons opérationnelles. Si nous ne parlons pas la langue que parlent les membres de nos collectivités et que nous n’arrivons pas à communiquer avec elles, cela suscitera des malentendus et de la méfiance entre la police et les collectivités. Si nous sommes incapables de comprendre les raisons culturelles qui motivent certaines activités, nous serons défavorisés.
Le crime organisé peut revêtir bien des formes. Si nous ne comprenons pas ce qui se passe parce que nous ne comprenons pas la culture et la langue, alors nous ne serons pas en mesure de nous acquitter efficacement des problèmes liés au crime organisé. C’est rendre un mauvais service à l’ensemble de la collectivité.
Nous avons travaillé d’arrache-pied. Nous tenons à nous assurer que notre organisation est accueillante. Une fois que nous recrutons des gens, nous prenons des mesures depuis neuf mois, ainsi qu’à l’heure actuelle, pour nous assurer d’être une organisation accueillante pour que les personnes que nous recrutons et qui possèdent les qualités voulues, se sentent les bienvenues. Si elles se sentent appréciées au sein de l’organisation, elles y resteront et auront de bonnes choses à dire à propos de la police d’Ottawa, ce qui encouragera d’autres personnes à poser leur candidature.
Cette semaine, je vais assermenter un nouveau groupe de recrues dont 50 p. 100 reflètent la diversité de la société canadienne. Je peux certainement vous faire parvenir, sénateur, un article que nous avons rédigé pour une revue professionnelle de la police et une publication sur les ressources humaines au Canada.
[Français]
Malheureusement, c'est disponible seulement en anglais.
[Traduction]
Je suis certain qu’on pourrait le faire traduire. Je peux certainement vous le faire parvenir.
Le sénateur Day: Monsieur Bevan, nous pouvons certainement nous occuper de le faire traduire si vous pouviez en remettre un exemplaire à la greffière.
La loi stipule que pour prouver qu’il y a infraction de terrorisme, il faut démontrer l’existence de motifs religieux, idéologiques ou politiques. Je me demande si vous avez réfléchi à cette exigence. Est-elle nécessaire et souhaitable et est-ce qu’elle n’amène pas vos policiers à s’adonner automatiquement au profilage racial?
M. Zaccardelli: Vous posez là une excellente question, sénateur Day. Si vous vous reportez à la loi, vous constaterez que la définition n’est peut-être pas aussi claire qu’elle pourrait l’être. Nous souhaitons recueillir de l’information et du renseignement sur des activités de nature criminelle. Notre seul intérêt est de procéder à l’enquête et d’intenter des poursuites pour les infractions au Code criminel.
Comme bon nombre d’entre vous le savent, nos pouvoirs à cet égard sont strictement encadrés puisque nous devons obtenir l’approbation du procureur général. Ensuite, nous devons obtenir le feu vert d’un juge, ce qui permet d’assurer un très bon équilibre. Nous savons fort bien que nous ne devons pas nous intéresser exclusivement aux antécédents religieux d’une personne ni encore à ses idées politiques. C’est l’acte commis qui nous intéresse. Si cet acte est contraire au Code criminel, si la personne a manifesté son intention de commettre un tel acte, c’est là-dessus que porte notre enquête. Nous enquêtons sur le crime.
Le sénateur Day: Quand vos agents portent des accusations relatives à un acte terroriste, ne tiennent-ils pas compte de la motivation?
M. Zaccardelli: La motivation est un facteur à prendre en compte. Nous discutons bien sûr de la motivation. Toutefois, n’oubliez pas, surtout dans le cas qui nous occupe, qu’avant que nous ne fassions quoi que ce soit, les hauts dirigeants de l’organisation policière doivent donner leur autorisation et la décision est ensuite soumise à la Couronne pour qu’elle donne son feu vert. Il existe des garde-fous pour garantir que l’enquête ne porte pas uniquement sur les idées politiques ou les antécédents religieux d’une personne mais plutôt sur les actes qu’elle commet et qui constituent peut-être une infraction criminelle.
Le sénateur Day: Avez-vous besoin des dispositions relatives aux accusations qui stipulent que vous devez prouver la nature des motifs de l’infraction? Est-ce utile ou est-ce que cela vous nuit dans vos activités policières?
M. Zaccardelli: Nous appliquons en définitive la loi telle qu’elle a été proclamée.
Le sénateur Day: Je le comprends, et nous examinons la loi afin de déterminer si elle doit être maintenue en l’état ou si elle doit être modifiée. Je vous interroge sur ce critère en particulier qui prévoit que vous teniez compte de la motivation, ce qui n’est pas courant dans le cadre d’une enquête criminelle normale. Vous savez que les collectivités minoritaires ont déposé de nombreuses plaintes de profilage racial. Vous niez pratiquer le profilage racial. Il se peut que vous ne le fassiez pas de propos délibéré mais que la loi amène vos agents à pratiquer un type de profilage racial du fait qu’ils doivent tenir compte de la motivation de ceux qui commettent certains actes.
M. Zaccardelli: Je vais demander à mes collègues de répondre à votre question. Toutefois, je dois préciser que je serai en faveur de tout éclaircissement des dispositions de la loi. À mon avis, la loi n’amène pas nos enquêteurs à pratiquer le profilage racial qui est totalement interdit. Si je dis cela avec une certitude absolue c’est que toute enquête menée sur un acte terroriste doit être approuvée par les hauts gradés de l’organisation et il y a un suivi très serré. Rien n’est fait sans que les hauts dirigeants de l’organisation ne donnent leur feu vert. Cela ne se fait pas dans d’autres domaines de l’application de la loi.
Le sénateur Day: Est-ce que seuls les plus haut gradés reçoivent la formation pour éviter le profilage racial, ou est-ce que vous donnez cette formation à tout le monde, et de quel type de formation s’agit-il?
M. Zaccardelli: Tout le monde suit cette formation. Elle commence dès le premier jour de présence à l’académie. Je peux dire avec certitude que toutes les académies de police de notre pays ont un programme très complet de formation pour les recrues. Cette formation se poursuit en permanence pendant toute la carrière du policier — il s’agit de formation psychosociale et de tout le reste. Et n’oubliez pas qu’un très petit nombre d’agents de police travaillent dans ce domaine. Ainsi, à la GRC, sur plus de 23 000 employés, moins de 300 travaillent dans ce domaine.
Le sénateur Day: Et tous les employés reçoivent cette formation?
M. Zaccardelli: Oui, car le profilage racial va bien au-delà de ce seul domaine, de même que la formation psychosociale. Par exemple, nous faisons des séances de sensibilisation à la réalité autochtone, qui visent à répondre aux besoins de nos collectivités autochtones et à sensibiliser nos policiers aux besoins culturels des Autochtones.
Tous les policiers suivent cette formation, mais certains suivent en outre des cours spéciaux. Les enquêteurs de haut rang suivent un cours très particulier dans le cadre de la formation générale avant qu’ils ne commencent à travailler dans ces domaines. Je voudrais demander à la commissaire Boniface de vous en dire plus à ce sujet.
Mme Boniface: Si vous me permettez de revenir à votre question sur l’article proprement dit, pour autant que je connaisse l’historique de cette loi, elle a été mise en place pour limiter tout particulièrement l’élément de contestation. Je suis d’accord avec le commissaire Zaccardelli: si l’on peut préciser cette disposition, c’est essentiellement une question de conception philosophique. Il serait plus facile de répondre à votre question si nous en connaissions l’alternative. Cependant, si vous pouvez préciser une disposition ou en éclairer la signification de ce point de vue, nous serons parfaitement d’accord.
M. Bevan: Par ailleurs, j’aimerais confirmer ce qu’a dit le commissaire Zaccardelli et parler de la formation. Nous avons reconnu d’emblée, immédiatement après le 11 septembre, que la communauté musulmane et arabe allait s’inquiéter de l’éventuelle réaction des Canadiens, voire même des autorités, à leur présence dans notre collectivité. C’est le 14 septembre 2001 — notamment parce que nous avons d’étroites relations avec nos différentes communautés — que nous avons invité les personnalités dirigeantes de la communauté musulmane et arabe à se présenter avec tous les leaders religieux. Nous les avons rencontrés à Ottawa afin de leur confirmer que toute attaque contre un groupe quelconque de notre communauté est une attaque contre chacun d’entre nous.
À partir de là, les services de police ont poursuivi le travail, conjointement avec la GRC, pour former tous les policiers. Nous avons consacré plus d’énergie à les former sur cette question que sur la loi antiterroriste.
Nous travaillons avec le Council on American-Islamic Relations Canada, CAIR-CAN, que nous rencontrons régulièrement. En février 2002, nous avons invité des membres de cet organisme pour qu’ils donnent de la formation à nos policiers. Nous avons invité nos partenaires de la GRC et la formation des policiers de première ligne s’est poursuivie en permanence depuis lors.
Chaque année, les membres du Conseil rencontrent nos patrouilleurs et deux fois par an, ils viennent parler des questions culturelles à nos enquêteurs qui travaillent dans ce domaine avec la GRC. Je peux même vous signaler, sénateur, que depuis le début de 2005, CAIR-CAN a donné deux fois de la formation à nos unités spécialisées. Nous travaillons en étroite collaboration avec cette communauté pour éduquer nos agents, car certains éléments de cette communauté se sentent ciblés.
Le sénateur Day: Il ne me reste guère de temps, mais je voudrais vous féliciter de la formation que vous donnez en matière de sensibilisation et de profilage racial. Je vous invite également à continuer le recrutement auprès des minorités visibles et ethniques, puisque vous dites que vous le faites déjà.
La présidente: Chers collègues, nous avons eu un très bon début de discussion avec nos premiers intervenants. J’en ai six autres sur la liste, et il nous reste à peu près 60 minutes; je vous demande donc d’être aussi précis que possible.
Le sénateur Kinsella: Merci, madame la présidente. Compte tenu de la composition du groupe de témoins, je ne sais pas exactement à qui je dois m’adresser. Commençons par le commissaire Zaccardelli. Il a attiré notre attention sur l’importance d’une action concertée de tous les corps de police canadiens. Si un représentant de la Sûreté du Québec était présent, j’aurais insisté sur cet argument.
Précisons les choses, monsieur le commissaire. La GRC est la principale responsable quant à l’intention criminelle en cas d’attaque contre la sécurité nationale; c’est donc elle qui dirige les forces de police au Canada. Est-ce bien exact?
M. Zaccardelli: C’est exact, sénateur Kinsella.
Le sénateur Kinsella: La semaine dernière, la vérificatrice générale a publié un rapport traitant des questions d’urgence. Si j’ai bien compris ce qu’elle nous dit dans ce rapport, elle soulève des préoccupations concernant la structure de commandement et de contrôle. Avez-vous consulté son rapport sur ce point?
M. Zaccardelli: Je n’ai pas lu son rapport, mais j’ai des collaborateurs qui l’étudient. Il m’a semblé qu’on y tenait des propos assez élogieux à notre endroit, et j’en étais bien content, mais je ne l’ai pas lu intégralement.
Le sénateur Kinsella: J’ai constaté qu’elle se dit assez préoccupée de l’ensemble de la structure de commandement et de contrôle du secteur public canadien. Je voudrais vous interroger sur les questions techniques. Bien que la vérificatrice générale n’ait pas fait de reproches à la GRC, elle semble préoccupée de l’intégration de tous ces autres organismes dans la structure d’ensemble. Quel sera le ministre qui devra ultimement en rendre compte au Parlement? Est-ce que ce sera le ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté, le ministre de la Justice ou le ministre de la Sécurité, dont vous relevez et dont relèvent les autres organismes?
Pour présenter les autres éléments de la question que je m’efforce de formuler, au Québec, la Sûreté du Québec joue un rôle essentiel dans la répression des activités criminelles en matière de sécurité, conformément au Code criminel. Dans ce secteur juridictionnel, c’est la Sûreté du Québec qui joue un rôle essentiel, sinon le rôle principal. Vos activités sont-elles intégrées au plan intérieur?
M. Zaccardelli: Sénateur Kinsella, vous venez de poser la question qui est sans doute la plus importante depuis le 11 septembre. En réalité, nous considérons la sûreté et la sécurité comme un tout ininterrompu, c’est-à-dire que toutes les autorités policières à tous les niveaux — fédéral, provincial ou municipal — ont un rôle à jouer. Le défi a consisté à faire en sorte que les différents organismes et les différents paliers de gouvernement s’acquittent de leur mandat de façon intégrée et homogène afin d’assurer la sécurité du pays et de contrer les menaces.
Nous sommes convaincus que si l’on applique le principe d’une police intégrée axée sur le renseignement, le tout peut être bien supérieur à la somme de ses composantes. C’est ce que nous nous efforçons de promouvoir chaque fois que nous en avons l’occasion.
En réalité, les pouvoirs sont divisés dans notre pays. Aux termes de la loi fédérale, la GRC est principalement responsable des enquêtes sur les activités criminelles qui menacent la sécurité nationale, mais cela ne me confère pas pour autant des pouvoirs exclusifs en tant que commissaire. Au contraire, qu’il s’agisse d’un commissaire municipal ou provincial ou du directeur de la Sûreté du Québec, tous ont le droit d’enquêter sur n’importe quel événement dans un domaine lié à la criminalité qui pourrait menacer la sécurité nationale.
Grâce au principe de l’intégration, nous collaborons pour le bien du pays. Des équipes intégrées sont en place au Québec, en Ontario et dans l’ensemble du pays. Grâce à elles, les corps de police et les différents niveaux de gouvernement se réunissent pour aborder conjointement les problèmes; chacun apporte sa contribution.
D’un point de vue pratique, ce n’est pas un problème pour les autorités policières. Nous discutons pour savoir qui va assurer la coordination. J’estime que depuis le 11 septembre, nous avons bien réussi à montrer au monde entier à quel point le Canada est passé maître dans l’art de la concertation, que ce soit au niveau fédéral, provincial ou municipal.
Dans son nouveau ministère, la ministre McLellan assume la responsabilité première au niveau fédéral, mais pour agir efficacement — et je le dis avec le plus grand respect — elle a besoin de la collaboration de ses homologues provinciaux, et elle l’obtient effectivement. Il y a des rencontres et des discussions, et nous avons tous contribué à cet effort.
L’intégration réussit dans notre pays, et ce n’est pas parce qu’on a adopté une loi disant qu’il faut agir de façon intégrée. L’intégration se produit parce que nous sommes convaincus que dans l’intérêt du Canada, des provinces et des municipalités, il faut tirer conjointement parti de nos ressources collectives.
Le sénateur Kinsella: La Loi antiterroriste confère des pouvoirs aux agents de police; y a-t-il de la coordination entre les différents corps de police quant à l’utilisation de ces pouvoirs, notamment en matière d’arrestation préventive? Savez-vous si la Sûreté du Québec va les invoquer? Est-ce qu’on coordonne l’utilisation de ces pouvoirs extraordinaires conférés par le Parlement?
M. Zaccardelli: Oui, sénateur. Grâce à la création des équipes intégrées, on sait exactement ce qui se passe dans toutes les régions du pays lorsqu’on fait enquête dans ce domaine. Tout d’abord, lorsqu’une enquête est diligentée, toute la communauté policière en est informée et l’équipe convient de ce qu’il faut faire. Par la suite, s’il faut prendre d’autres mesures, qu’il s’agisse de porter des accusations ou de tenir une audience d’enquête, l’équipe, les corps de police et les gouvernements sont informés de ce qui se passe. Dans un cas particulier, par exemple, il faut obtenir l’approbation du procureur général et d’un juge. Les faits sont présentés au juge. Ce n’est pas la police qui prend ces décisions. Il est très important de bien le comprendre. Le juge détermine si une audience va avoir lieu, s’il convient d’imposer des conditions au déplacement d’un individu, etc.; ce n’est pas la police qui en décide. C’est une situation particulière compte tenu des pouvoirs conférés à la police, mais ces pouvoirs sont contrebalancés par le fait que la police ne peut pas faire n’importe quoi — je ne peux pas contraindre qui que ce soit à comparaître à une audience d’enquête. Seul le juge peut l’exiger. Moi, je ne peux pas, et il y a donc de ce point de vue un certain équilibre.
Le sénateur Kinsella: Monsieur le commissaire, certains prétendent qu’aux États-Unis, on a l’impression que le Canada n’agit pas très énergiquement contre le terrorisme. Certains Américains ont l’impression que notre frontière est une passoire. Le nouvel ambassadeur canadien aux États-Unis a réagi à cette tendance dans une lettre publiée la semaine dernière et adressée au New York Times. Mais c’est une impression qu’ont les gens. Dans les relations entre les forces de police canadienne et américaine, est-ce que cette impression est partagée par vos interlocuteurs américains, qu’il s’agisse du FBI ou de la CIA, quant au travail que vous faites avec vos collègues canadiens pour lutter contre le terrorisme en invoquant parfois les pouvoirs que vous confère la Loi antiterroriste, tandis que vos homologues américains, le FBI, la CIA et les autres, invoquent les pouvoirs que leur confère la Patriot Act? Quelle impression ont-ils de ce que nous faisons au Canada?
M. Zaccardelli: Je voudrais dire deux choses à ce sujet, sénateur. Tout d’abord, d’après tout ce que j’entends ou que l’on me dit dans mes rapports avec mes homologues américains, ils nous sont véritablement reconnaissants du travail que nous avons fait pour eux dans les circonstances qu’ils ont connues au moment du 11 septembre. Ils ont la plus haute estime pour la police canadienne. En fait, un certain nombre de mesures policières prises aux États-Unis ont été des initiatives dont nous avons discuté avec les Américains et dont nous leur avons fait la proposition. Au niveau opérationnel, notre travail s’effectue dans le plus grand respect et dans l’harmonie. Je peux vous assurer que pour les Canadiens et les Américains sur le terrain, c’est une machine qui fonctionne efficacement et sans à-coups.
Je reconnais que l’impression dont vous parlez existe au Canada. J’en conviens avec vous. Je vais vous donner un exemple. Il y a deux semaines, j’ai accueilli le secrétaire général d’Interpol au Canada. Il était en visite dans notre pays. Interpol est la plus grosse organisation internationale en dehors des Nations Unies; 182 pays y participent. Lors d’une conférence de presse, un journaliste lui a demandé s’il était vrai que le Canada était la voie expresse permettant aux terroristes d’entrer aux États-Unis. Je vais paraphraser sa réponse, mais voici à peu près ce qu’il a dit: je suis citoyen américain et je dois vous dire que les gens de mon pays ne se trompent qu’à moitié lorsqu’ils disent que le Canada est la super voie rapide permettant aux terroristes d’entrer aux États-Unis. La moitié vraie de l’énoncé, c’est que le Canada est un super pays. Il a dit que le Canada était un chef de file quant à ses méthodes policières et quant à ce qu’il fait pour aider les autres pays. Il est très fier de la part du travail que le Canada assumait. Ce n’est pas une passoire; ce n’est pas la super voie rapide dont les États-Unis devraient s’inquiéter.
Nous avons des défis à relever dans ce domaine, comme n’importe qui. C’est pourquoi nous considérons qu’il faut cesser de se demander qui a raison et qui a tort. Parlons plutôt de la façon dont nous pouvons faire fond commun de nos ressources de façon que le tout soit plus grand que la somme de ses composantes. Il n’y a rien dont les Canadiens devraient avoir honte. Nous agissons sur différents fronts pour protéger non seulement le Canada, mais également les États-Unis et d’autres pays du monde.
Finalement, nos amis américains font la même chose que nous ici, au Parlement. Ils sont en train de réviser la Patriot Act comme nous révisons notre loi antiterroriste. L’un de nos collègues américains, le sénateur Larry Craig, a proposé des amendements à la Patriot Act; il s’agit essentiellement de garanties supplémentaires pour protéger les libertés civiles. Sa démarche a reçu des appuis importants.
Il est important que les membres de ce comité comprennent la rhétorique entourant notre propre souveraineté nationale et que nous prendrons nos propres décisions au Canada, mais il serait naïf de ne pas rester à l’écoute de tout ce qui se passe autour de nous.
De nombreux sénateurs américains, dont le sénateur Craig, ont reconnu que la Patriot Act comporte des pouvoirs extraordinaires, et ils souhaitent y apporter des modifications.
Est-ce que vous accepteriez facilement l’idée que le comité recommande au Parlement d’apporter des modifications à la Loi antiterroriste? Nous n’avons pas encore invoqué le pouvoir de détention préventive, ni peut-être certains autres pouvoirs.
M. Zaccardelli: Je vais solliciter l’avis de mon collègue. Je sais qu’il est tentant de dire que nous n’avons pas invoqué certaines dispositions et qu’en conséquence, nous n’en avons pas besoin. Mais il faut faire ici preuve de prudence. Personne n’a été accusé de détournement d’avion récemment dans notre pays, mais le Code criminel comporte néanmoins un article sur les détournements d’avion. Personne n’a été accusé de trahison, mais nous avons des articles où il en est question. Dans un domaine comme celui-ci, où on a des indications concernant des menaces réelles ou éventuelles, l’essentiel est de disposer d’outils dont on pourra se servir immédiatement en cas de besoin. Je vous invite donc à la prudence quant aux recommandations que vous pourrez faire dans ce domaine.
J’aimerais bien savoir ce que pensent M. Bevan et Mme Boniface à ce sujet.
M. Bevan: Monsieur le sénateur, j’appuierai assurément le commissaire Zaccardelli là-dessus. C’est une loi bien conçue. On s’aperçoit qu’elle est singulièrement canadienne quand on la compare à d’autres lois, notamment la Patriot Act adoptée aux États-Unis.
J’aime à faire l’analogie avec une police d’assurance. On n’annule pas son assurance, parce qu’on n’a pas eu de problème dans son quartier. À jour, quelqu’un pourrait malheureusement entrer par effraction chez vous et commettre un acte répréhensible quelconque. Ce jour-là, on aimerait bien pouvoir compter sur sa police d’assurance.
Cette loi a un caractère très préventif qui donne aux forces de l’ordre de notre pays le moyen d’intervenir dans l’éventualité où des problèmes surviennent de temps à autre. Certes, la loi n’a pas servi jusqu’à présent ou du moins certaines de ses dispositions n’ont pas été utilisées jusqu’à présent, mais cela ne devrait pas signifier que nous n’avons pas besoin de ce genre de pouvoir pour nous attaquer aux problèmes qui risquent de survenir à l’avenir.
Mme Boniface: Il est important pour le Canada d’être un acteur sur la scène mondiale, et la loi qui a été mise en place s’inscrit dans le cadre de la réaction au terrorisme. D’après ce que nous avons vu autour du monde depuis le 11 septembre, il est évident que nous avons besoin d’une loi comme celle-ci dans notre arsenal.
Le sénateur Joyal: Monsieur Zaccardelli, je voudrais revenir à la question de la sécurité frontalière. C’est une question clé, bien entendu, qui concerne le Canada et les États-Unis.
Récemment, en regardant la CBC, j’ai appris que l’année dernière, le nombre de voitures qui ne se sont pas arrêtées à un poste frontière a voisiné le 1 600, tandis que dans les années antérieures, il était de 700 ou de 800. Je ne me rappelle pas des chiffres exacts. S’agit-il d’une tendance? Comment pouvons-nous expliquer que, tout d’un coup, le nombre de personnes tentant de rentrer au Canada sans s’arrêter à un poste frontière a augmenté?
M. Zaccardelli: Monsieur le sénateur, je n’ai pas de chiffres précis qui confirment ou infirment une hausse par rapport aux années précédentes, mais je sais par contre que le fait de tenter de franchir la frontière sans s’arrêter n’est pas quelque chose de nouveau. En effet, c’est quelque chose qui arrive depuis des années.
Le sénateur Joyal: Pourriez-vous nous fournir des statistiques, parce que c’est une question importante sur laquelle nous allons devoir se pencher.
En franchissant la frontière hier, je ne pouvais m’empêcher d’avoir ces chiffres à l’esprit. La seule chose qui empêchait les voitures de quitter la voie réservée aux voitures en file d’attente était un petit cône en plastique orange haut de quelque 60 cm. N’importe quelle voiture avec un bon pare-chocs aurait pu le franchir. N’aurait-on pas intérêt à utiliser une barrière quand les postes sont fermés? Au moins, cela empêcherait les gens de passer. Nous n’avons pas besoin d’une commission royale d’enquête sur la sécurité pour arriver à cette conclusion, ni de milliards de dollars non plus. On pourrait simplement laisser les barrières, au lieu d’utiliser des cônes orange que n’importe qui peut franchir. Cela relève de qui?
M. Zaccardelli: J’admets qu’il y a bien des choses pratiques que nous pouvons faire. En fait, c’est précisément ce qu’on est en train de faire. Depuis le 11 septembre, le plan en 30 points convenu entre le Canada et les États-Unis a fait l’objet de discussions au niveau ministériel en vue d’améliorer le flux commercial et faire en sorte que nous puissions interdire à des individus, après évaluation des risques, de franchir la frontière. C’est ce que nous sommes en train de faire. De plus, nous construisons des routes et mettons en place un plus grand nombre de systèmes de sécurité.
En tant que forces policières, nous sommes consultées sur ce que nous devrions faire à ce niveau-là, mais ce n’est pas nous qui prenons les décisions. Celles-ci sont prises au niveau ministériel. La frontière est la compétence du ministère du Revenu.
Et ce qui importe plus, et ce point est ressorti dans la première question du sénateur, c’est qu’il y a plusieurs postes frontières qui ne sont pas gardés, ce qui constitue un problème pour nous. Nous avons 8 000 kilomètres de frontière. Comment alors gérer le problème d’une frontière aussi vaste? Souvent, j’entends cette question: Pourquoi ne règle-t-on pas le problème de la frontière au Québec? Qu’en est-il des autres provinces? La solution n’est pas de combler une lacune ou deux. Il s’agit de trouver une solution qui règle le problème des 8 000 kilomètres. Nous ne croyons pas qu’il soit possible d’avoir les ressources suffisantes pour poster des agents de police ou des agents de douane tout au long de cette frontière. Par conséquent, nous croyons en la constitution d’une masse critique d’équipes qui soient placées de manière stratégique et qui puissent nous fournir de bonnes informations ou de bonnes preuves d’activités non souhaitables. Telle a donc été notre réponse stratégique à ce défi en collaboration avec nos amis américains.
Les Américains ont une patrouille frontalière, mais même eux vous diront qu’ils ne peuvent pas contrôler toute la frontière. Regardez la frontière sud, par exemple.
Le sénateur Joyal: Je vous parle du Canada. La frontière mexicaine, c’est une autre paire de manches. Nous aurons probablement l’occasion de soulever ce point à un moment donné.
Qu’arrive-t-il quand un véhicule franchit la frontière sans s’arrêter? Est-ce qu’on le signale au détachement de la GRC le plus proche? Quel type d’enquête faites-vous?
M. Zaccardelli: La politique veut que ce soit l’agent des douanes qui décide de le signaler ou non au service policier le plus proche de son poste. Ensuite, la police en question détermine si elle a les ressources ou la capacité nécessaires pour intervenir. Voilà la procédure. Il se peut que ce soit un détachement de la GRC, mais il se peut aussi que ce soit un bureau de la Police provinciale de l’Ontario ou un bureau de la Sûreté du Québec. C’est la procédure que nous suivons.
Le sénateur Joyal: Fait-on automatiquement un rapport sur un véhicule de ce genre si on réussit à relever le numéro de la plaque d’immatriculation et à fournir une description du véhicule ou des détails le concernant qui permettent aux forces policières d’entamer une enquête?
M. Zaccardelli: Non, pas automatiquement. On n’a pas d’agents de police qui attendent dans leur voiture pour prendre en chasse un véhicule qui franchit illégalement la frontière. C’est une question de ressources.
Le sénateur Joyal: C’est essentiellement une question de ressources. Si quelqu’un franchit la frontière sans s’arrêter, il y a un risque, et je ne veux pas mesurer le risque en termes de proportions, mais il y a bel et bien un risque que l’individu s’en tire impunément.
M. Zaccardelli: Oui, c’est quelque chose qui arrive.
Le sénateur Joyal: Comment expliquez-vous le fait que le nombre d’individus qui ne s’arrêtent pas à un poste frontière semble être à la hausse? Doit-on en conclure qu’il y a quelque chose qui ne marche pas dans le système, que les gens voient cette échappatoire et décident de foncer sans s’arrêter.
M. Zaccardelli: Vous avez raison monsieur le sénateur. Il pourrait y avoir diverses raisons. Si les Américains apportent une modification mineure à leur politique d’immigration, on a l’impression que celle-ci deviendra plus stricte, et cela pourrait avoir un impact sur le mouvement des personnes. C’est quelque chose qui arrive pour toutes sortes de raisons; je l’admets.
Mon rôle, et celui de mes collègues aux niveaux provincial, fédéral et municipal, est de réexaminer nos ressources collectives, de les gérer et de les utiliser de la façon la plus efficace et la plus efficience possible. C’est ce que nous tentons de faire, et c’est ce que nous sommes en train de faire.
Le sénateur Joyal: Je ne veux pas créer de pire scénario, mais en d’autres termes, un terroriste pourrait franchir la frontière avec des explosifs ou des substances dangereuses pourvu que son véhicule soit suffisamment puissant pour traverser. Le risque que ce terroriste puisse s’en tirer impunément est réel.
M. Zaccardelli: Certaines choses sont possibles. Le cas d’Ahmed Rassam en est un bon exemple.
Le sénateur Joyal: Je n’allais pas le citer.
M. Zaccardelli: Nous le connaissons tous. Le grand public le connaît. M. Rassam a été arrêté par un agent à la frontière, ce qui montre que le système a marché. Encore une fois, monsieur le sénateur, nous devons protéger 8 000 kilomètres de frontière et je crois que nous le faisons avec beaucoup d’efficacité en collaboration avec nos collègues mais aussi avec nos amis américains de l’autre côté. Nous avons intégré nos systèmes radio. Nous utilisons les mêmes politiques maintenant. Nous faisons partie des mêmes équipes, et ce, dans le but d’accroître l’efficacité et l’efficience de notre présence des deux côtés de la frontière. Je suis fier de ce que nous avons accompli depuis le 11 septembre 2001 pour renforcer cette présence.
Suis-je en mesure de vous dire que chaque individu et chaque voiture seront obligés d’arrêter à un poste frontière? Je ne peux vous le garantir, mais je sais à quel point nous avons amélioré l’efficacité de notre frontière.
Le sénateur Joyal: Avez-vous des statistiques sur la situation dans l’autre sens? Combien d’individus provenant du Canada franchissent de force la frontière américaine? Combien d’entre eux sont arrêtés? Quelle est leur capacité à intervenir pour arrêter ces individus?
M. Zaccardelli: Je n’ai pas de telles statistiques, mais je peux demander à mes amis du Department Homeland Security s’ils peuvent vous faire part de renseignements que nous pourrions partager avec le comité, monsieur le sénateur.
La présidente: Merci beaucoup. Je rappellerai aux membres du comité que nous allons entendre de nouveau le sénateur — je passe mon temps à vous inclure dans notre groupe — commissaire Zaccardelli.
M. Zaccardelli: J’ai déjà énormément de difficulté à être simplement commissaire.
La présidente: Le commissaire et certains de ses collaborateurs seront de retour à une autre occasion, et nous pourrons alors leur poser d’autres questions.
Le sénateur Fraser: Le profilage racial, comme vous le savez, constitue une grande source d’inquiétude pour bien des gens. Vous avez dit, sans ambages, monsieur Zaccardelli, que la GRC ne fait pas de profilage racial. Je me trompe peut-être là-dessus, mais j’ai certainement l’impression que certaines formes de profilage sont un outil précieux dans les enquêtes criminelles. Quelle différence y voyez-vous? Qu’est-ce que la GRC ne fait pas quand vous dites qu’elle ne fait pas de profilage racial?
M. Zaccardelli: Quand je dis que nous ne faisons pas de profilage racial, j’entends par cela que nous ne ciblons pas un individu du simple fait de sa couleur de peau, de sa religion ou de ses croyances. C’est ce qui est à la base du profilage. Par exemple, nous ne faisons pas de profilage de personnes qui ont une certaine couleur de peau.
Quand nous parlons de profilage, nous entendons le profilage criminel. En effet, nous dressons le profil d’un individu impliqué dans certaines activités criminelles ou qui risque d’être impliqué dans des activités criminelles. Que ces individus soient de race noire, blanche ou jaune ne nous importe pas. C’est la différence que nous faisons. Nous établissons des profils sur la base d’information ou de renseignements de sécurité solides qui nous amènent à croire que des individus sont impliqués dans une activité criminelle.
C’est une question fondamentale pour nous, et il est important d’avoir une perspective globale. L’essentiel de cette histoire a commencé en Ontario, et d’ailleurs mes deux collègues peuvent vous en parler clairement.
Mme Boniface: Premièrement, je suis d’accord, et deuxièmement, des efforts considérables ont été déployés pour faire en sorte que nos agents de première ligne le comprennent clairement. À la Police provinciale de l’Ontario, nous menons des activités de sensibilisation à tous les niveaux. De cette façon, les supérieurs peuvent s’exprimer sur ce sujet en répondant à des questions et en ayant des échanges. Ils comprennent l’ampleur du sujet, l’inculquent aux unités spécialisées ainsi qu’aux agents de première ligne. Manifestement, aux États-Unis, le profilage est devenu un problème de taille dans les arrestations d’automobilistes. Dans notre cas, nous avons agi au moyen de politiques au sein de notre organisation qui favorise l’interpellation des automobilistes de manière professionnelle. On peut parcourir pas à pas avec les agents, au moyen de la formation et des politiques, le processus mental qui doit suivre avant de décider d’arrêter ou non un automobiliste. On peut faire la même chose avec les unités spécialisées pour le type de travail auquel le commissaire Zaccardelli a fait allusion.
M. Bevan: La position de notre service de police est connue officiellement grâce aux déclarations que nous avons faites au sujet du profilage racial, mais surtout, grâce à ce que nous avons fait. Je ne vais pas répéter ce que mes collègues ont déjà dit, mais nous devons reconnaître à l’interne que nous œuvrons dans un milieu qui emploie des humains, et parfois les gens ont des points de vue divergents. Nous avons mis en place des lignes directrices et des normes claires, et nous les appliquons. Le profilage racial est une infraction au terme de notre code de conduite, et quiconque fait du profilage racial doit en rendre compte. En outre, nous avons des activités de sensibilisation et de formation. Nous travaillons avec notre communauté. Nous avons aussi des normes de reddition de comptes.
Le sénateur Fraser: Avez-vous eu à discipliner un membre de vos forces au cours des trois dernières années pour profilage racial?
M. Bevan: Pas au sein de l’organisation que je représente.
M. Zaccardelli: Je n’ai pas de cas précis à vous citer. Par contre, c’est vrai que dans un certain nombre de cas il y a eu des allégations de ce genre. Ces affaires ont été portées devant la commission des plaintes du public, mais je ne pourrais pas vous en donner le nombre exact. Pour ma part, j’ai récemment été confronté à une affaire où l’une des allégations portait justement sur le profilage racial. Au bout du compte, on a déterminé que la personne concernée avait contrevenu à notre code de conduite, mais le tribunal a conclu que rien n’indiquait qu’elle avait eu recours au profilage racial. Moi, j’avais peur que le comportement de la personne en cause ait été motivé par ce type de profilage. Le tribunal a déterminé qu’il y avait eu agression, mais n’a pas été jusqu’à dire que la motivation était d’ordre racial.
Mme Boniface: Je ne me souviens que de questions de mauvaise conduite. Il n’y a pas de cas précis qui me viennent à l’esprit, mais si vous le voulez je pourrais vous revenir là-dessus.
Le sénateur Fraser: J’aimerais bien que vous y reveniez tous les deux.
Ma deuxième question porte sur la Commission des plaintes du public contre la GRC. Il s’agit d’un organisme qui reçoit les plaintes; une enquête n’est menée que si quelqu’un formule une plainte. Le problème, c’est qu’il n’est pas toujours évident de savoir pourquoi du jour au lendemain il vous est impossible de trouver du travail ou que vos voisins ne vous adressent plus la parole. Il est possible que ce soit parce que la police est passée par là pour poser des questions et semer le doute dans l’esprit des gens.
À votre avis, la commission ne devrait-elle pas disposer de plus d’autonomie de sorte qu’elle puisse déclencher des enquêtes sans devoir attendre qu’une plainte soit déposée?
M. Zaccardelli: Je vous remercie d’avoir soulevé cet aspect. Ça me permet d’apporter une correction à ce que vous avez dit. Le président de la Commission des plaintes du public contre la GRC a le droit et l’autorité de lancer une enquête ou des audiences publiques de son propre chef, ce qu’elle a fait à plusieurs reprises.
Par exemple, il y a eu un certain nombre de poursuites en Colombie-Britannique…
Le sénateur Fraser: Désolée de vous interrompre, mais le temps file et je voudrais clarifier quelque chose. D’après ce que j’ai cru comprendre, le président peut initier une plainte de son propre chef, mais il faut qu’il s’agisse d’une plainte précise portant sur une affaire spécifique et non l’examen des procédures de façon générale. Est-ce que je me trompe?
M. Zaccardelli: Oui, vous vous trompez. Et l’exemple des poursuites l’illustre parfaitement. Aucune plainte n’avait été formulée, mais la présidente a quand même lancé une enquête. Nous avons d’ailleurs collaboré avec lui, ce qui a mené à la modification d’un certain nombre de nos politiques.
En vertu de la loi, il est clair que le président peut décider de lancer un examen sur n’importe quelle activité reliée à la GRC. La plupart des examens effectués par la commission sont déclenchés par des plaintes du public au sujet de la GRC. Mais la présidente a quand même souvent usé de son pouvoir pour lancer des examens, surtout dans le cadre d’affaires médiatisées. Elle peut décider de tenir des audiences publiques ou privées.
Le sénateur Andreychuk: L’ensemble des témoins qui ont comparu aujourd’hui ont indiqué que la loi était bien conçue et véritablement canadienne. En tant qu’agents de la paix, pouvez-vous nous dire pourquoi cette loi est véritablement canadienne et pourquoi est-il nécessaire que la définition d’une activité terroriste précise qu’il s’agit d’une activité motivée par des raisons politiques, idéologiques ou religieuses? Comment expliquez-vous le fait qu’au Canada, on ait besoin d’inclure ces aspects dans la loi alors que ce n’est pas le cas dans la plupart des autres pays? Il est vrai que la même définition est employée en Grande-Bretagne, mais le contexte le justifie. Par contre, je ne vois pas pourquoi ce serait nécessaire de l’inclure dans la loi canadienne.
M. Zaccardelli: Pour ce qui est de l’aspect religieux et politique, bien que je ne sois pas avocat, je peux vous dire qu’il est clairement indiqué dans la loi qu’on ne peut pas invoquer les croyances politiques ou religieuses pour justifier une enquête. Les dispositions en question ont été insérées pour tempérer les pouvoirs d’enquête des agents de la paix. C’est une mesure de protection qui, à mon avis, est nécessaire. Il est très clair que c’est interdit.
Le sénateur Andreychuk: Je comprends tout à fait la nature de la mesure de protection. En effet, ce sont les parlementaires qui ont demandé qu’elle soit insérée parce qu’ils s’inquiétaient des conséquences potentielles.
Pourquoi insistez-vous pour que la définition d’activité terroriste inclue les motivations d’ordre politique, idéologique et religieux? Pourquoi ne serait-il pas possible de tout simplement parler d’activités de nature terroriste? Pourquoi vous obstinez-vous à garder ces trois éléments alors que le secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, a présenté une définition générique qui ne fait pas état de ces facteurs? Sachez que la Patriot Act américaine ne comprend pas non plus ces facteurs. Aux États-Unis, aucune contrainte n’empêche les autorités de protéger les citoyens à l’échelle de la planète. Pourquoi continuons-nous à faire référence à ces facteurs, semant ainsi la panique chez certains groupes de notre société? Pourquoi continuez-vous à défendre cette définition?
M. Zaccardelli: Je ne la défends pas et d’ailleurs, nous ne défendons aucune loi. Au bout du compte, notre rôle, c’est l’application de la loi. Nous donnons notre avis, puis les élus choisissent d’adopter ou de ne pas adopter les lois. Notre rôle, c’est de nous accommoder au mieux des lois et de s’assurer qu’elles sont respectées.
Comme je l’ai dit précédemment, nous sommes heureux que cet examen ait lieu. Nous estimons que c’est une bonne idée d’entendre les points de vue des différentes personnes concernées. Ainsi, en apprenant ce que les organismes d’application de la loi ont fait et essaient de faire, vous aurez peut-être une meilleure compréhension de la situation. Nous sommes en faveur de cet examen et serions ravis que vous nous aidiez à mieux comprendre la situation.
Au bout du compte, on acceptera les décisions qui seront prises. Nous assumerons les tâches qui nous incombent, nous serons fidèles à notre mandat et nous mènerons des enquêtes quand la situation l’exige. Au moindre soupçon de menace d’infraction criminelle potentielle, nous lancerons une enquête.
Nous sommes convaincus qu’il y a diverses sections de la loi qui sont utiles, que ce soit les mesures prises pour empêcher les organisations terroristes de passer par des organismes caritatifs pour recueillir des fonds ou les dispositions qui nous aident à mieux identifier les organisations qui risquent de faire du blanchiment d’argent pour faciliter leurs activités terroristes. Tout ça, c’est positif. Nous sommes également d’avis qu’il faut des freins et contrepoids pour contrebalancer ces dispositions de la loi, surtout pour ce qui est des deux articles bien connus qui portent sur les pouvoirs d’investigation, etc. Je pense que ces freins et contrepoids existent déjà dans la loi.
Ces dispositions nous servent bien. Évidemment, si elles n’existaient pas, on ferait toujours notre travail mais, étant donné la nature de la menace potentielle, il est important que nous anticipions tout problème potentiel dans ce domaine. Dans le domaine de l’application de la loi, nous réagissons toujours par rapport aux infractions qui sont commises. Mais dans le cas qui nous intéresse, la menace risque d’être si grave que la capacité de réaction ne nous apportera que très peu de réconfort.
Grâce à cette loi, nous jouons un plus grand rôle de prévention, et c’est en cela que nous pensons que nous avons atteint un juste équilibre, mais l’équilibre n’est pas fixe. Nous sommes évidemment toujours prêts à améliorer notre façon de faire.
Le sénateur Andreychuk: La loi a été adoptée en vitesse après les attentats du 11 septembre. On espérait à l’époque qu’on avait atteint le juste équilibre entre la prévention et les droits. Nous essayons maintenant de déterminer si c’est bel et bien le cas. Vous dites qu’il faut que la loi contienne des outils de prévention, que vous vous en soyez servi ou pas.
Je m’inquiète du pouvoir d’intrusion que donne certains de ces outils. Espérons que nous ciblons les bonnes personnes et pas des innocents.
La loi dont nous parlons existe maintenant depuis plus de trois ans. N’avons-nous pas besoin d’autres outils? Vous défendez la loi, en disant qu’elle comprend des outils de prévention. Mais je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse de bons outils de prévention. En trois ans, n’avez-vous pas eu le temps d’identifier d’autres mesures qui pourraient être plus utiles que celles qui sont comprises dans la loi? Que peut-on faire pour protéger les Canadiens en plus que ce à quoi on a pensé juste après le 11 septembre 2001?
M. Zaccardelli: Il est vrai que nous pourrions améliorer nos méthodes de notification. Comme vous le savez, il est possible de reporter la notification des écoutes téléphoniques pendant trois ans, mais il existe d’autres moyens qui nous permettent d’intercepter certains types d’information, et pour ces moyens-là, le report de notification n’est pas aussi long. La période de report devrait être la même dans les deux cas. Si les tribunaux nous en accordaient le droit, il devrait être possible de repousser les délais de notification pour qu’ils atteignent trois dans le cas de mandats de perquisition et autres perquisitions d’ordre technique.
S’il n’est pas nécessaire de donner avis de renseignements obtenus par le moyen d’une table d’écoute avant trois ans, notre travail est réduit à néant si nous devons révéler que nous avons obtenu ces renseignements par d’autres moyens.
Il serait utile d’obtenir une harmonisation à ce niveau.
Mme Boniface: Comme nous travaillons avec à l’échelle provinciale, c’est-à-dire à l’intérieur des frontières des provinces, et je me servirai de la Sûreté du Québec comme exemple, nous ne pouvons pas travailler outre-frontière sans problème avec nos homologues. Il n’y a pas de mécanisme législatif pour nous faciliter la tâche à ce niveau. C’est une question dont nous avons parlé il y a quelque temps en disant qu’elle était importante. Par exemple, en ce qui me concerne, en Ontario, j’ai de très bonnes relations de travail avec la Sûreté du Québec parce que nous avons une frontière commune et certains de mes détachements sont voisins de détachements de la Sûreté du Québec. À cause de nos différences constitutionnelles et provinciales, même si nous visons l’intégration de nos efforts pour améliorer l’efficacité, la tâche n’est pas aussi facile qu’elle devrait l’être si nous voulons obtenir une véritable intégration.
M. Bevan: Serait-il utile pour nous d’avoir plus de pouvoirs? Absolument. Je sais que le gouvernement étudie un autre projet de loi concernant l’accès autorisé. Nous devons mettre à jour nos pouvoirs d’interception, nos possibilités techniques et je sais qu’on prépare d’autres législations. Ce n’est qu’une sorte de pouvoirs additionnels, fondé sur notre expérience jusqu’à ce jour, sans oublier les causes dont sont déjà saisis les tribunaux, qui ont vraiment souligné qu’il faut effectuer des changements à ce que peut faire la police pour intercepter, légalement, les communications.
Pour en revenir à votre première question, à mon avis, il est important de pouvoir définir le terrorisme dans cette loi parce qu’il nous y faut faire la différence entre ce qui constitue une conduite criminelle et une conduite criminelle motivée par une philosophie terroriste. Cette définition est nécessaire si nous voulons dépasser le seuil et invoquer les dispositions de la loi dont peuvent se prévaloir les forces de l’ordre pour nous aider à faire notre travail et à empêcher que ne soient commis des actes criminels.
C’est un commentaire que je tenais à faire.
Le sénateur Andreychuck: Là, je suis mêlée. Êtes-vous en train de dire qu’il vous faut une définition précise du terrorisme ou que vous avez besoin de la définition précise qui traite de motivation politique, idéologique et religieuse? Je disais précisément que les Nations Unies n’ont pas cru bon de citer la motivation politique, idéologique ou religieuse. Nous dites-vous qu’il faut le faire, par contre? Avez-vous besoin d’une définition précise qui soit pratique?
M. Bevan: Il nous faut une définition pratique.
Le sénateur Stratton: Avant de retourner à la question du sénateur Lynch-Staunton concernant les frontières, j’aimerais que vous nous disiez ce qui constitue la plus grande menace envers le Canada au niveau du terrorisme.
Ce manque de ressources dont a parlé le sénateur Lynch-Staunton au Québec, m’inquiète. Ensuite, il y a eu ce renvoi à l’article de journal concernant le Manitoba et la Saskatchewan, plus précisément, pour ce qui est des ressources.
Quand vous avez dit qu’il y a un manque de ressources, j’ai cru comprendre, d’après votre réponse, qu’il y avait un manque de ressources monétaires, surtout, mais que vous ne pouviez pas obtenir plus de personnel.
Je comprends que vous manquiez de personnel, à l’heure actuelle. Est-ce bien le cas, commissaire Zaccardelli?
M. Zaccardelli: À vrai dire, on nous donne une certaine quantité de ressources et il me revient de les déployer au mieux de mes possibilités. Les ressources dont je dispose ne me permettent de faire tout ce que j’aimerais faire ni ce que beaucoup de nos concitoyens aimeraient que je fasse.
Je dois faire une distinction ici. Au Québec, tout comme en Ontario, il existe des mandats très clairs pour chacun. Je n’ai pas le mandat, en Ontario ou au Québec, d’assurer un service d’agents en uniforme, c’est-à-dire de fournir un service de police au niveau local. Je n’ai pas ce mandat-là. J’ai un mandat très précis.
Le sénateur Stratton: Par contre, si j’ai bien compris, vous avez ce mandat au Manitoba et en Saskatchewan. Me dites-vous qu’au Manitoba et en Saskatchewan, si vous y avez des effectifs normaux d’agents dans ces deux provinces, que vous ne manquez pas d’agents dans ces provinces?
M. Zaccardelli: Nous sommes en pénurie.
Le sénateur Stratton: Je m’y attendais. Pouvez-vous nous dire pourquoi? Ce n’est pas un grand secret. On sait bien qu’il vous manque de policiers, surtout dans ma province. Y a-t-il une raison à cela? Comment cela s’explique-t-il et faites-vous quelque chose pour augmenter vos rangs parce que, encore une fois, ce qui inquiète, c’est la sécurité. Vous en êtes responsable au Manitoba. Pourriez-vous nous dire ce que vous avez fait pour augmenter le personnel?
M. Zaccardelli: J’aimerais remettre les choses en perspective, sénateur. Il a fallu 126 ans à la GRC pour passer d’un budget de zéro à 2 milliards de dollars. Pendant les six dernières années, notre budget est passé de 2 milliards de dollars à 3 milliards de dollars. Ce gouvernement nous a fort bien traités.
Comme je l’ai dit, nous manquons toujours de ressources. Au Manitoba, c’est nous qui faisons office de police provinciale. Ce n’est pas le gouvernement fédéral ni moi-même qui décidons combien d’agents de la GRC patrouilleront le Manitoba. C’est la province qui décide, dans un contrat. C’est la province qui décide combien de fonds elle veut affecter à la police. C’est cela qui détermine combien j’y aurai d’agents en uniforme. Comme vous le savez, il y a une présence fédérale qui ajoute un complément. Ces ressources fédérales fournissent un certain service de police spécialisé: police fédérale, crime organisé, drogue. Ces services fournissent un complément de ressources à nos gens en uniforme et il y a aussi intégration avec Winnipeg et Brandon. En bout du compte, le gros de notre présence au Manitoba est décidé par les gens du Manitoba, c’est-à-dire combien ils veulent consacrer d’argent aux forces policières au Manitoba.
Dans les deux cas, j’ai poussé très fermement pour que le gouvernement fédéral y augmente sa présence et j’ai aussi fait des pressions auprès du premier ministre Gary Doer pour augmenter nos effectifs. Il l’a fait cette année. Il a ajouté 28 postes au Manitoba. Nous sommes en pleine négociation avec l’Alberta, par exemple. Il s’agit de plus de 300 postes en Alberta. Il n’y a pas de déficit en Alberta, sénateur. Cette province en a les moyens. C’est différent pour chaque province. La ministre Anne McLellan et son cabinet doivent négocier un à un avec chaque province et chaque territoire pour savoir combien elles vont payer et c’est cela qui décide où les agents seront affectés et combien il y en aura.
Le sénateur Stratton: À mon avis, du moins d’après ce que j’ai entendu, vous manquez toujours d’hommes et de femmes avec vos budgets actuels, n’est-ce pas?
M. Zaccardelli: Non.
Le sénateur Stratton: Êtes-vous à cours de gens ou de personnel au Manitoba même? Tenant compte du budget actuel, vous y manque-t-il toujours du personnel?
M. Zaccardelli: Non, ce n’est pas le cas. Nous dépensons la totalité du budget.
Le sénateur Stratton: C’est peut-être un sujet délicat, mais j’aimerais vous parler de la sécurité sur la Colline. Le Congrès des États-Unis et Westminster semblent chacun disposé d’un service unique pour les servir tandis que nous en avons deux. La Chambre des communes et le Sénat ont chacun leur propre force de sécurité.
Croyez-vous qu’il ne devrait y avoir qu’un service de sécurité sur la Colline ou peut-on se tirer d’affaire avec deux services?
M. Zaccardelli: Je vais me plonger dans l’eau bouillante, monsieur le sénateur, mais à mon avis il faudrait n’avoir qu’un service.
La présidente: Merci beaucoup, sénateur Stratton. Une bonne petite réponse brève et qui va droit au but, commissaire.
Le sénateur Smith: Commissaire Zaccardelli, dans votre présentation vous avez parlé d’un équilibre à parfaire entre les droits de la personne et la sécurité et je crois que cela nous tient tous à cœur. Que l’équilibre soit parfait ou non, comme le dit le dicton « Il n’y a point de laides amours ». En gros, vous semblez vous trouver à l’aise avec la situation, mais quant à savoir où il pourrait y avoir des améliorations, vous avez parlé des tables d’écoute, avec lesquelles l’avis peut être retardée pendant trois ans; mais que ce n’est pas le cas pour les mandats de perquisition. C’est assez clair.
Madame la commissaire, vous avez dit qu’il n’y avait pas de mécanisme facile qui transcende les frontières provinciales. Je ne sais pas précisément ce qu’il y aurait au ressort fédéral pour régler cela, mais nous aimerions en entendre parler si une telle chose existait. Monsieur Bevan, vous avez parlé de cause devant les tribunaux.
À propos de ces questions précises, si vous pouviez donner des précisions concernant les améliorations à apporter pour répondre à ces préoccupations, je crois que ce serait utile. Je vous inviterai à nous expliquer tout ça dans une lettre, et vous pourrez y réfléchir et obtenir les avis juridiques voulus, pour que ce soit aussi précis que possible. Je n’ai pas besoin de poser de questions puisqu’ils font tous des signes de tête affirmatifs indiquant qu’ils le feront. Je suis concis et succinct.
La présidente: Un exemple admirable, sénateur Smith.
Chers collègues, ceci met fin à la séance d’aujourd’hui. Je tiens à remercier nos invités. Manifestement, le comité prend très au sérieux votre présence et votre importance dans le cadre de la question plus large, et je suis certain que s’il y avait beaucoup de mou dans notre laisse, nous pourrions poursuivre pendant toute la journée.
La matinée nous a été très utile. Merci à vous tous.
La séance est levée.