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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 5 - Témoignages du 15 février 2005 - Séance du matin


TORONTO, le mardi 15 février 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 heures en vue de se pencher sous les enjeux touchant la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Tout d'abord, je tiens à souhaiter la bienvenue à tout le monde, à l'occasion de cette première journée de la série d'audiences publiques que nous tiendrons dans chaque province et territoire d'ici la fin du mois de juin. Nous commençons ici, à Toronto, nous irons ensuite à Montréal, et nous irons vers l'Est et vers l'Ouest par la suite.

J'aimerais dire aux gens qui sont ici — ainsi qu'aux gens des médias, car je sais qu'il y en a —, que notre comité se réjouit de l'intérêt suscité par les rapports que nous avons déposés en novembre dernier, et nous sommes particulièrement heureux de la participation des survivants, des consommateurs et de leur famille.

Comme vous le savez peut-être, au moment du dépôt des rapports, en novembre dernier, nous avions versé sur notre site Web un bref questionnaire, sept questions, pour tenter de donner aux consommateurs et à leur famille l'occasion de nous raconter leurs expériences de vie, car nous étions conscients du fait que cela est très difficile à faire sur une tribune publique. Et c'est le visage humain de la maladie mentale et de la toxicomanie qui nous a vraiment poussés à entreprendre ces travaux.

Comme certains d'entre vous le savent sûrement, car j'ai souvent souligné ce fait dans des discours, de nombreux membres du comité ont été confrontés à la souffrance d'un membre de leur famille immédiate aux prises avec un problème de santé mentale, de sorte que nous avons pu nous rendre compte de visu à quel point le système est, franchement, médiocre, et, en réalité, l'un des dangers dans le domaine des soins de santé. Lorsque nous lisons des comptes rendus sur les rencontres des premiers ministres et qu'on parle des milliards de dollars en jeu, et ainsi de suite, nous sommes toujours frappés par le fait que ni la couverture médiatique ni les déclarations des dirigeants politiques — ou, du moins, une très petite part — ne mentionnent les patients. On ne fait aucune mention de l'impact humain du système de soins de santé.

La raison pour laquelle le rapport que nous avons déposé en novembre dernier s'assortissait d'une partie I intitulée « Le visage humain de la maladie mentale » était bien simple : nous tentions de faire comprendre aux gens qui liraient ce rapport qu'il ne s'agit pas uniquement de dollars, d'organisations, de structures et d'autres choses du genre. Nous parlons de services réels pour des personnes réelles, et c'est pour cette raison que notre premier groupe de témoins ce matin, en ce premier jour d'audiences pancanadiennes, met l'accent sur les gens qui ont été victimes de maladie mentale, ainsi que sur leur famille et d'autres membres de leur entourage.

Je me réjouis du fait que, au cours des deux séances de ce matin, nous accueillerons des personnes qui ont eu la générosité d'accepter de prendre la parole et de relater leurs histoires personnelles, car je crois qu'il est essentiel que le comité ne perde pas de vue qu'il s'agit d'une histoire humaine, d'un drame humain, et nous comptons bien améliorer les choses.

Histoire de mettre la situation en contexte — je ferai photocopier ceci plus tard — samedi dernier, on a publié dans le Chronicle Herald de Halifax un dessin qui, je crois, interpellera toute personne ayant fait l'expérience du système de soins de santé mentale. Le dessin montre un petit bureau avec un médecin et une infirmière et une pancarte « Services de santé mentale », et toutes les personnes en attente de services sont de l'autre côté d'un abîme aussi large que le Grand Canyon; et l'infirmière dit au docteur :
« Bien sûr, le système présente certaines failles. » Je crois que cela décrit très bien le système actuel.

Dans notre séance d'ouverture de ce matin, nous accueillons Pat Capponi, Darrell Powell, Diana Capponi et Helen Hook, qui est coordonnatrice du Consumer/Survivor Information Resource Centre, ici même à Toronto. Je les invite donc, à commencer par Mme Diana Capponi, à formuler une brève déclaration, et, par la suite, nous aimerions vous poser des questions.

Je tiens à vous remercier tous les quatre d'être venus ce matin. En passant, j'aimerais signaler officiellement à mes collègues que plus de 500 personnes ont répondu à notre questionnaire, alors que la plupart d'entre nous en attendaient moins de 100. Nous ne pensions tout simplement pas que cela fonctionnerait. Ces témoignages comptent parmi les choses les plus touchantes que j'aie jamais vues, et ils nous seront énormément utiles, car nous pourrons assortir notre rapport final d'extraits de témoignages. Je veux remercier publiquement toutes les personnes qui ont pris le temps de remplir notre questionnaire.

Diana Capponi, je vous demanderais seulement, avant que vous preniez la parole, d'appuyer sur le bouton afin qu'un voyant rouge s'allume sur votre micro. Merci.

Mme Diana Capponi, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l'occasion de fournir des renseignements pertinents sur les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, et les dilemmes économiques et professionnels connexes. Bien sûr, je compte également réagir à votre troisième rapport préliminaire.

Je ne suis pas étonnée de constater que le chapitre du rapport qui porte sur l'emploi compte parmi les plus courts. Cela n'est pas inhabituel, puisque la notion d'accès de notre collectivité à l'éducation, à l'emploi et aux débouchés économiques est relativement nouvelle. Jusqu'à il y a une dizaine d'années, environ, on nous disait de nous compter chanceux de toucher un chèque de prestations d'invalidité, d'avoir une carte de médicaments, bien sûr, et, généralement, de vivre dans un logement insalubre que la plupart des Canadiens considéreraient comme inacceptable. Nous avons appris à être reconnaissants au prétendu personnel de soutien pour les conditions de logement souvent médiocres qu'il nous procurait.

Notre Charte des droits et libertés confère une gamme complète de droits aux citoyens canadiens. Toutefois, on nous refuse un grand nombre de ces droits, que les autres tiennent pour acquis. Pour commencer, j'expliquerai le rôle que je joue ici en Ontario à l'égard de la situation économique et professionnelle des gens qui ont bénéficié de notre système de soins en santé mentale et en toxicomanie.

J'ai quitté le système il y a 24 ans, après avoir bénéficié de services liés à des problèmes de santé mentale et de toxicomanie au cours des 28 premières années de ma vie. Je n'ai pas réintégré le système à titre de cliente depuis cette époque, car, après toutes ces années passées à l'intérieur et à l'extérieur du système, j'ai enfin compris que je ne peux compter que sur moi-même pour apporter du changement. Le fait de dépendre des autres, d'accepter leurs idées arrêtées concernant mon potentiel, m'a fait plus de mal que de bien.

Le président : Pourriez-vous parler un peu plus lentement? Le traducteur éprouve de la difficulté à vous suivre. Merci.

Mme Diana Capponi : D'accord. Le fait de dépendre des autres, d'accepter leurs idées arrêtées concernant mon potentiel, m'a fait plus de mal que de bien. Heureusement pour moi, je suis le genre de personne qui ne renonce pas facilement. Depuis que j'en suis venue à cette conclusion, j'ai acquis la conviction que mon rôle est de commencer à fournir de l'espoir et du changement aux personnes en proie à une pauvreté de l'âme, propre aux membres de ma collectivité — aucun espoir pour l'avenir, entourés de personnes qui nous qualifient constamment de « brisés », qui nous taxent de « psychiatrisés », qui nous tolèrent au lieu de nous accueillir.

Votre rapport s'assortit d'un chapitre sur la discrimination. La discrimination est omniprésente dans notre pays. Que le gouvernement fédéral prenne si peu de mesures pour lutter contre la discrimination liée à la santé mentale est scandaleux. Je crois fermement que l'intégration complète des gens aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie contribuera largement à l'évolution des attitudes et des croyances.

La pleine intégration commence, bien sûr, par l'obtention d'un emploi rémunérateur. Selon moi, les progrès modestes réalisés au cours des dix dernières années sont attribuables au travail de ces personnes ayant surmonté des problèmes de santé mentale qui contribuent à la création de groupes d'entraide et, en particulier, celles qui ont lancé et qui exploitent des entreprises parallèles.

Les entreprises parallèles sont gérées et contrôlées entièrement par des personnes ayant des antécédents en matière de santé mentale et de toxicomanie. Pour une raison qui m'échappe, elles n'existent qu'ici, en Ontario. Certains d'entre vous connaissez peut-être le service de messagerie express A-WAY ou le restaurant Raging Spoon. Ces entreprises, qui existent depuis environ 25 ans, se distinguent de l'approche classique des ateliers protégés ou des entreprises appliquant des mesures en faveur de groupes désavantagés, lesquelles appartiennent à des organismes sans but lucratif, et sont gérées par eux. Même si le rapport « À l'unisson » publié par votre gouvernement en 2001 qualifie ces entreprises de « pratiques efficaces », vous semblez savoir bien peu de choses à leur égard.

La demande en information sur la mise en valeur des entreprises parallèles à l'échelle internationale est élevée, et j'étais plutôt déçue que votre rapport n'en fasse pas mention. De fait, il semblerait que la majeure partie du contenu du chapitre 3 porte sur les personnes qui participent actuellement au marché du travail, et qu'on s'attache très peu aux personnes qui n'en ont jamais eu l'occasion, ou qu'on a découragées de chercher à améliorer leur sort. On m'a déjà dit d'accepter ma situation et de renoncer à l'idée d'aller à l'école et d'avoir une carrière. Dieu merci, je ne les ai pas écoutés, car je ne serais pas ici aujourd'hui. Je compterais parmi les milliers de personnes vivant une existence médiocre, marquée par la médication, la folie et la pauvreté abjecte.

J'ai consacré les 20 dernières années de ma vie à la promotion de l'emploi et à la création d'entreprise. Dans le cadre de mes fonctions à titre de directrice générale de Fresh Start Cleaning and Maintenance, j'ai rapidement compris que les gens peuvent se montrer à la hauteur de vos attentes ou se cantonner dans la catégorie diagnostique que les travailleurs utilisent pour déterminer leurs efforts.

L'Ontario Council of Alternative Businesses a pris naissance rapidement et, contre toute attente, a réussi à lancer cinq autres entreprises, ici à Toronto.

Vous trouverez dans la documentation que je vous ai fournie un film qui s'intitule Working Like Crazy. Cette production, le fruit d'un partenariat entre l'Office national du film et le conseil, a été présentée en Amérique du Nord et au Royaume-Uni, à un public qui, malheureusement, ne comprenait que trop bien la situation des personnes qui ont été dans le système.

La raison pour laquelle ces entreprises fonctionnent si bien, c'est qu'elles sont conçues pour satisfaire aux besoins particuliers de groupes qui veulent avoir accès à des débouchés économiques. Aujourd'hui, après un peu plus de 10 ans, nombre d'entre nous en Ontario exigeons un emploi, exigeons d'être payés pour ce que nous faisons, et manifestons un intérêt croissant à faire des études. Tout cela, bien sûr, dans un contexte où les autres ne croient pas en nous. Depuis bien trop longtemps, on nous dit de ne pas essayer de nous intégrer, de ne pas essayer de travailler, de ne pas essayer de guérir, parce que nos maladies perçues ne s'estomperaient jamais et que, bien sûr — toujours la même histoire — « ce serait trop stressant pour vous. »

On ne prête absolument aucune attention aux facteurs sociaux qui influent sur la santé des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

Enfin, notre communauté voit l'impact du travail et des attentes, et elle en veut plus. Nous devons veiller à ce que votre comité examine les besoins de ces personnes qui sont exclues du marché du travail depuis si longtemps, auxquelles on a fait croire qu'il n'avait rien de mieux à faire que d'attendre leur prochain chèque. Le bien-être passe par la participation, l'autodétermination et l'estime de soi.

Nous affichons un taux de chômage de 85 p. 100, situation intolérable pour toute communauté, qu'elle se définisse par des critères géographiques ou sociaux. Le gouvernement fédéral se doit de réagir à cette statistique alarmante, et voici certaines de mes idées à cet égard.

Le gouvernement fédéral a récemment décidé de ne plus recourir à la sous-traitance pour la prestation de services d'aide à l'emploi, mais a lancé un appel d'offres. Cette démarche découle, bien sûr, d'un rapport préparé par IBM, à la demande de notre gouvernement. Ainsi, ces organismes ayant déjà fait leurs preuves devaient maintenant présenter une soumission pour obtenir du financement. Cela soulève tout un tollé aujourd'hui, car, au bout du compte, ce sont les entreprises de formation professionnelle du secteur privé qui l'emportent. On a rejeté la candidature des groupes les plus efficaces, sans fournir de justification.

J'ai assisté tout récemment à une tribune communautaire où l'on dénonçait avec virulence l'absence d'information et la disparition de certains services. Par exemple, Link Up Employment Services, l'un des organismes les plus efficaces pour ma communauté, et jouissant d'une bonne réputation auprès du secteur privé, a fermé ses portes le 31 janvier, sans aucune forme d'explication. Il s'agissait d'un service dispensé entièrement par des personnes handicapées.

Après avoir entendu le dernier Discours du Trône, nous avions bon espoir que le Premier ministre reconnaîtrait et valoriserait le travail des entreprises à vocation sociale. Pourtant, Industrie Canada, principal responsable d'aider et de soutenir ces initiatives, ne semblait ni saisir ni comprendre toute la beauté des entreprises parallèles, qui sont florissantes ici en Ontario.

Des partenariats merveilleux ont été créés et, fait plus important encore, des gens maintiennent leurs emplois et leurs entreprises avec un peu d'aide de réseaux et de coalitions comme le Toronto Enterprise Fund. C'est l'une des initiatives les plus enthousiasmantes dans notre pays, et elle procure des emplois et des débouchés économiques à des centaines de personnes. Pourtant, Industrie Canada la connaît très peu, ou pas du tout.

Il y a des groupes comme Parkdale Green Thumb Enterprises, lequel s'engage auprès d'associations locales d'amélioration des entreprises à veiller à ce que les terrains soient propres et à ce que les fleurs poussent; c'est une idée novatrice qui convient aux deux groupes concernés, mais elle n'a jamais été reproduite ailleurs au pays. Si nous voulons nous attaquer à la discrimination, ces groupes sont des experts en la matière. Nous devons tirer avantage de leurs compétences et de leur expertise au lieu de tenter de réaliser les idées des autres.

L'Organisation mondiale de la santé envisage l'invalidité non pas au moyen d'un modèle fondé sur la maladie, mais bien d'une approche plus globale, y compris les obstacles créés par la société. Ce n'est pas l'invalidité qui empêche les gens de travailler. Ce sont les obstacles, pour la plupart créés par les attitudes.

J'aimerais maintenant aborder les enjeux que vous soulevez dans votre rapport. Premièrement, je me demande pourquoi il n'y a aucune définition nationale du terme « invalidité ». Il y a une définition dans le Code national des droits de la personne et dans la Loi sur l'équité en matière d'emploi, mais pourquoi les provinces peuvent-elles en faire fi et adopter leur propre définition? De fait, cela permet aux provinces de continuer à discriminer contre les personnes ayant certains handicaps — en particulier, les personnes aux prises avec un problème de toxicomanie. Ici en Ontario, un problème de toxicomanie n'est pas considéré comme un handicap, même si c'est le cas dans la définition du gouvernement national. De plus, on prévoit que la définition fédérale s'appliquera lorsque la situation est ambiguë. Pourquoi cela n'a-t-il pas fonctionné ici en Ontario?

Pour ce qui est des gens qui participent déjà au marché du travail, voici un document intitulé « Navigating Workplace Disability Insurance : Helping People with Mental Illness Find the Way.» Comment est-il possible qu'aujourd'hui, au Canada, un groupe de personnes aux prises avec un handicap ou des problèmes de santé mentale et de toxicomanie ait besoin d'un guide pour recevoir les avantages fondamentaux que les autres Canadiens tiennent pour acquis?

Le Régime de pensions du Canada, l'Assurance-emploi et les assureurs privés semblent conspirer pour rendre de plus en plus difficile l'acquisition de ces prestations payées. Ce n'est qu'un des problèmes auxquels sont confrontées les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Le RPC, bien qu'il ait été récemment passé en revue, adopte une approche naïve et plutôt ignorante en matière de santé mentale, se contentant d'appliquer un modèle de diagnostic médical, même si le modèle médical est actuellement remis en question.

Bien trop souvent, les gens qui ont affaire aux assureurs et aux provinces ne peuvent supporter le stress ou le fardeau financier qu'on leur impose au moment même où ils ne sont pas en mesure de travailler. Nombre d'entre nous croyons fermement que les assureurs privés, lesquels, je crois, relèvent d'une réglementation fédérale, devraient être tenus responsables de la façon dont ils traitent les gens ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

Que fait le gouvernement fédéral pour veiller à ce que des méthodes et des procédures appropriées soient appliquées aux personnes ayant des problèmes de santé mentale et de toxicomanie? Pourquoi les assureurs privés ne sont-ils pas encouragés à élaborer des programmes appropriés de retour au travail au lieu de programmes punitifs? Le gouvernement fédéral croit-il vraiment qu'il traite les membres de notre collectivité de la même façon qu'une personne bénéficiant d'une chimiothérapie? Si c'est le cas, vous vous trompez fort.

J'avancerais que, malheureusement, la plupart des gens aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie savent qu'ils devraient taire leur maladie ou leurs problèmes au travail, ce qui n'est pas un choix sain. La mesure de l'invalidité à long et à court termes ne permettra pas de déterminer si le milieu de travail est sain. On doit établir une culture de respect et de compréhension à l'égard de tous les employés. C'est là une mesure véritable de la santé mentale en milieu de travail. Certes, les programmes d'aide aux employés doivent apprendre à mieux composer avec les problèmes de santé mentale. Pour de nombreuses personnes, trois ou quatre visites ne suffisent pas, et, naturellement, tout cela est encore lié au mieux-être en milieu de travail.

En quoi soutient-on les employeurs canadiens? Le gouvernement fédéral déclare que les employeurs canadiens doivent se plier aux exigences de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, mais on leur offre très peu de soutien à cet égard. Où les employeurs peuvent-ils aller pour trouver de l'information et des ressources relatives aux enjeux touchant le code des droits de la personne, le retour au travail et l'obligation de tenir compte de la situation de quelqu'un? À l'heure actuelle, même si la majorité des employeurs canadiens comptent moins de 100 employés, il n'existe aucun service leur permettant d'accéder à ces ressources, à moins qu'ils n'acceptent de payer des frais d'utilisation. Qu'est-il advenu du service CanJana? C'est un service du gouvernement fédéral qui permettait aux employeurs d'accéder aux ressources nécessaires pour veiller au recrutement et au maintien en poste de personnes handicapées. Depuis la fermeture de ce service, rien n'a été créé pour le remplacer.

Le RPC doit revoir de fond en comble ses pratiques visant les personnes ayant des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Comme c'est le cas au sein de notre société en général, il y a des exemples flagrants de procédures et de méthodes discriminatoires. Les gens qui évoluent au sein de ces systèmes doivent totalement revoir leur façon d'envisager les programmes de formation professionnelle et d'emploi du régime, dont un grand nombre sont discriminatoires et punitifs de nature, car on refuse l'accès aux personnes étiquetées de certains diagnostics. C'est monnaie courante au RPC.

Que fait le gouvernement fédéral pour soutenir l'échange de connaissances entre les médecins et les employeurs? Les médecins possèdent très peu de connaissances en ce qui concerne les enjeux touchant le retour au travail ou, d'ailleurs, l'emploi et son incidence sur les personnes handicapées. Or, qui détermine à quel moment une personne retourne au travail? Bien souvent, c'est le médecin. On a mené beaucoup de recherches prometteuses sur les enjeux touchant le retour au travail, sur la réduction du délai d'absence des employés, et sur le coût assumé par les employeurs canadiens à l'égard de l'invalidité à long terme. Pourtant, le gouvernement permet à l'une des tables rondes les plus efficaces et importantes de disparaître, au lieu de promouvoir l'adoption de pratiques favorisant un milieu de travail sain qui contribueraient largement à favoriser le maintien en poste d'employés ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

J'ai appris avec enthousiasme que le ministre fédéral de la Santé avait chargé Michael Wilson et Bill Wilkerson de se pencher sur les enjeux touchant la santé mentale et le milieu de travail au sein du gouvernement fédéral. Il est le premier employeur en importance au Canada, et j'avancerais que des changements s'imposent. J'oserais espérer que ces changements comprendront le recrutement ciblé de personnes ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, et que le gouvernement fédéral ira bien au-delà des efforts déployés par notre secteur bancaire, de façon à ce que les personnes aux prises avec un problème de santé mentale ou de toxicomanie aient accès à tous les postes, quel que soit le niveau ou la classification. Vous pourriez ainsi montrer au public canadien et à vos employés que vous « prêchez par l'exemple ».

Enfin, un examen des programmes d'aide aux employés, des assureurs privés et du RPC et l'adoption d'une définition uniforme du terme « invalidité » permettraient de réaliser des progrès importants en vue d'aider les employés aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Tant que les organisations et les employeurs adopteront des attitudes discriminatoires, il y aura des obstacles à l'emploi et à la pleine jouissance des droits conférés par la citoyenneté canadienne. Nous devons répondre aux besoins économiques et aux besoins d'emploi de ceux qui sont exclus de la population active du Canada, de ces personnes qui ont tant besoin d'être intégrées. Vous devez examiner des initiatives comme les entreprises parallèles. Il faut que la définition du terme « entreprise à vocation sociale » englobe ces initiatives qui se sont révélées fructueuses pour les personnes ayant des antécédents en matière de maladie mentale et toxicomanie.

N'acceptez pas des approches limitées et des points de vue subjectifs en ce qui concerne la capacité des gens de travailler. Je vous prie de continuer de prendre connaissance de la réussite de personnes comme moi-même et des personnes qui travaillent dans le système, et de faire en sorte que tous les Canadiens puissent jouir des avantages de la citoyenneté.

Le président : Merci, Diana.

Pat, vous avez maintenant la parole.

Mme Pat Capponi, à titre personnel : Merci, et merci aux membres du comité de m'accueillir de nouveau. Je vous suis reconnaissante. Je parlerai d'une lacune du rapport.

Sénateur Kirby, il y a un autre dessin humoristique qu'on voyait pendant les années 80. On y voyait un grand hôpital morne, au sommet d'un promontoire, et les gens qui quittaient l'hôpital tombaient en bas de la falaise, chose qui, malheureusement, est toujours d'actualité.

Pour une personne de la classe moyenne, un diagnostic de maladie mentale grave crée un monde de douleur et une existence semée d'embûches. Vous entendrez sans doute des personnes vous dire aujourd'hui à quel point leur vie peut être difficile. Pour ceux qui portent l'étiquette de « malade chronique », toutefois, ces défis augmentent de façon exponentielle, car cela signifie que les aidants ont abandonné.

Les premières expériences d'un grand nombre de patients psychiatriques chroniques sont définies par la pauvreté, car elles sont souvent nées au sein de familles dont la situation était déjà difficile. Le traitement supposait l'internement et des soins en milieu surveillé dans l'arrière-salle d'établissements provinciaux, parfois pendant des décennies, où on inculquait sans relâche aux patients chroniques qu'ils étaient absolument dépendants à tous les égards de leur existence pathétique, et que toute résistance à l'autorité serait sévèrement punie.

Infantilisés, surmédicamentés, soumis à des électrochocs, lobotomisés et contrôlés, nous en étions réduits à une existence qui se limitaient à des parties de cartes interminables, à regarder la télévision tout l'après-midi, et à fumer constamment des balles de tabac, seule récompense pour notre bonne conduite. Il n'y avait aucune attente à notre égard, nous n'avions aucune décision à prendre. Le monde se débrouillait plutôt bien sans nous jusqu'à la désinstitutionnalisation, c'est-à-dire jusqu'à l'expulsion en masse des malades des hôpitaux provinciaux, sans aucune mesure pour les aider à s'adapter à cette nouvelle liberté.

Nous étions brisés, énormément vulnérables, inconscients de nos droits et obligations, et, bien souvent, analphabètes, sans aucune compétence professionnelle, sans amis, et avec bien peu de contacts avec notre famille. De plus, nous avions l'air étrange avec notre démarche très lente — propre aux personnes qui consomment de la thorazine — nos corps bouffis par des années de nourriture d'établissement, et cette toux profonde, occasionnée par la consommation effrénée de cigarettes bon marché sans filtre, notre seul plaisir.

Nous étions vulnérables à l'exploitation, aux agressions physiques et sexuelles, et au désir de nous soustraire temporairement à notre situation grâce à la drogue. Nous n'avions aucune défense. Dans notre nouveau monde, nous étions toujours isolés par notre peur, notre pauvreté et la réaction de colère du quartier à l'égard de notre présence. Épuisés par les médicaments qui nous paralysaient, nous passions nos jours et nos nuits à dormir dans des chambres surpeuplés. Notre vie s'arrêtait à cela, et les rares professionnels qui se chargeaient de préparer nos ordonnances ou de nous aider à passer d'un centre d'accueil insalubre à l'autre estimaient que c'était tout ce dont nous étions capables.

Les années ont passé. Certains se sont suicidés ou sont morts d'une maladie physique. D'autres ont poursuivi cette demi-existence pendant que l'amélioration des soins bénéficiait à ceux que l'on jugeait plus méritants.

Pire encore, nous constations que les patients plus âgés qui disparaissaient étaient remplacés par des femmes et des hommes nouvellement étiquetés, qui provenaient de la même strate sociale et qui apprenaient rapidement un grand nombre des leçons communes d'impuissance et de défaite. L'institutionnalisation se poursuivait au sein de la collectivité, définie par l'absence de soins et l'indifférence devant nos malheurs.

Certains d'entre nous, un très petit nombre au début, qui n'avaient pas été enfermés aussi longtemps que les autres, qui avaient réussi à vivre un peu entre les hospitalisations, avons reconnu le mal qui avait été fait à notre communauté. Nous avons commencé à remettre en question les idées reçues en ce qui concerne notre identité et nos capacités. Nous avons amorcé, au début des années 80, une lutte qui a duré un quart de siècle avant de mener à des gains et des changements réels, et nous avons essentiellement fait cela sans aide ni soutien des personnes chargées de nous dispenser des soins, à une exception près : Mme Reva Gerstein, qui témoignera devant le comité plus tard aujourd'hui.

Nous commencions à comprendre que notre apparence et la façon dont nous nous sentions, que la façon dont on nous forçait à vivre, notre isolement, notre exclusion et notre désespoir, l'insoutenable pauvreté, avaient bien peu à voir avec le diagnostic attribué, quel qu'il soit. Nous avons regardé ceux qui sont seulement pauvres, et constaté que le stress et la difficulté de tenter de se loger et de se nourrir créent des émotions négatives analogues aux symptômes de la maladie mentale. Nous étions misérables parce que nous étions plongés dans la misère.

En 1995, l'Ontario Council of Alternative Businesses a exercé des pressions en vue de pouvoir établir des entreprises de survivants dans la province, démarche qui se détache radicalement de l'approche classique en matière de réadaptation professionnelle, et a obtenu du financement à cette fin. Nous avions des modèles là où il n'y en avait pas auparavant. Nous accomplissions des choses, nous brisions les mythes et les idées préconçues nous concernant et nous formions une communauté.

Les patients psychiatriques chroniques se sont montrés déterminés à se présenter au travail à l'heure, à acquérir de nouvelles compétences et à nouer des amitiés durables, et les gens saisissaient chaque occasion d'apprendre de l'expérience des autres. Nous arrivions à vaincre nos démons intérieurs — sans l'aide du système de soins de santé mentale, où des millions de dollars consacrés à de vastes campagnes publicitaires avaient échoué.

Néanmoins, pour chaque progrès réalisé, il y a des reculs. Aux yeux d'un grand nombre de personnes, un patient psychiatrique chronique n'est qu'un malade mental. On ne donne pas aux personnes portant cette étiquette le droit d'être une personne à part entière, on ne s'attend pas à ce qu'une telle personne ait une personnalité qui reflète celle de l'ensemble de la population — bon, méchant et tout ce qu'il y a entre les deux. Un schizophrène est un schizophrène, et tout ce qu'il fait est attribuable non pas à la nature sous-jacente de cette personne, mais bien à sa maladie. Une personne amère et en colère, ou qui a une dépendance à l'égard du crack ou d'autres drogues, commet un acte terrible, et on s'unit pour décrier toutes les personnes qui portent la même étiquette. On mine nos droits civils en adoptant des lois pour protéger la société contre les malades mentaux.

Par conséquent, nous avons des équipes de traitement communautaire dynamique, ou TCD, dont la fonction consiste essentiellement à s'assurer que le client prend son médicament. Même si leur mandat est censé être plus large — et il l'est, théoriquement — il existe peu d'endroits convenables où les équipes peuvent envoyer leurs clients, et encore moins d'occasions d'emploi. L'employé qui soulève ce point met son poste en danger; celui qui signale que les logements sont horribles met son poste en danger. Les seules ressources que nous ayons en abondance sont, encore une fois, de coûteux psychiatres, des ergothérapeutes, des infirmières et des travailleurs sociaux qui en sont réduits à distribuer des pilules et des seringues, de façon à garder les malades sortants dans une camisole de force chimique, pour rassurer le reste de la collectivité.

Si un client est déprimé et en colère en raison des contraintes qu'on lui impose, on augmente sa dose de médicaments. S'il a peur de son propriétaire ou s'il est incapable de dormir dans une pièce surpeuplée, on augmente sa dose de médicaments. S'il est affamé et agité par la pauvreté, on augmente sa dose de médicaments, et s'il lui reste suffisamment d'énergie pour se mettre en colère, la posologie veillera à ce que cette colère s'estompe.

Nous avons démontré que ces « malades chroniques » qui travaillent au sein d'entreprises exploitées par des survivants exigent moins de médicaments et passent moins de temps à l'hôpital. Nous avons démontré que la pire chose à faire — et on nous le fait encore aujourd'hui —, c'était de nous dire que nous pouvions rien accomplir, qu'on ne pouvait rien attendre de nous sans risquer une rechute dans la psychose. On nous a ainsi dérobé nos vies et nos espoirs, et nos ambitions, si petites soient-elles. Le fait de remplacer tout cela par des soins de protection à l'intérieur et à l'extérieur des établissements est un crime continu contre notre communauté, et déshonore notre pays.

Nous réussissons à nous transformer malgré les préjugés, la contrainte, la pauvreté et les contrecoups de nos témoignages. C'est un long processus, exacerbé par un système qui refuse d'examiner ses propres préjugés et sa propre contribution à l'exclusion de ceux qui sont affligés de ce double diagnostic de pauvreté et de maladie mentale.

Les ressources actuellement utilisées pour garder les malades mentaux graves au lit, dans une torpeur médicamenteuse, doivent être réaffectées afin qu'on puisse libérer tout le potentiel humain qu'on a privé d'espoir et d'occasions pendant si longtemps. Nous devons investir de l'argent et de l'énergie en vue de contribuer à ce développement humain et communautaire permanent, en créant des occasions d'apprentissage, de croissance personnelle et d'emploi. Il faut qu'une partie de l'argent actuellement utilisé pour faire la morale au public sur les conséquences de l'exclusion soit utilisée pour éliminer au sein du système les préjugés qui affligent les personnes qui sont le moins capables de se défendre. D'abord et avant tout, nous devons enlever au système le pouvoir d'imposer à quelqu'un l'étiquette d'irrécupérable car il semble qu'on l'exerce de façon disproportionnée contre les pauvres et les abandonnés.

Le président : Merci, Pat, de votre témoignage très touchant.

Accueillons maintenant Darrell Powell, qui est parti de Vancouver pour nous rencontrer aujourd'hui.

M. Darrell C. Powell, à titre personnel : Sénateur Kirby, honorables membres du comité, je n'ai rien préparé pour cette audience, mais je vais vous raconter une histoire sur mon expérience, et vous expliquer en quoi j'estime qu'elle est pertinente à vos travaux.

Il y a un aspect de la discrimination et de l'exclusion qui est beaucoup plus sinistre que vous voudriez bien le croire. À mon avis, le gouvernement et le milieu médical sont les plus grandes sources de cette discrimination, pour des raisons très intéressées.

Je suis né en Ontario. J'ai quitté la maison assez jeune, et je me suis installé à Vancouver au début des années 70, où j'ai travaillé sur les chantiers navals. J'ai un solide sens du devoir, puisque je viens d'un milieu assez pauvre — un petit gars qui a grandi dans les rues de Yorkville. J'ai découvert que j'aimais travailler près des bateaux et des chantiers navals. J'y excellais. Tout allait très bien.

En 1990-1991, je me suis blessé aux genoux, et j'ai dû communiquer avec la commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique. À l'époque, on avait tendance à confier les demandes d'indemnisation à la commission d'appel, à générer des décisions mal fondées et à laisser quelqu'un d'autre déterminer si la demande était valide ou non.

Cela s'est reproduit encore et encore, et je suis certain que tout le monde ici est au courant d'histoires d'abus de la part des commissions des accidents du travail. Le problème, selon moi, concerne la discrimination et l'exclusion qui peuvent effectivement faire d'une personne un criminel dans ce pays où l'on n'a pas la possibilité de surmonter sa maladie ou toute dépression antérieure. Si vous avez déjà consulté un psychologue ou un psychiatre au cours de votre vie, on utilisera cette information pour miner la demande d'indemnisation ou l'étendue de la demande au moment d'établir un diagnostic de SSPT ou de syndrome de la douleur chronique, comme dans mon cas.

Cet abus est si grave, et si lourd, que j'en suis venu à la conclusion qu'il n'y a aucune façon de se défendre — lorsque l'abus est intentionnel — sans recourir à la Charte des droits et libertés. Nous n'avons individuellement aucune capacité de faire respecter les droits que nous confère la Charte. Nous n'avons aucun pouvoir.

À l'heure actuelle, je suis touché par quelque chose qui a eu des répercussions financières continuelles. J'ai subi 16 ans de litiges. Cela a miné ma santé, physique et mentale, de sorte que maintenant, j'ai vraiment un problème qui figure dans le DSM-IV.

Il fallait que j'obtienne gain de cause à certains échelons, et je l'ai fait. Chaque fois qu'on tranchait en ma faveur, ils semblaient recourir à des méthodes toujours plus sales, à un point tel que plusieurs personnes se sont intéressés à mon cas, y compris un ombudsman et des députés provinciaux, en raison de ce qui se passait, et j'ai gagné mon appel en 1996.

Quand j'étais plus jeune, j'ai eu des problèmes. J'ai consulté, et je ne me rappelle pas précisément pour quelle raison, c'était peut-être pour une dépression ou quelque chose comme cela. Toutefois, on n'a jamais conclu à un problème biologique ou biochimique ou à un trouble de la personnalité, sauf qu'on a déterminé que j'en avais une. J'ai également utilisé ma personnalité passionnée pour expliquer mes succès sur les chantiers navals.

Les choses se sont poursuivies, jusqu'au point où la commission des accidents du travail présentait mon cas de manière inexacte pour ne pas avoir à m'indemniser, où elle déclarait avoir élaboré un programme de réadaptation, ce qui n'était pas le cas, et j'ai porté cela à l'attention de personnes à l'extérieur de l'organisation ainsi qu'à l'ombudsman interne.

Cela a duré encore quatre ans, jusqu'à ce qu'une directrice de la commission des accidents du travail dénonce la situation. Elle m'a avoué qu'elle ne pouvait pas, en toute bonne conscience, supporter la façon dont on avait traité ma demande, et le préjudice qu'on m'avait causé. Depuis, je crois qu'elle est partie en congé de maladie, et qu'elle a pris sa retraite par la suite.

Cela a mené, vers 2000, à une intervention dans mon dossier, la deuxième dans l'histoire de la commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique, au cours de laquelle le PDG de l'époque a utilisé un mandat spécial pour mettre un terme à la destruction de ma santé mentale et physique et — puisqu'on ne m'a pas offert de recyclage — pour établir la pension, et il a rétabli la situation. J'ai reçu de nombreuses lettres d'excuses, et je touche actuellement une pension. Je suis certain qu'ils s'affairent probablement à trouver un moyen de me la retirer.

Depuis ce temps, le vice-président à qui l'on a confié mon dossier ainsi que les responsables de la planification organisationnelle tentent d'élaborer pour moi un plan de formation professionnelle pour que je puisse m'attacher à quelque chose d'autre dans la vie, et recommencer à vivre ma vie sans avoir affaire à la commission des accidents du travail, dont les agents étaient devenus les principales personnes dans ma vie.

Quand vous avez des liens avec la commission des accidents du travail, les effets, bien sûr, touchent le système médical. J'ai subi huit interventions. La conclusion relative à la douleur chronique a été tirée en 2000. Par conséquent, mon dossier a fait l'objet d'un processus que d'aucuns qualifient de « partie de pêche aux éléments préjudiciables », au cours duquel on fouille dans votre passé pour trouver ce qu'ils appellent des facteurs antérieurs à l'état morbide. Et s'ils trouvent quelque chose, que Dieu vous garde.

Ils embauchent un psychologue externe et le chargent de procéder à une évaluation approfondie de tous les aspects de votre vie; cela peut prendre jusqu'à huit ou dix heures. Ils vont chercher de l'information partout.

Je tiens à vous signaler, entre parenthèses, que jusqu'en 2000, on laissait continuellement traîner de l'information sur mon dossier. Je suppose qu'ils s'attendaient peut-être à ce que je présente une demande d'indemnisation pour détresse émotive, alors ils ont extrait toute l'information et l'ont laissée sur le dessus de mon dossier pendant plus de six ans — sans trancher — pour que chaque agent de traitement des demandes, pour que quiconque prend mon dossier, voie l'information.

L'isolement qui accompagne la discrimination est beaucoup plus grave, et le coût assumé par la personne est extrêmement élevé. Je ne peux faire respecter les droits que me confère la Charte. J'essaie de le faire, mais il me faudrait 300 000 $ et une équipe de juristes. La commission dispose d'une équipe juridique complète, et ils financent la défense de leurs actions fautives à même la caisse des accidents, chose que j'expliquerai dans un instant.

Lorsqu'on procède à l'évaluation de la douleur chronique, comme je l'ai déjà mentionné, on passe votre passé psychologique au peigne fin. J'avais consulté un psychiatre, et c'était mon choix, et je n'y voyais rien de mal, rien de différent du fait de parler à des amis, à des parents ou à quelqu'un d'autre. J'estimais que c'était une bonne idée de demander à une personne neutre d'examiner la situation. Rien de tout cela n'a jamais influé sur ma capacité de trouver du travail, de conserver un emploi ou autre chose du genre, comme en témoignent clairement mon dossier et mes antécédents.

Il y a donc eu beaucoup de pressions pour que l'on procède à cette évaluation. Le directeur qui a dénoncé l'attitude de la commission à mon égard m'a dit comment on m'appelait à l'occasion de réunions privées, et je ne peux probablement pas répéter ces mots ici. C'était probablement la pire situation imaginable : savoir que ces gens ont le pouvoir de vous enlever votre revenu et de vous mettre à la rue.

Ils ont enfin obtenu leur évaluation de la douleur chronique, et le résultat ne correspondait pas à leurs attentes. On n'a cerné aucun facteur antérieur à l'état morbide. De fait, pour citer presque textuellement le rapport : « Aucun élément du passé de Darrell n'influe sur son état psychologique à la suite des blessures qu'il a subies et de ses démarches auprès de la commission. »

Comme je l'ai déjà dit, j'ai reçu des excuses. Le jour même où je me faisais opérer aux genoux, le vice-président de la commission des accidents du travail affirmait à un député provincial que je souffrais d'une maladie mentale incurable et que je souffrirais toujours du stress, omettant de mentionner le rapport que la commission avait demandé à un intervenant à l'externe de produire, un rapport qui disait le contraire.

Ce qui nous amène à la question suivante : que reste-t-il à faire? J'ai ensuite compris — j'avais cerné des indices au cours des quatre ou cinq dernières années — ce qui s'était passé. Je n'ai compris cela que tout récemment, en 2002, en raison de l'attitude condescendante de la commission. J'ai commencé à comprendre qu'ils me parlaient d'une certaine façon afin que j'accepte qu'on récrive l'histoire — oh, certaines personnes semblent éprouver plus de difficulté que les autres avec le processus — et ils ont commencé, je dirais, à me tendre un piège. J'étais déjà méfiant, et, à ce moment-là, le président qui était intervenu ne se mêlait plus de l'affaire, ou presque, et ni le vice-président, ni le chef de la planification organisationnelle ne l'ont mis au courant de ce qui se passait.

En 2000, la commission m'a donné ma pension. On a classé mon dossier dans les « dossiers délicats », avec les victimes de viol et autres dossiers du genre, car, effectivement, j'étais victime de la commission elle-même. C'est embarrassant pour eux. Ils ont préféré retirer mon dossier de cette section pour ne pas avoir à expliquer pourquoi il y était.

En 2000, le gouvernement Campbell éviscérait la commission des accidents du travail et apportait des changements assez fondamentaux à la loi, et l'un de ces changements concernait le recouvrement des prestations du RPC à même les prestations d'invalidité de travailleurs accidentés.

Dans le pire des cas, si vous touchez 600 $ de prestations d'invalidité du RPC jusqu'à l'âge de 65 ans, et vous recevez 300 $ de la commission des accidents du travail, ils prennent la moitié de ce que vous verse le RPC, de sorte que, d'une certaine façon, ils ne vous versent aucune indemnisation. C'est le RPC qui le fait.

En 2002, ils m'ont envoyé une lettre de consentement pour l'obtention de renseignements auprès d'un tiers, et j'ai refusé de la signer. À ce moment-là, j'ai compris qu'il n'existait aucun protocole interne pour orienter le traitement de ma demande — et on leur a ordonné d'en créer un — afin que je n'aie pas à le justifier continuellement auprès de chaque personne qui tombe sur ce dossier. Par conséquent, quelqu'un l'a pris en charge et m'a envoyé une de ces lettres afin d'autoriser l'échange d'information entre le RPC et la CAT, mais la lettre demandait également que j'autorise l'échange d'information avec un tiers. Quand j'ai téléphoné au RPC à Ottawa pour m'informer, on m'a répondu que le RPC ne faisait pas cela. C'est quelque chose que la CAT faisait elle-même. Elle se charge elle-même de trouver des renseignements.

Cela décrit la conjoncture politique dans laquelle évolue la CAT dans la province de la Colombie-Britannique.

Le président : Darrell?

M. Powell : J'ai refusé de signer...

Le président : Je veux veiller à ce que nous ayons suffisamment de temps pour entendre Helen Hook et vous poser des questions; pourriez-vous terminer en nous disant où vous en êtes maintenant?

M. Powell : D'accord. Je vais conclure rapidement.

En 2000, un membre de la CAT a menacé de lancer une vendetta contre moi. Cela m'a incité à tenter de donner suite au protocole et à pousser la commission à accoucher du protocole sur papier, car cela n'avait pas été fait à l'interne. Au moment d'établir ce protocole, de veiller à ce que le vice-président en rédige un, on a soulevé la question de la santé mentale. J'ai tenté de convaincre la commission d'écrire, noir sur blanc, une fois pour toutes, qu'il n'y avait pas de facteurs antérieurs à l'état morbide, et elle refusait de le faire.

Ainsi, je me retrouve dans un état de santé extrêmement médiocre, avec un problème cardiaque, et j'ai grincé des dents jusqu'à ne plus en avoir — chose que la commission a reconnue et indemnisée —, mais lorsque quelqu'un, à l'interne ou n'importe qui d'autre à l'extérieur de la CAT, posait des questions, la commission entre en « mode préventif ».

« Si quelqu'un à l'extérieur de la CAT ou à l'interne vous pose des questions, dites qu'il y avait des facteurs antérieurs à l'état morbide. » La Commission expliquait à ses agents pourquoi ils faisaient certaines choses d'une certaine façon. Par conséquent, ils n'avaient pas à admettre qu'ils avaient commis une erreur. Cela fonctionne très bien. Ils ont assez de pouvoir pour se le permettre.

Par conséquent, je me suis mis à la disposition de votre comité, et je compte rester quelque temps, et je comprends que mon histoire est complexe. Je vous ai apporté un affidavit du député provincial concerné, et je considère mon témoignage d'aujourd'hui comme une déclaration sous serment. Je suis également disposé à fournir l'accès à tous mes renseignements personnels détenus par le gouvernement de la Colombie-Britannique ou la commission des accidents du travail.

Je ne m'attends pas à obtenir gain de cause. Ils ont de l'argent, et j'ai 60 000 $, un trou dans le cœur et un gros anévrisme, et je me suis presque coupé la langue avec mes dents il y a un mois, alors je ne m'attends pas à survivre à tout cela. Je ne m'attends pas à traverser cette épreuve. Ce n'est pas une question d'argent.

Pour finir, je crois qu'il faut décriminaliser la maladie mentale, et prêter une attention beaucoup plus marquée aux erreurs de diagnostic ou aux diagnostics erronés. Je crois qu'on devrait éliminer de la Charte la disposition prévoyant qu'on ne peut intenter des poursuites pour discrimination contre une compagnie d'assurance ou un fournisseur de prestations.

Le gouvernement, en particulier celui de la Colombie-Britannique, ne fera pas cela de bonne foi. Il s'accrochera à son pouvoir dans la province. De fait, il tente de se distancer davantage d'Ottawa, mais j'ai constaté, dans la loi, que le gouvernement est tenu de se conformer aux initiatives fédérales. C'est prévu dans la loi.

C'est donc ça, la solution. Il faudra une initiative fédérale pour changer les choses ici, car la province ne le fera pas. La province de la Colombie-Britannique ne va d'aucune façon changer la façon dont elle traite les questions de santé mentale dans le cadre de la commission des accidents du travail ou du système d'aide sociale de la province. Il n'est pas question qu'elle fasse cela. Ce n'est pas la bonne foi qui va l'emporter.

Le président : Merci, Darrell. Je vous remercie beaucoup d'être venu nous raconter votre histoire.

J'aurais deux choses à dire à mes collègues : j'ai pris connaissance de l'histoire de Darrell dans une longue lettre qu'il m'a fait parvenir; et deuxièmement, mon bureau a par la suite reçu un certain nombre de lettres, de mémoires et d'appels téléphoniques de personnes qui ont été victimes d'une forme de discrimination de la part de la commission des accidents du travail de diverses provinces. Par conséquent, à l'occasion de l'une de nos audiences en avril, nous accueillerons un groupe constitué de présidents de trois CAT provinciales différentes.

La deuxième question soulevée par Darrell en est une qui me trouble depuis longtemps à l'égard des programmes sociaux en général, c'est-à-dire la tendance des gouvernements provinciaux à récupérer les sommes que fournit le gouvernement fédéral. On peut raisonnablement s'attendre à ce que cette question soit abordée directement dans notre rapport, et je crois également qu'il est important pour nous d'examiner le point soulevé par Darrell, selon lequel, au bout du compte, il faut résoudre les problèmes de discrimination au moyen de dispositions législatives fédérales au lieu de laisser chaque province s'en occuper.

Merci beaucoup d'avoir fait tout ce chemin pour témoigner, Darrell. Enfin, nous accueillons ce matin Helen Hook, coordonnatrice du Consumer/Survivor Information Resource Centre, ici même à Toronto.

Mme Helen Hook, coordonnatrice, Consumer/Survivor Information Resource Centre : Merci, monsieur le président. Comme son nom l'indique, le Consumer/Survivor Information Resource Centre est un centre d'information, un centre de ressources. Nous avons lancé nos activités en 1992. Nos activités sont axées sur les pairs, sur le consommateur. L'ensemble du personnel, des bénévoles et des clients sont des gens qui sont passés par le système de soins de santé mentale ou par le système de soins aux toxicomanes.

À nos débuts, en 1992, nous étions au PARC, c'est-à-dire le Parkdale Activity Recreation Centre, qui était un important carrefour d'activités communautaires, et il l'est toujours. Nous bénéficions d'un financement du ministère de la Santé et des Soins de longue durée. Nous nous sommes déplacés un peu après 1992, mais nous sommes au même endroit depuis 1999, c'est-à-dire au troisième étage d'une maison située au 252, rue College. Nous sommes là grâce au généreux soutien de l'Unité de recherche et de soutien communautaire du CTSM, c'est-à-dire le Centre de toxicomanie et de santé mentale.

Cette générosité nous permet d'économiser les 1 100 $ par mois de loyer que nous devions payer auparavant, mais cela signifie aussi que nous sommes aussi au troisième étage, et que nous ne sommes pas aussi accessibles qu'auparavant. Nous ne sommes pas dotés d'un local accessible, qui donne sur la rue. Les gens qui ne sont pas en mesure de gravir trois étages d'escaliers ne peuvent se rendre à nous. Nous devons descendre et les rencontrer à l'hôpital, situé juste à côté.

Nous fournissons des services d'entraide, d'approche et d'information, ainsi qu'un centre de ressources. Nous avons des films, des livres et des dépliants. Nous recueillons et diffusons de l'information. Nous publions deux fois par mois le bulletin d'information que voici, et je me plais à croire que nous vous avons aidés à recevoir plus de 500 réponses, car, dans notre bulletin du 1er décembre, nous avons publié le communiqué de presse selon lequel la commission Kirby faisait appel aux commentaires du public. Les gens nous téléphonaient pour dire : « Comment puis-je obtenir le questionnaire? Comment puis-je obtenir le questionnaire? Je ne suis pas branchée à Internet. Comment puis-je l'obtenir? » Nous l'avons publié dans le bulletin d'information du 15 décembre. Nous lui avons réservé deux pages — notre bulletin en compte 10 — et nous avons dit :
« Si vous ne pouvez l'obtenir sur Internet, le voici. » Et le plus récent bulletin, celui du 15 février, contient le calendrier.

Le président : Merci.

Mme Hook : Voici notre petit dépliant.

Je crains que vous me compterez parmi ces témoins embêtants qui vous répètent des choses que vous avez déjà entendues. Je sais que le propos est important et qu'il mérite d'être répété, et je sais que vous me pardonnerez, car à la lumière des rapports que vous avez publiés en novembre, je sais également qu'une grande part de mon propos vous tient à cœur.

Je n'étais pas là à l'occasion de votre première série d'audiences. J'étais à la maison. J'ai passé trois ans et demi à la maison, en proie à une dépression. Je ne quittais ma maison que pour voir des médecins et des psychiatres. J'étais à la maison avec aucun revenu, vivant uniquement de l'aide de mon conjoint de longue date. C'était un cas classique, conforme à ceux dont vous faites état dans vos rapports. J'étais déprimée, je suis devenue triste, je me suis mise en colère et j'ai quitté mon emploi — pas d'assurance-emploi.

Cela m'était déjà arrivé, en 1994, et j'ai interjeté appel auprès de l'AE. Cela ne m'a mené nulle part. On a même téléphoné à l'endroit où je travaillais, on a parlé à mon ex-exployeur, et on lui a dit : « Elle dit qu'elle était déprimée. Est-ce vrai? » « Elle ne nous a rien dit à ce sujet. » Alors, mon appel a été rejeté.

Par conséquent, je n'ai pas travaillé pendant trois ans et demi. Je travaille maintenant. Je travaille depuis octobre 2004, c'est-à-dire depuis tout juste quatre mois, et je veux seulement vous rappeler, pour revenir à vos rapports, que, dans la section 6.1 se trouve une citation de l'Ontario Medical Association selon laquelle une personne qui se retrouve sans travail et touche des prestations d'invalidité pendant six mois retourne au travail dans 50 p. 100 des cas; après un an, le retour au travail s'effectue dans 20 p. 100 des cas; et après deux ans, dans 10 p. 100 des cas. J'ai été sans travail pendant de longues périodes et de courtes périodes, et c'est le cas d'un grand nombre de personnes qui se présentent au centre ou qui téléphonent.

J'aimerais vous parler un peu de l'importance de l'entraide dans le cadre d'un programme de retour au travail; j'ai tendance à miser non pas sur des statistiques, mais bien sur des anecdotes, tout comme certains des collègues que vous entendrez aujourd'hui ou que vous avez déjà entendus. Je raconte de petites histoires.

Je savais que je ne pouvais retourner au travail par moi-même. Cela m'était déjà arrivé à trois reprises : je me suis ressaisie, je me suis relevée, j'ai regardé dans le journal, j'ai trouvé un emploi et je suis retournée au travail, mais je savais que cela ne fonctionnerait pas cette fois. Je me suis lancée à la recherche d'un programme, et on m'a placée dans un programme d'adaptation en vue de mon retour au travail. Cela a plus ou moins fonctionné au début, et ensuite cela ne fonctionnait plus, et, de fait, je commençais à me sentir pire, car j'étais là depuis longtemps et je ne faisais rien de plus important à la fin qu'au début. Il n'y avait pas de perfectionnement.

J'étais au CTSM, c'est-à-dire le Centre de toxicomanie et de santé mentale, depuis un peu moins d'un an quand Diana Capponi est devenue coordonnatrice à l'emploi des clients. J'étais en vacances à Hawaï quand elle a commencé, alors je l'ai rencontrée en mai, après un peu moins d'un an de participation au programme, à raison de trois demi- journées par semaine. Cette rencontre avec elle, au lieu de ma conseillère en orientation habituelle, a commencé à changer ma vie.

Elle m'a immédiatement inscrite dans un groupe d'entraide, le groupe d'aide à l'emploi des clients de l'hôpital, un groupe d'environ 25 personnes surtout constituées de professionnels et de quelques clients, dont le principal objectif est d'aider les clients à trouver du travail. Elle croyait que j'étais assez importante pour en faire partie, et que j'avais quelque chose à apporter au groupe, et je me suis vraiment sentie valorisée.

Ce groupe de soutien aux chercheurs d'emploi qu'elle a lancé se réunit chaque mois, et on peut y parler librement. On peut soulever un point et entendre les commentaires de sources multiples, les participants, et il est convenu que nous sommes des pairs; nous pouvons accepter ou rejeter le point de vue de nos collègues, car nous sommes égaux.

Cela fait contraste avec une situation que j'ai connue avec un professionnel de la santé, ma conseillère en orientation dans le cadre du programme d'adaptation pour le retour au travail. J'ai occupé le même poste bénévole, comme je l'ai déjà dit, pendant plus d'un an, à raison de trois demi-journées par semaine, et, initialement, j'étais satisfaite de ma position, j'en tirais beaucoup, et le service jouissait de mon aide précieuse. Plus tard, j'ai commencé à éprouver du ressentiment, parce qu'on ne me donnait rien à faire.

La situation était d'autant plus compliquée qu'il y a un syndicat à l'hôpital, et que j'étais aux affaires publiques, et qu'on ne pouvait m'attribuer des tâches réservées aux syndiqués. J'étais frustrée, et j'ai fait part de ma frustration à ma conseillère en orientation, et j'avais l'impression qu'on me donnait du travail seulement pour me tenir occupée, que je n'avais pas l'occasion d'acquérir des compétences. J'avais déjà été directrice générale d'une petite agence, j'avais été directrice du marketing d'une revue, et j'étais frustrée du niveau de travail qu'on m'attribuait, et ma conseillère m'a répondu que c'était probablement la négativité imputable à mon état psychiatrique qui parlait. Je ne me suis sentie ni écoutée ni soutenue, et j'avais l'impression que tout était imputé à ma maladie et à mon diagnostic.

Il est très difficile de faire fi de ce type de commentaire ou de se dire que c'est l'opinion d'une seule personne lorsqu'il s'agit de professionnels de la santé, et il est vraiment difficile de se tenir debout devant l'autorité et de dire : « J'en veux plus », en particulier lorsque c'est une femme, en particulier lorsqu'on est un malade mental, et que, par définition, la dépression s'accompagne d'une faible estime de soi, on ne se sent pas digne, et cetera. Ce n'est qu'un exemple des nombreuses raisons qui expliquent pourquoi les programmes d'entraide sont si importants.

Premièrement, le programme d'entraide et de soutien du retour au travail n'aurait probablement pas placé des gens au sein de la même agence ou du même service pendant de si longues périodes, mais c'est mon cas, car je suis devenue coordonnatrice du centre d'information, et je rencontre de nombreuses personnes qui travaillent au même endroit depuis des années. Ce programme est censé aider les gens à retourner au travail. Deuxièmement, un membre du groupe d'entraide m'aurait soutenue lorsque j'aurais demandé un nouveau poste, un travail plus stimulant, ou un travail différent; et troisièmement, les commentaires négatifs n'auraient pas eu un effet aussi dévastateur, car ils auraient été prononcés par un égal.

De plus, l'occasion de nouer des relations que procure un groupe d'entraide, ainsi que les modèles de comportement qu'on y trouve, sont importants. Environ 20 personnes prennent part aux réunions que tient Diana, et deux ou trois d'entre nous nous y rendons même si nous avons un emploi, car nous pouvons aider les autres.

Une personne qui assistait à la dernière réunion parlait de l'importance d'indiquer toutes ses compétences dans son curriculum vitae, et elle a ajouté, en toute désinvolture, qu'elle avait décroché un emploi simplement parce qu'elle avait indiqué sur son curriculum vitae qu'elle connaissait le logiciel Maximizer. On lui a dit : « Vous avez décroché cet emploi parce que vous êtes la seule, et que nous utilisons ce logiciel. » Eh bien, comme par hasard, il y a deux semaines, une personne m'a téléphoné et m'a dit : « J'ai besoin d'une personne qui connaît Maximizer et qui pourrait montrer à mon personnel comment l'utiliser. » Je les ai mis en contact, et maintenant elle travaille à contrat, elle aide à former le personnel de cette petite agence sur l'utilisation de Maximizer, et je voulais vous rappeler que l'entraide devrait être intégrée à tout. Je tiens également à vous rappeler le thème de la campagne internationale : « Rien sur nous sans nous ».

Le soutien à la préparation à l'emploi doit être conçu à la lumière des commentaires des consommateurs, et je veux vous parler d'un programme, et je ne veux pas utiliser le nom — même si j'en ai vraiment envie, mais c'est à Etobicoke. C'est un programme de formation en milieu de travail offert à Etobicoke. Nous n'avons pas de billets d'autobus pour nous rendre à Etobicoke. Nous ne voulons pas nous rendre à Etobicoke. S'il n'en tenait qu'aux consommateurs/ survivants, le programme ne serait pas dispensé à Etobicoke, à proximité de Sherway Gardens. Il serait offert au centre-ville, là où nous sommes.

Les activités ont lieu de 8 heures à 15 heures. Nombre d'entre nous avons des problèmes avec les médicaments. Nous souffrons d'insomnie ou nous prenons des médicaments qui nous laissent un peu sonnés le matin. Nous ne nous levons pas. Je ne veux pas généraliser. Certains d'entre nous se lèvent — moi je me lève —, mais beaucoup d'entre nous éprouvons des difficultés avec les médicaments, et le matin n'est pas un moment propice. Si nous avions conçu ce programme, il commencerait plus tard et finirait plus tard, mais les membres du personnel de ce programme ne vivent pas en ville, et ils veulent partir tôt, avant l'heure de pointe. Le programme est conçu en fonction des besoins non pas des clients, mais bien du personnel.

L'attitude de certains travailleurs en santé mentale nous empêche de progresser — ils ont peu d'attentes. On nous dit constamment de trouver un emploi peu exigeant. Ma conseillère en orientation m'a dit : « Helen, trouve-toi un petit emploi qui ne sera pas trop stressant. »

L'adjointe à temps partiel au centre d'information est en congé de maternité, et j'essayais d'embaucher quelqu'un pour la remplacer. D'autres programmes de formation professionnelle nous ont acheminé le curriculum vitae d'un directeur national des ventes et d'un génie de l'informatique pour faire du travail administratif à temps partiel, dans un petit bureau pouvant accueillir une personne et demie.

Le même genre de choses a déjà été dit des travailleurs en santé mentale, cette attitude qu'ont certains d'entre eux à faire la distinction entre « nous » et les « autres » — même les gens qui sont censés être dans notre camp. Trois d'entre nous étions ensemble à une conférence, et il y avait un grand nombre de travailleurs syndiqués qui, pour servir les intérêts de leur syndicat, tentaient de brosser un portrait encore plus négatif des malades mentaux. Ils veulent plus d'argent, des primes de danger accrues, alors ils tentent de nous présenter sous un jour défavorable, surtout les malades hospitalisés, en vue d'obtenir plus d'argent, plus de personnel sur chaque quart de travail, des quarts de travail plus courts et des pauses plus longues, et cetera. C'est un problème.

À l'occasion de cette conférence, trois d'entre nous étions en train de converser au sujet des stéréotypes négatifs comme : « Si vous embauchez un consommateur/survivant, il sera toujours absent, car tout le monde sait que ces gens tomberont malades et ne travailleront pas. » Nous parlions du fait que ce n'est pas vrai, que lorsqu'on nous donne enfin la chance de travailler, nous nous démenons et travaillons si dur. Cette personne qui est censée nous aider dit : « Ils n'attrapent même pas la grippe comme nous », et ils le disent en présence de la personne visée. Ils n'attrapent pas la grippe!

La même chose se produit lorsque nous parlons des clients en milieu de travail. Le client téléphone et dit : « Je dois m'assurer, lorsque je trouverai un emploi, que les fonctions sont compatibles avec mon invalidité, et qu'il s'agit d'un travail qui ne me rendra pas malade. »

Je vois la stigmatisation et la discrimination, alors je recommanderais que la campagne nationale sur l'intégration dont vous avez parlé soit menée également au sein du système de soins de santé mentale, du système de soins de santé en général. Vous avez parlé d'une campagne sur l'intégration que le gouvernement fédéral pourrait promouvoir, et j'en profite pour mettre mon grain de sel. L'emploi et la petite entreprise sont des compétences fédérales, alors vous pourriez avoir un impact important à cet égard. Vous pourriez offrir des indicatifs aux entreprises, tout comme le fait l'OCAB, et aux entreprises parallèles. Industrie Canada et RHDCC sont des ministères fédéraux. Vous avez le pouvoir de faire cela.

Les malades mentaux sont parmi vous, vous savez. Nous sommes vous. Cela ressemble, je crois, à la situation des gais et lesbiennes, il y a quelques années. Nous sommes partout, mais les gens ne s'en aperçoivent pas nécessairement. C'est analogue à la « sortie du placard », dans certains cas; il y a 10 ou 20 ans, les gens ne savaient même pas qu'ils connaissaient une lesbienne ou un homosexuel. « Eh bien, je n'en connais aucun. Je suis certain que ce sont de bonnes personnes, mais je n'en connais aucun. » C'est la même chose au travail, à la maison, avec vos voisins, vos nièces, vos neveux et vos enfants — vous savez. Vous en connaissez tous, nous en connaissons tous, et lorsque ce sera moins dangereux de se révéler, vous serez étonnés d'en connaître un si grand nombre.

Le président : Merci, madame Hook, et merci à vous tous de vos commentaires. Nous avons le temps de poser quelques questions, mais laissez-moi seulement formuler un commentaire.

Je crois que, quand nous avons commencé ces travaux — je ne parle que pour moi — certainement, quand j'ai commencé ces travaux, même si j'étais pleinement conscient de l'ampleur de la stigmatisation et de la discrimination dans l'ensemble de la collectivité, je tenais pour acquis, naïvement, que les gens au gouvernement, que ce soit au sein d'un organisme qui verse de l'argent ou qui dispense des services, et que les gens en général, s'ils travaillaient pour un organisme à but lucratif ou sans lucratif fournissant des services aux personnes souffrant de troubles psychiques, n'affichaient pas les mêmes attitudes discriminatoires qui, selon moi, étaient plutôt courantes au sein du grand public. Ce qui m'a le plus frappé de vos quatre témoignages ce matin, c'est que — et je constate ceci avec beaucoup de regret — la discrimination se porte très bien au sein de ce groupe de personnes qui dispensent des services, et c'est probablement, pour vous, la situation la plus décourageante que l'on puisse imaginer. Je tiens à vous remercier tous de nous avoir fourni cette information.

Le sénateur Keon : Premièrement, laissez-moi seulement vous féliciter tous de ce fantastique exposé; vous avez abordé une foule d'enjeux, y compris l'intégration complète, comme l'a signalé Diana, ou les entreprises parallèles. Vous avez parlé du milieu de travail fédéral et des problèmes qu'on y trouve, du fait qu'aucun suivi n'est assuré lorsque vous quittez un établissement et que vous tombez dans le vide. Vous avez parlé de la stigmatisation, des traumatismes, et du besoin d'établir des groupes d'entraide et des programmes qui répondent aux besoins non pas du personnel, mais bien des clients.

Je ne peux poser des questions sur tout cela — nous en aurions pour toute la journée —, alors je m'adresse à vous, Diana, car vous étiez la première. Ce n'est pas de la discrimination, d'accord? J'ai été vivement intéressé lorsque vous avez soulevé la notion d'intégration complète, avec laquelle, en passant, nous nous débattons en vue de trouver un moyen de décrire un tel programme.

Le problème, c'est qu'il manque tellement de composantes à l'heure actuelle, mais que, certes, le secteur des établissements ne peut dispenser les soins dont les gens ont besoin. Les gens ont besoin de soins dispensés localement, comme l'a dit Mme Hook, pas à 30 ou 40 milles à l'extérieur; et les gens ont besoin, d'après ce que je comprends, autant de ressources communautaires que de ressources professionnelles en matière de santé, et d'une certaine intégration de ces ressources.

Diana, vous pourriez peut-être nous dire, si vous étiez reine du monde, de quoi aurait l'air un système qui intègre le secteur des établissements, le secteur communautaire, le secteur des soins de santé primaires et toutes les autres composantes imaginables. Pourriez-vous nous fournir des précisions là-dessus?

Mme Diana Capponi : Beaucoup de gens m'appellent « la reine ».

Je réitère certains éléments fondamentaux : l'intégration complète favorise le respect, la compréhension et la considération, et je crois que certaines attitudes de notre société sont si bien ancrées — après tant d'années à cacher la maladie mentale —, que le personnel de l'établissement et les malades hospitalisés souffrent tous d'une certaine forme d'institutionnalisation.

La santé mentale n'est pas une priorité, et on n'en parle pas. Cela demeure un sujet tabou, et j'estime que, pour assurer une intégration complète dans notre société, nous devons tous reconnaître nos propres « malaises » d'ordre mental, pour ainsi dire.

Dans le système correctionnel, par exemple, on parle beaucoup du syndrome de la porte tournante. Laissez-moi vous dire qu'aucune porte ne tourne plus souvent ou plus vite que celles du système de soins de santé mentale. On ne sort jamais de ce système, et je crois que cela met en relief la nécessité d'examiner les facteurs sociaux qui influent sur la santé, qui jouent un rôle crucial pour tout le monde. Les gens aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, ou tout autre problème, c'est vous et moi. On parle d'une personne sur quatre, ou une sur cinq, ou d'une sur 12. Comptez le nombre de personnes dans cette pièce, et cela vous donnera une idée du nombre de personnes qui sont dans cette situation.

Toutefois, lorsqu'une personne divulgue le fait qu'elle a éprouvé des problèmes de santé mentale, qu'elle ait affaire à un employeur, à l'exploitation d'une petite entreprise ou à une personne dans la rue, les attentes de ces personnes tombent immédiatement à zéro, et je n'exagère pas lorsque je dis cela. En réalité, on craint, franchement, que vous soyez violent. C'est la principale crainte, et on continue de la nourrir.

Mme Pat Capponi : Nous étions si impressionnés de constater que vous ne portiez pas de veste de Kevlar aujourd'hui — vraiment.

Mme Diana Capponi : Le gouvernement du Canada misait autrefois sur ParticipACTION et tous ces autres programmes pour sensibiliser les gens aux avantages d'une bonne santé — et patati et patata. Nous n'avons jamais parlé de la santé mentale et de la façon de maintenir une bonne santé mentale. Il semble que la santé mentale ne soit abordée que lorsqu'il est question de personnes considérées comme malades mentalement, et je crois qu'on voit dans notre société moderne un nombre croissant de personnes qui tombent entre les mailles du filet, qui deviennent malades; et, malheureusement, il n'y a pas d'endroit où l'on peut aborder ces questions sans crainte.

Je passe mes journées à tenter de trouver du travail dans le secteur des établissements pour des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, par l'entremise du Centre de toxicomanie et de santé mentale, et je salue leur décision de financer mon poste et de tenter de changer les choses. Par contre, je sais que l'initiative ne sera couronnée de succès que lorsque les gens du centre pourront respecter, comprendre et célébrer les différences des gens, au lieu de les étiqueter.

En tant que reine, je crois qu'il n'y aura pas beaucoup de changement, tant que les gens ne seront pas mieux informés, tant que les gens ne comprendront pas bien les enjeux, tant que les sociétés pharmaceutiques, par exemple, continueront de faire des millions de dollars de profit sur le dos des gens. Merci.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je tiens à remercier du fond du cœur nos invités très spéciaux de ce matin. C'était un groupe de témoins important, et j'ai certes appris beaucoup de choses. Bien sûr, j'ai été touchée par ce que vous avez dit.

Il y a deux points que j'aimerais soulever. Le premier concerne l'utilisation du mot « chronique ». Dans le domaine médical, on utilise les termes « aigu » et « chronique ». Le terme « chronique » s'applique au diabète, à l'arthrose, et à mille autres choses, et il n'y a pas lieu d'en faire un critère d'exclusion.

Nous devons vraiment réfléchir à cela. On utilisera le terme « aigu » si on a un rhume ou une infection urinaire ou si on se coupe un doigt ou autre chose du genre, mais vous nous avez poussés à réfléchir à cela, et je peux voir en quoi le terme a une plus grande incidence lorsqu'il est question de maladie mentale.

J'ai travaillé au sein du gouvernement pendant assez longtemps, et, dans ma province, c'est-à-dire au Nouveau- Brunswick, nous commencions à délaisser les ateliers protégés. Maintenant, je ne suis pas aussi informée de la situation actuelle que je devrais l'être, mais je crois que l'on continue de déployer des efforts en vue de trouver des emplois, lorsque cela est possible, de chercher à en trouver, à en créer, à les favoriser, et ceters., en milieu de travail. Je dirai non pas le « milieu de travail régulier », mais bien le « milieu de travail » tout court, qu'il s'agisse de Wal-Mart, d'un bureau gouvernemental ou d'une entreprise privée.

J'aimerais obtenir un peu plus de détails à cet égard, surtout en ce qui concerne les programmes exécutés par les pairs. Cela m'a vraiment impressionné, madame Hook, et j'ai dressé une liste de choses que ces programmes peuvent faire. Je le vois presque comme une occasion d'apprentissage. Le réseautage, l'accès à des modèles de comportement et la préparation de curriculum vitae, c'est très bien tout cela, mais pourriez-vous nous fournir un peu plus de détails en ce qui concerne le milieu de travail?

Mme Hook : C'est Diana, l'experte en la matière.

Mme Diana Capponi : Ce n'est pas vrai. De fait, je suis au courant de certaines initiatives au Nouveau-Brunswick. Quand j'évoluais au sein de l'Ontario Council of Alternative Businesses, nous avons travaillé en étroite collaboration avec un groupe de fournisseurs de Moncton, je crois, qui tentaient de lancer une entreprise de traiteurs en vue de créer des débouchés pour les gens.

Pour ce qui est du mot « chronique », il désigne, en réalité, une personne difficile, désobéissante ou irrécupérable. Voilà comment on définit ce mot dans le système de soins de santé mentale. Alors, si vous croyez qu'une personne est irrécupérable et difficile et désobéissante, seriez-vous d'avis qu'elle a du potentiel?

Il est très difficile d'utiliser en même temps les mots « chronique » et « potentiel ». C'est presque impossible à faire. J'ai passé des années à aider des gens à chercher un emploi, et je suis constamment ahurie par la faiblesse des attentes, ou par les limites que nous imposons aux autres. Je suis si fière de personnes comme Helen Hook, de ces gens du Nouveau-Brunswick qui ont lancé leur propre entreprise de traiteurs, des quelque 1 100 personnes qui travaillent dans notre province chaque jour, qui montrent que, même s'ils sont fous à lier, ils peuvent dispenser un service que le public sera disposé à payer, et je vois un tel potentiel chez ces gens.

Cependant, nombre des services conçus pour aider les gens à trouver un emploi — dans un grand nombre de cas, un premier emploi rémunéré — ne reconnaissent pas ce potentiel. Ils ne reconnaissent pas que nous réagissons également à la carotte. Nous aimons toucher un chèque de paye, nous aimons avoir une identité autre que celle de malade mental, de schizophrène ou de toute autre étiquette en vogue.

Les entreprises parallèles n'existent nulle part ailleurs dans le monde. Elles n'existent qu'ici en Ontario, et je dois vous dire que cela tient au fait que l'Ontario est doté d'un mouvement très fort de rescapés psychiatriques. Ils ont commencé par dire : « Nous voulons avoir un mot à dire. Écoutez-nous. » Et ensuite : « Nous voulons une part du gâteau économique. »

Cela s'est fait au cours des 25 dernières années, et il y a encore beaucoup de travail à faire, mais je supplie votre comité d'examiner la question de l'emploi. C'est la seule façon dont la communauté peut s'aider elle-même. Tant que nous serons pauvres, nous serons dépendants.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez encore parlé d'entreprise « parallèle ». Convenez-vous que le but ultime est l'emploi dans le même genre d'endroits que tous les autres citoyens?

Mme Diana Capponi : Tout à fait.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je ne sais pas comment articuler cette idée.

Mme Diana Capponi : Vous noterez, cependant, que ce terme désigne les entreprises dirigées par les gens qui y travaillent, et pour eux, et que, pour une personne qui a été en établissement, qui n'a aucun antécédent de travail, ou qui a peut-être travaillé dans un atelier protégé, où l'on vous apprend ce que vous êtes incapable de faire, les entreprises parallèles fonctionnent très bien, car elles favorisent l'acquisition de compétences en milieu de travail, procurant un revenu et, d'abord et avant tout, elles procurent un sentiment de fierté.

Mme Hook : Les types d'entreprises qui appartiennent à l'OCAB sont limitées par un manque de fonds, de sorte que — prenons, par exemple, les restaurants : il y a Crazy Cooks Catering, entreprise de traiteurs de Peterborough; il y a un restaurant torontois, qui s'appelle Raging Spoon; il y a le Ten Friends Diner, à Windsor; et le Out of This World Café à Toronto. Ce dernier est un cas exemplaire, car il s'agit d'un programme de réadaptation professionnelle dont l'hôpital s'est départi. Désormais dirigé par des survivants, l'établissement exerce toujours ses activités dans l'hôpital. Il y a également un buffet roulant qui parcourt les couloirs, comme cela se faisait pendant les années 40, 50 et 60. Il y a deux entreprises de jardinage, et une entreprise de nettoyage.

Des gens viennent me voir et me disent : « Pourquoi ne pourrions-nous pas ouvrir un lave-auto, ou quelque chose comme cela? » Eh bien, c'est parce qu'il faut un million de dollars d'équipement. Ainsi, c'est peut-être un autre aspect à l'égard duquel le gouvernement fédéral pourrait contribuer, par l'entremise d'un programme de capitalisation.

Le président : En passant, j'aurais dû signaler ce point intéressant : notre Comité mise sur une expertise médicale assez importante. Comme nombre d'entre vous le savez, le sénateur Keon était chirurgien cardiologue, le sénateur Trenholme Counsell a exercé les fonctions d'omnipraticienne dans les régions rurales du Nouveau-Brunswick pendant de nombreuses années, et le sénateur Pépin est infirmière — et je n'ai aucune connaissance dans le domaine de la santé.

Le sénateur Pépin : Bonjour. Je dois admettre que j'ai été très impressionnée et très touchée par votre exposé. Comme l'a mentionné le sénateur Kirby, certains d'entre nous ont dans leur famille des personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale, et c'est mon cas.

À la lumière de vos commentaires sur la discrimination, je crois que l'un des principaux obstacles auxquels vous êtes confrontés est la stigmatisation, et que l'une des premières choses que nous devrions faire, c'est d'examiner la question de la discrimination.

Croyez-vous qu'il serait souhaitable d'élaborer un plan national, ou serait-il plus indiqué d'établir une stratégie adaptée aux diverses formes de problèmes de santé mentale? Selon vous, devrions-nous d'abord nous attaquer à la discrimination, ou serait-il préférable de commencer par une stratégie adaptée pour lutter contre les divers problèmes liés à la santé mentale? Quel serait le meilleur point de départ?

Mme Pat Capponi : Si je peux me permettre. L'Ontario a financé un programme de développement du leadership pendant quatre ans, mais nous avons constaté que, en raison de la discrimination qui sévit au sein du système, nous avons dû travailler avec le personnel, parallèlement au programme, en vue de le sensibiliser aux enjeux qui nous concernent, d'éliminer certaines de ses attitudes discriminatoires, et de le pousser à regarder ce qu'une personne a en dedans. C'est difficile quand le système s'attache aux apparences plutôt qu'à l'essentiel.

Vous pourriez faire d'une pierre d'un coup et charger des survivants de contribuer à l'élaboration d'une stratégie nationale pour lutter contre la discrimination systémique. On a souvent dit que la meilleure campagne de lutte contre la stigmatisation, c'est quand un messager de A-Way entre dans un édifice de la rue Bay pour livrer un colis. Nous gaspillons des millions de dollars à financer des agences de publicité, alors que nous pourrions faire des choses comme ça, et ce sont des choses que nous avons déjà faites, et que nous faisons bien.

Le sénateur Pépin : Monsieur Powell, vous avec parlé d'un « syndrome de la prévention », et vous avez déclaré — je veux m'assurer d'avoir bien compris —, que si vous travaillez et qu'on découvre que vous avez déjà consulté un psychiatre ou un psychologue, et que vous avez peut-être fait une dépression, on ne vous accordera pas votre pension? Expliquez-moi cela.

M. Powell : D'accord. Cela fonctionne de la façon suivante : il y a environ 30 000 pensionnés qui sont — comme moi — frappés d'une incapacité permanente en Colombie-Britannique — et ce nombre est probablement comparable, voire supérieur, en Ontario. Or, ces personnes entrent souvent en contact avec le gouvernement et les services médicaux dans la collectivité, et la décision en ce qui concerne l'existence d'une douleur chronique est un élément de votre pension. C'est ce qui suppose une évaluation.

J'ai constaté que ces évaluations soulèvent une certaine controverse, et, comme je l'ai déjà mentionné, je crois que les Forces canadiennes ont effectué de telles évaluations à l'égard de soldats revenant d'Europe, et que l'évaluation destinée au dépistage du SPPT causait, en réalité, plus de mal que de bien. Et, bien sûr, les personnes qui ont subi l'évaluation n'ont pas été indemnisées.

Le sénateur Pépin : Non.

M. Powell : Je crois que cela aide un peu.

Le sénateur Pépin : D'accord, je voulais m'assurer d'avoir bien compris que si une personne déclare, par exemple, qu'elle a consulté un psychiatre, qu'elle a connu des problèmes psychologiques à une certaine époque, elle éprouvera plus de difficulté à toucher sa pension de retraite qu'une autre personne.

M. Powell : Oh, certainement.

Mme Diana Capponi : Ils peuvent également faire valoir qu'il s'agissait d'une affection préexistente. « Vous avez consulté un psy il y a vingt ans. Vous étiez déjà déprimé. Cela ne s'est pas passé dans notre milieu de travail. »

M. Powell : C'est une façon d'éliminer ou de limiter les demandes d'indemnisation, et cela peut avoir un effet important sur la vie d'une personne, lorsqu'il est question d'une invalidité découlant d'une blessure.

Le sénateur Pépin : Une affection préexistante.

M. Powell : Oui.

Mme Diana Capponi : J'aimerais seulement ajouter quelque chose : j'ai un document, rédigé à la suite d'une enquête du coroner en Colombie-Britannique, au sujet d'un homme qui a été abattu par la police, dans un hôpital, après avoir lutté contre les commissions d'assurance pendant trois ans. C'est de là que provient ce rapport.

Le sénateur Pépin : Madame Hook, j'ai bien aimé votre déclaration selon laquelle un programme devrait s'attacher aux besoins non pas du personnel, mais bien des clients. Je crois que c'est plutôt intéressant et que cela nous sera très utile. Merci beaucoup.

Le président : Merci à tous d'être venus. Merci d'avoir pris le temps d'être avec nous aujourd'hui.

Mme Hook : Les clients qui vous ont fait parvenir un questionnaire de sondage sont aux anges lorsque vous leur envoyez un réponse écrite.

Le président : Merci. Nous avons effectivement tenté de répondre, lorsqu'il y avait une adresse de courriel ou d'autres coordonnées.

Nos deux prochains témoins, qui comparaissent tous deux à titre personnel en vue de raconter leur histoire, sont Norrah Whitney et Carolyn Mayeur. Elles nous relateront l'expérience de leur famille respective avec le système de soins de santé mentale, et nous leur poserons ensuite des questions.

Merci d'être venues.

Mme Norrah Whitney, à titre personnel : Merci. J'ai préparé une déclaration, et je vais en lire une partie. C'est plus facile pour moi.

Je m'appelle Norrah Whitney, et je suis directrice générale de Families for Early Autism Treatment of Ontario. Je suis également mère d'un enfant autiste. FEAT of Ontario a établi un partenariat avec certains des meilleurs organismes de recherche du monde et, des représentants de Santé Canada sont membres de notre conseil consultatif, y compris le Dr Ofner, qui a récemment agi à titre de maître d'œuvre pendant la crise du SRAS. Nous ne bénéficions d'aucun financement gouvernemental, de sorte que je peux témoigner sans aucune contrainte aujourd'hui.

L'autisme est un état pathologique grave qui n'a pas de foyer. Effectivement, aucun régime provincial de soins de santé ne prévoit de traitement éprouvé. Il s'agit du seul trouble de santé fondamental à l'égard duquel les Canadiens ne peuvent recevoir un traitement efficace en vertu d'un régime d'assurance-maladie. Nul ne saurait nier, lorsqu'il s'agit d'autisme, que le temps est venu de cesser de faire l'autruche et d'espérer que la crise disparaîtra d'elle-même. Si, comme société responsable, nous continuons d'appliquer la politique de l'autruche, toute forme future de limitation des dégâts sera futile.

Je reprends ici les paroles de David Suzuki :

D'une façon ou d'une autre, nous devons trouver l'argent nécessaire pour aider les enfants atteints d'autisme... Si nous ne le faisons pas, le coût que nous assumerons tous en vue de prendre soin d'un adulte qui n'a pas été traité sera beaucoup plus grand, et s'élèvera à des millions de dollars. On ne saurait calculer le coût, lorsqu'il s'agit de souffrance humaine.

Sans traitement efficace, l'autisme est un trouble permanent qui mène au placement de plus de 90 p. 100 des enfants non traités dans des centres d'accueil et des établissements de logement. Seulement un enfant sur 64 réussira à s'améliorer sans bénéficier de traitement. L'autisme est désormais plus répandu que la leucémie infantile, le VIH, la fibrose kystique, la paralysie cérébrale et le syndrome de Down, et pourtant, il demeure l'un des troubles médicaux les moins financés, exclu du système de soins de santé, un nomade qui a des conséquences catastrophiques sur des enfants innocents, dont la seule erreur est d'avoir hérité de cette maladie.

Il existe des lois à cette fin, alors qu'est-ce qui s'est passé? En dernier recours, en vue d'obtenir un accès équitable au traitement efficace de leurs besoins fondamentaux en matière de soins de santé, les enfants atteints d'autisme ont dû se tourner vers les tribunaux de partout au pays. Comment peut-on justifier de leur refuser le seul traitement efficace pour l'une des maladies neurologiques les plus graves connues par l'homme, quand on satisfait à tous les besoins d'une personne en proie à une légère dépression? De telles décisions scandaleuses sont rarement compatibles avec la justice fondamentale.

Le droit régissant les droits de la personne et les divers codes des droits de la personne, ainsi que la législation fédérale, comme la Convention relative aux droits de l'enfant, cet instrument ratifié par le Canada, dont on a tant vanté les mérites, n'ont pas, à ce jour, réalisé leur intention de protéger les éléments les plus vulnérables de notre société.

La fourniture d'un traitement efficace pour l'autisme est tout à fait conforme aux principes de la Loi canadienne sur la santé — de promouvoir le bien-être des Canadiens, et de les aider à se rétablir. Le rapport de l'OMS sur la maladie mentale se fait l'écho des principes et dispositions de la LCS, y compris le droit à des services de réadaptation et de traitement qui rehaussent le degré d'autonomie. On peut y lire ce qui suit :

La présente déclaration reconnaît le droit de chaque personne de bénéficier des soins médicaux, de la thérapie, de l'éducation et de la formation dont elle a besoin pour perfectionner ses capacités et optimiser son potentiel, ainsi que des soins et des traitements soumis aux mêmes normes que d'autres personnes malades [...]

La Convention relative aux droits de l'enfant, ratifiée par le Canada, s'assortit de dispositions spécifiques relatives à la protection et au bien-être des enfants et, en particulier, des enfants handicapés. Trudeau a légué à notre pays la Charte canadienne des droits et libertés, qui sert de modèle de législation relative aux droits de la personne pour d'autres pays. Dans l'ensemble, elle m'apparaît assez musclée pour protéger l'égalité des droits.

Dans sa réponse au Discours du Trône, Paul Martin a déclaré ce qui suit :

Nos libertés fondamentales sont enchâssées dans notre Charte des droits et libertés — entendons-nous pour dire qu'en tant que nation constituée de minorités, nous ne devons jamais permettre que ces droits fondamentaux soient compromis si nous voulons conserver notre caractère national et notre liberté individuelle.

Pourtant, malgré la législation mentionnée plus haut et les paroles inspirantes du Premier ministre, la fourniture des avantages offerts aux autres Canadiens, le système de soins de santé publique, continue d'échapper aux autistes. Comment cela a-t-il bien pu se produire?

La discrimination psychologique — a-t-elle pris racine au gouvernement? Paul Martin a dit :

On ne peut choisir quels droits minoritaires ou fondamentaux on veut défendre. On doit défendre tous les droits. Je défends la Charte.

Choisir et discriminer, c'est exactement ce que M. Martin et le ministre de la Justice Irwin Cotler ont fait l'an dernier, quand le gouvernement fédéral est intervenu contre les enfants handicapés dans l'affaire Auton devant la Cour suprême du Canada, dans le cadre de laquelle plusieurs familles cherchaient à ce que les besoins fondamentaux en matière de soins de santé de leurs enfants autistes soient satisfaits en vertu du régime canadien de soins de santé.

Même si les familles ont eu gain de cause devant les tribunaux inférieurs, l'État l'a emporté devant la Cour suprême en novembre, et on a, au bout du compte, fait fi des droits prévus dans la Charte. Depuis, le ministre Dosanjh n'a déployé absolument aucun effort pour étendre l'assurance-maladie aux enfants autistes. Cette façon d'agir est en flagrante contradiction avec la proclamation du gouvernement, dans le discours prononcé par le Premier ministre en réponse au Discours du Trône, au cours duquel il pose la question : « Que voulons-nous? » Il a dit :

Un Canada où aucun individu, aucune collectivité ou région ne se voit refuser la possibilité de participer pleinement à l'édification d'une nation encore plus grande. Ce programme est ambitieux. Mais les Canadiens n'attendent rien de moins d'eux-mêmes et ne devraient pas s'attendre à moins de leurs gouvernements.

Et plus tard, il ajoute :

Nous avons pris un engagement irrévocable à l'égard des principes qui sous-tendent la Loi canadienne sur la santé. Ces principes sont inhérents à qui nous sommes; ils sont une prise de position morale sur ce qui est fondamentalement équitable — l'idée que tous les Canadiens sont égaux sous notre régime de soins de santé.

Comme l'a déclaré madame la juge Allen dans l'affaire Auton :

Le trouble ou la maladie qui doit être traité, c'est l'autisme. Il est tout à fait inutile de rassurer une personne souffrant d'une maladie débilitante en lui disant que, même si l'État ne traitera pas cette maladie, si elle se casse une jambe ou fait une pneumonie, elle recevra un traitement à l'égard de ces affections.

L'un de vos collègues, le sénateur Jim Munson, a bien décrit l'expérience horrible des enfants autistes et de leur famille. Il a parlé de la similitude du traitement pour l'autisme et de celui des gens qui sont victimes de traumatisme crânien. Il a dit que c'est un traitement efficace, mais très coûteux. Il a dit que, de fait, le traitement est si coûteux qu'il échappe à la portée de la majorité des familles.

Et je vous dis que nous souffrons. Je suis une mère monoparentale, et j'ai réuni un quart de millions de dollars pour le traitement de mon fils. Le sénateur Munson a dit :

Est-ce bien là le visage du régime universel de santé du Canada? Honorables sénateurs, je le crains. Pourtant, il coûte beaucoup plus cher de ne pas traiter les autistes. Les enfants qui ne reçoivent pas de traitement sont souvent totalement à la charge de l'État, et on estime que cela coûte deux millions de dollars pendant toute l'existence du malade.

Fait plus important encore, il a ajouté :

Vous le constatez, le refus de traitement n'est pas seulement immoral. C'est une fausse économie. La question qui se pose est celle de l'universalité, et les personnes touchées sont nos concitoyens les plus vulnérables. On leur refuse un traitement qui s'est avéré efficace. Il nous faut une vision nationale. Il faut mobiliser une volonté nationale et offrir un programme national de traitement de l'autisme.

Je suis ici aujourd'hui pour signifier mon accord total avec le point de vue du sénateur Munson, mais qui se chargera de façonner cette vision nationale, quand les gouvernements, de façon illogique et immorale, font fi des principes régissant les droits de la personne tout en affirmant qu'ils font partie intégrante de notre identité nationale?

Le sénateur Pearson, qui surveille l'application de la Convention relative aux droits de l'enfant visant à prévenir justement la catastrophe dont vous êtes saisi aujourd'hui, n'a pas su intervenir au nom de ces enfants sans voix. UNICEF Canada, malgré son mandat, refusait de défendre les intérêts de ces enfants. Vous devez parler en leur nom, défendre leurs intérêts, et c'est grâce à la loi dont je vous parlerai à l'instant que nous pourrons réaliser la vision du sénateur Munson.

Nous devons adopter une stratégie nationale pour assurer l'égalité des droits des Canadiens handicapés. La décision rendue par la Cour suprême du Canada en novembre dans l'affaire Auton constitue un recul en matière de droits des personnes handicapées au Canada. Cela s'applique non seulement aux enfants autistes, dont le droit aux soins de santé fondamentaux sous le régime d'assurance-maladie n'a pas été reconnu par le tribunal de grande instance, mais aussi à toutes les personnes handicapées au pays. Leurs droits ont également été abrogés par l'arrêt Auton.

Mary Eberts, avocate torontoise qui a contribué à définir et à rédiger la Charte des droits et libertés, a dit :

Cet arrêt de la Cour suprême du Canada a ouvert la porte à tous les abus. Je crois qu'on vient d'enlever sa force à la Charte canadienne des droits et libertés.

Ce mémoire décrit ce qu'il faut faire pour que le Canada devienne un chef de fil des droits des handicapés et un pays offrant une protection juridique valable aux personnes handicapées.

Nous devons faire du Canada un pays où on valorise réellement les personnes handicapées, au lieu de simplement les tolérer. Nous avons besoin de trois lois.

La première est une loi canadienne sur les personnes handicapées, une LCPH; nous devons également adopter une loi sur la parité en santé mentale, et une loi fédérale sur l'éducation des personnes handicapées. C'est grâce à des lois fédérales comme celles-là que les personnes handicapées vivent considérablement mieux aux États-Unis qu'au Canada. Aux États-Unis, l'égalité des services, des emplois et du logement pour les personnes autistes et les autres personnes handicapées n'est pas facultative. C'est la loi.

La première loi suggérée, la LCPH, est une loi générale portant sur les droits des personnes handicapées et visant à protéger toutes les personnes handicapées. Une telle loi serait relativement facile à adopter au Canada, car elle s'appliquerait à toutes les personnes handicapées, et jouirait probablement de l'appui d'une coalition de personnes handicapées de partout au pays. Certes, la LCPH servirait les intérêts supérieurs de toutes les personnes vivant avec un handicap.

La deuxième loi concerne la parité en santé mentale. Bien que plus étroite dans sa portée, elle jouerait un rôle très important au Canada. La LPSM interdirait aux compagnies d'assurance-maladie de faire de la discrimination en refusant de couvrir les traitements liés à une maladie mentale ou à un handicap mental. Aux États-Unis, plus de 26 LPSM ont été promulguées. En 1996, le congrès américain a édicté une Mental Health Parity Act fédérale. Ce genre de loi, d'une importance vitale pour l'égalité des autistes, pourrait être confrontée à une forte résistance au Canada, car les assureurs qui seraient touchés par une telle loi sont des organismes des gouvernements provinciaux. Autrement dit, de par sa nature, l'assurance-maladie est un monopole que chaque gouvernement provincial contrôle et qui lutte avec ténacité pour exclure les enfants autistes de notre système de soins de santé. Néanmoins, c'est une démarche qui mérite d'être amorcée.

La dernière loi américaine dont je veux vous parler est l'Individuals with Disabilities Education Act. Cette loi concerne les enfants qui sont dans le système d'éducation. En vertu de cette importante loi relative aux personnes handicapées, les programmes médicalement nécessaires aux autistes ont été payés par le système d'éducation pour les milliers d'enfants autistes lorsqu'ils atteignaient l'âge scolaire; même si l'éducation est une compétence provinciale au Canada, il est absolument nécessaire d'adopter une loi fédérale permettant de veiller à ce que les enfants autistes puissent recevoir leur traitement tout en fréquentant l'école publique, tout comme le font les enfants atteints d'autres handicaps.

Nous devons également établir, dans chaque province, des chaires de recherche sur le traitement médicalement nécessaire pour l'autisme. Nous avons des chaires de recherche, mais aucune d'elles ne contribue réellement à inciter d'autres professionnels à entrer dans le domaine.

Nous devons mener une enquête indépendante à l'égard du processus judiciaire. Même si l'affaire Auton est terminée, et qu'on ne peut officiellement rien faire pour inverser ce grave déni de justice, nous devons examiner la décision. Il y a 22 erreurs techniques dans la décision du tribunal de grande instance, et nous allons bientôt les rendre publiques. Même si ce type d'enquête n'aidera peut-être pas directement les enfants autistes, il permettra de faire toute la lumière nécessaire sur la possibilité de pratiques gouvernementales irrégulières dans l'affaire Auton, d'ingérence politique et de non-observation des règles qui auraient influé sur l'issue d'un processus judiciaire censé être indépendant, élément crucial d'une société libre et démocratique.

En quoi les dirigeants politiques ont-ils avantage à adopter une telle position à l'égard de l'autisme et des droits des personnes handicapées? Pourquoi devrions-nous prêter attention à cette question aujourd'hui? Laissez-nous vous dire pourquoi.

Quand la Cour suprême a tranché, nous avons demandé à Ipsos-Reid de mener un sondage pour nous. On a posé la question suivante aux Canadiens : « Malgré la décision de la Cour suprême, croyez-vous que les enfants autistes devraient être couverts par le régime d'assurance-maladie? » Eh bien, 89 p. 100 des répondants, une majorité de Canadiens — 91 p. 100 en Ontario, sénateur Keon — ont répondu oui. C'est la volonté de la population canadienne. Il s'agit des contribuables qui ne veulent pas assumer le coût du placement en établissement de ces enfants et qui ne veulent pas voir le Canada, l'un des pays les plus riches au monde, tourner le dos à des enfants innocents.

La chambre de second examen modéré et réfléchi est le dernier espoir des enfants autistes : on dit que le mandat du Sénat consiste à agir comme une chambre de second examen modéré et réfléchi. Je suis tout à fait convaincue que la seule chance qu'il reste aux enfants autistes est assise devant moi aujourd'hui. L'idée que la vie d'un enfant puisse être gaspillée, détruite, par une simple discrimination psychologique systémique profondément enracinée au cœur même du gouvernement et de ses politiques, est une réalité qui, certes, donne à réfléchir. Ces citoyens n'ont aucun autre recours, aucune loi pour les protéger, aucun organisme humanitaire pour les défendre. Auprès de qui peuvent-ils demander de l'aide, si ce n'est de vous, notre chambre de second examen modéré et réfléchi?

Notre gouvernement a dit que le Parlement doit toujours se donner pour but de veiller à ce que les générations futures de Canadiens aient de bonnes raisons de percevoir leur pays comme nous le faisons, de ressentir cette intense fierté, cette poussée de confiance, ce sentiment intangible et irrésistible selon lequel nous faisons tous partie de quelque chose d'exceptionnel. Les enfants autistes ne font pas partie de quelque chose d'exceptionnel. La façon dont on les traite ne peut être comparée qu'au sort réservé aux Canadiens japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu'on les a regroupés et confinés dans des camps d'internement ou des établissements, si vous préférez.

Si nous acceptons tout bonnement de laisser le gouvernement et la société traiter les enfants autistes comme des citoyens de seconde zone, nous massacrons par le fait même cette vision du Canada, cet héritage qui nous a été légué par l'un de nos plus grands chefs, Pierre Elliott Trudeau. Sa vision du Canada s'est éteinte le jour où ces jeunes enfants handicapés se sont présentés devant la Cour suprême du Canada, seulement pour se faire détruire par des armées juridiques provinciales et fédérales déterminées à les priver de leurs droits à l'égalité.

La société devrait être jugée en fonction de la façon dont elle traite ceux qui ont besoin d'aide; or, à ce chapitre, je regrette de devoir dire que le Canada échoue lamentablement. Vous devez, de la façon modérée et réfléchie qui vous caractérise, proposer de nouvelles lois afin que le tissu social de notre pays ne soit plus jamais entaché de cette façon. Vous avez le pouvoir de sauver ces vies.

Le rapport Kirby témoigne fermement de votre volonté et de votre détermination; c'est un premier pas important pour la protection des personnes handicapées. Je vous demande maintenant d'en faire un deuxième : retournez à Ottawa, et veillez à ce que les enfants autistes appartiennent à la vision du Canada qui nous a été léguée par Trudeau, afin qu'ils puissent également être fiers d'être membres à part entière de notre pays. Une fois la législation fédérale nécessaire en place, nous pourrons parler de solutions en ce qui concerne la réglementation du traitement de l'autisme, d'une manière efficace et prudente.

La vision de Sir John Leo Whitney, père de l'Assurance-santé de l'Ontario, s'est également éteinte. Sa vision consistait à créer un régime de soins de santé durable, fondé non pas sur la capacité de payer, mais bien sur le besoin. Je vous supplie, pour l'avenir de mon fils Lucas, faites renaître l'héritage qu'a légué mon grand-père à cette province grâce à une nouvelle loi fédérale et de solides assises morales, afin que mon fils et les autres autistes n'en soient pas exclus. Merci.

Le président : Merci, Norrah. Ensuite, nous avons un exposé de Carolyn Mayeur. Vous avez un texte avec vous.

Mme Carolyn Mayeur, à titre personnel : Oui, vous en avez un, mais je tiens à vous avertir que je ne m'en tiens pas au texte. J'ai apporté quelques photos — que je vous prierais de faire circuler — , car ma fille voulait raconter son histoire et mettre un visage humain sur cette maladie, dont on ne s'occupe pas, laquelle est vraiment l'équivalent de la lèpre parmi nos maladies mentales, l'une des rares situations où l'on continue de blâmer la victime de son mal physique et mental.

Je vous remercie de me laisser comparaître de nouveau devant votre comité. C'est la plus vive lueur d'espoir que j'ai vue depuis plus de 12 ans. Je prends la parole à titre de mère d'une jeune femme qui, après huit ans aux prises avec un grave problème d'anorexie-boulimie, est décédée dans un système médical qui, essentiellement, ne se préoccupe pas de cette maladie mentale des plus mortelles.

Si vous êtes une jeune femme au Canada, vous êtes 12 fois plus susceptibles de mourir d'un trouble alimentaire que de toutes les autres maladies combinées. Nous avons 65 000 patients atteints du sida en Ontario. On estime qu'entre les personnes qui demandent de l'aide et celles qui restent cachées chez elles, il pourrait y avoir jusqu'à 140 000 personnes aux prises avec un trouble alimentaire en Ontario, et j'ai l'occasion de parler à beaucoup d'entre elles dans le cadre de mes activités de revendication; il s'agit parfois de personnes qui se sont débattues avec ce problème jusqu'à l'âge de 90 ans, tout juste au-dessus du seuil des décès — 65 ans.

Pour celles qui ne sont pas traitées, c'est-à-dire au moins 33 p. 100, ce trouble devient une maladie chronique. Parmi celles qui survivent, 33 p. 100 apprennent comment gérer leur situation et vivre leur vie, et 20 p. 100 des anorexiques succombent à la maladie.

Je mentionne ces chiffres, car, dans notre province, nous affectons au total 7,7 millions de dollars à plus de 20 centres, partout en Ontario. Après les coûts liés à l'administration et au fonctionnement, et les autres coûts, on peut imaginer ce qui reste pour prendre soin de nos gens.

Dans notre région du Centre-Ouest, qui comprend Kitchener, Cambridge, Guelph, tout Halton, tout Peel, tout Dufferin et Brampton, notre budget total pour le traitement des troubles alimentaires est de 1,3 million de dollars pour six centres. Nous ne pouvons offrir aucun programme de jour. Nous ne pouvons offrir aucun service d'hospitalisation; et à Homewood, localité située dans la région, on offre désormais des services d'hospitalisation privés. L'hôpital général de Toronto fait des compressions, et à Hamilton, où une partie de nos gens de Burlington tentent d'obtenir de l'aide, le financement est tout aussi précaire.

C'est une épidémie qui ne fait l'objet d'aucune mesure. Elle devrait faire l'objet d'une stratégie multipartite. Il s'agit de nos jeunes. C'est là que la maladie se manifeste. Nous voyons des enfants de sept ans, des garçons, aux prises avec de graves problèmes d'anorexie.

Une partie du problème tient au fait que ce trouble n'est pas encore considéré comme une maladie, alors qu'il s'agit effectivement d'une maladie mentale et physique. Les médecins éprouvent de la difficulté à déterminer si ce trouble est d'origine mentale ou physique, de sorte que personne ne fait grand-chose à l'égard d'un aspect ou de l'autre. Pourtant, la recherche, y compris l'étude internationale sur la génétique des frères et sœurs, à laquelle ma famille a pris part, attribue de plus en plus un rôle important à la génétique à l'égard de cette maladie. Il y a trois gènes courts qui indiquent une prédisposition à la perte d'appétit, de l'estime de soi, du sommeil et de la soif — quelques-uns des indicateurs de cette maladie. Elle montre aussi le rôle que joue un déséquilibre chimique à l'égard duquel on sait bien peu de chose, bien sûr, car, malgré le nombre de personnes touchées par cette maladie, on mène peu de recherche, alors je lance un appel à l'équité de la recherche pour ce qui est de ces domaines négligés. Il s'agit de nos jeunes, après tout.

Les hôpitaux n'ont pas affecté de place aux soins intensifs pour les personnes atteintes de cette maladie, alors ils se donnent beaucoup de mal pour ne pas accepter de cas. Danielle s'est présentée à l'hôpital à trois reprises — à 69 livres, à 76 livres — et le médecin chargé de l'admission a demandé une analyse sanguine. Il a conclu que le niveau de potassium dans le sang de Danielle était convenable — autrement dit, que son cœur ne s'arrêterait pas au cours des cinq prochaines minutes — , qu'elle allait bien, et qu'il n'y a avait aucune raison de l'hospitaliser. Je suis là, devant lui, et je me dis : « oui, bien sûr, et tout son corps s'atrophie, chaque organe, chaque muscle, ses os, son cerveau — tout. Le cerveau est constitué à 60 p. 100 de matière grasse. Comme vous pouvez l'imaginer, si vous hypothéquez votre corps de cette façon, vous endommagez également votre cerveau.

C'est une maladie qui peut être mortelle. L'un des problèmes que nous avons dans le Centre-Ouest, c'est que nous ne pouvons pas convaincre des médecins de venir faire des examens médicaux dans nos six cliniques. Nous n'arrivons pas à les faire venir dans les hôpitaux locaux. J'ignore si cela tient à l'échelle de rémunération ou à autre chose, mais quand on a un enfant gravement malade et qu'on ne peut même pas lui faire subir un examen médical, c'est très frustrant.

Au sein du système de soins de santé, Danielle a souvent été confrontée à l'attitude hostile des fournisseurs de traitements médicaux. On l'a traitait comme si son état découlait d'un désir d'adolescente de perdre du poids, d'une sorte de caprice. C'est faux. Le cerveau est pris en otage par quelque chose qui ressemble à un virus informatique qui transmet le même message, toujours plus puissant, et il s'ensuit une énorme lutte interne pour tenter d'imposer un message plus sain. Chaque bouchée, chaque pas étaient une véritable lutte pour elle.

De plus, elle n'a reçu aucun soin à l'égard de toute chose n'étant pas considérée comme liée au problème. Ses os étaient dans un état déplorable, mais elle n'était pas admissible aux médicaments pour les os, car ils étaient réservés aux 65 ans et plus. Que son corps soit déjà vieux, mourant et usé était sans importance : elle n'était pas admissible. On ne lui a permis d'utiliser un lit fluidisé que lorsqu'on en a apporté un dans sa chambre d'hôpital, une heure avant qu'elle meure, pour soulager la douleur occasionnée par le dépérissement de ses os et de ses muscles, qui lui enlevaient toute amplitude de mouvement.

Danielle s'était fait inscrire immédiatement sur la liste d'attente, car, lorsqu'un patient présente une demande, il peut s'attendre à attendre un mois pour l'évaluation et un autre mois pour le traitement, dans le meilleur des cas. Elle est demeurée sur la liste d'attente pendant trois ans — ce virus a eu trois ans pour s'immiscer dans tout son champ de mémorisation, pour s'approprier toute expérience courante, pour s'enraciner toujours davantage.

Il devrait y avoir des unités de soins pour ces maladies. Ces personnes ont besoin d'être traitées différemment. Elles ont vraiment besoin de soutien pour demeurer motivées, être courageuses et reformuler leurs processus cognitifs, et, dans le cas de Danielle, pour composer avec le fait qu'elle avait été violée dans ce centre d'accueil. C'est pour cette raison qu'elle ne pouvait se résoudre à manger, et qu'elle s'est effondrée si rapidement. Toutefois, il n'y avait pas de traitement pour le syndrome du stress.

Nous avons fini par payer 2 400 $ pour un thérapeute, après que Danielle nous a raconté, deux ans et demi plus tard, cet événement traumatisant qui avait détruit son âme. Pendant qu'on y est, j'aimerais seulement dire que, pour les 50 p. 100 de personnes aux prises avec une anorexie grave qui sont victimes d'inceste ou d'agression sexuelle ou de violence à la maison, changez les lois touchant les crimes sexuels, si vous le pouvez. Il ne s'agit pas d'un simple écart de conduite. C'est la destruction d'une personnalité et d'une âme, et les gens qui commettent ces actes ne devraient pas avoir la possibilité de récidiver trois mois ou trois ans plus tard. C'est la même chose qu'un meurtre, et les lois et sanctions devraient refléter cela.

En tout cas, Danielle avait besoin d'un traitement complet. Quand on l'a enfin admise au programme, on lui a dit : « vous souffrez d'un syndrome de stress post-traumatique, vous souffrez d'un trouble obsessif-compulsif grave, vous souffrez... » et on lui a fourni une liste de problèmes qui auraient pu être traités trois ans auparavant, mais on n'offrait qu'un programme de trois mois, le même programme pour tout le monde.

Chaque victime d'un trouble alimentaire vit une situation complexe qui met en jeu divers facteurs agissant simultanément, et le traitement doit être personnalisé. Est-ce qu'on laisserait un cancer se répandre pendant trois ans, pour ensuite dire au patient : « d'accord, maintenant, tout le monde reçoit exactement le même traitement de chimiothérapie pendant trois mois, et on vous renvoie ensuite à la maison; si vous faites une rechute, c'est que vous n'aviez pas la bonne attitude »? C'est ça qui se produit. C'est ce qui est arrivé à Danielle.

Bien souvent, les boulimiques se tirent d'affaire beaucoup mieux dans le cadre d'un traitement en groupe, mais les anorexiques, les cas d'anorexie graves, exigent un plan de traitement intensif et personnalisé. Dans certains cas, cette maladie compliquée exige de nombreux mois de soins compliqués, et le système devrait prévoir le personnel nécessaire pour dispenser ces soins.

Chaque dossier devrait être confié à un agent particulier, jusqu'à ce qu'il y ait une certaine continuité dans le système. J'ai passé des centaines d'heures au téléphone, à me faire mettre en attente, à me faire raccrocher au nez, à me faire mettre de nouveau en attente, à enfin parler à quelqu'un, à téléphoner à chaque ministère pour m'informer des services disponibles. Il n'y en avait aucun.

J'espère qu'il y en a maintenant, mais, avec les compressions budgétaires qui frappent l'hôpital général de Toronto, ils ont eu le culot de dire que se serait la collectivité qui prendrait le relais. Je regrette, mais il n'y a pas de services de soutien dans notre collectivité. La Santé publique n'intervient pas, et notre centre de soutien aux personnes souffrant de troubles alimentaires arrive à peine à garder ses thérapeutes et à maintenir son programme de consultation externe. J'en étais bouche bée.

Je dirais que la discrimination, le refus de traiter cette maladie de la même façon que les autres maladies, tient partiellement au fait que c'est une affaire de femme, ou que ça l'était. Nous découvrons maintenant beaucoup plus de victimes de sexe masculin. Cela tient partiellement au fait que les troubles alimentaires sont toujours assimilés à un comportement névrosé, ce qui est erroné, et qu'il y a encore beaucoup de chemin à faire, même au sein de la profession psychiatrique, pour ce qui est de comprendre cette maladie. Quand on a offert au groupe de psys locaux l'occasion de toucher un financement global, ils ont répondu que les troubles alimentaires étaient au bas de la liste des priorités pour l'affectation de fonds. Il n'y a pas d'argent.

Je commence à croire qu'on devrait affecter un financement global pour la santé mentale, un budget distinct de celui qui vise les autres formes de soins de santé, tout simplement parce que la santé mentale a toujours tendance à échapper aux priorités des décideurs. Si on attribuait un financement global pour la santé mentale, je veillerais d'abord à ce qu'on établisse l'équilibre entre les domaines négligés et les autres. Sinon, on ne fait que perpétuer l'iniquité.

Il faut vraiment revoir les critères fondés sur les résultats qu'on utilise actuellement pour financer les programmes communautaires. Nous savons que, dans le cas du cancer et d'autres domaines, les programmes de soutien favorisent le rétablissement, et nous savons, grâce à l'étude des programmes de Sheena's Place réalisée par le ministère, laquelle a coûté 150 000 $, qu'il y a eu une amélioration marquée au chapitre des relations, de la capacité d'adaptation et de nombreux autres facteurs; or, sans ces améliorations, ces victimes ne vivent qu'à moitié, parfois pendant des décennies.

Les services de soutien dispensés par Sheena's Place ne sont pas superflus. Ils constituent un élément nécessaire au rétablissement. Les anorexiques ne sont vraiment pas à l'écoute de leur corps, et 90 p. 100 du temps de réflexion est consacré à une succession d'idées touchant la nourriture, le poids, les calories et la perte de poids. Danielle s'est brûlée sur une chaufferette, et elle n'a jamais guéri, car son corps était trop occupé à essayer de tenir le coup pour faire des choses comme guérir, mais elle n'en était pas consciente. Cela fait penser à la méthode de Lamaze, où l'on se concentre sur autre chose pour oublier sa douleur. Quand on est à ce point centré sur quelque chose, comme c'est le cas pour les anorexiques, on ne s'aperçoit même pas qu'on est mourant, et c'est ce qui est arrivé à Danielle.

Le programme de jour de trois mois destiné à s'appliquer à tout le monde a permis à Danielle de prendre du poids. Mais elle ne cessait de revenir à la maison et de dire : « mais maman, personne ne m'aide à composer avec ces voix dans ma tête et ces pensées dans mon esprit. » Pourquoi? Elle avait besoin d'une thérapie cognitivo-comportementale intensive.

Une infirmière s'est mise à railler : « eh bien, qu'est-ce que vous attendez de nous, exactement? » Et je lui ai répondu : « j'aimerais trouver une thérapie cognitivo-comportementale pour Danielle, ainsi qu'un psychiatre qui pourrait utiliser divers médicaments jusqu'à ce qu'il trouve celui qui permettra à Danielle de composer avec les graves pensées suicidaires qui la rongent cinq jours par mois. » L'infirmière m'a regardé, et a dit : « vous rêvez en couleur. » C'est de cela que Danielle avait besoin.

Dire, dans le cas de ma fille, et de ces autres filles — puisque je rencontre des parents qui ont perdu leur fille récemment — qu'il n'est pas réaliste de s'attendre à ce que le traitement dont l'efficacité est éprouvée soit disponible montre à quel point le problème est énorme.

De plus, il ne faut pas héberger ces patients dans des unités psychiatriques peu accueillantes et mixtes. La thérapeute qui a aidé Danielle à composer avec le viol — je vous ai dit que nous avions payé 2 400 $ pour ses services, car cela n'est pas fourni — nous a dit qu'elle a passé la moitié de son temps avec Danielle à s'attacher au traumatisme vécu par Danielle à l'occasion des deux séjours de deux semaines qu'elle a passé dans deux unités psychiatriques de notre région. Je n'ai jamais interrogé Danielle quant à la nature de ce traumatisme, mais ces jeunes devraient être dans un lieu sûr.

L'unité psychiatrique était un endroit peu accueillant, où les infirmières se réfugiaient derrière des murs vitrés. Il y avait très peu d'interaction avec les patients, sauf lorsque venait le temps de donner des médicaments, et on n'offrait aucune thérapie. Elle n'a bénéficié d'aucune thérapie lorsqu'elle était dans l'unité psychiatrique, rien qui ne puisse l'aider à composer avec ses problèmes.

Je dirais que, pour le quart du prix d'une hospitalisation dans une unité psychiatrique, on pourrait dispenser à ces patients des soins au sein de la collectivité, et cela pourrait peut-être atténuer le dégoût de soi qui est propre à cette maladie, ainsi que l'angoisse ressentie, à juste titre, dans les unités psychiatriques.

D'ailleurs, je crois que nous devrions revoir entièrement la notion d'unités psychiatriques. Comment évaluons-nous ces unités? En fonction du nombre de personnes qu'elles traitent? En fonction du nombre d'évaluations qu'elles font? Danielle a fait l'objet de dizaines d'évaluations. Quel gaspillage de fonds public. Il aurait mieux valu dépenser cet argent sur un traitement.

J'aimerais que les unités dans ce domaine soient tenues d'administrer un sondage anonyme auprès des clients qui obtiennent leur congé, et qu'on tienne également compte de ce sondage au moment d'évaluer le rendement de l'unité. On pourrait poser des questions très simples : est-ce qu'on vous a traité avec respect? Est-ce qu'on vous a traité avec compassion? Avez-vous été en contact avec le personnel? Avez-vous bénéficié d'une thérapie? Ce serait très révélateur. On a refusé à deux reprises d'admettre Danielle à l'unité psychiatrique parce que, selon l'infirmière, ce n'était pas un bon moment. L'unité était trop dangereuse. Pourquoi est-ce la seule option qui s'offre à elle?

Alors, lorsque vous parlerez au représentant du ministère cet après-midi, j'aimerais que vous lui demandiez combien on a dépensé pour envoyer 30 enfants subir un traitement en établissement aux États-Unis, l'an dernier. On ne prévoit que 7,7 millions de dollars pour traiter les gens en Ontario; nous sommes la pointe de l'iceberg. Vous seriez étonnés d'apprendre combien de millions de dollars ont été dépensés pour ces 30 personnes, de l'argent qui pourrait mieux servir des centaines de personnes dans notre province. Ils disent : « eh bien, cela vient d'un budget différent ». Je regrette, mais cela vient toujours des poches des contribuables. C'est peut-être politique, mais ce n'est pas gentil.

Les écoles peuvent également jouer un rôle. Le rapport Robins suggère qu'on affecte un professionnel de la santé mentale dans chaque école. Rien n'a été fait. De fait, sous le régime des plans de financement actuels, on compte très peu de conseillers d'orientation. Il y a des bureaux. Nous pouvons installer des thérapeutes internes dans les écoles secondaires où le bureau du conseiller d'orientation est inutilisé. Il serait donc plus facile pour les jeunes d'y avoir accès. Je crois qu'on devrait effectuer régulièrement des évaluations psychologiques dans toutes les classes. Danielle souffrait d'un déséquilibre chimique qui est apparu lorsqu'elle était très jeune, mais il n'y avait aucun mécanisme de dépistage. Nous aurions peut-être pu éviter beaucoup de choses si nous l'avions repéré plus tôt.

De plus, il serait plus facile pour les jeunes d'obtenir de l'aide. Ils doivent concilier le travail, les activités communautaires permettant d'obtenir les crédits nécessaires et une lourde charge de travaux scolaires dans le cadre du programme d'enseignement comprimé, de sorte qu'il serait très avantageux de mettre des thérapeutes à la disposition des étudiants, dans les écoles secondaires.

De plus, les programmes secondaires sont discriminatoires. On devrait permettre la modification d'un programme en fonction de personnes souffrant de troubles de l'humeur. Mon fils était brillant — en mathématiques, en informatique — mais, souffrant de dépression, il était incapable de présenter des exposés « devant tout le monde », lesquels comptent pour 20 p. 100 des crédits du CPO. Parce qu'il a été incapable de présenter deux heures d'exposé, il n'a pas pu obtenir des notes suffisamment élevées pour être admissible à l'université. Pourtant, en ma qualité d'enseignante au secondaire, j'ai adapté les programmes en fonction des besoins d'athlètes d'élite, d'étudiants qui partaient en tournage aux États-Unis, mais on ne permet aucune modification pour une personne malade.

Alors, qu'est-ce que tout cela veut dire? Il touche la moitié du salaire de ses amis, malgré son solide sens de l'éthique au travail. Ces amis achètent des maisons. Il n'a même pas les moyens de louer un appartement, et cela va lui coller à la peau toute sa vie. C'est un prix énorme à payer, surtout lorsqu'il découle de l'incapacité du système d'éducation de reconnaître qu'il y a des moments où on ne peut pas tout faire de la même façon.

On a refusé à trois reprises d'admettre Danielle en salle d'urgence lorsqu'elle s'y est présentée, de peur de céder à ses idées suicidaires, parce qu'elle voulait vivre. Ce n'était pas pour avoir de l'attention. Ils ont ri de ses plans. Ils ne l'ont pas prise au sérieux, car elle était timide et peu agitée, et on l'a renvoyée à trois reprises. Un jour, cinq jours après avoir été renvoyée, elle a trouvé un plan efficace : la surdose. C'est moi qui l'ai trouvée.

Au cours des deux années qu'elle a passées à Toronto, à attendre son tour qui n'est jamais venu, dans une chambre louée à nos frais, elle se rendait à la salle d'urgence de l'hôpital et se tenait entre les portes, car, là, elle pouvait attendre, en toute sécurité, que ses idées suicidaires passent. Elle savait qu'elles passeraient, mais elle devait s'en assurer avant de partir.

La plupart du temps, elle m'appelait et me gardait au téléphone pendant deux heures, sans me dire de quoi il s'agissait. Je lui disais : « j'ai des travaux à noter » elle répondait : « oh, mais maman », et elle changeait de sujet, mais lorsqu'elle ne pouvait pas me téléphoner, elle se rendait à l'urgence. Il devrait y avoir un lieu sûr où les gens aux prises avec des idées suicidaires pourraient se rendre.

On élabore actuellement une stratégie de prévention du suicide à Halton, car nous avons eu 96 cas en quatre ans, mais le comité n'a même pas songé aux troubles alimentaires, même s'ils sont responsables d'un plus grand nombre de suicides que toute autre maladie mentale. Ces attitudes à l'égard des troubles alimentaires sont bien enracinées.

Un jour, elle a été victime d'une surdose lorsqu'elle a consommé la quantité de médicaments prescrite, en raison de sa circulation sanguine et de sa taille réduites. Personne n'assurait de suivi régulier de sa concentration sanguine. Tout établissement central de soins de santé mentale au sein d'une collectivité devrait avoir la possibilité d'assurer un tel suivi auprès de toutes les personnes sous médication, afin que de tels accidents ne se reproduisent pas.

De plus, les médecins légistes ne font pas état de décès liés aux troubles alimentaires. Il sera plutôt question d'une insuffisance hépatique ou cardiaque, ou d'un suicide, et on ne fera aucune mention de la maladie sous-jacente. Je vous en prie, si vous connaissez un moyen d'obliger les médecins légistes à faire état de la maladie sous-jacente et à rendre publiques leurs conclusions, faites-le. Quand je parle de prévention à des groupes, ce que je fais, et quand j'obtiens des articles de journal visant à sensibiliser la population à cette question, cela me procure des statistiques frappantes et réelles.

Effectivement, il faudrait changer les lois fédérales relatives à l'invalidité. Danielle n'était pas admissible. Elle était encore capable de lacer ses souliers et de se nourrir, et elle ne satisfaisait pas à certains des critères limités utilisés à l'époque pour définir l'invalidité sous le Régime de pensions du Canada. Elle n'avait même pas les moyens de répondre à des besoins sans grande portée, comme les soins dentaires, comme une paire de gants pour ses mains, si sèches et craquelées et ensanglantées, et qui saignaient souvent au cours des trois dernières années.

Le gouvernement fédéral pourrait peut-être procurer les médicaments nécessaires aux personnes à faible revenu qui sont atteintes de ces maladies, sans pour autant limiter l'admissibilité aux assistés sociaux. Je connais des gens qui ne peuvent renoncer à l'aide sociale de l'Ontario, car ils n'auraient pas les moyens d'assumer leurs coûts médicaux, même s'ils pouvaient travailler. Il y a quelque chose qui cloche dans tout ça. Les résultats cliniques montraient que son problème d'ostéoporose était très grave, et elle était incapable d'obtenir les médicaments pour se traiter.

Il faut également se pencher sur la question des pensions. Dans notre famille, les trois d'entre nous qui restent avons commencé à souffrir de maladies chroniques en raison des huit ans de stress subi à vivre avec une personne qui, à la fin de sa vie, avait l'air de s'être échappée d'un camp de concentration, et du stress énorme et improductif que supposait le fait de tenter d'obtenir des soins médicaux et de nous faire dire que nous exagérons.

Je me rappelle, à l'occasion de l'une de nos nombreuses visites à l'unité psychiatrique, d'avoir demandé au psychiatre : « Ne pourrions-nous pas l'envoyer à l'Institut Clarke pour qu'on l'évalue et qu'on lui donne les médicaments dont elle a besoin? » Il m'a ri à la figure. Il a dit : « Qu'est-ce que vous pensez que l'Institut Clarke fera pour vous? » Eh bien, cela nous a coupé le sifflet, mais, six ans et demi après le début de sa maladie, elle a trouvé un merveilleux thérapeute qui avait des relations à l'Institut Clarke et qui a pu l'y faire admettre. Ils ont mis à l'essai un régime de médicaments et, pendant un an et demi, elle ne s'est sentie ni déprimée, ni suicidaire. Son corps mourrait, mais elle se donnait des buts et appréciait beaucoup plus la vie.

J'ai souffert d'une grave fibromyalgie, et j'ai fini par devoir quitter le travail plus tôt et accepter une pension réduite. Je m'en réjouis maintenant, d'une certaine façon, car cela m'a permis de passer les trois dernières années avec Danielle, et nous devions connaître de nombreux moments de joie au cours de ces années, malgré sa maladie.

Somme toute, pour toutes ces familles susceptibles de préserver l'avenir de leur enfant souffrant d'un trouble alimentaire, j'espère que tout plan d'action éventuel examinera la discrimination systémique interne dirigée contre cette maladie, la seule maladie mentale à l'égard de laquelle la victime et la famille sont toujours blâmées, et où les besoins réels en matière de traitement et la souffrance des patients est passée sous silence.

Le président : Merci, madame Mayeur. Enfin, nous avons Betty Miller, coordonnatrice d'un conseil familial qui a été établi en vue de donner une voix aux membres des familles.

Mme Betty Miller, coordonnatrice du Conseil pour la famille, Centre de toxicomanie et de santé mentale : J'aimerais commencer par remercier mesdames Mayeur et Whitney d'avoir raconté leur histoire. Je sais que ce n'est pas facile de raconter son histoire, et je vous suis reconnaissante d'être ici aujourd'hui. C'est un grand pas.

Je dois avouer que je n'ai préparé mon exposé qu'hier, et, puisque j'ai constaté qu'il dure 14 minutes, je devrai m'activer et l'écourter un peu.

Je crois que nous devons effectivement établir une stratégie nationale, et j'ignore quelle serait sa forme exacte, mais je suppose qu'elle s'assortirait de normes minimales pour la pratique partout au pays, et favoriserait la réalisation d'une vision, le leadership, et ce genre de choses. Je laisse aux personnes qui s'y connaissent plus que moi le soin d'en arrêter les détails.

Je passe directement à la page 2 de mon exposé, et j'espère ne pas aller au-delà de sept minutes. Je vais commencer par parler un peu des consommateurs/survivants.

Je suis une consommatrice/survivante. Je souffre d'un trouble alimentaire, la boulimie. Je fais partie d'une famille aux prises avec une foule de problèmes de toxicomanie et de santé mentale. J'ai fait l'objet de sept ou huit diagnostics, et pris des centaines de médicaments différents. Je suis travailleuse sociale depuis 27 ans.

Je crois que, grâce aux paiements de transfert que verse le gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux, vous pouvez assurer un leadership véritable, et c'est l'une des choses que les familles aimeraient voir se réaliser, du moins les familles que j'ai consultées par l'entremise du conseil familial.

Financez des organismes de consommateurs/survivants, et laissez-les concevoir des projets de lutte contre la discrimination. Ils savent où ça fait mal, et où il faut agir. Ils feront de l'excellent travail s'ils dirigent l'initiative et se chargent de l'embauche. Il y a tellement de potentiel d'excellence au sein des collectivités de consommateurs/survivants. Donnez-leur une chance et des ressources. Cessez de vous accrocher à un modèle médical qui ne dispense pas de soins et qui est, essentiellement, un échec.

Les consommateurs sont en mesure de se charger eux-mêmes de la fourniture de soins de santé, et ils devraient pouvoir le faire. Laissez-les embaucher leurs propres médecins et infirmières, leur propre personnel d'entraide et équipes mobiles, dentistes, avocats, travailleurs sociaux, ludothérapeutes, instructeurs de méditation de pleine conscience, praticiens de la thérapie dialecto-comportementale et experts pharmaceutiques. Transférez de l'argent aux provinces en vue de la conception de quelques projets pilotes de réseaux de santé familiale ou d'un centre de santé communautaire géré par les clients. Déterminez si cela donne de bons résultats, voire de meilleurs résultats. Lancez quelques projets pilotes, sans fournir d'engagement ni de garantie. Intégrez vos propres responsabilités fédérales à ces projets. Ce n'est qu'une autre étude. Faites-en une priorité. Pourquoi pas?

De fait, votre commission a découvert, tout comme le gouvernement provincial de l'Ontario, que les soins de santé liés à la santé mentale et à la toxicomanie sont généralement une priorité pour les citoyens, et les deux ordres de gouvernement se font constamment dire que les clients et les familles doivent faire partie du processus, qu'ils doivent être au centre de ce processus. Ce ne sont pas que des paroles. C'est bien vrai. Le gouvernement fédéral est en mesure de façonner la réforme des soins de santé au moyen de paiements de transfert destinés à des initiatives de réforme des soins de santé. Mettez les clients au centre de ces initiatives. Payez-les. Tout le monde dit cela. Faites-le, s'il vous plaît.

Lorsque nous passerons à un paradigme qui accorde un rôle central réel aux clients, je vous prie de ne pas perdre de vue qui a dispensé le gros des soins liés à la santé mentale et à la toxicomanie. C'est nous, les familles et les amis, à raison de milliards d'heures de soins « informels » chaque année, ce qui permet au système de réaliser des milliards de dollars d'économie. Ce que vous devez comprendre de cela, c'est que les familles n'ont ni soutien ni argent, ni attention. Les familles, ou, comme vous dites dans le rapport, les aidants naturels, dispensent beaucoup plus de services liés à la santé mentale et à la toxicomanie que le système ne l'a jamais fait, ou ne le fera jamais. Pourtant, vous ne nous consacrez qu'une demi-page de réflexions dans votre document intitulé «Problèmes et options.» C'est à la page 33.

Le conseil familial a réagi au rapport de la commission Kirby en juillet, et notre réaction est annexée au mémoire, à titre de référence. Nous croyons, comme nous l'avons déclaré, que les trois mesures suivantes devraient être prioritaires : premièrement, assurer l'accès aux soins; deuxièmement, investir en vue de fournir un continuum de soins dans la collectivité; et troisièmement, investir dans des formes complémentaires de thérapie et de counselling. Je n'insisterai pas sur ces points. Vous pouvez prendre connaissance de notre position si vous le voulez; comme je l'ai dit, elle est annexée au mémoire.

Toutefois, j'insiste sur le point suivant : les familles sont épuisées. Nous avons besoin d'aide. Nous vieillissons, et nous avons peur que nos proches soient laissés à eux-mêmes, dans la rue; et la rue existe dans les collectivités tant rurales qu'urbaines.

Les familles ont leurs propres peurs légitimes et besoins distincts. Par exemple, lorsque nous téléphonons à la police parce que nous ne bénéficions pas du soutien nécessaire pour maîtriser une situation, nos proches finissent en prison, et ensuite dans le système de psychiatrie médico-légale. Ensuite, nous n'arrivons pas à les en sortir; on les bourre de médicaments, et on les met en contention et en isolement. Leur problème s'aggrave. Ensuite, on leur donne leur congé et on les envoie à la maison —— aucun suivi, aucun soin à domicile, rien. Nous exerçons des pressions afin que des ordonnances de traitement communautaire plus rigoureuses soient rendues, car nous avons besoin d'aide, et il n'y a aucune ressource. Avec cette formule, nous courrons au désastre familial. Nous perdons contact avec nos proches et, parfois, nous perdons nos familles. Pourquoi est-ce qu'on s'accroche à ce système?

Peut-être avons-nous seulement besoin qu'une personne prenne une heure de son temps pour nous aider à évaluer les choix qui s'offrent à nous. Il faut comprendre que nous sommes un peu fatigués, nous avons besoin de nous reposer. Quelqu'un pourrait peut-être prendre le relais pour quelque temps, nous donner une chance de respirer. Peut-être même qu'un consommateur pourrait venir et nous aider directement. Il nous faut d'autres Centres Gerstein, davantage de soins à domicile. Il doit s'agir de services réels pour les familles, et les gens qui les dispensent doivent être payés, et il est question ici de soins à domicile destinés aux toxicomanes et aux personnes aux prises avec un problème de santé mentale. N'allez pas croire qu'il y a une grande différence entre la toxicomanie et la santé mentale, en ce qui concerne l'impact sur nos foyers et nos vies. C'est seulement que nous choisissons de faire fi de l'un ou de l'autre, pour des raisons liées aux ressources dont nous disposons, et à la discrimination.

Demandez aux familles ce qu'elles veulent, et elles vous le diront. Invitez-nous à participer à la création d'un système de prestations de services. Nous le ferons. Nous connaissons le système, et nous savons ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Nous avons des idées merveilleuses. Je dirais même ceci : si les familles ne sont pas au cœur même de la conception des services destinés aux familles, cela ne fonctionnera pas. Nous sommes plutôt fatigués de fournir les services, de faire le travail et d'être négligés.

Les familles peuvent également apporter leur aide au chapitre des politiques et de l'infrastructure. Il y a longtemps que nous nous démenons pour comprendre tous les aspects, et le gouvernement aurait avantage à nous engager pour l'aider à mettre ces secteurs en valeur.

À l'occasion des consultations ontariennes sur les services en santé mentale et en toxicomanie, cette idée figurait encore parmi les deux grandes priorités dégagées : mettre les clients et les familles au cœur de l'initiative. La deuxième priorité consiste à intégrer la toxicomanie à la santé mentale. C'est ce que nous devrions faire. C'est ce que vous devriez faire.

Je termine bientôt, mais j'aimerais brièvement comparer les soins de santé liés à la toxicomanie et à la santé mentale aux soins de santé primaires. Nous faisons figure de parents pauvres, certes, et cela découle de l'ignorance et de la peur. J'ose espérer que cela ne découle pas d'une stratégie. Les services liés à la toxicomanie et à la santé mentale doivent être mieux intégrés aux réseaux de santé communautaires primaires. Ces services sont plus efficaces dans un environnement décentralisé et local. Les services sont dispensés localement, mais sont convenablement liés aux hôpitaux et aux médecins de famille, et quand les hôpitaux et les médecins de famille nous laissent tomber — et ils le font —, ce sont les familles et les collectivités qui se démènent et souffrent, comme vous l'avez entendu aujourd'hui.

Toutefois, cessez d'enlever des ressources aux hôpitaux. Ils n'arrivent même pas à dispenser des soins convenables à l'heure actuelle. Ils manquent de personnel, le personnel est surmené, et les hôpitaux arrivent à peine à maintenir les services liés à la santé mentale et à la toxicomanie. On refuse d'admettre certains clients parce que leur crise n'est pas assez grave, et on les renvoie à la maison. Ensuite, la crise éclate, et tout le monde souffre. On se retrouve donc à payer 500 $ par jour d'hospitalisation, ou plus, en milieu psychiatrique, alors que, en réalité, tout le monde veut être à la maison.

Je travaille actuellement avec des familles qui veulent s'organiser en vue de résoudre le problème des listes d'attente. Elles sont venues me voir, et m'ont dit que, deux ans d'attente pour que leur enfant adulte bénéficie d'une thérapie, c'est trop long. Qui est responsable de prendre des mesures pour aider nos citoyens qui tentent de se suicider parce qu'ils ne sont pas capables d'attendre des années pour avoir de l'aide? Ensuite, on élimine les listes d'attente à cause des suicides. Nous éliminons nos listes d'attente afin de nous soustraire à nos responsabilités et à notre conscience. Voilà comment nous fermons les yeux sur ce problème.

Qui a décidé que la vie de ces personnes ne vaut pas la peine d'être sauvée? Comment en sommes-nous arrivés à cette conclusion? La notion de liste d'attente nous fait penser aux examens IRM, et au cancer, cela se comprend, mais pourquoi ne pense-t-on jamais à la santé mentale, à la toxicomanie, au suicide? Est-ce qu'on tient au moins des statistiques sur les membres de nos familles, de vos familles, qui s'enlèvent la vie en pâtissant de l'attente interminable, en réclamant de l'aide? Nous ne leur laissons même pas la dignité d'être une statistique.

Notre société n'a pas le droit — économique, moral, ou autre — de refuser aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale et de toxicomanie les soins dont ils ont besoin. Pourtant, on nous les refuse. Les services liés à la santé mentale et à la toxicomanie sont des soins de santé primaires. Demandez-le à une personne inscrite sur nos longues listes d'attente.

Au nom du conseil d'administration et des membres de mon organisme, je vous remercie de m'avoir écoutée aujourd'hui.

Le président : Merci de vos commentaires. Je me demande si je pourrais poser une question à Mme Whitney.

Quand nous avons présenté notre rapport, mon bureau a reçu deux ou trois appels téléphoniques de parents d'enfants autistiques qui nous reprochaient essentiellement d'avoir eu le culot de mentionner l'autisme dans un rapport sur la santé mentale, parce que l'autisme n'est pas une maladie mentale. Puisque vous représentez un organisme qui s'intéresse à l'autisme et êtes mère d'un enfant autiste, voulez-vous nous aider à déterminer si nous devrions mentionner l'autisme ou non?

Mme Whitney : Eh bien, selon moi, toute maladie est, en réalité, une maladie physique, de sorte qu'il serait plutôt redondant de couper les cheveux en quatre en vue de déterminer si l'autisme est une maladie mentale, une maladie biologique ou une maladie physique. N'oubliez pas que la maladie mentale concerne le cerveau, et que le cerveau fait partie du corps. Il s'agit donc, en réalité, d'une maladie physique. Nous coupons les cheveux en quatre.

Je crois que les gens qui ont peur que l'on qualifie l'autisme de maladie mentale tiennent à ce qu'on respecte ces personnes, ces voix qui ne peuvent pas vraiment se défendre. Sont-ils gravement malades, ou sont-ils atteints d'une maladie? L'autisme figure dans la classification des maladies établie par l'OMS citée comme source de référence dans le rapport à votre intention. Divers organismes décrivent l'autisme de diverses façons, mais une chose est certaine : votre rapport doit en parler, car tous les autres intervenants au pays tournent le dos à cette maladie. Je crois qu'il est acceptable d'en parler dans votre rapport.

Le président : C'est, franchement, ce qui nous a poussés à en parler, et je dois admettre que j'étais plutôt surpris — pas offensé — par ces appels. Je croyais que nous abordions la question justement parce que personne d'autre n'en parlait.

Mme Whitney : Je crois que c'était une très sage décision.

Mme Mayeur : À vrai dire, je n'aime pas vraiment le terme « maladie mentale ». Je me dis que, puisque tous les autres organes ont leur maladie, celles dont nous parlons sont les maladies du cerveau, tout comme la sclérose en plaques, la maladie de Lou Gehrig, l'autisme et les troubles de l'humeur. Tout ce qui mine les processus cognitifs et émotifs du cerveau est une maladie du cerveau.

Le président : D'accord.

Mme Mayeur : Nous devrions peut-être abandonner tout simplement le mot « mentale ».

Le président : Merci. En passant, le sénateur Cordy, de la Nouvelle-Écosse, a pendant longtemps été enseignante à l'école primaire, et ensuite directrice d'école, avant de se joindre au Sénat. On aime toujours savoir des choses au sujet des autres.

Le sénateur Cordy : Je vous remercie toutes les trois d'avoir partagé vos expériences avec nous ce matin. Comme je l'ai dit à Mme Hook, qui a témoigné plus tôt ce matin, toutes ces histoires tragiques donnent envie de pleurer, mais cela ne sert à rien, alors nous continuerons de travailler sur notre rapport et défendre les intérêts des personnes qui racontent leur histoire.

Madame Miller, vous avez parlé du rôle que vous jouez à titre de porte-parole des familles, et je crois que c'est très louable. Un membre de ma famille souffre d'une maladie mentale, et mon mari et moi avons dû défendre ses intérêts et lui fournir de l'aide. Pour nous, le système est extrêmement frustrant, car, en tentant d'aider un membre de la famille, on se retrouve dans une impasse : on ne nous fournit pas d'information, on ne nous tient pas informés. Je suis sénateur et mon mari est un professionnel, alors imaginez ce que ce doit être pour une personne qui n'est pas dans notre situation.

J'ai parlé à un couple de la Nouvelle-Écosse qui a deux enfants autistes, et ils m'ont dit que, non seulement ils doivent composer avec deux enfants autistes, mais en plus le mari a sombré dans une dépression. Il a dit : « Soudainement, on se retrouve avec deux enfants; c'est un engagement à vie; on se demande comment on va prendre soin d'eux; on songe au fait qu'ils vivront probablement plus longtemps que nous; et il faut composer avec toutes ces émotions. » Il fait une dépression, de sorte que la famille doit maintenant composer avec deux problèmes.

Les gens qui s'occupent d'un proche souffrant d'une maladie mentale — c'est le terme qui nous utilisons dans le cadre de nos travaux — devraient-ils avoir accès à un intervenant qui les aidera à se débrouiller dans le système et à éviter que le dédale du système ne mène à la dépression?

Mme Miller : Ils doivent avoir accès à quatre ou cinq intervenants — sérieusement. Je suis intervenante, et je suis blanche, instruite, j'occupe un poste de direction et j'ai des liens avec le CTSM, et j'échoue la plupart du temps. J'évolue dans le domaine de la défense des droits depuis 20 ans. J'échoue la plupart du temps.

Le sénateur Cordy : Est-ce un problème de financement? Faudrait-il qu'il y ait davantage d'organismes comme le vôtre pour permettre aux gens d'obtenir de l'aide et d'atteindre un degré d'aisance?

Mme Miller : Je crois que, depuis de nombreuses années déjà, nos revendications s'articulent essentiellement autour du fait que les familles et les clients doivent être au cœur des efforts, ils doivent pouvoir prendre des décisions. Je suis membre d'une famille, je suis travailleuse sociale, et je suis une cliente, ce qui me procure une perspective assez large, mais je ne dirais pas : « Voici ce dont nous avons besoin. » Nous devons placer les familles au cœur des enjeux qui les concernent; et nous devons placer les clients au cœur des enjeux qui les concernent; et nous devons réunir ces groupes lorsqu'ils sont tous deux visés par les enjeux. Si le système demeurait exactement tel qu'il est à l'heure actuelle, et que cinq millions d'intervenants supplémentaires s'ajoutaient au Canada, il nous en manquerait encore cinq millions.

Le sénateur Cordy : Ainsi, le système doit également changer. Madame Mayeur?

Mme Mayeur : J'aurais aimé que le défenseur des droits des patients de l'hôpital soit visé par une politique relative à la santé mentale prévoyant que la famille et le patient doivent être consultés avant qu'on donne congé au patient. Afin de libérer les places, on a souvent donné son congé à Danielle à des moments inappropriés. Ensuite, il devrait y avoir quelqu'un dont le mandat consiste à examiner toutes les avenues pour découvrir ce qui est disponible.

Je crois qu'il serait valable de financer des recherches sur la conception de sites Web gouvernementaux portant sur des troubles particuliers, qui fourniraient tous les renseignements dont les gens auraient besoin, mais aussi, par exemple, de l'information sur les thérapies, les thérapies psychiatriques, offertes au sein de la collectivité, par le secteur privé.

J'avais une amie avec deux filles. Elle a réussi à leur obtenir des soins, car il se trouvait qu'elle connaissait cette dame. J'essayais partout, je ne trouvais pas de thérapeutes, et, quand j'en ai trouvé enfin une, je n'y avais pas accès, parce qu'elle pratiquait à Ancaster. Il y a tant de honte et de préjugés à l'égard de ce trouble que l'information n'était pas diffusée; pourtant, il me semble qu'un chercheur pourrait interroger les travailleurs sociaux et les psychologues cliniciens afin de découvrir qui offre tel traitement dans telle région de la province, et diffuser cette information, à titre non pas de recommandation, mais bien d'options à envisager.

Le sénateur Cordy : Comment allons-nous attirer l'attention sur l'anorexie? Vous avez déclaré que la famille et le client sont, de fait, victimisés, et je crois que vous avez mentionné l'hostilité que vous témoignent les fournisseurs de services. Les gens ont tendance à penser que ce n'est qu'un mauvais moment à passer : « Oh, cela fait partie de l'adolescence. » J'ai enseigné à l'école primaire, et vous avez raison : autrefois, c'était les étudiants du cycle supérieur du secondaire, ensuite c'était ceux du premier cycle. Maintenant, le phénomène commence à se manifester en cinquième et sixième années.

Mme Mayeur : Eh bien, cela fait désormais partie de mes fonctions à temps plein. Beaucoup de gens travaillent sur cette question. Nous touchons une subvention de 90 000 $ relative aux soins de santé primaires pour la tenue de séminaires de formation destinés aux médecins et aux fournisseurs de services de première ligne, animés par des pairs, sur la façon d'agir avec ces patients.

De concert avec la fédération des enseignants de l'élémentaire, nous avons élaboré un programme d'enseignement pour les écoles élémentaires, mais on le met en œuvre de façon graduelle, car il faut dispenser une formation aux enseignants. Il faut favoriser l'établissement d'une contre-culture qui s'oppose à la culture dominante en ce qui concerne l'image corporelle, notamment, et les régimes.

Je parle aux enseignants et aux étudiants de niveau universitaire, et je leur apporte le meilleur matériel de prévention, mais, puisque nous parlons de prévention, ce serait bien de voir nos ministères de l'Éducation s'intéresser à la prévention et en faire une priorité.

Nous avons un vidéo destiné aux parents seulement, pas aux enfants — ils sont trop jeunes pour que l'on puisse parler de troubles alimentaires — à tous les parents de l'école, de sorte qu'il y a une génération entière de parents, de la maternelle jusqu'à la huitième année, qui seront sensibilisés à cette partie du problème.

Nous avons présenté un exposé aux députés provinciaux de l'Ontario avant Noël, et nous leur avons raconté ce qui se passe. Trois d'entre eux militent désormais en notre faveur, et ils recrutent d'autres jeunes députés. Ce sera un long processus.

Le sénateur Cordy : Merci. Madame Whitney, je sais que vous avez suggéré trois nouvelles lois que nous devrions adopter, mais j'aimerais m'attarder aux aspects pratiques du système d'éducation. Même si nous constituons une entité fédérale, nous ne nous sommes jamais vraiment arrêtés à nous demander qui a la compétence. Nous allons nous prononcer sur les solutions que nous considérons comme les meilleures.

Au début des années 1980, on commençait à intégrer au système scolaire des enfants susceptibles d'avoir besoin d'un soutien supplémentaire, et, à l'époque, on nous disait que cela ferait baisser les moyennes de classe — et patati et patata.

J'ai déjà enseigné à l'école primaire, et au cours de ma dernière année, j'ai eu dans ma classe un enfant souffrant d'un trouble du spectre autistique. J'avais une assistante à l'enseignement, et c'était merveilleux pour cet élève, mais j'avais également 32 élèves dans ma classe. C'est ça la réalité. Est-ce que l'intégration se révèle bénéfique pour les enfants autistes?

Mme Whitney : Certainement pas. En Ontario, de fait, les enfants autistes n'ont pas le droit d'être accompagnés d'un thérapeute expert de l'intervention comportementale intensive en classe. Ce n'est pas une question de syndicat. Les syndicats ont laissé savoir que cela ne leur pose aucun problème, car les assistants à l'enseignement ne sont pas qualifiés pour dispenser ce traitement médical hautement spécialisé.

Bien souvent, les enfants autistes sont exclus du système d'éducation, y compris mon propre fils, lequel n'a jamais mis le pied dans une école publique, car on ne lui permet pas de recevoir son traitement médical pendant les heures d'école. Nous savons que, dans le passé, l'éducation spécialisée a eu un effet nuisible sur certains enfants autistes. Nous sommes en possession d'études, approuvées par des pairs, qui montrent cela.

Nous disons qu'il faut permettre aux enfants de bénéficier du traitement dont ils ont besoin, par l'entremise du régime d'assurance-maladie. Ensuite, nous pourrons examiner nos politiques provinciales respectives en matière de soins de santé. Sénateur Keon, vous connaissez peut-être la politique 81 en Ontario, laquelle permet d'administrer un traitement pendant les heures d'école. C'est une politique très uniforme qui s'applique aux trois ministères.

De fait, le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario examine actuellement cette question. Je suis partie à ce processus, et je sais de façon très précise ce que nous avons à faire. Toutefois, malheureusement, l'autisme n'est pas reconnu par le système de soins de santé, et, par conséquent, on croit qu'il n'y a pas lieu de faire quoi que ce soit pour ces enfants, sauf leur apprendre à lire, à écrire et à compter, et, comme vous le savez bien, l'autisme est un trouble du spectre. Certains enfants affichent une déficience profonde, alors que d'autres se tirent très bien d'affaire.

Je tiens à signaler que, quand mon fils avait quatre ans et cinq ans, il se frappait la tête sur la table, mangeait ses excréments, ignorait que j'étais sa mère, il ne pouvait pas parler. Il a maintenant neuf ans. Il sait lire et écrire, au même niveau que les enfants de son âge, il parle, il est poli, il ne mange pas ses excréments, il se lave lui-même, il a des amis — toutes ces choses que nous tenons pour acquises. Il veut aller à l'école publique, et il ne comprend pas pourquoi il ne peut pas.

Il souffre encore de symptômes d'autisme qui doivent être gérés non pas par un éducateur, mais bien par un professionnel de la santé. On ne demande pas aux éducateurs de gérer le diabète ou de se charger du drainage ou de la cathétérisation, ou de tout autre trouble médical pendant les heures d'école. C'est ridicule. C'est négligent.

Oui, l'accès à l'éducation pour les enfants autistes de la province est un gros problème, mais nous pouvons le résoudre. Il y a des solutions, et le gouvernement de l'Ontario a été mis au courant de ces solutions, mais il refuse de les mettre en œuvre. Le financement est là, dans le budget de l'éducation, 63 000 $ par enfant qu'on pourrait aiguiller vers un traitement médical permettant aux enfants autistes âgés de six ans et plus d'accéder au traitement que reçoivent actuellement les enfants âgés de moins de six ans dans cette province. Il y a des solutions.

Le sénateur Cordy : Par conséquent, nous devons éliminer le cloisonnement et travailler ensemble pour le mieux-être des enfants.

Mme Whitney : C'est ça.

Le sénateur Cordy : Merci.

Le président : Vous constaterez, sans doute, en passant, que le sénateur Cochrane est terre-neuvienne. Vous reconnaîtrez l'accent. Elle a également été enseignante.

Le sénateur Cochrane : J'ai une question supplémentaire pour Mme Miller. Vous affirmez avoir échoué. En quoi avez-vous échoué? Vous possédez tant de connaissances, ainsi que des antécédents dans le domaine. Vous avez vécu toutes les expériences possibles à titre d'aidante et de source de soutien pour toutes ces gens. Que voulez-vous dire quand vous affirmez avoir échoué?

Mme Miller : Si une famille venait me voir, normalement parce qu'un être cher ne reçoit pas de traitement ou est en prison à cause de problèmes de santé mentale — et si elle m'approche, c'est qu'elle ne sait plus à quel saint se vouer —, je miserais sur mes relations. Je parlerai à une foule de gens pour tenter de sortir le jeune du système de psychiatrie légale, par exemple, ou pour qu'on tienne une nouvelle audience de la commission d'examen, ou pour qu'on tente de faire admettre une personne dans le système, selon la situation. Hier, j'ai parlé à une personne qui devait conduire son frère en Alberta, et qui ne savait que faire de son fils de 19 ans, schizophrène. Y a-t-il un service de relève pour elle, pour le bien de son garçon? Du problème le plus simple au problème le plus complexe, lorsqu'un membre de la famille me dit : « Voici ce dont j'ai besoin », normalement, je suis incapable de l'aider.

Le sénateur Cochrane : Le système échoue.

Mme Miller : Le système échoue.

Le sénateur Cochrane : Ne dites pas « Je ». Vous n'avez pas échoué. Nous devons tous, à un moment ou à un autre, nous donner à nous-même une tape dans le dos.

Mme Miller : Oui, d'accord.

Le sénateur Cochrane : Il vaudrait mieux que vous le fassiez, car vous êtes dans une position difficile, et vous avez besoin de nombreuses tapes dans le dos.

Mme Miller : Oui. Merci.

Le sénateur Cochrane : Parlons maintenant d'autisme. J'ai une voisine qui a un enfant autiste, mais elle a de l'espoir. Elle travaille, et elle reçoit du soutien. Grâce à un organisme de la province, une personne vient chez elle et aide l'enfant pendant un certain nombre d'heures de la journée. C'est un cas d'autisme très lourd. Il n'est pas conscient de ses actes, il se frappe la tête sur le plancher de bois franc, et il ne peut communiquer. Ils doivent lui faire manger des choses particulières, et le nourrir comme un bébé. N'y a-t-il pas des services de soutien comme cela?

Mme Whitney : Je crois que vous parlez du programme d'intervention comportementale intensive de Terre-Neuve, lequel offre jusqu'à 20 heures d'intervention, et cette intervention comprendrait un régime alimentaire.

C'est intéressant... j'ignore si vous êtes au courant de ceci, mais, dans votre province, les parents ont soumis la question des listes d'attente à l'égard de ce type de traitement à votre commission des droits de la personne. De fait, votre voisine est très privilégiée, laissez-moi vous le dire, car la majorité des enfants autistes ne bénéficient pas de ce genre de traitement. Ils grandiront dans l'attente d'un traitement, et ils ne le recevront jamais.

Votre commission a conclu que ces listes d'attente allaient à l'encontre du Code des droits de la personne de votre province. Le gouvernement en a appelé de la décision, et l'appel a été rejeté. J'ignore ce qui se passe actuellement devant les tribunaux de votre province, mais je crois que vous parlez du traitement que j'ai mentionné aujourd'hui, c'est-à-dire l'intervention comportementale intensive. Il s'agit du seul traitement efficace pour l'autisme, et votre voisine est très privilégiée. La plupart des familles que je connais dans ma province connaissent des souffrances qui vont au-delà de ce que vous pourriez imaginer. Ils vendent leur maison, s'ils en ont une à vendre.

Je parlerai de ma propre situation. Je n'ai rien. Je serai pauvre toute ma vie. Mon grand-père a conçu le régime d'assurance-maladie de la province, et mon fils en est exclu. Je ne serai jamais propriétaire d'une maison, d'une voiture digne de ce nom. Je ne serai peut-être même jamais capable de conserver un emploi décent, en raison du handicap de mon fils. Il s'améliore, mais j'ai tout sacrifié pour sauver la vie de mon fils — et vous savez quoi? Si c'était à refaire, je le ferais encore. J'y ai laissé ma santé, mon mari et, à l'occasion, mon pays. J'ai dû quitter le Canada en vue de trouver un traitement qu'on ne voulait pas offrir ici, et les familles souffrent. Dans notre pays, il y a des parents qui songent à s'enlever la vie et à tuer leurs enfants. C'est horrible. Votre voisine est certainement l'une des Canadiennes les plus privilégiées.

Le sénateur Cochrane : Elle en est consciente, bien sûr, mais maintenant nous avons ces enfants dans nos écoles. Ma fille est éducatrice spécialisée. J'utilise ce terme, car c'est celui qu'on utilisait à l'époque où j'enseignais, mais cela porte un autre nom maintenant. Il y a un enfant autiste dans sa classe, et elle me raconte des choses lorsqu'elle me rend visite. Il s'agit d'anecdotes sympathiques, tendres. C'est merveilleux. Les autres membres de la classe reconnaissent ces enfants, et, vous savez quoi? Les enfants ont des sentiments, et ils peuvent communiquer avec ces enfants mieux que quiconque.

Mme Whitney : Je vais vous dire quelque chose. Je crois que la discrimination et la haine sont des comportements acquis, et que presque 50 p. 100 des enfants autistes qui sont traités avant leur admission à l'école, idéalement, à l'âge de deux ans, s'assimilent complètement à leurs pairs, au point de ne plus pouvoir être différenciés. En d'autres mots, avec ce traitement, il y a un taux de rétablissement de 47 p. 100. Maintenant, je sais que de nombreuses personnes ne croient pas au rétablissement lorsqu'il est question d'autisme, mais j'ai vu ces enfants de mes yeux, et, si je ne l'avais pas su, je n'aurais jamais pu cerner une trace d'autisme dans les mouvements de leur petit corps.

Le sénateur Cochrane : C'est merveilleux.

Mme Whitney : Le taux de rétablissement est de 47 p. 100. Les autres s'améliorent de façon remarquable, et nous ne fournissons même pas ce traitement? Nous devrions avoir honte. Oui, ils vont à l'école, et oui, ils contribuent à la vie communautaire, et laissez-moi vous dire que les chiffres sont passés de 1 sur 10 000 il y a sept ans à 1 sur 166 aujourd'hui. Qu'est-ce qui se passe?

Dans cinq ans, la probabilité sera de 1 sur 100, et si cela ne vous fait pas peur, laissez-moi vous dire une chose : nous avons parlé à des économistes, nous avons effectué des analyses de rentabilisation du traitement, et si vous ne l'offrez pas, d'ici 15 à 20 ans, l'autisme mènera à l'effondrement de l'économie interne canadienne. Cela va se passer, si la tendance actuelle se maintient. Nous devons faire quelque chose.

Le sénateur Cochrane : J'ai une question supplémentaire pour Mme Mayeur. Je me demande, quand vous avez dit que vous ne pouviez obtenir d'examen médical pour votre fille...

Mme Mayeur : Non, j'étais incapable de faire admettre ma fille lorsqu'elle faisait environ 69 ou 70 livres, mais, dans la région du Centre-Ouest, dans le domaine des troubles alimentaires, nous éprouvons de la difficulté à obtenir des évaluations médicales pour les enfants qui se présentent, puisque les médecins qui sont de garde ne sont pas disposés à le faire. J'ignore si cela est lié au barème des honoraires ou à autres choses, mais c'est l'un des grands souhaits de nos six centres, d'obtenir des évaluations pédiatriques. Bien sur, c'est d'autant plus crucial lorsque ces enfants présentent un trouble alimentaire en si jeune âge, en pleine croissance.

Le sénateur Cochrane : Je vous pose la question. croyez-vous que ce serait plus facile si on avait un système à deux vitesses?

Mme Mayeur : Non, parce que nous n'avons pas affecté de ressources en vue de former des psychologues et des psychiatres dans ce domaine et de les payer en conséquence, de sorte que, dans un système à deux vitesses, ceux qui auraient les moyens accapareraient tout le personnel qualifié, et les gens ordinaires comme nous se retrouveraient encore plus démunis.

Le sénateur Cochrane : Mais vous avez dû attendre trois ans.

Mme Mayeur : Je sais. J'ai attendu pendant trois ans, et d'autres nous ont supplantés. Je connais des gens qui, désespérés, ont vendu leur maison pour faire traiter leur enfant aux États-Unis.

Le sénateur Keon : Comme l'a mentionné le sénateur Kirby, nous avons reçu un nombre assez élevé d'appels téléphoniques et de courriel de parents d'enfants autistes qui nous disaient : « Pourquoi intégrez-vous l'autisme à une étude sur la santé mentale? Ces enfants ont assez de problèmes comme ça, sans qu'on les étiquette de cette façon. »

Hier matin, juste avant de quitter la maison, j'ai répondu au téléphone. Ma secrétaire m'a transféré la communication, parce qu'elle estimait que c'était important. Nous recevons beaucoup d'appels, comme vous le savez, et nous ne pouvons pas toujours y répondre, mais celui-là semblait important. Cette personne a dit : « Je crains vraiment que l'autisme ne passe inaperçu dans votre rapport. Ce sera un rapport énorme, portant sur un sujet énorme, et je crois que l'autisme en soi doit faire l'objet d'un rapport ».

Je ne crois pas que nous puissions préparer un rapport distinct sur ce sujet. Nous n'avons pas parlé de notre prochaine priorité, lorsque nous mettrons la dernière main à ce rapport, en décembre. J'ai déjà une idée de la priorité que je privilégie, et je n'en ai même pas encore fait part aux autres membres du comité, mais je crois que c'est un enjeu qui serait probablement plus susceptible de faire l'objet d'un rapport spécial que l'autisme, l'anorexie ou autre chose.

Dites-moi vos préoccupations à l'égard du commentaire de cette personne. C'était une personne très intelligente. Je tiens à vous féliciter du travail énorme que vous avez effectué. C'était un exposé absolument superbe — le vôtre aussi, madame Mayeur —, et je suis tout à fait conscient du temps que vous avez mis pour l'assembler, mais la personne à qui j'ai parlé était également une personne très intelligente. Que répondez-vous à cela?

Mme Whitney : Eh bien, je dirais que, oui, cela mérite un rapport spécial, mais en attendant, je crois qu'il était important de venir témoigner aujourd'hui. Manifestement, puisque les tribunaux ont tourné le dos à ces enfants, et que les droits à l'égalité prévus dans la Charte ont essentiellement été réduits à néant, il est absolument crucial pour moi de venir et de faire inscrire au dossier que nous avons besoin de trois nouvelles lois. Même si je comprends que vous êtes membre du Sénat, vous avez le pouvoir, l'influence et la capacité de faire état de la situation auprès de vos collègues. C'est la chose à faire.

Si l'autisme était éclipsé par les autres éléments du rapport, ce serait tragique, car je ne sais pas si d'autres groupes ont souffert autant que ces enfants. Des gens, y compris moi-même, ont dépensé des milliers et des milliers de dollars pour porter cette question devant les tribunaux, et, au bout du compte, la Cour suprême du Canada nous a laissés tomber.

Il est impératif que vous parliez d'autisme dans votre rapport, mais je crois néanmoins que le seul moyen de procurer un jour ce traitement aux autistes, et de faire traiter un grand nombre de ces autres handicaps, c'est d'établir, au moins, une loi canadienne sur les personnes handicapées.

Je regrette que cette personne ait d'autres préoccupations. Je ne crains pas que la question ne soit pas examinée. Je crois qu'on l'examine aujourd'hui. Vous me permettez de vous en parler. C'est la voix de ces enfants que vous entendez aujourd'hui, et vous pouvez prendre mon témoignage et mon rapport et l'utiliser pour favoriser le changement.

Le sénateur Pépin : Estimez-vous que la création d'une charte des droits destinée aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, assortie de dispositions luttant contre l'iniquité, l'injustice et la discrimination, pourrait aider la cause des autistes?

Mme Whitney : Certainement. Je sais que ce serait utile, car, aux États-Unis, l'Americans with Disabilities Act prévoit l'habilitation d'agents de conformité. Lorsqu'on consulte un site Web d'université, d'hôpital ou de tout autre établissement qui doit être accessible aux personnes handicapées, on mentionne d'emblée qu'on est conforme à l'ADA parce qu'on fait ceci ou cela.

À l'heure actuelle, la Charte ne protège aucunement les personnes handicapées au pays. Nous avons besoin d'une loi canadienne sur les personnes handicapées. De fait, les tribunaux américains sont rarement saisis de telles affaires, car les problèmes sont résolus par les agents de conformité.

Quelqu'un a mentionné qu'il fallait davantage d'intervenants. Si nous adoptions une loi canadienne sur les personnes handicapées et nous embauchions des agents de conformité, la moitié du fardeau administratif et des problèmes soulevés aujourd'hui disparaîtrait aussitôt.

Le sénateur Pépin : Fantastique. J'ai une autre question pour Mme Mayeur. Vous dites que votre fille a été victime d'une agression sexuelle, mais qu'à l'époque on ne lui a offert aucun service psychologique?

Mme Mayeur : Non. J'ai communiqué avec une foule de ministères et d'organismes de santé régionaux; j'ai téléphoné partout. Elle a participé à une formation pour bénévoles du Halton Rape Crisis Centre, et c'est à ce moment- là qu'elle m'en a parlé. Elle m'a dit que cela c'était produit, et qu'elle m'en parlait parce qu'elle connaissait une très bonne thérapeute. J'ai fait plusieurs appels pour savoir ce qui était offert dans notre localité. Je conduis très mal, et j'avais peur de conduire jusqu'à Hamilton, mais il n'y avait rien.

À l'heure actuelle, je crois que Nina's Place, à Brant, peut vous mettre en contact avec de tels services, mais je ne suis pas certaine que ces services soient couverts, et c'est un point que je n'ai pas soulevé dans mon exposé. Nous payons les psychiatres par l'entremise du RAMO, mais pas les psychologues; pourtant, on compte des psychologues, des travailleurs sociaux et des professionnels de la santé mentale parmi les gens les plus efficaces au chapitre du traitement des troubles alimentaires, et cette iniquité devrait être corrigée.

Si on manque de psychiatres, d'accord, qu'ils en forment d'autres, qu'ils les laissent assurer un contrôle médical, mais embauchons des psychologues jouissant d'une formation dans le domaine.

Le sénateur Trenholme Counsell : J'aimerais poser une question très générale, et je dois dire, monsieur le président, que je n'ai pas assisté aux audiences précédentes, alors cette question a peut-être déjà été soulevée. Nous parlons, à certains égards, de l'absence de services pour ceux qui souffrent d'une maladie mentale, de la Loi canadienne sur la santé, et cetera, et je ne comprends pas pourquoi vous utilisez continuellement les mots « client » et « consommateur » au lieu de « patient ». Je suppose que nous parlons des patients et de leur famille, mais je n'ai entendu le mot « patient » qu'à quelques reprises ce matin.

Mme Mayeur : Je crois que c'est parce que, dans la plupart des cas, ce n'est pas toujours reconnu comme une maladie, dans certains segments de la société — nous essayons aussi de fonder une « maison de Danielle » dans notre région, un centre de soutien du type « Sheena's Place ». Dans ce genre d'endroit, on parle de « client » sauf s'il y a des traitements médicaux; ça dépend donc du type de services offerts.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je comprends ça, mais il me semble qu'en général, on entend quand même souvent « client » et « consommateur », mais qu'on ne parle pas de patient. On parle de la relation patient-médecin, de la relation patient-infirmière, mais je sais que dans certaines tranches des services de santé, on utilise « client ». Qu'en pensez-vous, madame Miller?

Mme Miller : Je crois que cela ressemble un peu à un guêpier. Ces sujets soulèvent parfois la controverse. Quand on diagnostique le syndrome du stress post-traumatique, par exemple, certaines personnes disent que les causes sont uniquement extérieures — vous avez été victime d'un viol, par exemple, vous avez vécu la guerre — et que la cause n'est pas biologique, mais pourtant, on entend aussi dire que le corps et l'esprit ne feraient qu'un, et d'une certaine façon, on ne fait que couper les cheveux en quatre.

On utilise « consommateur », ou « consommateur et survivant », ou encore « patient » ou « client »; tous ces termes ont un sens et une histoire. Ceux qu'on appelle les « patients » ont de tout temps, comme vous le savez, été soumis aux électrochocs, au confinement, à la médication; ils ont été « psychiatrisés » et c'est pourquoi ils essaient d'éviter l'étiquette de « patient ». Il y a aussi nombre de personnes qui sont passées par le système psychiatrique, qui ont accumulé les traumatismes, et qui s'appellent maintenant eux-mêmes des « rescapés ».

Au sujet de « consommateurs et rescapés », par « rescapé », on désigne ceux qui survivent, non pas au problème de santé mentale — c'est comme ça que je le dis —, mais au traitement de ce problème. Le « consommateur », c'est quelqu'un qui consomme des services, et on utilise ce terme pour être sur le même pied que les personnes qui achètent des services grâce à leurs impôts, parce qu'on ne veut pas être rabaissé au rang de « patient ». C'est une question de terminologie.

Ça ressemble beaucoup à ce qui se passe dans les collectivités de femmes, les collectivités féministes — on avait l'habitude d'entendre : « J'ai demandé un café à la fille ». On a dit : « Nous sommes des filles », et nous avons récupéré ce mot, pour qu'il désigne ce que nous voulions qu'il désigne, non pas « servante ».

Les mots comme les mentalités changent, surtout depuis que l'on s'attache un peu plus au processus de rétablissement. On raconte que lorsque des personnes obtiennent de l'aide, elles peuvent se rétablir; alors, nous voulons des mots plus forts, plus positifs et axés vers l'avenir.

Quelqu'un d'autre vous donnerait certainement une autre réponse; c'est le mieux que je puisse faire pour le moment.

Le président : Je vous remercie. Je rappellerai que dans notre premier rapport, au début, si je me souviens bien, on a expliqué que, si on utilisait le terme « consommateur », c'est en partie parce qu'il n'est pas directement lié au modèle médical, ce que connote le terme « patient ».

Mme Miller : C'est cela.

Le président : C'était aussi en partie parce que nous ne parlions pas seulement aux personnes qui utilisent les services, mais aussi à leur famille. C'est pourquoi nous ne voulions pas parler des « rescapés », mais nous reconnaissons que les mots ont beaucoup d'importance.

Mme Miller : Sans aucun doute.

Le président : Nous passons maintenant à une question du sénateur Cook, qui vient aussi de Terre-Neuve, et qui s'est engagée à fond dans les programmes de santé communautaire des petites collectivités de la côte.

Le sénateur Cook : Merci beaucoup d'être venue ici ce matin. Je parlerai en mon nom propre. J'ai beaucoup appris en peu de temps, grâce à vous, aujourd'hui, et je crois que c'est le cas de tous ceux qui se trouvent autour de la table.

Vous avez parlé d'une loi sur l'incapacité. Je vois déjà un obstacle : qui déterminera l'incapacité? Une loi sur l'incapacité, c'est une très bonne idée. Mais il faut en venir aux détails : les adolescents, les enfants, les adultes, qui et quoi.

Quand on a parlé de ça ici, j'ai tout de suite pensé à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Est-ce qu'elle ne nous aiderait pas à réaliser nos objectifs, en nous évitant de mettre sur pied une autre entité?

Mme Whitney : Parlons d'abord de cet obstacle. Nous n'avons pas besoin de réinventer la roue. Il existe déjà une loi de ce type, aux États-Unis, et elle fonctionne. Je l'ai incluse au rapport, vous pourrez en prendre connaissance. Allez voir à l'index, on indique ce que couvre la définition. Cette loi donne de très bons résultats.

Malheureusement, on ne peut pas dire la même chose de la Convention relative aux droits de l'enfant. Le Canada a ratifié cette Convention, comme vous le savez, et elle a donc force obligatoire dans notre pays. Pourtant, si elle entraîne des obligations juridiques et qu'elle donnait les résultats escomptés, c'est-à-dire protéger les citoyens les plus vulnérables de notre pays — nous pouvons parler de personnes doublement vulnérables, des enfants qui ne peuvent même pas se faire entendre —, cette Convention aurait dû les protéger devant la Cour suprême du Canada, mais non, elle ne les protège même pas dans notre province.

Les tribunaux inférieurs de notre province accordent tous les jours des injonctions en déclarant que si on ne leur fournit pas un traitement, les enfants visés subiront des torts irréparables. Le gouvernement interjette appel de chacune de ces injonctions; nous nous appuyons entre autres sur la Convention relative aux droits de l'enfant. Elle est complète, et elle devrait être efficace, mais elle plie devant le plus haut tribunal du Canada. Je ne le répéterai jamais assez : si vous voulez protéger les Canadiens handicapés une fois pour toutes, vous devez adopter une loi canadienne sur l'incapacité; pas besoin de réinventer la roue. Ça marche aux États-Unis, ça marchera ici.

Le sénateur Cook : Comme tout le monde, j'essaie de trouver des réponses. Que se passerait-il si le Canada adoptait des normes nationales et des protocoles appropriés? Je vous ai entendu dire que ce que vous ne pouviez obtenir pour votre enfant en Ontario, on pouvait l'obtenir à Terre-Neuve, peut-être pas au énième degré, mais à un degré supérieur. Je vous ai entendu dire que les psychologues n'étaient pas rémunérés par la RAMO. Eh bien, ils sont rémunérés par l'assurance-santé, dans ma province.

Le président : Cette décision relève de la province.

Le sénateur Cook : C'est ça.

Le président : Ils le sont aussi en Nouvelle-Écosse, en passant.

Le sénateur Cook : Si nous voulons, ici, dégager une vision ou trouver des solutions, nous devrions faire l'effort d'examiner des normes nationales et des protocoles appropriés.

Mme Whitney : Il faudrait au moins modifier la Loi canadienne sur la santé pour y intégrer les personnes souffrant de maladie mentale, ce qui comprendrait aussi les cas d'autisme. La protection du gouvernement fédéral est nécessaire. Nous avons besoin de lois. Nous n'avons rien à faire de la bonne volonté et des bonnes idées. Cela n'a pas marché avec la Cour suprême du Canada, qui aurait dû protéger ces enfants. Regardez ce qui s'est passé. C'est un désastre.

Dans votre province, c'est le ministère des Services sociaux qui offre les services. Pas le ministère de la Santé. Les enfants autistes sont à la merci des bureaucrates. Je vous implore de tout mon cœur, je ne suis pas capable de vous parler de la souffrance. J'ai vu mon fils.

Le sénateur Cook : J'aimerais que vous sachiez — vous le savez probablement déjà — que, dans ma province, on met tout en œuvre pour ramasser des fonds afin de construire un établissement pour les enfants autistes. On a recueilli 250 000 $, et on espère pouvoir lever la première pelletée de terre en juin; mais je me demande, après qu'on aura érigé la structure physique, qui mettra en œuvre les programmes si nécessaires? Devrons-nous nous tourner vers les gouvernements provinciaux et leur dire : « Nous avons un immeuble, nous avons des installations. Qui fournira le personnel? Qui donnera aux enfants ce dont ils ont besoin? »

Mme Whitney : Je ne crois pas qu'un édifice répondrait à nos besoins. En Ontario, il existe un système de soins palliatifs qui offre des traitements à domicile. Il n'y a pas lieu de réinventer la roue, ni dans notre province, ni dans une autre. Nous pourrions utiliser ce système pour offrir un traitement efficace aux autistes, de façon très économique pour les contribuables. Ce serait beaucoup plus efficient que la construction de grosses structures.

Pensez aux hôpitaux qui paient les avortements. Ils ne sont pas souvent faits dans les établissements hospitaliers. Il n'y a pas de raison de ne pas donner plus d'étendue à la Loi canadienne sur la santé et les services qu'elle assure pour y inclure, par exemple, des psychologues ou d'autres professions paramédicales. C'est une question qui a été examinée en détail dans l'affaire Auton, en Colombie-Britannique, et j'aimerais beaucoup que vous l'examiniez aussi.

Nous devons être prêts, du moins jusqu'à ce que les professionnels canadiens acquièrent une capacité spécifique pour le traitement de l'autisme, à lever les barrières et à permettre un financement direct, de façon que l'argent soit utilisé le plus efficacement possible pour les enfants et que les coûts restent le plus bas possible.

Laissez-moi vous donner un exemple. En Ontario, le programme pour les autistes est divisé en neuf régions. Il y a une structure, un établissement, avec des personnes. Le coût d'exécution du programme de traitement est de 108 000 $ par année par enfant. Les coûts réels du traitement sont de 55 000 $ par enfant. Qu'est-ce qui s'est passé?

Le vérificateur de l'Ontario vient de déposer un rapport détaillé, que j'ai inclus dans le deuxième rapport que je vous ai donné, qui montre exactement cela, les coûts élevés des projets réalisés à l'aide des organismes gouvernementaux. C'est un gaspillage de l'argent des contribuables. Nous pouvons le faire de façon beaucoup plus efficiente.

Je ne crois pas que la construction d'établissements soit la réponse, mais il y a de l'argent pour le traitement. Les budgets gouvernementaux prévoient déjà l'affectation de fonds, qui sont gaspillés, mais nous pourrions les utiliser de façon beaucoup plus efficace par le biais d'un financement direct, sur le modèle du financement des soins palliatifs et en adoptant le principe de la rémunération à l'acte.

Le sénateur Cook : Je vous remercie, madame Mayeur. Merci d'être venue raconter votre histoire, je suis moi-même la mère d'une fille anorexique, mais c'est une histoire qui finit bien. Elle fait partie de la tranche des 40 p. 100 dont vous avez parlé — cela a pris trois ans et demi — et dans son cas, c'est parce qu'elle a perdu son père, qui a succombé au cancer. Elle a deux magnifiques garçons et je n'arrête pas, au Sénat, de montrer des photographies de John et de Luke. Dans mon cas, l'histoire s'est bien terminée, mais c'est parce qu'elle a eu des soins personnalisés.

Je vis dans une région assez peu peuplée du Canada. Elle a été suivie en psychologie et en diététique, et elle a signé des contrats avec ses thérapeutes, qui concernaient même ce qu'elle mangeait. C'était un partenariat, et c'est un bon modèle, monsieur le président. Ça a marché dans son cas, et sa mère n'était pas du milieu.

Mme Mayeur : En effet, ça repose presque en entier sur les épaules du patient.

Le sénateur Cook : Merci d'être venue raconter votre histoire.

Mme Mayeur : Oui, je dois féliciter Terre-Neuve. Je prononçais une conférence à Homewood, la semaine dernière, lorsqu'un homme de 42 ans est venu me parler. Il en était à son deuxième séjour à Homewood, et il a dit que Terre- Neuve était vraiment magnifique. C'est une petite région, mais il y a quand même deux personnes avec qui travailler. Ils le traitent bien. Ils l'ont envoyé à Homewood, sans tenir compte des coûts, lorsque son état s'est aggravé. Il m'a dit qu'il ne comprenait pas pourquoi il souffrait de cette maladie. Il a une femme qu'il adore et des enfants, et tout va bien. Il me demandait pourquoi il était malade. Je lui ai répondu qu'il y avait des facteurs génétiques, dans de nombreux cas. Il a répliqué qu'il avait une sœur boulimique et une tante qui avait aussi un trouble de l'alimentation.

Le sénateur Cook : Monsieur le président, ça ne m'a rien coûté — pas un sou. L'assurance-maladie a payé.

Mme Mayeur : C'est vraiment merveilleux.

Le sénateur Cook : Ça rend encore plus évident qu'il faut des normes nationales.

Mme Mayeur : Merci.

Le président : Je tiens à vous remercier, tous, d'être venus devant nous ce matin et de nous avoir laissé prendre de votre temps. Je crois que nous vous avions dit, au départ, que tout serait terminé à 11 h 45; c'est pourquoi nous apprécions vraiment votre disponibilité.

Je devrais aussi expliquer, pour ceux qui se sont posé la question, pourquoi, quand j'ai présenté mes collègues, j'ai dit ce qu'ils faisaient sans prendre la peine d'indiquer s'ils étaient libéraux ou conservateurs. La raison, c'est que cela n'a jamais posé problème, dans notre comité. Nous avons toujours rendu des décisions unanimes et je crois que, de temps à autre, la plupart d'entre nous oublions à quel parti nous appartenons. C'est pourquoi je n'ai pas donné de précisions sur leur appartenance.

La séance est levée.


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