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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 11 - Témoignages - le 24 mars 2005


OTTAWA, le jeudi 24 mars 2005

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, qui a été saisi du projet de loi C-15, Loi modifiant la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs et la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999), se réunit aujourd'hui à 8 h 40 afin d'examiner le projet de loi.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs, bonjour. Nous accueillons aujourd'hui les représentants de Nature Canada, du Fonds international pour la protection des animaux et du Fonds mondial pour la nature Canada.

M. Rob Rainer, directeur de conservation, Nature Canada : Je vous remercie de me permettre de présenter ce mémoire, lequel porte sur une question très importante, et il me fera ensuite plaisir de répondre à vos questions.

Je vais commencer par vous parler de l'organisme que je représente, puis je vais passer en revue les tendances mondiales en ce qui a trait aux espèces d'oiseaux et parler des oiseaux du Canada. Ensuite, je vais présenter certains des effets concrets occasionnés par la disparition d'espèces d'oiseaux et la diminution de leur abondance. En guise de conclusion, je vais expliquer pourquoi le projet de loi C-15 est nécessaire selon nous.

Kim Elmslie, du Fonds international pour la protection des animaux, prendra ensuite la parole pour parler de l'impact environnemental des déversements d'huile de fond de cale et de la nécessité d'imposer des amendes minimales afin d'aider à combattre ce problème.

Enfin, Joshua Laughren du Fonds mondial pour la nature Canada parlera de la conformité du projet de loi C-15 par rapport aux lois internationales et de l'importance du respect des engagements pris par le Canada sur la scène internationale.

Nature Canada et Études d'Oiseaux Canada sont des ONG canadiens partenaires de BirdLife International. C'est au nom de BirdLife International que Nature Canada et qu'Études d'Oiseaux Canada s'adressent à vous aujourd'hui. Nous vous avons fourni des renseignements généraux au sujet de Nature Canada et d'Études d'Oiseaux Canada dans le mémoire que nous avons envoyé par courriel au greffier du comité lundi. La semaine dernière, à la 70e Conférence sur la faune et les richesses naturelles de l'Amérique du Nord, Études d'Oiseaux Canada a remporté un prix important que lui a remis l'American Birding Association et le Fish and Wildlife Service des États-Unis en reconnaissance des vastes programmes de surveillance mis en œuvre par des bénévoles au Canada et à l'échelle internationale, une réussite. Sans ce type de surveillance, nous n'aurions pas les données qui nous aident à prendre des décisions éclairées en matière environnementale.

BirdLife International, dont le siège social est à Cambridge, au Royaume-Uni, est un partenariat de plus de 100 organismes nationaux dont l'objectif est de conserver les oiseaux, leurs habitats et la biodiversité à l'échelle mondiale et les personnes qui y œuvrent ont comme objectif l'utilisation durable des ressources naturelles. Plus de 10 millions de personnes, dont le nombre augmente sans cesse, appuient les partenaires de BirdLife, des organismes de conservation non gouvernementaux et des réseaux locaux.

En tant que partenaires canadiens de BirdLife International, Nature Canada et Études d'oiseaux Canada travaillent à identifier ce que l'on appelle les zones importantes pour la conservation des oiseaux au Canada, des zones utilisées par un grand nombre d'oiseaux pour se réunir ou des zones où l'on trouve des espèces d'oiseaux menacées. Près de 600 sites de ce type ont été identifiés jusqu'à présent et Nature Canada, dans le cadre de notre partenariat, favorise la bonne intendance d'un grand nombre de ces sites.

Bien que BirdLife s'inquiète profondément, bien sûr, du sort des oiseaux dans le monde, on y compte environ 9 800 espèces, son approche tient compte du fait que les oiseaux, qui comptent parmi les organismes vivants les mieux étudiés et par conséquent les mieux connus, font d'excellentes espèces sentinelles pour comprendre les tendances environnementales; ainsi, les populations d'oiseaux sont en déclin dans le monde, ce qui est un indicateur des dommages causés au sol, à l'eau et aux écosystèmes, surtout par les activités humaines.

Nous encourageons le comité, qui se préoccupe de l'environnement et des ressources naturelles, à garder une vue d'ensemble sur ce arrive à la biodiversité et à l'abondance des organismes et à examiner le projet de loi C-15 en tenant compte de ces données.

Depuis les temps préhistoriques jusqu'à nos jours, les êtres humains ont été responsables de la disparition d'une espèce d'oiseaux sur cinq environ, soit 20 p. 100, parmi toutes les espèces d'oiseaux, lesquelles se sont déjà chiffrées à 12 000 espèces. Au moins 128 espèces ont disparu depuis 500 ans, dont 103 depuis 1800. Des 9 800 espèces restantes, 12 p. 100, soit près de 1 200 espèces, seront menacées d'extinction au cours de ce siècle, c'est-à-dire au cours de la vie de nos petits enfants. En moyenne, il y aura environ une espèce d'oiseaux par mois qui disparaîtra au cours des 100 prochaines années. La dernière espèce disparue est peut-être le Po-o-uli masqué, un beau petit oiseau chanteur qui vivait à Hawaii, et qui semble disparu depuis un an. Quatre-vingt pour cent des espèces d'oiseaux de mer sont en déclin en raison des nombreuses menaces, dont la pollution.

Selon les meilleures estimations scientifiques, 25 p. 100 des 450 espèces d'oiseaux et 30 p. 100 des espèces d'oiseaux de mer que l'on trouve au Canada sont des populations en déclin. L'aire de reproduction de certaines de ces espèces se trouve presque exclusivement à l'intérieur des frontières canadiennes. Selon les données de novembre dernier, 3 espèces d'oiseaux du Canada se sont éteintes, 2 sont introuvables dans le pays, 23 sont classées comme étant en voie de disparition, 10 sont menacées et 22 font partie des espèces préoccupantes.

De tels chiffres illustrent à quel point la biodiversité, la diversité et l'abondance des oiseaux diminue. Nos champs et nos forêts sont de plus en plus calmes, nos lacs et nos rivières sont de plus en plus vides. Le livre de Rachel Carson, Printemps silencieux, est d'actualité, et on peut même dire que c'est à l'année que la nature sera silencieuse et sans vie. Les conséquences ne se font pas sentir uniquement sur la nature, mais aussi sur les êtres humains, qui font partie intégrante de la nature d'ailleurs. Les oiseaux font des choses essentielles, soit la pollinisation, la dispersion des graines, le contrôle des insectes et la décomposition.

Il est clair que la diminution de 20 à 25 p. 100 des oiseaux depuis 1500 fait qu'ils font moins de ces activités bénéfiques. Ainsi, dans un article rédigé en décembre 2004 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, les auteurs suggèrent que la population aviaire et que les activités des oiseaux déclinent plus rapidement que ce qu'on estime si on se fie uniquement aux données sur l'extinction des espèces.

En plus des activités importantes est nécessaires que des oiseaux font pour les écosystèmes, les oiseaux sont encore une source de nourriture dans certaines régions, comme dans l'Arctique canadien; et ils pourront continuer à nourrir des populations si l'on met en place des mesures de conservation efficaces. Le guillemot de Brünnich est une espèce importante actuellement : il s'agit d'un oiseau de mer qui prédomine dans les eaux froides situées au large de la côte Sud de Terre-Neuve et qui est une source de nourriture pour les habitants de l'Arctique et de Terre-Neuve.

Les oiseaux sont aussi tout simplement une source d'inspiration et de joie pour des millions de personnes. Les oiseaux sont présents dans la vie des humains, par exemples les totems et les plumes cérémoniales, le roman poignant de Margaret Craven, I Heard the Owl Call My Name, la chanson Snowbird de Anne Murray, le groupe rock The Eagles et des équipes de sport comme les Blue Jays de Toronto.

Nous sommes en présence d'une vraie crise, la diminution constante de la biodiversité, laquelle est causée en partie par les déversements des huiles de fond de cale. Ces déversements qui tuent les oiseaux de mer au large de la côte canadienne ont été rapportés pour la première fois à Terre-Neuve à la fin des années 50. Cela fait donc plus d'un demi siècle que les Canadiens et les décideurs sont au courant, et cela reflète la malheureuse tendance des humains d'être peu sensibles aux crises environnementales. Prenez l'exemple de la menace du changement climatique.

Le Canada doit adopter le projet de loi C-15 pour les raisons suivantes : Premièrement, il faut réagir aux incidents continus d'oiseaux souillés par les hydrocarbures en mer, le dernier événement de la sorte étant un autre déversement au large de Terre-Neuve à la fin de février; il est clair que le Canada est devenu un dépotoir pour le déversement des eaux souillées par l'huile de fond de cale qui fait le bonheur de certains irresponsables de l'industrie du transport. Le projet de loi C-15 vise les contrevenants qui font des déversements de manière délibérée et répétée, et non les bons exploitants.

Deuxièmement, les lois qui existent actuellement au Canada et qui portent sur le déversement des eaux de cales huileuses ne sont pas claires au sujet des poursuites à l'endroit des contrevenants et ce sont avérées inefficaces. Faites-le compte des poursuites réussies au Canada jusqu'à présent. Le projet de loi C-15 permettra de clarifier et de renforcer le régime d'application de la loi.

Troisièmement, et cela est lié avec le deuxième point, étant donné notre incapacité relative à protéger les oiseaux contre le mazoutage en mer, le Canada manque aux engagements internationaux qu'il a pris pour protéger les oiseaux migrateurs selon la Convention concernant les oiseaux migrateurs. Le projet de loi C-15 aidera à rectifier ce problème.

Bien que nous savons que les déversements d'eaux de cale huileuses ont tué des dizaines de millions d'oiseaux de mer dans les eaux canadiennes jusqu'à présent, nous ignorons, en raison de l'absence de données concrètes, quels seront les effets à long terme de cette pollution sur le milieu marin et sur l'activité économique qui est tributaire d'un milieu marin sain.

Les organismes présents aujourd'hui appuient fortement le projet de loi C-15. Nous savons que la majorité des groupes de conservation aussi. Nous sommes heureux de constater que cet appui provient d'intérêts très divers, comme des exploitants d'entreprises touristiques, Pétro-Canada et le ministre de l'Environnement du gouvernement de Terre- Neuve-et-Labrador.

Nous pensons également que la grande majorité des Canadiens appuient le projet de loi. Mes collègues présents à la table vont maintenant parler de certaines préoccupations et craintes qui ont été soulevées au sujet du projet de loi C-15.

Avant de passer le micro à Mme Elmslie, je souhaite offrir aux honorables sénateurs un exemplaire du rapport général de 2004 de BirdLife International, lequel contient un survol de la situation des oiseaux dans le monde. C'est un rapport sommaire qui contient beaucoup de photos et de graphiques. Il est très agréable à consulter. Nous allons laisser des exemplaires de ces rapports au greffier du comité à la fin de la séance. Je vous remercie encore une fois de m'avoir permis de témoigner devant votre comité.

Mme Kim Elmslie, représentante pour les secours d'urgence, Fonds international pour la protection des animaux : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui. En tant que responsable des secours d'urgence du Fonds international pour la protection des animaux, le FPIA, j'ai voyagé partout dans le monde pour aider à réhabiliter des oiseaux mazoutés à la suite de déversements catastrophiques. Je suis émue de faire mon témoignage aujourd'hui, le 24 mars, alors que c'est le 16e anniversaire du tragique accident de l'Exxon Valdez.

Le FIPA fait à l'échelle internationale des campagnes pour protéger les oiseaux de mer des impacts des déversements illégaux et délibérés d'huile de fond de cale. Le FIPA, comme d'autres groupes présents ici aujourd'hui et comme un bon nombre de groupes de protection environnementale et de protection des animaux du pays, nous appuyons totalement le projet de loi C-15 dans son libellé actuel.

Le FIPA a été fondé au Canada en 1969, possèdes des bureaux dans 14 pays et cherche à promouvoir des politiques de protection des animaux et de conservation afin de protéger les animaux et les humains. Cet organisme compte plus de 50 000 sympathisants au Canada et deux millions dans le monde.

J'ai préparé à votre intention une courte présentation en me basant sur le mémoire que je vous ai présenté lundi. Je vais tout d'abord faire un survol des impacts de la pollution délibérée aux hydrocarbures au Canada, puis je vais expliquer la raison pour laquelle nous sommes en faveur des amendes minimales, parler des déversements accidentaux et montrer que le projet de loi C-15 est une bonne chose aussi pour les exploitants de navires légitimes.

On estime que dans les océans, il y a plus d'hydrocarbures qui proviennent de déversements d'huile de fond de cale illégaux et délibérés que d'accidents. Un rapport publié en 2003 par le National Academy of Sciences estime qu'en Amérique du Nord, les navires déversent plus de 25 millions de gallons de pétrole par année. Ces déversements de pétrole illégaux dans nos océans ont des effets graves sur la vie marine fragile.

Trois cent milles oiseaux de mer meurent chaque année au large des côtes de Terre-Neuve en raison des déversements d'huile de fond de cale illégaux et délibérés. J'aimerais attirer votre attention sur l'impact de ces déversements sur les oiseaux dans le Canada atlantique.

Plus de 30 millions oiseaux de mer vivent et migrent dans les Grands Bancs de Terre-Neuve, et se nourrissent des nutriments présents en grandes quantités dans les eaux de ces Grands Bancs, aux larges des côtes de Terre-Neuve. Cette zone est aussi l'une des plus achalandées au monde en matière de transport par navires. Il est impossible d'estimer le nombre exact de navires qui passent dans l'Atlantique Nord, car les navires qui ne s'arrêtent pas dans un port canadien ne sont pas tenus d'annoncer leur présence. Ce que l'on sait, c'est que certains exploitants irresponsables de navires déversent illégalement et délibérément leur huile de fond de cale dans cet habitat important pour les oiseaux. C'est un problème qui existe au Canada, et non aux États-Unis. Les courants dans l'océan Atlantique amènent les oiseaux touchés vers les rives, mais dans le Pacifique, les courants transportent les oiseaux au large, c'est pourquoi on n'y retrouve pas les corps et les carcasses.

Selon les données recueillies par le Service canadien de la faune, entre 1984 et 1992, 72 p. cent des carcasses d'oiseaux retrouvées sur les plages étaient mazoutées, alors que le long des côtes américaines, seulement 2,5 p. cent sont mazoutées.

Selon des analyses de laboratoire, 90 p. cent de l'huile retrouvée sur ces oiseaux provient de chambres des machines, et la seule manière dont cette huile a pu se retrouver dans l'eau, c'est par des déversements délibérés ou des actes de négligence. La quantité d'hydrocarbures déversés par un seul navire peut sembler petite lorsqu'on compare aux déversements catastrophiques qui font la une des journaux, comme le déversement du Prestige au large de la côte de l'Espagne en 2002 ou la catastrophe de l'Exxon Valdez en 1989. Cependant, une seule goutte de pétrole de la taille d'un vingt-cinq sous suffit pour tuer un oiseau de mer dans les eaux froides de l'Atlantique Nord.

Selon des recherches effectuées au Memorial University, 300 000 oiseaux de mer meurent au large des côtes de Terre-Neuve à la suite de déversements d'huile de fond de cale illégaux. Cela représente la même quantité d'oiseaux morts à la suite du tragique déversement de l'Exxon Valdez. Le Canada est donc aux prises avec une crise environnementale aussi catastrophique pour les oiseaux de mer que l'accident de l'Exxon Valdez; la différence, c'est que nous subissons cela à chaque année. Le Canada est devenu un dépotoir pour les expéditeurs sans scrupule.

Il faut établir des amendes minimales au Canada. Au début du mois de mars, les médias foisonnaient d'articles sur des eiders couverts d'hydrocarbures retrouvés sur les plages dans le sud-est de Terre-Neuve. Selon les analyses chimiques effectuées à partir des échantillons d'huile prélevés sur les plumes de ces oiseaux, il s'agissait de l'huile de fond de cale d'un navire qui passait par là. À la fin de novembre 2004, j'étais à Terre-Neuve lorsque des guillemots mazoutés ont été retrouvés sur les mêmes plages. Un navire qui passait par là avait déversé des hydrocarbures.

Il est important de noter que cela se passait à la même période que le déversement du Terra Nova. Il y avait déjà des hydrocarbures dans l'eau, alors les exploitants de navire sans scrupule qui passaient par là en ont profité pour déverser en toute illégalité leurs eaux de fond de cale.

Le Canada n'est pas très doué en matière d'exécution de la loi. Les exploitants de navire sans scrupule le savent. Parmi les cas ayant été sous enquête, seul un petit nombre a fait l'objet de poursuites. Entre 2000 et 2002, seule un cas par année faisant l'objet de poursuites provenait de Terre-Neuve. Dans quelques cas, de petites amendes ont été imposées. Les petites amendes n'empêchent pas les pollueurs d'agir, car ceux-ci les intègrent simplement dans leurs coûts d'exploitation des navires. L'amende la plus élevée imposée au Canada jusqu'à présent est de 170 000 $. En moyenne, les amendes sont d'environ 40 000 $. Bien que les amendes imposées par les tribunaux canadiens augmentent, elles sont beaucoup moins élevées que celles imposées aux États-Unis pour des causes similaires.

J'aimerais que l'on note dans le compte rendu certains exemples récents des amendes imposées au Canada : en mai 2004, on a imposé une amende de 170 000 $; en novembre 2002, une amende de 125 000 $; en avril 2002, une amende de 45 000 $; et en février 2002, il y a eu une autre amende de 125 000 $. Ces chiffres sont en dollars canadiens.

J'ai également des exemples des amendes imposées récemment aux États-Unis : en février 2005, les Américains ont imposé deux amendes différentes, une de 2 millions de dollars US et une de 1 million de dollars U.S.; en juin 2004, il y a eu une amende de 3,5 millions de dollars U.S. et en juillet 2003, une de 750 000 $U.S.

La menace d'une amende est un élément dissuasif pour les pollueurs. En imposant des amendes peu coûteuses au Canada, nous avons créé un contexte économique où il est payant de polluer. En incluant des amendes minimales dans le projet de loi, le Canada enverrait un signal puissant à tous les exploitants de navire qui leur dirait que les eaux de ce pays ne sont pas des dépotoirs pour les pollueurs. L'imposition d'amendes minimales nous permettrait d'imposer des pénalités comparables à ce que se fait ailleurs dans le monde.

Dans l'éventualité d'un déversement accidentel ou mineur, les procureurs de la Couronne pourraient exercer leur jugement à savoir s'ils entament des poursuites en vertu de la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs ou de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Leur décision dépendrait en partie de la détermination du choix, en fonction de l'intérêt public ou pour éviter de jeter le discrédit sur le système judiciaire. Les procureurs ont le choix d'entamer des poursuites ou d'utiliser la Loi sur la marine marchande du Canada, qui ne fait état d'aucune amende minimale.

Il importe de noter que le projet de loi C-15 est tout à fait explicite dans l'alinéa 5.1(3)(a) proposé, qui stipule qu'aucune infraction n'a été commise si l'immersion ou le rejet est autorisé sous le régime de la Loi sur la marine marchande du Canada. En effet, la Loi sur la marine marchande du Canada applique toutes les règles de la MARPOL y compris les exemptions pour cause d'accidents.

Le projet de loi C-15 va faire payer les pollueurs, et c'est une bonne chose pour les exploitants de navires respectueux de la loi. Le projet de loi C-15 vise les activités qui sont déjà illégales. Les pratiques irresponsables qu'appliquent les transporteurs maritimes tuent les oiseaux marins et les exploitants de navires peu scrupuleux font mauvaise presse à toute l'industrie du transport. Des amendes élevées non seulement décourageront cette pratique, mais elles désavantageront sur le plan économique les navires dont les exploitants choisissent de s'adonner à des activités illégales. Les exploitants de navires légitimes ne devraient pas être pénalisés pour le temps et les sommes qu'ils dépensent pour vidanger légalement leurs eaux de cale à des installations côtières de réceptacles à déchets. En bout de ligne, IFAW et les organismes présents ici voudraient que cesse le déversement délibéré des huiles de cale dans les eaux canadiennes. Il est inacceptable que même un seul oiseau meure par suite d'un acte délibéré et illégal de pollution. IFAW encourage vivement le Sénat à adopter ce projet de loi sans autre amendement. C'est une mesure législative qui aurait dû être adoptée il y a longtemps et dont on a désespérément besoin.

Je vais maintenant laisser la parole à Joshua Laughren.

M. Joshua Laughren, directeur, Programme de conservation marine, Fonds mondial pour la nature Canada : Je tiens à remercier le comité sénatorial de me donner l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui.

Le Fonds mondial pour la nature Canada a été établi dans le monde entier en 1961. Nous avons des bureaux et des projets dans plus de 100 pays. Le Fonds mondial pour la nature Canada a été créé en 1967 par l'honorable sénateur Allan Macnaughton. Nous avons des bureaux au Canada à Toronto, à Ottawa, dans les Territoires du Nord-Ouest, à Vancouver, à Prince Rupert, à Montréal et à Halifax. Nous desservons plus de 60 000 membres dans tout le pays. Nous travaillons depuis plus de trois ans sur le problème du déversement des huiles de cale et des effets de ce déversement sur les oiseaux marins et l'environnement.

Je commencerai par énumérer certains points sur lesquels je présume qu'il y a un certain degré d'entente. J'exposerai ensuite les raisons pour lesquelles le Fonds mondial pour la nature Canada est d'avis que le projet de loi C-15, non seulement est compatible avec le droit international, mais aussi est indispensable pour nous permettre de respecter nos engagements. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que le déversement illégal des huiles de cale est un problème grave au Canada et qu'il cause des torts inacceptables à l'environnement et à la faune. Personne n'irait dire que ces activités devraient ou peuvent continuer. La majorité des sociétés de transport et des particuliers qui transportent des marchandises n'endommagent pas l'environnement. Il s'agit en l'occurrence d'une minorité qui persiste dans ces activités.

Deux raisons expliquent pourquoi ce problème a une telle importance au Canada. La première, c'est que nous avons la chance de posséder des populations d'oiseaux marins exceptionnelles dans le monde. C'est une bonne chose. L'autre c'est que les amendes imposées au Canada ont été bien inférieures à celles qu'imposent d'autres pays, surtout les États- Unis, ce qui a encouragé les exploitants de navires à déverser leurs huiles dans les eaux canadiennes. La question qui se pose c'est de savoir si le projet de loi C-15 parviendra à résoudre ce problème d'une façon juste et équitable.

Nous sommes d'avis qu'il y parviendra. Nous croyons que le Canada respecte les intentions de MARPOL, la convention internationale qui vise la prévention de la pollution par les navires. L'un des objectifs de la convention MARPOL est d'aboutir à l'élimination totale de la pollution intentionnelle de l'environnement marin par des huiles de cale et autres substances nuisibles, et d'éliminer le déversement accidentel de telles substances.

Le projet de loi C-15 respecte nettement l'esprit de cette convention. En outre, il ne modifie pas la norme établie par MARPOL de quinze parts par million pour ce qui est de la quantité d'huile qui peut être légalement immergée ou rejetée, norme que stipule également la Loi sur la marine marchande du Canada. Cela ne change pas. Certains ont fait valoir devant votre comité que l'on devrait laisser des questions telles que le transport international à la communauté internationale et ne pas chercher à en traiter dans le droit canadien. De fait, nous avons déjà deux conventions internationales ou multinationales qui énoncent clairement l'obligation qu'a le Canada de faire cesser le déversement illégal de substances nocives dans nos eaux et de protéger les oiseaux marins. La convention MARPOL et la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs énoncent clairement nos obligations.

Je ne vois pas vraiment quelle orientation claire la communauté internationale pourrait donner. Toute convention internationale dont le Canada est signataire doit être légiférée au niveau national pour prendre effet. Nous sommes d'avis que le projet de loi C-15 jouera exactement ce rôle. En outre, on peut faire valoir que nous contrevenons actuellement aux accords que nous avons déjà signés parce que nous avons constamment échoué, au fil des années, à prévenir le déversement illégal des huiles de cale dans nos eaux.

Le Canada n'est pas le seul à prendre des mesures pour interdire le déversement illégal. Les États-Unis, on nous l'a dit, ont une législation plus rigoureuse et sont révélés très agressifs dans leur lutte contre les infractions relatives au déversement des eaux de fond de cale dans leurs eaux, comme en font foi les amendes plus élevées qu'ils imposent. Les États-Unis ont désigné la majorité de leurs eaux côtières comme des zones où tout déversement est interdit, où pas la moindre part par million d'eau de soute n'est autorisée. C'est une norme plus élevée que celle que prévoit le projet de loi C-15 ou la Loi sur la marine marchande du Canada. Cette norme comprend de vastes régions telles que la Méditerranée, la mer Baltique et la mer du Nord. L'Union européenne est en train de préparer une directive, qui semble devoir être bientôt prête et qui, paraît-il, sera plus sévère que le projet de loi C-15. Le Canada n'est donc pas un pionnier; il ne fait que se rattraper.

On nous a fait valoir que les navires canadiens seraient restreints à une norme plus rigoureuse et que nous ne pouvons pas poursuivre des navires étrangers, ce qui place les transporteurs canadiens dans une situation désavantageuse. En vertu du droit de la mer et de la convention MARPOL, les pays ont le droit et, à vrai dire l'obligation d'adopter des mesures législatives et de les faire appliquer pour protéger leurs eaux. Cependant, il existe certaines règles de droit international sur la façon dont nous pouvons, par exemple, accoster et perquisitionner des navires étrangers et dans quelles conditions. Pour être précis, cette distinction existe déjà en vertu du droit maritime et ne se retrouve pas dans ce projet de loi. Les rédacteurs du projet de loi C-15 en ont tenu compte en veillant à ce que le consentement ministériel soit obtenu avant de mettre un navire sous consigne afin qu'on puisse procéder au cas par cas. La loi astreindra à une norme identique les navires étrangers et canadiens, même si la procédure suivie est différente dans chaque cas, en vertu du droit international.

On a dit craindre que le projet de loi ait un effet négatif sur les collectivités septentrionales et côtières. Nous espérons que non, bien sûr, et nous pensons que, étant donné que ce projet de loi ne multiplie pas les règlements et ne rehausse pas les normes, il s'attaque uniquement à des activités qui sont déjà illégales. Nous ne croyons pas que ce sera le cas et à vrai dire, nous soutenons que la situation actuelle a nui aux activités côtières de l'Arctique et de Terre-Neuve-et- Labrador. Par exemple, les oiseaux qui sont victimes du déversement illégal des eaux de fond de cale au large des littoraux de Terre-Neuve, comme les guillemots à bec épais, s'accouplent dans les eaux de l'Arctique pendant l'été et sont une ressource importante pour les Inuits et les populations nordiques. Il y a également une chasse autorisée pour certaines espèces à Terre-Neuve, telles que les eiders. Chaque oiseau marin qui meurt par suite de déversement d'huile est un de moins pour la récolte légale. Comme il y a 300 000 oiseaux marins au large des côtes de Terre-Neuve seulement, les nombres en l'occurrence ne sont pas négligeables.

En outre, le tourisme revêt une importance économique croissante tant à Terre-Neuve-et-Labrador que dans l'Arctique. Ces activités touristiques se fondent en grande partie sur le caractère vierge de l'environnement et sur l'abondance de la faune, des caractéristiques que compromettent les déversements illégaux d'huile de fond de cale. Je crois que le comité a reçu de la correspondance d'un exploitant touristique établi à Terre-Neuve à cet effet. En réduisant le déversement des huiles de fond de cale, nous soutenons que le projet de loi C-15 contribue à protéger ces ressources et opportunités pour les collectivités côtières.

Enfin, le Fonds mondial pour la nature du Canada serait le premier à insister sur la nécessité d'une meilleure application des lois, mais cette application doit s'appuyer sur un cadre légal pour être efficace, et à notre avis, il ne l'est pas à l'heure actuelle. Sans le projet de loi C-15, nous craignons qu'un plus grand investissement dans des mesures d'application de surveillance ne permettra que de déceler un plus grand nombre de déversements illégaux sans nous permettre pour autant, souvent, de procéder à une arrestation; de mettre des navires en consigne contre lesquels on ne pourra pas intenter de poursuite; et, quand on arrivera à obtenir une condamnation, d'imposer des amendes qui n'auront même pas d'effet dissuasif.

Le déversement des huiles de fond de cale est un problème au Canada depuis 50 ans, et ce problème remonte probablement, d'ailleurs, à l'origine du transport maritime. Sans le projet de loi C-15, avec ses dispositions actuelles rigoureuses qui nous mettront sur un pied d'égalité avec le reste du monde, nous ne pouvons que conclure que le Canada restera un lieu de déversement pour les transporteurs qui s'adonnent à des activités illégales, dans un avenir prévisible. Par conséquent, nous appuyons le projet de loi C-15 tel qu'il est actuellement.

Le sénateur Spivak : Je me réjouis que nous nous ayez informés de la situation aux États-Unis, parce que mardi, quand j'ai interrogé les exploitants maritimes, ils n'ont donné aucun renseignement au sujet des États-Unis.

Ma première question concerne les services qui seront chargés d'appliquer la loi. Les exploitants des navires ont fait valoir que les agents de prévention de la pollution qui, paraît-il, sont au nombre de 950 dans tout le Canada, seraient beaucoup mieux en mesure de faire appliquer la loi que les garde-chasse, parce qu'ils ont la formation nécessaire, qu'ils sont déjà à pied d'œuvre et qu'ils sont beaucoup plus nombreux. Qu'en pensez-vous?

M. Laughren : Il y a un plus grand nombre d'agents d'exécution de la loi, relativement à la Loi sur la marine marchande du Canada. L'un des avantages qu'a eus la présentation de ce projet de loi, c'est qu'il a favorisé une plus grande collaboration entre Environnement Canada et Transports Canada. Il paraît qu'un protocole d'entente est en voie de préparation. Je ne vois aucune raison qui ferait que ces deux ministères ne puissent pas travailler de concert et appliquer l'une ou l'autre mesure législative selon le cas.

M. Rainer : Le terme « garde-chasse » peut évoquer pour certains l'image des garde-chasse des années 50 et 60, qui étaient formés pour s'occuper d'aspects précis, peut-être en rapport avec la chasse aux cervidés ou que sais-je. Les garde-chasse actuels — il y en a un que je connais assez bien, qui travaille pour le Service canadien de la faune à Sackville, où j'ai travaillé — sont très bien formés pour exécuter leurs fonctions, pour comprendre les procédures légales et les appliquer. Vous avez entendu, dans l'un des témoignages que vous avez reçus, que ces agents ont des liens avec les réseaux de police du monde entier. Je ne suis pas sûr que les agents de prévention de la pollution bénéficient du même réseau. Je suppose qu'ils s'intéressent essentiellement à empêcher la pollution d'atteindre les eaux et aux procédures légales à suivre pour traiter un cas en particulier. Voilà où réside la force réelle des agents d'exécution de la Loi sur la faune d'aujourd'hui qui sont à l'emploi du Service canadien de la faune.

Le sénateur Spivak : Combien sont-ils actuellement et combien seront-ils. Est-ce que chiffre est exact? Y a-t-il réellement 950 environ agents de prévention de la pollution? Autrement dit, quel est, selon vous, le nombre total d'agents qui seront chargés de l'exécution de la loi? C'est ça qui compte. Dans bien des cas, on enfreint davantage les lois qu'on les observe.

M. Rainer : L'un des aspects positifs dont j'entends parler, à propos de ce projet de loi, c'est la collaboration qu'il y aura entre Transports Canada et Environnement Canada, qui concluront un protocole d'entente, et à propos sans doute de ce genre de question. Nous avons 950 agents de prévention de la pollution dotés d'une formation et d'une expérience particulières, et nous avons 55 agents de conservation de la faune qui ont également une certaine formation et de l'expérience. Il me paraîtrait logique, si ces deux organismes examinent ces ressources, que nous puissions ainsi avoir un contingent de 1 000 membres qui pourraient travailler dans ce domaine et échanger leurs connaissances.

Le sénateur Spivak : Merci de ces renseignements. Pour chaque projet de loi que j'ai étudié ici au Sénat, chaque fois qu'il est question d'une exécution plus rigoureuse de la loi, les gens se plaignent que l'on va criminaliser les innocents et les braves gens. L'argument principal formulé mardi portait sur la présomption d'innocence et la responsabilité. Vous n'en avez pas parlé dans votre exposé. Voudriez-vous nous donner votre opinion sur cet aspect? Je ne veux pas vous paraître cynique, mais comme nous l'entendons dire tout le temps, cela ne signifie pas qu'il n'existe pas une raison valable et légale que ce ne soit pas une bonne chose.

M. Laughren : Nous n'avons pas passé beaucoup de temps sur cet aspect. Nous avons lu les comptes rendus et nous savons que vous avez demandé l'avis des intéressés sur cette question. Selon nous, la disposition concernant la responsabilité absolue existe dans toutes sortes de mesures législatives du Canada, et aussi du Commonwealth et des États-Unis. Ce n'est rien de nouveau. C'est ainsi que d'autres industries fonctionnent au Canada, que ce soit celle de l'exploitation forestière ou minière, ou que sais-je, et que ce soit des industries canadiennes ou étrangères qui exercent leurs activités au Canada. Nous sommes d'avis qu'il est parfaitement logique que ce soit ainsi que doit fonctionner le secteur du transport maritime.

L'industrie du transport s'en inquiète parce que c'est un changement. Si le déversement des huiles de fond de cale dure depuis si longtemps c'est parce qu'en fait on considérait que ce n'était rien de plus qu'une infraction aux règlements de la circulation. Autrement dit, c'était une infraction de moindre importance. On paie une amende et on continue comme avant. C'est l'une des raisons qui a fait que cette situation a duré jusqu'à maintenant. Les arguments qui s'opposent à la responsabilité absolue et à des amendes plus importantes confirment que c'est là le mode de pensée. Voilà pourquoi nous appuyons vigoureusement ce projet de loi. Il transmet le message que nous devons prendre beaucoup plus au sérieux les activités qui causent autant de dommages à l'environnement.

Le sénateur Spivak : Je ne suis pas au courant du reste de la loi et nous obtiendrons des avis de légistes à ce sujet, mais les exploitants de navires doivent prouver qu'ils font preuve de diligence raisonnable. Ils doivent prouver que le déversement était accidentel ou attribuable à une autre cause. Je ne vois pas pour l'instant, bien que j'appuie vigoureusement le projet de loi, en quoi cette procédure s'écarte ou rejoint d'autres mesures prévoyant une responsabilité absolue. En quoi ce projet de loi concorde-t-il avec d'autres mesures législatives? Vous êtes-vous penchés sur cette question?

M. Rainer : Nous en avons certes parlé en termes généraux. Je crois que le Sierra Legal Defence Fund doit vous faire un exposé plus tard. Il connaît beaucoup mieux que nous cette question. Cependant, en général, le premier argument qu'on devrait faire valoir, c'est que la législation actuelle que doit observer l'industrie du transport maritime comporte des sanctions criminelles — la Loi sur la marine marchande, la Loi sur les pêches, la Loi sur la convention des oiseaux migrateurs — et les sanctions prévues vont de six mois à cinq ans de prison. Je crois comprendre que ce genre de sanctions n'a pas été imposé, mais elles existent, donc les coupables sont déjà, si on veut, sous la menace de sanctions pénales. Paradoxalement, le projet de loi C-15 réduirait la peine maximale de prison de cinq à trois ans.

En général, il existe un cadre et notre système judiciaire est suffisamment souple pour tenir compte de facteurs tels que les antécédents du navire et les procédures mises en place pour l'exercice d'une diligence raisonnable. Dès qu'une compagnie fait preuve de diligence raisonnable, elle n'a rien à craindre. Elle peut faire valoir qu'elle a des procédures et qu'elle dispense une formation. Elle peut prouver cela devant un juge et bien se défendre.

Le sénateur Milne : Si vous me le permettez, à des fins de précision, j'aimerais dire que la défense fondée sur la diligence raisonnable dans ce projet de loi est identique à tous les autres moyens de défense concernant la responsabilité absolue.

Le président : Sur le même sujet, monsieur Rainer, vous avez dit que, en vertu de la législation actuelle — sans parler de la question d'étendre la juridiction du Canada jusqu'à la limite des 200 milles — relativement à un incident qui se produit actuellement dans la limite de 12 milles, des condamnations probantes n'ont jamais ou ont rarement abouti à l'imposition de peines ou d'amendes qui se rapprochent du montant actuellement autorisé. Comment cela va-t-il changer avec le projet de loi C-15? Si les tribunaux n'imposent pas les fortes amendes qu'ils ont le droit d'imposer, même dans le cas de poursuites favorables, qu'est-ce qui vous fait croire que les choses pourraient changer?

M. Laughren : Nous espérons qu'elles changeront. Deux facteurs y contribuent. D'abord, l'amende minimale signifie nettement l'intention du Parlement, en ce qui concerne la gravité de l'infraction. Deuxièmement, la discussion dont a fait l'objet le projet de loi et son adoption démontre au monde juridique que le Parlement est déterminé, et aussi la volonté des Canadiens à cet égard. Nous espérons certainement que ces facteurs joueront un rôle. Le projet de loi, à mon avis, ne peut faire autrement que d'améliorer la situation.

Le sénateur Cochrane : Merci d'être venu. Je suis originaire de Terre-Neuve et je m'intéresse particulièrement au sort de ces oiseaux marins. Depuis que ce projet de loi a été présenté, il y a eu dans nos eaux un autre déversement d'hydrocarbures qui a fait du tort aux canards. Selon moi, c'est insensé. Je ne doute pas que bien des propriétaires de navires savent que le Parlement étudie ce projet de loi. Il est incroyable que ces propriétaires de navires continuent de déverser leurs huiles de fond de cale dans nos eaux et de tuer nos oiseaux.

J'aimerais vous demander si ailleurs dans les eaux canadiennes, nous avons des situations d'une aussi grande ampleur que ce que l'on observe sur la côte Est?

Mme Elmslie : J'aime le fait que vous disiez que vous êtes de Terre-Neuve, parce que j'étais là-bas pour tenir non pas des eiders à duvet, mais des guillemots et des mergules nains qui étaient mazoutés. Il n'y a rien de pire que de tenir un oiseau qui a été mazouté à cause d'une activité illégale.

À l'heure actuelle, des travaux de recherche sont en cours sur la côte Ouest du Canada, mais, malheureusement, il est difficile de quantifier l'importance des répercussions là-bas. Nous savons que des navires transitent par le port de Vancouver et qu'ils naviguent le long de la côte. Il est difficile de quantifier l'importance du problème parce que les courants emportent les carcasses d'oiseaux vers le large, tandis qu'à Terre-Neuve, les courants déposent de nombreuses carcasses sur le rivage et les gens les trouvent.

De même, à Terre-Neuve, lorsque les navires arrivent par la route orthodromique, ils passent beaucoup de temps à naviguer le long de la côte Est du Canada, alors la possibilité de déversement est plus grande. Sur la côte Ouest du Canada, les navires arrivent généralement directement dans le port de Vancouver et en ressortent. Le Service canadien de la faune essaie d'étudier le problème et de le quantifier et on sait, même s'il n'y a pas de données, qu'il y a également un problème sur la côte Ouest.

Le sénateur Cochrane : J'ignore si vous êtes les bonnes personnes à qui poser cette question, mais si vous ne pouvez pas répondre, c'est correct. Je n'étais pas ici mardi pour poser cette question à nos témoins. Combien en coûte-t-il à un navire pour rentrer au port afin de vider l'huile de fond de cale? Je crois savoir qu'il y a des installations dans les ports où les navires peuvent vider leur huile de fond de cale. Est-ce que cela ressemble au fait de changer l'huile dans une voiture. Vous payez pour ce service. Savez-vous combien il en coûte?

Mme Elmslie : Le coût dépend de la taille du navire et de la quantité d'huile dans le fond de la cale. Cela coûte entre 5 000 $ et 10 000 $. Cependant, pour un grand nombre de ces navires qui doivent respecter des horaires très serrés, le problème, c'est le temps qu'il faut arrêter dans un port pour se débarrasser de cette huile. S'ils peuvent le faire pendant qu'ils sont en route, ils économisent du temps et, dans le transport maritime, le temps, c'est de l'argent. Il y a un incitatif économique réel, surtout si quelqu'un sait que la surveillance est poreuse. Bien que le coût soit peu élevé, 5 000 $ à 10 000 $, il y a le temps qu'il faut consacrer pour faire la vidange.

Il n'est pas juste que les exploitants de navires légitimes qui se rendent dans les ports et qui paient les frais de vidange portent ce fardeau, alors que d'autres navires ne font que déverser leur huile dans l'eau et s'en tirent sans plus de problème.

Le président : Nous avons entendu mardi que les installations dans les ports canadiens, en particulier pour l'élimination des eaux de fond de cale contenant du mazout, sont insuffisantes et que certains ports canadiens en sont dépourvus. Est-ce exact?

Le sénateur Cochrane : Le port de St-John dispose de telles installations. Cependant, je ne suis pas certain à 100 p. 100, mais je vais m'informer.

Le président : Est-ce que l'un des témoins connaît la réponse?

Mme Elmslie : Je crois savoir qu'il y a des installations dans une section du port de St-John, mais elles sont insuffisantes. Je suis d'accord pour dire qu'il en faut plus.

Le président : Je pose la question parce que les exploitants de navires nous ont demandé comment les navires qui se rendent à Halifax ou à St-John sont sensés se débarrasser de cette huile s'il n'y a pas d'installations pour le faire. Ils ont laissé entendre qu'il y avait une pénurie de telles installations; cependant, nous allons poser la question à des gens dont c'est le travail de savoir. Connaissez-vous la réponse?

M. Laughren : Je me méfie de l'argument : « Nous ne déversons pas sciemment notre huile de fond de cale. Les bons exploitants ne font pas cela. Cela n'arrive pas. Cependant, nous l'avons fait parce qu'il n'y a pas d'installations ». Je ne vois pas le rapport ici. Je ne veux pas nier totalement le problème. S'il est nécessaire d'avoir plus d'installations, il est clair que c'est une question qu'il faudra régler, mais déverser illégalement l'huile de fond de cale n'est pas une solution.

Le sénateur Christensen : On nous a dit également qu'il était maintenant rentable pour les navires plus récents de vendre cette huile de fond de cale en Chine ou ailleurs, alors pourquoi voudraient-ils la déverser?

M. Laughren : Les exploitants honnêtes le font et votre comité entend les témoignages de certains des exploitants honnêtes. L'industrie du transport maritime est très vaste; il s'agit d'une industrie mondiale. Ce ne sont pas tous les exploitants qui sont honnêtes et de très nombreux navires n'ont pas ces installations, mais je suis heureux d'apprendre que la technologie s'en vient à la rescousse.

Le sénateur Hubley : Encore une fois, nous posons peut-être la question aux mauvaises personnes, mais y a-t-il une norme au niveau de la technologie et de l'équipement à bord des navires d'une certaine taille pour faire face au problème de l'eau de fond de cale?

M. Laughren : Je pense qu'il y a des normes, mais, à vrai dire, je ne sais pas quelles sont ces normes.

On vient juste de me remettre une note sur un excellent point qui m'a échappé lorsque nous avons parlé des installations dans les ports au Canada. De nombreux navires ne s'arrêtent pas dans des ports canadiens. Ils s'arrêtent dans des ports américains. C'est la plus grande partie du trafic maritime de la route orthodromique, alors le fait de régler le problème des installations dans les ports, bien qu'il soit important, n'est certainement pas le seul problème ici.

Mme Elmslie : Au Canada, nous avons le droit de passage inoffensif, ce qui signifie que si un navire passe par les eaux canadiennes sans avoir de destination canadienne, il n'a pas besoin de laisser savoir aux autorités qu'il est là. Par conséquent, un navire peut passer dans nos eaux, déverser son huile de fond de cale, et nous ne saurons même pas qu'il était là.

Le président : Il est possible que les personnes qui sont préoccupées par ces questions particulières ne le sachent pas, mais grâce à la technologie existante, le Canada sait exactement quels navires, y compris ceux qui sont en passage inoffensif, naviguent dans ses eaux. L'information n'est peut-être pas partagée avec les bonnes personnes, mais aucun navire ne transite en passage inoffensif dans les eaux canadiennes sans que certains Canadiens le sachent. Cela ne veut pas dire qu'ils savent ce qu'il y a à bord du navire ou quelle est sa destination, mais on connaît son cap et on peut l'identifier clairement.

Le sénateur Cochrane : Saviez-vous cela?

Mme Elmslie : Non, je ne le savais pas. Cependant, c'est bon de le savoir.

Le sénateur Cochrane : Est-ce que cela est figure dans une banque de données, sénateur?

Le président : Je m'empresse de dire que je ne sais pas si les gens concernés par la question de l'élimination des eaux de fond de cale ont accès cette information ou l'utilisent mais, du point de vue de la sécurité, il y a une portrait mondiale, presque en temps réel, de l'activité maritime dans les eaux auxquelles vous avez fait allusion, qui est connue des services de défense et de sécurité. Un système mondial de localisation et d'autres équipements sont utilisés. Le tout se fait par satellite. J'ignore si les raccordements ont été faits, mais l'information est disponible.

Le sénateur Cochrane : Les données indiquent qu'aux États-Unis, les enquêtes sur les événements de pollution maritime donnent lieu à des amendes beaucoup plus fortes qu'au Canada. Il semble que les autorités américaines n'hésitent pas à mettre à l'amende des personnes et des entreprises si elles peuvent trouver des coupables. Les tribunaux américains ont imposé aussi bien des peines d'emprisonnement que des amendes personnelles.

Est-il possible qu'en ayant un régime plus souple dans les eaux canadiennes adjacentes, nous créons des conditions économiques qui ont pour effet d'accroître les incidents liés au déversement illégal des eaux de fond de cale?

Mme Elmslie : Absolument. Nous voyons cela chez un certain nombre d'oiseaux emmazoutés que l'on retrouve sur les rivages dans le cadre des études qui sont effectuées sur les oiseaux de rivage. Bien qu'il y ait plus d'oiseaux dans les eaux canadiennes que dans les eaux américaines — et je parle de la côte atlantique —, lorsque ces carcasses sont récoltées au large du rivage, 62 p. 100 sont emmazoutés. Il s'agit d'un nombre très élevé d'oiseaux qui sont venus en contact avec du pétrole à un moment donné. Pour certains, c'est la mort. Certains peuvent être des victimes liées à la mortalité d'hiver qui viennent sur le rivage et qui ont été en contact avec du pétrole, mais cela signifie qu'il y a beaucoup de pétrole dans l'environnement. Ces oiseaux viennent sur le rivage.

Aux États-Unis, un groupe appelé SEANET de l'Université Tufts tente de déterminer combien d'oiseaux subissent les effets de cette même pollution délibérée par le pétrole. Il a observé des taux de mazoutage de 2,5 p. 100 seulement, alors il s'agit d'une différence très marquée.

Le sénateur Cochrane : De nombreux oiseaux de l'Arctique s'arrêtent à Terre-Neuve en attendant que la température change.

Le sénateur Adams : Ils y restent jusqu'à ce que la glace se brise au printemps. Ils vont commencer à revenir maintenant.

Je viens de l'Arctique où nous savons tout au sujet des oiseaux qui migrent dans l'extrême-nord. C'est la première fois que j'entends dire que 300 000 oiseaux de mer sont tués par le pétrole chaque année. Certaines de ces espèces d'oiseaux migrent dans le nord. Le sénateur Cochrane vient juste de me dire que certaines d'entre elles vont dans certaines parties de Terre-Neuve et qu'ensuite, elles reviennent dans l'Arctique. Cependant, la plupart d'entre elles restent dans le nord. Par exemple, les eiders à duvet ne vont pas dans le sud. Ils restent dans le nord tant et aussi longtemps que les eaux sont libres. Le froid ne semble pas les affecter. Lorsque je pratiquais la chasse au phoque sur la glace de banc, je voyais souvent des eiders à duvet qui nageaient dans l'eau de mer d'où se dégageait de la vapeur. Il peut faire -60 degrés là-bas. Toutes les quelques minutes, ils plongent le bec dans l'eau pour s'assurer qu'il ne gèle pas.

Comment faites-vous pour savoir que 300 000 oiseaux sont tués par les déversements de pétrole chaque année? Avez-vous de l'équipement installé en mer 12 mois par année? Vous dites qu'environ 62 p. 100 sont tués par le pétrole. Que dire des 48 p. 100 qui restent? Comment ont-ils été tués?

Avez-vous de l'équipement pour recueillir les carcasses de 300 000 oiseaux qui sont tués chaque année? Pouvez-vous également nous dire quelles sortes de mammifères sont tués par le pétrole dans la mer? Quels types d'oiseaux? Nous avons beaucoup d'oiseaux de mer dans l'Arctique et nous avons des noms Inuktitut pour les nommer. Quelles régions de l'Arctique sont touchées par ce phénomène?

Le ministre de l'Environnement nous a dit qu'il surveillait les navires par satellite pour déceler les déversements de pétrole en mer, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la limite des 200 milles.

Quel pourcentage du pétrole qui est déversé trouve son chemin jusque dans l'océan par l'intermédiaire des rivières?

Les représentants des entreprises de transport maritime nous ont dit il y a deux jours qu'ils font de leur mieux pour ne pas polluer l'eau.

Mme Elmslie : Sénateur Adams, vous avez absolument raison de dire que les oiseaux de mer sont incroyablement adaptés à leur environnement et lorsque vous regardez la différence de température entre la partie centrale d'un oiseau et l'eau dans laquelle il nage, il est absolument stupéfiant qu'il puisse survivre, surtout aux températures que vous avez mentionnées.

Le chiffre de 300 000 dont on parle vient d'une thèse de doctorat qui a fait l'objet d'un examen par les pairs et qui a été publiée par un dénommé Francis Wiese. Je serai heureuse d'en fournir une copie aux sénateurs. Bien que je n'aie pas rédigé la thèse, je peux vous décrire une partie de son travail et vous expliquer comment il a extrapolé ses données pour obtenir ce résultat.

Pendant plusieurs années, les rivages de Terre-Neuve, surtout le long de la presqu'île Avalon, ont fait l'objet d'une surveillance. C'est de cette façon que nous déterminons les taux de mazoutage. On peut faire une analyse chimique du pétrole retrouvé sur les plumes des oiseaux. Le pétrole a une signature et lorsque vous examinez le type de pétrole, vous pouvez dire exactement d'où il provient; vous savez alors s'il s'agit d'un suintement naturel. C'est de cette façon que l'on a pu savoir, dans le cas des guillemots, que le pétrole ne provenait pas de Terra Nova, mais de déversements. Chaque type est identifiable. Si vous pouvez obtenir des échantillons provenant des navires, vous pouvez analyser ces échantillons et savoir quel navire a déversé le pétrole. C'est de cette façon que l'on a su que les oiseaux étaient mazoutés à cause du déversement illégale de l'huile de fond de cale et non pas à cause d'un suintement naturel.

Dans son travail de recherche, Francis a d'abord voulu savoir comment fonctionnaient les courants. Il s'est rendu sur des navires et a eu recours à une étude de blocs dérivants. Il a utilisé des blocs qui pesaient la même chose et qui se comportaient de la même manière qu'une carcasse d'oiseau dans l'eau. Il a ensuite déterminé combien de blocs dérivants se sont retrouvés sur le rivage. Cela lui a permis d'avoir une idée du pourcentage de blocs qui parvenaient effectivement jusqu'au rivage.

Il a également fait des études sur la décomposition des carcasses. En hiver, à Terre-Neuve, la carcasse d'un oiseau ne durera qu'environ trois jours sur le rivage. Des relevés des oiseaux échoués n'avaient lieu qu'une fois par mois. Son étude a duré un hiver. Il a ramassé les carcasses toutes les semaines, tous les dimanches, pendant tout l'hiver. Il a alors su, à partir de la décomposition, que s'il trouvait un oiseau, ce dernier représentait vraisemblablement deux oiseaux qui auraient dérivé jusque sur le rivage. De même, des prédateurs naturels peuvent dévorer ces carcasses.

À partir de ses données, il a été en mesure d'extrapoler et d'obtenir le chiffre de 300 000, uniquement pour une petite zone de captage au large de la côte de Terre-Neuve. Comme je l'ai dit, il a écrit la thèse de doctorat. Je sais qu'elle a été publiée dans la documentation scientifique traitant de la pollution marine et qu'elle a fait l'objet d'un examen par les pairs. Je peux vous en obtenir des exemplaires si cela est utile. Vous pouvez lire pour connaître la méthodologie qui lui a permis d'arriver à ce chiffre. Il s'agit d'un chiffre prudent qu'Environnement Canada a accepté.

En fait, pour ce qui est des répercussions sur les mammifères, je sais que M. Rainer traite de cette question, parce que dans la région des Grands Bancs, nous avons des poissons, des baleines, des phoques et des marsouins. Il s'agit d'un environnement dynamique. À l'heure actuelle, nous ne savons pas comment cela influera sur d'autres espèces. Les oiseaux sont les plus faciles à trouver parce que leur carcasse s'échoue sur le rivage.

J'espère que cela répond à votre question.

Le président : Qu'est-ce qui a tué 48 p. 100 des oiseaux? Cela faisait partie de la question du sénateur Adams.

Mme Elmslie : Une grande partie des oiseaux qui échouent sur le rivage sont le résultat de la mortalité naturelle. Ce chiffre représente les oiseaux qui sont morts. De nombreux oiseaux meurent en hiver et leur carcasse parvient jusqu'au rivage. Ces chiffres sont constants. Lorsque j'étais sur les lieux du déversement du Prestige en Espagne, il y a eu un effort intensif pour ramasser tous les oiseaux mazoutés qui échouaient sur le rivage, et nous avons constaté les mêmes degrés de mortalité divers. Il y a une mortalité élevée en hiver.

Le sénateur Adams : Quelle est la distance entre les stations de surveillance? Combien de surveillance a été effectuée? Jusqu'où se fait cette surveillance, depuis notre rivage du Nouveau-Brunswick jusque dans l'Extrême-Arctique? Faites- vous une surveillance semblable sur la côte Ouest?

Il y a quelques années, je suis allé de Resolute jusqu'à Coppermine sur un navire de la Garde côtière. Nous faisions une analyse de la température de l'eau. Une pièce d'équipement était plongée dans l'eau à une profondeur de plus de 1 000 pieds et lorsqu'on la remontait à la surface, elle nous donnait une lecture de la différence de température depuis la surface jusqu'au fond. Avez-vous de l'équipement semblable pour faire cela?

M. Rainer : Je ne pense pas qu'aucun de nous trois soient en mesure de répondre à cette question. Je ne crois pas qu'il y a une surveillance rigoureuse des populations d'oiseaux de mer en fonction des dommages causés par les déversements de pétrole le long des côtes canadiennes, qu'il s'agisse de la côte Est ou de la côte Ouest. Il se pourrait bien qu'il y ait une certaine surveillance qui est en cours et dont nous ne sommes pas au courant. La plus grande partie de la surveillance, qui est faite par des bénévoles, sert davantage à mesurer les populations et les migrations et ce genre de choses qu'à suivre des situations environnementales précises comme les déversements de pétrole.

Le sénateur Adams : Est-ce que 300 000 est un chiffre réaliste?

M. Laughren : Il s'agit certainement de la meilleure estimation. Nous pourrions nous tromper de 20 000 ou de 30 000 oiseaux, ce qui est un nombre élevé, mais faible par rapport au total. C'est tout ce que nous pouvons faire, parce qu'il y a tellement d'oiseaux qui ne parviennent pas jusqu'au rivage, parce qu'ils coulent avant, et ils se retrouvent dans des endroits éloignés où il n'y a pas de surveillance. Nous ne pouvons que faire la meilleure évaluation possible à partir des oiseaux que nous avons comptés et de nos hypothèses. Il semble que dans cette étude, on a fait un travail très rigoureux et ce travail a fait l'objet d'un examen par les pairs. Environnement Canada accepte ces résultats et je pense que c'est le mieux que nous puissions faire.

Le président : Il serait utile que vous nous communiquiez cette information de manière que nous puissions examiner la méthodologie. Je crois comprendre, de vos propos, qu'il ne s'agit pas d'avoir trouvé 300 000 carcasses d'oiseaux, mais il s'agit plutôt d'une extrapolation. Est-ce exact?

M. Rainer : Oui, c'est exact.

C'est devenu un principe bien établi dans le domaine de l'environnement que, lorsqu'il y a une incertitude autour de questions scientifiques comme celle-ci, nous appliquions ce qu'on appelle le principe de précaution, c'est-à-dire pécher par excès de prudence. Le chiffre réel pourrait être bien plus élevé que 300 000, mais lorsque les gens font ce genre de recherche, ils ont tendance à être prudents dans leurs estimations; ils tendent à ne pas surestimer les chiffres par respect pour leur auditoire, puisque nous n'avons pas une certitude totale.

Le principe de précaution serait bien appliqué dans ce cas. Nous ne savons pas avec certitude le nombre total d'oiseaux qui subissent des effets. Nous ne savons absolument rien sur la façon dont les mammifères marins sont touchés. À cause de cette incertitude, le principe de précaution devrait nous donner encore plus de raison de vouloir adopter une législation qui favorise la protection de l'environnement.

Le président : Mme Elmslie s'est engagée à nous fournir un exemplaire de la méthodologie.

Le sénateur Forrestall : Avons-nous une idée de la population d'oiseaux dans notre partie du monde? Le chiffre de 300 000 se rapporte à quoi? Est-ce que le total est de 30 millions ou de 50 millions d'oiseaux? S'agit-il d'une goutte d'eau dans l'océan ou s'agit-il d'un nombre substantiel? Je ne veux pas dire que 300 000 n'est pas important. En fait, c'est tellement important que je n'arrive tout simplement pas à y croire, et j'ai vécu sur le rivage toute ma vie. Je n'ai pas constaté de déclin sur la côte Est.

Le premier satellite qui nous a fourni les données sur lesquelles nous avons fondé notre activité scientifique dans ce pays au cours des 50 dernières années était un instrument américain conçu pour fournir aux États-Unis l'information dont ils avaient besoin pour planifier et prendre de l'expansion de manière durable. Nous avons dû vivre avec cette information, même si elle n'était pas précise ou, pire, même si elle était imprécise. À ma connaissance, nous n'avons pas de technologie pour surveiller les oiseaux. Nous savons qu'il n'y a rien qui bouge sur cette terre qui ne se compte pas et qui n'a pas été compté.

M. Rainer : Il y a eu un nombre incroyable d'estimations des populations effectuées par le Service canadien de la faune, par les biologistes provinciaux et, de plus en plus, par des bénévoles, comme ceux d'Études d'Oiseaux Canada et d'autres organismes. Nous obtenons une image de plus en plus claire des populations d'oiseaux au Canada et dans le monde. À titre d'exemple, en 2004, le North American Land Bird Conservation Plan a été publié, les oiseaux terrestres étant les oiseaux chanteurs et les autres oiseaux qui habitent les forêts et les champs. Dans ce rapport, j'ai vu pour la première fois des chiffres de populations estimés pour tous les oiseaux faisant l'objet de ce rapport. Ces chiffres étaient fondés sur un volume de données incroyable. Ce n'est pas précis, mais l'image qui s'en dégage devient toujours de plus en plus claire.

En ce qui concerne les oiseaux de mer, le Service canadien de la faune a un programme de surveillance assez rigoureux à Sackville et à St. John's. Il y a des estimations raisonnablement bonnes pour des espèces comme le guillemot de Brünnich. Prenons les 300 000 oiseaux au large de la côte de Terre-Neuve, si on sait que la population de guillemots de Brünnich constitue environ 60 p. cent des oiseaux de mer au large de la côte en hiver, nous pouvons raisonnablement avancer l'hypothèse que peut-être 160 000 à 180 000 de ces oiseaux seraient des guillemots de Brünnich. Nous avons des estimations de la population totale de guillemots et nous pouvons avoir une idée des effets qu'elle subit. Nous savons qu'il y a dans la communauté biologique des préoccupations concernant précisément cette question, à savoir combien de guillemots, en particulier, subissent les effets des déversements de pétrole. La pression de la chasse, les déversements de pétrole, et d'autres effets suscitent des inquiétudes quant à la durabilité de cette population.

Le sénateur Forrestall : Vous ne pouviez pas donner un chiffre d'une certaine précision?

M. Reiner : Non. Il n'existe pas de technologie permettant de compter des organismes individuels comme vous le suggérez. Cette technologie n'a pas été appliquée de cette façon. Il y a eu des tentatives dans l'océan pour utiliser des techniques de surveillance ultramodernes pour compter des organismes individuels qui nagent dans l'océan. J'ignore dans quelle mesure ces tentatives ont été fructueuses.

Mme Elmslie : En ce qui concerne les guillemots de Brünnich, la perte de 300 000 individus dont M. Reiner a parlé, qui s'ajoute au nombre d'oiseaux tués dans le cadre de la chasse légale à Terre-Neuve, pourrait faire disparaître le tampon qui existe au sein de la population et la rendre vulnérable à des événements liés à la température, par exemple, qui pourraient faire en sorte que la population pourrait se mettre à décliner.

Ces oiseaux de mer mettent six ans pour atteindre la maturité sexuelle et en général, ne pondent qu'un ou deux œufs par année. Par conséquent, une fois que la population entre dans une phase de déclin, il lui est difficile de se rétablir.

Le sénateur Forrestall : Nous pourrions perdre la population tout entière.

Mme Elmslie : Nous pourrions certainement la lancer sur son déclin.

Le sénateur Forrestall : Ce serait une folle suggestion, n'est-ce pas?

M. Reiner : Il y a quelque chose comme 100 ou 150 ans, la tourte voyageuse était l'une des espèces d'oiseaux les plus nombreuses jamais connues. De quelques milliards d'individus, la population a décliné au point que la dernière tourte vivante, Martha, est morte au zoo de Cincinnati en 1914. Il est déjà arrivé qu'une population d'oiseaux très nombreuse chute assez rapidement, soit intentionnellement, ce qui était en partie le cas de la tourte voyageuse, ou non intentionnellement, comme c'est le cas de certaines de nos populations d'oiseaux de mer.

Le sénateur Buchanan : Je ne suis pas statisticien, mais je suis ici depuis longtemps et je sais que parfois, les statistiques prennent le pas sur tout le reste. D'où viennent vos valeurs estimées? J'ai entendu des chiffres allant de 50 000 ou 60 000 à 300 000. Je n'ai jamais vu de données précises sur l'origine de ces chiffres.

Monsieur Reiner, j'ai tendance à vouloir croire tout ce que vous dites parce que vous travaillez à Sackville, au Nouveau-Brunswick, et que je suis un diplômé de l'Université Mount Allison. Je connais certaines des personnes avec qui vous travaillez.

J'ai vécu presque toute ma vie au bord de la mer en Nouvelle-Écosse. J'ai été ministre des Pêches, chef de l'opposition, premier ministre et sénateur. Je connais les pêcheurs. Je les connais de la pointe du Cap Breton jusqu'à Sandy Point à Yarmouth. Je les ai visités au fil des ans et je continue de le faire. Je n'ai pas constaté de réduction importante de la population d'oiseaux de mer dans aucune de ces régions. Si vous allez à Port of Sambro aujourd'hui, vous allez voir plus d'oiseaux de mer que l'an dernier. Les pêcheurs ne me disent pas qu'ils voient tous ces oiseaux morts dont vous parlez et qui s'échouent sur le rivage. Je n'en ai pas vu depuis qu'un navire s'est échoué dans le détroit de Canso. Cependant, ils ne s'échouent pas en grand nombre. Beaucoup d'oiseaux de mer meurent. Beaucoup d'oiseaux meurent.

J'ai demandé à une amie vétérinaire ce qui arrive de tous les oiseaux qui meurent parce que nous ne les voyons pas et elle m'a dit qu'ils meurent dans les forêts. Il n'y a pas beaucoup de forêt au centre d'Halifax. Les oiseaux ne meurent pas à cause de la pollution dans l'océan, ils meurent de causes naturelles, comme c'est le cas de la plupart d'entre nous. J'ai vu une étude qui indiquait que moins de 10 p. 100 des oiseaux de mer dont vous parlez meurent à cause de la pollution dans l'océan. Le reste des oiseaux meurent pour d'autres raisons, mais pas à cause de la pollution. J'aimerais savoir d'où viennent vos chiffres.

Le président : Mme Elmslie a accepté de nous faire parvenir la source de cette information et la méthodologie, de sorte que nous puissions l'examiner. Nous voudrons également regarder d'autres sources, comme celle que le sénateur Buchanan a mentionnée, qui indique que moins de 62 p. 100 des oiseaux sont morts parce qu'ils ont été exposés au mazout. Regardons toutes les sources que nous pouvons trouver. Vous avez raison, il y a un adage qui dit : « Il y a les données statistiques et il y a les satanés mensonges ».

Le sénateur Buchanan : Je suis d'accord avec cela aussi. Ce que je n'aime pas, ce sont les satanés mensonges.

Le président : Cette information nous parviendra. Est-ce que cela vous satisfait?

Le sénateur Buchanan : Oui.

Le président : Nous serons en mesure d'examiner l'information et de poser des questions.

Le sénateur Adams : Il y a quelques jours, j'ai rencontré des représentants de certaines des plus grandes entreprises au monde qui m'ont dit qu'ils n'avaient jamais entendu parler du projet de loi C-15 jusqu'à il y a tout récemment. C'est la même chose pour les gens de ma région, l'Arctique. Le projet de loi C-15 n'aura pas d'effets uniquement sur les oiseaux; sa mise en application aura des répercussions sur tout ce qui concerne la terre, la mer et les lacs. Est-ce que votre organisme a été consulté par le gouvernement lorsqu'il a rédigé le projet de loi C-15?

M. Rainer : À ma connaissance, Nature Canada n'a pas participé directement à la rédaction du projet de loi.

Le sénateur Adams : Votre chiffre de 300 000 me pose des difficultés. Toute entreprise canadienne doit comprendre qu'elle peut être poursuivie au criminel. Souvent, le gouvernement n'agit pas jusqu'à ce qu'il entende des données statistiques comme 300 000 oiseaux tués chaque année.

Le président : C'était une affirmation, je pense, plutôt qu'une question, sénateur Adams.

Le sénateur Adams : Il faut que cette information vienne de quelque part.

Le président : Nous ferons comparaître les responsables du ministère qui ont rédigé le projet de loi et le ministre reviendra et nous pourrons poser des questions sur la genèse du projet de loi à ce moment-là. Le sénateur Hubley, qui est le parrain du projet de loi, pourrait avoir de l'information à cet égard.

Le sénateur Milne : Monsieur Laughren, j'ai tendance à être d'accord avec la position que vous avez avancée ce matin. J'ai remarqué que vous avez dit dans votre exposé que tout oiseau tué par le mazoutage est un oiseau de moins qui est accessible pour la chasse durable. Vous parliez de Terre-Neuve. Vous n'êtes pas ici aujourd'hui pour contester la chasse. Cependant, je suis toujours nerveuse lorsque j'entends des affirmations de ce genre, surtout si l'on considère la position du Fonds international pour la protection des animaux face à la chasse aux phoques au Canada et la façon dont il utilise cette question chaque année dans sa campagne de financement. Avez-vous l'intention d'utiliser cette approche comme une première étape dans la lutte contre la chasse aux oiseaux à Terre-Neuve?

M. Laughren : C'est une question valable et je suis heureux de dire non. Le Fonds mondial pour la nature est un organisme qui préconise une utilisation durable. Dans plusieurs domaines, notre dossier démontre que nous ne sommes pas opposés à la chasse. Monty Hummel, notre président émérite actuel, est fier du fait qu'il est un chasseur de canard, et ne rate aucune occasion de le dire; alors, il serait heureux que je le dise. Cela ne fait absolument pas partie d'une initiative explicite ou cachée pour limiter la chasse. Nous n'avons pas de problème avec une utilisation durable ou une récolte durable des populations.

Le sénateur Milne : Je suis heureuse d'entendre cette réponse.

Madame Elmslie, en tant que diplômée de Guelph comme moi, qu'entend faire votre organisme dans l'avenir au sujet de la chasse aux oiseaux?

Mme Elmslie : Je suis venue traiter de cette question précise, parce que mon travail, c'est de remettre sur pied les oiseaux mazoutés. Nous pouvons réagir aux déversements de pétrole tant que nous voulons, mais ce que nous voulions, c'est traiter du problème du déversement chronique et délibéré du pétrole. À l'heure actuelle, notre organisme n'a pas de projet concernant la chasse au Canada. Le Fonds international pour la protection des animaux du Canada a un énoncé de politique qui appuie la chasse autochtone et la chasse de subsistance. Il ne s'agit pas d'une question que nous entendons poursuivre.

Le sénateur Milne : Sauf pour la chasse aux phoques.

Mme Elmslie : Sauf pour la chasse aux phoques.

Le sénateur Buchanan : Pourquoi sauf la chasse aux phoques?

Le président : La question est irrecevable. Nous n'allons pas nous engager dans cette voie. Le projet de loi C-15 ne parle pas des phoques.

Le sénateur Buchanan : Votre organisme a attaqué les pêcheurs de la Nouvelle-Écosse et le gouvernement au cours des années. Oui, s'il s'agit des phoques; non, s'il s'agit des oiseaux. J'aimerais savoir quelle est la différence.

Le président : Nous ne parlons pas des phoques aujourd'hui.

Le sénateur Milne : Le président a décidé que ma prochaine question était irrecevable. Je m'incline. Il y a plusieurs préoccupations. Je suis d'accord avec vous pour ce qui est des oiseaux, mais pas pour ce qui est des phoques.

Mme Elmslie : De toute évidence, nous avons une différence d'opinion sur cette question. Sénateur Milne, si vous me permettez cette audace, si vous ou d'autres sénateurs aimeriez un suivi sur la question de la chasse aux phoques, j'aimerais me présenter à votre bureau avec notre directeur de pays et nous pourrons parler de cette question précisément.

Le président : Je soupçonne que nous parlerons des phoques à un moment donné dans un certain contexte, mais pas aujourd'hui.

Le sénateur Oliver : J'ai une courte question complémentaire qui s'adresse aux deux témoins qui ont répondu dans le cas de la chasse aux oiseaux. Avez-vous une opinion particulière sur le type de munitions à employer pour la chasse aux oiseaux?

M. Laughren : Au risque de voir ma question jugée irrecevable parce que je parle d'un programme personnel, je crois que la position du WWF, c'est que nous devrions éliminer le plomb qui est une des toxines les plus dangereuses pour l'environnement.

Le sénateur Oliver : Ne s'agit-il pas encore d'une politique ferme?

M. Laughren : Nous allons vous faire parvenir la réponse. Je ne suis pas certain.

Mme Elmslie : Nous n'avons pas de déclaration ou de politique concernant la chasse aux oiseaux.

Le sénateur Christensen : Avez-vous une idée si les navires qui font des déversements au large sont surtout canadiens ou étrangers? Il semblerait qu'il s'agit surtout de navires étrangers qui transitent par nos eaux, par opposition à ceux qui s'arrêtent chez nous.

M. Laughren : Il est juste de dire que nous ne connaissons pas les chiffres, mais en termes de trafic maritime global, le Canada est un acteur important, mais relativement petit dans l'échiquier mondial; alors, je peux m'aventurer à dire qu'il est assez certain, surtout que de nombreux navires ne s'arrêtent effectivement pas au Canada, que la majorité des navires, uniquement sur la foi des chiffres, ne sont pas canadiens.

Le sénateur Christensen : Le projet de loi C-15 est important face au réchauffement climatique et nos eaux de l'Arctique deviennent de plus en plus libres. L'Arctique remplacera probablement le canal de Panama comme voie maritime d'importance.

Le sénateur Adams : Ce sera au cours des 10 prochaines années.

Le sénateur Christensen : Dix ou vingt ans, ce n'est pas long. L'Arctique ne fait pas l'objet de la même surveillance que certaines parties de la côte Est, d'où vient le sénateur Buchanan, ou de la côte Ouest. Il y a des possibilités de catastrophes environnementales là-bas, accidentelles ou non. Elles touchent non seulement les oiseaux, mais les ours polaires. Un ours polaire dont la fourrure est mazoutée est en sérieuse difficulté. Les oiseaux sont un peu comme les canaris dans les mines de charbon, pourrait-on dire. Tellement plus d'organismes sont touchés. Il y a le fond de l'océan, les crustacés et les mollusques, les poissons eux-mêmes, les phoques, les loutres de mer et jusqu'au bas de la chaîne alimentaire. Nous faisons partie de cette chaîne alimentaire. Nous finissons par manger ces organismes d'une façon ou d'une autre.

Dans le dernier exposé, ce qu'on a été répété à maintes reprises, c'est l'injustice pour ceux qui polluent de manière accidentelle et la crainte que tout l'équipage soit accusé à cause d'une pollution accidentelle. Pourriez-vous faire des observations sur cette question? Quelqu'un pourrait appuyer accidentellement sur le mauvais bouton et du pétrole se retrouve dans la mer. Il pourrait y avoir un transfert de carburant pendant lequel du pétrole s'échappe dans l'eau. Vous prenez le radiotéléphone et vous dites : « Nous venons juste d'avoir un accident. Venez nous aider. Nous allons participer au nettoyage; nous allons mettre un barrage flottant et nous allons faire toutes ces bonnes choses ». C'est un accident. Personne ne sera accusé parce que vous avez signalé l'accident et que vous avez reconnu en être responsable.

Cependant, quelqu'un pourrait être en train de naviguer sur les océans avec un fond de cale plein d'eau et de pétrole dont il veut se débarrasser. Il ne veut pas entrer dans un port et prendre temps et argent pour s'en débarrasser. Il ouvre les vannes et laisse le liquide s'écouler. Il ne dit rien à personne. Alors, ce n'est pas un accident. À mon avis, il y a une nette distinction à faire ici.

Je suppose que c'est une déclaration plutôt qu'une question.

Nous avons entendu dire que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et le projet de loi C-15 différent essentiellement en matière de pollution accidentelle. Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails à ce sujet?

M. Laughren : Je crains de ne pas pouvoir bien le faire. Nous pourrions demander à notre service juridique d'examiner cela.

Le sénateur Christensen : Nous allons obtenir des avis juridiques. Peut-être est-ce-là que c'est là que nous devrions obtenir les renseignements.

Le président : Seulement pour confirmer, nous aimerions connaître votre avis sur ce sujet, étant qu'il n'y a qu'un an que le Canada a ratifié l'UNCLOS, si je ne me trompe pas.

M. Laughren : Vous ne vous trompez pas.

Le président : L'UNCLOS a une disposition spécifique sur les sanctions imposées à des navires étrangers déversant des matières interdites, si je peux m'exprimer ainsi, quand il n'ait pas prouvé qu'ils l'ont fait intentionnellement; ces sanctions se limitent à des amendes et pas à des peines d'emprisonnement. Il y a, de prime abord, un conflit entre les obligations du Canada envers l'UNCLOS et celles qu'il a envers le projet de loi C-15. Les obligations ne sont pas nouvelles dans le projet de loi C-15. Je pense que le sénateur Christensen souhaite que vous, et Sierra Legal Defence Fund, dites quelque chose sur ce conflit particulier. À première vue, il semble y avoir un conflit entre une obligation internationale, que nous avons signée, et des propositions qui existent peut-être dans la Loi actuelle, mais qui sont aussi mentionnées dans le projet de loi C-15.

M. Laughren : C'est une question très pertinente pour l'application de la loi sur les pêches au large de Terre-Neuve et qui suscite aussi de l'intérêt ces temps-ci.

L'UNCLOS est un document qu'un non-spécialiste, je parle pour moi, a de la difficulté à comprendre, mais il est évident que l'UNCLOS vise à établir la façon dont nous nous traitons mutuellement à l'intérieur et à l'extérieur de nos eaux territoriales. Il y a des différences dans ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire dans nos eaux territoriales et dans notre zone économique exclusive de 200 milles. Cela reste en grande partie non éprouvé. L'UNCLOS est clair sur le fait que les nations doivent coopérer, élaborer et appliquer des lois visant à protéger le milieu biologique marin de leurs eaux.

Il est difficile de séparer un certain nombre d'éléments. Nous ne pouvons pas, bien sûr, nous conduire comme des cow-boys, arrêter qui l'on veut et les mettre en détention pour toujours, mais je m'en remettrai au SLDF pour déterminer les limites de notre conduite envers les navires étrangers selon la situation. Je pense que c'est vraiment très compliqué.

Le sénateur Christensen : Est-ce que le projet de loi C-15 est plus sévère que certaines ententes internationales traitant de cette même question ou essayons-nous simplement de rattraper notre retard?

M. Laughren : Dans la lutte contre le déversement, il est évident que nous essayons simplement de rattraper notre retard. D'autres pays, notamment l'Union européenne et les États-Unis ont arrêté, imposé des amendes et accusé des marins d'avoir commis des infractions en mer. Il n'est pas clair que nous ne pouvons pas accuser des navires étrangers ou des étrangers. Des dispositions prévoient ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire et quand nous devons obtenir la permission de l'État du pavillon de ce navire. Pour ce qui est des limites, je m'en remettrai aux avis juridiques que vous allez obtenir, mais l'application des lois dans notre propre juridiction, notamment dans la zone économique exclusive, et les dispositions relatives à la criminalité ne sont pas une idée nouvelle dans cette loi.

Le sénateur Christensen : En élaborant ce projet de loi, pensez-vous que le gouvernement consulte le public, l'industrie et les intervenants de manière adéquate?

M. Laughren : Je peux probablement répondre pour tout le monde. Nous ne sommes pas au courant de consultations. Il est vraiment très difficile à répondre à cette question.

Le sénateur Christensen : Estimez-vous avoir été consulté de manière appropriée au sujet de ce projet de loi?

M. Rainer : Nature Canada a eu l'occasion de présenter des exposés sur le projet de loi C-34 antérieur et de présenter des exposés à la Chambre concernant le projet de loi C-15. Je vous remercie de nouveau pour cet exposé d'aujourd'hui. Certains de ces problèmes sont probablement des questions de procédure parlementaire. Ceux qui, comme vous ou les autres, travaillent dans le système parlementaire sont les mieux placés pour décider si ces processus ont été respectés ou si vos lignes directrices y sont incluses.

Le sénateur Christensen : Je sais que le sénateur Forrestall, ainsi que le sénateur Buchanan, ont dit qu'ils voyaient encore beaucoup d'oiseaux. Les populations peuvent très vite disparaître à cause du réchauffement du globe. Je ne suis pas du tout biologiste. J'ai une mangeoire pour nourrir les sizerins flammés et au cours de ces 25 dernières années, j'achète et j'utilise annuellement 200 livres de graines de tournesol décortiquées. Cette année, j'ai rempli la mangeoire au mois d'octobre et aucun oiseau n'est venu. C'est la première fois que cela arrive en 25 ans. Il n'y a tout simplement pas d'oiseaux. Pas un seul oiseau n'est venu.

Le sénateur Oliver : Vous ne vivez pas en mer, n'est-ce pas?

Le sénateur Christensen : Non, mais des petits oiseaux sont victimes du réchauffement du globe provoqué par la pollution.

Le président : Est-ce que l'une de vos organisations a été consultée pour l'élaboration ou la préparation du projet C- 15 avant qu'il soit présenté au Parlement?

M. Laughren : Non.

Le sénateur Buchanan : Vous avez mentionné les États-Unis. Savez-vous qu'aux États-Unis, la plupart des responsabilités dans des cas similaires sont civiles au lieu d'être criminelles?

M. Laughren : Je ne suis pas spécialiste du droit américain, mais il y a eu des affaires civiles et criminelles dans des cas de déversement. Je ne connais pas les détails.

Le sénateur Buchanan : Y a-t-il eu, à votre connaissance, comme dans ce projet de loi, un transfert de la charge de la présomption d'innocence à une présomption de culpabilité, ce qui constitue une violation de la Déclaration des droits de l'homme des Nations Unies? C'est ce que fait ce projet de loi. Savez-vous si les Américains ont fait de même?

M. Laughren : Aux États-Unis, un certain nombre de lois telles que la Loi sur la pollution par les hydrocarbures (Oil Pollution Act) et la Loi sur les allégations fallacieuses (False Claims Act) permettent de porter des accusations pour les infractions de déversements et de pollution. Je ne les connais pas toutes.

Le sénateur Buchanan : Je demande s'il y a eu, à votre connaissance, une inversion de la charge de la preuve aux États-Unis.

M. Laughren : Oui. Je sais qu'aux États-Unis la responsabilité stricte est courante.

Le sénateur Buchanan : Non. J'ai demandé si l'inversion de la charge de la preuve existe aux États-unis; vous êtes présumé coupable et il vous appartient de prouver votre innocence.

M. Laughren : Je ne sais pas si cela se fait aux États-Unis ni que c'est ce que fait ce projet de loi, si je l'ai bien compris.

Le sénateur Buchanan : C'est le cas dans ce projet de loi. Le savez-vous?

M. Rainer : Ce que je comprends, c'est que ce n'est pas tant que vous êtes présumé coupable, c'est que l'infraction est commise du moment qu'il y a une preuve. Autrement dit, si le déversement atteint l'eau, l'infraction est commise. Dans un cas de responsabilité stricte, vous pouvez montrer que vous avez fait preuve de diligence due, et c'est plus ou moins ce que vous serez obligé de faire.

Le sénateur Buchanan : Cependant, vous serez quand même accusé. L'officier, l'armateur, l'ingénieur seront accusés en vertu de ce projet de loi en cas de, comme le sénateur l'a dit, déversement accidentel d'une tasse d'hydrocarbure. Un agent de conservation de gibier pourrait se présenter et déclarer « Je vous accuse », et ils seront accusés d'une infraction.

Le président : Peuvent être accusés.

Le sénateur Buchanan : D'accord, peuvent être accusés, très bien. J'irai jusque là. Toutefois, aussitôt qu'ils sont accusés, l'officier, l'ingénieur et d'autres membres de l'équipage impliqués, et cetera, doivent alors prouver leur innocence. Cela est en contradiction avec la Charte canadienne des droits et libertés. C'est certainement en contradiction avec la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies.

M. Reiner : Si vous me permettez, sénateur, je crois que la Cour suprême du Canada s'est déjà prononcée sur cette question et y a été favorable. Une responsabilité stricte s'applique...

Le sénateur Buchanan : De quelle affaire s'agit-il?

M. Reiner : De l'affaire R. c. Wholesale Travel Group Inc., je ne suis pas exactement sûr ce dont il s'agissait. C'était en 1991 et il était question de tout le problème de la responsabilité stricte.

Le sénateur Buchanan : Cette affaire n'a rien à voir avec ce dont nous parlons.

M. Reiner : Je pourrais citer directement la décision du tribunal, si vous voulez ou je pourrais vous envoyer ces renseignements plus tard, mais il est indiqué que pour des questions telles que la protection de l'environnement, la responsabilité stricte est un mécanisme approprié permettant à la société de résoudre ces problèmes.

Le sénateur Buchanan : Ce juge a convenu qu'il devrait y avoir une inversion du fardeau de la preuve. Est-ce cela que vous êtes en train de dire?

M. Reiner : Je ne sais pas si c'est une inversion de la charge de la preuve, mais il y a différents gradients. Il y a la responsabilité absolue, la responsabilité stricte et la mens rea. Ils disent que ce genre de question le place carrément au milieu, en essayant d'équilibrer l'intérêt public et la responsabilité personnelle.

Le sénateur Buchanan : Vous venez d'utiliser le bon terme : mens rea, car ce qui ce passe avec ce projet de loi, c'est qu'il y a eu une inversion de la charge de la preuve.

M. Reiner : Oui, mais elle était compatible avec la loi environnementale récente.

Le sénateur Buchanan : Vous le dites, mais je ne pense pas que ce soit vrai.

Le président : Sénateur Buchanan, la documentation que l'on nous a remise contient des informations à ce sujet. Je me réfère au document, que nous a fait parvenir mardi notre chercheur juridique, qui cite la réponse à la question. Sénateurs, nous obtiendrons notre propre avis indépendant à ce sujet, mais nous devons faire attention à l'utilisation du terme « inversion de la charge de la preuve ». Il y a une distinction entre une inversion de la charge de la preuve dans le sens qu'elle inverse simplement les choses, alors que la responsabilité stricte ne le fait pas, si je comprends bien. Dans le cas de l'application d'une responsabilité stricte que la Cour suprême, ainsi que l'a dit notre témoin, a décidé qu'elle avait été appliquée de manière appropriée dans le cadre de la loi environnementale, le fait qu'il appartient à la Couronne de prouver hors de tout doute raisonnable qu'un événement s'est produit est une chose, mais ensuite la capacité de montrer en se fondant sur la prépondérance des probabilités qu'il y a eu diligence due et que cette négligence n'avait pas eu lieu est tout autre chose au niveau de la charge, ce n'est donc pas une inversion précise de la charge.

Le sénateur Buchanan : Si ce que vous venez de dire est le cas, si c'est actuellement la loi environnementale du Canada, pour quelle raison alors cet article est contenu dans ce projet de loi? Si c'est la loi en vigueur, pourquoi l'avons-nous dans ce projet de loi?

Le président : Parce que c'est un projet de loi qui amende un projet de loi actuel, et il faut s'y référer, comme pour la Loi sur les espèces en péril, et cetera.

Le sénateur Buchanan : Donc, qu'êtes-vous en train de dire?

Le président : Le projet de loi ne crée pas l'application d'une responsabilité stricte en ce qui concerne la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs. La responsabilité stricte existe déjà dans la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs et l'a été depuis la promulgation de cette Loi.

Le sénateur Buchanan : Si c'est le cas, pourquoi y a-t-il des articles dans ce projet de loi?

Le président : Ils modifient ou amendent la nature de la juridiction dans laquelle elles s'appliqueront et ils changent le niveau des amendes et la nature des peines imposées en cas de condamnation. Cependant, le concept de la responsabilité stricte n'est pas nouveau et il n'est pas introduit dans le projet de loi actuel.

Le sénateur Buchanan : On pourrait avoir un grand débat à ce sujet.

Le président : Et nous en aurons un, car nous aurons aussi notre propre avocat.

Le sénateur Spivak : Puis-je seulement dire que la responsabilité stricte n'est pas un concept nouveau.

Le sénateur Buchanan : Je le sais.

Le sénateur Spivak : Il y a longtemps que ce concept existe. J'ai reçu une assignation du tribunal à cause du déclenchement de mon système d'alarme. Ils ont simplement supposé que j'étais coupable de quelque chose et j'ai une amende : soit je paie soit je dois aller au tribunal.

Le sénateur Buchanan : Ils doivent le prouver. La partie poursuivante doit le prouver.

Le sénateur Spivak : Non, ils n'ont pas à le prouver. Je dois aller au tribunal pour dire que je suis innocente.

Le président : À l'ordre. Nous en discuterons longuement quand nous en saurons plus sur ces questions que ce que nous savons aujourd'hui. Je vous promets que nous en discuterons.

Le sénateur Hubley : L'industrie du transport maritime nous a dit clairement que la consultation était l'une de ses préoccupations, la dimension du problème et la façon dont il affecte notre pays. Quand vous menez vos études et que vous élaborez des rapports et des publications, essayez-vous d'impliquer l'industrie du transport maritime dans le problème tel que vous le percevez?

M. Laughren : Le Fonds mondial pour la nature est certainement un organisme qui a une longue histoire de coopération avec l'industrie et nous en sommes fiers. Nos rapports avec l'industrie du transport maritime sont récents. Ce n'est pas une industrie avec laquelle nous avons établi des rapports à long terme, mais nous avons abordé cette question avec l'Association des armateurs canadiens et la Fédération maritime du Canada avant que la loi ne soit présentée. Je crois qu'il y a plusieurs associations et nous les avons rencontrées. Nous avons rencontré des sociétés telles que la Société maritime CSL pour essayer de régler cette question. Nous avons envoyé à l'Association maritime un rapport renforçant les arguments dans cette affaire. Nous avons été en contact avec l'industrie du transport maritime au sujet de cette question.

Le sénateur Hubley : Est-ce que l'industrie du transport maritime vous a fait part de ses sentiments vis-à-vis de cette affaire?

M. Laughren : Je me permets de rapporter notre conversation avec le directeur de l'Association canadienne de la marine marchande de l'époque, M. Richard LeHir, un ancien parlementaire. Quand nous avons mentionné 300 000, il a répondu non, seulement 10 oiseaux ont été tués à cause d'un manque de communication. Au cours d'une conversation téléphonique, il nous a dit qu'ils ne pensaient pas que c'était un grand problème si l'on se fondait sur les preuves. Il ne nous a certainement pas paru intéressé à continuer à étudier la question avec nous. Mais, ce n'était qu'une personne et une conversation.

Depuis que ce projet de loi a été présenté, des représentants de l'industrie du transport maritime m'ont téléphoné à deux ou trois reprises pour me dire qu'ils voulaient entamer des discussions pour voir ce que nous pouvions faire à ce sujet.

Le sénateur Hubley : C'est une bonne nouvelle. J'avais l'impression qu'ils ne savaient peut-être même pas qu'il y avait un problème, qu'une catastrophe environnementale se produisait. Je suis content qu'ils aient été contactés par vos groupes.

Je voudrais aussi parler du coût pour les Canadiens. Quels sont les autres coûts? Qui nettoie? Est-ce que ce sont les volontaires qui s'occupent en grande partie du nettoyage ou comment procédez-vous pour nettoyer?

Mme Elmslie : Il y a deux niveaux de déversements aujourd'hui. En cas de déversement catastrophique près de la côte, la personne responsable du déversement d'hydrocarbures est responsable des coûts de nettoyage. Et il y a les déversements d'origine inconnue. Malheureusement, dans la majorité de ces cas, quand les oiseaux atteignent la côte, ils ne peuvent plus être nettoyés.

En ce qui concerne l'incident de décembre dans lequel des guillemots avaient été mazoutés par un navire qui passait, puis ces oiseaux sont apparus sur la côte. Pétro-Canada a construit un centre à St. Johns à Terre-Neuve pour nettoyer les oiseaux mazoutés qui se posaient sur ses plateformes de forage en mer; les employés des plateformes voulaient que cette question soit réglée. Pétro-Canada a une installation de nettoyage à St. Johns. Après avoir été nettoyés, les oiseaux sont transportés à l'Association des industries de l'environnement de Terre-Neuve-et-Labrador où on les relâche. Tout cela est financé par le secteur privé.

Même si ces oiseaux ont été mazoutés par un navire qui passait, c'est Petro-Canada qui a payé tous les coûts de nettoyage de ces oiseaux.

Il y a au Canada ce que nous appelons la Caisse d'indemnisation de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causés par et de manière générale, s'il y a un déversement d'origine inconnue, c'est à ce fonds qu'il faut s'adresser pour être remboursé, donc ce n'est pas l'argent des contribuables. Quand le pollueur est connu, c'est à lui de régler les coûts de nettoyage.

Le sénateur Hubley : Je crois comprendre qu'il y a un conseil international des affaires maritimes et que, depuis des années, Environnement Canada présente cette question de déversement d'hydrocarbures en mer et d'oiseaux mazoutés à cet organisme en vue de sensibiliser l'industrie du transport maritime. C'était une tentative de présenter cette question à cette industrie, j'ai donc du mal à comprendre la raison pour laquelle ils n'étaient pas au courant de la situation ni de la gravité de cette situation. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Rainer : Je peux dire que c'est à Terre-Neuve que se sont produits la majorité des incidents signalés et rapportés principalement par les médias de l'Est. Je ne sais pas jusqu'à quel point ces incidents ont été signalés par les médias de l'Ouest du Canada. Selon les sociétés de transport maritime que nous avons entendues l'autre soir, il semblait que la plupart de ces médias étaient dans la région de Vancouver, il se pourrait tout simplement que les nouvelles n'arrivent pas là-bas aussi rapidement qu'elles le devraient.

Toutefois, il m'a paru un peu étrange qu'un des présidents de la société ait admis ne pas être au courant des 300 000 oiseaux. On a pensé que peut-être leurs associations devraient s'intéresser un peu plus à certaines de ces questions environnementales et communiquer les renseignements à leurs membres. Il serait peut-être juste de dire qu'aujourd'hui ils s'intéressent beaucoup plus à cette question, comme ils le devraient, et il faut espérer qu'ils seront plus proactifs à l'avenir afin de nous aider à trouver une solution au problème.

M. Laughren : J'aimerais ajouter, si vous me le permettez, pour rendre justice aux transporteurs maritimes que les sociétés individuelles avec lesquelles nous avons eu des discussions, nous ont toutes dit qu'elles avaient de rendements et qu'elles avaient fait leur travail. Que leurs politiques étaient en place. Qu'elles ne voulaient pas que leurs employés déversent des hydrocarbures, donc qu'elles n'étaient pas concernées par le problème. J'éprouve une certaine sympathie à l'égard de cette position. Je pense que l'industrie canadienne du transport maritime est relativement évoluée, mais je comprends qu'elle soit frustrée par son incapacité à contrôler l'industrie du transport maritime dans son ensemble en se fondant sur le point de vue d'une seule société.

Le sénateur Oliver : Je voudrais poursuivre deux questions posées par le sénateur Hubley, qui est le parrain du projet de loi, concernant la Fédération maritime du Canada. C'est une question juridique.

La Fédération maritime du Canada s'inquiète du fait que ce projet de loi transgresse certaines lois internationales. À votre connaissance, est-ce que le projet de loi C-15 transgresse un accord quelconque international en vigueur tel que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer?

M. Laughren : Non, pas à ma connaissance. Je citerai quelqu'un d'autre qui a comparu, je crois, devant le comité, et a dit qu'il était très difficile de prouver quelque chose sans preuve. Je n'ai pas vu de dispositions, même l'industrie du transport maritime n'en a pas montré — ils l'ont peut-être fait et j'ai pu le rater — qui transgressent d'autres dispositions. C'est possible, mais, à ma connaissance, il n'y a pas de violation ni de conflits directs.

Le sénateur Oliver : Ni à votre connaissance ni à celle de Mme Elmslie?

M. Rainer : Non.

Le sénateur Oliver : Est-ce quelqu'un vous a dit qu'il y avait une violation et est-ce que la Fédération s'en préoccupe beaucoup?

M. Rainer : Personne n'en a parlé directement avec Nature Canada, mais nous croyons savoir qu'une très grande équipe d'avocats a participé à l'élaboration des projets de loi C-34 et C-15. Il est presque sûr qu'ils ont d'abord étudié les lois internationales et nos obligations envers ces lois?

Le sénateur Oliver : C'est une supposition, car vous ne le savez pas.

M. Rainer : Je ne sais pas, mais je serais très surpris d'apprendre qu'ils n'ont pas tenu compte d'un élément aussi important. En cas de conflit grave, ce serait un obstacle, mais je ne pense pas que ce soit le cas.

Mme Elmslie : Moi aussi, je n'en ai pas entendu parler. Pour défendre le même argument que M. Laughren, j'aimerais qu'on me l'explique. J'ai entendu le message des transporteurs maritimes, mais j'aimerais qu'on m'explique précisément de quelle façon il transgresse d'autres lois.

Le sénateur Buchanan : Je crois que vous avez raison de mentionner que le vrai problème ne provient pas des navires canadiens. Les syndicats, les armateurs et les autorités portuaires ont indiqué l'autre soir l'excellent travail de la plus grande partie des navires canadiens.

Cependant, la plupart des problèmes qu'ils connaissent sont les déversements accidentels. Le grand problème — ils l'ont admis l'autre soir — pas seulement admis, ils l'ont dit clairement, est posé par les navires étrangers, ils essaient eux-mêmes d'attraper ces navires étrangers peu scrupuleux. Nous étions tous présents, c'est exactement ce qu'ils ont dit.

Ce qui les inquiète dans ce projet de loi, c'est qu'un agent de conservation de gibier peut arrêter un navire canadien s'il croit que ce navire a déversé un gallon d'hydrocarbures. L'agent de conservation de gibier peut arrêter le navire et accuser toutes ces personnes. Cependant, il ne peut pas arrêter un navire étranger, qui est en réalité le grand polluant. Pour procéder à l'arrestation, l'agent doit obtenir l'accord et la permission du procureur général du Canada.

Il y avait quelque chose de similaire dans un projet de loi sur les motoneiges, il y a longtemps. Avant de pouvoir traverser une autoroute, il fallait le consentement du ministre de la Voirie. Quelqu'un avait dit à la législature : « Dimanche après-midi, je suis sur ma motoneige et, soudainement, je dois téléphoner à Harry Howe chez lui, un dimanche, pour lui dire : Harry, je suis près de l'autoroute 101. Est-ce que je peux la traverser cet après-midi? » C'est tout de même un peu ridicule, mais c'est exactement ce qu'ils disent là. Un agent de conservation de gibier peut arrêter un navire canadien, qui peut avoir accidentellement déversé une petite quantité d'hydrocarbures, mais s'il s'agit d'un grand polluant, un navire étranger par exemple, il ne peut pas le faire et il doit obtenir le consentement du procureur général du Canada. Est-ce juste?

M. Laughren : Je le pense, dans une certaine mesure. Je parlerai de mon domaine d'expertise, c'est-à-dire les pêches. Le même problème se pose, il faut suivre des processus différents pour arrêter les navires étrangers qui pêchent plus que les pêcheurs canadiens. La première règle, y compris selon la loi internationale, est de s'occuper d'abord de ses propres intérêts. Quelques mauvais pêcheurs pêchent au-delà de la limite de 200 milles et pénètrent de temps en temps dans notre zone. La loi internationale détermine quand et de quelle façon nous pouvons les arrêter, mais nous les arrêtons. Nous montons à bord de ces navires, nous les prenons et les détenons en conformité avec la loi internationale. En fait, le Canada en a reculé les limites et a aidé à créer la jurisprudence dans ce contexte. Je ne sais pas si on peut utiliser cet argument puis déclarer que nous devrions assouplir les normes s'appliquant à nos pêcheurs canadiens.

Cela est également vrai pour le transport maritime. La norme est la même. Il est illégal de déverser des hydrocarbures dans nos eaux sous peine de sanctions. Nous utiliserons tous les moyens — je pense que c'est la position adoptée — offerts par la loi internationale pour arrêter, imposer des amendes, détenir et empêcher les navires étrangers de déverser des hydrocarbures dans nos eaux. Cela aide à le faire, mais nous ne pouvons pas réécrire la loi internationale ici et aujourd'hui. Nous devons suivre certaines procédures pour cela. Cependant, les agents de conservation de gibier dont vous parlez, comme l'a mentionné M. Rainer, sont des agents de la force publique extrêmement bien entraînés, ce ne sont pas des spécialistes de la faune ou autre. Ils sont très bien formés notamment en matière de questions maritimes.

Le sénateur Buchanan : Combien y a-t-il de gardes-chasse?

M. Laughren : On m'a dit 55, mais je ne peux pas le confirmer.

Le sénateur Buchanan : Dont dix travaillent ici, à Gatineau et Hull; il en reste donc 45 pour surveiller la côte ouest, la côte est et la région des Grands Lacs.

M. Laughren : Je crois cependant que les agents ont aussi le pouvoir de porter des accusations en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, comme il se doit.

M. Rainer : Ce n'est qu'une hypothèse, étant donné que je ne suis pas avocat, mais je me demande si la disposition concernant le consentement du procureur général ne tient pas au fait que la personne doive aviser son homologue du pays d'où vient le bateau étranger. Peut-être s'agit-il d'une norme qui a déjà été établie dans les conventions internationales; c'est la procédure à suivre.

Le sénateur Buchanan : Si c'est la norme, pourquoi cette disposition figure-t-elle dans le projet de loi? Quelqu'un a posé la question l'autre soir.

M. Rainer : Seulement pour que ce soit explicite.

Le sénateur Buchanan : Il y a beaucoup de choses dans ce projet de loi qui semblent servir à cela.

M. Rainer : Même si c'est déjà prévu dans le droit international, il faut que ce soit reflété dans les lois canadiennes pour qu'il y ait conformité entre le droit international et nos procédures.

Le sénateur Adam : Monsieur le président, j'ai une question supplémentaire. En vertu du droit international, il existe une saison de chasse pendant laquelle, par exemple, il est permis de chasser les bernaches du Canada et les oies blanches dans l'Arctique. Il n'y a rien de tel pour les oiseaux de mer. Je crois qu'il y a différentes saisons de chasse pour les oies blanches, les bernaches du Canada et les canards, en vertu d'un accord international conclu entre les États-Unis et le Canada. Autant que je sache, les 300 000 oiseaux tués chaque année par les déversements d'hydrocarbures n'ont pas été pris en considération dans cet accord sur la chasse aux oiseaux.

Selon les dispositions du projet de loi proposé, les gardes-chasse pourront arrêter le capitaine d'un navire qui aurait vidé en mer un baril contenant 45 gallons de pétrole. Une fois cette mesure législative adoptée, y aura-t-il plus de gardes-chasse à bord des bateaux de la Garde côtière canadienne?

M. Laughren : La situation ne changera pas après l'adoption du projet de loi C-15. Celui-ci ne propose rien en ce qui a trait au nombre de gardes-chasse ou à leur manière de travailler. Il porte uniquement sur les différentes amendes que l'on peut imposer et sur les modalités d'application.

Mme Elmslie : Il y a un protocole d'entente selon lequel les ministères travailleront ensemble. Je crois que la collaboration entre ceux-ci sera renforcée.

Le sénateur Adams : Il y a quelques années, nous n'avions pas le droit de chasser au printemps; nous avons alors expliqué au gouvernement que c'était une saison de chasse dans nos communautés. Il faut dire qu'actuellement, il y a une surpopulation de certaines espèces. Au printemps, je vois les oiseaux déterrer des racines pour se nourrir. Ils mangent la base des racines et détruisent les plantes. Du coup, l'année suivante, la région est aride. En ce moment, le gouvernement se rend finalement compte, par l'entremise de ses gardes-chasse, du problème de surpopulation; on peut donc chasser autant d'oiseaux qu'on veut. Voilà un changement de stratégie. Je ne sais pas ce qui arrivera après l'adoption du projet de loi C-15 parce que celui-ci concerne précisément les oiseaux migrateurs, ce qui inclut les bernaches du Canada et les oies blanches qui migrent vers l'Arctique chaque année. Cette mesure s'appliquera-t-elle à ces oiseaux?

M. Laughren : C'est probablement une question à poser à Environnement Canada, mais je crois qu'ils ne sont pas visés par ce projet de loi.

Le président : Mardi dernier, nous avons entendu les transporteurs, et je voudrais avoir vos commentaires là-dessus : Prenez pour acquis qu'il y a des gens peu scrupuleux dans la marine marchande et que les bateaux modernes munis de séparateurs ne font pas ce genre de choses, mais allez un peu plus loin. Ils ont aussi affirmé que l'industrie du transport — c'est-à-dire les navires de charge, les pétroliers et autres — n'est responsable que de 12 à 15 p. 100 des déversements d'hydrocarbures et que le reste est attribuable à une myriade de petites embarcations non équipées de séparateurs — des centaines de navires de pêche, des milliers de bateaux de plaisance, des motomarines et toutes sortes d'autres embarcations qui ne font pas partie de l'industrie du transport.

Bien sûr, nous étudierons ces données, mais ces témoins ont dit que si d'importantes quantités d'hydrocarbures se retrouvent dans l'eau, eux, y compris les moins scrupuleux, ne sont responsables que d'une petite partie de ces déversements.

Avez-vous lu ce témoignage?

M. Laughren : Non, mais je connais ces chiffres. C'est tout à fait vrai que les hydrocarbures qui se retrouvent dans notre environnement proviennent davantage de sources terrestres que des vidanges de fonds de cales. La différence, c'est que les déversements attribuables à ces autres sources sont souvent moins importants et ne causent pas la formation de nappes d'hydrocarbures à la surface de l'eau.

Le président : Nous avons entendu dire qu'une goutte de la taille d'une pièce de 25 sous était aussi néfaste qu'une grosse nappe.

M. Laughren : C'est vrai, mais qu'elle soit de la taille d'une pièce de 25 sous ou qu'elle forme une traînée derrière un gros navire sur une distance de cent milles, la nappe d'hydrocarbure doit rester à la surface pour nuire aux oiseaux. Le facteur déterminant est une concentration d'hydrocarbures assez élevée pour former une nappe. Une seule goutte suffit. Les hydrocarbures provenant de plusieurs de ces autres sources sont suffisamment dilués pour ne pas former de nappe à la surface de l'eau.

M. Rainer : Il n'en reste pas moins qu'ils polluent. J'ai assisté aux audiences du comité mardi soir et j'ai été très déçu de voir que vos témoins n'acceptent pas vraiment de prendre la situation en mains pour s'attaquer aux difficultés de l'industrie. C'est vrai, il y a aussi ces problèmes et il faudra les résoudre d'une manière ou d'une autre. Certains sont un peu plus compliqués parce que les quantités sont vraiment faibles et que les petits bateaux très nombreux. Ce qui rend le défi difficile à relever, c'est que le problème est très répandu. Mais n'entrons pas dans ces considérations; c'est l'objet d'un autre débat.

Je comparerais la situation à celle d'une compagnie minière qui dirait vouloir abattre des arbres pour exploiter une mine. Bien que connaissant les répercussions néfastes qui s'ensuivraient, la compagnie ne se sentirait pas concernée par le problème puisque c'est l'industrie forestière qui est responsable de la coupe de la plupart des arbres. Nous, les écologistes, avons été heureux de constater qu'au lieu de jeter le blâme sur les autres, les industries forestières et minières, notamment, ont vraiment accepté d'assumer leurs responsabilités. Je ne suis pas en train de dire que tous les transporteurs maritimes se défilent. Nature Canada entretient de très bonnes relations de travail avec l'Association des produits forestiers du Canada et l'Association minière du Canada, et les secteurs que ces dernières représentent prennent vraiment la question au sérieux. Ils admettent qu'il y a des problèmes qu'ils peuvent contribuer à résoudre, et c'est tout ce que nous leur demandons de faire.

Le sénateur Cochrane : Combien de navires soupçonne-t-on de rejeter des déchets dans nos eaux territoriales et combien se font prendre chaque année en flagrant délit? Autrement dit, combien échappent à notre vigilance?

Mme Elmslie : C'est très difficile à dire. Un système de surveillance, le RADARSAT, est présentement en place et photographie la surface de l'océan. Quand il y a des hydrocarbures à la surface de l'eau, se forment des nappes que l'on peut facilement distinguer sur une photographie RADARSAT. Lors de la fuite de pétrole provenant du Terra Nova, on s'est servi des photographies pour se faire une idée précise du nombre de nappes d'hydrocarbures qui flottaient sur l'eau.

Je n'ai pas ces chiffres, mais le ministère sera peut-être en mesure de vous les fournir. Avant RADARSAT, seuls les avions de surveillance pouvaient localiser ces nappes. Cependant, à cause du temps qu'il fait au large des côtes de Terre-Neuve en hiver, du brouillard et des mauvaises conditions en mer, c'était souvent difficile pour un avion de se rendre sur les lieux. Du coup, les navires pouvaient être à quelques jours de distance avant qu'on ne découvre le méfait. Je sais qu'il n'y a qu'un seul avion de surveillance pour le Canada atlantique et un seul aussi pour l'Ouest canadien.

Le sénateur Cochrane : Je sais, c'est terrible.

Le président : Comme ce fut le cas pour chacun des groupes d'experts qui ont comparu relativement à ce projet de loi, nous pourrions continuer d'en parler encore longtemps, mais c'est impossible. Il ne me reste plus qu'à vous dire merci beaucoup d'avoir été avec nous ce matin. Il se peut que nous ayons d'autres questions à vous poser, si c'est le cas, nous vous les enverrons par écrit. S'il y a autre chose que vous voudriez nous dire, veuillez s'il vous plaît écrire au greffier.

Merci beaucoup d'avoir été des nôtres ce matin.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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